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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 2 - Témoignages du 29 mars 2004


OTTAWA, le lundi 29 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 heures pour examiner, afin d'en faire rapport, la nécessité d'une politique sur la sécurité nationale pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense. De retour d'un voyage à Washington, où nous avons rencontré nos homologues au Congrès ainsi que des hauts fonctionnaires du gouvernement des États-Unis, nous allons entendre ce soir des témoignages concernant les questions frontalières. Je m'appelle Colin Kenney. Je suis sénateur de l'Ontario et je préside le comité. Nous avons avec nous le sénateur Michael Forrestall, de la Nouvelle-Écosse. Il a débuté sa carrière comme journaliste au Halifax Chronicle-Herald et comme cadre supérieur d'une société aérienne, pour se diriger ensuite vers la politique. Il a été élu une première fois à la Chambre des communes en 1965. Il a servi les électeurs de Dartmouth pendant plus de 37 ans. Il s'est intéressé aux questions de défense tout au long de sa carrière de parlementaire et il a siégé à divers comités parlementaires.

Le sénateur Jim Munson est de l'Ontario. Il est surtout connu des Canadiens comme journaliste réputé et spécialiste des affaires publiques. Il a été mis en nomination à deux reprises pour un prix Gémeaux d'excellence en journalisme. Il a travaillé comme journaliste durant près de 30 ans et, au cours des dernières années, il a été correspondant à la télévision pour le réseau CTV. Après avoir été brièvement le conseiller du ministre des Affaires indiennes, il s'est joint au Cabinet du premier ministre, tout d'abord à titre de conseiller spécial en communication, puis de directeur des communications. Le sénateur Munson est également membre du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, ainsi que du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Le sénateur Atkins est de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat en 1986, fort d'une solide connaissance des communications. Le sénateur Atkins a également été conseiller de l'ancien premier ministre de l'Ontario, M. Davis. Diplômé en économie de l'Université Acadia de Wolfville, en Nouvelle-Écosse, il a reçu en 2000 un doctorat honorifique en droit civil de son alma mater. Depuis qu'il est sénateur, il s'intéresse à diverses questions ayant trait à l'éducation et à la pauvreté. Il s'est également fait le champion des anciens combattants de la Marine marchande du Canada. Le sénateur Atkins est membre du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration et de notre Sous-comité des anciens combattants.

Le sénateur Michael Meighen est également de l'Ontario. Il a bien réussi comme avocat et homme d'affaires et a contribué à une vaste gamme d'organismes de bienfaisance et d'établissements d'enseignement. Il est chancelier du King's College de l'Université de Halifax et il a été nommé au Sénat en 1990. Son expérience en matière de défense est considérable et il préside notre Sous-comité des anciens combattants. Il est également membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Notre comité est le premier comité permanent du Sénat ayant pour mandat de se pencher sur les questions de sécurité et de défense. Depuis sa création au milieu de l'année 2001, notre comité a publié une série de rapports, dont le premier s'intitulait «L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense». Cette étude a été déposée en février 2002, et aborde les grandes questions relatives à la défense et à la sécurité pour le Canada. Le Sénat a ensuite demandé à notre comité de se pencher sur la nécessité d'une politique nationale en matière de sécurité. Jusqu'à maintenant, nous avons publié quatre rapports sur les divers aspects de la sécurité nationale. Tout d'abord, «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne», en septembre 2002; ensuite, «Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes: une vue de bas en haut», en novembre 2002; troisièmement, «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens», en janvier 2003 et, quatrièmement, «Les côtes du Canada: les plus longues frontières mal défendues au monde», en octobre 2003.

Le comité poursuit son évaluation à long terme de la politique canadienne en matière de sécurité et de défense et prévoit publier très prochainement son prochain rapport, portant sur les premiers intervenants. Notre témoin ce soir est le très honorable Herb Gray, qui comparaît devant nous à titre de président de la section canadienne de la Commission mixte internationale, poste qu'il occupe depuis janvier 2002. M. Gray s'est distingué comme député durant pratiquement 40 ans et il a occupé divers postes au cabinet, notamment ceux de solliciteur général et de vice- premier ministre.

Bienvenue au comité, monsieur Gray. Je crois savoir que vous avez une brève déclaration à faire.

Le très honorable Herb Gray, président et commissaire, Section canadienne, Commission mixte internationale: Monsieur le président, j'ai pris connaissance de votre rapport intitulé «Les plus longues frontières mal défendues au monde». Je souhaite vous entretenir brièvement des mesures additionnelles que nous jugeons nécessaires pour garantir la sûreté et la sécurité d'une quinzaine de barrages et d'autres ouvrages érigés dans les zones des eaux limitrophes et transfrontalières du Canada et des États-Unis, et dont la Commission mixte internationale supervise l'exploitation.

La carte qui se trouve au dos du rapport intitulé «Des barrages sûrs?» publié par la commission en 1998 montre que les ouvrages en question comprennent les barrages et les centrales hydroélectriques connexes qui chevauchent la frontière sur les rivières Ste-Croix et St-Jean entre le Nouveau-Brunswick et le Maine, sur le tronçon international du fleuve Saint-Laurent entre Cornwall et Massena (à l'entrée de la Voie maritime), sur la rivière St. Mary à Sault-Ste- Marie et dans le réseau de la rivière à la Pluie dans le nord-ouest de l'Ontario. Ils comprennent également le pont Peace qui relie Fort Érié et Buffalo ainsi que des barrages sur les rivières Kootenay et Pend-d'Oreille, au Canada, et sur le fleuve Columbia (le barrage Grand Coulee) et la rivière Okanagan, aux États-Unis.

Les estacades à glaces sur le lac Érié, là où ses eaux se jettent dans la rivière Niagara, et dans le tronçon international du fleuve Saint-Laurent ne sont pas indiquées sur la carte, mais elles font l'objet d'ordonnances de la commission.

N'oublions pas non plus les importants ouvrages érigés sur les rivières Milk et St. Mary, qui constituent ou traversent la frontière séparant le Montana de l'Alberta et de la Saskatchewan, dans l'ouest du Canada. Ces rivières irriguent des terres sur des centaines de milliers d'acres dans le sud de l'Alberta et le nord du Montana.

Une des responsabilités confiées à la commission en vertu du Traité des eaux limitrophes de 1909 consiste à répondre aux demandes d'ordonnances d'approbation pour la construction d'ouvrages dans, sur ou sous les cours d'eau ou les lacs limitrophes ou transfrontaliers, ouvrages qui peuvent influer sur les niveaux ou les débits d'eau d'un côté ou de l'autre de la frontière. La commission a reçu très peu de demandes d'approbation concernant de nouveaux ouvrages depuis les années 60. Toutefois, elle exerce une surveillance des ouvrages existants par l'intermédiaire de conseils de contrôle créés en vertu d'ordonnances. Cette surveillance a pour but de veiller à ce que l'exploitation de ces ouvrages soit conforme aux conditions relatives à l'écoulement et à la répartition des eaux imposées initialement lorsque la commission a approuvé leur construction.

Il y a déjà presque six ans, en 1998, la commission s'est penchée sur les répercussions possibles dans l'un ou l'autre des deux pays, ou les deux, de l'éventuelle rupture, pour quelque raison que ce soit, d'un barrage ou d'un pont chevauchant les eaux limitrophes ou transfrontalières. Dans son rapport intitulé «Des barrages sûrs?», elle a informé les gouvernements du Canada et des États-Unis qu'aucun des ouvrages visés par le Traité des eaux limitrophes dont elle assure la surveillance au Canada ne faisait l'objet d'inspections de sécurité régulières par le gouvernement du Canada et qu'il n'existait pas de plans d'urgence continuellement mis à jour et testés régulièrement pour tous ces ouvrages. La commission a également mentionné dans son rapport que, dans la plupart des cas, la partie américaine de ces ouvrages était inspectée par des organismes fédéraux des États-Unis, comme la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) et le Bureau of Reclamation. Aux barrages qui traversent la frontière, la FERC mène des inspections dans la partie américaine. C'est le cas par exemple au barrage Moses-Saunders de Cornwall-Massena, sur le Saint-Laurent.

Le 30 juillet 2003, M. Dennis Schornack, président de la Section américaine de la commission, et moi avons rencontré, dans le Montana, M. John Keys, commissaire du Bureau of Reclamation. Nous avons discuté entre autres des moyens que prend cet organisme pour contrôler la sécurité des ouvrages dont il a la responsabilité. Le bureau gère 348 réservoirs et exploite 58 installations hydroélectriques dans 17 États de l'Ouest américain. Une des plus importantes de ces installations est le barrage Grand Coulee, sur le fleuve Columbia, dont la commission assure la surveillance en vertu d'une de ses ordonnances d'approbation.

Le programme de sécurité des barrages du Bureau of reclamation a été instauré officiellement en septembre 2002 à la création d'un service spécial de sécurité, de sûreté et d'application de la loi chargé de protéger le public ainsi que les employés et les installations du bureau par l'élaboration d'un programme intégré. Il a la responsabilité de protéger le public, les employés du bureau et ses installations en assurant l'élaboration et la mise en oeuvre d'un programme intégré en matière de sécurité, de sûreté et d'application de la loi. Dans son rapport publié en 1998, la commission recommandait que les gouvernements du Canada et des États-Unis supervisent les activités d'assurance de la sûreté (et donc de la sécurité) des ouvrages dont elle avait approuvé la construction. Elle recommandait également que les gouvernements prescrivent l'exécution d'inspections régulières par des spécialistes indépendants, qu'ils mettent en oeuvre les recommandations formulées dans les rapports d'inspection et qu'ils élaborent des plans d'urgence et en contrôlent régulièrement l'efficacité. De plus, la commission a demandé qu'on donne au public l'accès à l'ensemble des rapports et de la documentation ayant trait aux questions de sûreté, ce qui pourrait cependant ne plus être indiqué depuis l'attaque du 11 septembre 2001.

Les autres recommandations de la commission demeurent pertinentes, et je dirais même qu'elles le sont encore plus depuis ce tragique événement. Ainsi, nous avons recommandé aux deux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour assurer la supervision conjointe des ouvrages qui chevauchent la frontière. Pour autant que je sache, le gouvernement du Canada ne semble avoir mise en oeuvre aucune des recommandations formulées dans le rapport de 1998 de la commission. Toutefois, notre personnel travaille depuis peu à la mise à jour de l'information contenue dans ce rapport.

À la suite de l'attaque perpétrée sur le World Trade Center le 11 septembre 2001, la commission, par l'intermédiaire de ses conseils de contrôle, a demandé aux exploitants des ouvrages dont elle a la responsabilité de lui faire rapport sur les plans d'urgence qu'ils ont mis en place. Il ressort des rapports que, dans le cas de certains ouvrages, il n'existe pas encore de tel plan. La commission a transmis l'information au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada le 10 décembre 2001.

Ce ministère a affirmé dans le passé que la sécurité des ouvrages ne relève pas du gouvernement fédéral, mais des provinces. Or, pour autant que je sache, aucune province n'a instauré de programme de sécurité à l'égard de ces ouvrages. Quoi qu'il en soit, j'estime que la question devrait relever des autorités fédérales, étant donné que les ouvrages traversent la frontière canado-américaine.

J'ai rencontré le sous-ministre délégué de la Défense nationale, qui était responsable du Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile (le BPIEPC), connu aujourd'hui sous l'appellation Sécurité publique et Protection civile Canada, ou SPPCC, et certains de ses collaborateurs pour les informer de la situation. Je crois comprendre que la SPPCC collabore maintenant avec Transports Canada, Environnement Canada, Ressources naturelles Canada, les provinces et les organismes américains équivalents pour promouvoir la protection et l'assurance de la fiabilité des infrastructures essentielles. De plus on m'a dit que SPPCC a amorcé des consultations, dans le cadre du Programme national de fiabilité des infrastructures essentielles, afin de faire participer tous les intervenants à des échanges sur la meilleure façon de protéger les installations. L'organisme considère la sûreté des eaux et des barrages comme étant des éléments liés aux infrastructures critiques.

SPPCC a entrepris des démarches auprès des autorités américaines pour que les exploitants de barrages de propriété publique au Canada puissent utiliser les méthodes d'évaluation des risques mises au point par le gouvernement des États-Unis. L'organisme a également terminé une étude sur la protection des eaux et des infrastructures essentielles qui comprenait l'examen des mécanismes et des mesures de réglementation de la sécurité des barrages au palier provincial. J'ai appris que le gouvernement fédéral a intégré le BPIEPC au nouveau ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile dans le but, selon le communiqué diffusé à cette occasion, d'optimiser les mesures et les interventions d'urgence en cas de catastrophes naturelles et d'atteintes à la sécurité. Notons également la création d'un nouveau poste de conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre. Par ailleurs, un nouveau comité chargé de la santé publique, de la sécurité et de la protection civile a été créé au sein du cabinet, tout cela depuis que le premier ministre Martin a assumé ses fonctions le 12 décembre 2003.

Néanmoins, je demande où nous en sommes maintenant en ce qui concerne la prise de mesures spécifiques pour créer et mettre en oeuvre un programme fédéral visant à assurer la sûreté et la sécurité des infrastructures qui nous occupent. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, il n'existe pas à l'heure actuelle au Canada de régime fédéral intégré permettant de superviser la sûreté et la sécurité des infrastructures essentielles à la frontière entre les deux pays, y compris des installations qui relèvent de la responsabilité de la commission. Et je tiens à signaler que, actuellement, la commission n'a pas la capacité d'assurer cette supervision.

Je ne veux pas dire qu'il y a des lacunes dans les mesures prises par les exploitants pour protéger leurs installations. Je dis cependant que le gouvernement fédéral ne coordonne pas encore la supervision des mesures de sûreté et de sécurité des installations qui chevauchent la frontière canado-américaine ou qu'il n'a pas encore instauré de programme fédéral à cette fin. À mon avis, c'est une question qui relève du gouvernement fédéral. Dès lors, rien ne nous montre qu'on applique des normes homogènes.

J'ai rencontré l'an dernier le directeur, Politiques, opérations et état de préparation maritimes, du ministère de la Défense nationale. Il m'a dit qu'il existe un forum pour déterminer et coordonner les interventions du gouvernement fédéral à l'appui des objectifs du Canada relatifs à la sécurité publique et à la lutte contre le terrorisme dans le secteur maritime. Il s'agit du Groupe de travail interministériel sur la sûreté maritime, qui exerce ses fonctions dans les limites des responsabilités et des programmes en matière de sûreté maritime des ministères et organismes qui y sont représentés. La commission était représentée à l'une des réunions de ce groupe. En outre, le groupe de travail a tenu un atelier, auquel la commission a participé, pour examiner les failles qui pourraient exister en matière de sécurité dans les Grands Lacs et le Saint-Laurent.

On m'a dit aussi que, selon la Convention Rush-Bagot, aucun des deux pays ne peut maintenir de navires militaires armés dans les Grands Lacs. Or, il s'y trouve des navires armés de la Garde côtière des États-Unis, qui compte environ 6 000 employés dans son district des Grands Lacs. De plus, cet organisme a affecté aux ports essentiels de nouvelles forces d'intervention rapide, appelées équipes de sûreté et de sécurité maritimes, qui peuvent se déployer dans tout le pays. Enfin, les unités de sécurité des ports de la Garde côtière américaine assurent une protection maritime, ainsi qu'une protection limitée à partir de bases terrestres, des bateaux et des installations portuaires essentielles.

Passant maintenant à ma conclusion, je pose la question suivante. Est-ce que SPPCC dispose déjà de tous les pouvoirs nécessaires pour pouvoir émettre des directives sur les questions de sécurité aux exploitants de ces ouvrages? Dans la négative, je vous encourage à recommander les mesures suivantes ou leurs équivalents. Je le fais de ma propre initiative, étant donné que la commission dans son ensemble est à mettre à jour son rapport de 1998. J'estime cependant que ses recommandations étaient et seront conformes à celles que je m'apprête à soumettre au comité.

Premièrement, qu'un organisme fédéral compétent soit désigné pour veiller à ce qu'on mène régulièrement des inspections de sûreté et de sécurité à toutes les installations que j'ai mentionnées, ainsi que dans les ports et à bord des navires, dans les eaux limitrophes et transfrontalières, en particulier dans les Grands Lacs.

Deuxièmement, que des plans d'intervention en cas d'urgence efficaces, mis à l'essai régulièrement et à jour soient en place.

Troisièmement, que ces installations fassent l'objet d'une surveillance adéquate aux fins indiquées.

Quatrièmement, que le gouvernement fédéral veille à prendre les mesures nécessaires pour assurer l'application par les deux pays de critères de sûreté et de sécurité semblables concernant les ouvrages qui chevauchent la frontière.

En conclusion, je suis d'avis que la sûreté et la sécurité des infrastructures essentielles indiquées dans le rapport de la commission intitulé «Des barrages sûrs?» et des autres installations dont j'ai parlé relèvent du gouvernement fédéral. Il est question ici d'une frontière internationale et de nos relations avec nos plus proches voisins, nos alliés et nos meilleurs clients, les États-Unis.

N'oublions pas les enjeux en présence: l'approvisionnement en énergie hydroélectrique de millions de personnes et des voies de transport essentielles pour la poursuite d'échanges commerciaux valant des milliards de dollars, ainsi que le secteur agroalimentaire, pour lesquels les infrastructures qui nous occupent doivent fonctionner continuellement et en toute sécurité. C'étaient là mes observations. Je serai heureux de répondre à vos questions et d'entendre vos commentaires. Merci de m'avoir invité et de m'avoir écouté.

Le président: Merci, monsieur Gray. Vos commentaires ont été fort pertinents et les membres du comité sont impatients de vous poser des questions.

Le sénateur Forrestall: Je me suis pris à imaginer pour un instant, monsieur le président, que j'étais à la Chambre des communes en train d'écouter un discours vigoureux rempli de sagesse et de pondération.

Cela fait longtemps que nous nous battons avec le problème de la CMI. Pourrais-je commencer par essayer de comprendre un peu mieux ce que vous voulez? Vous dites que nombre de ces questions devraient relever de la responsabilité fédérale. Est-ce par opposition aux responsabilités provinciales? Comment voyez-vous le rôle des provinces? Il me semble, tout particulièrement sur la rivière Ste-Croix ou sur la rivière Saint-Jean, que les barrages sont sur le territoire de la province du Nouveau-Brusnswick et pourtant vous les considérez comme relevant de la responsabilité fédérale.

M. Gray: Selon le traité sur les eaux limitrophes entre le Canada et les États-Unis, c'est la Commission mixte internationale qui a la responsabilité de toutes les étendues ou les voies d'eau qui forment la frontière entre les deux pays ou qui traversent la frontière. La rivière Ste-Croix forme la frontière entre le Nouveau-Brunswick et le Maine — qui font partie respectivement du Canada et des États-Unis — et par conséquent les barrages sur la Ste-Croix relèvent du traité sur les eaux limitrophes. C'est la Commission mixte internationale qui les supervise conformément aux ordonnances prises par la commission il y a de nombreuses années. Il y a un conseil de contrôle qui supervise l'exécution des ordonnances, principalement pour la répartition des eaux pour l'utilisation des barrages, qu'il s'agisse de barrages hydroélectriques ou tout simplement de barrages de retenue des eaux pour faciliter l'acheminement des billes de bois. Bien entendu, les municipalités avoisinantes se servent de ces eaux à des fins sanitaires et d'égout.

Par conséquent, il est tout à fait possible que les provinces aient une responsabilité en matière de réglementation et de vente de l'hydroélectricité, et il est tout à fait possible que les autorités provinciales et des parcs effectuent leurs propres inspections. Cependant, du côté américain de la frontière, le gouvernement fédéral exerce la responsabilité de réglementation par le biais de la Federal Energy Regulatory Commission, sauf dans 17 États de l'Ouest où c'est le Bureau of Reclamation du Département de l'intérieur.

Dans son rôle de surveillance, le fédéral a la responsabilité de s'assurer que des inspections de sûreté sont menées régulièrement et que les plans d'urgence sont continuellement mis à jour et testés régulièrement pour les ouvrages qui se trouvent dans les eaux limitrophes du côté canadien et, dans le cas de la Ste-Croix, les ouvrages qui franchissent la frontière. Actuellement, ces structures sont inspectées, ou les exploitants locaux font des rapports régulièrement à la FERC, mais la FERC ne les inspecte que jusqu'au milieu, ce qui peut sembler assez étrange pour certains. Je dis simplement qu'il devrait y avoir une responsabilité fédérale équivalente du côté canadien.

Je ne parle pas des barrages qui ne sont pas sur la frontière internationale. Il est évident qu'ils relèvent de la compétence provinciale. Je parle des ouvrages qui sont dans les eaux ou qui franchissent les eaux qui forment une partie de la frontière entre le Canada et les États-Unis.

Le sénateur Forrestall: Est-ce que la CMI n'avait pas en partie pour mandat à l'origine de rectifier cette surveillance — ou peut-être même pas de rectifier cette surveillance, mais plutôt de prévoir des plans cohérents pour instituer une forme de juridiction, de surveillance et de réglementation fédérales?

M. Gray: Ces ouvrages sont ce que nous appelons des ouvrages réglementés pour lesquels la commission a commencé par émettre des ordonnances d'approbation pour leur construction. Ces ordonnances d'approbation étaient accompagnées de conditions et la commission, comme c'est sa pratique depuis sa création en 1911, a constitué un conseil de contrôle dans chaque cas pour veiller à ce que ces ordonnances et conditions soient exécutées. Dans une certaine mesure, il s'agit de questions sur lesquelles nous exerçons une sorte de réglementation conformément à des ordonnances prises il y a des années. La commission a toujours pensé qu'elle avait une fonction d'alerte, qu'elle avait pour fonction d'attirer l'attention des deux gouvernements — ou dans certains cas, d'un seul gouvernement — sur les questions d'air et d'eau transfrontaliers qui méritent, selon elle, considération. C'est une de ces questions.

Le sénateur Forrestall: Dans ce cas, réclamez-vous un élargissement du rôle de la commission?

M. Gray: Non. Nous conseillons vivement au gouvernement canadien d'adopter l'équivalent de la procédure de réglementation d'inspection américaine.

Je suppose que le gouvernement pourrait demander à la commission — en lui fournissant les fonds nécessaires — d'assumer ce rôle d'inspection pour veiller à ce que les procédures de sécurité soient en place et à ce qu'elles soient régulièrement testées aux fins de sûreté. Néanmoins, nous ne sommes pas demandeurs. Nous disons en fait au gouvernement canadien: «C'est ce qui se fait du côté américain, c'est une responsabilité fédérale et il nous semblerait logique que nous ayons l'équivalent du côté canadien surtout lorsqu'il s'agit d'ouvrages qui franchissent la frontière».

Le sénateur Forrestall: À votre connaissance, monsieur Gray, est-ce que le nouveau département de la Sécurité intérieure envisage une sorte d'autorité administrative mixte?

M. Gray: D'après ce que je sais, ils y réfléchissent mais rien n'est encore fait. Permettez-moi de signaler en passant que la première fois où la commission l'a signalé à l'attention des autorités canadiennes c'était en 1998. Elle l'a refait à l'automne 2001. Lorsque je suis devenu président, fort de mon travail et de mon expérience comme solliciteur général, j'ai commencé à en parler aux agences fédérales appropriées. Nous poursuivons le dialogue. Nous avons été invités à le faire par de nouveaux comités qui ont été créés pour examiner les questions de sécurité des ports et des côtes.

J'ai été enchanté de voir votre rapport d'octobre dernier. Depuis, je crois que certaines de vos recommandations ont été adoptées par la nouvelle administration qui est entrée en fonction le 12 décembre. Nous avons été invités à participer à des réunions des groupes de travail sur la sécurité portuaire pour les ports sur les Grands Lacs. D'ailleurs, M. Koop, à ma gauche, est le cadre supérieur qui nous représente aux réunions de ces groupes quand ils nous invitent.

Le président: Monsieur Gray, pourriez-vous préciser une des réponses que vous avez données? Vous avez parlé de la Federal Energy Regulatory Commission, la FERC, qui inspecte la moitié des barrages, et vous encouragez le Canada à inspecter l'autre moitié. Ce n'est pas vraiment ce que vous proposez, n'est-ce pas? Vous aimeriez qu'il y ait une seule unité d'inspection composée de représentants des deux côtés pour inspecter l'ensemble du barrage?

M. Gray: Il y a plusieurs options. Nous ne privilégions pas un modèle particulier. Je crois, pour commencer, qu'il serait préférable qu'il y ait un groupe d'inspection intégré. Cependant, il y a aujourd'hui coordination sur diverses questions des deux côtés de la frontière dans d'autres secteurs, comme dans celui des transports, entre la Garde côtière américaine et la Garde côtière canadienne, et les deux administrations de la voie maritime. Si les normes et les responsabilités étaient équivalentes et, disons, que le barrage Moses-Saunders était inspecté le même jour ou les mêmes jours, il ne serait pas forcément nécessaire qu'il y ait une équipe binationale intégrée. Cependant, si les deux gouvernements se mettaient d'accord sur une équipe binationale, je n'y verrais pas d'objection.

Le président: Que préféreriez-vous?

M. Gray: Ma préférence irait à ce qui pourrait être mis en place et en route le plus rapidement. Une agence unique et intégrée pourrait nécessiter l'approbation du Congrès, et comme vous avez pu le constater lors de votre visite à Washington, au Congrès les choses ont tendance à ne pas aller vite. En revanche, une décision du nouveau département de la Sécurité intérieure appuyée par le comité compétent du cabinet pourrait avoir relativement vite le feu vert.

Ma préférence ira à ce qui sera le plus rapide. Avec le temps, il sera peut-être possible de profiter d'autres aspects et de finir par se retrouver, peut-être, avec une instance unique. Je fais souvent des aller-retour à Washington pour ce travail. J'appuie mon homologue américain dans ses contacts avec les sénateurs et les représentants du Congrès. Il se peut que les Américains craignent d'abandonner leur souveraineté ou de partager leur souveraineté et dans ce cas, les représentants du Congrès ont tendance à y réfléchir à deux fois. Essayer de créer une instance unique pourrait risquer de freiner la mise en place de ce dont, selon moi, nous avons besoin, à savoir un plan administré par le gouvernement fédéral pour l'inspection régulière des infrastructures essentielles qui figurent sur cette carte. J'ai aussi mentionné dans ma déclaration le plan de vérification de sécurité.

Le sénateur Meighen: Monsieur Gray, une petite précision: sauf erreur de ma part, vous avez dit que dans le cas de nombre des barrages qui enjambent des rivières limitrophes séparant les deux pays, les autorités américaines n'en inspectent que la moitié, mais il y les barrages Vanceboro, Forest City et Iroquois à Cornwall. D'après mes informations, ils sont entièrement inspectés par les États-Unis. Est-ce que mes informations sont correctes? Dans l'affirmative, pourquoi inspectent-ils entièrement certains de ces barrages qui vont d'une rive à l'autre et d'autres seulement la moitié?

M. Gray: Je vais devoir demander à M. Koop de m'aider. Je crois que pour beaucoup c'est une question d'accident historique. Cela s'est fait à un moment et cela continue.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, je ne dis pas qu'aucun n'est inspecté, en particulier du côté canadien, par leurs exploitants. Cependant, je pense qu'il doit y avoir un certain régime de responsabilité générale qui est fédéral.

Le sénateur Meighen: Donc, je suppose, qu'une autre solution aux équipes mixtes serait une entente avec les Américains: «Vous inspectez intégralement tous ces barrages et nous inspecterons de notre côté intégralement tous les autres».

M. Gray: C'est une possibilité. Il y a un précédent avec les brise-glaces dans les Grands Lacs. Sur la rivière Détroit, il y a certaines zones d'eau canadienne où, par accord, ce sont les brise-glaces américains qui font le travail. Dans d'autres zones, par accord, ce sont les brise-glaces canadiens dans les eaux américaines. Il y a un précédent qui pourrait être appliqué.

Le sénateur Atkins: Je sais que la rivière Saint-Jean a sa source dans le Maine, mais de quel barrage parlez-vous sur cette rivière?

M. Gray: Le barrage Grand Falls.

Le sénateur Atkins: Il n'est pas sur la frontière, n'est-ce pas?

M. Gray: Il concerne des eaux limitrophes. M. Koop pourrait peut-être vous l'expliquer.

M. Rudy Koop, conseiller à la recherche, Section canadienne, Commission mixte internationale: Le barrage Grand Falls relève de l'autorité de la Commission mixte internationale, la CMI, parce que ses eaux de retenue franchissent la frontière. C'est la raison pour laquelle l'exploitant a fait une demande auprès de la commission.

Le sénateur Atkins: Vous ne parlez pas du barrage Beechwood ou...

M. Koop: Non, le barrage Grand Falls est le seul.

Le sénateur Atkins: Très bien. Comme vous le savez, nous sommes tout juste de retour d'une visite aux États-Unis. Notre comité, je pense pouvoir le dire, est surpris du manque d'initiative concernant les infrastructures tant du côté canadien que du côté américain. Nous savons qu'au Canada il y a un budget de 300 millions de dollars pour des initiatives d'infrastructure, mais nous avons constaté au cours de toutes nos discussions avec les représentants de la sécurité intérieure que même si la frontière Detroit-Windsor a probablement atteint son maximum de capacité, s'il arrivait quoi que ce soit, il n'y a pas de plan de réserve ou de plan futur pour atténuer la congestion au niveau du tunnel et du pont. Vous avez quelque chose à dire à ce sujet?

Nous avons constaté l'absence apparente de comité mixte ou d'instance analogue pour réfléchir à ce problème.

M. Gray: Je crois savoir qu'un groupe de travail mixte, Canada-États-Unis, État et province, a été constitué pour étudier cette question et réfléchir à des solutions qui seront présentées au gouvernement et au public. Cela fait peut-être deux ans qu'il fonctionne.

Ils ont annoncé dernièrement que la nécessité d'évaluations environnementales fait que leur rapport sur les solutions d'atténuation de la congestion sur le pont et dans le tunnel prendra plus longtemps que prévu. Le travail se poursuit. C'est un groupe d'étude États-Unis-Canada, Ontario-Michigan.

Du côté canadien, le gouvernement de l'Ontario et le gouvernement fédéral viennent tout dernièrement d'accepter de se joindre à la ville de Windsor pour la mise en place de mesures à court terme d'atténuation de la congestion, n'allant pas jusqu'à la construction d'un autre pont — c'est impossible sans le consentement des autorités américaines — mais entre autres la construction de passerelles, de parcs de stationnement d'attente, et cetera. Ils doivent dépenser environ 40 millions de dollars. Cela ne fait pas partie du travail de la commission; ce sont des projets d'aménagement du secteur. C'est ce qui se fait actuellement.

Il y en a à Windsor qui se plaignent de la lenteur des travaux de ce groupe d'étude. Il faut qu'il trouve des propositions de passages supplémentaires, d'emplacement de ces passages, et cetera. Il est inévitable qu'il y ait des difficultés avec toutes ces administrations dans deux pays différents, auxquelles s'ajoutent des considérations qui n'existaient peut-être pas auparavant. Quand le pont Ambassadeur a été construit en 1929, je ne pense pas qu'il aurait été possible de réclamer une évaluation environnementale. Je ne pense pas que cela soit réaliste, s'agissant d'un ouvrage pour traverser la rivière Détroit, qu'on puisse proposer et commencer à construire quelque chose en un ou deux mois.

D'après ce que j'ai cru comprendre, ce qui va bientôt être construit ce sont des passages surélevés pour éviter les passages à niveau avec le chemin de fer et des passerelles pour piétons au-dessus des axes principaux, mais ce sont censés être des mesures provisoires.

Le sénateur Atkins: Le problème c'est que cela n'atténue pas le problème de congestion au centre de Détroit ou de Windsor.

Je sais qu'il faut l'accord de plusieurs administrations pour la construction d'un nouvel ouvrage, mais nous avons le sentiment que personne ne veut prendre l'initiative.

M. Gray: Il y a ce groupe d'étude qui est au travail. Vous devriez inviter des représentants du ministère fédéral des Transports et du ministère des Transports de l'Ontario pour qu'ils vous fassent un rapport sur cette question.

Je ne peux vous rapporter que ce que j'ai appris lors de conversations et dans les journaux locaux. Ce que je vous ai dit correspond à la description de la situation.

Le sénateur Atkins: Il est vrai que notre comité a conclu que l'addition de routes ou d'autres moyens de relier les deux pays atténuerait certains des problèmes de sécurité qui existent aujourd'hui.

M. Gray: Il y a plusieurs options. Il y a l'option d'un pont supplémentaire en aval. Un groupe veut construire un tunnel spécial réservé aux camions sous la rivière. Les exploitants du pont actuel veulent ajouter un tablier supplémentaire à côté. Il y a ceux qui disent qu'une grande partie du trafic ne sert pas l'industrie de Détroit ou de Windsor, que c'est le chemin qu'empruntent ceux qui vont de Montréal à Mexico, et dans ce cas pourquoi ne pas construire un pont à Sarnia par exemple, pour que les camions qui évoluent entre Windsor et Détroit puissent assurer leurs livraisons dans les délais aux usines des deux côtés?

Beaucoup de gens réfléchissent à ces solutions. Comme vous le voyez, je suis avec intérêt les questions qui touchent à la qualité ou à la quantité de l'eau transfrontalière, ou quand il s'agit de questions relatives à l'air, on fait appel aux services de la commission.

Le sénateur Atkins: Je ne pense pas que nous ayons entendu parler de ce groupe d'étude dans nos discussions.

Quelles recommandations feriez-vous à un groupe d'étude pour atténuer le danger potentiel?

M. Gray: Vu mes fonctions actuelles, il serait inopportun que je recommande une option plutôt qu'une autre. Elles ont toutes des points faibles. Elles impliquent toutes, d'une manière ou d'une autre, le passage à travers des zones municipales existantes. Quelle que soit l'option choisie, il y en aura qui diront qu'il y en a d'autres bien meilleures, ou vice versa. C'est très controversé. Beaucoup de gens bien intentionnés s'intéressent de très près à cette question parce que cela touche leur maison, leur commerce, et cetera.

Il serait inopportun que je tranche en faveur d'une option plutôt que d'une autre. Il est possible que dans quelques années, si j'occupe toujours cette fonction, qu'on me demande d'intervenir d'une manière plus officielle avec mes collègues de la commission. Raison de plus pour que je ne joue qu'un rôle d'observateur et non pas de décideur.

Le sénateur Atkins: J'ai l'impression que vous avez votre propre point de vue mais que vous ne voulez pas nous le donner.

M. Gray: C'est fort possible. J'espère que nous serons tous ici dans 10 ans et je viendrai alors vous donner une mise à jour.

Le sénateur Atkins: Nous avons parlé de Detroit-Windsor, mais pourriez-vous nous parler de Calais-St. Stephen, compte tenu de l'importance des échanges entre la région atlantique du Canada et le nord de la Nouvelle-Angleterre à cet endroit. Il y a là également un problème considérable.

M. Gray: C'est exact. Nous nous pensons proches des États-Unis à Windsor, mais il suffit de visiter cet endroit pour constater qu'il y a des gens qui sont encore plus proches des États-Unis.

Le sénateur Atkins: Vous avez parlé de sécurité et de quelles autorités devraient relever les questions de sécurité. Ne vous semble-t-il pas que la plupart de ces questions, si on les regroupait, relèveraient du nouveau ministère?

M. Gray: En effet, c'est exact.

Le sénateur Atkins: Selon vous, s'agit-il clairement d'une responsabilité fédérale?

M. Gray: Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Il est question de frontières internationales et d'eaux internationales. Ce sont des eaux navigables. Vous connaissez la Loi sur la protection des eaux navigables, la législation canadienne concernant les pêches et le Traité des eaux limitrophes. Les dispositions législatives qui interdisent le prélèvement d'eau en vrac du coté canadien du bassin des Grands Lacs sont en réalité une série de modifications de la loi adoptée il y a de nombreuses années pour assurer l'exécution des obligations du Canada aux termes du Traité des eaux limitrophes.

Dans la mesure où l'on souhaite un régime et des critères cohérents en matière d'inspection et de contrôle, je ne vois pas comment on peut agir autrement que par le truchement d'une forme quelconque de coordination et de surveillance fédérales.

Essentiellement c'est ce qui se produit du coté états-unien.

Le sénateur Atkins: Nous avons été quelque peu étonnés de constater que le nouveau département de la sécurité du territoire est lent à s'organiser et connaît bon nombre de ratés. Avez-vous eu la même impression dans le poste que vous occupez?

M. Gray: Je préfère ne pas aborder cette question. Donnons la chance au coureur. Je constate qu'un bon nombre des secteurs de responsabilité du nouveau département correspondent à ceux d'organismes établis de l'ancien département du solliciteur général, qui sont déjà en mesure d'assumer leurs tâches.

Inévitablement, lorsque l'on crée une nouvelle structure administrative de grande envergure, il lui faut un certain temps pour se mettre en branle. C'est ce que les Américains ont constaté avec leur département de la sécurité du territoire. On vous en a vraisemblablement parlé lorsque vous avez visité les États-Unis.

Au Canada, les nouveaux arrangements ne sont en vigueur que depuis qu'ils ont été annoncés lorsque le nouveau premier ministre et le nouveau cabinet ont assumé leurs fonctions le 12 décembre. Je suis convaincu que les intéressés s'efforcent de s'organiser et d'être en mesure de fonctionner.

Le sénateur Atkins: Mon commentaire ne se voulait pas une critique. Je notais tout simplement que la tâche d'organiser le département de la sécurité du territoire avait pris plus d'ampleur que quiconque ne l'avait prévu.

Elle visait en effet environ 23 organismes distincts et 160 000 personnes.

M. Gray: Vous parlez des États-Unis. J'ai tendance à croire qu'ils ont beaucoup progressé au cours des 18 derniers mois, depuis l'adoption de la mesure législative habilitante. Souhaitons que leur structure fonctionne de façon efficace à l'heure actuelle et pour l'avenir.

Je n'ai pas bénéficié des renseignements détaillés qu'on vous a fournis aux États-Unis. Vous en aurez peut-être davantage à dire là-dessus en temps opportun.

Le sénateur Munson: Monsieur Gray, qu'en est-il de la voie à suivre? Au point 12 de votre exposé, vous dites que la Commission mixte internationale recommandait que les gouvernements prescrivent l'exécution d'inspections régulières par des spécialistes indépendants, qu'ils mettent en oeuvre les recommandations formulées dans les rapports d'inspection et qu'ils élaborent des plans d'urgence et en contrôlent régulièrement l'efficacité. Au point 14, vous dites que, à votre connaissance, le gouvernement du Canada ne semble avoir mis en oeuvre aucune recommandation à cet égard.

Six ans, c'est beaucoup. Vous faisiez partie du gouvernement à l'époque. Qui donc était à l'écoute? Faudra-t-il attendre un autre désastre pour que l'on agisse?

M. Gray: J'espère bien que non.

Pour être juste, il ne faut pas oublier la situation en 1998 et l'atmosphère qui prévalait. Ce qui avait précipité ce rapport ce n'était pas des questions de sécurité, principalement, mais les risques d'effondrement de barrages provoqué par des accidents météorologiques, ou d'effondrement dû au passage du temps, et cetera. Toute considération sécuritaire était totalement secondaire.

Il faut être juste. Quand ces questions ont été évoquées et quand ce rapport a été écrit en 1998, je pense que personne n'avait à l'esprit le genre de problèmes auxquels nous a éveillés le désastre du World Trade Center du 11 septembre 2001.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce qui a incité mes prédécesseurs à rédiger ce rapport c'est l'inspection de certains barrages dans la région de la rivière Ste-Croix et la détection de ce qui ressemblait à des fuites à certains endroits. Nous faisons des visites de sites et nous nous familiarisons avec les secteurs dont nous avons la responsabilité. Les commissaires ont décidé, comme ces ouvrages étaient sous leur contrôle réglementaire, qu'il faudrait s'informer pour savoir par qui et par quand ces barrages avaient été inspectés, premièrement, à des fins de sûreté et, deuxièmement, à des fins de sécurité.

Il faut être juste. Ce n'est pas avec les lunettes d'aujourd'hui qu'il faut regarder ces problèmes mais avec les lunettes de l'atmosphère et des circonstances de l'époque.

Le sénateur Munson: Il reste que cela fait six ans.

M. Gray: C'est exact.

Le sénateur Munson: Le gouvernement fédéral a-t-il fait assez? Le gouvernement fédéral écoute-t-il vos recommandations?

M. Gray: Je dis que je pense qu'il écoute. Ce que nous voulons maintenant c'est qu'il passe aux actes.

Le sénateur Munson: Quelles mesures conviendrait-il de prendre selon vous?

M. Gray: Il y a différentes approches. La première consiste à créer une agence analogue à la Federal Energy Regulatory Commission du côté canadien, ou un bureau analogue au Bureau of Reclamation des États de l'Ouest américain. On pourrait demander à un de nos ministères actuels de travailler en collaboration avec les exploitants privés ou les gouvernements provinciaux.

Parlant d'immobilisme, si vous lisez notre rapport, vous verrez qu'à la fin de 1998, la province de l'Ontario préparait des critères d'inspection pour les barrages relevant d'elle. Quand, il y a deux ans, j'ai rencontré le ministre d'alors des Ressources naturelles de l'Ontario, il m'a dit: «Oh! Nous continuons à travailler sur ces règlements». J'ai rencontré le nouveau ministre des Ressources naturelles et j'ai appris que ses fonctionnaires continuaient à travailler sur ces règlements.

Ce n'est pas simplement une question à laquelle le palier fédéral pourrait prêter plus attention. Il y a aussi une responsabilité provinciale pour les barrages qui ne sont pas à la frontière.

Ce que votre comité a recommandé en octobre dernier, en termes de nouvelle sécurité et de structure, a été adopté à bien des égards. Peut-être qu'une autre recommandation de votre comité permettrait d'accélérer le processus.

Le sénateur Forrestall: Vous avez cité des extraits de «Des barrages sûrs?». Vous y dites entre autres:

On doit déplorer que certains ouvrages réglementés ne font pas l'objet d'une surveillance et d'inspections complètes de sécurité par le gouvernement. Faute d'une surveillance gouvernementale on ne peut rendre quiconque responsable des activités susceptibles de mettre en danger la vie et les propriétés de citoyens canadiens ou américains.

Est-ce que l'âge de certains barrages ou de certains ouvrages vous inquiète? Est-ce que l'âge est un facteur majeur?

M. Gray: Je suppose que c'est un facteur. Je pourrais demander à M. Koop de m'aider à répondre. C'est la raison pour laquelle des inspections complètes et régulières sont importantes.

Pourriez-vous compléter ma réponse, monsieur Koop?

M. Koop: Le barrage Grand Falls dont nous avons parlé, sur la rivière Ste-Croix, est le barrage à l'origine de ce rapport de 1998. Je ne me souviens pas de la date exacte maintenant, mais je crois qu'il a été construit aux alentours de 1915. Bien entendu, si les barrages ne sont pas entretenus correctement, il y a des problèmes.

Le sénateur Forrestall: Plus un ouvrage vieillit, plus il faut l'inspecter souvent.

M. Gray: C'est certainement quelque chose que doivent prendre en considération les exploitants. Votre comité pourrait fort bien envisager de faire une recommandation.

Nous réclamons un régime général d'inspection visant à la fois les conséquences du vieillissement provoqué naturellement par le temps et les risques d'intervention humaine qui peuvent avoir les mêmes conséquences qu'une catastrophe naturelle ou un effondrement dû à l'âge. Nous n'estimons pas avoir l'expertise technique suffisante pour privilégier plus un modèle de surveillance qu'un autre. À notre avis, il devrait y avoir un mécanisme national et constant de surveillance d'un bout à l'autre du continent du côté canadien. Il pourrait être contrôlé en collaboration avec les exploitants privés, surtout quand ils sont provinciaux. Il pourrait être contrôlé de concert avec les autorités gouvernementales provinciales ou contrôlé uniquement par le gouvernement fédéral.

Je ne pense pas être prêt, au nom de la commission ou en mon nom personnel, à dire que c'est la seule option ou la meilleure option. Je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons avoir d'approche unifiée au niveau fédéral comme aux États-Unis.

Le sénateur Forrestall: Est-ce que de temps à autre vous attirez l'attention des exploitants de ces installations sur vos préoccupations; ou estimez-vous que la CMI est limitée à la communication avec les exploitants de ces installations par le biais de l'autorité fédérale?

M. Gray: Nous avons des ordonnances de contrôle. Comme nous le faisons pour les autres questions concernant les ordonnances de contrôle, nous communiquerons directement avec les exploitants.

Ils n'hésitent pas à nous contacter quand nos ordonnances de contrôle ont une incidence sur la capacité à faire fonctionner leurs installations. C'est un domaine différent de celui par exemple de la prévention de pompage de grosses quantités d'eau des Grands Lacs. C'est une autre juridiction du traité où à la suite de demandes précédentes nous avons émis des ordonnances de contrôle qui nous confèrent certaines responsabilités nous permettant d'être en contact direct avec les exploitants.

M. Koop: Pour chacun de ces barrages pour lesquels la commission a émis une ordonnance, il y a aussi probablement un conseil de la CMI, c'est-à-dire une sorte de groupe sur place qui veille à ce que les barrages soient exploités d'une manière compatible avec les ordonnances de la commission. Ils sont également en contact permanent avec les propriétaires.

Le sénateur Forrestall: Je ne sais pas combien il y en a comme ça, mais le barrage Grand Falls construit sur ces rochers donne l'impression qu'il sera encore là dans mille ans.

Le sénateur Munson: Je suis sûr que d'autres sénateurs voudront poser des questions sur le réseau de la voie maritime et je suis sûr que vous aurez des commentaires à faire sur ce réseau, qu'il s'agisse du canal Welland reliant le lac Ontario au lac Érié, ou de la partie qui coule devant la rive sud de Montréal. Selon vos études, pensez-vous que l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent qui a la responsabilité du canal a un plan de protection civile en cas d'accident ou de catastrophe? Je vous pose cette question parce que lors de notre voyage à Washington, il nous a semblé que tout le monde pensait, après Madrid, que quelque chose allait arriver quelque part — la question n'est pas de savoir si quelque chose va arriver mais quand — et d'aucuns font des prévisions sur la comète. Pensez-vous que les autorités canadiennes et leurs homologues américaines sont prêtes pour toute attaque ou tout incident possible?

M. Gray: Mon impression est qu'ils ont des plans d'urgence qu'ils testent périodiquement, certainement aux barrages de Cornwall et de Massena.

Si notre commission a décidé d'actualiser son rapport de 1998 c'est en partie pour déterminer avec exactitude, et le rapporter, ce qu'ont fait les deux administrations de la voie maritime depuis l'attentat du 11 septembre et où en est aujourd'hui la situation en 2004. Je ne dirais pas qu'ils sont en mesure de vous donner une réponse complète, mais je pense que ces deux administrations ont et des plans d'inspection et des plans d'urgence. Supposons-le. Il faudrait qu'il y ait quelqu'un au ministère des Transports ou au département de la sécurité du territoire qui puisse dire: «Oui, nous avons examiné ces plans et ils répondent à nos besoins actuels». Actuellement, cela n'existe pas.

Le sénateur Meighen: Monsieur Gray, vous savez, lorsqu'on est le dernier à poser des questions, c'est un peu comme les fonds de tiroir, et j'aimerais donc simplement demander quelques éclaircissements, les questions les plus importantes ayant déjà été posées. L'une des choses qui m'est venue à l'esprit est à savoir quand sera terminée la mise à jour du rapport de 1998.

M. Gray: Au sein de la commission, M. Koop est le principal responsable chargé de travailler sur ces questions. Cela dit, nous espérons certainement que le rapport sera mis à jour cette année, car nous poursuivons sur la lancée de ce qui a déjà été fait. Nous tenons certainement à ce que la mise à jour soit achevée assez tôt, de manière que nous puissions répondre au genre de questions que vous nous posez aujourd'hui. Je ne veux nullement vous presser, monsieur Koop, mais comment progresse les choses?

M. Koop: Je ne crois pas pouvoir vous donner de date, mais le travail avance. Nous espérons avoir terminé d'ici l'été.

Le sénateur Meighen: D'ici l'été? C'est excellent. M. Gray étant connu pour sa prudence, je suis ravi que vous ayez opté pour une autre tactique. Sérieusement, le plus tôt le rapport sera prêt, le plus tôt on pourra nous saisir de ce genre de questions.

M. Gray: Le travail qu'il est en train d'effectuer doit être soumis aux six commissaires pour réexamen, après quoi nous nous entendons à son sujet par consensus, comme cela se fait sans doute souvent dans votre comité. Si nous réussissons à fournir le rapport d'ici l'été, je me ferai un plaisir de revenir parmi vous et de discuter de ses conclusions.

Le sénateur Meighen: Ce serait excellent. Le sénateur Munson a parlé des canaux. Existe-t-il d'autres ouvrages relevant directement ou même indirectement de votre autorité et qui nécessiteraient une évaluation de sécurité?

M. Gray: Oui, il y en aurait trois qui, pour une raison que j'ignore, car je n'étais pas en poste en 1998, ne figurent pas sur la carte. Je songe ici aux estacades contre la glace, situées à la décharge du lac Érié, à la sortie menant à la rivière Niagara, et dans le fleuve Saint-Laurent. Il paraît que sans ce barrage flottant à la sortie du lac, la glace accumulée pourrait entraîner l'effondrement d'au moins un des ponts. Je crois que ça s'est même produit une fois. C'est bien cela, monsieur Koop?

M. Koop: Oui, c'est exact.

M. Gray: Cette construction est assujettie à une ordonnance de la commission. Un autre sujet d'une grande importance, malgré les apparences, est celui des systèmes et des canalisations d'irrigation alimentés par les eaux des rivières St. Mary et Milk. Ces cours d'eau chevauchent plus d'une fois la frontière canado-américaine entre le Montana et l'Alberta et la Saskatchewan. Vous n'ignorez sans doute pas qu'aux alentours de Lethbridge, de Taber et de la rivière Milk, on fait pousser des cultures spéciales comme le canola, les tournesols, des fruits et des légumes et d'autres choses que je croyais exister seulement dans le comté d'Essex près de Windsor. Eh bien, on trouve ces cultures sur des centaines de milliers d'acres, ainsi que des usines de transformation. Du côté américain aussi, on observe de vastes étendues, mais moins considérables que du côté canadien. Des milliers de gens tirent leur gagne-pain de l'exploitation de ces cultures et de leur transformation. Je crois que la compagnie McCains de l'Atlantique a d'ailleurs construit une grande usine de transformation de pommes de terre dans la région. La plupart des gens s'étonnent de l'envergure des ouvrages construits là, mais quoi qu'il en soit, les constructions qui transportent l'eau vers les canaux d'irrigation ou la retiennent selon les besoins, relèvent de la commission. Autrefois, un différend portant sur le partage de ces eaux a incité les gouvernements du Canada et des États-Unis à ouvrir les négociations qui ont mené à la signature du traité de 1909. La question des rivières St. Mary et Milk fait justement partie de ce document, tout comme celle des eaux de la rivière Niagara. La région a une histoire très riche et, je le répète, elle est d'une grande importance.

Le sénateur Meighen: La commission est-elle chargée de veiller à la sécurité des lignes de transmission hydroélectrique ou des pipelines internationaux?

M. Gray: Bon de nombre de pipelines touchent ou franchissent des étendues ou cours d'eaux limitrophes. À moins que les deux gouvernements ne signent un accord bilatéral, à ma connaissance, il faut alors s'adresser à la commission pour qu'elle établisse les ordonnances nécessaires.

Le Traité du fleuve Columbia est un exemple d'accord bilatéral de ce genre. Le domaine de compétence de la commission ne couvre donc pas l'ensemble de la région entourant le fleuve.

Pour des raisons historiques, l'exploitation du barrage Grand Coulee est régie par un conseil de contrôle. Un mécanisme de règlement des différends est également inscrit dans le Traité du fleuve Columbia mais il n'a jamais été utilisé. Supposons pour l'exemple que les nouveaux pipelines reliant l'Alaska et le Yukon aient été construits de telle manière à affecter les eaux limitrophes. Étant donné que nous avons un droit de regard sur les eaux limitrophes du Nord, à moins qu'on ait conclu une entente de gestion distincte, je crois savoir qu'il faudrait présenter une demande à la Commission mixte internationale.

Le sénateur Meighen: Il faudrait qu'il soit question des eaux.

M. Gray: Il faudrait que les eaux soient touchées. Si les parties construisaient un ouvrage sans qu'il affecte le débit d'eau et l'hydrométrique, alors nous n'interviendrions pas. Toutefois, nous le ferions peut-être de façon temporaire, si pour les besoins de la construction du gazoduc, il fallait poser des batardeaux dans la rivière Yukon. Il est prématuré de donner davantage de détails cependant. De toute façon, là s'arrête ma compétence en la matière.

Le sénateur Meighen: Vos propos ont été très utiles. Le comité pourrait parfois se demander si des mesures de sécurité ont été prises, non par la CMI mais par l'organisme chargé des lignes de transmission transfrontalières.

Le président: La réponse à cela est certainement la Federal Energy Regulatory Commission et l'Office national de l'énergie, l'ONE.

Le sénateur Meighen: C'est certainement la bonne réponse, mais je pourrais quand même ignorer si des mesures de sécurité ont été prises.

Je crois vous avoir entendu dire que la construction de barrages dans des eaux limitrophes exige l'autorisation de la CMI. Qu'en est-il aussi de la démolition de barrages? Il y a un cas célèbre, celui de la démolition, pour raisons écologiques, du barrage de la rivière Penobscot dans le Maine. Peut-être qu'un jour on réclamera la destruction des barrages de la rivière Ste-Croix, et dans ce cas, faudrait-il obtenir l'autorisation de la CMI?

M. Gray: C'est une question intéressante sur le plan juridique. À brûle-pourpoint, je dirai que ce serait fort possible, si la destruction de l'ouvrage risquait d'entraîner des conséquences du côté canadien ou américain ou des deux côtés de la frontière. On assiste effectivement à un véritable mouvement en faveur du maintien des rivières dans leur état naturel. On peut cependant se demander si de telles rivières feraient l'objet de ce genre de revendication, eu égard à l'énergie hydroélectrique qu'elles fournissent ou à l'eau qu'elles procurent pour les besoins de l'agriculture, des installations sanitaires ou de la consommation. Dans un tel cas, il s'agit de constructions anciennes, qui étaient utiles il y a une centaine d'années, à l'époque de la coupe du bois, mais plus aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, depuis que je suis en poste, nous n'avons jamais été obligés d'étudier les conséquences de la démolition d'un barrage. Monsieur Koop, est-ce que vous-même avez eu à vous pencher sur ce genre de question pendant vos nombreuses années au sein de la commission?

M. Koop: Non, je pense que nous n'en avons jamais même discuté. Peut-être aurions dû amener notre conseiller juridique avec nous.

M. Gray: Je vais consulter nos conseillers là-dessus. Je pourrai ensuite vous envoyer par lettre les renseignements que j'aurai obtenus.

Le sénateur Meighen: Il ne s'agit pas d'une question d'une importance transcendante, mais en tant que profane, j'ai tendance à croire que s'il faut obtenir une autorisation pour construire un barrage, il le faut aussi pour en démolir un, vous ne pensez pas?

M. Gray: Personnellement, je pense comme vous, mais je ne suis pas en mesure vous donner un avis fondé en droit ou en génie.

Le sénateur Meighen: Pour souligner l'importance de cela, j'ai parlé de l'élimination du barrage Veazie sur la rivière Penobscot, qui a causé beaucoup de remous. C'était un des nombreux barrages franchissant cette rivière, et on l'a démoli pour protéger l'environnement et améliorer la situation de la pêche. Nous pouvons peut-être revenir sur le sujet un autre jour et ailleurs.

Par ailleurs, lorsque vous avez mentionné l'accord Rush-Bagot, cela m'a reporté à mes cours d'histoire au secondaire. Si ma mémoire est fidèle, l'accord remonte au début du XIXe siècle, c'est bien cela?

M. Gray: Cela remonte aux années 1840.

Le sénateur Meighen: C'était donc après la guerre de 1812. L'accord semble avoir été davantage enfreint que respecté. Si l'on n'est pas censé permettre la navigation de navires armés sur les Grands Lacs mais que les Américains le font, alors il me semble qu'il ne devrait y avoir aucun obstacle à ce que les Canadiens de leur côté suivent une des recommandations de ce comité, à savoir qu'ils arment certains membres et certains navires de la Garde côtière du Canada.

M. Gray: Je crois savoir que l'accord Rush-Bagot s'applique aux vaisseaux de la marine. Or il y a une différence juridique entre les navires de la marine et ceux de la Garde côtière. C'est pour cela que les Américains ne contreviennent pas au traité en armant des vaisseaux de la Garde côtière. Ils ont deux flottes: la blanche et la noire. En fait, jusqu'à l'adoption du plan pour la Sécurité du territoire, en temps de paix, ces navires relevaient du secrétaire au Trésor des États-Unis.

À mon avis, si l'on transformait la Garde côtière conformément à vos recommandations et si l'on entraînait ses effectifs au maniement des armes, plutôt que de s'en servir comme d'une plate-forme temporaire pour la GRC, il n'y aurait pas de violation de l'accord Rush-Bagot.

Le sénateur Meighen: Je suis d'accord avec vous. On tient souvent la Garde côtière américaine pour la troisième, la quatrième ou la cinquième marine en importance au monde. Les Américains ont certainement choisi une démarche beaucoup plus militaire en haute mer que la nôtre. Il faudra voir cependant si nous modifierons notre façon de faire. Quoi qu'il en soit, monsieur Gray, vos remarques ont été fort utiles.

Le président: Monsieur Gray, pour terminer votre témoignage, pourriez-vous nous parler brièvement de vos ressources, de votre personnel et de votre budget?

M. Gray: Vous parlez de la CMI?

Le président: Oui, c'est cela.

M. Gray: La commission dispose d'un budget et d'effectifs relativement modestes. Au total, nous comptons quelque 50 personnes, qui travaillent dans nos bureaux d'Ottawa, de Washington et au bureau régional des Grands Lacs situé à Windsor, et cela comprend les consultants et le personnel administratif. Des deux côtés de la frontière, notre budget totalise quelque trois millions de dollars accordés sous forme de crédits par chacun des deux gouvernements. On nous a aussi donné une affectation de crédits spéciaux destinés à financer une grande étude qui nous permettra de savoir si les ordonnances de contrôle relatives au lac Ontario et au fleuve Saint-Laurent doivent être mises à jour. Cette dotation totalise 30 millions de dollars échelonnés sur cinq ans.

Il est remarquable que le territoire couvert par la commission s'étend d'un océan à l'autre, le long de 8 000 kilomètres de frontières entre les États-Unis et le Canada et de 1 000 kilomètres de plus dans le Nord. Elle fonctionne en effet au moyen d'effectifs à plein temps assez modestes, travaillant dans ses bureaux d'Ottawa, de Washington et de Windsor. Elle bénéficie aussi du travail effectué par quelques centaines de personnes au sein de ses régies et de ses conseils consultatifs d'experts scientifiques, mais ces derniers sont en détachement des ministères fédéraux des États- Unis et du Canada ainsi que des gouvernements des provinces canadiennes et des États américains. Ils travaillent à temps partiel selon les besoins. Ils sont appuyés par les services de soutien fournis par la Commission mixte internationale. Il y a aussi une centaine de personnes de plus qui participent à une étude portant sur le lac Ontario et le Saint-Laurent, et qui sera terminée dans deux ans. Notre territoire est vaste, et depuis 1911, la commission a résolu près d'une centaine de différends entre les deux pays.

Selon certains fonctionnaires des Affaires étrangères, le travail de la commission contribue pour beaucoup au maintien de relations positives entre le Canada et les États-Unis, non seulement en raison du travail qu'elle effectue, mais grâce à l'exemple qu'elle donne.

Je dois mentionner que le fonctionnement administratif de l'organisme est assez inhabituel. En dépit de sa population plus nombreuse et de sa plus grande économie, les États-Unis comptent le même nombre de commissaires que le Canada, c'est-à-dire trois. Les Américains n'ont pas droit à plus de votes ni plus de poids dans la prise de décisions que les Canadiens, et lorsqu'on prend une décision ou qu'on fait une recommandation, il faut qu'au moins une personne de l'autre pays soit présente. Nous travaillons par la voie du consensus.

Cela fait presque 100 ans que nous réussissons à nous entendre, touchons du bois, à travailler d'une façon constructive. J'espère que notre exemple aura une influence positive sur les relations entre nos deux pays.

Le président: Vous avez mentionné des effectifs de 50 personnes; s'agit-il d'Américains et de Canadiens ou seulement des membres permanents canadiens?

M. Gray: Cela couvre les deux bureaux.

Le président: Combien de fois est-ce que la commission se réunit par année?

M. Gray: La commission se réunit pendant trois jours à tous les deux mois, en alternant entre Ottawa et Washington. Elle tient aussi des rencontres d'une semaine deux fois par année, encore une fois en alternance. Entre les réunions officielles, nous communiquons par téléconférence et vidéoconférence, selon nos besoins, et nous nous rencontrons aussi, peut-être à l'occasion d'une participation à une conférence ou à un colloque.

Nous travaillons vraiment à temps plein. La commission n'est pas qu'un organisme consultatif, elle surveille aussi le travail effectué par ses professionnels dans ses bureaux. Cela englobe le travail de ses conseils de contrôle et de ses conseils consultatifs scientifiques, ce qui fait un total de 19 groupes.

Le président: Estimez-vous disposer de pouvoirs suffisants? Est-ce que la commission en a assez pour bien faire son travail?

M. Gray: Par rapport au traité, nous disposons de l'autorité dont nous avons besoin. Le nerf de la guerre, c'est toujours l'argent, et la dotation en personnel, mais c'est aussi le cas pour tout organisme gouvernemental ou paragouvernemental, que ce soit au Canada, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde.

Avant la fin de notre réunion, je devrais préciser que la commission n'est pas un organisme canadien ou américain. Il s'agit d'une organisation internationale issue du traité. Par conséquent, nous ne rendons pas de comptes aux ministres de nos deux pays. Nous communiquons officiellement avec les deux gouvernements par l'entremise du secrétaire d'État des États-Unis et du ministre des Affaires étrangères du Canada, mais nous travaillons aussi très étroitement avec au moins six ministères fédéraux aux Canada et avec leurs équivalents américains.

Ainsi par exemple, au Canada, nous collaborons très étroitement avec le ministère des Affaires étrangères et celui de l'Environnement, mais aussi avec celui des Transports, des Pêches et des Océans, celui de la Santé, celui de l'Agriculture et celui des Ressources naturelles — et avec leurs équivalents américains. Nous sommes également en contact avec nos homologues provinciaux.

Le président: Puisque vous faites partie d'un organisme international, j'en conclus que vos indemnités sont exemptes d'impôt?

M. Gray: Non, malheureusement pas. Nous avons des passeports diplomatiques et bénéficions de l'immunité diplomatique lorsque nous sommes dans l'autre pays. Je n'ai d'ailleurs jamais eu à l'invoquer et je n'ai pas l'intention de faire quoi que ce soit qui nécessiterait qu'on l'invoque, et la même chose vaut pour mes homologues américains qui travaillent ici. Toutefois, nos allocations ne sont pas exemptes d'impôt, elles sont assujetties à l'impôt de nos deux pays respectifs.

Le président: Je vous remercie de votre témoignage. Vous avez soulevé un certain nombre de questions que le comité n'a pas eu l'occasion d'étudier auparavant. Nous vous sommes aussi reconnaissants de l'aperçu que vous nous avez donné des choses dont vous vous occupez le long de la frontière Canada-États-Unis.

Nul doute que nos rapports avec les États-Unis constituent certainement le dossier le plus important de nos relations étrangères. Au nom du comité, je vous félicite et vous remercie de l'excellent travail que vous et vos collègues effectuez au nom des Canadiens afin que notre frontière reste libre de problèmes.

Si vous avez des questions à nous poser ou des remarques à nous faire, n'hésitez pas à visiter notre site Web à l'adresse www.sen-sec.ca. Nous y affichons les témoignages entendus ainsi que le calendrier des réunions confirmées. Autrement, vous pouvez joindre le greffier du comité au 1-800-267-7362 pour obtenir de plus amples renseignements ou de l'aide si vous souhaitez joindre un des membres du comité.

La séance est levée.


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