Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 2 - Témoignages du 26 février 2004
OTTAWA, le jeudi 26 février 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 56 pour étudier le projet de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: En premier lieu, nous procéderons à l'étude article par article du projet de loi C-5. En deuxième lieu, nous commencerons l'étude du projet de loi C-16.
[Traduction]
Chers collègues, nous passons maintenant à l'étude article par article. Plaît-il au comité de passer à l'étude article par article du projet de loi C-5, Loi sur la date de prise d'effet du décret de représentation électorale de 2003?
Des voix: D'accord.
Le président: Le titre est-il reporté?
Des voix: Oui.
Le président: L'article 1 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: Avec dissidence.
Le président: L'article 2 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: Avec dissidence.
Le président: L'article 3 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: Avec dissidence.
Le président: Le titre est-il adopté?
Une voix: Avec dissidence.
Le président: Plaît-il au comité d'adopter ce projet de loi sans amendement?
Une voix: Avec dissidence.
Le président: Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?
Une voix: Non.
Le président: Plaît-il au comité de faire rapport de ce projet de loi sans observations au Sénat?
Le sénateur Cools: Cet après-midi.
Des voix: D'accord.
Le président: Merci, chers collègues. Nous allons maintenant commencer notre examen du projet de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins, M. Cliff Yumansky, conseiller principal, et Mme Mary Campbell, directrice générale par intérim, tous les deux de la Direction générale des affaires correctionnelles et de justice pénale du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Ils sont accompagnés de M. Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice.
Je crois savoir que Mme Campbell présentera un court exposé qui sera suivi d'une période de questions.
Mme Mary Campbell, directrice générale intérimaire, Direction générale des affaires correctionnelles et de justice pénale, ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile: Merci de m'avoir invitée à témoigner devant votre comité encore une fois.
Mes remarques seront brèves. Je veux simplement mettre en relief les principaux éléments du projet de loi ainsi que quelques amendements qui ont été adoptés par le comité de la Chambre des communes.
Le projet de loi C-16 crée une loi, la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, et modifie le Code criminel du Canada. Essentiellement, cette mesure législative permet la création d'une base de données sur les délinquants sexuels à laquelle auront accès les services de police de tout le pays.
Cette base de données servira d'outil pour les enquêtes de police; c'est là le fondement de la structure du projet de loi C-16 dont l'objet est de permettre à la police d'accéder rapidement à une base de données sur les délinquants sexuels pour l'aider à élucider les crimes en identifiant les délinquants sexuels éventuels se trouvant près du lieu du crime.
Le système se fondera sur les infractions, de sorte qu'après avoir commis certains délits particuliers, les contrevenants pourront figurer au registre.
Le critère sur lequel on se fonde pour enregistrer les délinquants n'est pas celui du risque. Ce système ne remplacera pas non plus le CIPC, la base de données sur les casiers judiciaires, mais le complétera plutôt. La liste comporte 33 infractions. Vingt de ces infractions sont, par définition, de nature sexuelle et les 13 autres peuvent comporter une intention sexuelle, dont il faudra faire la preuve dans le cadre du processus d'enregistrement du délinquant.
Essentiellement, après qu'un accusé aura été reconnu coupable d'une infraction désignée, la Couronne pourra demander son inclusion au registre. Dans le cas des infractions de nature sexuelle par définition, l'enregistrement se fera par présomption, mais le délinquant aura le droit de réfuter cette présomption en invoquant le critère de la disproportion exagérée. Soit dit en passant, c'est aussi le critère qui a été retenu dans la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Une fois que l'ordonnance d'enregistrement est rendue, si tel est le cas, le délinquant reçoit avis de son obligation de s'enregistrer, ce qu'il doit faire dans un certain délai. Le cas échéant, le réenregistrement est aussi requis.
La durée de l'inscription au registre est prévue au projet de loi C-16 et dépend de la peine maximale dont est passible le délinquant pour l'infraction qu'il a commise et peut aller jusqu'à la perpétuité.
Pendant la durée de l'inscription, le délinquant aura le droit de demander à faire supprimer son nom du registre. Encore une fois, on se fondra à cet égard sur le critère de l'effet nettement démesuré.
La première inscription doit se faire en personne, et les informations que le délinquant est tenu de fournir sont énoncées au projet de loi C-16. Cela comprend les coordonnées actuelles, mais aussi des caractéristiques physiques telles que la taille, le poids, la couleur des cheveux, etc.
Ces informations sont conservées dans la base de données indéfiniment, à moins que l'intéressé ne soit innocenté par suite d'un recours en grâce, par exemple, et seuls les agents de police ont accès à ces informations.
J'aimerais maintenant aborder trois points précis en commençant par les mesures de protection judiciaire dont il est question quand on parle de conformité avec la Charte. Le projet de loi cherche à trouver le juste équilibre. La meilleure façon de le décrire, c'est de dire que, plus il y a de protections procédurales, moins on risque de violer la Charte. Moins il y a des protections procédurales, plus on risque de violer la Charte. Voilà essentiellement l'équation qu'il faut retenir. Dans ce projet de loi, nous avons tenté de trouver le juste équilibre entre les protections procédurales qui nous semblaient nécessaires et le risque de violer la Charte.
Ainsi, c'est pourquoi le projet de loi permet au délinquant de réfuter la présomption. Cela lui donne le droit de se faire entendre à toutes les étapes de la procédure. Voilà aussi pourquoi il n'y a pas de divulgation publique des informations contenues dans le registre. C'est aussi pourquoi le délinquant peut demander la suppression de son nom du registre ou une ordonnance d'annulation, dans certaines circonstances.
Le projet de loi a été modifié par suite de son étude à la Chambre des Communes et j'aimerais vous décrire certains des amendements. À l'origine, le projet de loi disposait que la police devait pour avoir accès au registre avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de nature sexuelle avait été commise. On a soulevé des préoccupations relativement à ce critère et le comité a décidé de prévoir plutôt des «motifs raisonnables de soupçonner». On a remplacé le mot «croire» par «soupçonner», ce qui constitue un critère plus facile à satisfaire. La police doit donc soupçonner qu'un délit sexuel a été commis si, par exemple, un enfant disparaissait un après-midi dans un quartier donné.
Le projet de loi exige aussi maintenant que les délinquants fournissent des renseignements supplémentaires, tels que la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux. On a aussi ajouté des informations sur les empreintes digitales et on a modifié le texte de façon à exiger davantage d'informations sur le lieu et la date de l'infraction, ainsi que sur les victimes. On voulait s'assurer d'avoir suffisamment de données, en quelque sorte, sur le mode d'exécution du crime. Le délinquant cible-t-il des victimes particulières? Suit-il une méthode particulière, présente-t-il des tendances précises? D'autres amendements ont été apportés pour obtenir des renseignements sur des adresses.
Il y a aussi eu deux autres changements importants sur l'effet rétroactif de ces dispositions. Tout d'abord, le projet de loi C-16 dispose que tous les délinquants figurant au registre des délinquants sexuels de l'Ontario seront automatiquement inscrits au registre national des délinquants sexuels. Deuxièmement, les délinquants qui sont sous le coup d'une sentence à l'entrée en vigueur de cette mesure législative y seront assujettis, peu importe où ils se trouvent au pays.
En conclusion, il importe de souligner que le contenu du projet de loi C-16 est le résultat d'une étroite collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et territoires. Ce texte législatif est axé sur les intérêts et les préoccupations des provinces et des territoires. En réponse à vos questions, je suis certaine que je vous répondrai souvent qu'il s'agit du consensus qui a été dégagé, mais nous tenterons aussi de vous décrire le processus qui a mené aux dispositions que vous avez sous les yeux.
Nous serons tous les trois heureux de répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, madame Campbell.
Le sénateur Beaudoin: Ma question touche, bien sûr, la Charte des droits et la question de l'effet rétroactif. Il y a de plus en plus de dispositions législatives portant sur cette question de la rétroactivité. Nous avons déjà adopté le projet de loi C-7, il y a aussi la Loi sur les casiers judiciaires et, si j'ai bien compris, ce projet de loi-ci aura aussi un effet rétroactif. Cet effet ne sera peut-être pas aussi important qu'il ne l'était à l'origine, cependant. Quelle est la relation entre le projet de loi C-7 et le projet de loi C-16? Avons-nous besoin du projet de loi C-16 pour rendre le projet de loi C- 7 plus efficace? L'un ou l'autre ne suffit-il pas?
M. Cliff Yumansky, conseiller principal, Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale, ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile: Aux termes du projet de loi C-7, on peut avoir accès aux dossiers de réhabilitation des délinquants sexuels à des fins de vérification des antécédents de toute personne postulant un poste de confiance, particulièrement auprès de groupes vulnérables. C'est une tout autre question. Le projet de loi C-7 s'applique toujours, mais à des fins de vérification en matière d'emploi. Le régime rétroactif choisi a été adopté par suite de longues discussions avec nos partenaires des provinces et englobera essentiellement les infractions énumérées à l'article 490.011 proposé.
Le sénateur Beaudoin: Combien de personnes seront touchées par cette mesure législative?
M. Yumansky: De 6 à 7 000 personnes, en tenant compte de l'inclusion des délinquants figurant au registre ontarien, lequel compte actuellement 6 500 noms. Il y aura probablement 5 000 autres contrevenants environ qui seront touchés, soit ceux sous le coup d'une sentence à l'entrée en vigueur de ce projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: Selon vous, ce projet de loi respecte-t-il la présomption d'innocence garantie par la Charte?
M. Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Le projet de loi C-16 a été conçu, surtout dans son aspect rétroactif, de manière à préserver les droits que la Charte confère aux contrevenants qui sont touchés. La Cour suprême du Canada a clairement statué que les délinquants sous le coup d'une peine jouissent encore de nombreux droits garantis par la Charte et les principes de justice fondamentale, mais pas de tous. Par conséquent, à Justice Canada, nous avons estimé que ce régime-ci serait conforme à la Charte si nous limitions l'accès aux informations contenues dans le registre, si nous donnions des recours aux délinquants, etc.
Nous croyons pouvoir justifier l'inclusion des délinquants sous le coup d'une sentence par l'objet de la loi. Il ne s'agit pas d'une violation grave. Les droits restent protégés. Les articles 7 et 8 de la Charte qui confèrent aux délinquants le droit à la vie privée seront vigoureusement protégés par les dispositions de cette mesure législative.
Le sénateur Beaudoin: Mais en leur faisant porter le fardeau de la preuve, vous allez contre la présomption d'innocence dans une grande mesure.
M. Hoover: Il ne s'agit pas ici d'une déclaration de culpabilité. Il s'agit simplement d'une conséquence administrative découlant d'une condamnation précédente. Autrement dit, la Cour suprême du Canada a jugé que, dans le cas de l'application rétroactive de dispositions législatives, une conséquence administrative est possible tant que le délinquant conserve des recours. Tous les délinquants dont l'inscription au registre se fera de façon rétroactive pourront plaider leur cause devant le tribunal.
En ce qui a trait au fardeau de la preuve, c'est à la Couronne qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a été condamné pour une infraction sexuelle désignée. Une fois cette preuve faite, le délinquant peut faire valoir que ses droits à la vie privée et à la sécurité de la personne seraient violés de façon nettement démesurée par rapport à l'objet de la loi. La loi n'a pas pour objet de violer le droit à la vie privée, mais bien de protéger la population du Canada contre toute infraction sexuelle à venir.
L'accès au registre sera strictement limité. La police ne pourra consulter le registre qu'à des fins d'enquête sur une infraction sexuelle précise. En établissant ces balises, nous sommes convaincus que le registre est conforme à la Charte et que les droits des délinquants seront protégés, même si une condamnation découle des vérifications faites au registre.
Le sénateur Beaudoin: Le fardeau de la preuve incombe-t-il toujours à la Couronne au départ?
M. Hoover: Pour demander l'inscription d'un délinquant au registre, la Couronne doit prouver qu'il y a eu condamnation.
Le sénateur Beaudoin: Dans tous les cas?
M. Hoover: Dans tous les cas. Le délinquant doit être sous le coup d'une condamnation. Pour obtenir cette condamnation, la Couronne doit faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la commission de l'acte et de tous les éléments de l'infraction.
Le sénateur Beaudoin: La doctrine du doute raisonnable demeure.
M. Hoover: Absolument. On ne s'en prend aucunement au coeur de ce principe fondamental. Je le répète, l'aspect rétrospectif du projet de loi repose sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, selon lequel une personne qui purge une peine pour une condamnation préalable doit avoir des attentes moindres, quant au respect de la vie privée. Les droits garantis par l'article 7 existent toujours. Nous respectons toujours les paramètres des lignes directrices donnés précédemment par les tribunaux sur ces questions.
Le sénateur Beaudoin: Nous attendrons.
M. Hoover: Les choses peuvent changer. La Charte est un instrument vivant.
Le sénateur Beaudoin: J'y crois fermement. Malgré tout, nous n'avons pas encore de précédent à ce sujet.
M. Hoover: Nous avons la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, qui s'applique aussi rétroactivement. Sa validité a été confirmée par les tribunaux.
Le sénateur Bryden: Ce projet de loi a-t-il été présenté au Sénat à l'automne, dans une autre version?
Mme Campbell: Non.
Le sénateur Bryden: Je tiens à ce qu'on sache que je ne cherche pas du tout à retarder ou compliquer les choses. Normalement, toutefois, si un ministère présente au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles une question qui touche les droits des citoyens, la présentation est faite par le ministre responsable.
Dans ce cas-ci, si j'ai bien compris, le ministre responsable est l'honorable Anne McLellan. En quoi ce projet de loi a-t-il si peu d'importance que la ministre ne comparaît pas?
Mme Campbell: On ne saurait douter de l'importance énorme que la ministre accorde à ce projet de loi. On m'a dit que c'était un problème d'horaire. Entre-temps, nous avons estimé que si nous pouvions, nous les fonctionnaires, vous présenter des explications techniques, cela serait utile. La ministre estime que ce projet de loi est extrêmement important.
Le sénateur Bryden: Dites-vous que la ministre est prête à comparaître?
Mme Campbell: Oui, si j'ai bien compris...
Le président: Permettez que je vous interrompe, madame Campbell. Sénateur Bryden, si le comité estime que la ministre devrait comparaître après une fois que nous aurons entendu ses collaborateurs, elle est tout à fait prête à venir. Il s'agit uniquement de trouver un moment qui convient à la fois au comité et à la ministre.
Le sénateur Andreychuk: Je ne veux pas vous embêter, mais je croyais qu'il était entendu, au comité, que les ministres comparaissent pour tout projet de loi, à moins que nous en décidions autrement. Je ne me rappelle pas qu'on nous ait demandé notre avis. La ministre devrait être ici. Ne serait-il pas aussi avantageux de recevoir le ministre de la Justice? Il y a beaucoup de questions dont nous voudrions parler, qui se rapportent à la justice.
Le sénateur Bryden: J'aimerais poursuivre.
Le président: Désolé. Je comprends votre argument, sénateur Andreychuk. Si le comité veut convoquer la ministre, c'est ce que nous ferons, évidemment.
Le sénateur Bryden: Je comprends l'importance du portefeuille et des responsabilités de cette ministre. C'est ce qui explique peut-être le grand nombre d'adjoints, de collaborateurs et de secrétaires parlementaires qui s'occupent de divers aspects d'un portefeuille d'une telle ampleur.
Je ne veux pas être trop restrictif, mais je veux m'assurer que nous aurons accès à la ministre ou à quelqu'un qui peut parler des politiques du gouvernement. Je comprends que ce n'est pas le rôle des témoins ici présents.
C'est une procédure administrative. Vous dites qu'il incombe au procureur de prouver que la personne a été condamnée pour une des infractions prévues. Cela revient au procureur général, n'est-ce pas? Ou au tribunal?
M. Hoover: C'est au tribunal de le faire, en effet.
Mme Campbell: Oui, au tribunal. Je crois que normalement, tout de suite après le prononcé de la peine, le procureur pourrait demander l'application de cette loi. Il pourrait y avoir des délais, mais cela se ferait en cour.
Le sénateur Bryden: Pour la rétroactivité, elle s'appliquera à des personnes qui ont déjà été condamnées, et dont un juge a déjà dit que leur nom pouvait figurer dans une quelconque base de données.
M. Hoover: Non, ce n'est pas tout à fait exact. Dans le régime rétroactif, le délinquant qui purge sa peine peut faire l'objet d'une demande par le procureur. Il faut alors que le procureur l'avise de son intention. Le projet de loi prévoit d'ailleurs des mécanismes visant à garantir que cet avis est explicite, légal et qu'un affidavit de signification de cet avis est versé dans le dossier. Une fois qu'il a reçu cet avis, le délinquant peut demander officiellement que sa cause soit entendue par un juge, selon les mêmes principes que dans le régime prospectif.
Le sénateur Nolin: Pourriez-vous nous donner le numéro de l'article?
M. Hoover: Oui, c'est à l'article 490.019, sur l'obligation en matière d'enregistrement des délinquants purgeant leur peine.
L'article 490.02 précise à qui peut être signifié l'avis d'obligation d'enregistrement. Il s'agit en fait des délinquants purgeant leur peine et, dans le cas de l'Ontario, aux délinquants déjà inscrits en vertu de la loi ontarienne.
L'article 490.21 précise les délais et méthodes de signification. Le procureur a un an pour la signification aux délinquants qui purgent une peine. Si l'avis n'est pas signifié à des délinquants qui purgent une peine, ces délinquants ne pourront être inscrits. On ne veut pas attendre pendant une éternité la décision du procureur. Le procureur doit décider exactement qui doit figurer dans le registre.
Je signale que la discrétion accordée au procureur dans ce cas est importante pour deux raisons: d'abord, la discrétion dans ce genre de procédure permet de respecter la Charte, puisque la discrétion est exercée en tenant compte du risque que représente chaque délinquant. On peut donc exclure de l'application de ce régime les personnes qui ne représentent pas un risque élevé.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral et plusieurs administrations provinciales et territoriales en ont fait une condition à leur appui à ce régime: elles devaient garder une certaine discrétion, afin que le nom de ce genre de délinquants ne soit pas ajouté automatiquement au registre et que la loi soit appliquée de façon régulière. C'était crucial pour obtenir l'assentiment des provinces et des territoires. N'oublions pas l'importance de leur appui, du fait qu'en vertu de la Constitution, l'administration de la justice relève de leur compétence. Sans leur pleine collaboration et leur appui, il ne pourrait y avoir d'application uniforme de la loi, partout au pays. L'appui est important pour ces deux raisons.
Le régime rétroactif est par ailleurs évoqué à l'article 490.022, sur la durée et la période de l'obligation. L'article 490.023, sur la demande de dispense, prévoit la possibilité de demander ultérieurement une dispense, comme dans le régime prospectif. L'article 490.024 se rapporte à l'appel du délinquant sur une décision relative à la dispense, etc. Il y a encore quelques autres dispositions. En gros, celles qui se rapportent au régime rétroactif commencent à l'article 490.019.
Le sénateur Bryden: Est-ce un juge qui décide de l'inscription d'une personne dans la base de données?
Mme Campbell: Oui, c'est exact.
Le sénateur Bryden: Je pose la question parce que c'est ainsi que fonctionne la banque nationale de données génétiques. Comme on l'a vu récemment dans les journaux, les juges n'ont pas fait de grands efforts pour alimenter cette base de données. Bon nombre de personnes qui devraient s'y retrouver n'y sont pas parce que les juges décident, pour une raison ou pour une autre, de ne pas le faire. Dans certaines régions, l'inscription dans la base de données est obligatoire pour toute personne coupable de meurtre au premier degré ou de tout autre crime violent. En cherchant dans les médias, on a constaté des cas où même ce genre de condamné n'avait pas été inscrit dans la banque nationale de données génétiques. Manifestement, lorsqu'un pouvoir discrétionnaire au procureur est accordé pour certaines infractions, qui peut choisir ou non d'inscrire l'empreinte génétique d'une personne dans la base de données, il semble que la tendance chez les magistrats est de ne pas permettre l'inscription, pour une raison quelconque.
Il serait bon d'avoir une idée de ce qui cause ce problème. Aussi, il faudrait savoir si ce problème, ancien ou nouveau, se perpétuera pour les délinquants sexuels? D'autres sénateurs ici présents sont mieux en mesure que moi de vous poser des questions relatives à la Charte. Malgré tout le respect qu'on doit au ministère de la Justice, dans de nombreux cas, tout semblait aller du point de vue de la Charte, jusqu'à la première contestation judiciaire, qui nous a permis de constater notre erreur. Voilà pourquoi nous nous demandons toujours si la mesure législative est à l'abri de contestations en vertu de la Charte. Je vais certainement l'examiner de manière plus approfondie que je n'ai eu l'occasion de le faire jusqu'ici.
Mme Campbell: En réponse, je formulerai deux observations. J'ai certainement moi aussi vu cet article dans la presse, mais je n'en sais pas plus que vous. Je crois moi aussi qu'il faut chercher à en savoir davantage. Pour chaque nouveau projet de loi, nous sommes conscients de la nécessité de veiller à ce que tous les intervenants du système judiciaire soient mis au courant. Le problème vient parfois des juges, ou des avocats, dans la salle d'audience, qui ne soulèvent pas la question et qui ne la soumettent pas à l'attention du juge. Nous sommes très conscients qu'il faut suivre de plus près la tournure des événements, particulièrement compte tenu de notre expérience récente avec les empreintes génétiques. Vous avez soulevé là une question très importante pour nous.
Pour ce qui est de l'obligation de s'enregistrer, on revient au problème de la Charte: si cela devient obligatoire, on réduit en pratique l'effet de nombre de mesures prévues dans les procédures et le risque d'une contestation en vertu de la Charte augmente. Il faut trouver le juste équilibre. Aux yeux du gouvernement, les dispositions du projet de loi C-16 offrent cet équilibre, même si certaines des questions que vous soulevez sont extrêmement importantes.
Le sénateur Andreychuk: Quand vous employez l'expression «sous le coup d'une peine», parlez-vous de la période qui suit le plaidoyer, ou la déclaration de culpabilité, mais avant le prononcé de la peine?
Mme Campbell: Non. L'expression «personnes sous le coup d'une peine à l'entrée en vigueur du projet de loi» se rapporte aux personnes qui purgent toujours une peine. Il peut s'agir de personnes condamnées qui ont une peine à purger; elles peuvent avoir été condamnées à payer une amende, mais ne l'ont pas encore versée; elles peuvent faire l'objet d'une ordonnance de probation ou elles peuvent être détenues. Il s'agit de personnes qui purgent toujours leur peine ou qui sont toujours passibles d'une peine, à qui s'appliquera le régime à l'entrée en vigueur du projet de loi.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit «possibles d'une peine.»
Mme Campbell: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: A-t-on songé aux sursis qui peuvent se produire à n'importe quelle étape de la procédure judiciaire? Les sursitaires feront-ils partie du groupe de ceux qui sont sous le coup d'une peine?
M. Hoover: Quand il y a sursis, il n'y a pas de déclaration de culpabilité.
Le sénateur Andreychuk: Mais on peut reprendre la procédure à n'importe quel moment.
M. Hoover: Après une déclaration de culpabilité, c'est le régime prospectif qui s'applique, en vertu de l'article 490.01, et non le régime rétroactif, découlant de l'article 490.019. Il s'agit de l'application ordinaire de la loi. Autrement dit, en cas de sursis, il n'y a pas de déclaration de culpabilité.
Le sénateur Andreychuk: Je le comprends tout à fait, mais quand vous parlez de personnes qui sont sous le coup d'une peine, je veux m'assurer que le procureur a songé à ce qui se produirait en cas de sursis, qui résulte du pouvoir discrétionnaire du procureur. Je parle d'application. J'ai été partie à des négociations relatives à sursis de procédure, où il faut tenir compte à la fois du coût de la procédure et de nombreux autres facteurs. Ensuite, on observe et on suit de près ce qui se passe dans la collectivité. Je veux m'assurer qu'on comprendra comment l'application de la loi changera, s'il y a des sursis.
M. Hoover: Je le répète, s'il y a sursis de procédure, il n'y a pas de déclaration de culpabilité. On ne peut donc pas faire une demande, ni en vertu de l'article 490.012, dans le cadre du régime proactif, ni en vertu de l'article 490.019, dans le cadre du régime rétroactif. Tant que les procédures ne sont pas reprises et qu'il n'y a pas déclaration de culpabilité, on ne peut prononcer d'ordonnance d'enregistrement du délinquant sexuel. Cela ne s'applique pas à ce projet de loi.
Le sénateur Andreychuk: Ce que je crains, c'est le problème administratif, quand on se servira du sursis comme raccourci.
Le président: Le sénateur Andreychuk soulève là une très importante question. Je veux que M. Hoover nous fasse comprendre très clairement que tant qu'une peine n'aura pas été imposée, il n'y aura pas d'enregistrement.
M. Hoover: C'est exact. Il doit d'abord y avoir une déclaration de culpabilité au sujet du délinquant. S'il n'y a pas de déclaration de culpabilité, il ne peut y avoir d'ordonnance d'enregistrement, ni rétroactivement, si le délinquant est sous le coup d'une peine, ni de manière prospective, une fois le projet de loi en vigueur.
Le président: Je crois que ce que craint le sénateur, c'est que des noms soient oubliés en raison de sursis de procédure, ce qui irait à l'encontre de ce que prévoit la loi, n'est-ce pas?
M. Hoover: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: Je sais par ailleurs que des noms figurent de temps en temps dans le CIPC, qui est administré par des personnes; l'erreur est humaine. Il n'est pas rare qu'on trouve des noms de personnes faisant l'objet de sursis, et qu'il soit nécessaire d'apporter des correctifs. Je veux qu'on s'assure de savoir exactement de quoi il est question ici.
Recevrons-nous un témoin des services de police, pour nous parler de l'administration du registre?
Le président: Nous aurons d'autres témoins. S'il nous reste du temps à la fin de la séance, nous pourrions prendre quelques instants pour discuter précisément de cette question.
Le sénateur Andreychuk: Mon autre question porte sur l'administration. Le CIPC est administré par la GRC, comme le sera ce registre.
Comment fonctionnera-t-il en Ontario et au Québec? Y aura-t-il des ententes spéciales avec les forces de l'ordre, ou est-ce que le registre relèvera des mêmes ententes, afin que toutes les données... En Saskatchewan, c'est la GRC partout, c'est donc plus facile.
Mme Campbell: La base de données sera administrée par la GRC. Elle se servira du CIPC, auquel tous les corps policiers ont accès. Les services policiers de tout le pays, qu'ils soient provinciaux, municipaux ou que ce soit la GRC, auront accès à la base de données du registre des délinquants sexuels.
Le sénateur Andreychuk: Je présume qu'un membre de la GRC donnera la formation. Le CIPC est distinct du registre des délinquants sexuels, bien qu'ils se complètent par certains aspects. Il sera extrêmement important de donner la formation et de faire comprendre les problèmes pour chaque province, en tenant compte des systèmes actuels. Je pense toutefois que nous pouvons nous en remettre aux forces de l'ordre.
J'ai une question plus juridique. On transférera dans le registre 6 500 noms, si j'ai bien compris, qui figurent dans le registre ontarien. Il n'y aura pas d'autres transferts, à partir d'autres banques de données. Cela me paraît être une injustice flagrante. Tous ceux qui ont commis des infractions dans les neuf autres provinces et les territoires ne seront pas inscrits de quelque façon que ce soit, ni assujettis à cette loi, mais ceux de l'Ontario le seront.
D'une part, c'est loin d'être une garantie pour les Canadiens, et d'autre part, cela semble pouvoir susciter des contestations judiciaires en vertu de la Charte.
Mme Campbell: La raison pour laquelle les noms des délinquants sexuels ontariens seront transférés, c'est qu'ils sont déjà dans un registre. L'Ontario est la seule province à avoir un tel registre.
Il va de soi qu'on en a beaucoup discuté et qu'il y a eu des débats sur ce qu'il fallait faire du seul registre existant. On a beaucoup réfléchi aux incidences de cela, partout au pays. La décision finale, motivée en partie par la Charte, favorisait le respect du registre de l'Ontario et son intégration à la banque de données nationale. C'est simple: il n'y a pas d'autres registres dans aucune autre administration pouvant faire l'objet de la même démarche.
Les délinquants sous le coup d'une peine dans toute autre province pourraient faire l'objet d'une ordonnance d'enregistrement.
Le sénateur Andreychuk: Il me semble que c'est tout à fait injuste. Si vous avez commis le même crime, le même crime sexuel, il y a trois ans, en Colombie-Britannique, il n'y a pas de registre dans cette province. Si vous l'avez commis en Ontario, vous êtes pris au piège. Vous êtes pris dans un régime tout à fait injuste. C'est le même dilemme que pour la rétroactivité.
Le sénateur Smith: Ils sont déjà inscrits, en Ontario.
Mme Campbell: Dans le cadre de cette discussion, on s'est certainement demandé quel modèle pouvait s'appliquer à l'ensemble du pays. Jusqu'où pouvait s'appliquer la rétroactivité? Quelle procédure serait acceptée par toutes les provinces?
Au bout du compte, c'est ce modèle qui convenait le mieux aux provinces. C'était le plus susceptible d'être mis en pratique.
Le registre ne remplace pas le travail policier traditionnel, pas plus que les outils dont disposent les autres administrations, pour poursuivre les délinquants. Mais après mûre réflexion, c'est ce modèle qui a été jugé le plus acceptable par les diverses administrations.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez éliminé une partie des critiques relatives à la rétroactivité. Je comprends l'idée de la période de la peine, qui semble une méthode plus acceptable.
La rétroactivité, de même que l'adoption d'un registre semblable, ce qui compte moins, suppose que les Canadiens de l'Ontario seront coincés, mais pas les autres, ailleurs. Cela m'apparaît comme un système injuste pour le citoyen qui fait l'objet de ces dispositions.
Mme Campbell: Les citoyens de l'Ontario font déjà l'objet d'un régime différent de celui des autres provinces. Il y a une contestation judiciaire en Ontario. Aucune décision n'a encore été rendue.
Le sénateur Nolin: Je voudrais comprendre une chose: selon le mécanisme prévu au projet de loi, une personne qui a purgé sa peine en Ontario, mais qui est inscrite, et pourrait l'être à vie, figurera automatiquement dans le nouveau registre. En revanche, une personne qui a commis la même infraction au Québec ne s'y trouvera pas.
M. Hoover: C'est une question importante que nous avons analysée longuement et de manière approfondie, dans le contexte de la Charte. Au bout du compte, il nous a fallu reconnaître que les personnes inscrites en Ontario font déjà l'objet d'un désavantage.
Le sénateur Nolin: C'est comme avoir des droits acquis.
M. Hoover: Cette personne était désavantagée et l'est toujours. Mais, je le répète, dans le cadre du registre fédéral, elle a accès aux mêmes recours devant les tribunaux pour contester son inscription.
Le sénateur Nolin: Je ne parle pas des détails d'un cas particulier. Je dis qu'il faut s'en tenir aux mêmes faits.
M. Hoover: Il ne s'agit pas des mêmes faits, puisqu'il ne s'agit pas d'être désavantagé au Québec. Il n'y a pas de registre au Québec. S'il y en avait un, et que cette personne y était inscrite, selon les mêmes grands principes du régime, elle serait assujettie à la même ordonnance que le délinquant de l'Ontario.
Nous l'avons dit clairement aux provinces dans le cadre de nos discussions, quand cette question a été soulevée. Les provinces ont demandé pourquoi leurs délinquants ne pouvaient y être inscrits. Elles voient peut-être la chose d'un autre oeil que vous: elles voulaient peut-être que leurs délinquants figurent dans le registre. Nous avons répondu: «Si vous aviez un registre en bonne et due forme dans lequel étaient inscrits vos délinquants, on ferait de même pour vous.» En réponse à l'Ontario, puisque leurs délinquants ont déjà cette obligation, en présumant qu'elle est légale, nous estimions que tant que leurs droits en vertu de la Charte étaient respectés dans la façon dont leur inscription se faisait dans notre registre, c'était possible. L'élément à retenir, c'est que leur inscription en Ontario les assujettit déjà à cette obligation.
Il n'y a pas pour eux de désavantage supplémentaire. Je tiens à ajouter qu'il ne s'agit pas d'une punition, il ne s'agit pas d'une peine.
Le sénateur Nolin: Mais c'est comme une épée de Damoclès.
M. Hoover: Il peut y avoir des conséquences pour les délinquants.
Le président: D'après la réaction des sénateurs, monsieur Hoover, je dirais que nous avons des doutes quant à l'idée qu'il ne s'agit pas d'une peine. Nous y viendrons, j'en suis certain.
Le sénateur Pearson: J'aimerais revenir à l'objet de ce projet de loi, puisque nous consacrons beaucoup de temps à des tactiques, entre autres. Le but est de donner aux policiers un autre instrument pour trouver rapidement dans les environs de l'endroit où un crime a été commis, des personnes qui pourraient avoir des antécédents en matière de délinquance sexuelle.
C'est ainsi que je comprends l'objet du projet de loi.
J'ai écouté attentivement les arguments sur l'inclusion des délinquants figurant au registre ontarien par opposition à ceux des autres provinces et territoires, et ceux faisant valoir que sans rétroactivité, ce registre ne serait pas utile avant longtemps.
J'aimerais savoir comment s'est déroulée l'expérience du registre des délinquants sexuels en Ontario. Aussi, y en a-t- il un en Angleterre? Est-ce un outil utile? A-t-on constaté des progrès par suite de la création de ce registre? Je sais qu'on exerce de fortes pressions pour que soit créé ce registre. Aux États-Unis, par exemple, c'est maintenant prévu par la loi. Vous avez examiné tous ces régimes et j'aimerais savoir ce que vous en avez conclu. Par ailleurs, puisque ce sont les provinces qui insistent pour qu'on mette sur pied ce registre, je présume qu'elles en assumeront la plupart des coûts. Ce sont là mes questions.
Mme Campbell: Vous avez raison. L'Angleterre a un registre de délinquants sexuels et il en existe plusieurs aux États-Unis. Il importe de comprendre qu'ils sont loin d'être tous identiques et il est tout aussi important de tenir compte des particularités de chacun de ces registres.
Ainsi, aux États-Unis, le public a accès à certains des registres. Par le biais d'Internet, le public peut obtenir beaucoup d'informations sur les délinquants figurant au registre. D'autres sont moins accessibles.
Avant de créer un registre, on doit en déterminer l'objet et les caractéristiques. À certains endroits, il est clair qu'on veut se doter d'un registre pour que la population sache si des délinquants sexuels s'y trouvent pour ensuite pouvoir prendre des mesures proactives.
Le registre que créera le projet de loi C-16 servira d'outil dans les enquêtes. C'est le choix que nous avons fait après avoir analysé l'expérience et les problèmes qu'on a connus avec d'autres registres.
À certains endroits, par exemple, le taux d'inscription est très élevé. Ceux à qui on a ordonné de s'inscrire le font sans délai. L'Angleterre affiche un taux élevé d'inscriptions initiales.
Il est toutefois plus difficile d'assurer un bon suivi des délinquants. À cet égard, les ressources locales sont essentielles et nous en avons longuement discuté avec nos partenaires.
Ces dernières années, les médias ont beaucoup parlé du cas de la Californie, dont les autorités ont reconnu avoir perdu de vue environ 22 000 délinquants sexuels qui étaient tenus de s'inscrire.
Une bonne part de l'efficacité de tout registre de délinquants sexuels réside dans le suivi. C'est une question d'application de la loi. Dans une grande mesure, c'est ce qui fait qu'un registre est un succès ou un échec.
Je répondrai maintenant à votre question sur la recherche. Nous avons examiné attentivement et dans ses moindres détails l'expérience des autres pays. Le modèle retenu par le gouvernement dans le projet de loi C-16 est le fruit de cette recherche et de cette analyse.
Le sénateur Pearson: Avez-vous des preuves de l'utilité d'un registre de ce genre dans un cas particulier? Est-ce qu'on recueille ce genre d'information?
Mme Campbell: Il est difficile d'obtenir ce genre de données. Il est toujours difficile d'avoir de bons renseignements sur les crimes qu'on a pu prévenir. Cela a toujours été et reste un dilemme pour nous. En un sens, il est préférable de créer un système dont les buts sont clairs, dont la portée est modeste, dans le meilleur sens du terme, et qui constitue un outil de plus pour la police et ses partenaires, sachant qu'on ne peut régler tous les problèmes avec un seul outil.
Nous avons récemment assisté au Canada à l'arrestation de personnes qui n'avaient pas d'antécédents judiciaires. Nous aurions tort de mettre tous nos oeufs dans le même panier, il nous faut plutôt toutes sortes de paniers bien solides.
Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à la question de la présomption. Si j'ai bien compris, une fois que l'accusé a été reconnu coupable d'une des infractions désignées et qu'il a reçu sa peine, il lui incombe de réfuter la présomption selon laquelle il devrait figurer au registre. Est-ce ainsi que ça marche en principe?
M. Hoover: Oui. En cour, une fois la déclaration de culpabilité et la peine prononcée, il incombe à la Couronne de demander l'inscription du délinquant au registre. Pour les contrevenants assujettis à la loi de façon rétroactive, la Couronne devra prouver qu'il y a eu condamnation, mais dans les autres cas, c'est le juge qui aura présidé le procès qui recevra la demande; le fardeau ne sera donc pas très lourd pour la Couronne. Aux termes du paragraphe 490.012(4) proposé, il incombera alors au délinquant de démontrer que l'imposition de l'ordonnance aurait un effet nettement démesuré sur sa vie privée et sa sécurité.
Le sénateur Joyal: Comment pouvez-vous maintenir que cela ne fait pas partie de la peine, puisque la présomption est inversée?
M. Hoover: Les ordonnances relatives aux empreintes génétiques prévues aux paragraphes 487.055(1) et 487.055(2), ainsi qu'à l'article 487.055 du Code criminel sont essentiellement les mêmes. Nous nous sommes fondés sur ces dispositions et sur la façon dont elles ont été interprétées par les tribunaux. La Cour a jugé que, même si elles touchaient la vie privée des délinquants, les ordonnances relatives aux empreintes génétiques étaient conformes à la Charte. Elles constituent une conséquence administrative de la condamnation. En d'autres termes, c'est l'objet du projet de loi, soit de protéger la société contre des délits sexuels futurs, qui prime.
Selon cette méthode, la police pourra disposer d'un registre de délinquants sexuels connus et de leur adresse pour enquêter sur les crimes sexuels.
Sauf tout le respect que je dois aux sénateurs à ce sujet, cela n'est pas censé servir de châtiment ou de rétribution. Nous ne voulons pas ainsi punir le délinquant. Ce n'est pas là l'intention du législateur. Oui, le délinquant est touché, mais c'est justifiable aux termes de la Charte puisque cela vise à protéger tous les Canadiens car c'est une atteinte minime aux droits du délinquant. Nous avons prévu des mesures de protection importantes, autant au chapitre de la procédure qu'en ce qui a trait à ceux qui auront accès aux registres et à ce qu'ils pourront faire de ces informations. Le public n'aura pas accès au registre. D'ailleurs, la police s'est dite mécontente de certaines des restrictions qui lui sont imposées. Toutefois, pour que ce régime soit conforme à la Charte, il était essentiel de limiter l'accès au registre pour que son contenu ne serve pas à des fins autres que celles prévues à l'origine, soit enquêter sur les infractions sexuelles à venir.
Ces dispositions sont conformes à la Charte et ne visent pas à punir les délinquants et ne font pas partie de la peine. L'application régulière de la loi est un aspect important. Nous nous sommes fondés sur les dispositions de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques qui a été jugée conforme à la Charte par la Cour.
Le sénateur Joyal: Pourriez-vous nous dire dans quelle cause? Nous voudrons peut-être en parler avec le ministre lors de sa comparution.
M. Hoover: Les dispositions sur les empreintes génétiques ont été invoquées dans plusieurs causes.
Le sénateur Joyal: Si vous vouliez bien nous en donner la liste, nous pourrions alors voir comment la Cour a formé son opinion sur le sujet.
Le président: Monsieur Hoover, si vous aviez l'amabilité de remettre cette liste à la greffière, elle pourrait la distribuer à tous les sénateurs.
Le sénateur Joyal: Pour le commun des mortels, il est difficile de ne pas considérer cela comme une atteinte à la liberté de mouvement. La Charte nous confère le droit de nous déplacer librement dans tout le pays, et ce droit est protégé par le droit à la vie privée. J'ai le droit d'aller où je veux. Je peux m'établir en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan, en Ontario ou ailleurs et je n'ai pas à signaler à la police où je vais. C'est un élément fondamental de notre liberté.
Je comprends votre approche. Vous voulez rendre cette mesure législative conforme à la Charte. Je tente de suivre votre logique et soyez certain que je lirai l'arrêt où la cour explique les raisons qui l'ont amenée à juger constitutionnelles les dispositions sur les empreintes génétiques. Toutefois, en l'occurrence, il s'agit d'autre chose. Je ne remets pas en question le but. Il est clair que le but est de protéger le public, de faire respecter la loi et l'ordre et d'empêcher des criminels endurcis d'aller et venir en toute liberté. Il suffit de raconter une ou deux histoires d'horreur à ce sujet pour que les gens réagissent. Cependant, nous devons nous assurer que, s'il y a atteinte aux droits fondamentaux, cette atteinte est proportionnelle à l'objectif. C'est là le premier élément des critères de l'arrêt Oakes — le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte aux droits en question et être soigneusement conçu pour atteindre l'objectif visé.
Je tente d'appliquer ces critères de l'arrêt Oakes au projet de loi en me demandant: «Quelle différence fondamentale y a-t-il entre l'identification par les empreintes génétiques et ceci?» J'aimerais voir le raisonnement de la cour dans ces causes, car je ne suis pas certain qu'une fois que vous avez reçu votre peine, il est immédiatement présumé que le système de justice devra garder un oeil sur vous et que, dorénavant, vous devrez faire connaître vos allers et venues. Je juge louable l'idée de suivre les criminels récidivistes et endurcis, mais il y a des limites à ce qu'on peut faire par le biais du système de justice pénale pour protéger les gens.
Le registre des délinquants sexuels se fonde essentiellement sur la présomption selon laquelle tout délinquant sexuel sera dorénavant suspect. C'est l'idée de base. Prouvez-moi que tous les délinquants sexuels récidiveront. Je tente de comprendre ce qui sous-tend ce registre. Si nous créons un registre pour ces criminels, il en faudrait un pour tout les contrevenants. Certains cambrioleurs, par exemple, récidivent; il nous faudrait donc un registre des cambrioleurs qui nous aiderait à déterminer qui sont les cambrioleurs qui vivent dans un quartier particulier. Je tente de comprendre ce qui pourrait justifier cette inversion de la présomption.
Je ne remets pas en question votre approche, au contraire. Vous avez fait de votre mieux, et je vous en félicite, mais il y a encore un élément que je ne comprends pas.
Vous avez aussi fait mention d'une contestation judiciaire actuellement en cours en Ontario. Pouvons-nous avoir des détails sur cette affaire? Vous pouvez les remettre à la greffière.
Mme Campbell: Nous pouvons vous donner un résumé des arguments qui ont été présentés dans cette cause. Le jugement n'a pas encore été rendu. Si cela vous est utile, nous pouvons aussi vous remettre deux jugements de la Cour suprême des États-Unis qui traitent de la question de savoir s'il s'agit d'une peine ou d'une conséquence administrative.
Le président: La Cour suprême des États-Unis a jugé que les torts à la réputation ne constituent pas une atteinte à la liberté. Est-ce là le genre d'argument que vous avancerez dans ces causes sur les empreintes génétiques?
M. Hoover: Non, pas du tout. Ce registre-ci est tout à fait différent des registres américains.
Le président: Ce n'est pas que nous voulons suivre aveuglément les États-Unis.
M. Hoover: Notre registre est complètement différent. Dans le cas de l'Alaska, il y a une disposition très importante sur la double incrimination, ce qui est déjà prévu par l'article 11 de notre Charte. Dans cette affaire, on remettait en cause l'effet punitif de l'application rétroactive et le fait d'afficher la photo des délinquants sur Internet, ce que nous ne ferons pas. Nous avons étudié tous les registres qui existent dans le monde, leur fonctionnement, leur efficacité et toutes les questions relatives aux droits individuels, et nous sommes convaincus que ce registre-ci permet deux choses que la plupart des autres registres ne font pas. Il constitue un outil véritablement utile qui se limite aux enquêtes sur les délits sexuels. Notre registre n'a pas été conçu de façon à stigmatiser les délinquants comme bien des registres américains. Nous avons fait l'impossible pour contrer les efforts de bien des provinces qui souhaitaient un régime de ce genre. La ministre vous expliquera ces raisons politiques de procéder ainsi, mais je peux vous dire que Justice Canada a refusé d'adopter cette approche car elle la jugeait contraire à la Charte des droits.
Le président: En Alaska, il s'agissait de gens qui avaient commis des crimes il y a très longtemps, dans certains cas, il y a plus de 20 ans. De plus, on ne se contentait pas d'afficher les photos; on imposait aussi des visites de contrôle très fréquentes, n'est-ce pas?
M. Hoover: Oui, et on a d'ailleurs fait valoir que cela avait un effet punitif supplémentaire. Si ma mémoire est bonne, les délinquants qui ont entamé la procédure en Alaska ont maintenu que le fait que ces informations sur leur compte étaient publiques les empêchait de trouver un emploi et constituait à ce titre une peine supplémentaire.
La Cour du neuvième district a jugé que cette mesure avait un effet punitif, mais la Cour suprême des États-Unis a invalidé cette décision et déclaré qu'on ne pouvait donc pas prétendre qu'il y avait double incrimination. Elle a aussi dit, à titre de remarque incidente, qu'elle souhaitait que tous les registres soient contestés afin que les États sachent clairement jusqu'où ils peuvent aller.
Dans le cas qui nous occupe, nous nous sommes opposés à toutes les mesures qui auraient entraîné la stigmatisation des délinquants, comme certains le préconisaient. Dès le départ, c'était exclu.
Le sénateur Joyal: Dans le même ordre d'idées, je crois vous avoir entendu dire que ce registre vise essentiellement à faciliter les enquêtes. Autrement dit, pour prendre le pire des scénarios, demandez à la police de vérifier si M. ou Mme X, qui postule un emploi dans une garderie, figure au registre des délinquants sexuels.
M. Hoover: Absolument pas. Ce serait illégal.
M. Yumansky: On peut déjà obtenir ce genre de renseignements grâce au système national de vérification judiciaire à des fins d'emploi.
Le sénateur Joyal: J'ai une question à vous poser sur le Québec. Le procureur général du Québec s'est-il dit intéressé par ce registre et prêt à l'appuyer?
M. Hoover: Il y a eu changement de gouvernement au Québec pendant nos consultations auprès des provinces et territoires, lesquelles ont été menées avant et après le dépôt du projet de loi. Le gouvernement précédent a exprimé son appui sans réserve pour le projet de loi qui a été déposé le 11 décembre 2002. Le gouvernement actuel s'est prononcé sur le projet de loi après qu'il eut été modifié, en octobre 2003. Le procureur général et le ministre de la Sécurité publique appuient tous les deux le projet de loi et souhaitent que le Parlement l'adopte dans les meilleurs délais. C'est la position officielle du gouvernement du Québec.
Le sénateur Beaudoin: J'aurais un point à soulever. Je ne comprends pas comment vous pouvez dire que ce n'est pas contraire à la Charte que de pendre sa présomption d'innocence pour les crimes à venir simplement parce qu'on a été reconnu coupable d'une infraction. À mes yeux, c'est une violation de la Charte.
La présomption d'innocence existe toujours. Vous pouvez inverser le fardeau de la preuve. La jurisprudence nous dit que c'est accepté dans certains cas. Mais comment pouvez-vous, dans une loi, dire que, parce que vous avez été reconnu coupable d'un délit sexuel, vous ne pouvez plus être présumé innocent, que vous serez dorénavant présumé coupable? Je ne comprends pas cela.
M. Hoover: C'est une excellente question car elle va au coeur même de notre véritable intention. Notre véritable intention est-elle de punir? Notre véritable intention est-elle de punir le contrevenant de ce qu'il a fait? La réponse est non.
On nous a demandé de concevoir un système qui permettrait à la police de trouver, dans une base de données, ceux qui ont été condamnés pour un crime de nature sexuelle dans le passé et qui pourraient être considérés suspects à l'avenir.
Cela ne signifie pas qu'il y a corrélation entre les infractions passées et les agissements futurs. Cela ne signifie pas que vous êtes présumé coupable. Plutôt, en consultant le registre, la police peut savoir qui, dans une zone géographique bien précise, a déjà commis un délit sexuel. Si cinq délinquants sexuels habitent à une rue du lieu du crime, la police ira les interroger immédiatement afin de pouvoir les éliminer de sa liste de suspects.
Je dois préciser de la présomption d'innocence n'est pas l'élément essentiel de ce projet. Lorsque nous allons devant les tribunaux, nous tenons à ce que ce soit le juge qui rende des ordonnances. Les tribunaux se sont clairement prononcés là-dessus.
Nous ne demandons pas qu'un autre verdict de culpabilité vienne s'ajouter au premier déjà rendu. Cela a donc des conséquences. À cet égard, les honorables sénateurs voudront peut-être examiner attentivement l'affaire R. c. Budrio devant la Cour d'appel de l'Ontario. Elle traitait de la possibilité pour la police de présenter une demande aux termes de l'article 810 contre une personne n'ayant jamais fait l'objet d'une accusation. Cela ressemble au cas où, par ordonnance de la Cour, on peut imposer de strictes privations de liberté à quelqu'un pendant 12 mois au maximum, pourvu qu'elle en ait fait la demande devant un juge et que l'on ait réussi à prouver que la personne visée risque de commettre telle infraction. Si elle refuse de respecter l'ordonnance, cette personne est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans.
Budrio a dit, étant donné que la mesure cherche à protéger les gens de crimes éventuels, qu'elle a été mise en oeuvre de la manière la moins importune possible et qu'elle respectait l'application régulière de la loi et se fondait sur certains éléments de la Charte, qu'elle était conforme à cette dernière, malgré l'absence d'une déclaration de culpabilité. Dans le présent cas, ce n'est pas une question de fardeau. Il s'agissait de savoir s'il y avait une déclaration de culpabilité.
Les tribunaux ont jugé que la protection des Canadiens peut se passer d'une déclaration de culpabilité, pourvu que la Charte soit respectée. Autrement dit, il nous est loisible d'aller de l'avant d'une manière adaptée à notre objectif et qui soit la moins importune possible.
Ce sont ces considérations primordiales dont Justice Canada a tenu compte lorsqu'on a conçu le registre des délinquants sexuels. Les provinces voulaient que nous allions beaucoup plus loin.
Cependant, le danger avec les registres de délinquants sexuels, c'est que sur le plan politique, il y a toujours moyen de faire croire aux électeurs qu'on peut aller beaucoup plus loin. Si vous lisez les journaux, vous verrez qu'on exerce beaucoup de pression sur les politiques pour qu'ils aillent beaucoup plus loin. La politique de la peur domine à tel point le débat qu'il est très difficile de résister.
Toutefois, si on ne réussit pas à mettre en oeuvre un projet conforme à la Charte, il se peut que celui avec lequel on se retrouve soit contesté, par exemple en vertu de l'article 33 de la Charte, et jugé non conforme. Autrement dit, ne vous inquiétez pas au sujet de la Charte, on y a pensé.
Du point de vue du comité, ce serait un danger bien plus grand que ce sur quoi nous nous penchons ici. Nous avons scrupuleusement veillé à ce que l'objet de cette mesure s'en tienne aux enquêtes relatives à des infractions sexuelles éventuelles et respecte les droits des contrevenants.
Après cinq ans, l'auteur d'une infraction sexuelle peut demander à un juge rayer son nom du registre. Notre registre est le seul à comporter une telle mesure de protection.
Le sénateur Beaudoin: Quel est l'article qui permet cela après cinq ans?
M. Hoover: C'est le 490.015.
Le sénateur Beaudoin: Le délinquant peut prendre une initiative en ce sens?
M. Hoover: On appelle cela une «demande de révocation», qui figure à l'article 490.015. Selon la nature et le nombre d'infractions sexuelles pour lesquelles vous avez été reconnu coupable, vous serez sous le coup d'une ordonnance de cinq ans, de dix ans ou à perpétuité. La révocation peut intervenir après cinq, dix et vingt ans.
Même dans le cas où une ordonnance à perpétuité a été rendue contre vous en raison du nombre d'infractions pour lesquelles vous avez été reconnu coupable et qui fait de vous un risque plus élevé de récidive, après vingt ans, vous pouvez quand même faire une demande de révocation devant un juge. Vous pouvez soumettre des preuves en votre faveur et il peut ordonner que votre nom soit effacé du registre.
Le président: J'ai une brève question à poser sur la lancée de celle du sénateur Beaudoin. Le registre de l'Ontario existe maintenant depuis près de trois ans. A-t-il obtenu quelque succès?
M. Hoover: L'essentiel ici est de s'entendre sur ce qu'on entend par succès. La plupart des régimes mesurent leur réussite en fonction du taux de conformité. À cet égard, le taux de conformité du registre de l'Ontario atteint 90 p. 100. Autrement dit, 90 p. 100 des délinquants tenus de s'inscrire le font de façon régulière, conformément à la loi.
Le président: Dans quelle mesure le registre est-il aussi une réussite comme outil d'enquête?
M. Hoover: Nous ne disposons pas de beaucoup de données empiriques. Toutefois, si l'on tient compte de toutes les recherches effectuées sur le sujet, il ne fait aucun doute que c'est un mécanisme utile aux yeux des corps policiers. Son désavantage est que son administration, le suivi et tout le reste nécessitent certaines ressources.
Selon la forme qu'on donnera au registre, ses coûts risquent de l'emporter sur tous ses avantages. Nous avons donc soigneusement étudier ce problème. Nous nous sommes efforcés de limiter l'usage qu'on peut faire de cet outil. Par le fait même, cela restreint aussi l'étendue des activités policières.
Je tiens aussi à signaler l'étude du Royaume-Uni que les sénateurs trouveront dans leur site Web. Les études effectuées en 2000 et 2001 ont examiné de près les résultats obtenus dans le registre du Royaume-Uni, en place depuis 1997. Il y a plus de données empiriques prouvant qu'il est une réussite, mais si l'on se fie aux témoignages des agents de police au sujet des enquêtes relatives aux crimes sexuels et au suivi, ils reconnaissent implicitement qu'il s'agit d'un mécanisme utile. Il permet un suivi plus étroit et de meilleures enquêtes.
Les policiers du Royaume-Uni estiment donc que c'est un des moyens de gestion utiles à leur portée pour gérer les questions liées aux délinquants sexuels et le risque qui leur est inhérent.
Le sénateur Andreychuk: Je tiens à souligner ce dernier point. Leurs rapports précisent qu'il s'agit d'un bon moyen parmi d'autres, mais non de l'unique. Nous ne devrions pas essayer de le faire passer pour le seul à pouvoir résoudre le problème.
M. Yumansky: M. Hoover a affirmé qu'il nous faudrait affecter les ressources aux services de soutien et de suivi qui s'occupent des délinquants sexuels à risque très élevé. C'est à ce niveau-là que les succès obtenus peuvent être relativement satisfaisants.
Le sénateur Cools: Je dois dire au président que mes sonneries d'alarme commencent à retentir. Nous allons étudier le projet de loi avec tout le sérieux qu'il mérite.
Ma première question reprend celle du sénateur Joyal. Pouvons-nous en apprendre davantage sur les raisons pour lesquelles certaines infractions sexuelles seront visées par le registre? Quiconque a déjà travaillé dans le système sait qu'on peut tout aussi facilement retenir les agressions commises contre les vieilles dames, les introductions par effraction ou les vols de banque. Supposons que vous vous limitiez aux crimes contre la personne. Pourquoi dans ce cas retenir les délinquants sexuels? On a bien donné une idée de la réponse, mais j'espère que nous pourrons tirer cela un peu plus au clair au fur et à mesure de notre étude.
Vous avez affirmé qu'on a demandé à Justice Canada de présenter ce projet de loi. Pouvez-vous m'en dire davantage au sujet de cette demande et préciser d'où elle est venue? Est-ce du ministre?
La question suivante se reporte à la page 37 du projet de loi, à l'article 23, à la rubrique Loi sur le casier judiciaire. Pouvez-vous m'expliquer l'incidence de cette disposition sur la Loi sur le casier judiciaire? Je n'aime pas ce qui est sous- entendu ici. Pouvez-vous m'expliquer l'objet de l'article? La Loi sur le casier judiciaire est assez singulière. On accorde la grâce dans un nombre limité d'infractions. Ainsi, par exemple, on ne peut accorder de pardon dans le cas d'un meurtre au premier degré. Je crois savoir aussi que la grâce a pour effet d'annuler les infractions. Comment est-ce que les infractions peuvent devenir partiellement «annulées»? Auriez-vous l'obligeance de m'expliquer cela?
Mme Campbell: Pour ce qui est de votre première question, sénateur Cools, je crois qu'elle relève surtout de considérations politiques et que le ministre est le mieux placé pour y répondre. Quoi qu'il en soit, au cours de la dernière décennie, j'ai témoigné à diverses reprises devant votre comité lorsqu'il était saisi de certains projets de loi portant sur le problème des délinquants sexuels. Vous demandez d'où viennent les pressions? Cela fait longtemps que l'on se demande comment réagir au mieux à des crimes dont la nature a des conséquences dévastatrices et à long terme sur les victimes. Certaines mesures ont déjà été prises au fil des ans. Je ne dirais donc pas que les pressions exercées pour qu'on peaufine encore davantage les outils à notre disposition, se sont manifestées seulement récemment ou de façon surprenante, car elles nous ont accompagnés de façon assez constante.
Bien sûr, les registres de délinquants sexuels étaient plus populaires aux États-Unis à certaines époques. Les gens en entendaient parler, ce qui encourageait davantage les discussions à propos de ces registres et la possibilité de les utiliser comme outils. Un certain nombre de provinces se sont intéressées à la création de ces registres. Au cours des dernières années, il y a certainement eu des débats à la Chambre des communes à propos des registres de délinquants sexuels. Quelle était la source de ces pressions? En fait, il y avait plusieurs. Lors des réunions des ministres fédéraux- provinciaux-territoriaux de la Justice, un consensus s'est établi et les ministres ont dit que c'était un outil qu'ils voulaient. De nombreuses discussions ont eu lieu sur la forme que cet outil devrait prendre. De mon point de vue professionnel, il s'agit là de l'origine de ces pressions.
En ce qui a trait au lien avec la Loi sur le casier judiciaire, un individu peut demander un pardon en vertu de cette loi quand les critères de temps et d'autres critères ont été satisfaits. En vertu de ce système, si un individu dont le nom figure au registre des délinquants sexuels et doit y rester reçoit un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, cet individu peut se servir de ce pardon pour faire appel au tribunal pour ne plus être tenu de s'enregistrer.
M. Yumansky: J'ajouterais que l'enquête Stephenson, qui a eu lieu à la fin des années 80, a recommandé la création d'un registre national de délinquants sexuels.
Le sénateur Cools: Monsieur le président, peut-être notre attaché de recherche pourrait nous procurer ces renseignements. Je me rappelle à quel point cette enquête a été problématique.
Le sénateur Bryden: Je serai bref. Un de nos témoins a dit «Ce que cela permet à la police de faire.» En tant qu'ancien sous-procureur général et solliciteur général, je crois qu'il s'agit d'une question très importante qui soulève des contraintes très importantes.
Comme vous le savez, dans bien des cas, on ne regarde pas seulement l'ensemble des délinquants sexuels lorsqu'un crime a été commis. La police tient compte de gens qui ont commis d'autres crimes, qui ont purgé des peines d'emprisonnement, qui habitent dans la ville, ou qui ont une certaine réputation. Auparavant, il y avait un mandat général de perquisition qui permettait à la police de chercher l'alcool illicite et les trafiquants d'alcool. On s'est servi de ce mandat général pour trouver toutes sortes de renseignements qui n'avaient rien à voir avec l'alcool illicite. On s'en servait pour trouver les lieux où était cachée de la marchandise volée, pour trouver qui était impliqué dans le trafic des stupéfiants et, en bout de ligne, dans notre province au moins, ce genre de mandat a été éliminé, et dans toutes les provinces, à ce que je sache.
C'est une préoccupation. La raison pour laquelle ce comité fait si attention, c'est que nous voulons nous assurer que nous ne donnons pas aux gens qui nous protègent un pouvoir qui mène à l'abus. Je serais prêt à gager que si l'association des policiers venait témoigner à ce sujet, elle voudrait probablement avoir des pouvoirs très étendus. Lorsqu'elle a comparu devant nous au sujet de la base de données génétiques, elle a déclaré que les gens devraient fournir des renseignements génétiques pour la base de données pas une fois déclarés coupables, mais plutôt une fois accusés, et même au moment de l'arrestation. C'est comme ça qu'ils font en Grande-Bretagne. Il s'agit d'un équilibre très délicat.
Du point de vue de la police, le registre en Ontario a été très utile. Y a-t-il moyen d'identifier des abus éventuels de ce registre? Y a-t-il eu des plaintes?
M. Hoover: Il est intéressant de noter que le registre de l'Ontario, la loi qui l'a créé, est très ouvert dans sa capacité de limiter l'accès de la police. D'après ce que j'ai compris, la Loi de l'Ontario dit que le registre peut être utilisé pour des fins d'administration policière. C'est très large.
Nous n'avons pas suivi ce chemin. En vertu de l'alinéa 16(2)a), c'est pour une enquête policière pour une infraction sexuelle précise. De plus, selon cette disposition, si vous contrevenez à cette disposition sciemment, vous pouvez être accusé d'une infraction fédérale. Dans la plupart des cas, ce sera un procureur fédéral qui déposera la dénonciation et les accusations. Voilà notre façon de procéder.
Le seul incident que je connaisse et qu'on pourrait désigner d'«abus» est l'enlèvement récent d'une jeune fille. Le commissaire de police de Toronto avait laissé entendre qu'un certain nombre de délinquants sexuels inscrits vivaient dans un périmètre de trois pâtés de maisons. Il affirmait avoir consulté le registre des délinquants sexuels.
À mon avis, le registre ne devrait pas servir à cette fin. En fait, j'irais même jusqu'à dire que ce genre de recherche constituerait un accès et une utilisation illégale du registre. S'il avait effectué une telle recherche auprès de notre registre, il aurait pu s'exposer à des poursuites. La police n'aime pas ce système, mais nous l'avons conçu ainsi afin d'en préserver la viabilité et d'en faire notamment un outil de recherche servant à enquêter sur les infractions sexuelles.
M. Yumansky: C'est précisément pour cette raison que nous avons inclus le paragraphe 16(3), qui porte sur la comparaison interdite. Cela limite les recherches aux crimes de nature sexuelle.
Mme Campbell: Nous avons entendu dire, et vous l'entendrez peut-être, qu'il faut de nouveau affaiblir le critère qui était: «motifs raisonnables de croire» qu'un délit sexuel a été perpétré et de dire dorénavant «motifs raisonnables de soupçonner.» On s'approche dangereusement de la limite constitutionnelle.
Nous savions fort bien qu'il serait inapproprié pour un policier d'arrêter un conducteur pour une présumée infraction au code de la route et d'en profiter pour enquêter sur ses antécédents sexuels, ce qui n'a rien à voir avec l'infraction au code de la route.
Nous avons imposé des limites à l'usage que pourraient faire les policiers du registre, tout en leur permettant d'y accéder immédiatement si les circonstances l'exigent. C'est un équilibre délicat.
Le sénateur Bryden: Il est important d'avoir cet équilibre. Nous allons étudier le projet de loi pour voir si l'équilibre existe bel et bien. Il ne fait aucun doute que si vous créez le registre vous ne pourrez pas empêcher certaines personnes qui ont les pouvoirs voulus d'en abuser.
Le sénateur Buchanan: En vertu du projet de loi, on ne pourra s'en servir qu'à des fins précises. D'après ce que je comprends — je me trompe peut-être — en Grande-Bretagne et dans plusieurs États américains, ces banques de données sont quasiment publiques, n'est-ce pas?
Mme Campbell: Cela dépend de la banque de données. L'accès à l'information est basé sur le principe de «l'utilisation cohérente» — c'est l'expression juste. Certains seraient tenter de comparer les données contenues dans le registre aux listes d'assistés sociaux. Cela pose problème à beaucoup de gens.
Il est difficile de faire des comparaisons avec d'autres pays sans connaître leurs systèmes ou leurs politiques. Nous croyons qu'il est approprié de faire des comparaisons avec d'autres banques de données, telles celles qui contiennent de l'information sur les contrevenants violents à risque élevé, mais pas avec d'autres.
Le sénateur Buchanan: Ai-je bien compris que vous avez dit que certains États américains affichent leur registre sur Internet?
Mme Campbell: Absolument. Chaque État a son registre aujourd'hui, dont beaucoup sont en ligne. J'ai simplement choisi un État. J'ai tapé mon nom de famille et j'ai obtenu une liste de noms accompagnés de photos, d'adresses et d'autres renseignements personnels. Ces registres sont accessibles au moment où on se parle.
Le sénateur Joyal: En réponse à plusieurs questions, vous avez souvent parlé de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Existe-t-il un système semblable permettant d'enlever les données génétiques après un certain nombre d'années?
M. Hoover: Non, ces renseignements sont retenus à tout jamais, même si le contrevenant reçoit un pardon. Je ne suis pas spécialiste en la matière.
Le sénateur Joyal: Vous avez parlé de systèmes parallèles.
M. Hoover: Comme vous l'avez indiqué, ce ne sont pas deux systèmes identiques. Il y a d'abord le prélèvement d'un échantillon d'ADN qui est d'emblée une violation de la Charte. On vous prélève du tissu corporel. Cela pourrait avoir des conséquences futures si vous commettez un jour une infraction ou si on jumelle votre échantillon à un autre qui se trouvait déjà dans une banque, mais il reste que c'est d'abord une violation de la Charte. Le prélèvement représente une atteinte à la vie privée, mais une atteinte justifiable, étant donné qu'elle est minime et qu'elle a été permise dans l'affaire Oates.
Pour assurer l'utilité de la base de données, le contrevenant doit indiquer son domicile et donner d'autres renseignements essentiels afin que la police puisse se servir de la base pour enquêter sur les délits sexuels. De nombreuses dispositions ont donc dû être adaptées en conséquence.
Notre point de départ était un modèle basé sur l'ADN qui a déjà fait ses preuves, qui a été retenu par les tribunaux et qui a été adopté par plusieurs autres administrations. Ensuite, nous nous sommes assurés que le système était conforme à la Charte et que les procédures qui en découlaient l'étaient aussi.
Le sénateur Joyal: Le tribunal a dressé des parallèles entre la prise d'empreintes digitales et les empreintes génétiques. Lorsqu'on prend vos empreintes digitales, vous cédez votre identité lorsque vous appuyez votre pouce sur un bout de papier.
Vous dites qu'après cinq, dix ou vingt ans, vous pouvez être dispensés de l'obligation. Difficile de ne pas faire le lien avec cette phrase. C'est comme si on était en libération conditionnelle. Vous êtes en libération conditionnelle pendant un certain temps. Si on n'a rien à vous reprocher, on vous oublie.
Il est très difficile de faire la distinction que vous dites qui existe en vertu du projet de loi. Je vais lire la décision sur l'autre question afin de voir dans quelle mesure le critère doit être pris en considération. Comme mon collègue le sénateur Bryden a dit, on doit se demander si l'objectif visé par le projet de loi justifie l'intrusion dans la vie privée et si le registre sera réellement utile.
Comme vous le savez, c'est la première question qu'on doit se poser. Les tribunaux ont toujours essayé de s'assurer que la fin justifie les moyens.
Vous dites que le registre n'est qu'un outil parmi tant d'autres. Certes, il est utile, mais le prix à payer, soit l'intrusion dans la vie privée, n'est-il pas trop élevé? À mon avis, c'est la première question à laquelle il faut répondre. Vous avez dit clairement qu'il est difficile d'établir un système aux résultats fiables et qui soit en conformité avec la Charte.
Monsieur le président, je crois que nous devrons réexaminer cette question.
Le président: Il est évident que tous les sénateurs croient que ce projet de loi est important. Madame Campbell, vous avez clairement décrit la question qui sous-tend le projet de loi, soit, d'un côté, les avantages d'un tel registre, et, de l'autre côté, la violation potentielle de droits.
Voilà le noeud du problème. Ce n'est pas que les gens n'appuient pas le projet de loi. Nous appuyons tous l'objectif du projet de loi.
J'aimerais remercier les témoins pour leur franchise et pour nous avoir éclairés.
La séance est levée.