Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 10 mars 2004


OTTAWA, le mercredi 10 mars 2004.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour étudier les projets de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, et le projet de loi C-250, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse).

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Aujourd'hui, nous allons étudier les projets de loi C-16 et C-250.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous avons entrepris l'examen du projet de loi C-16 en recevant les fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Nous poursuivons cet examen aujourd'hui avec des témoins de l'Association canadienne de la police professionnelle.

Nous passerons ensuite à l'étude du projet de loi C-250 sur la propagande haineuse. Nous commencerons cette étude aujourd'hui en recevant le parrain du projet de loi, M. Svend Robinson.

Je vous invite à souhaiter la bienvenue à nos deux premiers témoins, de l'Association canadienne de la police professionnelle, MM. Cannavino et Griffin.

Vous avez la parole, monsieur Cannavino.

[Français]

M. Tony Cannavino, président, Association canadienne de la police professionnelle: L'Association canadienne de la police professionnelle se réjouit de l'occasion de comparaître au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. L'ACPP est le porte-parole national de 54 000 membres du personnel policier en poste d'un bout à l'autre du Canada. Par l'intermédiaire de nos 225 associations membres, l'ACPP représente le personnel policier œuvrant au sein de corps policiers de petites villes et villages du Canada ainsi que dans les grands corps policiers municipaux et provinciaux, les Association des membres de la GRC et de la police des Premières nations.

L'Association canadienne de la police professionnelle est reconnue en tant que porte-parole national du personnel policier en matière de réforme du système canadien de justice pénale. Nous sommes motivés par la ferme volonté d'atteindre les objectifs suivants: améliorer la sécurité et la qualité de vie des citoyens et citoyennes de nos communautés; partager l'expérience des policiers et policières qui œuvrent sur le terrain et promouvoir les politiques d'ordre public qui reflètent les besoins et les attentes des Canadiens respectueux des lois.

Les enfants constituent le groupe le plus vulnérable de la société et ont besoin de protection contre ceux qui en feraient leur proie. Lors de l'assemble générale annuelle de l'Association canadienne de la police professionnelle, nos délégués nationaux adoptèrent à l'unanimité les cinq priorités de notre association dont l'une concernant la création d'un registre national de délinquants sexuels efficace.

Nous avons besoin d'un registre national regroupant tous les délinquants sexuels condamnés qui ont été relâchés au sein de la communauté. Nous avons besoin de lois qui protègent nos enfants contre l'exploitation par des personnes plus âgées et il nous faut utiliser davantage la technologie pour intervenir efficacement contre les actes criminels commis envers les enfants.

Les délinquants sexuels devraient être inscrits au registre. Les recherches démontrent que la pédophilie est incurable et que les délinquants sexuels risquent de récidiver des années après l'expiration de leur peine. L'expérience américaine prouve que les registres aident la police à identifier les suspects et à résoudre plus rapidement les crimes à caractère sexuel perpétrés contre des enfants.

En 1993, à la suite de l'enquête sur la mort de Christopher Stephenson, à l'âge de 11 ans, une recommandation avait été faite que le gouvernement fédéral crée un registre national de délinquants sexuels condamnés, dangereux et à haut risque, exigeant que chacun de ces délinquants s'inscrivent auprès de la police dans la juridiction où il habite ou habitera.

En 1993, «la perspective libérale en matière de criminalité et de justice» appuyait l'établissement d'un registre national d'abuseurs d'enfants condamnés, affirmant que:

Les délinquants sexuels représentent 20 p. 100 de la population carcérale et 10 p. 100 de la population libérée sous condition. Ces chiffres ne représentent pas la réalité avec exactitude puisqu'ils ne comprennent que le nombre de personnes condamnées à deux ans ou plus d'emprisonnement. Les véritables chiffres sont beaucoup plus élevés. Au cours des cinq dernières années, il y a eu une augmentation de 20,4 p. 100 du taux d'admission des délinquants sexuels. Évidemment, un nombre toujours croissant de délinquants sexuels réintégra nos communautés.

Les récidivistes courent deux fois plus de chances de commettre d'autres délits sexuels, en plus d'être plus susceptibles de violer leurs conditions de leur libération. Toutefois, les programmes de thérapie destinés aux délinquants sexuels sont déficients. Le retour des délinquants sexuels dans les communautés sans thérapie ni counselling, constitue non pas l'exception mais bien la règle.

À l'heure actuelle, le Centre d'information de la police canadienne, c'est-à-dire le CIPC, ne fournit pas de renseignements suffisants à la police, ni d'avis de la libération ou de l'arrivée dans leur communauté de délinquants sexuels.

Le 11 décembre 2002, le projet de loi C-23 était présenté à la Chambre des communes en première lecture.

Bien que nous nous étions réjouis de constater que le gouvernement fédéral passait finalement à l'action en présentant un registre de délinquants sexuels, notre inquiétude demeurait entière puisque la législation proposée s'avérait insuffisante pour protéger adéquatement la population et assurer un appui efficace aux enquêtes policières.

Nous avons donc recommandé d'apporter plusieurs modifications importantes au projet de loi C-23.

Nous soutenons que le registre peut et devrait employer les technologies de pointe les plus perfectionnées pour atteindre le degré optimal d'efficacité et d'efficience. Par exemple, le registre de délinquants sexuels de l'Ontario compte 93 zones de recherche distincte. Nous soutenons que le registre national de délinquants sexuels devrait être doté des capacités suivantes: recherche par province, juridiction, rayon et code postal. Entrée et référence croisée à jour de photographies numériques multiples, entrée et référence détaillée de fiches signalétiques et établissements de profils géographiques et de géocartographie.

[Traduction]

Point deux: contrevenants. La législation initiale ne s'appliquait qu'aux contrevenants condamnés après la proclamation de la loi, excluant les contrevenants qui purgent actuellement une peine pour une condamnation antérieure et les contrevenants condamnés pendant les débats parlementaires sur le projet de loi C-23.

Le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, Michael Baker, a déclaré que «nous devons protéger les gens non seulement contre les personnes qui seront condamnées à l'avenir mais aussi contre les personnes qui ont déjà été condamnées dans le passé, particulièrement celles qui sont présentement détenues».

Parmi les exemples notoires d'individus qui ne seraient pas obligés de s'enregistrer en vertu de ces dispositions, s'ils étaient relâchés au sein de la communauté, mentionnons Clifford Olson, Paul Bernardo et Karla Homolka... quel que soit leur pseudonyme au moment de leur libération. À notre avis, cela est aberrant.

Nous avons toujours maintenu que l'inscription au registre de tous les délinquants sexuels vise un but réglementaire valide et non punitif, et que par conséquent, elle ne viole aucun droit du contrevenant lorsqu'on prend en considération les préoccupations légitimes globales en matière de sécurité publique. Cela est conforme aux constatations et à la jurisprudence aux États-Unis, dont un arrêt de la Cour suprême des États-Unis confirmant le maintien de registres de délinquants sexuels qui dépassent de loin la proposition canadienne et l'exemple de l'Ontario.

Certains pourraient vouloir débattre des coûts du registre, mais il importe de tenir compte des avantages du registre et des économies qu'il permettrait de réaliser. Un registre exhaustif offre un moyen auxiliaire d'enquête susceptible de réduire le coût des enquêtes et de contribuer à la canalisation des ressources policières. À l'inverse, un registre qui ne serait essentiellement qu'une coquille vide ou une oeuvre inachevée prendra des années, sinon des générations, à être utile et s'avérera un outil onéreux et inefficace.

Nous avons toujours maintenu que le registre doit s'appliquer à tous les délinquants sexuels condamnés qui sont remis en liberté au sein de la collectivité, y compris les libérés jouissant des permissions suivantes: absence temporaire, placement à l'extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle sous toutes ses formes, libération d'office.

Il va sans dire que nous avons été très heureux d'apprendre qu'à la suite de consultations avec ses homologues provinciaux et territoriaux, l'ancien solliciteur général Wayne Easter avait consenti à modifier ce projet de loi pour en élargir la portée de façon à permettre l'enregistrement de tous les contrevenants qui purgent présentement une peine pour délit sexuel, qu'ils soient détenus ou terminent leur peine au sein de la communauté. En toute franchise, toute mesure inférieure à celle-ci serait vide de sens et grossièrement trompeuse.

Notre troisième rubrique est celle de la discrétion judiciaire. Le projet de loi C-16 prévoit un processus complexe permettant au juge de déterminer si un contrevenant doit figurer au registre, assorti d'un processus d'appel. Nous soutenons que cela est absolument incongru et superflu; à notre avis, il ne devrait y avoir aucune discrétion judiciaire permettant de déterminer l'application de cette loi. Nous maintenons que tous les délinquants sexuels condamnés devraient être inscrits au registre.

La quatrième rubrique porte sur les infractions. Le défaut de s'enregistrer signale à la police qu'un contrevenant a sciemment choisi de faire fi de la loi, ce qui constitue une sérieuse mise en garde. Nous soutenons que les conséquences prévues pour défaut de s'enregistrer conformément au projet de loi C-16 sont trop modestes et doivent avoir plus de mordant pour encourager le respect général de la loi. Le contrevenant devrait clairement comprendre que c'est plus avantageux de s'enregistrer que de choisir de faire fi de la loi et d'accepter les conséquences s'il est appréhendé.

En somme, nous sommes d'avis que le projet de loi C-16 tel qu'il a été modifié répond largement aux préoccupations soulevées par l'ACPP et nos collègues responsables de l'application de la loi. Quant à la famille de Christopher Stephenson, ses efforts pour protéger d'autres enfants contre les prédateurs sexuels se sont heurtés à d'interminables délais et à de la résistance. Nous espérons que votre comité et que vos honorables collègues du Sénat jugeront à propos de traiter ce dossier avec diligence afin d'éviter tout autre retard inutile.

Le président: D'après votre expérience et les résultats de vos recherches, combien de registres employés ailleurs l'ont été avec succès? Avez-vous des chiffres ou des renseignements à ce sujet?

M. David Griffin, agent exécutif, Association canadienne de la police professionnelle: Honorables sénateurs, nous n'avons pas d'exemples précis. Je sais que des fonctionnaires ont affirmé avoir fait une analyse de ce qui s'est fait dans les diverses administrations.

Nous tenons à dire qu'on peut donner deux sens au mot succès. Il peut signifier trouver un suspect ou rejeter un suspect. Il peut être utile, sans trouver le coupable, de pouvoir au moins éliminer un groupe de suspects dans le cadre d'une enquête.

Le sénateur St. Germain: J'ai communiqué avec le chef de la police de Vancouver. Je ne connais pas suffisamment le projet de loi pour l'interpréter en détail, mais j'aimerais savoir si vos amendements tiennent compte de ses préoccupations.

Quant au chef de police de Toronto, il craint qu'il soit impossible d'appliquer la loi dont est saisi le Sénat, dans son libellé actuel. On en a fait une étude approfondie. Aujourd'hui, au Sénat, j'ai demandé au président si ces messieurs comparaîtraient et je crois comprendre que l'un d'entre eux viendra, mais que l'autre enverra un représentant. Leur avez-vous parlé?

Le président: Une précision, sénateur St. Germain. Le témoin qui comparaîtra au nom du service de police de Vancouver comparaîtra demain au sujet de l'autre projet de loi, et non de celui-ci. Je me suis trompé.

Le sénateur St. Germain: Sur ce projet de loi, personne de Vancouver ne comparaîtra, c'est bien ça?

Le président: Oui.

Le sénateur St. Germain: Et de Toronto?

Le président: Ils étaient censés venir aujourd'hui, mais ils nous ont appris hier, je crois, que ce n'était plus possible.

Le sénateur St. Germain: Je suis désolé pour cette interruption, messieurs, veuillez continuer.

M. Cannavino: Nous avons eu des discussions avec les représentants de l'Association canadienne des chefs de police et sommes convenus que la rétroactivité est un élément très important à nos yeux.

Le sénateur St. Germain: Dans vos discussions avec eux, ont-ils parlé de dispositions de la loi qu'il fallait modifier pour qu'elle soit applicable?

M. Cannavino: Non.

Le sénateur St. Germain: Une autre question a été soulevée: ceux qui purgent une peine pour ce genre de crime, mais dans des établissements carcéraux militaires, ne sont pas assujettis à cette loi. Avez-vous des commentaires à ce sujet? On voudrait que là où il y a des bases militaires importantes, s'il faut s'inscrire, que tous doivent s'inscrire.

M. Cannavino: Il faudrait que tous ceux qui purgent une peine y soient obligés.

Le sénateur St. Germain: Je comprends, mais voici ma question: Le projet de loi englobe-t-il les tribunaux militaires et les prisons militaires?

M. Cannavino: Il faudrait vérifier dans la loi. Je ne peux pas vous répondre au sujet de ce projet de loi. Je ne sais pas si c'est dans le projet de loi dont vous êtes saisis, mais pour nous, tous devraient être tenus de s'inscrire.

Le président: Si vous permettez une précision, je crois que s'il s'agit d'une infraction au Code criminel, le projet de loi s'applique.

Le sénateur St. Germain: C'est possible, mais cette préoccupation m'a été signalée: j'ai rencontré le chef de police, à sa demande, dans son bureau, précisément à ce sujet. Il soulevait deux questions. Je veux simplement m'assurer qu'elles fassent partie de notre compte rendu. Si nous examinons ce projet de loi, il faut espérer qu'il soit applicable intégralement, comme le pensent tous les membres du comité, j'en suis certain

Le sénateur Pearson: On a signalé à notre attention qu'en général, c'était un outil utile, un outil d'enquête, essentiellement. Il peut aider à trouver ou éliminer des suspects.

Ma question est dans la même veine que celle du président. Je pense aux aspects pratiques de ce régime. Si nous créons un registre, nous voulons savoir pourquoi vous pensez qu'il sera vraiment utile.

M. Cannavino: Nous sommes convaincus de son utilité. Tout d'abord, dans ce genre de crimes, le facteur temps est crucial. S'il y a des délinquants sexuels ou des criminels dans le secteur qui ont déjà commis ce genre de crimes, nous pouvons les repérer, faire des vérifications, les écarter ou pas, rapidement, très rapidement: oui ou non; on peut ensuite passer à autre chose, et se concentrer très rapidement sur quelqu'un d'autre, s'il y a lieu.

On peut faire une comparaison avec les tests d'ADN. Il a été prouvé que les tests d'ADN ont aidé davantage à éliminer les personnes qui n'étaient pas coupables — à écarter des suspects ou des personnes qui auraient pu l'être — qu'à trouver le vrai coupable. Pour nous, particulièrement dans ces cas-là, le temps est très précieux.

Le sénateur Pearson: Dès que vous recevez un appel pour une situation de ce genre, vous pouvez, par exemple, consulter immédiatement le CIPC, n'est-ce pas?

M. Cannavino: Exactement.

Le sénateur Pearson: Je comprends.

M. Cannavino: Le registre est relié au CIPC.

Le sénateur Pearson: Je profite de l'occasion pour parler du fait qu'on attribue parfois aux délinquants sexuels un taux de récidive plus élevé qu'aux autres contrevenants. Apparemment, les statistiques disent le contraire. Les délinquants sexuels commettent une autre infraction sexuelle dans une proportion de 18 p. 100, après cinq ans, par rapport à 40 p. 100 pour tous les contrevenants qui commettent de nouvelles infractions de tous types. Ce n'est pas une certitude, mais l'une des questions d'importance, quand on tient compte à la fois des droits des victimes et des droits de l'accusé, c'est la prudence dont on doit faire preuve en évitant de présumer automatiquement qu'ils doivent être...

M. Cannavino: C'est la raison pour laquelle nous insistons sur le fait que le registre n'est pas punitif; il s'agit plutôt d'un outil qui permettra aux enquêteurs de faire avancer l'enquête, de trouver peut-être des suspects et d'écarter ceux qui ne sont pas impliqués dans ce genre de crimes.

N'oubliez pas que ce ne sont pas les policiers qui affirment que les délinquants sexuels sont incurables, mais les psychiatres et les médecins. Les délinquants sexuels peuvent suivre une thérapie, mais ce sont des «prédateurs» d'après les termes utilisés dans le milieu de la santé.

Le sénateur Pearson: Apparemment, on a des preuves du contraire, mais nous n'en parlerons pas davantage maintenant. Je voulais simplement m'assurer que les deux points de vue étaient présentés en cette séance publique.

M. Cannavino: Je tiens à ajouter que seuls les policiers auront accès au registre.

Le sénateur Pearson: Je comprends.

Le président: J'aimerais revenir à l'argument fort valable du sénateur St. Germain. Il y a une certaine confusion quant à la compétence, au sujet de la Loi sur la défense nationale et au sujet de la double incrimination, dont on reparlera. Le ministre comparaîtra demain devant le comité et nous poserons des questions pour obtenir des précisions.

Le sénateur Joyal: Nous savons tous que l'Ontario a déjà depuis quelques temps un registre des délinquants sexuels. Savez-vous si on a étudié l'efficacité des divers aspects du recours au registre?

M. Cannavino: Pas que nous sachions.

M. Griffin: Je ne peux pas vous citer de chiffres, mais j'ai rencontré le directeur du registre des délinquants sexuels de l'Ontario quand nous nous sommes penchés sur cette question, il y a quelques années. Il pouvait certainement fournir des exemples concrets de l'utilité du registre. Il pourrait être utile au comité de s'adresser directement aux responsables du registre qui pourraient comparaître. Quoi qu'il en soit, il estimait que le registre était un franc succès et que comme outil, il était rentable aussi pour les services policiers.

Le sénateur Joyal: Vous proposez que nous les recevions comme témoins, n'est-ce pas?

M. Cannavino: Oui.

Le sénateur Joyal: J'aimerais aussi que vous nous parliez davantage du manque de thérapie. Vous avez fait une déclaration d'ordre général, selon laquelle il y a un manque systématique de services de thérapie. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre: ne pas offrir de traitement, mais avoir des mécanismes pour courir après les délinquants sexuels. Il faut travailler des deux côtés. Il faut faire de la prévention, celle-ci étant essentielle pour éliminer le risque.

M. Cannavino: Nous sommes d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal: L'élimination du risque ne passe pas par le registre des délinquants, mais plutôt par la thérapie.

M. Cannavino: Tout à fait.

Le sénateur Joyal: Est-ce qu'on ne met pas la charrue devant les boeufs en investissant autant dans la création d'un registre national, sans investir l'équivalent du côté de la thérapie? Vous dites vous-même que la thérapie est essentielle à l'efficacité de l'élimination efficace du risque que représentent les délinquants sexuels.

M. Griffin: Comme l'a dit le sénateur Pearson, il y a divers points de vue sur la thérapie, son efficacité, le traitement et la capacité de «guérir» certaines déviances sexuelles. Je crois qu'il ne s'agit pas d'éliminer le risque, mais plutôt d'essayer de le gérer. Je ne prétends pas avoir une quelconque compétence dans le domaine médical, mais comme dans le cas du traitement des toxicomanes, il faut que le sujet veuille bien se prêter au traitement. Nous ne prétendons aucunement que le registre puisse remplacer de bons programmes de thérapie et de traitement, mais il peut certainement contribuer à gérer le risque.

Malheureusement, pour les policiers, il faut faire ce genre d'enquêtes. Il y a, par exemple, le cas de Christopher Stephenson, 14 ans, qui magasinait avec sa mère et sa soeur dans un centre commercial de Brampton, il y a 11 ou 12 ans. Sa mère est entrée dans une boutique de matériel de couture, dont la superficie faisait le quart de cette salle-ci, et quand elle en est ressortie, son fils avait disparu. Il avait été enlevé par un délinquant libéré. Les policiers ne savaient pas que ce contrevenant vivait dans cette collectivité. Le délinquant a amené le garçon à son appartement, dont l'adresse était connue, je crois, de son agent de libération conditionnelle. Pendant deux jours, il a fait subir à l'adolescent de nombreux types d'atrocités avant de le tuer et de jeter son corps dans le voisinage. Ce contrevenant avait déjà été condamné pour de nombreuses infractions sexuelles auparavant. Si la police avait eu accès à ces renseignements, elle aurait pu le considérer comme un suspect et aurait peut-être même pu éviter la mort de ce garçon. Tous les cas ne sont pas aussi graves, mais on y constate bien la valeur de l'information.

En outre, le projet de loi régirait la façon dont les policiers peuvent se servir de l'information, les manières d'y avoir accès, et restreindrait l'utilisation des renseignements, ce qui peut être assez difficile à faire d'après certains policiers. Le projet de loi ferait certainement en sorte que ces renseignements ne soient pas publics ni divulgués de manière inappropriée. Nous estimons que c'est un compromis raisonnable.

M. Cannavino: Les renseignements sur les délinquants sexuels comprendraient leurs méthodes habituelles, ce qui est extrêmement important pour notre travail, puisque les contrevenants suivent habituellement une certaine méthode. Si le registre contient ces renseignements, cela facilitera le travail de l'enquêteur pour déterminer si le même modus operandi a été repris, où se trouve le contrevenant et ce qu'il fait habituellement. Cela nous aiderait énormément.

Le projet de loi C-16 propose quelque chose de bien différent de ce qu'on a vu aux États-Unis, où on peut avoir accès sur Internet à une liste de délinquants sexuels, avec photos. Nous ne voulons pas d'un tel système, mais plutôt d'un outil qui aidera à éviter que des enfants et des adultes deviennent les victimes de prédateurs sexuels. C'est l'outil dont nous avons besoin. Nous apprécions beaucoup les tests d'ADN qui nous aident d'une manière incroyable. Nous pouvons maintenant résoudre des dossiers qu'il était impossible de résoudre il y a quatre ou cinq ans. Il serait extraordinaire d'avoir un autre outil pour les affaires de crimes sexuels. Pour ce qui est de la divulgation, seuls les policiers auront accès aux renseignements.

Comme nous le disions, le registre est relié au CIPC. On peut craindre que quelqu'un demande l'information et y ait accès, mais cela ne se produira pas. Pour interroger le CIPC, il faut un mot de passe. Dès que le mot de passe est donné, on peut établir un lien avec la personne qui a reçu l'information. La divulgation de l'information se fait de manière sûre.

Le sénateur Andreychuk: Le CIPC a déjà connu des problèmes. Lors d'une enquête policière, il faut que les renseignements aient été bien intégrés au système et il faut également avoir l'effectif nécessaire pour l'en extraire rapidement. Je comprends l'intérêt d'un registre des délinquants sexuels. Mais lorsqu'on parle de récidivistes et de prédateurs sexuels, on parle de gens qui ont déjà été condamnés. Ce ne sont pas simplement des suspects.

M. Cannavino: C'est exact.

Le sénateur Andreychuk: Pourquoi les dispositions législatives du Code criminel qui concernent les récidivistes ne pourraient-elles pas servir à retracer ces gens pour empêcher qu'il ne se produise quelque chose? S'il s'agissait de récidivistes sexuels, cela pourrait se traduire à un moment donné par une protection accrue pour la société si l'on peut invoquer les dispositions sur les récidivistes.

M. Griffin: Personnellement, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui présentent un risque mais qui passeraient au travers des mailles du filet. Comme vous le savez pour avoir lu la loi, la période est beaucoup plus longue que la durée de la peine, dans certains cas cinq ans, dans d'autres 10 ou 20 ans, voire à vie. C'est à la personne en question qu'il incombe d'enregistrer son adresse. À l'heure actuelle, une fois qu'un individu a purgé sa peine, il n'est pas obligé de fournir ce genre d'information. À la police, nous n'avons pas toujours accès à des données qui nous permettent d'identifier les délinquants présents dans la communauté. Cela transcende le régime pénal en offrant un cadre administratif qui permet d'utiliser ce genre d'information uniquement aux fins prévues par le projet de loi.

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à la question de la thérapie. Si j'ai bien compris le fonctionnement du système, lorsque quelqu'un est trouvé coupable, le juge peut lui ordonner, cela fait partie de la peine, de suivre une thérapie. Lorsque vous dites que la thérapie est insuffisante, voulez-vous dire qu'en général les tribunaux n'ordonnent pas assez souvent la thérapie? Ou alors que la thérapie ne marche pas, qu'elle n'est pas bien utilisée, qu'elle n'est pas bien gérée ou alors, parlez-vous en général du résultat de la thérapie, en ce sens que même si thérapie il y a, cela ne marche pas nécessairement? J'essaie de comprendre ce que vous vouliez dire lorsque vous avez déclaré que le programme de thérapie était insuffisant. C'est là quelque chose de très important compte tenu de ce que nous essayons de faire ici, et je voudrais vraiment savoir où réside le problème dans le système.

M. Cannavino: Dans notre introduction, nous citions le Livre rouge des libéraux de 1993. Le programme faisait état d'un manque de thérapie. Nous pensons également que cela est très important parce que, d'après ce que nous en disent les médecins et les psychiatres, les délinquants ont besoin d'aide, de thérapies et de consultation. Et même après leur remise en liberté, ils doivent continuer leur thérapie parce que le mal est incurable. Les délinquants sont donc obligés de suivre un traitement, mais dès qu'ils sont libérés, ils font ce que bon leur semble. S'ils veulent poursuivre leur thérapie, fort bien, mais rien ne les y oblige. Nous en convenons, la thérapie et la consultation sont extrêmement importants; mais pour les cas où un délinquant interrompt sa thérapie ou ne voit plus son thérapeute, nous avons besoin d'un outil de ce genre.

Par exemple, si un délinquant récidive et commet un autre délit sexuel, nous avons besoin de cet instrument pour pouvoir le rejoindre immédiatement, aussitôt que possible, pour que nous puissions l'éliminer et qu'il ne devienne pas un suspect pendant des semaines et des mois. Il y a deux volets ici. Nous sommes d'accord pour la consultation et la thérapie, mais nous avons également besoin de cet instrument parce qu'une fois que c'est fait, c'est fait.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je voudrais revenir sur cet objectif de rétroactivité que vous avez depuis le début. Je le respecte mais vous comprenez nos problèmes à faire coexister votre objectif et l'existence de la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Cannavino: Absolument.

Le sénateur Nolin: De la façon que le comité comprend ce projet de loi devant nous, il y a un élément de rétroactivité. Je vais revenir tout à l'heure à la question de l'Ontario et des autres provinces. Dans un premier temps, je veux qu'on s'entende. Vous comprenez comme nous qu'il y a un élément de rétroactivité en ce sens que le jour où le registre entrera en vigueur, tous ceux qui sont sujets à une sentence — dans votre présentation, vous avez énuméré une série d'options de sentence — et toute votre énumération étaient inclus dans le projet de loi.

M. Cannavino: Tous ceux qui ont été reconnus coupables et qui purgent présentement une sentence, ceux qui sont en libération conditionnelle, ceux qui sont en congé de jour pour retourner sur le marché du travail ou en réinsertion sociale, tous ces gens devraient être visés.

Le sénateur Nolin: Ils le sont?

M. Cannavino: Dans le projet de loi, oui. C'est la raison pour laquelle entre les amendements et le projet de loi initial, il y a eu un grand pas effectué.

Le sénateur Nolin: Autrement dit, vous êtes d'accord avec la rétroactivité?

M. Cannavino: On considère que le projet de loi répond à nos attentes parce que maintenant, vous allez retrouver des gens qui purgent des sentences, qui sont incarcérés actuellement et qui feront partie du registre. On demanderait un dernier petit effort sur le fait que cela ne devrait pas être de la discrétion d'un magistrat de décider, si oui ou non, une personne reconnue coupable d'un crime sexuel, fasse l'objet du registre. Cela devrait être un automatisme; une fois reconnu coupable de ce type de crime, cette personne devrait être dans le registre. Et pour cette personne, si les conséquences ne sont pas fortes ou ne sont pas vraiment d'une ampleur qui vont le faire réfléchir en lui disant: si tu ne t'enregistres pas, c'est dommage mais tu auras à recevoir une sentence et purger une peine d'emprisonnement qui sera assez sérieuse, ce sera justement dans le but de ne pas échapper au registre. Sinon, si les conséquences ne sont pas énormes ou d'une ampleur assez rigoureuse, la personne prendra la chance de ne pas s'enregistrer. Je pense que c'est le dernier volet.

Le sénateur Nolin: Vous soulevez un point qui n'est pas dans le projet de loi. On pourrait avoir un long débat à ce sujet. Je pense que les procureurs de la couronne devront faire leurs classes. Je présume qu'ils mettront en preuve devant les juges tout ce que vous nous avez soumis comme preuves scientifiques qui devraient nous amener à conclure que ces comportements sont incurables. On n'a pas cela devant nous et je ne veux pas vous y amener. Je pense que l'étude du projet de loi serait beaucoup plus longue si on avait ces éléments devant nous en ce moment.

J'en suis à la compréhension de l'élément de rétroactivité. Lorsqu'on lit «assujetti à une peine», c'est très long. Cela comprend ceux qui purgent du temps mais cela comprend aussi ceux qui sont en liberté inconditionnelle mais dont le temps n'est pas terminé. Autrement dit, l'épée de Damoclès pèse. Je veux qu'on s'entende. Quand une personne purge une sentence de dix ans d'emprisonnement qui a été réduite pour toutes sortes de raisons statutaires et où il reste deux ans à faire, le jour où le projet de loi entre en vigueur et que le registre est créé, automatiquement, cette personne doit se rapporter.

M. Cannavino: Pour une raison fort simple parce qu'on ne pense pas que le registre est une forme de punition. On ne pense pas que le registre vient ajouter à une sentence. Le registre est un outil pour les policiers. C'est la distinction. On veut viser qui? On veut viser ceux qui ont été non pas accusés — je pourrais comprendre qu'entre être accusé et être trouvé coupable, il y a toute une marge — mais on veut toucher tous ceux qui ont été reconnus coupables. Si vous bénéficiez d'une libération conditionnelle ou inconditionnelle ou quoi que ce soit, vous avez été trouvé coupable, donc vous avez commis un crime à connotation sexuelle. À ce moment, vous devriez être enregistré dans ce fameux registre national. C'est ce qui est important. On ne considère pas et on ne le voit pas comme étant punitif, comme étant un ajout à une sentence. Cela serait différent si c'était l'objectif. Mais pour nous, c'est strictement un outil administratif pour nous permettre d'accélérer et d'orienter notre enquête plus rapidement pour mettre la main au collet de celui qui a commis cette agression sexuelle.

Le sénateur Nolin: On n'a pas de problème avec cet objectif. On est comme vous. Deux chefs de police ont manifesté des doutes quant à l'applicabilité ou la mise en œuvre adéquate de la loi. On veut le savoir. Cela ne nous donne rien de faire des lois inapplicables ou qui seront portés devant les tribunaux.

On aura une saga qui durera cinq ans et nous devrons alors refaire tout le travail qui aurait pu être fait comme il faut dès le départ.

M. Cannavino: Je ne connais pas ces chefs de police qui ont fait ces remarques.

Nous représentons 54 000 policiers au Canada et 225 groupes. Plusieurs de ces groupes mènent des enquêtes sur des crimes de nature sexuelle. Lors de nos assemblées générales ou de nos conseils de direction, nous parlons de cette législation comme d'un outil en la comparant à certaines nouvelles lois qui ont du succès. Les objectifs que nous visons sont tout d'abord d'éliminer les suspects qui ne sont pas impliqués et d'arrêter les coupables d'acte criminels.

Si l'objectif était de punir ou d'ajouter à une sentence, je comprendrais votre remarque disant qu'il y a discrimination. Quant à nous, l'utilisation de cette banque de données n'est qu'un outil administratif.

Le sénateur Nolin: Ma dernière question est plus préoccupante. Le sénateur Andreychuk, la semaine dernière, devant les représentants du ministère, a soulevé un point sur lequel j'aimerais entendre vos commentaires.

Prenons l'exemple d'un individu demeurant en Ontario et d'un individu demeurant en Saskatchewan. Ces deux individus ont le même âge, ont commis la même infraction à la même date et ont reçu la même sentence. L'individu inscrit dans le registre de l'Ontario sera inclus dans le registre fédéral, et l'individu de la Saskatchewan, n'étant plus assujetti à la sentence, n'apparaîtra pas au registre. Comment pouvez-vous justifier cette inégalité?

M. Cannavino: Tout d'abord, indiquons qu'il manquerait des données en termes d'outil de travail.

Le sénateur Nolin: Supposons que vous disposez de toutes les données. Il s'agit de deux cas qui sont sujets à la même loi d'application générale.

M. Cannavino: Il ne s'agit pas pour nous d'un volet punitif. Ce qu'on tente d'obtenir le plus rapidement possible est une banque de données. Nous pourrons évidemment profiter du fait qu'en Ontario il existe un registre. Toutefois, en Colombie-Britannique, au Québec ou ailleurs où il n'existe pas de registre, j'ose espérer qu'il sera possible de colliger de l'information rapidement. S'il s'agissait d'un volet punitif, il y aurait en effet discrimination. L'objectif est d'avoir l'outil de travail. Par conséquent, à notre avis, il n'y a pas de discrimination.

Il s'agit strictement d'un outil visant à éliminer des personnes suspectes le plus rapidement possible. Si le modus operandi constaté sur la scène du crime se compare avec les données déjà incluses dans le registre, nous serons en mesure de procéder plus rapidement à une arrestation.

À notre avis, il n'existe aucun volet discriminatoire étant donné que l'usage est strictement administratif.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Je crains toujours qu'on abuse de ce genre d'instruments. J'en sais personnellement quelque chose. Je ne suis plus tout jeune et je me souviens de ces mandats en blanc délivrés prétendument pour des cas d'infraction à la législation sur les alcools et qui étaient utilisés lors d'enquêtes sur toutes sortes de crimes sauf ceux qui concernaient l'alcool. Ils se rendaient chez les trafiquants d'alcool, ils découvraient où se trouvaient les marchandises volées et quels étaient les trafiquants, et cetera. Lorsqu'un instrument est efficace, on a souvent tendance à en abuser.

Vous nous avez donc parlé d'un instrument qui pouvait vous permettre d'éliminer toute une série de suspects pendant l'enquête. C'est donc l'une des choses que vous faites. Mais comment le faites-vous? Comment pouvez-vous utiliser un tel instrument pour éliminer un groupe de suspects? Imaginons le cas d'une ville comme celle où je vivais jadis, une ville de 200 000 habitants, et où il y aurait un registre comptant un certain nombre de délinquants sexuels. Mettons qu'il y en aurait 50. Si un délit sexuel y est commis, allez-vous voir chacune de ces 50 personnes pour lui demander ce qu'elle faisait au moment du délit afin d'éliminer celles qui manifestement ne sont pas coupables?

M. Cannavino: Pour commencer, les enquêteurs se rendent sur le lieu du crime. Ils regardent ce qui s'est passé, le modus operandi. Ils cherchent des preuves matérielles.

Ensuite, ils peuvent chercher des preuves documentaires et consulter un registre pour voir s'il y a des délinquants sexuels dans les environs. Ils peuvent par exemple vérifier si le modus operandi correspond à l'un des dossiers. Cela, c'est une première étape.

Dans un deuxième temps, il serait alors facile d'aller parler à ces gens tout comme on pourrait le faire pour n'importe quel autre suspect. On va parler aux voisins, aux membres de la famille. Dans ce genre de crime, nous regardons un peu partout. Il faut que nous allions parler aux gens. Cela peut se faire rapidement parce qu'ainsi, nous pouvons éliminer ceux qui, à notre avis, ne sont pas coupables. À ce moment-là nous pouvons continuer l'enquête.

Voilà comment ce genre d'instrument nous serait utile. Certes, il faut être prudent avec ce genre d'outils. Vous parliez des mandats de perquisition généraux qui avaient cours il y a des années, je me souviens en avoir utilisé lorsque j'étais jeune policier. Notre patron nous disait: «Si vous vous servez de ce mandat de façon inappropriée, vous allez avoir de gros problèmes. On va vous accuser». Mais avec les années, les choses ont changé.

Le sénateur Bryden: Pour le mieux?

M. Cannavino: Regardez les effets de la réglementation sur le crime organisé. Au début, tout le monde avait peur de donner trop de pouvoir à la police. Au Québec, il ne reste pas beaucoup de Hells Angels parce que la plupart d'entre eux sont en prison, et ils y sont pour 20 ou 25 ans en raison des crimes qu'ils ont commis.

Nous avons besoin d'outils pour résoudre les crimes et protéger la population. Je ne sais pas pourquoi on a toujours peur de donner des pouvoirs à la police.

Le sénateur Bryden: Parce qu'il y a des policiers qui font peur.

M. Cannavino: Mais nous nous en occupons.

Le sénateur Bryden: Il y a eu des policiers corrompus à Toronto, des policiers qui faisaient du trafic de drogue. Et nous n'avons vraiment qu'effleurer la surface.

M. Cannavino: Vous savez, cela fait 31 ans que je suis policier. Je peux vous dire que dès que quelqu'un s'écarte du droit chemin, il paie.

Le sénateur Bryden: S'il se fait prendre.

M. Cannavino: Je n'aimerais vraiment pas avoir 54 000 flics à mes trousses.

Le sénateur Bryden: Ou qui me protègent.

M. Cannavino: Excusez-moi, sénateur, mais pendant ces 31 années de service dans la police, je peux vous dire que les rares policiers qui se sont écartés du droit chemin ont tous payé pour leurs crimes. Nous n'aimons pas travailler avec des corrompus.

M. Griffin: Le CIPC existe depuis au moins 30 ans. Il existe des règles rigoureuses concernant la divulgation sans autorisation de renseignements du CIPC. La réaction est rapide et lourde de conséquences. Peu importe qu'il s'agisse d'un policier ou d'un membre au civil d'un corps policier qui divulgue quelque chose sans en avoir l'autorisation, le plus souvent il est automatiquement renvoyé de la police. Je pense que le système fonctionne fort bien et que dès que quelqu'un entre dans la police, on lui fait clairement comprendre que ce genre d'information doit être traitée selon les règles, à défaut de quoi il risque de perdre son boulot et que c'est fort probablement ce qui va lui arriver.

M. Cannavino: Cette information ne peut pas servir à n'importe qui. Si un policier fait enquête sur le lieu d'un crime sexuel, il y a accès, mais le premier venu qui voudrait vérifier combien de délinquants sexuels vivent dans son quartier n'y a pas accès. Il ne peut pas le faire.

Le sénateur Bryden: Je comprends cela. Je devine un peu ici, parce que j'ignore combien il pourrait y avoir de délinquants sexuels inscrits au registre d'une ville de 50 000 ou 100 000 habitants. Vous le savez peut-être; une vingtaine?

M. Cannavino: Cela dépend. Si un crime est commis, mettons, quelque part dans le centre de l'Ontario, les inspecteurs ne vont pas chercher à savoir combien il y a de délinquants sexuels en Ontario. Ils vont se limiter à un certain périmètre.

Le sénateur Bryden: Je comprends cela, j'aimerais simplement savoir ce qui pourrait être considéré comme un périmètre normal.

M. Cannavino: En Ontario, il y a entre 6 000 et 7 000 délinquants sexuels.

Le sénateur Bryden: Sont-ils majoritairement dans les villes?

M. Cannavino: La seule chose que le registre de l'Ontario nous apprend, c'est qu'il y en a entre 6 000 et 7 000.

Le sénateur Bryden: Je ne pense pas que ce soit le cas, mais vous avez parlé de l'utilité de l'ADN lorsqu'il s'agit pour vous d'éliminer des suspects. Dans certains pays — et c'est peut-être le cas ici, je l'ignore — il est possible de donner volontairement un échantillon d'ADN à des fins de comparaison, pour se faire éliminer de la liste des suspects dans le cas d'un crime violent ou d'un meurtre. Est-ce la même chose ici?

M. Cannavino: Quelqu'un qui est soupçonné peut toujours dire à l'inspecteur qu'il accepte de donner un échantillon d'ADN. Il pourrait spontanément lui dire: «Je ne suis pas la personne que vous recherchez et si vous voulez en avoir la preuve, je suis prêt à vous donner un échantillon». C'est tout à fait possible.

Le sénateur Bryden: Tout dépend évidemment de la taille de l'agglomération, si 50 à 70 p. 100 des individus ont pu être convaincus de donner volontairement un échantillon d'ADN, on en arrive progressivement à un point où quiconque refuse — ce qui est son droit — de donner un échantillon de son ADN risque en toute vraisemblance de voir ses droits violés. Il sera suspect par le seul fait qu'il n'est pas prêt à prouver qu'il n'aurait pas pu être là ou qu'il n'aurait pas pu commettre le crime. Je sais que cela s'est déjà produit dans certaines localités d'autres pays. Lorsque vous affirmez que l'existence de ce registre n'est pas une peine supplémentaire, n'est-il pas vrai que, dès lors que votre nom y est porté, jusqu'à la fin de vos jours par exemple, vous risquez d'être interrogé à tout moment par la police sitôt qu'un délit sexuel a été commis dans les environs?

M. Cannavino: Pas nécessairement. La première chose que nous faisons, c'est une enquête sur les lieux du crime. Il y a des choses qui vont apparaître. Dans notre jargon, nous disons que la scène du crime nous parle. Si nous avons accès au registre, cela nous donnera certaines réponses au sujet de telle ou telle possibilité.

Je vous parlais un peu plus tôt du modus operandi. Ce modus operandi est extrêmement éloquent.La description d'une personne l'est également. Si cela ne correspond pas à la description de la personne qui a été témoin du crime, on ne lui téléphonera même pas. Cela permet d'éliminer automatiquement certaines personnes. Voilà donc les premières étapes de l'enquête. S'il semble y avoir une correspondance, à ce moment-là les inspecteurs vont aller voir la personne en question. Si nous pouvons éliminer rapidement un suspect possible, tant mieux, cela nous permet de concentrer nos efforts ailleurs. Mais cela dit, avant d'aller rendre visite à quelqu'un, il y a de très nombreuses autres étapes.

Le sénateur St. Germain: Moi qui ai servi dans la police pendant cinq ans dans deux corps policiers différents, je peux vous dire qu'il y a un subtil juste milieu en ce qui concerne les pouvoirs donnés à la police. Cela dit, comme le témoin l'a lui-même déclaré, personne ne va s'en prendre à un policier avec plus de férocité qu'un autre policier, si le premier a fait quelque chose de mal. J'étais policier moi-même, et j'ai directement participé à des poursuites contre des confrères qui avaient trahi la confiance que la population avait placée en eux. Je peux vous assurer que, si vous pensez que les policiers vont poursuivre un criminel avec acharnement, vous n'avez aucune idée de l'acharnement qu'ils mettront à coincer un des leurs.

Parlant d'enfants, rien au monde ne donne un tel sentiment de vide que le fait de voir une scène de meurtre ou d'agression sexuelle dont un enfant a été la victime. Beaucoup de choses se sont produites depuis 30 ou 40 ans, depuis que je ne suis plus policier, mais je peux vous dire que c'est un sentiment de vide parce que, étant un être humain, on veut obtenir un résultat rapidement. Dans l'affaire Brampton, s'il y avait eu un registre, si le gamin avait été détenu pendant deux jours, les inspecteurs chargés de l'enquête aurait eu une chance.

Je voudrais demander aux sénateurs de se livrer à une introspection profonde et de penser aux enfants. Ce sont les enfants qui sont les grandes victimes de ce genre de crimes.

Le sénateur Cools: Je voudrais à mon tour souhaiter la bienvenue aux témoins et leur dire que, comme d'habitude, c'est toujours un plaisir de les voir. Vous nous avez fait découvrir énormément de choses.

Pour être franche avec vous, monsieur le président, il faut reconnaître que le comité n'a entendu aucun témoignage au sujet de certaines de ces questions et peut-être devrions-nous convoquer des témoins précisément pour cela. Les questions qui m'intéressent plus particulièrement concernent ce qu'il faudrait appeler les potentialités de traitement des délinquants sexuels.

Ce ne sont pas tous les délinquants sexuels qui peuvent être soignés. Certains oui. Si nous pouvions commencer au tout début, sur les 6 000 à 7 000 délinquants sexuels, restons clair — en Ontario, combien y a-t-il de délinquants sexuels qui ont commis leur crime de manière aléatoire ou isolée et qui ne sont pas pour autant des déviants? Ce n'est pas la même chose. Souvent, une agression sexuelle est un fait isolé, le résultat d'un rendez-vous qui a très mal tourné, mais qui ne dénote pas nécessairement une habitude de la part de l'agresseur; il n'y a pas de déviance dans ces cas-là.

Ainsi, savons-nous quel est le pourcentage de tous ces délinquants sexuels qui sont des déviants, si c'est toujours le terme en usage, et sur ce nombre de déviants, savons-nous quel est le pourcentage d'entre eux qui sont susceptibles de répondre à une thérapie?

Il y a énormément d'états pathologiques qui ne répondent tout simplement pas à une thérapie, et il y a également de nombreux délinquants auxquels on ne parvient de toute manière pas à faire accepter une thérapie.

Peut-être devrions-nous entendre un témoin qui puisse nous parler de la phénoménologie de ces délits sexuels. J'ai le sentiment en effet que nous ratissons très large.

Comme vous faites vous-même des enquêtes, vous devez savoir de quoi je parle.

Moi, j'ai siégé à une commission des libérations conditionnelles, et on sait tout de suite quelles sont les pommes pourries.

M. Cannavino: Effectivement, nous ne pourrions pas vous donner le pourcentage de déviants. Nos policiers ont vu tellement de scènes de crime que c'en est incroyable. Il y a des médecins ou des psychiatres qui les qualifient de prédateurs sexuels parce que, lorsqu'on voit les victimes, on a tendance à penser que seul un animal sauvage pourrait faire ce genre de choses. C'est précisément pour cette raison que les psychiatres parlent de prédateurs.

Mais comme je vous le disais, il nous est impossible de vous donner le pourcentage de déviants ou de délinquants qui seraient enclins à abandonner la thérapie.

Le sénateur Cools: Vous n'avez pas le moyen de le savoir.

M. Cannavino: Non.

Le sénateur Cools: Monsieur le président, il s'agit d'un domaine de spécialité qui est peu courant. Puisque nous en entendons beaucoup à ce sujet, nous pourrions peut-être faire comparaître des psychiatres qui travaillent dans ce genre d'établissements. La plupart des pénitenciers ont une aile psychiatrique. Nous devrions citer à comparaître des psychiatres légistes.

Dans le droit fil de ce que nous disent ces messieurs, pendant des années, la plupart des gens pensaient qu'un violeur était somme toute quelqu'un ayant des pulsions sexuelles très fortes, alors que ce n'est pas le cas. On peut lire des rapports à ce sujet. Il y a des victimes qui semblent avoir été attaqués par un animal sauvage, les sévices les plus atroces leur ont été faits.

Il serait donc bon que nous puissions avoir une meilleure idée du genre de personnes contre lesquelles nous légiférons. Je ne peux m'empêcher d'avoir le sentiment que nous sommes vraiment dans le noir. Je sais de quoi vous parlez.

Le président: Monsieur Cannavino et monsieur Griffin, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps d'être venus aujourd'hui nous faire part de vos observations et de votre savoir. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos activités.

Honorables sénateurs, passons à la deuxième partie des points inscrits à l'ordre du jour, car nous disposons de la salle pendant un certain temps seulement.

Les membres du comité connaissent bien le prochain témoin. Nous souhaitons la bienvenue à notre collègue, M. Svend Robinson, qui va nous familiariser avec les dispositions du projet de loi C-250. Comme chacun le sait, c'est M. Robinson qui a parrainé ce projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des communes.

À vous la parole, monsieur Robinson.

M. Svend J. Robinson, député (Burnaby—Douglas): Honorables sénateurs, je suis fier et heureux de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, afin d'appuyer le projet de loi C- 250.

J'ai effectivement parrainé ce projet de loi à la Chambre des communes, mais je voudrais signaler que j'ai bénéficié de l'appui considérable d'une trentaine de députés de la Chambre pour le faire adopter.

Je dispose de peu de temps et voudrais avoir l'occasion de répondre aux questions des honorables sénateurs. Je voudrais tout d'abord profiter de l'occasion pour remercier le parrain du projet de loi au Sénat, le sénateur Joyal, qui est également membre du présent comité.

Je suis loin de pouvoir égaler l'éloquence dont il a fait preuve en évoquant les objectifs et l'importance du projet de loi. J'ai en effet pu examiner la transcription des discours prononcés au Sénat au sujet du projet de loi et constater avec quelle ferveur et quel talent le sénateur Joyal avait défendu le projet de loi.

Il est de tradition pour le Sénat de jouer un rôle dans la protection des minorités. C'est une des fonctions vitales qu'il joue. On l'a constaté lors du débat sur le projet de loi, des deux bords du Sénat. Parmi les prises de position en faveur du projet de loi, j'ai notamment relevé celle du sénateur Kinsella, ainsi que de membres du Parti conservateur, comme du Parti libéral.

Il est possible d'avoir un débat animé, ne serait-ce que pour savoir s'il est même nécessaire d'adopter des mesures législatives contre la propagande haineuse. Le sénateur Cools, par exemple, a bien mis les choses en perspective, en examinant en détail les antécédents du projet de loi. Son origine remonte à 1970, après le rapport du Comité de Maxwell Cohen. À l'époque aussi, il y avait des gens qui estimaient que le Canada n'avait aucunement besoin de mesures législatives contre la propagande haineuse. Cependant, dans sa sagesse, le Parlement a adopté cet amendement au Code criminel, en 1970.

À l'époque, il aurait été impensable d'inclure l'orientation sexuelle dans l'amendement. C'était en effet l'année, 1970, où l'homosexualité venait juste d'être décriminalisée — par le premier ministre Trudeau et le ministre de la Justice, M. Turner. Il aurait donc été impensable d'inclure l'orientation sexuelle dans les mesures législatives contre la propagande haineuse.

Une fois admis le principe selon lequel des mesures législatives contre la propagande haineuse sont nécessaires, j'avance, honorables sénateurs, qu'il convient d'écouter les témoignages de ceux qui sont aux premières lignes quand il s'agit de crimes haineux. Or, si vous demandez qui est visé par les crimes haineux au Canada aujourd'hui, quelle réponse vous donne-t-on?

Que le groupe le plus fréquemment victime d'agressions haineuses au Canada est un groupe qui pour l'instant n'est pas mentionné dans les articles sur la propagande haineuse du Code criminel. C'est ce dont attesteront les représentants de l'Association canadienne des chefs de police, que vous entendrez demain, je crois, notamment l'inspecteur Dave Jones, qui était à la tête de l'unité des crimes haineux du service de police de Vancouver.

Les témoignages de la police montreront clairement l'importance de la race, de la couleur de la peau ou de l'origine ethnique dans les motifs existants. Nous souhaitons tous condamner fortement toute haine ou violence visant des groupes du fait d'antisémitisme et d'insultes raciales ou pour d'autres motifs.

Mon projet de loi est bref, mais d'une importance vitale. Il pose un principe: que le même niveau de protection devrait s'appliquer aux personnes gaies et lesbiennes — ni plus ni moins.

Le projet de loi reçoit un appui solide dans tout le pays. Il est appuyé par tous les procureurs généraux du Canada. Je rappelle aux sénateurs que cela comprend des procureurs généraux de toutes les affiliations politiques, y compris le procureur général de l'Alberta, Dave Hancock, qui s'est dit très en faveur de ce projet de loi. Cette mesure est également appuyée par l'ancien ministre de la Justice, Martin Cauchon, ainsi que par le ministre actuel de la Justice, Irwin Cotler. Il est en outre appuyé par l'Association canadienne des chefs de police, ainsi que par l'Association canadienne des commissions de police, qui est composée de citoyens de partout au pays qui examinent cette mesure législative.

On pourrait certes faire valoir que d'autres motifs pourraient plus tard être inclus dans les lois contre la propagande haineuse. Pour ma part, je serais tout à fait d'accord pour qu'on y inclue entre autres le sexe, l'identité sexuelle et l'expression sexuelle. Je sais que le sénateur St. Germain a mentionné la possibilité d'y inclure le pays d'origine. D'autres motifs ont été proposés mais votre comité n'en est pas saisi aujourd'hui. Ce dont il est saisi, c'est d'un projet de loi qui a été adopté par la Chambre afin d'inclure le motif de l'orientation sexuelle.

Honorables sénateurs, deux grandes questions ont été soulevées dans le débat au Sénat et à la Chambre de communes. L'une d'entre elles est la définition de l'orientation sexuelle. Certains sénateurs ont dit qu'en incluant le motif de l'orientation sexuelle dans les dispositions du Code criminel en matière de propagande haineuse, on permettrait d'y inclure également des choses comme la bestialité et la pédophilie. Ils disent que c'est inacceptable.

J'ai deux réponses à cela. Tout d'abord, la mention de l'orientation sexuelle n'a rien de nouveau dans la jurisprudence canadienne. Cette expression est utilisée dans le droit canadien depuis 1977.

[Français]

C'était justement dans la province de Québec, en 1977, qu'on a adopté une modification à la loi. C'était la première province.

Le sénateur Nolin: Dans la Charte.

M. Robinson: Dans la Charte des droits et libertés au Québec.

[Traduction]

Depuis 1977, toutes les provinces et tous les territoires ont inclus l'orientation sexuelle. L'orientation sexuelle est également inclue dans les dispositions du Code criminel en matière de gravité des peines. Cette notion n'a jamais été interprétée de façon à inclure des actes illégaux comme la pédophilie et la bestialité, ni au Canada ni ailleurs au monde. Ce sont des actes illégaux qui n'ont rien à voir avec cette définition de l'orientation sexuelle.

La deuxième question soulevée est celle de la protection de la liberté de culte et de la liberté d'expression. C'est une question qui me tient à coeur. J'ai lutté durant toute ma carrière politique pour défendre la liberté de culte et la liberté d'expression. D'après certains, ce projet de loi pourrait porter atteinte à ces libertés. Honorables sénateurs, ce n'est pas le cas. La Cour suprême du Canada a maintenu dans l'affaire Keegstra la validité des dispositions actuelles en matière de propagande haineuse par une mince majorité de quatre contre trois. En maintenant ces dispositions, la Cour suprême a fixé un seuil très élevé pour les poursuites en vertu des dispositions du Code en matière de propagande haineuse. En fait, le sénateur Cools a elle-même fait remarquer que ce seuil était élevé. Elle a fait remarquer que les crimes haineux sont très rares. La Cour suprême du Canada a fixé un seuil élevé. Il me fera plaisir, si vous posez la question, de citer ce qu'a dit le juge en chef Dickson au sujet de ce seuil et des critères applicables aux poursuites.

Honorables sénateurs, il n'y a eu que cinq poursuites en vertu des dispositions du Code criminel en matière de propagande haineuse depuis 1970. Il n'y a eu aucune poursuite pour génocide non plus que pour incitation à la haine. Toutes ces poursuites étaient en vertu des dispositions sur la propagande haineuse.

L'exclusion des gais et des lesbiennes des mesures de protection égale offerte par les dispositions en matière de propagande haineuse signifie que la vie des gais et des lesbiennes a moins de valeur et que notre sécurité est moins importante. C'est lancer là un message très destructeur à nos jeunes. Nous avons entendu des témoignages à cet effet. J'étais au Sénat lorsque le sénateur Carstairs a parlé avec éloquence des jeunes. Le sénateur Joyal et le sénateur LaPierre, entre autres, ont parlé du pouvoir des mots.

Je me souviens en tout cas du pouvoir qu'ont eu les mots pour un jeune garçon de 14 ans nommé Hamed Nostoh. Je n'oublierai jamais le temps que j'ai passé avec ses parents, assis dans leur salon, à Surrey, en Colombie-Britannique, à côté de la collectivité que je représente. Hamed Nostoh est parti de l'école, il a rempli son sac à dos de pierres, il a laissé une lettre d'explications, il s'est rendu au pont Pattullo et il s'est suicidé en sautant de ce pont. S'il a commis cet acte, c'est qu'il ne pouvait plus supporter l'angoisse et la douleur provoquées par les mots qui lui étaient lancés: fifi, tapette. Il n'était pas gai, mais ce sont des mots puissants qui l'ont tué.

Ce projet de loi est surtout symbolique; je suis le premier à le reconnaître. Il ne donnera pas lieu à de nombreuses poursuites. Et pourtant, il est d'un symbolisme énorme car il dit aux gais et aux lesbiennes que notre vie et notre sécurité sont aussi importantes que celles des autres.

Le projet de loi donnera également des ressources accrues aux policiers qui en ont besoin. Un dénommé Fred Phelps voulait venir au Canada pour y répandre la haine. Certains sénateurs de votre comité savent que M. Phelps a un site Web intitulé www.godhatesfags.com. On peut y voir une photo de Matthew Shepherd brûlant en enfer. M. Phelps fait la promotion de la violence, des coups et de la haine. Il voulait venir au Canada pour répandre cette haine. Pat Callaghan, qui dirige l'unité des crimes haineux du service de police d'Ottawa, a déclaré que si cette haine était dirigée vers une autre minorité, une minorité raciale ou religieuse, nous pourrions signifier à M. Phelps que nous ne voulons pas de sa propagande au Canada.

Si cette propagande s'adressait aux catholiques, aux juifs ou aux noirs, des accusations seraient portées. Si ce projet de loi avait déjà adopté, nous n'aurions pas à nous occuper de ce cas ridicule lundi. Nous aurions pu lui dire que s'il venait ici pour répandre la haine, il serait arrêté.

Voilà le Canada dans lequel je veux vivre, monsieur le président. J'exhorte les honorables sénateurs à appuyer ce projet de loi. Peut-on améliorer les dispositions du Code criminel? Absolument. Devraient-elles être améliorées? Tout à fait. J'ai déposé ce projet de loi une première fois il y a près de 15 ans. L'appui à cette mesure a constamment augmenté. Elle a été adoptée par une majorité importante de députés à la Chambre des communes. Je crains tout retard pour l'adoption de ce projet de loi. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions à son sujet. Je sais que certains ont posé des questions au sujet du génocide. Le sénateur Grafstein a parlé de cette question avec éloquence durant le débat, lorsqu'il a fait remarquer que les homosexuels avaient également été la cible de l'Holocauste. Les nazis marquaient d'un triangle rose et d'une étoile jaune ceux qui étaient différents.

Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir entendu mon témoignage au sujet de ce projet de loi. Je suis prêt à répondre à vos questions. Je vous signale que c'est une question qui continue d'être préoccupante en ce qui a trait à la violence.

La semaine dernière encore, le maire de Hamilton a dit qu'une attaque contre l'un d'entre nous est une attaque contre tous. Il a déclaré: «Alf, il est inacceptable que je puisse être attaqué parce que je suis une personne de couleur, parce que je suis gai, lesbienne, bisexuel ou transsexuel, ou encore parce que je pratique une religion plutôt qu'une autre. Cela ne peut pas être toléré. Nous devons lutter contre cela avec la dernière des énergies».

Voilà ce que fait ce projet de loi, monsieur le président. J'espère qu'il recevra le plus fort appui possible de votre comité et du Sénat.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Robinson, c'est un plaisir de vous rencontrer. Ma question la plus importante vient de ce que, depuis 27 ans que je suis sénateur, je n'ai jamais reçu autant de courrier au sujet d'un dossier.

Vous êtes un social démocrate éminent et vous avez toujours défendu la liberté d'expression. Je ne suis pas un grand expert de la Bible, mais j'ai consulté les extraits de la Bible qui soulèvent la controverse. Plus encore, des dirigeants du clergé, et personne ne peut dire que ce sont des ignorants, car ils n'en sont pas, ont exprimé leur opinion. Ils se sont dits très préoccupés au sujet de leur capacité de continuer à pratiquer leur religion et à se prononcer sur ce qui est écrit dans la Bible. D'après eux, ce projet de loi brimerait leur liberté de pratiquer leur culte de façon traditionnelle. Ils estiment que ce projet de loi est une entrave à la liberté d'expression et à la liberté de culte.

Je sais que vous avez parlé de cela. Vous connaissez mes antécédents, monsieur Robinson. J'ai été policier; j'ai travaillé dans la rue, je ne suis pas naïf. Il me semble que, chaque fois que nous adoptons une mesure législative dans cet endroit, nous perdons tous un petit peu de notre liberté.

Je ne nierai pas, bien sûr, que j'ai eu connaissance d'actes terribles qui ont été commis contre la communauté gaie dans les rues de Vancouver quand je faisais partie de la police là-bas et à Winnipeg où j'ai aussi été policier. D'après l'information que j'ai reçue et d'après ce qu'on m'a dit, le projet de loi dont nous sommes saisis constitue vraiment un empiétement sur la liberté de parole et la liberté d'expression en ce qui concerne la religion. Voudriez-vous que j'apporte plus de précisions?

M. Robinson: Sénateur St. Germain, je serai heureux d'apporter des précisions, puisque c'est là la principale objection des opposants au projet de loi. Vous avez parfaitement raison. Vous avez raison également au sujet du courrier. Vous pouvez imaginer ce que je reçois comme courrier sur cette question. Il y a eu une vaste campagne de pression. Des pages entières de publicité ont paru dans le Globe and Mail et le National Post, où l'on disait que, si la mesure était adoptée, la Bible serait interdite. C'est tout à fait faux.

Deux points me permettront d'expliquer cette affirmation. Premièrement, les dispositions relatives à la propagande haineuse qui se trouvent dans le Code criminel à l'heure actuelle prévoient expressément une exemption dans le cas de la personne qui exprime une opinion fondée sur un sujet religieux. Ainsi, l'alinéa 319(3)b) dispose que:

Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction prévue au paragraphe (2) dans les cas suivants:

b) il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou tenté d'en établir le bien-fondé par discussion;

Cette exemption existe déjà dans le Code.

Le sénateur St. Germain: Puis-je intervenir? Vous connaissez vraiment bien le sujet. Mais le projet de loi, s'il était adopté, n'aurait-il pour effet d'obliger la personne à se défendre, alors qu'à l'heure actuelle, chacun est libre de pratiquer sa religion sans avoir à se défendre?

M. Robinson: Pas du tout. Il est question ici d'une infraction criminelle. En droit pénal, il appartient à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable que l'infraction a été commise. Vous vous souvenez sûrement de cela puisque vous avez été policier. C'est le Code criminel qui le veut. Ce n'est pas la Loi sur les droits de la personne qui le veut, mais bien le Code criminel.

Le premier point, c'est donc que l'actuel Code prévoit cette mesure de protection. Cependant, à cause des préoccupations que la question avait soulevées dans le pays tout entier, j'ai travaillé en étroite collaboration avec des parlementaires de toutes les formations politiques à la Chambre, et j'ai accepté qu'on apporte un amendement à mon projet de loi. Cet amendement a en fait été adopté au cours du débat à la Chambre. Une fois qu'il a été adopté sans amendement en comité, j'ai accepté, à cause de certaines des préoccupations qui avaient été soulevées, un amendement qui a été adopté à l'unanimité à la Chambre. Cet amendement avait pour effet d'élargir le sens du mot «opinion» afin d'inclure une opinion fondée sur un texte religieux. L'article 2 du projet de loi précise notamment que l'alinéa 319(3)b) du Code criminel est remplacé par ce qui suit: «ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit».

On a justement ajouté ces mots en réponse à la préoccupation que vous exprimez et qui avait été soulevée. Dans l'exemption que je viens de citer, sénateur St. Germain, il est fait expressément mention d'un texte religieux. La mention inclut donc, non seulement la Bible, mais aussi le Coran et tout autre texte religieux. À ce propos, je tiens à signaler que, parmi les principaux chefs religieux au pays, aucun n'a fait part de son opposition au projet de loi étant donné l'amendement qui a été adopté.

Le sénateur St. Germain: Vous voudriez bien répéter?

M. Robinson: Parmi les chefs des grandes religions au Canada, aucun, à ma connaissance, n'a fait part de son opposition au projet de loi. Je veux parler ici, par exemple, de l'Église unie, de l'Église anglicane, de l'Église catholique, de la communauté juive, de la communauté musulmane et de la communauté bouddhiste. Je ne dis pas cependant qu'il n'y a aucun chef religieux qui ne s'y oppose. Ainsi, l'Alliance évangélique du Canada continue à s'opposer au projet de loi. Cela ne fait aucun doute. Dans l'ensemble, cependant, l'opposition au projet de loi n'existe pas.

Voici le dernier point que je tiens à présenter: pour qu'une poursuite puisse être intentée, il ne suffit pas de citer les versets de la Bible qui disent que les homosexuels devraient être mis à mort — je les connais presque tous par coeur, comme ceux de l'Épître aux Romains et du Lévitique. Je les connais bien. On me les a cités maintes fois au fil des ans. Il ne suffit pas de citer ces versets ou ces passages bibliques d'une manière ou d'une autre. Il faut faire bien plus que cela. Pour qu'une poursuite puisse être intentée, et je cite ici le juge en chef Dickson dans l'affaire Keegstra:

Le verbe anglais «promotes» comporte donc davantage que simplement encourager ou favoriser. Le fomentateur de la haine doit avoir l'intention d'exciter directement et activement la haine contre un groupe identifiable ou prévoir cette conséquence comme presque certaine.

Autrement dit, sénateur St. Germain, il doit avoir l'intention de promouvoir la haine contre un groupe. Qu'est-ce que la «haine» selon le juge en chef Dickson? Voici ce qu'il dit dans la décision Keegstra:

La haine suppose la destruction et il s'ensuit que la haine contre des groupes identifiables se nourrit de l'insensibilité, du sectarisme et de la destruction tant du groupe cible que des valeurs propres à notre société. La haine prise dans ce sens représente une émotion très extrême à laquelle la raison est étrangère; une émotion qui, si elle est dirigée contre les membres d'un groupe identifiable, implique que ces personnes doivent être méprisées, dédaignées, maltraitées et vilipendées, et ce, à cause de leur appartenance à ce groupe.

Il s'agit là d'un critère très rigoureux.

Le sénateur St. Germain: Je suis d'accord avec vous. Nous avons reçu un commentaire de quelqu'un qui vous appuyait. Je ne veux pas nommer la personne, puisque des excuses ont été faites. Mais dans le quotidien de ma province, on disait ceci: «Seigneur, mais vous êtes malade. Le Seigneur devrait vous tuer sur-le-champ».

Le sénateur Cools: Mon Dieu, ne faites pas cela!

Le sénateur St. Germain: C'est ce qu'a dit un des défenseurs du projet de loi quand on l'a interrogé sur le bien-fondé d'inclure l'orientation sexuelle dans les crimes motivés par la haine.

Quand on pense à l'affaire Keegstra — je suis d'accord avec vous pour dire que, selon toute vraisemblance, une poursuite ne pourrait être intentée que dans des circonstances extrêmes. Dans le même souffle, je dirais, cependant, que si jamais il y avait possibilité d'abus, la liberté l'emporte de beaucoup sur la nécessité à mon avis. Je suis à même de constater que nous avons évolué comme société en ce qui concerne les questions touchant les homosexuels et l'orientation sexuelle à tel point que nous sommes devenus les plus tolérants qui soient, alors que ce n'est pas vraiment nécessaire. Voilà mon opinion. Elle est peut-être motivée — je dois être franc — par mes antécédents chrétiens.

Pour moi, par exemple, le sexe avant le mariage n'est pas acceptable. Je sais que la société dans son ensemble ne partage pas du tout cette opinion. Je ne veux pas minimiser ce que vous essayez d'accomplir, mais je tiens à ce que vous compreniez pour votre part la communauté dont je suis issu et la façon dont je vois le monde. Vous dites que les grandes organisations religieuses n'ont pas formulé de critiques, mais il n'en reste pas moins que des membres influents du christianisme qui sont des dirigeants ne veulent pas de ce projet de loi tel qu'il est énoncé.

Il s'agit là, bien entendu, d'une réaction émotive motivée par des convictions religieuses. Je ne fais que vous présenter ma position, monsieur, sur un ton sincère et modéré, parce que je vous connais depuis une vingtaine d'années. Nous avons voyagé ensemble. Nous avons discuté et travaillé ensemble. J'ai du respect pour vous. Je dois toutefois vous dire, monsieur, sauf tout le respect que je vous dois, que je vais voter contre cette mesure. Je ne sais pas s'il y aura un vote ou ce qu'il adviendra, mais je tenais à ce que vous sachiez exactement le fond de ma pensée. J'ose espérer que vous allez être aussi compréhensif que je le suis moi-même de ce que vous essayez d'accomplir.

M. Robinson: Brièvement, je respecte parfaitement votre position. Je crois savoir qu'il y aura un vote libre sur la question. J'ose croire que la question sera mise aux voix dans un avenir pas trop lointain.

Dans le même souffle, vous avez parlé des groupes religieux qui avaient exprimé leur opposition. Je voudrais rappeler aux membres du comité que ces mêmes groupes — et j'entends par là des groupes comme l'Alliance évangélique du Canada, Focus on the Family, ou encore REAL Women, et il y en a d'autres — se sont systématiquement prononcés contre tous les projets de loi qui auraient favorisé l'égalité et le respect à l'endroit des homosexuels et des lesbiennes. Je le sais, parce que j'ai assisté à toutes les séances de comité sur ce sujet. Nous pourrions en discuter, mais il n'empêche que ces groupes ne sont pas favorables à l'égalité dans les lois sur les droits humains. Ils se sont exprimés contre. Ils ont dit que si nous modifions la Loi canadienne sur les droits de la personne, cela ouvrirait tout grand la porte à la pédophilie et à la bestialité. Cela, c'était il y a plus de dix ans, et cela ne s'est jamais concrétisé.

Il faut donc prendre avec un grain de sel la position qu'ils adoptent au sujet de mon projet de loi en se souvenant de leur position, il n'y a pas si longtemps de cela, en ce qui concerne la protection des droits humains fondamentaux.

Le président: Avant de donner la parole aux sénateurs Nolin et Smith, je voudrais vous rappeler le paragraphe 319(6) et l'intervention du sénateur St. Germain au sujet de déclarations dans un contexte autre qu'une conversation privée. Aucune poursuite ne peut être intentée dans ces cas-là sans l'autorisation du procureur général. Je voulais que ce soit clair.

Le sénateur Nolin: C'est précisément ce que je voulais faire valoir. C'est une autre balise.

Le sénateur Cools: Pourrais-je également poser une question complémentaire sur le même sujet?

Le sénateur Smith: Ma question s'adresse au sénateur St. Germain. Avez-vous le même sentiment au sujet des autres catégories — la couleur de peau, la race, la religion ou l'origine ethnique —, ou l'affinité sexuelle est-elle la seule catégorie qui vous mette mal à l'aise? Quel est votre sentiment au sujet des autres, lorsqu'on parle de «liberté d'expression»?

Le sénateur St. Germain: Je ne suis pas certain qu'une société civilisée ait vraiment besoin d'une loi comme celle-là. Je pense que nous parlons ici de quelque chose de très précis. Je serais parfaitement disposé à en parler avec vous ultérieurement. J'ai également une opinion sur la question, et cette opinion ne correspond pas nécessairement à ce que dit la loi.

Le président: Sénateur St. Germain, je ne veux pas vous couper la parole, mais nous avons un témoin.

M. Robinson: La question est excellente.

Le président: Nous n'avons pas énormément de temps. Je vais donner la parole au sénateur Cools, puis au sénateur Jaffer.

Le sénateur Cools: J'aurais une question complémentaire dans la même veine.

Monsieur Robinson, vous avez cité le juge en chef Dickson dans l'arrêt Keegstra. Vous pourriez peut-être compléter cela en citant également une opinion dissidente, par exemple celle de madame le juge McLachlin. Il faut en effet que le procès-verbal soit équitable.

M. Robinson: À ce sujet bien sûr...

Le sénateur Cools: Vous l'avez sans aucun doute dans vos documents.

M. Robinson: L'honorable sénateur sait sans nul doute qu'au Canada, le droit et la jurisprudence sont fondés non pas sur des opinions minoritaires dissidentes exprimées dans le cadre de jugements, mais bien d'arrêts émis à la majorité, et ce que dit le juge en chef Dickson représente bien ce que dit un arrêt rendu à la majorité...

Le sénateur Cools: Je ne vous demandais pas de me dire ce que je sais déjà, je vous demandais de citer également l'opinion d'autres membres du tribunal parce qu'à mon avis, ce que ces juges avaient à dire est instructif et édifiant.

M. Robinson: Peut-être, mais il n'empêche que leurs propos ne traduisent absolument pas une tendance du droit qui puisse éclairer le comité.

Le sénateur Cools: Cela veut dire que vous ne voulez pas la citer?

M. Robinson: C'est bien cela.

Le sénateur Cools: Il est prêt à donner à n'importe qui le droit de le dire, mais il ne veut pas le répéter pour nous.

Le sénateur Nolin: Nous pouvons facilement distribuer le texte de l'opinion dissidente aux membres du comité, car ce texte existe effectivement.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Robinson, j'admire votre persistance toutes ces années pendant lesquelles vous avez travaillé sur ce projet de loi. Je dois vous dire, et je parle ici à titre de quelqu'un qui vient de la même région que vous, Vancouver, que votre présence ici fait honneur à la peine qu'éprouvaient la famille Irani et la famille Webster, ainsi que la population de Vancouver, y compris les policiers, au moment du décès de M. Webster au parc Stanley, et je suis donc très heureux de vous voir ici.

Je trouve intéressant que mes collègues parlent de liberté d'expression. Vous qui êtes très au fait du processus du projet de loi, voudriez-vous nous dire si ces mêmes arguments, qui ont été présentés lorsque le sénateur Smith a parlé de l'inclusion de la couleur, de la race, de la religion et de l'origine ethnique dans la propagande haineuse, comprenaient la liberté d'expression à cette époque également?

M. Robinson: Tout à fait. Encore une fois, je félicite l'honorable sénateur Cools pour son aperçu historique portant sur l'adoption de la loi — pas forcément la conclusion de son discours. Elle a signalé qu'il y avait eu un débat animé. Il s'agissait du Comité de Maxwell Cohen, un groupe de Canadiens distingués qui comprenait le premier ministre Trudeau, comme le sénateur Joyal l'a signalé dans ses remarques, parmi d'autres personnes. Ils ont eu un débat animé et ont reconnu l'importance qu'il y avait à protéger la liberté d'expression, comme l'a fait la Cour suprême du Canada. La raison pour laquelle cette décision a fait l'objet d'un tel débat et a obtenu une majorité si serrée, c'est cette préoccupation au sujet de la fragilité et de l'importance fondamentale de la liberté d'expression.

Cependant, dans la foulée, il a été reconnu qu'en tant que pays, nous voulions envoyer un message disant que la promotion de la haine et de la violence à l'encontre des minorités n'était pas acceptable. C'est une des choses qui fait que le Canada est tellement formidable. Nous sommes prêts à diffuser ce message. J'ai été très ému lorsque j'ai lu les témoignages au Sénat et lorsque j'ai entendu les sénateurs ayant des points de vue différents à ce sujet.

Par exemple, le sénateur Kroft a parlé non seulement de l'importance de lutter contre l'antisémitisme, en tant que membre de la communauté juive, mais également de l'importance de lutter contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Le sénateur Oliver a parlé de la douleur que crée le racisme et expliqué pourquoi il est important de traiter non seulement du racisme, mais également de l'homophobie. Le sénateur LaPierre a parlé de la perspective d'un homme gai, ayant lui-même été victime de crimes haineux dans sa vie. J'aurais aimé que davantage de Canadiens et Canadiennes aient la possibilité d'entendre ces émouvants discours qui ont été prononcés au Sénat au sujet de l'importance de cette mesure législative.

Si — et, en effet, le sénateur Smith l'a signalé plus tôt — nous nous entendons sur le fait que le projet de loi dont nous sommes saisis devrait comprendre les groupes qui sont ciblés, alors il est évident que nous devrions inclure un des groupes qui sont les plus ciblés selon les gens aux premières loges, c'est-à-dire les forces de police.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur Robinson, j'ai quelques questions, dont l'une à titre de précision. Vous avez dit au début de votre déclaration que, il y a trente ou trente-cinq ans, vers 1970, l'homosexualité n'était plus illégale. L'homosexualité a-t-elle déjà été illégale?

M. Robinson: Oui, jusqu'à ce que...

Le sénateur Cools: Non. Il s'agissait des actes sexuels entre personnes homosexuelles.

Le sénateur Tkachuk: L'homosexualité n'a jamais été illégale; la sodomie a déjà été illégale et cette interdiction a été levée.

M. Robinson: En fait, jusqu'en 1970, toute activité homosexuelle au Canada était illégale. C'était une infraction criminelle.

Le sénateur Tkachuk: Comment définissait-on une activité homosexuelle?

M. Robinson: Ce n'était pas défini. On parlait de grossière indécence. L'infraction était celle de grossière indécence.

Le sénateur Cools: L'homosexualité n'était pas illégale. Les actes sexuels homosexuels étaient illégaux. Il y avait un débat énorme, et il y a une cause définitive qui a été étudiée par le Conseil privé, lorsqu'il menait la recherche qui a abouti aux changements de la loi. C'est le juge Cartwright, qui connaissait très bien la loi sur les délinquants sexuels dangereux, qui a fait valoir que cette loi n'était pas prévue pour s'appliquer aux délinquants sexuels qui n'étaient pas dangereux — en d'autres mots, aux adultes consentants. Cela a donné lieu à un débat important sur une question importante, et peut-être devrions-nous l'examiner un peu, parce que tout ce phénomène est né du rapport Wolfenden, en Angleterre. Ce n'est pas si simple.

Le sénateur Tkachuk: Je posais la question parce que je ne suis pas membre de ce comité. Cependant, j'y siège aujourd'hui. C'est le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et je voulais donc m'assurer que ce dont nous parlions était exact. Je n'en suis pas toujours sûr, ce qui signifie qu'il nous faudrait plus de précisions.

M. Robinson: Pour être très clair, toute forme d'activité sexuelle entre deux personnes du même sexe était une infraction criminelle au Canada.

Le sénateur Cools: C'est tout à fait exact.

Le sénateur Tkachuk: Au sujet du besoin de changement au Code criminel, ce que le projet de loi C-250 vise à faire, nous avons eu de nombreuses discussions et de nombreux débats sur cette question au Sénat. Selon les notes d'information de la Bibliothèque du Parlement, de groupes suprémacistes blancs et néo-nazis, surtout présents aux États-Unis en 1970, qui étaient actifs au Canada, et ces groupes et ces personnes faisaient de la propagande antisémite et anti-Noirs. Donc, les dispositions sur la propagande haineuse du Code criminel ciblaient ces activités. Quels sont les groupes qui font de la propagande haineuse contre les homosexuels au Canada?

M. Robinson: En fait, je ne crois pas que la police ait mis en évidence des groupes ou des gangs précis qui ciblaient la communauté gaie au Canada. Cependant, et si vous êtes ici demain, sénateur Tkachuk, vous entendrez le témoignage de l'inspecteur Dave Jones, l'ancien chef de la section des crimes haineux et l'un des agents de police les plus respectés dans ce domaine au Canada. Il parlera au nom des chefs de police — il vous dira qu'un pourcentage important des crimes haineux au Canada est motivé par une haine particulière à l'encontre d'un groupe précis. Un pourcentage important de ces crimes vise les gais, les lesbiennes, les bisexuels ou les personnes transgendéristes. De plus, on cible parfois des gens qui ne sont même pas gais ou lesbiennes, mais qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. On suppose qu'ils sont gais ou lesbiennes, ou peut-être qu'ils correspondent aux stéréotypes — si je peux me permettre, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: Il utilise maintenant les mots «crimes haineux» de façon différente de celle dont on en parle dans le projet de loi.

Le sénateur Smith: Laissez-le faire son témoignage.

Le sénateur Cools: Je lui demande de préciser.

Le sénateur Tkachuk: Je ne préside pas cette séance.

M. Robinson: Moi non plus, sénateur.

Le président: Sénateur Cools, vous vouliez intervenir?

Le sénateur Cools: Oui, je peux faire un rappel au Règlement, si vous le souhaitez. Voilà, il a dit dans son témoignage, il y a quelques minutes — je pense que c'est un élément important — que les affaires comme Keegstra et les poursuites en vertu des articles 318 et 319 sont très rares. Il a dit qu'il y en avait cinq au total. Maintenant, il parle d'autres crimes haineux, et il parle de la majorité d'entre eux, alors il doit s'agir de différents types de crimes. Selon moi, il s'agit de crimes haïssables, mais ce ne sont pas des crimes haineux tels qu'on les définit dans ces dispositions, et j'aimerais qu'il nous donne des précisions à ce sujet.

M. Robinson: Si vous me le permettez.

Le président: Monsieur Robinson, comprenez-vous la distinction?

M. Robinson: Je comprends où le sénateur veut en venir. Je ne suis pas d'accord avec cette distinction, mais je comprends l'argument qu'elle fait valoir.

Bien sûr, c'est vrai qu'il y a une distinction entre battre quelqu'un parce qu'il est gai ou qu'elle est lesbienne, et promouvoir la haine envers les personnes gaies. Cependant, nous avons entendu des preuves convaincantes qu'il existe un lien — si la société croit qu'il est acceptable de promouvoir la violence et la haine, alors, celles-ci peuvent mener à des crimes haineux, à ce que des gens soient battus. Ce qui importe ici, c'est qu'on en arrive à une situation où les gais se sentent moins en sécurité.

J'ai souligné quelque chose au comité de la Chambre des communes — j'ai donné un seul exemple, mais j'aurais pu en donner bien d'autres. J'ai un bureau qui a pignon sur une rue principale, la rue Hasting, dans ma communauté de North Burnaby. Je travaillais tard à mon bureau un samedi soir et, tout d'un coup, j'ai entendu un grand bruit dans ma fenêtre. Un camion passait et les passagers criaient «pédé, hey! pédé», à pleins poumons. Dans ce cas-ci, on a lancé un oeuf dans la vitrine. Ça aurait pu être un caillou, une balle. On a déjà tiré dans ma vitrine également. Heureusement, je n'y étais pas.

Tant que les gens ciblent les gais et les lesbiennes — simplement pour ce que nous sommes, simplement parce qu'il se trouve que nous sommes gais ou lesbiennes — et tant que ces personnes font la promotion de la haine et de la violence, il y aura des crimes de haine et des morts comme celles de Aaron Webster, et d'autres.

C'est pour cela qu'il est si important, honorables sénateurs, de faire adopter ce projet de loi. Ce faisant, vous enverrez le message que ce genre de violence, et les mots et la haine qui mènent à cette violence, ne sont pas acceptables au Canada.

Le sénateur Tkachuk: Je voudrais que nous soyons un peu plus précis ici. Je suis d'accord avec vous. Les gens qui commettent des actes de violence devraient être punis. Nous avons des lois dans le Code criminel pour nous protéger, pas seulement des crimes de punition mais également des crimes d'incitation à la punition. Je vous ai demandé si vous pouviez nommer des groupes qui faisaient de la propagande haineuse contre les homosexuels au Canada, pour étayer davantage le besoin qui existe selon vous pour ce genre de projet de loi. Vous m'avez dit, si j'ai bien compris, que vous ne pouviez pas en nommer.

Si vous ne pouvez nommer aucun groupe qui fait de la propagande haineuse contre la communauté homosexuelle, comment pouvez-vous dire qu'il y a des groupes qui font de la propagande haineuse contre la communauté homosexuelle? Je veux dire, il y a des gens mauvais, monsieur Robinson, qui font des choses mauvaises.

M. Robinson: Il y a des gens mauvais qui font des choses mauvaises, mais prenons un autre exemple. Prenons l'antisémitisme. Y a-t-il des groupes au Canada aujourd'hui qui promeuvent l'antisémitisme et la haine et la violence à l'encontre des juifs au Canada? Y a-t-il de tels groupes au Canada? Je ne peux vous nommer aucun groupe précis, mais est-ce que cela veut dire qu'il ne faut pas protéger les juifs?

Le sénateur Tkachuk: Cette loi était nécessaire parce qu'on avait mis en évidence des groupes antisémites qui faisaient de la propagande antisémite. C'est de là qu'est née la loi. J'essaie simplement de savoir quel est le besoin d'une telle loi.

M. Robinson: Encore une fois, avec le respect que je vous dois, nous pourrions débattre du besoin même d'avoir une loi sur la propagande haineuse. Cependant, je ne connais pas, par exemple, de groupes qui promeuvent la violence et la haine à l'encontre de minorités raciales au Canada aujourd'hui — des groupes organisés, au Canada, qui fassent une telle propagande.

Le sénateur St. Germain: Les skinheads, par exemple, sont un groupe organisé.

M. Robinson: Ce sont des personnes. D'ailleurs, il y a une personne qui fait actuellement l'objet d'une poursuite en Saskatchewan. Sénateur Tkachuk, vous êtes de la Saskatchewan et vous connaîtrez sans doute la cause dont je parle. Il s'agit d'Ahenakew, qui est une personne, pas un groupe. La disposition relative à la propagande haineuse stipule — et c'est l'objectif du Code criminel — que vous ne pouvez pas promouvoir la haine ni la violence, et l'on énumère des motifs précis. On ne dit pas «Si vous êtes un groupe, vous ne pouvez pas promouvoir la haine ou la violence». On dit «Vous ne pouvez pas la promouvoir», un point c'est tout. Je pense que le message que l'on veut envoyer, c'est que tout type de propagande haineuse, de la part d'un groupe ou d'une personne, est inacceptable.

Le président: Nous allons devoir passer à d'autres sénateurs, parce qu'il nous reste moins de cinq minutes. Le sénateur Cools voulait poser une première série de questions, même si elle est déjà intervenue.

Le sénateur Cools: J'ai plusieurs questions, et je ne sais pas comment les poser dans le peu de temps dont je dispose. Lorsque les articles 318 et 319 ont été ajoutés au Code criminel, les défenseurs des libertés civiles les plus importants, les plus connus au pays, comme Frank Scott et le regretté sénateur Daniel Lang, de Lang Michener, se sont opposés à ces dispositions.

Je comprends vos inquiétudes, mais l'autre partie du code traite de la couleur de la peau, de l'origine ethnique, de la race, et cetera. L'orientation sexuelle, d'après ce que j'en sais, n'est pas une caractéristique immuable. Honorables sénateurs, j'ai la peau noire. C'est immuable. Il n'existe aucune preuve qui montre que l'orientation sexuelle est une caractéristique immuable. On ne nous a même pas dit ce qu'était l'orientation sexuelle. C'est cela qui m'inquiète. Non pas que je sois prude, ou quelque chose comme ça, mais je m'inquiète parce que personne ne va nous dire ce que les mots «orientation sexuelle» veulent dire. En 1996, lorsque nous étions saisis de ce projet de loi, beaucoup d'entre nous ont proposé que l'on utilise les mots «discrimination envers les personnes homosexuelles», plutôt que des mots aussi vagues que l'orientation sexuelle.

Le président: Laissez à M. Robinson la possibilité de répondre.

M. Robinson: J'aimerais répondre à ces deux éléments.

Le sénateur Cools: Une troisième question, très rapidement. Contrairement à ce que l'on nous dit, il existe des documents et des mouvements selon lesquels la pédophilie est une orientation sexuelle. Les documents sont là — je peux même vous montrer une revue.

Le président: Nous n'avons pas le temps d'entrer dans cette discussion maintenant. Monsieur Robinson, vous pouvez répondre.

Le sénateur Cools: Je me demandais si M. Robinson était conscient de cela, parce que le mot «homosexuel» aurait été beaucoup plus clair, plutôt que les mots «orientation sexuelle». Je l'ai dit de nombreuses fois. Pourriez-vous formuler vos commentaires sur les mouvements qui perçoivent la pédophilie comme une orientation sexuelle?

M. Robinson: Madame le sénateur, vous avez posé trois questions et je répondrai brièvement à chacune d'entre elles.

D'abord, vous avez dit que votre race était une «caractéristique immuable» — je pense que ce sont vos mots — et que l'orientation sexuelle n'était pas nécessairement une caractéristique immuable, puisque vous pouvez avoir, dans votre vie, des relations avec une femme aussi bien qu'avec un homme, par exemple. Selon vous, c'est fluide.

Le sénateur Cools: Pas moi, mais certains le peuvent.

M. Robinson: À cela, je vous réponds, et alors? La religion n'est pas une caractéristique immuable. On peut changer de religion, alors, avec le respect que je vous dois, je pense que cet argument ne nous mène nulle part.

Au sujet du deuxième élément qui concerne la définition, vos deux autres arguments sont liés. En gros, vous dites que nous n'aurions pas dû utiliser les mots «orientation sexuelle» mais plutôt «homosexuel» ou «hétérosexuel», parce que cela pourrait inclure la pédophilie. Je voudrais vous rappeler que le concept de l'orientation sexuelle, et ces mots ne sont pas nouveaux dans la jurisprudence canadienne; ils font partie de la loi canadienne depuis 1977. Je sais que vous avez fait valoir, lors du débat sur la Loi canadienne des droits de la personne, que si l'on incluait les mots «orientation sexuelle» cela pourrait être interprété comme incluant la pédophilie. Or, aucun pays à travers le monde, notamment ici au Canada, aucun tribunal, où que ce soit, n'a jamais interprété ces mots de cette façon. Cela ne se produira jamais. La pédophilie est un crime, c'est un crime punissable au Canada, tout comme la bestialité est un crime. On ne cherche pas à protéger les comportements criminels, sénateur Cools. On cherche à protéger la conduite licite des gais et des lesbiennes.

Le sénateur Cools: Je sais cela.

Le président: Il va nous falloir clore cette séance, mais nous continuerons demain matin.

M. Robinson: Je suis prêt à comparaître de nouveau, si vous avez d'autres questions.

Le président: Merci, monsieur Robinson. Si vous pouviez revenir demain matin, nous pourrions reprendre les délibérations avec le sénateur Cools.

La séance est levée.


Haut de page