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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 28 avril 2004


OTTAWA, le mercredi 28 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 22 pour étudier le projet de loi C-17, Loi modifiant certaines lois et le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Cet après-midi nous ferons l'examen article par article du projet de loi C-17, comme il avait été convenu à notre dernière réunion. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: Oui.

Le sénateur Joyal: Avant de commencer, je rappelle que nous devions discuter de la nomination du vice-président du comité.

Le président: C'est ce que nous ferons, sénateur Joyal. Plaît-il au comité de le faire avant de procéder à l'examen du projet de loi C-17? La présidence est prête à recevoir des propositions pour le poste de vice-président.

Le sénateur Joyal: Je propose le sénateur Andreychuk.

Le président: Quelqu'un appuie-t-il cette motion? Merci, sénateur Rivest.

Pas d'autres propositions? Êtes-vous tous pour? Félicitations, sénateur Andreychuk. Honorables sénateurs, vous plaît-il de passer maintenant à l'examen article par article du projet de loi C-17?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre est-il réservé?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre abrégé est-il réservé?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 1 à 10 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 11 à 20 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 21 à 32 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre abrégé est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter le projet de loi sans amendement?

Des voix: D'accord.

Le président: Plaît-il au comité que je fasse rapport au Sénat de ce projet de loi à la prochaine séance?

Des voix: D'accord.

Le président: Sans amendement, bien entendu.

Honorables sénateurs, nous sommes prêts à entamer l'étude du projet de loi C-3. Je vois que le ministre comparaît avec ses collaborateurs du ministère.

Je souhaite la bienvenue à l'honorable Jacques Saada et à MM. Perrault et Zaluski. Monsieur le ministre, on me dit que vous allez présenter un exposé.

L'honorable Jacques Saada, leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre responsable de la Réforme démocratique: J'ai l'impression de participer à un programme d'échange entre la Chambre des communes et le Sénat. Je suis toujours ravi d'être parmi vous.

[Français]

Monsieur le président, je suis très heureux de pouvoir comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-3, visant à modifier la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le projet de loi C-3 répond aux répercussions immédiates de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Figueroa qui a remis en question certains aspects essentiels de la Loi électorale du Canada ayant trait à l'enregistrement des partis politiques. La cour a statué que la règle des 50 candidats requis pour l'enregistrement des partis contrevient à la Charte au détriment des plus petits partis.

Toutefois, la cour a suspendu l'effet de cette décision pour une période d'un an, c'est-à-dire jusqu'au 27 juin 2004, afin de permettre au Parlement de modifier la loi. La période de suspension tire à sa fin, voilà pourquoi le gouvernement a fait de la réponse législative une priorité afin de s'assurer que notre système électoral demeure opérationnel.

Cependant, le projet de loi C-3 n'est pas le dernier mot sur cette question. La décision dans l'affaire Figueroa est très complexe et ses incidences devront faire l'objet d'un examen plus approfondi. Le gouvernement s'assurera qu'un tel examen aura lieu. C'est pourquoi, par exemple, le projet de loi contient une disposition crépusculaire dont je traiterai plus en détails plus tard.

Dans mes observations d'aujourd'hui, je passerai tout d'abord en revue les répercussions de la décision de la Cour suprême ainsi que les dispositions clés du projet de loi C-3, je répondrai ensuite à certaines critiques formulées à l'endroit de ce projet de loi.

[Traduction]

En ce qui concerne l'affaire Figueroa, la Cour suprême a jugé que le seuil relatif aux 50 candidats requis pour l'enregistrement des partis était inconstitutionnel car il excluait les plus petits partis de certains avantages prévus à la Loi électorale du Canada et à la Loi de l'impôt sur le revenu. Les trois avantages en question étaient le droit d'émettre des reçus d'impôt pour des contributions politiques, le droit du parti de recevoir les surplus de campagne de ses candidats et le droit de faire inscrire l'appartenance politique du candidat sur le bulletin de vote.

La cour a conclu à l'unanimité que la règle des 50 candidats, à titre de condition d'admissibilité à ces avantages, va à l'encontre du droit de vote tel que prévu à l'article 3 de la Charte et ne peut être justifiée sous l'article premier. La cour a conclu que les effets de la règle sur les petits partis portaient atteinte au droit de participer utilement au processus électoral.

Comme je l'ai mentionné auparavant, la cour a déclaré que les dispositions étaient inconstitutionnelles mais elle a suspendu son jugement jusqu'au 27 juin, pour permettre au Parlement de modifier la loi. Si aucun amendement législatif n'a été apporté d'ici là, la règle des 50 candidats cessera d'être en vigueur, créant ainsi une lacune importante dans la loi.

[Français]

La répercussion la plus évidente du jugement est que la suspension du seuil des 50 candidats entraînera probablement une augmentation du nombre de partis enregistrés. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose car il est possible que cela mène à un débat politique plus riche et donne un plus grand choix aux électeurs. Toutefois, le risque connexe est que des groupes se nomment eux-mêmes «parti» et cherchent à s'enregistrer uniquement dans le but d'être admissibles au régime des crédits d'impôt et à d'autres avantages.

Une organisation pourrait, par exemple, s'enregistrer comme parti simplement en présentant un candidat sur papier et en respectant les exigences en matière de rapport même si elle n'avait aucune intention réelle d'agir en tant que parti et de faire élire des candidats. Non seulement cette pratique serait répréhensible en principe, mais elle pourrait avoir des répercussions fiscales considérables. Nous devons nous assurer que le trésor public n'est pas vulnérable à ce type d'abus. Également, il est important de préserver la confiance des Canadiens envers l'intégrité de notre système électoral.

J'aimerais aussi souligner que le fait de ne pas légiférer maintenant entraînerait certainement d'autres recours devant les tribunaux. D'abord, le gouvernement devrait probablement demander à la cour une prolongation de la période de suspension. Il n'y a aucune garantie que cette période de prolongation soit accordée. Autrement, les tribunaux pourraient être forcés de clarifier les règles applicables à partir de cette date. Quoi qu'il en soit, dans tous les cas, l'absence d'une réponse législative en temps opportun créerait de l'incertitude relativement aux règles d'enregistrement des partis et aurait un effet négatif sur le bon fonctionnement de notre système électoral.

C'est pour ces raisons que le gouvernement a déposé le projet de loi C-3. Ce projet de loi contient deux volets qui sont en fait reliés. Premièrement, il comporte de nouveaux critères d'enregistrement qui tiennent compte de la décision de la cour tout en permettant de garantir l'imputabilité des partis politiques. Deuxièmement, il propose une série de mesures qui visent à prévenir les abus et à permettre la radiation des partis qui ne sont pas authentiques.

J'aimerais maintenant aborder brièvement ces éléments clés.

[Traduction]

Dans sa décision, la Cour suprême a indiqué que l'imposition de tout seuil de candidats posait des problèmes constitutionnels. Cette situation laisse une marge de manoeuvre bien mince au Parlement quant à la possibilité de légiférer un nouveau seuil de candidats en tant que facteur déterminant de ce qu'est un parti.

Pour cette raison, le projet de loi C-3 remplace la limite de 50 candidats retranchée par la Cour par une exigence d'un seul candidat. Parallèlement, le projet de loi ajoute de nouveaux critères et d'autres mesures relatives à l'enregistrement dans le but de s'assurer que les partis qui veulent s'enregistrer ont un intérêt réel dans la course électorale — en d'autres mots qu'ils sont des partis de bonne foi.

Il faut souligner que le projet de loi ajoute, pour la première fois, une définition de parti politique à loi. Un parti est défini comme une: «organisation dont l'un des objectifs essentiels est de participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres».

De plus, le projet de loi porte le nombre minimal de membres d'un parti de 100 à 250 et requiert une déclaration signée de ces 250 membres attestant leur adhésion au parti et leur appui à son enregistrement. Les partis devront également compter au moins trois dirigeants, en plus du chef, qui présenteront leur consentement écrit à agir à ce titre.

Le projet de loi réduira également de 12 à un seul le seuil de candidats requis pour l'identification du parti sur le bulletin de vote. Ceci découle logiquement de la réduction du seuil relatif à l'enregistrement des partis.

En plus des nouveaux critères pour l'enregistrement des partis visant à remplacer le seuil de 50 candidats, le projet de loi propose de nouvelles mesures visant à assurer que les partis politiques sont authentiques.

[Français]

Le deuxième élément clé du projet de loi C-3 comprend ainsi un ensemble de mesures anti-abus qui visent à dépister les partis frauduleux et à protéger l'intégrité du régime de financement électoral. Permettez-moi de souligner quelques- unes de ces dispositions.

Le projet de loi renferme une nouvelle infraction quant aux fausses déclarations faites sciemment lors de l'enregistrement d'un parti. Le chef du parti doit fournir une déclaration quant aux objectifs du parti et au respect de la définition de parti politique. En plus des pénalités individuelles liées à de fausses déclarations, les partis qui font de fausses déclarations pourraient se voir refuser l'enregistrement, voire même être radiés. De plus, afin de maintenir la distinction avec les groupes d'intérêt, les partis n'auront pas le droit de solliciter ni de recevoir des contributions simplement en vue de les redistribuer à un tiers parti.

Une autre mesure permettra au commissaire aux élections fédérales, lorsqu'il aura des doutes à propos de la légitimité du parti, de demander à celui-ci de le satisfaire qu'il rencontre la définition de parti. Si le parti n'est pas en mesure de le faire, le commissaire pourra demander à la cour de le radier.

En tant que mesures clés pour protéger l'intégrité du système, le droit d'un parti de donner des reçus d'impôt sera automatiquement suspendu lorsqu'une demande de radiation du parti sera en cours d'instance. La radiation et la liquidation judiciaire seront aussi disponibles lors de la détermination de la peine pour certaines infractions à la loi.

Enfin, les personnes, y compris les agents du parti, pourront être tenues civilement responsables si elles sont reconnues coupables d'infractions relatives à des abus financiers et elles pourront être obligées de restituer les sommes au fonds public.

[Traduction]

Habituellement, les amendements à la Loi électorale du Canada entrent en vigueur six mois après la sanction royale ou plus tôt si le directeur général des élections atteste que tous les préparatifs nécessaires sont complétés. Toutefois, compte tenu de l'échéance de la Cour, le projet de loi C-3 entrera en vigueur le 27 juin 2004, à moins que le directeur général des élections annonce qu'il est prêt plus tôt.

Avant de conclure, j'aimerais en profiter pour répondre brièvement à quelques critiques qui ont été formulées à propos du projet de loi. D'abord, lors du débat à la Chambre et en comité, la question du nombre minimal de candidats a donné lieu à de nombreuses discussions. Certains députés ont indiqué que le nouveau seuil était trop bas et qu'un seuil de 12, par exemple, serait préférable.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, la Cour n'a pas laissé une grande marge de manoeuvre en ce qui a trait à cette question. La majorité des juges a indiqué très clairement et je cite: «qu'aucun seuil n'est acceptable».

Néanmoins, la Cour a reconnu un lien important entre la participation effective au processus électoral et la capacité de voter pour un candidat d'un parti politique, peu importe la taille du parti ou son caractère marginal. L'exigence d'un seul candidat reflète bien la décision de la Cour. Toute exigence supérieure à un candidat irait à l'encontre de la décision et résulterait fort probablement en une contestation en vertu de la Charte.

De plus, comme je l'ai déjà souligné, ouvrir notre système électoral à plus de voix et offrir un meilleur choix à tous les électeurs ne peuvent être qu'une bonne chose. Non seulement cela respecte l'esprit de la décision de la Cour, mais il peut en résulter un débat démocratique plus riche.

[Français]

Une autre question qui a suscité certaines discussions en comité est la définition proposée de parti politique. Certains ont suggéré qu'une définition n'était pas nécessaire ou que son application serait trop compliquée pour le directeur général des élections. Permettez-moi d'être clair, la définition est essentielle et, en fait, elle constitue le pivot autour duquel s'articuleront les mesures clés prévues dans le projet de loi. En l'absence d'un seuil numérique, d'autres facteurs qualitatifs doivent être prévus afin de déterminer si un parti est légitime et s'il constitue réellement un véhicule pour participer au processus électoral.

Les critères qualitatifs prévus dans le projet de loi — en particulier, la définition — tiennent compte du message de la cour qui dit que ce n'est pas la taille d'un parti mais sa nature et son objectif qui sont les critères appropriés permettant de déterminer si le parti est authentique. Supprimer la définition rendrait le système d'enregistrement des partis vulnérable aux abus.

Les abus du système des crédits d'impôt pourraient se perpétuer sans surveillance et il n'y aurait aucune fondement pour justifier la radiation des partis frauduleux ou pour suspendre leur capacité d'émettre des reçus aux fins d'impôt. Je ne crois pas que la définition crée des complications fastidieuses. En fait, elle est soigneusement rédigée de façon à ce qu'elle ne mentionne pas le principal objectif des organisations, ce qui pourrait mener à des jugements controversés. Plutôt la définition requiert seulement que la présentation de candidats aux élections soit l'un des objectifs essentiels du parti.

La définition évite donc d'inutiles controverses à propos de ce qu'est l'objectif principal d'un parti politique et qui devrait faire cette détermination. Bref, la définition se fonde sur les thèmes exprimés par la Cour, à savoir que les partis politiques soient définis selon ce qu'ils font: élaborer des programmes, proposer des politiques publique et offrir aux citoyens un moyen de se prononcer sur ces dernières par leur vote en faveur d'un candidat du parti.

[Traduction]

Finalement, j'aimerais répondre aux préoccupations de ceux qui peuvent penser que le projet de loi C-3 ne va pas assez loin quant aux autres répercussions éventuelles de la décision de la Cour. À cet égard, j'ai remarqué, suite au débat à la Chambre, que l'admission du gouvernement que le projet de loi C-3 n'était sans doute pas parfait a suscité certaines interrogations.

Je peux dire qu'aucun projet de loi n'est jamais parfait — autrement, nous serions tous sans emploi. Nous devons aborder la tâche qui est de légiférer, avec une certaine humilité, tout en sachant que nous n'avons pas toutes les réponses et en reconnaissant que les circonstances changent.

Cela étant dit, je suis convaincu que le projet de loi C-3 atteint le meilleur équilibre possible dans les circonstances, compte tenu particulièrement du peu de temps dont nous disposions pour répondre à l'échéance fixée par la Cour. Se croiser les bras et attendre simplement que la décision de la Cour prenne effet — sans prévoir aucune mesure pour s'assurer d'un régime d'enregistrement qui fonctionne et pour contrer les abus — pourrait mettre en péril l'intégrité de notre système et coûter cher aux contribuables.

Toutefois, comme je l'ai mentionné auparavant, il nous incombe également d'étudier plus à fond l'arrêt Figueroa et de déterminer les répercussions plus vastes qu'il peut avoir en définitive sur notre système électoral. C'est pourquoi j'ai demandé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de se pencher sur ces autres questions qui pourraient faire l'objet d'une réforme électorale plus vaste, lorsque le projet de loi C-3 aura été adopté. Bien évidemment, j'attends avec impatience le point de vue du Sénat.

De plus, reconnaissant la nécessité d'une étude plus approfondie, le gouvernement a proposé un amendement afin d'ajouter au projet de loi une disposition de réexamen après deux ans. Je dois dire, en passant, que cette disposition ne figurait pas dans le projet de loi initial. Elle a été ajoutée après qu'on ait écouté le comité permanent qui avait tout à fait raison de dire qu'on ne voulait pas d'un projet de loi provisoire. Nous voulons imposer ce réexamen de la loi. J'ai trouvé que c'était si sensé, que j'ai rapidement accepté l'ajout de cette disposition de réexamen.

Ceci garantit que nous aurons l'occasion de revoir le fonctionnement du projet de loi et d'y apporter des améliorations au besoin. Entre-temps, nous aurons répondu à la décision de la Cour et nous nous serons assurés que notre système électoral pourra continuer à fonctionner efficacement.

[Français]

Je crois que le projet de loi C-3 constitue une réponse opportune et ciblée à la décision dans l'affaire Figueroa permettant d'atteindre un équilibre approprié entre, d'une part, le traitement équitable des partis et, d'autre part, le besoin de préserver l'intégrité du système électoral. Il respecte la décision de la cour et facilite la réforme démocratique en assurant un traitement plus équitable aux petits partis et un meilleur choix à tous les électeurs.

Monsieur le président, je répondrai maintenant avec plaisir à toutes les questions du comité sur le projet de loi.

[Traduction]

Le président: J'ai une question au sujet de l'effet du projet de loi C-3 sur les tiers partis. Comme vous le savez, nous avons étudié l'an dernier le projet de loi C-24 visant à modifier les limites de dépenses nationales et dans chaque district, pour les tiers partis. Si vous examinez la définition de «parti» vous constaterez qu'elle est assez vague. Qu'est- ce qui les empêcherait d'obtenir, ou de déclarer ou de demander le statut de parti, pour avoir ensuite accès à des limites de dépenses supérieures?

M. Saada: Pour commencer, c'est précisément ce que nous voulons éviter en demandant l'enregistrement des partis politiques, l'énoncé de leurs objectifs, et en imposant la production de rapports: nous voulons nous assurer qu'il ne s'agit pas d'un parti improvisé. Il faut que ce soit un parti politique. Cela renforce la nécessité d'une bonne définition du terme «parti politique».

Le projet de loi C-24 permet aux partis politiques de recueillir ou de recevoir des contributions, mais impose des restrictions à ceux qui font des contributions. Toute organisation qui s'autoproclame parti politique et qui suit le processus sera assujettie à toutes ces restrictions. C'est aussi la raison pour laquelle une option est offerte; si ce n'est pas un vrai parti politique qui répond à ces normes, il est possible de supprimer l'enregistrement.

Le sénateur Andreychuk: Ma question est dans la même veine que le commentaire du président. Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il fallait une définition. Toutefois, quand on dit: «organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques...», je ne sais pas très bien quels peuvent être les autres objectifs essentiels, puisqu'ils ne sont pas énoncés. Deuxièmement, vous parlez des affaires publiques, qui sont l'un des aspects des activités d'un parti politique. Je me demande quelle est la responsabilité de quelqu'un qui a accès aux fonds destinés à la gouvernance du pays — la garantie de la Charte des droits, et cetera. Dans la société d'aujourd'hui, je pense que ce qui fait un parti, ce n'est pas seulement des affirmations idéologiques ou l'expression d'opinions divergentes.

Cela s'insère dans ma réflexion sur ce qui démarque une démocratie par rapport à d'autres types de régime politique. Il me semble que c'est plus que la possibilité de s'exprimer sur les affaires publiques, qui semble être ce qui intéresse la Cour. Un parti c'est pour moi plus que cela, et je suis un peu mal à l'aise à l'idée qu'une personne, avec d'autres qui pensent comme elle, puisse s'intéresser à une question unique et participer à un processus politique pour atteindre ses fins.

Cela peut être avantageux pour le public, mais connaît-on vraiment ses responsabilités en vertu de la Charte, de la Constitution et de la gouvernance démocratique du pays?

Ce sont des généralisations, mais je pense que vous voyez où je veux en venir. Il ne s'agit pas seulement d'affaires publiques.

M. Saada: Votre question est tout à fait valable. Un parti politique doit offrir au public des options, doit vouloir participer à la vie politique du pays.

Sur le fond, toute organisation qui veut participer à la vie politique du pays devrait disposer d'outils pour le faire, à la condition de suivre les règles régissant ses activités.

Je crois que ce projet de loi ouvre la porte à la possibilité que naissent de nombreux petits partis et qu'un parti politique ne vise pas nécessairement à gouverner. Le principal objectif d'un parti politique, ce n'est pas nécessairement de gouverner. Bon nombre de partis savent qu'ils n'auront pas le pouvoir mais veulent défendre une cause. Le Bloc québécois est un exemple.

Quant à savoir si le cadre proposé suffira à limiter les abus, il faudra que nous y travaillions et nous l'évaluions à long terme.

Le sénateur Andreychuk: Je pense moi aussi qu'on ouvre la porte à davantage de dialogue et de discussion entre les divers points de vue existants au Canada. Mais le projet de loi C-3 parle de violations, que je qualifierais de manipulation — lorsqu'il y a une intention coupable d'abuser du processus et de tromper. Il me semble qu'il faut faire comprendre qu'il ne s'agit pas nécessairement seulement de gouvernance, mais que dans le cadre du processus démocratique qui accorde ces droits d'exprimer un point de vue, on a aussi la responsabilité d'assurer le bien commun, l'intérêt public et le respect de la Constitution. Je ne vois pas cet équilibre dans le projet de loi C-3. On n'y dit pas que la liberté a un prix, que la démocratie a un prix, soit d'agir de manière responsable pour le bien commun et l'intérêt national. Il ne s'agit pas seulement de gouvernance, mais de participation au processus.

M. Saada: Sénateur, nous partageons tous les deux des idéaux au sujet de ce que doit être un parti politique, mais est-ce à nous de décider si un parti politique se justifie ou respecte ces valeurs? N'est-ce pas à la population de décider? Par conséquent, ne défendez-vous pas l'argument selon lequel on doit avoir pour objectif de permettre aux politiques et positions d'un parti d'être soumises à la population, par la présentation d'au moins un candidat?

Le sénateur Andreychuk: Ce que je demande, c'est si ce critère suffit pour obtenir cette responsabilité et ensuite, qu'en sera-t-il si on essaie de tromper la population? Il me semble que dans deux ans, si on n'y songe pas tout de suite, il nous faudra nous demander si un parti politique ne serait pas «une organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ces membres». Est-ce bien là la définition d'un parti politique au Canada? Je pense que c'est là-dessus que portera le débat.

M. Saada: Il n'y a pas de réponse facile. Tout ce que je peux dire pour l'instant, c'est que si on pense aux partis politiques traditionnels du Canada, il est vrai qu'ils présentent des candidats, mais ce n'est pas leur seul objectif. Le parti est un outil pour favoriser la promotion de ses politiques et pour aspirer à changer la donne politique.

Le fonctionnement interne des partis fait aussi partie du processus.

Je ne pense pas qu'on puisse définir un parti au point de tenir les partis responsables de chacune des valeurs dont ils font la promotion. Ce sera très difficile à faire, à moins d'imposer aux partis des contraintes telles qu'ils n'aient plus de liberté.

C'est une zone grise. C'est très difficile à cerner.

Le sénateur Smith: Je suis peut-être un peu à côté du sujet, mais ma curiosité est telle que je ne saurais résister. Est-ce que la décision, puis l'examen du projet de loi proposé a soulevé cette question: Si on n'atteint pas un seuil minimum relativement au nombre de sièges pour lesquels des candidats sont proposés, qu'en ait-il du nombre minimum de sièges pour être reconnu comme parti à la Chambre? Je soupçonne que la réponse se rapporte au privilège parlementaire, mais je ne tiens jamais rien pour acquis. Je ne peux m'empêcher de m'assurer qu'il n'y a pas déjà là un premier empiétement.

M. Saada: J'entends des propos dont j'ai hâte de débattre.

Le paragraphe 17 de l'arrêt de la Cour suprême dans la cause de Figueroa contient une phrase très claire: «...la façon dont le Parlement détermine quels partis politiques sont la qualité de partis officiels à la Chambre des communes n'est pas en litige en l'espèce».

La Cour suprême établit clairement une distinction entre la cause sur laquelle elle se prononce et le privilège du Parlement.

Le sénateur Smith: Cela ne pose pas de problème. Cette phrase semble encourageante, mais j'espère qu'à l'avenir, nous n'aurons pas l'occasion de rappeler aux juges de la Cour suprême leur propre citation.

M. Saada: Je suis certain, sénateur, que vous trouverez le moment opportun pour le faire.

Le sénateur Stratton: Depuis un moment, une rumeur circule, rumeur qui porte sur l'affaire Figueroa et qui a fait l'objet de questions posées par le leader de l'opposition au leader du gouvernement au Sénat. M. Figueroa a-t-il offert au leader à la Chambre de l'époque, Don Boudria, d'abandonner son action en justice si le seuil des 50 candidatures était abaissé à 12 et non en deçà de 12? M. Boudria a-t-il décidé de s'en remettre au jugement de la Cour suprême plutôt que d'accepter cette offre?

Pouvez-vous répondre à cette question?

M. Saada: Premièrement, à ma connaissance, aucune offre de ce genre n'a été faite. Deuxièmement, l'affaire Figueroa a conduit à l'arrêt de la Cour suprême, ce qui constitue une question de fond selon moi. Or, le jugement rendu par la Cour suprême reflète l'interprétation que font les juges de notre Charte et de nos lois. En d'autres termes, à mes yeux, la teneur de l'arrêt rendu par la Cour suprême est plus importante que la question de savoir si cette cause devait se rendre jusqu'à la Cour suprême.

Selon moi, il ne s'agit pas ici d'entente entre les partis. Si M. Figueroa avait fait cette proposition, ce qu'il n'a pas fait, nous n'aurions pas bénéficié de l'interprétation de la Cour suprême sur cette question. Je préfère connaître l'interprétation de la Cour suprême plutôt que d'en être privé.

Le sénateur Stratton: Voilà qui est curieux et plutôt intéressant. Je ne parle pas ici de l'absence d'entente entre les deux intéressés, mais du fait que vous préférez avoir l'interprétation de la Cour et vous contentez du seuil le moins élevé.

On serait porté à croire qu'en vertu d'un principe fondamental, vous voudriez vous-même prendre vos décisions dans la mesure du possible, sans toujours demander l'avis de la Cour suprême. Sur cette question, vous devriez être en mesure de trouver un moment opportun pour parvenir à un accord entre les deux parties, et trouver un compromis afin que la cause ne se rende pas devant la Cour suprême. Je croyais que c'était là essentiellement votre objectif en pareilles circonstances.

J'aimerais que vous me fassiez part de vos observations à cet égard, si vous le pouvez, ou si vous le souhaitez. Peut- être que vous ne le voulez pas.

M. Saada: Me demandez-vous de réagir à cela?

Le sénateur Stratton: Cela vous ennuierait-il de réagir?

M. Saada: Sauf votre respect, sénateur, je ne m'en remets pas à la Cour suprême pour prendre des décisions législatives. Je dis simplement que lorsqu'on doit prendre des décisions législatives et qu'on dispose des renseignements fournis par les arrêts de la Cour suprême, on espère pouvoir élaborer de meilleurs textes législatifs.

Deuxièmement, même s'il y avait eu une entente permettant de réduire le seuil de 50 à 12, ou peu importe le nombre, rien n'aurait empêché une autre personne de faire appel de ce nouveau seuil et de se rendre jusqu'au bout afin de connaître l'opinion de la Cour suprême.

La Cour suprême ne décide pas du contenu de nos lois. La Cour suprême donne son interprétation des dispositions de notre Constitution, et se prononce sur la constitutionnalité de la Loi électorale du Canada. Il s'agit là de renseignements importants dont les législateurs doivent disposer afin de rédiger un projet de loi qui soit aussi solide que possible.

Le sénateur Stratton: Ma crainte en définitive c'est la perception de plus en plus répandue comme quoi c'est la Cour suprême qui gouverne notre pays, et non le Parlement. Cette idée existe réellement et préoccupe bon nombre de Canadiens: qui dirige le pays? Est-ce la Cour suprême ou le Parlement? Des décisions telles que celles dont nous sommes saisis semblent marginaliser le rôle approprié du Parlement. Cela m'inquiète.

Bien que nous puissions respecter les décisions de la Cour suprême, nous avons également, envers le Parlement, le devoir de nous assurer que son rôle n'est pas réduit outre mesure. Si nous continuons à suivre cette voie, cela aura des incidences sur la perception qu'ont les Canadiens du Parlement, et cela explique la diminution constante du taux de participation aux élections. Il existe une perception de plus en plus répandue voulant que le Parlement soit moins efficace et ait moins de pouvoir. Cette idée existe réellement. Vous aimeriez peut-être nous donner votre avis?

M. Saada: Oui, sénateur. Je rejette sincèrement l'affirmation selon laquelle la Cour suprême dirige le pays. Nous formons une démocratie constitutionnelle grâce à la Charte et au système dont nous nous sommes dotés. Cette Charte et cette Constitution ont été adoptées par le Parlement. Le rôle de la Cour suprême consiste à interpréter la Constitution, qui est l'oeuvre du Parlement.

Une fois que la Cour suprême a donné son interprétation, le Parlement doit à nouveau trouver des moyens de se conformer à sa propre loi fondamentale. La Cour suprême ne se prononce pas sur la façon dont cela doit se faire. La Cour suprême ne vous dit pas ce que vous devez faire; elle vous dit ce qui est inacceptable. Vous devez ensuite prendre une décision et trouver un processus législatif qui permette au Parlement d'adopter une loi conforme à la Constitution, qui a elle-même été adoptée par le Parlement.

Il s'agit d'un débat important, et je suis certain qu'il y a, autour de la table, des sénateurs qui sont des spécialistes de la question et qui pourraient intervenir au sujet du processus. Je comprends bien ce que vous dites, et j'ai entendu un certain nombre d'arguments similaires. Je nous mets tous au défi de nous rappeler qui a adopté la loi fondamentale, et qui légifère en vue de respecter la cohérence entre la législation et cette loi fondamentale.

Le sénateur Joyal: Monsieur le ministre, lors de votre exposé, j'ai remarqué que vous souhaitiez que le Comité permanent de la Chambre des communes étudie la décision rendue dans l'affaire de Figueroa, et que vous accueilleriez favorablement la contribution du Sénat. S'il y avait un comité mixte, nous aurions l'occasion de participer directement à ce processus. J'estime que les conséquences de cette décision sont très importantes.

Selon moi, le principe énoncé par le juge Iacobucci, en particulier, dans cet arrêt, que j'ai lu attentivement l'été dernier après sa publication par la Cour suprême, pourrait même remettre en question le système électoral actuel. Les conséquences de ces principes seraient certainement de nature à préoccuper le sénateur Stratton. Il s'agit d'une décision unanime; l'opinion de la Cour à ce sujet ne fait aucun doute.

J'aurais certainement été très heureux que nous puissions apporter notre contribution, considérant le vaste réservoir d'expérience en matière de systèmes électoraux, qui existe au Sénat. De nombreux sénateurs ont déjà participé à toutes sortes d'activités et de campagnes électorales. C'est le cas de la plupart des sénateurs qui sont réunis autour de cette table. Il s'agira essentiellement d'une étude, et le Sénat est tout à fait indiqué pour mener ce genre de réflexion.

Entrevoyez-vous une façon de modifier ou d'élargir votre démarche ou le mandat que vous avez confié afin que le leader du gouvernement au Sénat puisse envisager la façon dont nous pourrions participer à une telle réflexion?

M. Saada: Oui, il s'agit d'une question extrêmement importante. D'abord, permettez-moi de vous expliquer pourquoi j'ai renvoyé cette question au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Comme vous le savez, le Plan d'action sur la réforme démocratique que j'ai déposé au nom du gouvernement le 4 février dernier, traite abondamment du rôle accru qu'on veut confier aux parlementaires. À l'époque, nous parlions spécifiquement de la Chambre des communes. Le Sénat a sa propre façon de faire les choses. L'une des façons d'élargir la responsabilité des parlementaires, consiste à permettre aux comités de participer à la rédaction d'un projet de loi au lieu de limiter leur participation à une intervention en réaction à un projet de loi à la rédaction duquel ils n'ont pas pris part. J'ai demandé aux membres du comité de préparer un avant-projet de loi sur les conséquences de l'arrêt Figueroa et sur les changements à apporter à la Loi électorale du Canada. J'accueillerais très favorablement toute contribution venant du Sénat.

Je ne peux pas enjoindre le comité à devenir un comité mixte avec le Sénat car je lui ai déjà demandé de traiter de cette question dans le contexte de la Chambre des communes. Il y a plusieurs façons de procéder. Par exemple, si les présidents des comités du Sénat et de la Chambre décidaient d'étudier cette question conjointement, de mettre en commun les informations plutôt que de faire double emploi, je n'y verrais absolument aucun inconvénient.

Nous parlons ici d'un avant-projet de loi. Le Sénat peut intervenir à diverses étapes. Je suis prêt à écouter. Je suis très ouvert à cela. Je ne crois pas que je dois imposer cette façon de faire au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de la Chambre des communes. Sans aucun doute, je serais très favorable à toute initiative émanant des parlementaires en vue de travailler ensemble sur cette question.

Le sénateur Joyal: Dans le même ordre d'idées, vous savez sans doute que M. Figueroa voulait remettre en question d'autres aspects du projet de loi C-24, le projet de loi que nous avons adopté lors de la dernière session. Je ne sais pas exactement de quels aspects il s'agit.

On me dit également qu'un professeur de l'Université de Toronto est à la tête d'un groupe qui souhaite contester le système électoral. Ce groupe se servira abondamment de l'arrêt rendu dans l'affaire Figueroa pour étayer son allégation voulant que le système électoral du Canada ne respecte pas un seuil qui soit conforme à la Charte, seuil étant un mot qui semble être à la mode chez les juges de la Cour suprême du Canada pour parler des élections.

Pourriez-vous nous expliquer brièvement, selon les informations dont vous disposez, où en sont ces actions en justice à l'heure actuelle?

M. Saada: Je ne sais pas à quelle étape se trouve la cause dont parle l'honorable sénateur.

M. Stéphane Perrault, agent principal du Conseil privé, conseiller, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé: Le procès n'a pas encore commencé et ne débutera probablement pas avant l'automne.

M. Saada: En ce qui concerne le fond de la question, lorsque j'ai demandé au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre d'étudier les conséquences de l'arrêt dans l'affaire Figueroa, j'ai soigneusement choisi les termes que j'utilisais afin de ne rien exclure. J'ai invité le comité à envisager l'ensemble de la situation. Comme je n'ai pas établi de paramètres étroits, ces causes auront sûrement une incidence sur le travail du comité.

Le sénateur Joyal: J'ai porté à votre attention la lettre que j'ai envoyée à votre prédécesseur au sujet des questions soulevées par le projet de loi C-24. La Cour a réservé ces éléments, mais a reconnu qu'elle pourrait les réexaminer en temps opportun, c'est-à-dire s'ils faisaient l'objet d'un litige. C'est là une préoccupation.

Comme le dit le sénateur Stratton, je me demande si, pour le bien du pays, il ne serait pas nécessaire de faire un examen général de notre façon d'aborder le système, pour éviter de réagir constamment aux diverses causes qui, nous le savons, existent. Ces questions surgissent, et chaque fois que nous légiférons, quelqu'un cherche un motif de contestation lié à la Charte et va de l'avant.

Vient un moment où se crée l'impression comme quoi notre système n'est pas du tout conforme aux principes de la Charte et que le travail se fait de façon ponctuelle. C'est un message négatif, d'une certaine façon. Le processus démocratique doit être encadré par des règles stables et connues de tous. Ce projet de loi est suffisamment explicite, comme vous l'avez dit. Il y a une disposition de temporarisation. Nous ne savons pas encore si ce projet de loi correspondra toujours à ce que nous voudrons dans deux ans. C'est très important, surtout du point de vue du Sénat. Beaucoup de mes collègues estiment que le système doit être stable et solide. Nous ne pouvons en aucun cas empêcher les actions en justice, comme vous l'avez si bien dit. Toutefois, il faut à tout le moins une entente selon laquelle les paliers du système doivent être stables dans une certaine mesure.

Tous les six mois, on dépose un autre projet de loi sur un autre aspect de la Loi électorale. Pourquoi en est-il ainsi? Comment corriger cette situation?

M. Saada: Le sénateur Joyal a raison. C'est une question lourde de conséquences. Ainsi, la Cour suprême est actuellement saisie de l'affaire Harper, et nous attendons sa décision. Ce projet de loi influera sur les dépenses des partis politiques pour la publicité à la télévision, à la radio, et ainsi de suite. Bien des organisations pourront devenir des partis politiques par suite de ce changement, et cela soulève la question de la représentation. Par conséquent, la structure même de notre système, qui vote pour quoi, comment la population est représentée à la Chambre, et cetera, toutes ces questions sont très importantes. Certaines provinces se penchent déjà sur la question.

Je sais que nous avons peu de temps, mais j'aimerais vous donner deux ou trois exemples. D'abord, nous savons qu'au moins cinq provinces ont déjà un ministre chargé de la réforme démocratique, sous une forme ou une autre. J'ai eu le plaisir d'assister, en Colombie-Britannique, à l'une des séances de l'assemblée des citoyens et j'ai pu constater comment, dans le cours de leurs délibérations, ils tentent de répondre aux préoccupations qu'a soulevées le sénateur Joyal.

Il y a aussi une disposition de temporisation après deux ans après son entrée en vigueur. J'ai demandé au comité de présenter un rapport un an après le dépôt de l'avant-projet de loi. Cela devrait nous donner suffisamment de temps pour bien examiner l'ensemble de la situation. Je ne veux nullement limiter l'examen et je souhaiterais même une étude aussi vaste que celle que décrit le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal: Je terminerai sur la définition de «parti politique». L'article 1 du projet définit ainsi le terme «parti politique»: «organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres».

Pour moi, un parti politique n'est pas une organisation mais un simple groupe de citoyens. À mon avis, cette définition insiste davantage sur la structure que sur ceux qui la composent.

L'article 3, au haut de la page 2, exige les noms et adresses de 250 électeurs. Je comprends les principes qui sous- tendent l'arrêt de la Cour suprême, mais n'est-ce pas aller trop loin dans l'autre direction? Ne devrions-nous pas prévoir — j'hésite à employer le terme «raisonnable» pour ce qui est du nombre de personnes — une méthode assurant une meilleure représentation?

Le projet de loi exige les noms et adresses de 250 personnes. Je connais bien les organisations qui pourraient se constituer, un peu partout au pays, en partis différents comptant 250 personnes chacun et le bulletin de vote serait alors si long que je vois mal comment on pourrait procéder au scrutin.

La définition ne devrait-elle pas mettre l'accent sur le nombre de personnes plutôt que sur la structure de base? Le projet de loi définit les partis politiques comme étant des organisations, mais le mot «organisation», lui, n'est pas défini, de sorte que nous devons nous en remettre au sens commun de ce terme.

À mon avis, un parti politique est davantage un groupe de personnes qu'une organisation.

M. Saada: La question comporte deux éléments. Le sénateur Joyal affirme qu'un parti n'est pas une organisation mais un groupe de citoyens. Or, dès qu'un groupe de citoyens est structuré et organisé, il devient automatiquement une organisation. Je comprends la distinction philosophique que veut faire le sénateur Joyal entre les deux, mais le seul mot que nous avons pour décrire un groupe organisé, c'est le mot «organisation». Si votre groupe compte un certain nombre de membres, il doit aussi compter un dirigeant et dès lors, il peut être reconnu comme parti. Le groupe devient une organisation.

En ce qui concerne la taille du groupe, encore une fois, je comprends votre argument. Toutefois, l'arrêt de la Cour suprême est très clair: le nombre de membres n'a pas d'importance.

Je crois qu'auparavant, la loi exigeait 100 membres et ce sera dorénavant 250.

Le sénateur Stratton: Excusez-moi de vous interrompre. Si 100 personnes, était un chiffre acceptable auparavant, qu'est-ce qui empêcherait un groupe de faire valoir l'argument suivant devant la Cour suprême: «auparavant, il devait y avoir au moins 100 membres, et dorénavant, ce sera 250. Nous estimons que ce nombre devrait être abaissé à 100 ou même à 50»? Ne serait-ce pas un argument légitime?

M. Saada: Si vous le permettez, je demanderais à M. Perrault de répondre à votre question.

M. Perrault: Tout nombre est, par définition, arbitraire. Ailleurs, à l'étranger, en Australie par exemple, on exige 500 membres. Nous avons des exigences moindres. Auparavant, c'était 100.

Nous n'avons pas relevé ce nombre à 250 pour exclure les petits groupes. Tous sont d'accord pour dire qu'un groupe de 250 est petit. Il ne s'agit pas de grandes organisations. Nous avons augmenté le nombre pour qu'il soit bien clair que cette exigence s'accompagne d'une autre relative aux signatures. C'est ce qui en fait une organisation de fait. C'est une mesure contre les abus, qui vise à faire en sorte que les groupes qui demandent à s'enregistrer ont l'appui de suffisamment de gens disposés à confirmer que cette organisation est sérieuse — non pas par rapport à son programme, mais plutôt qu'il ne s'agit pas d'un groupe frauduleux. Il faut qu'il y ait un nombre important de gens qui soient prêts à apposer leur signature et, se faisant, à se déclarer membre du groupe et à appuyer l'enregistrement du parti. Il s'agit en fait de responsabilité plutôt que de taille.

Le sénateur Stratton: Mais cela pourrait être contesté devant les tribunaux.

M. Perrault: Absolument.

Le sénateur Stratton: Voilà où je voulais en venir.

Le président: Je demanderais aux fonctionnaires de bien vouloir rester et je donne la parole au sénateur Rivest qui aimerait poser une question au ministre avant qu'il ne parte.

M. Saada: Je ne raterais cette occasion pour rien au monde.

[Français]

Le sénateur Rivest: Lorsque j'ai vu ce projet de loi je me suis demandé, compte tenu des problèmes de l'administration actuelle, si le Parti libéral du Canada avait de la difficulté à trouver 50 personnes. Je me suis dis qu'ils voulaient adopter un projet de loi pour essayer de sauver les meubles. Après, on m'a dit que non ce n'était pas pour cela, mais plutôt à cause d'une décision de la Cour suprême.

Je sais qu'il y a eu des jugements ou des contestations dans certaines provinces. Y a-t-il des limitations de même nature sur les exigences du nombre de candidats? Y a-t-il eu des décisions juridiques à ce sujet?

M. Saada: D'après mes connaissances, il n'y a qu'une seule province au Canada qui n'ait pas de limitations comme celles-ci, c'est la Colombie-Britannique. Toutes les autres ont des limitations de ce genre.

Le sénateur Rivest: Est-ce que ces limitations, en regard de la décision de la Cour suprême, risquent d'être invalidées?

M. Saada: En principe, oui.

Le sénateur Rivest: Elles ne l'ont pas encore été?

M. Perrault: Au Québec, il y a un litige et on a suspendu les procédures en attendant. Le gouvernement du Québec a dit qu'il travaillait à un projet de loi pour remédier à la question. On peut effectivement s'attendre à cela.

M. Saada: Cela dit, au Québec il y a une initiative actuellement qui n'est pas encore traduite en termes de projet de loi, mais qui travaille en profondeur sur la question de la représentation.

Le sénateur Rivest: Nous savons que la date d'entrée en vigueur de cette loi est en juin. Est-ce que cette loi s'appliquerait si les élections étaient déclenchées au printemps, c'est-à-dire cette fin semaine ou la semaine prochaine?

M. Saada: La loi s'appliquerait, mais l'enregistrement de nouveaux partis ne pourrait pas se faire parce que cela prendrait six mois avant que cela puisse se faire. N'est-ce pas?

M. Perrault: Il faut 60 jours pour l'enregistrement et c'est une procédure actuelle. Il faut que la demande ait été faite 60 jours avant l'émission des brefs.

Le sénateur Rivest: Avec le calendrier électoral possible, cela n'a pas d'influence sur l'application de ce projet de loi?

M. Saada: Partant de votre hypothèse d'élections au printemps, non.

Le sénateur Rivest: À première vue, les exigences de la loi ne me paraissent pas déraisonnables, mais la Cour suprême n'est pas de mon avis. Cela m'apparaissait un peu inquiétant dans le sens que c'est quand même à nous de décider cela. Je comprends qu'il y a l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Avez-vous pensé à la clause nonobstant?

M. Saada: On me dit que la clause nonobstant ne s'appliquerait pas.

Le sénateur Rivest: Parce qu'il s'agit de droit électoral?

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Pendant que votre gouvernement étudiait le système de soins de santé, l'ancien premier ministre de la Saskatchewan, M. Romanow, et le Sénat ont chacun présenté un rapport sur la réforme des soins de santé. Que pensez-vous de l'idée de permettre au Sénat de se pencher sur ce dossier, pour faire, en quelque sorte, une contre-expertise de l'étude à laquelle procède la Chambre? Autrement dit, nous pourrions faire un examen indépendant de celui de la Chambre.

Nous avons ouvert une boite de Pandore et nous réagissons de façon instinctive, en ne pensant qu'à court terme. Je crois que nous n'avons pas bien examiné toutes les répercussions. Aucune étude ne m'a encore donné confiance en ce projet de loi.

Aucune indication, dans les témoignages présentés à la Chambre particulièrement, ne me donne grande confiance dans cette mesure législative. Nous savons qu'elle comporte une disposition de temporisation. Je sais aussi que vous vous êtes engagé dans une étude à long terme. Il serait peut-être bon d'avoir deux points de vue. J'ai des préoccupations qui découlent des entretiens que nous avons eus avec certaines personnes, ainsi que relativement à l'incidence du projet de loi à court terme. Qu'a fait la Chambre de ce projet de loi? Vous ne nous avez parlé de ce que le gouvernement a fait. Je ne vois toujours pas ce que la Chambre a fait.

M. Saada: D'abord, je comprends votre question sur les travaux du Sénat et de la Chambre des communes. Elle rejoint les propos qu'a tenus le sénateur Joyal il y a un moment.

Je vous ai répondu du mieux que je pouvais. Je reste ouvert à toutes formes de coordination des travaux de la Chambre des communes et du Sénat.

Deuxièmement, ce projet de loi est passé par bien des étapes et le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a entendu les témoins qu'il a jugé devoir entendre pour être bien informé. Après avoir examiné le projet de loi et entendu les témoins, les députés, dans leur sagesse, ont décidé d'appuyer cette mesure législative. C'est d'ailleurs l'un des principaux avantages de notre système: une fois ce processus terminé, vous avez été saisis du projet de loi. Vous amorcez maintenant un nouveau processus et il nous reste à voir comment le projet de loi s'en sortira.

Je vous signale qu'il aurait été impossible de faire une étude approfondie des répercussions du projet de loi avant l'échéance fixée par la Cour suprême. Une telle étude aurait pris des mois. Il aurait été irresponsable de ma part, en ma qualité de ministre, de ne pas présumer qu'en ne faisant rien, nous créerions un problème très coûteux pour les contribuables. Toutes sortes de groupes d'intérêts et de pression se seraient déclarés des partis politiques.

Il a fallu agir rapidement. Je le répète, je ne considère pas ce projet de loi comme parfait. C'est une police d'assurance, une mesure de protection. La véritable réponse à l'affaire Figueroa sera donnée plus tard, avant la date d'extinction de la loi. J'aurai d'ailleurs besoin de votre aide à ce chapitre.

Le président: Monsieur le ministre, merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous faire part de votre position.

Chers collègues, j'ai un premier rapport de notre conseiller juridique, Mark Audcent, sur le projet de loi C-20. Vous vous souvenez sans doute que le sénateur Joyal avait demandé s'il faudrait une recommandation royale pour le projet de loi C-20. Le rapport sera distribué dans les deux langues officielles demain, mais je peux déjà vous dire que, essentiellement, notre conseiller juridique est d'avis qu'une recommandation royale n'est pas nécessaire. Voulez-vous entendre le témoignage de M. Audcent ou pourrons-nous dès demain procéder à l'étude article par article, après que vous ayez lu son rapport?

Le sénateur Joyal: Pour ma part, je n'y vois pas d'objection. Nous pourrons lire l'opinion de M. Audcent. Vous dites qu'il n'y a aucun problème. Je ne mets pas en doute sa conclusion.

Le président: Oui, c'est ce que dit M. Audcent. Bien sûr, si ses conclusions soulèvent des questions, nous ne commencerons pas l'étude article par article. Mais si rien n'y fait obstacle, c'est ce que nous ferons.

Le sénateur Joyal: Nous verrons les précédents et ainsi de suite.

Le président: Nous en discuterons demain matin.

La séance est levée.


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