Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 2 - Témoignages du 25 février 2004


OTTAWA, le mercredi 25 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6 sur la procréation assistée, se réunit aujourd'hui à 16 h 05 pour étudier le projet de loi et la recherche connexe.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous reprenons l'audition de témoignages portant sur le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée, et la recherche connexe.

Le sénateur Morin: Avant de commencer, puis-je invoquer le Règlement? Lors de la dernière réunion, le Dr Green de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie nous a dit que 40 p. 100 de l'approvisionnement canadien en sang nous venait des États-Unis, pays où l'on paye les donneurs. Dans le cahier à feuilles mobiles remis aux sénateurs, on trouve cependant une lettre du Dr Graham Sher, chef de la direction de la Société canadienne du sang, où on dit tout à fait le contraire. D'après lui, la totalité de l'approvisionnement canadien en sang vient exclusivement de donneurs canadiens non rémunérés.

Vous vous souviendrez sans doute qu'on a beaucoup discuté de la possibilité de rémunérer les donneurs de sperme et qu'on a établi un parallèle avec le sang. Ici, tout repose sur l'altruisme. La lettre portant là-dessus se trouve dans le cahier.

Le président: Merci, sénateur Morin. Nous accueillons maintenant le premier groupe de témoins composé des personnes suivantes: Mmes Joanne Wright, Phyllis Creighton et Shirley Salomon et par lien vidéo, Mme Juliet Guichon.

Merci à toutes de votre présence parmi nous. Madame Wright, je vous remercie et vous cède la parole.

Mme Joanne Wright, présidente, Canadian Surrogacy Options: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à témoigner devant vous et de me permettre de vous communiquer de nouvelles données et de réfuter certains mythes qui entourent la maternité de substitution.

Cela fait près de 25 ans que je suis mariée et heureuse de l'être. Je suis mère de trois enfants, âgés de 21, 19 et 17 ans et j'ai aussi eu le privilège d'être trois fois mère porteuse afin d'aider trois couples à fonder une famille.

Après avoir eu mes propres enfants et connu les joies de la maternité, il m'a paru très triste de voir tant de couples privés de ce grand bonheur, sans que cela soit leur faute.

Avant même que nous ayons nos enfants, j'avais entendu cette expression «mère porteuse», et l'avais gardée en mémoire. Pendant ma troisième grossesse, en regardant un documentaire sur les mères porteuses, je me suis dit que je pouvais faire cela.

Lorsque j'ai effectué mes recherches sur le sujet, j'ai constaté que je n'avais d'autre choix à l'époque que de me rendre à Dearborn au Michigan y rencontrer un avocat spécialisé dans le domaine. C'est cette agence réputée qui m'a conseillée et orientée afin que je puisse atteindre mon but. À l'époque, le professionnalisme et la réputation de cet organisme étaient sans égal.

L'agence m'a également présenté le couple que j'allais aider. J'allais être une «mère gestatrice», c'est-à-dire une femme n'ayant aucun lien génétique avec l'enfant qu'elle porte. Les embryons ont été créés à partir des ovocytes de la femme du couple et du sperme du mari. Nous avons recouru à la fécondation in vitro et au transfert d'embryons en mars 1988 et en décembre de la même année, le fils et la fille du couple sont nés.

J'ai éprouvé un merveilleux sentiment d'accomplissement et de la fierté. Je n'ai jamais senti que ces bébés étaient à moi. Ils appartenaient à leurs parents, mais j'avais l'impression d'avoir modifié le cours des choses.

Je n'avais pas l'intention de recommencer. Toutefois, une amie qui connaissait un couple à la recherche d'une mère porteuse m'a pressentie. Après avoir rencontré le couple en question et l'avoir entendu me raconter son histoire et me faire part de son impuissance à avoir un enfant, je ne pouvais lui refuser mon aide. J'ai été inséminée en mai 1991 et leur petit garçon est né en février 1992. La naissance s'est très bien déroulée, dans un hôpital dont le personnel nous a très bien entourés, et j'ai simplement eu l'impression que ma meilleure amie venait d'avoir un bébé, je n'ai pas éprouvé le moindre sentiment d'attachement.

Une mère gestatrice est disposée à faire passer au second plan ses émotions, son corps, son intimité avec son mari et une vie active auprès de ses enfants afin de porter l'enfant de quelqu'un d'autre. Elle risque de perdre ses organes reproducteurs et s'expose à d'autres complications liées à la grossesse et à l'accouchement, à l'éventualité de transfusions sanguines; elle risque même sa vie pour aider un couple à réaliser son rêve. Elle le fait en connaissance de cause et accepte ce risque.

Si l'on fait quelques calculs, l'indemnisation accordée à une mère porteuse revient à 2,50 $ l'heure environ. Est-ce que cette somme vous paraît assez élevée pour attirer des candidates?

Depuis 1992, j'ai fait partie de nombreux comités où siégeaient aussi des avocats, des médecins et des travailleurs sociaux réputés ainsi que le personnel des cliniques, et nous avons tous cherché à concevoir des réformes et un cadre réglementaire raisonnable pour régir la maternité de substitution. Nous avons été étonnés de découvrir que les mères porteuses et les couples à la recherche de leurs services étaient les grands oubliés dans ces procédures, et que faute de mieux, on leur donnait des réponses évasives. Nous avons estimé que quelqu'un devrait être en mesure de répondre à leurs appels et de mettre en rapport les couples et les candidates à la maternité de substitution. J'ai donc offert de m'en charger et de simplifier les communications en tant que tiers n'ayant rien à voir dans le dossier médical. Tout le reste a suivi.

Je suis la directrice de Canadian Surrogacy Options Inc. La maternité de substitution a toujours été ma passion, et cela m'a incitée à créer ce service de liaison, non seulement à l'intention des couples mais aussi des femmes souhaitant être mères porteuses. Je tenais à renseigner les gens afin qu'ils sachent que la maternité de substitution est un choix réel s'offrant aux couples qui veulent un enfant qui est génétiquement le leur, malgré l'incapacité de procréer.

Je tiens à rassurer les sénateurs en précisant que la maternité de substitution n'est pas la solution qu'envisagent d'abord les couples au début de leur union. Malheureusement, pour bon nombre d'entre eux, pour des raisons médicales, elle devient leur dernier recours. Lorsqu'ils s'adressent à moi, c'est qu'ils ont épuisé toutes les autres interventions médicales. J'espère qu'en légiférant et en réglementant le fonctionnement des agences du Canada, nous leur donnerons un nouvel espoir.

Si l'on créait une agence semblable à la mienne, les gens sauraient que le gouvernement est à l'écoute et si on l'accréditait, ils sauraient que ces questions très personnelles sont traitées par des professionnels et des êtres responsables.

Je guide les gens avec compassion, tant les candidates à la maternité de substitution que les couples, je me fais leur défenseur et leur sert de point d'ancrage pendant le processus. J'aime passionnément ce que j'ai fait. En dépit de certaines difficultés, et même si j'ai parfois été découragée, car tout cela a été extrêmement gratifiant. Lorsque les couples m'appellent pour me dire que leur porteuse est enceinte et encore plus, lorsqu'ils m'annoncent la naissance de leur enfant et qu'ils m'envoient des photos, il est difficile d'imaginer plus grand bonheur.

On m'a probablement raconté toutes les histoires possibles d'infertilité, et j'ai encore le coeur brisé à l'évocation de tous ces combats contre cette situation pénible. Ainsi, par exemple, le dernier couple avec qui j'ai travaillé personnellement m'a dit que pendant la naissance de leur fille, la mère a fait une hémorragie et que pour la sauver, il a fallu lui faire une hystérectomie d'urgence. À 29 ans, elle ne pourrait donc plus jamais avoir d'enfant. Le 9 novembre 2002, j'ai pourtant eu l'honneur de donner naissance à son fils. La joie et l'émerveillement qui se lisaient dans les yeux de ce couple me font encore venir les larmes aux yeux. Cet enfant n'a jamais été une marchandise et je ne me suis nullement sentie exploitée. Au contraire, j'ai été bénie d'avoir pu participer à ce miracle et par conséquent, je demande au comité de ne pas priver d'autres couples et mères porteuses de cette expérience. Les histoires sont sans fin tout comme la souffrance qu'on lit dans leurs voix.

Il n'y a pas encore eu de mère porteuse qui ait changé d'avis. Aucune femme ayant offert ses services par mon entremise n'a jamais été exploitée ou forcée de faire ce qu'elle a fait. Il existe déjà des mesures de protection, ainsi par exemple les séances de counselling auprès de thérapeutes réputés afin qu'on ait une idée des motivations des candidates à la maternité de substitution. Ces dernières doivent être autonomes et solvables. Le couple doit lui aussi avoir de véritables raisons médicales de recourir à une telle solution. Des deux côtés, on dispose des services d'un avocat. La porteuse éventuelle doit être dans une forme physique lui permettant de porter un autre enfant et cette grossesse doit être sans danger sur le plan médical. Vous comprenez donc que seuls des professionnels tels que moi sont en mesure de prévoir certaines questions et de guider les couples et les mères porteuses à travers tout le processus.

Pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet des sentiments des enfants, selon une étude effectuée par des chercheurs du Family and Child Psychology Center de la Centre City University à Londres, voici ce que dit la professeure Susan Golombok:

Les craintes relatives aux conséquences de la maternité de substitution sur le bien-être des enfants et des familles paraissent sans fondement. En fait, les mères d'enfants nés d'une mère porteuse manifestent plus d'affection à l'endroit de leurs bébés et se sentent plus proches d'eux que dans les familles où l'enfant est le fruit du processus naturel... On suppose souvent que les mères porteuses auront de la difficulté à remettre l'enfant à la naissance. En fait, nous n'avons observé qu'un seul cas où la mère porteuse a eu de légers doutes, et dans tous les autres, les mères n'ont signalé aucun problème.

Ces conclusions sont tirées de la première enquête contrôlée et systématique auprès des familles ayant eu recours à la maternité de substitution.

Je me consacre corps et âme à chacun des services que j'organise. Je me soucie de toutes les personnes concernées, et je dois être persuadée que toutes vivront une expérience positive et mémorable.

La maternité de substitution est une possibilité merveilleuse pour bon nombre de gens. Elle peut être une joie à la fois pour la famille et pour la mère porteuse et sa propre famille. J'ai toujours essayé d'aider les gens en les faisant profiter de mon expérience personnelle et de mon sens commun.

En guide de conclusion, j'espère que mon expérience vous a aidés à comprendre les effets que le projet de loi C-6 aura sur bon nombre de Canadiens et à voir que, grâce à l'éducation du public, à des renseignements et à des règlements, la maternité de substitution peut représenter une solution réelle et positive pour ceux qui souhaitent fonder une famille.

Je demande aux sénateurs d'étudier attentivement ce que mes collègues et moi-même présenterons et plutôt que d'interdire l'indemnisation des mères gestatrices, des intermédiaires et des donneurs de gamètes, on pense à ceux qui en subiront le plus les conséquences.

En fin de compte, nous devrions réglementer cette pratique, y compris en fixant un plafond à l'indemnisation directe et indirecte et en accréditant des agences réputées telles que la mienne, qui participeraient ainsi à la mise en oeuvre des règlements grâce à des critères d'ordre médical, psychologique et juridique.

Le président: Je vous remercie beaucoup de votre exposé et de nous en avoir remis une version par écrit.

Mme Phyllis Creighton, membre du Comité consultatif sur les techniques de reproduction et de génétique: Je fais partie du Comité consultatif sur les techniques de reproduction et de génétique de Santé Canada. J'y ai été nommée lors de sa mise sur pied en 1995. Sa dernière réunion remonte à 2001. Je vous ai fait parvenir mon mémoire, vous l'avez donc en main. Au cas où cela vous intéresserait aussi, vous y trouverez des renseignements plus complets sur moi.

J'exprimerai en partie le point de vue du comité consultatif et en partie le mien.

Le comité consultatif appuie l'interdiction frappant la maternité de substitution commerciale, aux paragraphes 6(1), (2) et (3). Nous estimons que la maternité de substitution comporte deux maux sociaux; la réification des enfants et l'exploitation d'êtres vulnérables. Dans le système de vente d'enfants par intermédiaire, une femme devient un réceptacle de transit, un utérus de location et le bébé qu'elle met au monde est considéré comme une marchandise à payer et à transférer.

Une femme qui donne naissance a des responsabilités à assumer envers son enfant, mais aucune mère — quelle qu'elle soit — selon le sens qu'on donne habituellement à ce terme et selon le droit commun, n'a le droit de traiter son enfant comme un bien personnel à vendre.

La maternité de substitution commerciale traite également les fonctions reproductrices de la femme comme une marchandise — attitude méprisante qui l'enferme dans le rôle injuste de reproductrice. Le Canada doit tirer la leçon de ce qui s'est passé aux États-Unis, avec tout ce que cela a comporté de troublants catalogues de mères porteuses et de commercialisation des corps et des bébés.

Au paragraphe 2(1), le projet de loi C-6 énonce comme principe fondamental du régime «la santé et bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée». Tout enfant conçu comme un bien commercialisable et transférable est privé de sa dignité humaine et de respect. Un tel postulat porte atteinte à son bien-être et diminue même celui de tous les autres enfants. L'infertilité et l'infécondité sont des sources d'angoisse mais elles ne représentent rien de nouveau. L'adoption a été l'un des moyens utilisés pour y remédier.

Dans les cas d'adoption, la rémunération des parents naturels est interdite. Pourquoi devrait-on la permettre ici par un autre moyen pour répondre aux besoins des couples inféconds? Puisqu'on ne peut faire adopter son enfant avant qu'il soit né et qui est là pendant quelques jours après sa naissance, pourquoi pourrait-on passer un supposé contrat pour le faire au moyen de la maternité de substitution? Si l'on ne peut acheter d'organe, quand bien même ce serait pour sauver une vie, pourquoi pourrait-on acheter un bébé?

La rémunération de la grossesse réduirait celle-ci à un service reproductif commercial et porterait ainsi atteinte à sa dignité. Elle ne mènerait pas non plus à l'égalité et à la dignité des femmes. À cet égard, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction a relevé non seulement les atteintes à la dignité humaine que représenterait la marchandisation des fonctions reproductrices de la femme, mais aussi les préjudices réels et éventuels que cela entraîne pour les enfants et les familles.

Si l'on en juge d'après les services de bavardage en ligne, les mères porteuses tiennent souvent à ce que leur apport soit reconnu et à ce que leurs enfants les connaissent. Toutefois, la plupart des couples qui font appel à leurs services semblent les considérer comme un instrument, un mécanisme à jeter après usage, une fois que l'enfant est né. Les travaux font également état des préjudices causés au lien conjugal, aux enfants des mères porteuses et à la paix intérieure de ces mères, car bon nombre d'entre elles vivent des sentiments de perte et de deuil, peut-être à long terme et probablement en silence. Il y a peut-être davantage de femmes que nous le soupçonnons qui pourraient souscrire aux paroles d'Elizabeth Kane, mère porteuse américaine et auteur, lorsqu'elle dit: «la maternité de substitution n'est rien d'autre que le transfert de la douleur d'une femme à une autre».

À l'article 6, le projet de loi interdit de façon précise l'offre ou la vente. Cela ferme la grande porte à ce genre de tractation, mais l'article 12, en permettant le remboursement des frais de la mère porteuse, ouvre la petite porte. Le comité consultatif s'était contre une telle indemnisation. Qu'est-ce qu'on pourrait inclure dans ces frais, un mot passe- partout?

Les dispositions au paragraphe 12(3) relatives au remboursement pour toute perte d'un revenu de travail me paraissent encore plus douteuses. Le «risque pour la santé de celle-ci, de l'embryon et du foetus» me paraît vague. De quel niveau de risque parle-t-on? On sait que le stress représente un risque pour le foetus. Si je me reporte à des témoignages personnels, la maternité de substitution entraîne des tensions lorsque la mère porteuse s'efforce de se détacher de l'enfant qui est en elle — sans même qu'on se demande s'il est bon qu'une femme se détache ainsi — surtout après qu'il a commencé à bouger et qu'il se crée nécessairement un lien avec lui, ainsi que l'attestent tous les travaux de recherche.

Qui signera l'attestation précisant que la mère porteuse n'est pas capable de rester au travail, le médecin qui a été à l'origine de sa grossesse, ou son associé? Aujourd'hui, la plupart des cas de maternité de substitution sont le fruit d'une fécondation in vitro. Songez aussi à ce que cela représente. La mère porteuse ne pourra travailler pendant sa grossesse, contrairement à ce que font la plupart des femmes enceintes, et cela n'a rien d'étonnant, étant donné le grand nombre de piqûres d'hormone qu'elle doit recevoir et dont les conséquences à long terme ne sont pas vraiment connues, le risque d'accouchement prématuré, de césarienne et le reste. Est-ce que de telles attestations deviendront monnaie courante et ainsi, est-ce que la maternité de substitution sera rétribuée? Qui surveillera l'émission de tels certificats? Qui en bénéficiera — des cliniques qui font de gros bénéfices? Des couples client riches? Des mères porteuses vulnérables et, selon les données actuelles, provenant de milieux socio-économiques défavorisés?

J'accepte très mal qu'on nous dise qu'il n'y a pas moyen d'adopter un amendement au projet de loi à cette étape. Je peux seulement espérer que les préoccupations et les questions que j'ai soulevées seront étudiées à l'étape de l'élaboration du règlement et lors du réexamen triennal de la loi. J'ai dû parcourir assez rapidement les points de mon mémoire. On les trouvera sous une forme plus étoffée dans le document écrit.

Les lacunes que je viens d'énumérer et d'autres encore me paraissent affligeantes. En dépit de cela, il faut que ce projet de loi soit adopté, pour le bien des Canadiens, et surtout celui des femmes et des enfants, pour la protection de leur santé, de leur dignité et de leurs droits. D'interminables palabres ont permis à l'industrie se spécialisant dans le traitement de la stérilité de connaître une croissance considérable, et anarchique dans le cas de certains aspects essentiels. Il faut absolument qu'un marché aussi peu contrôlé que celui-là soit assujetti à un cadre législatif. Faute d'une loi, la situation ne peut que se dégrader.

J'ai une autre préoccupation de longue date. Étant donné la priorité que le projet de loi accorde à la santé et au bien- être des enfants — c'est d'ailleurs le premier principe énoncé dans le texte — le fait que ce même projet de loi ne garantit pas le droit pour les enfants issus d'une mère porteuse, de gamètes ou d'embryons donnés de connaître leur géniteur est une carence sur les plans éthique et juridique. On les prive ainsi de l'élément fondamental de leur identité. C'est inacceptable.

Une telle privation pourrait être vivement ressentie par les enfants issus de dons de gamètes, étant donné que selon le paragraphe 18(3), ils peuvent avoir accès aux rapports médicaux relatifs au donneur. On devrait mettre fin à l'anonymat et au secret en ce qui concerne les dons de gamètes parce que cela lèse les enfants. L'ouverture s'impose de plus en plus comme la norme dans le monde entier, et elle pourrait même devenir obligatoire, en vertu de l'article 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, dont le Canada est signataire.

Pour ce qui est de la mère porteuse, non seulement elle devrait être connue de nom par l'enfant, mais aussi elle devrait demeurer en contact avec lui. Si nous fondons des familles dignes de ce nom grâce aux nouvelles technologies, il faut que nous reconnaissions qu'une mère reste une mère à jamais. Si les parents sociaux sont vraiment intègres, il faut qu'ils gardent à la maternité de substitution son caractère humain en acceptant et en accueillant parmi leurs relations la femme avec laquelle l'enfant a établi un lien in utero, dans le seul rapport véritablement symbiotique. Nous disposons en effet de nombreux travaux d'après lesquels le lien d'attachement se forme dès avant la naissance.

À mon avis, le problème de ce projet de loi tient à son manque d'imagination éthique, comme c'est d'ailleurs le cas dans la maternité de substitution telle qu'on la connaît.

Mme Shirley Solomon, témoignage à titre personnel: Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de témoigner devant votre comité au sujet du projet de loi C-6. Ma présence ici revêt une grande importance pour mon mari, ma fille, mon gendre et moi-même. Je tiens à vous faire part de mes préoccupations au sujet des conséquences dévastatrices qu'à mes yeux le projet de loi aura sur la vie de milliers de Canadiens qui, par sa faute, seront privés de l'une des plus grandes joies de la vie: avoir un enfant et fonder une famille.

J'appartiens à l'une de ces familles. Il ne m'est pas facile de parler publiquement d'une question aussi intime. J'estime cependant y être obligée, car il va de l'avenir de ma famille et de bon nombre d'autres familles canadiennes, qui pourraient être sensiblement affectées par le sort que vous ferez à ce projet de loi. Pour ma part, je souhaite avec ferveur et je prie qu'il ne soit pas adopté.

Ma fille Stéphanie est âgée de 32 ans et est mariée à David depuis trois ans et demi. Stéphanie souffre terriblement d'une des formes les plus aiguës de la maladie de Crohn et de la colite et a fait de nombreux séjours dans les hôpitaux depuis l'âge de 16 ans. Il y a sept ans, elle était si malade qu'elle a dû subir l'ablation entière du colon pour avoir la vie sauve. Elle a dû ensuite porter un sac attaché à son estomac pour lui servir d'anus artificiel. C'était traumatisant pour un être aussi jeune, mais les médecins disaient quand même espérer que cela mettrait fin à ses souffrances. Toutefois, quelques mois plus tard, elle a fait une terrible rechute et depuis, Stéphanie doit prendre quotidiennement une vingtaine de pilules, et malgré cela, ses douleurs n'ont pas disparu. L'année dernière, elle a fait une hémorragie presque fatale. On a dû lui faire de nombreuses transfusions sanguines pour la maintenir en vie puis on lui a administré un médicament de dernier recours, le Remicade, qu'elle prend maintenant à toutes les six semaines sous forme d'une perfusion de quatre heures. Dieu merci, jusqu'à ce jour, ce traitement a réussi à tenir la douleur et les pires aspects de la maladie en échec.

C'est une jeune femme courageuse, soutenue par un mari aimant, et elle a toujours rêvé d'avoir des enfants, mais deux grands spécialistes des grossesses à risque lui ont dit qu'en raison de la gravité de sa maladie, une grossesse mettrait sa vie en danger. Ce verdict l'a vraiment terrassée et moi aussi, ainsi que son père. Elle m'a répété que sa vie de femme, d'épouse et de fille était un échec, elle était extrêmement déprimée, encore plus que dans les pires moments de sa maladie; je ne l'avais jamais vue comme cela. Elle est demeurée inconsolable et le coeur brisé pendant des mois et des mois.

Après avoir étudié toutes les possibilités, fait un profond examen de conscience et consulté notre rabbin, nous avons pris une décision en famille, celle de trouver une mère gestatrice, une femme qui porterait l'enfant de Stephanie et David.

Le profond sentiment de deuil et d'échec qui avait abattu Stephanie s'est transformé en espoir lorsqu'elle et David ont appris que grâce aux techniques de reproduction et en utilisant les ovocytes de Stephanie et le sperme de David, une mère de substitution pourrait porter leur bébé. Ils ont été transportés de joie d'apprendre qu'ils auraient un bébé qui leur serait génétiquement lié.

Nos espoirs ont cependant été de courte durée car nous avons appris qu'on présentait le projet de loi C-13, maintenant le C-6, qui les empêcherait de réaliser leur rêve. Cela tient au fait que le projet de loi C-6 ne permettra pas le remboursement des mères porteuses, sauf pour le cas des dépenses confirmées par des reçus. C'est peut-être ce que souhaitent certaines gens, mais cela sonnera le glas des dons de gamètes et de la maternité de substitution au Canada, comme on l'a amplement observé dans d'autres pays où l'on a interdit la rétribution des dons de gamètes et de la maternité de substitution.

On trouve un cas de figure de cela avec ce qui s'est passé au Royaume-Uni il y a 10 ans, lorsqu'on a interdit la rétribution des mères porteuses et des donneurs, sauf pour le remboursement des frais. Cela a entraîné une chute dramatique et très marquée du nombre de mères porteuses et de donneurs — à tel point qu'il a fallu modifier la loi récemment afin d'autoriser une indemnisation équitable et raisonnable.

Cela devrait servir de mise en garde à notre gouvernement et devrait modérer son grand zèle à adopter le projet de loi C-6. Il faut que ce texte législatif soit amendé de manière à permettre une indemnisation équitable, raisonnable et réglementée, allant au-delà des dépenses étayées par reçus. Il est tout à fait irréaliste de penser qu'une candidate à la maternité de substitution va se donner la peine de subir les traitements préalables à la grossesse, les neuf mois de grossesse et l'accouchement sans recevoir une rétribution équitable.

Penser qu'une étrangère va accepter de le faire par altruisme est extrêmement naïf. Si des proches ou des amis intimes accouraient en grand nombre pour offrir leurs gamètes ou servir de mères porteuses par altruisme, nous n'aurions nullement besoin de donneurs et de mères de substitution non apparentés mais, manifestement, ce n'est pas le cas.

Ni ma fille, enfant unique, ni mon gendre n'ont de proches qui pourraient leur rendre ce service. Même dans les cas où des parents sont disposés à le faire, il faut toujours garder à l'esprit la contrainte psychologique que peut représenter une demande de ce genre et les effets tout à fait destructeurs pour tout lien familial que peut entraîner le refus d'un de ces parents.

Dans tout cela, il y a plus grave, le fait que le gouvernement s'arroge un droit qu'il n'a pas, celui de se prendre pour Dieu, comme il le fait précisément au moyen du projet de loi C-6. Quel droit a-t-il de s'immiscer dans une décision aussi personnelle et intime?

À mes yeux, ce projet de loi est extrême, il a quelque chose d'autoritaire et de répréhensible. Il n'empêchera pas des couples infertiles tels que Stephanie et David de vouloir avoir des enfants. S'il est adopté, ces couples désespérés soit iront aux États-Unis, où ces activités sont très peu réglementées et où les donneurs et les mères porteuses demandent parfois des honoraires exorbitants, soit ils se tourneront vers le marché noir canadien, même au risque d'enfreindre la loi. Le projet de loi C-6 fera de ma fille et de son mari et d'innombrables autres personnes honnêtes des criminels du simple fait qu'elles appuient ce dont nous vous parlons aujourd'hui. On les condamnera à des peines habituellement réservées aux gens reconnus coupables de meurtre au second degré. Imaginez que ma fille soit condamnée à 10 ans de prison parce qu'elle voulait avoir un enfant.

Ce projet de loi est une honte, il est anti-canadien, inique, punitif et draconien, voire contraire à la Charte des droits et libertés. Je suis vraiment horrifiée de devoir venir ici pour plaider le droit pour ma fille, mon gendre et des milliers de gens comme eux, de choisir comment créer et fonder leur famille dans ce pays que j'aime tant. Ce choix est un droit absolu, il revient à tous les Canadiens, pas seulement à ceux qui sont assez favorisés par le sort pour avoir eux-mêmes des enfants. Ce projet de loi sera la cause de souffrances inimaginables pour des couples infertiles de toutes les régions du pays.

Je ne peux croire qu'en toute conscience, le Sénat permettrait que soit adoptée une loi qui pénaliserait des femmes comme Stéphanie qui ne peuvent avoir d'enfants à cause de problèmes de santé dont elles ne sont absolument pas responsables.

L'année dernière, nous étions si affolés à l'idée que le projet de loi C-13 soit adopté que Stéphanie et David ont entamé des démarches frénétiques pour trouver une mère porteuse. Ils ont effectivement trouvé une femme merveilleuse qui a consenti à porter leur enfant qui serait conçu avec un ovule de Stéphanie et le sperme de David. Nous lui serons à jamais reconnaissants et nous la fréquentons encore. Elle a changé nos vies à jamais.

Il y a trois semaines, Stéphanie et David ont enfin vu leur rêve se réaliser. Leur fille Sohara Simone est née. Ils sont au septième ciel. Je ne les ai jamais vus aussi heureux qu'à la naissance de leur bébé miracle.

Mes amis qui ont des petits-enfants me disent depuis longtemps qu'il n'y a rien de comparable à l'expérience d'être grands-parents. J'éprouvais un immense chagrin à l'idée que je ne connaîtrais jamais cette expérience, mais aujourd'hui je nage dans le bonheur parce que j'ai eu la chance d'avoir une petite-fille belle et en bonne santé. Mes amis avaient raison; cela m'a apporté une joie extraordinaire. Je sais maintenant qu'il nous aurait manqué quelque chose si nous n'avions pas eu cette enfant.

Beaucoup d'entre vous êtes grands-parents. Pouvez-vous imaginer votre vie sans vos petits-enfants? Je suis sûre que non. Et pourtant, si le projet de loi C-6 est adopté, il imposera un lourd tribut à beaucoup de Canadiens qui ne pourront jamais connaître la joie d'être parents ou grands-parents.

Je vous implore de faire en sorte que le projet de loi ne soit pas adopté.

Le président: Je vous remercie de votre fort émouvant témoignage.

Nous entendrons maintenant le quatrième et dernier témoin de ce groupe. Il s'agit de Mme Juliet Guichon, professeure à l'Université de Calgary, qui va témoigner par vidéoconférence.

Madame, à vous la parole.

Mme Juliet Guichon, professeure, Université de Calgary: Honorables sénateurs, on m'a invitée à répondre à deux questions au sujet des mères porteuses: qui est la mère de l'enfant? et pourquoi faut-il interdire toute rémunération?

La première de ces questions se pose parce que, comme nous venons de l'entendre, certains témoins avancent que la femme qui a porté l'enfant n'est pas vraiment la mère de celui-ci, mais plutôt une «gestatrice», si je peux utiliser ce terme pour rendre l'expression anglaise «gestational carrier».

Si le projet C-6 soulève plusieurs questions difficiles, à mon avis, la réponse à celle-ci est simple. Le scénario le plus simple est celui d'une femme qui conçoit un enfant avec son propre ovule et le porte jusqu'à terme. L'enfant peut être conçu par insémination artificielle ou par des relations sexuelles. Je signale à cet égard que la définition de «mère porteuse» qui figure dans l'article 3 n'englobe pas les cas où la conception pourrait être le fruit d'une relation sexuelle. Or il s'agit là d'une éventuelle échappatoire dont pourraient se prévaloir ceux qui souhaitent avoir des enfants en recourant à cette méthode pour échapper aux règlements qui seront élaborés dans ce domaine. Il leur suffirait d'avoir des relations sexuelles dans l'intention de concevoir un enfant qui sera transféré à une autre femme après sa naissance.

Dans le cas des enfants issus d'un ovule de la mère porteuse, il ne fait aucun doute que celle-ci est la mère. Si certains la qualifient de mère porteuse, c'est parce que les personnes intéressées par l'issue de la grossesse ne veulent pas qu'elle puisse revendiquer des droits à l'égard de son propre enfant. Néanmoins, l'enfant est bel et bien son enfant et elle a la responsabilité d'en prendre soin en vertu du droit familial de sa province. Si elle décide de céder à quelqu'un d'autre la garde de l'enfant, elle a le droit de le faire en vertu du droit de la famille, qui est de ressort provincial. Même dans ces cas, la loi prévoit une période de réflexion après la naissance de l'enfant pour permettre à la femme de changer d'idée si elle le souhaite, et la mère ne peut pas céder l'enfant pendant cette période. Pendant la période de réflexion, elle est encore considérée comme la mère de l'enfant.

Le président: Madame, votre exposé est assez long et je vois que vous ajoutez au fur et à mesure d'autres commentaires à votre texte écrit. Nous pourrons aborder bon nombre de ces aspects pendant la période des questions. Vous n'avez pas besoin de lire le texte puisque nous l'avons en main. Pourriez-vous simplement en souligner les points saillants? Nous vous en serions reconnaissants, car je veux qu'il y ait assez de temps pour les questions.

Mme Guichon: Oui, bien sûr.

Quant au scénario techniquement plus complexe où l'ovule d'une autre femme est implanté dans la mère porteuse, j'estime que la femme qui accouche de l'enfant reste sa véritable mère. Il importe qu'il en soit ainsi dans l'intérêt de l'enfant. Il faut que les personnes qui l'entourent sachent qui est la mère au cas où l'enfant aurait besoin de soins médicaux. Dans mon texte je donne d'autres raisons pour lesquelles il est important que la mère naturelle — celle qui donne naissance à l'enfant — soit considérée légalement comme la mère.

Par ailleurs, si l'enfant est issu d'un transfert d'embryon ou de l'insertion d'un ovule dans une femme qui le porte jusqu'à terme, nom des trois personnes qui ont présidé à sa naissance doivent figurer sur son certificat de naissance. La contribution de la femme qui a fourni l'ovule, de l'homme qui a donné le sperme et de la mère porteuse doit être reconnue, étant donné que ces trois personnes jouent un rôle important dans la vie de l'enfant.

Cinq bonnes raisons militent en faveur de l'interdiction de la rémunération des mères porteuses. Premièrement, cela inciterait les intermédiaires à agir aux dépens des femmes. Des intermédiaires comme Richard Levin, et Noël Keane aujourd'hui décédé, l'ont démontré dans au moins deux cas que je peux vous décrire. Le premier est le cas tristement célèbre de Bébé M, dont Marybeth Whitehead était la mère naturelle. Le deuxième cas était celui, extrêmement troublant, de Diane Downs. Dans ces deux cas, les femmes ont été interviewées par des psychiatres qu'on peut supposer indépendants, bien que cela n'ait pas été prouvé; ces psychiatres ont affirmé que les femmes en question ne seraient pas de bonnes candidates pour un projet de ce genre. Or on n'a pas tenu compte de ces avis et les femmes ont été encouragées à participer à l'aventure avec le résultat tragique qu'on courait dans le cas de Bébé M, comme vous le savez sans doute. Dans le cas de Diane Downs, la mère porteuse a éprouvé une grande détresse psychologique et près d'un an après avoir donné naissance à l'enfant qu'elle avait porté pour d'autres, elle a assassiné ou tenté d'assassiner ses trois autres enfants.

L'argument à faire valoir c'est que lorsqu'il y a échange d'argent, l'expérience américaine nous montre que les intermédiaires peuvent être tentés d'agir de façon tout à fait contraire aux intérêts des femmes et des enfants en cause.

La deuxième raison pour laquelle il faut interdire la rémunération des mères porteuses est que cela amène les femmes à agir contrairement à leurs intérêts. Dans le témoignage poignant que vous venez d'entendre, il n'a pas du tout été question des effets de la grossesse sur la femme qui a porté l'enfant, sur son état actuel et sur son état futur, disons dans une dizaine d'années. Certains témoins ont dit qu'il est irréaliste de s'attendre à ce que les femmes offrent gratuitement des services de mère porteuse. N'est-ce pas justement qu'il y a le plus révélateur? Devenir enceinte, connaître les douleurs de l'enfantement, accoucher et allaiter un bébé ne sont pas des activités anodines. Pourquoi alors devrait-on inciter les femmes à les vivre quand elles seront privées de l'avantage important qui accompagne l'aboutissement de ce processus: la joie de donner naissance à un enfant?

Le Journal de l'Association médicale canadienne a fait état d'une étude réalisée à Dearborn, au Michigan, auprès de 41 femmes qu'on appelle des mères porteuses, mais qui sont des mères.

Presque toutes ces femmes ont avoué qu'elles avaient sous-estimé la difficulté de renoncer à leur bébé. Au moment de la séparation, elles avaient éprouvé divers symptômes dont les crises de larmes incontrôlables, des troubles du sommeil, des douleurs aux bras, un profond chagrin et l'incapacité de voir un bébé sans éprouver une vive souffrance, pendant plusieurs mois après la naissance.

D'après l'expérience des mères ayant donné leur enfant en adoption, il semble que ces réactions ne soient pas rares et sont prévisibles.

J'aimerais aussi faire l'analogie avec la vente d'organes, comme Mme Creighton l'a signalé. Nous interdisons la vente d'organes parce que nous jugeons qu'il serait injuste d'encourager les gens d'agir contrairement à leurs intérêts pour gagner de l'argent. D'après l'information recueillie jusqu'à maintenant, le fait de renoncer à son enfant n'est pas un acte anodin et le fait d'inciter une femme à le faire en lui offrant de l'argent est comparable à inciter quelqu'un à vendre un de ses organes.

La troisième raison pour laquelle il faut interdire la rémunération des mères porteuses est que ces contrats créent un contexte dans lequel les femmes agiraient en fonction de normes différentes: les normes qui s'appliquent aux dons plutôt que les normes du marché. Je n'ai pas beaucoup de temps pour préciser ma pensée, mais je vais vous donner un exemple.

Lorsque Marybeth Whitehead a voulu se ritirer de l'entente, son avocat a fait valoir qu'on ne pouvait l'obliger à respecter son contrat parce qu'on ne la payait que 1,54 $ l'heure. Autrement dit, l'entente ne pouvait pas être considérée comme à un contrat parce qu'elle était abusive et partant nulle et non avenue. Le juge n'était toutefois pas de cet avis. Il a estimé le contrat valide et le fait qu'on rétribuait la mère porteuse bien en deçà du salaire minimum était à ses yeux hors de propos. Selon lui, la mère porteuse était donc tenue de respecter les normes concernant les dons. Il ajoutait que sa première offre de maternité de substitution dénotait clairement uniate nature altruiste et qu'on ne pouvait pas tout ramener à une valeur marchande.

L'essentiel ici est que les couples clients ont le droit d'agir en fonction des normes du marché et celles régissant les contrats, ce qui suppose un comportement intéressé tandis que les mères porteuses sont astreintes aux normes concernant les dons et les liens familiaux, soit d'être toujours prêtes à se sacrifier et à être éternellement altruistes. Le louable désir de venir en aide à autrui peut en réalité placer une femme dans une situation vulnérable, l'inciter à accepter qu'on profite injustement de son altruisme. Sur le plan de la justice, de telles situations créent un déséquilibre au détriment de la mère porteuse.

La quatrième raison pour laquelle il faut interdire la rétribution est le fait que cela pourrait entraîner l'exploitation des souffrances d'une femme liées à son passé sexuel ou génésique. Ici, j'aimerais me reporter à l'étude du psychiatre Phillip Parker, publiée dans l'American Journal of Psychiatry et où il observe que parmi les femmes qui offrent leurs services de mère de substitution, nombre d'entre elles cherchent à surmonter un traumatisme antérieur de leur vie sexuelle ou génésique. Dans un article de US News & World Report, on peut aussi lire le témoignage suivant, et je cite:

Il y a quelques années, j'ai subi un avortement, événement traumatisant dont je me suis remise mais que je n'arrivais pas à oublier. J'aurais voulu un autre enfant, mais pour des raisons pécuniaires, cela aurait été un fardeau trop lourd. Je ne pouvais remplacer l'enfant avorté, mais je voulais faire quelque chose pour réparer son absence en quelque sorte.

Là où je veux en venir, c'est que cette femme affirme souffrir encore moralement de l'avortement qu'elle a subi. J'ai aussi lu des articles d'après lesquels les intermédiaires disent à une femme qu'elle peut réparer une erreur passée en devenant mère porteuse.

Des femmes ayant été agressées sexuellement ont aussi affirmé avoir été entraînées dans cette pratique par désir inconscient de surmonter cette exploitation sexuelle. Ainsi, une femme disait, et je cite:

Ma décision d'être mère porteuse était liée à cela. Je n'avais pas réussi à purifier mon âme. Comment débarrasser mon corps du sperme de mon père? J'y arriverais grâce à la maternité de substitution. Je pouvais offrir mon corps. Cette fois, c'est moi qui offrirais mon corps, librement. D'une manière ou d'une autre, cela purifierait mon âme.

On se demande comment un contrat de maternité de substitution peut résoudre les conflits psychologiques des femmes ayant subi un avortement, renoncer à un enfant d'adoption ou été victime d'exploitation sexuelle, car cette initiative entraîne forcément une autre perte à surmonter. On peut soutenir qu'au lieu de profiter de femmes vulnérables à des fins lucratives, les professionnels devraient les protéger.

Enfin, la cinquième raison pour laquelle il faut interdire tout paiement est que cela risque d'encourager les Américains à venir se procurer des mères porteuses au Canada. Il y a deux ans, un article du Globe and Mail rapportait que les Américains se livraient à cela pour diverses raisons. Les femmes canadiennes réclament moins d'argent que les Américaines; le dollar canadien est plus faible que le dollar américain; enfin, notre régime public de services de santé est avantageux pour les clients américains car si la grossesse et l'accouchement ont lieu au Canada, le régime assume les frais des soins prénataux et liés à l'accouchement. Bien entendu, les Canadiens eux aussi vont au sud de leur frontière, et il se peut nous a-t-on dit qu'ils soient plus nombreux à le faire pour obtenir ce genre de service.

Toutefois, affirmer que les Canadiens vont se rendre aux États-Unis ne me paraît pas un argument en faveur d'une maternité de substitution rétribuée. Le Canada et certains États américains n'ont pas les mêmes valeurs. Les Canadiens reconnaissent l'intérêt de la collectivité en ce qui a trait à la procréation et ils tiennent compte des besoins des particuliers vulnérables, tandis que dans certains États américains, on semble penser que les gens ont le droit d'obtenir tout ce qu'ils veulent et parfois seulement ce qu'ils peuvent se payer.

Pour conclure ma réponse aux deux questions, la mère porteuse devrait toujours être considérée comme la mère et il y a cinq bonnes raisons d'interdire la maternité de substitution rétribuée.

Cette pratique mérite un examen plus approfondi. Lorsque j'ai témoigné devant le comité permanent de la Chambre des communes, j'ai affirmé qu'il nous fallait de meilleures données sur les résultats à long terme. Il importe d'insister sur le fait que c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que l'on a séparé sur la gestation de l'aspect génétique de la maternité. La relation entre la mère et l'enfant est le fondement de toutes les relations en société. Créant des incertitudes au sujet de la maternité pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la maternité de substitution entraînera des conséquences encore inconnues mais qui seront probablement profondes, complexes et d'une grande portée. Si l'on permet la maternité de substitution, il faut que ce soit dans le cadre d'un programme de recherche dans des installations autorisées, parce que nous devons être en mesure d'en connaître les effets à long terme sur la mère et l'enfant. Dans un premier temps, les participantes seraient invitées à donner leur consentement éclairé à être des sujets de recherche pour une pratique dont on ne connaît pas pleinement les risques.

Le sénateur Cordy: Vous avez pu remarquer que lorsque nous faisons notre travail de législateurs et nous penchons sur un projet de loi, nous entendons des positions à chaque extrémité du spectre de la question abordée. Nous espérons quand même trancher avec sagesse.

C'est ce qui s'est passé lorsque nous avons discuté de la rétribution et de son interdiction. Selon deux témoins de votre groupe, il faudrait permettre qu'on rémunère la mère porteuse, du fait qu'elle donne neuf mois de sa vie pour aider un couple à avoir un enfant. Cependant, deux autres témoins estiment qu'il faut au contraire interdire la rémunération parce que cela encourage les intermédiaires à vendre ce service par l'entremise d'Internet et d'autres choses de ce genre.

Madame Solomon, et madame Wright, comment pourrait-on rétribuer la maternité de substitution sans qu'il y ait d'abus? Que pouvez-vous répondre à cela?

Mme Solomon: Vraiment, nous avons toujours dit qu'il faut se reposer sur la réglementation. À mon avis, il faut imposer un maximum à l'indemnisation afin qu'elle ne soit pas exorbitante et hors d'atteinte pour les couples qui ne peuvent avoir d'enfants.

En fait, l'industrie est un modèle d'autoréglementation depuis des années. Je sais bien qu'il y a eu le cas de bébé M, et Mme Guichon a parlé de ces deux incidents, mais il y a des milliers et des milliers de maternités de substitution en Amérique du Nord et au Canada. Dans n'importe quelle situation, on peut trouver des cas problèmes, mais cela dit, l'industrie est un modèle d'autoréglementation. C'est pourquoi d'ailleurs il y a eu si peu de problèmes.

Ça ne veut pas dire qu'il faut se passer de règles car nous avons besoin des mesures de protection, et ce, contrairement à ce que diront Dr Librach et d'autres, même si nous n'avons pas entendu parler de problèmes graves au Canada où les mères porteuses ont changé d'avis et dit: «C'est mon bébé, je veux le garder».

Si vous me permettez de me reporter à mon expérience personnelle, la mère porteuse de ma fille — qui lui parle toutes les semaines et reçoit des photos d'elle — m'a dit que le plus grand moment de bonheur pour elle dans tout le processus a été de voir le regard de Stephanie et David, et le nôtre, lorsque nous avons vu le bébé.

Certains demeureront cyniques. Moi-même, lorsque j'ai entendu parler de la maternité de substitution pour la première fois, je me suis demandé pourquoi une femme voudrait faire cela. Je me suis moi-même posé la question. Puis j'ai parlé à des gens comme Mme Wright et d'autres mères porteuses, et j'ai commencé à comprendre. aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a beaucoup d'altruisme là-dedans. On trouve souvent des gens qui disent, «Je tenais à faire cette contribution pour les gens qui ne peuvent avoir d'enfants». Notre mère porteuse est mariée. Elle a une petite fille de six ans et son mari a participé autant qu'elle à son initiative. Il l'a soutenue tout le long, même à l'accouchement. Nous ne voulions pas exclure qui que ce soit. Ils sont donc devenus des membres de notre famille et nous sommes entrés dans la leur.

Le sénateur Cordy: Vous avez parlé d'une indemnisation équitable et raisonnable. Comment établir cela?

Mme Solomon: En s'adressant à l'industrie elle-même, qui s'autoréglemente depuis des années. Mme Wright peut d'ailleurs vous fournir ces renseignements. Dans notre cas, la rémunération s'est établie entre 15 000 $ et 18 000 $. Nous voulions offrir davantage. La mère porteuse a répondu que ça n'était pas ce qui comptait à ses yeux. C'est donc le montant dont nous avons convenu. C'est la pure vérité. Il y a évidemment eu d'autres dépenses, comme les vêtements de maternité et l'aide à cet égard.

Mme Wright: Je répondrais à peu près la même chose: la réglementation et des maximums.

Le sénateur Keon: Toute cette question de la rétribution pour ce genre de service a troublé bon nombre de gens qui se sont adressés à nous. Autrement dit, c'est un service réservé aux riches. Il est offert à l'extérieur de la Loi canadienne sur la santé, et je pourrais même vous nommer quelqu'un qui m'en parlait et me disait, «Si vous vous lancez là-dedans, vous devez avoir au moins 25 000 $ en banque».

Si l'on rémunère une mère porteuse, sa rétribution devrait-elle être payée par le gouvernement afin que le service soit offert à tous et non seulement aux riches? J'aimerais que vous répondiez toutes les deux à la question.

Mme Solomon: D'abord, la mère porteuse n'est pas une mère. C'est ma fille qui est la mère. C'est elle qui se lève aux deux heures pour nourrir son bébé, qui la change, qui parle au médecin, et cetera. C'est donc la mère de l'enfant. David en est le père. Je pense que l'expression «mère porteuse» est mal choisie. Nous pourrions en discuter plus longuement, mais j'aimerais maintenant passer à l'autre question au sujet de l'argent.

Ma fille, mon gendre et nous tous, en tant que famille, avons dû faire certains sacrifices. Il s'agit effectivement de sacrifices. D'ailleurs, être un parent entraîne des sacrifices, et n'importe quel parent le sait bien. Au fond de la salle ici, il y a des gens qui ont des bébés grâce à ce processus. Ce ne sont pas des gens riches. Ils ont dû lutter. Ce sont des gens qui tenaient désespérément à avoir un bébé.

Maintenant, j'aimerais soulever la question suivante, parce que je suis sûre qu'elle est venue à l'esprit de bon nombre de sénateurs: Pourquoi pas l'adoption? Je vais en parler parce que je suis sûre que vous y pensez tous. Pourquoi pas l'adoption, eh bien, il n'y a rien de mal à adopter. Cependant, lorsque nous avons demandé conseil à notre rabbin à ce sujet, lorsque nous lui avons demander que faire, il a répondu qu'il connaissait des gens qui attendaient un bébé depuis cinq et même sept ans sans l'avoir encore obtenu. Je connais des gens qui se sont rendus en Sibérie et en Chine. Il n'y a plus de bébés en Roumanie; le robinet a été fermé. Il n'y a pas de bébé au Guatemala. Les gens désespérés d'en trouver vont se rendre n'importe où dans le monde. Je connais un homme qui passe un mois en Sibérie au milieu de l'hiver afin de pouvoir adopter un petit garçon.

C'est très difficile. Ça n'est plus comme c'était dans les années 50 et 60. Lorsque ma fille était au Women's College Hospital, nous y avons vu des filles de 12 et 13 ans qui gardaient leur bébé. Ça se passe régulièrement maintenant. Les moeurs ont changé — je me demande si c'est pour le mieux — et les enfants choisissent de garder leurs enfants. Il n'y a plus beaucoup d'enfants à adopter maintenant, ce qui explique que les gens se rendent partout dans le monde et ont encore de la difficulté à trouver des bébés. C'est une autre solution. Je ne prétends pas qu'elle convient à tout le monde ni qu'elle devrait leur convenir.

Maintenant, sénateur Keon, en réponse à votre question au sujet de la participation du gouvernement. Est-ce qu'il devrait rémunérer ce service? Vous savez, si votre cloison nasale vous empêche de respirer librement, le RAMO remboursera votre rhinoplastie. Cependant, si vous avez de la difficulté à devenir enceinte, si vous savez que vous ne pourrez pas le devenir, comme c'était le cas pour ma fille qui souffre de la maladie de Crohn et de colite ou comme ça l'est pour de jeunes femmes dans la vingtaine qui ont le cancer du sein ou du cerveau et qui ne pourront jamais avoir d'enfants, c'est les pénaliser que de leur dire: «Ce n'est pas assez que vous ayez cette maladie dont vous souffrez et qui pourrait finalement vous être fatale, nous ne vous permettrons même pas d'avoir votre propre enfant».

C'est une excellente question. Je n'y ai pas réfléchi parce que le processus a toujours été tellement conflictuel, on oppose les deux groupes — ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Je n'y ai pas réfléchi.

Mme Creighton: Le droit d'avoir un enfant n'est pas absolu. Je peux être en danger de mort et je n'ai pas le droit d'acheter un organe. J'aimerais que vous réfléchissiez à cette question car elle est très importante. Le reste du pays s'imagine que nous avons rendu impossible d'acheter un être humain lorsque nous avons aboli l'esclavage. Il ne fait aucun doute que la maternité de substitution commerciale est l'achat d'un bébé. La femme qui porte ce bébé — la mère — ne reçoit pas la somme entière avant d'avoir remis le bébé. Un point c'est tout.

À mon avis, il y a beaucoup de gens au Canada qui diraient: «S'il vous plaît, ne faites pas ça aux enfants. Les enfants ont le droit à leur dignité et ne doivent pas être des objets à vendre par leurs mères». Vous sous-estimez la capacité d'altruisme chez les gens; vous la sous-estimez incroyablement. Dans les pays où on a renoncé à la rétribution des donneurs de gamètes, on a découvert que d'autres donneurs d'une plus grande maturité ont offert leurs services.

Ne nous mêlez pas à ce genre de situation, et ne permettez pas que les enfants risquent de dire un jour, «Maman, tu as vendu mon frère. Vas-tu me vendre moi aussi»?

Le sénateur Callbeck: Madame Creighton, au quatrième paragraphe de votre mémoire, vous abordez la question de la rémunération de la grossesse. Vous affirmez que c'est une atteinte à la dignité humaine. Vous poursuivez ensuite en citant un rapport qui aurait fait état de préjudices causés à des femmes, à des enfants et à des familles.

J'aimerais que vous développiez quelque peu cette question.

Mme Creighton: J'ai fait partie d'un groupe anglican qui a rédigé un livre. Notre groupe a consacré deux ans à l'étude de la question, a rédigé le livre, puis l'a soumis à la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Nous n'avons eu aucune difficulté à trouver des cas de ce genre, et Mme Guichon a d'ailleurs la même citation.

Dit simplement, on se trouve à transférer la souffrance d'une femme à une autre. La phrase est d'Elizabeth Kane. Pour commencer, elle a fait écrire son histoire par quelqu'un d'autre. C'était une mère porteuse très généreuse, merveilleuse, et tout ce qu'elle avait voulu faire, c'était de donner un enfant à quelqu'un d'autre afin que cette personne ait un enfant dans ses bras. Plus tard, elle a écrit son propre livre. À consulter son journal, et à lire son histoire, on se rend compte que c'était une personne vulnérable qui s'est laissée guider par une personne d'autorité comme on en retrouve dans les agences d'intermédiaires aux États-Unis; ces agences tiennent même des séances de thérapie de groupe à l'intention des mères porteuses. Mme Guichon pourrait vous citer toute une série de cas qui ont abouti à des désastres.

Elizabeth Kane affirme que la maternité de substitution a miné son mariage et détruit ses rapports avec une de ses filles. Ses enfants s'étaient attachés au bébé que portait leur mère, et ils ont donc souffert à long terme de le perdre. À moins que nous ne fassions ce que Mme Guichon réclame, à savoir faire des études sur les résultats à long terme de ces pratiques, personne ne saura combien de femmes vivent ce sentiment de deuil pendant longtemps.

N'oubliez pas l'une des choses qui figure dans mon chapitre de ce livre, à savoir que selon les spécialistes, on observe de façon presque universelle un attachement de la part des femmes à leur foetus, à moins qu'elles ne s'empêchent délibérément d'éprouver des émotions ou les nient, mais également que le foetus lui-même s'attache à sa mère naturelle. C'est pour cela qu'il est tellement important de conserver un caractère humain à cette expérience et de maintenir les liens entre la mère et l'enfant.

Je ne suis pas venue ici cependant pour vous débiter un catalogue d'échecs. Mme Guichon saura peut-être vous aider, si vous le voulez.

Le sénateur Callbeck: Mais je me demandais si vous pouviez nous citer des études là-dessus.

Mme Creighton: Il y a le compte rendu l'affaire Bébé M, New York State Task Force on Life and the Law, et on trouvera un compte rendu dans les documents de recherche de Mme Guichon présentés à la commission royale d'enquête et dans d'autres de ses travaux. En août 2001, la journaliste Margaret Wente a aussi évoqué certaines histoires d'horreur. Elle a d'ailleurs dit de la maternité de substitution que c'est un «bourbier moral», et il s'agit d'une journaliste du Globe and Mail très perspicace et très au fait de ce qui se passe. Je suis sûre que vous en conviendrez.

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est un sujet chargé d'émotions. Je peux aborder cette question de bien des points de vue comme sénateur, mais je suis aussi médecin et j'ai un fils adoptif. Les émotions sont très réelles.

Je voudrais que Mme Solomon et Mme Wright nous parlent un peu de la maternité par substitution sans paiement. J'ai l'impression que vous craignez toutes deux que le projet de loi réduise la possibilité d'avoir un enfant grâce à une mère porteuse et que le projet de loi, par conséquent, ne peut pas donner de bons résultats. Je pense avoir raison de dire que nous sommes en faveur de la maternité par substitution. Nous voulons cependant des contrôles, le consentement, de l'information et des services d'orientation. Ce que nous craignons, c'est le côté commercial. Nous sommes prêts à rembourser des dépenses raisonnables, notamment à cause de la perte de revenu si c'est nécessaire sur le plan médical.

Je voudrais que vous me disiez chacune ce que vous pensez à propos de la maternité par substitution sans paiement. D'abord, la grand-mère, madame Solomon. Je comprends votre bonheur.

Mme Solomon: J'ai été journaliste pendant 25 ans et j'ai fait beaucoup de recherches là-dessus. Quand j'avais une émission de télévision, Mme Creighton y est venue souvent. Sauf le respect que je dois à Phyllis, ce qu'elle dit n'est pas nécessairement basé sur les faits. Bien des choses qu'elle raconte sont anecdotiques et ne s'appuient pas sur des recherches ou des études. Il est très difficile de se défendre quand on parle d'histoires d'horreur alors que Joanne peut vous raconter toutes sortes d'histoires heureuses comme elle l'a fait aujourd'hui.

Le sénateur Trenholme Counsell: Pouvez-vous répondre à ma question?

Mme Solomon: Vous m'avez posé une question à propos du paiement. Quand Stephanie a compris qu'elle ne pourrait jamais avoir un enfant, elle n'a pas voulu demander aux membres de la famille de l'aider. Elle a attendu que quelqu'un se propose, mais personne ne l'a fait.

Je pense qu'on exagère beaucoup quand on parle de l'altruisme des membres de la famille. Au Royaume-Uni, sur une période de dix ans, de 60 à 70 p. 100 des mères porteuses et des donneurs ont abandonné. On n'a pas réussi à convaincre les gens de se proposer pour des raisons altruistes.

Notre société évolue. Nous étions beaucoup plus altruistes auparavant. Il y avait des volontaires pour tout. Je me rappelle très bien. Je pense que le monde était différent et que les gens étaient davantage prêts à donner qu'ils ne le sont maintenant. Nous sommes devenus une société beaucoup plus matérialiste et égoïste.

Ce qui m'a va se passer ici est exactement ce qui est arrivé au Royaume-Uni et dans d'autres pays où l'on a interdit une rémunération équitable pour la maternité par substitution. Les sénateurs ont certainement déjà entendu parler de ces problèmes. Les gens voyageront pour obtenir du sperme et d'autres dons dans les pays où les gens sont rémunérés pour ces dons. Je ne veux pas que cela arrive au Canada. Il me semble que cette mesure est très draconienne. Ce n'est pas le Canada que je connais si le gouvernement commence à nous dire comment et quand avoir des enfants.

Je me rappelle avoir parlé aux membres de ma famille de ce qui se passe en Chine, où l'on vous dit vous que pouvez avoir un seul enfant et que ce sera une fille ou un garçon. Heureusement que nous n'habitons pas un pays comme celui- là. Je me trouve maintenant au Parlement pour supplier qu'on permette aux gens d'avoir des enfants et de créer une famille de la façon qu'ils jugeront juste et équitable.

Mme Guichon: Il y a pas mal de données au sujet de résultats malheureux, mais il est vrai que la plupart de l'information est anecdotique pour l'instant. Une difficulté à obtenir des données, c'est qu'il subsiste une certaine honte à l'égard de cette pratique et que ceux qui en sont satisfaits sont prêts à en parler alors que les autres hésitent à le faire.

Nous savons d'après les études que les mères naturelles qui donnent leur enfant à adopter peuvent en souffrir jusqu'à 30 ans plus tard. Elles n'en ont pas parlé pas tant que cela n'est pas venu acceptable socialement de dire qu'elles ont eu un enfant sans être mariées pendant les années 60 et 50. Je pense donc que nous pouvons probablement dire que nous ne connaîtrons pas avant quelque temps le résultat de ces grossesses et du fait que la mère a donné son enfant.

J'ajoute que les personnes touchées ne sont pas, comme l'a signalé Phyllis Creighton, uniquement la mère naturelle qui cède son enfant, mais aussi son mari, ses autres enfants et ses parents. Il faudrait obtenir des données sur les conséquences pour eux aussi.

Il est vrai que c'est un sujet très émotif, mais je vous incite à ne pas songer uniquement à la demande. Ce ne sont pas les femmes qui ont des regrets qui viennent vous parler.

Mme Wright: Je suis vraiment convaincue que les femmes devraient être indemnisées. On ne peut pas inciter une femme à faire une telle chose en lui offrant de l'argent. La première fois que je l'ai fait, mon mari, nos trois enfants et moi sommes allés à Disney. Voilà ce que nous avons fait. Les femmes ne se servent pas de cet argent pour payer leurs comptes Visa ou pour leurs dépenses mensuelles. C'est toujours pour quelque chose de supplémentaire, pour les études de leurs enfants ou pour quelque chose de spécial. Ils amènent leurs enfants à Disneyland ou ailleurs. Je suis tout à fait convaincue que les femmes qui acceptent de le faire devraient être indemnisées.

Mme Creighton: Je voudrais préciser que je suis une théologienne morale. Ma réputation a été en doute; je ne dis pas des choses qui ne s'appuient pas sur les faits. Je vous ai dit la même chose que Mme Guichon. La plupart de l'information que nous avons est anecdotique et c'est pour cela que je ne l'ai pas fournie.

Nous avons présenté des faits au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. Sherry Levitan nous a dit qu'elle s'attendrait à une indemnisation de 5 000 $, plus les dépenses. C'est une avocate qui s'occupe de contrats de mère porteuse. Nous avons calculé 2 500 $ par mois. D'après Sherry Levitan, un prix raisonnable serait de 27 500 $.

J'ai travaillé comme historienne, chercheuse et linguiste depuis 1967 dans le cadre d'un projet historique important au Canada, soit le Dictionnaire biographique du Canada. Vous pouvez me croire, si j'avais dit quelque chose qui ne s'appuyait pas sur les faits, je n'aurais pas conservé mon emploi.

Le sénateur LeBreton: Je sais que c'est vraiment une question très émotive. Je ne suis cependant pas d'accord avec le professeur Guichon. Il me semble que son long rapport s'appuie surtout sur ce qui se fait aux États-Unis. Elle parle même du taux de change du dollar canadien et termine en disant qu'il faut étudier cette pratique davantage.

J'ai l'impression que bien des gens ne tiennent pas compte du facteur humain s'ils veulent vraiment avoir des enfants et n'ont pas d'objection à s'adresser à une mère porteuse ou même à être mères porteuses elles-mêmes.

Un témoin a parlé d'une mentalité de rivalité. En écoutant le professeur Guichon et Mme Creighton, j'ai entendu quelqu'un dresser une liste de cas malheureux, alors que nous avons ici même quelques exemples où les résultats ont été très bons. Nous avons une mère porteuse qui ne semble pas avoir souffert de problèmes psychologiques parce qu'elle a porté un enfant qui a une mère et un père biologique.

Je voudrais bien que les gens cessent de défendre la moralité et respectent le point de vue d'autrui. Je n'ai vraiment pas aimé qu'on parle d'avortement à ce sujet. On a dit que les femmes qui ont un avortement regrettent plus tard leur décision et deviennent mères porteuses pour combler le vide autrement, du moins si j'ai bien compris. En tant que femme, je trouve cela vraiment insultant. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mme Guichon: Si je me rappelle bien tout ce que vous avez dit, vous avez commencé par noter que je me suis basée sur des données américaines. Je me suis basée sur toutes les données que j'avais et, comme je l'ai dit, la plupart de ces données sont anecdotiques. J'essaie de vous fournir les données dont que j'ai recueillies et de parler des arguments théoriques.

La question de l'avortement est certainement contestée et j'ai hésité à en parler, mais, d'après les données recueillies par Philip Parker, à Dearborn, au Michigan, c'était l'une des raisons mentionnées par les femmes qui acceptaient de devenir mères porteuses. Les données anecdotiques semblent indiquer que les agents exploitent les sentiments de regret de ces femmes.

Je ne veux pas faire la morale au sujet de l'avortement. Je dis la même chose que les médecins qui se spécialisent dans ce domaine, soit qu'il existe des raisons physiques, indépendantes des raisons monétaires ou altruistes, qui incitent certaines femmes à proposer leurs services et que ces raisons physiques rendent ces femmes plus vulnérables et susceptibles d'être exploitées.

Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé de Philip Parker, de Dearborn, au Michigan. Qui est-il? Vous pourriez certainement trouver des gens qui ont l'opinion contraire. Voilà le problème.

Mme Guichon: Philip Parker est le psychiatre qui a travaillé avec Noel Keane pour organiser un grand nombre de contrats de maternité par substitution, ce qui lui a permis d'avoir accès à beaucoup plus de gens, beaucoup plus de sujets de recherche, si je puis dire, que quiconque. Le psychiatre était très bien placé pour examiner ces cas vu que l'échantillon venait de Dearborn.

Le sénateur LeBreton: La seule affirmation véridique que vous faites dans votre mémoire, c'est que cette question mérite une étude plus approfondie. Il me semble cependant tout à fait injuste de choisir des gens qui sont d'accord avec vous pour étayer vos arguments.

Si vous me le permettez, je voudrais vous dire quelle est ma position. Je ne pense pas qu'il faille interdire cette pratique. Ce que je pense, c'est que cette pratique ne diffère pas tellement de l'adoption. L'adoption est régie par le droit de la famille des provinces. Ce que propose le projet de loi, c'est que la maternité devienne un élément du droit contractuel, qui porte d'habitude sur les biens immobiliers et d'autres objets inanimés, et que cela cesse de faire partie du droit de la famille qui ne permet pas pour l'instant de payer ceux qui cèdent la garde de leurs enfants ou de décider avant la conception qui aura la garde de leurs enfants.

Ce que j'essaie de dire, c'est que nous avons un régime, celui du droit de la famille et que nous devrions nous en tenir à cela. La seule différence ici, c'est qui est la mère véritable quand l'ovule et la gestation sont séparés. Pour les raisons que je donne dans ma déclaration écrite, je considère que la mère doit être la mère naturelle parce que c'est préférable pour protéger les intérêts de l'enfant.

[Français]

Le sénateur Pépin: Je suis désolée, j'ai raté une partie de votre présentation. Vous parliez des sentiments de la mère porteuse vis-à-vis l'enfant, de «bonding», le sentiment très fort, les effets émotifs secondaires qu'elle avait après la séparation, après qu'elle a donné son enfant. Je suis de la génération qui connaissait l'adoption. À l'époque, il n'y avait pas de mère porteuse et le seul moyen de combler l'infertilité était par l'adoption. À ce moment-là, les mères adoptives ne connaissaient pas le même processus qu'actuellement, où une femme porte un enfant pour le donner à quelqu'un d'autre. La mère adoptive autrefois n'avait pas le choix, même si elle voulait garder son enfant, elle devait le donner. Il y a 45 ans, cela n'existait pas, il fallait qu'elle le donne. Elle avait, elle aussi, des problèmes émotifs importants pendant plusieurs années.

Vous parlez des frais de la mère porteuse. Vous êtes contre cela. Je me permets de faire une comparaison. Je vous demande, après vous avoir entendu votre témoignage, si vous êtes contre l'adoption des enfants? L'adoption des enfants actuellement coûte très cher. Les parents qui doivent adopter des enfants en Chine ou ailleurs doivent se déplacer et cela entraîne des frais très importants.

Je me suis permis — ce n'est peut-être pas bien — de comparer une femme porteuse, qui est prête à donner un enfant. Je suis d'accord que plusieurs des mères ont des sentiments partagés. Mais il y en a quelques-unes, probablement, pour qui c'est plus facile.

On voit aussi la jeune fille qui est enceinte et qui est obligée de donner son enfant en adoption. Est-ce que vous êtes contre l'adoption dans le même système?

Je trouve que la mère que vous présentez a exactement le même sentiment que les mères adoptives et les jeunes filles qui donnaient leurs enfants il y a plusieurs années; toute leur vie elles vont se demander où est leur enfant. Bien souvent c'est pour cela qu'il y a des rencontres entre les mères et leurs enfants, cela existe. Mais quand je vois les arguments que vous donnez au sujet des liens affectifs et du sentiment de l'enfant, je me demande si, à l'époque, vous auriez été pour ou contre l'adoption. Parce que les mères qui donnent leur enfant connaissent exactement le même processus. Elles ne sont même pas préparées durant leur grossesse à l'idée que c'est pour le donner à une famille qui va aimer l'enfant. Elles sont obligées de le donner parce qu'elles ne peuvent pas le garder.

[Traduction]

Mme Creighton: Il y a des parallèles, mais n'oubliez pas qu'une mère porteuse ne conçoit pas l'enfant à moins de vouloir le céder dès le départ. Il me semble que les êtres humains ont un corps et une âme et que ce que nous ressentons dans notre coeur et dans notre esprit a des conséquences sur notre corps.

On demande à la mère porteuse de se détacher de toutes ces autres expériences. Je ne veux pas particulièrement encourager les femmes à ne pas avoir de sentiments naturels parce que le lien entre la mère et son enfant est la meilleure garantie qu'on puisse avoir de la sécurité et des bons soins d'un enfant.

Cela peut coûter très cher d'adopter un enfant dans un autre pays. On ne guérit pas le mal par le mal. L'argent n'est pas versé directement aux parents et ils ne créent pas un enfant pour se faire payer. L'une de mes collègues pour notre étude anglicane a dit que le marché va finir par avoir raison du corps humain, que c'est le dernier objectif du capitalisme. J'espère bien que c'est faux. Je ne pense pas qu'on puisse dire que la situation est la même pour l'adoption, mais la douleur que peut ressentir pendant bien des années par la suite une mère naturelle qui a cédé son enfant est l'une des raisons qui me poussent à dire que nous devons tenir compte du facteur humain et des relations. Je suis heureuse d'entendre Mme Solomon dire qu'elle compte maintenir une relation avec la mère porteuse, mais c'est vraiment déshumanisant de parler de louer un utérus ou de dire qu'une personne est un incubateur.

Mme Solomon: Je n'ai jamais dit de telles choses.

Mme Creighton: Les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l'Alberta ont rendu des décisions qui établissent que c'est la mère génétique qui est la mère.

Qu'est-ce qui fait que quelqu'un est mère? Personne ne peut porter un enfant pendant neuf mois sans avoir de rapports avec cet enfant. C'est le rapport le plus étroit qui soit. C'est elle qui est la mère véritable. Dans mon premier paragraphe, je vous ai dit que je parlais du point de vue de l'enfant, du mariage et de la famille et de l'éducation d'une vie. Je viens d'un milieu où l'accouchement naturel était important parce que la femme pouvait vivre toute l'expérience de la maternité. Je ne pense pas qu'on puisse accepter n'importe quoi pour avoir des enfants et en prendre soin. La commission royale avait raison de penser qu'il fallait être prudent. Est-ce que j'ai pu vous aider?

Le président: Professeure Guichon, vu que vous êtes avocate, vous pourriez avoir le dernier mot en réponse au sénateur Pépin sur la distinction qu'il faut établir. Avez-vous pu entendre la question?

Mme Guichon: Elle a demandé, je pense, si je serais d'accord pour l'adoption.

Le président: Ce qu'elle veut savoir c'est, vu que l'adoption coûte cher, quelle différence il y a entre une famille qui paie 20 000 $pour adopter un enfant, par exemple, et une famille qui paie 20 000 $ pour qu'une mère porteuse ait son enfant?

Mme Guichon: L'adoption est une pratique qui tient compte des intérêts de l'enfant. D'habitude ou presque toujours, une femme devient enceinte sans le vouloir et a un enfant dont elle ne peut pas s'occuper et le confie à quelqu'un d'autre. C'est le principe sur lequel s'appuie la loi relative à l'adoption. Le processus est réglementé pour protéger la mère naturelle et prévoit des périodes pendant lesquelles elle peut signer une entente d'adoption et des périodes pendant lesquelles elle peut changer d'avis. Ce qui compte le plus, cependant, c'est l'intérêt de l'enfant. On fait des évaluations du foyer familial pour déterminer si le foyer d'adoption de l'enfant est approprié.

Les contrats de mère porteuse partent d'un point de vue différent, soit du fait que le couple ne peut pas avoir un enfant pour une raison quelconque, par exemple, à cause d'une ligature des trompes ou d'une vasectomie. Les contrats de mère porteuse visent les gens dans une telle situation qui veulent un enfant.

À mon avis, l'adoption se concentre sur les intérêts de l'enfant alors que la maternité par substitution se concentre sur les besoins des adultes. Voilà la différence.

Le président: Merci, professeure. Je remercie tous les membres du groupe d'être venus. Nous avons dépassé l'heure prévue, mais il me semblait que nous devions prendre le temps d'entendre ce que vous aviez à dire.

Nous allons maintenant passer au deuxième groupe. Je vais présenter chaque témoin avant qu'il commence. La première sera Cathy Ruberto.

Mme Cathy Ruberto, directrice de clinique, ReproMed Ltd.: Merci de m'avoir invitée à venir vous parler aujourd'hui. Je m'appelle Cathy Ruberto et je suis directrice de la clinique ReproMed, une clinique canadienne qui fournit des services à un grand nombre de patients qui reçoivent des dons de sperme ou d'ovules par l'entremise de médecins et de cliniques dans tout le Canada. Les services fournis par ReproMed et d'autres organismes du même genre constituent des services nécessaires. J'en parle en connaissance de cause non seulement comme directrice d'une clinique de fertilité et d'une banque de sperme, mais aussi à titre d'infirmière qui a passé sa carrière à aider les couples qui, sans que ce soit de leur faute, doivent avoir recours à des technologies de procréation assistée pour avoir une famille — il y en a un sur six dans cette situation — et aussi comme Canadienne qui croit que chacun doit pouvoir choisir en ce qui concerne la reproduction.

Nous avons consulté nos donneurs et 70 p. 100 d'entre eux déclarent qu'ils ne continueront pas à participer à notre programme s'ils ne reçoivent pas une indemnisation appropriée. Ceux qui favorisent les dons de gamètes altruistes proposent de recruter un nouveau type de donneur. Cela vous étonnera peut-être de savoir que nous recrutons de tels donneurs depuis 14 ans à ReproMed. L'âge moyen de nos donneurs n'est pas de 23 ans comme vous le supposez peut- être, mais plutôt d'au moins 33 ans et que ce sont surtout des parents professionnels mariés qui ont un bon emploi et qui s'absentent de leur travail pour fournir ce service à des receveurs.

Nous rejetons 90 p. 100 des donneurs à cause de la réglementation fédérale actuelle qui régit les dons de sperme. En fait, nous éliminons beaucoup trop d'hommes, jeunes et vieux, qui sont par ailleurs en excellente santé et seraient de très bons candidats, parce que leur sperme ne contient pas assez de spermatozoïdes. Les femmes qui donnent des ovules passent par le même processus de sélection rigoureux que les donneurs de sperme. Je ne vais pas parler du programme de don d'ovules aujourd'hui car le Dr Librach et d'autres vont l'aborder tout à l'heure.

Nos bassins de donneurs ne sont pas énormes. Pour répondre au besoin de tout le pays, nous avons 30 donneurs de sperme qui répondent aux critères rigoureux de la réglementation actuelle de Santé Canada. Aucun établissement ne peut maintenir son programme bien longtemps s'il perd les trois quarts de ses donneurs. Il se trouve alors obligé de fermer ses portes et, par le fait même, de priver les couples désireux d'avoir des enfants de la possibilité de fonder une famille.

En ce qui concerne l'attitude des donneurs relativement à la participation non rémunérée, d'après notre évaluation, les statistiques sont plus élevées au Canada qu'ailleurs. En Suède, au Royaume-Uni et dans d'autres pays, on a observé une chute de plus de 60 p. 100 du nombre des donneurs recrutés de 1996 à 2001, d'après les statistiques de la HFEA.

Dans les pays où l'on a créé des registres sur l'insémination par donneur et restreint d'une façon quelconque la rémunération des donneurs, il y a eu une chute spectaculaire et du nombre de donneurs de sperme et de l'insémination par donneur. Le cas sensationnaliste de la clinique de traitement de l'infertilité en Australie a fait les manchettes: on offrait de payer à des résidents de Calgary des vacances de deux semaines en Australie en échange de la participation au programme de don de sperme.

Certaines cliniques de traitement de l'infertilité et des couples désireux d'avoir recours à leurs services nous ont fait savoir par courriel que leur clinique ne recrutait que quelques donneurs chaque année. Le Royaume-Uni importe des échantillons de sperme en grande quantité. Les pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande s'efforcent d'importer des échantillons d'ailleurs, dans la mesure du possible. Des personnes de ces pays nous ont demandé s'il était possible de leur envoyer des échantillons, particulièrement de nos donneurs ethniques.

L'interdiction de rémunérer les donneurs s'est avérée un échec au Royaume-Uni. Depuis 18 mois, ce pays essaie de défaire ce qu'il a fait au chapitre de la non-rémunération des donneurs, de simplifier les formalités administratives et de remettre sur pied un programme faisant appel à des donneurs rémunérés à cause de la chute spectaculaire du nombre de dons.

Les habitants des pays où l'on a limité ou éliminé certaines options en matière de techniques de reproduction ont décidé d'aller se faire traiter ailleurs, principalement dans les pays où il n'existe pas de réglementation, s'exposant ainsi à plus de risques.

Certaines cliniques aux États-Unis auraient justement l'intention d'établir des centres de traitement dans des villes situées le long des frontières avec le Canada afin d'offrir leurs services aux Canadiens et Canadiennes qui n'auront d'autre choix que de recouvrir à leurs services si ce projet de loi est adopté. Par conséquent, nous ne serons plus en mesure d'offrir nos services à notre population et nous obligerons des Canadiens et Canadiennes à recourir à ces services dans un contexte purement commercial. Santé Canada n'a pas compétence pour inspecter des établissements situés dans d'autres pays.

On entend souvent dire que les banques de sperme sont des entreprises commerciales. Malheureusement, le secteur public n'offre plus ces services car toutes les banques de sperme situées dans les hôpitaux ont fermé leurs portes au Canada.

Nous ne souscrivons pas à l'énoncé de principes de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la SOGC, qui propose la mise sur pied d'une banque de gamète nationale fondée sur les dons altruistes, qui s'inspirerait de la Société canadienne du sang. Il est démontré que de tels services ne pourraient être financés par l'assurance- maladie. Cependant, ces services sont encore offerts de façon efficace par le secteur privé.

Le coût du matériel, des réactifs, des locaux et du personnel spécialisé est énorme. Il faut aussi beaucoup de temps et d'argent pour respecter la réglementation fédérale. Certains prétendent que les entreprises qui offrent des services de reproduction assistée exploitent l'intense désir d'enfants de certaines personnes prêtes à tout pour avoir une famille.

C'est notre gouvernement, poussé par les adversaires acharnés de la rémunération des donneurs, qui exercent une contrainte sur ces personnes, en laissant planer au-dessus de leur tête une «épée de Damoclès». En effet, les couples désireux d'avoir un enfant se voient obligés de recourir au traitement plus vite qu'ils ne l'auraient fait autrement, de crainte que ce projet de loi soit adopté rapidement.

Nous ne comptons plus nos patients au pays qui ont recours à l'insémination par donneur, au don d'ovules ou à des contrats de maternité de substitution non génétique maintenant par opposition à plus tard, tout simplement parce qu'ils craignent soit qu'ils n'auront plus accès à ces services au Canada, soit qu'ils n'auront plus les moyens de se payer ces services en dollars américains.

Alors que vous vous retrouvez devant cette tâche déconcertante et difficile qui consiste à déterminer si le projet de loi à l'étude doit survivre ou non, n'oubliez pas que nous faisons tous partie de la même équipe et que nous ne voulons que ce qu'il y a de mieux pour ces gens que nous tentons d'aider. Nous voulons les meilleurs soins de santé possibles et offrir des services à ceux qui demandent notre aide pour fonder une famille.

Je suis convaincue que vous ferez ce qu'il faut et que vous ferez un examen bien équilibré du projet de loi dont vous êtes saisis en tenant compte de tous les aspects et en réfléchissant profondément en tant qu'hommes et femmes politiques responsables qui représentent tous les Canadiens, non pas uniquement ceux qui se font le plus entendre devant vous. Le don de gamètes est une question morale qui ne regarde que l'individu. Si on estime que ce n'est pas éthique ou moral pour soi, on n'y a pas recours. Nous offrons le service à ceux qui estiment qu'il s'agit là pour eux d'un service approprié dans un environnement médical sûr et efficace.

Pierre Trudeau a dit: «L'État n'a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation».

Nous vivons au XXIe siècle et nous avons accès à un monde d'information par Internet et une technologie perfectionnée. Nous ne sommes plus en 1950, en 1967, en 1970 ou en 1990. Les gens sont en mesure de faire des choix et de donner un consentement éclairé. N'insultez pas l'intelligence des Canadiens en supposant qu'on profite d'eux. Préconisez le consentement éclairé; n'interdisez pas ou n'éliminez pas en fait l'accès au traitement.

Nous ne sommes pas contre le projet de loi. Nous sommes d'accord avec la position de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie. L'indemnisation des donneurs n'est pas un salaire. Les dépenses directes devraient être raisonnables et étayées de reçus, et les coûts indirects comprennent les coûts non quantifiables mais réels que représentent les inconvénients, l'absence du travail ou des études, la douleur, l'inconfort, et le manque à gagner. Dans le cas d'un contrat de maternité de substitution non génétique par don d'ovules, la procédure et les médicaments posent un risque sur le plan médical.

Les coûts indirects devraient être plafonnés. Les montants devraient être établis dans les règlements.

Nous aimerions que soit créé un organisme de réglementation et que les dons de gamètes et les contrats de maternité de substitution non génétique soient éliminés de la liste des activités interdites et deviennent des activités contrôlées qui peuvent être mieux surveillées par l'organisme de réglementation, plutôt que le Code criminel.

Si le projet de loi à l'étude est adopté sans amendement, il fera plus de mal que de bien. Je tiens à remercier les sénateurs d'avoir pris le temps d'examiner avec intérêt ce projet de loi et de lui donner toute l'attention qu'il mérite. Mettez-vous et vos familles à la place de ces gens qui veulent devenir parents. Ils ne souhaiteraient pas à leur pire ennemi de se retrouver à leur place ou d'être ici devant vous aujourd'hui pour parler de leurs problèmes les plus personnels pour avoir accès au traitement.

Mme Irene Ryll, coordonnatrice, Infertility Connection of Edmonton: Je vous remercie de m'avoir demandé de venir vous parler de ce projet de loi très important dont vous êtes saisis. Je suis coordonnatrice pour notre groupe de soutien en matière d'infertilité et j'offre bénévolement des services de soutien à d'autres bénévoles depuis huit ans. Mon mari et moi avons trois jeunes enfants qui ont été conçus grâce à un don de sperme. Je suis aussi infirmière autorisée. Nos enfants, nos rêves de devenir parents et les luttes difficiles et pénibles pour fonder nos familles sont personnelles et pleines d'émotions intenses, comme vous l'avez déjà constaté ce soir. Nous n'oublierons jamais la douleur de notre infertilité. Cela fera toujours partie de nos vies. Je veux le reconnaître avec vous tous.

Je voudrais par ailleurs prendre un moment pour souligner qu'il est toujours difficile pour nous de parler en public de notre situation, mais nous reconnaissons qu'il est important de le faire si nous voulons que des changements positifs soient apportés pour les familles futures. Nous espérons qu'un jour nos enfants comprendront pleinement et appuieront nos décisions et nos efforts.

Aucun projet de loi sur la procréation assistée ne pourra être parfait ni rendre tout le monde heureux et content. Mon mari et moi considérons que le projet de loi à l'étude pourrait être amélioré. Nous avons fait des pressions pour avoir un système de dons de gamètes avec des donneurs identifiables. Bien que cela ne fasse pas partie du projet de loi à ce moment-ci, il sera possible à nouveau de réexaminer ce projet de loi trois ans après son entrée en vigueur. Nous continuerons de faire des pressions afin d'obtenir ce changement. Cependant, nous estimons qu'il est actuellement plus urgent d'avoir un projet de loi en place pour protéger la santé et l'insécurité des femmes et des enfants.

Sans ce projet de loi, nous continuerons de créer des familles comme la nôtre, où nos enfants ne pourront jamais obtenir l'information complète en matière de santé que nous savons tous être incroyablement importante et vitale s'ils veulent prendre de bonnes décisions en matière de santé tout au long de leur vie. Si le projet de loi C-6 n'est pas adopté, il n'y aura aucun registre où l'on pourra retrouver cette information et la mettre à jour. C'est trop tard pour nos enfants et notre famille.

Malheureusement, notre situation est un exemple très clair de la façon dont les dons de gamètes se font au Canada jusqu'à présent. Nous avons un enfant qui a un problème de santé génétique et il nous est impossible de nous assurer que ces renseignements seront transmis à d'autres qui ont peut-être utilisé le même donneur que nous ou même de communiquer avec le donneur. Nous demandons aux parlementaires de considérer jusqu'à quel point il serait important pour eux et pour leur famille d'avoir ces renseignements. Pour nous et pour nos enfants, cela voudrait dire beaucoup. Nous vous demandons à tous de protéger la santé et la sécurité des Canadiens et d'empêcher que d'autres se retrouvent dans cette situation. Sans le projet de loi C-6, cela va continuer.

Je m'inquiète de certaines affirmations selon lesquelles les patients ne voudraient pas faire partie d'un registre. Je vous dis ce soir qu'en tant que parents, nous serions absolument ravis qu'il y ait un registre pour nos enfants, le donneur et nous-mêmes. En tant que patients ayant eu recours à la fécondation in vitro, FIV, et par la suite aux fécondo-stimulants nécessaires pour cette procédure, nous espérons que quelqu'un quelque part tient compte des résultats, des traitements et des taux de réussite. Ces renseignements précieux survivraient à améliorer la santé et la sécurité des patients infertiles. Les données recueillies dans tel un registre pourraient être utilisées dans le cadre d'études à long terme de maladies génétiques ou d'autres conditions médicales graves pour nos enfants et pour la santé à long terme des femmes ayant reçu des traitements de l'infertilité.

Je me demande ce que les témoignages que le comité a entendus précédemment disent aux patients au sujet de l'objectif d'un tel registre d'informations sur la santé. Je souhaite tout simplement qu'il y ait un registre pour ceux d'entre nous qui ont peut-être des renseignements à caractère non nominatif qui se trouvent à l'heure actuelle dans des cabinets de médecins et des cliniques et auxquels nous ne pouvons avoir accès. Pourquoi une organisation qui soutient les patients ne voudrait-elle pas que des renseignements aussi importants et utiles soient recueillis et utilisés à l'avantage des patients qui ont des problèmes d'infertilité? S'ils ne le veulent pas, au nom de qui est-ce qu'ils parlent de toute façon?

Tout ce que nous a donné notre clinique, c'est un petit bout de papier comme celui-ci contenant six renseignements au sujet du donneur, notamment la taille, le poids, la couleur des yeux et des cheveux. Nous n'avons aucun renseignement médical, et de toute évidence, nous n'en aurons jamais. Nos cliniques disent qu'elles ne peuvent trouver notre donneur. Nous espérons qu'un registre empêcherait que quelqu'un d'autre puisse se retrouver dans une telle situation à l'avenir. Je connais une femme qui est enceinte à l'heure actuelle et qui a reçu du sperme d'un donneur. Ce bébé, lorsqu'il sera né, n'aura que ces six éléments d'information, tout comme c'est le cas pour nos enfants.

Je voudrais que vous teniez compte du fait que nos enfants, notre plus jeune ayant cinq ans — et Barry et Olivia qui font partie de ce groupe et que vous entendrez également — et cet enfant à naître, auront tous quelque chose en commun à part le fait d'avoir été conçus grâce à un don de sperme au Canada, et ce sera l'absence d'information médicale au sujet de leur donneur. Peu importe ce que quiconque prétend être la situation actuelle au Canada en ce qui a trait à l'information sur les donneurs, cela dépend d'un éventail de facteurs. Un registre fera en sorte que l'information médicale soit gardée et mise à jour et que l'information sur le donneur soit préservée et mise à jour également.

Le secret et le stigmate social entourent depuis longtemps le don de sperme. Nous recommandons fortement le counselling obligatoire par des professionnels de la santé mentale en cas de recours à une tierce partie pour la procréation. Le fait de fonder une famille grâce à un don de gamètes peut soulever de nombreuses questions complexes qu'il est nécessaire de reconnaître et d'aborder bien avant de recourir aux gamètes.

Il est souvent difficile de décider quand et comment apprendre à l'enfant l'origine du donneur. Je voudrais mentionner que j'ai fait un album pour nos enfants sur la façon dont ils sont arrivés dans notre famille. Je serais heureuse de le montrer aux sénateurs qui aimeraient le voir après la séance.

Le recrutement des donneurs doit vraiment être un système altruiste. Il n'est pas acceptable de dire que nous avons tout simplement besoin de sperme et d'ovules et que nous paierons pour les obtenir afin de garder les donneurs. Ce n'est pas une question d'offre et de demande. Nous créons des êtres humains, et il faut vraiment bien réfléchir à la façon dont nous les amenons dans ce monde. Y a-t-il vraiment quelqu'un ici qui pense qu'il soit acceptable au plan éthique de payer quelqu'un pour son sperme ou ses ovules? Qu'est-ce qu'un donneur de toute façon? C'est ce que nous devons définir ici au Canada en matière d'infertilité. Nous devons éduquer et sensibiliser davantage la population en ce qui concerne le besoin de gamètes. Nous avons besoin d'un système responsable pour le recrutement de donneurs de gamètes au Canada.

Après la quarantaine du sperme dans les cliniques en 1999, des cliniques qui auparavant avaient leurs propres banques de sperme les ont fermées. Pourquoi ne les ont-elles pas rouvertes, et pourquoi ne comptons-nous uniquement que sur les banques américaines pour la majorité de nos dons de sperme? En tant que famille et en tant que patients, nous serions certainement intéressés à connaître la réponse à cette question.

Nous aimerions que les dons de sperme et d'ovules soient considérés comme un acte noble pour aider d'autres dans le besoin. Les donneurs voudraient vraiment aider les autres et sauraient sans doute ce que cela signifie que d'être parents. En s'assurant que nos donneurs ne sont pas rémunérés pour leurs gamètes, on ne se demande plus pourquoi ils participent à ce processus au départ. Tant que l'argent entrera en ligne de compte, il y aura toujours de la controverse. Nos enfants considèrent leur donneur — qu'ils ne connaîtront jamais — comme quelqu'un de spécial pour eux, quelqu'un qui les a aidés à venir au monde et quelqu'un qu'ils considéreront comme un ami. Un jour, nous devrons tenter de répondre à leurs questions lorsqu'ils demanderont si leur donneur aurait fait un don s'il n'avait pas été payé. Nous préférerions connaître la réponse à cette question, et avec l'adoption du projet de loi C-6, la réponse serait certainement oui.

M. Barry Stevens, témoignage à titre personnel: Je remercie le comité de m'avoir invité à venir parler.

Le deuxième principe de la loi dit que la santé et le bien-être des enfants issus de la procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions concernant l'usage de celles-ci. Cela est inhabituel dans cette situation, car, naturellement, on n'entend pas très souvent ce qu'ont à dire ces enfants. Olivia et moi-même sont deux de ces enfants, et nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de venir vous parler.

Je suis issu de l'insémination artificielle par un donneur anonyme. J'ai été l'un des premiers. J'ai été conçu en Angleterre, il y a un certain temps. Il y a quelques années, je me suis mis à la recherche de mes parents génétiques, notamment du donneur. Il semblerait que mon donneur ait eu peut-être 100 ou 200 enfants, de sorte que j'aurais autant de demi-frères et demi-soeurs.

J'ai fait un film à ce sujet qui s'intitule Offspring. Il a été présenté dans le monde entier. Je vous assure qu'il n'est pas ennuyant. C'est un film divertissant. J'aimerais le mettre à la disposition de votre comité afin que vous puissiez réfléchir à la question, même lorsque vous rentrerez chez vous ce soir et que vous penserez que tout est fini.

Bien entendu, nous ne pouvons pas nous faire les porte-parole de tous les enfants au monde, conçus de cette façon. Nous en connaissons un assez bon nombre. Nous avons établi de nombreux contacts. Nous avons une organisation, l'Alliance of People Produced by Artificial Reproductive Technology.

Ce que nous réclamons principalement, à titre de personnes créées de façon artificielle, c'est de mettre fin à l'anonymat des donneurs de gamètes. Nous voulons savoir qui ils sont, ou plutôt que les futurs enfants issus comme nous de la procréation assistée connaissent l'identité des donneurs, étant donné que la rétroactivité d'une telle mesure fait l'objet d'une controverse. Je considère qu'une telle mesure ne devrait pas être rétroactive, d'autres personnes sont d'un avis contraire. À l'avenir, seules les personnes qui sont prêtes à divulguer leur identité à leurs enfants devraient participer à ce programme. Je dirais que d'après les trois études dont j'ai connaissance où des enfants ont été sondés, les taux concernant une telle mesure sont supérieurs à 90 p. 100.

Nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions dans ce projet de loi. Le projet de loi autorise le maintien de l'anonymat. Cependant, nous appuyons le projet de loi et nous vous encourageons fortement à l'adopter. Je tiens à titre personnel à vous encourager à l'adopter et je crois pouvoir dire sans me tromper que c'est une opinion répandue partout dans le monde. En Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni, on s'intéresse de très près à ce projet de loi canadien.

Lorsque l'on dit qu'il s'agit d'une simple affaire privée entre le médecin et son patient, ou, selon le commentaire souvent cité de M. Trudeau, qui considérait que l'État n'a rien à faire dans la chambre à coucher des Canadiens, on oublie qu'il ne s'agit pas uniquement de deux personnes. Il y a une autre personne qui est concernée — et parfois beaucoup plus d'une. J'en fais partie. Lorsque vous créez une autre personne en utilisant les gamètes d'un tiers et lorsque cela concerne d'autres personnes, alors c'est un moyen tout à fait approprié de contrôle social.

Je ne peux pas admettre des comparaisons avec Big Brother et les observations de ce genre faites par certains témoins. Il s'agit d'un moyen de protection légitime. J'espère que l'agence de contrôle de la procréation assistée sera un moyen permettant d'assurer ce contrôle social, ce qui serait une mesure sage. Je crois qu'il y aura de nombreuses occasions d'y apporter des modifications ou de tenir des tribunes pour y discuter entre autres de maternité par substitution et de la rétribution des donneurs.

J'espère que d'ici trois ans on aura revu toute cette question de l'anonymat. Pour l'instant, abandonner ce projet de loi et revenir à la situation qui existait il y a douze ans, sans aucune réglementation, laisser le camp libre à n'importe quel scientifique fou doté d'un département de mise en marché serait un désastre pour la prochaine génération.

N'oublions pas à quel point la science a progressé au cours des dernières années et à quel point elle progressera au cours des 20 ou 30 prochaines années. On a dit que la révolution que connaissent les techniques génétiques et de reproduction rendra la révolution électronique insignifiante par comparaison. Il s'agit ici des principes fondamentaux de la vie humaine et de la possibilité pour trois personnes de créer biologiquement un être humain, ou deux hommes ou deux femmes, par l'insertion de gènes artificiels — l'enrichissement génétique. Je sais que la loi actuelle ne permet pas de telles mesures, mais nous parlons d'une situation où aucune loi n'existe. Cela est énormément important pour les enfants issus de telles techniques. Ceux d'entre nous qui ont été créés artificiellement vous demandent de bien vouloir réglementer cette situation.

Mme Ryll a abordé un grand nombre de points que je voulais faire valoir à propos de l'importance d'un registre et de renseignements sur la santé. La consanguinité, la possibilité que des gens épousent des parents proches, est un véritable problème. Je suis en fait au courant de cas de ce genre. Les gens disent que cela est impossible lorsqu'ils citent des chiffres. Ce n'est toutefois pas impossible; ce genre de choses se produit. Il arrive souvent que des enfants héritent de maladies dont ils ignorent la nature. Il y a aussi de nombreuses histoires positives. Je considère qu'il est important que l'on établisse des règlements, un registre et certains mécanismes de surveillance.

J'aimerais expliquer brièvement pourquoi j'espère qu'au bout du compte l'anonymat ne sera pas permis. On fait souvent valoir l'argument psycho-social selon lequel le fait d'ignorer l'identité de nos donneurs nous cause du tort, et je le crois. Il y a aussi un argument qui s'appuie sur les droits. Mon demi-frère — qui est en fait lui aussi issu de l'insémination artificielle, du même donneur comme je l'ai découvert — est un avocat spécialisé dans les droits de la personne en Angleterre. Il a fait campagne en Grande-Bretagne pour mettre fin à l'anonymat et a réussi à faire modifier la loi. Il soutient que les gens ont le droit de ne pas être délibérément trompés ou privés de renseignements par les instances publiques à propos d'éléments essentiels de leurs antécédents personnels. L'identité de l'homme dont le corps a produit le mien est un élément essentiel de mes antécédents personnels. Je considère que cela est important pour des raisons d'identité personnelle et certainement pour des raisons de maintien de ma santé.

Un bref exemple est celui du précédent ministre de la Santé, qui a eu l'honnêteté et le courage de parler de son traitement du cancer de la prostate. Il savait qu'il devait subir un test parce que son père était mort de cette maladie. Si son père avait été un donneur de spermes, il ne fait aucun doute qu'il n'aurait pas connu ses antécédents médicaux, ni reçu par la suite le diagnostic. C'est l'un des nombreux exemples de ce genre.

La troisième raison est un peu plus subtile et difficile à expliquer. L'anonymat crée un climat de secret dans la famille — c'est comme l'éléphant en plein milieu de la pièce dont personne ne peut parler. Ce n'est qu'après la mort de mon père que j'ai appris comment j'avais été conçu, et je le regrette. C'est un véritable obstacle entre mon père et moi. J'aurais pu tellement mieux le connaître — et mon père social est mon père, cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Le secret, l'anonymat et le climat de honte qui ont entouré l'insémination artificielle et ma famille lorsque j'étais enfant sont utiles. Il y a tant à gagner lorsqu'on fait preuve d'ouverture alors que le secret et l'anonymat peuvent causer tant de tort.

Cependant, comme je l'ai dit, nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions par ce projet de loi, mais nous espérons obtenir les mesures voulues un jour. Pour l'instant, pour que le registre soit établi, par égard pour notre santé et celle des enfants à naître et pour que la société prévoie certains mécanismes de surveillance sur ces questions difficiles, je vous encourage à adopter le projet de loi C-6.

Le président: Nous sommes ravis d'entendre le point de vue d'une personne comme vous car nous n'avions pas eu l'occasion d'entendre des témoins qui sont issus de la procréation assistée.

Madame Pratten, vous avez la parole.

Mme Shirley Pratten, New Reproductive Alternatives Society: Je tiens à remercier le Sénat de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis la mère d'Olivia, qui a maintenant 21 ans. Elle a été conçue dans le cadre du système de don de sperme secret et anonyme au Canada lorsque j'ai épousé son père, qui avait des problèmes d'infertilité.

Je suis une infirmière autorisée et une infirmière psychiatrique qui a travaillé dans le domaine de la santé mentale pendant de nombreuses années. Je suis aussi la porte-parole auprès des médias et l'un des membres fondateurs de la New Reproductive Alternative Society, qui a été créée il y a 16 ans, en 1987. Il s'agit du premier groupe de pression et d'appui au Canada qui représente les familles ayant fait appel à un donneur et qui défend les droits et les besoins des enfants conçus de cette façon. Notre groupe a donc exercé des pressions pour que l'on modifie le système afin d'opter pour un système qui permet de communiquer l'identité des donneurs, système qui existe déjà avec succès en Suède, en Australie, en Autriche et en Nouvelle-Zélande. Récemment, la Grande-Bretagne a annoncé qu'elle leur emboîterait le pas en 2005. Le Japon et la Hollande ont aussi l'intention de s'orienter dans cette voie.

À titre d'organisation qui a participé aux audiences de la commission royale d'enquête et au processus législatif portant sur l'étude des projets de loi C-47, C-56, C-13 et maintenant C-6, notre premier message est le suivant: Nous vous prions d'adopter ce projet de loi. Nous appuyons aussi ce projet de loi, même s'il ne prévoit pas encore l'établissement d'un système permettant la communication de l'identité des donneurs, une mesure pour laquelle nous avons travaillé d'arrache-pied.

Nous encourageons le gouvernement à continuer à s'acheminer concrètement dans cette voie, à temps pour l'examen et l'amendement du projet de loi d'ici trois ans. Comme d'autres l'ont dit, le projet de loi C-6 n'est pas parfait; mais aucun projet de loi ne sera jamais parfait dans un domaine aussi complexe et controversé, et il existe des assises très solides sur lesquelles nous pouvons bâtir. Nous devons commencer quelque part et nous ne pouvons pas prendre le risque de gâcher tout ce temps, cet argent et ce travail assidu que l'on a consacrés à amener le projet de loi C-6 là où il se trouve aujourd'hui. Les travaux de la commission royale d'enquête à eux seuls ont coûté au pays 30 millions de dollars. Nous ne pouvons pas jeter le bébé avec l'eau du bain. À ceux qui réclament davantage de consultations, il y en a beaucoup plus qui rétorqueront qu'on a tenu des consultations à n'en plus finir.

Au cours de la dernière semaine, vous avez entendu de nombreux témoignages de divers professionnels et organismes de soutien. Aujourd'hui, vous avez entendu les témoignages de personnes d'expérience. Elles ont toutes quelque chose à dire à propos de ce vaste sujet; nombre d'entre elles sont extrêmement respectées pour leurs contributions. Cependant, elles parlent de ce sujet en fonction de leur expérience professionnelle. Au bout du compte, le projet de loi C-6 qui vise à réglementer la procréation assistée touchera surtout la vie personnelle des enfants issus de ces techniques et des générations futures qui n'ont pas encore été conçues. Nous considérons qu'au plus haut palier du gouvernement, il faut que l'on comprenne et que l'on tienne compte de cet aspect.

Voici quelques raisons pour lesquelles il faudra en fin de compte mettre fin à l'anonymat des donneurs. La fin de l'anonymat sera conforme au préambule du projet de loi qui énonce que les intérêts des enfants issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir. Cela sera également conforme à la Convention des Nations Unies relativement aux droits de l'enfant. Nous avons toujours considéré que l'anonymat des donneurs est principalement une question éthique plutôt qu'un choix de reproduction.

Recourir aux dons de gamètes pour concevoir un enfant n'est pas un traitement contre la stérilité, comme certains aiment le décrire, comme si le sperme et les ovules étaient des médicaments que l'on injectait. Il s'agit d'une forme alternative d'édification de la famille grâce à laquelle un véritable être humain vivant est créé. Nous estimons que le gouvernement a une certaine part de responsabilité à l'égard de cet être humain. Est-il utile que de la part du gouvernement de sanctionner la création délibérée de personnes qui se trouvent amputées de la moitié de leurs origines? Le mot clé ici est «délibéré» — car c'est la nature même d'un système anonyme. L'anonymat a causé bien des souffrances aux enfants conçus de cette façon partout dans le monde. À ceux qui disent que nous devons maintenir l'anonymat pour apaiser les souffrances des personnes stériles, nous demandons s'il est éthique de faire souffrir quelqu'un d'autre pour alléger nos souffrances. Nous ne pouvons pas continuer à fabriquer des enfants parce que les gens veulent en avoir, sans égard pour le bien-être physique et émotif des enfants qui en résulteront.

L'anonymat laisse un vide permanent dans la vie de l'enfant. Nous encourageons le gouvernement à continuer d'examiner la situation des systèmes de dons ouverts partout dans le monde et d'aller au-delà des banques de sperme lucratives comme ReproMed, qui ont tout intérêt sur le plan commercial à ce que les sondages auprès des donneurs indiquent une opposition à l'établissement de systèmes de communication de l'identité. Le cercle possible des donneurs altruistes est le même partout. Grâce à une campagne massive de sensibilisation publique, nous estimons que les Canadiens sont tout aussi capables que les Suédois et les Australiens de faire preuve d'altruisme; qui sait, ils sont peut- être même encore plus doués pour l'altruisme.

Un système de communication de l'identité se fonde sur l'honnêteté, la franchise et la confiance — les assises de toute famille saine, plutôt que sur le mensonge, le secret et la tromperie, qui caractérisent le système anonyme actuel. Je me suis souvent demandée pourquoi nous sommes ceux qui doivent constamment justifier leur position. Cela devrait être certainement l'inverse.

Pour faire entendre le témoignage d'un troisième enfant conçu de cette façon, je citerais Bill Cordray, un Américain qui a pris la parole à de nombreuses reprises devant les législateurs au Canada, de même qu'en Australie et en Allemagne. Voici ce qu'il a dit:

La question de l'anonymat ne consiste pas à déterminer si un enfant a le droit de connaître ses origines et les parents dont il est issu, mais si le gouvernement a le droit de dissimuler les origines de l'enfant une fois que l'enfant devient un adulte autonome. La fin de l'anonymat nous fournira beaucoup plus de renseignements sur les conséquences psycho-sociales de l'insémination artificielle que le maintien de politiques cliniques qui nous empêchent de comprendre la dynamique de ces familles. Le secret les isole du reste de la société.

Pour terminer, j'aimerais mentionner le counselling. J'ai trouvé particulièrement pénible d'entendre la Société canadienne de fertilité et d'andrologie dire au Sénat que c'est un affront pour les Canadiens de se voir offrir du counselling parce qu'ils ont recours à la procréation assistée. C'est une remarque fâcheuse parce qu'elle risque d'anéantir les innombrables années de travail assidu qu'un grand nombre d'entre nous ont effectué pour communiquer à tous les paliers de gouvernement les strates complexes des aspects psychologiques et sociaux qui se rattachent à ces autres formes de procréation.

Selon notre propre expérience et les témoignages que nous avons entendus maintes et maintes fois au fil des ans, le counselling est considéré comme une nécessité absolue pour permettre aux personnes touchées de composer avec les nombreux aspects du deuil et de la perte associés à la crise de la vie provoquée par un diagnostic d'infertilité, et par la suite, avec les conséquences d'avoir à concevoir un enfant selon une autre forme de procréation. Vous entendrez des témoignages semblables de la part d'un conseiller d'expérience dans le domaine au cours de la prochaine session.

Je voulais vous présenter deux vidéos, mais je ne peux vous en présenter qu'un. Il s'agit d'un bref documentaire réalisé par le réseau national de la CBC. Ces vidéos ont été présentées aux membres de la Commission royale de même qu'à tous les législateurs dont nous avons parlés, au Comité de la santé de l'autre endroit lors de la dernière réunion que nous avons eue avec lui. Il s'agit d'une représentation visuelle, rapide et efficace des témoignages que vous avez entendus et qui aideront le Sénat à comprendre pourquoi nous avons besoin de counselling, de registres et de mettre fin à l'anonymat. Si vous regardez cette vidéo et le documentaire de M. Stevens qui a remporté un prix — il s'agit d'ailleurs d'un excellent documentaire — vous comprendrez ce que vous devez faire et comment vous devez le faire.

En passant, ces vidéos ne seront jamais désuètes, ils resteront d'actualité jusqu'à ce que le système change. La situation est la même aujourd'hui qu'à l'époque où ces documentaires ont été tournés.

[Présentation vidéo]

Mme Olivia Pratten, témoignage à titre personnel: Je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître ici aujourd'hui. J'ai été conçue par don de sperme anonyme. J'ai 21 ans et je suis une étudiante de Vancouver.

J'ai parlé à divers législateurs au cours des dernières années, plus récemment au comité permanent et à l'occasion de conférences. Comme M. Stevens l'a mentionné, je fais partie d'une organisation internationale d'enfants issus de techniques de procréation assistée.

Qu'est-ce que cela veut dire, apprendre que votre père biologique était un donneur de sperme? C'est la raison pour laquelle je suis ici. Ma conception ne me définit pas, mais je ne peux pas en nier l'effet. Cela continue à influer sur ma vie et cette influence persistera au fur et à mesure que j'avancerai en âge et que j'aurai des enfants. Je ne peux pas non plus nier que je dois apprendre à accepter le fait que l'un de mes parents demeurera pour toujours un inconnu et un mystère pour moi.

J'ai un père. Même s'il n'est pas mon père par le sang, je le considérerai toujours comme mon papa. Un parent ne se définit pas uniquement en fonction de l'aspect biologique. Cependant, mes deux parents estimaient qu'il ne fallait pas me mentir à propos de mes origines. Je suis au courant de ma conception depuis que j'ai cinq ans, après avoir posé la question.

On m'a raconté une simple histoire où il était question de semence supplémentaire provenant d'un gentil monsieur, d'un ovule, puis je suis allée jouer. En grandissant, j'ai appris à mieux me connaître ainsi que le monde qui m'entourait et mes questions se sont multipliées. Tout au long de ma vie, j'ai toujours voulu savoir qui il était. Toute jeune, j'avais déjà un besoin inhérent de savoir. Depuis l'école primaire lorsque j'ai fait un projet à propos de notre arbre généalogique, jusqu'à l'école secondaire lorsque j'ai étudié la génétique et l'hérédité, jusqu'au moment où j'ai déménagé à Vancouver pour aller à l'université et j'ai travaillé à un coin de rue de la clinique où j'avais été conçue, je n'ai cessé de me demander, «a-t-il marché dans cette rue? Est-ce que je le croise chaque jour? Est-il le chauffeur d'autobus? Est-il mon professeur? Qui est-il»?

Ces interrogations sont à double tranchant. Il peut avoir été un citoyen modèle mais il peut également avoir été un escroc, un mufle ou un clochard. Le désir de savoir, quand on a été conçu à une époque où rien n'était réglementé, s'accompagne de la crainte d'être apparenté à quelqu'un qui n'aurait pas dû être autorisé à être un donneur. C'est presque comme si la procréation avait eu lieu dans une ruelle.

J'ai su également très tôt que les dossiers avaient sans doute été détruits. Toutefois, je m'imaginais le médecin se débarrassant des 45 tours comme si c'était des Frisbees. Ainsi, se manifeste la mémoire d'un enfant. Je devais avoir 9 ou 10 ans quand ma mère a écrit au médecin qui lui a répondu qu'il vérifierait avec sa secrétaire mais qu'il croyait que le donneur mesurait 5 pieds 10 pouces, avait les cheveux blonds et les yeux bleus. Croyez-moi, ces renseignements — si on peut les appeler ainsi car cela ressemble à une affiche pour personne recherchée — ne constituaient pas des réponses satisfaisantes à mes questions.

Je savais qui j'étais, mais je voulais comprendre comment ce que lui était contribuait à la personne que j'étais en train de devenir. Les historiens disent qu'il faut savoir d'où nous venons pour savoir où nous allons. C'est un désir humain fondamental qui se passe d'explications. Tout, dans la société, en témoigne: les sections de généalogie dans les librairies, les arbres généalogiques et les histoires de familles — et je suis sûre que vous en avez tous. Ce sont là des choses que les gens qui connaissent leur véritable héritage génétique tiennent pour acquises sans se rendre compte de leur signification. La progéniture des donneurs est laissée à elle-même, curieuse de savoir à quoi ressemblent les pièces manquantes.

Même si je savais que jamais je ne saurais, ce n'est que récemment que j'ai pris conscience de toutes les conséquences que cela représentait. Il y a deux ans, j'ai entendu le témoignage de deux enfants américains et de leur donneur, qui s'étaient rencontrés depuis peu. J'ai partagé leur joie mais en songeant à ma situation, j'étais effondrée. Jusqu'à ce moment-là, celui qu'on appelle le donneur — mon père biologique — n'avait représenté qu'une notion abstraite pour moi. Toutefois, je voyais devant moi leur «donneur» — en chair et en os, une vraie personne qui leur ressemblait et avait les mêmes mimiques qu'eux. Quelque part, il existait un homme, mon père biologique, une personne vivante, réelle, et non pas une éprouvette de sperme ou un dossier médical, avec qui je partageais la même chose, mais je ne pourrais jamais savoir.

J'ai ressenti de la colère. Je n'avais jamais choisi que cette personne demeure anonyme face à moi. Je me suis sentie démunie. Il s'agissait de ma vie, et non pas de celle de la clinique, du médecin ou de mes parents. Qu'avait-on fait de mon choix quand on avait décidé si cela aurait un effet sur moi? Je m'élevais contre cette attitude protectrice qu'on m'imposait. J'ai également ressenti une incroyable tristesse. J'avais l'impression d'avoir perdu quelqu'un que je n'avais jamais rencontré et qui pourtant contribuait à l'être que j'étais aujourd'hui et aux enfants que j'allais avoir plus tard.

Il fallait donc que j'essaie de réconcilier tout cela. Je ne pouvais pas nier la tristesse, mais il ne fallait pas que je la laisse prendre le dessus sur moi. Je pense que c'est donc une partie de l'héritage transmis à ceux qui naissent d'un don anonyme de gamètes. Nous devons vivre avec des décisions qui ont été prises pour nous avant que nous naissions, nous en accommoder et poursuivre notre vie.

Je choisis plutôt de me servir de mon expérience pour faire quelque chose de positif afin d'aider les autres — et je crois que c'est ce que je fais aujourd'hui — ceux des générations à venir qui seront conçus de la même façon. Je n'ai jamais entendu quelqu'un qui a été conçu dans l'anonymat dire: «C'est formidable, je ne peux pas savoir, poursuivons». Au fil des ans, à diverses conférences et dans diverses réunions, outre les organisations dont j'ai parlé, j'ai rencontré beaucoup de gens dans le même cas que moi. Croyez-moi, personne ne m'a dit que c'était formidable.

Il y a deux ans, j'ai appris que le médecin qui s'est occupé de ma conception était sur le point de prendre sa retraite. Je suis allée le voir pour essayer d'obtenir mon histoire médicale et d'autres renseignements sur le donneur dans mon cas. Je pense qu'on en a fait des photocopies pour distribution aux membres du comité. C'est la version originale. Ce qu'il a griffonné sur une feuille de papier ne constitue pas des renseignements médicaux détaillés. C'est le minimum, couleur des cheveux et des yeux et type sanguin et il précise que le donneur était de race blanche. Il n'y a absolument pas de renseignements médicaux.

Quand j'ai demandé au médecin où se trouvait mon histoire médicale, il m'a répondu: «Ne vous en faites pas, ma chère, j'ai fait une vérification verbale et il était en bonne santé». J'avais l'impression d'être en 1904 plutôt qu'en 2004. J'ai songé avec ironie que ses collègues étaient en train d'étudier la génétique avancée alors que je me retrouvais avec des renseignements douteux griffonnés sur une feuille de papier. Malgré tout, je sais que ce médecin est un homme de coeur, mais mal intentionné.

Quand je lui ai demandé ce qu'il allait advenir de mon dossier et de tout autre renseignement pertinent, il m'a répondu qu'il allait être gardé au Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique pendant deux ans, après quoi il serait détruit comme tous les autres dossiers inactifs.

Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas inactive, mais bien vivante.

L'année dernière, j'ai appris qu'il avait pris sa retraite. Je suis allée vérifier moi-même et qu'ai-je découvert? Il avait disparu, son nom avait été retiré du tableau à l'entrée de l'immeuble où il avait son bureau, lequel était vide d'après ce que j'ai pu constater. Et il n'y avait pas de lettre dans la boîte aux lettres, pas de note sur la porte, pour signaler où se trouvaient les dossiers — mon dossier. Ils étaient partis. «Eh bien, merci», me suis-je dit. J'ai eu l'impression qu'une partie de mon histoire, une partie de moi, venait d'être effacée.

Comment peut-on permettre à un professionnel qui utilise l'échange de gamètes pour créer des citoyens de disparaître avec tous les dossiers, sans laisser de trace? S'il avait existé un registre, comme celui que l'on propose dans le projet de loi C-6, je n'en serais pas là.

Il n'est pas question d'atteinte à ma vie privée ni à celle de mes parents. Outre la protection de renseignements vitaux, l'insémination par donneur est légitimisée car jusqu'alors elle n'était pas réglementée, archivée et, jusqu'à récemment, elle était stigmatisée. Il est grand temps que cela devienne officiel et que tous les renseignements soient archivés et protégés.

Je sais aussi que mon père biologique a reçu 50 $ pour son sperme en 1981. Qu'est-ce que cela signifie pour moi, 22 ans plus tard? Je me demanderai toujours s'il a compris toutes les conséquences de son geste. A-t-il empoché l'argent en se disant: «Quelle aubaine, être payé pour une chose que je fais tous les jours!» A-t-il songé que son sperme ne demeurerait pas du sperme mais deviendrait une personne — moi? Si on ne l'avait pas payé, je saurais du moins que ses intentions étaient nobles et que je suis apparentée à quelqu'un qui voulait aider quelqu'un d'autre avant de s'aider lui- même. Permettre à des gens de vendre leurs gamètes, leurs liens biologiques, est une chose dégradante qui avilit l'essence même de la signification d'être humain.

Même si je suis navrée de penser qu'il y aura d'autres gens qui comme moi demanderont que le système soit ouvert, puisque le système anonyme sera maintenu après l'adoption du projet de loi C-6, je pense quand même qu'il vaut mieux adopter le projet de loi tel quel et que c'est beaucoup mieux que rien. Si l'on ne faisait rien, les donneurs seraient encore rémunérés, semant le doute dans l'esprit de gens qui, comme moi, s'interrogent sur leurs véritables motifs et leurs véritables dispositions. Si l'on ne fait rien, d'autres verront des cliniques vides et se demanderont ce qu'il est advenu de leur dossier.

Voici mon message aujourd'hui: adoptez ce projet de loi. Il est grand temps. Nous pouvons continuer de demander d'ouvrir le système une fois que le cadre législatif sera en place et que le vide actuel créé par la non-réglementation aura été comblé. Toute loi est un pas dans la bonne direction et c'est ce que je préconise.

Le président: Merci beaucoup, madame Pratten.

Le sénateur Keon: Je tiens tout d'abord à vous féliciter de vos exposés extrêmement clairs et éloquents. Ils étaient vraiment intéressants. Même s'ils nous remuent quelque part, ils n'en étaient pas moins intéressants.

Si je comprends bien, vous souhaitez tous les quatre que le projet de loi soit adopté sans amendement. Vous ne souhaitez pas que nous envisagions un amendement qui instaurerait le registre dont vous avez besoin, n'est-ce pas?

Mme Shirley Pratten: Nous le souhaiterions si cela ne signifiait pas perdre le projet de loi. Voulez-vous dire que cela pourrait se faire sans ce risque?

Le sénateur Keon: On pense sérieusement que des amendements risqueraient de tuer le projet de loi. C'est vrai. Il semble que les délais soient serrés. Néanmoins, je suppose que tout est possible dans la vie.

Je reviens au registre. Je suis sûr que vous avez tous longuement réfléchi à la question. Monsieur Stevens, commençons avec vous. Avec la technologie, on pourrait créer un registre tel que seules les personnes intéressées auraient accès à l'information.

Quels pare-feu souhaiteriez-vous? Monsieur Stevens, souhaitez-vous que l'accès au registre vous soit réservé ou vos parents ou quelqu'un d'autre pourraient-ils y avoir accès?

M. Stevens: Je pense que les renseignements médicaux d'une personne lui appartiennent et que c'est un droit. S'il s'agit d'un pré-adulte né grâce à la technologie de procréation, ses parents auront besoin de renseignements médicaux et ils devront être au courant de tout changement de l'état de santé du donneur de sorte qu'on peut dire que c'est leur responsabilité. Je ne me souviens pas exactement de ce qui figure dans le projet de loi en ce qui concerne cette question en particulier.

Le sénateur Keon: Je pense qu'on interdit totalement toute transmission de renseignements.

M. Stevens: Il y a interdiction quant à l'identification des renseignements mais je pense que par un chemin compliqué, on peut avoir accès aux renseignements médicaux.

Le sénateur Keon: Bien sûr, étant donné que les dossiers sont conservés sur support électronique désormais, le gros obstacle est toujours la protection de la vie privée. Toute ma vie, j'ai été un professionnel de la santé et j'ai toujours été convaincu que si nous donnons des renseignements à un patient et que ces renseignements sont contenus sur une carte, une étiquette ou quoi que ce soit, la question est à peu près réglée. Je sais qu'il y a toutes sortes d'arguments voulant que les enfants n'auraient pas la maturité nécessaire pour posséder cette carte et que des gens mentalement déficients ne l'auraient pas, et cetera.

Je voudrais que M. Stevens, et ensuite Olivia, me disent qui devrait être les détenteurs de ces éventuels renseignements. Si le projet de loi est adopté, il sera réexaminé dans trois ans.

Mme Ryll: Sénateur Keon, quand vous demandez qui devrait détenir ces renseignements, demandez-vous qui devrait y avoir accès?

Le sénateur Keon: C'est cela.

Mme Ryll: Comme M. Stevens l'a déjà dit, les parents d'enfants doivent s'occuper de leurs enfants, de leur santé et de leur bien-être. Je pense que si des renseignements sur la santé du donneur sont versés dans un registre, ou si toute autre information de nature sociale y est versée, ce sont des choses que nous en tant que parents voudrons savoir afin de prendre les bonnes décisions et de pouvoir raconter à nos enfants leur histoire en ce qui concerne le donneur. Nous ne pouvons pas attendre que nos enfants aient 18 ans pour leur raconter leur histoire, attendre qu'ils soient adultes et remplir les cases manquantes après tant d'années.

Au fur et à mesure que l'état de santé de nos enfants progresse, nous devrions être en mesure de verser des renseignements dans un registre qui serait à la disposition des autres personnes ayant utilisé notre donneur, par exemple, ou à la disposition du donneur lui-même qui veut avoir des enfants lui aussi. Ces renseignements pourraient être très importants pour eux.

M. Stevens: Quand un donneur offre ses services, on recueille l'historique de son état de santé. S'il a 33 ans ou s'il est plus jeune, très souvent ses parents, voire ses grands-parents, sont encore vivants. Il ne sait peut-être pas quel risque il court lui-même. Il est important que ces renseignements médicaux soient mis à jour.

Pour ce qui est de sa vie privée, s'il s'agissait bien là de votre question, je pense que lorsque l'on participe à un programme où l'on donne des gamètes, on est d'accord pour offrir cette information et la partager parce qu'on a offert ses gènes en partage. S'ils sont défectueux, on a l'obligation morale de le faire savoir aussi.

Je ne sais pas si cela vous est utile.

Le sénateur Keon: Très utile.

Mme Shirley Pratten: Je crois que cette information, quand Olivia grandissait, aurait dû être mise à la disposition de son père et de moi-même. Une fois atteint l'âge adulte, cette information lui appartient. Si l'enfant veut obtenir de l'information à sa majorité, je crois qu'un système de communication de l'identité facilite la chose. Je crois franchement qu'on ne devrait pas accepter des gens comme donneurs s'ils ne sont pas prêts à accepter cette condition. On devrait se demander si ce sont là des donneurs convenables.

On parle du droit à la vie privée du donneur. Le donneur est un adulte consentant. L'enfant est celui qui n'a aucun choix en la matière. Comme Olivia et Barry l'ont dit tous les deux, ce ne sont pas eux qui ont décidé qu'ils ne voulaient pas connaître leur père biologique.

Le sénateur Keon: Olivia, vous voulez répondre?

Mme Olivia Pratten: Ils ont dit ce que j'aurais dit. L'enfant qui grandit devrait avoir accès à tout renseignement sur sa santé. Je voudrais qu'il y ait communication d'identité lorsque l'enfant atteint l'âge de 18 ans. Si l'enfant le choisit, à quelque moment que ce soit, qu'il ait 18, 28 ou 38 ans ou lorsque l'enfant aura ses propres enfants — ou peut-être même jamais — alors l'enfant aura accès au nom du père ou de la mère biologique.

Le sénateur Keon: Donc, à part ce fait précis, ce projet de loi ne présente aucun autre problème pour vous. C'est bien cela?

Mme Ryll: Je suis infirmière aussi. Évidemment, je vais pencher du côté des choses qui sont les plus importantes pour moi. Cependant, je me sentirais beaucoup mieux protégée s'il y avait une loi quelconque sur les technologies de reproduction, la maternité de substitution et les recherches dans le domaine. Je vous encourage donc à adopter le projet de loi.

Le sénateur Léger: Notre rencontre est vraiment porteuse cet après-midi!

Vous nous disiez l'importance médicale de l'identification. Je suis à l'âge de la généalogie. Olivia, il a été question de votre arbre généalogique à l'école secondaire. Moi, je peux aller chercher mes ancêtres d'il y a huit ou neuf générations. Vous, cependant, êtes privée de cette possibilité, n'est-ce pas?

Mme Olivia Pratten: Oui.

Le sénateur Léger: Si vous pouviez obtenir ces renseignements, ce serait utile non seulement sur le plan médical, qui est si important, mais ce serait aussi utile au niveau de votre patrimoine et de votre identité?

Mme Olivia Pratten: Personnellement, cela me serait utile de savoir ces choses. Cependant, dans mon cas, je n'aimerais pas qu'y soit rattaché un sentiment de condescendance. Cela m'aurait certainement aidé si j'avais eu ces renseignements en grandissant. Lorsque toute petite, j'ai entrepris ce projet, j'ai demandé: D'où viennent mes ancêtres? À qui est-ce que je ressemble?

Je ne sais pas si c'est cette question que vous vous posiez. Cependant, je ne sais pas si cela aurait répondu au désir que j'avais de voir la personne en chair et en os. Cela m'aurait aidée un peu; mais cela n'aurait pas étanché ma soif de le rencontrer, si c'est de cela qu'il s'agit.

Le sénateur Léger: Pas tout à fait, parce que je n'ai pas rencontré personnellement tous mes ancêtres jusqu'à la huitième génération. Olivia, je crois qu'à l'heure actuelle il s'agit de l'arbre généalogique, mais plus tard ce sera vraiment important pour nos descendants lorsqu'ils auront atteint un certain âge.

Je me demande ce que pense Barry de tout cela.

M. Stevens: J'ai rencontré un membre de ma famille. J'ai trouvé un demi-frère, l'avocat, et ça été une rencontre très positive qui m'a ravi. Je ne peux pas dire que je me languissais d'un frère et qu'il y avait une partie de moi qui manquait. Tout ce que je peux vous dire, c'est que cela a été une expérience très positive à laquelle je ne m'attendais pas mais dont je me réjouis.

Je suppose qu'une telle découverte pourrait être nuisible dans certaines circonstances. Il y a des enfants adoptés qui recherchent leurs parents biologiques et qui vivent une très mauvaise expérience. C'est tout à fait possible. Toutefois, je crois qu'il est inacceptable de nous priver délibérément de cette information qui nous appartient de droit. Elle sera peut-être nuisible ou utile — je pense que ce serait très positif. Je pense que la plupart d'entre nous partagent cet avis. D'une certaine façon, que ce soit positif ou négatif, ce n'est pas vraiment là la question.

J'ai une autre anecdote que j'aimerais vous raconter. Je ne connais pas mon donneur, mais je sais qu'il était juif. J'ai été enfant de choeur à la Cathédrale de Canterbury. Je suis chrétien. J'ai découvert qu'il était juif. C'est bizarre, mais lorsque je me suis retrouvé parmi les juifs du nord de Londres, en Angleterre, j'ai eu le sentiment pour la première fois d'être parmi des gens qui s'exprimaient comme moi. C'est peut-être fou, mais cela a été une expérience émotive. Je voulais vous la raconter.

Le sénateur Léger: Dans ces fameux arbres généalogiques, dont je suis très fière, on sait qu'il y a des meurtriers.

M. Stevens: Peut-être, mais au moins vous savez d'où vous venez et cela vous permet d'aller de l'avant.

Il est très dangereux et très arrogant d'imaginer qu'on peut cacher les origines délibérément et créer des gens sans ces liens alors que ces liens ont toujours existé. Tous les organismes vivants sont capables de reconnaître leurs semblables, même les organismes unicellulaires. Il y a des histoires — d'Oedipe à Charles Dickens à Luke Skywalker dans la Guerre des étoiles, des histoires où les gens retrouvent leur père ou leur famille et qui sont des histoires très importantes. Ce sont des histoires extrêmement importantes. Elles sont importantes pour une raison: c'est un besoin fondamental.

Le sénateur Cordy: Je suis d'accord avec mes collègues pour dire que cette discussion est fascinante et que nous apprenons beaucoup de choses. Barry, j'ai vu votre documentaire. C'était fascinant. Je le recommande à tous ceux qui sont autour de cette table. Vous êtes certainement une personne tenace.

J'ai trouvé très intéressants vos commentaires au sujet de l'absence d'information médicale, l'ambiance de honte et de secret, le trou noir permanent, l'identité ouverte. Il n'y a pas si longtemps les personnes adoptées disaient exactement la même chose. Nous avons fait beaucoup de progrès. L'information est maintenant disponible pour ceux qui sont adoptés. Je suppose que cela vous permet de deviner mon âge, puisque je me souviens de tous ces commentaires. Les plus jeunes ne pourraient pas s'en souvenir.

Il est intéressant qu'on entende la même chose aujourd'hui. Peut-être que dans quelques années nous nous dirons: «Vous vous rappelez»?

M. Stevens: Je l'espère bien.

Le sénateur Cordy: Monsieur Stevens, vous avez parlé de votre frère en Angleterre qui défend la transparence. Vous avez dit qu'en Angleterre, on note maintenant l'identité des donneurs. Vous ai-je bien entendu?

M. Stevens: Il est maintenant possible d'identifier les donneurs. À l'avenir, on utilisera uniquement des donneurs identifiables. Cette modification législative a été annoncée il y a environ un mois.

Le sénateur Cordy: Je me demande si cela a eu un effet? Est-ce qu'il y a des pays où la transparence existe déjà? Quel effet cela a-t-il sur les donneurs? Est-ce que le nombre de donneurs a diminué?

M. Stevens: C'est une vaste question qui est sujette à controverse. Souvent, on choisit les preuves qu'on veut. Dans une certaine mesure, on obtient des prophéties qui se réalisent. Si vous entendez de grands spécialistes de la fertilité dire à la radio: «C'est un cauchemar, on ne pourra plus trouver de donneurs», ce sera difficile ensuite de recruter des donneurs.

La Suède a été le premier pays à opter pour la transparence, en 1985, je crois. On a abondamment rapporté qu'il y avait eu une forte baisse du nombre de donneurs. Il y a maintenant un programme qui fonctionne très bien et il y a plus de donneurs aujourd'hui qu'il n'y en avait auparavant. Il y a également une banque de sperme anonyme de l'autre côté du pont à Copenhague qui est également très achalandée. La Nouvelle-Zélande a suivi la même voie et a réussi à maintenir un bon programme de donneurs.

Par exemple, il y a une banque de sperme de Berkeley, en Californie, qui a été la toute première à donner un choix aux donneurs: ils pouvaient rester anonymes ou accepter qu'on révèle leur identité à leurs enfants lorsque ceux-ci auraient 18 ans. Au début, environ la moitié des donneurs choisissaient d'être identifiés et la moitié choisissaient d'être anonymes. D'après les dernières statistiques, qui datent d'il y a un an, il y a maintenant entre 75 et 80 p. 100 des donneurs qui choisissent d'être identifiés.

Il est de toute évidence possible de trouver des donneurs de gamètes qui acceptent ces conditions. Ça marche très bien à plusieurs endroits. En Australie, c'est nouveau, et Mme Ruberto a mentionné que l'Australie fait venir d'Alberta des donneurs qui acceptent d'être identifiés. C'est une solution extrême.

Ailleurs, c'est une question d'éducation publique. On a vu que c'était possible, que ça pouvait marcher.

Le sénateur Cordy: Dans les pays où le système est transparent, est-ce que ces systèmes existent depuis assez longtemps? Est-il arrivé que les parents disent au donneur: «Nous voulons une indemnisation financière pour élever votre enfant»? Est-ce que c'est un problème?

M. Stevens: Les donneurs qui sont passés par une clinique n'ont jamais eu ce problème. Par contre, il y a eu des cas où le donneur était un ami contre qui on a intenté une poursuite judiciaire.

Le sénateur Cordy: Je parle d'une pension alimentaire pour l'enfant.

M. Stevens: Aux États-Unis, la Sperm Donor Act interdit de telles poursuites. Il y a des dispositions législatives semblables au Royaume-Uni et en Suède.

Mme Ryll: L'Alberta a annoncé récemment qu'elle songeait à inclure dans sa Loi sur le droit de la famille une disposition qui mettrait les donneurs à l'abri de toute responsabilité financière.

Le sénateur Cordy: Est-ce que cette disposition devrait faire partie de toutes les lois?

M. Stevens: Il y a un projet de loi à cet effet en Ontario.

Mme Shirley Pratten: Le passage à un système transparent supposerait une modification de toutes les lois provinciales afin de soustraire les donneurs à toute responsabilité financière ou légale. C'est en général ce que les autres pays ont fait lorsqu'ils ont adopté un système transparent.

Le sénateur LeBreton: Je ne peux imaginer un système où le donneur n'est pas identifiable, pour des raisons personnelles mais également pour des raisons médicales. Barry, vous venez de citer l'exemple de Berkeley, où les donneurs choisissent d'être identifiés ou de rester anonymes. Je suppose que ceux qui choisissent l'anonymat avaient néanmoins un dossier contenant leurs antécédents médicaux. Est-ce le cas à Berkeley?

M. Stevens: Oui.

Le sénateur LeBreton: Dans les pays qui tiennent de tels dossiers, comment sélectionne-t-on les donneurs? J'imagine qu'on rencontre le donneur et qu'on lui pose des questions. Comment peuvent-ils être sûrs que ces renseignements sont exacts?

Est-ce qu'il y a un suivi dans le cas d'un donneur qui semble être en bonne santé et qui a fourni toute l'information au moment de la sélection? Y a-t-il un moyen d'obliger le donneur à fournir une mise à jour sur son état de santé dans le cas où il serait atteint de troubles médicaux ou d'une maladie grave? Ce serait certainement un renseignement très important pour n'importe quel enfant.

Mme Ruberto: Au Canada, le sperme est réglementé au niveau fédéral depuis 1996 et ce règlement a été modifié en 2000. Ce règlement exige que celui qui traite le sperme obtienne des copies certifiées des antécédents médicaux du donneur remontant à trois générations sans quoi le donneur ne peut pas participer au programme.

Les receveurs ou les enfants ont accès à cette information. Ça se trouve sur notre site Web. Il suffit de cliquer sur le numéro d'un donneur pour lire l'information.

En ce qui concerne les maladies génétiques, Santé Canada inspecte les installations canadiennes, non seulement de ceux qui traitent le sperme, mais également de tous les médecins qui fournissent des services d'insémination par donneur au pays. Nous tenons un registre rigoureux de toute réaction ou résultat indésirable. Ces dossiers font l'objet d'inspections. Santé Canada a un processus pour traiter, par exemple, un cas de maladie génétique. J'ajoute que tous nos donneurs subissent un test de dépistage génétique. C'est la norme aujourd'hui. Lorsque Olivia et Barry ont été conçus, on n'effectuait pas ces tests. Je ne suis pas surpris d'apprendre que lorsque Olivia a été conçue, le médecin établissait les antécédents médicaux en demandant tout simplement au donneur s'il y avait des maladies dans sa famille. Aujourd'hui, le donneur signe un contrat ou un formulaire indiquant qu'ils doivent nous informer de toute maladie génétique ou héréditaire dont ils ne sont pas conscients maintenant mais qu'ils découvriraient plus tard.

À ce moment-là, nous ferions une enquête pour déterminer si un rappel s'impose ou s'il convient d'informer le receveur de ce sperme qui a conçu des enfants.

Le sénateur LeBreton: Est-ce que les cas comme celui de Mme Ryll sont fréquents? Dites-moi encore quand c'est entré en vigueur?

Mme Ruberto: En 1996.

Le sénateur LeBreton: Est-ce que vous nous dites qu'il y a maintenant un dossier pour chaque don de sperme et qu'il n'y aura plus de cas comme ceux de Barry ou d'Olivia?

Mme Ruberto: Nous avons, dans le système actuel, tous les antécédents médicaux pour trois générations. L'Association canadienne de normalisation a adopté le règlement sur le sperme en y ajoutant les donneurs d'ovules et d'embryons.

Le sénateur LeBreton: Je vois Mme Ryll et M. Stevens qui font non de la tête.

Mme Ryll: Ça dépend dans quelle région du pays on habite et où on obtient le sperme pour l'insémination par donneur.

Mme Ruberto: Les lois sont fédérales.

Mme Ryll: Pour ce qui est de l'accès spécial, le sperme obtenu avant l'adoption de la réglementation est encore utilisé. Il sert encore à concevoir des enfants.

Mme Ruberto: C'est vrai.

Mme Ryll: C'est l'exemple que je donnais dans ma présentation.

J'aimerais mentionner également que nos enfants sont encore très jeunes. Le plus jeune a cinq ans et l'aînée aura bientôt 10 ans. Nous ne parlons pas du système qui existait lorsque Barry ou même Olivia — je ne veux pas donner l'âge d'Oliva — ont été conçus. Il y a d'autres personnes qui se trouvent dans ma situation et qui ont des enfants encore plus jeunes. Ce n'est pas parce qu'il se fait quelque chose dans une région du pays qu'il en va de même dans les autres régions.

Le sénateur LeBreton: Le fait qu'il y ait un règlement ne veut pas dire qu'il est vraiment appliqué.

Mme Ruberto: Est-ce que votre donneur a donné du sperme avant 1996?

Mme Ryll: Notre premier enfant a été conçu en 1993.

Mme Ruberto: Est-ce qu'il s'agit du même donneur?

Mme Ryll: Je l'espère. Nous n'avons aucun document pour le prouver. Nous nous fions simplement à ce qu'on nous a dit.

Le sénateur LeBreton: Il semble y avoir une certaine confusion.

Le président: Je ne demande pas une réponse tout de suite, mais je sais qu'il y a des fonctionnaires de Santé Canada dans le fond de la salle.

Pourriez-vous fournir un éclaircissement au comité d'ici vendredi? Il y a deux questions. Premièrement, quels sont exactement les renseignements disponibles sur les donneurs? Est-ce que cela varie d'une province à l'autre ou s'agit-il d'une réglementation nationale? En quoi ce projet de loi va-t-il modifier la situation?

J'aimerais comprendre pourquoi le gouvernement a opté pour un système anonyme plutôt qu'un système où les donneurs sont identifiables.

Enfin, pourquoi les antécédents médicaux n'étaient-ils pas disponibles? C'est un peu étrange qu'un éleveur puisse obtenir des renseignements beaucoup plus détaillés pour l'insémination artificielle de vaches ou de juments que ceux qui sont disponibles pour les humains.

Je demanderai aux fonctionnaires de nous fournir ces réponses par écrit d'ici vendredi.

Le sénateur LeBreton: Vous dites que les renseignements médicaux sont disponibles depuis 1996.

Mme Ruberto: La loi a été adoptée après 1996.

Le sénateur LeBreton: C'est la loi, mais est-ce que cela veut dire nécessairement que le sperme utilisé est assujetti à cette loi.

Mme Ruberto: Oui, sinon il y aurait infraction au règlement fédéral sur le sperme. Comme je le disais, il n'existe plus de banques de sperme institutionnelles. Ces installations étaient incapables de respecter les règlements de base et elles ont dû fermer pour de bon. En vertu du règlement actuel, ces dossiers doivent être conservés indéfiniment. Ils ne peuvent pas être détruits.

Nous avons déjà réussi trois inspections. De nombreuses installations ont échoué parce qu'elles étaient incapables de respecter le règlement. Elles ont choisi de ne pas l'appliquer et par conséquent, on leur a interdit de fournir ce service. Le médecin doit également tenir des dossiers très précis pour faciliter le suivi au cas où une installation comme la nôtre se voit obligée de faire un rappel.

Le sénateur LeBreton: Est-ce que vous dites qu'à l'heure actuelle les donneurs de sperme peuvent choisir de rester anonymes de sorte qu'un enfant pourrait ne jamais savoir qui est son père, mais qu'ils ont néanmoins accès aux antécédents médicaux de ce donneur?

Mme Ruberto: Oui. Les receveurs et les enfants ont accès à l'information. Nous fournissons des dossiers détaillés au sujet du donneur et de sa famille, y compris leurs aptitudes et compétences, leur éducation, ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. Nous pouvons même montrer au receveur éventuel et aux enfants qui le souhaitent des photos modifiées du donneur.

Dans notre installation, nous demandons les antécédents médicaux depuis 1990. Lorsque ReproMed a ouvert ses portes, il n'y avait aucun règlement. Il n'y avait que des lignes directrices et nous avons suivi celles de l'American Association of Tissue Bank, parce que ces banques de sperme étaient agréées. Nous avons appliqué ces normes jusqu'à l'adoption d'un règlement fédéral.

Mme Shirley Pratten: Je reconnais que ReproMed a certaines procédures qui n'existent pas partout ailleurs. Toutefois, le système reste anonyme. Même s'il y a une photo ou d'autres renseignements, on n'a toujours pas accès à l'information qui permettrait d'identifier le donneur.

Mme Ryll: Récemment, le magazine Maclean's a publié un article sur les dons de sperme au Canada, pour lequel mon mari et moi avons été interviewés. Après la publication de l'article, la journaliste m'a dit qu'un ancien donneur de sperme de notre ville avait communiqué avec elle car il pensait qu'il était peut-être notre donneur et il voulait nous faire part de son nom et de renseignements à son sujet. Nous lui avons parlé. Malheureusement, il semble qu'il ne soit pas notre donneur, d'après les renseignements que nous avons obtenus.

Le fait est que sans loi il n'y aura pas de registre. À qui peut-on s'adresser? Le donneur souhaite rester anonyme, condition à laquelle il a fait le don. Nous n'avons rien s'il n'y a pas de registre.

Le sénateur Morin: Hier soir, le Dr Green nous a dit que 80 p. 100 du sperme était importé des États-Unis. Si nous avons un système commercial qui fonctionne au Canada, pourquoi devons-nous importer? Qui suit l'évolution de l'état de santé du donneur texan?

Mme Ruberto: Comme je le disais, la vaste majorité des banques de sperme ont cessé leurs activités.

Le sénateur Morin: Je sais cela, mais pourquoi n'ont-elles pas rouvert leurs portes?

Mme Ruberto: Comme elles ne pouvaient pas respecter la réglementation actuelle qui est très rigoureuse, elles ont choisi de ne pas rouvrir. Presque tous les grands hôpitaux universitaires de notre pays avaient une banque de sperme. Elles ont toutes disparu.

ReproMed est resté ouvert tout au long du processus, même si au début nous n'avions que cinq ou six donneurs. Nous avons dû importer du sperme des États-Unis afin de pouvoir continuer à offrir nos services, car les installations ici n'avaient plus les moyens de maintenir leurs banques de sperme.

Le sénateur Morin: Qui réglemente le suivi médical de ces donneurs?

Mme Ruberto: Nous appliquons le règlement concernant le sperme de Santé Canada.

Le sénateur Morin: Je parle du Texas.

Mme Ruberto: Santé Canada dit que toute installation qui importe du sperme au Canada doit respecter les critères canadiens. Je puis vous assurer que notre gouvernement n'a pas compétence pour intervenir de l'autre côté de la frontière et faire des inspections. Il peut demander certains renseignements ou dossiers au hasard, mais notre installation fait l'objet de véritables inspections.

Le président: Êtes-vous d'accord avec le Dr Green, qui disait la semaine dernière qu'environ 80 p. 100 des dons de sperme sont importés?

Mme Ruberto: Je ne suis pas sûre que la proportion soit de 80 p. 100.

Le président: Est-elle importante?

Mme Ruberto: Oui, elle est importante.

Le sénateur Morin: Ce qui me préoccupe, c'est le dossier médical en amont. La personne qui donne de son sperme pourrait bien, 10 ans plus tard, apprendre qu'elle est atteinte de dystrophie musculaire. Qui réglemente le suivi à cet égard?

Mme Ruberto: Comme je l'ai dit dans mon exposé, essayons de suffire nous-mêmes à nos besoins. N'allons pas interdire les dons, pour devoir ensuite dépendre des importations qui échappent à notre contrôle. On peut simplement décider de mettre fin aux exportations, comme l'ont fait beaucoup de banques de sperme. Autrefois, il y avait des douzaines de banques qui expédiaient du sperme au Canada, mais il n'y en a maintenant plus que deux. Les autres ont tout simplement décidé de ne plus nous en envoyer.

Mme Ryll: C'est là la question que je me pose, moi aussi. Pourquoi les cliniques qui avaient des banques de sperme ne les ont-elles pas rouvertes? Je crois que Mme Ruberto a raison de dire qu'elles ont tout simplement décidé de ne pas le faire. Elles avaient des stocks dont elles ne pouvaient pas se servir sauf pour les cas d'accès spécial.

J'aimerais obtenir une réponse claire à cette question de la part du secteur. Pourquoi les cliniques de fertilité ou les banques de sperme ne cherchent-elles plus à recruter des donneurs? Pourquoi blâmer seulement le gouvernement? Je ne pense pas que le gouvernement soit le seul responsable.

Manifestement, il y a des problèmes qui sont survenus, et c'est pour cette raison qu'on a imposé une quarantaine. Je ne comprends pas pourquoi on cherche à attribuer le blâme. Nous devrions essayer d'améliorer l'accès aux services de fertilité ici au Canada au lieu de nous tourner vers les États-Unis.

Mme Ruberto: Quatre-vingt-dix pour cent de nos donneurs de sperme sont rejetés parce qu'ils ne répondent pas aux critères de base prévus dans la réglementation fédérale. Voilà la réalité à laquelle nous nous heurtons.

Le donneur doit avoir moins de 40 ans. Nous avons constaté une baisse radicale du nombre de spermatozoïdes dans le sperme au cours des 14 dernières années. Je travaille à cette clinique depuis le jour où elle a ouvert ses portes. Je peux vous dire de manière certaine que l'homme de 30 ans que nous recevons aujourd'hui — même s'il est en bonne santé à tous les autres points de vue — n'a que la moitié des spermatozoïdes dans son sperme par rapport à l'homme de 30 ans que nous aurions reçu il y a 10 ans. Le changement est évident. Certains ne répondent pas aux critères nécessaires pour obtenir une grossesse. C'est un fait.

Nous pourrions peut-être arriver à recruter des donneurs qui voudraient participer à notre programme sans être indemnisés ou sans qu'ils puissent garder l'anonymat. Je vous dis simplement ce qu'il en est de la sélection des donneurs d'un point de vue strictement médical. Pour avoir 10 donneurs, notre sélection doit englober 100 personnes. Nous n'avons que 30 donneurs. Cela veut dire que notre sélection doit en englober 300.

Le sénateur Morin: Vous dites que le sperme américain est meilleur que le sperme canadien.

Mme Ruberto: Pas du tout. Je défends nos donneurs canadiens. S'il y avait plus de centres ou de cliniques dans les différentes régions du pays, nous aurions nous aussi des chiffres semblables. Ils ont une population 10 fois supérieure à la nôtre. Les banques de sperme aux États-Unis ont pignon sur rue à Harvard et dans toutes les grandes universités. Nous ne faisons pas de recrutement dans les universités. L'âge médian de nos donneurs est de presque 34 ans. Il s'agit de professionnels. Dans mon catalogue, j'ai peut-être un donneur qui est aux études, mais les autres, dans l'ensemble, sont des professionnels mariés.

Les Américains essaient d'attirer l'étudiant de 22 ans qui est motivé par des raisons qui pourraient en offusquer certains. Je peux vous décrire nos donneurs. Vous n'avez qu'à aller voir sur mon site Web et vous pourrez y lire leur profil quand vous en aurez le temps. Vous verrez qu'il s'agit d'ingénieurs et de comptables. Certains de mes donneurs ont déjà trois ou quatre enfants. Voilà le type de donneurs que nous recrutons.

Le sénateur LeBreton: Cela m'amène à ma dernière question. Bien souvent, les donneurs sont motivés par l'argent. Dans bien des cas, ce sont des étudiants d'université. Y a-t-il quelqu'un qui les rencontre pour leur expliquer que ce qu'ils font, c'est créer une vie?

Mme Ruberto: Oui.

Le sénateur LeBreton: Il y a des conséquences, et il y aura des gens qui voudront savoir. Leur explique-t-on qu'ils doivent savoir que, plus tard, il pourrait y avoir quelqu'un qui leur ressemble comme deux gouttes d'eau et qui voudra savoir qui ils sont? Cela leur traverse-t-il l'esprit?

Mme Ruberto: Les donneurs reçoivent du counselling en ce qui concerne la raison pour laquelle ils veulent faire un don. La réglementation fédérale sur le sperme nous oblige à leur remettre un feuillet d'information détaillée sur l'utilisation qui sera faite de leur sperme et sur ce qu'il pourrait en advenir. Nous utilisons le formulaire qui est élaboré par Santé Canada. Nous le remettons au donneur qui doit le signer. Nous le leur remettons lors de la première entrevue. Les donneurs doivent se prêter à de nombreuses entrevues, avec moi, avec le directeur médical et avec diverses personnes qui travaillent dans notre laboratoire.

Ils ont accès à notre site web. Ils peuvent se rendre sur le site pour lire leur profil et l'information qui y est offerte.

Le sénateur LeBreton: Ce que vous nous décrivez, c'est la situation qui existe à l'heure actuelle, mais cela n'a pas aidé ceux...

Mme Ruberto: Nous parlons de la situation qui existe aujourd'hui, sénateur. Nous parlons de ce que nous faisons aujourd'hui. J'ai beaucoup de compassion pour ceux qui ne savent absolument rien de leurs antécédents médicaux et qui ne savent même pas quelle était la couleur de cheveux et d'yeux de leur donneur.

Quand nous avons créé ReproMed, nous étions d'avis qu'il était très important de nous assurer de fournir toutes les informations auxquelles les gens n'avaient pas accès auparavant. Ils ont raison. La situation était différente autrefois. Il n'y a pas de discrimination d'information à l'échelle nationale.

Nous tentons de rester à jour et d'offrir le plus d'information possible, parce que nous sommes sensibles à cela. On s'imagine peut-être que ce n'est pas le cas, mais nous y sommes sensibles.

M. Stevens: Je ne suis pas sûr que le fait de signer le document répond en fait à la préoccupation que vous avez de savoir si le donneur est conscient des conséquences. ReproMed s'acquitte mieux de cette tâche que la plupart des autres centres ne le faisaient ou ne le font au Canada, mais il reste des lacunes à mon avis.

Les informations qu'on trouve sur le site Web et ailleurs, comme les photographies floues, donnent tellement d'information. Si j'avais eu autant d'information, j'aurais déjà trouvé le gars. Il y a un site Web qui a été créé par les descendants et leurs parents et qui a pour objectif de trouver leurs demi-frères ou demi-soeurs. Quand j'ai vérifié à la fin janvier, on n'avait trouvé personne dont l'ADN correspondait. Ces personnes ne souhaitaient pas nécessairement être découvertes. On s'était simplement servi des tests d'ADN qui étaient stockés quelque part. L'anonymat ne sera presque d'aucune utilité étant donné les outils dont on dispose aujourd'hui.

Le sénateur Trenholme Counsell: Madame Pratten, j'ai une question à vous poser au sujet de ce que j'ai noté de vos propos. Vous avez parlé de la commercialisation des techniques de procréation assistée et des services de mères porteuses. Je crois vous avoir entendu dire que le fait de vendre des gamètes déconsidère l'essence même de l'être humain. Pourriez-vous nous parler de la commercialisation qui sera interdite si le projet de loi est adopté? Pourriez- vous nous en dire plus à ce sujet? Si vous ne voulez pas, je comprends.

Mme Olivia Pratten: La commercialisation se situe au niveau des parents. Ils offrent un service, mais j'estime que le lien qui doit être fait — qu'il s'agisse de mères porteuses ou de dons d'ovules ou de sperme — c'est le lien de parenté que j'ai avec cette personne. Je n'aime pas penser que j'ai un lien de parenté avec quelqu'un qui se vendrait comme cela. La personne a vendu son sperme. Nous ne savons pas quelles étaient ses véritables motivations. Je ne me sens pas amoindrie du fait que je le sais, mais nous permettons à des gens de se vendre eux-mêmes. Oui, ils vendent de leur sperme ou de leurs ovules, mais ils vendent en fait leurs liens biologiques avec les membres de leurs familles. J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Trenholme Counsell: Oui, vous avez répondu de façon très émouvante. Dans le projet de loi, il est aussi question de mères porteuses et du fait de porter un bébé. Cela ne vous touche pas, bien sûr. Mais vous êtes une jeune femme très sensible et intelligente. Que pensez-vous de cela? Et c'est là une question avec laquelle nous sommes aux prises en tant que comité et en tant que gouvernement.

Mme Olivia Pratten: Je me mets à la place de l'enfant, on entend souvent les gens dire que ça va parce que mes parents voulaient tellement m'avoir. Les parents voulaient tellement avoir l'enfant que les circonstances ne sont pas importantes. Bien souvent, c'est ce que les parents qui ont eu recours à une mère porteuse disent à leurs enfants.

Je ne peux qu'imaginer comment je me sentirais si je savais qu'il y avait eu un contrat de maternité de substitution non génétique et que la femme qui m'avait portée avait été payée. Je ne sais pas si je peux répondre convenablement parce que je ne suis pas cette personne. J'imagine toutefois que je me sentirais tiraillée de ce fait. Je serais tiraillée par des sentiments contradictoires au sujet de l'usage qui aura été fait de l'argent en question. A-t-il servi à payer un voyage à Disneyland? À quoi a-t-il servi?

Je sais que je me sens très différente des autres qui ont été conçus de façon naturelle. On est toujours tiraillé par cette question de savoir quelle était la véritable motivation. On ne le saura jamais vraiment. Si l'argent n'a joué aucun rôle, on a la réponse.

Le sénateur Trenholme Counsell: Vous êtes une personne parmi bien d'autres. Avez-vous déjà discuté de la chose avec d'autres, surtout avec des jeunes qui sont issus des techniques de procréation assistée?

Mme Olivia Pratten: Oui. Comme je l'ai dit, je savais déjà, enfant, ce qu'il en était. Quand j'étais plus jeune, je faisais partie d'un groupe de soutien et nous avions des barbecues et j'ai eu l'occasion de prendre la parole à des conférences. Je ne peux pas me prononcer pour tout le monde, mais je peux vous assurer que la justesse de mes propos a toujours été confirmée par tous ceux qui hochaient de la tête. Je ne sais pas ce que je peux ajouter, si ce n'est que, chaque fois que je rencontre d'autres personnes qui ont été conçues de la même façon, nous avons certainement l'impression d'être unies par un lien très étroit.

Le sénateur Trenholme Counsell: Merci beaucoup. Votre témoignage a été très émouvant.

Le sénateur Callbeck: Ma question s'adresse à Mme Roberto. Vous avez dit que l'âge moyen des donneurs de sperme est de 33 ou 34 ans environ. Cherchez-vous à recruter des hommes plus jeunes, des étudiants d'université, par exemple?

Mme Ruberto: Non. Nous ne faisons pas de publicité dans les universités, et ce, depuis 12 ans. Quand ReproMed a été créée en 1990, nous faisions de la publicité à l'Université de Toronto, à Ryerson et dans les autres universités de la ville. Nous avons constaté que les jeunes hommes qui se présentaient manquaient de maturité et n'étaient pas fiables. Par exemple, le donneur de sperme doit s'abstenir d'éjaculer pendant trois jours. La chose n'est pas impossible, mais il est très difficile pour ces jeunes hommes de respecter cette exigence. Nous avons constaté qu'avec tous les ennuis que nous avons avec eux, le jeu n'en valait pas la chandelle.

Dans notre infinie sagesse, nous avons décidé que ce n'était pas là le type de donneurs que nous recherchions. Ces jeunes ne nous apportaient que des maux de tête. J'étais nouvelle et jeune moi-même à l'époque, j'étais à la fin de la vingtaine, et je me disais simplement que cela nous causait vraiment trop de difficulté.

Nous avons commencé à faire de la publicité, non pas dans les grands quotidiens, mais dans les journaux communautaires. Les deux tiers de mos donneurs, 65 p. 100 d'entre eux, sont des hommes mariés qui ont des enfants, et 99 p. 100 d'entre eux sont des professionnels. Ils ont tous fait des études universitaires.

Nous avions ainsi accès à un nouveau type de donneurs, très différents. Leurs femmes sont de la partie, parce que nous devons les appeler chez eux; nous les appelons au travail. Leur participation n'est pas un secret.

Un de mes donneurs à son MBA, c'est un banquier qui s'occupe d'un portefeuille de prêts à risque élevé aux entreprises dont la valeur dépasse 10 millions de dollars. Sa participation à notre programme exige un effort considérable, et ce n'est pas son intérêt à lui qu'il sert. Nous avons aussi des ingénieurs et des comptables. Ce n'est pas l'argent qui les motive. Ils doivent se présenter une fois par semaine, sénateur, et ils doivent participer au programme pendant au moins un an. Nous prenons des échantillons de sang tous les 30 jours. Nous mettons leurs renseignements à jour tous les 30 jours. Cela prend du temps. Cela se fait pendant la journée de travail. Ils ne peuvent pas se présenter après 15 h 30, parce que nous n'avons pas les moyens de rémunérer notre personnel après 18 heures. Ils viennent tôt le matin ou pendant l'heure de déjeuner, voilà.

Le sénateur Plamondon: Ma question s'adresse à Mme Ruberto. Vous parliez de la réglementation de Santé Canada. Je suppose qu'il y a des inspections, n'est-ce pas?

Mme Ruberto: Oui.

Le sénateur Plamondon: J'ai un article du Globe and Mail de 2002 qui indique que, d'après les documents obtenus grâce à l'accès à l'information, on sait que chaque entreprise de distribution, d'importation et de traitement de gamètes ayant été inspectée au cours des derniers mois comportait des faiblesses. L'article cite ensuite plusieurs cliniques, dont la vôtre.

Mme Ruberto: Effectivement.

Le sénateur Plamondon: L'inspection a donc montré que vous aviez des faiblesses, dans votre clinique aussi. À quelle fréquence ont lieu ces inspections? S'il y a des faiblesses, comment est-ce que Santé Canada contrôle et vérifie qu'elles ont été corrigées?

Mme Ruberto: Nous sommes inspectés une fois par an, à peu près à la même époque. En matière de faiblesses, un peu plus loin dans l'article en question, il est indiqué que les faiblesses notées, par le biais de cet accès à l'information, étaient en fait des questions administratives vraiment de base. Quand il est cité, le Dr Calvin Green indique ainsi que, quand les donneurs remplissent un document, ils doivent signer ou apposer leurs initiales et la date en bas de chaque page. S'il n'y a pas d'initiales sur une page, si une page a été manquée, c'est relevé comme faiblesse lors de l'inspection. L'inspection portait sur toutes nos installations.

Pour répondre à votre seconde question, selon le type de faiblesses, une banque de sperme sera agréée ou pas. Si vous n'êtes pas agréée, cela veut dire qu'il y a dans vos pratiques quelque chose qui nuit à la santé et à la sécurité du bénéficiaire; dans ce cas, Santé Canada vous interdit de continuer à fournir des services, jusqu'à ce que vous remédiiez à vos faiblesses.

Le sénateur Plamondon: L'article indique qu'il ne s'agit pas seulement de questions de secrétariat, comme les initiales — et là, je ne parle pas de votre entreprise spécialement, je parle en général. Je me demandais si Santé Canada procédait à une autre visite, mettons deux mois plus tard, pour voir si les faiblesses ont été corrigées, ou est-ce que les visites s'effectuent seulement une fois par an?

Mme Ruberto: Nous sommes tenus de nous expliquer tout de suite. Après une inspection, Santé Canada envoie une lettre. Tout d'abord, si, pendant l'inspection, les gens de Santé Canada constatent une faiblesse frappante, ils en avisent aussitôt l'installation. La faiblesse figure également dans le rapport qui est envoyé à l'entreprise de traitement par la suite, généralement dans les deux semaines suivant l'inspection. Si Santé Canada constate une faiblesse qui met la santé de quelqu'un en danger, l'installation est fermée aussitôt.

En réponse à votre question, si un établissement a des faiblesses qu'on estime contraires à l'agrément, tous les 30 jours, l'établissement doit indiquer aux services de Santé Canada quelles actions ont été prises. Les services répondent ensuite, indiquant s'ils ont d'autres questions ou s'ils estiment le problème résolu à leur satisfaction.

La présidente: Permettez-moi de vous remercier tous les cinq. Cela fait bien des années que je suis au Sénat et que je préside des tables rondes. Or, celle-ci est particulièrement intéressante, comme l'a souligné le sénateur Keon, avec, en plus, des intervenants qui s'expriment merveilleusement bien. Un grand merci d'être venus.

Monsieur Stevens, j'ai votre vidéo, et je tiens à le voir.

Pendant que les témoins suivants s'installent, je voudrais signaler que je vais être sans pitié et leur demander de s'en tenir aux faits saillants de leurs mémoires, vu que certains sont très longs et que nous en avons sans doute déjà pris connaissance.

Notre premier intervenant est le Dr Clifford Librach, de Sunnybrook. Je vous le rappelle: les faits saillants seulement, pour ne pas vous trouver à court de temps.

Le Dr Clifford Librach, directeur, Sunnybrook and Women's College Hospital Fertility Centre: Honorables sénateurs, j'ai beaucoup de choses importantes à dire. J'espère donc que vous m'accorderez autant d'attention qu'aux précédents intervenants.

Je suis fier de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis un spécialiste de la fertilité qui travaille dans ce domaine depuis environ 15 ans.

En tant que directeur du Sunnybrook and Women's College Hospital Fertility Centre, et en tant que professeur adjoint à l'Université de Toronto, je peux m'enorgueillir d'avoir aidé des centaines et des centaines de couples à avoir des enfants, au cours des 15 dernières années.

J'approuve certains des objectifs de ce projet de loi. Il comporte toutefois des failles majeures et aura des conséquences dévastatrices pour les personnes stériles. Dans l'ensemble, j'estime qu'il fera plus de mal que de bien.

Pour débuter, je voudrais préciser que je ne suis pas ici au nom de mes collègues ou du mien. Je suis ici pour représenter presque tous les patients que j'ai vus lors d'une consultation pour un don de gamètes ou un contrat de maternité de substitution non génétique. En effet, ce sont ces gens-là qui seront véritablement affectés par les dispositions du projet de loi C-6 en matière de technologies de la procréation, et surtout par les articles 6 et 7 qui rendent illégale une compensation raisonnable pour les donneurs de gamètes ou les mères porteuses.

Beaucoup de couples infertiles hésitent, et cela se comprend, à faire entendre leur point de vue en public. Ainsi, hormis quelques individus courageux, ils n'ont pas de voix. Quant à ceux qui ont essayé de parler devant le comité de la Chambre en novembre 2002, vous pouvez lire dans le document que je vous ai remis comment ils ont été traités. Beaucoup d'entre vous ont sans doute reçu des courriers électroniques de leur part car ils sont atterrés par le projet de loi.

Mes patients sont accablés et furieux à la perspective de mesures législatives qui les empêcheraient d'avoir des enfants grâce à cette technologie. Certains de ces couples infertiles vous font face ce soir dans la galerie derrière moi.

Si le projet de loi C-6 est adopté, ce sont des gens qui deviendraient des criminels aux yeux de la loi. Bon nombre d'entre eux espèrent encore se faire entendre par le présent comité et nous comptons sur vous pour leur en donner l'occasion.

La majorité de nos patients n'ont pas de parents ou d'amis qui puissent faire un don ou porter un enfant pour eux. De ce fait, les technologies de reproduction sont pour ces gens la seule chance d'avoir un enfant génétiquement parent.

D'un bout à l'autre du pays, nous voyons des patients qui requièrent le don d'un ovule pour avoir des enfants. C'est vrai pour diverses raisons, que je tiens à vous expliquer. Il y en a qui souffrent du syndrome de Turner, c'est-à-dire des femmes qui sont nées sans ovules; il y a des femmes prématurément ménopausées à la suite de chimiothérapie ou de radiation pour combattre le cancer. Quant à celles qui recherchent, pour leur part, une mère porteuse, ce sont des femmes qui ont pu subir une hystérectomie à la suite d'une perte de sang mettant leur vie en danger ou à la suite d'un cancer, des femmes nées sans utérus ou, encore, des femmes ayant des problèmes médicaux graves, comme des maladies du coeur congénitales, qui mettraient leur vie en danger si elles essayaient de mener à terme une grossesse.

Pour vous donner un exemple, je veux vous parler de deux couples infertiles que j'ai traités. Dans le premier cas, la femme avait 25 ans, quand elle a débuté une grossesse. Après 22 semaines de grossesse, elle a perdu son bébé et a dû subir une hystérectomie du fait de l'hémorragie. Ses ovaires sont sains et le sperme de son époux est normal. Mais elle n'a pas d'utérus. Le couple voulait désespérément avoir une famille. Elle n'avait pas de soeur ni d'amie à qui elle aurait pu demander de porter l'enfant pour elle. Mettez-vous à sa place. Imaginez qu'il s'agisse de votre épouse ou de votre fille. Quels seraient vos sentiments? Eh bien, avec l'aide d'une porteuse de gestation, ce couple attend maintenant son propre enfant biologique.

Laissez-moi vous donner un autre exemple: une patiente qui s'est mariée à 27 ans. Elle avait eu à 18 ans un cancer des ovaires, qui lui avait coûté ses deux ovaires. Elle est venue me voir, espérant ardemment avoir un ovule par le biais d'un don. Eh bien, avec l'aide d'une donatrice d'ovules ayant obtenu une compensation, elle a donné naissance à des jumeaux, l'an dernier.

La disposition interdisant le paiement pour des gamètes ou une grossesse de substitution a été introduite pour empêcher la marchandisation de la procréation. Mais qui dit compensation raisonnable ne dit pas marchandisation.

À ma connaissance, aucune personne ayant fait don d'un ovule ou de sperme n'a jamais gagné sa vie, changé son style de vie ou progressé dans sa carrière grâce à la compensation reçue pour le don. Pour vous donner une idée de la situation, au Canada, une porteuse de gestation reçoit moins que le salaire minimum pendant ses neuf mois de grossesse. Je suis persuadé que, sans compensation raisonnable, les donneurs ou les porteuses disparaîtront presque. Pour merveilleuses qu'elles soient, ces personnes m'ont fait savoir qu'elles n'étaient pas prêtes à faire de dons ou à assumer une grossesse sans compensation équitable et raisonnable, malgré du counselling.

Au cours des dernières années, on a seulement eu un ou deux dons anonymes effectués sans aucune compensation. C'est bien simple, regardez ce qui s'est passé en Australie. Je vous renvoie au document que je vous ai distribué.

La mesure législative envisagée n'arrêtera pas les couples qui sont prêts à tout pour avoir un enfant. C'est une loi qui les contraindra à prendre une décision très difficile. Peut-être iront-ils aux États-Unis, où cela leur coûtera trois ou quatre fois plus cher, peut-être jusqu'à 40 000 $ ou 80 000 $ US. Dans ce cas, seuls les Canadiens et les Canadiennes très riches pourraient bénéficier du traitement, ce qui créerait un système à deux vitesses.

L'autre possibilité, pour ces couples, serait de s'adresser au marché noir, et de se livrer ainsi à des activités criminelles. Il leur faudrait utiliser des donneurs ou des porteuses n'ayant pas fait l'objet d'un véritable dépistage, ce qui les exposerait à des risques juridiques, infectieux et génétiques.

La version actuelle du projet de loi C-6 va, en effet, encourager la conclusion de pactes et faire de Canadiens et de Canadiennes habituellement respectueux de l'ordre des criminels, simplement parce qu'ils veulent désespérément un enfant. Allons-nous punir ces personnes avec des amendes énormes, voire des peines de prison? Je vous le demande: où est la justice? où est la moralité? où est la dignité dans tout cela? où sont ces qualités que nous nous targuons d'avoir en tant que Canadiens et qui sont mentionnées dans le préambule du projet de loi?

À mon sens, la solution n'est pas d'interdire la compensation mais de la réglementer comme il convient, afin que toutes ces démarches se fassent au vu et au su de la société. Ainsi le gouvernement canadien sera-t-il en mesure de mettre en place des lignes directrices appropriées, qui assureront la sécurité de tous.

Je vous demande de réévaluer les priorités du projet de loi, afin d'établir une distinction entre les traitements habituels que nous effectuons tous les jours et la myriade d'autres technologies envisagées.

C'est pourquoi je propose que l'agence de contrôle de la procréation élabore des règlements spécifiques pour le dépistage et pour la compensation des donneurs et des porteuses. Avec des règles d'accréditation et de licence strictes, il est possible de s'assurer que les cliniques respectent les lignes directrices en question. L'agence de contrôle de la procréation pourrait modifier les règles au fil du temps, en fonction des changements dans les valeurs de la société et des progrès de la science.

Je voudrais signaler combien il est important, à mon sens, qu'au moins un parent ayant eu un enfant grâce à un don d'ovucytes ou à une grossesse de substitution, l'un des parents assis derrière moi, par exemple, fasse partie du comité, car il faut avoir vécu une telle situation pour savoir ce que cela représente.

Enfin, je voudrais parler de l'exigence d'enregistrement spécifiée à l'article 17 du projet de loi, dont on n'a pas encore discuté lors de la présente réunion. Je m'inquiète particulièrement du passage qui contraint les personnes se soumettant à des procédures de procréation assistée, ainsi que les personnes conçues de cette façon, à s'enregistrer auprès d'un organisme gouvernemental.

Selon l'article, une patiente qui a recours à la fécondation in vitro, parce que ses trompes sont bloquées, ou à l'insémination artificielle avec le sperme de son époux, parce que la numération de ses spermatozoïdes est faible, est tenue de transmettre au gouvernement des renseignements permettant de l'identifier. Parmi mes patients, nombreux sont ceux qui ne consentiraient jamais à une telle intrusion. Je suis convaincu que c'est une mesure totalement contraire au droit à la vie privée de nos patients et à l'aspect confidentiel du rapport patient-docteur. Je suis persuadé que les membres du présent comité seraient d'accord, notamment ceux d'entre vous qui sont médecins.

Le caractère confidentiel est sacro-saint dans tous les autres rapports de type professionnel. Il ne faut, en aucun cas, contraindre un Canadien ou une Canadienne à tolérer ce type d'intrusion du gouvernement dans leurs affaires de procréation privées. Imaginez le tollé, si les couples décidant de concevoir devaient s'enregistrer auprès d'un organisme gouvernemental.

Pour conclure, je tiens beaucoup à ce que vous compreniez pourquoi j'ai choisi d'intervenir aujourd'hui et pourquoi je me bats avec tant de conviction en faveur de l'autorisation de compenser les personnes merveilleuses qui font don d'ovules ou qui portent un enfant pour d'autres.

Je parle ici au nom des personnes qui viennent me consulter jour après jour et qui, bien malgré elles, sont infertiles. Je suis un homme de métier, mais ce n'est pas pour moi une question d'argent. D'un point de vue financier, les traitements de dons d'ovules et de maternité de substitution que j'assure constituent une petite part seulement de mes revenus. D'un point de vue humain, par contre, ils m'apportent énormément.

S'il n'est pas modifié, le projet de loi C-6 privera les Canadiens du droit fondamental d'avoir des enfants et empêchera des milliers de couples canadiens de vivre la joie extraordinaire d'avoir un enfant. De plus, je suis convaincu que l'article 17 du projet de loi porte atteinte à leurs droits fondamentaux à la confidentialité des renseignements médicaux.

Je vous exhorte donc, messieurs et mesdames du comité, à proposer des modifications au projet de loi C-6. Idéalement, je recommanderais que le texte de loi soit divisé en deux parties distinctes, soit un texte de loi qui porte sur le clonage et la recherche, ce qui en passant aurait du être fait il y a bien longtemps, et un texte de loi qui porterait sur la mise en vigueur de règlements, comme les règlements actuels sur l'utilisation de spermatozoïdes dans le contexte des techniques génésiques.

Je vous supplie de bien regarder ceux qui sont dans la salle aujourd'hui. Voulez-vous en faire des criminels? Voulez- vous tout connaître de leurs antécédents médicaux? C'est ce que vous ferez si vous adoptez le projet de loi dans sa version actuelle.

Ce projet de loi fera plus de mal que de bien.

[Français]

Mme Nathalie Parent, coordonnatrice, Fédération du Québec pour le planning des naissances: Honorables sénateurs, la Fédération du Québec pour le planning des naissances est très heureuse de pouvoir vous présenter son point de vue sur le projet de loi C-6, à un moment aussi crucial dans son processus d'approbation. Notre fédération regroupe des groupes de femmes et des individus qui travaillent à la promotion de la santé reproductive et sexuelle des femmes, et de leur autonomie en la matière. La fédération s'est intéressée à la question de nouvelles technologies de reproduction humaine depuis leur apparition au Québec dans les années 1980. Nous avons commencé à effectuer des recherches, à analyser des informations recueillies et à en débattre collectivement avec nos membres et au sein du mouvement des femmes lors de tournée de sensibilisation et de formation, et à l'occasion des diverses représentations politiques et publiques.

Notre lunette d'analyse étant la promotion de la santé reproductive des femmes, le respect de leurs droits et du libre choix en la matière, nous avons vite développé un regard critique envers la procréation médicalement assistée. Nos réflexions nous ont amenés à croire que des intérêts d'ordre scientifique, commercial ou médical prenaient largement le pas sur les intérêts des femmes individuellement et des êtres humains collectivement. Nous avons rapidement été inquiètés des conséquences de la maternité à saveur technologique, de la science qui chamboule les règles du jeu naturel de la reproduction, de l'éventualité du clonage, de la commercialisation du matériel reproductif humain et aussi des dérives eugénistes pouvant découler de ces pratiques et techniques.

Le développement effréné des technologies de reproduction humaine, qui s'est effectué dans un contexte caractérisé par l'absence d'évaluation scientifique rigoureuse et d'encadrement, préoccupe depuis longtemps les groupes de femmes que nous représentons. Ainsi, les cliniques de fertilité ont-elles pu développer, expérimenter et pratiquer sur les femmes et leurs enfants des techniques dont l'innocuité n'a pas été démontrée avant qu'elles ne soient utilisées? Afin de palier à l'inefficacité de ces techniques et réduire le taux d'échec qui demeure toujours très élevé, et ce, même après 20 ans de pratique, on soumet les femmes à la stimulation ovarienne, ce qui implique la prise d'importantes doses d'hormones dont les risques à long terme sur la santé ne sont pas encore bien connus. Ainsi, on cherche à leur faire produire cinq, dix ou une quinzaine d'ovules matures qui, une fois fécondés, seront transférés par groupes de deux, quatre ou plus dans l'utérus afin d'accroître les chances de réussite.

Nous savons maintenant que cette pratique, en plus de rendre disponible du matériel reproductif humain pour la recherche, pour des manipulations diverses et pour la commercialisation, augmente le nombre de grossesses multiples de façon considérable ainsi que le nombre d'enfants prématurés dont la santé et le développement peuvent être dangereusement compromis.

Les nouvelles technologies accentuent la médicalisation de la grossesse, phénomène qui se répercute de plus en plus chez toutes les femmes qui poursuivent leur grossesse.

Voilà pourquoi la fédération est heureuse de voir un projet de loi qui permettra enfin de réglementer ce genre de pratique et d'empêcher que des procédés médicaux non vérifiés ne deviennent pratique courante. Nous appuyons la mise sur pied de l'agence de réglementation qui autorisera et assurera le suivi de ces pratiques par l'entremise, entre autres, d'un registre d'information.

Nous avons grand besoin d'une collecte d'information basée sur des définitions uniformisées de termes tels «taux de succès et d'échec», ce qui nous permettra de mieux informer, de façon transparente, au sujet des répercussions et des impacts sur la santé des femmes et des enfants issus des nouvelles technologies de reproduction.

Nous sommes également en accord avec les dispositions du projet de loi visant à interdire des pratiques que nous trouvons inacceptables, telles le clonage humain, la sélection du sexe, la rémunération des mères porteuses et la commercialisation du matériel reproductif humain.

Notre fédération appuie ce projet de loi. Nous ne souhaitons pas que des amendements soient apportés puisque ces derniers auraient pour effet d'en compromettre l'avenir. Nous croyons qu'il pourrait s'écouler plusieurs années avant qu'un autre projet de loi ne soit proposé, ce qui entre-temps risquerait de laisser libre cours à l'expérimentation, à la vente de matériel reproductif humain, qui a déjà lieu sur Internet, à la recherche et à des pratiques menant tout droit vers l'eugénisme. Cet état de faits nous est intolérable.

Cette position en est une de compromis, puisque le projet de loi ne répond pas à toutes nos préoccupations. Nous aurions souhaité, par exemple, que le projet de loi porte davantage attention à la question de la prévention de l'infertilité et à la recherche des causes et des traitements possibles de l'infertilité. Nous ne considérons pas que l'insémination artificielle et la fécondation in vitro constituent des traitements à l'infertilité. En fait, ces technologies contournent des problèmes de fertilité sans les soigner et sans en comprendre la cause.

Les études révèlent que les causes de l'infertilité demeurent inconnues dans 10 à 25 p. 100 des cas. Nous aurions souhaité que ce projet de loi encourage davantage la prévention et la recherche des causes de l'infertilité, prévenant ainsi en amont le besoin de recourir à la procréation assistée. Nous espérons tout de même que l'agence pourra ajouter cette préoccupation à son mandat.

Nous sommes également préoccupées par le fait que ce projet de loi cautionne le phénomène des mères porteuses. Nous trouvons que la ligne entre l'interdiction de la rémunération et la compensation des dépenses est bien mince, et nous aurions préféré que ce projet de loi n'inclut aucune mesure pour encourager cette pratique.

Selon un article paru dans La Presse la couverture permise en Angleterre pour les dépenses s'évalue aux environs de 16 000 $ américains. Il est difficile de faire la différence entre l'impact sur un salaire et une compensation. Il est difficile pour une femme pauvre de ne pas être tentée d'offrir ses services.

La pratique des mères porteuses comporte aussi plusieurs enjeux d'ordre éthique et moral de même que des risques d'exploitation pour l'ensemble des femmes. Les ententes, même si elles n'impliquent pas de rémunération, dictent des modalités de comportement des femmes pendant leur grossesse. Elles doivent faire attention à leur alimentation, ne pas boire, ne pas fumer. Elles doivent se soumettre aux interventions et examens proposés par l'équipe médicale. Elles doivent adopter une conduite favorable au développement sain de l'enfant.

Pourrait-on poursuivre une mère porteuse si cette dernière mettait au monde un enfant malade ou handicapé? Que faire si la mère porteuse porte des jumeaux alors que le couple demandeur ne veut qu'un enfant? Aux États-Unis, ce genre de psychodrame fait déjà les manchettes. Nous ne pouvons souscrire à ce phénomène qui transforme les femmes en usine à fabriquer des bébés sur commande. Nous ne pouvons souscrire à cette mise en commodité des enfants ni à la création de liens multiples d'affiliation, ni à la perte du sens de l'acte d'enfanter.

L'anonymat des donneurs nous préoccupe également. Le droit des enfants de connaître leur origine, s'ils le désirent, devrait primer sur le droit du donneur de préserver son anonymat. Avec cette mesure, à qui pensons-nous en premier lieu? Au bien-être de l'enfant que l'on prive d'une partie de ses origines ou à la protection des adultes qui souhaitent tenir cet aspect de leur vie privée?

Il suffit de penser aux enfants adoptés et aux mouvements des retrouvailles pour saisir l'importance de la quête d'identité humaine, tel qu'en a témoigné de façon éloquente le groupe de témoins précédent.

En ce qui concerne le soutien ou la consultation, nous souhaitons qu'il soit offert par une tierce partie dégagée de tout conflit d'intérêts possible. Le counselling devrait inclure également un soutien psychosocial auprès de la majorité des couples et des personnes, qui vont d'un échec à l'autre et vivent chaque résultat négatif comme un deuil très éprouvant pour les personnes impliquées, pour les couples et leur entourage.

Nous sommes heureuses d'avoir devant nous un projet de loi qui nous donnera les mécanismes nécessaires afin de mettre un terme à des pratiques qui mettent en danger la santé et le bien-être des femmes, des couples et de leurs enfants. Nous sommes rassurées par le fait que ce projet de loi sera évalué à nouveau dans trois ans. Nous comprenons que ce projet de loi nous permettra de travailler auprès du gouvernement québécois afin que ce dernier mette en place des dispositions qui répondront aussi à l'ensemble de nos préoccupations.

[Traduction]

Mme Jean Haase, travailleuse sociale, London Health Sciences Centre: Je tiens à remercier le comité sénatorial de m'avoir offert cette occasion de comparaître devant lui pour discuter du projet de loi C-6. J'aimerais me présenter puis vous expliquer pourquoi je m'intéresse à la question.

Je suis travailleuse sociale et je travaille à plein temps à une clinique de fertilité en milieu hospitalier depuis 12 ans. Pendant cette période j'ai été un des rares professionnels responsables du counselling des personnes infertiles et j'ai été pendant longtemps la seule personne employée à plein temps par une clinique de fertilité.

J'ai témoigné devant le comité permanent, et Santé Canada, des élus et divers groupes d'intervenants ont fait appel à mes services à titre d'expert. De plus, j'ai eu la chance d'étudier personnellement les règlements et les pratiques dans de nombreux autres pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni.

Mes responsabilités sont à la clinique où j'appuie l'équipe de traitement et les patients qui ont recours aux services de la clinique de fertilité. Puisque je m'intéresse vivement aux aspects psychosociaux des soins et au rôle de conseiller, on m'a demandé de vous parler du counselling.

Pour gagner du temps, j'ai remis au comité un document qui fait état des points saillants d'un rapport que j'ai préparé l'année dernière pour Santé Canada et qui complète mon intervention aujourd'hui.

Comme vous le savez, selon l'alinéa 14(2)b), tous ceux qui recevront des traitements ou qui feront un don de matériel reproductif devront recevoir des services de consultation et cette proposition inquiète certains intervenants. Je crois en partie que ces préoccupations sont attribuables au simple fait qu'on ne saisit pas vraiment ce qu'est la consultation ou le counselling.

L'infertilité est un problème unique qui est souvent mal saisie par le reste de la société. Ce problème est perçu comme une grande perte et comme une grave crise de la vie, ayant un impact marqué sur les personnes touchées les amenant souvent à remettre en question leur vie et leur avenir.

On a toujours reconnu que l'infertilité n'était pas simplement un problème médical. Des soins de qualité supérieure s'imposent évidemment, mais les soins médicaux ne sont pas le seul aspect des services auxquels le patient doit avoir accès.

Ceux qui pensent que le traitement de l'infertilité ne vise qu'à permettre à une femme de vivre une grossesse ignorent les autres aspects du traitement. Les gens ont recours aux services de la clinique pour créer une famille. Ils ont nombre de besoins et de problèmes non médicaux. Ces problèmes apparaissent à toutes les étapes de leur cheminement et ont un impact sur leur vie, les rapports qu'ils entretiennent avec les autres, leur estime de soi et j'en passe.

La consultation ou le counseilling permet donc d'établir un équilibre entre les aspects scientifiques et médicaux du traitement de pointe et les aspects plus personnels et subjectifs de l'infertilité.

Malheureusement, le counselling est souvent présenté d'un ou deux points de vue fort polarisés. On perçoit à l'occasion le counselling comme étant une activité qui n'est tout compte fait que l'utilisation du simple bons sens ou une petite conversation, et quelque chose que n'importe qui pourrait faire. D'autres présentent un modèle plus pathologique du counselling, disant que ces services sont réservés à ceux qui ont des problèmes de santé mentale ou des tendances criminelles. Ces deux interprétations sont mauvaises et ne sont certainement pas utiles.

Le type de counselling qu'offre un professionnel compétent, comme un psychologue ou un travailleur social, est maintenant reconnu à l'échelle internationale comme un domaine de compétence bien particulier. Nombre de pays ont adopté des règlements et des lois qui incluent des codes de pratiques pour les services de counselling offerts dans les cliniques offrant des services de procréation assistée. Ces professionnels se penchent sur les aspects déontologiques, psychologiques et sociaux associés à la procréation assistée. Ils ont la compétence nécessaire pour se pencher sur les besoins des enfants issus à la suite de ces techniques et sur l'impact à long terme de ces interventions sur les familles. À mes yeux, les enfants qui seront issus de ces traitements sont aussi mes clients et même s'ils ne peuvent parler en leur propre nom, il faut certainement tenir compte de leurs intérêts. Les principes qui sous-tendent le projet de loi C-6 accordent d'ailleurs la priorité aux enfants, ce qui est fort approprié.

Je sais que d'aucuns critiquent la décision de rendre les services de counselling obligatoires. Je dois signaler que ce n'est pas nécessairement quelque chose que les experts en counselling avaient proposé. Cependant, je crains que si ces services n'étaient pas obligatoires, nombre de cliniques ne prévoiraient pas de counselling pour leurs patients. La majorité des conseillers auxquels j'ai parlé récemment sont d'avis que tous ceux qui participent à ces traitements, peu importe le rôle qu'ils jouent, devraient avoir accès à des services de counselling en raison des facteurs psychologiques et sociaux complexes qui entourent toute cette question.

Je crois cependant que le simple fait de rencontrer un conseiller avant traitement serait chose utile pour la majorité des patients. Un sondage effectué récemment au Royaume-Uni révèle qu'une clinique qui exigeait que ses patients rencontrent un conseiller avant leur traitement a constaté que tous les patients jugeaient que cette consultation avait été utile, même s'ils ne pensaient pas que les résultats seraient positifs.

Une étude publiée ce mois-ci dans un important journal nord-américain conclut que le stress psychologique est le principal motif qui pousse les gens à laisser tomber les traitements.

Il importe également de noter que les patients sont plus portés à accepter les services de counselling si ce service est appuyé par l'équipe médicale et s'il est intégré au reste des soins prodigués aux patients.

La commission royale a constaté que nombre de ceux qui reçoivent des traitements pour infertilité aimeraient avoir meilleur accès à des services de counselling spécialisés. Lors de groupes de discussion organisés pour les patients après leur traitement, ces derniers mentionnent souvent le besoin d'assurer un meilleur accès aux services de counselling.

L'année dernière, j'ai mené une enquête téléphonique auprès des cliniques de fertilité du Canada pour en savoir plus long sur les services de counselling offerts à leurs patients. J'ai constaté qu'ils fournissaient une liste d'environ 45 intervenants. Cependant, je n'ai pas pu communiquer avec tous les conseillers pour savoir combien d'heures de counselling ils offraient à la clinique. Certaines ont simplement refusé de participer à cette enquête.

Moins d'une vingtaine de conseillers professionnels au Canada passent plus de la moitié de leur temps à offrir des services de counselling pour des cas d'infertilité. Il n'y a même pas une dizaine de conseillers d'expérience qui oeuvrent à plein temps dans ce secteur. L'Australie, dont la population est moins importante que celle du Canada mais qui compte à peu près le même nombre de cliniques de fertilité, a plus de 100 conseillers accrédités.

Quelle sera la portée du projet de loi C-6? Puisque cette mesure législative stipule que des services de counselling doivent être offerts, il est clair qu'il faut adopter une stratégie globale afin d'augmenter le nombre de conseillers professionnels et d'assurer une meilleure connaissance des aspects psychosociaux des traitements. Les conseillers doivent, à mon avis, jouer un rôle fondamental à cet égard et être consultés lors de l'élaboration des règlements qui touchent par exemple les normes de pratique et l'accréditation des conseillers.

Ce projet de loi est le résultat de consultations et de discussions générales auxquelles ont participé des centaines de groupes d'intéressés et de particuliers au cours des 10 dernières années. J'ai participé à ce processus et je ne crois pas qu'en reportant l'adoption de cette mesure législative, on pourra en venir à une meilleure proposition. Un processus d'examen est prévu dans le projet de loi et permettra d'apporter les changements qui s'imposent.

Certains disent que le projet de loi limitera l'accès des patients au traitement et les empêchera donc d'avoir la famille qu'ils désirent. Je leur répondrai que je n'hésite pas à défendre les droits du patient et que si je pensais que cette mesure législative aurait un impact négatif sur ces derniers, je ne l'appuierais certainement pas.

De plus, je ne suis pas pessimiste et je suis convaincue qu'il n'y aura pas un exode général des Canadiens qui recherchent des traitements vers les États-Unis.

Ce projet de loi est l'aboutissement d'un très long cheminement. Je crois qu'il nous offre un cadre solide pour améliorer les normes de diligence, protéger les intérêts des patients et de leurs enfants, reconnaître de façon appropriée les aspects psycho-sociaux de l'infertilité et s'associer à la majorité des pays occidentaux qui assurent déjà la réglementation de ce secteur. J'exhorte donc le Sénat à adopter ce projet de loi.

Le président: Merci beaucoup.

Mme Diane Allen, directrice exécutive, Infertility Network: Je vous remercie de m'avoir invitée.

Nous sommes un organisme de bienfaisance enregistré. Nous n'avons aucun lien avec des cliniques, des médecins, des compagnies pharmaceutiques, des organisations professionnelles ou communautaires. Notre réseau et notre conseil d'administration sont composés de représentants de toutes les régions du pays. Tout comme moi, la majorité des membres du conseil d'administration ont été touchés personnellement par l'infertilité, certains étaient des patients qui ont constitué leur famille grâce à la reproduction assistée, grâce aux dons de gamètes ou à l'adoption. Aucun des membres du conseil d'administration ne travaille dans le secteur de la reproduction assistée et le conseil d'administration et le réseau n'ont aucun avantage financier, professionnel ou personnel à tirer de l'adoption d'une mesure législative. Nous jugeons qu'une organisation représentant les patients ne peut être crédible que si elle est indépendante et si elle est perçue comme étant indépendante.

Je vous encourage fortement à demander à tous les groupes qui s'adressent à vous de plus amples renseignements sur leurs sources de financement, sur leurs membres, sur la composition et la direction de leur conseil d'administration. Les techniques génésiques et génétiques représentent aujourd'hui au Canada et à l'étranger une industrie très peu réglementée dont les revenus s'élèvent à plusieurs milliards de dollars. Les groupes qui représentent les patients peuvent être facilement influencés par divers intervenants ou par l'industrie.

L'objectif de notre réseau a toujours été d'offrir les renseignements et l'appui nécessaires afin de permettre aux gens de prendre des décisions éclairées. Nous existons simplement parce que nous avons à coeur les intérêts des patients et des enfants qu'ils auront ou qu'ils espèrent avoir, parce que ce sont ces enfants qui devront vivre avec l'impact de cette décision.

Nous avons un point de vue unique en raison de l'expérience que nous avons accumulée grâce à nos contacts avec la collectivité au cours des treize dernières années. Nous avons organisé plus de 70 séances d'information et plusieurs conférences, distribué des trousses d'information, enregistré des conférences, rédigé des communiqués, offert des services de soutien et de renvoi téléphonique à plus de 45 000 Canadiens; nous avons participé aux consultations organisées par Santé Canada auprès de divers intervenants; nous avons créé un vaste réseau de contacts avec d'autres groupes de soutien, des professionnels, des agences, et j'en passe, au Canada et à l'étranger.

Tout cela a été rendu possible grâce à la bonne volonté et au dur travail de quelques volontaires dévoués, disposant d'un budget fort limité, travaillant de longues heures, étant même appelés à l'occasion à payer eux-mêmes les factures. Nous n'avons jamais obtenu d'aide financière du gouvernement et nous n'avons eu qu'une aide financière limitée de la part du milieu médical. Contrairement à d'autres intervenants, nous ne pouvons nous permettre d'embaucher un groupe de pression d'Ottawa pour essayer d'influencer le comité.

En fait, des intervenants ont fait pression sur nous en raison de l'appui que nous accordons à cette mesure législative, à la réglementation du secteur et à la réforme du système de dons, et en raison de notre opposition à la commercialisation de la maternité de substitution.

Ces intervenants ont eu recours à diverses tactiques: dans certains cas, notre matériel n'a pas été distribué aux patients qui auraient pu être éclairés par les livres, les enregistrements, les trousses d'information et tout ce que nous offrons; un des membres de notre conseil d'administration a été victime de calomnie; il y a eu des lettres méchantes, des courriels et des appels malveillants; on a essayé de convaincre nos rares sources de financement d'offrir leur aide à une autre organisation représentant les patients qui dans ses contacts avec le gouvernement et les médias appuie plus clairement l'industrie; on est même revenu sur une promesse de payer la facture pour les rafraîchissements offerts à une conférence, même lorsque j'ai expliqué que je devrais payer moi-même la facture de 2 400 $ parce que notre organisation ne pouvait se permettre de payer un tel montant.

Ces pressions et l'insuffisance du financement se répercutent invariablement sur les patients, parce que nous n'avons pas les moyens de leur offrir les services de soutien dont ils auraient besoin ni de monter une campagne d'information de l'envergure qu'il faudrait manifestement, pour essayer de réduire le nombre de cas d'infertilité et la nécessité de traitements de fertilité.

Nous ne prétendons pas parler au nom de tous les patients en infertilité, et aucun autre groupe ni aucun autre professionnel ne devrait le faire non plus, car les opinions sont partagées, comme vous avez pu le voir ici aujourd'hui. Pour se faire une idée exacte de ce que pensent les patients en infertilité, il vous faudrait faire ce qu'a fait la commission royale d'enquête. Il vous faudrait tenir des audiences dans toutes les régions du Canada et chercher activement à connaître l'opinion, non pas seulement des personnes qui suivent actuellement des traitements, mais aussi de celles qui en ont déjà suivis et qui sont maintenant passées à l'étape suivante, soit avec la famille qu'ils ont réussi à avoir par la naissance ou par l'adoption, soit en restant sans enfant.

Ces personnes-là auraient sans doute une perspective très différente de celle des personnes qui suivent actuellement des traitements, et qui, de ce fait, prennent tout tellement à coeur et trouvent tout tellement pénible et à qui on ne présente peut-être pas de façon exacte les avantages du projet de loi C-6, puisque beaucoup des cliniques s'opposent au projet de loi et que la Société canadienne de fertilité et d'andrologie a lancé un appel aux médecins pour qu'ils encouragent leurs patients à faire connaître au comité leur opposition au projet de loi, dans l'espoir d'en bloquer ainsi l'adoption.

D'après les contacts que j'ai eus au fil des ans avec des milliers de patients, de familles et d'adultes nés du matériel génétique d'un donneur, dans des colloques ou des groupes de soutien ou encore par téléphone ou par courrier, je peux vous dire que la plupart sont mécontents de l'absence de législation et de réglementation à l'heure actuelle. Ils n'arrivent même pas à avoir une réponse claire à la question qui revient le plus souvent, celle concernant les taux de réussite des cliniques, car ces taux ne sont indiqués que pour l'ensemble des cliniques. Les chiffres ne sont pas non plus soumis à une vérification indépendante. Aussi, ils ne sont guère utiles à ceux qui ont à décider où investir leurs espoirs et les quelque 10 000 $ nécessaires pour chaque cycle de traitement FIV.

Vous avez eu l'occasion aujourd'hui d'entendre beaucoup d'experts et de particuliers vous expliquer pourquoi les donneurs d'ovucytes et de gamètes devraient être identifiables et pourquoi aussi ils devraient être recrutés comme donneurs altruistes au lieu d'être payés et de rester anonymes, comme c'est le cas à l'heure actuelle, cette façon de faire ne répondant manifestement pas aux besoins de ceux qui sont les plus directement touchés pendant le plus longtemps, à savoir les personnes ainsi conçues. Il serait complètement inacceptable que nous ayons, comme certains le proposent, des systèmes de donneurs parallèles, l'un où les donneurs seraient anonymes ou l'autre où ils seraient identifiables. Nous nous retrouverions ainsi avec deux classes d'êtres humains, l'une qui aurait accès à ses origines génétiques et une sous-classe qui n'y aurait pas accès.

Vous avez entendu les arguments — que nous appuyons — contre le paiement des mères porteuses et vous avez aussi entendu des arguments contre l'idée que des ovucytes, des gamètes et des embryons humains puissent être achetés, vendus ou échangés contre des services. On vous a également parlé de l'importance du counselling et du consentement éclairé ainsi que de la nécessité d'un registre d'information centralisé qui serait tenu par le gouvernement. Contrairement à ce que certains disent, ces mesures n'insultent pas les patients en infertilité, mais visent plutôt à servir leur intérêt supérieur.

Personne ne surveille mon état de santé, ni celui de mon fils, pour déterminer si nous devrions nous inquiéter des effets à long terme des médicaments que j'ai pris pour induire l'ovulation ou des traitements que j'ai suivis pour concevoir mon fils. Pour ma part, je serais très heureuse de faire partie d'un registre comme celui-là.

Nous appuyons toutes ces recommandations et nous vous incitons à adopter le projet de loi sans plus tarder, même s'il ne comprend pas tout ce que nous voudrions qu'il comprenne. Le Canada est pratiquement le seul pays occidental industrialisé qui n'ait pas de législation pour régir ces technologies et protéger la santé et les intérêts des patients et de leurs enfants.

Cette situation persiste malgré tous les appels à l'action qui sont venus de toutes parts au cours des quelque 25 dernières années — depuis la naissance de Louise Brown en 1978, le premier bébé FIV — notamment des groupes de femmes, des groupes confessionnels, des groupes représentant les personnes handicapées ainsi que des représentants des professions juridiques et médicales; des groupes de travail provinciaux-territoriaux, des organismes de recherche, des éthiciens, et cetera.

La commission royale d'enquête qui s'est déplacée pendant quatre ans pour se rendre dans toutes les régions du Canada afin d'entendre les Canadiens et qui a coûté 28 millions de dollars a reçu quelque 40 000 mémoires. Il existe toujours, à ma connaissance, un moratoire volontaire en ce qui concerne les neuf technologies problématiques, mais c'est là un fait que les cliniques de fertilité choisissent généralement de passer sous silence.

Il y a eu, comme l'a dit Phyllis Creighton, ce comité consultatif qui a été créé il y a longtemps par Santé Canada. Ce ministère a aussi tenu de nombreuses séries de consultation avec une multitude de groupes intéressés. Il y a eu un livre blanc. Il y a eu une étude et un rapport du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. Il y a eu le projet de loi C-47, le prédécesseur de celui-ci, qui est mort au Feuilleton quand les élections de 1997 ont été déclenchées. Il y a ensuite eu le projet de loi C-56, plus tard renuméroté C-13, qui est maintenant le C-6.

Dans l'intervalle, le recours aux techniques génésiques et génétiques a proliféré, le plus souvent sans être financé par le régime d'assurance santé et dans le contexte de la médecine privée à but lucratif — c'est là quelque chose dont les Canadiens ont dit à maintes reprises qu'ils ne voulaient pas, et la commission royale d'enquête s'y était expressément opposée dans ses recommandations à cet égard. Je soupçonne toutefois que, tant que le gouvernement fédéral n'aura pas légiféré en la matière, les provinces hésiteront à financer complètement les traitements pour infertilité.

Les six ministres qui se sont succédé au portefeuille de la Santé avaient promis de légiférer, mais ils n'ont pas tenu leur promesse. De grâce, ne laissez pas M. Pettigrew devenir le septième. De grâce, adoptez de projet de loi dès maintenant.

Comme nous l'avons dit et comme d'autres l'ont dit, le projet de loi n'est pas parfait; mais il serait impossible d'avoir une mesure législative sur des questions aussi complexes qui le soit ou qui puisse satisfaire tous les points de vue contradictoires. Le projet de loi dont vous êtes saisis constitue un compromis raisonnable. Il comporte beaucoup d'avantages et, dans trois ans, quand viendra le moment de l'examiner à nouveau, on pourra le modifier pour corriger les lacunes qu'on aura décelées.

Le président: Avant de donner la parole à ceux qui sont sur ma liste, je dois poser une question au Dr Librach. Aidez-nous un petit peu ici.

Dans votre exposé, vous avez abordé deux points. Le premier, c'était que, à moins que les donneurs n'aient droit à une compensation raisonnable, l'accès aux gamètes et aux ovucytes diminuerait sans doute. Je tiens à vous lire deux phrases tirées d'un document qui nous a été remis par Santé Canada. Je vais tenter de vous les résumer le plus fidèlement possible. On dit essentiellement que, d'après l'expérience d'autres pays en la matière, il est possible d'atteindre des niveaux de dons acceptables même s'il est interdit de payer les donneurs.

On invoque le cas de la France, où les niveaux de dons de gamètes sont demeurés stables au cours des 15 dernières années. On invoque aussi le cas de la Nouvelle-Zélande et de la Suède, où la situation est essentiellement la même.

Je devrais peut-être préciser en guise de préface à mes questions que j'ai commencé ma vie active comme professeur de statistiques. Vous avez des données empiriques — dont je ne nie pas du tout la validité — et le gouvernement réplique avec des déclarations générales qui ne font état d'aucune étude en particulier, si bien que je suppose qu'il n'a, lui aussi, que des données empiriques.

Or, nous devons prendre une décision à partir de deux ensembles de données empiriques qui sont totalement opposées. Que devons-nous faire? Comment pouvons-nous savoir qui dit vrai? Je ne veux pas pour autant accuser qui que ce soit de mentir, mais il semble qu'il n'y ait pas de données scientifiques. Alors, que pouvons-nous faire?

Le Dr Librach: L'expérience n'est pas partout la même. Il y a différents groupes ethniques dans divers pays. Ainsi, la Suède a une population uniforme qui appartient au même groupe ethnique homogène. Il n'est donc pas juste de comparer le Canada à la Suède. Nous avons une société bien plus multiculturelle et multiethnique au Canada.

J'estime par ailleurs qu'il faut faire une distinction entre les donneurs de gamètes et les donneuses d'ovucytes. Il faut bien savoir ce que c'est que de faire don de ses ovules par opposition à ce que c'est que de faire don de son sperme. Les donneurs de sperme n'ont pas la tâche facile, comme l'a dit Mme Ruberto, et j'estime qu'ils méritent d'être compensés pour leur don. Son étude a montré que la disponibilité de sperme baisserait au Canada d'après un sondage qui a été effectué auprès de patients.

Le don de sperme n'est pas du tout comparable au don d'ovules. Il faut savoir ce par quoi doivent passer les personnes qui donnent de leurs ovules. Elles doivent prendre des médicaments, recevoir des injections et se soumettre à des tests sanguins, elles doivent se rendre à la clinique où l'on aspire des ovules de ses ovaires à l'aide d'une seringue, et cetera. Tout ce par quoi il faut passer pour donner des ovules exige une forme d'indemnisation. La personne devra s'absenter de son travail. Elle ne pourra pas s'occuper de sa famille et aura peut-être besoin de services de garde, et cetera. S'agissant de l'Australie, où la situation me paraît très semblable à la nôtre, je reçois constamment des courriels de personnes qui me disent qu'elles n'arrivent plus à avoir de dons d'ovules. Le pool de dons s'est complètement tari là- bas. Les cliniques ont d'ailleurs mis fin à leurs activités de recrutement.

La même chose va se produire au Canada. Nous verrons en manchettes dans nos quotidiens: «En désespoir de cause, les femmes s'en vont aux États-Unis pour obtenir des ovules». En Angleterre, on a adopté une loi pour interdire la rémunération des donneurs, mais on s'est ravisé. On a entrepris de restaurer l'indemnisation des donneurs parce que les patientes devaient aller aux quatre coins du monde pour obtenir des ovules. Les femmes ne vont pas cesser d'essayer d'obtenir des ovules si nous interdisons la rémunération. Elles iront là où il faudra pour obtenir les ovules dont elles ont besoin. Pourquoi ne pas en faire une activité légale? Car cela va se faire dans la clandestinité.

Le président: Puis-je poser mon autre question, qui concerne la protection des renseignements personnels, à cause de quelque chose que vous avez dit? Je soulève la question à la suite de ce que nous avons entendu de la part des représentants du gouvernement du Canada. J'ai été très surpris par votre interprétation. Le gouvernement pourra me faire savoir plus tard si votre interprétation est juste. Vous avez parlé de la disposition qui concerne le registre, l'article 17. Je vous lis ce que vous avez dit:

Cet article donne à penser que la patiente qui aurait simplement besoin de fécondation in vitro parce qu'elle a les trompes obstruées ou d'insémination artificielle avec le sperme de son mari parce que son sperme n'est pas assez riche en spermatozoïdes sera tenue de fournir au gouvernement des informations sur son identité.

Cela m'a surpris parce que j'avais l'impression que le registre ne serait utilisé que pour les cas où il y aurait une tierce partie.

Le Dr Librach: Absolument pas. Je peux vous lire l'article. Je l'ai ici.

Le président: J'ai l'article sous les yeux. Tout dépendra peut-être de la réglementation. Je vais demander aux fonctionnaires de nous faire tenir d'ici à vendredi leur avis quant à la justesse de votre interprétation, car elle me semble juste. Notre comité est bien connu pour les luttes qui l'ont opposé au gouvernement dans ses efforts pour protéger les renseignements médicaux personnels, et ce, malgré l'opposition de deux ministres, il y a de ça quelques années. Nous avons toujours aussi à coeur de protéger ces renseignements. D'après moi, il n'y a sans doute pas plus anticonstitutionnel que d'exiger des gens, médecins ou patients, de fournir des renseignements médicaux personnels alors qu'il n'y a aucune tierce partie en cause. Il est tellement évident qu'il s'agit là d'une exigence inacceptable que je suis surpris que ce soit prévu dans le projet de loi. Aussi je demanderai aux fonctionnaires de nous envoyer un avis très clair pour nous dire si ce que je pense de l'interprétation de M. Librach est erroné ou si c'est son interprétation qui est erronée. J'espère que c'est son interprétation qui est erronée, et sinon, j'aimerais savoir comment on pourrait corriger cela sans modifier le projet de loi, car c'est vraiment scandaleux.

M. Librach: J'ai soulevé la question à la rencontre que la SCP a eue avec les représentants de Santé Canada il y a deux ans. Je leur ai posé la question et ils ont répondu oui.

Le président: Je ne suis pas surpris qu'ils vous aient fait cette réponse. Le paternalisme est très évident dans tout le projet de loi, et il est clair que les rédacteurs et les promoteurs du projet de loi au gouvernement ont une attitude très paternaliste. J'en aurais long à dire sur le sujet.

Le sénateur Morin: J'ai deux petites questions.

[Français]

Le sénateur Morin: Ma première question s'adresse à Mme Parent. Je vous remercie de votre appui au projet de loi. Vous vous objectez à la rémunération des mères porteuses, plus particulièrement en ce qui concerne la question du remboursement — article 12(3) — du revenu d'un emploi si la personne doit s'absenter pour des raisons de santé soit pour elle, l'enfant, l'embryon ou le fœtus. Est-ce parce que vous croyez que la mère en question devrait continuer à travailler?

Mme Parent: Non, je ne crois pas que la mère porteuse devrait encourir des pertes pour offrir ce service, mais je voulais soulever le fait que nous sommes contre la commercialisation de cet acte.

Le sénateur Morin: Vous disiez que seul le temps de la porteuse pourrait être remboursé en cas d'incapacité à travailler pour des raisons médicales. Avez-vous des objections à cela?

Mme Parent: Non, mais nous nous objectons au principe d'appuyer ou d'encourager d'une manière ou d'une autre cette pratique. Cependant, nous comprenons l'intention dans le projet de loi de ne pas occasionner de pertes pour les femmes qui décident de faire cela.

[Traduction]

Le sénateur Morin: Ma deuxième question s'adresse au Dr Librach.

La clinique du Dr Librach est bien sûr remarquable, et je vois qu'il est entouré de ses patients. Il n'y a pas le moindre doute que la qualité des soins dispensés à sa clinique est remarquable, mais j'inviterais le Dr Librach à penser, non pas seulement à ses patients, mais aux autres patients, surtout les enfants, des autres cliniques, qui n'ont peut-être pas droit à des traitements de la même qualité ou pour qui les résultats seraient peut-être différents. Nous ne savons pas du tout si les résultats sont différents parce que nous sommes le seul pays du monde industrialisé qui n'ait pas de résultats pour chaque clinique. Chaque année, on nous répète que ce sera pour l'année suivante. Je suis sûr que l'intention est là, mais nous ne les obtenons jamais. Pour les patients, il n'y a pas d'information plus importante que de savoir quelle est la meilleure clinique où ils peuvent aller. Je sais que votre clinique se situerait aux premiers rangs, mais il faut que vous pensiez aux patients et aux enfants des autres régions du pays. Si nous faisons échouer le projet de loi, il n'y en aura jamais d'autre. Cela fait maintenant 12 ans, et aucun autre gouvernement ne voudra s'attaquer à cette question. Les autres témoins nous ont dit que le projet de loi est imparfait, mais qu'il faut penser au bien-être des enfants et des femmes du pays tout entier, pas seulement aux patients de Sunnybrook, qui est un excellent hôpital, où j'ai d'ailleurs fait un an de ma formation. Je sais qu'il y a des cliniques — je peux vous les nommer — où il n'y a absolument aucune règle à cet égard. Nous sommes le seul pays industrialisé où les cliniques ne soient pas agréées.

Mon autre point concerne la rémunération. Dans tous les pays concernés, il y a une loi.

Le Dr Librach: Puis-je d'abord répondre à la première question?

Pour ce qui est des données relatives aux cliniques, la Société canadienne de fertilité et d'oncologie publie des tableaux complets. Je vous concède qu'en l'occurrence cela n'a pas encore été fait.

Le sénateur Morin: L'année prochaine?

Le Dr Librach: C'est en cours. Cependant, le problème avec les données par clinique c'est qu'il ne faut pas déduire que parce que dans une clinique le chiffre est de 39 p. 100 et dans l'autre de 37 p. 100, la première est meilleure de 2 p. 100. Ces données doivent absolument être publiées sous une forme qui permette de les interpréter. La population de patients d'une clinique du centre-ville à Toronto n'est pas la même que celle d'une clinique à Orillia ou d'une petite ville en dehors des grands centres. Cette population peut être très différente. Dans notre clinique nous voyons beaucoup d'avocates, de médecins, de membres de professions libérales qui ont largement dépassé la trentaine ou qui sont déjà dans la quarantaine.

Le sénateur Morin: Je comprends très bien ce que vous me dites. Comment se fait-il que dans tous les autres pays industrialisés du monde, à l'exclusion d'Haïti, nous avons des données sur les résultats? Aux États-Unis il y a même une loi, tout comme au Royaume-Uni, en France, en Suède et au Danemark.

Le Dr Librach: C'est indispensable et nous y arriverons. Je tiens à faire un commentaire sur la réglementation car c'est une question importante. Nos cliniques se sont toutes inscrites volontairement auprès du CCASS pour être agréées.

Le sénateur Morin: Combien de cliniques ont été fermées, et comment pouvez-vous ordonner la fermeture d'une clinique? Puisque votre système repose sur le volontariat, comment pouvez-vous ordonner la fermeture d'une clinique?

Le Dr Librach: Je ne suis pas contre les licences.

Le sénateur Morin: Quand cela pourra-t-il être fait si nous rejetons ce projet de loi?

Le Dr Librach: Je vous suggérerais de recommander au gouvernement de promulguer une réglementation — comme pour les spermatozoïdes, avec un organisme de réglementation — qui ne nécessite pas un énorme projet de loi cadre portant sur des centaines d'autres choses. Qu'il propose ces règlements seuls sans les lier à la question de la criminalisation des patientes.

Le sénateur Morin: Et toutes ces choses interdites dans ce projet de loi, la création de chimères et d'hybrides?

Le Dr Librach: Cela devrait faire l'objet d'un projet de loi distinct sur le clonage qui serait adopté en un rien de temps.

Le sénateur Morin: Et la recherche?

Le Dr Librach: S'ils l'avaient fait il y a cinq ans, ce projet de loi aurait été adopté.

Le sénateur Morin: Mais la recherche?

Le Dr Librach: Elle devrait faire l'objet d'un projet de loi distinct.

Le sénateur Morin: Et la recherche dans les cliniques spécialisées dans l'infertilité?

Le Dr Librach: La recherche sur la procréation humaine devrait faire l'objet d'un projet de loi distinct avec le clonage.

Le sénateur Morin: La recherche dans les cliniques de fertilité ne peut être séparée d'un projet de loi sur les cliniques de fertilité.

J'aimerais passer maintenant à la question de la rémunération. Depuis les travaux de la commission royale, toutes les recommandations, y compris celles des comités de la Chambre, s'opposent à la commercialisation. Tous les pays industrialisés qui ont légiféré sur cette question s'opposent, en toutes circonstances, à la commercialisation.

Le Dr Librach: C'est exact.

Le sénateur Morin: J'aimerais savoir à quel pays vous faites allusion. Si vous étiez néphrologue au lieu d'être spécialiste de la fertilité, nous discuterions de la commercialisation du don de rein. Pourquoi pas? Ce sont les mêmes arguments. Les gens vont en Chine ou ailleurs pour acheter des reins.

Malheureusement, je ne suis pas suffisamment vieux pour me souvenir quand il fallait payer pour du sang. Chaque hôpital avait son petit laboratoire et le sang s'achetait.

Il a été décidé de confier cette mission à la Croix-Rouge sur la base du don volontaire — sur la base de dons altruistes non rémunérés. Les chirurgiens ont levé les bras au ciel. Ils ont prédit une pénurie générale de sang.

Ils ont prédit qu'il nous faudrait importer du sang. Ils ont prédit qu'il nous faudrait importer du sang des États- Unis. C'était totalement faux. Chaque année il y a des centaines de milliers de gens qui donnent leur sang gratuitement. Les gens donnent leur sang.

C'est stupéfiant. Lorsque je pratiquais la médecine, je demandais toujours à mes patients s'ils donnaient leur sang. Donner son sang est un geste spécial. Ça ne rapporte rien. C'est purement altruiste et je suis sûr que l'attitude serait la même en l'occurrence.

Je sais que vous le niez. J'ai eu cet argument il y a vingt ou trente ans à propos du sang.

Le Dr Librach: Le don de sperme et le don d'ovules, tout particulièrement, est très différent du don de sang. Les deux ne sont pas comparables. C'est un faux argument.

Le sénateur Morin: Nous ne sommes pas d'accord.

Le sénateur Keon: Le sénateur Morin a pratiquement couvert tout le terrain, mais j'aimerais aller un petit peu plus loin. Permettez-moi de dire aux autres membres de la table ronde, étant donné la clarté de leur position, je ne leur poserai pas de question. Votre position est tout à fait claire.

La grosse inquiétude est que toute ce commerce semble se développer en dehors de la Loi canadienne sur la santé, qu'il n'y a pas de réglementation et que les intéressés sont traités de manière très inégale. Je ne cesse de le répéter car on m'a dit que c'était un service pour les riches. Si vous n'êtes pas riche, ce service n'est pas pour vous.

Mes collègues autour de la table vous diront que ma première réaction à ce projet de loi a été de proposer qu'il soit scindé parce qu'il englobe trop de questions. Je ne pensais pas qu'il passerait.

Cependant, je dois dire qu'après avoir écouté toutes sortes d'intervenants, je pense que nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre plus longtemps une éventuelle normalisation, une éventuelle réglementation, et cetera, et cetera. Je ne vois pas comment nous arriverons jamais à faire relever ce service de par la Loi canadienne sur la santé si nous enterrons ce projet de loi. C'est ce qui me préoccupe vraiment.

Le Dr Librach: Je ne suis pas d'accord parce que la réglementation couvrant les spermatozoïdes relève de la Loi canadienne sur la santé. Pourquoi ne pouvons-nous faire la même chose pour les technologies de reproduction? Pourquoi nous faut-il un projet de loi qui criminalise les intéressés? Pourquoi ne pas simplement promulguer une réglementation comme celle pour les spermatozoïdes? Nous sommes réglementés par l'ordre des médecins, et chirurgiens, et cetera. Nous sommes réglementés. Nous ne faisons rien qui aille à l'encontre de notre code de déontologie. Nous sommes agréés. La préparation du dossier d'accréditation prend deux ans. C'est une réglementation largement supérieure à celle de la majorité des autres spécialités médicales, comme vous le savez pertinemment.

Abstenez-vous de nous traiter de cow-boys en marge des règlements. Nous sommes très méticuleux dans ce que nous faisons. Nous savons très bien que c'est un domaine médical important qui nécessite une main-d'oeuvre intensive et les ressources financières pour embaucher le personnel qui a les compétences et les qualifications nécessaires pour effectuer le travail que nous faisons.

Ce projet de loi ne dit pas qui paiera pour ces services. Qui paiera pour ces conseillers? Quand le don de spermatozoïdes a été réglementé, toutes les banques de spermatozoïdes ont fermé. La réglementation coûtait trop cher.

Qui paiera? Si ce projet de loi est adopté, tout sera interdit. Nous ne pourrons plus fonctionner.

Le sénateur Keon: Soyons clairs. Certains des plus grands cerveaux canadiens travaillent dans ce domaine, et il ne me viendrait certainement pas à l'idée de les traiter de «cow-boys». J'ai la plus grande admiration pour eux.

Au simple niveau du service, nous entendons dire, par exemple, que dans certaines cliniques le taux de succès est de 30 p. 100 alors que dans d'autres il n'est que de 10 p. 100. Les variations de coûts d'accès à ces services d'une région à l'autre sont énormes. Nous ne pouvons laisser faire sans rien dire.

Le public veut que nous fassions quelque chose. C'est ça notre gros dilemme.

Le Dr Librach: La SCFA a fait une suggestion importante. Elle a proposé d'examiner le cas des cliniques dont le taux de succès est soi disant inférieur et d'essayer de les aider. Nous devrions examiner la possibilité de les aider à faire mieux.

C'est un moyen d'améliorer les résultats d'une région à l'autre en faisant en sorte que toutes les cliniques appliquent des normes très similaires.

Mme Allen: Il y a une autre raison à la nécessité d'une loi et d'une réglementation. Toutes ces pratiques, en commençant par le don de sperme et, plus récemment, le don d'ovules et les mères porteuses, sont apparues sans qu'aucune recherche n'ait été faite sur les conséquences pour les concernés. Nous jouons avec la vie d'enfants et de familles pour faire des expériences. Nous ignorons les conséquences à long terme.

Vous avez entendu aujourd'hui des jeunes issus de ces pratiques vous parler des conséquences pour eux de ces dons anonymes mais rémunérés. Tout cela ne fait que commencer.

Le Royaume-Uni et l'Australie ont adopté une loi et une réglementation. Ce genre de choses y est donc impossible. Rien ne peut être fait sans l'accord de la loi. La clinique doit être agréée.

Je suis absolument convaincue, forte de mon expérience, que si quelqu'un arrive demain à cloner un être humain, les clients ne manqueront pas. Il y aura des médecins pour dire qu'ils devraient y être autorisés puisque c'est ce que leur réclament leurs patients.

Il ne faut pas nous laisser dépasser. La société doit exercer un certain contrôle.

Certains disent que si nous légiférons et si nous réglementons, nous risquons le tourisme reproductif. Les gens iront aux États-Unis ou ailleurs.

Qu'est-ce que cela signifie? Que le Canada ne devrait pas avoir de lois puisqu'on peut toujours aller ailleurs pour obtenir ce que l'on veut? Je considère nos lois comme un énoncé des valeurs de la société canadienne, et nous avons l'obligation, la responsabilité et le droit de les définir grâce à nos valeurs dans nos lois.

Le sénateur LeBreton: J'ai une question pour Mme Haase. Dans votre mémoire, vous parlez de la pénurie de conseillers dans ce domaine. Pourriez-vous d'abord nous décrire brièvement ce qu'il faut pour devenir conseiller? Quelle est la formation ou le bagage de connaissances nécessaire?

Nous semblons avoir un tel retard par rapport à d'autres pays pour ce qui est du nombre de conseillers par d'habitant. Y a-t-il une raison qui explique que nous ayons pris un tel retard qui se traduit par un tel manque de conseillers?

Mme Haase: Il n'y a pas de diplôme de conseiller. C'est un terme générique. Quand je parle de conseiller, je pense à une personne qui a une formation universitaire de psychologue et de psycho-sociologue. Avant tout, mais non pas exclusivement, ce sont des travailleurs sociaux et des psychologues. Certains ont une formation de psychiatre ou une maîtrise en counselling.

Il importe énormément que le conseiller soit membre d'un collège ayant adopté des normes de pratique et un code de déontologie. Le travail social et la psychologie satisfont certainement ces critères.

Pourquoi y a-t-il si peu de conseillers? C'est en partie parce que la majorité de ces services aujourd'hui relève du domaine privé. À l'ère des compressions budgétaires, c'est considéré comme une dépense superfétatoire.

Ma position repose sur mon expérience dans un service hospitalier de gynécologie. La majorité des cliniques et la majorité des hôpitaux emploient des travailleurs sociaux ou des psychologues. Notre clinique de fertilité est née d'un service de gynécologie auquel des travailleuses sociales étaient déjà associées.

Certains disent souvent craindre que cela ne rende le traitement très onéreux. Ces séances de counselling ne coûtent pas vraiment cher. Une séance peut coûter l'équivalent d'une ou deux piqûres d'inducteur d'ovulation.

L'idéal serait de l'intégrer au service. Certaines cliniques incluent une séance de counselling dans le coût total du traitement. On n'a pas à verser un supplément.

Si peu de cliniques emploient des conseillers c'est parce qu'elles ne les considèrent pas nécessaires. C'est un service qui peut être éliminé. C'est dommage. Nous sommes en retard par rapport à d'autres pays.

Le sénateur LeBreton: Il semble que le counselling est aussi nécessaire pour les donneurs.

Mme Haase: Il n'y a pas beaucoup de donneurs de spermatozoïdes qui soient correctement conseillés sur les conséquences de leur acte. Les donneuses d'ovules un peu plus que les donneurs de spermatozoïdes.

Le président: Merci. Je vous remercie tous d'être venus. Docteur Librach, je vous enverrai un courriel avec la réponse de Santé Canada à la question que nous avons tous les deux soulevée.

Sénateurs, je dois une excuse à notre quatrième et dernière table ronde de ce soir. Je crois comprendre qu'ils attendent patiemment depuis le début. Installez-vous. Je m'excuse du temps que cela a pris. C'est le côté négatif. Par contre, vous comprendrez que nous essayons d'assembler un maximum d'information sur toutes ces questions.

Mme Janet Sheehan, témoignage à titre personnel: C'est mon mari, Brad Tavner, et nous sommes parents. Des millions de gens sont décrits par ces simples mots. Pour beaucoup, ce n'est qu'un rêve. Pour nous c'est un rêve qui s'est réalisé.

En tant que couple ou a été victime pendant des années d'infertilité. C'est notre histoire personnelle, et c'est ce que nous pensons des conséquences du projet de loi C-6 pour beaucoup d'autres comme nous.

Nous nous sommes mariés, Brad et moi en 1996. Nous avions tous les deux eu le temps d'atteindre de nombreux objectifs personnels et nous étions impatients de construire une famille. La famille était tout en haut de notre liste. Nous envisagions une famille de trois, voire de quatre enfants. Nous avons acheté notre première maison.

Je me souviens de l'excitation, du sentiment d'être les gens les plus heureux du monde. Nous allions avoir notre propre famille. Quel miracle.

Le sentiment d'anticipation est resté fort mois après mois alors que je n'étais toujours pas enceinte. Après un an, notre optimisme a fait peu à peu place à l'inquiétude. Nous avons rapidement consulté notre médecin et nous avons entamé notre voyage dans le monde de l'infertilité à la clinique d'Ottawa.

L'attente pour les rendez-vous, les examens, la chirurgie exploratoire et les traitements peu coûteux a pris trois ans. Pendant tout ce temps, nous continuions à espérer qu'il y avait toujours aussi la possibilité d'une grossesse naturelle. Mais nous n'avions toujours pas de bébé. Nous avons subi des traitements à peu de frais mais à un coût émotionnel très élevé.

Comment pouvions-nous construire une vie sans les enfants dont nous rêvions? Nous avions des amis qui avaient choisi de ne pas avoir d'enfant et qui étaient très heureux. Pouvions-nous aussi le faire?

Nous avons rapidement conclu que choisir de vivre sa vie sans enfant est très différent de ne pas pouvoir avoir d'enfant. À l'époque, nous étions très impliqués dans le chapitre d'Ottawa de l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité. Nous avons participé au groupe de soutien. Ce fut notre planche de salut car nous n'étions pas seuls.

Notre diagnostic: «Infertilité inexplicable». C'était devenu notre étiquette officielle. Ce n'était pas rassurant. Cette infertilité inexpliquée signifiait qu'il nous faudrait payer pour tout traitement. L'étape suivante c'était la fécondation in vitro.

Était-ce naturel? Le bébé serait-il en bonne santé? Cela ressemblait un peu à de la science fiction. Ces réserves se fondaient sur l'ignorance — luxe réservé à ceux qui n'ont jamais eu à faire face à l'impossibilité d'avoir des enfants sans le recours à la technologie de la procréation assistée.

Cette technique que nous ne connaissions que par la littérature offrait maintenant la réponse la plus sûre et la plus pratique à nos espoirs et à nos rêves. Nous avons commencé le traitement de FIV. Je ne suis tombée enceinte la première fois que pour apprendre que la grossesse était ectopique. Il n'y avait pas de bébé.

Cela n'a fait que confirmer la nécessité d'une assistance tant pour les ovules que pour les spermatozoïdes. La fois suivante, je devais prendre un médicament homologué par expérimentation au Canada appelé Antagon, avec deux autres médicaments qui étaient régulièrement utilisés depuis des années. L'Antagon était utilisé aux États-Unis depuis quelque temps avec succès. Malheureusement, cela n'a pas marché. Un autre essai à été recommandé, mais il était alors très difficile de se procurer de l'Antagon, et c'était notre seul espoir.

Nous ne pouvions pas attendre. Nous n'en pouvions plus de ces montagnes russes, c'était soit notre propre bébé soit d'autres options. Un seul enfant dans notre famille aurait été alors la réalisation d'un rêve. Après beaucoup de recherche et de consultations, dans cinq petits mois nous devions commencer une VIF à New York, au Cornell University Medical Center for infertility de Manhattan, un des meilleurs du monde.

Le premier essai a raté. Ils ont pensé que l'Antagon, plus une procédure encore à l'étape de la recherche intitulée co- culture, dans laquelle est utilisé le tissu endométrial pour incuber l'ovule et le sperme augmenteraient les chances de succès du deuxième essai. Nous avons consulté la clinique d'Ottawa, mais ils n'offraient pas de co-culture et ils n'avaient toujours pas d'Antagon. Notre seule option c'était New York.

Après un long examen de conscience et de nos finances, nous nous sommes retrouvés à Manhattan quelques semaines avant Noël. Nos sentiments étaient partagés, c'était la saison de l'espoir mais nous étions très nerveux.

Nous avons appris que nous étions enceintes le 27 décembre 2000. Encore une fois, la joie se mêlait à la peur. Heureusement, cette fois-ci la grossesse a été parfaite. Nous avons eu un magnifique petit garçon en pleine santé de 10 livres 11 le 11 septembre 2001. C'était un jour extraordinaire pour avoir un bébé sachant tout particulièrement que notre fils avait été conçu à Manhattan qui occupait une place tellement spéciale dans nos coeurs.

Cela faisait cinq ans que nous essayons d'avoir une famille. Nous avons décidé de réessayer quand notre fils a eu six mois. Le temps était contre nous. Nous avons consulté la clinique d'Ottawa, mais la co-culture n'était toujours pas disponible au Canada. Nous n'avions pas le choix, il fallait retourner à New York.

Avant d'aller à New York pour la première fois, Brad et moi-même avions discuté de la question du recours à une donneuse d'ovules. Nous avions décidé de nous inscrire au programme de donneuse d'ovules de Cornell pendant cette visite car nous pensions que nos chances pour un deuxième miracle n'étaient pas très grandes.

Nous avions rempli les obligations de counselling pendant que nous trouvions là-bas car la liste d'attente était longue. Cornell paie bien ses donneuses. C'est une clinique de très grande réputation tant professionnelle que morale et pourtant ils ont toujours du mal à trouver des donneuses.

L'attente était au minimum de dix-huit mois, ou plus, en fonction de l'ethnicité. C'était une décision difficile à prendre mais que nous envisagions depuis des années alors que nos échecs de conception se succédaient.

Nous avons eu de la chance. Nous n'avons pas eu à utiliser une donneuse.

Nous sommes devenus enceinte. Notre petite fille pleine de vie et pleine de santé est née en avril dernier — un deuxième miracle. Nos prières ont été exaucées par la science médicale et par Dieu.

Vous ne pouvez imaginer combien nous sentons heureux. Cette expérience nous a appris beaucoup de choses sur nous-mêmes et sur la vie. Nous sommes forts. Nous sommes intelligents. Nous pouvons prendre des décisions quand nous sommes confrontés à des options délicates et compliquées avec l'aide de médecins spécialisés dans le domaine de la fertilité.

Cela nous a appris à ne pas juger les autres. Les décisions difficiles sont le résultat de nombreuses heures d'examen de conscience et ce n'est pas tout le monde qui arrive à la même conclusion.

Qu'il y ait des choix réglementés est essentiel.

M. Brad Tavner, témoignage à tire personnel: Sept ans et 100 000 dollars plus tard, notre famille est aujourd'hui complète. Cependant, il y en a beaucoup qui ne le sont pas.

Le projet de loi C-6 nous inquiète beaucoup ainsi que d'autres couples que nous connaissons, tout spécialement ceux qui sont en train d'essayer d'avoir des enfants.

Pour commencer, nous ne pensons pas que la technologie de la procréation assistée devrait être incluse dans un projet de loi qui traite du clonage et de la recherche sur les cellules souches. Les couples veulent des bébés en bonne santé et ne sont pas des objets de recherche scientifique. Ce sont des questions distinctes qui devraient être débattues comme telles.

Deuxièmement, ne pas autoriser une rémunération adéquate pour le don de sperme, le don d'ovules et la maternité de substitution limitera grandement le choix de conception d'un enfant pour les couples infertiles. La non- rémunération des donneurs de spermatozoïdes ou, plus spécialement, des donneuses d'ovules mettra pratiquement un terme à l'offre d'ovules et de spermatozoïdes pour les couples infertiles.

Quant à la maternité de substitution, ce ne sont pas tous les couples qui connaissent quelqu'un prêt à jouer le rôle de mère porteuse. Qui aidera ces couples?

Ce week-end nous avons rendu visite à une famille avec un nouveau bébé. Ils ont choisi de recourir à une donneuse d'ovules. La famille est enchantée. Le bébé est magnifique. C'est pour eux la fin de sept années d'infertilité. Ils avaient envisagé l'adoption, mais l'attente était si longue que ce n'était pas une option. Ils ont décidé d'avancer la date de leur traitement et d'opter immédiatement pour le don d'ovules parce que la rumeur voulait qu'il deviendrait difficile de trouver des ovules si ce projet de loi était adopté. Je sais qu'ils ne sont pas le seul couple à ressentir cette pression.

Limiter les choix au Canada aboutira seulement à envoyer des gens aux États-Unis pour être traités. Janet et moi, et sept autres couples que nous connaissons, sont l'exemple typique de ce qui arrive quand une option n'est pas disponible chez nous.

Nous étions un des couples très chanceux de pouvoir nous offrir un traitement à une excellente clinique où ils n'ont pas à attirer les patients et peuvent les informer de façon réaliste de leurs chances de succès. Beaucoup de petites cliniques inconnues sont prêtes à accepter des patients et à leur donner de faux espoirs. Sur les plans affectif et financier, les conséquences peuvent être catastrophiques.

Ceux qui n'ont pas les moyens d'aller aux États-Unis trouveront d'autres solutions. Certains décideront de payer eux-mêmes des mères porteuses, à un coût financier et émotionnel beaucoup plus élevé si la mère porteuse et les parents ne sont pas conseillés correctement. D'autres trouveront des donneuses non agréées à un coût encore une fois très élevé.

Croyez-nous, c'est ce qui arrivera. L'économie souterraine se nourrira des espoirs et des rêves des victimes d'infertilité. Il faut continuer d'offrir des choix réglementés et sans danger aux Canadiens au Canada.

Dans le monde de l'infertilité, la protection de la vie privée est d'une importance cruciale. Les patients veulent une aide médicale personnelle. C'est le couple qui a un problème médical, pas les enfants de ces couples. Personnellement, si nous savions que nos noms, et surtout le nom de nos enfants, figuraient dans un registre, nous aurions encore une autre raison de quitter le Canada pour le traitement. C'est mon interprétation de l'inscription de notre nom et celui de nos enfants dans un registre en cas de FIV.

Je conclurai en vous demandant de comprendre que le monde de l'infertilité ne consiste pas de couples qui veulent un enfant cloné ou se cloner eux-mêmes, mais de mères et de pères qui attendent la naissance de leurs enfants. La protection de la vie privée en matière de traitement médical est quelque chose de très personnel et d'essentiel à la dignité de tous les patients, y compris de ceux atteints d'infertilité.

Souvent dans la vie, quand une porte se ferme, une autre s'ouvre. C'est vrai pour beaucoup de couples infertiles. Ne fermez pas ces portes au Canada. Elles ouvrent sur ces enfants qui attendent de naître et d'être aimés.

L'objectif des Canadiens devrait être la construction de centres d'excellence médicale dans le domaine de l'infertilité. Laissez aux habitants du monde de l'infertilité savoir qu'un avenir éclairé les attend avec les amendements que vous apporterez au projet de loi C-6.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Mme Natasha Baird, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord vous remercier de votre invitation. Je suis âgée de 29 ans, et mon mari Richard a 30 ans.

À l'âge de 11 mois, j'ai été diagnostiqué avec un neuroblastome situé à côté de mon rein droit. La tumeur cancéreuse a été enlevée presque en entier après une longue opération de deux heures et demi. La tumeur avait la taille d'un œuf, ce qui est énorme pour le corps d'un bébé de 12 mois. Dix pour cent de la tumeur n'a pu être enlevé car le chirurgien trouvait cette ablation trop risquée.

À l'âge de 13 mois, j'ai subi 23 traitements de radiation, sur une période de trois semaines. Après de nombreux examens de suivi, des ponctions de la moelle épinière et des tests d'urine de 24 heures, je suis demeurée en état de rémission jusqu'à l'âge de cinq ans où j'ai été, finalement, considérée guérie.

À l'âge de 16 ans, ma mère m'a envoyée chez le médecin car je n'avais pas commencé mon cycle menstruel. Après plusieurs tests sanguins et des ultrasons, la spécialiste m'a expliqué que mes ovaires ne fonctionnaient pas et que je ne pourrais jamais produire d'ovocytes. De plus, on m'a dit que mon utérus était de la taille d'une enfant de la pré-puberté et que mon taux d'hormones était celui d'une femme ménopausée. En d'autres termes, j'étais infertile. J'ai demandé la raison pour laquelle j'avais cette condition. Le médecin m'a répondu que mes ovaires ne fonctionnaient pas puisqu'ils furent détruits par les radiations lors de ma petite enfance.

Mon médecin m'a prescrit des supplémentaires d'estrogène et de progestérone pour permettre un cycle menstruel. Ce faisant, on espérait que mon utérus pourrait se développer et me permettre de porter un enfant avec l'ovocyte d'une donneuse. Je dois vous avouer que j'étais au plus grand désespoir. Je me demandais si jamais j'aurais un enfant et si un jour quelqu'un accepterait de me marier étant donné cette condition.

Vers l'âge de 26 ans, on m'a référée au Centre de fertilité de l'hôpital d'Ottawa. La spécialiste de ce centre m'a dit que la seule façon que je pourrais porter un enfant serait grâce à des ovocytes provenant d'une donneuse. N'ayant pas de sœur, il fallait que je me tourne vers mes amies ou une donneuse anonyme. Je trouvais difficile d'expliquer à mes amies ce qu'elles auraient à faire pour me donner des ovocytes. Je ne pouvais donc pas m'imaginer comment je pourrais obtenir les ovocytes d'une personne anonyme sans l'aide d'une banque de dons.

Pour être donneuse, une femme doit passer un minimum de 56 heures dans un établissement médical, loin de sa famille et de sa profession.

À mon avis, une compensation financière serait adéquate pour les efforts physiques de ces femmes et non pour la simple vente d'ovocytes. En gardant les frais modérés, il serait facile de dissuader les actions à but lucratifs.

J'espère que vous saurez prendre en considération ma situation et celle de tous ceux et celles qui ont besoin de donneurs de gamètes ou des services d'une mère porteuse.

De nombreux citoyens canadiens ne pourront jamais devenir parents sans ces options. Ces personnes souffrent d'infertilité causée soit par des traitements de radiation ou de chimiothérapie, des opérations majeures, une condition médicale ou une déficience des organes de reproduction. Plus de quatre pour cent de la population féminine souffre de la ménopause avant l'âge de 40 ans. Cette condition peut toucher des femmes dès l'adolescence.

Si ce projet de loi est adopté, de nombreux Canadiens pourront aller aux États-Unis pour suivre des traitements. Ceux qui n'en ont pas les moyens financiers seront plus accablés par cette injustice que représente l'infertilité.

[Traduction]

Mme Rita Schnarr, témoignage à titre personnel: 27 septembre 2002. Cher journal, savoir encore que mon corps n'a pas répondu à mes attentes m'accable. La rage, la colère, la déception et la haine pour mon propre corps me consument avec une tristesse profonde et indescriptible.

Je ne pourrais probablement jamais tenir dans mes bras mon propre enfant et entendre sa douce voix me dire qu'il m'aime. Mon rêve de mère est à jamais disparu.

Merci de m'avoir donné la possibilité de venir vous parler au nom du demi-million de Canadiens affectés par la maladie de l'infertilité. Je m'appelle Rita Schnarr, et je suis l'ancien chef du chapitre de Colombie-Britannique et membre du conseil d'administration de l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité.

Après mon diagnostic d'infertilité inexpliquée, j'ai décidé de contacter et d'essayer d'aider toutes celles qui se trouvaient dans la même situation que moi. Mon travail de bénévole se calcule en heures innombrables de soutien, d'éducation et de conseils à plus de 100 couples.

J'ai raconté mon histoire dans le Reader's Digest, dans les journaux de l'ACSI et dans une interview à la radio de CBC pour essayer d'aider ce couple sur six au Canada qui est au bord du désespoir.

Je me présente aujourd'hui devant vous et j'ai moins de sept minutes pour vous faire un instantané de mes huit années de peine incessante provoquée par mon infertilité, et aussi pour vous exhorter à prendre en compte notre point de vue dans vos délibérations sur le projet de loi C-6.

Au cours des huit dernières années, j'ai subi six interventions gynécologiques, quatre cycles de fertilisation in vitro pendant lesquels j'ai reçu 125 injections dans mon corps, le transfert dans mon utérus de 12 embryons sans succès, plusieurs heures d'assistance thérapeutique et un millions de minutes d'espoir et de prière pour qu'enfin je tombe enceinte et que j'aie un bébé. J'ai perdu le compte du nombre de jours de dépression et des larmes que j'ai versées sur nos tentatives répétées de maternité-paternité.

Ce n'est pas pour mendier votre pitié que je vous raconte mon expérience, mais pour partager avec vous ce que vivent la plupart des Canadiens qui souffrent d'infertilité. L'adoption du projet de loi C-6 ne ferait qu'ajouter à notre stress et à notre angoisse. Bien que nous ayons plusieurs inquiétudes au sujet du projet de loi C-6, je n'en mentionnerais que deux — l'accès et la santé et la sécurité, étant donné les contraintes de temps.

Mon mari et moi avons décidé de ne plus chercher une donneuse d'ovules en raison de la difficulté qu'il y a à trouver une femme qui accepte de donner par pure bonté d'âme environ 56 heures de son temps dans une clinique pour qu'on prélève ses ovules, sans être indemnisée pour son temps, ses frais médicaux, ses frais de garde d'enfants, ses déplacements, ses pertes de salaire et les frais de service.

Lorsque la plupart des donneuses d'ovules potentielles découvrent ce que comporte un cycle typique de fécondation in vitro et lorsqu'elles apprennent que le prélèvement de plusieurs ovules de leurs ovaires au moyen d'une grosse seringue enfoncée dans leur paroi vaginale leur causera un inconfort extrême, elles ne sont plus tellement intéressées surtout sans indemnité. Lorsque l'on sait qu'il y a environ 3 p. 100 de Canadiens qui donnent de leur sang, comment peut-on s'attendre à ce que des personnes donnent leur sperme et leurs ovules?

J'ai consolé des personnes qui sont nées sans utérus, qui souffrent de diabète, de la maladie de Crohn, du lupus, d'un cancer, d'endométriose ou qui ont subi une hystérectomie suite à une maladie. Ça brise le coeur de savoir qu'en plus de ces malheurs elles ne pourront probablement jamais devenir parents.

Permettez-vous de vous poser une question. Si vous vouliez avoir un enfant et qu'on vous disait que c'était impossible en raison de votre état de santé, est-ce que vous ne seriez pas déterminé à explorer tous les moyens de fonder une famille? Si vous étiez à notre place, je vous garantis que la réponse serait oui. Imaginez, un instant, votre portrait de famille sans vos enfants.

Après tous les services de counselling que j'ai fourni au cours des deux dernières années, je peux vous assurer que les personnes infertiles ont un sentiment d'urgence et de pression qui les pousse à explorer toutes les options pour réaliser leur rêve de devenir parents. Cela m'amène à notre prochaine préoccupation, la santé et la sécurité.

Une réglementation trop sévère ne pourra aboutir qu'à une sorte de déréglementation dangereuse. Les personnes qui n'ont pas les moyens de chercher des solutions de l'autre côté de la frontière ou dans d'autres pays se débrouilleront eux-mêmes, au risque de leur santé, en utilisant par exemple du sperme non testé. Le risque de transmission de maladies infectieuses mettra en danger la santé des enfants et des femmes ce qui entraînera une augmentation des coûts pour le régime de soins de santé du Canada. La criminalisation — je n'en reviens toujours pas — la criminalisation des pratiques acceptées à l'heure actuelle n'empêchera pas les personnes infertiles de chercher d'autres options. Elle les forcera dans la clandestinité et entraînera la création d'un marché noir où il n'y a ni mesures de protection ni loi.

Nous croyons que notre gouvernement doit aider les Canadiens qui veulent devenir parents et ne pas leur créer d'obstacles. Rappelez-vous qu'il s'agit d'un besoin biologique fondamental très puissant, voire impossible à réprimer. Nous espérons que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie reconnaîtra à ce segment de la population canadienne les droits et la liberté de choisir à titre de patients et de citoyens canadiens.

Cher journal, aujourd'hui j'ai eu l'occasion de parler à nos sénateurs au nom des Canadiens infertiles, du projet de loi C-6. J'espère et je prie qu'ils tiendront compte de ce que je leur ai dit lorsqu'ils prendront une décision qui aura pour effet soit de faciliter notre difficile quête de maternité et de paternité ou qui brisera le coeur de ceux qui souhaitent fonder une famille ici au Canada.

Mme Catherine Clute, témoignage à titre personnel: Ma mère disait toujours qu'on réserve le meilleur pour la fin.

Avant de commencer, permettez-moi de dire, sénateur Kirby, que je suis heureuse de vous rencontrer enfin. Dans ma bibliothèque à la maison, j'ai un exemplaire du rapport Kirby que j'ai obtenu lorsque je travaillais au ministère des Pêches et des Océans. Je suis contente de voir le visage de l'auteur.

Le président: Tout à coup, je me sens très vieux.

Mme Clute: Pourtant j'y étais moi aussi.

Aujourd'hui je ne vous parle pas seulement à titre de patiente infertile qui fournit des services de soutien en matière d'infertilité depuis douze ans en Nouvelle-Écosse, je vous parle également à titre de mère adoptive.

Je suis également membre de COMAR, la Coalition for an Open Model of Assisted Reproduction. Nous avons fait des exposés à diverses étapes du projet de loi.

J'aimerais vous parler de la conception à l'aide d'un tiers, qui permet de créer des familles dont les membres n'ont aucun lien génétique, tout comme dans le cas d'une adoption. Nous croyons fermement que la collectivité des familles adoptives ont un point de vue utile et un intérêt légitime à l'égard de ce projet de loi. Bon nombre d'entre nous ont non seulement survécu à leur lutte contre l'infertilité, mais nous savons également comment créer des familles grâce à la contribution génétique ou l'aide de quelqu'un d'autre. Nous vivons avec les conséquences de décisions prises auparavant.

Il est très difficile de rédiger un projet de loi dans un domaine aussi complexe et de faire plaisir à tout le monde. Toutefois — et en cela je me démarque des autres témoins — il y a de nombreux aspects de ce projet de loi qui nous plaisent.

Nous aimons l'idée qu'il y ait un organisme de réglementation. Nous aimons l'idée qu'il y ait une réglementation, des contrôles quelconques. Comme le sénateur Cordy le signalait tout à l'heure — et le sénateur Pépin a dit la même chose — dans le passé, on a fait beaucoup d'erreurs en matière d'adoption.

Ce matin, en me rendant à l'aéroport, je suis passée devant le monument à la mémoire des bébés de la maison maternelle de East Chester (butter-box babies) près de chez moi. Dans le passé, les adoptions ont donné lieu à des horreurs et il faut éviter de répéter ces erreurs lorsque nous avons recours à la conception à l'aide d'une tierce personne.

On a écrit des livres sur les torts causés par les adoptions — les pratiques dictées par le marché, la honte, et cetera. Il ne faut pas permettre que la conception à l'aide d'un tiers continue à être influencée par le marché.

C'est pourquoi nous appuyons l'interdiction de payer les donneurs de sperme, d'ovules et de gamètes et de rémunérer les mères porteuses et nous félicitons la SOGC pour leur position à cet égard. La transparence et l'honnêteté sont maintenant la norme en matière d'adoption. Le souci de tous les intéressés c'est le bien-être de l'enfant. Les souhaits des médecins ou des parents génétiques ou adoptifs ne doivent jamais l'emporter sur les besoins des enfants même si c'est parfois difficile à admettre lorsqu'on espère fonder une famille. Nous avons parfois l'impression qu'il s'agit d'une grave intrusion et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous appuyons les dispositions du projet de loi qui concernent le counselling.

L'infertilité et son traitement sont très durs sur le plan émotif. Il faut avoir le coeur vaillant — car ce n'est pas la voie que l'on choisirait —, et ce n'est que le début.

Lorsque j'ai commencé à essayer de concevoir pour fonder notre famille, je me serais couper le bras droit si quelqu'un m'avait dit: «Catherine, c'est tout ce que tu as à faire pour devenir enceinte, pour mener ta grossesse à terme et accoucher», et j'aurais appris à écrire de la main gauche.

Lorsque notre fils est arrivé dans la famille, mon point de vue a changé. J'étais très heureuse de ne pas m'être coupé le bras droit car j'en avais besoin pour m'occuper de lui. Maintenant, je me ferais amputer des deux bras pour mon fils.

C'est de cela qu'il s'agit. C'est ça une famille.

L'un des arguments que j'ai entendus aujourd'hui, et que font également valoir ceux qui souhaitent que la procréation assistée ne soit pas réglementée, est qu'il est impossible d'adopter.

Nous comprenons que l'adoption n'est pas pour tout le monde. Ce n'est pas tout le monde qui peut choisir d'adopter. Bon nombre de personnes choisissent les conceptions par donneur ou une mère porteuse car ils croient à tort qu'il n'y a pas d'enfants à adopter au Canada. C'est faux. À l'heure actuelle, il y a 76 000 enfants dans des foyers d'accueil au Canada. Vingt milles d'entre eux pourraient être adoptés. Ce ne sont pas tous des bébés, mais chacun d'entre eux mérite une famille pour de bon et ils en ont tous désespérément besoin.

L'adoption ne guérit pas l'infertilité, mais le sperme d'un donneur non plus, comme on nous l'a dit tout à l'heure. Ça ne fait que contourner le problème, comme le font d'autres méthodes.

Voici mon fils. Il est réel. Il est entré dans notre famille par l'adoption. Nous n'avons pas dépensé 20 000 $ pour le trouver. Nous ne sommes pas allés dans des pays exotiques. Nous n'avons pas attendu quinze ans. Il est né en Nouvelle-Écosse. Nous l'avons adopté en Ontario. Nous n'aurions pas pu payer un café à sa mère naturelle car ça aurait été contraire aux règles provinciales.

Notre fils à neuf ans. Comme vous le voyez, il est beaucoup plus jeune sur cette photo, car nous attendions ce projet de loi depuis longtemps.

Il connaît sa soeur naturelle. Il connaît sa mère naturelle et il comprend leurs rôles dans sa vie. Nous avons encouragé, et continuerons à encourager cette relation car cela va de soi. On n'est jamais assez nombreux pour aimer un enfant ou pour lui donner un sentiment d'identité. Les enfants issus de la conception par donneur nous disent maintenant qu'eux aussi, tout comme les enfants adoptés, ont besoin de ce sentiment d'identité.

Ce projet de loi permet d'obtenir un aperçu des antécédents médicaux du donneur. Nous avons de la chance. Nous connaissons la mère naturelle de mon fils. Je peux la consulter s'il arrive quelque chose de bizarre. Sa mère est décédée récemment des suites d'un accident vasculaire cérébral. Je le sais, parce que nous sommes en contact avec elle.

C'est une bonne chose d'avoir des renseignements médicaux, mais ça ne suffit pas, comme ça ne suffit pas dans le cas d'une adoption. L'information change. Il y a 3 000 pathologies et maladies, y compris la maladie de Crohn, qui ont un élément génétique.

C'est pourquoi nous appuyons la disposition relative au registre afin de gérer cette situation. Si j'ai bien lu le document d'information préparé par Santé Canada au sujet de ce registre, l'information sur les personnes qui ont seulement eu accès à un traitement de base, sans participation d'un tiers, sera anonyme. L'information est cumulative pour établir des tendances. Les personnes ne se voient pas assigner un numéro.

Ce projet de loi comporte deux voies: l'une pour les donneurs qui souhaitent être identifiés, et une autre pour ceux qui souhaitent être anonymes. Certaines provinces ont des registres d'adoption plus progressiste. C'est un problème, mais au moins ce projet de loi est un début.

Auparavant, on conseillait aux familles qui adoptaient de ne pas en parler. Aujourd'hui, avec la conception à l'aide d'un tiers et l'insémination par donneur, les médecins conseillent à leurs patients de n'en parler à personne, pas même à leurs enfants. Les ententes de maternité de substitution négociées par des professionnels de la santé ou des particuliers, qui n'ont pas nécessairement une formation en travail social, sont accompagnées des mêmes conseils. Ces personnes ont besoin de counselling sur les conséquences à long terme de cette décision, et on doit leur fournir des outils ou des conseils sur la manière d'en parler avec leurs enfants.

Les parents doivent être au courant de ces questions avant de prendre une décision, ce n'est pas le moment de proposer le sperme d'un donneur au moment où on est en train de prélever des ovules, procédure douloureuse et difficile. Si une femme est en pleine procédure de fertilisation in vitro et qu'on découvre qu'il y a un problème avec le sperme de son partenaire, ce n'est pas le moment de commencer à parler d'un donneur de sperme. Il faut en parler avant. Nous appuyons fermement les dispositions de counselling prévues dans ce projet de loi. Nous préférerions que ce counselling soit fourni par des experts reconnus en santé mentale qui seraient indépendants des cliniques à but lucratif.

Si je me présentais dans le bureau d'un travailleur social dans le but d'adopter et que je lui disais: «Nous n'allons pas parler de cette adoption avec l'enfant», on nous montrerait la porte en riant. Il n'y aurait pas d'adoption.

Toutefois, c'est ainsi que continuent de penser ceux qui ont accès aux embryons, au sperme ou aux ovules de diverses personnes ou qui passent une entente de maternité de substitution sous prétexte que la seule chose qui compte c'est que l'enfant soit aimé et voulu. Toutefois, les personnes adoptées et les personnes issues de dons nous disent le contraire. Ces choses sont importantes et le secret entourant les origines peut avoir un effet destructeur sur les relations familiales.

Les enfants adoptés ou issus de la procréation assistée ont besoin d'être appréciés et honorés pour ce qu'ils sont. Ce projet de loi ne parle pas de moi, mais plutôt des besoins de nos enfants et des messages que nous leur communiquons.

Le président: Au nom de tous les membres du comité, je dois dire que c'est absolument extraordinaire de vous entendre tous parler de vos expériences. L'un des dangers, ici à Ottawa, c'est de ne jamais voir les personnes qui sont directement touchées par les projets de loi que nous étudions. La discussion reste à un niveau d'abstraction politique. Je suis ravi que vous ayez tous pris le temps et fait l'effort de venir ici pour nous rencontrer aussi longuement. Merci beaucoup.

Le sénateur LeBreton: Je m'adresse d'abord à M. Tavner et à Mme Sheehan. Lorsqu'une personne se trouve dans votre situation, quel processus doit-elle suivre? À qui doit-elle s'adresser? Quel soutien existe dans le milieu médical?

Je sais que vous pouvez vous adresser à votre médecin de famille qui vous orientera peut-être vers une clinique de fertilité. Je ne savais pas, avant de commencer à étudier ce projet de loi, qu'il y avait une telle pénurie d'information et de soutien dans la communauté médicale. Où doit-on commencer?

Lorsque vous vous rendez compte que vous allez devoir prendre des mesures comme ça, vous racontez votre histoire personnelle. Quel est le processus? Ça doit être très pénible.

Mme Sheehan: Nous avons commencé par en parler à notre médecin de famille. Il nous a envoyés à une clinique de fertilité. On établit rapidement des contacts avec d'autres patients, on commence à mieux connaître la question.

C'est incroyable tout ce que j'ai appris au sujet de la profession médicale et de ce qui est disponible. Peu à peu, j'ai découvert quelles cliniques avaient du succès et comment y avoir accès. Nous avons appris comment obtenir les médicaments.

Il y a tout un réseau indépendant des milieux médicaux dirigés par les patients des cliniques de fertilité qui fonctionne très bien. Parmi le petit groupe de personnes que nous connaissons, il y a en sept qui se sont adressées au Cornel Medical Centre après avoir appris qu'ils utilisaient une procédure qui augmentait fortement le taux de succès de patients comme Brad et moi.

C'est un réseau informel, mais qui fonctionne très bien. Il y a encore des personnes qui m'appellent. Ils obtiennent mon numéro de téléphone de quelqu'un qui sait à qui demander où on peut obtenir des médicaments, de l'argent, et cetera. C'est informel.

Mme Clute: L'internet est un merveilleux outil. Il y a plusieurs babillards et sites de bavardage. IVF Connections.com avait cinq babillards à ses débuts il y a cinq ans. Il en a maintenant 150. Quand on a une question précise, il est possible de trouver quelqu'un capable d'y répondre.

Le sénateur LeBreton: N'est-ce pas possible que vous obteniez des renseignements erronés? Comment pouvez-vous le savoir?

Mme Clute: C'est possible, mais il faut ensuite vérifier auprès de nos propres sources. Tout le monde a accès aux revues médicales. Mon mari est atteint d'un lymphome non-Hodgkinien qui n'a aucun rapport avec l'infertilité. Ce qu'il y a de bien avec l'Internet, c'est que n'importe qui peut publier n'importe quoi. L'inconvénient c'est que n'importe qui peut publier n'importe quoi. On finit par découvrir où sont les études fiables.

Le sénateur LeBreton: C'est un terrible fardeau pour vous d'avoir à essayer de déterminer vous-même ce qui est fiable.

Mme Clute: Les choses se sont améliorées.

Mme Sheehan: Nous avons également consulté un médecin canadien avant de nous adresser à Cornell pour qu'il nous dise si nous nous faisions des illusions ou si c'était une option viable. Il nous a dit que c'était le meilleur endroit au monde.

M. Tavner: Tous les professionnels de la santé que nous avons rencontrés ont été extrêmement serviables.

Ils nous ont donné des renseignements concrets, et lorsque nous en avons parlé avec nos pairs ou que nous lisions un des nombreux livres sur la question que nous avons à la maison, ils étaient prêts à nous aider. Nous n'avons pas l'impression d'avoir été induits en erreur et nous pensons avoir été bien traités.

J'aimerais ajouter, car je pense que ça répond à votre question, madame, que les personnes qui finissent le traitement sont très différentes de ce qu'elles étaient en commençant. Au début, nous trouvions assez pénible de prendre des pilules pendant quelques jours de chaque cycle. À la fin du traitement, nous trouvions tout à fait acceptable de recevoir de nombreuses injections tous les jours pendant des semaines et de se soumettre ensuite à des actes médicaux effractifs puisque c'est ce qu'il fallait faire pour avoir des enfants. Et c'est sans parler des 100 000 $ que nous avons dû dépenser pour les traitements.

Le sénateur LeBreton: Il y a cela aussi. Vous avez la chance d'avoir eu les moyens de suivre le traitement. Dans votre réseau, connaissez-vous des personnes qui n'en avaient pas les moyens?

Mme Sheehan: Nous avons rencontré des personnes qui avaient demandé de multiples cartes de crédit et qui les utilisaient à tour de rôle pour se retrouver aujourd'hui avec des frais d'intérêt de 23 à 25 p. 100 sur une somme de 50 000 $. Ils étaient prêts à faire cela et savaient dans quoi ils s'embarquaient mais ils disaient: «Je suis prêt à le faire pour avoir une famille». C'est ce qui nous inquiète. C'est un terrible fardeau.

Le sénateur LeBreton: Vouliez-vous dire quelque chose madame Baird?

Mme Baird: Lorsque j'ai décidé que j'étais prête à avoir un enfant, j'ai commencé à chercher une donneuse. J'ai découvert qu'il n'y avait pas de banque d'ovules au Canada. J'ai appelé Mme Hanck à l'ACSI et je lui ai dit que je cherchais des ovules. Elle m'a dit que la liste d'attente était longue, jusqu'à cinq ans. À mon âge, je peux me permettre d'attendre, mais les femmes qui ont 37 ou 40 ans ont besoin de donneuses tout de suite car c'est difficile à 42 ou 43 ans.

Le sénateur LeBreton: Le temps passe.

Mme Baird: C'est ce que je pense. C'est incroyable qu'il n'y ait pas de banques d'ovules au Canada. J'ai songé aux États-Unis. Je me suis dit que j'économiserai et que j'irai aux États-Unis. C'est ce que je ferai s'il le faut.

Mme Clute: Les données démographiques sont un peu différentes en Nouvelle-Écosse. J'ai rencontré de nombreuses personnes qui n'ont pas pu franchir la prochaine étape, celle de la fertilisation in vitro, parce que manque de moyens. J'ai rencontré des personnes qui n'avaient pas les moyens de payer la surcharge sur le sperme à la clinique de Halifax. Ils n'en avaient pas les moyens, alors ils se sont eux-mêmes retirés du processus rapidement. On rencontre des personnes qui sont prêtes à hypothéquer leur maison et d'autres qui se retrouvent dans un cul-de-sac et qui prennent des décisions médicales uniquement en fonction de leur portefeuille.

Le sénateur LeBreton: C'est très triste. Madame Schnarr, croyez-vous avoir reçu un appui suffisant? Pensez-vous qu'il y a assez d'information? Votre histoire est très touchante et très douloureuse à bien des égards. Est-ce qu'il y a vraiment un manque de soutien médical dans notre pays?

Mme Schnarr: Absolument. Il y a un gynécologue qui m'a dit de rentrer à la maison et de boire un jus d'oranges parce que je me faisais des idées. Je ne vous mens pas. J'ai eu plusieurs interventions chirurgicales avant de découvrir que j'étais infertile. J'ai eu beaucoup de difficultés à obtenir de l'information même à la clinique de fertilité. C'est un milieu très paternaliste. J'avais l'impression d'être une vache qui fait la queue pour se faire étamper. C'est un exemple. Il n'y avait pas beaucoup d'information. On nous donnait un aperçu, mais on ne sait pas vraiment ce qu'on fait là avant de commencer vraiment le processus. J'ai beaucoup lu. J'ai commandé des livres de Amazon.com. J'ai fait des recherches sur l'Internet et j'ai consulté d'autres personnes. J'ai été très déçue de constater l'absence de groupes et de réseaux de soutien. En Colombie-Britannique, il n'y avait rien à ce moment-là. C'est pourquoi j'ai créé l'ACSI il y a deux ans. Je crois qu'il faut aider les gens en les informant. Ma mission était de créer un endroit où les gens pourraient se rassembler et partager leurs expériences. Ils pourraient raconter ce qui leur est arrivé, partager l'information qu'ils avaient obtenue, inviter des conférenciers afin d'avoir plus d'options que j'en avais lorsque j'ai commencé mon parcours il y a huit ans.

Le sénateur Léger: J'ai entendu des plaidoyers émouvants en faveur de gens qui doivent vivre avec l'infertilité. C'est l'amour. Vous aimez les enfants et vous voulez en avoir. C'est un épanouissement. C'est l'amour humain. J'aimerais bien entendre la pareille de la part des donneurs parce qu'en bout de ligne, on dirait selon vous si nous donnons de l'argent, nous aurons des donneurs. Est-ce que je me trompe? C'est tellement vrai et je suis entièrement de votre côté, mais j'aimerais entendre un plaidoyer aussi passionné de la part des donneurs. Est-ce que c'est possible sans argent? Madame Schnarr, c'est vous qui avez provoqué la question.

Mme Schnarr: Il y a très peu de donneuses à l'heure actuelle. Celles qui sont prêtes à faire l'effort de le faire comme la donneuse d'ovules dont il a été question, doivent se soumettre à un long processus. Ce n'est pas comme donner du sang. Il faut compter un ou deux mois sans oublier le temps qu'il faut accepter des sacrifices au niveau physique. Si l'on ne peut offrir aucune compensation pour les dédommager de leur temps et des frais engagés, elles ne seront pas intéressées à offrir ce service. Il ne s'agit pas de faire de l'argent. Elles ne le font pas pour cela. Elles veulent être dédommagées pour tout l'effort qu'elles font.

Le sénateur Léger: Je suis d'accord pour dire que toutes les conditions doivent exister. Il doit y avoir plus que de l'argent en jeu, j'espère.

Mme Schnarr: La plupart le font par bonté d'âme. Elles le font vraiment pour ce motif, mais il doit y avoir une certaine compensation monétaire sinon elles dépenseront beaucoup de leur propre argent et ce n'est tout simplement pas juste pour elles.

Mme Clute: Je suis donneuse de sang et je me suis aussi portée sur la liste des donneurs de moelle. J'ai signé la partie «don d'organes» sur mon permis de conduire et je ne m'attends à aucun dédommagement financier pour tout cela. Si je donne de la moelle ou quoi que ce soit du genre, le projet de loi prévoit que les dépenses seront remboursées. C'est l'achat des ovules comme tel. On pourrait envisager un système altruiste de dons, sinon, pourquoi ne pas les appeler des vendeuses parce que si achetons, c'est ce qu'elles sont. Appelons les choses par leur nom.

Mme Schnarr: On n'achète pas leurs ovules mais leur service.

Mme Baird: J'aimerais parler des dons d'ovules et de sperme et faire la comparaison avec l'adoption. En bout de compte, si je ne me retrouve pas enceinte un jour, je chercherai à adopter. Je sais qu'il y a des gens au Canada qui mettent l'enfant en adoption sans réclamer d'argent. J'ai quand même appelé la Children's Aid Society of Ontario pour leur dire: «Votre liste d'attente est plutôt longue». J'ai aussi pensé que si ça ne fonctionnait pas de ce côté-là on pourrait toujours aller en Chine. Il en coûte 25 000 $ là-bas. Si vous choisissez la fertilisation in vitro avec donneuse d'ovules, cela revient à 8 000 $ et je calcule que les dépenses et tout le reste compris se chiffreraient à environ 5 000 $. C'est moins que 25 000 $. C'est 10 000 $ de moins. Si vous dites qu'on achète une vie quand quelqu'un d'autre vend ses ovules, quelle différence y a-t-il entre cela et l'adoption? On paie à tous les coups.

Mme Clute: Les frais juridiques pour l'enfant que nous avons adopté en Nouvelle-Écosse étaient de 1 500 $ pour une adoption privée pour un enfant de cette province.

[Français]

Le sénateur Léger: Vous dites qu'en gardant les frais modérés, il serait facile de dissuader les actions à but lucratif; pourriez-vous m'expliquer un peu plus ce que vous entendez par cela?

Mme Baird: En tant qu'ingénieure, je fournis des services de construction de bâtiments ou d'égouts pour lesquels je suis rémunérée, mais je ne crois pas que que l'on puisse profiter de dons d'ovules ou de sperme étant donné que cela lui occasionne des inconvénients physiques. Ce n'est pas une compensation de 200 ou 300 dollars qui suffirait à encourager quelqu'un à gagner sa vie en faisant des dons d'ovules ou de sperme.

Le sénateur Léger: Cela n'influencerait-il pas les cliniques ou ceux qui en font une industrie? Serait-il facile de les dissuader?

M. Richard Poulin: Limiter le coût pour la vente d'œufs aurait un effet dissuasif. Quelqu'un ne devrait pas payer 20 000 ou 25 000 dollars pour cela.

Le président: Je remercie les témoins pour leur présence parmi nous aujourd'hui.

La séance est levée.


Haut de page