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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 
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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages du 1er avril 2004 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le jeudi 1er avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 05 pour étudier les questions qu'ont suscité le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. En particulier, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous entendrons aujourd'hui, par téléconférence, depuis Columbus, M. Michael Hogan, président du U.S. President's New Freedom Commission on Mental Health. Nous accueillons également ici, à Ottawa, M. William Emmet, coordonnateur du U.S. Campaign for Mental Health Reform. Je remercie nos deux témoins de prendre le temps de venir discuter avec nous. Je vous fais un bref historique de nos travaux.

Il y a un an et demi environ, notre comité a publié un rapport, auquel nous travaillions depuis presque trois ans, sur les grands changements qu'il y aurait lieu d'apporter au système de soins actifs et de services hospitaliers et médicaux au Canada. Bon nombre des idées qui y étaient proposées ont été torpillées par la droite et par la gauche lorsque nous avons publié notre rapport, à tel point que nous nous décrivons souvent comme étant la «coalition de l'extrême centre». Sur toutes les questions vraiment controversées, listes d'attente, financement, sommes nécessaires, et cetera, le comité a été unanime, malgré le caractère délicat sur le plan politique de ces questions.

Une fois que nous avons eu terminé ce rapport, nous avons décidé de nous attaquer à la santé mentale. Nous n'en sommes qu'au tout début de notre étude sur cette question, qui devra bientôt être interrompue puisque nous sommes à la veille d'élections générales.

Nous entendons néanmoins suivre le même processus que pour notre étude précédente. Nous publierons à l'automne un document de consultation où seront exposés divers modèles d'actions gouvernementales relativement à la santé mentale. Nous tiendrons ensuite une vaste série d'audiences pendant la première moitié de 2005 afin de mesurer la réaction aux quatre coins du pays, tant chez les experts que chez le grand public, aux divers modèles proposés. Nous formulerons enfin des propositions de réforme pendant la deuxième moitié de 2005. Voilà notre calendrier.

Nous tenions à vous entendre tous les deux au tout début du processus à cause de certaines choses que nous avons lues sur ce dossier aux États-Unis et de certains des progrès qui ont été réalisés chez vous. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que, en ce qui concerne le système de soins actifs, nous ne nous sommes guère inspirés de ce qui se fait aux États-Unis, pour de nombreuses raisons. Étant donné que les soins de santé chez nous font partie d'un système universel financé à même les deniers publics, il y a enfin assez peu de leçons que nous pouvons tirer de l'expérience américaine si ce n'est peut-être sur la façon d'accroître l'efficience des hôpitaux, et nous nous sommes effectivement servis de l'information à ce sujet.

Nous n'avons toutefois pas de politique nationale sur la santé mentale. Il semble qu'il n'y ait pas non plus, ou à peu près pas, de politique provinciale sur la question. Le système de soins de santé mentale est depuis longtemps le parent pauvre du système de soins de santé au Canada. Nous sommes bien décidés, par notre rapport et par la promotion active de nos recommandations, à faire en sorte que les soins de santé mentale cessent d'être le parent pauvre des soins de santé.

Nous n'en sommes qu'au tout début du processus. Tout ce que vous pouvez nous dire pour nous éclairer nous sera extrêmement utile. J'ose espérer que, quand notre étude sera plus avancée, nous pourrons reprendre contact avec vous, simplement parce qu'il s'agit là d'une question sur laquelle nous pouvons apprendre les uns des autres. Je vous suis très reconnaissant de prendre le temps de discuter avec nous.

Nous allons commencer par entendre vos déclarations préliminaires à chacun de vous, en commençant par M. Hogan, puis nous passerons aux questions.

M. Michael Hogan, président, U.S. President's New Freedom Commission on Mental Health: Honorables sénateurs, j'essaierai d'être succinct, car le plus utile sera peut-être que vous me posiez des questions. C'est pour moi un honneur de pouvoir vous adresser la parole. Je connais juste assez le système de soins de santé au Canada pour que cette connaissance soit dangereuse. Je tiens à rendre hommage à un de mes mentors. Le Dr Hugh Lafave a été un des pionniers de la réforme des soins de santé mentale en Saskatchewan dans les années 60. Il est ensuite venu travailler dans l'État de New York, où j'ai beaucoup appris en travaillant à ses côtés.

Je vais vous faire rapidement l'historique de cette commission qu'a créée le président pour étudier les soins de santé mentale aux États-Unis, non pas parce que je m'imagine que les systèmes de soins de santé et de soins de santé mentale de nos deux pays se ressemblent vraiment, mais parce que les deux systèmes présentent suffisamment de points communs, comme vous l'avez dit, monsieur le président, pour que nous puissions apprendre les uns des autres.

Il y a des ressemblances, notamment le rôle important, quoique fragmenté, des États, chez nous, et des provinces, chez vous, et l'appui, parfois lacunaire, des programmes fédéraux. Le Canada et les États-Unis ont aussi en commun — comme beaucoup de pays occidentaux — le fait que les soins de santé mentale posent un problème. C'est-à-dire que nous avons des systèmes de soins publics pour ceux qui sont atteints des maladies les plus graves, tandis que bien des gens se font traiter pour leurs problèmes de santé mentale dans le cadre du système de soins de santé destiné à l'ensemble de la population. Nous avons donc certains points en commun.

Je vais vous présenter ces diapos le plus rapidement possible. Comme je l'ai indiqué, la commission a été créée par le président. La dernière fois qu'une commission présidentielle s'est penchée sur la santé mentale aux États-Unis, c'était il y a 25 ans, sous le président Carter.

Sur cette deuxième diapo, vous voyez un extrait du décret qui a chargé notre commission de proposer des améliorations afin d'aider les adultes qui ont des maladies mentales graves et les enfants qui ont des troubles émotifs graves à vivre, travailler, apprendre et participer pleinement à la société dans laquelle ils vivent. Ce décret me semblait — et me semble toujours — inviter implicitement le système de soins de santé mentale à sortir de l'ornière des soins d'entretien pour se tourner vers des traitements et des soutiens qui aideraient ces personnes à vivre leur vie comme elles l'entendent.

Je ne vais pas m'attarder là-dessus, car les honorables sénateurs savent déjà — ou se pencheront là-dessus dans le cadre de leur étude — que les maladies mentales constituent un fardeau considérable et ont une incidence énorme. Vous voyez ici une diapo de l'Organisation mondiale de la santé, qui examine les causes des décès par violence dans le monde et conclut que le suicide est une cause de décès aussi importante que le meurtre et la guerre combinés. Nous savons que la maladie mentale est à l'origine de 95 p. 100 des suicides, même si l'alcool ou les drogues sont parfois aussi un facteur. Il s'agit là d'une façon différente de mesurer les conséquences pour la société de ces maladies.

Par ailleurs, les données de l'OMC, dans ce cas-ci, se limitent aux États-Unis, au Canada et à l'Europe occidentale. Ces données indiquent la proportion des handicaps qui sont attribuables à différentes catégories de maladies. La maladie mentale, comme on peut le constater, est une cause de handicap importante. Cela s'explique en partie par le fait que ces maladies se manifestent généralement à un jeune âge et que, bien souvent, leur effet débilitant se fait sentir pendant des décennies. Leur incidence se poursuit bien plus longtemps que celle d'autres maladies qui sont considérées comme graves, tel le cancer, qui surviennent généralement à un âge plus avancé.

Le travail de notre commission a été grandement facilité par le fait que le directeur du Service de santé publique des États-Unis avait réalisé en 1999 une étude de toutes les données scientifiques concernant les maladies mentales et les soins de santé mentale. Le rapport qui a été publié à la suite de cette étude pourrait être utile à votre comité. Ici, vous voyez les principaux types de maladies mentales répertoriés dans ce rapport. Il s'agit de maladies qui touchent bien des gens et pour lesquelles on peut obtenir de très bons résultats moyennant une intervention précoce et des traitements appropriés.

Mais le plus souvent, ces gens ne reçoivent aucun traitement, et quand ils en reçoivent, les traitements sont insuffisants. S'agissant, par exemple, de ceux qui sont traités par leur médecin de famille pour une dépression, nous savons — aux États-Unis du moins — qu'on a tendance à sous-dépister et à sous-traiter la dépression. D'où ce paradoxe qui veut que l'on ait accès, en théorie du moins, à de bons traitements, mais que les traitements insuffisants conduisent à des taux élevés de morbidité et de mortalité.

Les États-Unis et le Canada ont, à mon avis, ceci en commun que la structure de nos systèmes de prestations des soins de santé fait partie du problème. C'est pourquoi il est heureux que votre comité ait un mandat plus large que celui de notre commission. Pour expliquer la chose, j'invite les gens à penser à une autre catégorie de maladie pour laquelle il existe un système de soins publics distincts pour les plus malades. C'est là quelque chose qu'on ne saurait admettre pour aucune autre des grandes maladies. Ceux qui ont le cancer, une maladie cardiaque ou d'autres problèmes de santé reçoivent des soins dans le cadre d'un seul et même système de soins de santé. Nous avons toutefois aux États-Unis, comme vous au Canada, des systèmes de soins — c'est être généreux de les qualifier ainsi — au niveau étatique et provincial qui se spécialisent dans le traitement des maladies mentales les plus graves. Ce qui suffit à mon avis pour stigmatiser ceux qui ont ces maladies. Quand les gens doivent se tourner vers un système de soins publics, il y a sans doute déjà là un certain élément péjoratif.

Cette image que j'ai incluse dans la documentation montre que, dans certains cas, nos efforts pour réformer les soins de santé mentale aux États-Unis ont donné de bons résultats mais qu'ils sont aussi à l'origine d'autres problèmes. Vous avez là une description simplifiée de la théorie qui a cours aux États-Unis depuis une génération quant à la façon dont les soins de santé mentale devraient être organisés. Nous devrions avoir un organisme fédéral, un ministère de la Santé mentale dans l'appareil étatique, un centre de santé mentale communautaire — ce centre coordonnerait une vaste gamme de services destinés au consommateur qui pourrait accéder à tous ces services par l'entremise d'un gestionnaire de cas.

Cette vision du système de santé mentale est apparue aux États-Unis il y a une trentaine d'années. Or, pendant la période de désinstitutionnalisation qui a suivi, il s'est avéré que le gouvernement fédéral n'était pas très doué pour appuyer les programmes de soins qu'il aurait fallu mettre en place pour les personnes atteintes de maladie mentale grave. C'est ainsi que beaucoup des programmes fédéraux destinés à l'ensemble de la population — notre régime d'assurance-santé, qui assure essentiellement des soins actifs aux personnes âgées ainsi qu'à certaines personnes handicapées, et notre régime d'assurance-médicaments qui assure aux indigents et aux personnes handicapées les médicaments et les soins de longue durée dont ils ont besoin, de même que d'autres programmes gouvernementaux — ont été modifiés afin d'englober certains soins pour les malades mentaux.

Nous en sommes ainsi arrivés à une mosaïque de programmes où les soins de santé mentale relèvent d'une multitude d'organismes fédéraux différents. Ces organismes exercent généralement leur activité en collaboration avec l'organisme étatique correspondant. Il y a sans doute des analogies à faire ici avec la relation fédérale-provinciale au Canada. Il existe donc des structures et des systèmes différents au niveau étatique et au niveau local qui assurent la prestation des soins, de sorte que les malades mentaux et leurs familles doivent essayer de s'y retrouver dans ce qui est devenu un véritable dédale de programmes, et ce, alors qu'ils sont généralement plus vulnérables.

Le défi est d'autant plus grand que nous avons affaire à une relation intergouvernementale compliquée qui s'est bâtie au fil des ans. Elle est sans doute trop compliquée pour que nous puissions simplement nous en sortir par la voie de la réforme. Dans le diagnostic qu'elle a posé à la suite de notre étude sur les soins de santé mentale, notre commission a conclu en quelque sorte que nous avons un système chez nous qui est coordonné par les différents États. Chaque État a sa façon de faire, qui est très différente de celle des autres, et personne n'a encore trouvé de solution parfaite. Dans une certaine mesure — et je sais que cela vaut aussi pour le Canada —, l'approche de chaque État est fonction de son arrimage politique et de sa géographie.

Nous avons un système spécialisé qui n'est pas vraiment axé sur le rétablissement. En règle générale, les gens y viennent assez tard et n'y trouvent que des soins d'entretien. Le système ne fait pas appel à ce qui se fait de mieux dans le domaine scientifique. À ce problème vient s'ajouter le manque croissant de soins de santé mentale dans d'autres milieux. Dans les écoles, nous avons un gros problème du fait que les jeunes malades mentaux n'y reçoivent pas de soins et finissent par se retrouver en prison. Le système se limite aux soins d'entretien, ce qui n'est pas très efficace ni pour les divers secteurs de responsabilité ni pour les différentes populations. C'est ce qui a amené notre commission à déclarer que notre système est en lambeaux.

Ce que notre commission a fini par proposer reposait sur l'idée qu'il fallait essayer de contourner la notion de réforme ou de restructuration. Nous avions l'impression que la réforme était à l'origine du fouillis actuel et qu'il nous fallait trouver un nouveau concept ou un nouveau terme. Nous avons fini par opter pour le concept de transformation, qui nous a galvanisés. Nous ne savons pas exactement ce que cela veut dire, mais nous pensons que la transformation exige des mesures différentes à bien des niveaux différents. Le problème n'est pas que fédéral, et il ne faut donc pas compter que la sagesse va surgir de la capitale nationale et se répandre à l'échelle locale où les gens devront s'y adapter. Il faut aussi des mesures à l'échelle locale, et il faut des mesures de grande envergure et de moindre envergure, les mesures d'une portée très vaste et irréalisables ne suffisant pas. Ainsi, cela peut paraître mineur comme changement que de créer un contexte dans lequel les patients à titre individuel et leurs familles peuvent davantage décider eux- mêmes de leur traitement, mais ce changement pourrait avoir un effet beaucoup plus important, voire révolutionnaire, que des changements de plus grande envergure. Nous proposons l'idée d'une vision nationale des soins de santé mentale et l'établissement d'objectifs nationaux, qui serviraient, nous l'espérons, à motiver et à organiser les gens et qui seraient le point de départ de toute action concertée à cet égard.

Un des principes qui devraient guider les efforts en santé mentale au Canada tout comme aux États-Unis et sans doute dans les autres pays du monde nous est venu d'un discours de l'ancienne première dame Rosalyn Carter, qui a été présidente d'honneur de la dernière commission nationale qui s'est penchée sur la question aux États-Unis. Nous avons fait appel à elle pour nous aider à comprendre ce qui avait changé en santé mentale au cours de la dernière génération, et Mme Carter nous a dit que nous avions un avantage dans notre réflexion qui n'existait pas une génération auparavant. Le changement le plus important qui soit survenu, c'est que nous savons maintenant que le rétablissement est une possibilité pour n'importe quelle personne qui a une maladie mentale.

Il s'agit là d'une déclaration simple mais puissante qui recouvre plusieurs notions, de l'avis de la commission. Premièrement, les gens peuvent améliorer leur état de santé mentale même si, auparavant, on les considérait comme des «cas désespérés». Deuxièmement, même ceux qui ont une maladie grave qui les suivra pendant des années ils peuvent atteindre une bonne qualité de vie s'ils ont le soutien qu'il leur faut. Le rétablissement n'est pas nécessairement une guérison miraculeuse; il peut s'agir simplement de savoir bien composer avec une maladie dévastatrice. Troisièmement, s'il y a possibilité de rétablissement, c'est que l'espoir doit être une composante essentielle des soins en santé mentale, qui, de ce fait, ne seront plus aussi passifs et axés sur les soins d'entretien.

Dans notre rapport, nous avons recommandé au président de mettre le cap sur un avenir où le rétablissement ou la capacité de récupération, surtout chez les enfants, ferait partie des attentes courantes, au lieu qu'il s'agisse de quelque chose d'extraordinaire comme dans les livres du Dr Nash et le film intitulé Un homme d'exception. Quand un diagnostic de maladie mentale est posé, il faut s'attendre au rétablissement de la personne comme étant un résultat, non pas extraordinaire, mais normal. Pour cela, il faudrait avoir accès à des traitements qui soient précoces et bons, plutôt que tardifs et mauvais.

Je vais conclure en énumérant les six objectifs que nous proposons pour circonscrire la réflexion sur la façon d'aborder les soins de santé mentale aux États-Unis. Je vous citerai quelques-unes de nos recommandations, même si nous en avons fait dix-neuf en tout. Deux d'entre elles pourraient intéresser plus particulièrement les membres de votre comité. Il s'agit de deux recommandations qui visent l'établissement de plans, d'abord au niveau du consommateur individuel. Nous ne savons pas exactement comment la chose pourrait se faire, mais nous sommes d'avis qu'il faut s'orienter vers des soins plus individualisés et davantage axés sur un effort personnalisé afin que la famille et le patient aient davantage leur mot à dire dans le plan de traitement. Ce que nous préconisons, ce n'est pas un pouvoir de décision absolue, mais plutôt un véritable partenariat avec les professionnels, au lieu que le rôle du patient se limite à recevoir le diagnostic et à subir les traitements.

Quant à la seconde recommandation, il y a peut-être déjà quelque chose d'analogue au Canada. Il s'agit de faire en sorte que chaque État assume une responsabilité plus large en ce qui concerne la santé mentale. À l'heure actuelle, tous les États américains ont une entité gouvernementale quelconque qui a la responsabilité des soins de santé mentale. Certains États, comme l'Ohio, ont en fait un ministère distinct dont le directeur relève du gouverneur. Dans un certain nombre d'autres États, la responsabilité de la santé mentale incombe à une direction ou à un bureau en particulier d'une agence de santé. En règle générale, ces agences n'ont qu'une responsabilité assez limitée en ce qui concerne les programmes destinés aux enfants et aux adultes qui ont de graves maladies mentales. Nous avons proposé une approche qui s'articulerait autour d'un certain nombre d'incitatifs au niveau fédéral et au niveau étatique qui encourageraient les États à opter pour un modèle de soins de santé mentale plus englobant, qui tiendrait compte de la santé mentale des enfants dans les écoles ainsi que de personnes condamnées pour qui des soins dispensés dans la collectivité pourraient être plus appropriés que l'incarcération, à condition qu'elles ne représentent pas un danger pour autrui.

Le gouvernement fédéral, par une contribution partielle sous forme d'incitatifs et de moyens, pourrait encourager les États à avancer dans cette voie. La participation des États serait volontaire. C'est là un modèle qui pourrait être intéressant pour le Canada.

Le président: Je voudrais simplement faire une observation au sujet de votre tableau illustrant la fragmentation des services après la réforme. Chez nous, la situation est tellement compliquée que nous ne pourrions sans doute même pas en dresser le tableau. C'est vous dire à quel point elle est enchevêtrée.

M. William Emmet, coordonnateur, U.S. Campaign for Mental Health Reform: Honorables sénateurs, c'est pour moi un honneur de venir témoigner devant vous. J'espère que nous aurons un dialogue qui profitera au Canada tout comme aux États-Unis. Je dois dire aussi que c'est un honneur de succéder à M. Hogan à la barre des témoins. Il a vraiment fait des choses extraordinaires tout au long de la campagne, voire même à l'époque où il était commissaire dans l'Ohio et au Connecticut et qu'il travaillait avec les militants.

Je tiens à rendre hommage à M. Hogan, car mon exposé reprendra sans doute une bonne partie de ses propos, du moins pour ce qui est des thèmes. Je demande donc votre indulgence. Vous pourrez peut-être en tirer des leçons puisque les thèmes qui émergent aux États-Unis pourraient vous être d'une certaine utilité ici au Canada.

La campagne en faveur de la réforme de la santé mentale est un effort concerté de promotion de la santé mentale sans précédent aux États-Unis. Par le passé, les divers organismes de promotion, les associations de fournisseurs, les ordres professionnels et les autres organismes avaient souvent tendance à poursuivre leurs intérêts propres, qui bien souvent étaient contradictoires, et ne collaboraient pas de façon très efficace. La campagne, qui compte 16 organisations membres, a été organisée en prévision du rapport de la New Freedom Commission on Mental Health. Nous avions expressément pour mandat d'appuyer les recommandations de la commission et d'en assurer le suivi afin que la politique américaine en matière de santé mentale reflète les progrès réalisés dans le domaine aujourd'hui et demain.

Quand je me suis mis à réfléchir à l'exposé que je pourrais vous faire, je me suis rendu compte qu'il y aurait peut-être lieu de vous présenter un petit historique. Je suis remonté dans le temps pour voir ce qui s'était passé au cours des quelques dernières administrations présidentielles. Ainsi, l'ancien président George H.W. Bush a signé en 1990 la loi intitulée Americans With Disabilities Act. Fait notable, et malgré une certaine opposition, les déficiences psychiatriques figurent au nombre des déficiences visées par cette loi. Depuis, les droits individuels des personnes ayant des déficiences psychiatriques sont donc protégés comme ils ne l'étaient pas auparavant. Ces personnes ont notamment le droit à certains aménagements dans leur lieu de travail ou d'études pour tenir compte de leur handicap et elles ont le droit à un logement convenable qui tient compte de leur handicap dans leur collectivité.

La Cour suprême des États-Unis a rendu une décision importante sur l'applicabilité de cette loi en 1999. Dans la décision Olmstead, la cour a statué que la loi Americans With Disabilities Act impose aux États l'obligation d'assurer des services dans le cadre le plus intégré possible qui conviennent aux besoins des personnes admissibles qui ont un handicap. La décision a eu pour effet de contraindre un certain nombre d'États à réévaluer les programmes qu'ils offrent à toutes les personnes handicapées et à réexaminer la répartition des ressources destinées à ces populations. Certains États ont ainsi accéléré leurs efforts, qui dans certain cas remontaient aux années 60, pour assurer des places dans la collectivité aux personnes ayant une déficience psychiatrique. La loi Americans With Disabilities Act traitait des droits de ces personnes mais pas de la nature des services auxquels elles ont droit.

Si nous poursuivons notre historique, le prochain jalon important dans la voie de la compréhension des besoins des personnes ayant une maladie mentale aux États-Unis a été posé sous le président Bill Clinton. En 1998, M. Clinton a tenu une conférence de la Maison-Blanche sur la santé mentale, indiquant ainsi l'intérêt marqué de son administration pour cette question. Un bond encore plus important a été réalisé avec le rapport du directeur du Service de santé publique des États-Unis, dont le Dr Hogan vient de parler. C'est en 1999 que M. David Satcher, directeur du Service de santé à l'époque, a publié ce rapport.

Ce rapport exhaustif était une compilation de ce qu'on savait jusque-là de la santé mentale ainsi que des causes et du traitement des maladies mentales. De nombreux experts y ont participé et ils se fondaient aussi sur de nombreuses sources. Encore aujourd'hui, ce rapport est un important document de base de la politique des États-Unis en matière de santé mentale, et il est considéré par les consommateurs, les familles, les fournisseurs, les administrateurs et les décideurs comme l'enquête la plus équilibrée et la plus inclusive qui ait été faite des questions touchant la santé mentale.

Le principal message de ce rapport du directeur du Service de santé publique, c'est que, même s'il nous reste beaucoup à apprendre, nous en savons déjà beaucoup sur les services et les traitements qui améliorent la vie des personnes ayant une maladie mentale, et pourtant, nos systèmes de traitement ne réussissent malheureusement pas à rendre ces services efficaces accessibles à la majorité de ceux qui en ont besoin.

Pendant la campagne présidentielle de 2000, le gouverneur Georges W. Bush avait promis de s'attaquer à l'état des soins de santé mentale aux États-Unis. Quand on lui a rappelé cette promesse après sa victoire, le président Bush, en 2002, a nommé le Dr Hogan à la tête de la commission qu'il a chargée d'étudier la prestation des services de santé mentale aux États-Unis et de formuler des recommandations en vue de l'améliorer. Reconnaissant dans son rapport provisoire que le système est dans un état lamentable, la commission sur la santé mentale créée par le président a voulu montrer la voie vers la transformation du système afin de l'arrimer à la conviction que les personnes ayant une maladie mentale peuvent effectivement se rétablir.

Les six objectifs de la transformation du système qui ont été énoncés par la commission dans son rapport final peuvent être réalisés, comme l'a expliqué le Dr Hogan, par des mesures prises aux niveaux local, étatique et fédéral. Si elle a évité à dessein d'entrer dans le détail dans ce rapport, la commission y élabore un cadre bien pensé et axé sur une vision à long terme qui permettra de s'attaquer au noeud du problème, tel qu'il avait été défini dans le rapport du directeur du Service de santé publique, à savoir que les services donnent de bons résultats mais que nous en rendons l'accès très difficile pour ceux qui en ont besoin.

Comme vous le savez d'après les études que vous avez faites sur les soins de santé en général, pour beaucoup d'Américains, les soins de santé sont assurés par leur employeur. En règle générale, cependant, la couverture en matière de soins de santé mentale est plus limitée que pour les autres types de maladies. Quelque 34 États ont adopté des lois qui prévoient une certaine parité, mais le gouvernement fédéral n'a toujours pas pris de mesures concrètes pour faire en sorte que les entreprises qui ont leur propre régime d'assurance y incluent les soins de santé mentale au même titre que les autres types de soins. Quoi qu'il en soit, ces régimes d'assurance privés gèrent de façon très stricte les prestations de santé mentale. Aussi, je le répète, la plupart de ceux qui participent à ces régimes n'ont fort probablement pas accès aux services dont ils ont besoin.

Quelque 43 millions de citoyens américains ne bénéficient pas d'un régime d'assurance privé. Ceux d'entre eux qui ont besoin de soins de santé mentale n'ont accès qu'au système de soins de santé mentale financé à même les fonds publics, s'ils veulent se faire soigner. Le système public coûte 23 milliards de dollars et sert chaque année quelques 6,1 millions de personnes réparties dans les 50 États, les 4 territoires et le district de Columbia. Aux États-Unis, la responsabilité des soins de santé mentale publics est partagée entre les trois paliers de gouvernement, comme l'a fait remarquer le Dr Hogan. Le système a évolué considérablement depuis l'époque où il était composé presque uniquement d'établissements administrés par les États. De nos jours, ces établissements hospitaliers sont beaucoup moins nombreux et leur population est beaucoup moins nombreuse qu'autrefois, mais il y a maintenant plus de 40 ans que le président Kennedy a signé la première loi créant des centres de santé mentale communautaires, et l'objectif de l'accès à des services complets dans la collectivité demeure inatteignable dans bien des endroits.

La commission du président et le directeur du Service de santé publique ont tous deux clairement établi dans leurs rapports qu'il existe des regroupements d'excellence dans la prestation des soins en santé mentale aux États-Unis. Cependant, ils ont aussi mentionné le fait que des groupes identifiables de la population américaine — des minorités et des gens qui vivent dans des zones rurales par exemple — n'avaient accès qu'à des services nettement inférieurs ou n'en obtenaient pas du tout. Dans les deux rapports, on signale le recours accru à la médecine factuelle et on attire aussi l'attention sur le retard de 12 à 15 ans en matière de mise en oeuvre des interventions fondées sur la recherche. On y constate que dans de nombreuses régions du pays, les traitements de piètre qualité ou inefficaces demeurent la règle.

Le Dr Hogan et la commission ont affirmé que la fragmentation des soins en santé mentale était le principal obstacle à l'accessibilité constante des services de qualité dans les collectivités de tout le pays. La commission mentionnait que la fragmentation résultait en grande partie de la disparité des modes de financement des services dans notre pays. À l'heure actuelle, le financement est assuré par des sources locale et fédérale et par les États eux-mêmes, comme l'a encore très bien montré le Dr Hogan.

Le financement fédéral provient de divers départements et agences et l'essentiel des fonds fédéraux précisément alloués aux services de santé mentale, la Mental Health Block Grant, représentent généralement de 1 à 3 p. 100 de la moyenne des dépenses globales d'un État en matière de services de santé mentale. Par ailleurs, Medicaid constitue dans les États la source de financement des services de santé mentale qui croît le plus rapidement. Medicaid est un programme d'assurances-maladie qui ne couvre cependant que certains services approuvés et il dépend de contributions de contrepartie des États, que ces derniers ont de plus en plus de mal à verser en cette période de difficultés financières. Il n'arrive que trop souvent que les fonds manquent pour répondre aux besoins en réadaptation d'adultes et d'enfants ayant une maladie mentale.

L'incapacité des systèmes parallèles à communiquer entre eux nuit à de nombreux intéressés. Le système de santé mentale n'assure pas une bonne coordination avec ses homologues en matière de logements, d'emplois, d'éducation, de soins de santé, de justice pénale et ainsi de suite. La fragmentation a de nombreuses conséquences. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle fait en sorte qu'il est très difficile aux gens qui ont besoin de services de s'y retrouver ou de s'orienter. Beaucoup ne savent pas que des services existent; d'autres sont découragés devant la confusion du système et n'y font tout simplement pas appel.

Le coût de ce manque de communications et donc de l'absence de traitements des maladies mentales est énorme. On peut diagnostiquer la présence d'une maladie mentale chez environ 16 p. 100 des 2 000 000 d'Américains et d'Américaines qui sont détenus en prison. On peut aussi poser un diagnostic de maladie mentale chez 30 à 40 p. 100 des itinérants aux États-Unis, et selon certaines estimations, ce pourcentage serait encore plus élevé. Près de 30 000 personnes se suicident chaque année, et plus d'un demi-million de personnes se présentent à l'urgence après s'être infligées des blessures. Si accablantes que soient ces données, elles ne rendent pas compte du désespoir ni de la perte de productivité des adultes et des enfants qui ont une maladie mentale et qui ne sont pas soignés, pas plus que du fardeau que portent souvent les familles.

Une des principales recommandations de la commission du président consiste à concevoir des mécanismes en vue de la planification à l'échelle de l'État d'un système complet de prestation de services de santé mentale. Fait important, le financement de contributions visant à aider divers États à entamer ce processus fait l'objet d'une proposition dans le budget du président Bush qui est maintenant à l'étude au Congrès. Malgré d'importantes compressions proposées dans ce budget en ce qui concerne d'autres programmes de santé mentale, les militants sont en faveur de cette initiative parce qu'elle vise à régler le problème de la fragmentation qui semble être une des principales causes de l'inefficacité de notre régime.

Ce n'était là qu'un bref aperçu. Il est encourageant de voir que dans les dernières années le directeur du Service de santé publique et la commission du président ont étudié sérieusement la politique des services de santé mentale et le mode de prestation de ces derniers. Il y a lieu de se réjouir tout particulièrement du fait qu'aux États-Unis on est en train en ce moment de cerner d'efficaces méthodes de médecine factuelle et qu'on constate l'apparition de nouveaux modes d'organisation et de financement des services de santé mentale. Nous sentons encore cependant que les artisans de la politique américaine ne comprennent pas encore pleinement les conséquences de notre incapacité à reconnaître les avantages de bons services de santé mentale. Le malaise qui entoure cette question demeure un obstacle majeur à sa compréhension et c'est ainsi que de nombreuses vies demeurent improductives.

Au nom de la campagne pour la réforme en santé mentale, je vous souhaite bonne chance et je vous remercie à nouveau de nous donner l'occasion de vous rencontrer.

Le président: Merci à vous deux.

J'ai deux questions qui commencent à nous préoccuper un peu. L'une a trait à la structure du régime. Vous dites tous deux qu'il est important que le consommateur et sa famille participent aux décisions, ce qui serait l'idéal si l'on concevait un régime beaucoup plus individualisé. Par ailleurs, à mesure que vous prenez cette orientation, vous délaissez aussi ce que la plupart des gens conçoivent comme un régime, du fait que vous introduisez une part d'individualisation. Ici, plus le régime se personnalise et moins son assise est élargie du point de vue de la politique d'intérêt public, pire c'est.

Il me semble qu'il y a là des éléments conflictuels. D'abord le désir manifeste d'établir des objectifs nationaux au lieu d'objectifs provinciaux et d'avoir un ensemble clair de programmes, qui de par leur nature et en raison de l'histoire de notre pays ne seraient pas du tout individualisés. Le programme imposerait un moule aux gens. J'aimerais savoir quel est votre avis sur cette question.

La deuxième question qui nous a été posée à maintes reprises a trait à la nécessité de cerner très tôt la nature des problèmes, et plus particulièrement chez les enfants. Cela se fait dans une grande mesure au sein des systèmes scolaires. Nous faisons face à un problème non négligeable du fait qu'en raison de la Constitution le gouvernement fédéral n'a pas du tout compétence en matière d'éducation. Les ministères de la Santé des provinces ne s'occupent pas non plus d'éducation. Celle-ci fonctionne presque isolément.

Le Dr Hogan a parlé de mesures d'encouragement. Pouvez-vous nous dire comment nous défaire d'obstacles qui n'ont rien à voir avec la santé mentale et tout à voir avec un système d'éducation et des soins actifs qui fonctionnent tout à fait isolément? Le système de services de santé mentale, qui n'est pas du tout un système, flotte quelque part dans les limbes. Pourriez-vous répondre à ces deux questions?

Tant que l'on ne s'attaquera pas à ces deux grandes questions systémiques, il sera difficile de concevoir des solutions concrètes et de cesser de se contenter de pieux espoirs. Si notre dernier rapport sur les soins de santé a été mis au pilori à sa parution, c'était précisément parce que nous y proposions des mesures bien concrètes. On revient maintenant à ce document parce que nous y faisions des propositions concrètes. Nous sommes résolus à présenter les propositions les plus concrètes possible.

Docteur Hogan, voudriez-vous nous dire ce que vous répondriez à ces simples questions?

M. Hogan: J'accepte la prémisse de votre première question. L'individualisation du financement des soins de santé va probablement accroître la fragmentation et empêcher une approche équitable et généreuse des soins. Ma réponse est quelque peu nuancée. Je dirais qu'au point de départ il faut avoir une large approche des soins. Dans cette approche, le moment où intervient le patient est vraiment critique à la négociation d'un plan de traitement. La négociation de ce plan de traitement devrait se faire dans le cadre d'un partenariat. C'est une question d'équilibre.

Il ne faudrait pas individualiser le financement des soins. Il devrait y avoir un vaste programme qui soit équitable. Cependant, il faudrait des mesures d'encouragement et de soutien pour les médecins et les autres soignants pour les inciter à traiter les consommateurs et les patients comme des participants informés. Une chose que nous avons apprise au sujet du rétablissement, c'est que nous ne pouvons pas guérir les gens de ces maladies. Nous pouvons leur fournir des traitements, mais ils doivent apprendre à vivre avec la maladie et s'en accommoder. On y parvient beaucoup mieux quand ils se sentent intégrés et non pas pris en charge par défaut. Voilà ma réponse à votre première question.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il est impératif d'intervenir tôt. Notre commission a longuement examiné cet aspect. Nous commençons maintenant à comprendre que de nombreux problèmes des enfants peuvent s'expliquer par la dépression de la mère, par exemple. Une mère malade a beaucoup plus de mal à jouer avec son bébé et à stimuler ainsi chez lui de nouvelles connexions neurologiques qui lui permettront d'acquérir la confiance nécessaire pour établir des relations et réussir dans la vie. Nous contribuerions grandement à la santé mentale et à la réussite scolaire des enfants si nous parvenions mieux à diagnostiquer la dépression chez les mères et à les soigner.

L'un des programmes modèles que la commission nous avait recommandé d'examiner s'appelle le Nurse-Family Partnership, qui a été mis au point il y a bien des années dans la région nord de l'État de New York. Dans ce programme, des infirmières travaillent auprès de mères à risque très pauvres pour les aider à mieux prendre soin de leurs enfants et à faire face à ces questions. Ce programme, qui n'est pas du tout un programme de santé mentale, a d'excellents résultats sur la santé mentale et a fait chuter les taux d'abandon scolaire et de délinquance juvénile qu'on aurait pu enregistrer chez ces enfants 15 ans plus tard.

Je reconnais avec vous qu'il est à la fois nécessaire et difficile de créer des partenariats entre les écoles, les services de santé et les fournisseurs de soins de santé mentale. En Ohio, où je vis, nous y travaillons d'arrache-pied. Nous nous efforçons de rassembler, de façon bénévole dans une large mesure, les champions de cette approche. Nous constatons une remarquable tendance en ce sens. Tout n'est pas acquis bien sûr. C'est que nous savons bien, en tant que professionnels de la santé mentale, que nous ne pouvons pas nous présenter à une école et dire au directeur que nous sommes des services de santé mentale et que nous sommes là pour l'aider. On ne peut faire rien de pire pour se le mettre à dos; cela ne les intéresse pas. Cependant, si nous disons que nous avons certaines qualifications pour aider les enfants qui ont des problèmes, notamment des problèmes d'apprentissage, ils ont tendance à se montrer très réceptifs. Nous pouvons alors créer un bon partenariat.

Notre approche consiste à inciter les gens à voir les aspects sociaux, émotifs et comportementaux comme faisant partie de l'apprentissage. Nous encourageons ensuite nos travailleurs des services de santé mentale à passer du temps dans les écoles, pas pour soigner les enfants, mais pour être disponibles en tant que ressource. Je simplifie à outrance.

M. Emmet: La réponse à vos deux questions, en théorie, tout au moins, se trouve dans le premier objectif énoncé dans le rapport de la New Freedom Commission: faire comprendre que la santé mentale est essentielle à la bonne santé. C'est bien sûr une position théorique et cela ne vous donne pas de réponse concrète.

Je vais néanmoins vous donner un exemple de ce à quoi nous pensons, nous en tant que militants, quand nous réfléchissons aux choix qu'ont les consommateurs et les familles en matière de services. De nombreux fournisseurs de soins se tournent maintenant vers le domaine des déficiences développementales. Aux États-Unis, on s'est efforcé dans une certaine mesure d'offrir aux clients de ces services diverses options qui leur permettent de choisir les services qui leur conviennent. Nous tentons maintenant de voir s'il y a moyen de faire la même chose pour les soins de santé mentale. Y a-t-il un moyen de le faire qui soit raisonnable et ne cause pas de problèmes. Le Dr Hogan a parlé de l'individualisation du financement des services de santé mentale, et cela donne un certain choix aux consommateurs et aux familles.

Pour ce qui est des enfants, divers modes et outils de dépistage apparaissent dans le pays et on en constate l'efficacité. Le Dr Hogan a parlé du moyen de les introduire dans les écoles. Il ne s'agit pas pour les autorités de la santé mentale d'entrer dans les écoles pour dire qu'elles viennent apporter leur aide. Au lieu de cela, on essaie conjointement de créer pour les enfants un climat propice à l'apprentissage. Le dépistage des problèmes de santé mentale est une de ces approches. C'est comme dépister les problèmes d'audition ou d'autres problèmes qui pourraient empêcher les enfants d'apprendre comme il se doit.

Le président: Je suis fasciné de vous entendre dire que l'inclusion de la santé mentale dans la loi dite Americans with Disabilities Act a permis de faire une plus large place aux questions de santé mentale dans la politique d'intérêt public. Vous venez tout juste de dire que vous commencez à vous demander si les politiques et les programmes qui visent les personnes handicapées peuvent traiter la maladie mentale comme une maladie invalidante plutôt que comme une maladie pour laquelle il faut se faire soigner dans un hôpital de soins actifs. Avez-vous pu apprendre quelque chose soit de l'approche qu'on a en matière de politique d'intérêt public ou des approches pratiques qu'on a face aux déficiences?

M. Emmet: Certainement. Le Dr Hogan a clairement décrit le fait que la maladie mentale est pour ainsi dire coincée entre les soins de santé et les déficiences. Nous passons de l'un à l'autre selon que cela nous arrange. Cependant, si l'on commence à voir la santé mentale dans l'optique du modèle de santé publique, et qu'on cherche des moyens d'éviter que la maladie mentale devienne invalidante, cela cadre avec la santé publique. Il y a un certain recoupement. Vous voyez?

Le président: Oui.

Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose, docteur Hogan?

M. Hogan: Non, je ne pense pas.

Le sénateur LeBreton: Docteur Hogan, vous avez parlé des éléments fondamentaux de la maladie mentale. À un moment donné, vous avez cité Rosalyn Carter, pour dire que les mentalités avaient beaucoup changé. Je suis d'accord.

Vous avez aussi parlé de cette situation paradoxale qui fait que de bons traitements sont disponibles mais qu'on ne s'en prévaut pas. Est-ce que ces faibles taux d'utilisation s'expliquent par la stigmatisation liée aux problèmes de santé mentale, ou est-ce parce qu'il n'y a pas vraiment d'entité gouvernementale chargée de la coordination et de l'organisation de toutes les diverses facettes des soins de santé mentale? Est-ce que cette stigmatisation est encore un grand obstacle pour les gens qui cherchent de l'aide; ou est-ce dû à un manquement du système ou aux deux?

M. Hogan: Pour répondre brièvement, je dirais que c'est un peu tout cela. Quand le président des États-Unis a prononcé son allocution pour lancer cette commission, il a avancé qu'il y avait trois grandes choses qui dissuadaient les gens d'obtenir les soins dont ils avaient besoin. D'abord, cette stigmatisation, en fait — et nous savons que cela pose toujours un problème. Deuxièmement, il y avait les problèmes de couverture d'assurance, qui dans une certaine mesure sont liés à la façon particulière dont nous envisageons la couverture de l'assurance-maladie aux États-Unis. Le troisième obstacle qu'il a décrit était le problème de la fragmentation.

Son analyse était bonne. Cependant, c'est encore plus compliqué que cela. Les choses dépendent dans une certaine mesure de l'état de santé dans lequel on se trouve. Pour quelqu'un atteint de dépression, par exemple, la maladie même peut faire en sorte que cette personne soit moins en mesure de reconnaître l'existence de son problème; elle peut se trouver ainsi moins motivée à s'occuper de son état ou à demander de l'aide. Nous savons aussi que pour la plupart des maladies, tant que la situation n'est pas très grave, au point de parvenir à l'attention des autorités publiques, par exemple, les gens vont tout probablement aller consulter leur pédiatre ou leur médecin de famille. Tout au moins aux États-Unis, l'information que reçoivent les médecins et le temps qu'ils ont à consacrer aux patients pour dépister un problème ne leur permettent pas de relever ces problèmes parfois compliqués où il faut vraiment discuter avec le patient de son comportement pour évaluer ce qui se passe.

La stigmatisation entourant la maladie mentale est un problème. L'accès à l'ensemble des soins de santé pose un problème. Les médecins et d'autres, comme les enseignants, ne sont pas aussi en mesure de dépister ces problèmes qu'ils devraient l'être. Puis, outre tous ces problèmes, il faut parler de l'adéquation de l'offre.

Paradoxalement, il existe beaucoup plus de services maintenant qu'il n'y en avait il y a une dizaine d'années, et ceux qui ont la bonne fortune d'y recourir s'en portent bien. Cependant, la multiplication de tous ces services fait que les choses se sont beaucoup compliquées à l'échelle communautaire, si bien que les familles ne savent pas à qui s'adresser quand un problème surgit. C'est l'inconvénient de la fragmentation. C'est un problème compliqué, et j'ai peut-être brouillé les pistes car je pense que votre description était vraiment tout à faire claire.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Emmet, vous avez parlé de désinstitutionnalisation. Nous avons le même problème ici, c'est-à-dire qu'on a retiré des patients d'établissements de santé mentale pour les abandonner plus ou moins dans la rue. La désinstitutionnalisation a-t-elle aggravé le problème et fait augmenter le nombre de gens qui souffrent de santé mentale? Où vont ces gens, aux États-Unis? Leur arrive-t-il la même chose qu'ici où un bon nombre d'entre eux aboutissent dans des établissements carcéraux?

M. Emmet: C'est simplifier à outrance que de dire que les gens quittent les hôpitaux pour aboutir dans des prisons. D'abord, la désinstitutionnalisation ne date pas d'hier et nous constatons que les gens qui ont affaire au système de justice pénale sont aujourd'hui très différents.

À bien des égards, la désinstitutionnalisation a été une grande réussite. Il y a bien des gens qui n'auraient pas dû se trouver en institution, et ils en sont partis et ont commencé à mener des vies productives — ou tout au moins à avoir des vies beaucoup plus intéressantes que celles qu'ils auraient menées en institution. Le problème qui s'est posé avec le temps, c'est que des gens qui autrefois auraient été placés en institution n'ont pas été nécessairement en mesure d'obtenir les services dont ils avaient besoin. Par conséquent, ils ont fini par devenir itinérants ou avoir des démêlés avec la justice. Beaucoup de ceux qui ont été pris en charge par le système communautaire de santé mentale s'en tirent plutôt bien. C'est beaucoup plus complexe qu'on ne le pense.

Le sénateur LeBreton: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Quand même, est-ce que cela n'a pas créé un problème pour le système parce que beaucoup d'entre eux n'auraient pas dû se trouver dans ces établissements, comme vous l'avez très justement dit? Beaucoup d'entre eux sont retournés dans leurs familles, mais est-ce que cela n'a pas créé tout un nouvel ensemble de problèmes dans les collectivités?

M. Emmet: Effectivement.

Le sénateur LeBreton: Qu'a-t-on fait aux États-Unis pour tenter de combler cette lacune?

M. Emmet: La désinstitutionnalisation a notamment eu pour effet d'entraîner la montée du mouvement de défense des familles et des consommateurs aux États-Unis. C'est une conséquence positive parce qu'elle a entraîné l'apparition d'un mouvement militant pour l'amélioration des services aux personnes atteintes de maladie mentale. Le problème n'a pas été résolu pour autant pour de nombreuses personnes parce qu'à vrai dire, on ne disposait pas du financement nécessaire pour assurer les services communautaires promis pour aider les gens sortant des institutions.

Le Dr Hogan pourrait vous parler de façon très éloquente du problème de la fermeture des institutions et du recours au système communautaire. Il en est résulté tout un nouvel ensemble de problèmes de financement des services de santé mentale à l'échelle de l'État. Je ne sais pas si je peux renvoyer la question au Dr Hogan, mais...

Le sénateur LeBreton: Je l'ai vu réagir quand j'ai posé la question, et c'est donc ce que je vais faire.

M. Hogan: Je ne sais pas comment les choses se sont passées au Canada. Mais aux États-Unis il était plus facile de financer la gestion traditionnelle et la masse salariale des institutions que de financer ce complexe système de soins décentralisés. Je soupçonne, et des données tendraient à le montrer, que le financement des services de santé mentale a éprouvé des difficultés au fil du temps parce qu'il est plus difficile pour les gouverneurs et les législateurs de surveiller ce système dispersé et très décentralisé. Il était plus facile de financer les institutions parce qu'on avait un certain nombre de lits pour lesquels il fallait assurer une dotation, et une convention collective qui coûtait tant. Une fois tout cela remis aux autorités locales, c'est comme si l'on s'était dit loin des yeux loin du coeur. Ce sont peut-être là les doléances d'un bureaucrate qui ne croit pas obtenir suffisamment d'argent, mais je pense qu'il y a là un fond de vérité.

Nous ne sommes pas parvenus à faire en sorte que les soins communautaires, d'une certaine manière, soient aussi solides que l'étaient les hôpitaux. J'aimerais souligner une chose qu'a dite M. Emmet: personne d'entre nous qui oeuvrons dans ce domaine n'oserait prétendre un seul instant que nous devrions faire machine arrière. Le système des institutions n'est pas parvenu à joindre la plupart des gens. Dans les cas où il y est arrivé, ces gens étaient gardés à grands frais et n'ont pas vu leur condition s'améliorer. Ils avaient trois repas chauds par jour, un lit et des soins de santé, mais ils n'ont jamais pu vraiment vivre. Nous ne pouvons pas revenir à cette situation mais nous n'avons pas encore réglé le problème qui consiste à créer un système de soins bien organisé et suffisamment solide pour faire du bon travail.

J'aimerais reparler d'une chose qu'a dite M. Emmet. Je ne sais pas ce qu'il en est au Canada mais la plupart du temps aux États-Unis les services offerts aux gens qui ont une déficience mentale sont probablement meilleurs que les services offerts à ceux qui ont une maladie mentale. C'est sans doute dû en partie à la façon compliquée dont notre programme fédéral Medicaid finance les services destinés de façon plus générale à la déficience mentale. Les services communautaires pour les gens qui ont une déficience mentale dans votre pays ont tendance à être mieux organisés, à compter sur un meilleur groupe de défense de leurs droits et ont plus d'argent. En raison notamment de leur situation, les personnes ayant une déficience mentale doivent être constamment prises en charge, tandis que les gens qui ont une maladie mentale sont en mesure d'être plus indépendants physiquement et mentalement. Par conséquent, la maladie mentale est un problème plus compliqué, d'une certaine façon.

S'il est tout aussi vrai au Canada qu'aux États-Unis que les choses sont d'une certaine façon plus simples pour les personnes ayant une déficience mentale que pour les gens qui ont une maladie mentale, certaines des façons dont les services sont organisés pourraient servir de modèle. Il ne s'agirait pas de s'inspirer du modèle de prestation des services en tant que tel, mais plutôt de l'organisation et du financement des services.

Le président: Soit dit en passant, je suis sûr qu'il est vrai que les gens qui ont une déficience mentale et qui vivent ici au Canada bénéficient en fait de meilleurs services que bien des gens qui sont atteints de maladie mentale. C'est peut- être parce qu'on a reconnu depuis longtemps l'existence du problème.

Le sénateur Keon: Monsieur Hogan, vous vous penchez sur une question extrêmement intéressante et les situations de nos deux pays comportent de nombreux points communs. Vous avez dit dans vos observations qu'il ne fallait pas individualiser le financement. Nous sommes liés à un payeur unique. De ce fait, un payeur unique nous cause de grandes difficultés quand il est question des grandes institutions. Le payeur unique est bureaucratique, inefficace et que sais-je encore. Nous sommes nombreux à demander qu'on rationalise cette composante dans notre système et nous misons sur une réorganisation poussée de nos systèmes de soins primaires qui nous permettrait de fournir des soins primaires, d'assurer des soins de santé publique et de santé mentale par l'intermédiaire des mêmes cliniques communautaires.

Au Canada, parce que nous sommes liés à un payeur unique, nous pourrions y parvenir. Nous devons établir une distinction entre le payeur unique et une bureaucratie paralysante. J'aimerais savoir comment à votre avis nous pourrions améliorer l'efficacité à l'échelle communautaire en organisant la collectivité de manière que, par exemple, des régions peu peuplées puissent bénéficier du dixième des services d'un agent de santé publique, du dixième des services d'un agent de santé mentale et de 80 p. 100 des services d'un médecin de famille, que ce soit une infirmière praticienne ou un médecin. Pourriez-vous répondre à cela, s'il vous plaît?

M. Hogan: C'est une question complexe et astucieuse. Des choses que je dirai pourraient ne pas s'appliquer chez vous. En vous écoutant, je me disais que je savais peu de choses de ce psychiatre que j'ai mentionné, le Dr Hugh Lafave, qui a travaillé en Saskatchewan dans les années 60. À l'époque, je l'avais entendu lui et d'autres parler de ce qui était censé être une réforme très réussie en santé mentale, bien avant qu'on en entende parler aux États-Unis. Cette réforme reposait sur des éléments fondamentaux: d'abord, un solide système de soins de santé assurant un accès à des services de santé de base, notamment l'hospitalisation pour maladie mentale au besoin au même titre que l'hospitalisation pour toute autre maladie; deuxièmement, des cliniques où les gens pourraient recevoir des soins médicaux; troisièmement, une forte dépendance à l'égard des soins donnés par la famille, qu'il s'agisse de la famille naturelle ou d'une famille qui pourrait s'engager à accueillir les patients et à leur assurer une légère surveillance; et quatrièmement, des travailleurs sociaux pour organiser tout ce qui précède. C'était une approche assez simple qui amalgamait de bons soins de santé à certaines des mesures spéciales qu'il faut prendre pour soigner des gens qui ont une maladie mentale. C'est ce que je répondrais à votre question parce qu'il est avisé de considérer votre système à payeur unique comme la première ligne de défense pour les soins de santé mentale et d'accroître les attentes qu'on a à l'égard de ce système pour qu'il soit en mesure de poser des diagnostics et de fournir des soins courants pour de nombreuses conditions.

Ceci dit, pour les gens atteints de maladies plus complexes, comme le trouble bipolaire ou la schizophrénie, je crois qu'il n'y a ni preuve ni logique suggérant qu'un système de soins de santé unique soit apte à fournir les soins appropriés. Leurs maladies sont si complexes qu'elles ont des aspects de réhabilitation et autres qui dépassent les capacités du système de soins de santé. Il y a par contre une notion qui me paraît sensée: commencer en mettant l'accent sur la santé mentale dans le système de soins de santé, puis offrir en complément ce que l'on pourrait décrire comme un programme spécialisé pour certaines personnes.

Il existe des modèles aux États-Unis, mais notre système à nous de soins de santé est fort différent. Il existe toutefois de très bons modèles, qui relèvent de ce que l'on appelle du bout des lèvres les «soins gérés», où une société ou parfois un gouvernement s'engage à fournir des soins spécialisés, généralement sur une base de paiement par capitation — par exemple, pour une population de personnes atteintes de maladie mentale — en consultation et en coopération avec les soins primaires. Le concept de soins gérés orientés spécialement vers la maladie mentale et offerts de concert avec un système de soins de santé monolithique fonctionne exceptionnellement bien, quand on s'y prend comme il faut.

Je vous renvoie à ce sujet à un monsieur du nom de Saul Feldman, président-directeur général de United Behavioural Health, à San Francisco. C'est une grosse société privée qui travaille sous contrat avec des employeurs et, dans certains cas, avec des États, pour coordonner les soins.

Une dernière petite remarque... Les soins gérés, s'ils sont financés de façon adéquate et bien pratiqués, semblent être la meilleure approche. Le problème est que souvent, aux États-Unis, ils ne sont pas financés de façon adéquate, et si l'on s'y prend mal, cela devient un désastre.

Je m'éloigne peut-être un peu mais j'en reviens à la notion de faire confiance à un système à payeur unique, comme première ligne de défense, mais ensuite de reconnaître qu'il faut une entité quelconque de spécialisation, qui assume la responsabilité des soins de santé mentale. Cette entité doit travailler en partenariat avec le système de soins primaires et doit bien gérer les soins pour les personnes souffrant de maladies plus complexes.

Le sénateur Morin: Je tiens à souligner la contribution exceptionnelle des États-Unis en matière d'innovation et de recherche dans le domaine de la santé mentale. Le Canada en a profité, comme, d'ailleurs, à mon sens, le reste du monde. C'est quelque chose que je voulais ajouter aux observations d'ouverture du président, comme quoi nous avions un système de soins de santé universel mais nous nous efforcions de pratiquer une médecine de qualité américaine, ici au Canada et ailleurs dans le monde, manifestement.

Je voudrais aborder la question des coûts et de la compression des coûts. Comme vous le savez, les Canadiens se préoccupent de la durabilité de leur système de soins de santé universel. Monsieur Hogan, avez-vous chiffré vos réformes? Si je comprends bien, vous dépensez à présent plus de 100 milliards en coûts directs pour la maladie mentale aux États-Unis. Quelle somme supplémentaire dépenseriez-vous si vos réformes étaient appliquées?

M. Hogan: Excellente question. Quand le président actuel nous a confié la mission, c'était en nous encourageant à ne pas être trop diserts ni explicites quant aux dépenses liées aux innovations. On ne les a pas chiffrées. En fait, le décret du président nous encourageait à rechercher d'abord des économies et des efficacités, sans toutefois que nous nous fassions taper sur les doigts ni dire d'éviter toutes recommandations susceptibles de coûter de l'argent. En fait, un certain nombre de nos recommandations coûteront de l'argent. Mais nous n'avons pas chiffré le coût des réformes.

Je ne sais pas si cela est explicite ou implicite, dans notre rapport, mais les données nationales dont on dispose aux États-Unis montrent qu'on dépense plus pour les coûts attribuables à l'absence de soins de santé mentale qu'aux soins de santé mentale eux-mêmes. C'est quelque chose qui ne correspond pas à ce qui se passe dans le reste des soins de santé. Par exemple, en matière de cancer ou de maladie cardiovasculaire, on consacre plus d'argent aux traitements qu'aux coûts découlant de l'absence d'un traitement.

Quelle est la plus grosse dépense liée à la maladie mentale chez nous? Ce sont les paiements d'invalidité versés aux gens devenus invalides du fait de la maladie mentale. Nous leur envoyons un chèque chaque mois — pas assez pour vivre décemment. Cela revient à leur dire qu'ils doivent rester invalides pour bénéficier de ce chèque, ce qui est une situation terrible. Si nous leur donnions de meilleurs soins et si nous les aidions à trouver un travail — pas nécessairement un travail à plein temps, à raison de 40 heures par semaine — chacun s'en porterait beaucoup mieux.

Je ne veux pas tourner autour du pot. Dans la plupart des cas, nous n'avons pas chiffré le coût de nos recommandations. Nous nous sommes efforcés de rester modérés. Nous avons travaillé avec l'idée que la maladie mentale nous coûtait plus en n'étant pas traitée qu'en étant traitée.

Le sénateur Morin: Je voudrais parler des soins gérés. Je sais qu'on en a dit du mal dernièrement. J'ai été très heureux d'apprendre qu'il existait des organisations de soins de santé intégrées, des OSSI, qui fonctionnaient bien. Que pensez-vous des OSSI plus générales, comme Kaiser Permanente, par exemple, quand il s'agit de traiter la maladie mentale? Est-ce qu'on parvient à limiter les coûts dans ces domaines?

M. Hogan: Les bonnes OSSI se sont généralement penchées sur ces questions dans le cadre de leurs responsabilités générales. Elles ont fait un très bon travail en ce qui concerne les maladies mentales que l'on peut traiter dans un cadre clinique: de nombreux cas de dépression; de nombreux cas d'hyperactivité avec déficit de l'attention chez les enfants, les désordres affectifs. Bref, dans ces domaines, tant Kaiser que le programme de la partie nord-ouest du pays qui s'appelait Puget Sound ont fait un excellent travail. Ce sont des exemples qui tendraient à appuyer ma théorie, selon laquelle il est bon de commencer par se fier aux soins primaires, mais cela n'est pas suffisant dans le cas de désordres compliqués.

Le sénateur Cook: Je viens de Terre-Neuve, où une cellule familiale reste une communauté qui prend les choses à coeur. Je ne parle pas des frères et soeurs ni de choses de ce genre; je parle du tissu social d'une collectivité. Dans votre système, avez-vous conclu des partenariats avec des ONG? Je parle plus particulièrement des églises. Dans ma communauté — je fais partie de l'Église unie du Canada — nous avons des programmes au sein de la collectivité pour les sans-abri et nous entreprenons toutes sortes d'initiatives innovatrices.

Nous avons aujourd'hui peut-être 200 personnes atteintes de désordres mentaux, certaines psychotiques, qui vivent dans des foyers. Dans ces cas, c'est l'organisme qui prend le risque, le gouvernement qui avance les fonds et le consommateur qui paye. C'est un système qui donne de bons résultats; d'ailleurs nous avons même des membres de l'hébergement communautaire qui gèrent leur propre système et qui siègent au conseil élargi. Nous les encourageons à améliorer leurs capacités à faire face à la vie de tous les jours et, un jour ou l'autre, ils seront capables de passer à autre chose, d'aller de l'avant, bien qu'avoir un travail reste toujours un défi.

L'approche médicalisée nous a toujours préoccupés. Il est facile d'obtenir une autre ordonnance. Il est beaucoup plus difficile de se sortir du système, d'arriver au point où on cesse d'être dépendant et où l'on peut avoir une bonne estime de soi. De votre côté, avez-vous mené des initiatives de ce type?

M. Hogan: Je crains qu'aux États-Unis nous ne soyons devenus trop sophistiqués pour faire des choses de ce genre, qui fonctionnent bien mieux. La vie est plus trépidante, les familles vivent en banlieue, le père et la mère travaillent tous les deux pour boucler les fins de mois. Ce tissu social fait défaut dans bien des localités. Dans ce domaine, je ne vois pas bien ce que je pourrais vous apporter. Pour tout dire, votre approche semble préférable à la nôtre qui consiste, pour l'essentiel, à essayer de trouver une meilleure façon de dépenser l'argent des gens. Votre approche est merveilleuse.

Ainsi, on sait pertinemment que les pasteurs ont plus de contacts ayant trait à la santé mentale que tous les professionnels de la santé mentale réunis. C'est quelque chose qu'a prouvé une recherche, il y a quelques années. C'est souvent à eux que les gens s'adressent s'ils ont des difficultés. Or, dans le système des soins de santé mentale, nous ne travaillons pas très bien généralement avec les représentants des églises et d'autres.

Le sénateur Cook: Je voudrais ajouter, pour mieux informer mes collègues, que l'église chapeaute l'initiative et assume le risque mais que le conseil est un organisme communautaire où siègent des consommateurs de la santé mentale. C'est un partenariat.

Dans ma province, il y a environ 30 ans, nous avons désinstitutionnalisé l'un de nos hôpitaux psychiatriques et sommes passés à un programme qui s'appuie sur la collectivité. Hélas, cela s'est fait sans beaucoup d'aide sociale de la part du gouvernement, mais nous nous sommes débrouillés. C'est le besoin qui a créé ce que nous avons aujourd'hui. Il reste de nombreux consommateurs de soins qui mènent des vies précaires dans des pensions. Nous avons toutefois ouvert des centres sociaux et ils ont évolué, passant d'un endroit où on venait se réchauffer et regarder la télévision à un endroit obtenant des subventions pour des programmes d'alphabétisation et bénéficiant de stages d'infirmières venues y effectuer une part de leur affiliation. Tout ceci s'effectue au sein de la collectivité, sans qu'on dépense beaucoup d'argent. Il y a de la coordination. Environ 140 personnes passent par notre centre social chaque jour, ce qui est une moyenne honorable. Un jour ou l'autre, ils seront en mesure d'aller plus loin, de continuer leur chemin, mais ils reviennent toujours au centre parce que c'est leur famille.

J'aimerais voir un programme de ce genre intégré à la santé communautaire, parce que ce sont des gens qui ont également d'autres besoins. Ils ont des maux d'oreilles, des maux de dents et des problèmes autres que leur maladie mentale. Nous devrions créer dans notre société un environnement qui se soucie de la personne dans son intégralité.

M. Emmet: C'est une structure qui a beaucoup à nous apprendre.

Aux États-Unis, on constate que certaines communautés — les Afro-américains et les Latino-américains — font rarement appel aux systèmes de soins de santé quand il s'agit de maladies mentales. La stigmatisation y est pour beaucoup. Toutefois, on sait aussi qu'ils s'adressent aux églises et à d'autres organismes communautaires pour essayer de faire face à leurs problèmes.

Il nous faut voir comment mettre des services appropriés à la disposition de ces gens par le biais des structures communautaires qui existent plutôt que de démanteler ces structures, qui rendent de nombreux services à ces gens, et d'imposer le système de soins de santé mentale tel qu'il est conçu aujourd'hui. Nous aurions beaucoup à apprendre de ce qui se fait à Terre-Neuve et ailleurs.

Le sénateur Cook: Si on répond aux besoins des gens là où ils se trouvent, on évite la compartimentalisation. Accorder aux ONG un financement adéquat permet d'apporter des secours aux gens au moment où ils sont les plus vulnérables.

M. Emmet: Aux États-Unis, on parle beaucoup de répondre aux besoins des gens là où ils sont. Il existe un programme de traitement communautaire dynamique visant à rencontrer les gens là où ils sont: dans les cafés, dans leur appartement et dans des cadres sociaux où ils sont à l'aise. On en parle beaucoup. Quant à savoir si on y parvient à grande échelle, c'est une autre histoire.

Le président: Monsieur Hogan, vu le caractère industrialisé de l'Ohio et le problème dont vous avez fait état il y a une minute, faites-vous des tentatives ou avez-vous des projets pilotes pour, comme le suggérait M. Emmet, rencontrer les gens là où ils sont, ou, selon les termes du sénateur Cook, dans le cadre de la collectivité? Ou bien, comme notre système de soins de santé, vous appuyez-vous beaucoup sur des institutions d'un type ou d'un autre?

M. Hogan: En écoutant le sénateur Cook parler, je me disais qu'il y a des mesures que nous prenons pour revenir à ce type d'approche. Les cliniques restent, indubitablement, la base de notre système. Et ce sont des cliniques qui fonctionnent généralement aux frais de l'État, mais qui sont gérées par des organisations à but non lucratif de la communauté.

Un événement important en Ohio et dans plusieurs États ressemble à ce dont le sénateur Cook a parlé. Dans la plupart de nos comtés, nous avons au moins une organisation, parfois plus, que dirigent des personnes qui se remettent d'une maladie mentale. Dans bien des cas, ces organisations ont commencé par quelque chose de petit et de non officiel, par exemple, une halte dans un centre ouvert quelques heures par jour. Dans certaines collectivités, ce sont de petites initiatives qui ont pris beaucoup d'envergure. Elles sont devenues des programmes de soutien à la santé mentale que distinguent notamment la compassion et les leçons tirées de combats parfois difficiles. Les personnes sur la voie du rétablissement peuvent travailler avec d'autres, qui ne sont pas aussi avancés, et leur apporter leur soutien. Certains de ces organismes ont leurs propres programmes d'hébergement et de recherche d'emplois. Ils sont remarquablement efficaces. Et, dans bien des cas, ils ont des budgets vraiment minimes.

Ils présentent en outre l'avantage de fournir de l'emploi à des personnes qui se rétablissent d'une maladie mentale. Ce ne sont pas encore des solutions de rechange à la clinique, mais c'est un à-côté d'une importance vitale.

Dans certaines collectivités, c'est de 4 à 5 p. 100 de toutes les ressources budgétaires qui sont attribuées chaque année à des programmes gérés par des consommateurs de soins de santé mentale pour des consommateurs de soins de santé mentale. C'est une variante de ce dont le sénateur Cook a parlé, mais une variante vraiment efficace.

Le président: Vous êtes-vous heurté à une certaine opposition à cette idée au sein de votre département? Dans le contexte canadien, dès que nous essayons de réaliser des choses en dehors de la bureaucratie, d'adopter une initiative de ce type, plus décentralisée plus locale, plus réceptive, la bureaucratie craint de perdre le contrôle. Elle veut savoir qui est aux commandes et comment cela va se faire. Elle envisage toujours une myriade de problèmes.

Si nous essayions de réaliser quelque chose de ce type, nous nous heurterions à une résistance considérable, ce qui ne veut pas dire qu'on doive s'en priver. Je me demande si vous avez le même type de problèmes de bureaucratie que chez nous.

M. Hogan: Oui, jusqu'à un certain point. Ce type de résistance est peut-être moindre, dans certains cas. En Ohio, les soins de santé mentale communautaires sont orchestrés par un conseil local au niveau du comté. Dans certains cas, plusieurs instances du comté peuvent se réunir pour former un seul conseil. Le conseil est une créature hybride qui relève de l'État, puisqu'il est fondé dans le cadre de la loi de l'État, mais aussi des comtés qui le parrainent. Ce sont les commissaires du comté qui nomment, au niveau local, les membres du conseil. Dans notre système, c'est à ces conseils qu'il revient de faire fonctionner les programmes de soins. Ce sont eux qui doivent se charger de la planification, de l'achat des soins. Ils se procurent les services auprès d'entités communautaires, généralement des organismes à but non lucratif. Il n'existe pas véritablement de monopole en la matière.

Mais oui, on peut se heurter à ce type de résistance. Le mouvement de défense des consommateurs existe à présent depuis une vingtaine d'années. Il a une logique et un dynamisme propres qu'il est difficile d'ignorer. Il existe des tensions. Bien des organismes connaissent des périodes difficiles et des problèmes de croissance. Il est difficile de faire tourner une petite entreprise; et il est sans doute encore plus difficile de faire tourner une petite entreprise quand tous les employés et les membres du conseil sont aux prises avec une maladie mentale. C'est inévitable.

Cependant, leur expérience et leur dévouement sont tels que cela finit par fonctionner. Les résultats sont incroyables. C'est une approche ardue, mais qui nous apporte beaucoup plus que l'argent qu'on y investit.

Le sénateur Trenholme Counsell: Avez-vous constaté une amélioration de la transmission des données les plus récentes aux docteurs, aux infirmières, aux travailleurs sociaux et aux enseignants, afin que ces personnes clés au sein des collectivités soient au courant des progrès qui sont réalisés? Car on a progressé à pas de géant au cours de la dernière décennie.

J'ai l'impression que les professionnels qui sont en contact avec les gens ne sont peut-être pas assez sensibilisés. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. Emmet: Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu une augmentation du tout. À vrai dire, informer les psychiatres, les travailleurs sociaux et les autres quant aux maladies mentales graves et aux nouvelles pratiques fondées sur les données probantes est une chose qui ne se fait pas dans notre système. C'est une lacune à laquelle nous devons nous efforcer de remédier.

Parmi les enseignants, comme vous l'avez mentionné, il peut exister un véritable désir d'en savoir plus long sur les troubles de comportement et sur ce que l'on peut faire quand on y est confronté, mais je ne pense pas que la formation soit à la hauteur.

Le sénateur Trenholme Counsell: Il me semble particulièrement important que les enseignants soient au fait de l'évolution des connaissances en matière de troubles d'apprentissage ou de comportement — non qu'on s'attende à ce qu'ils établissent un diagnostic ou conçoivent un traitement. Toutefois, avez-vous le sentiment que la formation n'est pas à jour dans ce domaine, aux États-Unis?

M. Emmet: Peut-être dans quelques cas, mais ce sont des exceptions.

M. Hogan: Je suis tout à fait d'accord avec l'orientation de votre question, sénateur, et d'accord aussi avec ce qu'a dit M. Emmet. Il y a un retard marqué dans ce domaine. Je pense que c'est, en bonne part, parce que le contenu de ce qui est enseigné est souvent contrôlé par des professionnels. Le contrôle est maintenu à la fois par les programmes de formation des universités et par les examens d'octroi des licences. C'est ce qui explique le retard; les gens en restent à la façon dont ils ont été formés, il y a 20 ans. C'est un indéniable problème.

Le sénateur Trenholme Counsell: Si les gens en première ligne, qu'il s'agisse de médecins de famille, d'infirmières praticiennes, de travailleurs sociaux ou de personnes dans les services d'urgence, n'ont pas pu, pour parler au figuré, aiguiser régulièrement leur crayon, on laissera se perdre de nombreuses occasions.

Je voulais vous demander jusqu'à quel point c'est ce qui se produit aux États-Unis. Je sais que des psychiatres, par exemple, élaborent d'excellents outils permettant dans certains cas aux médecins de famille et aux infirmières praticiennes d'effectuer le dépistage initial — de déterminer, par exemple, qui risque d'être bipolaire. Je sais d'expérience combien il est important d'identifier les personnes bipolaires, de déterminer qu'il ne s'agit pas simplement de dépression, d'hyperactivité ou de ceci ou de cela. C'est crucial; il en va de la vie de la personne.

Que l'on parle de difficultés d'apprentissage, de troubles anxieux ou bipolaires, ou encore de schizophrénie, les outils sont-ils élaborés aussi rapidement qu'ils devraient l'être et sont-ils transmis aux personnes qui devraient les utiliser?

M. Hogan: Ni leur élaboration ni leur transmission ne se font aussi vite que je le souhaiterais. Je vais vous parler d'une autre ressource qui peut vous intéresser.

L'un des outils de dépistage les plus intéressants élaborés, notamment pour les enfants, l'a été par l'Université Columbia à New York. Ils ont un projet ou un programme intitulé «Columbia Teen Screen». Je ne sais pas s'ils y parviendront un jour, mais leur but, à long terme, est de faire subir un test de dépistage annuel pour ces troubles à tous les jeunes Américains de 15 ou 16 ans.

Cela se fait pour la santé physique; si vous participez à un sport, vous devez rendre visite à votre médecin d'abord. Et pourtant, pour les adolescents, il est probablement plus important de se pencher sur la santé mentale et de voir s'il y a usage d'alcool ou de drogues, puisqu'ils ont tendance à être très robustes sur le plan physique.

Les tests de dépistage sont donc mis au point. Encore faut-il que les médecins ralentissent assez longtemps pour les utiliser parce qu'ils travaillent beaucoup et vite. Nous essayons de voir si les infirmières qui travaillent dans les bureaux des médecins seraient en mesure d'effectuer ces tests de dépistage.

En général, toutefois, c'est un problème auquel nous n'avons pas encore trouvé de réponse satisfaisante. Il se peut que le Canada soit mieux placé pour mettre l'accent sur le dépistage, étant donné la solidité de votre système de soins de santé dans son ensemble.

M. Emmet: Je voudrais ajouter que je suis tout à fait en faveur du Columbia Teen Screen, mais il s'agit de savoir ce qui sera fait lorsqu'on aura identifié un problème. Cela nous ramène à votre question sur la main d'oeuvre. Y a-t-il des spécialistes qui ont une formation au niveau des méthodes récentes qui peuvent s'occuper de tels cas? À bien des endroits, il n'y en a pas.

Le sénateur Trenholme Counsell: Ma dernière question correspond à ce thème en général. Je travaille avec une association qui s'occupe des troubles d'apprentissage. Je défends leurs intérêts et je les appuie entièrement. Les parents et ceux qui défendent leurs intérêts et qui sont membres de ces associations réclament des tests de difficultés d'apprentissage scolaire pour les enfants d'âge préscolaire. Nous savons qu'il y a un lien important entre les difficultés d'apprentissage scolaire et la dépression et aussi d'autres formes de maladies mentales.

Est-ce le cas aux États-Unis également, est-ce vrai que très peu de progrès ont été accomplis pour ce qui est de tester les enfants d'âge préscolaire pour déceler les difficultés d'apprentissage?

M. Hogan: Je dirais que c'est vrai, oui. Nous n'avons pas fait beaucoup de progrès.

M. Emmet: Je suis d'accord.

Le président: Je voudrais tout simplement dire à nos témoins que pendant plus d'un quart de siècle, le sénateur Trenholme Counsell a été omnipraticienne dans une petite collectivité.

Le sénateur Keon: Étant donné l'énorme complexité de tout ce domaine, je vais tenter de le simplifier et de vous demander votre aide à tous les deux car nous devrons ultimement rédiger un rapport.

Par le passé, au Canada, nous avions des asiles ou de grands hôpitaux de soins psychiatriques qui fonctionnaient à l'extérieur du régime de santé. Nous sommes toujours pris avec ce dinosaure. Certains croient toujours que c'était plutôt une bonne idée, mais la plupart des gens estiment que la santé mentale doit faire partie du cadre structurel des soins de santé. Au moins, cela comprend la santé mentale et ensuite, un jour, certaines personnes judicieuses pourront peut-être aborder les aspects sociaux de tout ce problème.

Je ne veux pas simplifier la question, mais selon vous, devrions-nous nous efforcer de développer le régime de santé mentale dans le contexte du régime de santé, pratiquement sans exclusion pour ce qui est de la santé mentale?

M. Emmet: Je pense que nous devrions tenter d'inclure la santé mentale dans le régime de soins de santé, à condition que la santé mentale soit une spécialité comme le sont d'autres branches de la médecine. On doit avoir la capacité de répondre de façon adéquate aux besoins des gens qui souffrent de maladie mentale aiguë et, plus spécifiquement, de schizophrénie, de troubles bipolaires, et cetera.

Idéalement et ultimement, cela doit se faire dans le contexte du régime de santé général. Cependant, la santé mentale sera toujours un élément de spécialité.

Le sénateur Keon: Peut-on faire cela dans le contexte du régime de santé, ou cela doit-il se faire à l'extérieur de ce régime?

M. Emmet: Je pense qu'il est possible de le faire dans le contexte du régime de soins de santé. En théorie, je crois que cela est possible. Aux États-Unis, le problème c'est qu'on ne fait pas table rase. Des systèmes parallèles ont été mis au point avec le temps, et, en toute honnêteté, je ne sais pas si on en arrivera à un point où il sera possible de bien intégrer la santé mentale au régime de soins de santé. C'est pour cette raison qu'au Canada, où il existe un régime de soins de santé universel, il s'agit peut-être d'un objectif plus réaliste.

M. Hogan: Permettez-moi de vous en parler plus en détail. Il me semble que vous avez un régime de soins de santé plus solide au Canada qu'aux États-Unis. C'est la première ligne de défense logique et il est raisonnable de s'attendre à ce que le régime de soins de santé puisse s'occuper assez bien de la plupart des gens qui souffrent de la plupart des maladies mentales si, et seulement si, il y des experts en santé mentale dans ce secteur du régime de soins de santé. Par exemple, un infirmier ou une infirmière en soins psychiatriques ou un psychologue ou encore un travailleur social au bureau du médecin. Les praticiens qui offrent surtout des services de première ligne n'ont pas le temps d'être des experts dans tout cela. C'est faire un pas de côté pour faire un pas en avant, mais il est possible de faire presque tout cela au sein du régime de soins de santé si on a les experts en santé mentale pour le faire.

Je pense qu'il vous faudra quand même une sorte de programme de soins spécialisés pour les personnes atteintes de troubles compliqués, comme la dépression qui n'est pas réactive aux médicaments, ou un trouble bipolaire compliqué ou encore la schizophrénie. Il faudra un programme spécialisé. Est-ce que cela peut s'intégrer au système de soins de santé? Je pense que c'est possible, mais ce programme doit être dirigé par des professionnels de la santé mentale, et il faudra fixer les limites entre ces deux domaines.

Autre chose qui est implicite, dans votre question, mais pas explicite: les asiles. Un expert en santé mentale des États- Unis, que M. Emmet et moi connaissons bien, dit souvent qu'une diminution des soins hospitaliers est peut-être une bonne chose, mais que si moins, c'est mieux, ça ne veut pas dire qu'une disparition totale des soins hospitaliers est appropriée. Il faut quand même fournir des soins hospitaliers pour les personnes atteintes de ces conditions, même si ces cas sont rares, qu'il s'agisse, par exemple, de soins qui durent des années et des années. Ce doit vraiment être un dernier recours, et ce n'est pas une très bonne idée.

Il y a une autre question complexe, distincte de la précédente, que nous ne couvrirons probablement pas: il s'agit des soins de santé mentale pour les personnes qui ont commis un crime. Le Canada et les États-Unis sont dotés de systèmes juridiques nés de la common law britannique. Si quelqu'un commet un crime mais ne peut être poursuivi ou reconnu coupable pour cause d'aliénation mentale, cette personne aura quand même besoin de traitements ou de soins. Ce traitement se situerait probablement à mi-chemin entre le système de justice criminelle et le système de santé mentale. Un tel traitement serait perçu comme un cas particulier.

Je suis généralement d'accord avec l'idée d'intégrer cela dans le système de soins de santé, s'il y a des professionnels de la santé mentale qui peuvent fournir des soins de première ligne. Il existe des programmes spécialisés pour les personnes atteintes de maladies complexes. Il faut également réfléchir aux personnes malades dans le système de justice criminelle.

Le président: Pour revenir aux questions relatives au système de justice criminelle, monsieur Hogan, y a-t-il des membres de votre personnel qui travaillent, non pas avec des criminels aliénés, mais avec les nombreuses personnes du système de justice criminelle qui purgent leur peine dans des établissements?

Honnêtement, je pense qu'ils ne sont pas vraiment soignés, dans la mesure où ils ne sont pas soignés du tout, au Canada. Le traitement est minime, presque nul. Cela veut dire qu'ils sont relâchés et que notre taux de récidive est élevé. Je ne sais pas s'il est aussi élevé que chez vous, mais je crois que cela se ressemble. Un traitement approprié pour les détenus atteints de maladies mentales réduirait ce taux de récidive de manière significative.

J'aimerais savoir si ma conclusion est exacte. Y a-t-il des gens qui dirigent de bons programmes et qui pourraient vous fournir des données qui appuient ma thèse — c'est-à-dire que le taux de récidive diminuerait significativement si les détenus atteints de maladies mentales étaient soignés correctement?

M. Hogan: Je suis un peu d'accord avec vous, et un peu en désaccord. Je suis d'accord qu'il faut fournir des soins de santé mentale aux détenus. En Ohio, nous avons fait beaucoup de travail en ce sens, mais il a fallu attendre des poursuites pour réagir. Finalement, nous avons décidé de créer un programme de santé mentale dans les prisons qui est géré par le système carcéral. Nous leur avons fourni des conseils sur la façon de créer ce programme. Maintenant, ce sont eux qui s'en chargent, et ils font du très bon travail.

Fournir des soins de santé mentale de qualité aux détenus, en soi, ne sera pas suffisant pour éviter la récidive, parce que les maladies persistent une fois que les patients sortent de prison. Il faut les mettre en contact avec des établissements qui fournissent des soins de santé mentale à l'extérieur, une fois qu'ils sont libérés. Alors, les taux de récidive baisseront.

M. Emmet: J'aimerais vous renvoyer à un document de référence qui vous serait sans doute utile, «The Criminal Justice Mental Health Consensus Projet». Ce projet a été coordonné par le Council of State Governments, aux États- Unis, et vous pouvez y accéder en direct, au www.consensusproject.org. Ce projet a rassemblé des spécialistes du système de justice criminelle et de santé mentale. Le Dr Hogan y a participé, dans une certaine mesure, et le directeur des services correctionnels de l'Ohio y a participé étroitement.

Dans ce document, et dans sa version électronique, on donne de nombreux exemples de programmes qui tentent d'atténuer ce problème soit au départ, par le biais de programmes de déjudiciarisation (mesure policière avant détention, par exemple), soit par des programmes judiciaires qui recommandent des soins plutôt que l'incarcération, soit par des programmes de réinsertion sociale qui visent précisément à réduire la récidive.

Nous avons des données sur quelques programmes de Chicago. Le programme des seuils fait état d'une réduction réelle de la récidive, pour les personnes qui sortent de prison pour intégrer des programmes en résidence, qui comprennent tous les services. Aux États-Unis, on s'est vraiment intéressé à ces programmes, et ce concept a fait bouger les choses dans les systèmes législatifs des États, et même au niveau fédéral.

Le sénateur Trenholme Counsell: Comment fonctionne la spécialisation des travailleurs sociaux en psychiatrie? Est- ce qu'aux États-Unis la formation de plus d'infirmières en psychiatrie, même si la pénurie touche beaucoup d'autres systèmes de soins de santé, et la formation de plus de travailleurs sociaux sont considérés comme une sous-spécialité, une super-spécialité, et est-ce que cela évolue dans votre pays?

M. Hogan: J'ai l'impression que nous avons probablement grandement besoin des deux. Le travail social s'intègre bien aux soins de santé mentale, car on met l'accent sur les soins communautaires, le travail avec la communauté, la reconnaissance du fait que les gens ont plusieurs problèmes différents et le suivi de ces personnes. De ce point de vue-là, la profession de travailleur social est tout à fait adaptée. La formation en soins infirmiers est peut-être plus forte, car elle tient compte du coté médical également. Aux États-Unis, il y a probablement davantage de travailleurs sociaux qui travaillent dans ce domaine qu'il y a d'infirmières.

Le problème, dans les deux cas, c'est que certains travailleurs sociaux et infirmières n'ont pas vraiment reçu une formation suffisamment axée sur la psychiatrie. Les infirmières ont leur diplôme d'infirmière autorisée, mais elles ne sont pas suffisamment formées en psychiatrie. Cependant, selon moi, ces deux professions sont les piliers de ces programmes. Il faut nous assurer que les travailleurs sociaux et les infirmières reçoivent, pendant leurs études, une formation en santé mentale. Nos programmes divergent à ce niveau-là.

M. Emmet: Il faut également nous assurer que les salaires sont suffisants, pour que ces personnes restent dans cette profession le plus longtemps possible.

Le sénateur Trenholme Counsell: Cette formation devrait être une spécialisation de plusieurs mois, afin d'acquérir l'expertise suffisante pour être à l'aise dans ce domaine. Tous les travailleurs sociaux ne voudront pas suivre une telle formation spécialisée.

Le sénateur Fairbairn: Je comprends que la situation est probablement aussi difficile aux États-Unis qu'au Canada, en matière d'évaluation universitaire, et cetera. Cependant, il existe de tels programmes dans les systèmes pénitentiaires. Dans quelle mesure sont-ils utilisés aux États-Unis? Des efforts sont déployés au Canada en ce sens, car il n'est jamais trop tard pour avancer, sur la question des problèmes d'apprentissage. Est-ce que ces efforts sont concluants aux États-Unis?

M. Emmet: Parlez-vous du système judiciaire juvénile ou du système judiciaire pour adultes?

Le sénateur Fairbairn: Je parle du système judiciaire en général. Beaucoup de détenus sont là en partie parce qu'ils souffrent de problèmes d'apprentissage.

M. Emmet: Je vous dirais que c'est un effort assez ponctuel, aux États-Unis. J'ai visité des prisons où il y avait des programmes qui essayaient de s'attaquer à ce problème. Mais j'ai entendu dire que dans la plupart des prisons, de tels programmes n'existaient pas.

M. Hogan: Je suis d'accord avec M. Emmet. Bien que ce soit très inégal, notre feuille de route est sans doute plus reluisante en ce qui concerne le traitement des maladies mentales, parce qu'en vertu de la Constitution, on ne peut pas être indifférent à cette question. Nous sommes tenus de traiter les maladies mentales en prison.

Or les problèmes d'apprentissage ne sont probablement pas considérés comme des maladies mentales. Je dirais que les interventions sont probablement, en moyenne, un peu moins bonnes que les interventions pour les autres maladies mentales, ce qui n'est pas très positif. Ce n'est qu'une supposition. Je suis d'accord, c'est très inégal, et il n'existe pas de bon modèle.

Le président: Je vous remercie tous les deux d'être venus. J'aurais quelque chose à vous demander. Dans les deux dernières heures, vous avez fait référence à des organismes et à des contacts. Si vous pensez à d'autres personnes à qui nous pourrions nous adresser, pouvez-vous nous envoyer un courrier électronique? Peut-être existe-t-il un bon site Web ou un rapport que nous devrions lire.

Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous en sommes au tout début de notre travail. C'est pourquoi vous pouvez nous aider à trouver d'autres sources d'information, des personnes, des organismes, des documents. Ce serait très utile.

Merci d'être venus.

La séance est levée.


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