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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 7 - Témoignages du 29 avril 2004


OTTAWA, le jeudi 29 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 07 pour examiner, afin d'en faire rapport, les questions qu'ont suscitées le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. En particulier, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale. Le comité doit également examiner le projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Voici la liste de nos témoins: du Service correctionnel du Canada, M. Motiuk et Mme Bouchard; de l'Université Simon Fraser, en vidéoconférence, Mme Margaret Jackson; de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, M. Bill Cameron et Mme Marie-Chantal Girard et, à titre personnel, Mme Pat Capponi.

Mme Pat Capponi, témoignage à titre personnel: Je demanderais au greffier du comité de bien vouloir distribuer mon mémoire. Je suis ici pour prendre la parole en tant que personne diagnostiquée comme patient psychiatrique chronique.

L'institutionnalisation signifie l'enfermement et les soins de garde dans les arrières-salles des institutions provinciales, parfois pour des décennies. Ceux que l'on a diagnostiqués comme étant des patients psychiatriques chroniques étaient infantilisés, drogués, lobotomisés, contrôlés et assujettis à des séances de chocs électriques. Leur monde se réduisait à des jeux de cartes interminables, à des programmes télévisés quotidiens et au tabac qu'ils fumaient constamment, seule récompense de leur obéissance. On n'attendait rien d'eux et ne leur faisait prendre aucune décision. Les patients apprenaient continuellement les leçons d'une dépendance absolue, comme dans les aspects de leur petite existence, ainsi que les conséquences sévères d'une résistance aux autorités.

Les patients ont été libérés — «désinstitutionnalisés» — dans une précipitation indécente, prescriptions, tickets d'autobus et adresses de maisons de chambres et de foyers en main. Cependant, ils portaient en eux les marques de l'institutionnalisation, puisqu'aucun effort n'avait été fait pour les réintégrer à la vie du monde réel. Ils arrivaient dans la communauté avec le restant des dollars économisés par la fermeture des lits.

Ils étaient fauchés, extrêmement vulnérables, ignorant leurs droits et leurs obligations, souvent analphabètes et sans compétences professionnelles, sans amis et avec peu de contact avec leur famille. Ils étaient mûrs pour l'exploitation, l'agression sexuelle et physique et les évasions au moyen de l'intoxication. Ils étaient sans défense. Dans ce nouveau monde, ils restaient enfermés dans la peur et la pauvreté et les réactions haineuses de leur entourage face à leur présence. Épuisées par des médicaments qui les diminuaient, ces personnes passaient de longues heures à dormir, jour et nuit, dans des pièces bondées.

C'était leur vie et les professionnels qui signaient leurs prescriptions pensaient que c'était tout ce dont ils étaient capables. Les années passaient. Beaucoup de patients mouraient de maladies physiques ou se suicidaient; d'autres continuaient cette existence de mort-vivant, alors que le progrès en soins de santé profitait à ceux que l'on jugeait plus méritants.

Alors que les patients plus âgés disparaissaient, de nouveaux hommes et de nouvelles femmes rangés dans la même catégorie sociale les remplaçaient et apprenaient rapidement les mêmes leçons d'impuissance et de défaite. L'institutionnalisation continuait dans les communautés, définie par le manque de soins et l'indifférence vis-à-vis de notre désespoir.

Certains d'entre nous, très peu au début, ont commencé à mettre en question les connaissances acquises sur notre identité et nos possibilités. Par le biais des médias, nous avons montré les conditions dans lesquelles on nous forçait à vivre. Nous avons commencé à intervenir auprès des administrations provinciales, civiles et politiques. Nous nous sommes posé la question: Où sont ces agences qui sont financées pour aider les anciens patients, mais qui en fait les excluent? Nous avons commencé une lutte dans les années 80, qui prit un quart de siècle avant de porter fruit et de faire changer les choses. Nous avons mené cette lutte en grande partie sans soutien et sans aide de ceux qui étaient responsables de nos soins, à quelques exceptions près.

La Dre Reva Gerstein, responsable du groupe d'intervention du maire de Toronto sur les malades psychiatriques sortants, a été la première à nous écouter et à réagir, ce qui, en soi, était stimulant et validait notre cause. Au fil du temps, nous avons obtenu le droit d'occuper des postes aux conseils d'administration des agences et de créer des conseils de patients dans les hôpitaux provinciaux. Plus important encore, nous avons réussi à faire reconnaître le besoin d'intégrer aux professionnels de la santé des personnes ayant un vécu psychiatrique.

Nous avons commencé à comprendre que notre apparence et nos émotions, la façon dont on nous avait forcés à vivre, notre isolement, notre exclusion, notre désespoir et cette pauvreté insupportable n'avaient pas grand-chose à voir avec les diagnostics qu'on nous donnait. Nous nous sommes tournés vers les plus démunis; le stress et la tension nerveuse que l'on vit lorsque l'on essaie d'avoir un toit au-dessus de sa tête et de la nourriture dans son estomac ressemblent aux symptômes des maladies mentales. Nous nous sommes rendu compte que nous étions misérables parce que nous étions coincés dans des circonstances misérables.

Nous avons commencé à lutter contre la pauvreté et l'impuissance en créant directement des entreprises gérées par des patients psychiatriques sortants. Mené par ma soeur Diana, qui avait vaincu une maladie psychiatrique et la toxicomanie, notre groupe a fait des pressions et a créé des entreprises gérées par des patients sortants dans la province de l'Ontario — ce qui constituait une scission radicale avec la réhabilitation professionnelle traditionnelle. Notre communauté a commencé à se rendre compte qu'il y avait des possibilités pour nous. Petit à petit, nous nous sommes dotés de modèles et de chefs. Nous réussissions, nous détruisions les mythes et les idées préconçues sur ce que nous étions et nous formions une communauté. Les patients psychiatriques chroniques s'engageaient à arriver à l'heure au travail. En acquérant de nouvelles compétences, nous arrivions à créer des relations amicales durables et saisissions toutes les occasions d'apprendre des expériences des autres. Nous avons réussi à lutter contre la stigmatisation à l'intérieur et à l'extérieur du système de santé mentale, où des millions de dollars ont été dépensés pour des campagnes de publicité élaborées qui n'ont pas marché.

Dans le quartier de Parkdale, à Toronto, par exemple, les hostilités des contribuables, de la classe politique locale et des entreprises étaient un facteur important de la peur et de l'isolation des patients psychiatriques. Un jeune employé du Ontario Council of Alternative Businesses, OCAB, a eu une idée, s'est adressé aux organismes d'amélioration des affaires du quartier et a offert de s'occuper des grosses jardinières en ciment qui se trouvaient à l'entrée des bâtiments, et qui à l'époque faisaient plutôt office de poubelles et de cendriers. Au cours des années, Parkdale Green Thumb Enterprises a été félicité et chaleureusement appuyé pour son professionnalisme et certains de nos pires détracteurs d'autrefois célèbrent aujourd'hui avec nous chacune de nos réalisations.

Pourtant, pour chaque réussite, il y a des échecs. Pour beaucoup, un patient psychiatrique reste un patient psychiatrique. Catégorisés comme tel, nous n'avons pas le droit d'être des êtres humains à part entière, ni d'avoir des personnalités de base, comme celles du reste de la population — bonnes, mauvaises, et tout ce qui existe entre les deux. Une personne schizophrène est une personne schizophrène, et chaque acte qu'elle pose est attribué à sa maladie et non à la nature sous-jacente de la personne ou de ses circonstances. Une personne qui est amère et en colère, qui est dépendante du crack ou qui est autrement toxicomane commet un acte terrible et des centaines de voix se lèvent contre tous ceux qui portent la même étiquette. Nos droits civils sont minés, puisque les lois sont adoptées «pour protéger la société» des patients psychiatriques.

Par conséquent, nous avons des équipes de suivi intensif dans la communauté, les équipes SIEC dont l'objectif principal est de s'assurer que les clients prennent bien leurs médicaments. Même si son mandat devait être plus large et qu'il l'est officiellement, il existe peu d'endroits où les équipes peuvent envoyer leurs clients et encore moins de possibilités dans les milieux de travail. Les employés mettent leur emploi en danger s'ils en parlent. Les dénonciateurs ne sont pas plus populaires en santé mentale qu'ils ne le sont à Ottawa. Les seules ressources dont nous disposons en abondance, sont encore une fois des psychiatres coûteux, des ergothérapeutes, du personnel infirmier et des travailleurs sociaux qui en sont réduits à fournir des médicaments et des seringues, à organiser des «sorties» et à garder le client dans la communauté.

D'abord, l'objectif de cette initiative a été rejeté par ceux qui étaient enfermés dans ces établissements terribles — «enfermés» dans le brouillard des médicaments. Il y a quelques années, lorsque nous avons remis en question la pertinence du financement des agences et des équipes uniquement pour garder les gens dans leur misère, nous avons demandé que ce soit le client qui juge du succès des programmes, à partir des critères axés sur la qualité de vie. Un foyer dans lequel nous n'avions pas peur de vivre, un emploi qui n'était pas de la réhabilitation professionnelle et des amis qui ne recevaient pas des honoraires pour passer du temps avec nous. À l'inverse, l'argent a été de plus en plus alloué pour garder les patients sortants dans des camisoles de force chimiques, pour le confort et l'homogénéité de la communauté. Si un client est déprimé et en colère que sa vie soit aussi limitée, s'il a peur d'un propriétaire abusif, si la pauvreté le laisse dans la faim et la nervosité, on augmente sa dose de médicaments. Si ce qui lui reste de vie à l'intérieur exprime de la colère, les doses le lui feront oublier.

Nous avons montré que ceux que l'on appelle les cas sérieux de maladie mentale qui travaillent dans ces entreprises gérées par des patients sortants ont besoin de moins de médicaments et passent moins de temps à l'hôpital. Nous avons montré que la pire chose que l'on pouvait nous faire, c'était de nous dire que nous n'arriverions à rien et que l'on ne peut rien attendre de nous. Cela risque de causer un autre épisode de psychose. Voler des vies, voler l'espoir et les modestes ambitions que nous avons en nous et les remplacer par des soins en milieu surveillé à l'intérieur ou à l'extérieur des institutions, c'est un crime perpétuel contre notre communauté et c'est la honte de notre pays.

Nous avons appris que nous ne pouvons dépendre de ceux qui travaillent dans ce système pour nous aider. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'ils nous perçoivent comme des personnes à part entière, derrière nos diagnostics obscurs. Nous avons besoin d'un peu des ressources allouées aux institutions et aux agences pour créer nos propres chemins et débouchés. Nous avons besoin que le gouvernement fédéral reconnaisse pleinement nos droits de citoyens.

Nous nous transformons, malgré la stigmatisation, la coercition et la pauvreté. Nous espérons faire changer ce système, qui au lieu d'aider et de guérir, continue de placer des obstacles, des barrières et des limites sur notre chemin. Nous voulons de l'aide, des gens qui sauront écouter et réagir, des ressources, l'accès à un logement, à une éducation et à un emploi décents.

Les maladies mentales sont suffisamment difficiles, mais les effets indésirables — les conséquences d'être catégorisé malade mental au Canada — ne devraient pas être tolérées dans notre pays. Nous avons perdu tellement ces dernières décennies, il est temps que cela change.

M. Larry Motiuk, directeur général, Recherche, Service correctionnel du Canada: C'est un honneur de témoigner aujourd'hui et de vous fournir de l'information au nom du Service correctionnel du Canada, SCC, sur la question de la santé mentale et des maladies mentales, surtout relativement au système correctionnel fédéral. Mme Françoise Bouchard, directrice générale des Services de santé du SCC, m'accompagne. C'est elle qui va commencer.

Mme Françoise Bouchard, directrice générale, Services de santé, Service correctionnel du Canada: L'année dernière, nous avons produit une série de rapports au SCC.

Notre présentation aujourd'hui sera axée sur le mandat du SCC, une description des questions et sur la prévalence des troubles mentaux chez les délinquants du Système correctionnel fédéral — M. Motiuk parlera de cette dernière question. Nous vous fournirons également de l'information sur la prévalence et la nature de ces problèmes de santé mentale ainsi qu'une description du continuum des soins en santé mentale et de la capacité du SCC aujourd'hui. Nous répondrons volontiers à vos questions.

Le mandat législatif du Service correctionnel du Canada est établi dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — qui énonce:

Le Service veille à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu'il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter son adaptation et sa réinsertion sociales.

En gros, les délinquants sous responsabilité fédérale ne sont pas considérés comme bénéficiaires du système de santé provincial et sont entièrement sous la responsabilité du fédéral.

De plus, voici ce que prévoit la politique du SCC: «Les détenus qui ont des troubles mentaux, caractériels et comportementaux doivent recevoir un continuum de soins essentiels selon les normes professionnelles et communautaires établies.?

M. Motiuk: Si vous regardez la page 5 de la présentation, vous verrez un tableau qui montre le cheminement des délinquants sous responsabilité fédérale ayant des troubles mentaux.

Je vais parler des contrevenants qui font partie du système correctionnel. Les contrevenants qui sont condamnés à deux ans ou plus d'emprisonnement sont notre responsabilité. Ceux qui sont condamnés à moins de deux ans relèvent des provinces. Lorsqu'il nous arrive après sa condamnation, chaque contrevenant passe par une évaluation exhaustive et détaillée. Je ne vais pas passer en revue les détails de cette évaluation, mais elle est très exhaustive. Elle prend un certain temps. Nous posons des questions fondamentales, au sujet de la santé mentale et des maladies mentales.

Après cette évaluation, nous concevons un plan correctionnel pour chaque contrevenant. Ils sont aiguillés soit vers un établissement ordinaire, soit vers un centre de traitement. Mme Bouchard décrira plus tard le genre de services qui sont offerts dans ces établissements.

À la page 6, vous trouverez un tableau. Comme je l'ai dit, nous évaluons systématiquement nos délinquants depuis un certain temps. Nous avons beaucoup travaillé, dans les années 90, pour mettre en place une approche systémique intégrée pour chaque admission, afin de savoir qui ils sont, quels genres de problèmes ils vivent et quels sont leurs besoins, pour pouvoir concevoir un plan de traitement individuel et personnalisé.

Ce diagramme vous montre les tendances de base que l'on observe sur une période de cinq ans, de 1997 à 2001. Nous avons mesuré quatre indicateurs pour chacune des admissions — entre 6 000 et 7 000 par an environ. Nous déterminons s'ils arrivent avec un diagnostic de troubles mentaux, s'ils ont été hospitalisés avant d'être admis et s'ils ont déjà été des malades externes.

Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, les courbes sont claires. Elles augmentent. En 1997, sur 100 délinquants venant des tribunaux et nouvellement admis dans le système correctionnel fédéral, six faisaient l'objet d'un «diagnostic actuel de trouble mental». En 2001, cette proportion était passée à 8,5 p. 100, une augmentation de près de 40 p. 100 en cinq ans.

Le tableau de la page 7 vous offre un instantané des caractéristiques à l'admission. Il y a une différence entre les délinquants à l'admission et ceux qui sont actuellement chez nous. Comme vous vous en doutez, beaucoup de délinquants purgent une peine très longue et d'autres sont emprisonnés à vie. Lorsque l'on prend un instantané de notre population de délinquants, nous déterminons combien arrivent chez nous avec un diagnostic et combien ont reçu des services de santé mentale avant leur arrivée.

Dans le cas de plus d'un homme sur dix et de deux femmes sur dix sous responsabilité fédérale, on a établi, lors de l'admission, qu'ils avaient déjà fait l'objet d'un diagnostic de trouble mental. Ce chiffre nous indique qu'environ 11 ou 12 p. 100 de notre population de délinquants ont actuellement des problèmes de santé mentale.

À la page suivante, vous verrez le genre de problèmes de santé mentale qui existent à l'admission. Vous ne serez pas surpris de voir que la majorité de la population des délinquants ont des problèmes importants de toxicomanie. Actuellement, nous savons que 80 p. 100 de notre population, à l'admission, nécessitent une intervention à ce sujet. On peut établir un lien entre la toxicomanie et leur crime ou leur infraction, dans presque 50 p. 100 des cas. Vous remarquerez également qu'un certain pourcentage d'hommes ont des problèmes relatifs au suicide ou autres perturbations affectives à leur arrivée.

À la fin des années 80, nous avons mené une étude épidémiologique d'envergure pour aller au-delà de la simple prévalence des maladies mentales de notre population, pour cibler la nature de ces troubles. Nous avons mené plusieurs études et je serai heureux de les mettre à la disposition des membres du comité. Elles ont été publiées et sont disponibles sur nos sites Internet. Ces études décrivent en détail la nature et la prévalence des troubles mentaux de notre population de délinquants. Vous trouverez certains de ces chiffres, qui font état de la complexité considérable des problèmes entourant les troubles recensés.

En ce qui concerne le nombre de comparaisons non seulement des personnes institutionnalisées mais également de celles qui sont supervisées, le SCC est actuellement responsable de 12 500 détenus et 8 000 ou 9 000 contrevenants en liberté conditionnelle qui sont actuellement supervisés par nos agents de libération conditionnelle. Nous comprenons que certaines de ces personnes peuvent soulever des préoccupations dans la communauté également.

Le tableau de la page 11 fait état de l'incidence des troubles mentaux concomitants. Il est clair qu'au sein de notre population de délinquants, beaucoup de cas présentent des troubles multiples. Nous avons fait plusieurs études sur las comorbidité, autant dans les systèmes correctionels provincial et féderal. Nous voyons qu'il existe des troubles mentaux concomitants. La toxicomanie est souvent associée à d'autres troubles importants.

Nous recensons dans notre population plusieurs grandes catégories de troubles dont la fréquence est deux à trois fois plus élevée chez les détenus que dans le reste de la population. Le taux de prévalence à vie de troubles mentaux lors de l'admission est de 84 p. 100. Il est deux fois plus élevé que celui observé dans la population générale.

Les tendances récentes indiquent que le pourcentage des délinquants de responsabilité fédérale ayant des problèmes de santé mentale augmente même si le nombre de délinquants admis dans les pénitenciers et la population carcérale diminuent. Bien que les délinquants souffrant de troubles mentaux ne forment toujours qu'une proportion relativement minime de la population carcérale globale, il y a lieu de s'inquiéter du fait que leur nombre augmente. L'accès aux services de santé mentale et aux traitements, en particulier aux médicaments, exige une intervention toujours plus efficace de la part de SCC.

Mme Bouchard: Nous vous avons également apporté une publication récente de l'Association canadienne de santé publique qui donne une bonne idée de l'évaluation des besoins en santé des détenus fédéraux au Canada. Il y a un chapitre qui porte sur la santé mentale. Elle comprend certaines des études dont M. Motiuk a parlé. Elle fournit également une description plus détaillée de certaines questions relatives à la santé mentale et à la récidive. J'en remettrai des exemplaires au comité.

En tant qu'organisme, nous devons nous occuper de la question du traitement des détenus atteint de maladie mentale. Il existe deux types de besoins chez les détenus: les besoins criminogènes — la nature même des centres correctionnels — et les besoins de traitements en santé mentale. Les soins de santé mentale pour les délinquants servent à réduire les effets invalidants des maladies mentales graves afin d'optimiser la capacité de chaque détenu de participer de plein gré aux programmes correctionnels; à contribuer au maintien d'un milieu carcéral sûr pour le personnel, les détenus, les bénévoles et les visiteurs; et à atténuer les extrêmes inutiles de la souffrance humaine causée par la maladie mentale.

Grâce aux traitements reçus, les délinquants ayant des troubles mentaux sont davantage en mesure de suivre leur plan correctionnel, de participer aux programmes et de se préparer en vue de leur mise en liberté.

Un éventail de soins de santé mentale a été recommandé au SCC, et nous le mettons en application. Il comprend l'intervention en situation de crise, les programmes de soins actifs, les programmes de soins chroniques, les unités spécialisées, le traitement des malades externes dans les centres de traitements plutôt que les institutions, les services de consultation dans nos institutions, ainsi que la planification des congés et des transferts.

Où en sommes-nous?

Nous avons mis sur pied cinq centres régionaux de traitement dont quatre sont des hôpitaux psychiatriques dans les provinces où ils sont situés. Dans la région de l'Atlantique, il y a le centre de rétablissement Shepody qui offre 40 places; dans la région du Québec, l'Unité de santé mentale de l'établissement Archambault, 120 places; dans la région de l'Ontario, le Centre régional de traitement — pénitencier de Kingston, 149 places; dans la région des Prairies, le Centre psychiatrique régional, à Saskatoon, 194, places et dans la région du Pacifique, le Centre régional de traitement, établissement du Pacifique, avec 192 places.

Nous fournissons également des soins intermédiaires et ambulatoires dans nos établissements ordinaires. Les soins intermédiaires pour délinquants atteints de troubles mentaux chroniques ou nécessitant une intervention d'urgence et des soins transitoires sont fournis par des membres du personnel de la santé mentale — surtout des psychologues, des infirmiers et infirmières et des psychiatres à contrat — dans des cliniques rattachées aux établissements ordinaires.

Chacun de nos établissements comprend ce qui est censé constituer une équipe de santé mentale pour surveiller, évaluer et traiter les personnes atteintes de troubles mentaux. Les soins ambulatoires sont fournis principalement par les psychiatres et le personnel infirmier aux délinquants qui ont besoin de soins de santé mentale supplémentaires pendant leur incarcération dans un établissement ordinaire. Nous fournissons également des programmes psychoéducatifs et des programmes de prévention. Nous avons mis sur pied un programme de prévention du suicide, par exemple.

Nous avons des problèmes de capacité dans le système correctionnel fédéral. La SCC dispose de cinq centres de traitements spécialisés répartis dans l'ensemble du pays. Ces centres ne sont toutefois pas munis de ressources comparables à celles des établissements communautaires de psychiatrie légale dans les provinces. L'effectif du SCC compte de nombreux psychologues; toutefois, leur tâche principale consiste à évaluer le risque aux fins de la prise de décisions en matière de mise en liberté sous condition. Par conséquent, nous avons souvent du mal à répondre aux besoins urgents, plus qu'aux besoins à long terme.

Actuellement, le personnel correctionnel n'obtient aucune formation particulière dans le domaine de la santé mentale. Or, étant donné que de plus en plus de délinquants présentent ce genre de maladies, il est clair que notre personnel doit avoir des compétences spécialisées pour gérer leurs besoins et s'en occuper.

En s'occupant des besoins des délinquants qui nécessitent des soins spécialisés de santé mentale, on peut réduire le phénomène de la «porte tournante». Il existe ce que l'on appelle une porte tournante entre les services correctionnels, à la fois fédéraux et provinciaux, mais également dans les communautés, où les gens atteints de troubles de santé mentale se retrouvent dans le système de justice criminelle. Alors que les délinquants ayant des troubles mentaux sont moins susceptibles de récidiver — notamment de manière violente —, ils sont plus susceptibles de retourner en prison à cause d'une violation de leur liberté conditionnelle, qui est souvent le résultat d'un soutien inadéquat lorsqu'ils réintègrent la société.

À partir des éléments dont nous venons de vous faire part, nous avons certaines observations. Il faut établir une stratégie des besoins pour fins d'identification et de traitement des délinquants présentant des problèmes de santé mentale. Même si nous essayons de procéder à un examen lors de l'admission des délinquants, il reste beaucoup à faire en matière d'identification des délinquants atteints de problèmes de santé mentale, dès leur incarcération. C'est ce qui doit se produire dans les systèmes provinciaux également.

Il faut établir un lien entre le système de justice et les soins de santé au sein des provinces. La recherche des solutions doit débuter avant l'incarcération, pour les délinquants présentant des problèmes de santé mentale. Dans le système correctionnel fédéral, il faut améliorer la capacité de diagnostic et de traitement. Cependant, on ne nous garantit pas des ressources supplémentaires pour cela. Actuellement, nous faisons un examen de notre utilisation des lits dans nos centres de traitement, pour optimiser les ressources et les affecter à ceux qui en ont le plus besoin. Parfois, cela nécessite un changement de culture, entre la culture correctionnelle et la culture du traitement, ce qui veut dire qu'il reste beaucoup de travail à faire.

Notre dernière observation porte sur l'importance d'aplanir les conflits de compétences pour assurer la continuité des soins lors de la libération dans la communauté. Cela exige de meilleurs liens entre nous, le système correctionnel fédéral et nos homologues provinciaux ainsi que les professionnels des soins de santé mentale. Les partenariats sont la clé pour combler les lacunes de ce genre, mais qu'est-ce qui nous incitera à établir de tels partenariats?

Mme Margaret Jackson, directrice, Institut d'études en politiques de justice pénale, Université Simon Fraser: Madame la présidente, honorables sénateurs, merci de me donner la possibilité de prendre la parole aujourd'hui.

J'aimerais traiter de plusieurs questions qui ont déjà été soulevées ce matin, surtout au sujet de la prévalence des maladies mentales et de la toxicomanie au sein de la population carcérale fédérale. Ce que je vais vous dire vous semblera peut-être redondant, mais je crois que cela peut être interprété un peu différemment, alors je vous demande d'être patients.

Je vais parler du taux de prévalence, et des difficultés qui découlent des problèmes associés à ce qui me semble être un manque de programmes holistiques pour établir des liens entre ces différents types de maladies — c'est-à-dire, les maladies mentales et la toxicomanie. Enfin, et plus généralement, j'aimerais intégrer cette réflexion au cadre stratégique général.

Mes sources principales pour cette information, en plus de mon propre bagage, sont la dernière édition de La revue canadienne de santé publique, dont on a parlé plus tôt et qui a été distribuée, ainsi qu'un entretien avec le Dr Johan Brink, qui est actuellement directeur de recherche à la Forensic Services Commission de la Colombie-Britannique. Il est l'auteur d'une des deux seules études répandues sur les maladies mentales chez les détenus des services correctionnels fédéraux, ceux qui font partie de l'aperçu que vous avez et les autres.

Je soulignerais ce qui me semble être une question clé, c'est-à-dire le taux de prévalence important. Il est compréhensible en partie étant donné que ces études sont stressantes par définition et peuvent exacerber les maladies existantes. On pense que cette prévalence est grandement sous-estimée, à cause des ressources inadéquates affectées aux évaluations, au traitement et au suivi des maladies mentales, surtout étant donné les taux élevés de comorbidité, dont on a parlé plus tôt. C'est, par exemple, quelqu'un qui est diagnostiqué comme étant à la fois malade mental et toxicomane.

La situation est empirée par l'absence de protocoles d'évaluation normalisés des troubles mentaux lors de l'arrivée du détenu au SCC. Les études effectuées dans d'autres systèmes carcéraux ont révélé que les taux de détection pour troubles mentaux dans les prisons lors de l'évaluation préliminaire sont assez faibles; en fait, seule une minorité de ceux qui sont atteints de psychoses graves ou d'autres troubles mentaux sont identifiés. Le Dr Brink est d'avis que le taux normal de détection est très faible ici au Canada lors de l'arrivée d'un détenu en milieu carcéral. L'étude qu'il a effectuée en Colombie-Britannique a révélé que 84 p. 100 des détenus avaient un diagnostic psychiatrique DSM4 de maladie mentale passagère ou chronique accompagnée de toxicomanie — soit plus de deux fois la moyenne de 40,7 p. 100 identifiée chez la population canadienne mâle en milieu non carcéral. De plus, des troubles associés à la toxicomanie ou à l'alcoolisme ont été identifiés dans la majorité des détenus qui, selon les critères, avaient des signes diagnostiques de consommation excessive ou de dépendance.

Quant à la comorbidité, il faut des programmes appropriés qui reflètent et reconnaissent ce problème. Vous pouvez, par exemple, déterminer que 75 p. 100 de ceux qui sont diagnostiqués schizophréniques ont également reçu un diagnostic pour un ou deux autres troubles mentaux. Fait singulier, les détenues, même si les chiffres n'ont pas été validés dans les études disponibles, connaissent des taux plus élevés, de troubles mentaux et de problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme, y compris des taux de suicide plus élevés, que chez les détenus, et elles connaissent les mêmes problèmes associés à la comorbidité. Le tableau faisant état des taux de prévalence qu'on vous a fourni vous donne une autre ventilation des résultats obtenus lors de cette étude, en fonction du niveau de sécurité et du genre du détenu.

Aux problèmes liés au diagnostic approprié de troubles mentaux à l'arrivée au SCC, s'ajoute le fait qu'on n'accorde pas une attention suffisante à l'identification des troubles mentaux dans les centres de détention provisoire et qu'on ne dispose pas des ressources adéquates pour assurer une véritable réaffectation des détenus. Très peu d'entre eux ont accès à des évaluations psychiatriques spécialisées avant l'instruction et, même s'il est vrai que l'on en connaît plus long sur les taux d'incidence des principaux troubles mentaux, on en connaît beaucoup moins sur les troubles qui traditionnellement ont été jugés moins graves, mais qui pourraient contribuer de façon marquée au comportement criminel. Par exemple, il suffit de mentionner l'hyperactivité avec déficit de l'attention, des troubles d'impulsion graves, le SAF et les effets de l'alcoolisme foetal, l'anxiété et les troubles d'humeur, les antécédents de traumatisme cérébral et de graves troubles de personnalité, outre le comportement antisocial.

Le problème est peut-être attribuable, en partie, au fait qu'il n'existe aucun lien entre les paradigmes et les objectifs du système correctionnel et du système de santé mentale. Évidemment, l'établissement de programmes par le secteur des services correctionnels porte sur l'identification et la réduction des facteurs-risques criminogènes qu'on a mentionnés plus tôt afin de réduire la récidive. Les objectifs de traitement de troubles mentaux visent à s'attaquer aux troubles mentaux et donc à améliorer la capacité de fonctionner du détenu. À mon avis, il faut s'occuper de ces priorités si l'on veut que le détenu puisse profiter pleinement des autres types de programmes, comme ceux offerts par les services correctionnels.

De plus, en milieu correctionnel, comme nous l'a dit le premier témoin, un stigmate est associé aux troubles mentaux et les détenus hésitent donc à obtenir des traitements ou à continuer à les recevoir. Pour les troubles mentaux diagnostiqués, les centres psychiatriques régionaux ont lancé des programmes de traitement qui sont de bons modèles. Cependant, il existe peu de ressources de ce genre dans les pénitenciers. Il existe divers programmes pour ceux qui ont des problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme dans les pénitenciers et toutes sortes d'autres programmes comme le traitement de méthadone et les programmes d'aide aux toxicomanes et alcooliques offerts avant la libération du détenu; il y a également des programmes offerts en communauté. Le fait est que ces deux types de troubles mentaux devraient être traités ensemble parce qu'ils se présentent souvent chez le même détenu.

Les mêmes problèmes existent une fois que le détenu est libéré, comme on nous l'a dit, car bien souvent il ne reçoit pas de traitement pour un trouble mental qui n'a pas été diagnostiqué à cause de la stigmatisation et de la résistance qui existent au sein de la communauté, des services de soins de santé, des cliniques et des centres d'hébergement, qui hésitent à accepter un ancien détenu qui souffre de troubles mentaux. Ainsi, cet ancien détenu peut se retrouver sans abri et sans système de soutien. L'exemple présenté dans cette brochure explique bien la situation, mais je crois que le témoignage du premier témoin était beaucoup plus convaincant pour illustrer ce que vivent ces détenus.

Il n'existe souvent pas de services de traitement ou de counselling appropriés dans la communauté et cela crée un système à porte tournante ou de thérapie au petit bonheur, si bien que ces particuliers font la navette entre le centre de santé mentale et le pénitencier et qu'aucune solution n'est offerte à leur problème. Cela se produit en partie parce qu'on essaie depuis longtemps de donner leur congé à ceux qui normalement auraient reçu des traitements dans un contexte institutionnel. Il en résulte une désinstitutionnalisation dans le système de santé mentale et une institutionnalisation des malades mentaux dans le système carcéral.

Les principaux aspects de ce phénomène dont nous discutons aujourd'hui concernent la politique et la procédure. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de 1992, dont on a parlé plus tôt, oblige le personnel de SCC à veiller à la protection des droits de la personne de tous les détenus. En plus de mettre l'accent sur la protection des droits de la personne, je dirais qu'il existe sans doute des préoccupations relevant de l'article 7 de la Charte sur une question connexe de sécurité de la personne dans le cas des détenus.

Je conviens également qu'en bout de ligne, l'examen de l'énoncé du mandat et des objectifs du Service correctionnel du Canada sera le dernier moyen de comprendre les problèmes, le diagnostic et le traitement des troubles mentaux en milieu correctionnel; et l'absence de liens holistiques en matière de traitements et de programmes entre l'abus d'alcool ou d'autres drogues et d'autres troubles mentaux.

Le mandat du SCC consiste à encourager activement les contrevenants à devenir des citoyens respectueux des lois et à les aider en ce sens. Il consiste à leur offrir des possibilités de développer des aptitudes sociales et des connaissances pratiques tout en exerçant un contrôle raisonnable, sûr et humain. C'est le critère évident en fonction duquel on peut évaluer l'efficacité du SCC au niveau du diagnostic, du traitement et de la réadaptation des contrevenants ayant des troubles mentaux qui se trouvent dans le système et après leur libération du système, lorsqu'ils sont de retour dans la communauté en tant que citoyens respectueux des lois.

En utilisant ce critère, nous avons constaté ce matin une lacune pour ce qui est de la concrétisation de ces objectifs. J'appuie les recommandations formulées par le témoin précédent. J'ai des recommandations supplémentaires à faire dont je parlerai au moment des questions.

La vice-présidente: Madame Jackson, nous nous assurerons que notre compte rendu décrit correctement votre position.

Nous allons maintenant entendre M. Bill Cameron et Mme Marie-Chantal Girard de Ressources humaines et Développement des compétences Canada.

M. Bill Cameron, directeur général, Secrétariat national pour les sans-abri, Ressources humaines et Développement des compétences Canada: Je tiens à préciser que nous faisons partie de RHDC, mais que le Secrétariat général pour les sans-abri relève de Mme Claudette Bradshaw, qui est la ministre du Travail et la ministre responsable des sans-abri.

L'Initiative nationale pour les sans-abri a été lancée en 1999. Il s'agit d'une initiative communautaire visant à atténuer et, dans une certaine mesure, à prévenir l'itinérance dans certaines collectivités du Canada. Il y a environ 61 collectivités au Canada qui participent au programme, ce qui représente plus de 75 p. 100 de la population. Le principe fondamental de l'Initiative nationale pour les sans-abri repose sur la communauté. En d'autres mots, les groupes communautaires et les intervenants se réunissent pour établir un plan communautaire destiné à régler le problème du sans-abrisme à court et à long terme au sein de la collectivité. Le processus de planification consiste entre autres à déterminer les lacunes et les priorités dont il faut s'occuper en ce qui concerne les sans-abri.

Le deuxième élément principal pour les sans-abri, c'est que la collectivité décide elle-même des priorités qui seront financées et la collectivité est chargée d'obtenir le financement à l'aide d'une demande de propositions. L'Initiative nationale pour les sans-abri est principalement une initiative communautaire, dirigée par la collectivité. Les décisions sont prises par la collectivité et, dans certains cas, exécutées par les collectivités et les municipalités et une vaste gamme de partenaires, depuis des entités autochtones jusqu'à des entités municipales. Le programme comporte un volet autochtone. Nous travaillons en collaboration avec une vaste gamme de partenaires d'un bout à l'autre du Canada.

L'objet de l'Initiative nationale pour les sans-abri est d'assurer un vaste continuum d'appuis pour encourager l'autonomie et empêcher les personnes à risque de devenir sans-abri. Il existe une vaste gamme de mécanismes de soutien pour entre autres évaluer les besoins; offrir une action sociale; un hébergement d'urgence — comme des refuges; des installations de transition et des logements avec services de soutien utilisés lorsque les personnes passent de refuges à des établissements de transition et de soutien destinés à faciliter leur transition vers un style de vie indépendant qui leur offre des moyens d'existence durables; et bien entendu le renforcement des capacités au niveau communautaire. Nous devons travailler en collaboration avec les collectivités pour tâcher de régler le problème des sans-abri en faisant appel à un vaste éventail de groupes. Il s'agit d'un problème complexe et difficile et les groupes communautaires ont besoin de tout l'appui qu'ils peuvent obtenir.

[Français]

Les questions de santé mentale sont abordées à deux niveaux dans le cadre de l'INSA. Elles sont abordées au niveau de nos investissements dans les collectivités pour atteindre les priorités fixées et au niveau du plan d'action pour les partenaires de recherche. Selon l'approche adoptée, chaque collectivité décide du champs dans lequel elle désire investir et se fixe des priorités en fonction des objectifs.

Les données résultant de ces projets ont révélé que l'un des groupes visés est celui des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

[Traduction]

C'est la collectivité qui décide où elle investira et quelles seront les priorités dont elle s'occupera.

Selon nos rapports communautaires, nous avons investi environ 35 millions de dollars dans des projets visant des sous-populations où il y a des maladies mentales. Tous ces projets servent essentiellement à établir un modèle permettant d'indiquer le groupe qui sera ciblé par un projet en particulier, et l'un de ces groupes se compose de personnes ayant une maladie mentale. Le projet pourrait comporter de la formation, il pourrait porter plus précisément sur le syndrome d'alcoolisme foetal et les effets de l'alcool sur le foetus, ou il pourrait offrir des installations de soutien.

Nous avons deux exemples du type de travail que nous faisons. Il existe à Calgary une organisation appelée la Horizon Housing Society. Cette organisation a fait l'acquisition d'un immeuble à appartements qui servira de logement provisoire pour les personnes atteintes de maladie mentale, qui sont sans abri ou qui risquent de le devenir. Un autre exemple est le Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto qui a mis sur pied un projet pilote de partenariat avec des organismes qui travaillent avec les sans-abri pour améliorer l'accès de leurs clients aux services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie offerts par le centre.

L'un de nos produits clé est leur investissement. Notre programme de recherche est la deuxième façon dont l'Initiative nationale pour les sans-abri oriente ses activités à l'intention de cette sous-population en matière de santé mentale.

La santé fait partie des catégories établies dans le cadre de notre programme national de recherche. La maladie mentale est notre première préoccupation dans ce domaine. En fait, demain nous publierons une demande de propositions, et nous poserons les questions suivantes concernant la santé mentale: Quelle est la proportion des sans- abri parmi les personnes désinstitutionnalisées? Quelles sont les répercussions de la désinstitutionnalisation sur les sans- abri et sur la société? Dans quelle mesure les services de soins et les mécanismes de soutien en santé mentale sont-ils accessibles aux sans-abri ayant des problèmes de santé mentale? Quelles sont les lacunes et les carences des modèles actuels? Quelles sont les pratiques exemplaires? A-t-on tendance à criminaliser et à victimiser les sans-abri ayant des problèmes de santé mentale?

En ce qui concerne les sans-abri et la santé mentale, nous prévoyons nous pencher sur la disponibilité et l'accessibilité des services médicaux à la population.

Dans le cadre de notre programme de recherche, nous sommes en train de travailler en partenariat avec les Instituts de recherche en santé du Canada à l'Initiative destinée à réduire les disparités sur le plan de la santé et promouvoir l'équité pour les populations vulnérables. L'un des projets financés en 2003 dans le cadre de ce partenariat est un groupe communautaire de recherche qui a réuni des chercheurs et des représentants de la communauté qui travaillent dans le domaine pour déterminer les orientations et les démarches en matière de recherche en ce qui concerne la santé et les sans-abri et d'étudier des mécanismes possibles permettant d'assurer une collaboration permanente. Vous constaterez tout au long de notre présentation que la collectivité est toujours présente.

Ce document de travail écrit pour le groupe de réflexion se trouve sur notre site Web.

Le document donne un aperçu de la recherche existante et fait entre autres remarquer que contrairement à une idée fausse largement répandue, seule une faible proportion des sans-abri souffrent de schizophrénie, et que les troubles affectifs sont plus courants.

Les résultats de notre recherche, de même que les renseignements provenant des plans communautaires nous ont permis de rassembler des renseignements concernant la situation à laquelle font face les sans-abri ayant des problèmes de santé mentale. Ces sources, toujours communautaires, nous ont permis de constater certains faits: environ 30 à 35 p. 100 des sans-abri en général ont une maladie mentale, et environ 20 à 25 p. 100 des sans-abri souffrent de troubles concomitants, c'est-à-dire un mélange de maladie mentale grave et de toxicomanie.

Des données empiriques semblent également indiquer qu'une importante proportion de sans-abri chroniques, c'est- à-dire les sans-abri à long terme qui font une consommation disproportionnée des ressources comme les services médicaux d'urgence et les services de maintien de l'ordre, ont une affection incapacitante, telle qu'une maladie mentale. En fait, entre 20 et 25 p. 100 des sans-abri chroniques représenteraient probablement jusqu'à 50 p. 100 des coûts des services d'urgence et de soins de santé.

Un grand nombre des services de santé à l'intention des sans-abri se trouvent à être assurés dans les salles d'urgence. Les sous-populations comme les jeunes, les femmes, les Autochtones et les personnes atteintes de maladies mentales peuvent également avoir des troubles de santé uniques qui exigent une approche spécialisée.

Les sans-abri font face à de nombreux obstacles qui les empêchent d'avoir accès à des soins de santé. Par exemple, un grand nombre d'entre eux n'arrivent pas à obtenir un rendez-vous avec le médecin, et il leur est difficile de recevoir des soins coordonnés parce qu'ils n'ont pas d'adresse ni d'endroit où on peut communiquer avec eux.

La toxicomanie est moins fréquente chez les femmes célibataires sans abri que chez les hommes célibataires sans abri, mais le taux de dépression grave est plus élevé. Bien que la plupart des femmes sans abri n'aient pas de maladie mentale grave, elles affichent des taux disproportionnellement élevés d'importants troubles mentaux et d'autres problèmes mentaux. De nombreuses femmes sans abri ayant de graves maladies mentales ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin, apparemment parce qu'on ne détecte pas l'existence d'un problème de santé mentale et parce qu'il n'existe pas de services destinés à répondre aux besoins particuliers des femmes sans abri.

Il est difficile d'établir un lien de cause à effet entre le sans-abrisme et la santé mentale. Nous savons que les problèmes de santé mentale peuvent entraîner le sans-abrisme, mais le fait d'être sans abri peut aussi entraîner des problèmes de santé mentale, compte tenu du traumatisme que représente le fait de vivre sans le sou et dans la misère.

La consommation excessive de drogues de la part de toxicomanes sans abri va souvent de pair avec des problèmes de santé physique et des démêlés avec la justice.

[Français]

Le plan communautaire nous a permis de relever certaines lacunes au niveau des services fournis à ce groupe. On remarque particulièrement un manque de logements d'urgence répondant aux besoins des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. On remarque également une pénurie de logements supervisés où peuvent séjourner, pour une période déterminée, les personnes souffrant d'une maladie mentale ou physique chronique. On a aussi observé certaines lacunes au niveau des ressources en soins communautaires pour la santé mentale.

[Traduction]

Quant à savoir ce que nous pouvons faire pour les sans-abri qui ont une maladie mentale, nous savons que le fait d'avoir un endroit sûr où vivre est un facteur important pour les encourager à ne plus vivre dans la rue. L'Association canadienne de la santé mentale, dans le mémoire qu'elle a présenté au comité en juin dernier, a reconnu l'importance fondamentale du logement abordable et accessible comme élément clé dans la santé et l'efficacité de soins à domicile pour cette population. Cependant, nous sommes également conscients que cela n'est peut-être pas suffisant pour les personnes ayant des maladies mentales graves et de sérieux problèmes d'accoutumance.

L'expérience indique que l'on peut réduire le nombre des sans-abri chroniques en leur permettant de sortir de ce cycle et de faire la transition vers un autre mode de vie. Un facteur clé est l'existence de logements sûrs et abordables qui offrent des services de soutien individualisés. Cependant, la difficulté à laquelle font face les collectivités, c'est de disposer d'installations et de services de soutien à plus long terme pour aider les sans-abri chroniques dont un grand nombre sont atteints de maladies mentales.

L'Initiative nationale pour les sans-abri, qui est une initiative parmi tant d'autres, a déjà aidé les collectivités à surmonter un certain nombre de ces difficultés. Au cours des trois premières années de mise en oeuvre de l'initiative, on a établi l'ordre des priorités des besoins urgents, des refuges et des mécanismes de soutien pour les situations d'urgence. L'étape deux de cette initiative vise à permettre à la collectivité d'aller au-delà des besoins urgents, d'établir la priorité du logement de transition et de soutien afin de favoriser la transition vers l'autonomie. Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale ont effectivement besoin de logements avec services de soutien. Les refuges ne sont pas des endroits sains. Nous considérons qu'une personne qui se trouve dans un refuge est toujours sans abri et doit être transférée dans des installations qui offrent des services de soutien afin que ces personnes puissent obtenir l'aide dont elles ont besoin.

Une deuxième méthode connue pour permettre de réduire le nombre de sans-abri chroniques consiste à prendre des mesures pour éviter que des personnes deviennent sans abri. À titre d'exemple, des mesures préventives pourraient comprendre des logements abordables destinés aux personnes qui sortent d'établissements psychiatriques, et des services de suivi intensif à court terme offerts immédiatement après que les gens sortent de l'hôpital, d'un refuge ou de prison.

Pour mieux mettre l'accent sur la prévention, nous devons travailler en collaboration avec nos partenaires, y compris d'autres ministères fédéraux, les provinces et les territoires, ainsi que les municipalités et les collectivités, puisque ce sont là où se trouvent un grand nombre des outils nécessaires.

Même si le gouvernement fédéral, notamment par le biais du Transfert canadien en matière de santé et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, fournit aux provinces et aux territoires un financement pour appuyer les services de santé mentale et le soutien du revenu, les niveaux de financement pour les services de santé mentale, les tarifs des fournisseurs de logements de transition et de soutien et l'aide au revenu pour les particuliers relèvent tous de la compétence des provinces, des territoires et des municipalités. J'estime que c'est un point important à souligner.

Pour terminer, quand nous parlons de santé mentale ou des sans-abri, aucun palier de gouvernement ne peut régler à lui seul le problème des sans-abri, pas plus qu'une initiative fédérale comme l'Initiative nationale pour les sans-abri. Il nous faut une approche globale de la part du gouvernement fédéral et des pouvoirs publics à tous les échelons.

Pour combattre l'itinérance, il faut que les gouvernements et la société en général s'attaquent à ses causes profondes. C'est ainsi que nous préviendrons le problème. Les pouvoirs publics à tous les échelons doivent revoir leurs politiques et leurs programmes et les modifier en conséquence pour s'assurer qu'ils préviennent l'itinérance et non qu'ils y contribuent.

Nous avons besoin de coopération, de cohérence et d'engagement pour comprendre pleinement les conséquences des politiques qui sont élaborées et mises en oeuvre.

J'ai une assez longue expérience et j'ai travaillé pour de nombreux programmes fédéraux.

L'expérience la plus enrichissante est certainement le travail auprès des sans-abri — non pas les investissements que nous faisons mais le fait de pouvoir visiter les installations de transition et de soutien et de rencontrer les travailleurs de première ligne pour observer leur travail, constater à quel point ils travaillent fort et à quel point ils contribuent à la collectivité.

Si cela intéresse les membres du comité, nous offrons une visite des installations de transition et de soutien, des refuges, au cours de laquelle vous aurez l'occasion de parler à des travailleurs de première ligne et d'en apprendre plus sur la situation auprès des personnes qui travaillent sur le terrain. Traiter avec ces personnes est l'un des aspects le plus enrichissant de mon travail. J'ai le plus grand respect pour ce qu'elles font. Si cela intéresse l'un d'entre vous, nous pouvons organiser une visite à Ottawa, à Toronto ou à Montréal.

Le sénateur Fairbairn: À Calgary?

M. Cameron: À Calgary aussi.

Le sénateur Morin: Je ne croyais pas que cela existait en Alberta.

M. Cameron: Et aussi à Edmonton, Medicine Hat et Red Deer. Nous avons 61 collectivités.

La vice-présidente: Je peux vous assurer que nous accepterons votre offre si enfin, après tous les congés prévus, le comité parvient à se pencher sur cette question. Des déplacements dans les régions sont prévus.

Madame Girard, allez-vous simplement répondre aux questions ou voulez-vous prendre la parole?

Mme Marie-Chantal Girard, gestionnaire de la recherche stratégique, Secrétariat national pour les sans-abri, Ressources humaines et Développement des compétences Canada: Non, ça va.

La vice-présidente: Une fois que nous aurons entendu et interrogé tous ces témoins, nous entendrons des témoins à propos du projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté. Je vous demanderais, lorsque vous posez vos questions, d'être aussi brefs que possible pour donner à nos témoins la possibilité de répondre adéquatement.

Le sénateur Morin: Il est vraiment malheureux que nous n'ayons pas plus de temps à consacrer à cette question. Ce sont deux sujets extrêmement importants pour notre pays et pour les patients mêmes. J'espère que nous pourrons formuler des recommandations sur ces deux questions dans notre rapport. Il est très malheureux que nous ayons si peu de temps.

J'aimerais poser mes premières questions à M. Motiuk et à Mme Bouchard.

Je constate avec intérêt d'importantes augmentations du nombre de détenus d'établissements fédéraux chez qui on a diagnostiqué une maladie mentale. Le chiffre que j'ai est de 40 p. 100, bien que le nombre de détenus ait diminué. C'est un véritable phénomène. Est-ce attribuable à l'augmentation du nombre de diagnostics qui sont faits? On cite ici un certain nombre de troubles diagnostiqués. Connaissons-nous les types de troubles pour lesquels on constate une augmentation? C'est une question importante.

M. Motiuk: Pour répondre à la question que vous posez à propos des données, nous ne pouvons pas isoler la nature du trouble. Nous savons que dans le cadre de la gestion de cas, ils présentent un diagnostic...

Le sénateur Morin: Permettez-moi de vous interrompre. Cela est vraiment important. Est-ce la toxicomanie? Est-ce l'alcoolisme? C'est la première chose. Si vous voulez prévenir ces problèmes et traiter ces personnes, il faut d'abord savoir de quoi il s'agit. J'ai l'impression que nous faisons peut-être des diagnostics plus fréquents. Il ne fait aucun doute qu'il y a eu une augmentation quelque part, peut-être de la consommation de drogues. C'est la première chose que nous devons savoir si nous voulons les traiter. Je suis étonné que vous n'ayez pas ces chiffres sous la main.

M. Motiuk: Nous sommes au courant de la toxicomanie et nous procédons à des évaluations systématiques des toxicomanies.

Le sénateur Morin: Cette augmentation de 40 p. 100 est-elle attribuable à une augmentation du nombre de toxicomanes?

M. Motiuk: En partie.

Le sénateur Morin: Lorsque nous parlons de drogues, parlons-nous de marijuana? Je constate que la consommation de marijuana est très répandue parmi les détenus. Je n'ai pas l'intention de me lancer dans ce débat. Lorsque nous parlons d'une accoutumance à la marijuana, nous ne parlons pas de schizophrénie.

J'ai parcouru rapidement le rapport intitulé «Évaluation des besoins en soins de santé des détenus sous responsabilité fédérale» et je n'ai pas constaté cette ventilation, mais j'estime qu'elle est très importante. Je suis sûr que vous y réfléchirez.

J'aimerais parler du traitement. J'ai constaté avec intérêt que nos établissements correctionnels fédéraux ne disposent pas du même niveau de ressources, si je comprends bien, que les établissements provinciaux. Il existe cinq centres de traitement. Cependant, leurs niveaux de ressources ne sont pas comparables à ceux dont disposent les établissements provinciaux. Si tel est le cas, cela m'étonne. Il y a aussi la question de compétence entourant les services communautaires à l'intention de nos détenus qui sortent des établissements correctionnels fédéraux. J'ai lu quelque chose à ce sujet. C'est un grave problème, mais je n'ai pas l'intention de l'aborder parce que nous n'en avons pas le temps.

J'aimerais parler du suicide. Les taux de suicide sont extrêmement élevés dans nos établissements, beaucoup plus que dans d'autres pays. Ce sont des données réelles et concrètes. Si nous ne pouvons pas empêcher le suicide, cela signifie que nous ne traitons pas bien nos patients. Nous n'avons pas affaire ici à des situations floues. Les cas sont clairs et mesurables. Comparativement à d'autres pays, les taux de suicide au Canada sont élevés. Ils varient énormément d'une province à l'autre. C'est un véritable fléau. Si on songe à la personne qui souffre, ce genre de situation peut être évité. En premier lieu, ces patients se trouvent dans des établissements. Ces établissements devraient être en mesure de prévenir ce genre de choses. Cela nous amène à penser que le traitement que reçoivent ces personnes laisse à désirer.

Comme vous le savez, l'Australie et d'autres pays — je songe aussi aux États-Unis — se sont attaqués au problème du suicide dans les établissements, avec des résultats remarquables. Nous sommes nettement à la traîne de ces pays en ce qui concerne un problème qui varie énormément d'une région à l'autre. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Ensuite je poserai une question sur l'itinérance.

Mme Bouchard: Vous avez soulevé de nombreux points, et j'aimerais parler d'un certain nombre de choses que vous avez mentionnées. Tout d'abord, nous avons suivi la situation en ce qui concerne les suicides dans nos établissements. Nous avons aussi fait enquête sur chaque suicide pour déterminer les facteurs de risque concernant ces personnes en particulier et tâché de mettre en oeuvre une approche systémique. Vous avez raison; le taux de suicide au Canada est plus élevé comparativement à certains autres pays. Je ne suis pas sûre à quel point ils sont comparables parce que les suicides par overdose peuvent être catégorisés comme des overdoses et non comme des suicides. Nous devons être très prudents lorsque nous nous comparons à d'autres pays. Aussi, nous devons tenir compte du fait que comparativement à la population générale, notre population est une population qui est déjà fortement à risque lorsqu'elle arrive chez nous, elle connaît des problèmes et des troubles qui supposent un risque élevé de suicide. Nous faisons des comparaisons avec la population générale, mais les véritables comparaisons devraient se faire avec des populations comparables dans les communautés qui connaissent le même type de problème. Si nous étions en mesure de faire ce genre d'études, nous pourrions probablement en apprendre plus.

Nous reconnaissons l'existence du problème, avec lequel nous nous débattons. Nous devons faire une évaluation plus poussée des personnes à risque élevé et établir des mesures plus exhaustives.

Vous avez demandé si cette prévalence est plus élevée lorsqu'ils arrivent. Aujourd'hui, nous avons de meilleurs diagnostics, par conséquent les taux observés aujourd'hui reflètent probablement l'amélioration des diagnostics. Cependant, il est difficile de recueillir des données sur les tendances parce que nous n'avons pas la capacité voulue à l'heure actuelle pour le faire, autrement que dans le cadre d'études souvent faites par mon collègue, M. Motiuk. Le fait que nos données sont limitées nous pose donc des difficultés. Cependant, nous avons établi que l'incidence des problèmes est plus élevée que dans la population générale.

Nous sommes en train de faire un examen des établissements de traitement, des effectifs et des ressources. Je serai en mesure de fournir au comité une comparaison avec un établissement de psychiatrie légale. J'ai comparé les établissements de psychiatrie légale dans la collectivité. Certaines provinces en ont établi quelques-uns récemment. Ils nous servent de repère et nous permettent de comparer nos ressources. Je pourrais fournir ces chiffres au comité.

Nous devons examiner nos propres ressources et indiquer où se situent les différences au niveau des effectifs. Nous devons nous disputer les ressources. Nous avons un problème de recrutement et de maintien de l'effectif, surtout dans les domaines psychiatriques, et il est difficile d'attirer des gens pour qu'ils viennent travailler dans nos établissements correctionnels.

Nous avons essayé d'attirer des gens. Nous essayons d'attirer une masse critique et de la conserver. C'est aussi un problème avec lequel nous nous débattons. Nous nous trouvons en compétition avec d'autres établissements de soins de santé.

Nous faisons face à cette pénurie de ressources même au sein de la collectivité. Nous devons mieux coopérer avec nos partenaires des services correctionnels provinciaux et tâcher de trouver un moyen d'optimiser l'utilisation des ressources disponibles dans ce domaine de spécialisation en particulier, qui sont déjà limitées dans notre pays.

Je comprends ce que vous dites. Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Morin: C'est une question extrêmement importante, et j'espère que nous aurons plus de temps pour en discuter.

J'ai une question pour M. Cameron. Pourquoi le nombre de sans-abri a-t-il augmenté récemment dans toutes les grandes villes du Canada? Quelles en sont les raisons?

M. Cameron: Il y a plusieurs raisons. Trouver un logement abordable devient de plus en plus difficile.

Je vous en donnerai un exemple. À Calgary, 50 p. 100 des personnes qui vivent dans des refuges travaillent.

Deuxièmement, la situation économique a des répercussions. Si une personne perd un emploi dans l'industrie des services et que deux personnes financent un appartement, cela devient un risque.

Nous considérons qu'il y a beaucoup plus de problèmes chez les jeunes. L'harmonisation des mesures que nous voulons prendre est un problème. La lutte contre l'itinérance est un petit aspect du programme.

Il s'agit d'un programme de trois ans ayant un financement de 510 millions de dollars. Il vise les problèmes de santé, les problèmes de comportement, les mauvais traitements et toute une gamme de problèmes que connaît notre société aujourd'hui et à cause desquels les gens se retrouvent à la rue. En résumé, le logement abordable est un réel problème.

Deuxièmement, le revenu est un réel problème lorsqu'il ne permet pas aux gens de se loger. De plus en plus de gens, peu importe la raison, se retrouvent à la rue, surtout les jeunes et les Autochtones des réserves. Il y a donc le problème du revenu, des mauvais traitements, de la maladie mentale et de l'abordabilité.

Le sénateur Morin: Ne croyez-vous pas que la maladie mentale joue un rôle ici?

M. Cameron: Bien sûr.

Le sénateur Morin: Il n'y a plus d'établissements. Est-ce un facteur?

Mme Girard: Cela est plus répandu dans certaines régions du pays qu'ailleurs. Si vous examinez les plans des 61 collectivités, elles ont déterminé leurs priorités. Par exemple, les municipalités au Québec — Montréal et la ville de Québec — ont mis la santé mentale en tête de leur liste de priorités. Cela signifie que le phénomène de désinstitutionnalisation que l'on a connu dans les années 80 et au début des années 90 a dû avoir des répercussions sur les sous-populations qui sont surreprésentées dans les refuges.

Les données empiriques indiquent également qu'il y a un grand nombre de familles avec enfants dans les refuges de même que des immigrants récents. Ce sont les tendances récentes à cet égard.

Nous devons aussi tenir compte du fait que nous sommes davantage au courant des personnes qui sont sans abri aujourd'hui parce que les collectivités sont mieux équipées que par le passé pour s'occuper de ce problème. Un plus grand nombre de personnes ont recours à ces services. Il faut aussi le fait que l'on est en mesure aujourd'hui de fournir certains services qui n'existaient pas dans leur collectivité il y a quatre ans.

Il est difficile d'établir un chiffre absolu ou d'indiquer de façon précise les facteurs qui interviennent.

Le sénateur Callbeck: Je tiens à remercier chacun d'entre vous pour les présentations que vous avez faites aujourd'hui. Je sais que nous avons des contraintes de temps.

La vice-présidente: Ce qui est dommage.

Le sénateur Callbeck: J'ai beaucoup de questions mais je vais me concentrer sur un secteur.

Nous avons reçu aujourd'hui un document préparé par Service correctionnel Canada. À la dernière page je lis: «Il y a une prévalence nettement plus élevée de troubles mentaux chez les détenus que dans la population en générale et les femmes en détention ont plus de troubles que les détenus de sexe masculin.?

Au dernier paragraphe de cette page, vous dites que vous allez élaborer «une stratégie globale d'évaluation et de gestion des troubles mentaux chez les détenus de sexe masculin.» Qu'en est-il des femmes?

Mme Bouchard: Je dois vous présenter mes excuses. Vous venez de relever une erreur que nous avons faite. Le plan inclut les femmes détenues également; ce sera pour tous les détenus.

Le sénateur Morin: Il les ont oubliées!

Mme Bouchard: Mes excuses.

Le sénateur Callbeck: Cela m'a sauté aux yeux parce que j'entends souvent dire que les femmes ne reçoivent pas les mêmes services que les hommes.

Mme Bouchard: Je peux vous donner un peu d'information, toutefois. Au cours de l'année écoulée, le secteur des femmes du SCC a beaucoup investi pour répondre aux besoins des femmes. Des progrès importants ont été faits. Lorsque nous concevons une stratégie pour la maladie mentale, il ne faut pas se concentrer sur un seul sexe. Merci de nous l'avoir signalé. Ce n'était pas le but, je crois.

La vice-présidente: Sénateur Callbeck, le professeur Jackson signalait vouloir intervenir.

Mme Jackson: Le fait saillant de mon exposé est justement le taux nettement plus élevé de ces troubles et de suicides chez les délinquantes. Il faudrait sûrement s'intéresser à elles quand il s'agit d'affecter des ressources et de répondre à leurs besoins.

Le sénateur Callbeck: Je connais particulièrement bien Dorchester parce que je viens de l'Île-du-Prince-Édouard. J'entends parler de la pénurie de services pour les détenus. Il s'agit en particulier de détenus ayant des maladies mentales.

J'aimerais que vous me donniez par écrit les progrès que vous avez faits ces cinq dernières années pour offrir des services aux détenus atteints de maladie mentale dans ces établissements.

La vice-présidente: Je veux poser une question qui fait suite à celle du sénateur Callbeck. Dans votre exposé, vous dites que le SCC a amélioré sa capacité d'intervention. Hier, nos témoins parlaient de la pénurie de nouveaux venus dans le domaine: les psychiatres et les psychologues. Ça nous ramène à l'enseignement.

Quelles difficultés cela cause-t-il au SCC? Vous avez dit qu'il est souvent difficile de conserver vos employés. Quel genre de problèmes cela a-t-il créés en matière de ressources humaines? Est-ce important? Faudra-t-il du temps pour le régler?

Mme Bouchard: Nous avons tout un ensemble de problèmes. Un de ceux-là est d'attirer des gens dans le système, surtout ceux qui s'intéressent aux genres de problèmes que manifestent les délinquants en milieu carcéral.

La plupart des psychiatres travaillent actuellement à contrat. Ce ne sont pas des employés à nous et ils exercent à l'extérieur. Les priorités sont un facteur dans leur travail. Pour cette raison, nous essayons d'appliquer une démarche systématique et normalisée face aux problèmes.

Comme vous l'avez dit, nous avons des établissements dans huit provinces. La compréhension et la pratique varient entre groupes spécialisés d'une province à l'autre. Par exemple, on a parlé du THDA. Il y a parfois des divergences de vues entre psychiatres.

Il est difficile d'adopter une méthode uniforme quand il faut compter surtout sur des médecins à contrat, mais c'est un problème que nous devons réglé. C'est à nous de décider comment travailler avec nos contractuels. Cela vaut aussi pour les infirmiers et infirmières qui veulent travailler avec les malades mentaux.

Nous avons ce qu'il faut pour attirer des psychologues, mais d'autres tâches ont été confiées aux services correctionnels.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais poser une question qui fait suite à celles du sénateur Callbeck. Je ne sais toujours pas, après avoir entendu les témoignages de ce matin, dans quels pénitenciers se trouvent les délinquants souffrant de troubles mentaux graves. Pouvez-vous me dire où ils se trouvent? Est-ce que le nombre de lits, dans le centre de l'Atlantique, est adéquat? Y a-t-il un établissement à cet endroit?

Mme Bouchard: Faites-vous allusion au Centre de rétablissement Shepody, dans la région de l'Atlantique?

Le sénateur Forrestall: Où se trouve-t-il?

Mme Bouchard: À Dorchester. Il s'agit d'une institution distincte qui compte parmi nos centres de traitement. Au cours des cinq dernières années, c'est-à-dire avant mon arrivée au SCC, on s'est demandé si nous étions en mesure, notamment dans la région de l'Atlantique, de soigner les personnes atteintes de troubles mentaux. Le centre de santé mentale a subi des changements d'organisation au cours des dernières années, changements qui ont abouti à la mise sur pied du Centre de rétablissement Shepody, qui est dirigé par un directeur qui s'intéresse de près aux questions de santé mentale.

Le sénateur Forrestall: Est-ce que les pénitenciers offrent des soins psychiatriques, ou est-ce que le prisonnier doit se rendre au centre?

Mme Bouchard: Le centre psychiatrique se trouve à l'intérieur de l'établissement correctionnel. Il fait partie des centres de traitement.

Le sénateur Forrestall: À Dorchester?

Mme Bouchard: Oui.

Le sénateur Forrestall: Comment arrivez-vous à trouver du personnel qui accepte d'aller vivre à Dorchester?

Mme Bouchard: Les installations physiques laissent à désirer. Nous sommes conscients du fait que le milieu physique, souvent, ne ressemble en rien à un hôpital. C'est l'un des problèmes que nous devons régler. Entre temps, nous avons des employés dévoués, spécialisés. Nous avons été en mesure de trouver des ressources psychiatriques au Nouveau-Brunswick. En effet, nous avons réussi à recruter, du moins dans cette région, une équipe de psychiatres qui travaillent avec nous, à contrat, chose que nous avons eu beaucoup de difficulté à faire dans le passé.

Le sénateur Forrestall: Ne lâchez surtout pas.

Mme Bouchard: D'accord. Nous avons conclu, avec le Nouveau-Brunswick, une entente en vertu de laquelle nous nous chargeons d'assurer la prestation de services aux délinquants atteints de troubles mentaux.

Le sénateur Fairbairn: Je tiens à vous remercier d'être venus nous rencontrer pour discuter de cette question importante. On pourrait préparer un rapport qui ne traiterait que de cela.

Madame Capponi, j'ai trouvé votre exposé fort émouvant. On ne peut faire autrement que réagir, en raison de ce que vous avez vécu ,et aussi parce que vous nous avez parlé, entre autres, de Reva Gerstein. Je suis certaine qu'il n'a pas été facile, pour vous, d'aborder ces questions très graves, aujourd'hui.

Vous n'êtes pas obligée de me répondre immédiatement, mais j'aimerais savoir quelles sont, à votre avis, les trois recommandations les plus importantes que le comité devrait formuler au gouvernement fédéral.

Mme Capponi: Je peux le faire tout de suite et, avec votre accord, j'aimerais aborder un autre sujet.

Le sénateur Fairbairn: Très bien.

Mme Capponi: Vous voulez savoir si les personnes sont incarcérées parce qu'elles ont été désinstitutionnalisées. C'est un cercle vicieux. Il ne faut pas désinstitutionnaliser ces personnes parce qu'elle finissent par aboutir en prison. Il ne faut pas désinstitutionnaliser les personnes à qui nous n'avons rien à offrir, point à la ligne. Le fait que nous ayons des institutions ne règle en rien la situation, au contraire.

Nous devons mettre l'accent sur le développement humain au sein de la collectivité, non pas sur le système. Vous avez parlé des diagnostics. La plupart des patients psychiatriques sont étiquetés de diverses façons, selon la journée de la semaine où ils se rendent à l'hôpital. Il y a des diagnostics fourre-tout, comme la schizophrénie, un diagnostic populaire dans les année 60 et 70. On prescrivait des médicaments aux personnes atteintes de schizophrénie, on établissait un nouveau diagnostic, puisque c'était considéré, de plus en plus, comme une pseudo-science, on disait qu'elles étaient atteintes de maniacodépression, et enfin, d'autisme, le nouveau diagnostic à la mode.

Je voudrais vous parler de la situation d'un certain de nombre de femmes qui fréquentaient le centre de toxicomanie. Je siégeais au conseil d'administration du Centre de toxicomanie et de santé mentale, auquel M. Jackson a fait allusion. Au début, le centre se trouvait sur la rue Queen. Mme Ruth Gallup, de l'Université de Toronto, a mené une enquête sur la plainte initiale formulée par ces femmes, qui se disaient victimes d'abus sexuels. Cette plainte n'a pas été prise au sérieux parce que personne ne voulait l'entendre. Ces femmes réagissaient à ce qui leur était arrivé quand elles avaient été étiquetées et soignées. Habituellement, la personne qui subit des abus commence, après quelques années, à changer de comportement, à profiter de toutes les occasions possibles pour boire, parce que la vie n'a rien d'encourageant. Lorsqu'on est en état d'ébriété, il y a des chances qu'on brise la loi.

Il y a beaucoup plus de personnes atteintes de troubles mentaux dans les rues, non pas par choix, mais parce que l'écart entre les mieux nantis et les moins nantis va grandissant. De plus en plus de personnes ont recours aux services des banques alimentaires, ce qui veut dire que la part du malade mental chronique diminue. Un propriétaire va louer sa maison à des personnes qui, à son avis, seront plus tranquilles qu'un ancien patient atteint de troubles mentaux. Les gens sont de plus en plus laissés pour compte. Les refuges préfèrent ouvrir leurs portes aux immigrants et aux femmes battues au motif qu'ils posent moins de problèmes. Il y a toujours un stigmate associé aux troubles mentaux.

Nous devons mettre l'accent sur le développement humain, favoriser l'épanouissement de la collectivité, comme on le fait pour les Autochtones, reconnaître les torts qui ont été causés et amener le gouvernement fédéral à corriger la situation en consacrant des fonds à des programmes de développement qui s'adressent aux patients psychiatriques chroniques — sans passer par des associations professionnelles. J'ai voyagé dans toutes les régions du Canada, et des anciennes victimes ont tiré parti de ce que nous avons été en mesure d'accomplir en Ontario.

Nous devons également reconnaître que la psychiatrie n'est pas vraiment une pseudo-science. Mme Gerstein a signé l'introduction de mon dernier ouvrage. Elle a fait partie du mouvement en faveur de la désinstitutionnalisation qui a existé dans les années 50, 60 et 70, mouvement qui pensait que tout ce qu'il nous fallait, c'était un bon médicament, sauf que cela ne correspondait pas à la réalité. Les gens ont besoin de beaucoup plus dans leur vie. Nous devons reconnaître que la science n'est pas tout.

Je ne sais pas ce que vous pouvez faire pour supprimer cet obstacle majeur qui existe dans chacune des province. Peut-être suffit-il tout simplement de sensibiliser la population au problème. Il n'est pas facile pour les personnes qui finissent par devenir admissibles à un programme provincial de pension d'invalidité, programme qui vous donne accès à des cartes de paiement des médicaments, de se mettre à la recherche d'un emploi.

Si leur travailleur social leur enlève leur pension d'invalidité, ils se retrouvent au bien-être social, et les prestations sont dérisoires. Cela peut prendre des mois et des mois avant de toucher à nouveau la pension d'invalidité.

Vous êtes comme battu d'avance. Ça vous décourage. Avant, il y avait des programmes appelés L'étape suivante. Je me souviens, quand j'étais dans ma maison de chambre, il y avait 70 fous qui avaient tous été libérés d'établissements psychiatriques provinciaux et il y a quelqu'un qui a claqué la porte derrière nous en faisant un bruit d'enfer. Quand un travailleur social est venu me voir, il trouvait que j'étais plus classe moyenne et qu'il arriverait peut-être à communiquer avec moi; il me disait des choses qu'il ne disait pas aux autres, comme le fait que je pouvais avoir une allocation de vêtements une fois par année. On peut faire ça. Ce groupe-là, en général, n'est pas au courant.

L'autre chose, c'est que lorsque vous irez faire des visites, ne parlez pas seulement aux travailleurs de première ligne. Ne vous rendez pas dans les établissements en pensant que c'est le «milieu», parce que ça ne l'est pas. C'est à ceux qui reçoivent les services que vous devez parler. Parlez-leur d'une manière qu'ils puissent vous répondre sans avoir peur; autrement dit, ne leur parler pas en présence du personnel, même si tous les employés ne sont pas mauvais. J'ai été membre du personnel, moi aussi, mais de cette façon vous entendrez davantage la vérité des clients.

Par exemple, je me souviens d'un ivrogne qui passait dans Parkdale et qui criait: «Je suis peut-être un ivrogne, mais au moins je ne suis pas fou.» Il y a un ordre de préséance et Dieu nous vienne en aide parce que nous sommes les derniers. Ça fait peur d'aller dans un refuge, pas seulement parce que les types vont vous tabasser, mais parce que le personnel aussi va mal vous traiter.

J'ai été un des fondateurs de la Coalition pour le logement supervisé de Toronto qui a reçu beaucoup de lits dans des foyers de groupe. Je me suis dit que c'était merveilleux sauf qu'aucun des malades chroniques ne pouvait y aller de peur qu'ils choquent le voisinage. Des gens qui auraient pu se débrouiller tout seul ont obtenu des places en logement supervisé et nos gens à nous ont été abandonnés dans des maisons de chambres et des pensions, sans la moindre supervision du propriétaire ou de la façon dont la maison était tenue.

M. Cameron: «Pas dans ma cours», ce n'est pas seulement un gros problème en santé mentale et en itinérance. Il y a des millions de projets en suspens à cause de cette attitude. Nous, on essaie d'organiser des ateliers et de donner des cours aux groupes locaux pour leur montrer comment établir le dialogue avec les regroupements, expliquer les services, rejoindre les gens et former cette coalition. Plus on a recours aux logements de transition et supervisés, plus les problèmes sociaux semblent s'aggraver.

Le sénateur Fairbairn: J'ai une question en particulier qui porte sur l'ouest du pays. Nous avons une grande population, qui ne cesse de grandir, de jeunes Autochtones. En Saskatchewan, cela ne tardera pas avant que la majorité de la population soit autochtone. J'admire beaucoup ce que vous avez fait pour aider les sans-abri avec si peu. Je pense en particulier à l'Alberta. Je viens de Lethbridge et on y travaille là-bas. Je pense à ce qui se fait à Calgary. Pourriez- vous nous donner une idée de la place qu'occupe cette population dans ce dossier? Je pense aux jeunes Autochtones fraîchement débarqués de leur réserve et Dieu sait ce qu'ils vivent. Ils sont nombreux au centre-ville de Calgary. Quel effet cela a-t-il sur votre programme, tout limité qu'il soit, même si vous avez obtenu des succès remarquables et trouvé des partenaires dans la collectivité? Où se situent les jeunes Autochtones là-dedans?

M. Cameron: Notre programme a un volet pour les sans-abri autochtones en milieu urbain à Calgary, Edmonton ou Red Deer, et c'est un bon exemple. C'est la communauté autochtone qui détermine ses priorités, ses besoins, et qui décide quoi financer. À Red Deer, c'est toute la collectivité qui serre les coudes. Les fonds sont mis en commun. Tous les projets d'aide aux sans-abri de Red Deer ont un volet autochtone et la communauté autochtone y est associée.

C'est renversant. Je ne sais pas si vous avez regardé les nouvelles nationales hier soir; on a vu une jeune Autochtone qui se prostitue depuis l'âge de 12 ans. Les jeunes Autochtones débarquent en ville et ils sont culturellement perdus.

Le sénateur Fairbairn: Cela leur cause un choc immense et ébranle leur état mental et leur stabilité.

M. Cameron: C'est un choc pour leur état mental, leur estime de soi et leur capacité à établir des liens. Il y a d'immenses problèmes de logement dans les réserves: 12 et 15 personnes qui vivent dans la même maison, c'est comme ne pas avoir de maison. C'est surpeuplé. Lorsque les jeunes viennent à la ville, ils ne savent pas où sont les services. Ils n'ont aucun contact. À qui allez-vous vous adresser quand vous n'avez pas le moindre contact et vivez dans la rue? Qu'est-ce qui se passe dans la rue? Qui a de l'influence sur vous? Ceux qui y vivent. Les jeunes entrent dans des gangs et ont de graves ennuis. Beaucoup de gens pensent que c'est un problème autochtone. C'est un problème d'itinérance partout au pays, mais les jeunes Autochtones touchés par le SAF — qui débarquent en ville sont des proies faciles. Ils apprennent des comportements. Il y a tout un éventail de problèmes de santé mentale. Il y en a notamment qui ont été maltraités et qui traînent ce bagage avec eux. Pour être honnête, notre méthode manque de globalité. Nous avons une stratégie pour les Autochtones en milieu urbain et une stratégie d'aide aux itinérants à l'extérieur des réserves. Nous, nous essayons de réunir nos deux stratégies et les autres programmes fédéraux pour adopter une démarche globale.

Il y a peut-être de l'argent disponible, je ne sais pas. Il faut regarder comment on dépense l'argent, sur quoi et où notre action peut être complémentaire. On s'occupe des Autochtones en milieu urbain sur beaucoup de fronts. Divers ministères fédéraux s'occupent des Autochtones, et il nous faut de la cohérence.

Les chiffres sont renversants — ils continuent de monter — et on ne maîtrise plus la situation.

Mme Girard: Un des problèmes, c'est l'inclusion. Pour trouver des solutions efficaces — et M. Cameron a parlé de cohésion et de concertation — il faut rassembler tous les intéressés autour de la table. Cette initiative est mise en oeuvre partout au pays, mais comme ce sont les collectivités qui prennent les devants, on réussit très bien à inclure certains groupes. Ailleurs, il a été plus difficile d'amener la communauté autochtone à la table. On y travaille, pour s'assurer que tous les partenaires y sont.

Ils apportent un savoir très important. Nous savons que les services offerts dans les grands centres urbains ne sont pas toujours culturellement adaptés aux besoins des Autochtones, en particulier des jeunes. Quand nous les avons consultés et leur avons demandé quels sont les principaux problèmes dans le Nord sur lesquels il faut se renseigner, comme le surpeuplement, oui, ils ont parlé du logement, ce qui revient toujours, mais aussi de services culturellement adaptés, ce qui n'avait pas été mentionné dans d'autres consultations.

Au fil des années, nous avons essayé divers modèles. Certains ont eu plus de succès que d'autres. Leur message aujourd'hui est que si vous n'êtes pas capables de nous donner les services dont nous avons besoin, dans un état d'esprit et d'une manière qui nous sont familiers et avec lesquels nous sommes à l'aise, il sera difficile d'avoir du succès.

L'important avec les jeunes est de leur donner les compétences qu'il faut. Ils sont jeunes et ont du potentiel. Ils ont de nombreuses années à vivre pendant lesquelles ils peuvent faire partie de leur collectivité et y contribuer.

Il faut aussi réfléchir à la façon dont nous définissons cette participation. Nous avons une équation pour les pauvres: vous travaillez; vous participez. La participation peut être plus large. Les gens peuvent participer et être des membres actifs de leurs collectivités. Il est aussi très important d'investir dans les compétences de ces jeunes.

M. Cameron: Un des gros problèmes pour les entités et les fournisseurs de services autochtones avec qui nous travaillons, c'est la durée. Autrement dit, comment peuvent-ils survivre? Nous pouvons les aider, mais c'est une initiative à court terme. Qu'en est-il du financement permanent? Comment peut-on assurer la pérennité des associations qui aident les Autochtones?

Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une question de santé mentale, mais il faut que vous sachiez que nous ne bénéficions pas de la participation entière du secteur privé quand il s'agit des Autochtones. Autrement dit, si vous examinez les partenariats dans le cas de certains services, les milieux des affaires brillent par leur absence. Ils ne participent pas à la lutte contre l'itinérance dans nos milieux, mais en particulier en milieu autochtone. Nous avons demandé aux associations autochtones de nous aider à élaborer une stratégie de partenariats pour avoir de meilleurs liens avec les milieux des affaires en vue d'assurer la pérennité.

Le sénateur Léger: La personne atteinte de maladie mentale qui commet un crime est placée dans un établissement correctionnel, n'est-ce pas? Est-ce qu'ils développent des troubles mentaux une fois incarcérés? Est-ce que ça arrive là- bas?

Si vous êtes malade, vous ne pouvez pas être accusé. Le crime est la conséquence de cette maladie. Peut-être que les détenus deviennent malades en prison.

Mme Bouchard: Il n'est pas étonnant de croire que le milieu carcéral ne favorise pas la santé mentale. Les gens sont coupés de leurs racines et de leur source d'appui. Il y a plusieurs facteurs dans l'approche intégrée qui créent plus de stress. Nous savons que la prison est une source de stress pour les gens. Elle aggrave sans doute les problèmes et peut en créer d'autres.

Le sénateur Léger: Arrive-t-il que quelqu'un de malade soit envoyé en prison?

Mme Bouchard: Ça peut arriver. Je ne connais pas les chiffres. Je sais que les services correctionnels provinciaux ont commencé à examiner la chose parce que la première fois que les gens commettent une infraction, ils sont placés dans le système provincial.

Parfois, la première manifestation de la maladie mentale, c'est quelqu'un qui se retrouve devant le tribunal faute d'évaluation, de diagnostique ou de traitement préalables. Le système judiciaire se penche-t-il sur ces problèmes? En l'absence de diagnostic indiquant que la personne est aliénée du point de vue juridique et doit être placée en établissement psychiatrique, cela peut passer inaperçu et conduire à des problèmes à répétition. Il se peut que des gens aboutissent chez nous la première fois qu'ils ont eu un épisode de maladie mentale.

C'est un ensemble de choses, je crois.

La vice-présidente: Nous avons entendu par vidéoconférence des témoignages au sujet d'un programme australien en place depuis le début des années 90. L'Australie a fait sortir entre 30 000 et 40 000 jeunes du système de justice pénale pour les placer dans une filière de santé et de bien-être. Vous examinez sans doute l'exemple de l'Australie.

Mme Bouchard: Oui. L'Australie est divisée en états et chacun a son propre système. Nous les avons examinés parce qu'ils sont différents. Le pays a une stratégie globale.

La vice-présidente: Ils ne semblent pas avoir les mêmes problèmes que nous avons, entre leur gouvernement fédéral et les états.

Le sénateur Cook: Madame Capponi, j'ai essayé de réunir au même endroit les lacunes et les besoins du système. J'espère que cette étude y arrivera.

Vous avez dit dans votre témoignage que vous aimeriez avoir une petite partie des fonds actuellement alloués aux établissements et aux organismes. Pourriez-vous nous en dire plus? Comment pourriez-vous y avoir accès, d'après vous, et en quoi cela vous aidera-t-il à devenir quelqu'un d'entier capable de vous débrouiller en société?

Mme Capponi: Quand je siégeais au conseil du Centre de toxicomanie et de santé mental, j'ai fait un plaidoyer pour que l'hôpital mette des fonds à la disposition des groupes de personnes ayant un vécu psychiatrique. L'idée n'a pas été bien accueillie.

À une certaine époque, il y avait un programme de réadaptation professionnelle à l'hôpital. C'était une sorte de café. Ce sont surtout des bénévoles qui s'occupent de cela dans les hôpitaux, mais là, c'était le programme de réadaptation professionnelle. Il y a trois ou quatre ans, l'Ontario Council of Alternative Businesses, composé en totalité de personnes ayant un vécu psychiatrique, a entrepris des négociations pour que ce programme soit transféré au OCAB et qu'il soit exploité comme une entreprise, où les gens seraient rémunérés pour leur travail au café.

Il s'agissait du premier programme qu'un hôpital cédait à une entreprise de personnes ayant un vécu psychiatrique. Ces personnes gagnent plus que le salaire minimum.

Il y a une chose qui a vraiment emballé les gens. Il y a un buffet roulant qui offre des cafés fins et autres produits. Pour visiter tous les services de l'hôpital, les employés du Out of this World Café — c'est son nom — doivent avoir toutes les clés.

La vice-présidente: Le passe-partout.

Mme Capponi: C'était extraordinaire. J'y étais lorsque l'on a annoncé que le personnel du café allait obtenir les clés des services. C'était la libération.

Depuis, ma petite soeur, à qui on a diagnostiqué une héroïnomanie et une maladie mentale, a été nommée responsable du recrutement au Queen Street Mental Health Centre, le centre de toxicomanie. Elle travaille donc là aux ressources humaines.

Au lieu de songer à mettre sur pied d'autres ateliers protégés ou à des habitations dirigées par les hôpitaux, qui finissent par ressembler à des établissements, c'est à cela qu'il faudrait songer. Une partie de l'argent devrait aller à des groupes de personnes ayant un vécu psychiatrique pour qu'elles se prennent en main.

Ces personnes pourraient aussi diriger des centres d'accueil financés par les organismes locaux de santé mentale. Moi-même, j'y ai travaillé pendant sept ans. Ce n'est pas très difficile. Grâce à des programmes d'apprentissage, on pourrait aider les gens ayant un vécu psychiatrique à gérer de tels centres. De fait, il y a des endroits au pays entièrement tenus par ces personnes.

Une partie des fonds va à des travaux de recherche plutôt théoriques. Par exemple, l'Institut Clarke aime faire des travaux exotiques. Une partie de cet argent servirait mieux s'il aidait les gens à survivre. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai quitté le conseil.

Je trouvais qu'ils ne voulaient pas faire du concret. Trouver une chambre acceptable pour quelqu'un et lui donner assez d'argent pour qu'il puisse manger à sa faim et emprunter les transports en commun, ce n'est pas aussi intéressant que d'étudier l'homosexualité ou le rang de naissance, ce genre de travaux. L'argent actuellement consacré aux travaux théoriques pourrait servir à améliorer la vie des gens.

Le sénateur Cook: Vous parlez du financement en faveur de l'autonomisation de la personne?

Mme Capponi: Oui, et qui s'appliquerait aussi aux collectivités autochtones. Quand j'ai traversé le pays pour assister à la première rencontre d'un nouveau groupe de personnes ayant un vécu psychiatrique à Red Deer. J'ai eu beaucoup de plaisir en compagnie d'un maniaco-dépressif qui m'a conduit de l'aéroport de Red Deer jusqu'à cette réunion.

On a fait beaucoup avec très peu: parler à des jeunes des rues, des jeunes, hommes et femmes, sans-abri, que personne n'écoute et dont le regard s'allume quand vous dites «Je comprends pourquoi tu as quitté tôt l'école; c'est difficile d'y aller quand on a peur de rentrer à la maison. Ça ne veut pas dire que tu es stupide. Il y a des façons d'apprendre et on peut t'aider.» Ça change les choses.

Le sénateur Cook: Madame la présidente, il va falloir que nos témoins reviennent parce que j'ai des choses à raconter, moi aussi. Pendant des années, j'ai siégé à titre de bénévole au conseil d'un centre qui travaillait auprès de consommateurs qui se trouvaient dans la même situation que vous et je connais des cas de réussite.

Je voulais revenir sur la question de financement pour que mon ami, M. Bill Cameron, comprenne et voit comment on pourrait faire meilleur usage de ces fonds. Quand vous avez parlé de financement, vous avez dit que c'était important. Dois-je comprendre que vos fonds vont aux gouvernements provinciaux, qui gèrent le programme, ou s'agit-il du gouvernement fédéral?

M. Cameron: Nos fonds vont directement aux associations locales et aux groupes. Rien ne va aux gouvernements.

Le sénateur Cook: Je viens de Terre-Neuve. Je sais qu'il y a des ensembles d'habitations pour détenus, et je pense en particulier à la Stella Burry Corporation.

M. Cameron: Nous travaillons avec la Stella Burry Corporation et avec Jocelyn Greene.

Le sénateur Cook: Voilà des cas de réussite dont on devrait pouvoir parler et que l'on pourrait comprendre.

M. Cameron: Nous travaillons directement avec les intéressés. L'argent ne va jamais aux gouvernements ou aux municipalités. Les fonds vont directement aux associations locales qui accompagnent les sans-abri.

Le sénateur Cook: Trouvez-vous que ce que nous a raconté Mme Greene est un cas de réussite?

M. Cameron: Oui, tout à fait.

Le sénateur Cook: Mme Jackson parle de l'absence de système standardisé. Parlez-vous des lois, étant donné que chaque province a sa loi sur la santé mentale et qu'il n'y a pas de loi nationale?

Mme Jackson: Il est certain qu'une loi favoriserait beaucoup ce genre de normalisation. Le Service correctionnel du Canada lui-même pourrait faire beaucoup et pourrait se charger au niveau fédéral d'encourager cette normalisation. Peut-être l'excellent service de la recherche du SCC pourrait-il envisager, comme projet de recherche à long terme, d'étudier les effets qu'aurait un protocole normalisé: suivre le parcours d'un délinquant dans le système et dans la société pour voir si ce genre de normalisation aiderait et comment. Il s'agit sûrement ici d'un problème au niveau des systèmes, et la normalisation de l'établissement des diagnostics serait une mesure concrète à prendre.

La vice-présidente: Au nom du comité, je tiens à remercier tous les témoins. Beaucoup de mes collègues voudront que certains d'entre vous, ou vous tous, reviennent parce que cette étude va durer quelque temps encore. Je tiens à vous remercier tous d'avoir comparu aujourd'hui. J'ai été particulièrement frappée par le témoignage de Mme Capponi. Je l'ai trouvé exceptionnel.

Il nous faut maintenant passer rapidement à l'autre point de l'ordre du jour: le projet de loi S-17, projet de loi du Sénat modifiant la Loi sur la citoyenneté.

Au sujet du projet de loi S-17, nous entendrons M. Charles Bosdet et M. Don Chapman.

Merci beaucoup d'être venus, messieurs.

M. Charles Bosdet, témoignage à titre personnel: Je remercie le comité de nous donner l'occasion de parler du projet de loi S-17.

Je suis canadien d'origine, né à Winnipeg. Je suis actuellement citoyen américain, immigré au Canada l'an dernier comme le premier candidat de la province de la Nouvelle-Écosse en vertu de ce nouveau programme.

Comme mon passé vous permettra de mieux comprendre mes propos, je vais vous en parler un peu. J'ai été rédacteur et réviseur de la chronique juridique dans plusieurs journaux des États-Unis ainsi que directeur de l'information et éditorialiste d'un des plus grands quotidiens juridiques de ce pays. Je suis aujourd'hui expert-conseil auprès d'entreprises en matière de politiques et de procédures. Je travaille actuellement à contrat sur une question qui suscite de l'intérêt ces temps-ci aux États-Unis, à savoir aider les entreprises à se préparer à subir une vérification financière en application de la loi Sarbanes-Oxley sur les valeurs boursières.

Je suis ici pour manifester mon appui pour le projet de loi S-17 et vous demander d'en faire autant parce que le texte corrige ce que j'estime être une injustice du droit actuel. Cette injustice existe de longue date et le ministère dont on pourrait normalement s'attendre qu'il règle le problème semble être contre. Nous l'avons vu dans les témoignages entendus devant le comité la semaine dernière.

Le problème est qu'entre la Loi sur la citoyenneté de 1977 et une ou deux décisions des tribunaux depuis, notamment dans l'affaire Benner, on peut classer les citoyens canadiens en plusieurs catégories — ceux qui sont nés au Canada avant et après 1977 et ceux qui sont nés à l'extérieur du Canada avant et après 1977. Le groupe que l'on appelle «les Canadiens oubliés» est le seul qui semble avoir plus de difficultés à faire protéger ses droits en vertu de la législation canadienne par suite de cette injustice.

Comme vous pouvez le constater, ceux qui sont nés à l'extérieur du Canada sont ceux que j'appelle «les protégés», en ce sens qu'ils peuvent se contenter de faire parvenir une demande au ministre pour retrouver leur citoyenneté; en quelques semaines, c'est chose faite. Ils n'ont pas à suivre ce que l'on appelle parfois «la réintégration dans la citoyenneté». C'est la filière à suivre, peu importe s'ils sont nés au Canada ou à l'étranger. La situation est différente pour ceux qui sont nés au Canada avant 1977.

Les représentants du ministère qui ont témoigné ici la semaine dernière ont dit que ces gens — appelons-les les Canadiens oubliés — devraient être traités équitablement. Par équitablement, nous voulons dire qu'ils devraient être traités comme les autres.

Selon le tableau que nous avons ici — je pense que vous l'avez — bien sûr je ne suis pas juriste, mais si l'on consulte le guide des politiques de citoyenneté, il semble y avoir des critères différents pour permettre aux personnes désignées ici de recouvrer leur citoyenneté.

Les personnes faisant partie de deux de ces catégories n'ont pas à prêter serment, mais les Canadiens oubliés eux devraient le faire. Il y a une période d'attente pour être jugé admissible à l'immigration. Les personnes des deux premières colonnes de votre tableau ne sont pas visées, mais les Canadiens oubliés eux doivent s'y soumettre. Ces derniers sont les seuls à devoir attendre un an après avoir été jugés admissibles à l'immigration. Ils doivent avoir la résidence permanente alors qu'on ne l'exige pas des deux autres catégories. La citoyenneté est accordée sur demande aux deux premières catégories, mais non pas aux Canadiens oubliés. Ces derniers ont la particularité d'être assujettis à des vérifications de sécurité et de casier judiciaire, deux fois plutôt qu'une, alors que les membres des autres catégories n'y sont pas soumis.

C'est un peu comme dire qu'on peut choisir ses amis mais pas ses parents. Des représentants du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ont comparu devant le comité la semaine dernière et ont clairement dit que ce qu'on veut faire dans le cas de ces Canadiens oubliés, c'est choisir leurs parents. Je ne conteste pas le fait qu'il peut y avoir des gens qui pourraient revenir au Canada en vertu du projet de loi S-17, s'il était adopté, et que je pourrais ne pas souhaiter voir à ma table; mais je ne choisis pas mes parents, ce n'est pas une question d'immigration.

Le ministère s'exprime comme si la citoyenneté et l'immigration étaient indissociables, mais ce n'est pas la même chose. Elles ne devraient pas dépendre l'une de l'autre. Elles sont certainement liées, mais comme l'a dit la semaine dernière le porte-parole du ministère, de deux choses l'une, ou vous êtes citoyen ou vous ne l'êtes pas. Bien que la majeure partie du témoignage ait porté sur le recouvrement de la citoyenneté, ce n'est vraiment pas une question d'immigration qui concerne les formalités d'immigration.

Nous en sommes arrivés là, si je comprends bien, parce que la loi qui est entrée en vigueur en 1977 posait divers problèmes. Au cours de leur témoignage devant la Chambre — je ne me souviens pas s'ils ont aussi comparu devant le Sénat — les législateurs ont signalé un bon nombre de ces problèmes. Je crois savoir que la position du ministère consistait à dire: «Eh bien, c'est le mieux que nous puissions faire maintenant et si nous ne le faisons pas cette année, il faudra probablement attendre quelques années avant que nous puissions y revenir et recommencer, parce que nous devons tenir des audiences et tout le reste. C'est à prendre ou à laisser. Adoptez le projet de loi et nous réglerons plus tard ce qui ne va pas.» Le Parlement a adopté la loi et maintenant nous en sommes encore à régler ce qui ne va pas.

Je veux mentionner quelque chose dont on ne parle pas très souvent. L'idée semble couramment admise, et les gens n'y réfléchissent pas trop — je le constate souvent et c'est pourquoi je tiens à le mentionner ici — il faut manifester son attachement au Canada et montrer qu'il s'agit de véritables Canadiens. Après tout, on est parti à l'âge de cinq ans ou de dix ans. Que savez-vous? Je dirais que les cinq premières années de vie sont probablement celles qui vous marquent le plus, et je pense que bien des études de psychologie le montrent.

Il faut savoir que lorsque, par exemple, une famille déménage aux États-Unis, on peut la comparer à un petit univers qui franchit le 49e parallèle. Cette famille ne renonce pas à ses valeurs ni à ses façons de faire parce qu'elle traverse la frontière — elle les emporte avec elle, surtout s'il s'agit de quelqu'un comme moi qui connaissais bien et raffolait des symboles du Canada et de ce qu'ils représentaient pour moi dans mon jeune âge. On ne peut pas vivre dans la prairie manitobaine et ne pas comprendre la place qu'on occupe au sein de la nature quand l'orage éclate. Quand la maison tremble et qu'on pense que les carreaux vont éclater, ça vous fait vraiment relativiser votre situation. La nature, la façon dont les gens s'entendent, la bonne entente et tous les clichés inséparables de ces symboles, vous les emportez avec vous.

Je me souviens d'être entré dans une pharmacie à sept ans et d'avoir demandé où se trouvaient les caoutchoucs, le commis avait semblé s'en amuser. Je voulais seulement une paire de couvre-chaussures.

Le milieu familial ne change pas; les valeurs ne changent pas et on grandit dans ce milieu. Bien sûr, on est dans un autre pays, mais on est un foyer canadien. Très souvent, les gens s'adressent à moi comme si un changement s'était opéré par magie une fois la frontière traversée, et que soudainement j'étais devenu quelqu'un d'autre. Je suis ici pour dire que ces traits qu'on emporte avec soi quand on quitte le Canada, même à un très jeune âge, vous restent pour toujours.

Je me souviens qu'il y a quelques mois, un gestionnaire a semblé un peu décontenancé quand il a appris que j'étais originaire du Canada. Je lui ai demandé ce qui l'étonnait. Il a dit: «Comment se fait-il que chaque fois que j'ai affaire à quelqu'un qui sait ce qu'il a à faire, c'est quelqu'un du Canada?» Toute ma vie, des gens m'ont dit, pour une raison ou pour une autre, que j'étais différent. D'abord, pour des raisons évidentes, comme mon accent. Naturellement, je demandais de quel accent on parlait.

Je dirais que ce n'est pas parce que nous ne vivions pas ici que nous ne nous intéressions pas à la moindre nouvelle qui nous parvenait, que nous avions subitement perdu notre intérêt ou notre dévotion pour les symboles que nous avions autrefois connus. Je vais vous paraître un peu fleur bleue, mais j'ai toujours un faible pour la GRC. Ça m'a réchauffé le coeur quand je suis arrivé à l'aéroport de Halifax en Nouvelle-Écosse; je roulais le long de l'autoroute et j'ai remarqué que je roulais à la vitesse permise. Je me suis dit «Bon, il ne va pas m'arrêter et pour que j'aie ainsi l'occasion de causer avec cet agent de la GRC qui me dépasse». Cela semble ridicule, mais ça vous prend parfois.

Je pense que le projet de loi S-17 permettrait à ces Canadiens oubliés de bénéficier de chances égales, ce dont ils sont privés maintenant. Il y a deux façons de s'y prendre, soit nous permettre de recouvrer notre citoyenneté; soit simplement de retirer ces privilèges de citoyenneté qui ont été accordés à d'autres rétroactivement en 1977 à la suite d'une ou deux décisions de la Cour suprême et de la Cour fédérale.

Je ne pense pas du tout qu'on puisse dire que c'est une bonne chose de revenir en arrière et de supprimer les changements apportés en 1977. Nous ne demandons rien d'extraordinaire. Nous demandons simplement d'être reconnus de la même manière que les autres Canadiens qui sont nés à l'extérieur du pays et qui n'ont peut-être jamais mis les pieds ici; qui ont été de quelque manière séparés du Canada; qui à l'âge adulte ont décidé d'aller ailleurs; qui à l'âge adulte ont décidé de renoncer à leur citoyenneté canadienne parce qu'ils avaient épousé quelqu'un d'un autre pays; qui à l'âge adulte ont décidé de renoncer à leur citoyenneté canadienne parce que, pour une raison quelconque, c'était pratique ou nécessaire pour leur famille.

Ces gens ont recouvré leur citoyenneté sur demande. Il leur suffit d'écrire une lettre et c'est fait; c'est tout.

Quand j'ai demandé mon certificat de citoyenneté, il y avait 55 documents, des formulaires d'identification officielle du gouvernement et tout cela couvrait plusieurs générations de ma famille. J'ai été soumis à ce que je ne peux décrire que comme une séance d'inquisition par l'évaluateur que j'ai rencontré à Sydney, sans que j'en comprenne la raison. Elle a fini par remettre en question la validité de documents émis par des gens occupant des postes tout à fait semblables au sien au sein des gouvernements du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Mexique. Ce cartable provient du bureau du sénateur Kinsella et est dans le même état que quand je lui ai remis. Si vous voulez bien vous donner la peine de le consulter à la fin de la séance, je suis sûr que le bureau du sénateur Kinsella n'y verra aucune objection. Il s'y trouve au début un index qui contient une longue liste de documents que peu d'entre vous, s'il en est, pourraient réunir rapidement. Il m'a fallu des années pour le réunir, moyennant des dépenses non négligeables, mais ce n'était pas encore assez. J'ai reçu une lettre où l'on me disait que l'on ne pouvait pas confirmer que je n'étais pas citoyen.

Je ne sais pas ce que cela signifie exactement et je ne suis pas sûr que le ministère le sache. Je crois savoir que deux évaluateurs au ministère ont conclu que j'étais certainement un citoyen. Le ministère parle d'équité et dit que la réintégration dans la citoyenneté est une mesure corrective dans ce cas. Je vais remettre au comité la décision Glynos, où le tribunal dit premièrement que la réintégration dans la citoyenneté n'est pas une mesure corrective et ensuite qu'on ne peut pas esquiver le tribunal, comme on lui demande de le faire, pour éviter cette question; c'est le tribunal qui tranchera.

Selon la décision Glynos, devant deux moyens d'acquisition de la citoyenneté, on ne peut forcer quelqu'un à opter pour le plus difficile des deux. Pourtant, un représentant du ministère est venu ici la semaine dernière recommander que nous le fassions et il a expliqué pourquoi: Nous n'avons pas besoin du projet de loi S-17 parce que nous avons une formalité de réintégration dans la citoyenneté qui est simple. Permettez-moi de dire qu'il n'a pas été simple de réunir le contenu de ce cartable. La décision Glynos leur a déjà dit ce qu'ils doivent faire dans un cas comme celui-là, mais ils ne saisissent pas vite.

J'aimerais qu'on accorde autant d'attention aux Canadiens oubliés que lorsqu'on accorde la citoyenneté à titre honorifique à un épaulard au large de la côte de la Colombie-Britannique ou à un ancien insurgé d'Afrique du Sud. J'aimerais qu'on leur accorde autant d'attention qu'on en a accordé récemment aux restes profanés d'une grue blanche d'Amérique qui n'avait plus qu'une aile et qu'on a rendue à un musée des Territoires du Nord-Ouest parce qu'après tout elle venait du Canada et y avait sa place. Le gouvernement a lutté pendant de nombreuses années pour ravoir cette grue blanche. Jusqu'à maintenant, le ministère de la Citoyenneté s'est toujours opposé à l'idée même que nous puissions même de loin être considérés comme l'un ou l'autre de ces groupes.

M. Don Chapman, témoignage à titre personnel: Le Canada semble avoir un problème d'identité. Au pays on ne semble pas bien savoir ce qu'est un citoyen canadien, et quand vient l'heure de dire qui n'est pas Canadien, évidemment c'est un canadien oublié. C'est une véritable honte pour le Canada. Quel genre de parents renient leurs propres enfants?

Le ministère a constamment affirmé que nous n'étions pas des citoyens. Il manque de constance sur presque tout le reste. Je m'occupe de cette affaire depuis plus de 30 ans — essayer de revenir dans mon pays. J'ai créé un site Web du temps du prédécesseur du dernier ministre de l'Immigration et je connais probablement plus de Canadiens oubliés que quiconque. Le Canada me fait tellement honte. Ce sont des gens formidables qui sont Canadiens et vous reniez les vôtres.

Mon père est mort il y a trois mois. Il n'a même pas pu devenir membre de la Légion canadienne. Je sais que vous êtes cardiologue, sénateur Keon, et mon père était orthodontiste. Il a renoncé à son métier parce qu'il souffrait d'arthrite aux mains. Ce n'était pas parce qu'il voulait quitter le Canada; c'était plutôt le contraire, puisque nous y avons gardé des liens.

Nous ne sommes coupables que d'avoir eu un père qui a pris la citoyenneté d'un autre pays quand nous étions enfants. Nous sommes coupables d'avoir été épris de notre patrie. Parfois, je me demande pourquoi bon sang je fais cela. J'ai eu tellement de chance. J'ai connu certains des aviateurs Tuskegee, un contingent de pilotes noirs de la Seconde guerre mondiale. Plusieurs d'entre eux ont volé pour l'Aviation canadienne. En juillet dernier, et le mois dernier, j'ai assisté à leur congrès. Je leur demande toujours ce qu'il est arrivé après la guerre, quand ils étaient en France, où on les a si bien traités, et pourtant ils sont rentrés aux États-Unis dans les années 40, à une époque où être Noir, ce n'était pas comme aujourd'hui. Je leur ai demandé pourquoi ils l'avaient fait. Je les comprenais tellement. Ils ont dit que c'était parce qu'ils devaient corriger la situation pour la prochaine génération. Il y avait quelque chose qui n'allait pas dans leur pays et ils ne pouvaient pas en faire fi.

Cela dit, je vois qu'il y a cinq sénatrices ici présentes. Si vous ne pouvez pas faire changer les choses, alors prenez vos affaires et rentrez chez vous. C'est grâce à cinq autres femmes que vous êtes ici, des femmes en l'honneur desquelles on a érigé un monument au nord de la salle où nous nous trouvons.

Le sénateur Fairbairn: C'est juste.

La vice-présidente: C'est le sénateur Fairbairn qui avait présenté cette proposition et je l'ai appuyée au Sénat, soit dit en passant.

M. Chapman: C'est grâce à elles que vous êtes ici. À propos, M. Bosdet est un immigrant reçu, je suis immigrant reçu et Mme Magali Castro-Gyr est maintenant citoyenne, mais son frère est apatride. Nous ne sommes pas ici parce que nous ne pouvions pas être admis, mais je connais bien des gens qui ne le pouvaient pas. Ceux qui étaient atteints de diabète infantile ou de leucémie ne satisfaisaient pas aux critères médicaux et n'étaient pas admis. Vous êtes ici parce que quelqu'un s'est affirmé, et c'est quelque chose que j'admire. Regardez ce qu'a obtenu le Canada. On a eu l'audace d'admettre des femmes et qu'est-ce que cela a donné? Le sénateur Callbeck, première ministre; et sénateur Robertson, premier membre du cabinet du Nouveau-Brunswick. Pourquoi pas? Lisez la plaque au bas de cette statue et lisez la Loi sur la citoyenneté de 2004. Une soixantaine d'années se sont écoulées entre les deux. Ces lois ont été écrites en des temps plus barbares et elles n'ont plus leur raison d'être aujourd'hui. C'est le cas de la loi qui mettait sur le même pied les femmes mariées, les enfants, les lunatiques et les idiots. Aujourd'hui, le Canada a changé la loi pour tout le monde sauf pour le groupe qui ne pouvait pas s'exprimer.

Merci d'avoir dit que vous m'avez entendu, mais je ne voulais pas cette publicité, même si je ne disparaîtrai pas. Je suis très visible. Nous ne savons pas si mon frère et ma soeur sont Canadiens encore, mais nous pensons qu'ils le sont. Ils sont soit apatrides, soit Canadiens. Cette loi a très cruellement séparé des familles. Nous connaissons des cas où des parents sont maintenant Canadiens, mais non les enfants. Nous connaissons des cas où les enfants sont Canadiens, mais non leurs parents. Pour réintégrer la citoyenneté canadienne, montrer mon attachement au Canada, j'ai dû quitter ma mère, qui est devenue veuve il y a trois mois. Je lui ai dit que je l'aimais mais que je devais aller montrer mon attachement au Canada.

Il ne nous reste plus de temps et je vais conclure. Pour vous montrer à quel point tout cela est injuste, permettez-moi de dire que j'aurais pu payer mon admission au Canada. Ce n'est pas juste. C'est une terre d'égalité. Il y a un an et demi, un Américain a fait un don de 1 million de dollars à un musée au Québec et deux semaines plus tard, il a reçu un appel de Jean Chrétien qui lui disait: «Merci. Voudriez-vous la citoyenneté?» L'homme a dit: «Non, vous rigolez. Je n'y avais jamais pensé». En moins d'un mois, il était pleinement reconnu citoyen canadien. Qu'est-ce que cela me fait, pensez-vous?

Ma famille en a donné plus du quadruple. Il y a un millier d'étudiants qui poursuivent des études en ce moment grâce à ma famille. C'est mon arrière grand-oncle. C'est une photographie originale de lui à la Cour suprême du Canada. C'est une photographie de lui et des pères de la Confédération. La maison que Pugwash a bâtie. Il y a un sénateur que la conférence de Pugwash intéresse beaucoup. C'est la maison de mon arrière-arrière grand-père. C'est une photographie de moi au Vancouver Sun. Je jouais au hockey quand j'étais enfant. Je suis tellement attaché à ce pays; je n'ai jamais été Américain.

M. Bosdet: C'est la vérité, parce que la moitié du temps quand j'essaie de le joindre chez lui, il est soit parti jouer au hockey, soit ailleurs.

M. Chapman: C'est quelque chose d'important pour le Canada et c'est comme les célèbres Cinq. Parfois, il faut oser. C'est une question de citoyenneté.

Enfin, il y a la question de la Déclaration canadienne des droits, de 1960. Le Canada enfreint de nombreuses lois internationales et l'ONU est en train de reprocher au Canada d'avoir enfreint la convention relative aux droits de l'enfant adoptée en 1991. Il doit respecter ses obligations. La Déclaration des droits de 1960, dont on a fait fi la semaine dernière ou qu'on a oubliée, mais qui demeure importante, a reconnu des droits égaux aux enfants, et il n'y avait que trois moyens de perdre sa citoyenneté. Aucun de ces moyens ne correspond à nos situations. Le Canada fait fi de ses propres lois. Merci. Je suis à l'hôtel Sheraton ce soir. Appelez-moi. Je peux rester demain. Je peux faire ce que vous voulez. C'est mon pays; c'est un trop bon pays pour qu'on y permette deux catégories de gens comme c'était le cas en Allemagne, où certains avaient des droits et d'autres pas. Merci.

La vice-présidente: Merci beaucoup, monsieur Chapman.

Le sénateur Morin: La semaine dernière, nous n'avons pas pu obtenir le nombre de Canadiens oubliés. Je sais, monsieur Chapman, que vous avez un site Internet et que bien des gens vous ont ainsi contacté. Avez-vous une certaine idée du nombre de gens dont il serait ici question?

M. Bodet: M. Chapman communique avec beaucoup de gens, comme c'est le cas quand on a un site web. Je me demande s'il ne serait pas plus exact de nous en tenir aux gens que nous connaissons. Dans le sud de la Californie où je vivais, j'ai connu d'innombrables Canadiens. Je demandais en fait à l'époque combien de ces gens pensaient à rentrer au Canada. Je n'en voyais aucun. Je trouvais cela incroyable, mais pas tant que cela après y avoir réfléchi, parce qu'ils avaient d'autres raisons de rester. Soit qu'ils étaient venus là pour une raison donnée et s'étaient attachés à cet endroit, soit ils y étaient allés pour certaines raisons et avaient maintenant famille et amis et tout le reste. Je n'arrivais pas à imaginer qu'on ne veuille pas rentrer. Je me suis dit «Ça va. Je peux finalement comprendre.» Je ne vois pas comment on pourrait les dénombrer.

Le sénateur Morin: Je regrette, mais je m'attendais à ce que vous nous donniez un chiffre approximatif.

Le sénateur Morin: En fait, c'est un bon nombre, oui.

Le sénateur Morin: Est-ce 1 000, 500 000, 50 000 ou 550 000?

M. Chapman: Si je devais faire une supposition, je dirais environ 100 000. Ils sont probablement 100 000 au Canada. Si vous lisez les comptes rendus, il y a des gens qui ne savaient pas qu'ils étaient des Canadiens oubliés, qui ont vécu toute leur vie au Canada, jusqu'à ce qu'ils demandent leur pension. Je connais un homme qui vit maintenant dans la rue à Toronto, sans pays, sans numéro d'assurance sociale.

La vice-présidente: C'est vrai.

M. Bosdet: Il y a maintenant au Canada beaucoup de Canadiens oubliés qui ne le savent pas.

La vice-présidente: Oui.

M. Bosdet: J'ai retrouvé le père d'un cousin, peu importe son lien avec moi, qui n'a pas pu obtenir de pension. La seule raison pour laquelle il a fini par l'obtenir, c'est parce que le prêtre qui l'avait baptisé était toujours vivant. Cet homme avait 70 ans et le prêtre en question était beaucoup plus vieux. Il a eu vraiment beaucoup de chance, parce qu'on ne tenait pas de registre à l'époque dans le comté où il est né. Il y a beaucoup de gens dans cette situation. Nous avons reçu des courriels de gens qui disent être inquiets et nous demandent ce que nous pensons de leur cas. Ils ont peur de s'informer auprès du gouvernement en raison de ce qu'ils ont entendu au sujet de ce qu'ont subi d'autres personnes.

La vice-présidente: Beaucoup de cas ont été cités dans les journaux de même que dans l'ouvrage de M. Chapman.

M. Chapman: Nous avons même eu connaissance du cas d'une personne qui avait été enlevée du Canada quand elle était enfant et qui ne peut pas rentrer au pays. J'aurais tellement d'histoires déchirantes à vous raconter. Je regrette que nous n'en ayons pas le temps.

La vice-présidente: Quelle est l'adresse de votre site Web?

M. Chapman: Mon site Web est le www.lostcanadian.com. Il y a aussi www3.tellus.net/IamCanadian.

J'aimerais beaucoup revenir pour vous donner plus d'explications, car ce sont des histoires à vous fendre le coeur. Mon père a été colonel dans l'Armée canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est mort sans avoir pu devenir membre de la Légion canadienne. Le sénateur Graham affirme que la justice est l'une des valeurs du Sénat. C'est la raison d'être du Sénat que de défendre ceux qui ont été négligés. C'est manifestement le cas en l'occurrence. Je suis désolé que le sénateur Morin ne soit pas là, mais le Canadien oublié moyen est de 20 p. 100 mieux instruit que l'Américain moyen, et il gagne deux fois plus. Vous avez tout à gagner. Ce sera un atout pour vous.

Vous avez besoin de gens, eh bien, les voici.

La vice-présidente: Vous avez lu le témoignage des représentants du ministère que nous avons accueillis la semaine dernière. Vous avez sûrement pu constater le scepticisme dont ont fait preuve les membres du comité dans leurs questions à ces fonctionnaires.

M. Chapman: Merci. Vous devez partir, je le sais. Je serai à l'hôtel Sheraton ce soir. Je suis à votre disposition, si vous voulez me rencontrer de nouveau.

La vice-présidente: Nous reprendrons notre étude de ce projet de loi la semaine prochaine, mais je ne crois pas que les questions que nous aurions pu poser auraient été plus éclairantes que votre exposé.

M. Chapman: Moi, j'ai un tas de questions. Je me demande notamment pourquoi Paul Martin a récemment défendu la famille Kadhr et affirmé que la criminalité, c'est une chose, et que la citoyenneté en est une autre. Moi, j'étais citoyen de ce pays. Je n'ai jamais voulu être citoyen d'un autre pays. Je n'ai jamais prêté serment pour devenir citoyen américain.

La vice-présidente: C'est une des réserves que j'avais après avoir entendu le témoignage des fonctionnaires. Ils estiment que cette situation relève de l'immigration, alors que c'est manifestement une question de citoyenneté.

M. Chapman: Pensez à la Déclaration canadienne des droits.

La vice-présidente: Elle est sur mon mur, car nous le devons à un premier ministre pour qui j'ai travaillé.

M. Chapman: Premièrement, il fallait être habilité à prendre cette décision. Or, un mineur n'est pas habilité à prendre une telle décision. Deuxièmement, il fallait accepter de plein gré de renoncer à sa citoyenneté canadienne, ce que je n'ai pas fait. Troisièmement, si votre citoyenneté est révoquée, vous avez droit à une audience et à l'application régulière de la loi, ce que je n'ai jamais eu.

La vice-présidente: Exactement.

M. Chapman: Vous n'auriez pas pu donner la fessée à votre enfant à l'époque. Les enfants avaient des droits. Les gens disent que mon père savait ce qu'il faisait. Presque sans exception, tous ceux à qui j'ai parlé m'ont répondu qu'on leur avait dit qu'ils pourraient toujours rentrer au pays. À l'époque, les frontières étaient poreuses. Lisez ces histoires. N'hésitez pas à communiquer avec moi. Je répondrai à toutes les questions.

La vice-présidente: Je vous signale que le sénateur Kinsella nous a très bien informés de votre cas.

M. Chapman: Merci.

La vice-présidente: Nous connaissons bien votre cas, même si nous ne vous avons pas consacré beaucoup de temps aujourd'hui, et, encore une fois, je m'en excuse. Comme vous avez pu le voir, dans notre étude sur la santé mentale, des questions très importantes sont soulevées. Je suis désolée que nous n'ayons pas eu suffisamment de temps pour vous interroger convenablement.

M. Chapman: Soit dit en passant, Marlene Jennings, qui est députée, est née au Canada d'un père américain. Moi, je suis né au Canada d'un père canadien qui est ensuite devenu américain. Pourquoi est-elle canadienne et moi pas? C'est une incohérence insensée.

La vice-présidente: C'est une excellente question qui met fin à notre séance.

Merci encore, messieurs Bosdet et Chapman. Encore une fois, je vous présente mes excuses.

La séance est levée.


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