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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Témoignages du 5 mai 2004 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2004

Le Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 05 pour effectuer l'étude article par article du projet de loi S-17, Loi modifiant la loi sur la citoyenneté, et pour étudier les questions découlant du dépôt de son rapport final sur l'état du système de soins de santé au Canada, en octobre 2002. En particulier, le comité est autorisé à examiner les questions concernant la santé mentale et les maladies mentales.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Avant que nous cédions la parole à notre groupe d'experts, nous allons passer à l'étude article par article du projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, qui est un projet de loi d'initiative privée déposé par le sénateur Kinsella.

Le comité a entendu des témoins à ce sujet. Pour m'être entretenu avec des membres des deux côtés de la table, je sais que le comité voudrait adopter ce projet de loi aujourd'hui sans y apporter d'amendement. Sénateur Kinsella, voulez-vous intervenir à ce stade? Ce n'est pas nécessaire. Je serais très heureux de passer tout de suite à l'étude article par article.

Le sénateur Kinsella: Je voulais simplement dire que j'ai suivi tout cela de très près. Je n'ai pas été présent à toutes les réunions, mais j'ai lu toutes les retranscriptions. Je remercie mes collègues d'avoir étudié aussi attentivement ce projet de loi.

Le sénateur Callbeck: J'ai une question à poser. Je sais que nous traitons des Canadiens entre 1947 et 1977 pour qu'ils soient considérés de la même façon que ceux qui sont venus après 1977. Qu'en est-il de ceux qui précédaient 1947, quand la citoyenneté canadienne a été adoptée? Les enfants des Britanniques qui ont immigré aux États-Unis et pris la nationalité américaine étaient considérés comme des citoyens américains. Si cet enfant voulait devenir citoyen canadien, que se passerait-il?

Le sénateur Kinsella: Dans ce cas, il lui faudrait faire une demande de citoyenneté en vertu de l'actuelle Loi sur la citoyenneté, qui part de la Loi sur la citoyenneté de Paul Martin, remontant au milieu des années 40, et qui a fait l'objet de l'amendement de 1977. Ce sont ces textes qui s'appliqueraient.

Le sénateur Callbeck: Devraient-ils se plier à des vérifications de sécurité?

Le sénateur Kinsella: Effectivement. Je sais qu'il en a été question ici. Comme vous le savez, j'ai été sous-ministre au Secrétariat d'État pendant plusieurs années, à l'époque où la citoyenneté relevait de ce ministère, quand le centre d'enregistrement était en Nouvelle-Écosse. Nous pouvions tous obtenir un certificat de citoyenneté. La disposition relative à la sécurité existe depuis toujours. Il s'agit de l'article 20 de la Loi et, en cas de problème découlant de la vérification de sécurité, c'est cet article qui s'applique.

Le sénateur Callbeck: Cependant, cela n'existait pas dans le cas des gens qui sont venus après 1947. On ne faisait alors ni vérification de sécurité ni vérification du casier judiciaire.

Le sénateur Kinsella: L'article 20 de la Loi sur la citoyenneté s'applique à toute personne qui demande un certificat de citoyenneté canadienne. Le problème tient au fait que le demandeur pourrait être un criminel ou représenter une menace à la sécurité. Si vous lisez l'article 20 de la loi actuelle, vous verrez qu'il y est dit très clairement que, si un demandeur représente une menace pour la sécurité du Canada, sa demande de citoyenneté peut être rejetée après examen.

Le sénateur Callbeck: Pour ceux et celles qui sont venus avant 1947, mais aujourd'hui, en vertu de la nouvelle loi, ils ne feraient pas l'objet d'un examen.

Le sénateur Kinsella: Cet article prévoit le même traitement pour ceux qui sont nés au Canada avant 1977 et pour ceux qui sont nés après cette date. Il n'y a pas de changement.

Le sénateur Callbeck: Ma question concerne ceux et celles qui sont arrivés avant 1947. Je me demande si nous ne sommes pas en train de faire de la discrimination contre ce groupe.

Le sénateur Kinsella: Avant 1946, il n'y avait pas de citoyenneté.

Le sénateur Callbeck: Non.

Le sénateur Kinsella: Nous étions tous des sujets britanniques.

Le président: Je pense pouvoir clarifier la chose. Le projet de loi ne concerne pas la question soulevée, c'est-à-dire ce qu'il advient d'une personne née britannique. Cela ne concerne que ceux et celles qui sont nés au Canada de parents qui n'étaient pas nécessairement citoyens canadiens et qui ne le sont jamais devenus. L'article reprend ce qui se fait dans la plupart des pays. Autrement dit que, dès que l'on est né dans un pays, on en est automatiquement citoyen sans égard à la citoyenneté des parents. C'est là où se situait le vide.

Je vais vous donner un exemple concret, celui de ma fille aînée qui a vu le jour aux États-Unis pendant que j'y travaillais. Comme elle est née en territoire américain, elle est devenue automatiquement citoyenne américaine. D'un autre côté, comme elle est née de parents canadiens et que nous l'avons enregistrée auprès du gouvernement canadien, elle est aussi automatiquement citoyenne canadienne. L'équivalent n'existait pas avant et c'est ce que se propose de corriger le projet de loi du sénateur Kinsella.

Qu'advient-il des gens nés avant 1947 au Canada? Eh bien, à cette époque, la citoyenneté canadienne n'existait pas encore. Tout le monde était sujet britannique, comme mes parents, et sans doute aussi comme les vôtres. Cette période n'est pas visée par le projet de loi, et il n'a jamais été question de le faire. Le projet de loi traite de cette anomalie où une personne née ici peut être déportée à un moment donné parce que ses parents n'ont pas demandé la citoyenneté canadienne et ne lui a donc pas conféré cette citoyenneté. Dans les autres pays industrialisés, une personne dans la même situation aurait automatiquement obtenu sa citoyenneté, peu importe la décision de ses parents.

Le sénateur Morin: Je tiens à préciser pour mémoire que les parents en question ont fait quelque chose de spécial. Ils ont renoncé à leur citoyenneté canadienne. Ce n'est pas quelque chose de passif, comme l'exemple qui nous a été donné au sujet des États-Unis. La cause s'est retrouvée en Cour suprême qui a reconnu que les parents ont le droit d'agir ainsi au nom de leurs enfants.

Le président: Ce qui ne se fait pas dans la plupart des autres pays.

Le sénateur Morin: Je m'en rends compte, mais ce n'est pas quelque chose de passif. Les parents ont pris une décision très particulière. Ils ont renoncé à leur citoyenneté canadienne.

Le sénateur Kinsella: On pourrait plus simplement dire que ce projet de loi donne aux gens le droit d'être canadien par naissance.

Le président: Oui, c'est une meilleure façon de décrire la chose.

Les membres du comité veulent-ils proposer des amendements? Sinon, j'aimerais que quelqu'un propose une motion pour nous exempter de l'étude article par article.

Le sénateur LeBreton: Je propose.

Le sénateur Morin: J'appuie.

Le président: C'est d'accord?

Des voix: D'accord!

Le président: Quelqu'un peut-il proposer que nous représentions ce projet de loi au Sénat sans amendement?

Le sénateur Fairbairn: Je propose.

Le sénateur LeBreton: J'appuie.

Le président: D'accord?

Des voix: D'accord!

Le président: Adopté. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre nos témoins experts sur les questions de la santé mentale et de la toxicomanie. Nous avons quatre témoins: M. Kelly de la Fédération des programmes communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies de l'Ontario, et trois représentants du Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, soit MM. Rush et Skinner et Mme Bois. La première personne à parler sera M. Kelly.

M. David Kelly, directeur général, Fédération des programmes communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies de l'Ontario: Merci de votre invitation. Nous apprécions l'occasion que vous nous donnez de parler de ces questions avec vous.

La Fédération représente 216 fournisseurs de soins en santé mentale et en toxicomanie en Ontario — cinq fournisseurs de service de première ligne, des organismes de consommateur et des programmes hospitaliers. Tous relèvent d'un conseil bénévole et offrent toute une gamme de services; en un sens, il s'agit de tout un ensemble de services liés à la santé mentale et à la toxicomanie.

La Fédération est favorable à la création d'un système communautaire de santé mentale et de traitement des toxicomanies qui soit accessible, souple, complet, adapté aux besoins des particuliers, des familles et des collectivités, et qui soit constitué de plusieurs partenaires, respectueux de la dignité et des droits de la personne; il système serait responsable envers ceux et celles qu'il servirait.

À l'heure où nous vous parlons, en Ontario, nous sommes confrontés à une crise — et je n'emploie pas ce terme à la légère — dans les services de santé mentale et de traitement des toxicomanies. Pour bien comprendre cette crise, il faut d'abord reconnaître que les problèmes de santé mentale et de toxicomanie reviennent énormément cher à la province. D'ailleurs, la plupart des données statistiques de l'Ontario pourraient s'appliquer à l'ensemble du pays.

Le nombre de personnes souffrant de maladies mentales et de problèmes de toxicomanie ne cesse d'augmenter. Il coûte bien moins cher de s'attaquer à ce genre de problème au sein de la collectivité que d'appliquer d'autres solutions. Les organismes membres de la Fédération ne sont pas en mesure d'offrir suffisamment de services aux nombreuses personnes qui nous sollicitent. Malgré tous ces obstacles, le secteur communautaire de la santé mentale et du traitement des toxicomanies parvient à offrir des services efficaces.

Pour comprendre cette crise, nous devons d'abord comprendre un peu d'où elle vient. Le budget de base des organismes de santé mentale qui sont financés par la province n'a pas augmenté depuis 1992. Les budgets de fonctionnement pour les services de toxicomanie n'ont augmenté que de 2 p. 100 durant la même période. En tenant compte de l'indice d'inflation du gouvernement fédéral, nous avons estimé que la capacité des organisations de répondre aux problèmes de santé mentale et de toxicomanie avait, au bas mot, diminué de 20 p. 100 depuis 1992. Selon certaines estimations, les ressources humaines dans le secteur des services communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies auraient diminué de 28 p. 100 durant la même période. Cela veut dire que le personnel apte à offrir de genre de services au sein des collectivités a diminué de 28 p. 100.

Compte tenu des coûts qui augmentent et du fait qu'il faut maintenir un budget équilibré, les organisations ont été contraintes de mettre un terme à certains programmes, de réduire les services offerts et d'en limiter l'accès. D'un autre côté, nous avons assisté à une augmentation très marquée du niveau de demande.

Les conséquences de tout cela sont simples: listes d'attente qui s'allongent; recours accru à d'autres services institutionnels plus coûteux et augmentation du niveau de stress des clients, de leurs familles ainsi que des membres des collectivités. Le degré de sollicitation des autres services sociaux et de santé a augmenté, surtout dans le cas des services policiers et carcéraux, des salles d'urgence et des hôpitaux. Nous avons constaté une augmentation de la demande dans les services d'urgence.

Depuis 1986 environ, 18 études ont été réalisées dans la province de l'Ontario et toutes ont souligné la nécessité de mettre en place des services communautaires plus solides et plus complets. L'avant-dernière étude du genre, réalisée en 1993, porte le titre «Putting People First». On y envisage d'offrir des services complets grâce auxquels les malades mentaux ou les toxicomanes auraient plus facilement accès à des soins de qualité dispensés par divers services communautaires institutionnels dont tous les éléments seraient intégrés et coordonnés. À ce moment-là, on estimait que les services communautaires absorberaient 80 p. 100 du montage financier, tandis que les institutions en absorberaient 20 p. 100. Nous sommes, de toute évidence, très loin de ces objectifs.

En 1999, l'Ontario a publié «Making It Happen», document dans lequel le gouvernement réaffirme son engagement envers des principes semblables. Le document traite de la création de services adaptés aux besoins des clients. On y affirme que l'on améliorerait le choix et l'accès aux services pour les clients et que l'on continuerait d'investir ou de réinvestir dans les services de santé mentale afin d'appuyer la réforme dans ce domaine et d'accroître la capacité globale de la province en la matière. C'est la même année qu'a été publié «Setting the Course» qui constitue un cadre d'intégration des services de toxicomanie. Ce rapport énonce deux objectifs importants: veiller à ce que chaque district de la province dispose de tout un éventail de services, et faire en sorte que les clients aient accès aux services dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin.

Malheureusement, il y a loin de la coupe aux lèvres. Presque la moitié des personnes ayant besoin de services en santé mentale ou en traitement de toxicomanie en Ontario doivent attendre huit semaines si ce n'est pas plus pour bénéficier de ces services. C'est une éternité dans la vie d'une personne, d'une famille ou d'une collectivité qui est aux prises avec ce genre de difficultés. Une grande proportion des programmes de la Fédération, soit 18 p. 100, indique que le temps d'attente pour des services est d'une année voire plus. Quatre-vingts pour cent de nos organismes membres ont indiqué qu'ils devaient temporairement mettre un terme à leurs programmes à cause de leurs difficultés financières. Vingt-cinq pour cent d'entre elles ont mis un terme à certains programmes de façon permanente. Les trois quarts des membres de notre Fédération ont perdu leur personnel qui a accepté des emplois mieux payés hors du secteur. Souvent, quand des employés nous quittent, nous ne pouvons nous permettre de les remplacer. Nous ne pouvons évidemment pas faire concurrence aux autres secteurs d'activité qui offrent des salaires supérieurs.

Depuis 1996, nous avons perdu en Ontario 12 p. 100 de la capacité de traitement des toxicomanies en établissement et avons enregistré le même genre de recul du côté des cures de désintoxication. Pour vous donner une idée de ce que cela signifie, dans certaines régions de l'Ontario, il faut maintenant attendre quatre mois pour se faire évaluer dans un service de toxicomanie; il faut cinq mois pour être admis dans un programme de traitement de jour ou de soir et six mois pour être admis dans un service en établissement.

Pour quelqu'un qui est sur la voie de la guérison et qui a besoin d'accéder à ce genre de services, quatre mois d'attente ne peuvent qu'occasionner des coûts incroyables à notre société parce que ces personnes devront se présenter dans des salles d'urgence ou qu'elles auront des démêlés avec la justice. Les coûts sont considérablement accrus à cause de ces délais.

Nous avons atteint un stade où nos services sont en train de diminuer. Je vais vous donner une idée de certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans différentes parties de l'Ontario.

Il y a d'abord les services de désintoxication dans le nord-ouest de la province. En juin 2003, le seul psychiatre de la région spécialisé en toxicologie, qui était habilité à prescrire de la méthadone, a annoncé qu'il s'en allait. Quatre-vingt- dix personnes comptaient sur lui pour ce service. Heureusement, les organisations communautaires parviennent très souvent à exploiter au maximum les ressources dont elles disposent. Elles ont serré les coudes dans ce cas et sont parvenues à maintenir le programme à flot.

Il demeure que, tous les six mois à peu près, le programme est menacé parce qu'il n'est pas entièrement financé. Il a reçu une subvention unique de 50 000 $ qui, si je ne m'abuse, sera épuisée à la fin du mois.

L'absence de véritables programmes de traitement d'entretien à la méthadone à Thunder Bay — vous avez peut-être récemment lu que Thunder Bay présente l'un des taux de toxicomanie les plus élevés au Canada — a donné lieu à une augmentation des infractions au code de la route et de la criminalité. Par rapport à 2002, trois fois plus de pharmacies ont été volées en 2003 et 80 p. 100 de ces vols concernaient des opiacées et des narcotiques. On a également constaté une augmentation du nombre d'incarcérations, de visites multiples aux salles d'urgence, d'admissions multiples de patients dans les hôpitaux généraux et les hôpitaux psychiatriques. L'absence de tels programmes a aussi occasionné une augmentation des séjours de traitement et des services de désintoxication, de même qu'un allongement des listes d'attente pour des lits en désintoxication dans le cas de personnes n'ayant pas besoin de méthadone, puisque celles qui sont traitées à la méthadone restent plus longtemps dans le système.

Pour vous donner un autre exemple de certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés à cause du manque de financement dont souffrent nos organisations, permettez-moi de vous parler du programme des logements supervisés en santé mentale dans le sud de l'Ontario. Ce programme sert 30 des personnes les plus gravement handicapées de la province. Il fait l'objet d'un partenariat unique qui consiste à faire appel à un autre fournisseur de services pour les soins infirmiers dans le cas des résidents dans état médical instable. Avant leur admission dans le programme, tous les résidents étaient traités dans des services de soins de longue durée des hôpitaux psychiatriques. Beaucoup avaient régulièrement essayé de se faire admettre dans des services de soins communautaires, mais aucun n'y était parvenu avant ce programme.

Âgés de 41 à 69 ans, les clients du programme sont, en moyenne, malades depuis 27 ans. En plus de leur diagnostic psychiatrique, neuf sont atteints de diabète, huit ont un passé de toxicomane, six présente un retard de développement, six ont été internés sur recommandation du Conseil de révision de l'Ontario, cinq souffrent d'arthrite, trois ont une bronchopneumopathie chronique obstructive, trois autres ont eu des AVC et un résident est atteint d'un cancer.

Malgré la gravité de leur état, les résidents semblent très bien se porter grâce aux services offerts en logement. On a estimé que ce programme avait permis d'économiser plus de 4,4 millions de dollars en frais d'hospitalisation en 2002 seulement. Nous avons ici affaire à ce que l'on pourrait qualifier de coûts journaliers élevés pour les soins des résidents, puisqu'un logement avec soutien coûte 59 $ par jour. C'est ce qu'il en coûte au maximum. Certains programmes sont parvenus à limiter ces coûts entre 5 et 10 $ par jour. Il suffit de comparer avec 80 ou 90 $ par jour dans un centre pour itinérants, 117 $ par jour dans un centre de soins de longue durée, 137 $ par jour dans un établissement carcéral et 500 $ dans un hôpital psychiatrique. Quand on prive les services de santé mentale et de traitement des toxicomanies des fonds nécessaires, on augmente les coûts par ailleurs.

Je vais vous entretenir un instant de l'efficacité du service pour vous donner une idée de ce qui se passe. Nous sommes en mesure de clairement démontrer que nos services communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies permettent à notre système de soins de santé et à notre société en général d'économiser des sommes incroyables.

Le coût des soins hospitaliers est considérablement supérieur à celui des soins communautaires. Partout en Ontario, un peu moins de la moitié des clients des services de santé mentale bénéficient d'un niveau approprié de soins. Ainsi, 76 p. 100 des résidents de Whitby, qui ont besoin de services communautaires de santé mentale, et 63 p. 100 des résidents de la région du nord-est reçoivent un niveau d'aide inférieur à leurs besoins. Ces chiffres que je vous cite nous viennent de l'unité de consultation et de recherche sur les systèmes de santé. C'est à cause du manque de solutions autres, de l'absence d'établissements et du manque de soutien — plutôt que du niveau de fonctionnement — que tant de personnes se retrouvent dans les hôpitaux. Afin d'éviter de tomber dans l'excès et d'offrir trop généralement ce type de soins beaucoup plus coûteux et restrictifs, il convient de mettre sur pied un éventail de services de soutien communautaire.

Nous pourrions prouver que les logements supervisés permettent de réduire de 60 p. 100 la durée des séjours en hôpital. Nous pourrions aussi prouver que, dans le Grand Toronto, nous offrons un programme qui permet de réduire les coûts d'hospitalisation de 1,3 million de dollars à 176 000 $ pour 56 personnes qui bénéficient de services complets de gestion de cas. Il existe un large éventail de soutiens et de statistiques prouvant l'efficacité des programmes communautaires de santé mentale.

Comme nous manquons de temps, j'attirerai votre attention sur un autre document de notre trousse intitulé «Generating New Revenue to Support Addictions Services». Nous sommes conscients que nous ne devons pas nous limiter à vous mentionner des problèmes et que nous devons faire preuve de créativité pour répondre aux besoins constatés, surtout en Ontario où nous faisons face à ce genre de déficit.

Cette proposition est intitulée «A Behavioural Insurance Model» ou Modèle de garantie comportementale. Je vous invite à jeter un coup d'oeil sur cette façon novatrice de financer les programmes de traitement des toxicomanies dans le cadre d'un ensemble de soutien. Ce n'est pas la seule solution. Celle-ci repose sur l'imposition d'une surtaxe dite comportementale de un cent sur les boissons régulières, ce qui rapporterait environ 40 millions de dollars de plus par an pour les services de traitement des toxicomanies. Cela reprend le même principe que ce qu'a fait le gouvernement de l'Ontario dans le cas des jeux de hasard, pour s'attaquer au problème de la dépendance au jeu. Cette politique prévoit l'imposition d'une surtaxe de 2 p. 100 sur les recettes brutes des machines à sous et des casinos de bienfaisance. L'argent recueilli est investi dans les services de traitement et de prévention de la dépendance au jeu.

Le président: Merci.

La prochaine personne à parler est M. Rush.

M. Brian Rush, chercheur, Politique de prévention sociale et de santé, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Merci de votre invitation. Je me propose de vous entretenir de la simultanéité des maladies mentales et des problèmes de toxicomanie, puisque les deux vont souvent de pair. Je vais vous montrer pourquoi ce double phénomène est important et pourquoi il doit retenir notre attention.

Au cours des deux dernières décennies, la simultanéité des problèmes de toxicomanie et de santé mentale chez les personnes nécessitant des traitements et un appui a revêtu de plus en plus d'importance aux yeux de ceux et de celles qui planifient et qui financent les programmes de santé mentale et de traitement des toxicomanies, de même que pour ceux qui offrent directement les services. Cet intérêt pour les troubles simultanés a été avivé par la recherche qui a porté sur deux aspects: d'abord, la prévalence de la comorbidité et le degré de recoupement des populations atteintes. Deuxièmement, les conséquences de la comorbidité pour la prestation, les coûts et le résultat des traitements et des autres services de soutien.

En réponse à cet intérêt croissant, Santé Canada a demandé au Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CTSM, de faire le point sur les connaissances actuelles et de préparer des directives relatives aux pratiques exemplaires en matière de traitement et de réhabilitation des personnes présentant simultanément des problèmes de toxicomanie et de troubles mentaux. Nous avons combiné notre synthèse sur la recherche avec des conseils et des avis d'experts et d'autres intervenants importants du domaine. Nous nous sommes également entretenus avec des clients, partout au Canada, qui ont connu les effets de tels troubles simultanés. Je vais vous remettre des exemplaires du rapport sur les pratiques exemplaires commandé par Santé Canada, bien que je ne compte pas vous en parler.

Qu'entend-on au juste par «troubles simultanés» ou «concourants»? En règle générale, l'expression s'applique à des personnes qui souffrent en même temps de problèmes de santé mentale et de problèmes de toxicomanie. Sur un plan technique, autrement dit en termes diagnostiques, l'expression s'applique à la combinaison de troubles de santé mentale et de toxicomanie, tels que définis dans le DSM, soit le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux à l'usage des psychiatres et des médecins.

Pourquoi ce problème de simultanéité est-il si important? M. Skinner, Mme Bois et moi-même nous sommes fixé pour tâche de vous expliquer pourquoi il convient de regrouper la santé mentale et les toxicomanies dans un seul et même cadre de politique. On ne peut dissocier la toxicomanie et la santé mentale. Vous pourriez toujours me dire: «je ne connais personne qui ferait cela». Cependant, dans un instant, je vous convaincrai que c'est ce qui s'est passé au Canada au cours des 30 ou 40 dernières années. Nous avons développé deux systèmes de soins entièrement séparés. Les patients atteints de ces deux troubles en même temps préféreraient vivre autrement. Ce sont les oubliés du système, parce qu'ils ne tombent dans aucune des cases prévues. Ils constituent la population qui a le plus de besoins.

Le problème est important pour trois raisons. D'abord, parce que le recoupement entre les problèmes de santé mentale et les problèmes de toxicomanie sont extrêmement élevés. Pire encore, même aujourd'hui les professionnels de la santé ne reconnaissent pas ce phénomène. Deuxièmement, le recoupement entre les deux problèmes est associé à un grand nombre de conséquences sanitaires et sociales très graves. Il est aussi synonyme de faibles revenus pour les personnes qui doivent se faire traiter. Troisièmement, toute une série de vieux problèmes systémiques sur le plan professionnel entre les services de santé mentale et les services de traitement des toxicomanies ont contribué à une mauvaise coordination des soins et à une absence de continuité sur ce plan.

Cette simultanéité des problèmes de santé mentale et des problèmes de toxicomanie sont-ils courants? Nous examinerons cette question selon deux points de vue. D'abord, à quelle fréquence rencontre-t-on ce recoupement dans la population en général? Deuxièmement, à quelle fréquence le rencontre-t-on chez les gens ayant besoin de traitements?

Pour ce qui est de la population en général, nous disposons d'études réalisées dans les pays les plus développés et dans de nombreux pays en développement, ainsi que de relevés de population et d'études épidémiologiques axées sur les problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Je tiens ici à souligner que Statistique Canada a commandé une enquête qui n'est pas encore terminée. Nous attendons les données qui, je pense, devraient nous donner d'excellentes informations sur la prévalence des problèmes de toxicomanie et de santé mentale ainsi que sur leur co-occurrence au Canada. Je peux vous parler d'une excellente étude réalisée aux États-Unis, mais nous disposerons très bientôt de données canadiennes que nous pourrons analyser.

L'une des meilleures études actuelles est donc américaine. Les chercheurs ont constaté que 43 p. 100 des toxicomanes/alcooliques souffrent également de troubles mentaux. Près de la moitié des toxicomanes/alcooliques non internés présentent également d'autres problèmes graves de santé mentale. Cela correspond tout au fait au genre de données que nous avons recueillies à l'occasion d'une excellente enquête menée en Ontario. Dans le milieu des années 90, nous avons estimé que le recoupement était de 55 p. 100. Les mêmes proportions apparaissent dans presque toutes les études épidémiologiques réalisées dans le monde.

Nous savons aussi que les personnes qui souffrent de ces problèmes au sein de leur collectivité sont en fait les plus susceptibles de réclamer un traitement. Ainsi, d'après un sondage réalisé dans le cadre d'une étude, les alcooliques/ toxicomanes/dépressifs sont cinq fois plus susceptibles que les autres de réclamer une aide. Vous avez sans doute entendu parler bien d'autres personnes au sujet de la prévalence de la dépression dans notre société.

On peut sans trop risquer de se tromper affirmer que les prestataires des services communautaires d'aide associent ces troubles graves à une augmentation du stress: la simultanéité des troubles est un facteur aggravant. On ne peut dissocier les problèmes de toxicomanie des problèmes de santé mentale. Dans la vie de tous les jours, les gens qui en sont atteints sont aux prises avec de nombreuses difficultés.

À l'analyse des cas que présentent les personnes qui réclament des traitements dans les services de santé mentale — dans les hôpitaux psychiatriques, les cliniques communautaires de santé mentale ou les services d'urgence — on se rend compte que le taux de simultanéité dépend du genre de service envisagé. Il n'est pas courant que ce taux soit aussi élevé que 50 à 75 p. 100. Nous venons juste de mener à terme un projet d'évaluation des services communautaires de santé mentale à Toronto, Ottawa et Kingston qui nous a permis de constater que le taux de simultanéité se situerait aux environs de 15 p. 100 dans le bas de la fourchette et de 45 p. 100 dans le haut de la fourchette, selon la différence dans les populations et les services étudiés.

Dans les populations de sans-abri à Ottawa et Toronto — c'est-à-dire des personnes atteintes de maladies mentales qui vivent dans la rue — le taux de simultanéité dépasse 50 p. 100. Parmi les toxicomanes et alcooliques qui se présentent à des cures de désintoxication, certaines études montrent qu'environ 75 p. 100 d'entre eux — si ce n'est 100 p. 100 — ont également de graves problèmes de santé mentale.

Il est également important de tenir compte de la prévalence de la simultanéité relevée dans les monographies. Quand on effectue une étude auprès d'un ou de plusieurs centres dans l'intention délibérée d'étudier la comorbidité, on trouve forcément plus de cas que ceux détectés grâce à des procédures de détection et d'évaluation courantes appliquées par le centre. Je vais vous en donner un exemple. Une unité de psychiatrie a hospitalisé 75 patients. Ils viennent tous du service des urgences de l'hôpital et sont orientés vers l'unité d'hospitalisation régulière. Le psychiatre du service d'urgence dresse quatre diagnostics de consommation abusive d'alcool ou de drogue sur les 75 patients admis. Le personnel hospitalier — deuxième point d'orientation — établit 29 diagnostics du genre sur les 75 personnes hospitalisées. Une semaine plus tard, un groupe de recherche effectue des entrevues de diagnostic auprès de chaque patient et répartit les troubles en fonction des différentes substances consommées. Ils établissent ainsi 187 diagnostics du genre portant sur l'alcool, la cocaïne et l'héroïne.

Cette étude n'a rien d'inhabituel. La vraie leçon qu'il faut retenir ici, c'est que les services, dans ce cas un centre de santé mentale très respecté dans la collectivité et un hôpital psychiatrique de soins internes, ne traquent simplement pas les cas d'alcoolisme/toxicomanie. Le personnel n'est pas formé pour cela et il ne lui vient pas à l'idée de détecter ces cas.

Pourtant, la comorbidité est le premier facteur annonciateur de mauvais résultats. Ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine se sentent presque investis de l'obligation éthique de se mettre en quête des cas de comorbidité parce que nous savons que ce diagnostic est important pour prédire le déroulement des soins et les résultats auxquels nous parviendrons.

La deuxième raison pour laquelle tout cela est important tient au lien qui existe entre la comorbidité et l'état de santé, les résultats des traitements et l'utilisation des services. Il y a 20 ou 30 ans de cela, il y a eu un vaste mouvement de désinstitutionnalisation dans le système de santé mentale. Les gens sont alors sortis des hôpitaux. Nous nous étions dits que nous pourrions subvenir à leurs besoins au sein de la collectivité grâce à des médications appropriées. En théorie, comme M. Kelly l'a mentionné, nous étions aussi sensés leur dispenser en même temps beaucoup de services de soutien. En réalité, ce n'est pas ce qui s'est passé.

Dans les années 60, nous avions constaté que les jeunes hommes, en particulier — ce sont généralement les premiers à être atteints de schizophrénie — pouvaient mettre la main sur tout un éventail de drogues et il nous était alors impossible de les traiter correctement. La recherche a démontré, au début de la désinstitutionnalisation, que la consommation excessive d'alcool et de drogue constituait la première cause d'échec de l'ajustement au sein de la collectivité. Nous savons ainsi depuis un certain temps que le recoupement des problèmes de toxicomanie et de santé mentale peut avoir des répercussions sur les gens qui essaient de s'en sortir au sein de la collectivité.

Depuis lors, la recherche nous a montré que la consommation excessive d'alcool ou de drogue combinée à des problèmes de santé mentale est associée à un risque élevé de rechute et d'hospitalisation, de suicide, d'incarcération, d'itinérance et de problèmes familiaux — et la liste se poursuit ainsi. Il s'agit d'une liste des conséquences sanitaires et sociales qui couvre presque tout l'éventail des problèmes imaginables: violence et négligence infantile, violence domestique, risque de violence et de victimisation, séropositivité et sida et problèmes fonctionnels comme le chômage, l'instabilité au travail et difficultés chroniques dans la gestion de la vie quotidienne.

Pour ce qui est de la comorbidité, prenons un problème X — la dépression, par exemple — et ajoutons-y un grave problème de consommation d'alcool. La situation est compliquée. Il faut doubler voire tripler d'efforts pour arriver à contrôler la vie de quelqu'un qui est dans cette situation. Chez un schizophrène en traitement qui découvre la cocaïne, toutes les répercussions sont doublées, voire triplées.

Force est donc de constater que le résultat des traitements pour maladie mentale associés à un soutien communautaire régulier est perturbé par une éventuelle consommation excessive d'alcool ou de drogue. L'inverse est également vrai. Le traitement des toxicomanies est perturbé par d'éventuels troubles psychiatriques. Il semble que ce soit particulièrement vrai pour les opiomanes, les alcooliques et les cocaïnomanes.

La présence simultanée de troubles mentaux accroît la probabilité d'un arrêt anticipé des traitements, ce qui a forcément un effet négatif sur les résultats. L'arrêt anticipé du traitement peut s'expliquer par le fait que de nombreux clients dans cette situation éprouvent des difficultés à suivre un traitement et à adopter une discipline thérapeutique. En fait, ils ne font pas confiance au système. On les a tellement promenés d'un bord à l'autre, qu'il leur est difficile de s'engager. D'ailleurs, un malade mental qui fait une demande de logement avec service de soutien ne déclare pas de son problème de toxicomanie, parce qu'il risque de perdre le logement dont il a tant besoin.

Ceux qui poursuivent le traitement ont souvent besoin d'une intervention soutenue d'une durée telle que leurs soins dépassent la portée des services normalement offerts dans le cadre du programme qui les acccepte. Étant donné le risque élevé de rechute et la réintégration très probable dans des services plus coûteux, de même que la très forte probabilité d'un congé prématuré du service, il est un fait qu'une évaluation et un traitement efficaces des personnes présentant des troubles simultanés permettrait de réduire les coûts pour le système de santé, les coûts sociaux et les coûts en service correctionnel.

Les clients des services de traitement des toxicomanies, qui sont aussi atteints de troubles psychiatriques ont en général davantage recours aux services psychiatriques et ils sont plus souvent réadmis pour être traités. Le recours fréquent aux services d'urgence qui sont coûteux et la persistance des troubles de santé mentale et de toxicomanie dans le temps contribuent à augmenter très nettement les coûts économiques associés au traitement et au soutien régulier des personnes atteintes.

Enfin, dans votre étude sur les services de traitement de la santé mentale et de la toxicomanie au Canada, vous devrez examiner cette sous-population qui présente divers troubles concourants, parce que les services offerts ne sont ni planifiés ni intégrés en sorte de maximiser les résultats. On s'entend pour affirmer que les personnes atteintes en même temps de troubles mentaux et de problèmes de toxicomanie ont généralement dû réclamer un traitement et des services d'appui auprès de deux ou trois systèmes différents. C'est particulièrement vrai pour ceux et celles qui abusent d'alcool ou d'autres drogues et qui souffrent aussi de maladie mentale grave et persistante ou de troubles de la personnalité. La plupart des analystes disent que les barrières historiques qui existent entre les deux systèmes constituent, depuis toujours, l'essentiel des problèmes que rencontrent les clients, atteints de troubles simultanés, désireux d'accéder aux services susceptibles de les aider.

De nombreux facteurs interviennent dans cette séparation historique entre les deux systèmes de soins. Par exemple, les besoins de la population en quête de services de santé mentale ont considérablement changé à la suite de la désinstitutionnalisation des années 60. À l'époque, ces gens-là recevaient des services au sein de leur collectivité. D'un autre côté, nous vu qu'il y a de plus en plus d'alcool et de drogues qui circulent dans les collectivités. C'est alors qu'on a commencé à constater le phénomène de simultanéité des troubles et, depuis 25 ou 30 ans, les systèmes de soins et de soutien, à l'origine conçus pour régler un seul problème chacun, essaient de faire du rattrapage. Comme les problèmes se sont combinés, les services se sont de plus en plus distancés les uns des autres, ce qui est totalement illogique.

Aujourd'hui, l'accord est quasi général sur le fait que l'existence de deux systèmes de soins s'adressant à des personnes qui présentent un tel recoupement dans la constellation de leurs besoins est presque plus négative que positive en matière de continuité des soins et de résultats pour les patients. À cause de ces deux systèmes de soins distincts, on a généralement offert des services parallèles ou en cascade: «On va s'occuper de vous ici pour ceci et là-bas pour cela». Le problème, c'est que la personne peut ne jamais se rendre dans l'autre service et que personne ne le saura.

On estime que les piètres résultats en matière de traitement sont dus à trois facteurs systémiques importants: le sentiment complexe de stigmatisation, les désaccords quant au problème le plus important à traiter et le fardeau additionnel que représente le fait de devoir raconter sans cesse son histoire quand on passe d'un programme à l'autre.

Les exemples d'approches conflictuelles en matière de traitement sont l'abstinence par rapport à des objectifs de réduction dangereuse et des différences philosophiques dans l'utilisation des techniques de confrontation. Dans certains services de désintoxication, on accepte encore mal les médicaments psychoactifs susceptibles de contrôler les symptômes d'une maladie mentale.

Dans le pire des cas, à cause de la façon dont les services sont offerts par deux systèmes de soin et de soutien, le patient — très souvent la personne qui souffre du plus grand nombre de problèmes variés — est ballotté. Cela étant, on ne fait que peu voire aucune gestion de cas pour s'assurer que les contacts ont été pris et que la personne a effectivement intégré l'autre système. Le taux de décrochage de programmes concurrents et mal coordonnés peut atteindre 60 p. 100.

La mauvaise coordination des services ressort particulièrement dans les témoignages et dans les récits personnels de patients ayant participé aux groupes de discussion que nous avons organisés à l'occasion de notre projet national sur les pratiques exemplaires. Je terminerai en citant une patiente qui a pris la parole devant le groupe:

J'ai obtenu de l'aide pour chaque chose, mais on se sent oublié du système quand on a besoin d'une aide combinée, pour tout à la fois [...] et, quand un de vos troubles est pire qu'un autre, le médecin pense que vous voyez quelqu'un d'autre, mais finalement personne ne vous traite. Il n'y a pas de suivi et on est tout simplement oublié.

Cette patiente parlait de la comorbidité, thème qui était commun dans les groupes.

Je résume ces trois raisons à la fin de mon mémoire. Le recoupement est très élevé; l'effet sur les résultats est particulièrement désastreux et nous devons composer avec deux systèmes de soins particulièrement séparés qui essaient de gérer des ensembles de problèmes par ailleurs très liés et même très intégrés.

M. Wayne Skinner, directeur clinique, Programme des troubles concourants, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Je vous ai fait remettre un petit guide d'information que nous venons juste de produire, pour que vous puissiez en prendre connaissance. Je tiens à vous féliciter d'avoir inscrit ce sujet dans votre étude sur la santé mentale et je vous remercie de votre invitation.

Dans mes remarques, j'adopterai un point de vue clinique. Je tiens à insister sur le fait que nous devons considérer que les personnes atteintes de troubles simultanés sont, d'abord et avant tout, des êtres humains. Elles ont dû payer un prix beaucoup trop élevé pour leur maladie. M. Rush vous a dit à quel point il est difficile d'obtenir des soins complets, mais la vie de ces personnes est durement touchée de nombreuses autres façons. Parlons, par exemple, de la stigmatisation. Ces clients parlent souvent d'une double malédiction. C'est important. Quant à moi, il faut partir du principe que nous avons affaire à des problèmes humains associés à la maladie et à la souffrance.

Il faut également se rendre compte qu'il s'agit là de la règle et non de l'exception. Dans bien des cas, comme M. Rush vous l'a montré, ce genre de problème va à l'encontre de la façon dont le monde est conçu. Nous avons besoin d'un système où, dès qu'un problème est détecté, il faudrait systématiquement enquêter pour déterminer si un autre problème n'est pas simultanément présent. Ce devrait être la logique par défaut. Or, on ne fonctionne pas ainsi ni dans le réseau de désintoxication ni dans celui de la santé mentale.

D'un point de vue clinique, ce qui est important c'est que les effets des troubles sur l'entourage et les autres vont bien au-delà de ceux qui sont simplement associés aux maladies diagnostiquées. Nous essayons de travailler avec les familles. On constate chez elles énormément de souffrance cachée que nous devons prendre en compte. Nous devrons régler cela dans le cadre d'une stratégie de soins de santé. Ce problème n'est pas assez reconnu. Je ne pense pas que les systèmes de soins, qui visent surtout à poser des diagnostics dans le cas des patients, disposent des outils nécessaires pour s'attaquer à cet aspect.

Nous savons également que la meilleure façon pour un patient d'obtenir de bons résultats dépend du milieu qui doit être résiliant, sain et fonctionnel. Il arrive très souvent qu'en présence de ces maladies chroniques, les familles soient dysfonctionnelles. Il importe de penser à cela dans l'élaboration de méthodes de soins communautaires, méthodes qui sont les plus importantes.

Certains groupes sont plus susceptibles que d'autres aux troubles simultanés. Il s'agit des membres des Premières nations qui souffrent de problèmes complexes découlant de la prévalence élevée de maladies mentales et de toxicomanies. Les populations d'immigrants et de réfugiés présentent également des taux élevés de troubles simultanés. Les personnes incarcérées méritent, elles aussi, d'être diagnostiquées sur ce plan. Elles présentent des taux incroyablement élevés de toxicomanie et de problèmes de santé mentale. Si nous voulons effectivement les réintégrer dans la société et éviter qu'elles ne récidivent, il faudrait absolument les aider à régler leurs problèmes.

Nous devons inclure toute la gamme des toxicomanes et des malades mentaux dans la formulation de nos politiques et dans l'élaboration des pratiques destinées à répondre à la question des troubles simultanés. Depuis toujours, le système de santé mentale se préoccupe essentiellement des personnes gravement atteintes. Ce n'est pas étonnant, puisqu'il s'agit de la population pour laquelle nous disposons de plus d'informations en matière de pratiques exemplaires. Eh bien, nous devons ne plus nous arrêter aux psychoses ni aux maladies mentales graves et persistantes qui ne touchent que 2,5 p. 100 de la population, pour nous intéresser plutôt aux problèmes de santé mentale dont souffre une population plus importante. Je veux parler ici des troubles de l'humeur et de l'anxiété, des impulsions caractérielles et des troubles de la personnalité. Ce sont les problèmes les plus répandus. En général, le personnel en santé mentale ne s'intéresse pas à ces populations, parce que ce sont les malades mentaux gravement atteints qui constituent leur priorité.

Pour ce qui est des cures de désintoxication, le système est davantage axé sur l'alcool et les drogues illicites, mais nous savons maintenant qu'il faudrait inclure le tabac et la consommation de médicaments vendus sur ordonnance. Nous ne devons pas nous arrêter aux troubles de consommation abusive d'alcool et de drogues pour englober les problèmes associés à l'accoutumance aux jeux de hasard et les autres assuétudes comportementales associées à des problèmes de maladie mentale. Nous devons nous appuyer sur un cadre plus large pour envisager les répercussions de ces problèmes dans la population en général. Cela nous permettrait d'adopter de meilleures stratégies de prévention et d'intervention.

Il faudrait que tous ceux et toutes celles qui se présentent pour recevoir des soins, soit en santé mentale soit en désintoxication, soient systématiquement évalués pour la présence éventuelle de troubles simultanés. Ce n'est pas ce qui se passe actuellement. C'est le problème répertorié que présente le patient à son arrivée qui détermine les ressources auxquelles il aura accès. L'ensemble de ces besoins n'est pas bien défini. Le Dr Rush vous a merveilleusement illustré cette situation dans son intervention.

On applique à présent des pratiques fondées sur les résultats cliniques et scientifiques en fonction desquels les bailleurs de fonds peuvent déterminer quelles interventions méritent un appui financier. Les cliniciens peuvent s'inspirer de ces résultats pour appliquer des normes de pratiques exemplaires. Il est réconfortant de voir, sur le terrain, l'intérêt que les cliniciens affichent envers ces pratiques exemplaires. Ils se montrent très intéressés à les apprendre et à les appliquer parce que ceux qui font le travail sont conscients que les approches actuelles ne sont pas vraiment efficaces.

Nous devrions exiger que les programmes de soins en santé mentale et de traitement des toxicomanies soient qualifiés d'«aptes en TS» ou de «spécialisés en TS». Aptes en TS veut dire qu'un service est en mesure de détecter, de filtrer et d'offrir un service d'intervention au premier niveau aux personnes souffrant de troubles simultanés. Un programme spécialisé en TS, lui, offre une intervention spécialisée en la matière. Nous comptons plusieurs programmes au centre de toxicomanie et de santé mentale qui appliquent ces principes.

Nous avons la possibilité de mettre en oeuvre un programme national de formation destiné à aider les professionnels des services sociaux et des soins de santé afin qu'ils acquièrent les compétences nécessaires pour offrir des services davantage intégrés et coopératifs. Comme je le disais, nous nous sommes rendu compte que ce genre de formation est très en demande. Il arrive très souvent que les organismes n'aient pas les ressources nécessaires pour envoyer leur personnel en formation, mais quand elles le peuvent, les résultats sont probants. J'ai ici un addenda qui décrit une façon d'envisager les deux systèmes pour parvenir à de meilleurs résultats dans le cas des troubles simultanés, et qui indique aussi comment élaborer des stratégies de formation pour faciliter le tout.

Enfin, si le coût des problèmes de santé mentale et de toxicomanie se chiffre en dizaines de milliards de dollars au Canada chaque année, il importe de reconnaître que plusieurs comportements à caractère toxicomanogène sont réglementés par l'État qui en tire des revenus considérables. On pensera au tabac, à l'alcool et, plus récemment, au jeu. On estime que près de la moitié des recettes provenant de la vente d'alcool et des jeux de hasard sont attribuables à 10 p. 100 des consommateurs qui dépensent le plus dans ces activités. Ces gens, qui font partie des 10 p. 100, constituent le groupe de population présentant le plus de risque d'assuétude à cause de leur comportement. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles le gouvernement devrait envisager d'adopter des stratégies anticipatoires de prévention, de traitement et de recherche en matière de comportement toxicomanogène et de problèmes de comorbidité en santé mentale. De plus, il est bien établi que les dépenses sociales visant à prévenir et à traiter les problèmes de toxicomanie et de santé mentale offrent d'excellents retours sur investissement. Il ne serait pas déraisonnable que davantage de revenus fiscaux prélevés sur des comportements potentiellement toxicomanogènes soient réinvestis pour aider les personnes qui sont victimes de tels comportements.

Le président: Madame Bois, c'est à vous.

Mme Christine Bois, gestionnaire des priorités provinciales en matière de troubles concourants, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Le Dr Patrick Smith aurait dû être avec nous aujourd'hui, mais comme il est malade, il n'a pu se présenter. Je commencerai par quelques remarques avant de terminer par des recommandations en son nom.

Vous avez sans doute entendu parler de prévalence des troubles et des besoins des patients. Mes voisins vous ont parlé des obstacles et de quelques graves problèmes de sous-financement. Personnellement, je me propose de vous entretenir au sujet des troubles concourants et de ce qu'il faut faire pour régler ce genre de problème.

Nous avons adopté une approche verticale, dans le sens ascendant et dans le sens descendant, tant au niveau des gouvernements provinciaux que du gouvernement fédéral. Partout au Canada, on dénombre des initiatives qui partent de la base. Certains ressorts conduisent des activités de coordination et de planification et ont fait preuve de créativité dans les efforts déployés. Je vous remettrai un rapport qui donne l'exemple de deux collectivités ontariennes où les systèmes de santé mentale et de traitement des toxicomanies ont uni leurs efforts pour voir ce qu'ils pouvaient faire ensemble afin d'améliorer leurs prestations de service.

Par ailleurs, de nombreux projets de formation ont été lancés. Les gens veulent vraiment améliorer leurs compétences afin d'offrir un meilleur service. Nous sommes en train de travailler à des projets qui visent à s'attaquer à la stigmatisation et qui permettront aux gens de modifier leur attitude et à adopter d'autres valeurs face aux troubles simultanés. Nous envisageons d'élaborer des modèles pour venir en aide aux familles. Nous voulons aussi entreprendre des recherches et diffuser l'information que nous recueillerons à cette occasion relativement aux outils de dépistage et d'évaluation les mieux adaptés.

On constate que le haut de la pyramide appuie, en principe, la notion de coordination et d'amélioration des moyens dans certaines juridictions. Cependant, il nous faut un cadre politique qui porte sur les troubles simultanés, cadre que nous n'avons pas. Si un tel cadre existait, nous aurions davantage d'appui du haut vers le bas. Par exemple, il faudrait établir un lien entre les stratégies en santé mentale et la stratégie canadienne antidrogue. Nous avons besoin de fonds pour des projets de démonstration et pour des initiatives suivies de formation et d'acquisition des compétences. Pour appuyer ces initiatives, il faudra perfectionner les ressources et améliorer le contenu des cours de formation.

Pour résumer, nous recommandons la création d'un bureau national pour les dix provinces et les trois territoires. Il serait chargé de recueillir, de structurer et de diffuser l'information et d'administrer les ressources sur les troubles simultanés afin de permettre le lancement d'initiatives de planification, de coordination et de formation. Cette fonction serait assurée dans le cadre d'une stratégie nationale en santé.

Il est essentiel de décloisonner les systèmes de traitement de la toxicomanie et de traitement des problèmes de santé mentale.

Le président: Je tiens à faire deux remarques à nos experts. La première s'adresse à M. Kelly. Je ne conteste pas les données que vous nous avez fournies, parce qu'il se trouve que j'ai une soeur qui s'occupe d'un foyer communautaire. Il demeure que j'ai toujours du mal quand l'intervention d'un témoin consiste exclusivement à réclamer plus d'argent sans traiter des changements à apporter au système. Je ne conteste pas qu'il vous faille plus d'argent, mais je ne vois rien ici de ce que nous devrions faire de différent. Votre exposé revient essentiellement à dire «Donnez-nous plus d'argent et tout ira bien». Voilà pour ce que j'avais à dire et je suppose que vous allez réagir à mes propos.

Ma deuxième remarque s'adresse aux représentants du CTSM. Quand nous avons étudié la santé mentale, il nous est apparu évident que les maladies mentales et la toxicomanie sont deux problèmes qui se retrouvent inévitablement chez bien des gens. Ce faisant, nous les avons naturellement associés. Pourtant, en lisant vos mémoires et en écoutant ce que vous nous avez dit, je ne comprends vraiment pas pourquoi il est soudainement si instructif de dire qu'il faut faire en sorte que les gens collaborent. Je ne comprends pas comment nous en sommes arrivés là. Je crois que c'est M. Skinner qui a dit que les professionnels de la santé sont de plus en plus prêts à collaborer. Je ne comprends pas pourquoi ils ne le sont pas depuis le début.

Quelqu'un pourrait-il éclairer le comité sur la façon dont nous en sommes arrivés à ce genre de cloisonnement? Nous pensions qu'il y avait de nombreuses cloisons dans le système des soins de courte durée. Cependant, ce comité a découvert que le nombre de cloisons dans le système de santé mentale est trois ou quatre fois supérieur à celui qu'on trouve dans le réseau des soins de courte durée. Je m'étonne qu'on ait pu laisser évoluer le réseau de soins de santé mentale et le réseau de traitement des toxicomanies côte-à-côte sans les coordonner. Aucun de vous ne nous a expliqué ce qui s'était passé. Est-ce un cas de jalousie professionnelle classique, de «partout, sauf chez moi»?

J'aimerais savoir comment nous en sommes arrivés là et comment la politique gouvernementale pourrait imposer un changement? Je n'ai pas l'impression qu'on puisse aussi facilement que cela abattre des cloisons. Il faut que tout le monde y trouve son intérêt, quitte à adopter pour stratégie de faire aux gens une offre qu'ils ne pourront refuser.

Pourriez-vous commencer par un bref historique de la situation et surtout par nous dire quelles solutions nous pourrions appliquer? Je cède d'abord la parole à M. Kelly.

M. Kelly: Je n'aime pas trop l'idée de venir vous réclamer des fonds supplémentaires pour les programmes communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies. Cependant, il faut garder les pieds sur terre. Il est un fait que ces programmes meurent à petit feu depuis 12 ans et qu'ils ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient.

Avant d'envisager de bâtir un réseau progressiste, intégré, qui va nous permettre d'accueillir dans notre système de soins de courte durée des personnes qui, autrement, se retrouveraient devant les tribunaux, en prison et dans les salles d'urgence, nous devons stabiliser le système actuel parce qu'il n'est plus en mesure de réagir.

Dans le secteur de la santé mentale et du traitement des toxicomanies, nous ne manquons pas d'exemples du travail excellent qui est fait pour améliorer l'accès aux services. Par exemple, 21 administrateurs de logements avec service de soutien à Toronto se sont regroupés pour créer un programme à guichet unique en matière de logement supervisé pour tous les clients de la ville qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. La difficulté tient au fait que ce programme est en place depuis deux ans et qu'il n'a pas permis de faire autant que nous l'aurions souhaité. Aujourd'hui, il ne peut aller plus loin. Ces administrateurs attendent environ 80 000 $ par an pour financer le programme.

Le président: On nous a déjà parlé du gel de 12 ans annoncé par l'Ontario. À ce que vous sachiez, ce problème est-il limité à l'Ontario ou les programmes sont-ils sous-financés partout au Canada?

M. Kelly: Cela varie d'un coin du pays à l'autre. En général, on peut dire qu'on a beaucoup misé sur les services de soins de courte durée au cours des 10 ou 12 dernières années. Les programmes de logement et de gestion de cas ont été méconsidérés pendant cette période. Nous avons ainsi créé un cercle vicieux parce que la demande en soins de courte durée est supérieure tandis que nous pourrions mieux servir les mêmes patients grâce à des services communautaires. En Ontario, tout se fait au petit bonheur, mais on pourrait dire que c'est une tendance générale.

Je vais en revenir aux exemples d'excellente coordination un peu partout dans la province. À Thunder Bay, nous avons des tables où les fournisseurs de services de soins en santé mentale et en toxicomanie s'assoient aux côtés de fournisseurs de soins de longue durée et de soins communautaires pour essayer de coordonner leurs efforts. Le problème, c'est que le gros de ce travail dépend de la volonté des bénévoles et du déblocage de ressources par les organisations communautaires concernées. Il n'existe aucune politique visant à régler ces problèmes.

Je comprends bien que vous ne vouliez pas qu'on parle de financement, parce que cela devient pénible. Cependant, tant que ces secteurs ne seront pas stabilisés, nous ne pourrons pas progresser.

Vous vous êtes étonné qu'on parle soudainement de collaboration. Il faut voir de quelle façon les politiques des différents ministères provinciaux de la Santé ont influé sur la prestation de services. Il faut s'intéresser aux mécanismes de financement des services communautaires à la façon dont on finance les hôpitaux, les médecins et les autres parties du réseau de la santé. C'est là une partie du problème.

Le président: Attribuez-vous cela au fait que le financement aussi est cloisonné?

M. Kelly: À l'origine, en Ontario — mais vous pourrez me corriger parce que vous connaissez peut-être mieux la situation que moi — les programmes de traitement des toxicomanies et des maladies mentales étaient regroupés puis, le programme de toxicomanie s'est séparé pour devenir le Bureau ontarien de lutte contre la toxicomanie avant de faire de nouveau partie d'un seul et même système avec les soins de santé et, encore une fois, d'en être séparé. C'est le ministère qui a créé ces cloisons.

Le président: Nous trouvons très positif le fait que les gens aient réagi à cette structure de financement. Si nous pouvions disposer des bons incitatifs dans le système de financement, ces cloisons s'écrouleraient, parce que les gens se mettraient à courir après l'argent. C'est très encourageant. C'est en partie ce que je veux dire quand je propose de leur faire une offre qu'ils ne pourront pas refuser.

Le CTSM veut-il réagir à cela?

M. Skinner: Il y a des choses positives ici, parce que tout n'est pas négatif. Il demeure que cette tradition de dédoublement ne date pas d'hier. On s'entend de plus en plus, aujourd'hui, sur le fait qu'il faut tendre vers la convergence.

Je pourrais vous expliquer pourquoi ces systèmes ne fonctionnent pas. En fait, je n'attribue pas les causes du mal aux personnes qui font le travail. Selon moi, les principaux problèmes sont d'ordre idéologique et structurel. Sur le plan idéologique, on n'associe pas la toxicomanie à un modèle médical. Plusieurs personnes interviennent dans les cures et ailleurs. La tradition est bien ancrée. Et puis, il y a la tradition des soins de santé selon laquelle on s'attarde principalement aux malades mentaux gravement atteints. À cause de ces traditions, on a négligé un très grand nombre de patients.

Quand on s'intéresse davantage, par exemple, aux toxicomanes modérés plutôt que profonds, on se rend compte qu'il faut changer de point de vue. Sur le plan pratique, les gens appliquent des approches ponctuelles pour adapter leurs interventions aux besoins de leurs clients. Au niveau du système, nous avons affaire à deux univers qui obéissent à des traditions différentes. Il faut donc regrouper les deux.

C'est possible, comme nous l'avons constaté au Centre de toxicomanie et de santé mentale qui est le résultat de l'implosion de quatre services — deux spécialisés en traitement des toxicomanies et deux en traitement des maladies mentales. Cependant, ce travail s'inscrit aussi dans la durée. Il nous reste encore beaucoup à faire et nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes des modèles de référence.

Le président: J'ai une précision à vous demander. Vous avez parlé de deux modèles. Le sénateur LeBreton et moi- même nous sommes entretenus, de notre côté, avec plusieurs groupes sur certaines choses que nous avions apprises en comité. Nous avons constaté que les uns semblent vouloir appliquer le modèle médical et les autres le modèle social mais que les deux ne s'entendent pas. Je m'exprime différemment par rapport à vous, mais c'est essentiellement ce que vous voulez dire quand vous parlez des deux modèles. N'est-ce pas?

M. Skinner: Oui. Il se dégage, de cet ensemble de problèmes, un modèle bio-psycho-social auquel la plupart des gens adhèrent, du moins en paroles. Les gens semblent de plus en plus disposés à collaborer. Plutôt que de s'accrocher à l'identification du problème le plus important, les gens se rendent compte qu'il faut considérer que les deux sont fondamentaux et qu'il convient de s'y attaquer de façon dynamique pour parvenir à de bons résultats pour les patients. Les programmes qui appliquent cette recette réussiront.

Le président: Estimez-vous que certains peuvent être d'accord avec un modèle conjoint, par exemple, dans la mesure où un psychiatre est responsable?

M. Skinner: Je dirais que non. Le psychiatre est un membre important de l'équipe. Il possède certaines compétences et est investi de certaines responsabilités. Cependant, je dirais que la plupart des gens qui travaillent dans le secteur de la santé mentale optent pour la formule des équipes multidisciplinaires. Celle-ci rassure les gens qui travaillent dans le domaine de la toxicomanie et qui se sentaient un peu paranoïaques quand ils se sont retrouvés dans des équipes mixtes.

Le président: C'est exact. C'est pour cela que je vous ai posé la question.

Mme Bois: Je voudrais ajouter une chose. Vous avez dit que le psychiatre devrait être responsable de l'équipe. Il serait utile de pouvoir appliquer d'autres plans de financement pour les médecins, en particulier pour les psychiatres, afin de leur permettre de prendre part aux activités de formation et de planification susceptibles de favoriser le regroupement des deux secteurs dont nous parlons. C'est un obstacle que nous n'avons pas mentionné.

Le président: Autrement dit, si les choses sont bien organisées, on peut penser que ces gens-là seraient poussés à aller dans ce sens.

Mme Bois: Oui.

Le sénateur Morin: C'est un obstacle en Ontario, parce que les autres provinces disposent d'autres systèmes.

Je vais adresser mes remarques au sujet de la désinstitutionnalisation au Dr Rush. Dans les années 50, les établissements psychiatriques étaient entièrement financés par le gouvernement fédéral. Ce n'est plus le cas depuis les années 60 et ce sont les provinces qui ont pris le relais. C'est en partie la raison pour laquelle les patients ont été sortis d'établissements psychiatriques spécialisés pour se retrouver au sein de leur collectivité, essentiellement dans des grandes villes.

Dans le même temps, comme vous l'avez souligné, nous avons assisté à une augmentation de la consommation d'alcool et de drogues. Ce n'est pas étonnant parce que 50 p. 100 des toxicomanes sont des malades mentaux. Tout d'un coup, tout s'est accéléré. La semaine dernière, on nous a dit que ce phénomène est dû au désespoir. On nous a également dit qu'il y a de plus en plus de cas de maladie mentale dans les établissements correctionnels.

Est-ce mieux de se retrouver dans un hôpital psychiatrique ou en prison? Est-ce mieux de passer la nuit dans un établissement psychiatrique ou sur un trottoir de la rue Yonge? Il faut rationaliser tout cela. Certes, le problème est financier, mais il est facilement de rationaliser la chose. Dans certains pays — en Italie, par exemple — des établissements complets ont été fermés à cause de problèmes financiers.

Vous connaissez cela mieux que moi. Nombre de patients ne veulent pas être renvoyés chez eux. Ils veulent rester en établissement. Je me rends compte que c'est déplacé, mais pour plusieurs raisons, un grand nombre de patients se retrouvent dans la rue. Il est question d'argent, mais je ne pense pas que ce soit le principal problème. Il demeure que je demande si nous économisons vraiment beaucoup en jetant les gens dans la rue. Nous les envoyons en prison. La comorbidité augmente et nous assistons à une augmentation du nombre de cas de sida. Il en coûte 20 000 $ par an pour traiter un sidatique. Et puis, on note aussi une augmentation de la violence et de bien d'autres problèmes.

Nous devrions peut-être envisager d'hospitaliser pour longue durée celles qui y seraient prêts. Vous ne cessez de répéter que nous ne disposons pas des ressources nécessaires au sein de la collectivité. M. Kelly dit que nous n'avons pas ces ressources. Les patients se retrouvent en prison et c'est ce qui se passe. Peut-être devrions-nous envisager de les institutionnaliser et de revenir à l'ancien système.

M. Rush: J'ai passé la plus grande partie de ma carrière dans le domaine du traitement des toxicomanies et je ne me considère pas comme un expert mondial de la désinstitutionnalisation dans le secteur de la santé mentale. J'estime personnellement, qu'on a beaucoup trop dépensé en incitatifs financiers dans le passé pour favoriser la désinstitutionnalisation.

La plupart des hôpitaux existent encore — ils sont en partie vides — et il existe encore un important déficit financier, parce que l'argent qui a été économisé n'a pas été réinvesti dans le réseau. Il s'est plutôt retrouvé dans d'autres programmes gouvernementaux, mais on n'a pas suffisamment investi dans le genre de soutien dont les gens ont besoin pour demeurer dans la collectivité.

C'est au nom de l'humanisme, du respect et de la dignité humaine que l'on se doit d'offrir des services communautaires — ce sont les mêmes raisons qui ont été données pour apporter un soutien communautaire aux personnes souffrant de déficience développementale. Presque tous ces établissements ont été fermés et les patients sont bien traités dans leur collectivité, grâce à des emplois supervisés, à une éducation supervisée et à des logements avec services de soutien — autrement dit, ils reçoivent tout l'appui dont ils ont besoin. Le domaine de la santé mentale pourrait beaucoup apprendre de celui de la déficience développementale et du genre d'investissement qui permettrait d'accueillir les patients dans leur collectivité, ce qui permettrait d'économiser tout en traitant les gens dans la dignité et le respect, et en leur donnant le choix de vivre au sein de leur collectivité plutôt que dans des établissements psychiatriques.

Je ne voudrais pas que nous revenions à l'institutionnalisation. Nous sommes peut-être allés trop loin parce que nous n'offrons pas assez de soutien résidentiel aux patients. Les hôpitaux fournissaient un abri et un lieu sûr à ceux qu'ils accueillaient.

Le sénateur Morin: Ils étaient des lieux sûrs pour ceux qui ne pouvaient survivre à l'extérieur. On savait que ces gens- là étaient susceptibles de commettre des crimes, de devenir des toxicomanes et d'être violents. Il est possible qu'ils aient préféré se trouver dans des hôpitaux plutôt qu'en prison.

M. Rush: Je comprends bien. Je vous invite à raisonner en termes de niveaux de soins. L'institutionnalisation dans un hôpital est la forme la plus intensive de soins. À l'autre extrême, il y a la gestion des cas et le soutien minimal que l'on apporte dans la collectivité. Au milieu — ce que nous n'avons pas en Ontario, essentiellement à cause de décisions politiques et de décisions de financement — on trouve les services résidentiels qui peuvent offrir de nombreux niveaux de soutien. Ce ne sont pas des institutions, ce sont des résidences communautaires où les patients peuvent vivre et se sentir à l'abri, tout en conservant la dignité que confère la vie chez soi plutôt que dans un hôpital.

L'Angleterre a beaucoup investi dans ces services et l'on a constaté que le simple fait de modifier le milieu de vie, pour qu'il ressemble davantage à celui d'un domicile, a permis de réduire l'utilisation de médicaments et d'améliorer la qualité de vie des patients. Les gens se sentent bien quand ils vivent dans un tel milieu. Nous ne sommes pas en mesure de financer ce genre de service. En Ontario, on soutient que le ministère de la Santé n'est pas là pour financer des foyers. Nous ne finançons plus ce qui est fait de briques et de mortier. Nous finançons les services externes et les services ambulatoires.

Encore une fois, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de revenir à l'institutionnalisation, mais il y a certaines formes de soutien résidentiel que nous devons offrir. Nous devons réinjecter l'argent réalisé grâce à la fermeture de lits d'hôpitaux dans des services communautaires sérieux, notamment dans le cas du traitement des toxicomanies.

Le sénateur Cook: Je viens de Terre-Neuve où nous avons une population de clients nettement moins nombreuse que la vôtre. À l'occasion de ces séances de comité, je me suis dit que nous nous débrouillons bien pour servir la population de clients que nous représentons.

Je vous ai bien compris au sujet de la désinstitutionnalisation. Dans ma province, le gouvernement n'a pas débloqué les fonds nécessaires pour permettre le genre de vie semi-indépendante que vous avez décrite. Cependant, c'est la communauté qui a réagi. Il est possible que nous ayons un peu d'avance sur ce plan. Nous avons évolué.

Dans ma province, les ONG jouent un rôle important pour aider cette population de clients. Vous avez tous dit que, sous une forme ou une autre, tout cela est un peu improvisé. Il n'y a pas de norme, si ce n'est pour le niveau de service et les normes que nous nous imposons.

Nous avons réussi à créer un centre social dont je suis très fière et qui fonctionne encore aujourd'hui. Il a près de 30 ans. Au début, ce n'était qu'un lieu où l'on pouvait s'abriter du froid. Cela a évolué grâce à un coup de main du Rotary, parce que les gouvernements ont réduit notre financement de 70 000 à 20 000 $. Il demeure que nous sommes encore là et que nous offrons un service. La participation à ce centre est bénévole. Les clients fixent certaines normes. Tout cela, ce sont de bonnes nouvelles.

Le sénateur Fairbairn sait que nous avons une équipe de hockey — une équipe d'agriculteurs — les Maple Leafs. Ces gens-là nous ont consenti une subvention de 17 000 $ pour un programme d'alphabétisation. Il s'agissait d'un programme volontaire, mais dès qu'on y adhérait, donc qu'on avait signé, on en faisait partie. Il est incroyable de voir ce que l'on a fait pour ceux et celles qui ont fait ce choix, parce que nous nous rendu compte qu'un des problèmes tient au fait qu'ils ne savaient pas quand ou comment prendre leurs médicaments. Ils sortaient d'un milieu hospitalier où leur vie était hautement structurée pour se retrouver dans un centre pour itinérants, seuls dans une chambre. Tout leur réseau avait disparu. On a rendu un mauvais service à cette population de clients. Dispose-t-on de données sur ce qu'a fait le système?

Vous avez parlé de stigmatisation, d'absence de dépistage et de services intégrés et de manque de ressources humaines. Vous avez parlé d'un programme national de formation, d'un programme national de soins à domicile. Mme Bois, elle, a parlé d'une stratégie de santé nationale. Existe-t-il un modèle qui nous indiquerait comment regrouper les éléments dont nous avons besoin?

Je ne vous ai pas entendu parler du système de justice ni de l'effet que celui-ci avait sur les clients des services de santé mentale, ni même sur les familles. Toutes les provinces, à l'exception de deux, si je ne m'abuse, ont adopté des lois sur la santé mentale. Si nous entreprenons quelque chose à l'échelle nationale, nous devrons sans doute adopter une loi nationale en la matière... une telle loi est nécessaire.

Chez moi, quand un policier ramasse quelqu'un dans la rue, pour une raison ou pour une autre, il l'accompagne à la salle d'urgence et, selon le niveau de fréquentation à ce moment-là, la personne est vue plus ou moins vite. Il peut s'agir d'un alcoolique ou d'un drogué ayant fait une surdose, mais le policier reste avec lui, peu importe le temps que cela prend. C'est beaucoup demander à l'appareil de justice. La personne peut aussi se retrouver dans une cellule, sans aucun soutien. Si nous devons entreprendre un projet national, il faudra également inclure l'appareil de justice. C'est ce que je voulais dire.

Je cherche toujours des solutions quand je fais face à un problème ou à un défi. Il est question d'intégration. Pensez- vous que nous pourrions faire cela par le truchement de la nouvelle agence de santé publique dont la création a été annoncée dans le Discours du Trône?

Mme Bois: Vous avez tout à fait raison. Nous avons précisé dans notre document — même si nous ne l'avons pas dit tout à l'heure — qu'il est important de tenir compte des gens qui sont pris en compte par l'appareil de justice criminelle, qui souffrent de troubles simultanés mais qui ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin. C'est un aspect important.

Pour ce qui est de la stratégie nationale, nous espérons que les troubles simultanés, c'est-à-dire la conjonction chez un même individu de problèmes de santé mentale et de problèmes de toxicomanie, seront également pris en compte par cette agence de santé nationale.

Le sénateur Cook: Nous jonglons avec plusieurs éléments. Si nous pouvons faire quelque chose d'un côté et favoriser l'intégration dans la communauté de l'autre, nous aurons accompli quelque chose.

Mme Bois: Plusieurs pays comme l'Australie et les États-Unis y travaillent. Il y a plusieurs années le Congrès américain a publié un important rapport sur les troubles simultanés. Les Britanniques travaillent sur le sujet et ont retenu certains modèles, notamment grâce aux conseils formulés dans ce document canadien, modèles qui pourraient contribuer à l'élaboration d'une stratégie au niveau de l'agence nationale de la santé.

Le président: Quelqu'un d'autre veut-il réagir?

M. Kelly: Il est aussi question ici de la façon dont la fédération envisage ce dont nous avons besoin pour offrir un panier de services dans le cadre d'un programme national de soins à domicile.

Le sénateur Cook: Cela me fait peur. Nous ne parviendrons jamais à mettre cela en oeuvre dans ma province. Ces services correspondent à un idéal, mais on ne les offre pas dans la collectivité.

M. Kelly: Le problème dans le cas des services de santé mentale et de traitement des toxicomanies, c'est que nous faisons sans cesse des choix, si bien que nous n'appréhendons jamais le patient dans sa globalité. Les groupes de clients sont tellement vulnérables, qu'il faudrait leur proposer un véritable panier de services — nous pourrions toujours discuter de ceux qui sont nécessaires — pour envisager la personne de façon globale. La personne a besoin d'un lieu où résider, d'amis, et d'un travail. Elle veut être productive au sein de la société. Nous devons donc l'aborder dans sa globalité et lui offrir toute une gamme de services dont elle a besoin pour progresser et demeurer fonctionnelle au sein de la société.

Le sénateur Cook: Quand nous parlons de hiatus dans le service, nous parlons de problèmes au niveau de la formation des infirmières, des médecins et des autres professionnels de la santé. Par exemple, nous ne nous occupons pas de ceux et de celles qui prennent soin d'autres personnes.

M. Kelly: Il y a un gros manquement sur le plan de la formation partout dans le secteur. Je suis certain que vous pourriez en dire beaucoup plus long à ce sujet. Il existe des hiatus énormes au sein de la collectivité.

Malgré la désinstitutionnalisation, les services communautaires n'ont pas décollé. On a fermé des hôpitaux et les gens ont été renvoyés dans leurs collectivités sans soutien. C'est notre plus grand échec sur ce plan et c'est une grande tragédie dans le domaine de la santé mentale et du traitement des toxicomanies. Tant que nous n'aurons pas comblé ces manquements grâce aux logements avec services de soutien, à la promotion de la santé, à la formation et à la gestion de cas, nous demeurerons dans ce cercle vicieux.

Le sénateur Cook: Nous nous adressons à deux populations d'individus. Il y a ceux et celles qui ont été désinstitutionnalisés et ceux et celles qui ont besoin de services de base mais qui n'ont jamais été hospitalisés. Ici, nous parlons des soins à offrir à toute la population de clients. Il faut répondre aux besoins des deux catégories. Comment y parvenir?

M. Kelly: Ces deux groupes ont des besoins semblables. Nous devons bâtir un système suffisamment souple pour offrir toute une gamme de services susceptibles de répondre aux besoins des individus.

M. Skinner: Vous soulevez des problèmes de fond. À la façon dont je l'envisage, un système communautaire complet de soins de santé permettrait de s'attaquer aux problèmes de santé mentale et aux problèmes de santé en général.

Le sénateur Cook: Cela se ferait-il par le biais du réseau de santé publique?

M. Skinner: Oui, au sens large du terme, parce que ce réseau est présent dans toutes les collectivités. Dans notre travail sur les troubles simultanés, nous avons constaté que certains des meilleurs exemples de collaboration nous sont donnés dans les petites collectivités — pour toutes les raisons que vous avez vous-même citées dans votre exemple. C'est un monde tellement bien délimité que si l'on parvient à faire en sorte que les gens posent le même verdict à l'analyse d'une situation et se montrent disposés à travailler ensemble, ils obtiendront très vite des résultats.

Dans les villes plus importantes, comme Toronto, où énormément de facteurs interviennent, c'est beaucoup plus difficile d'imposer le changement. Nous devrions nous tourner vers les petites collectivités et nous travaillons d'ailleurs dans certaines en Ontario pour les aider dans leur programme.

Imaginez un système de soins communautaires où l'on traiterait à la fois les maladies mentales et les toxicomanies. Ce système pourrait compter sur des ressources spécialisées. Dans un tel cadre, il faudrait installer partout en Ontario des centres de toxicomanie et de santé mentale. Étant donné la nature du milieu dans lequel nous évoluons, nous connaissons très bien le dossier. La question ne serait pas de savoir s'il est possible d'accueillir tous les gens qui en ont besoin à Toronto, mais de se demander comment aider les fournisseurs de services communautaires ailleurs en Ontario, au sens large du terme, dans le traitement de cas complexes. Peut-on leur offrir la formation qui leur permettra de devenir d'excellents travailleurs de soins primaires? Peut-on soutenir ce genre d'effort? Si ces travailleurs ont de la difficulté avec ceux dont ils s'occupent, à cause de la complexité des cas, pourrons-nous les aider en leur offrant une évaluation plus spécialisée?

Nous pourrions peut-être recourir aux services résidentiels pour accueillir les gens devant être stabilisés et réévalués. Les services spécialisés, comme le nôtre, devraient entretenir une relation dynamique avec les services de soins communautaires. Tout d'abord, nous devrons adopter une vision énonçant ce que doit être véritablement un système de réponse en soins communautaires. Il n'est pas question de faire en sorte que tout le monde soit polyvalent et possède des compétences multiples, mais nous devons pouvoir compter sur des gens présentant d'excellentes compétences en gestion de cas et ayant accès aux ressources dont elles ont besoin répondre à une demande spécialisée. Il est possible d'aider très bien la plupart des gens qui souffrent du genre de problème que nous avons énoncé grâce à un bon système de soins communautaires adapté.

Le sénateur Cook: Je n'ai pas constaté de stigmatisation, là d'où je viens. Nous sommes parvenus à répondre aux besoins des clients au sein de la communauté, parce que nous sommes une petite population. Les ONG contribuent beaucoup au bien-être des personnes dont nous nous occupons, tant sur le plan financier que sous la forme de services.

Une de ces ONG est la Stella Burry Corporation qui est financée par l'Église unie et par un conseil communautaire. Elle administre un foyer et c'est le conseil qui prend le risque de louer l'espace nécessaire et de payer les loyers, mais il est en train d'en négocier l'achat. Les clients s'occupent des lieux. Actuellement, le foyer d'accueil abrite environ 65 personnes. Ce sont les ONG qui mènent le bal sur le plan des services communautaires.

Si nous voulions intégrer tous les autres volets des soins, y aurait-il un rôle à envisager dans le cadre d'un programme national? Il faut envisager l'aspect social pour offrir de meilleures conditions de vie aux personnes que nous soignons.

M. Kelly: La notion de service communautaire constitue la philosophie principale des organismes membres de la Fédération. Tous sont administrés par des conseils de bénévoles. Ils effectuent d'importantes campagnes de financement et ont ouvert la voie en matière de mise en oeuvre de services à guichet unique dans la province, par le biais de logements supervisés ou de foyers d'accueil. Ces projets ont abouti. Les groupes concernés peuvent prouver les résultats qu'ils ont atteints.

Le problème, c'est que nous avons affaire à un système dysfonctionnel à cause du financement qui est compartimenté, de mauvaises décisions politiques, du manque de fonds, de l'absence de coordination et des défauts d'intégration avec certains services de soins de courte durée. Il est parfois nécessaire d'hospitaliser les gens.

Je crois que le véritable rôle qu'il faut remplir ici consiste à abattre certaines de ces cloisons et à encourager le lancement de services communautaires.

Le sénateur Cook: Existe-t-il un modèle dont nous pourrions nous inspirer pour offrir des soins de santé à cette population de clients?

M. Rush: Pour ce groupe en particulier de personnes souffrant de problèmes de toxicomanie ou de maladie mentale, c'est l'État de l'Arizona qui nous offre le meilleur modèle, parce que son approche est particulièrement progressiste.

M. Rush: Le modèle de l'État de New York fonctionnerait peut-être mieux dans votre cas. En Arizona, la loi exige que tous les services de traitement de toxicomanies et des maladies mentales soient en mesure de servir les deux types de population, sans quoi ils ne sont pas financés. Voilà pour une chose.

Je vais rapidement réagir à deux ou trois choses que vous avez dites. Je suis allé dispenser des conseils à des fournisseurs de services de santé mentale et de traitement des toxicomanies, à l'Île-du-Prince-Édouard. Quand ils sont tous réunis, on peut les faire rentrer dans une pièce de cette taille. C'était un atelier très dynamique. Je leur ai dit que s'ils intégraient les services de santé mentale et de traitement des toxicomanies, ils feraient un grand pas en avant, parce qu'ils se connaissent tous. Ils m'ont dit qu'en fait c'était encore pire que cela, parce qu'ils connaissent tous leurs clients. Ils pensaient que cette formule pouvait fonctionner, parce qu'ils connaissent tous leurs clients.

Il y a une autre idée bien pratique qui se rattache à l'agence de santé publique. Cette idée est principalement née dans le sillage de la crise du SRAS, compte tenu des problèmes auxquels est confronté le réseau de santé publique en présence de maladies infectieuses. Dans ce pays, la prédominance de maladies infectieuses, dans le contexte de la santé publique, pourrait faire passer au second plan des problèmes comme la toxicomanie et la santé mentale qui ont des répercussions beaucoup plus graves sur la santé publique. Il faudrait réserver, dans cette agence dont nous avons besoin, une place aux toxicomanies et à la santé mentale, même si ce n'est que du point de vue de la prévention.

Le sénateur Fairbairn: Depuis que je participe à ces audiences sur la question, je ne me suis jamais sentie aussi frustrée ni courroucée qu'en entendant ce que vous nous avez dit aujourd'hui. La structure du réseau fait problème. Il est logique de penser que la santé mentale et la toxicomanie vont de pair. Si l'on agit différemment est-ce à cause de la structure de nos systèmes fédéraux-provinciaux? Est-ce une des raisons?

Pendant plusieurs années, mon époux a travaillé à l'Hôpital Royal Ottawa qui, à l'origine était destiné à dispenser des soins en psychiatrie, mais qui est devenu beaucoup plus que cela. De mon côté, je m'occupais d'un programme pour les jeunes enfants et les adolescents souffrant de troubles mentaux ou de problèmes de toxicomanie. J'avais l'impression que nous offrions un véritable service dont le principal objet était de réintégrer les gens dans la société. Certes, à cause de l'état du droit, les gens ne pouvaient pas partir quand ils le voulaient. C'est là que nous nous heurtions au genre de problème que vous avez énoncé, parce que rien n'était prévu dans la loi pour accueillir les patients désinstitutionnalisés.

Comment faire pour nous en sortir? Plus encore, comment faire pour nous en sortir à l'échelle du pays? Les provinces se sont mises à installer des appareils de loterie vidéo et à lancer toute sorte de jeux de hasard pour augmenter leurs recettes. Dans chaque petite ville de ma province de l'Alberta, les gens ne se rendent plus en nombre aux soirées des alcooliques anonymes et ils ne vont plus non plus à celles de joueurs anonymes. Parfois, on regroupe les deux, mais pas souvent.

Que pensez-vous de ma crise d'angoisse? J'essaie de savoir comment nous pourrions rassembler tout le monde autour de la même table pour lancer un programme national utile et productif grâce auquel ces gens-là recevront l'aide dont ils ont besoin et finiront par se suffire à eux-mêmes.

M. Rush: Je comprends votre frustration. J'ai certes parlé de la distance entre les deux systèmes de soins et de la frustration des administrateurs, mais je n'ai peut-être pas suffisamment parlé du fait que les cloisons entre les deux sont en train de s'écrouler dans de nombreuses collectivités et dans certaines provinces — surtout dans les coins où l'on a créé des régies régionales de la santé. Cela permet de regrouper les soins en toxicomanie et en santé mentale. La Colombie-Britannique nous en donne un récent exemple. Beaucoup de choses se passent et, dans ce cas, nous parlons d'initiatives venant de la base. Ceux qui oeuvrent dans le cadre des programmes sont très enthousiasmés par le fait qu'ils commencent à travailler tous ensemble.

Il faut leur dire — si vous le pouvez — que cela est important et que c'est une bonne idée. Montrez-leur ce que pourrait être une stratégie de santé mentale pour la province et montrez-leur que la toxicomanie y a sa place. Ces gens- là doivent voir que l'un ne va pas sans l'autre. Aidez-les avec des politiques et, si vous en avez la possibilité, financez- les.

Peu à peu, on regroupe ces deux systèmes de soins, au Canada comme aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie. Ce sont sans doute les quatre modèles qui se ressemblent le plus. Dans d'autres parties du monde, les volets toxicomanie et santé mentale sont complètement intégrés, mais ils manquent de ressources. Nous, nous avons toutes les ressources nécessaires et nous leur permettons de fonctionner indépendamment les uns des autres. Nous finançons tous les hôpitaux indépendamment. Nous finançons des milliers de services de toxicomanie et de santé mentale dans les collectivités et nous leur permettons de fonctionner indépendamment les uns des autres. Ils sont indépendants, mais ils doivent davantage collaborer.

Pour en revenir à ce que vous avez dit au sujet des appareils de loterie vidéo, je suis on ne peut plus d'accord avec vous pour affirmer que les gouvernements cherchent des solutions à court terme pour leurs problèmes de recettes. Ils ont trouvé une excellente solution avec le jeu, qui est très près de la consommation excessive d'alcool ou de drogue et des autres problèmes de santé mentale. Dans la plupart des provinces, la principale source de financement des traitements de l'alcoolisme et de la toxicomanie est constituée par les recettes du jeu et non par des fonds spécialement destinés à financer les cures de désintoxication. Le Manitoba nous en donne le meilleur exemple.

Le financement de certains programmes dépend des politiques en place et des principes appliqués. La suggestion de M. Kelly, qui est de prélever un petit pourcentage des recettes fiscales provenant des ventes d'alcool pour financer des services de traitement et de prévention, est bonne. La même stratégie est actuellement appliquée dans le cas du jeu, bien que les provinces prélèvent des milliards de dollars et n'en réinjectent qu'une faible partie. Le principe est important, et la suggestion est bonne.

Le sénateur Fairbairn: J'ai l'impression qu'une des principales frustrations tient au fait que, dans notre système, le financement sert à des fins multiples. Les budgets de la santé sont partagés avec les provinces et, dans ce cas, comment le gouvernement fédéral pourrait-il réserver une part du financement et la destiner à une province qui aurait décidé d'appliquer une politique publique consistant à détruire quasiment la vie de ses citoyens? C'est pour cela que je me sens frustrée et courroucée. C'est très troublant de constater que nous voulons donner un coup de main, mais que nous nous heurtons à une barrière qui complique grandement les choses.

M. Kelly: Je partage votre frustration. Il faut se dire que tous ceux et toutes celles qui sont assis dans cette pièce ont un membre de leur famille ou un ami proche qui souffre de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, ou des deux en même temps. L'une des principales difficultés auxquelles nous nous heurtons, dans notre secteur, c'est que nous ne trouvons pas de champion qui crie haut et fort qu'il y en a assez et qu'il faut commencer à travailler de façon coordonnée pour régler ce genre de problème. On parle parfois de stigmatisation. Parfois, on en est presque au stade où les malades mentaux et les toxicomanes font l'objet de discrimination, autrement dit on les blâme pour leurs maladies.

Quand le sénateur Kirby a pris la parole, l'année dernière, à l'occasion de notre congrès commun du Centre de toxicomanie et de santé mentale et de la Fédération des programmes communautaires de santé mentale et de traitement des toxicomanies de l'Ontario, il nous a indiqué que les messages qui remontent de la base depuis des années sont en train de passer. Vous connaissez tous les répercussions que peuvent avoir les toxicomanies et les maladies mentales et nous nous devons de prendre la parole pour ceux et celles qui utilisent ou essaient d'utiliser les services que nous offrons.

Le sénateur Fairbairn: Dieu sait si nous essayons.

Le sénateur Cordy: Je suis à la moitié d'un livre intitulé The Tipping Point, qui est intéressant parce qu'il raconte la façon dont les choses se produisent. Je me demande quand tout va basculer.

J'aimerais revenir sur la question de la désinstitutionnalisation. C'était une bonne chose, en ce sens qu'elle a permis de rendre leur but et le respect à la vie aux gens qui pouvaient rester au sein de leur collectivité. Cependant, quand les patients ont été rendus à leur milieu, ce dernier n'était pas prêt à les accueillir. Je ne suis pas certaine que ce milieu le soit davantage aujourd'hui à cause de problèmes comme le logement, la nutrition, l'éducation et bien d'autres choses.

Dans ce genre de situation, il faut composer à la fois avec le fédéral et avec les provinces. Dans les provinces, il faut composer avec différents ministères, celui du logement, celui des services communautaires, celui de la santé et ainsi de suite. On se heurte donc à toutes ces petites chasses gardées, à des ministères qui ne veulent pas dépenser leur argent quand ils pensent que quelqu'un d'autre va le faire.

Monsieur Kelly, vous avez dit qu'il fallait augmenter la proportion des services communautaires pour la faire passer à 80 p. 100 contre 20 p. 100 pour les hôpitaux, ce qui semble raisonnable étant donné les politiques en place. Cependant, vous avez indiqué que nous sommes très loin du compte.

Monsieur Skinner, vous avez parlé du fardeau caché que ces troubles représentent pour les familles et de la nécessité de leur apporter un soutien. Vous avez dit également que tout le monde autour de la table connaît une personne qui souffre d'une des maladies dont nous avons parlées. Quand nous avons entamé notre étude sur la santé mentale, nous avons fait un tour de table et tout le monde a effectivement déclaré qu'il connaissait un parent, un ami ou un proche atteint d'une telle maladie. Sans le soutien inconditionnel de leurs familles, nombre de ces patients — surtout ceux, très nombreux, qui constituent des cas de comorbidité — seraient soit morts, soit en prison, parce qu'ils se seraient retrouvés dans la rue.

Docteur Rush, je pense vous avoir entendu parler des patients qui sont frustrés parce qu'ils doivent passer par deux systèmes quand ils veulent se faire soigner, ce qui les incite à demander un congé anticipé, quitte à mettre leur vie en danger. Cependant, étant donné le droit des patients, ces derniers peuvent quitter les établissements de soins, ce qui est extrêmement frustrant pour leurs familles.

Sommes-nous encore loin du modèle 80-20 et des programmes de soutien aux familles? Les familles aident les patients, mais parfois ce sont elles aussi qui ont besoin d'aide.

M. Kelly: Selon les statistiques en question, la proportion actuelle en Ontario serait d'environ 33 p. 100 pour les services communautaires et 65 à 68,6 p. 100 pour les services institutionnalisés. Cela dépend des mécanismes d'établissement des statistiques. La Fédération estime que nous n'en sommes même pas là.

Nous devons cependant être prudents à cet égard, parce que vous imaginez le genre de volonté politique dont il faudra faire preuve pour réaliser ce changement. Nous pourrions y arriver plus efficacement de bien d'autres façons. Par exemple, si nous réalisions ce genre d'investissement dans les soins communautaires, nous pourrions renverser ou atténuer l'insistance que l'on place sur le système des soins de courte durée pour, peu à peu, commencer à instaurer le changement. En Ontario, le réseau de soins de santé représente 26 milliards de dollars. Il n'est pas possible de régler tout cela en un mois ou une année. Ce sera un long processus.

Nous envisageons d'appliquer une stratégie globale d'investissement dans les services communautaires pour commencer à détourner les clients du système hospitalier, ce qui, à terme, donnera lieu à un basculement du financement et à une meilleure répartition dans le système.

Le sénateur Cordy: Avez-vous prévu un soutien pour les familles?

M. Skinner: Un peu partout, les familles se mobilisent pour s'entraider. Le système a complètement négligé cet aspect. Nous parlons de la nécessité et des bienfaits de permettre à des malades mentaux et à des toxicomanes de continuer à vivre au sein de leurs collectivités, mais il faut bien se rendre compte que pour y parvenir, il ne suffira pas d'inviter le client à franchir la porte de nos établissements, mais il faudra collaborer avec les familles et les collectivités.

Nous devons appliquer les principes de résilience et de santé aux familles et aux collectivités. Le sénateur Cook, qui est de Terre-Neuve, nous a cité le bon exemple d'une collectivité très saine, apte à faire cela. Nous devrions recenser les modèles actuellement en place et collaborer avec les gens sur le terrain.

Nous sommes en train de travailler sur un projet de soutien aux familles dans le cadre duquel nous essayons de mettre sur pied des groupes d'appui et de préparer des documents d'information à l'intention des familles dont un membre souffre de troubles simultanés. Nous espérons pouvoir diffuser l'information à ce sujet après l'avoir évaluée.

C'est un des chaînons manquant du processus. Pour réussir dans ce dont nous venons de parler, nous devrons appliquer cette solution. Il faut agir sur les deux plans. Il faut d'abord considérer que les familles souffrent, mais il faut aussi se dire qu'elles font partie de la solution parce que plus la famille est résiliente et engagée, plus il sera facile d'obtenir des résultats au niveau du patient.

Au contact de groupes composés de parents demeurés loyaux à un membre de la famille malade mental ou toxicomane lourd, je me suis rendu compte que ces gens-là aussi se sentent abandonnés. Ils parlent de la façon dont ils ont été abandonnés par les autres membres de la famille, pas simplement le malade, mais aussi les membres de la famille, le voisinage et la collectivité les stigmatisent pour avoir été loyaux envers une personne souffrant d'une maladie mentale ou d'un problème de toxicomanie graves et persistants. Elles méritent notre plus grand respect. Nous nous devons de faire bloc avec ceux et celles qui sont prêts à prendre ce genre d'engagement et nous devons les aider à demeurer forts.

Le sénateur Cordy: Passons à la formation nécessaire dont vous avez parlé. C'est M. Skinner, je pense, qui a évoqué la nécessité d'administrer un programme national de formation, domaine dans lequel le gouvernement fédéral pourrait intervenir pour contribuer au perfectionnement des compétences.

C'est bien dans le cas de ceux et de celles qui travaillent déjà dans le domaine, mais comment encourager les écoles professionnelles? Pourrait-on encourager les écoles de médecine et les travailleurs sociaux, parce que ce sont ces gens-là qui se retrouvent en première ligne? Vous avez parlé des patients qui vont à l'hôpital et des médecins et infirmiers et infirmières qui les voient en premier lieu et qui peuvent ne pas diagnostiquer leur comorbidité.

M. Rush: Nous avons réalisé beaucoup de progrès au cours des 10 dernières années pour faire inscrire l'alcoolisme et la toxicomanie dans les programmes des écoles de médecine et des soins infirmiers en Ontario. Cependant, il n'est pas question de comorbidité. Nous envisageons de la faire ajouter plus tard.

Nous disposons de deux systèmes distincts de formation des travailleurs sociaux qui oeuvrent au contact des malades mentaux et des toxicomanes. Le choix entre les deux intervient tôt au début du cursus. Au sujet du système national d'enregistrement, nous avons recommandé d'appuyer et d'encourager les universités et les collèges communautaires à insister sur ce genre de formation dans les deux domaines.

Le sénateur Cordy: Les instituts de police pourraient également être visés par ces dispositions, parce que ce sont souvent les policiers qui ramassent les gens dans la rue.

M. Kelly: Il faut mettre en oeuvre toute une stratégie de ressources humaines dans ce domaine.

Le sénateur Callbeck: J'ai deux questions qui concernent l'exposé de M. Kelly. Vous avez parlé de ce qui s'est passé en Ontario, du fait que les services ont d'abord été intégrés, puis défusionnés et que cela s'est produit deux fois. J'imagine que vous êtes maintenant intégrés et que vous recevez des budgets distincts.

Quand avez-vous été fusionné pour la dernière fois et pourquoi les services avaient-ils été séparés?

M. Skinner: Nous pourrions toujours spéculer. Je crois que le réseau de traitement des toxicomanies s'est vu comme le parent pauvre de cet accord et que, pour réaliser une partie de ce qu'il voulait faire, il devait se séparer de l'autre et se charger de sa propre promotion. Certains progrès ont été réalisés grâce à cela, à partir de la fin des années 80 et durant les années 90. Tout cela est très dialectique, les choses vont et viennent et elles évoluent dans le temps. Personnellement, je prétends qu'il en est sorti du bon.

Il demeure qu'à l'heure où nous nous rendons compte qu'il y a beaucoup plus à gagner par l'intégration et la collaboration, j'estime que le réseau de traitement des toxicomanies est sans doute plus fort, plus cohérent et plus apte qu'auparavant à dialoguer avec le système de santé mentale.

Les deux systèmes n'ont pas la même vision. Le personnel n'est pas le même non plus. Ceux qui travaillent dans le domaine de la santé mentale ont fait des études en science de la santé et sont des professionnels. La plupart de ceux qui travaillent dans le domaine de la toxicomanie sont eux-mêmes d'anciens toxicomanes. Ce n'est pas une mince différence.

À l'heure où l'on régionalise en Ontario, les gens se rendent compte que, dans bien des cas, les systèmes font appel aux mêmes personnes mais qu'ils appliquent des styles très différents. Dans le cas des clients les plus difficiles à traiter, nous n'obtenons pas le genre de résultat qui nous intéresse. Il est peut-être important, dans l'évolution historique des choses, de participer au regroupement des ressources qui s'annonce.

Mme Bois: Voilà un excellent aperçu. Historiquement, les domaines de la santé mentale et des toxicomanies ont des racines très différentes. Celui de la toxicomanie est issu du mouvement d'entraide, il n'a pas un caractère médical, tandis que le domaine de la santé mentale émane du secteur médical. C'est pour ces raisons qu'ils se méfient l'un de l'autre.

J'ajouterai une remarque au sujet de l'Arizona. M. Skinner et moi-même avons eu l'occasion de nous rendre dans cet État. Quand je me suis d'abord entretenu avec un de nos interlocuteurs au téléphone, je lui ai demandé pourquoi ils s'étaient regroupés. Il m'a dit qu'il était chargé de la santé mentale dans cet État et que la personne responsable des toxicomanies avait son bureau du bout du couloir. Ils se sont rencontrés et se sont dit qu'ils devraient travailler ensemble. Tout contribuait à leur décision: la taille de la bureaucratie, la collaboration entre les systèmes et la coopération. Quand les bureaucraties sont importantes, il est plus facile de créer des services distincts.

M. Rush: Pour en revenir sur la question du système de santé mentale et du système de traitement des toxicomanies qui ont suivi leur propre évolution, ils ont été ensemble à un moment donné, quand nous avons créé les grands établissements psychiatriques. La plupart des services de désintoxication d'alcoolisme et de drogue existaient alors comme le sanatorium de Homewood et les grands asiles d'aliénés qu'on trouvait à la fin des années 1800 et au début des années 1900.

Sous l'impulsion du mouvement AA, du mouvement d'entraide et de certains services de désintoxication qui prônaient l'adoption d'un point de vue sanitaire plus généreux en matière de toxicomanie, le système a commencé à se distancer du milieu médical tandis que le réseau de santé mentale a conservé des liens plus étroits avec lui.

Puis, l'inverse a commencé à se produire. On a commencé à professionnaliser le secteur de la désintoxication. On trouve maintenant un assortiment de personnel et de programmes. Des points de vue multiples ont évolué pendant que le système de toxicomanie se «professionnalisait» — et j'utilise ce terme avec soin. Le système de santé mentale, qui avait entretenu des liens très étroits avec le domaine de la psychiatrie et les hôpitaux, s'est graduellement transformé en un puissant mouvement de consommateurs et en un puissant mouvement de familles pour adopter de plus en plus une tradition d'entraide. Les deux systèmes se rapprochent graduellement. Les barrières sont en train de tomber, mais il faut du temps.

Le sénateur Callbeck: J'ai une question à vous poser au sujet de votre proposition pour obtenir de nouvelles recettes. Comment a réagi le gouvernement de l'Ontario à cette proposition?

M. Kelly: Le gouvernement de l'Ontario ne nous a fait part d'aucune réaction officielle. Il doit se dire que c'est une solution possible pour régler certains des problèmes chroniques qui affligent le secteur des toxicomanies à une époque de contraintes budgétaires. Il y a bien sûr un précédent avec les taxes recueillies sur les jeux de hasard. Nous avons fait cette proposition dans le cadre des consultations budgétaires et nous l'avons envoyée à tous les députés provinciaux et à tous les hauts fonctionnaires, mais nous n'avons pas reçu de réponse officielle.

Le sénateur Morin: Les gouvernements sont contre l'idée de prélever des impôts ciblés. Ils n'aiment pas ça.

M. Kelly: C'est vrai. C'est sans doute une partie de l'explication dans ce cas.

Le président: Je me rends compte que nous avons retenu plus longtemps que nous l'aurions voulu et je vous remercie de vous être rendus à notre invitation.

Monsieur Rush, vous vous êtes sans doute rendu compte, quand vous nous avez fait votre historique de la situation, que mes collègues semblaient particulièrement frustrés — je pense même que le sénateur Cook a dit qu'elle était «courroucée» — parce que, en un sens, quand on songe à ce système vu de l'extérieur, on se rend compte que ce n'est pas seulement le système qu'il faut blâmer. Deuxièmement, on en arrive à se demander pourquoi les gens logiques n'appliquent pas un système plus logique que celui-là. Comprenez que notre frustration est celle de décideurs qui essaient de régler un problème.

Sur ce, je vais vous adresser une dernière question à laquelle j'aimerais que vous réfléchissiez en tant que particulier, plutôt que dans vos rôles officiels, comme celui de M. Kelly, ou dans vos fonctions au CTSM. Si nous finissions par formuler deux, trois, quatre ou cinq recommandations, pourriez-vous, dans les prochains mois, réfléchir à ce qu'elles devraient être et nous envoyer un petit mot pour nous faire partager le fruit de vos réflexions?

M. Rush: Nous en serions heureux.

Le président: Je ne veux pas que ces points de vue soient filtrés par vos organisations respectives, parce que vos propositions correspondraient au plus petit dénominateur commun. Je veux avoir votre avis de particuliers qui travaillent dans ce domaine.

Merci de votre visite.

La séance est levée.


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