Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 2 - Témoignages du 17 novembre 2004
OTTAWA, le mercredi 17 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 22 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.
Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous sommes réunis ce soir pour traiter en partie de notre étude spéciale concernant le développement économique lié aux peuples autochtones dans notre pays.
Ce soir, nous avons la chance de commencer notre étude en compagnie de M. Fred Wien. Je vais vous donner un bref aperçu de ses antécédents. Il vient du Maritime School of Social Work, de l'Université Dalhousie, à Halifax, et s'intéresse activement aux questions sociales, à la santé et au développement économique à différents niveaux chez les Autochtones de l'Atlantique, y compris au niveau tripartite et directement avec l'organisme des Mi'kmaq et les sociétés de développement. Son domaine d'expertise comprend le développement socioéconomique des collectivités, les méthodes de recherche, la politique sociale et le développement des collectivités autochtones. Il a été directeur adjoint de la recherche à la Commission royale sur les peuples autochtones, dans le domaine de l'emploi et du développement économique.
Bienvenu, monsieur Wien, et merci d'être venu de Nouvelle-Écosse pour comparaître devant notre comité.
M. Fred Wien, professeur, directeur, Atlantic Aboriginal Health Research Program, Université Dalhousie : Je n'ai pas préparé de déclaration formelle. Je suis ici principalement pour répondre à vos questions au sujet de la tâche ambitieuse que vous vous préparez à entreprendre.
Je pense qu'il se passe des choses dans les collectivités autochtones, que la situation est assez différente maintenant de ce qu'elle était il y a une décennie. Je pense que l'on peut trouver des exemples de développement économique réussi, mais que l'on trouve également des collectivités qui continuent de battre de l'aile. Si vous avez l'intention d'entreprendre une série de visites, vous seriez bien avisé de visiter aussi bien les collectivités qui ont connu du succès que celles qui n'ont pas été en mesure de briser le cycle de la dépendance.
Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
Le sénateur St. Germain : D'après votre expertise et vos voyages, avez-vous des recommandations quant aux endroits qui pourraient servir à des fins de comparaison?
M. Wien : Oui. Il ne serait pas difficile d'établir une liste des collectivités que vous pourriez visiter. Je ne sais pas combien de collectivités vous vous proposez de visiter, mais il y a, par exemple, — et peut-être le connaissez-vous — un organisme national appelé Conseil pour l'avancement des agents de développement autochtone, CAADA, qui représente les agents de développement autochtone travaillant au niveau de la collectivité. Le conseil a une conférence nationale chaque année et à chaque occasion, il décerne un prix aux personnes et aux collectivités qui ont connu un succès remarquable sur le terrain. Une suggestion serait de choisir des collectivités parmi la liste des gagnants des dernières années.
Il y a également, je le pense, un réseau de personnes qui travaillent sur le terrain. Évidemment, bon nombre de ceux que je connais évoluent dans le milieu universitaire, mais ils sont répartis partout au pays. Chacun d'entre eux connaît assez bien les collectivités de sa région particulière et peut vous donner des conseils sur les endroits où aller et où vous pourrez obtenir les points de vue les plus intéressants.
Pour être plus précis, en Nouvelle-Écosse, il y a deux collectivités qui se sont vraiment démarquées au cours des sept ou huit dernières années. L'une d'elles, Membertou, est située à Sydney, en Nouvelle-Écosse, et l'autre est la collectivité de Millbrook, près de Truro, en Nouvelle-Écosse. Les deux collectivités ont été en mesure de briser un cycle de stagnation et de dépendance qui durait depuis de nombreuses années grâce à des modèles de développement d'entreprises intéressants et vigoureux.
Il y a d'autres collectivités en Nouvelle-Écosse qui font des choses intéressantes et certaines qui éprouvent d'énormes difficultés. Ce ne sont là que des exemples. Je pense que nous pourrions vous dresser une liste pour chaque province.
Le sénateur St. Germain : Dans vos études, avez-vous pu établir un lien entre une éducation de haute qualité et le succès des nations en matière de développement?
M. Wien : Oui. J'étais intéressé de savoir ce qui a fait que Membertou et Millbrook ont réussi à briser un cycle qui durait depuis longtemps. Je ne pense pas qu'il y ait de réponses simples, mais je sais à partir de ma propre recherche que ces deux collectivités comptent la population Mi'kmaq la mieux éduquée, en moyenne, vivant sur une réserve de la province, et c'est le cas depuis un certain nombre d'années.
Un autre élément-clé de leur succès est l'édification d'une fonction publique solide; ils ont délibérément ramené des personnes de la collectivité qui avaient connu du succès ailleurs, des membres de la communauté, pour les placer dans des postes de responsabilité. En fait, dans le cas de Membertou, j'ai rencontré une de ces personnes alors que je travaillais pour la commission royale. Nous avons eu une réunion à Toronto avec l'industrie des banques et Bernd Christmas de Membertou, qui travaillait sur Bay Street, était présent à cette réunion. Il est une des personnes que la collectivité de Membertou a rapatriées. Je pense que cela a été un facteur important.
En ce qui a trait à l'éducation, il faut retenir deux choses. L'une, c'est le niveau d'éducation moyen élevé de la population; la seconde, ce sont des personnes-clés bien qualifiées qui ont joué un rôle de chef de file depuis la position avantageuse du conseil de bande et de ses divisions.
D'autres facteurs sont importants. L'emplacement de Millbrook est avantageux; je ne dirais pas que ce sont les seuls éléments, mais en voilà deux.
Le président : Docteur Wien, certains d'entre nous sont intéressés par la question des peuples autochtones et nous avons remarqué qu'il y a certaines régions de notre pays et certains peuples autochtones qui ont eu du succès. Dans d'autres régions du pays, les peuples autochtones n'ont pas eu de succès. Nous sommes intéressés à savoir quels sont les éléments et les facteurs qui font en sorte qu'il soit possible que certains peuples autochtones réussissent alors que d'autres n'y parviennent pas. Pourriez-vous faire des observations générales sur cette question?
M. Wien : Oui, je serai heureux de le faire. Je crois savoir que dans quelques semaines, vous allez rencontrer les responsables du Project on American Indian Economic Development de l'Université Harvard et ils vous parleront des résultats de leurs travaux dans lesquels ils ont comparé explicitement les tribus ayant connu du succès et celles qui n'en ont pas eu. Ils ont une théorie bien articulée qui va bien au-delà des considérations techniques étroites liées, par exemple, à l'accès au capital ou à la technologie et ainsi de suite. Ils ont une interprétation plus large qui tient compte de facteurs comme la capacité de la tribu de prendre des décisions par elle-même, plutôt que d'être dépendante d'un ministère extérieur qui la contrôle, comme le U.S. Department of the Interior ou, dans notre cas, le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Ils traitent également de l'importance de développer des infrastructures et des institutions, du rôle de la culture et ainsi de suite.
Je vais leur laisser le soin de présenter leur théorie, mais l'autre chose que je dirais, d'un point de vue canadien, qui diffère quelque peu du point de vue américain, c'est que l'un des thèmes sur lesquels a insisté la commission royale et, peut-être, le point capital lorsqu'il s'agit du développement économique, c'était d'essayer de changer la structure d'opportunité des collectivités. En d'autres mots, il ne faut pas se contenter d'ajouter simplement un nouveau programme de formation de la main-d'œuvre ou un programme de prêts à la petite entreprise ou quelque chose du genre, mais il faut essayer de faire quelque chose à propos du fait que de nombreuses collectivités sont très pauvres. Elles ne sont pas riches en termes de ressources, elles peuvent être isolées du point de vue géographique et ainsi de suite.
Dans le rapport de la commission royale, nous avons mis beaucoup d'accent sur le fait, par exemple, d'accroître le territoire et les ressources disponibles des collectivités pour qu'elles aient une meilleure structure d'opportunité dont elles pourraient tirer avantage.
Il y avait d'autres éléments, mais ce sont-là certains des facteurs que nous trouvions importants.
Une question intéressante du point de vue de la recherche est d'examiner les collectivités dans les régions où la structure d'opportunité a changé. Le changement peut être dû à un accord sur une revendication territoriale, à une entente sur les droits fonciers issus des traités, dans l'Ouest, ou à une décision de la cour, comme la décision Marshall, dans l'Est, où les possibilités se sont soudainement accrues. Je pense que nous constaterions — mais je n'ai pas vu de recherche systématique sur cette question — que les communautés n'ont pas de problèmes, lorsque la structure d'opportunité change, à en tirer profit et à changer leur situation. On peut toujours se demander dans quelle mesure elles planifient à long terme ou si ces développements sont durables et d'autres questions du genre.
Une raison qui expliquerait pourquoi certaines régions croupissent, c'est qu'elles n'ont peut-être pas eu la possibilité de se placer dans une meilleure situation.
Le sénateur Banks : Pouvez-vous pointer une région et dire la Première nation de cette région ne se tire pas bien d'affaires et la Première nation de cette région y parvient? Est-ce possible? Avez-vous constaté dans vos études que c'était le cas?
M. Wien : Il est plus probable que vous allez trouver des variations au sein des régions, que certaines Premières nations se tirent bien d'affaires et d'autres non.
Le sénateur Banks : Et elles pourraient être proches les unes des autres?
M. Wien : C'est exact. En fait, Millbrook en Nouvelle-Écosse a bien fait. Indian Brook, à 20 minutes de là, n'a pas fait aussi bien.
Le sénateur Banks : Ce n'est pas vraiment quelque chose de régional?
M. Wien : Non.
Le sénateur Banks : Il y a quelques minutes, vous avez parlé de la différence au niveau de la prise de décision, à savoir si la décision est prise par quelqu'un d'autre, une personne engagée ou un ministère du gouvernement, ou si elle est prise par le peuple. J'ai cru comprendre de ce que vous avez dit que lorsque la décision est prise par le peuple, c'est toujours mieux ou presque toujours mieux.
M. Wien : Oui. Cela transparaît particulièrement dans les résultats de Harvard. La première variable dont ils ont parlé, c'est ce qu'ils appellent la souveraineté, la capacité de prendre des décisions par soi-même et non pas de constamment réagir à un ministère extérieur. Ensuite, ils poursuivent en disant que si vous avez la capacité de prendre des décisions, mais que vous n'avez pas les institutions et l'infrastructure pour prendre des décisions sages et pour fixer les règles de base pour le développement des entreprises, pour séparer les décisions politiques des décisions d'affaires, et ainsi de suite, vous pourriez encore éprouver des difficultés. La souveraineté n'est pas une condition suffisante, mais ils vous diraient qu'il s'agit d'une condition nécessaire.
Le sénateur Gustafson : Monsieur Wien, pourriez-vous dire un mot sur la santé des peuples autochtones? Je vois que vous avez fait beaucoup de travail sur cette question.
M. Wien : Dans le domaine de la santé?
Le sénateur Gustafson : Dans le domaine de la santé et de façon générale, est-ce que la situation s'améliore et dans quelle mesure?
M. Wien : Nous allons savoir très bientôt si la situation s'améliore ou non. Il y a eu deux enquêtes nationales sur la santé qui ont été réalisées et qui portaient sur des échantillons d'Autochtones qui sont habituellement exclus des données de Statistique Canada. C'est pourquoi je ne peux pas vous donner de détails sur les résultats, mais il y a eu l'Enquête régionale sur la santé des Premières nations et des Inuits en 1997. L'étude de suivi vient juste d'être terminée et en est au stade de l'analyse des données. En fait, lorsque M. Phil Fontaine a participé à la conférence des premiers ministre, il avait dans sa poche certains des premiers résultats. En Nouvelle-Écosse, nous avons pu prendre le même échantillon aux deux périodes de temps pour voir quels changements sont survenus, mais je ne suis pas encore en mesure de vous dire quels sont les résultats.
J'aimerais préciser deux éléments à cet égard. Premièrement, c'est qu'il y a certains problèmes de santé très sérieux qui comprennent des choses comme les taux de tabagisme, qui sont le double des moyennes provinciales, et des taux de diabète très élevés. Il y a également certaines collectivités, comme vous le savez, où l'on constate des problèmes très sérieux liés à la santé mentale qui pourraient se manifester par l'abus de substances ou par le suicide, ou des choses du genre.
Nous avons tendance à dire que le taux de suicide, par exemple, est généralement élevé dans la population autochtone, mais Michael Chandler et ses collègues de l'Université de la Colombie-Britannique ont réalisé des études comparatives sur cette question. Ils ont constaté non pas qu'il est élevé dans toutes les collectivités, mais plutôt qu'il y a quelques collectivités où le taux est catastrophique, et qu'il y a un très grand nombre d'autres collectivités où il est très faible, où on a réussi à bien gérer la situation.
Ils sont en train de comparer les circonstances ou les caractéristiques des collectivités où le taux de suicide est très élevé comparativement à celles où il est très faible et ce que cela peut nous dire sur la façon de gérer la situation.
Le sénateur Gustafson : Que dire d'installations comme les hôpitaux et le personnel pour le faire fonctionner?
M. Wien : J'ai une autre observation au sujet de l'état de santé. Vous allez constater généralement que la situation est pire sur les réserves et meilleure hors réserve et dans les centres urbains, mais qu'elle est tout de même pire que dans le cas des non-Autochtones.
Nous parlons justement de l'accès aux services aujourd'hui. Une des difficultés qui limitent l'accès, particulièrement pour les gens qui vivent sur une réserve, ce sont les querelles de compétence presque interminables de deux ordres. L'une de ces querelles fait intervenir ce qui s'appelait avant la Direction générale des services médicaux, qui s'appelle maintenant la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits, et le ministère des Affaires indiennes et du Nord, pour savoir qui est responsable. Par exemple, si les clients sont bénéficiaires de l'aide sociale à l'enfance et qu'ils ont également des problèmes de santé, relèvent-ils du ministère des Affaires indiennes et du Nord ou de Santé Canada par l'intermédiaire de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits? On n'a pas encore réussi à résoudre ce conflit de compétence.
L'autre, évidemment, est la querelle interminable entre les gouvernements fédéral et provinciaux, particulièrement en ce qui concerne les gens qui vivent hors réserve. Je dirais que c'est le principal facteur qui limite l'accès aux services, surtout pour les gens qui vivent sur les réserves.
Le sénateur Hubley : Je suis membre du Comité des pêches et ma question portera sur la relation entre le développement communautaire et le développement économique. Si je pouvais utiliser la situation de la pêche comme exemple — et il pourrait y avoir d'autres situations avec lesquelles vous pourriez nous aider également —, s'il y a une pêcherie à proximité, s'il y a de la pêche au large de la côte, disons, d'une région nordique et si le peuple autochtone qui vit à proximité de cette pêcherie ne dispose pas de l'infrastructure pour en profiter, il ne peut participer à cette pêche, même malgré les allocations et les choses du genre. Ils ont des besoins très particuliers dans le domaine de la pêche et ils ont une tradition qui dicte ces besoins.
Il semble y avoir un écart entre le désir qu'ont les peuples autochtones de faire du développement économique et l'infrastructure dont ils disposent. Pourriez-vous nous parler de cette situation?
M. Wien : Oui, je suis bien d'accord sur ce point. Pour réussir le développement économique, vous devez aller au-delà des limites étroites des considérations économiques, par exemple s'il y a suffisamment de capital disponible ou s'il y a suffisamment d'appuis pour les petites entreprises, et ainsi de suite. Vous devez tenir compte de la question plus large du développement institutionnel, par exemple : y a-t-il une société de développement qui pourrait jouer un rôle de chef de file? A-t-on défini le rôle des autorités politiques dans le développement économique? Le mot d'ordre, c'est que vous devez toujours séparer le développement économique et le développement des entreprises, mais c'est une phrase un peu simpliste. Les autorités politiques ont effectivement un rôle à jouer en fournissant une vision, en développant une base institutionnelle, en ramenant dans la communauté des gens qui peuvent jouer un rôle de chef de file, et ainsi de suite. Les autorités politiques ont un rôle important à jouer, mais elles ne devraient pas dire aux entreprises qu'elles ne peuvent pas congédier quelqu'un parce que cela aura un effet sur le nombre de votes qu'elles obtiendront à la prochaine élection.
Je pense que ce qui arrive, et votre exemple l'illustre, c'est lorsque vous essayez de faire du développement économique sans avoir la base institutionnelle, vous vous retrouvez peut-être avec du développement à courte vue, ou peut-être que les gens seront enclins à remettre leur permis de pêche à une entreprise non autochtone et se contenter de prélever une part des profits. Cela ne fait pas grand-chose pour les aider.
Dans le cadre de la commission royale, nous avons réalisé quelque chose comme 16 études de cas dans l'ensemble du pays. Nous étions dans la région située au sud de Calgary où l'on retrouve des réserves ayant les plus grands territoires. J'ai été très étonné de constater que pendant des décennies, les bandes avaient loué ces terres à des agriculteurs non autochtones, touchant le paiement de location, mais ne faisant rien d'autre avec ces terres.
Je pense que les gens de Harvard ont raison d'insister sur la base institutionnelle, l'importance de la gouvernance et ainsi de suite.
Le sénateur Hubley : Le gouvernement a un rôle plus fondamental à jouer ici. La formation ou l'éducation peut prendre de nombreuses formes de manière à donner aux peuples autochtones la possibilité de réussir comme, par exemple, ne pas louer la terre, mais apprendre à la labourer et à l'utiliser d'une manière plus productive pour eux-mêmes et pour en retirer les bénéfices. Là où il y a des lacunes au niveau de la formation et de l'éducation, le gouvernement ne devrait-il pas jouer un rôle plus vigoureux?
M. Wien : Non, je ne le crois pas. Beaucoup de gens dans chaque région y sont intéressés et ont une assez bonne idée de ce qui doit être fait pour changer la situation. C'est plus une question d'écouter et d'essayer de mettre en place le bon cadre de travail et les programmes qui leur permettraient de réussir.
Par exemple, dans le secteur des fonds pour les dépenses de capital, un réseau de sociétés de financement autochtones existe dans tout le pays. Je fais partie du Comité consultatif des prêts de la société qui dessert la région Atlantique. Elles sont considérées comme des organismes de prêts auxquels on a recours en dernier ressort. Autrement dit, si une personne ne peut pas obtenir un prêt d'une banque qui la considère comme présentant un risque élevé ou parce qu'elle demande un prêt trop peu important, elle ira à la société de financement autochtone. Cependant, ces sociétés ont beaucoup de mal à survivre d'une année à l'autre, car, et cela se comprend, leur taux de perte sur prêts est plus élevé que celui des banques. Pourtant, elles ne reçoivent aucune aide financière pour payer leur personnel de base. Autrement dit, elles doivent subsister à partir des prêts qu'elles font et des intérêts qu'elles reçoivent.
Je simplifie, car il y a quelques subventions ici et là, mais c'est le genre de problème que l'on doit régler. C'est une situation d'où elles ne peuvent pas sortir gagnantes. Il y aura de nombreux exemples et je crois que les gens vous diront ce dont ils ont besoin.
Le président : Monsieur Wien, je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest où les peuples autochtones ont réussi à bien des égards.
C'est peut-être dû, en partie, au fait que les peuples autochtones constituent la majorité et qu'ils ont, au fil des ans, fait des progrès à tous les niveaux de la société — gouvernement, entreprises et institutions culturelles comme la SRC. Au cours des années, des revendications territoriales ont été négociées avec les peuples autochtones dans diverses régions — avec les Inuvialuit depuis 1984 et d'autres groupes vers la fin des années 80 et 90.
Deux grands projets de développement économique sont en cours. L'un est à Yellowknife, axé sur les mines de diamant, et l'autre dans le Delta dans l'exploitation du pétrole et du gaz et un projet de gazoduc. Les peuples autochtones ont raisonnablement bien réussi à tirer avantage de ces projets.
Il me semble que la situation du Nord est unique, car les Autochtones ont l'avantage d'être une force importante dans tous les aspects de la société nordique, mais ils ont aussi accès à des financements et ont des droits de propriété ou des terres et des minéraux grâce aux revendications territoriales. Est-ce que des situations comme celle du Nord où les peuples autochtones ont réussi, peuvent être utilisées comme exemple? En examinant tous les facteurs ayant contribué à la réussite des Autochtones dans le Nord, pouvez-vous citer cela comme un exemple ou comme un modèle pour déclarer que la réussite des peuples autochtones dépend de l'existence de ces facteurs? Qu'en pensez-vous? Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Wien : Vous avez raison de signaler que les négociations sur des revendications territoriales globales sont un facteur essentiel. Malheureusement, dans plusieurs régions du pays cela n'est pas une option. Les gens peuvent déclarer en se fondant peut-être sur leur traité qu'ils ont quelques droits, comme dans la décision de l'affaire Marshall, qu'ils pourraient utiliser pour des avantages économiques et ainsi de suite. Le problème avec les revendications territoriales globales, c'est que ce scénario spécifique ne s'applique pas à tout le monde.
Le président : En voyant les autres réussites dans le pays, comme celles dans les régions de la C.-B. aux alentours de Kelowna, Kamloops et Vancouver où les peuples autochtones vivent près de zones métropolitaines et donc la valeur de leur terre augmente, pensez-vous qu'un facteur de la réussite des Autochtones dans le Sud serait qu'ils tirent avantage de leur situation et développent ces possibilités ou d'avoir accès à des ressources comme le pétrole et le gaz en Alberta? C'est le cas à Hobbema et dans d'autres régions du pays. Je suis sûr qu'il y a des régions dans la Saskatchewan et j'ai entendu dire qu'il y a une région au nord de la Saskatchewan où le peuple autochtone réussit très bien. Je me demande si vous pouvez établir un rapport entre la réussite des Autochtones dans le Sud et l'endroit où ils vivent et les ressources dont ils disposent.
M. Wien : Oui, je pense que la stratégie de développement d'une base économique dans une zone urbaine ou à proximité est très intéressante vu la grande activité économique, surtout dans le secteur des services, mais parfois aussi dans les industries manufacturières. Je trouve intéressant que les communautés autochtones aient pu, même si elles ne sont pas particulièrement bien situées, se constituer un créneau dans l'économie urbaine. Permettez-moi de vous donner plusieurs exemples.
Prenons Membertou, près de Sydney, où la situation change actuellement, cette région urbaine n'a jamais été un facteur très positif pour la bande de Membertou. La bande était absente de l'industrie du charbon et de l'acier, et cetera. Cependant, au milieu des années 90, le chef Membertou, et cela est un exemple de leadership et de son importance, a décidé que la situation de dépendance à l'aide sociale et les déficits, et cetera, devait cesser. Ils ont alors décidé d'établir une base à Halifax bien qu'ils vivaient à Sydney. Ils ont loué un bureau dans la tour Purdy's Wharf sur le front de mer d'Halifax avec une belle salle de conférence avec vue sur le port. Ils estimaient tout simplement qu'ils devaient être présents à Halifax et puisque qu'ils avaient pour stratégie la création de coentreprises avec des sociétés importantes, ils seraient plus de chances de réussir s'ils le faisaient à partir de cette base plutôt que de faire venir des gens par avion à Sydney dans cette communauté qui est relativement pauvre. Voilà un exemple de recherche délibérée d'un créneau économique en zone urbaine.
Dans l'Ouest canadien, des bandes dans des provinces comme la Saskatchewan et le Manitoba ont profité des droits fonciers issus des traités. Je ne sais pas si vous savez ce que c'est, c'est une sorte de compensation pour des promesses et des calculs énoncés dans des traités, mais qui n'ont pas été concrétisés depuis la signature de ces traités. Les bandes ont reçu soit des concessions de terrains soit de fortes compensations monétaires en conséquence des violations à leurs droits issus d'un traité. Certaines de ces bandes ont choisi d'utiliser cet argent pour créer des entreprises en zone urbaine, par exemple un centre industriel, un hôtel ou différents secteurs d'activités.
En fait, d'un point de vue autochtone, lorsque nous parlons du développement économique urbain, il ne s'agit pas seulement de gens ayant vécu en zone urbaine pendant un certain temps; mais aussi de bandes rurales qui ont intégré un élément urbain dans leur stratégie. C'est un élément qu'il faudra retenir lors de vos déplacements à travers le pays.
Le président : La semaine dernière, j'étais à Vancouver à Resource Expo, une conférence d'une association autochtone sur le commerce international. Il y avait des peuples autochtones de toutes les régions du pays qui ont réussi à fonder des sociétés, des partenariats et ainsi de suite. Il semble que leur réussite soit invariablement liée au développement des ressources. Les compagnies du secteur du développement des ressources sont prêtes à coopérer et ont pris l'initiative de collaborer avec les peuples autochtones afin qu'ils tirent avantage du développement. Avez-vous quelque chose à dire à cet égard?
M. Wien : Oui. Il y a quelques exemples de meilleures pratiques dans le pays par des compagnies comme Syncrude, par exemple, qui ont établi avec les communautés autochtones des relations englobant non seulement l'emploi et la formation, mais aussi des contrats de fournisseurs et ce type d'activités.
Il est intéressant de noter que les relations avec la communauté dépassent les simples considérations économiques. Ces compagnies parrainent une nuit de remise des prix ou peuvent offrir des bourses d'études à des étudiants. Elles rencontrent le chef et le conseil de la bande. Ce sont des relations plus élargies et à plusieurs niveaux. Ce n'est pas simplement le type de relation où l'on se demande « Combien de gens avons-nous embauchés et combien pouvons-nous garder? »
Je voudrais ajouter que certaines compagnies, qui ont récemment ouvert leurs portes, sont en partie motivées, et je ne porte pas de jugement critique, par le fait que quelquefois elles gagnent à avoir un partenaire autochtone pour leurs soumissions au gouvernement fédéral visant l'obtention de contrats, par exemple dans la défense, dans la construction, et cetera. Elles ne le font pas simplement pour des raisons de philanthropie, elles sont aussi motivées par des raisons commerciales pour se conduite ainsi.
L'une de nos étudiants en économie à Dalhousie a fait une thèse sur cette stratégie de co-entreprise. Elle aussi a conclu que le degré selon lequel la communauté autochtone peut tirer avantage de ce genre de stratégie dépend du développement de ses propres institutions. Si les communautés ont un personnel approprié, si elles négocient de façon adéquate les ententes et si elles sont suffisamment fortes pour contrer toutes les ressources dont disposent les sociétés, alors il y a des chances que la stratégie de co-entreprises leur apporte de vrais avantages.
Le sénateur Gustafson : J'ai servi la région de Souris Moose Mountain et d'Assiniboine où se trouvent plusieurs réserves dans la partie nord de la province et l'un des plus grands problèmes était que l'on ignorait qui était responsable des revendications territoriales. Était-ce le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial ou l'administration municipale? Ils iraient voir un député et lui diraient, surtout la municipalité : « Vous avez un problème, mais nous ne savons pas qui est responsable, le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial. » Voilà ce qui nous empêchait surtout de régler les problèmes.
M. Wien : Oui. Il faut dépenser énormément d'efforts.
Le sénateur Gustafson : Est-ce toujours le cas?
M. Wien : Oui. En fait, j'envisage un projet de recherche pour montrer le gaspillage de telles tergiversations.
Le sénateur Gustafson : C'est une impasse. Vous vous heurtez à un mur et vous ne pouvez plus avancer.
M. Wien : C'est un problème qui touche particulièrement les communautés et les entreprises autochtones, car leur situation constitutionnelle et juridictionnelle est plutôt unique.
Le président : Avez-vous d'autres questions?
Monsieur Wien, avez-vous quelque chose à dire sur la société canadienne en général? Je crois que le sort des peuples autochtone suscite un intérêt et une certaine préoccupation dans notre pays. Je sais que le premier ministre a eu une table ronde cet automne et d'autres tables rondes sont prévues pour traiter des différents problèmes concernant les peuples autochtones comme la santé, l'éducation et le développement économique.
Est-ce que votre travail et vos études ont montré qu'il y a une certaine conscience ou préoccupation en ce qui concerne le sort des peuples autochtones, surtout en ce qui concerne les moyens d'y remédier? De quelle façon peut-on améliorer le sort des peuples autochtones de notre pays et de leur donner la possibilité de participer à la société canadienne? Avez-vous des commentaires sur ce point? Est-ce que la société canadienne est prête à aider les peuples autochtones à se redresser économiquement?
M. Wien : Je pourrais faire deux commentaires à ce sujet. Premièrement, j'ai constaté au cours des quatre ans de travail avec la Commission royale que le niveau de réceptivité et d'intérêt de la part des Canadiens concernant les questions autochtones a augmenté et diminué sensiblement. Au début des travaux de la Commission, entre 1992 et 1994, et dans le contexte de Oka et de l'Accord du lac Meech et l'Accord de Charlottetown, il me semble qu'il y avait un intérêt considérable non seulement de la part des Canadiens, mais dans des secteurs comme les médias et ainsi de suite. Si on avait pu faire le rapport en deux ans, le moment aurait été parfait.
Il se trouve que les Canadiens se sont intéressés à autre chose. Les gouvernements se préoccupaient beaucoup des déficits provinciaux et fédéral. La position du Parti réformiste sur les questions autochtones a changé. J'ai eu le sentiment à cette époque qu'il n'y avait pas beaucoup d'intérêt à indiquer cela dans le rapport de la Commission royale afin de remédier à la situation, au moins nous aurions pu pendant un certain temps dépenser plus plutôt que moins.
Quand la Commission a déposé son rapport en 1996, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque ne semblait pas particulièrement intéressé. Toutefois, en l'espace de quelques mois, des économistes, des banquiers et d'autres personnes ont commencé à déclarer que nous nous trouverons très vite dans une situation de surplus et que nous pourrions faire des choses qui nous auraient paru impossibles auparavant.
Il y avait un nouveau ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en la personne de Jane Stewart qui, à mon avis, a pris le rapport de la commission royale comme cadre de travail. Elle a dit qu'elle l'avait sur sa table de chevet, je ne suis pas sûr que je recommanderais de faire cela. Au nom du gouvernement fédéral, elle a fait une réponse officielle concernant le rapport de la commission royale. Beaucoup de choses se sont produites depuis, par exemple, la Fondation autochtone de guérison, l'excuse présentée sur la question des pensionnats, et ainsi de suite. Il y a eu un grand changement.
Je voudrais aussi ajouter qu'à un niveau général — et un sondage d'opinion le confirme — le public canadien est très intéressé à l'aide aux Autochtones et à la réduction des inégalités dans la santé, l'éducation et d'autres domaines. Ce soutien est toujours là. Mais il disparaît lors de situations telles celle des pêches où la ressource est limitée, peut-être même en déclin. À cause des décisions de tribunaux et d'autres choses, on essaie de réintroduire un nouveau groupe d'intervenants dans les pêches avec des permis, des quotas et ainsi de suite. L'hostilité se développe rapidement dans les localités qui vivent de la pêche à cause de la situation de concurrence créée et où les gens pensent qui si d'autres personnes arrivent, il y aura moins de pêche.
J'étais à Yartmouth, en Nouvelle-Écosse, quand des incidents de ce genre se sont produits non seulement sur les quais, mais aussi dans les écoles où l'on a séparé les enfants.
Le président : Si vous n'avez plus d'autres questions, je vous remercie, monsieur Wien, pour votre témoignage. Vous êtes le premier témoin de notre étude. Nous examinerons particulièrement cette question des peuples autochtones et du développement économique au cours de l'année prochaine. Vous nous avez aidés à cibler les questions que nous devons traiter. Je vous remercie beaucoup d'être venu ce soir.
M. Wien : Merci de m'avoir invité. Si je peux vous aider de quelque façon que ce soit, je serais heureux de le faire.
Le président : Cela met fin à la partie officielle de la réunion de notre comité ce soir. Nous allons maintenant continuer notre séance à huis clos et aborder quelques questions budgétaires d'ordre technique. Je mets fin à cette partie de notre réunion et demande à tous les spectateurs de sortir de la salle car la séance continue à huis clos.
Sénateurs, êtes-vous d'accord pour que notre personnel reste dans la salle?
Des voix : Oui.
La séance continue à huis clos.
Le comité reprend ses travaux.
Le président : Les membres du comité ont eu l'occasion d'examiner les budgets. La séance est levée pour étudier les budgets du comité.
Nous étudierons les budgets un par un. Le premier budget est pour une législation de 19 617 $ pour couvrir les dépenses du comité traitant des mesures législatives pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2005. Êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est présentée par le sénateur Gustafson, appuyée par le sénateur Hubley. Tous ceux qui sont pour?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée.
Le deuxième budget traite de l'étude spéciale sur la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada et un budget de 105 955 $ pour couvrir les dépenses jusqu'à la fin de l'exercice financier se terminant le 31 mars 2005. Plaît-il aux membres du comité d'adopter cette motion? La motion est proposée par le sénateur Hubley, appuyée par le sénateur Gustafson. Tous ceux qui sont pour?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée. Le troisième budget est pour une législation; c'est une demande d'autorisation de budget pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2006, pour 36 540 $. La motion est proposée par le sénateur Gustafson, appuyée par le sénateur Hubley. Tous ceux qui sont pour?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée.
Une nouvelle version de l'avant-projet de budget sera soumise au comité lors d'une prochaine réunion.
Permettez-moi de vous dire un mot sur nos futures réunions. Manny Jules, ancien président de la Commission de la fiscalité indienne sera notre témoin le mercredi 24 novembre. Le mardi 30 novembre, nous aurons une vidéoconférence avec le professeur Jon Altman de l'Australian National University et le mercredi 1er décembre, les professeurs Stephen Cornell et Joseph Kalt, codirecteurs du Projet Harvard sur le développement économique des Indiens américains.
Nous attendons toujours une réponse de Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières nations, et de Judy Whiteduck, responsable du développement économique pour l'APN. Nous envisageons aussi d'inviter George Erasmus, coprésident de la Commission royale. Ce sont les témoins que nous avons choisis à ce jour pour de futures réunions du comité.
Nous espérons, si notre budget est approuvé, de faire un déplacement de recherche des faits à Yellowknife, Inuvik et vers la fin du mois de janvier et au printemps, un déplacement de recherche de faits en Colombie-Britannique et en Alberta. Suivra ensuite un déplacement au nord de la Saskatchewan et au Manitoba. Nous ferons cela soit ce printemps ou probablement l'automne prochain. Voilà pour le moment les projets du comité. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
Si non, je vous remercie beaucoup d'être venus. J'apprécie votre présence. Notre prochaine réunion se tiendra mercredi prochain.
Merci beaucoup.
La séance est levée.