Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 3 - Témoignages du 8 décembre 2004
OTTAWA, le mercredi 8 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 24 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.
Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous avons l'honneur d'entendre ce soir le professeur Jon Altman, du Centre de recherche sur les politiques économiques aborigènes de l'Université nationale d'Australie. Bienvenue.
La parole est à vous, monsieur Altman.
M. Jon Altman, professeur et directeur du Centre de recherche sur les politiques économiques aborigènes, Université nationale d'Australie : Merci, monsieur le président. L'Université nationale d'Australie est située à Canberra, en Australie. Bonsoir à tous. Ici, c'est le mercredi matin.
Je dirige un centre de recherche créé en 1990 qui s'intéresse aux questions de politique économique indigène. Nous nous intéressons de plus en plus aussi aux questions de politique sociale.
Notre centre est pluridisciplinaire, mais surtout axé sur les sciences sociales. Notre centre regroupe une vingtaine de chercheurs, ainsi que divers intervenants, notamment des représentants du gouvernement fédéral australien. Les gouvernements de certains États que vous appelez je crois chez vous des provinces, s'intéressent également à nos activités. Évidemment, nous collaborons aussi avec divers comités, organisations régionales et communautés indigènes.
Notre but principal consiste à documenter la situation socioéconomique des peuples indigènes d'Australie, afin d'analyser les causes des désavantages indubitables dont ils souffrent dans notre pays et de nous appuyer sur les résultats des recherches pour présenter des conseils en matière de politique aux divers intervenants, notamment au gouvernement, au secteur privé, au secteur public et aux collectivités et organisations indigènes.
C'est un grand honneur pour moi d'avoir l'occasion de parler à votre comité au moment où il entame cette enquête qui sera sans aucun doute difficile et qui vous amènera à parcourir de grandes distances au Canada. J'espère pouvoir vous donner quelques conseils sur la façon de procéder.
Souvenez-vous toutefois qu'il n'y a rien de pire qu'un expert étranger, surtout s'il demeure si loin. Bien sûr, je connais un peu la situation canadienne. Beaucoup d'universitaires canadiens nous rendent visite ici. Je suis en contact avec le haut-commissariat canadien en Australie.
J'espère pouvoir contribuer au débat en parlant de quelques-unes des meilleures pratiques que nous appliquons ici en Australie, en particulier sur le plan de la recherche et des approches méthodologiques. Souvenez-vous encore une fois que selon toutes les recherches comparatives internationales consacrées aux indicateurs sociaux que j'ai pu consulter, le Canada obtient de bien meilleurs résultats que l'Australie au niveau de ses interactions avec les peuples autochtones. D'une certaine façon, vous vous trouvez à demander les conseils de votre parent pauvre d'Australie. Cependant, si je peux vous aider, je le ferai avec plaisir.
Le président : J'aimerais vous présenter les sénateurs qui sont présents ici ce soir.
À ma droite, le sénateur Gerry St. Germain, qui est vice-président du comité. Le sénateur Buchanan, ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse, est aussi parmi nous. Nous avons également le sénateur Pearson, de l'Ontario, le sénateur Watt, du Nunavut, le sénateur Léger, du Nouveau-Brunswick et le sénateur Len Gustafson, de la Saskatchewan.
Nous sommes très intéressés à vous entendre. Nous venons tout juste de commencer notre étude, mais nous avons déjà entendu un certain nombre de témoins. Nous n'avons pas encore commencé à voyager dans notre vaste pays, mais nous espérons le faire un peu plus tard cet hiver. Nous nous rendrons à Yellowknife, ainsi qu'à Inuvik, dans la mer de Beaufort, où la température peut descendre jusqu'à moins 40 ou moins 50 degrés, sans compter l'effet du vent. Ce sera une bonne introduction à cette région du Nord. Je ne pense pas qu'il fasse aussi froid en Australie.
M. Altman : Surtout pas à cette époque de l'année.
Le président : Voulez-vous commencer votre exposé?
M. Altman : Si j'ai bien compris, votre enquête porte sur la participation des collectivités et entreprises autochtones et sur les activités de développement économique partout au Canada.
En Australie comme au Canada, les peuples indigènes se caractérisent par une énorme diversité, tant sur le plan de l'implantation géographique que des activités économiques auxquelles ils s'adonnent. Au Canada, les caractéristiques des collectivités indigènes sont également très variées puisque certains peuples vivent dans des collectivités très éloignées, comme dans notre pays. Bien entendu, il y a aussi des Autochtones qui vivent dans les grandes villes, se mêlant à la population générale.
Si j'ai bien lu votre mandat, vous vous intéressez plutôt aux collectivités distinctes, plus visibles, qui sont situées sans doute à l'extérieur de vos grands centres urbains. Ma première remarque concernant votre mandat est que nous avons souvent tendance, lorsque nous examinons une question importante sur le plan du désavantage ou de la marginalité socioéconomique des indigènes, à associer les aspects relatifs au statut socioéconomique — que, dans nos deux pays, nous avons tendance à évaluer à partir des statistiques officielles sur les indicateurs socioéconomiques — aux questions de développement économique et de développement commercial.
Théoriquement, je considère les aspects relatifs au statut économique comme l'ensemble de paramètres le plus large que nous puissions utiliser pour différencier les peuples dans une perspective statistique qui souvent ne reflète pas leur mode de vie ou leur réalité sociale.
Il y a des différences entre les indigènes et les non-indigènes — et je suis certain que dans votre pays, tout comme en Australie, la plupart des indicateurs sociaux révèlent que les indigènes ne sont pas dans une aussi bonne position sociale que les autres, tant sur le plan de l'emploi, du revenu, de l'éducation et du logement que de la santé. Nous devons reconnaître que ces statistiques sont souvent très générales. D'une certaine façon, en matière de politique, elles ne nous aident pas vraiment à focaliser sur la situation des différentes collectivités en matière de développement économique.
Il faut reconnaître également que le terme même de développement économique est très contesté puisqu'il dépend de la perspective de développement économique que l'on souhaite appliquer et de la perspective culturelle à partir de laquelle on définit le développement économique.
L'ampleur de cette diversité est exposée dans les écrits d'auteurs comme le prix Nobel Amartya Sen, qui considère le développement économique comme un processus visant à étendre la liberté réelle dont bénéficient les gens. Cette notion du développement économique représente une extrémité du spectre des définitions, l'autre extrémité se rapprochant beaucoup plus des notions courantes de développement économique qui mettent beaucoup plus l'accent sur des indicateurs tels que l'emploi des gens, leur revenu et leur capacité à vivre de manière indépendante, sans compter sur l'aide de l'État.
Bien entendu, le développement commercial n'est qu'un élément du développement économique. Les indigènes, tout comme les non-indigènes, travaillent essentiellement pour gagner leur vie et la majorité d'entre eux ont un emploi dans le secteur public ou le secteur privé. Beaucoup d'indigènes sont également employés dans des organismes communautaires.
Lorsqu'on s'intéresse aux aspects commerciaux, il faut savoir que l'on tient compte des liens des indigènes avec des entreprises où ils sont employés, mais également gérants de petites entreprises familiales. Les statistiques officielles australiennes ont tendance à classer ces entreprises comme des activités de travailleurs autonomes, par opposition aux intérêts indigènes dans de plus grandes entreprises. Je suppose qu'au Canada, comme en Australie, il arrive rarement que des Autochtones soient propriétaires de leur entreprise ou d'une entreprise en coparticipation avec une plus grande société.
J'ai pensé qu'il serait utile, pour commencer, d'évoquer un peu toute la gamme des possibilités et également de souligner le fait qu'en Australie comme au Canada, l'énorme diversité est liée à la nature de l'histoire coloniale et de l'impact de la colonisation. Il est important également de reconnaître que, dans les deux cas, il y avait des variantes dans la situation économique et sociale précoloniale. On constate également dans les deux pays d'énormes différences sur le plan des ressources que les indigènes peuvent utiliser et également de grandes variations dans le secteur écologique.
Vous avez parlé, monsieur le président, des conditions climatiques extrêmes que connaissent certaines collectivités dans lesquelles vous vous rendrez. Ces collectivités ont sans doute leur pendant en Australie, bien que les extrêmes ne soient pas les mêmes, et sont fréquentées par des aborigènes qui, pour des raisons historiques et coloniales, se sont établis dans des régions désertiques qui sont très arides et souvent très chaudes. Ces collectivités éprouvent d'énormes difficultés à adhérer à l'économie générale.
J'essaie de plus en plus de conceptualiser les économies indigènes — et c'est un modèle dont j'ai récemment parlé avec le professeur Peter Russell qui m'a en partie convaincu qu'il serait utile d'aborder le sujet avec vous. Ce modèle est ce que j'appelle, dans le contexte australien, l'économie hybride indigène. Elle comprend trois secteurs : l'économie de marché, l'économie d'État et l'économie coutumière. Dans beaucoup de discussions politiques sur les questions indigènes, nous avons tendance à trop mettre l'accent sur le marché par lequel on entend souvent le secteur privé, ou à mettre trop l'accent sur l'économie d'État, qui peut être le secteur public — un secteur qui fournit des services aux peuples et aux collectivités indigènes — mais également le secteur qui offre une assistance sociale.
Dans ces débats, nous avons tendance à négliger le secteur coutumier qui, dans de nombreuses collectivités indigènes, est important sur le plan économique comme moyen d'existence. C'est également un secteur dans lequel de nombreuses collectivités indigènes isolées en particulier bénéficient d'un avantage comparatif. Dans beaucoup de secteurs éloignés, le secteur coutumier — présent en Australie dans des environnements qui ne sont pas si isolés — demeure vital pour la subsistance des indigènes, mais c'est également un secteur qui relève à la fois de l'État et du marché. En d'autres termes, l'activité coutumière peut être utile sur le plan des échanges commerciaux. Elle peut être utile sur le plan de la prestation des services publics et, en Australie, c'est souvent le cas dans les activités de gestion des ressources naturelles qui sont assurées par des indigènes participant à l'économie coutumière et, bien entendu, l'activité coutumière est aussi souvent encouragée par l'État.
Je sais qu'au Québec, il existe un programme très connu et très solide que l'on appelle le Programme de sécurité du revenu. En Australie, nous avons un programme analogue, le CDEP — Community Development Employment Projects — dont bénéficient souvent les gens qui vivent à la campagne, qui participent à des activités coutumières et qui bénéficient d'une certaine aide de l'État.
Je suis certain que nous reviendrons un peu plus tard sur les facteurs de succès en matière de développement économique indigène. Je suis très heureux de me pencher sur ces questions. Je voulais vous présenter ces quelques remarques pour commencer et je serais prêt maintenant à répondre aux questions ou aux commentaires des sénateurs et à participer à un débat au-dessus du Pacifique.
Le président : Le sénateur St. Germain va prendre ma place, puisque je dois je m'en aller.
Le sénateur St. Germain (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons passer directement aux questions.
Je vais vous poser une seule question. Dans ses rapports avec les peuples indigènes, le gouvernement fédéral australien a-t-il endossé une responsabilité fiduciaire à l'égard des peuples indigènes d'Australie?
M. Altman : Oui, dans une certaine mesure. En 1967, l'Australie a tenu un référendum au sujet de la modification de la Constitution. Cette modification consistait à supprimer une clause de la Constitution australienne selon laquelle le gouvernement fédéral n'avait pas à intervenir dans les affaires indigènes, ces dernières étant exclusivement du ressort des États et des territoires. Essentiellement, depuis 1967, le gouvernement fédéral est en mesure d'intervenir dans les affaires indigènes. Depuis le début des années 1970, le gouvernement s'est beaucoup plus intéressé aux affaires indigènes.
Pour ce qui est de l'obligation fiduciaire, c'est une question assez complexe en Australie où le gouvernement fédéral actuel refuse, contrairement au gouvernement de certains États, de s'excuser par exemple auprès des personnes qui appartiennent à ce que l'on appelle en Australie la génération volée, c'est-à-dire les indigènes qui ont été retirés de leurs familles, conformément à la politique officielle, depuis les années 1930 jusqu'à la fin des années 1960. Une des raisons qu'invoque le gouvernement fédéral pour justifier son refus de présenter des excuses officielles est liée à sa volonté de ne pas accepter l'obligation fiduciaire ou d'éviter les demandes éventuelles de dédommagement. Toutefois, tous les gouvernements des États et territoires ont présenté des excuses.
Le gouvernement fédéral consacre d'importants programmes aux indigènes, mais chaque État et territoire est également chargé de la prestation de services à ses habitants indigènes. Ces services sont fournis soit par des organismes indigènes, soit par l'intermédiaire de programmes ordinaires. En 2001, la Commission des subventions du Commonwealth a fait une enquête importante qui a révélé dans quelle mesure les États et les territoires s'acquittaient de leurs obligations de prestation de services à leurs citoyens indigènes sur une base équitable de leurs besoins. Cette enquête réalisée par une autorité indépendante chargée de répartir les impôts entre le gouvernement fédéral et ceux des États et territoires, s'est montrée assez critique à l'égard des États et territoires, affirmant qu'il n'était pas clair qu'ils finançaient autant qu'ils le devraient leurs citoyens indigènes, compte tenu des besoins et de la situation géographique de nombreux indigènes vivant dans des régions isolées.
Par exemple, dans des endroits comme le territoire du Nord, on a constaté que le financement des écoles et des services de santé des régions isolées n'était pas suffisant. Autre point pertinent pour votre enquête, les recherches ont démontré que les programmes de soutien économique n'étaient pas suffisants pour constituer une base économique nécessaire et donner aux gens la possibilité de participer au développement économique à l'endroit où ils vivent, sur les terres qui leur appartiennent.
Le sénateur Buchanan : Voilà qui est très intéressant. Si j'ai bien compris, vous dites que la responsabilité première des peuples aborigènes d'Australie appartient au gouvernement des États et non pas au gouvernement fédéral.
M. Altman : Je crois qu'on peut le dire en effet dans une certaine mesure. C'est une responsabilité partagée, mais vous savez qu'en vertu de la Constitution australienne, seul le gouvernement fédéral peut lever des impôts et que la Commission des subventions du Commonwealth, un organisme que nous avons ici, est habilitée à répartir les impôts sur le revenu selon les demandes de ressources financières qui lui sont présentées par les États et territoires. Ces demandes de ressources tiennent compte de toute une gamme de facteurs de handicap. Un de ces facteurs de handicap s'appuie sur la proportion de la population d'origine indigène. Une plus grande proportion d'indigènes dans la population justifie un financement plus grand en vertu du système de péréquation, parce que les indicateurs socio- économiques démontrent que les indigènes sont plus dans le besoin.
Le gouvernement fédéral propose divers programmes ciblant directement les indigènes. Les Australiens d'origine indigène peuvent également faire appel aux autres programmes du gouvernement fédéral. Cependant, on s'attend à ce que certains États et territoires offrent divers services aux Australiens indigènes s'ils sont citoyens de ces États et territoires. C'est un débat qui n'a pas de fin. Le gouvernement fédéral et ceux des États et des territoires se renvoient constamment la balle, se comparant afin de savoir qui remplit correctement ses obligations et qui ne le fait pas.
C'est sans doute une situation qui vous paraît familière.
Le sénateur Buchanan : En effet.
M. Altman : Ces questions font l'objet de vifs débats. Récemment, par exemple, le gouvernement du territoire du Nord a fait circuler à l'échelle nationale un rapport qu'il avait commandé. Ce rapport passait en revue les programmes relevant du gouvernement des États ou provinces. Il révélait une pénurie de logements pour indigènes dans toutes les régions de l'Australie, ainsi que la surpopulation des indigènes et calculait qu'il faudrait investir un montant supplémentaire de 2 milliards de dollars. Les auteurs du rapport affirmaient que le gouvernement fédéral devait remédier à cette pénurie de logements, non seulement parce que les logements manquaient, mais également parce que la situation ne ferait que s'aggraver, en raison du taux de croissance de la population indigène. Le gouvernement fédéral a répliqué qu'il investirait dans le logement et l'infrastructure pour les indigènes, mais qu'il souhaitait que les États et les territoires commencent d'abord par faire leur part.
Le sénateur Buchanan : La situation est plutôt différente au Canada où la Constitution attribue la première responsabilité au gouvernement fédéral. Les provinces ont une responsabilité secondaire, bien que, depuis quelques années, elles s'intéressent plus aux affaires indigènes qu'il y a peut-être une cinquantaine d'années, mais c'est encore au fédéral qu'incombe la responsabilité en vertu de notre constitution. La situation est très différente de celle qui existe chez vous en Australie.
Il est intéressant de noter toutefois que depuis 20 ans, dans ma région du Canada, la Nouvelle-Écosse, les communautés autochtones ont connu un plus grand développement économique que jamais auparavant. Dans certaines régions de Nouvelle-Écosse, certains chefs et conseils de bande dynamiques se sont engagés dans des activités qui ont connu un grand essor au cours des dernières années, au point où le développement économique est pratiquement au maximum dans ces secteurs — dans le secteur de la pêche, par exemple, dans la mytiliculture, l'ostréiculture, toutes les activités d'aquaculture de manière générale. Dans certains secteurs, le développement économique a atteint un point tel — je peux citer un secteur — que les Autochtones sont actuellement et depuis deux ans, en train de construire un énorme centre commercial, un secteur industriel, des stations-service, des restaurants, des hôtels, un complexe cinématographique général, qui est différent de ce que nous avons pu constater dans notre province pendant de nombreuses années, et nous sommes très heureux de cette évolution des choses.
Cependant, la plus grande partie de la responsabilité du soutien économique revient au fédéral.
Le sénateur Pearson : J'aimerais reprendre vos commentaires concernant la croissance démographique, parce que j'ai l'impression qu'elle suit la même tendance chez vous qu'ici. Chez nos peuples indigènes, la croissance démographique suit une tendance inverse à celle de la plupart des régions du pays puisque, chez les Autochtones, les jeunes sont très nombreux. C'est pourquoi, j'aimerais vous demander ce que vous faites en Australie pour la formation des jeunes afin de les préparer à une activité économique. En effet, cela me paraît être absolument indispensable.
M. Altman : La situation semble très semblable. Les pyramides démographiques des deux populations sont exactement inversées. En Australie, nous nous préoccupons du vieillissement de la population dont la future population active devra assurer le soutien. Chez les indigènes, par contre, les jeunes de moins de 15 ans représentent environ 40 p. 100 de la population.
Sur le plan démographique, nous n'avons pas de bonnes statistiques ici et je pense que Statistique Canada éprouve les mêmes difficultés. Les enquêtes statistiques ne s'intéressent à la population indigène que depuis 1971. À l'époque, la population indigène comptait 115 000 personnes mais, il paraît évident que beaucoup de gens n'avaient pas été recensés. Au dernier recensement, en 2001, la population indigène atteignait 460 000 personnes et s'était donc multipliée par quatre en l'espace de 30 ans. Si l'on se fie aux projections, le taux de croissance est très rapide et atteint 3 ou 4 p. 100 par an, en particulier dans les régions les plus isolées.
Certaines projections faites par mon centre en matière de taux de chômage, par exemple, soulèvent un véritable problème. Le taux officiel de chômage chez les indigènes de toutes les régions du pays, atteint actuellement 20 p. 100, mais si l'on tient compte du programme CDEP qui regroupe 36 000 bénéficiaires indigènes qui sont considérés comme employés du fait de leur participation au programme, on peut dire alors que le taux de chômage chez les indigènes atteint près de 50 p. 100. Toutes nos projections indiquent que ce taux devrait continuer à augmenter à l'avenir, à moins d'entreprendre des changements importants.
En Australie, l'éducation est aussi une question importante dans la population autochtone et nous avons bien entendu de nombreux programmes qui ont pour but d'encourager la scolarisation des jeunes indigènes. Cependant, nous avons un réel problème avec les jeunes indigènes qui habitent dans des secteurs ruraux et isolés où les établissements d'éducation sont souvent limités, en particulier après le niveau primaire et où des questions se posent quant à la nature de l'éducation. En effet, à quoi cela sert-il aux jeunes indigènes de faire des études et d'obtenir des qualifications s'ils continuent à résider dans ces régions isolées où ils ne peuvent trouver d'emploi grâce à ces qualifications? Cette question fait l'objet de vifs débats en ce moment, puisque certains porte-parole indigènes réclament la possibilité pour les enfants des régions éloignées d'aller étudier dans les centres urbains. La question est assez controversée, puisque d'autres indigènes affirment que cela leur rappelle le drame des générations volées vécu par les jeunes indigènes enlevés de leurs villages et placés dans des familles d'adoption non indigènes, ce qui a contribué si vous voulez à les couper de leurs racines et de leurs traditions.
Ce qui est clair en Australie — et mon centre encore une fois a recueilli des statistiques sur le sujet — c'est que l'éducation des indigènes est nettement sous-financée par rapport aux besoins. De même, depuis une ou deux décennies, on constate que les résultats scolaires des indigènes, en particulier dans les régions éloignées, ont plutôt chuté que progressé. Ce phénomène est lié aux débouchés économiques et aux possibilités d'activités offerts dans les collectivités éloignées, car on a l'impression que les jeunes ont tendance à se désintéresser des études lorsqu'ils peuvent trouver un travail intéressant sur place. Ils manquent d'incitation et de motivation. Dans certains contextes éloignés, il n'est pas facile pour les parents d'obliger leurs enfants à aller à l'école, compte tenu de la nature de la famille et des relations sociales indigènes.
Le taux d'absentéisme est élevé, en partie à cause d'une caractéristique qui semble demeurer très forte dans la culture indigène, à savoir le respect véritable de l'autonomie de l'individu. Contrairement à ce qui se passe dans notre société, cette caractéristique semble prévaloir chez les adolescents et les jeunes enfants dont les parents hésitent à les forcer à fréquenter l'école. Parfois les parents se tournent vers les autorités et disent : « Nous ne pouvons pas influencer nos enfants. Pourquoi n'essayez-vous pas d'intervenir? »
Dans ces collectivités, il est vraiment difficile de demander aux autorités de contraindre les enfants à aller à l'école. En effet, on peut bien forcer les enfants à aller à l'école, mais ils peuvent refuser d'apprendre. Parfois, on reste perplexe lorsqu'on compare les taux de fréquentation et les résultats scolaires.
Ce sont des questions très difficiles et controversées. Il ne faudrait pas exagérer l'ampleur du problème — même si les médias australiens et certains chefs et militants indigènes soulignent les extrêmes, pour des raisons de promotion de leur cause. Cependant, on peut se féliciter des résultats obtenus à l'autre extrémité du spectre, en matière de participation des indigènes et d'éducation supérieure et en matière de qualification puisque, depuis 20 ou 30 ans, on assiste à une beaucoup plus grande fréquentation des établissements destinés à la population en général par les indigènes.
Voilà en quelque sorte les deux extrêmes. D'un côté, il y a la situation dans les régions éloignées et rurales et parfois même dans un contexte urbain, où l'on constate un taux élevé d'absentéisme et une sorte de régression de l'alphabétisation. À l'autre extrémité, on note une beaucoup plus grande fréquentation des établissements d'enseignement supérieur par les indigènes.
Dans le secteur de l'éducation en Australie, un des débats porte sur la forme que devrait prendre l'éducation. Dans notre pays, un des débats les plus anciens concerne l'éducation bilingue. Les aborigènes devraient-ils faire des études dans leur langue ainsi qu'en anglais? Le deuxième débat touche l'adaptation des matières enseignées de manière à donner aux élèves le bagage nécessaire pour vivre dans les collectivités où ils souhaitent habiter. On hésite à fournir aux jeunes une formation professionnelle qui leur permettrait de participer aux activités de gestion des ressources naturelles et culturelles comme ils semblent intéressés à le faire — participation aux industries de la pêche et à l'économie de cueillette. Par ailleurs, le secteur des arts est très dynamique dans ces collectivités. Par conséquent, il y a en quelque sorte un manque de concordance entre les possibilités d'emploi et de développement économique dans le contexte aborigène et le type d'éducation que les autorités proposent à la population en général.
Le sénateur Watt : Bienvenue, monsieur Altman. J'aimerais avoir une précision. Qu'entendez-vous par économie coutumière? S'agit-il de l'économie collective, ce qui est le terme utilisé ici au Canada?
M. Altman : Pas tout à fait. L'économie coutumière peut être collective, mais elle peut aussi être individuelle. L'expression désigne les activités productives non rémunérées auxquelles se livrent les indigènes pour leur propre usage. Au Canada, en particulier, les activités de récolte sont probablement la forme d'économie coutumière la plus répandue. C'est donc une notion se rattachant à la participation à une activité économique productive qui ne se reflète pas, par exemple, dans les indicateurs sociaux sur les niveaux de revenu des gens. Pourtant, ce sont des activités économiques auxquelles certaines personnes consacrent la majeure partie de leur vie active.
Dans certaines régions d'Australie, par exemple dans les savanes tropicales, il y a encore une économie dynamique fondée sur la chasse parce que le gibier occupe vraiment une place importante dans le régime alimentaire des gens. Dans d'autres régions du pays, dans les communautés côtières et surtout dans les endroits comme le détroit de Torres, où vit une minorité indigène légèrement différente, les insulaires participent à une économie coutumière fondée sur la pêche et la chasse aux espèces marines comme la tortue et le dugong.
Ce qu'il y a d'intéressant dans l'activité économique coutumière, c'est qu'elle peut aussi faire son chemin jusqu'à l'économie de marché. Donc, les gens peuvent par exemple pratiquer la pêche dans le cadre de l'économie coutumière, mais aussi dans le cadre de l'économie de marché, de façon commerciale. Ils peuvent se servir des mêmes techniques, mais vendre leur poisson et faire de l'argent.
Un des éléments sur lesquels j'insiste beaucoup, avec cette idée d'économie coutumière et la notion selon laquelle l'économie hybride compte trois secteurs plutôt que deux, c'est qu'il y a une importante composante non commerciale de l'économie à laquelle bien des aborigènes continuent de participer, souvent davantage qu'au marché du travail officiel ou à des activités commerciales.
Ces activités, de chasse ou de pêche par exemple, peuvent être pratiquées individuellement ou collectivement, ou encore sur des terres qui appartiennent à la collectivité.
En Australie, les activités de ce genre se déroulent souvent sur des terres sur lesquelles les gens ont des droits fonciers inaliénables et des titres de propriété ancestraux. En vertu de la loi australienne, les gens ont également le droit, conformément à la common law, d'exploiter certaines espèces pour un usage coutumier ou non commercial. S'ils veulent exploiter des espèces animales — ou d'autres ressources, d'ailleurs — à des fins commerciales, c'est souvent plus contestable en ce qui a trait à leurs droits de propriété sur ces ressources.
Le sénateur Watt : J'aimerais pouvoir me faire une meilleure idée des ressemblances entre le Canada et l'Australie en ce qui concerne le traitement réservé aux indigènes.
Vous avez dit que les aborigènes avaient des droits sur les terres et les ressources. Quand les Européens sont arrivés au Canada, les gens des Premières nations ont conclu des ententes avec le gouvernement de l'époque. Ce gouvernement a signé des traités avec les Autochtones au nom de la Couronne. Et le premier accord moderne a été signé vers 1975.
Les choses se sont-elles passées de la même façon pour les peuples aborigènes d'Australie? Pour mieux comprendre la situation, j'aimerais en savoir un peu plus long sur l'histoire de l'Australie.
M. Altman : Parmi les pays comme la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, le Canada et l'Australie, l'Australie est probablement le seul où il n'y a jamais eu de traités entre les groupes indigènes et les colonies, ou la Couronne. Les droits ancestraux de nos aborigènes n'ont été reconnus que tout récemment.
Les choses ont commencé à changer seulement après le référendum de 1967, dont je vous ai déjà parlé. Par la suite, une série de lois ont été adoptées pour accorder des droits fonciers aux aborigènes, mais il s'agissait généralement de lois fédérales, dans le cas du Territoire du Nord, ou de lois d'État dans certains autres cas. Ces lois reconnaissaient dans une large mesure les injustices subies par les aborigènes et leur accordaient des droits de propriété sur des terres réservées pour eux par la Couronne. Ces réserves ont été mises en place d'abord pour assurer la protection et la survie des peuples indigènes, mais aussi pour favoriser leur assimilation. Ces terres de réserve ont été, par toute une série de lois, transférées aux aborigènes qui en sont propriétaires sur une base communale.
Certaines de ces lois sur les droits fonciers ont eu des retombées importantes. Dans le Territoire du Nord, par suite du transfert des terres de réserve et en vertu d'un processus de revendication mis en place pour permettre aux aborigènes de réclamer des terres de la Couronne n'ayant jamais été aliénées s'ils pouvaient prouver qu'ils étaient traditionnellement propriétaires de ces terres, la moitié du territoire environ a été remis aux aborigènes. Cela représente une superficie d'un demi-million de kilomètres carrés. Ce n'est pas rien.
Les droits des aborigènes n'ont été reconnus chez nous, pour la première fois, qu'en 1992, par un jugement de la haute cour. Avant cette date, la doctrine appelée « Terra Nullius » prévalait dans le pays. Selon cette doctrine, les terres n'appartenaient à personne quand les premiers colons sont arrivés, même s'il y avait des indigènes qui y vivaient. Cette doctrine a été infirmée par la haute cour de l'Australie, et une certaine forme de titre ancestral a été reconnue en common law. Autrement dit, il était désormais possible de reconnaître une forme de titre ancestral antérieur à la colonisation.
Par la suite, le gouvernement fédéral a adopté en 1993 la Native Title Act, qui prévoyait des mécanismes selon lesquels les aborigènes pouvaient revendiquer des terres. Cette loi, adoptée en réponse à l'arrêt Mabo rendu par la haute cour, visait tout autant à valider la propriété des terres par des non-indigènes qu'à fournir aux indigènes un mécanisme leur permettant de revendiquer des terres demeurées inaliénées.
Un processus de revendication complexe a quand même été mis en place. Le National Native Title Tribunal a été créé; de concert avec la cour fédérale, il entend les revendications territoriales et rend des décisions à ce sujet. Si les gens peuvent démontrer qu'ils ont toujours eu des liens avec des terres et que ces liens ne se sont jamais éteints — si les terres sont demeurées des terres de la Couronne inaliénées depuis la colonisation de l'Australie —, ils peuvent faire établir par ce tribunal qu'ils sont propriétaires de ces terres.
Bien que cette loi sur les titres ancestraux soit très critiquée, parce que beaucoup de revendications ont été rejetées, environ 5 p. 100 du territoire du continent australien a été rendu à des revendicateurs indigènes depuis 1993. Aujourd'hui, environ 20 p. 100 du continent appartient aux aborigènes.
Le problème, cependant, c'est qu'il n'y a pas de corrélation entre l'endroit où les aborigènes vivent et l'endroit où il y a des terres qui leur reviennent. La majeure partie de la population indigène vit dans les régions les plus développées de l'Australie, dans le sud-est et le sud-ouest; on n'y trouve pas beaucoup de terres à revendiquer, et il n'y en a pas beaucoup qui ont été remises aux aborigènes.
Un autre problème qu'il reste à régler par des voies juridiques, c'est que les droits fonciers et les titres ancestraux ont souvent été rendus aux aborigènes sans que ceux-ci aient pour autant des droits de propriété sur les ressources ayant une valeur commerciale.
Il existe une différence fondamentale entre l'Australie et le Canada. En Australie, la Couronne est propriétaire de toutes les ressources minérales souterraines, tandis qu'au Canada, ces ressources appartiennent aux propriétaires des terres. Par exemple, chez nous, les aborigènes n'ont pas de droits de propriété sur les ressources minérales qui se trouvent sur leurs terres.
Les lois sur les droits fonciers contiennent des dispositions permettant à des promoteurs commerciaux de conclure avec les peuples indigènes des ententes pour l'utilisation de ces ressources. Les fondements sur lesquels ces ententes sont négociées ne reconnaissent pas les droits de propriété relatifs à ces ressources. Et je ne parle pas seulement des ressources minérales; c'est également le cas pour le poisson, les forêts et les autres ressources.
La loi reconnaît aux indigènes des droits sur ces ressources pour leur usage coutumier. C'est en partie pour cette raison-là que je crois qu'à l'avenir, le recoupement des droits de propriété coutumière et des droits commerciaux va offrir aux indigènes un levier de plus en plus utile pour avoir accès aux ressources.
Pour le moment, il y a chez nous un certain désenchantement au sujet de cette politique. Les gens se demandent pourquoi les aborigènes, puisqu'ils ont obtenu des droits de propriété, n'ont pas réussi à se prendre en main et à mieux s'intégrer à l'économie de marché. Une partie de la réponse, c'est qu'ils ont récupéré leurs terres, mais qu'ils n'ont pas accès aux ressources. Il faut dire aussi que, même si ces gens-là ont récupéré leurs terres et même s'ils avaient accès aux ressources, ils sont extrêmement en retard sur les plans de la santé, de la scolarité, de l'expérience de travail, et ainsi de suite. Ils doivent non seulement porter un poids énorme à cause de ce retard, mais même s'ils pouvaient faire la même chose que les autres, les règles du jeu ne seraient pas les mêmes pour tout le monde en ce qui concerne les droits relatifs aux ressources.
Je dois souligner que, comme en Nouvelle-Écosse, nous avons des exemples de réussites, de cas où des aborigènes ont réussi à profiter du levier dont ils disposent en ce qui a trait au développement minier sur leurs terres. Ils ont réussi à négocier des ententes qui leur donnent des possibilités d'emploi, de formation et de création d'entreprises. Les ressources proviennent des redevances minières et d'accords privés négociés avec des entreprises d'exploitation des ressources.
Les réussites de ce genre sont cependant l'exception qui confirme la règle.
Le sénateur Gustafson : Je voudrais poser une question supplémentaire sur les droits miniers. Est-ce qu'ils sont entièrement contrôlés par le gouvernement ?
M. Altman : Oui. Il reste seulement quelques cas isolés, en Nouvelle-Galles du Sud, où le charbon appartient à des propriétaires privés; cela remonte à l'aliénation de ces ressources, au XIXe siècle. De façon générale, dans toute l'Australie, les ressources minières appartiennent à la Couronne. Il y a cependant une restriction en ce qui concerne les droits des États ou des territoires. C'est un autre exemple du paysage plutôt compliqué de notre pays parce que nous avons des États et des territoires, qui ne sont pas exactement sur le même pied.
Il y a aussi un minerai particulier, l'uranium, dont le gouvernement fédéral a gardé le contrôle dans le Territoire du Nord parce que c'est un minerai potentiellement important, dont le fédéral ne veut pas nécessairement laisser la propriété aux territoires. Mais, de façon générale, la Couronne est propriétaire de toutes les ressources minérales, et tout ce qu'obtiennent ceux qui veulent exploiter ces ressources, c'est un bail d'exploitation assujetti au paiement de redevances à la Couronne.
Une des choses très progressistes qui se sont produites ici au chapitre des redevances, c'est que dès les années 1950, dans le Territoire du Nord, le gouvernement fédéral a décidé — encore une fois, cela concerne uniquement le Territoire du Nord — de mettre de côté toutes les redevances perçues dans les réserves aborigènes pour le bénéfice des aborigènes eux-mêmes. Dans certains cas, il existe même des dispositions législatives prévoyant la mise de côté de certaines redevances payables à la Couronne, afin qu'elles reviennent aux aborigènes.
Le sénateur Gustafson : Combien avez-vous d'aborigènes? Et, deuxièmement, quel est le salaire moyen?
M. Altman : Si vous voulez des chiffres, on estime qu'il y a actuellement 460 000 aborigènes dans l'ensemble du pays, soit 2,4 p. 100 de la population de l'Australie, qui est de 20 millions. Je pense que vous avez une population d'environ 31 millions de personnes, tandis que la nôtre est de 20 millions. Et le Canada fait environ 9,9 millions de kilomètres carrés, alors que la superficie de l'Australie est de 7,7 millions de kilomètres carrés. Notre pays est donc un peu plus petit que le vôtre, en termes de territoire et de population.
Comme au Canada, cependant, la répartition géographique de la population indigène est à peu près exactement à l'inverse de celle de la population non indigène. Même si seulement 35 p. 100 environ de la population indigène vit dans ce que nous appelons les régions rurales ou isolées, on ne retrouve dans ces régions que de 2 à 3 p. 100 de non- indigènes. La population non indigène vit surtout dans les grandes villes des côtes sud-est et sud-ouest, ce qui fait que l'immense arrière-pays australien est — proportionnellement parlant, encore une fois — surtout peuplé d'aborigènes.
Pour ce qui est des revenus, les indicateurs sociaux montrent que le revenu individuel des adultes aborigènes équivaut en moyenne à 60 ou 65 p. 100 de celui des autres adultes. Cependant, comme ces chiffres proviennent du recensement national, ils posent certains problèmes. Par exemple, la catégorie de revenu la plus élevée, pour les fins du recensement en Australie, est d'environ 85 000 $ et plus. Cela ne tient donc pas compte des non-indigènes qui sont particulièrement à l'aise. Quand on fait la moyenne, si on veut, on se rend compte que les différences de revenu ne sont pas si grandes.
L'autre élément que ces chiffres sur les revenus ne reflètent pas, c'est la structure démographique des familles. Le revenu individuel des aborigènes équivaut peut-être à 60 ou 65 p. 100 de celui des non-indigènes, mais le ratio de personnes à charge dans les ménages aborigènes est généralement beaucoup plus élevé parce que ces ménages comptent nettement plus de jeunes enfants.
Le sénateur Buchanan : Monsieur Altman, si j'ai bien compris, vous avez dit qu'en Australie, le gouvernement était propriétaire des ressources et en réglementait l'exploitation.
M. Altman : Oui.
Le sénateur Buchanan : Mais les propriétaires fonciers ne sont pas propriétaires des ressources minérales en Australie.
M. Altman : En effet.
Le sénateur Buchanan : C'est la même chose qu'ici. Au Canada, toutes les ressources minérales appartiennent aux gouvernements provinciaux, et non aux propriétaires fonciers, ce qui inclut le pétrole, le gaz, le gaz naturel, le charbon et les autres ressources présentes sur le territoire de chaque province.
Le sénateur Gustafson : Pas en Alberta.
Le sénateur Buchanan : En Nouvelle-Écosse, nous sommes propriétaires de toutes les ressources minérales.
Le sénateur Watt : Ce n'est pas la même chose partout.
Le sénateur Buchanan : Vraiment? C'est dommage. En Nouvelle-Écosse, c'est le gouvernement provincial qui est propriétaire de toutes les ressources minérales — le charbon, les métaux, le pétrole, le gaz — et qui en réglemente l'exploitation, et non les propriétaires fonciers.
Deuxièmement, nous avons mentionné les accords signés ici, au Canada, avec nos peuples autochtones. Ces accords sont fondés sur des traités qui remontent pour la plupart aux années 1970 et au début des années 1980. Encore là, je ne peux parler que pour notre région du pays; nous avons vu beaucoup d'accords de ce genre depuis quelques années. Un homme que je connais très bien, Donald Marshall, a réussi à ouvrir le bal pour faire accepter ces traités, surtout par le gouvernement fédéral.
Les premiers traités remontent à 1752 au Canada; je veux parler des traités originaux signés par la Couronne britannique à cette époque-là. Il est intéressant de souligner qu'au Canada — c'est peut-être différent en Saskatchewan et ailleurs, mais nous sommes plus avancés ici, en Nouvelle-Écosse —, dans notre province, les terres de la Couronne appartiennent en majeure partie au gouvernement provincial. C'est pourquoi les provinces ont participé de très près à la négociation des ententes conclues avec les différents groupes autochtones et les Premières nations depuis les 20 dernières années.
Je suppose que ce n'est pas très différent de ce qui se passe en Australie. Ou peut-être que oui, parce que vous ne traitez pas vos peuples aborigènes de la même façon qu'ici.
M. Altman : La majorité des accords signés en Australie au sujet des ressources naturelles ont été conclus par les entreprises qui exploitent ces ressources et les propriétaires fonciers indigènes. Il est certain que le gouvernement s'intéresse à ces accords et que, en vertu des lois relatives aux droits fonciers, par exemple dans le Territoire du Nord, le ministre fédéral responsable des affaires aborigènes est un des signataires des ententes conclues entre les entreprises d'exploitation des ressources et les propriétaires indigènes. C'est en partie pour s'assurer que ces ententes sont équitables.
En Australie, il y a aussi des organisations, ou des institutions, auxquelles la loi confie le rôle de représenter les indigènes dans ces négociations. Cependant, le gouvernement fédéral et, dans certains cas, les gouvernements des États ont des intérêts dans ces ententes parce qu'ils y voient évidemment un outil de croissance et développement pour les régions.
D'après ce que je sais du Canada — et j'aurais peut-être dû clarifier cela —, il y a des différences entre les provinces. En Alberta, par exemple, si j'ai bien compris, les droits de propriété sur les champs de pétrole et de gaz appartiennent aux Autochtones lorsque ces ressources se trouvent sur leurs terres. Bien sûr, la propriété des ressources comme les réserves de pétrole et de gaz n'a de valeur que s'il est possible de négocier leur exploitation ou d'en assurer soi-même l'exploitation. Or, de façon générale, les peuples indigènes, tant au Canada qu'en Australie, ne sont pas en mesure d'exploiter ces ressources.
Au Canada, je pense qu'il y a une société pétrolière et gazière qui participe à l'exploitation des ressources ou à tout le moins à une coentreprise d'exploitation de certaines réserves de pétrole et de gaz. Le principal élément que je voulais mettre en lumière, c'est qu'à mon avis, le fait de détenir des droits sur les ressources minérales souterraines, encore une fois dans les provinces où cela existe et certainement aux États-Unis, donne aux gens une bien meilleure position de négociation pour discuter avec les entreprises d'exploitation des ressources. En Australie, tout le monde a le droit d'opposer son veto au développement ou de négocier ce développement. Le fait d'avoir des ressources minérales sur ses terres ne constitue pas un levier supplémentaire.
Le sénateur Buchanan : Je suis content que vous l'ayez précisé, parce que nous sommes en avance en Nouvelle- Écosse, où le gouvernement provincial contrôle et possède toutes les ressources minérales. L'Ouest canadien est entré dans la Confédération bien après nous.
Le sénateur Gustafson : Nous croyons au partage de la richesse.
Le sénateur Watt : Pouvez-vous nous donner un exemple de ce que doit faire un entrepreneur aborigène pour avoir un permis, quelles que soient sa nature et sa taille? Comment les aborigènes obtiennent-ils les capitaux nécessaires? S'agit-il de capital-risque en plus de capitaux ordinaires? Votre gouvernement accorde-t-il une aide à cet égard? Comment ces gens-là sont-ils traités dans les négociations avec les institutions financières? Pouvez-vous nous en dire plus long là-dessus, en vous fondant sur votre expérience?
M. Altman : La question de l'accès des indigènes aux capitaux, et aux services bancaires et financiers a fait l'objet récemment d'une enquête parlementaire mixte du Sénat et de la Chambre des représentants, qui correspond à votre Chambre des communes. Il y a eu un assez long rapport là-dessus. Les entrepreneurs indigènes peuvent avoir accès aux capitaux jusqu'à un certain point; tout dépend de l'endroit où ils se trouvent et de la nature de l'entreprise à laquelle ils veulent participer. Nous avons un certain nombre de programmes d'assistance en Australie, dont un programme de prêts aux entreprises, un programme de subventions aux entreprises et une organisation appelée Indigenous Business Australia, qui fonctionne sur une plus grande échelle; en gros, cette organisation s'occupe de petites et moyennes entreprises mises sur pied grâce à des coentreprises aborigènes. Elle injecte des capitaux dans ces entreprises. Les gens d'affaires aborigènes peuvent avoir accès à des capitaux à condition d'avoir un plan d'affaires solide ayant une certaine viabilité commerciale.
Ce que vous voulez savoir, c'est si les gens qui vivent sur des terres appartenant à des aborigènes peuvent donner ces terres en garantie pour amener les institutions prêteuses à financer leur entreprise. C'est un problème en Australie. Il est certain que les grandes banques hésitent à fournir des capitaux pour des entreprises aborigènes situées sur des terres appartenant à des aborigènes.
Encore là, c'est une question très controversée en Australie parce que la plupart des régimes de droits fonciers contiennent des dispositions prévoyant la location des terres pour une période pouvant aller jusqu'à 99 ans. Les parcs nationaux de Kakadu et d'Uluru, qui sont au nombre des principales destinations touristiques du nord de l'Australie, sont situés sur des terres visées par des baux de 99 ans conclus entre les propriétaires aborigènes et le Commonwealth. Le fait que ce sont des terres louées n'a pas empêché les promoteurs d'obtenir des capitaux pour leurs projets de développement.
On reconnaît aujourd'hui que, si un entrepreneur indigène a une bonne idée, il peut avoir de la difficulté à y intéresser un investisseur en capital-risque, un investisseur privé ou une coentreprise à moins d'avoir clairement des rentrées d'argent très importantes lui permettant de rembourser ses emprunts très rapidement.
Les entrepreneurs de ce genre sont assez rares, comme nous le savons tous. La plupart des gens doivent prendre beaucoup de temps — huit, dix ou vingt-cinq ans — pour recueillir les capitaux nécessaires. Ils doivent aussi avoir la capacité de vendre leur entreprise s'ils veulent la céder à quelqu'un d'autre. La transférabilité des entreprises situées sur des terres aborigènes pose un problème, parce qu'il n'y a pas vraiment de marché pour ce genre de choses. C'est nettement un problème pour les banques également.
Pour régler ce problème, il y a des gens en Australie qui recommandent, naïvement, de mettre les terres en propriété franche plutôt que d'accorder des titres communaux et aliénables, et de permettre aux gens de subdiviser les terres et de les vendre. Le problème — sans parler de la question de l'équité entre générations -, c'est que ces terres ne sont pas très en demande à cause de l'endroit où elles se trouvent, c'est-à-dire souvent dans des régions isolées. La simple subdivision des terres ne donne pas aux banques commerciales la garantie dont elles ont besoin parce que, si un immeuble est construit sur ces terres et qu'il y a une saisie, la banque ne pourra pas récupérer la valeur de son prêt commercial en vendant les terres en question. Dans une certaine mesure, là où se trouvent la majeure partie des terres des aborigènes, la question de savoir si les terres constituent des actifs communaux et inaliénables ou si elles sont une propriété individuelle ne se pose pas vraiment parce qu'il n'y a pas de demande pour ces terres et qu'elles n'ont donc pas de valeur commerciale.
Il y a évidemment des exceptions, par exemple dans le cas des terres qui ont un potentiel de développement commercial, pour le tourisme culturel ou écologique. Dans ces cas-là, les terres peuvent avoir une certaine valeur marchande.
À mon avis, dans les rares cas où les terres ont un potentiel commercial, un bail de 99 ans devrait assurer une sécurité suffisante aux promoteurs qui souhaitent obtenir un prêt d'entreprise.
Le sénateur Watt : Est-ce qu'ils paient des impôts?
M. Altman : Oui. Il n'y a aucune exemption fiscale pour les aborigènes en Australie. Chose intéressante, l'Australie a maintenant une taxe sur les produits et services, qui ressemble beaucoup à celle du Canada. Les Australiens ne peuvent plus affirmer, comme certains le faisaient dans le passé, que les aborigènes ne sont qu'un fardeau pour le trésor public et qu'ils ne paient jamais de taxes. Aujourd'hui, tous les Australiens indigènes paient des taxes comme tout le monde chaque fois qu'ils achètent des produits et des services. Bien sûr, l'écart entre ce qu'ils peuvent recevoir en termes de soutien de l'État et ce qu'ils paient en taxes peut être différent. Mais il n'y a pas un seul endroit en Australie où les indigènes bénéficient d'exemptions fiscales.
Le vice-président : Est-ce que cela inclut les terres? Est-ce qu'ils doivent payer des taxes sur les terres établies comme réserves?
M. Altman : Non.
Le vice-président : Vos indigènes ont-ils réclamé une certaine forme d'autonomie gouvernementale sur leurs propres terres?
M. Altman : Oui. C'est une aspiration qu'ont exprimée beaucoup de groupes indigènes d'Australie. Ce dossier avait été confié à une organisation nationale représentant les indigènes, l'Aboriginal and Torres Strait Islander Commission — l'ATSIC —, dont le gouvernement fédéral avait annoncé l'abolition en avril 2004, ce qu'il a fait effectivement à la suite des élections d'octobre 2004.
Cette organisation nationale représentait les groupes indigènes qui réclamaient l'autonomie gouvernementale; elle a maintenant disparu, et les mécanismes qui permettraient aux aborigènes d'obtenir l'autonomie gouvernementale dans les régions où ils sont en majorité en ont été quelque peu affaiblis. Il y a toutefois en Australie un endroit où on retrouve une certaine forme d'autonomie gouvernementale : il s'agit du détroit de Torres, où il existe maintenant une autorité régionale, la Torres Strait Regional Authority — ou TSRA — qui a compétence sur une région située au nord de l'Australie, au nord du Queensland, dans ce qu'on appelle le détroit de Torres, entre l'Australie et la Papouasie- Nouvelle-Guinée. La TSRA est chargée d'administrer toutes les ressources fédérales allouées à la population du détroit de Torres. Elle n'a toutefois pas le droit d'adopter des lois concernant les indigènes de la région, ou les autres personnes qui y vivent. Ce n'est pas une autonomie gouvernementale aussi poussée que celle dont jouit aux États-Unis la nation navajo, par exemple, qui a le pouvoir d'adopter ses propres lois, d'avoir son propre système judiciaire, et ainsi de suite.
Pour en revenir à l'autonomie gouvernementale en Australie, dans la région du détroit de Torres, la population indigène compte 6 000 ou 7 000 personnes éparpillées dans de nombreuses îles, et il s'agit d'une forme d'autonomie gouvernementale relativement limitée.
Le sénateur Watt : Ma question se rattache à celle du sénateur St. Germain : est-ce qu'ils ont une certaine participation au niveau fédéral? Vous avez parlé d'un palier de gouvernement. Est-ce à ce niveau-là qu'ils expriment leurs préoccupations et leur diversité? Comment les indigènes sont-ils représentés au gouvernement fédéral?
M. Altman : Historiquement, il y a eu depuis les années 1970 des groupes représentant les indigènes, élus au niveau national; il y a eu d'abord ce qu'on appelait le National Aboriginal Consultative Committee, dans les années 1970, puis le National Aboriginal Congress de la fin des années 1970 aux années 1980. Depuis 1989, l'Aboriginal and Torres Strait Islander Commission était une organisation indigène de niveau national, qui avait des membres élus. Cette organisation administrait également des fonds relativement importants — un milliard de dollars par année — pour des programmes visant spécifiquement les aborigènes de la région.
L'organisation avait aussi 36 conseils régionaux comptant des représentants indigènes élus. En gros, le pays était divisé en 36 organisations représentant ces régions. C'est cette institution qui a été abolie récemment par notre gouvernement fédéral, en particulier parce qu'il ne la jugeait pas efficace, mais aussi parce que le gouvernement et, dans une certaine mesure, le système judiciaire avaient des inquiétudes au sujet de certains des dirigeants indigènes de cette organisation. Personnellement, je trouve que le gouvernement fédéral australien, plutôt que de s'occuper uniquement des cas qu'il trouvait préoccupants, a détruit une institution très importante et innovatrice.
Le vice-président : Merci, monsieur Altman.
S'il n'y a pas d'autres questions, les membres du comité sénatorial vous remercient de nous avoir consacré du temps et d'avoir répondu à nos questions aussi franchement. Vous avez de toute évidence d'immenses défis à relever, tout comme nous ici. Nous avons trouvé très éclairant, pour la plupart d'entre nous, de vous entendre parler de ces défis. Nous espérons pouvoir vous rendre la pareille, peut-être en répondant à vos questions à mesure que nous progresserons dans le règlement de nos revendications territoriales globales. Nous pourrions échanger des idées pour améliorer la situation de tous les peuples indigènes du monde entier.
Merci du fond du cœur. Si vous voulez ajouter quelques mots pour conclure, nous vous écouterons avec plaisir.
M. Altman : Merci de m'avoir invité à comparaître devant vous ce soir. C'est une excellente chose d'échanger des idées d'un continent à l'autre. S'il y a des questions que vous voulez approfondir ou des documents que je peux vous fournir, je me ferai un plaisir de vous aider. J'ai l'impression, en parlant aux gens du Canada, des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande, que l'organisation de recherche que je dirige est un peu inhabituelle, pour une raison ou pour une autre, en ce sens qu'elle se concentre sur les questions de développement économique touchant les indigènes. Dans ce sens-là, je trouve très important que nous diffusions nos documents de recherche. Il y en a beaucoup qui sont disponibles sur notre site Web, et bon nombre de nos publications de recherche peuvent facilement être téléchargées. Je sais que votre personnel connaît notre site Web et son contenu, et je vous invite à vous en servir. J'espère que ce matériel vous sera utile.
S'il y a quoi que ce soit que moi ou mon personnel puissions faire pour vous aider à mesure que vous progresserez dans votre étude, nous le ferons avec plaisir.
Le vice-président : Avant de lever la séance, je signale aux membres du comité que nous nous réunirons mardi prochain à 9 h 30 pour discuter de nos travaux futurs. Le projet de loi C-14, sur les Tlichos, pourrait nous avoir été renvoyé à ce moment-là, à condition que nous ayons reçu notre ordre de renvoi du Sénat.
Le sénateur Buchanan : Voulez-vous dire, sénateur Gustafson, que dans l'ouest du Canada, les ressources comme le charbon, l'or et le pétrole appartiennent aux propriétaires des terres?
Le sénateur Gustafson : En Saskatchewan, par exemple, les ressources appartiennent aux propriétaires des terres dans un cas sur deux, tant au-dessus qu'au-dessous du sol.
Le sénateur Buchanan : C'est incroyable!
Le sénateur Gustafson : Beaucoup d'agriculteurs mal informés se sont fait offrir 1 000 $ par une grosse entreprise pour leurs ressources minérales, et ils se sont fait voler leurs droits.
Le sénateur Buchanan : C'est exactement le contraire dans les provinces de l'Atlantique.
Le sénateur Gustafson : CP Rail a beaucoup de droits aussi.
Le vice-président : Honorables sénateurs, si vous n'avez rien à ajouter, nos attachés de recherche auront des options à nous soumettre mardi prochain.
Le sénateur Watt : Qu'arrivera-t-il si nous n'avons pas reçu le projet de loi?
Le vice-président : Nous discuterons de nos travaux futurs et des options qui nous auront été soumises.
La séance est levée.