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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 5 - Témoignages du 22 février 2005


OTTAWA, le mardi 22 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-20, Loi prévoyant les pouvoirs en matière d'imposition financière des premières nations, constituant la Commission de la fiscalité des premières nations, le Conseil de gestion financière des premières nations, l'Administration financière des premières nations ainsi que l'Institut de la statistique des premières nations et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 9 h 9, pour en faire l'examen.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Comme il y a quorum, je déclare la séance ouverte.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones accueille aujourd'hui, dans le cadre de son examen du projet de loi C-20, première loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, M. Andy Scott, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Je vous cède la parole.

L'honorable Andy Scott, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien : Je remercie le président et les membres du comité de me laisser donner le coup d'envoi à l'examen, par le comité, du projet de loi C-20, Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations. À mon avis, ce projet de loi aidera les collectivités des Premières nations à bâtir une économie viable et prospère, et j'ai bon espoir qu'après en avoir examiné et analysé méticuleusement le contenu, les membres du comité y donneront leur appui.

L'an dernier, des membres du comité ont amorcé une étude fort utile sur la participation des collectivités et entreprises autochtones à l'économie canadienne. Grâce à la diversité des points de vue présentés au cours de cette étude, les membres du comité ont acquis une bonne compréhension des obstacles difficiles qui se posent aux peuples autochtones et des excellentes occasions qui pourraient s'ouvrir à eux. L'importance et la pertinence de ce travail se préciseront à mesure que progressera votre examen du projet de loi C-20.

En novembre dernier, le comité a reçu le témoignage de Manny Jules, à la fois entrepreneur accompli, ancien chef et ardent défenseur du projet de loi C-20.

Étant donné qu'il est présent ici aujourd'hui, j'hésite à le citer, par crainte de faire erreur et de me faire corriger. Toutefois, je vais persister :

Le projet de loi s'appuie sur une simple évidence : ce ne sont pas les gouvernements mais bien les entreprises qui forgent l'économie.

Le projet de loi n'appelle pas le gouvernement à bâtir notre économie avec des fonds publics; il nous permet de construire nous-mêmes une économie viable.

Aujourd'hui, j'aimerais vous dire comment le projet de loi C-20 permettra aux collectivités des Premières nations de concrétiser la vision de Manny Jules. Je suis convaincu que le projet de loi procurera un point de départ décisif aux collectivités des Premières nations désireuses d'améliorer leur qualité de vie et leurs résultats financiers. Et je pense que les membres du comité auront vite fait de reconnaître que le projet de loi C-20 soutient une série de mesures favorisant le développement. En fait, la souplesse et la globalité qui caractérisent le projet de loi C-20 constituent peut-être ses plus grandes forces.

Contrairement à la Loi sur les indiens, le texte de loi qui nous occupe n'est pas normatif; il a été conçu et créé par les Premières nations et pour les Premières nations, et il reconnaît et soutient pleinement le droit des collectivités de planifier leur avenir et d'emprunter des parcours bien à elles. Il est tout à fait logique que les hommes et les femmes qui ont conçu le projet de loi C-20 proviennent des Premières nations; après tout, ils connaissent mieux que quiconque les problèmes particuliers à leurs collectivités. Ils ont reconnu le rapport incontournable entre les infrastructures matérielles, le développement économique et le mieux-être de la collectivité.

Jusqu'à maintenant, toutefois, peu de collectivités des Premières nations ont eu accès aux outils nécessaires à l'instauration d'infrastructures matérielles. Le projet de loi C-20 apportera de profonds changements positifs à cette situation. Par ce projet de loi, une collectivité des Premières nations est libre de recourir à une vaste gamme de mécanismes juridiques et d'outils financiers et statistiques, les mêmes instruments qu'utilisent depuis longtemps les municipalités pour attirer les investisseurs, répondre aux besoins sociaux et créer de l'emploi.

La viabilité des collectivités de tout le Canada repose sans contredit sur des structures solides et fiables. Les dirigeants communautaires reconnaissent aussi que la croissance économique passe inévitablement par des infrastructures modernes. La construction, l'entretien et l'expansion des infrastructures, par contre, suppposent habituellement de lourdes dépenses. Pour compenser les coûts élevés, les municipalités canadiennes se tournent depuis des années vers des prêts à long terme et à faibles taux d'intérêt. Les prêteurs investissent dans des projets d'infrastructure parce que le statut juridique, la santé financière et la stabilité des administrations municipales leur inspirent confiance.

Par contre, peu de collectivités des Premières nations jouissent de tels avantages. En fait, leur statut juridique arrive à lui seul à restreindre l'accès de la grande majorité des collectivités des Premières nations aux options de financement à faible taux d'intérêt. Des études financières assimilent les possibilités d'emprunt actuellement à la portée des Premières nations à des hypothèques contractées par carte de crédit. Dans bien des cas, les coûts d'emprunt sont excessifs et bon nombre de projets ne peuvent aboutir.

La Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations crée quatre institutions grâce auxquelles les collectivités des Premières nations pourront prélever les impôts fonciers dont elles ont tant besoin, regrouper leurs ressources, financer des projets visant à améliorer les infrastructures et prendre des décisions efficaces qui seront profitables à leurs membres. Le recours aux services de ces institutions est tout à fait facultatif. Aucune collectivité des Premières nations n'est tenue de se prévaloir des services offerts par l'entremise du projet de loi C-20.

Ces institutions — une commission de la fiscalité, un conseil de gestion financière, un institut statistique et une administration financière — fourniraient des services indépendants, mais complémentaires. Elles n'entretiendraient aucun lien de dépendance, hériteraient de mandats différents et proposeraient des avantages particuliers. Même si chacune d'elles a beaucoup à offrir, l'effet combiné des quatre institutions est à la fois puissant et durable.

Permettez-moi de décrire la fonction de chaque institution. La Commission de la fiscalité des Premières nations, première institution créée aux termes du projet de loi C-20, vise à faciliter la mise en place de régimes fonciers des Premières nations qui soient justes et efficaces. La commission fixerait des normes pour l'élaboration, par les Premières nations, de lois régissant l'imposition financière qui tiennent compte aussi bien des intérêts de la collectivité que de ceux des contribuables et qui concordent avec celles des compétences voisines. La commission proposerait également un mode efficace de règlement des conflits. En bref, la commission de la fiscalité aidera les Premières nations à instaurer le climat stable et sécurisant que recherchent les prêteurs et les investisseurs.

L'Administration financière des Premières nations, la deuxième institution, permettra aux collectivités de trouver des capitaux privés à des taux concurrentiels. Voici comment : une collectivité des Premières nations qui, en vertu du présent texte de loi, prélève des impôts fonciers peut devenir membre emprunteur de l'administration si elle satisfait à des exigences strictes. Misant sur le pouvoir collectif des recettes foncières de ses membres emprunteurs, l'administration financière recueillerait par la suite des capitaux privés par l'émission d'obligations des Premières nations. Le produit de ces obligations serait redirigé vers des prêts consentis aux membres emprunteurs à des taux concurrentiels. Les analystes estiment qu'un tel mécanisme pourrait réunir plus de 125 millions de dollars en financement par emprunt à l'issue des cinq premières émissions.

La troisième institution, soit le Conseil de gestion financière, offrirait une vaste gamme de services techniques et de soutien à toutes les Premières nations intéressées. Le conseil contribuerait à la documentation et à la défense de questions financières, à l'élaboration de politiques, au renforcement des capacités, ainsi qu'à la préparation de mécanismes financiers et de normes en matière de rapport. Ces activités aideront les collectivités des Premières nations à tirer le maximum de leurs ressources financières. Le conseil interviendrait aussi dans le pool d'emprunts. Il approuverait les lois sur la gestion financière adoptées par les membres emprunteurs, procéderait à une évaluation indépendante et attesterait la santé financière de ces Premières nations. Ainsi, les investisseurs disposeraient de l'information — et de la confiance — dont ils ont besoin pour investir.

Le quatrième et dernier organisme créé en vertu du projet de loi C-20, l'Institut de la statistique des Premières nations, réglera un problème de longue date chez les collectivités des Premières nations au Canada — l'accès restreint à un élément essentiel au développement : des données justes, pertinentes et fiables. Il est primordial, pour les planificateurs communautaires, d'accéder directement à des données justes et pertinentes. Non seulement l'Institut de la statistique sera en mesure d'aider les Premières nations à accéder aux données statistiques des ministères fédéraux et de créer de nouvelles sources de données, mais il pourra, ce qui est tout aussi important, offrir une perspective propre aux Premières nations quant à la collecte et à l'analyse des données qui les concernent. Les Premières nations bénéficieront aussi de cette mesure, car elles pourront apporter une contribution précieuse aux programmes fédéraux.

Monsieur le président, le projet de loi cherche à donner aux Premières nations le plein contrôle de leur destinée. Pour reprendre une fois de plus les paroles prononcées par Manny Jules en novembre dernier, lors de son témoignage devant le comité :

Nos membres veulent créer des institutions bien à eux et bâtir leur économie afin que nous n'ayons pas à mendier auprès de qui que ce soit. Nous voulons faire partie intégrante de l'économie et de la confédération canadiennes et pouvoir le clamer dans le monde entier.

Monsieur le président, le projet de loi C-20 donne aux collectivités des Premières nations le moyen de réaliser cette vision, de bâtir une économie autonome et de semer la prospérité à la grandeur du pays.

Au cours des trois dernières semaines, j'ai eu l'occasion de participer avec le sénateur Rompkey à une cérémonie de signature à Nain, à Terre-Neuve-et-Labrador, puis, le weekend dernier, une Première nation du Yukon est devenue la première à régler une revendication foncière et à établir son autonomie gouvernementale à l'intérieur d'une municipalité urbaine, c'est-à-dire de Whitehorse. Dans un cas comme dans l'autre, il est apparu très évident à tous ceux qui étaient présents qu'en règle générale, la solution à la plupart des problèmes est de doter la collectivité de la capacité de se prendre en charge, l'objet même du projet de loi à l'étude.

Le sénateur Stratton : Soyez le bienvenu parmi nous, ministre Scott. La plupart du temps, quand des projets de loi sont renvoyés à notre comité, nous nous préoccupons de savoir si les personnes visées ont été consultées. Selon vous, s'il y a eu consultation dans ce cas-ci, quelles préoccupations ont été exprimées par les personnes visées et, si elles étaient opposées au projet de loi à l'étude, quelle en était la source? Ont-elles demandé que soit modifié le projet de loi? Dans l'affirmative, avez-vous accepté ces modifications ou subsiste-t-il des points non réglés tels que vous ne pouviez accéder à leur demande?

M. Scott : Sénateur, je vous remercie d'avoir posé la question. Elle est importante et devrait probablement être la première à se poser quand le gouvernement dépose un projet de loi.

Je vais demander à Mme Barnes de vous répondre, car elle a tous ces renseignements en main.

Le sénateur Stratton : La même chose s'est produite hier pendant que nous siégions. Cela s'appelle « se dérober ».

M. Scott : En réalité, avant de devenir secrétaire parlementaire, Mme Barnes présidait le Comité des affaires autochtones de l'autre endroit. Elle est donc très bien placée pour témoigner de ce qui s'est passé. Le premier point à faire valoir, en réponse à votre question, est de porter à l'attention de tous le fait que l'idée du projet de loi est venue de la collectivité même. C'est très important. Toutefois, non, le projet de loi ne fait pas l'unanimité au sein de la collectivité. Par contre, je ne sais pas s'il faut s'attendre à un consensus plus large que ce que nous réussirions à dégager à l'extérieur de la collectivité, même pour d'autres mesures que nous prenons.

Je n'ai qu'une liste partielle des points qui ne font pas l'unanimité, mais je suis convaincu que Mme Barnes en a une liste complète. Je vais donc lui demander de vous en parler.

Mme Susan Barnes, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien : Sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette excellente question. Vous avez devant vous la troisième version du projet de loi. Des changements importants ont été apportés à deux questions de fond qui devraient être celles qui vous préoccupent le plus. Il y a notamment l'article de non-dérogation qui inquiétait le sénateur Watt dans l'ébauche précédente, c'est-à- dire le projet de loi C-19, prédécesseur du projet de loi C-20. L'article a été ajouté à la nouvelle version. J'étais présente à la réunion durant laquelle le comité a adopté à l'unanimité la motion visant à l'inclure. Quand le projet de loi C-20 a été déposé, il comportait l'article de non-dérogation. Cet élément important a été réclamé par de nombreuses personnes qui y étaient opposées à l'origine et qui avaient exprimé des préoccupations à son sujet. Le projet de loi à l'étude redresse la situation.

En ce qui concerne l'optionalité, bien que les Premières nations aient pu choisir, en vertu du projet de loi C-19, si elles souhaitaient mettre en place une fiscalité foncière et le moment pour le faire, une fois cette décision prise, elles n'avaient pas d'autre choix que de taxer. C'est là un autre important changement dans le projet de loi C-20, un changement issu de plusieurs amendements apportés à l'étape du rapport à une version antérieure, soit au projet de loi C-23, en réponse aux préoccupations des Premières nations. La version que vous avez en main, c'est-à-dire le projet de loi C-20, laisse le choix. Les Premières nations peuvent toujours décider de mettre en place un régime d'impôt foncier et du moment de le faire. Cependant, elles ont le choix de taxer en vertu du projet de loi à l'étude ou en vertu de l'article 83 de la Loi sur les Indiens. Celles qui choisissent de participer aux régimes d'imposition et d'emprunt prévus dans le projet de loi C-20 seraient énumérées à l'annexe du projet de loi. Le nom de la Première nation serait ajouté à l'annexe seulement à la demande de son conseil. On trouve d'ailleurs dans la loi une description du processus grâce auquel le nom de la Première nation serait ajouté à l'annexe. On cherche ainsi à faire en sorte que les gens comprennent bien qu'il existe vraiment une option, surtout en ce qui concerne les trois institutions. La marche à suivre relativement à l'institut statistique est légèrement différente, mais on peut s'en servir pour réunir des données avantageuses pour la collectivité, ce qui n'était pas prévu auparavant.

Le sénateur Stratton : Je vais poser la même question aux témoins qui vous suivent, à savoir s'il demeure des points qui n'ont pas été réglés. C'est là l'essentiel pour un comité, soit de savoir s'il reste des points qu'on a été incapable de régler et, dans l'affirmative, d'en connaître la raison.

Mme Barnes : Peut-être pourrais-je vous éclairer davantage à ce sujet. Le comité de la Chambre des communes a apporté certains amendements au projet de loi C-20. Vous constaterez que le conseiller juridique de West Bank est présent dans la salle aujourd'hui. Il a été l'un des premiers promoteurs du projet de loi, il y a quinze ans, quand l'idée a germé pour la première fois au Canada. Certains libellés étaient peut-être jugés comme étant exclusifs, une fois conclu l'accord d'autonomie gouvernementale. Nous avons clarifié cette partie et avons apporté certains changements. Cinq ou six légers remaniements de nature technique ont été faits. Ils ont tous été adoptés à l'unanimité par la Chambre des communes, et le projet de loi à l'étude a été approuvé par les quatre partis représentés à la Chambre. Naturellement, il pourrait subsister des points soulevés par d'autres qui n'ont pas été réglés, mais nous avons réglé tous ceux qui faisaient l'unanimité. Les promoteurs, par l'intermédiaire des conseillers juridiques et du ministère, ont été consultés au sujet de six amendements proposés au comité. Il aurait certes pu y en avoir d'autres, mais nous n'avons pas réussi à dégager un consensus au sujet de ceux qui ont été abordés. Nous avons constaté que les principaux obstacles dans le passé étaient l'optionalité et l'article de non-dérogation. Vous constaterez, sénateur, que tous les promoteurs du projet de loi sont d'accord avec le fond du projet de loi, mais que certaines Premières nations de l'Ontario et du Québec opposées à son adoption le sont pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la mesure proposée, notamment à cause de préoccupations prépondérantes relatives à l'article 35.

M. Scott : Si je puis vous interrompre un instant, après trois exercices différents, la discussion aurait invariablement évolué à un point tel que le dialogue aurait eu tendance à favoriser ceux auxquels le projet de loi posait un problème au-delà d'un certain point et aurait eu un ton défensif. Il vaut probablement mieux laisser ceux qui sont opposés exprimer leur point de vue. Je ne voudrais pas laisser croire qu'il n'y a pas d'opposition. La secrétaire parlementaire a raison de dire qu'on a trouvé des solutions satisfaisantes à de nombreux problèmes, mais que ce ne fut pas toujours le cas. Il vaut probablement mieux que ceux qui sont opposés au projet de loi en expliquent eux-mêmes les raisons au comité.

Le président : Le ministre et Mme Barnes ont soulevé la question de l'article de non-dérogation du projet de loi C-20. Je tiens à vous féliciter d'avoir ajouté cet article, particulièrement du fait que c'est celui qui était utilisé des années 80 aux années 90. Comme vous le savez peut-être, certains sénateurs ont travaillé à cette question il y a plusieurs années. Nous reconnaissons qu'après 1996, une version légèrement différente de l'article de non-dérogation figurait dans les projets de loi. Nous craignions que cela n'entraîne une édulcoration ou une diminution des droits autochtones, de sorte que nous avions pressé le ministère de la Justice d'alors de réintroduire l'article de non-dérogation original que l'on retrouvait dans les lois jusqu'en 1996. Je me réjouis que l'article de non-dérogation se retrouve dans sa version intiale dans le projet de loi C-20 et je recommande qu'il en soit toujours ainsi. Ce libellé de l'article de non-dérogation, qui est standard, nous plaît. Dans toute loi future, il serait préférable d'utiliser la présente version afin d'éviter de susciter des préoccupations.

Ce n'était qu'un commentaire de ma part, mais je vous remercie d'avoir rétabli l'ancienne version dans le projet de loi C-20.

M. Scott : Merci d'avoir éclairé notre lanterne.

Le sénateur Pearson : Voilà un projet de loi intéressant dont nous sommes heureux de débattre. Je suis intriguée par l'institut statistique, par tout ce qu'il englobe et par son fonctionnement. Il me semble que ce projet est en gestation depuis longtemps et, bien qu'on ait constamment parlé du besoin de pareilles données, je constate que c'est enfin une réalité et qu'il est lié à la prospérité, en un certain sens. Ce n'est pas que je souhaite trop insister sur mes questions, mais je suis préoccupée par ce qui touche l'éducation et ainsi de suite.

Comment cet institut évoluera-t-il et comment fonctionnera-t-il par rapport à Statistique Canada?

M. Scott : On s'entend généralement pour dire que l'institut aura une portée plus générale. C'est la collectivité elle- même qui le dirigera parce que c'est elle qui décidera dans quelle perspective la collecte des données se fera. Il s'agit d'un aspect extrêmement important; nous serons ainsi plus en mesure de faire de bonnes politiques d'intérêt public. Je le dis en ajoutant que le projet de loi comporte des dispositions pour protéger les renseignements.

De façon générale, l'objectif principal de ce projet de loi est d'offrir les éléments d'information qui sont nécessaires pour créer un climat de confiance, c'est-à-dire permettre aux collectivités d'avoir accès aux instruments dont disposent depuis longtemps les municipalités et d'autres organismes gouvernementaux.

Mme Barnes : L'Institut de la statistique des Premières nations sera un complément aux études statistiques qu'effectuent actuellement Statistique Canada et d'autres ministères. L'institut a plusieurs fonctions. Premièrement, en ayant accès aux données que détiennent les ministères et organismes fédéraux et d'autres organisations, l'institut peut s'appuyer sur ces données pour brosser un tableau complet, exact et pertinent des Premières nations partout au Canada. De plus, il peut cerner les lacunes et entreprendre des études conjointes pour recueillir les données manquantes. Deuxièmement, l'institut aidera les gouvernements des Premières nations à mieux comprendre et utiliser les données statistiques dans leur prise de décisions, la prestation des services et les négociations. On pourra cerner l'information dont les Premières nations ont besoin, faire en sorte qu'elles aient facilement accès à ces données et compiler les données statistiques nécessaires pour soutenir non seulement le mécanisme de financement par emprunt obligataire établi par le projet de loi, mais aussi les autres décisions d'investissement ou de développement sur les terres des Premières nations.

Le mandat de l'institut de la statistique est défini à l'article 104 du projet de loi. On dit qu'il doit travailler en collaboration avec Statistique Canada pour veiller à ce que l'appareil statistique du pays réponde aux besoins des Premières nations et du Canada et qu'il doit offrir les outils nécessaires à l'établissement de statistiques. On établit un lien étroit avec Statistique Canada, et le statisticien en chef du Canada est membre d'office du conseil d'administration.

L'institut sera utile pour les Premières nations elles-mêmes, et nous sommes convaincus que toutes les autres questions qui ont été soulevées à son propos ont été examinées, y compris les questions portant sur la vie privée. Comme il s'agit d'une société d'État, l'institut agira à une certaine distance du gouvernement tout en ayant les mêmes protections.

Le sénateur Pearson : L'institut complétera-t-il les données de Statistique Canada de manière à établir une relation à long terme qui sera fructueuse de part et d'autre?

Mme Barnes : Ces ententes pourront être négociées avec chaque Première nation pour permettre l'accès.

Le sénateur Pearson : Il s'agit d'un mécanisme qui permettra de commencer à élaborer une banque de données qui n'existe pas encore.

Mme Barnes : Oui. Aucun membre des Premières nations ne peut être contraint de participer. Il n'y a aucune obligation, de même que vous et moi fournissons des données sur une base volontaire à l'heure actuelle. Nous espérons que cet outil et cet institut permettront de mieux servir les collectivités autochtones partout au Canada.

M. Scott : À mon avis, il s'agit d'un très bel exemple des futures institutions complémentaires qui verront le jour sur de nombreux fronts. L'institut va de pair avec toutes les données importantes dont dispose actuellement Statistique Canada. Il va de pair avec la reconnaissance de la perspective particulière de la collectivité; il est complémentaire et il ajoute une valeur à ce que Statistique Canada fait dans ces collectivités partout au Canada.

Le président : J'ai examiné le projet de loi et il me semble qu'un régime compliqué sera établi sur les terres de réserve pour prélever des impôts en vue des projets d'infrastructure.

Au Canada, ce ne serait pas le seul système qui permettrait de dégager des sommes d'argent pour les projets d'infrastructure sur les terres de réserve. Sauf erreur, le système qui est instauré ici convient mieux aux réserves ou aux régions à proximité des centres urbains, où des entreprises cherchent à s'établir sur les terres de réserve. Des centaines d'autres réserves partout au pays ne seraient probablement pas touchées. Ces réserves obtiennent tout de même de l'argent du gouvernement fédéral pour des projets d'infrastructure. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Scott : Certainement. Je peux vous assurer que cette initiative s'ajoute aux divers programmes et investissements qui sont actuellement disponibles. On ne fait qu'ajouter une autre option pour les collectivités qui le souhaitent. Cet outil est offert aux municipalités canadiennes depuis longtemps, et un grand nombre de collectivités ont exprimé le désir de jouer un rôle de chef de file dans ce genre de projet et ne plus avoir à mendier.

Je ne crois pas que c'est ce qui arrive aux collectivités qui dépendent du gouvernement du Canada, mais un grand nombre aimeraient jouer ce rôle et n'en ont pas eu la chance parce qu'elles ne disposaient pas des mêmes institutions que le reste du pays pendant longtemps.

Le sénateur Watt : Quelles seront les incidences de ce texte législatif sur la Loi sur les Indiens? Faudra-t-il modifier la Loi sur les Indiens pour que cette loi entre en vigueur, ou l'a-t-on déjà fait? On dit que la Commission consultative de la fiscalité indienne a été créée en 1989. J'imagine que ce projet de loi tient compte du fait que cette commission remonte à 1989.

M. Scott : La réponse générale est non, mais je vais laisser l'avocat général vous donner plus de détails.

M. Paul Salembier, avocat général, Initiatives législatives, Services juridiques, Affaires indiennes et du Nord Canada : Le projet de loi ne modifie en rien la Loi sur les Indiens, mais pour les Premières nations qui opteront pour ce régime, certaines parties de la Loi sur les Indiens qui portent sur l'imposition ne s'appliqueront plus à elles. Elles se seront retirées du régime de la Loi sur les Indiens, que définit l'article 83. Elles se retireront de ce régime pour adhérer au nouveau régime prévu dans le projet de loi C-20, mais aucune modification ne sera apportée à la Loi sur les Indiens, ne serait-ce que quelques modifications sans conséquence pour faire des renvois à cette loi.

Le sénateur Watt : Si les collectivités choisissent de ne pas adhérer à ce régime, qu'arrivera-t-il s'il y a des changements techniques? Cela ne s'applique-t-il pas également?

M. Scott : Non, les changements techniques dont on parle ici sont d'ordre administratif et concernent les renvois.

Le sénateur Watt : Pouvez-vous m'expliquer ce dont il s'agit?

M. Salembier : Les Premières nations qui décident de ne pas adhérer au régime prévu dans le projet de loi C-20 continueront de faire ce qu'elles font maintenant et peuvent, si elles le souhaitent, exercer des pouvoirs d'imposition en invoquant l'article 83 de la Loi sur les Indiens. Pour elles, il n'y aura absolument aucun changement.

Le sénateur Watt : Nous avons tous touché au domaine des affaires, et le promoteur du projet de loi le sait très bien. Dans ce domaine, parfois les choses vont bien, parfois elles vont mal, selon la nature du marché, et cetera.

Qu'arriverait-il en cas de faillite dans les collectivités, lorsqu'une tierce partie entre en jeu? Le ministère des Affaires indiennes viendrait-il alors à la rescousse? Quel genre de mécanisme de protection voyez-vous en tant que ministre?

M. Scott : Je vais répondre de façon générale, mais je vais demander une réponse plus technique. L'entité chargée de la gestion financière, qui est prévue dans ce projet de loi, a une responsabilité générale. Il importe de faire une distinction entre la gestion par un tiers qui existe actuellement au sein des Premières nations et ce dont nous parlons ici. Le terme peut être le même, mais le concept est différent. Mme Kustra peut expliquer cela plus clairement, mais il reste qu'après la collectivité, c'est l'entité chargée de la gestion financière qui assume la responsabilité.

Mme Brenda Kustra, directrice générale, Services fonciers et fiduciaires, Direction générale de la gouvernance des Premières nations, Affaires indiennes et du Nord Canada : Le Conseil de gestion financière aura le pouvoir, en vertu de la loi, de gérer seulement le compte de recettes locales, c'est-à-dire le compte dans lequel sont déposées les recettes fiscales.

Toutes les autres recettes de la Première nation concernée, comme l'argent qu'elle recevrait du ministère des Affaires indiennes, sont conservées dans des comptes distincts; elles ne seraient donc pas touchées par ce projet de loi. Si une Première nation ne respecte pas les échéances de remboursement du fonds d'emprunt, c'est le fonds commun dans son ensemble qui en souffre et le Conseil de gestion financière pourrait intervenir et travailler avec les Premières nations afin d'élaborer un plan d'action pour le remboursement de la somme due.

Le sénateur Watt : Si le plan d'action n'est pas conçu pour sauver les entreprises, qu'arrivera-t-il?

M. Salembier : Le projet de loi prévoit des mécanismes de protection, dont un fonds de réserve. Si une Première nation est incapable de faire ses paiements, un fonds est déjà établi en vertu de cette loi et permet de faire les paiements au nom de cette Première nation. Si, pour une raison quelconque, la situation perdure, le projet de loi prévoit également un mécanisme par lequel tous les membres du fonds d'emprunt, en d'autres termes tous les membres qui font un emprunt obligataire, seront appelés à faire ces paiements au nom de la Première nation. Le projet de loi comporte un certain nombre de mécanismes pour garantir que l'obligation en soi n'est pas à risque.

Le sénateur Watt : En d'autres termes, si la collectivité connaît pareilles difficultés, elle devra obtenir le consentement d'une autre collectivité pour pouvoir corriger la situation?

M. Salembier : Techniquement, elle n'aurait pas besoin du consentement des autres collectivités, parce que lorsque vous devenez un membre emprunteur, vous prenez un engagement et vous partagez les obligations de tous les membres du fonds commun. En profitant des prêts consentis par l'Administration financière des Premières nations, vous avez aussi l'obligation d'aider les autres collectivités qui connaissent des difficultés. Nul besoin de consentement. L'Administration financière des Premières nations dispose de ses propres mécanismes internes pour évaluer les droits supplémentaires qui seront imposés aux autres Premières nations pour assurer l'intégrité des obligations émises.

Le sénateur Watt : Si elles épuisent tous leurs recours sans trouver de solution au problème, le gouvernement du Canada viendrait-il à la rescousse? Sinon, qu'arriverait-il?

M. Scott : Les mesures de protection que comporte un fonds commun amèneront les gens à investir dans des projets qui attirent les capitaux dans un premier temps. En d'autres termes, il n'est pas nécessaire que nous apportions des garanties pour que le système fonctionne. C'est le critère ultime. En fait, le programme que vous créez repose sur la volonté des gens à investir sans avoir une garantie du ministère des Affaires indiennes.

Mme Barnes : Sénateur, il y a beaucoup de freins et de contrepoids dans cette loi. Nous avons pris soin de ne rien sacrifier lorsque le projet de loi a été examiné par le comité de la Chambre, parce que nous voulons assurer une bonne notation dès la première émission d'obligations. Il y a eu des discussions préliminaires avec Standard & Poor's et avec Moody's. À la lumière des données disponibles actuellement, ils prévoient que la première émission d'obligations sera cotée A, ce qui est très bon.

En vertu de la loi, aucune Première nation ne peut utiliser les terres en garantie. La garantie offerte au marché des obligations, ce sont les recettes provenant de l'assiette de l'impôt foncier, qui est un fonds distinct. La grande différence entre la deuxième version de ce projet de loi et le projet de loi C-20, c'est notamment le nombre de Premières nations intéressées, et ce sont celles qui ont des bases économiques dans les réserves. À l'origine, une trentaine de Premières nations avaient manifesté de l'intérêt, et nous prévoyons maintenant qu'une centaine participeront lorsque ce projet de loi sera adopté. Il s'agit d'une hausse substantielle depuis la version précédente du projet de loi, et je crois que nous la devons aux excellentes recommandations que le comité a formulées et que la Chambre a acceptées. La version actuelle est beaucoup plus complète et acceptable.

Nous sommes convaincus, tout comme le sont les organismes indépendants comme Standard & Poor's et Moody's. Ils ne donnent pas la cote A à la légère. C'est une très bonne notation; évidemment, elle n'est pas garantie tant que les premières obligations ne sont pas émises, mais les freins et les contrepoids sont très stricts dans ce projet de loi.

Le sénateur Watt : Est-ce que ce sera attirant pour des non-Autochtones qui ont de l'argent et qui aimeraient l'investir? En d'autres termes, cet instrument peut-il être utilisé pour attirer des investissements dans la collectivité?

Mme Barnes : C'est exactement ce qu'est une obligation. Tout le monde peut l'acheter.

Le sénateur Watt : Je m'inquiète des mécanismes de protection. Le projet de loi prévoit-il un mécanisme pour protéger les Premières nations des grandes sociétés qui pourraient investir dans la collectivité?

Mme Kustra : Il y a beaucoup d'incertitudes dans la Loi sur les Indiens à l'heure actuelle pour ce qui est des investissements privés, si bien que les régimes qui seront mis en place grâce à ce projet de loi offriront le genre de protection ainsi que les freins et les contrepoids que bon nombre d'investisseurs privés recherchent avant d'investir des sommes importantes dans les terres des Premières nations et dans d'éventuelles co-entreprises économiques avec les Premières nations.

Mme Barnes : Un des avantages financiers que retire une Première nation qui participe au fonds commun de capitaux, c'est que le coût d'emprunt pour un projet qui lui est propre pourrait diminuer de 30 à 50 p. 100. Les opposants contestent ces chiffres et disent qu'ils sont trop optimistes, mais ce sont les chiffres qui nous ont été donnés.

Le sénateur Rompkey : J'aimerais revenir aux questions que le président a posées sur les fonds qui sont offerts aux Premières nations. La plupart des personnes présentes ici savent peut-être la réponse, mais quels sont les autres fonds toujours disponibles, en plus de ceux qui sont prévus dans le projet de loi? Je me souviens que dans les années 80, par exemple, nous avions mis sur pied un fond de développement économique autochtone; je ne me souviens plus du nom exact. Existe-t-il toujours? Quels autres mécanismes, à part ceux qui sont prévus ici, sont offerts aux Premières nations?

M. Scott : Il existe un grand nombre de programmes. Le président du Conseil du Trésor a déterminé qu'il en existe environ 300 au Canada, mais ils ne touchent pas tous, bien sûr, à l'infrastructure. Ce que je dis, c'est qu'il y a des programmes à Industrie Canada, à Infrastructures Canada et au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Aucun de ces programmes n'est touché par ce projet de loi.

Le sénateur Rompkey : Je parlais seulement du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

M. Scott : Nous menons des projets d'infrastructure avec les Premières nations. Bon nombre de ces projets sont effectués directement, et cette option serait complémentaire. Permettez-moi de faire une comparaison. Les municipalités reçoivent des subventions des provinces; elles peuvent aussi, en tant que municipalités, effectuer des emprunts à des taux très avantageux, en utilisant le même type d'instrument que ceux qui sont prévus dans ce projet de loi. On ne fait qu'offrir aux collectivités une autre option qui, jusqu'à présent, n'était pas disponible, et les autres options n'en sont pas diminué pour autant.

Le sénateur Stratton : J'aimerais vous poser des questions sur trois aspects : la protection de la vie privée, l'adhésion au régime et le retrait du régime, et la transparence.

Selon ce que je comprends, un institut de la statistique est créé. Comment assurons-nous la protection de la vie privée lorsque des données statistiques sont obtenues? Comment assure-t-on les gens de cette protection, compte tenu des inquiétudes que soulève cette question aujourd'hui?

M. Scott : Je vais vous donner une réponse générale et, si vous le souhaitez, quelqu'un d'autre pourrait ajouter plus de détails. Il importe de noter que les renseignements qui seraient disponibles viendraient de deux sources. Premièrement, il y a les données qui sont actuellement disponibles et utilisées par le gouvernement du Canada dans la planification de ses politiques d'intérêt public. Cette information est déjà disponible, et quelqu'un pourrait vous donner les articles précis à cet égard, mais les dispositions que comporte ce projet de loi en matière de vie privée sont plus rigoureuses que ce que nous aurions sans cette mesure législative. Deuxièmement, il y a les données recueillies par l'Institut de la statistique à ses propres fins; toutefois, la participation est facultative; si une collectivité ou une personne ne veut pas participer à l'exercice, elle a le droit de refuser. Une fois recueillies, ces données sont protégées par les dispositions sur la vie privée que comporte ce projet de loi. Ces dispositions répondent aux normes d'aujourd'hui qui sont, je crois, plus élevées que celles qui prévalaient lorsque d'autres projets de loi ont été proposés il y a un certain temps. Je dirais que les données qui seront recueillies dans le cadre de cette loi seront mieux protégées que la plupart des autres données qui sont disponibles aujourd'hui.

Mme Barnes : Le ministre a tout à fait raison à ce sujet, sénateur. Comme il s'agirait d'une société d'État, l'Institut de la statistique serait assujetti aux exigences strictes de la Loi sur l'accès à l'information ainsi que de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans le projet de loi comme tel, des modifications corrélatives traitent de la Loi sur l'accès à l'information à l'article 147 et de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l'article 152. Il s'agit donc d'ajouter à la liste des institutions visées le Conseil de gestion financière, l'Institut de la statistique et la Commission de la fiscalité des Premières nations. Ces ajouts font en sorte que les institutions en question figurent directement dans la loi. Vous pouvez trouver ces articles aux pages 61 et 64 de la version française du projet de loi.

Le sénateur Stratton : Ma deuxième question porte sur le choix de participer ou non. Il y a deux aspects que j'aimerais aborder à ce sujet. L'un d'eux touche l'Institut de la statistique. A-t-on l'option de participer ou non à cette initiative? La même question se pose pour la Commission de la fiscalité. Quel est le processus à suivre dans chacun des cas? Est-ce que la participation est obligatoire pour l'Institut de la statistique et optionnelle pour la Commission de la fiscalité?

M. Scott : La participation est facultative dans les deux cas. Tous les éléments du projet de loi sont optionnels.

Le sénateur Stratton : Y compris pour le retrait?

M. Scott : Vous pouvez vous retirer dès que vous vous êtes acquitté des responsabilités qui vous incombaient à titre de participant. Vous devez vous dégager de toutes vos responsabilités avant de partir. Si vous avez choisi de participer sans prendre aucune responsabilité, vous pouvez vous désengager; je suppose que cela va sans dire.

Le sénateur Stratton : Si je comprends bien, c'est au conseil de bande de décider de participer ou non.

M. Scott : C'est exact.

Le sénateur Stratton : Mais ne faut-il pas un décret pour officialiser la participation ou le désengagement, dans les deux cas, pour la Commission de la fiscalité et l'Institut de la statistique?

M. Salembier : Pour être bien clair, pour qu'une Première nation participe, il faut une résolution du conseil de bande en faisant la demande, puis un décret. Pour se désengager, il faut suivre le même mécanisme, soit une résolution du conseil de bande et un décret. Si la Première nation a emprunté de l'argent à l'Autorité financière, il faut toutefois qu'elle rembourse les sommes en question avant de pouvoir se désengager.

Dans le cas de l'Institut de la statistique, la loi est de portée générale. Il n'y a donc pas à proprement parler d'option de participer ou non à cette initiative. Cependant, lorsque l'Institut de la statistique recueille des données directement auprès des communautés des Premières nations, on ne peut obliger personne à fournir des renseignements contre son gré. Même si une personne décide de communiquer des données, elle peut demander que celles-ci ne soient pas diffusées, ce qui montre bien qu'il existe des mesures de protection.

Mme Barnes : C'est une façon de présenter les choses dans le cas de l'Institut de la statistique, parce que, d'un point de vue technique, il n'y a pas d'option dans le cas de cet institut. La manière dont on en parle peut influer sur la perception qu'on en a, ce qui peut amener certaines personnes à croire que la participation n'est pas nécessairement facultative. En fait, je pourrais faire valoir les deux points de vue. En réalité, rien n'est prévu pour obliger quiconque à participer, mais il existe un mécanisme spécifique pour les trois autres institutions; ainsi, contrairement aux trois autres, rien n'oblige les Premières nations à participer à cette initiative.

L'un des avantages financiers de ce projet de loi dont on ne parle pas assez souvent vient du fait qu'il ne soit pas nécessaire de participer au fonds commun de capitaux pour tirer parti des services consultatifs offerts par l'une des autres institutions, soit la Commission de la fiscalité. C'est donc une bonne chose que ceux qui ne participent pas au fonds commun de capitaux et qui ne sont peut-être pas prêts à tirer parti de l'infrastructure en place puissent, au moment voulu, s'en prévaloir et obtenir de l'aide. Je tenais à souligner cet avantage.

Le sénateur Stratton : Je vous en remercie. Ma dernière question concerne la transparence. La vérificatrice générale a beaucoup parlé de transparence pour ce qui est des sociétés indépendantes constituées par le gouvernement — ce qu'on appelle, je crois, les fondations. Comment pouvons-nous garantir aux communautés visées et au Canada dans son ensemble que nous prenons les mesures nécessaires pour que le processus soit aussi transparent que possible?

M. Scott : Si l'on en revient à la justification de telles exigences, c'est avant tout dans un souci de confiance. Dans une certaine mesure, cette confiance découle de la transparence; ainsi donc, la transparence devient nécessaire en raison des objectifs visés. Il sera impossible d'attirer des investisseurs s'ils ne sont pas convaincus que tous les mécanismes régulateurs nécessaires sont en place. J'estime qu'il s'agit probablement de l'innovation la plus importante dans le cadre de nos efforts pour le développement des communautés.

Pour ce qui est de ce projet de loi, il est nécessaire dans le même contexte de mettre en place un ensemble solide de filets de sécurité de telle sorte que les gens puissent investir en sachant qu'ils sont protégés. Les mêmes mécanismes régulateurs entreraient en jeu; il y aurait une vérification.

Le sénateur Stratton : Il y a un processus de vérification indépendant?

M. Scott : Ce serait également nécessaire, sénateur, pour rassurer les investisseurs potentiels.

Le sénateur Stratton : Je vous remercie. Je crois qu'il est important que vous ayez apporté cette précision qui permet de susciter la confiance pour l'ensemble du processus.

M. Scott : Merci de m'avoir donné l'occasion d'en parler.

Le président : Je crois que c'est tout le temps dont nous disposions. Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je veux également remercier votre secrétaire parlementaire et les autres témoins pour leur présence.

M. Scott : Monsieur le président, merci pour l'intérêt porté par le comité à ces questions ainsi que pour votre collaboration dans le cadre de récents projets de loi. Nous vous sommes très reconnaissants pour votre sensibilité et pour votre bon travail.

Le sénateur Stratton : Monsieur le ministre, vous avez une dette envers nous pour ce dernier dossier.

Le président : Je souhaite maintenant la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. Vous pouvez débuter, si vous êtes prêt. Peut-être pourriez-vous nous présenter votre groupe.

M. Clarence (Manny) Jules, porte-parole, Initiative sur les institutions fiscales des Premières nations : Merci, monsieur le président. Je suis accompagné de Deanna Hamilton, du chef Tom Bressette, de Harold Calla et du chef Strater Crowfoot.

Le président : Nous vous écoutons.

M. Jules : Merci de nous donner l'occasion de nous adresser au Sénat concernant la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations. C'est un privilège pour moi de diriger l'équipe de gens dévoués qui ont été à l'origine de ce projet de loi. Le texte législatif qui vous a été soumis découle de l'amendement de Kamloops sur la Loi sur les Indiens. Je tiens à souligner le rôle joué par le sénateur Len Marchand pour l'adoption de cet amendement.

L'amendement de Kamloops a permis la mise en place d'une bonne centaine de régimes d'imposition foncière par les Premières nations; nous pouvons toutefois faire encore mieux. La Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations est un important pas en avant. Elle a obtenu le soutien de tous les partis à la Chambre des communes. Cette loi nous permet de proposer une solution économique, plutôt que de parler simplement de nos problèmes sociaux. Notre situation est plutôt simple en théorie. Nos problèmes sociaux découlent de la faiblesse de nos économies. Et cette faiblesse est le résultat du manque d'investissements privés. Les investissements privés représentent 80 p. 100 de l'ensemble des investissements consentis au Canada. Nous ne bénéficions que d'une fraction infime de ces investissements privés. C'est la raison pour laquelle, si on résume la situation, nous sommes défavorisés du point de vue économique. Si nous corrigeons ce problème, toutes les autres initiatives deviendront plus efficaces. Si nous ne faisons rien, les problèmes sociaux perdureront et nous devrons déplorer la perte d'une autre génération.

Pourquoi n'avons-nous droit qu'à une part si ténue des investissements privés? Il existe beaucoup d'explications à ce sujet. La nature des droits de propriété, les emplacements peu intéressants occupés par bon nombre de Premières nations; la méfiance à l'égard des gouvernements des Premières nations. Bien qu'il y ait un peu de vrai dans toutes ces explications, si on me demandait d'indiquer la raison la plus importante, je répondrais que c'est parce que le pouvoir décisionnel n'est pas entre les bonnes mains. La planification centralisée ne fonctionne pas. Cela n'a pas fonctionné en Europe de l'Est et ce n'est pas mieux pour les Premières nations. Ce projet de loi est un premier pas vers la destruction du mur qui freine la croissance économique des Premières nations. Il amorce le processus de remplacement du MAINC par les institutions et les lois des Premières nations. Partout au Canada, il y a des investisseurs qui constatent les possibilités qu'offrent les communautés des Premières nations. Et il y a des dirigeants des Premières nations qui veulent que ces possibilités soient exploitées.

Il y a deux éléments clés pour que cela puisse se faire. Premièrement, les investisseurs ont besoin de certaines garanties quant à leurs droits de propriété, aux impôts et aux services. Deuxièmement, les dirigeants des Premières nations doivent disposer des pouvoirs nécessaires pour pouvoir suivre le rythme du milieu des affaires. Beaucoup de gens sont d'avis qu'il est impossible de transférer les pouvoirs importants. Ils prétendent que les gouvernements des Premières nations sont trop petits pour être viables. Ils soutiennent qu'il est trop complexe de transférer des pouvoirs considérables à plus de 600 gouvernements des Premières nations. Ils allèguent qu'un nombre aussi élevé de gouvernements entraînera une hausse des frais d'administration et mettra en péril l'union économique canadienne.

La création de ces institutions offre une réponse à toutes ces questions. Elles nous permettent d'exercer nos pouvoirs de telle sorte que la bureaucratie est réduite. Elles nous permettent de confier les décisions aux personnes les mieux placées pour voir les possibilités qui s'offrent. Ce projet de loi établit un cadre institutionnel pour les gouvernements des Premières nations. À l'intérieur de ce cadre, les Premières nations pourront assumer de plus en plus de pouvoirs au fur et à mesure qu'elles renforceront leurs capacités. Ces institutions nous permettront de réaliser des économies d'échelle du point de vue administratif. Elles mettront en place une infrastructure. Elles créeront le climat de certitude dont les investisseurs ont besoin. Elles appuieront le bon fonctionnement des gouvernements des Premières nations. Plus important encore, le cadre en question a été élaboré par les Premières nations qui y participent. C'est notre loi à nous. Nous ne demandons pas un changement en profondeur; nous procédons à ce changement.

Harold Calla, président du Comité consultatif, Commission de gestion financière des Premières nations : Bonjour à tous et merci de nous avoir invités. En tant que Canadien, je tiens tout d'abord à souligner que je suis heureux que le Sénat existe dans sa forme actuelle. C'est la troisième ou la quatrième fois que j'ai la chance de vous rendre visite et je suis toujours impressionné par le niveau des discussions et la nature du travail que vous effectuez. Vous faites oeuvre utile pour le Canada et je veux souligner votre contribution en espérant qu'aucun changement ne sera apporté.

Comme M. Jules vous l'a dit, nous sommes ici aujourd'hui pour vous présenter le point de vue des Premières nations qui partagent une vision commune dans leurs efforts pour mettre en place les outils dont elles ont besoin pour appuyer le développement de possibilités économiques et commerciales au sein de leurs communautés. Nous devons nous tourner vers l'avenir. Je sais pertinemment que certaines Premières nations ne profitent pas actuellement des mêmes possibilités, mais ce projet de loi doit être vu comme un premier élément d'un train de mesures qu'il nous reste encore à prendre.

Nous nous sommes penchés sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés et nous avons proposé, dans le cadre de ce projet de loi, des options viables nous permettant de régler bon nombre de ces situations. Comme vous le savez déjà, environ une Première nation sur six au Canada prélève actuellement des impôts fonciers — ce qui est beaucoup plus que les 14 qui le faisaient lorsque l'amendement de Kamloops a été mis de l'avant. Bien que cela ait grandement contribué à améliorer le sort de nos communautés, les Premières nations n'ont pas encore profité de tous les avantages que procure l'imposition foncière aux autres gouvernements offrant des services locaux. Le projet de loi C-20 permet de combler ces lacunes et d'uniformiser les règles du jeu.

Ce projet de loi fait suite à l'initiative de l'amendement de Kamloops, la Loi sur la gestion des terres, et permettra de créer une synergie qui jouera un rôle essentiel dans la transition de la dépendance vers l'autonomie économique. En favorisant la réalisation d'initiatives comme celle-ci, on reconnaît la diversité qui existe au sein des Premières nations. Grâce à ce projet de loi, les dirigeants qui sont prêts à faire évoluer leurs communautés en fonction de leurs réalités nouvelles pourront passer à l'action.

Nous avons examiné les motifs expliquant les faibles résultats obtenus par nos communautés pour ce qui est du développement économique et commercial et nous savons que ce projet de loi réglera le problème le plus important, soit le manque d'infrastructures. Il est impossible de soutenir la concurrence dans le secteur du développement économique et commercial si on ne peut pas compter sur les infrastructures nécessaires.

Nous devrions tous être bien au fait des concepts qui sous-tendent la loi proposée. Pour appuyer le développement économique et commercial, il nous faut créer des environnements stables, prévisibles et viables qui attireront les investisseurs du secteur privé. Pour les Premières nations qui choisiront d'être inscrites à l'annexe, la nouvelle loi répondra aux besoins des investisseurs du secteur privé et fera en sorte qu'il sera plus facile pour eux d'envisager des investissements dans les communautés des Premières nations.

Le concept de la mise en commun des emprunts n'est pas nouveau au Canada, pas plus que celui du recours à l'assiette d'imposition foncière et à l'endettement pour financer les infrastructures. Les institutions créées par ce projet de loi offriront cette possibilité aux Premières nations qui choisiront de s'en prévaloir. Cela permettra de réduire les coûts et les délais par rapport à la situation actuelle.

Au départ, les Premières nations pouvant compter sur des recettes d'impôt foncier pourront, grâce à la nouvelle loi, avoir accès à une infrastructure de financement à long terme grâce à la mise en commun des emprunts faisant appel comme levier financier à l'assiette d'imposition foncière, plutôt qu'à leurs terres. En effet, celles-ci ne peuvent pas servir de caution pour tout prêt consenti en vertu de la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations. Ainsi donc, les terres ne pourront jamais être perdues en application de cette loi.

En vertu du projet de loi, les Premières nations acceptent de garantir mutuellement leurs dettes suivant une formule de responsabilité conjointe et solidaire. C'est l'Autorité financière des Premières nations qui sert de véhicule pour l'administration de ce processus. En fait, chaque Première nation met en gage son assiette d'imposition foncière et les recettes qu'elle peut produire comme base de revenus pour le remboursement de la dette mise en commun. C'est l'Autorité financière qui, en s'appuyant sur la force de l'assiette d'imposition foncière combinée de toutes les Premières nations ayant décidé de participer, obtient une cote de solvabilité et émet les titres de créance. La Première nation emprunte de l'Autorité financière et effectue les remboursements à celle-ci. Il n'y a jamais de lien direct entre les Premières nations et l'investisseur et les obligations émises par l'Autorité financière.

Le bon fonctionnement du système exige une grande confiance consolidée par une fonction de supervision étroite qui fait en sorte que la formule de responsabilité conjointe et solidaire devient la solution de dernier recours pour tous les problèmes qui se posent avec les régimes communs d'imposition et d'emprunt. Ce rôle indépendant que doit jouer le Conseil de gestion financière est crucial pour la réussite du processus. En assumant ce rôle de supervision, le Conseil sert les intérêts de la Première nation, de l'Autorité financière et de la Commission fiscale tout en procurant aux investisseurs le climat de confiance dont ils ont besoin. Les investisseurs doivent en effet être assurés qu'on pourra leur verser les intérêts prévus sur leurs obligations et, le moment venu, leur capital.

Les dispositions du projet de loi prévoient que le Conseil de gestion financière établira les normes à suivre pour les lois de gestion financière. La nouvelle loi met en place le régime de gestion du compte des recettes locales. Le Conseil de gestion financière devra également attester qu'une loi de gestion financière adoptée par une Première nation satisfait aux normes établies. Le Conseil certifiera qu'une Première nation a mis en place la loi de gestion financière requise pour le compte de recettes locales au moment de l'emprunt.

Il faut bien préciser que le projet de loi ne concerne que les revenus définis comme recettes locales en vertu de la loi et ne vise pas les paiements de transfert ou les autres sources de revenus des Premières nations. Ces fonds ne sont pas assujettis à l'application de cette loi. Les normes qui seront élaborées par le Conseil de gestion financière permettront de distinguer les transactions et les dossiers concernant les recettes et les dépenses locales de ceux touchant les autres sources de revenus et de dépenses des Premières nations. Une telle distinction est nécessaire pour permettre les vérifications périodiques de la conformité pour ce qui est des lois adoptées en vertu du projet de loi et, dans les circonstances exceptionnelles où une intervention est nécessaire en application de la loi, pour que le Conseil de gestion financière puisse s'acquitter plus facilement de ses responsabilités.

L'intervention prévue par le projet de loi vise à répondre aux préoccupations des Premières nations et des investisseurs au sujet du remboursement de la dette. Les dirigeants des Premières nations doivent être assurés qu'on ne leur demandera pas de rembourser la dette de quelqu'un d'autre et les investisseurs doivent être certains d'être payés quoi qu'il arrive.

Le Conseil de gestion financière doit également être en mesure d'appuyer toute Première nation, qui en fait la demande, pour le renforcement de ses capacités de gestion financière, en lui faisant part des pratiques les plus efficaces, en élaborant des normes en collaboration avec l'Association des agents financiers autochtones, et en offrant des possibilités de formation permanente dans le domaine de la gestion financière.

Ce projet de loi est un outil fondamental pour appuyer les gouvernements des Premières nations qui aspirent à l'autonomie. Les problèmes abordés dans ce projet de loi doivent absolument être réglés si on veut espérer apporter un changement en profondeur. Il ne s'agit pas ici de demander des droits spéciaux ou une aide financière. On veut simplement pouvoir sortir des sentiers battus et ainsi favoriser un développement économique qui profitera à tous les Canadiens.

Ce projet de loi devrait être considéré comme un document en évolution. Il sera revu et devrait être modifié conformément aux besoins des collectivités des Premières nations.

Mme Deanna Hamilton, présidente et chef de la direction, Administration financière des Premières nations : Monsieur le président, je suis membre de la Première nation de Westbank, située dans le centre-sud de la Colombie-Britannique. Nous faisons partie de la nation de l'Okanagan. Je suis la fondatrice ainsi que la présidente et chef de la direction de l'Administration financière des Premières nations, l'AFPN.

Partout au Canada, les Premières nations sont en train de réformer leurs gouvernements et leurs collectivités, car elles se détachent de la gouvernance paternaliste qu'a entraînée la Loi sur les Indiens pour passer à la véritable autonomie gouvernementale. Ce processus n'est pas facile. Il nécessite du dévouement et du travail acharné. Il y a quelques mois seulement, j'étais assise ici en train de vous écouter débattre de la loi sur l'autonomie gouvernementale visant ma collectivité, la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank. C'était un grand jour, et c'est aussi un grand jour aujourd'hui.

Lors de l'élaboration de notre constitution et de notre entente sur l'autonomie gouvernementale, nous avons compris que, même si les communautés doivent tracer leur propre voie, elles ne vivent pas en autarcie. Les institutions de gouvernance nationales et régionales des Premières nations doivent appuyer l'autonomie gouvernementale au niveau local. L'AFPN est un exemple de cela. Permettez-moi de m'expliquer en disant quelques mots au sujet de l'AFPN et de la façon dont elle a été mise sur pied.

Peu de temps après avoir commencé à assumer la perception des impôts fonciers, en 1990, la Première nation de Westbank s'est mise à songer à des façons d'accroître ses recettes fiscales pour pouvoir construire l'infrastructure nécessaire en vue d'améliorer le réseau d'aqueduc, d'appuyer le développement économique et d'améliorer de façon générale la qualité de vie au sein de notre collectivité.

Habituellement, pour construire des infrastructures, les gouvernements locaux contractent des emprunts à longue échéance, ce qui permet de faire assumer le coût aux contribuables actuels et futurs conformément à la durée de vie des infrastructures en question. Par exemple, le coût de la construction d'un réseau d'aqueduc peut être réparti sur une trentaine d'années.

Quand nous avons examiné les diverses options qui s'offraient à nous pour financer notre dette publique à long terme, nous avons constaté que la collectivité voisine non autochtone de Kelowna construisait ses infrastructures de façon plus efficiente et moins coûteuse que nous le pourrions. Elle empruntait auprès de gouvernements locaux de la province à des taux beaucoup moins élevés et à des échéances beaucoup plus longues que nous le pourrions. Nous avons découvert très rapidement que, en tant que Première nation, nous ne disposions pas des mêmes outils que nos voisins. Nous avons appris qu'il existait des obstacles d'ordre législatif au financement public des Premières nations. Nous nous sommes rendu compte que, si nous voulions obtenir du financement public à long terme à un coût abordable fondé sur les impôts fonciers, nous avions besoin d'un nouveau cadre réglementaire. Nous nous sommes aussi rendu compte que nous ne pourrions pas y arriver seuls.

En 1992 et en 1993, la Première nation de Westbank a tenu une conférence nationale visant à examiner les options de financement de la dette publique des Premières nations. Un certain nombre de modèles ont été étudiés, provenant à la fois du Canada et de l'étranger. Il a été décidé d'aller de l'avant avec la Municipal Finance Authority of British Columbia, la MFA. Les besoins en financement de tous les gouvernements locaux de la Colombie-Britannique sont comblés par l'entremise de la MFA, qui émet des obligations en vue de réunir les fonds nécessaires. Le régime d'emprunt est établi par une loi provinciale.

En tant que Première nation, nous aimions ce modèle, non pas parce que nous considérons nos gouvernements comme des municipalités, mais parce qu'il favorise les petits gouvernements qui travaillent ensemble pour récolter des avantages économiques mutuels. Nous nous sommes rendu compte que, collectivement, nous serions plus forts. Pour enclencher le processus de financement public, l'AFPN a été incorporée en 1995. Aujourd'hui, les actionnaires de la société intérimaire, qui sera remplacée par l'AFPN créée par la loi, sont les Premières nations de Millbrook en Nouvelle-Écosse, de St. Mary's, de Tzeachten, de Songhees et de Westbank en Colombie-Britannique. Afin de créer le régime d'emprunt, le conseil d'administration de l'AFPN Inc. a demandé au Canada d'adopter une loi, qui fait maintenant partie du projet de loi C-20.

Cette mesure législative a fait l'objet d'une grande réflexion et elle établit un cadre réglementaire approprié qui rendra les gouvernements des Premières nations à l'aise d'emprunter ensemble — car ils sont conjointement et individuellement responsables de la dette de chacun d'eux — et donnera également confiance aux acheteurs des obligations qu'elles constituent un bon investissement.

Bien que l'AFPN soit similaire à la MFA, son cadre législatif est bien entendu différent étant donné que les Premières nations ne sont pas des municipalités et qu'elles possèdent le pouvoir inhérent d'adopter des lois. Le projet de loi C-20 a donc été rédigé en conséquence. Les quatre institutions créées par l'entremise de cette mesure travailleront ensemble pour faire en sorte que le système fonctionne.

Les Premières Nations qui décident de participer au régime d'emprunt de l'AFPN devront d'abord obtenir du Conseil de gestion financière un certificat et elles devront ensuite adopter un texte législatif concernant les emprunts qui devra être approuvé par la Commission de la fiscalité. L'AFPN émettra des obligations selon des sommes qui suffisent à répondre aux besoins de financement énoncés dans chaque texte législatif. Pour que les investisseurs puissent prendre des décisions éclairées, ils auront accès aux renseignements concernant les membres emprunteurs grâce à des rapports publiés par l'Institut de la statistique.

Les obligations de l'AFPN ne seront pas garanties par des biens durables, et aucune terre ne pourra être hypothéquée. C'est plutôt l'intégrité du régime d'impôt foncier qui soutiendra le crédit. Le Conseil de gestion financière et la Commission de la fiscalité veilleront à l'intégrité des régimes d'impôt foncier et de gestion financière qui servira de garantie. Le conseiller Calla et le chef Crowfoot aborderont cette question.

D'après les discussions avec Moody's Investment Services, Standard & Poor's ainsi que nos consultants chez RBC Dominion Valeurs mobilières, l'AFPN et le gouvernement fédéral sont d'avis que la structure proposée dans le projet de loi C-20 permettra d'obtenir une bonne cote de solvabilité, probablement un A. Cela signifie que les régimes de pension et les fiducies seront en mesure d'acheter nos obligations et que les Premières nations paieront moins d'intérêts. Lorsque la MFA a été évaluée pour la première fois, elle a obtenu la cote A. Elle détient maintenant la cote enviable AAA, que nous visons également d'obtenir. Ce qui est très important, c'est que l'AFPN sera la première institution autochtone au monde à être évaluée par une agence internationale de cotation. Il ne faut pas perdre ce fait de vue.

À mesure que nous prendrons de l'expansion, nous sommes d'avis que les Canadiens deviendront aussi habitués d'acheter des obligations des Premières nations que des obligations des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux. De plus, à l'échelle internationale, nos obligations ont suscité beaucoup d'intérêt et sont considérées comme des titres éthiques. Nous croyons que la demande excédera l'offre.

Avant de conclure, je dois avertir les sénateurs que le projet de loi C-20 ne pourra pas servir de motif à des gouvernements futurs pour dégager le Canada de sa responsabilité collective à l'égard des Premières nations ni pour cesser d'investir dans l'infrastructure. La nécessité pour les Premières nations d'obtenir des fonds fédéraux afin de pouvoir répondre à leurs besoins en infrastructure sera toujours là, surtout dans les collectivités où des infrastructures de base sont nécessaires pour sauver des vies, où l'eau est insalubre et où il n'y a pas d'assiette de l'impôt foncier.

En terminant, je tiens à dire que nous devrions tous célébrer ce moment historique. De nombreuses personnes ont participé au projet. Sans les partenariats, l'initiative n'aurait jamais pu progresser. L'AFPN est un excellent exemple du pouvoir de la collaboration pour des bienfaits mutuels. Les membres de l'AFPN auront des économies étroitement liées qui seront plus puissantes et plus viables que si elles n'étaient pas interreliées. Ceux d'entre nous qui ont pris part à cette initiative novatrice de financement espèrent sincèrement que le fait d'avoir créé notre propre solution à un problème précis démontrera que nous pouvons prendre des mesures pour commencer à reconstruire nos économies et à améliorer nos vies. Je vous remercie de m'avoir écoutée.

Le chef Tom Bressette, président, groupe consultatif, Institut de la statistique des Premières nations : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis président du groupe consultatif de l'Institut de la statistique des Premières nations. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui au sujet du projet de loi C-20.

Je suis un homme qui porte plusieurs chapeaux. Je suis le chef de la bande des Chippewas de Kettle et de Stony Point, qui habite dans le sud-ouest de l'Ontario. Je suis aussi membre du conseil d'administration de l'Union des Indiens de l'Ontario, qui regroupe environ 42 Premières nations de l'Ontario. De plus, je participe à des comités, à des conseils tribaux et à des initiatives, principalement en Ontario. Je travaille au sein des gouvernements des Premières nations depuis près de 20 ans. Je crois vivement que le développement économique est essentiel à l'amélioration de la vie des membres des Premières nations et de leurs conditions socioéconomiques. Nos collectivités ont besoin de soutien sur le plan de l'autonomie gouvernementale afin de pouvoir améliorer l'infrastructure, favoriser le développement et attirer des investissements.

Comme mes collègues pourront le confirmer, il est beaucoup plus difficile de mener des affaires dans les collectivités des Premières nations. Je suis ici pour vous parler d'une des causes de cette situation, c'est-à-dire le manque d'information. Nous manquons d'information pour appuyer le développement économique et promouvoir l'investissement. Les investisseurs et les partenaires potentiels s'attendent à obtenir des renseignements précis sur la collectivité. Ces renseignements doivent être exacts, clairs et comparables à ceux d'autres sources d'information. La capacité d'une communauté de faire sa promotion est compromise si elle ne détient pas des données précises. L'Institut de la statistique des Premières nations commencera à combler ce manque d'information. L'Institut sera un centre de statistique en évolution pour les Premières nations et d'autres parties concernées; il comportera des services de soutien qui produiront des données de grande qualité et permettra une plus grande utilisation des statistiques concernant les Premières nations.

Ses fonctions seront les suivantes : élaboration de statistiques; formation et éducation dans le domaine de la statistique; collecte, analyse et interprétation des données; services consultatifs à l'intention des Premières nations et des ministères fédéraux; services spécialisés à l'intention des instituts fiscaux; élaboration de normes statistiques, notamment des indicateurs de rendement; recherche de données; et services de gestion de l'information. Bref, l'Institut s'emploiera à améliorer la qualité des renseignements concernant les Premières nations.

Une telle amélioration profitera aux Premières nations ainsi qu'aux décideurs et aux chercheurs au sein de tous les gouvernements. Elle profitera aussi au public et aux investisseurs potentiels dans les territoires des Premières nations.

L'Institut de la statistique des Premières nations appuiera les autres institutions créées par l'entremise du projet de loi C-20. Il travaillera avec les Premières nations et la Commission de la fiscalité pour élaborer des statistiques destinées à appuyer le régime d'impôt foncier des Premières nations. Il travaillera avec l'Administration financière et les Premières nations afin de fournir des renseignements fiables en temps opportun pour favoriser l'obtention d'une bonne évaluation du crédit. Il travaillera de concert avec les Premières nations et d'autres institutions pour faire connaître aux investisseurs potentiels les possibilités d'investissement. Il aidera le Conseil de gestion financière et les Premières nations à déterminer quels types d'investissements ils sont davantage en mesure d'attirer. Il travaillera également avec les Premières nations pour accroître la compréhension des statistiques et augmenter la capacité des communautés de les utiliser.

L'Institut aidera à coordonner la collecte des données administratives des Premières nations. En 2002, la vérificatrice générale a déclaré que les exigences en matière de rapports et de données constituaient un important fardeau administratif. La qualité des statistiques sur les Premières nations qui existent en ce moment est mauvaise. L'Institut travaillera en collaboration avec Statistique Canada et les Premières nations afin d'améliorer la qualité, la pertinence et l'actualité des données statistiques.

L'Institut de la statistique des Premières nations jouera le même rôle que les organismes de statistiques provinciaux et territoriaux. Les organismes de statistiques provinciaux ont recours aux données de Statistique Canada et d'autres sources publiques pour appuyer le système de transferts nationaux. Ils utilisent ces données pour faire valoir leurs intérêts dans le cadre de négociations commerciales et de négociations fédérales-provinciales. Ils les utilisent pour faire en sorte que leurs communautés disposent des renseignements nécessaires pour attirer les investisseurs. La création de cet institut rend les règles du jeu davantage égales pour les Premières nations et leur permettra de travailler à partir des mêmes renseignements.

L'Institut aura un rôle à jouer. Il fournira les renseignements dont les Premières nations ont besoin pour établir des systèmes efficaces de gestion financière. Il fournira des données pour appuyer la mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale et pour faciliter l'obtention de financement et d'investissements pour l'infrastructure. Il travaillera de concert avec Statistique Canada afin d'améliorer les données sur les Premières nations.

Bref, il s'agit d'un organisme vital pour les Premières nations et tous les gouvernements. J'aimerais terminer en remerciant tous les sénateurs pour leur appui au projet de loi. Le passage de cette mesure par toutes les étapes au sein du Parlement s'est avéré parfois pénible. J'éprouve aujourd'hui une grande satisfaction à constater l'aboutissement de nos efforts et votre soutien.

M. Strater Crowfoot, président, Commission consultative de la fiscalité indienne : Bonjour, je suis le chef de la nation des Pieds-Noirs, ou la nation Siksika, en Alberta. Nous sommes signataires du traité no 7, la Confédération des Pieds- Noirs.

Je suis ici en raison d'une vision. Mon arrière arrière grand-père, le premier chef Crowfoot, a signé le traité no 7 en 1877. La semaine dernière, on présentait à la télévision une émission à son sujet et sur le rôle important qu'il a joué dans la formation du Canada de façon pacifique. Je lui rends hommage pour la vision qu'il avait d'intégrer son peuple au Canada. Je suis ici pour maintenir cette vision. Je vais poursuivre son travail afin de bâtir un avenir pour notre peuple de façon qu'il puisse faire partie du Canada. Je parle au nom de nos ancêtres qui avaient une vision, c'est-à-dire faire en sorte que l'ensemble de notre peuple fasse partie du Canada, partage ses ressources et participe à part entière à l'économie canadienne. Nous connaissons tous notre triste histoire, notre manque de participation et notre situation précaire.

Hier soir, j'ai passé trois heures avec mon premier petit-fils aux États-Unis, et je devais ensuite prendre un vol de nuit pour venir ici. Je ne voulais pas, mais j'estimais qu'il était important que je sois ici pour appuyer mes collègues et discuter de cette initiative très importante.

Je suis également le président de la Commission consultative de la fiscalité indienne. Je travaille au sein de cette commission depuis 1988 avec le chef Manny Jules, entre autres.

Cette institution est différente des autres en ce sens qu'elle fonctionne depuis 1988 comme une commission. Maintenant, nous partageons la même vision que les autres institutions qui contribueront à modifier la façon dont nous traitons avec le Canada. Au cours des quinze dernières années, la Commission a aidé les Premières nations à adopter plus de 1 000 textes législatifs sur l'imposition. Jusqu'à maintenant, nous avons réuni plus de 300 millions de dollars par l'entremise de l'impôt foncier, qui servent à fournir des services à l'échelle locale.

Je suis ici pour appuyer le projet de loi et en particulier la Commission de la fiscalité des Premières nations. On s'attend au pays à ce que les questions concernant les Premières nations soient toujours exprimées par des avocats et des politiciens, et c'est souvent la langue juridique qui est utilisée. Je ne suis pas un avocat. J'ai une maîtrise en administration des affaires spécialisée en finance et en comptabilité analytique. Aujourd'hui, je veux parler des affaires et non pas du droit ni de la politique. Allons directement au but.

Les Premières nations ont besoin que ce projet de loi soit adopté maintenant. Le prix à payer pour le statu quo est beaucoup trop élevé. En appuyant les institutions indépendantes des Premières nations, le gouvernement montrerait qu'il tient son engagement à l'égard de l'autonomie gouvernementale et de l'amélioration des économies et de la vie des Premières nations. Il nous faut des institutions indépendantes comme la Commission de la fiscalité afin que le marché puisse avoir accès à nos territoires.

Ces institutions offriront aux Premières nations participantes un cadre visant à soutenir l'investissement à partir de la base. Le fait que les Premières nations soient propriétaires de leurs institutions de gouvernance aura pour effet de créer une culture de coopération au sein de nos collectivités. Les institutions indépendantes nous donnent le cadre et l'expertise nécessaires à l'exécution de nos pouvoirs.

Ce cadre institutionnel permettra de libérer des ressources au sein du gouvernement fédéral et des Premières nations. C'est un modèle qui servira à remplacer le ministère des Affaires indiennes par les institutions des Premières nations. Certains sont prêts à cela, mais d'autres ne le sont pas. J'évolue dans le monde de la politique depuis longtemps et j'ai participé à de nombreuses initiatives sur l'autonomie gouvernementale dans le cadre du projet de loi C-115 sur la gestion foncière. Bientôt, nous devrons nous pencher sur le projet de loi concernant la gestion des ressources pétrolières et gazières des Premières nations.

En tant que chef, je suis pris dans une lutte de nature fiduciaire. D'un côté, les Premières nations ne veulent pas changer; elles veulent que l'obligation fiduciaire soit maintenue à jamais pour qu'elles puissent se croiser les bras et déclarer que le Canada doit les faire vivre. Nous essayons de modifier cela. D'un autre côté, certains bureaucrates et politiciens ne veulent pas changer non plus. Ils ne nous font pas confiance et pensent que nous sommes incapables. Nous essayons d'écarter le gouvernement pour faire place à notre peuple. Cette bataille ébranle un grand nombre d'entre nous. On nous critique parce que nous prenons ces mesures.

J'ai participé à l'élaboration de la Loi sur la gestion des terres au début des années 90. Quatorze d'entre nous faisions des pressions pour son adoption. Ceux qui s'y opposaient le plus veulent maintenant faire partie du processus.

Il y a plus de dix ans qu'on travaille à ce projet de loi, donc il a déjà fait l'objet de consultations. Nous avons diffusé l'ébauche de consultation en 2002. Toutes les Premières nations du pays en ont reçu copie, trois fois plutôt qu'une, ainsi que de la documentation supplémentaire. Nous avons tenu des réunions avec les Premières nations intéressées et d'autres intervenants du pays. Nous avons créé un numéro sans frais et cinq sites Web pour effectuer des sondages sur le terrain. Nous avons publié un bulletin. Nous avons envoyé une brochure d'information à toutes les Premières nations du pays. Le chef national de l'époque, Matthew Coon Come, a envoyé des lettres à toutes les Premières nations du Canada pour les informer de l'initiative et les inviter à une assemblée nationale pour en discuter. Depuis, l'APN en a discuté pas moins de six fois.

Depuis que ce projet de loi a été déposé pour la première fois, sous le nom de C-19, nous avons été invités à de multiples réunions locales et avons participé à toutes. Nous avons envoyé par courrier plus de 10 000 trousses d'information comprenant la dernière version du projet de loi, de la documentation à jour, des fiches d'information et un historique de la réaction des médias.

Nous appuyons vivement ce projet de loi, parce que ces institutions contribueront à corriger la cause la plus fondamentale de la pauvreté chez les Premières nations, comme en fait état une étude de Harvard sur le développement des Premières nations aux États-Unis.

Dans le système actuel, il est environ dix fois plus difficile pour une Première nation que pour tout autre acteur de conclure un marché d'affaire. Nous sommes à la merci des bureaucrates. Le système est si laborieux qu'il faut parfois plusieurs années pour qu'un dossier avance.

Avant que le projet de loi C-115 ne soit adopté, j'ai travaillé dans ma réserve à l'établissement d'un centre commercial de 75 000 pieds carrés. Il a fallu beaucoup de temps après l'adoption du projet de loi pour que notre projet voie le jour et il nous en a coûté 500 000 dollars de plus en occasions manquées et en intérêts parce que le processus n'était pas prêt.

Nous ne pouvons financer que le tiers de l'infrastructure que d'autres administrations financent. Chaque dollar investi dans l'amélioration de l'infrastructure attire 30 p. 100 d'investissements commerciaux, comme ailleurs. Est-il vraiment surprenant que nous soyons restés pauvres?

Ces désavantages coûtent au Canada des milliards de dollars chaque année. Ils causent des pertes économiques de cinq milliards de dollars. Au cours des quinze prochaines années, si rien ne change, la pauvreté des Premières nations coûtera au pays environ 160 milliards de dollars.

Le Canada ne peut plus se permettre de continuer ainsi. Les Premières nations sont la composante de la main- d'œuvre canadienne qui connaît la croissance la plus rapide. Si vous ne laissez pas ces institutions faire leur travail, des dizaines de milliers de futurs travailleurs grandiront sans aucun contact avec le commerce et sans expérience de travail positive. Ce projet de loi nous redonne la dignité dans notre propre économie.

J'aimerais dire quelques mots sur l'efficacité des institutions des Premières nations. Lorsque la Commission consultative de la fiscalité indienne a été créée, certains ont prédit qu'il n'y aurait jamais plus de vingt Premières nations qui s'en prévaudraient. Aujourd'hui, plus de cent Premières nations recourent à ses services, et ce chiffre augmente chaque jour. Ces personnes ne comprenaient pas qu'il fallait une institution des Premières nations pour exploiter le potentiel d'une initiative des Premières nations.

Ce projet de loi nous permettra d'en faire encore plus. D'abord, nous allons améliorer les conditions selon lesquelles les Premières nations peuvent utiliser l'impôt foncier pour financer leur infrastructure. Beaucoup de Premières nations seront en mesure de développer une infrastructure commerciale pour la première fois. Avec votre appui, nous allons améliorer l'efficacité des investissements, de la formation et de l'infrastructure. Nous allons veiller à ce que l'investissement et l'infrastructure ne se développent pas au détriment de l'efficacité. Nous allons veiller à ce que les investissements dans la formation et l'infrastructure soient coordonnés. Nous allons veiller à ce que les investissements dans les affaires et l'infrastructure se fondent sur l'optimisation d'un véritable potentiel économique.

Ensuite, nous allons travailler avec les Premières nations pour les aider à attirer plus d'investissements commerciaux. Les Premières nations manquent des occasions d'affaires parce que les décisions sont trop longues à prendre. Elles pourraient éliminer certains des pires goulots d'étranglement de cette bureaucratie excessivement lourde et accélérer le processus décisionnel. Ce projet de loi garantit le respect du pouvoir des dirigeants élus des Premières nations. Avec votre appui, nous voulons créer un mécanisme afin de transférer nos connaissances sur la façon de faire des affaires sur les terres des Premières nations du pays. Ce serait l'organisme de transfert de technologie le plus efficace au pays, parce qu'il mettrait au travail les ressources les plus sous-utilisées du pays.

Notre évaluation préliminaire nous porte à estimer qu'après cinq années d'activité complète, ces institutions auront favorisé la construction d'une nouvelle infrastructure commerciale d'une valeur d'environ 80 millions de dollars. Ces mesures aideront les Premières nations à attirer 218 millions de dollars en nouveaux investissements privés et à créer quelque 3 000 emplois dans les réserves. Au bout de dix ans, nous estimons que nous aurons favorisé l'injection de 329 millions de dollars de plus en infrastructure et de 733 millions en nouveaux investissements, ainsi que la création de plus de 10 000 nouveaux emplois. La création d'institutions indépendantes pour les Premières nations sera l'un des meilleurs investissements publics que le Canada n'a jamais fait.

Le président : Je vous remercie de vos exposés éclairés et bien documentés.

Le sénateur Stratton : Je siège à ce comité depuis un certain temps, et je dois dire que je suis agréablement surpris de voir autant d'enthousiasme en faveur d'un projet de loi. Évidemment, comme il s'agit de votre propre initiative, je m'attendais à ce que vous en parliez en termes positifs. Néanmoins, je m'attendais à ce que vous mentionniez certaines réserves, parce que c'est ce qui me préoccupe le plus.

Ma question s'adresse à M. Calla. Vous avez dit que ce projet de loi était un document vivant. Si j'ai bien compris, on ne prévoit pas d'examen après trois ans, ni après cinq ans. Si c'est bien un document vivant comme vous le dites, ne vous attendriez-vous pas à ce qu'il soit revu après trois ou cinq ans? Si vous souhaitez des changements importants à la loi dans l'avenir, comment croyez-vous pouvoir les mettre en oeuvre?

M. Calla : C'est une bonne question. Ce projet de loi prévoit une révision la septième année, mais il devrait pouvoir y en avoir une avant cela, et nous réfléchissons déjà aux façons de le faire.

J'ai effectivement dit qu'il s'agissait d'un document vivant. En fait, nous nous attendons, au fur et à mesure que de nouveaux débouchés s'offriront à nous grâce aux pouvoirs de réglementation de certaines de ces institutions, à revenir vous voir pour que la portée de la loi soit élargie en fonction des besoins des Premières nations qui veulent embarquer.

Le sénateur Stratton : Avez-vous effectué une étude de faisabilité? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous en remettre copie?

M. Calla : À ma connaissance, notre groupe n'a pas effectué d'étude de faisabilité. Notre Première nation Squamish se répartit du centre-ville de Vancouver au nord de Whistler. Pendant 60 ans, nous avons loué des terres en plein centre-ville de Vancouver, ce qui nous a mené à nous occuper de la gestion de terres, de fiscalité et d'infrastructure pendant longtemps.

Je vais vous donner un exemple. En 1964, la Nation Squamish a réussi à signer avec le ministère un bail immobilier pour la création du Centre commercial de Park Royal South. Je ne sais pas comment elle a réussi ce tour de force à l'époque. Je lui lève mon chapeau, parce que cela a dû être une tâche presque insurmontable.

En 2006, la Nation Squamish va ouvrir un centre commercial à l'extrémité nord du pont Second Narrows, et nous allons en être propriétaires. Nous n'étions que locateurs en 1964. Voilà à quoi serviront les pouvoirs que la future loi. Pour ce qui est de la faisabilité, il suffit de pouvoir mettre en place une infrastructure et la financer, et il faut avoir accès à du financement. Je sais que vous allez entendre des témoins sur la question du financement. C'est certainement la clé dans ce dossier. Si nous pouvions mettre en place une infrastructure de façon abordable, nous créerions des occasions de développement économique plutôt que de demeurer des spectateurs qui louent des terres. Nous pourrions participer pleinement et employer des gens. C'est l'essence même de ce projet de loi. D'après moi, c'est sa faisabilité.

Nous avons réussi à le faire à Squamish pour un projet, celui du Real Canadian Superstore. Nous avons pu construire sur ces terres parce que nous avions des revenus autonomes et que nous pouvions aller à la banque pour emprunter un million de dollars pour l'infrastructure. Beaucoup de Premières nations n'ont pas cette chance, mais ce projet de loi leur en donnera les moyens. Cet exemple en lui-même sert d'analyse de rentabilisation à mon avis, monsieur le sénateur.

Le sénateur Stratton : Ne vous méprenez pas, j'appuie avec beaucoup d'enthousiasme ce projet de loi, parce qu'il vous donne de l'indépendance et que c'est le plus important pour nous tous. Je vous remercie de votre participation ici aujourd'hui et je vous souhaite beaucoup de succès.

Le président : J'ai lu le projet de loi et j'ai constaté que même si l'on s'efforce d'éloigner le gouvernement pour que les Premières nations deviennent indépendantes dans notre pays, le gouvernement fédéral exerce encore beaucoup de contrôle par ses diverses commissions, la commission de la fiscalité, le conseil de gestion financière et les nominations du gouverneur en conseil. Le seul organisme auquel les Premières nations sont représentées est le conseil d'autorité financière, dont les Premières nations nomment les membres du CA. Selon votre perception du régime dans son ensemble, prévoyez-vous que les Premières nations en viennent un jour à détenir le pouvoir sur tous les aspects du régime établi?

M. Calla : Cette question nous renvoie au partenariat qui existe entre le Canada, le ministère et les promoteurs jusqu'ici et à l'exemple vivant de la Commission consultative de la fiscalité indienne, qui existe depuis 1988. Il faut nous assurer que le Canada a les mécanismes qu'il faut pour surveiller lui-même toutes ces institutions, parce qu'elles vont être financées avec l'argent des contribuables. Nous sommes dans un partenariat de coopération. Nous avons accepté, et en avons fait grand cas, les garanties que nous ont données les divers ministres et le ministère au cours de nos travaux que dès le départ, ces institutions se composeront à la majorité de membres des Premières nations et qu'elles seront présidées par des gens des Premières nations. Dans le contexte actuel, il y a fondamentalement une nouvelle attitude quant à la façon de construire une nouvelle relation entre le Canada et les Premières nations. Celle-ci doit se fonder sur la confiance des deux côtés.

Nous avons confiance que le Canada honorera les obligations qu'il a prises envers nous, et nous n'avons aucune raison de croire qu'il ne le fera pas, peu importe qui est au pouvoir. Nous acceptons la responsabilité de prouver que nous sommes capables de créer des institutions compétentes et fiables. Le temps viendra où il faudra faire une révision pour envisager d'autres mécanismes, mais pour l'instant, c'est un environnement de travail acceptable pour nous.

Le président : Bon nombre d'entre nous ici pouvons voir les avantages de l'établissement d'un tel régime. Pouvez- vous nous dire quelques mots sur le processus que vous appuyez vigoureusement au Canada? Vous voyez les avantages de ce processus, vous avez une expérience des affaires et vous comprenez l'avantage d'établir un tel régime. Pourquoi d'autres Premières nations ne l'appuieraient-elles pas autant que vous? Nous savons que certaines s'y opposent, et nous aurons l'occasion de les entendre plus tard dans nos délibérations sur le projet de loi, mais pouvez-vous nous donner votre avis, s'il vous plaît?

M. Calla : Au cours des derniers jours, j'ai eu l'occasion de côtoyer certains de nos opposants les plus virulents à l'occasion de l'assemblée de l'Association des agents financiers autochtones du Canada, qui s'est tenue à Toronto la semaine dernière, de même que lors de discussions tenues pendant un souper du Conseil canadien de promotion des entreprises autochtones. Beaucoup de gens ont parlé d'un fossé politique et ont prétendu que c'était l'article 35 ou rien. Toute mesure prise pouvant être vue comme une mesure provisoire est considérée comme un manège visant à détourner l'attention du gouvernement du problème des droits prévus à l'article 35. De plus en plus de Premières nations, comme le montrent les cent Premières nations retirant des revenus fonciers, ne sont pas prêtes à regarder passer une occasion parce que certains veulent que l'entité qu'on appelle le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord, qui détient le devoir fiduciaire, se plie et ramasse les billets de 100 $ qui passent devant nous dans la rivière. Nous voulons que cela cesse, et nos collectivités ne permettront pas que la situation perdure. Nous sommes d'accord pour dire que les droits de l'article 35 doivent être examinés et nous serions ravis d'avoir l'occasion de le faire, mais il faudrait alors beaucoup plus de coopération que celle des cinq d'entre nous qui sommes assis à cette table. Il faut la participation de tous les secteurs du gouvernement et des provinces. Nous ne pouvons pas et ne serons pas pris en otage par ces occasions. Comme M. Crowfoot l'a dit, il faut prendre conscience du fait que de dix à vingt Premières nations du pays bénéficieraient de la modification des Kamloops au projet de loi C-115. Il y a maintenant plus de 100 Premières nations dans chaque province.

Il y aura d'autres changements législatifs à apporter, et notre grand défi consistera à veiller à ce que les Premières nations aient les ressources et les pouvoirs nécessaires pour devenir comme les cinq Premières nations représentées à cette table. C'est notre objectif. L'opposition, monsieur le sénateur, vient des Premières nations qui ne voient pas ce changement arriver. Comment peuvent-elles en arriver à partager les revenus tirés des ressources et à ne pas dépendre complètement de la générosité des crédits parlementaires pour financer le développement économique et régler les problèmes d'égalité sur le plan de la concurrence? La grande raison, c'est qu'elles ont peur du changement et qu'elles craignent que les obligations découlant de traités et les droits des Autochtones ne soient pas respectés.

Ce n'est pas notre perception ni l'expérience que nous vivons à Squamish. En fait, nos contributions du Canada ont augmenté parce que nous sommes plus organisés et que nous sommes de meilleurs gestionnaires. Nous voyons une synergie dans cette collaboration avec le gouvernement au fur et à mesure que ces initiatives avancent. D'autres ne voient pas ce potentiel. Nous devons tous travailler encore plus fort pour que les autres atteignent le même point que nous.

M. Crowfoot : Toujours au sujet de l'opposition, pourquoi y a-t-il quatre partis au gouvernement? Il y a de l'opposition partout; c'est la même chose de notre côté. Il y a plus de 6 000 membres dans ma tribu, et ils y en a qui s'opposent à tout ce que je fais. Je suis un imbécile si je fais telle chose et je suis un imbécile je ne la fais pas, donc je vais la faire. Je ne vais pas rester là sans rien faire, parce que le prix à payer est trop élevé. À l'âge de 32 ans, j'ai été le plus jeune grand chef que les Blackfoot n'ont jamais eu. Dans les années qui ont précédé, j'ai travaillé au développement économique et à la gestion des ressources de ma tribu. J'entendais les gens parler du moment où nous aurions l'autonomie gouvernementale; c'était toujours « un jour ». J'ai été élu grand chef à 32 ans, et je leur ai dit que s'ils voulaient l'autonomie gouvernementale, nous devions en parler. J'ai passé six ans à en parler. Nous avons tenu 600 réunions de consultation dans ma collectivité, à Calgary et ailleurs. Nous en avons parlé et vous savez quoi? Ils ont peur. Ils ne veulent pas de l'autonomie gouvernementale et ne sont pas prêts à l'avoir. Je leur ai dit que nous l'aurions un jour ou l'autre, et voilà que le projet de loi C-7 est arrivé, tout comme je l'avais prévu au début des années 90. Soit nous le faisons pour nous mêmes, soit le gouvernement le fera pour nous d'une façon ou d'une autre. C'est la mentalité des agents autochtones : on va s'occuper de vous. Cette initiative correspond à notre vision et à notre objectif. Nous savons ce que nous voulons, donc tassez-vous. Je ne veux offusquer personne, mais nous devons aller de l'avant, parce qu'il nous en coûte trop cher; il nous en coûte 95 000 dollars par jour.

Le président : D'après ma propre expérience du gouvernement dans le Nord, je pense que l'autonomie gouvernementale est parfois romancée et qu'elle incarne une chose souhaitable. Cependant, elle exige énormément de travail acharné dans la réalité. Cela dit, elle est souhaitable et nécessaire à long terme.

Le sénateur Watt : Monsieur Calla, dans la foulée de la question que j'ai posée au ministre, comment voyez-vous la garantie?

M. Calla : Je vous remercie de cette question, sénateur. Je craignais un peu qu'on suggère que si quelque chose devait clocher dans la collectivité, l'entreprise serait appuyée par ce projet de loi. L'enjeu n'est pas le succès ou l'échec des activités commerciales dans une collectivité de Premières nations autonome. Cependant, l'infrastructure nécessaire pour créer des débouchés commerciaux sera financée par l'autorité financière des Premières nations, soit par des Premières nations comme nous, qui seront prêtes à participer à un fonds commun. Par le fait même, nous allons apporter la force des plus grandes Premières nations à ce fonds, pour permettre aux collectivités des Premières nations d'obtenir le financement qu'elles ne pourraient pas trouver autrement.

La garantie constitue un engagement. J'ai souvent dit que je m'attends à ce que le premier engagement qu'on va prendre à Squamish se fasse, selon la tradition, dans notre longue maison. Nous allons convoquer des témoins, expliquer aux gens en quoi consiste l'engagement et leur dire que tout le monde s'attend à ce que nous respections nos obligations. Dans notre tradition, une partie de la responsabilité qui incombe aux témoins que nous convoquons consiste à rappeler à la communauté les responsabilités que nous avons convenu d'assumer. En ce sens, le Conseil de gestion financière des Premières nations joue le rôle de témoin. Il verra à ce que chacun s'acquitte de ses obligations.

Les outils que nous avons élaborés vont être à la hauteur et j'ai dû en avoir moi-même l'assurance avant de retourner dire à mon conseil et à ma communauté que c'est une bonne chose. La Municipal Finance Authority de la Colombie-Britannique, qui s'inspire de ce modèle, n'a connu aucun échec au cours de ses 40 années d'existence.

Des problèmes sont survenus en cours de route, mais on les a toujours réglés. Dans ce cas, le conseil de gestion financière s'est engagé à chercher une solution coopérative avec la communauté, et c'est ce qui se produira ici.

Donc, la disposition de responsabilité prévue dans le projet de loi renforce les mécanismes entre la commission de la fiscalité et l'administration financière, et le conseil de gestion financière offre la certitude nécessaire aux Premières nations que la disposition de responsabilité ne sera pas invoquée parce que la solution se trouve dans l'assiette fiscale collective de toutes les Premières nations qui participent au fonds commun et dans la force économique de l'ensemble de ces Premières nations.

Le sénateur Watt : Je crois que la Loi sur les Indiens comporte une disposition selon laquelle le conseil ou l'investisseur ne peut pas prendre le contrôle. Si une entreprise échouait, cette disposition s'appliquerait. Est-ce que c'est votre point de vue?

M. Calla : Oui. Je le répète, il n'y a pas de lien entre l'investisseur et la bande. Les liens se situent entre l'investisseur et l'administration financière, puis entre cette dernière et la bande. Ce sont les seules recettes fiscales foncières à l'égard desquelles le conseil de gestion financière peut intervenir pour assurer le remboursement de la dette. C'est le seul cas.

Le sénateur Léger : Monsieur Calla, si je comprends bien, vous avez commencé votre exposé en disant à quel point vous appréciez le comité sénatorial. Permettez-moi de dire que c'est réciproque. J'estime que les témoins que nous avons entendus aujourd'hui sont extraordinaires. J'abonde dans le sens de M. Crawford qui a souligné que vous bâtissez le Canada d'une manière pacifique. Je crois que vous êtes les précurseurs de tout ce qui s'annonce, les différences, la mondialisation et ainsi de suite.

Madame Hamilton, cela m'intrigue, mais avez-vous dit que parmi les membres de l'administration financière, il y en avait un de la Nouvelle-Écosse et quatre de la Colombie-Britannique? C'est intéressant, car vous avez dit que ceux qui s'y opposaient venaient de là, mais on constate la présence d'un lien.

Mme Hamilton : C'est juste. Nous avons commencé surtout en Colombie-Britannique, parce que c'est là en quelque sorte que ce genre de régime foncier a vu le jour; on avait une assiette fiscale foncière qui nous permettait d'envisager des moyens d'en tirer parti. C'est d'abord l'inspecteur des contributions directes de Westbank, en l'occurrence moi- même, qui me suis penché sur les raisons pour lesquelles cela ne fonctionnerait pas et sur les mesures qu'on devrait prendre pour se doter des outils du genre de ceux dont disposaient les gouvernements qui nous entouraient. Nous n'avions pas d'argent pour le faire, donc nous avons en quelque sorte regroupé les gens qui étaient là après les deux conférences nationales et tous se sont rendu compte qu'il s'agissait d'un problème national. Nous nous sommes demandé comment nous pouvions envisager cela alors que nous n'avions pas le financement nécessaire. Essentiellement, ce groupe a demandé à la nation de Westbank de le faire.

Au fur et à mesure qu'on a commencé à mettre en place des régimes d'impôts fonciers, d'autres communautés qui percevaient des impôts sont venues assister aux réunions des administrateurs du régime fiscal en Colombie- Britannique, ce qui nous a permis de rencontrer des gens provenant d'autres régions du pays. Un de nos membres vient de la Nouvelle-Écosse, et d'autres provinces sont maintenant aussi représentées. Nous avons la possibilité, au sein de l'Administration financière des Premières nations, d'avoir entre cinq et onze administrateurs qui, avec le temps, vont venir, je suppose, de partout au pays.

Le sénateur Léger : De quatre à cinq, vous passez déjà à cent; et MM. Beessette et Crowfoot ont indiqué que certains venaient de l'Ontario et de Calgary en Alberta. C'est le point que je voulais faire valoir, et je tiens à vous remercier.

M. Bressette : Merci. En 1972, la bande de Kettle et Stony Point a établi un processus fiscal, donc le domaine des impôts fonciers ne nous est pas étranger. Cette initiative s'est présentée et nous nous sommes tout de suite montrés intéressés parce que l'Ontario ne nous offrait pas cette possibilité, dû au fait qu'on s'oppose fortement à la perception d'impôt par les Premières nations en Ontario. Nos gens se sont impliqués dans ce dossier parce qu'en 1972, la municipalité locale percevait des impôts auprès des personnes qui habitaient sur notre territoire sans qu'on en retire des bénéfices.

Le gouvernement fédéral ne vérifiait pas si d'autres groupes percevaient des impôts fonciers sur les terres de réserve, ce qui, à mon avis, constituait à l'époque une infraction à la loi; mais cela s'est fait. Donc, nous nous sommes intéressés à l'imposition foncière et nous l'avons appuyée, et je crois que c'est aussi le cas ailleurs au pays. Il ne fait aucun doute que ce qui nous arrive se produit également dans les communautés où la municipalité locale perçoit des impôts fonciers. Les gens qui habitent sur les territoires des Premières nations utilisent les services que les contribuables paient parce que, sur le plan de l'imposition, ils se trouvent en zone neutre. Automatiquement, il faut tenter d'obtenir un dédommagement pour les services offerts; donc, c'est ainsi que les choses ont commencé, à mon avis.

À l'époque, notre chef a dit qu'il ne pouvait pas rester sans rien faire et qu'il ne voyait pas pourquoi la municipalité devait lever des impôts sur nos terres. Elle réclamait de l'argent pour des serices que nous fournissions à l'époque. La question était de savoir si on voulait aller de l'avant et régler le problème ou regarder quelqu'un d'autre s'enrichir grâce à nos terres.

Le projet de loi se heurte à beaucoup d'opposition en Ontario, et c'est surtout parce que les Ontariens croient qu'il y a des négociations à propos des traités. J'ai parlé des recettes de toutes les ressources que nous avons accepté de partager. Nous ne les avons pas toutes cédées collectivement en disant : « Voilà, elles sont toutes à vous . Nous voulons seulement ce que nous possédons sur cette petite partie de terre de réserve que vous reconnaissez. »

Notre peuple et nos aînés nous ont souvent dit que nos terres vont bien au delà de l'endroit où nous vivons. Nous avons accepté de partager. Je crois que les témoins qui vont probablement faire valoir le point de vue opposé estiment que leur part n'est pas satisfaisante. La question du partage des recettes provenant des ressources n'est pas réglée et nous n'obtenons pas notre part des terres traditionnelles.

Lorsque vous dites que la situation ne les satisfait pas dans les régions éloignées du Nord, je suis d'avis contraire. Si on trouve des diamants dans une réserve, on peut maintenant prélever des impôts, alors que ce n'était pas le cas auparavant. Les gouvernements fédéral et provincial vont le faire, mais il faut régler la question du partage des recettes provenant des ressources de façon satisfaisante pour tous, car ainsi les gens vont connaître la formule d'imposition et savoir à quoi s'en tenir.

Cela permettrait dans une large mesure de répondre à certaines des sérieuses questions qui sont soulevées. Je sais que vous avez demandé pourquoi certains n'étaient pas favorables au projet de loi. C'est précisément la raison pour laquelle ils s'y opposent. Ils ne savent pas quelles sont les ressources inexploitées ou l'incidence qu'elles vont avoir.

Les réponses à ces questions ne semblent pas très valables, mais c'est ce que d'autres pensent. Tout ce qu'on tente de faire, c'est de créer un système et une structure de façon à ce que l'autonomie gouvernementale puisse se concrétiser. Sans la présence d'institutions, comment allons-nous parvenir à nous gouverner si on ne sait pas comment fonctionne une structure de gouvernance?

Nous tentons de combler une lacune, qui est considérable je l'admets, mais c'est un début. Nous espérons que les choses vont bouger et qu'on va obtenir l'appui du gouvernement, parce que nous devons unir nos efforts.

M. Crowfoot : Je veux qu'on comprenne bien la question de l'imposition. Oublions le projet de loi et notre pays le Canada qui est jeune. Avant l'arrivée des Européens, les Premières nations percevaient des impôts entre elles. Ma Première nation, c'est-à-dire la Confédération des Pieds-Noirs, occupait une bonne partie de l'Ouest canadien et s'est également établie dans les États de l'Idaho, du Montana, du du Dakota du Nord et du Dakota du Sud. C'était notre territoire. En tant que Premières nations, nous passions d'un territoire à l'autre. On nous payait tribut sous forme d'impôts. Si nous voulons aller en Colombie-Britannique pour pêcher le saumon, nous faisons des échanges et nous payons une contribution pour avoir accès à ce territoire qui ne nous appartient pas. L'imposition n'a rien de nouveau pour nous. Elle existe depuis des milliers d'années. Les gens qui s'y opposent actuellement n'ont pas une bonne compréhension de l'histoire. Je ne peux pas dire à un Mohawk qu'il ne peut pas exiger son dû si quelqu'un traverse son territoire, car c'est son affaire. La situation est la même à l'échelle du pays. L'imposition n'a rien de nouveau. On paie une contribution pour occuper ou utiliser le territoire de quelqu'un. Ceux qui s'y opposent ne comprennent pas leur histoire.

Le président : Sur ce, nous devons mettre un terme à la séance. Je remercie le groupe sélect d'experts qui ont comparu devant nous aujourd'hui.

Je tiens également à remercier les gens du public qui sont venus assister à titre d'observateurs aux délibérations de matin. Merci. Vous contribuez à faire en sorte que le travail du Sénat semble intéressant et utile, et je vous en remercie.

La séance est levée.


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