Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 6 - Témoignages du 3 mai 2005
OTTAWA, mardi 3 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, chargé d'étudier la teneur du projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, se réunit aujourd'hui à 9 h 32.
Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à tous, et en particulier au sénateur Dyck, qui est une nouvelle venue au comité. Nous sommes ici aujourd'hui pour étudier le projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada. Nous entendrons deux témoins : Mme Maureen McPhee, qui est directrice générale de la Direction générale de l'autonomie gouvernementale à Affaires indiennes et du Nord Canada, et M. Allan Cracower, du ministère de la Justice. Bienvenue.
J'espérais que le parrain du projet de loi, le sénateur St. Germain, serait ici pour nous le présenter.
Le sénateur Gustafson : Il va venir.
Le président : Nous lui donnerons la parole quand il arrivera. Entre temps, nos témoins vont nous faire leur déclaration.
Mme Maureen McPhee, directrice générale, Direction générale de l'autonomie gouvernementale, Affaires indiennes et du Nord Canada : Monsieur le président, je suis heureuse d'être ici.
[Français]
Il me fait plaisir de présenter le point de vue du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sur la teneur du projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des premières nations du Canada.
[Traduction]
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien s'est toujours fait un ardent partisan de l'identification et de l'élaboration de nouvelles approches visant à favoriser et à promouvoir l'autonomie gouvernementale, ce qui représente le but principal de ce projet de loi. Nous savons qu'il existe diverses stratégies possibles pour accélérer la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale au Canada. Le gouvernement du Canada a d'ailleurs discuté de certaines de ces approches dans le contexte des travaux de suivi continus découlant de la Table ronde Canada - Autochtones.
Nous attendons avec impatience les idées et les recommandations qui émergeront de l'étude du Sénat et nous sommes confiants que les travaux du comité sauront éclairer nos discussions futures avec nos partenaires autochtones sur ces questions.
[Français]
Les défis que doivent relever les peuples autochtones au Canada comptent parmi les problèmes les plus troublants de notre époque. Le règlement de ces problèmes exigera une collaboration véritable, des consultations franches et des actions concertées.
[Traduction]
Le but visé par le projet de loi, c'est-à-dire accélérer la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale, fait clairement partie de la solution. Le lien entre une plus grande autosuffisance et une gouvernance responsable dans les collectivités des Premières nations a maintes fois été démontré. Une autonomie gouvernementale efficace permet aux collectivités d'orienter le développement économique et d'améliorer les services sociaux et l'infrastructure matérielle, et ce, en fonction de leurs propres besoins.
Le nombre de groupes autochtones jouissant de l'autonomie gouvernementale continue de croître. Tout récemment, le Parlement a conféré d'importants pouvoirs et responsabilités juridiques à deux Premières nations, les Tlicho et les Westbank. Jusqu'à présent, le gouvernement du Canada a conclu 20 ententes contemporaines sur les revendications territoriales, environ 45 collectivités inuites et des Premières nations ont négocié des ententes sur l'autonomie gouvernementale, et environ 80 autres collectivités ont ratifié des ententes de principe à ce sujet.
Malgré la réalisation de progrès considérables, le rythme du changement est lent. De nouvelles approches à l'endroit de la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale, notamment une mesure législative, pourraient accélérer les progrès et produire sans tarder des améliorations essentielles à la qualité de vie dans les collectivités des Premières nations.
Quelle forme prendrait donc une loi permettant de reconnaître l'autonomie gouvernementale, et de quelle façon faudrait-il l'élaborer? Ce sont des questions importantes. Par exemple, une loi de reconnaissance pourrait permettre à des groupes autochtones spécifiques d'avoir accès à une série de pouvoirs fondamentaux normalisés sans avoir à entreprendre des négociations détaillées.
[Français]
Pour répondre à la question de son élaboration, il est évident qu'elle nécessite la pleine participation des peuples autochtones, des gouvernements provinciaux et territoriaux et du grand public. Elle devra se fonder sur les résultats d'un exercice de consultation exhaustive.
[Traduction]
Dans ce contexte, monsieur le président, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a des préoccupations en ce qui concerne le projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada.
Même si le ministère appuie l'objectif général du projet de loi, nous croyons que les Premières nations, les gouvernements provinciaux et territoriaux et le grand public devront avoir la chance de faire des commentaires utiles puisque les changements proposés sont si importants.
Le projet de loi S-16 conférerait aux Premières nations le pouvoir d'adopter des lois dans des domaines de compétence provinciale, comme l'éducation en dehors des réserves et la protection des enfants. Nous sommes d'avis qu'une telle disposition législative, dans une loi fédérale, n'est pas conforme à la Constitution et qu'elle laisse aussi entendre que le gouvernement du Canada cherche à diminuer ou à affaiblir certains des pouvoirs conférés aux provinces et aux territoires.
Les dispositions du projet de loi S-16 accordant le pouvoir d'adopter des lois pourraient nuire davantage aux Premières nations que les aider. Les provinces et les territoires pourraient les poursuivre devant les tribunaux et, en définitive, remettre en question la légitimité des compétences des Premières nations. Ces poursuites pourraient menacer la stabilité des gouvernements des Premières nations les mieux établis et susciter l'incertitude des commettants. Une telle situation engendrerait des relations amères entre les membres des Premières nations et les autres Canadiens. Elle pourrait aussi saper une grande partie de la bonne volonté qu'a favorisée la Table ronde Canada - Autochtones.
Nous nous inquiétons également des dispositions du projet de loi S-16 portant sur la désignation des terres autochtones. Essentiellement, en vertu de cette loi, une Première nation pourrait désigner un territoire qu'elle acquiert comme étant « des terres autochtones » une fois qu'elle aurait obtenu l'aval d'une majorité des électeurs admissibles. Le projet de loi S-16 ne tient aucunement compte du fait que la plupart des terres qui seraient en cause relèvent de la compétence provinciale. Là encore, les relations fédérales-provinciales en subiraient les conséquences.
Le projet de loi S-16 habilite également les Premières nations à adopter des lois portant sur divers domaines de compétence fédérale et provinciale, comme l'administration des tribunaux. Le projet de loi accorde le pouvoir d'adopter d'autres lois sans toutefois définir clairement l'étendue de ce pouvoir.
Les questions de financement et de mise en oeuvre constituent à notre avis un autre sujet de préoccupation important. Même si les répercussions de cette loi sur le plan financier sont énormes, la question reste entière : qui va défrayer les coûts de l'autonomie gouvernementale?
Ce manque de certitude entourant les questions financières se traduirait par l'un ou l'autre de deux scénarios. Le premier verrait le Canada assumer l'entière responsabilité financière de l'autonomie gouvernementale des Premières nations. Une telle situation exercerait des pressions immenses sur le budget fédéral. Dans le second scénario, les Premières nations s'acquitteraient en grande partie de cette responsabilité financière, ce qui aurait pour effet d'empêcher les Premières nations moins bien nanties de profiter des avantages prévus dans le projet de loi.
[Français]
Tous ces problèmes servent à démontrer qu'un effort de collaboration est nécessaire à l'ébauche de solutions efficaces, complètes et durables aux défis qui se posent aux Premières nations. Une telle initiative exige une participation directe des Autochtones ainsi que des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. C'est une approche de collaboration que nous avons adoptée lors de la table ronde Canada-Autochtones.
[Traduction]
Instauré il y a un peu plus d'un an, le processus historique de la Table ronde a regroupé des douzaines de ministères et d'organismes fédéraux, ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les organisations autochtones. Les autochtones ont participé directement aux discussions relatives aux politiques portant sur les problèmes auxquels ils font face. Ensemble, les représentants autochtones et gouvernementaux ont discuté des possibilités d'action dans les domaines de l'apprentissage continu, de la santé, du logement, des possibilités économiques, de la responsabilisation et des négociations.
La nécessité d'accélérer la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Autochtones du Canada compte parmi les nombreuses questions importantes soulevées dans les séances sectorielles sur les négociations. Les participants ont discuté de diverses stratégies visant l'atteinte de cet objectif, notamment une loi sur la reconnaissance. Nous avons bien hâte de rallier nos partenaires autochtones, lors d'un prochain exercice, dans le règlement des diverses questions soulevées. Des membres du comité du Cabinet chargé des affaires autochtones et des dirigeants autochtones de partout au pays participeront à cet exercice. Cette rencontre permettra aux participants d'examiner les résultats de toutes les séances de suivi, y compris la question de l'autonomie gouvernementale. Les discussions porteront aussi sur les étapes à suivre pour aller de l'avant.
Comme nous avons pu l'observer pendant le processus continu de la Table ronde, ce n'est qu'en adoptant une approche globale de consultation et de coopération que nous pourrons élaborer et implanter des solutions efficaces aux problèmes des Autochtones. Seule une étroite collaboration nous permettra de déterminer les outils et les mécanismes appropriés, comme l'autonomie gouvernementale, et d'en garantir l'accessibilité. Nous pensons que c'est uniquement grâce à des efforts concertés et à une conciliation honnête que nous pourrons créer les conditions nécessaires à une plus grande prospérité pour les Autochtones.
Une étude attentive, approfondie et éclairée de la teneur du projet de loi S-16, comme celle qu'a entreprise votre comité, représente une partie essentielle de ce processus. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup. Nous passerons aux questions quand M. Cracower aura terminé sa déclaration.
M. Allan Cracower, conseiller juridique, Revendications globales et affaires du Nord / Autonomie gouvernementale et orientation stratégique, ministère de la Justice Canada : Je n'ai pas de déclaration à faire. Je voudrais cependant profiter de l'occasion, puisque j'ai eu le privilège de travailler pendant dix ans dans le domaine du droit autochtone, pour féliciter le sénateur St. Germain et les autres responsables de cette importante initiative.
Vous conviendrez sûrement que, compte tenu de l'obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones, il est essentiel que les objectifs d'autonomie gouvernementale visés par la Couronne à leur égard soient louables, mais aussi qu'ils soient atteints de manière pratique et parfaitement défendable sur le plan juridique. C'est dans cette perspective que vont se situer mes commentaires ce matin.
Le président : Il serait prudent de laisser au sénateur St. Germain la chance de dire quelques mots puisque c'est son projet de loi.
Le sénateur St. Germain : J'aurais bien aimé recevoir les mémoires de nos témoins à l'avance. Nous aurions ainsi été mieux placés pour y répondre, monsieur le président. Je comprends que le ministère ne soit pas très content qu'une autre instance propose une loi habilitante, mais il aurait été indiqué qu'il nous fasse au moins connaître son point de vue.
Cela dit, je suis content que vous soyez ici. Merci de votre déclaration.
En deux mots, nous essayons d'établir une façon plus efficace d'accélérer les choses pour nos peuples autochtones. La situation s'améliore. Des changements importants se sont produits dans le domaine de l'autonomie gouvernementale depuis le début des années 80. Nous traitons cependant avec nos Autochtones presque tous les jours, et nous savons que le processus, sous sa forme actuelle, est lourd et coûteux. C'est pourquoi les nations autochtones elles-mêmes nous ont demandé de préparer cette mesure législative. Plusieurs ont étudié attentivement ce projet de loi, qui mettra en place un cadre et un mécanisme donnant au gouvernement fédéral le fondement législatif nécessaire pour reconnaître les Premières nations, ainsi que les droits et les pouvoirs de leurs gouvernements, de leurs institutions et de leurs autres instances.
Tout comme les Autochtones, nous cherchons des moyens d'éviter de passer dix ans à négocier. Mme McPhee a décrit certains des écueils relatifs aux relations fédérales-provinciales. Les Premières nations autochtones qui recherchent ce genre de loi habilitante ont une assise territoriale établie, ce que ne reconnaît pas le gouvernement par son attitude paternaliste. Il y a certainement place pour des négociations. Il reste de nombreuses revendications à régler. Certains pensent que l'attitude paternaliste du gouvernement fédéral les empêche, dans bien des cas, de réaliser leur plein potentiel économique, et c'est la raison pour laquelle ce projet de loi a été déposé.
Je ne suis pas le premier à présenter une proposition de ce genre. C'est le sénateur Twinn, de Slave Lake, dans le nord de l'Alberta, qui a lancé le processus. Après son décès, de nombreux groupes autochtones de l'Alberta et de la Saskatchewan ont voulu continuer, de façon à accélérer les choses, à réduire les coûts et à pouvoir passer ensuite à autre chose.
C'est dans cet esprit que le projet de loi a été conçu. Sa première version n'était pas acceptable, pour différentes raisons. Nous avons effectué une étude relativement approfondie et nous avons essayé de refléter dans ce projet de loi plusieurs des accords en vigueur.
Je ne pense pas qu'il y ait de solution miracle pour régler ce problème, mais je suis convaincu qu'il faut adopter des mesures législatives offrant à ceux qui sont en mesure d'en profiter un outil qui leur permettra de clore ce dossier et de passer à autre chose. C'est le but que nous recherchons.
Nous n'avons pas d'objectifs cachés. Nous venons de ratifier l'accord tlicho. L'accord avec les Nisga'a a pris 20 ou 30 ans à conclure. Nos peuples autochtones méritent mieux que cela. Ils méritent d'avoir la possibilité, s'ils le désirent, de passer à autre chose beaucoup plus rapidement. C'est ce que vise le projet de loi.
J'ai travaillé avec des gens qui connaissent très bien la question. C'est la raison pour laquelle j'aimerais examiner ce que le gouvernement a présenté aujourd'hui et, peut-être, demander aux fonctionnaires du MAINC de revenir si c'est possible.
Mme McPhee : Comme nous l'avons indiqué, nous pensons que l'idée d'une loi sur la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale mérite d'être examinée. Nous étudierons avec intérêt les résultats des travaux de votre comité. Nous n'avons aucune objection de principe à l'adoption d'une loi de ce genre.
Le sénateur St. Germain : Ce qui m'inquiète, c'est qu'une foule d'études très longues ont déjà été réalisées. Il y en a toute une liste.
Il faut être juste. Le sénateur Sibbeston et moi revenons du Nord, et nous savons que l'autonomie gouvernementale, et la possibilité de l'obtenir pour les peuples autochtones, est certainement un pas dans la bonne direction dans bien des cas. Les Inuvialuits et les Gwich'in font des progrès. Les Inuvialuits sont très avancés. Ils jouissent de l'autonomie gouvernementale depuis 1982.
Les Dogribs, les Tlichos et les communautés du Sahtu vivent également dans cette région. Je ne suis pas resté longtemps dans le Sahtu, mais nous avons passé pas mal de temps avec les Tlichos et les Dogribs. Ces gens-là s'affirment de manière positive.
Si nous nous lançons dans une autre grande étude, nous en serons encore au même point dans des années. Je trouve encourageant que vous jugiez qu'une loi habilitante représente un pas dans la bonne direction, mais comment arriver au but? Voilà ma question. Comment pouvons-nous accélérer les choses?
Nos peuples autochtones ont une vingtaine d'années de retard sur le reste de la société canadienne dans le domaine de l'éducation. Comment peuvent-ils se rattraper? On constate clairement que, quand ils prennent en main l'administration de leurs affaires, leur vie commence à s'améliorer. Et pas seulement au Canada. C'est ce qui se passe également aux États-Unis. À cet égard, le professeur Stephen Cornell a comparu devant notre comité. Il a déclaré que, dès qu'ils prennent leurs destinées en main, leur vie commence à s'améliorer.
C'est facile de critiquer. J'ai déjà critiqué moi-même le MAINC. Mes critiques n'étaient pas dirigées contre les individus, parce qu'il y a des gens exceptionnels — comme vous — au ministère, mais c'est la nature même du ministère qui est paternaliste. Il est difficile, pour certaines bandes autochtones, de mettre en place ce dont elles ont besoin pour progresser. C'est ce qui nous a poussés à présenter ce projet de loi.
Comme je l'ai dit aux Libéraux, ce n'est pas une question partisane. Je ne tiens pas à ce que mon nom soit associé à cette proposition. Je tiens à voir des résultats. J'ai assumé cette tâche à la demande de groupes et de leaders autochtones. Les groupes autochtones du Manitoba, où je suis né et où j'ai grandi, ont indiqué clairement qu'ils souhaitaient que les choses bougent vite. Comment pouvons-nous accélérer le processus sans passer par une étude de sept ans, suivie d'une évaluation de sept ans?
Mme McPhee : Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une étude de sept ans. Comment pourrions-nous procéder? Comme je l'ai déjà dit, il y a eu des discussions sur cette idée et sur d'autres idées qui permettraient d'accélérer le débat sur l'autonomie gouvernementale au cours des négociations sectorielles, dans le cadre de la Table ronde. Tous les groupes autochtones ont eu l'occasion d'y participer et de discuter de différentes idées pendant deux jours. Ils ont notamment examiné cette idée-là. Il y a eu des discussions ouvertes. J'ai circulé de table en table et j'ai entendu des opinions différentes. Dans certains cas, il y avait un bon appui pour le projet de loi, et à d'autres tables, il y en avait moins. Toutes sortes de points de vue ont été exprimés. Une retraite prévue pour la fin de mai permettra de poursuivre les discussions sur cette question. Elle réunira le Cabinet fédéral et les dirigeants autochtones. Et, pour pousser encore plus loin le travail accompli à la Table ronde, une rencontre des premiers ministres est prévue pour l'automne.
Les organisations nationales autochtones s'intéressent à cette question et ont engagé d'autres discussions. Cependant, ce qui s'est passé l'an dernier au sujet du projet de loi C-7, qui visait à modifier la Loi sur les Indiens et à améliorer la reddition de comptes, et ainsi de suite, c'est qu'il y a eu beaucoup de critiques et pas suffisamment de consultation. Il est essentiel que cela se fasse en consultation avec les peuples autochtones, avec les dirigeants autochtones de tout le pays, afin que nous puissions prendre une direction qui nous permettra de réaliser plus rapidement l'autonomie gouvernementale.
Vous avez mentionné les Inuvialuits, dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est un des secteurs dont je suis responsable. Ils ont fait de grands progrès en élaborant un modèle de gouvernement populaire pour exercer leur autonomie gouvernementale. Dans la région du Sahtu, la communauté de Déline est sur le point de conclure un règlement final, et elle y est arrivée en un temps record. Il ne lui a pas fallu 20 ans. Évidemment, elle avait déjà signé un accord de règlement de sa revendication territoriale, ce qui fait qu'elle peut aujourd'hui se concentrer sur l'autonomie gouvernementale. Les choses se sont extrêmement bien passées.
À l'avenir, certains groupes pourraient vouloir continuer à négocier. Cependant, si nous commençons à avoir des modèles dont les autres pourront s'inspirer, les choses pourraient avancer plus vite.
Dans la région du Sahtu, par exemple, la communauté de Déline a montré comment il serait possible de procéder. D'autres suivent, en se servant de cet exemple comme point de départ et en faisant certains ajustements pour tenir compte de leurs propres buts.
Il y a différentes façons de faire, mais il faut certainement travailler en collaboration avec les Autochtones.
Le sénateur St. Germain : Je trouve déplorable que la situation ne soit pas la même partout, comme vous le savez, madame McPhee. Nous avons créé des réserves dans la partie Sud du pays et conclu des accords de règlement de revendications territoriales dans le Nord. Nous avons connu certains succès, mais le fait est qu'il y a potentiellement 600 nations avec lesquelles nous devons traiter, et qui ont des besoins différents sur tous les plans. Ceci n'est qu'une loi habilitante. Aucun groupe autochtone ne serait obligé de s'en servir. C'est strictement un outil qui pourrait les aider à résoudre leurs problèmes plus rapidement. Certains ont déjà une base économique satisfaisante, et c'est eux qui ont réclamé cette mesure le plus énergiquement.
Je ne pense pas que vous puissiez faire l'unanimité parmi tous les groupes autochtones avec cette mesure. Mais si au mois une infime majorité d'entre eux étaient d'accord, nous pourrions nous attaquer à la tâche avec énergie pour leur permettre de passer à autre chose et de faire des choses qu'ils ne peuvent pas faire actuellement en vertu de la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Watt : Premièrement, je voudrais commenter vos observations sur les accords d'autonomie gouvernementale qui ont été négociés avec un certain nombre de communautés autochtones. Vous avez mentionné spécifiquement que les communautés inuites ont conclu un accord de ce genre. Ce n'est pas le cas. Le gouvernement inuit n'est pas un exemple d'autonomie gouvernementale. C'est un gouvernement populaire.
En ce qui concerne le Nunavik, des négociations sont en cours entre la Société Makivik, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec. Cette option a été envisagée pour tenter d'en arriver à un accord de principe, mais je ne pense pas que ce soit chose faite. Il y a un accord final qui s'en vient, mais ce n'est pas tout à fait terminé.
C'est la même chose pour les Inuit du Labrador. Les négociations sur les revendications territoriales sont terminées, et ils attendent que le gouvernement dépose un projet de loi pour mettre en oeuvre l'accord qu'ils ont obtenu. Je pense qu'il y a une composante d'autonomie gouvernementale dans cet accord, mais je ne sais pas jusqu'à quel point. Je n'ai pas les détails. L'autonomie gouvernementale est loin d'être une réalité dans les communautés inuites, que ce soit au Nunavut, au Nunavik ou au Labrador.
Il y a aussi la question de la rédaction d'une loi de reconnaissance. Vous avez parlé de la nécessité d'explorer diverses avenues à cet égard et vous semblez avoir hâte de recevoir les recommandations du comité. À ce propos, vous avez aussi mentionné les faiblesses du projet de loi S-16. Comme l'a dit le sénateur St. Germain, avec raison, c'est une question qui est dans l'air depuis des années. Je me rappelle en avoir discuté il y a 18 ou 19 ans. Ce n'est pas un sujet nouveau.
Je n'appuie pas nécessairement le projet de loi lui-même, mais j'approuve le concept qui le sous-tend. C'est un outil utile pour déterminer si nous pourrions donner corps à une loi habilitante similaire qui pourrait être développée davantage dans les communautés indiennes et inuites. Cependant, vous nous avez dit que ce projet de loi n'était pas constitutionnel. Je ne suis pas d'accord parce que je pense qu'il est tout à fait comparable à l'article 35.
Comme vous le savez, l'article 35 ne fait pas partie de la Charte des droits et libertés. Il y a des raisons à cela. Cette décision a été prise à l'époque où il y avait des négociations en cours, justement parce qu'on savait que cet article entrerait en conflit avec le statut de toutes les communautés autochtones qui obtiendraient l'autonomie gouvernementale. Si ceci devait se matérialiser, il y aurait aussi des conflits avec les compétences des gouvernements fédéral et provinciaux.
Je pense quand même que nous pouvons trouver une solution, quoique pas nécessairement de la manière proposée dans le projet de loi. C'est une situation tout à fait particulière. Je ne peux pas critiquer le projet de loi parce que ce n'est pas à moi de déterminer quels sont les besoins des communautés. Je crois que cette proposition a en fait une portée plutôt restreinte. La seule autorité reconnue sera à l'intérieur des réserves, et cela me dérange parce que les gens que je représente ne sont pas confinés dans ces réserves pour assurer leur bien-être économique ou autre. Ils doivent compter sur les terres voisines pour mettre du pain et du beurre sur leur table.
J'ai aussi des objections au sujet de la définition des membres dans le projet de loi. C'est une question dont il faut discuter franchement et ouvertement, et cela me préoccupe.
En ce qui concerne ce projet de loi lui-même, ou cette loi habilitante, je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne façon de promouvoir l'harmonie entre Autochtones et non-Autochtones. Tel que le système est structuré, cela entraînerait une lutte de pouvoir entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Je ne suis pas certain que nous devrions continuer dans cette voie, qui va créer une situation dans laquelle les Autochtones seront en conflit avec un instrument bien établi. Plutôt que de délimiter les pouvoirs, nous devrions avoir dans le système un mécanisme qui permettrait aux peuples autochtones d'adopter une loi pouvant ensuite faire l'objet de négociations. Il faudrait imposer une limite de temps, par exemple de 60 jours. Quand les gouvernements provinciaux empiètent sur des compétences fédérales, il est possible de négocier entre gouvernements. Pourquoi ne pas mettre en place quelque chose de similaire?
Je ne suis pas certain d'être assez clair. Je n'ai encore entendu personne explorer cette avenue, mais je pense qu'il serait utile d'envisager que les Autochtones aient le pouvoir d'adopter des lois, qu'elles aient ou non des répercussions sur les compétences fédérales, provinciales ou territoriales. Cela obligera à régler cette question plutôt que de la laisser en suspens et de nous rendre compte, en définitive, que cela coûte trop cher.
Il arrive que des gouvernements gaspillent beaucoup d'argent parce qu'ils sont jaloux de nos compétences, plutôt que d'essayer de contribuer au système pour améliorer l'économie du pays. Nous devrions nous engager dans cette direction au lieu de continuer dans la voie que nous suivons depuis plus de 100 ans. Il est temps de trouver une autre manière d'aborder cette question, qu'il faut absolument régler.
Certains s'inquiètent de ce que les tribunaux feraient de ces lois. Les tribunaux ont toujours été très généreux et ont toujours reconnu qu'il s'agissait d'une question délicate. Je pense qu'ils seraient tout à fait prêts à explorer une avenue avant de décider qu'elle est inconstitutionnelle.
Je tiens à ce que cette question devienne une priorité pour le pays et qu'elle soit examinée par les tribunaux. Ils représentent peut-être le seul catalyseur qui nous fera prendre la bonne direction plutôt que de suivre la même voie que depuis plus de 100 ans.
Le président : Est-ce qu'un des témoins voudrait commenter les observations ou les questions du sénateur Watt?
M. Cracower : Je voudrais dire tout d'abord, en réponse au sénateur Watt, qu'à titre d'avocat du ministère de la Justice, je m'intéresse évidemment d'abord et avant tout au droit et non aux politiques.
Cependant, d'un point de vue personnel, je vous dirais que je partage en bonne partie vos sentiments au sujet des objectifs que ce projet de loi vise à atteindre.
En particulier, en ce qui concerne la Constitution et les droits des Premières nations au chapitre de l'autonomie gouvernementale, le ministère de la Justice part du principe, au cours des négociations sur l'autonomie gouvernementale, que les droits ancestraux et issus de traités sont reconnus et confirmés par la Constitution. Cela ne fait absolument aucun doute. Le projet de loi, sous sa forme actuelle, pourrait présenter certains problèmes. C'est ce qui nous inquiète sur le plan juridique, et non la réalisation des objectifs visés. Je ne suis pas ici pour critiquer ce que vous cherchez à faire, mais — ce qui est plus important — pour déterminer comment il serait possible de le faire de façon pratique et utile. Je n'avais pas vraiment prévu vos commentaires, mais les liens importants entre les lois et les questions constitutionnelles se rattachent à cela — et je le dis de façon générale. Vous faites allusion à la possibilité de recours aux tribunaux. Est-ce nécessaire? Y a-t-il un autre moyen qui permettrait d'éviter ce scénario? On ne peut pas surestimer l'importance de la certitude et de prévisibilité juridiques.
Quelles lois s'appliqueraient à qui, et où? Ce sont quelques-unes des questions qui me sont venues à l'esprit quand j'ai lu le projet de loi. C'est dans cet esprit-là que je l'ai analysé. Je voudrais vous parler de certains des éléments qui pourraient être modifiés pour en arriver si possible à une plus grande clarté afin d'assurer cette prévisibilité et cette certitude.
Je vous renvoie tout d'abord à l'annexe 2. Même si certaines compétence que les Premières nations pourraient exercer sans contestation juridique sont énumérées dans cette annexe, en ce qui concerne notamment les lois relatives aux affaires internes de leurs communautés, et aux questions faisant partie intégrante de leur culture, de leurs traditions et de leur langue, il y a tout de même des éléments dans cette annexe qui soulèvent certaines interrogations sur le plan juridique.
Permettez-moi de vous énumérer plusieurs de ces éléments préoccupants. L'article 13, en particulier, porte sur l'application de peines. Or, le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle contient déjà une disposition correspondante concernant les pouvoirs législatifs exclusifs des provinces. Quant à l'article 14 de l'annexe, qui porte sur le mariage et le divorce, il y a encore là une disposition correspondante à l'article 92, en l'occurrence au paragraphe (12). Pour être plus précis, je vais vous citer les numéros de paragraphes.
Pour les articles 15, 18 et 19 de l'annexe, la disposition correspondante de l'article 92 est le paragraphe (13). Quant à l'article 34 de l'annexe, il correspond au paragraphe (11). Enfin, à titre d'exemple, l'article 22 de l'annexe correspond à l'article 93.
Pour ce qui est de la question qui nous préoccupe en ce moment, je vous renvoie à l'article 36 de l'annexe. C'est assez significatif. Vous remarquerez qu'il dit :
Toutes autres questions, activités ou affaires relatives à la Première nation, à ses membres, à ses terres, à ses fonds, à ses droits de propriété ou à tout autre patrimoine tribal.
Les mots « autres questions » ouvrent des perspectives très préoccupantes. Cette disposition pourrait élargir les pouvoirs législatifs déjà énumérés dans l'annexe, ce qui aurait des répercussions importantes sur les pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux. À cause des possibles empiétements sur les compétences provinciales, et peut- être aussi fédérales, et des répercussions pratiques que cela pourrait avoir, il faut une étroite collaboration avec le Canada et les provinces pour assurer une plus grande certitude quant à la validité de la loi, ainsi que l'harmonisation des lois des différents ordres de gouvernement. Jusqu'à un certain point, cela se rattache à la question de savoir quand le Parlement du Canada doit prendre des mesures pour corriger des incertitudes potentielles.
Pour compliquer les choses encore davantage au sujet du partage des compétences — en espérant que ce sera utile pour le comité —, je vous renvoie à l'article 9 du projet de loi, qui se lit en partie comme suit :
(1) La portée des textes législatifs de la Première nation reconnue se limite à ses terres autochtones, sauf disposition contraire du présent article.
Et le paragraphe 9(2) stipule ensuite :
Malgré le paragraphe (1), la Première nation reconnue peut légiférer sur un domaine visé aux paragraphes (14), (15) et (18) à (22) de l'annexe 2 qui est inclus à titre de pouvoir législatif dans sa constitution et qui touche ses membres, que ceux-ci se trouvent ou non sur ses terres autochtones.
Le fait de permettre à des Premières nations d'adopter des lois applicables à l'extérieur de leur territoire pose des problèmes sur le plan juridique et sur le plan pratique. Le secteur de l'éducation en est un bon exemple. L'article 93 de la Loi constitutionnelle accorde aux législateurs provinciaux la compétence exclusive en cette matière. Il n'est donc pas certain que le Parlement puisse, en vertu de la Constitution, adopter une loi concernant l'éduction en dehors des réserves.
En outre, même si une province acceptait de légiférer pour permettre à une Première nation d'adopter des lois sur l'éducation de ses membres en dehors des réserves, l'application de ces lois se révélerait frustrante du point de vue opérationnel. Des étudiants autochtones et non autochtones assis dans la même classe pourraient en effet être assujettis à des lois différentes s'appliquant à leurs programmes d'études et à l'assistance à leurs cours.
Les autres pouvoirs législatifs prévus à l'annexe 2 pourraient aussi semer la confusion lorsque ces pouvoirs relèvent actuellement, en exclusivité ou de manière partagée, des gouvernements fédéral ou provinciaux. À moins que les lois des différents ordres de gouvernement soient harmonisées, cela pourrait être une source d'instabilité et de chaos juridique.
Le paragraphe 33(1) aurait aussi des répercussions sur les rapports entre les lois. Il se lit comme suit :
(1) La Première nation reconnue peut incorporer dans ses textes législatifs toute disposition de la Loi sur les Indiens, ou d'une autre loi fédérale, qui est spécifiquement applicable aux Indiens ou aux terres réservées à ceux-ci et qui ne relève pas de sa compétence législative.
Si je vous cite ces dispositions, c'est pour vous montrer l'importance de mettre de l'ordre dans tout cela de manière à ce que le projet de loi, s'il est adopté, puisse être mis en oeuvre efficacement sans les difficultés que vous avez mentionnées, sénateur Watt, en ce qui concerne l'incertitude et les implications qui en découlent.
Ma lecture du projet de loi, indépendamment de cette disposition, m'amène à conclure que les lois fédérales s'appliquent aux Premières nations à moins d'indication contraire. Alors, à quoi sert le paragraphe 33(2)? C'est ma première question. Cependant, si une Première nation adoptait effectivement une disposition d'une loi fédérale qu'elle n'aurait pas le pouvoir d'adopter autrement — et, soit dit en passant, cela pourrait fort bien avoir pour effet d'élargir les pouvoirs des Premières nations au-delà de ce qui est prévu à l'annexe 2 —, elle pourrait plus tard, en vertu du paragraphe 33(3), abroger cette disposition d'une loi fédérale intégrée à une de ses propres lois. Qu'est-ce que cela impliquerait? La disposition qui aurait été abrogée ne s'appliquerait plus à la Première nation, même comme disposition d'une loi fédérale? C'est préoccupant, et c'est pourquoi il faudrait examiner de plus près le libellé du projet de loi et la politique qu'il sous-tend.
Que se passerait-il en cas de conflit entre diverses lois? Le paragraphe 34(2) semble établir une règle de primauté qui s'appliquerait au Canada et aux Premières nations en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi d'une Première nation. Voici ce que dit ce paragraphe 34(2) :
Les lois fédérales s'appliquent à la Première nation reconnue, sous réserve des traités, des droits — ancestraux ou issus de traités — et des accords sur les revendications territoriales qui la touchent, ainsi que des textes législatifs et de la constitution de la Première nation reconnue, dans la mesure où ces lois fédérales ne leur sont pas incompatibles.
Autrement dit, en cas d'incompatibilité entre une loi d'une Première nation et une loi fédérale, c'est la loi de la Première nation qui prévaudrait, du moins pour la question faisant l'objet de cette incompatibilité. Quel effet cette règle pourrait-elle avoir sur ce qu'on appelle couramment les lois d'importance nationale primordiale? Parmi ces lois d'importance primordiale, il y a celles qui concernent par exemple la santé publique, la défense et les situations d'urgence, des questions qui touchent tous les Canadiens. Il est permis de se demander s'il n'est pas dans l'intérêt non seulement des Premières nations, mais de l'ensemble de la population canadienne, que la primauté des lois d'importance nationale soit reconnue.
Bref, il est certainement souhaitable que les Premières nations disposent d'une gamme étendue de pouvoirs d'autonomie gouvernementale. Cependant, si l'exercice de ces pouvoirs oblige les tribunaux à intervenir à répétition pour régler des conflits de compétences nombreux et complexes, le principe de l'autonomie gouvernementale et les gains pratiques qui devraient en découler seront affaiblis, sinon anéantis.
Il faut absolument garantir dans ce projet de loi une plus grande certitude juridique au sujet du partage des compétences, ainsi qu'un processus d'harmonisation des lois. À notre avis, il faudra définir plus efficacement les rapports et les attentes des Premières nations et des gouvernements fédéral et provinciaux pour qu'il soit possible d'atteindre les objectifs de ce projet de loi.
Je partage vos préoccupations. J'approuve vos objectifs. Mais je pense qu'il faudrait revoir le projet de loi pour régler les questions qui pourraient devenir problématiques et pour lesquelles il faut déjà prévoir des solutions.
Le sénateur St. Germain : Je voudrais poser une brève question complémentaire. Êtes-vous certain qu'aucune de ces dispositions ne se reflète dans les accords négociés jusqu'ici?
M. Cracower : Dans les négociations auxquelles j'ai participé — et je pense que c'est le cas de façon générale —, on a accordé une importance considérable aux rapports entre les lois. Autrement dit, prenons le cas de l'éducation et en particulier de la Loi sur l'éducation des Micmacs, que le comité a déjà étudiée. Cette loi prévoit l'harmonisation des lois. En fait, nous avons conclu un accord tripartite avec la province de Nouvelle-Écosse et les Premières nations, pour être certains que la situation évoquée par le sénateur Watt ne se produirait pas.
Le sénateur Watt : Nous vous serions reconnaissants de nous faire part de vos connaissances à cet égard et de l'information dont vous disposez sur cette question.
Nous savons aussi qu'il y aura inévitablement des empiétements sur les compétences d'un autre palier de gouvernement. C'est toujours le cas lorsqu'il y a des négociations. Nous sommes ici pour discuter d'un projet de loi qui prendra force de loi s'il est adopté par le Parlement. Je ne dis pas que cela se produira nécessairement, mais c'est ce qui se passe normalement. Les lois établissent un précédent.
Les peuples autochtones du pays, qui ont dû se contenter d'observer à distance pendant que d'autres gouvernaient leurs vies depuis l'arrivée des premiers Européens, disent essentiellement : « Nous ne sommes pas différents de vous. Nous voulons diriger notre propre maison. Nous voulons prendre notre destinée et notre économie en main. Nous voulons avoir de meilleurs outils pour régler nos problèmes sociaux. » Toutes ces choses seront impossibles tant que des autorités de l'extérieur continueront d'envahir notre maison. C'est ce qui se passe actuellement. Les Autochtones disent : « Ça suffit. Vous nous avez presque détruits. Et maintenant, vous envahissez non seulement nos salons, mais aussi nos chambres à coucher. »
Les Autochtones cherchent à montrer qu'ils comprennent la jalousie entre les gouvernements fédéral et provinciaux. C'est pourquoi il y a des secteurs qui relèvent du gouvernement fédéral, d'autres des gouvernements provinciaux et d'autres encore des gouvernements territoriaux, qui ont des pouvoirs partiels. Les Autochtones cherchent à faire comprendre aux législateurs qu'ils en ont assez. Ils veulent s'occuper de leurs propres affaires même si cela peut entrer en conflit avec d'autres paliers de gouvernement. Au moins, il faudra régler les problèmes au lieu de les balayer sous le tapis.
Vous travaillez pour le ministère de la Justice. Je voudrais vous demander à quel point la loi sur les armes à feu, par exemple, a fait du tort à tous les Autochtones. Je peux vous dire qu'elle leur a fait beaucoup de tort, sur les plans économique, social et culturel, et sur tous les autres plans également. Les groupes de protection des animaux ont l'oreille du gouvernement, et le gouvernement a pris des mesures qui touchent les gens ordinaires. Certaines lois nous ont fait beaucoup de tort dans le passé et continuent de nous en faire.
Nous sommes conscients de vos pouvoirs, mais vous devez comprendre que nous avons le droit de vivre nous aussi. Nos droits constitutionnels n'ont pas été respectés. Ils ont toujours été laissés de côté. C'est pourquoi nous essayons de proposer quelque chose qui empiétera sur les compétences fédérales et provinciales, c'est certain. Mais, à moins de nous attaquer à ces questions, nous n'irons jamais au fond des choses. Voilà le problème, et nous avons besoin de votre aide.
Le président : Est-ce uniquement un commentaire?
Le sénateur Watt : Oui.
Le sénateur Peterson : Comme je viens d'arriver au comité, j'essaie désespérément de me mettre au courant. Je ne suis pas certain que ma question sera pertinente, mais vos réponses me seront utiles.
Vous avez parlé tout à l'heure des groupes autochtones qui ont déjà conclu un accord et qui sont en train de le mettre en oeuvre. En vertu de quels pouvoirs et de quels paramètres cela s'est-il fait? Est-il possible que des groupes autochtones décident de conclure une entente individuelle avec le gouvernement fédéral? Il me semble qu'il y a une foule de questions à régler en ce qui concerne les relations avec les gouvernements fédéral et provinciaux. Je ne sais pas où cela s'inscrit. Est-ce que vous réglez avec chaque Première nation individuellement ou si vous avez un plan de match global?
Et qu'en pensent les peuples autochtones eux-mêmes? Où se situent-ils dans ces délibérations? Y a-t-il eu un manque de consultation? Allons-nous trop vite encore une fois?
Mme McPhee : Vous avez demandé en vertu de quels pouvoirs les accords existants avaient été mis en vigueur. La majeure partie des négociations sur les accords d'autonomie gouvernementale, d'un bout à l'autre du pays, se sont déroulées sur une base tripartite, entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial ou territorial, et la partie autochtone en cause. Dans ces cas-là, les accords ont été mis en vigueur par l'adoption de lois fédérales et provinciales.
J'ai mentionné l'Accord d'autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank, qui a reçu récemment la sanction royale. Il s'agit d'une entente bilatérale entre le Canada et cette Première nation. Elle se transformera probablement en accord tripartite dans le cadre du processus d'élaboration de traités de la Colombie-Britannique. On a voulu en arriver à cet accord d'autonomie gouvernementale en commençant sur une base bilatérale. Dans ce cas, les pouvoirs sont limités aux domaines de compétence fédérale, et l'accord a été mis en vigueur par une loi fédérale.
Cette option existe, mais la politique relative au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, qui sert de fondement aux négociations pour le moment, penche nettement du côté des négociations tripartites. À l'exception de celui de l'Ontario, tous les gouvernements provinciaux et territoriaux ont participé ou participent actuellement à des négociations sur l'autonomie gouvernementale. Dans le cas du Nunavut, comme vous l'avez souligné, l'approche était différente.
Il y a déjà quelque 457 communautés autochtones, sur 670 environ, qui participent à des négociations. Il y a des négociations bilatérales avec le Canada, mais la majorité de ces négociations se font sur une base trilatérale. La plupart mettent en cause des regroupements régionaux de peuples autochtones plutôt que des Premières nations individuelles. Au Manitoba, nous négocions avec toutes les Premières nations de la province ensemble.
Il y a donc différentes façons de procéder, et la politique actuelle permet ce genre de variantes.
Cependant, l'adoption d'une loi distincte pour donner force de loi à chacun des accords — ce dont il a été question tout à l'heure — prend beaucoup de temps. L'adoption d'une loi habilitante serait une façon d'accélérer le processus.
Le sénateur Pearson : J'ai déjà vu des projets de loi de ce genre à diverses reprises, et je finis toujours par me poser des questions sur la situation des femmes dans les communautés visées. Monsieur Cracower, vous avez parlé des lois fédérales couvrant les questions comme le mariage et le divorce. Mais la répartition des biens matrimoniaux nous préoccupe. Pourriez-vous nous dire comment vous envisagez cette question? Je ne vois rien dans ce projet de loi pour protéger les femmes.
Mme McPhee : Il est question des biens matrimoniaux dans le projet de loi
Le sénateur Pearson : Oui. Au paragraphe (14) de l'annexe 2.
Mme McPhee : Ce projet de loi contient des dispositions encourageantes au sujet des pouvoirs relatifs aux biens immeubles matrimoniaux.
Le sénateur Pearson : J'en conviens, mais rien ne garantit qu'une administration gouvernementale serait plus favorable aux femmes qu'actuellement. Au cours de notre étude sur les biens matrimoniaux dans les réserves, nous avons découvert que les femmes se retrouvent souvent dans des situations difficiles.
Je me sentirais plus à l'aise si le projet de loi garantissait aussi une certaine protection des droits des femmes en vertu de la Charte, ou quelque chose du genre.
M. Cracower : Le sénateur Pearson a mentionné expressément les intérêts des femmes. Je vais aussi revenir à l'observation du sénateur Watt au sujet du statut de membres, parce que c'est la même chose, en fait. Comme vous le savez tous très bien, des dispositions législatives ont été adoptées en 1985 pour faire en sorte que certains Indiens qui n'étaient pas membres autrement puissent le devenir. Par conséquent, il y a dans la loi une protection pour ces personnes. Cependant, le projet de loi prévoit certainement que les Premières nations concernées pourraient déterminer qui devrait être membre de leur communauté et qui ne devrait pas l'être.
Je pourrais vous citer les dispositions en question et vous en décrire les conséquences, mais en gros, il n'est pas clair que les femmes jouissent d'une protection particulière dans ce contexte.
Le sénateur Pearson : Ou les enfants de la deuxième génération.
M. Cracower : En effet.
Le sénateur St. Germain : Qu'est-ce qui les protège en ce moment?
M. Cracower : Je veux parler de ceux qui ont acquis des droits. Comme vous le savez sûrement, la Loi sur les Indiens le prévoit expressément. Ces gens-là sont bien protégés. En fait, dans certaines communautés autochtones, cela a suscité et suscite encore beaucoup de controverse. C'est le cas par exemple à Kahnawake. D'ailleurs, à cause des divergences que suscite cette question, les négociations sur l'autonomie gouvernementale entre le Canada et Kahnawake ont été suspendues.
Les mesures proposées dans le projet de loi pourraient faire perdre à certains Indiens leurs droits acquis, qui sont jusqu'ici protégés par la loi. Encore là, je pourrais vous citer différentes dispositions du projet de loi qui accordent essentiellement aux Premières nations une autonomie complète pour prendre cette décision; il y a notamment une disposition qui les autoriserait à se soustraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne pour pouvoir choisir leurs membres en fonction de leur race ou de leur nationalité.
Le sénateur Watt : J'ai une question complémentaire au sujet des biens matrimoniaux. J'ai suivi les travaux de la Chambre à ce sujet-là, et elle semble encore loin d'avoir trouvé une solution. Ce serait peut-être une occasion de discuter de cette question à l'autre endroit.
En ce qui concerne les biens matrimoniaux, je pense qu'il faut élargir le débat pour inclure les problèmes relatifs aux rapports entre l'individu et la collectivité.
Il faut songer à une déclaration de droits. Autrement dit, nous devons nous protéger de nous-mêmes. Si l'intérêt collectif tend à primer sur ce qui est administré par les personnes morales, par les sociétés, cela pourrait avoir des répercussions considérables sur les capacités individuelles. Pour cette raison, il faut concilier les droits collectifs et les droits individuels; c'est une grande question qui n'a pas encore été abordée.
J'ai pensé que le moment était bien choisi pour en parler parce qu'une partie du mandat du comité pourrait consister à trouver à une solution à ce problème. Encore là, nous avons besoin de votre aide à cet égard.
Le président : Voulez-vous commenter, monsieur Cracower?
M. Cracower : J'accepte les observations du sénateur. Je n'ai pas de réponse pour le moment.
Le sénateur Dyck : Bonjour. Moi aussi, je suis nouvelle au Sénat. Je viens de Saskatchewan. Comme vous le savez, la Federation of Saskatchewan Indian Nations est une organisation bien structurée en Saskatchewan. Mon oncle, le sénateur Hilliard McNabb en était un membre important.
Vous avez évoqué les conflits entre certaines lois. Personnellement, j'ai l'impression que mon existence est régie par différentes lois. En tant que personne, je relève de la Loi sur les Indiens. Je suis une Indienne aux termes du projet de loi C-31. Ma mère ayant épousé un Chinois, elle a perdu ses droits issus de traité. J'ai l'impression qu'elle l'a fait délibérément, parce que, pour les gens de sa génération, il était moins avantageux d'être considéré comme Indien visé par un traité. Elle avait intérêt à perdre ce statut en se mariant.
En tant qu'Indienne aux termes du projet de loi C-31, je suis très inquiète quant à mon statut de membre. Je n'habite pas dans une réserve. Le projet de loi à l'étude n'est pas clair sur le statut des membres des Premières nations vivant à l'extérieur d'une réserve. Le texte est-il suffisamment précis pour que ceux d'entre nous qui vivent à l'extérieur d'une réserve soient vraiment considérés comme visés par les dispositions en matière d'autonomie gouvernementale?
En Saskatchewan, les femmes en particulier quittent les réserves parce qu'elles doivent poursuivre leurs études afin de pouvoir trouver un travail qui leur permette de subvenir à leurs besoins. Souvent, il n'y a pas d'emploi dans la réserve. Les emplois sont dans les villes et les grands centres.
Je ne sais pas combien de membres des Premières nations vivent à l'extérieur des réserves, mais je pense qu'il y en a beaucoup. La Saskatchewan connaît actuellement une explosion démographique et nous insistons beaucoup sur l'éducation. À mon avis, le nombre de membres vivant hors réserve continue à augmenter. La question de l'appartenance aux Premières nations est particulièrement importante.
Vous avez parlé du paragraphe 9(2) de la page 12 du projet de loi et mentionné que certains points entraient en conflit avec l'annexe 2 en ce qui a trait aux biens matrimoniaux, au divorce, ainsi que dans le domaine des lois sur l'alcool et le jeu. J'ai l'impression que ces dispositions sont là pour protéger, et dans beaucoup de cas, pour protéger les femmes et les familles. Je devrais me pencher à nouveau sur l'annexe. Quant au bien-être et aux services sociaux, à la garde, au placement et à l'adoption des enfants, je crois que ces dispositions visent à protéger les familles, car il est certain qu'en Saskatchewan et dans certaines autres régions du pays, il existe des conflits entre les lois. Les lois sont établies par des organismes fédéraux et provinciaux et ne visent pas toujours le meilleur intérêt des familles autochtones.
Ce qui m'inquiète personnellement, c'est de savoir si les femmes comme moi qui vivent à l'extérieur d'une réserve, bénéficieraient des mêmes droits.
M. Cracower : Je respecte votre point de vue.
Le sénateur Dyck : Pensez-vous que l'adoption de ce projet de loi garantirait aux Indiens hors réserve les mêmes droits qu'à ceux qui vivent dans les réserves, en matière d'autonomie gouvernementale et des lois qui s'appliquent? Est- ce qu'il y aura une distinction? À votre avis, est-ce qu'ils devraient avoir les mêmes droits?
M. Cracower : Le comité sait sans doute que le ministère de la Justice n'est pas en mesure de formuler de telles opinions pour le moment. Cependant, ce que j'essaie de faire c'est d'attirer l'attention sur certains points.
Sur cette question particulière, nous devons reconnaître qu'il y aura peut-être des conflits de compétences. Cela ne signifie pas que la compétence provinciale doive l'emporter sur la législation concernant les Premières nations ou vice- versa. Il faudrait collaborer avec la province afin de préciser exactement quelle est la loi qui s'applique.
C'est la seule chose que je peux dire. Je ne fais pas de commentaires sur les conséquences de la politique.
Le président : N'est-il pas vrai que la loi fédérale peut être adoptée pour s'appliquer aux membres des Premières nations qui vivent dans une réserve et que, dès le moment où ils quittent la réserve, ils deviennent des citoyens ordinaires? En conséquence, l'application de la loi à ces personnes par un texte législatif comme celui-ci serait difficile, puisqu'il y aurait conflit avec la compétence provinciale.
Le sénateur Watt : Non, pas dans le cas des membres.
Le président : Tant que vous vivez dans une réserve, vous êtes un résidant qui relève des autorités du territoire auquel une loi comme celle-ci s'appliquerait. Dès que vous quittez la réserve, vous relevez des lois provinciales.
Une loi qui viserait à s'appliquer au-delà des limites d'une réserve serait inconstitutionnelle, puisque c'est la loi provinciale qui s'applique à cet endroit.
M. Cracower : Je vous répondrai de la même manière que tout à l'heure, sans donner d'opinion précise sur le sujet. Vous faites allusion à l'article 91.24 portant sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. C'est une compétence que détient pour le moment le gouvernement fédéral et qui pourrait être déléguée, partagée avec les provinces ou exercée exclusivement par le gouvernement fédéral.
Je ne réponds pas précisément à votre question. C'est un aspect compliqué qui nécessite une certaine coopération et l'harmonisation des lois. C'est pourquoi ma collègue a souligné un peu plus tôt combien une collaboration et une consultation étroites étaient importantes, non seulement avec les Premières nations, mais également avec les provinces et territoires.
Mme McPhee : En vertu des ententes d'autonomie gouvernementale que nous négocions, certaines compétences s'étendent à l'extérieur des réserves et celle qui concerne le statut de membre en est une. En vertu des ententes qui ont été conclues, une loi régissant le statut de membre s'applique non seulement aux membres vivant dans la réserve, mais également à ceux qui vivent à l'extérieur. Les membres qui vivent à l'extérieur de la réserve votent pour ou contre l'entente.
Le sénateur Christensen : Les personnes qui vivent à l'extérieur de la réserve ont le droit de voter. Elles peuvent participer à l'élaboration des lois ou aux ententes qui sont conclues par les membres qui vivent dans la réserve. Elles ont le droit de revenir pour voter, mais la loi adoptée dans la réserve ne s'applique pas pour le moment aux membres qui vivent à l'extérieur de la réserve.
Mme McPhee : Ce n'est pas vrai dans la plupart des cas, mais les compétences sur le statut de membre s'appliquent dans certains cas. Cependant, ces compétences sont limitées en nombre pour le moment. En Saskatchewan, nous avons examiné la possibilité d'étendre certaines compétences. Cela fait actuellement l'objet de négociations avec la province et les Premières nations. Prenez le cas de l'éducation, par exemple. Est-il possible d'ouvrir dans une ville une école relevant de la législation sur les Premières nations qui s'applique à l'échelle de toute la province? Ce sont des questions difficiles, mais ces aspects sont actuellement examinés et explorés.
Le sénateur Christensen : Cette école relèverait des compétences de la Première nation, mais on ne peut mélanger les élèves dans une école fréquentée par certains enfants des Premières nations. Ce serait un cas particulier et des parents souhaitant inscrire leurs enfants à cette école pourraient le faire et n'auraient pas à partager avec une autre école.
Mme McPhee : C'est exact. C'est là que l'harmonisation est importante. Tout le monde reconnaît que c'est de cette manière qu'il faudrait procéder, selon l'exemple des écoles de langue française.
Le sénateur Christensen : Au Yukon, nous avons une entente finale. Des bandes ont certains pouvoirs différents. Par exemple, elles peuvent prendre des décisions en matière d'éducation ou de santé, mais l'entente s'applique expressément aux terres qu'elles ont négociées. Ces mesures s'appliqueraient aux terres. Ce sont toutes des ententes trilatérales. Les membres des Premières nations peuvent conclure une entente avec le gouvernement territorial pour administrer une partie de l'éducation en fonction de leurs besoins.
M. Cracower : Dans certains cas, il ne suffit pas d'harmoniser, il faut également que les provinces ou territoires prennent certaines initiatives législatives.
Le sénateur Léger : Le sénateur St. Germain a parlé d'attitude paternaliste. Le sénateur Watt, si je l'ai bien compris, souhaiterait que les peuples autochtones élaborent leurs propres lois et négocient avec les gouvernements fédéral et provinciaux. Selon Mme McPhee 457 bandes sur plus de 650 ont déjà entamé des pourparlers bilatéraux. Tout doit être légal.
Les ententes avec les nations de Westbank et de Tlicho ont déjà été ratifiées. Le sénateur Christensen vient de parler du Yukon. Le sénateur Sibbeston a parlé des Territoires du Nord-Ouest. Les choses avancent.
Que nous donnerait de plus l'adoption du projet de loi S-16? Voulons-nous continuer à ajouter de nouvelles lois plutôt que de réduire le nombre de lois existantes? En tant que non spécialiste, j'ai l'impression que nous avons trop de catégories et trop d'étiquettes. Le sénateur Dyck nous a dit qu'elle est une Indienne aux termes du projet de loi C-31. Nous classons tout le monde dans des catégories. La tendance va en s'accentuant. N'êtes-vous pas d'accord avec moi? À quoi cela nous sert-il?
Le président : C'est une très bonne question. Qui veut y répondre?
Le sénateur Léger : Pourquoi sommes-nous ici?
Mme McPhee : Nous ne sommes pas ici pour nous assurer que les choses avancent, mais pour faire en sorte qu'elles avancent rapidement et de manière efficace. Voilà quel est notre objectif.
Le projet de loi S-16 serait une loi habilitante qui nous permettrait d'éviter d'avoir à nous adresser au Parlement chaque fois que nous concluons une entente, et d'accélérer le processus. Voilà un résultat positif.
Nous essayons de voir si la loi pourrait couvrir un certain nombre de compétences de manière à ne pas avoir à les négocier à chaque fois. La liste n'est peut-être pas parfaite. Nous avons soulevé certaines questions, mais il n'est pas impossible de trouver une telle liste. Voilà le type de choses que cette initiative cherche à définir.
Le sénateur Léger : Nous devrions réduire le nombre de lois. Les lois deviennent compliquées et ce n'est pas le but que l'on recherche quand on fait des lois. C'est le contraire.
Le sénateur Dyck : Monsieur Cracower, merci d'avoir soulevé cette question de droit. Le projet de loi C-31 définit le statut en vertu de la loi canadienne en précisant si oui ou non je suis une Indienne. Cependant elle ne s'applique qu'à moi en tant que femme de la première génération. Elle ne s'applique pas à mon fils, parce qu'il appartient à la deuxième génération.
Si le projet de loi S-16 est adopté, qui décidera de l'attribution du statut d'Indien? Est-ce que cela serait un exemple du conflit des lois? Est-ce que ma Première nation pourrait dire : « Oui, votre fils peut être membre de notre Première nation »?
M. Cracower : Là encore, en tout respect, je ne peux pas vous donner d'avis juridique, mais ce que je peux dire, comme un peu plus tôt, c'est que d'après moi, selon la formulation du projet de loi, la Première nation aura le pouvoir absolu de déterminer quels devraient être ses membres.
Le sénateur St. Germain : J'aimerais remercier les deux témoins. J'ai une demande à formuler. Je ne suis pas avocat et je n'ai jamais voulu le devenir. Cependant, je m'intéresse vraiment aux affaires autochtones, puisqu'en vertu de l'article 34, je suis considéré comme un Métis. Quand je me penche sur le sort de nos peuples autochtones, je trouve que les progrès ne sont pas assez rapides, surtout dans le domaine de l'éducation.
Tout ce que j'ai lu et tous les points de vue que j'ai entendus me portent à croire que les choses avanceront beaucoup plus rapidement dès que nos peuples autochtones seront en mesure de contrôler leur propre destin et d'établir leurs propres compétences. La qualité de l'éducation s'améliorera et tout s'améliorera rapidement. Voilà l'objectif. Je crois que Mme McPhee l'a indiqué clairement et cela m'encourage beaucoup.
Si vos deux ministères ont effectué des analyses détaillées du projet de loi, pourraient-ils les mettre à la disposition du comité? Au moment de son élaboration, cette loi n'a jamais été considérée comme parfaite. Dans votre secteur, je suis certain qu'il n'existe aucune loi dans le monde qui soit à l'abri de toute contestation judiciaire. Si nous ralentissons le processus par crainte des contestations judiciaires, nous serons encore ici dans 100 ans.
Avec ce projet de loi, nous nous sommes efforcés de suivre constamment le modèle de la loi existante sur l'autonomie gouvernementale de la nation Sechelt. Je suis sûr que certains détails de la loi sur la nation Nisga'a et d'autres lois pourraient également donner lieu à des contestations. Comme on l'a signalé, certaines de ces lois ont été négociées avec les provinces, mais ça n'a pas été le cas pour la loi concernant la Première nation de Westbank.
Vous avez mentionné dans votre exposé qu'il faut consulter le grand public. Est-ce que c'est nouveau?
L'analyse détaillée que vous avez faite du projet de loi pourrait nous aider à améliorer le texte afin de le rendre acceptable pour le ministère de la Justice et pour le MAINC.
Nous pourrions entrer dans toute une kyrielle de détails. Pour ma part, j'estime que si nos peuples autochtones ont un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, ils devraient pouvoir se gouverner eux-mêmes. Si nous ne leur accordons pas ce droit, comment pourront-ils sortir du bourbier que nous avons créé avec les réserves, les pensionnats, etc.
Je ne jette la pierre à personne. Nous avons tous notre part de responsabilité. Nous sommes tous une partie du problème. Nous devrions tous être une partie de la solution. Je ne vois aucune confrontation entre moi et vous. Nous avons considérablement modifié ce projet de loi parce que nous avions connaissance des préoccupations concernant le projet de loi C-31 concernant en particulier le statut de membre et la question des biens matrimoniaux. Ce sont des questions auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. Je me suis penché sur la question des biens matrimoniaux en Colombie-Britannique, dans la région que je représente. Des situations particulières se présentent continuellement et nous essayons d'y répondre.
J'ai des amis qui appartiennent à la nation Crow et à d'autres nations aux États-Unis qui ont fait plus de progrès que nous dans certains domaines. Dans d'autres domaines, par contre, ils sont moins avancés que nous au Canada.
Nous entendrons des témoignages au sujet des biens matrimoniaux, question qui est, j'en suis certain, au premier plan des préoccupations de nos membres, tout comme la question du statut de membre.
J'espère que nous procéderons de manière positive. Je m'inquiète moins de savoir qui présentera le projet de loi que de la façon dont nous pouvons améliorer le sort de nos peuples autochtones. Nous pouvons écouter le point de vue des avocats et des spécialistes, mais si nous n'avons pas la volonté de progresser, nous ferons du surplace ou nous régresserons. Pouvez-vous nous fournir vos analyses?
Le président : Est-ce possible?
M. Cracower : Je ne sais pas si ma collègue a préparé une analyse complète. Du côté du ministère de la Justice, nous n'avons pas préparé une analyse critique. Par contre, j'ai examiné le projet de loi pour pouvoir vous en parler ce matin.
Cependant, je serais prêt à rencontrer votre conseiller juridique afin d'examiner le projet de loi de manière générale, parce que je ne dispose pas d'une analyse juridique écrite.
Le sénateur St. Germain : Vous n'avez pas rédigé une analyse par écrit.
M. Cracower : Non.
Le sénateur St. Germain : Et vous, madame McPhee?
Mme McPhee : Dans notre exposé, nous avons fait état de nos préoccupations générales et c'est tout ce que nous avons. Nous ne sommes pas allés plus loin.
Le président : Avec le projet de loi C-7, le gouvernement a présenté un essai de loi sur l'autonomie gouvernementale. C'est une tentative d'appliquer l'obligation de rendre compte aux membres des bandes. On insiste dans notre pays pour que les Premières nations adoptent les normes en matière d'obligation de rendre compte qui ont été élaborées dans notre pays. Selon une des dispositions, le vérificateur général pourrait contrôler la conformité au critère canadien. Cela paraît légèrement exagéré de confier au vérificateur général le soin d'examiner les questions constitutionnelles. Est-ce que de telles questions relèvent du mandat du vérificateur général? Ce serait un rôle inhabituel pour un vérificateur général.
Pourriez-vous fournir une comparaison à notre comité?
Avec le projet de loi C-7, le gouvernement fédéral a tenté de présenter une législation semblable à celle-ci pour adopter des dispositions en matière d'autonomie gouvernementale et d'obligation de rendre compte pour les Premières nations de notre pays. Dans un sens, c'est la norme du gouvernement fédéral ou ce que, selon lui, devrait contenir un projet de loi. Accepteriez-vous de présenter une analyse ou une comparaison avec la position du gouvernement fédéral? Si vous le souhaitez, vous pouvez ajouter les ententes d'autonomie gouvernementale signées avec les nations Tlicho, Westbank et Nisga'a.
Pourriez-vous nous fournir ce type d'analyse et de comparaison qui serait, je crois, très utile à notre comité?
Mme McPhee : Nous pourrions faire une comparaison de ce type.
Le président : Nous lirons votre document avec intérêt et nous nous y reporterons lorsque nous poursuivrons notre examen de ce projet de loi.
Le sénateur St. Germain : Pour ce qui est du vérificateur général, ce que nous recherchons, c'est l'obligation de rendre compte. En mentionnant le vérificateur général, nous avons fait un excès de précaution. Nous espérons que vous présenterez également vos commentaires à ce sujet.
Le président : Je tiens à vous remercier d'être venus pour nous éclairer par vos témoignages.
Je rappelle aux membres du comité que nous avons une réunion demain soir portant sur notre étude spéciale et nous avons invité le vérificateur général à y prendre part.
La séance est levée.