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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 4 mai 2005


OTTAWA, le mercredi 4 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 20 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs, y compris aux trois qui ne siègent pas habituellement avec nous : la sénatrice Johnson, ainsi que la sénatrice Ruth et la sénatrice Tardif.

Le comité poursuit son examen de la participation des collectivités et des entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada. Nous avons entendu un certain nombre de témoins ici, et lors de nos déplacements jusque dans les Territoires du Nord-Ouest. D'autres voyages sont d'ailleurs prévus en Alberta et en Colombie-Britannique, ce printemps.

Ce soir, nous avons l'honneur d'accueillir Mme Sheila Fraser, la vérificatrice générale du Canada, ainsi que M. Jerome Berthelette et M. Jeff Greenberg, directeurs principaux de son bureau. Madame Fraser, je vous en prie.

Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale, Bureau du vérificateur général du Canada : Je vous remercie de m'avoir invitée à faire une présentation dans le cadre de l'étude que vous menez sur la participation des collectivités et des entreprises autochtones au développement économique au Canada. Je suis accompagnée de M. Berthelette et de M. Greenberg, les directeurs principaux responsables de trois chapitres sur cette question. Ces chapitres s'intitulent : « Le développement économique des collectivités des Premières nations : les mécanismes institutionnels », publié dans notre rapport de novembre 2003; « Le développement des ressources non renouvelables dans les Territoires du Nord-Ouest », publié dans notre rapport d'avril 2005; ainsi que « Le transfert des responsabilités fédérales à la population du Nord », publié dans notre rapport de novembre 2003.

Le premier chapitre, qui traite du développement économique, est axé sur les Premières nations au sud du 60e parallèle. Les deux autres mettent l'accent sur des activités au nord du 60e parallèle et portent donc sur le Nord en général. Avant de décrire les travaux que nous avons effectués en vue de rédiger ces trois chapitres, j'aimerais mettre brièvement en contexte mon intérêt pour les questions autochtones et les méthodes que nous utilisons pour intégrer le point de vue des Premières nations et des Autochtones dans nos travaux.

Les questions autochtones constituent l'un des cinq secteurs d'intérêt sur lesquels j'ai décidé de me concentrer pour la durée de mes fonctions de vérificatrice générale. Ainsi, nous accordons une attention particulière à ce secteur et nous vérifions si des changements mesurables ont été apportés avec le temps. Bien sûr, je reconnais que les problèmes sont nombreux et complexes et que les solutions sont rarement simples.

Même si je n'assure pas la vérification des Premières nations, je pense que leur point de vue est essentiel à nos travaux, et nous utilisons divers moyens pour leur permettre de s'exprimer. Des groupes de conseillers me donnent leur avis sur les questions qui touchent les Premières nations et les Inuits, et nous établissons des comités consultatifs pour chaque chapitre. La majorité des participants sont des représentants des Premières nations et des collectivités autochtones qui possèdent une vaste expérience. J'ai constaté que, grâce à ces conseils, je peux discuter avec les dirigeants des Premières nations et les chefs autochtones autant de grands enjeux stratégiques que de questions pointues.

De plus, notre méthodologie comprend des visites dans les collectivités pour connaître directement les enjeux qu'elles doivent affronter. Ces informations provenant des collectivités nous aident à fonder nos constatations sur leurs expériences.

[Français]

Monsieur le président, je diviserai en trois parties mon propos sur des questions de développement économique dont j'ai parlé dans le chapitre sur les mécanismes institutionnels. Je résumerai ce que les Premières nations nous ont dit, ce que nous nous avons constaté et ce que nous avons recommandé.

Pour notre étude des institutions, nous nous sommes rendus chez 13 Premières nations et quatre conseils tribaux ou gouvernements dans cinq provinces. Règle générale, ces Premières nations sont considérées comme étant bien régies et capables de prendre les devants lorsqu'il est question de leur développement économique.

Leurs expériences nous ont aidés à cerner les bonnes pratiques. Et ce qui est peut-être plus important encore, à connaître les obstacles au développement économique des Premières nations de l'ensemble du Canada.

Les Premières nations nous ont dit qu'elles comptent de nombreux obstacles à leur développement économique. Il y a notamment l'accès restreint aux ressources naturelles et aux capitaux, la complexité des programmes fédéraux et les mécanismes de gestion des ressources.

Selon les Premières nations, ces obstacles augmentent le coût de leurs activités et nuisent à leur développement économique : En conséquence, les Premières nations ont établi des mécanismes institutionnels pour surmonter ces obstacles. Ces mécanismes prennent différentes formes. Il peut s'agir de sociétés de développement, de co-entreprises, de tribunaux, de comités de développement économique et de politiques de développement économique.

Ces mécanismes ne visent pas tous le même objectif. Par exemple, certains favorisent l'ouverture et la transparence au sein de la collectivité, certains aident à résoudre des différends et d'autres établissent des règles claires pour le développement et la gouvernance.

Nous avons fait deux constatations générales. Premièrement, depuis 1989 il y a eu croissance du nombre et de la complexité des programmes mis sur pied par le gouvernement fédéral pour venir en aide aux Autochtones. Le fardeau administratif des Premières nations et les organismes fédéraux s'en trouvent accrus et le risque de traitement non uniforme et les occasions manquées augmentent.

Deuxièmement, l'aide fédérale au développement institutionnel n'était pas encore suffisante pour aider les Premières nations à surmonter des obstacles et à prendre en main leur développement économique. Nous avons fait état des lacunes de l'aide destinée aux mécanismes institutionnels et du manque de coordination stratégique entre les organismes fédéraux.

[Traduction]

Nous avons recommandé que les organismes fédéraux regroupent leurs exigences administratives et l'information exigée et qu'ils élargissent l'application de leurs programmes d'aide aux entreprises des Premières nations afin que ces programmes puissent convenir aux projets importants qui visent des objectifs multiples. Nous avons également recommandé que ces organismes appuient les Premières nations dans la définition, la planification et la mise en œuvre de mécanismes institutionnels correspondant à la situation des Premières nations en ce qui concerne leur développement économique. De plus, ils devraient soutenir des programmes de développement économique qui sont axés sur les résultats et qui répondent aux besoins des Premières nations.

Monsieur le président, chez les Premières nations qui ont reçu notre visite, nous avons eu des exemples très convaincants de ce que peuvent faire des mécanismes institutionnels appropriés pour favoriser un développement efficace. Dans les deux chapitres portant sur le Nord, nous avons aussi fait état de l'importance des institutions.

Au cours de la vérification décrite dans le chapitre portant sur la mise en valeur des ressources non renouvelables dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons examiné comment Affaires indiennes et du Nord Canada s'acquittait des responsabilités que le Ministère doit assumer en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Cette loi a créé un certain nombre d'offices chargés de traiter les projets de mise en valeur des ressources non renouvelables dans la vallée du Mackenzie en réglementant l'utilisation des terres et des eaux et en protégeant l'environnement.

Ces offices devaient être administrés, selon un régime de cogestion, par le gouvernement fédéral, le gouvernement territorial et les collectivités autochtones ayant des revendications territoriales. Les ressources non renouvelables offrent un immense potentiel de développement économique dans les Territoires du Nord-Ouest. Par contre, nous avons constaté que l'incertitude planait quant au climat d'investissement entourant ce développement. Cette incertitude vient en partie du fait que le ministère ne s'est pas bien acquitté de ses responsabilités à l'égard du mécanisme d'examen des projets de développement. Par exemple, le ministère aurait dû fournir des directives appropriées aux offices de cogestion puisqu'ils sont indispensables à ce développement. Nous avons fait des recommandations dans un certain nombre de domaines, comme de consulter ces offices et les peuples autochtones des Territoires du Nord-Ouest pour faire en sorte que tous comprennent bien le rôle, les responsabilités et l'obligation de rendre compte des offices. Nous sommes heureux d'indiquer que le Ministère était d'accord avec nos constatations et recommandations et qu'il a préparé un calendrier décrivant les mesures qu'il prendra pour les mettre en oeuvre.

Monsieur le président, avant de terminer, j'aimerais attirer l'attention du Comité sur le chapitre que nous avons publié en novembre 2003 relativement au transfert des responsabilités fédérales à la population du Nord. Ce chapitre portait sur la mise en œuvre des ententes en matière de revendications territoriales. Nous avions concentré nos travaux sur deux ententes, soit l'entente avec les Gwich'in des Territoires du Nord-Ouest et celle avec les Inuits du Nunavut. Cependant, le règlement et la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales sont pertinents non seulement pour le Nord, mais aussi pour la Colombie-Britannique, certaines régions du Québec et le Labrador.

[Français]

Les ententes sur les revendications territoriales visent à clarifier les droits des groupes autochtones sur les terres et les ressources en vue de faciliter la croissance économique et l'autosuffisance de ces groupes. Il s'agit là d'un enjeu dont le comité souhaite tenir compte. L'utilisation des terres est l'un des grands enjeux que les ententes sur les revendications territoriales permettent aux bénéficiaires et au gouvernement de régler. Sans entente sur l'utilisation des terres, l'incertitude peut s'installer et ralentir le développement.

Lorsque nous avons effectué cette vérification, nous avons découvert une divergence d'opinion fondamentale entre le ministère et mon bureau quant aux responsabilités que le gouvernement du Canada estimait avoir dans la mise en œuvre des revendications. Par exemple, le ministère semble plus préoccupé d'appliquer les ententes à la lettre que de se concentrer sur l'esprit de ces ententes.

Aujourd'hui, les objectifs des revendications semblent toutefois importants pour le ministère et nous avons constaté certains progrès dans cette direction.

[Traduction]

Monsieur le président, j'ai parlé de ces trois chapitres parce qu'ils ont un point commun : le développement économique des Autochtones ne peut être durable sans des institutions solides. Pour cela, le gouvernement doit travailler en arrière-plan, c'est-à-dire qu'il lui faut aider les collectivités autochtones à mettre sur pied des institutions et à les développer de manière durable.

Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le sénateur Léger : Faudra-il 150 ans pour comprendre la différence entre la lettre et l'esprit? Souvent, la seule façon de créer, c'est de comprendre l'esprit du texte. Si je comprends bien votre présentation, c'est un problème. L'institution applique l'entente à la lettre. Il y a beaucoup de difficultés, sinon l'impossibilité, de saisir l'esprit de quelque chose. Et je crois que chez les Autochtones, d'après votre présentation, c'est crucial. Comment arriver à changer l'esprit des ententes?

Mme Fraser : Lorsque nous avons effectué notre vérification sur les ententes et l'esprit des ententes, nous avons noté un exemple. Dans une des ententes, un des objectifs était d'augmenter le nombre d'Autochtones à l'emploi dans un secteur donné. Des objectifs ont été fixés sur un certain nombre d'années. Dans l'entente, il était indiqué que pour y arriver, des mesures devaient être prises. Par exemple, ont devait tenir une réunion annuellement. Lors de la vérification, nous avons demandé où ils étaient rendus dans l'atteinte des objectifs? Quel était le taux de participation des Autochtones dans la main d'œuvre? Quel était le progrès? Fallait-il modifier leurs actions? Le ministère a même indiqué dans sa réponse écrite que cela ne faisait pas partie de leur responsabilité, qu'ils avaient l'obligation de tenir une réunion et ils ont tenue la réunion. Nous n'étions évidemment pas d'accord avec l'approche du ministère. On a dit qu'il fallait voir les objectifs et que les mesures précises n'étaient que des mesures possibles pour atteindre l'objectif. Il fallait évaluer en cours de route si cela fonctionnait bien ou s'il fallait faire des modifications. Je dois dire que nous avons eu d'excellentes discussions avec le ministre. D'après moi, le ministre actuel n'est pas d'accord avec la position prise au moment du dépôt du rapport. Il a même signalé au ministère qu'ils avaient une responsabilité dans l'atteinte de l'objectif.

Cela demande une direction du ministre et des hauts fonctionnaires afin que l'attitude change et que les gens comprennent bien que c'est l'objectif qui doit être visé et non pas des mesures spécifiques.

Le sénateur Léger : J'arrive souvent à la conclusion que nous associons aux ministres la volonté politique. Ce ministre a beaucoup de sous-ministres et toute une équipe derrière lui. On a le temps de changer la mentalité de la machine.

Mme Fraser : J'ai assisté à un Comité des comptes publics à l'autre endroit où on discutait des programmes d'éducation des Autochtones sur les réserves et la question a été posée de savoir combien de sous-ministres ils avaient depuis la publication du rapport, en 2000. En l'espace de quatre ans, il y a eu quatre sous-ministres. Je dirais que les sous-ministres changent peut-être plus rapidement que les ministres.

On doit se poser la question suivante : comment peut-on avoir une continuité dans les programmes, dans les visions, alors que les hauts fonctionnaires changent aussi rapidement?

[Traduction]

Le sénateur Christensen : Je vais vous faire part de certaines généralités, et peut-être pourrez-vous m'aider à y voir plus clair. Je suis originaire du Nord, plus précisément du Yukon, où nous sommes régis par l'Accord-cadre définitif et où 14 Premières nations peuvent se prévaloir de certaines parties de cet accord pour devenir des Premières nations indépendantes de leur plein droit.

Parmi celles ayant opté pour cette possibilité, certaines ont très bien réussi leur développement économique, et d'autres pas. Leur réussite dépend beaucoup de leurs antécédents traditionnels et de leur histoire en tant que Premières nations. Les peuples vivant dans le sud du Yukon, qui ont eu non seulement des contacts avec la culture européenne, mais aussi, grâce au commerce, avec d'autres groupes autochtones des zones côtières, ont réussi à se développer beaucoup plus rapidement et à prendre de meilleures décisions économiques.

La majorité des entreprises liées au développement économique, peu importe la culture, ne réussissent pas. Il n'y a pas beaucoup d'entrepreneurs prospères non plus. La situation est difficile. Elle est encore plus difficile dans une culture où le genre d'entrepreneuriat est totalement différent. Les Premières nations vivent au sein d'une culture d'un genre différent, où la totalité de la société est invitée à participer à la réussite du groupe, plutôt qu'une seule personne appelée à réussir, et parfois même au détriment des autres.

Je vois des exemples de développement économique reposant notamment sur la coentreprise, qui donne de bons résultats, de même que sur le mentorat, qui aide les gens dans leurs démarches. Il arrive souvent, et plus particulièrement lorsque les revendications territoriales se soldent par une arrivée massive d'argent dans une collectivité, que beaucoup soient trop heureux de suggérer à ses membres des moyens de le dépenser. Le mentorat et les entreprises en participation ne donnent pas toujours les résultats escomptés parce que nous ne retrouvons pas le même genre d'entrepreneurs dans ces collectivités. Comment pourrions-nous surmonter cet obstacle qui subsiste en dépit de l'existence des meilleurs programmes d'aide du gouvernement fédéral?

Les tables rondes pourraient être de bons moyens de s'instruire sur ce qui est nécessaire pour les Premières nations. Ce sont les Premières nations qui sont les mieux placées pour définir les programmes gouvernementaux ainsi que l'aide au financement des immobilisations et aux fonds d'investissement dont elles ont besoin. Les problèmes devraient être résolus dans ces tables rondes où elles feront connaître leurs besoins culturels, qui sont différents.

Ce n'est pas notre façon de faire, c'est différent, mais on arrive aux mêmes résultats. Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Fraser : Notre étude a tenté de démontrer qu'il incombait aux institutions, au sens large, de soutenir le développement économique et de mettre en valeur le potentiel. À bien des égards, lorsque l'on se penche sur les enjeux relatifs aux Premières nations ou aux Autochtones, il faut envisager la mise en valeur du potentiel qui se trouve dans ces collectivités pour être en mesure de s'attaquer à certains de ces enjeux qui, pour bon nombre d'entre eux, sont relativement nouveaux.

Nous avons vu dans notre étude beaucoup de collectivités qui réussissaient extrêmement bien. Ce sont elles qui doivent nous apprendre le secret de leur réussite. Évidemment, il se peut qu'il ne s'applique pas à toutes les collectivités parce que, tout dépendant des ressources à leur disposition et d'autres facteurs, elles peuvent devoir emprunter d'autres avenues. Elles doivent nous apprendre comment elles ont procédé et pourquoi elles sont prospères. J'aimerais faire deux ou trois commentaires. Premièrement, on en revient toujours au leadership, qu'il s'agisse d'une collectivité autochtone ou de toute autre collectivité. Dans la plupart des cas, le succès revient toujours à ceux qui dirigent la collectivité. Il s'agit d'utiliser le talent présent pour le mettre au service des autres. Il est clair que le gouvernement fédéral peut apporter son aide en soutenant ce genre d'initiatives. Nous avons été à même de constater qu'il existait un trop grand éventail de programmes. Cette grande quantité de programmes sème la confusion et rend l'accès difficile. Nous ne pouvons que constater, lors des nombreuses vérifications que nous effectuons dans les programmes destinés aux Premières nations, que ces programmes sont trop nombreux et beaucoup trop compliqués. Il conviendrait de simplifier et de rationaliser ces programmes. Les collectivités verraient ainsi leur fardeau s'alléger. Nous avons aussi constaté d'autres difficultés ayant trait à l'accès aux ressources, ainsi qu'au financement. Peut-être que M. Berthelette pourrait vous en dire davantage sur le sujet.

M. Jerome Berthelette, directeur principal, Bureau de la vérificateur général du Canada : Je vais élaborer un peu sur la question de la mise en valeur du potentiel. Il y a probablement deux secteurs sur lesquels le Comité pourrait jeter un coup d'œil en ce qui a trait à la mise en valeur du potentiel : premièrement, sur ce que le gouvernement fait en termes de soutien à la mise en valeur du potentiel, à l'appui du développement institutionnel. À cet égard, on peut voir que le gouvernement a une attitude très passive pour ce qui est de mettre sur pied des institutions. En effet, bon nombre des mécanismes institutionnels qui sont à l'étude en ce moment ont été proposés par les Premières nations qui ont constaté leur incapacité d'aller plus loin, étant donné leur développement institutionnel. Ainsi, elles se retrouvent forcées d'exercer des pressions sur le système. On est à même de le constater, en Alberta, dans le dossier des hydrocarbures et des Premières nations, et des travaux qui s'effectuent concernant la modification de la réglementation entourant les hydrocarbures. On peut le voir dans le refoulement de la loi sur la gestion des terres et les Premières nations qui souhaitent prendre le contrôle de la gestion des terres. Il faut que les Premières nations et le gouvernement discutent ensemble des moyens à prendre pour mettre en œuvre ces institutions de manière plus proactive. Les Premières nations doivent être capables de les définir plus proactivement, et le gouvernement doit les aider à mettre les institutions en place avant que le développement économique ne puisse voir le jour et avant que les pressions du développement économique ne viennent exercer leur influence sur les collectivités.

Il est plus facile de faire face au développement économique une fois que les institutions sont en place. On dispose ainsi de mécanismes pour le règlement des différends, l'articulation des relations et les négociations avec les autres parties, parce que les institutions sont le gage de certitude dont les deux parties ont justement besoin pour définir la manière dont elles entendent travailler ensemble.

De l'autre côté, il y a l'industrie privée, et le comité, monsieur le président, voudra peut-être inviter des organisations qui dispensent ce genre d'appui, notamment le SACO, le Service d'assistance canadienne aux organismes. Cette organisation est formée de dirigeants à la retraite qui consacrent passablement de temps et d'énergie aux collectivités des Premières nations et des Autochtones en général. Je pense que le Comité ne pourrait que se féliciter de l'apport de ces gens en ce qui a trait à la mise en valeur du potentiel et à ce qui manque dans les collectivités pour qu'elles soient prêtes à faire face au développement économique avec succès. Il y a probablement d'autres représentants du secteur privé avec lesquels vous aimeriez vous entretenir. Par exemple, les banques et les sociétés autochtones responsables du développement économique et de l'investissement. Ces intervenants pourront vous expliquer ce qu'ils ont constaté sur le plan de la mise en valeur du potentiel et comment ils font en sorte de faire fructifier leurs investissements.

C'est là le genre d'initiatives qui, à mon avis, pourrait aider les Premières nations et les collectivités autochtones à mieux se préparer à entreprendre des projets de développement économique, à collaborer avec le secteur privé et à remporter plus de succès dans leurs entreprises.

Le sénateur Christensen : Le financement est essentiel, mais à mon avis, il n'est pas l'élément le plus crucial. N'importe qui peut réussir financièrement, dans la mesure où il y a toujours du financement disponible. Il faudrait mettre sur pied des institutions à la fois durables et permanentes.

Dans le cadre de vos études et de vos examens, avez-vous eu l'occasion de voir à l'œuvre des méthodes non traditionnelles ou peu orthodoxes, mais qui ont donné de très bons résultats?

M. Berthelette : Nous avons visité 13 Premières nations dans le cadre de cette étude. Je réfléchis afin de vous dire si nous avons vu quoi que ce soit qui, à notre avis, pourrait être considéré comme non traditionnel ou peu orthodoxe.

Le sénateur Christensen : Je veux dire, en toute légitimité.

M. Berthelette : C'est bien ainsi que j'avais compris votre question, sénatrice.

Nous avons vu des collectivités clairement engagées sur la voie du développement économique. Elles avaient clairement articulé une vision de ce qu'elles voulaient accomplir. Elles établissaient la distinction entre la politique, l'administration et les affaires, et s'assuraient en outre que la politique était favorable à la fois à l'administration et aux affaires.

Elles s'efforçaient aussi de soutenir les entreprises. Lorsque les collectivités se lancent en affaires, il arrive souvent qu'elles subissent des pressions considérables les incitant à investir les profits réalisés dans les programmes sociaux et dans d'autres projets communautaires. Nous avons constaté que les entreprises prospères réinvestissaient les profits dans l'entreprise afin d'assurer sa survie. Il n'était pas question de participation aux bénéfices tant que l'entreprise n'était pas prospère. Cette décision était liée à leur vision qui consistait à rechercher la prospérité économique.

Elles se fixaient également des objectifs et mesuraient leur progression vers ces objectifs. Essentiellement, c'est ce que nous avons vu dans les collectivités que nous avons visitées. Je ne peux pas dire que c'est une pratique peu orthodoxe. C'est ce que ferait n'importe quelle entreprise prospère de toute façon. Franchement, sénatrice, je ne vois pas d'exemple de méthode peu orthodoxe que ces gens auraient pu utiliser dans le cadre de leurs activités économiques. Cependant, je vous assure que ces gens sont toujours engagés envers leur collectivité. Ils font toujours preuve d'un engagement à l'égard de leur culture et de leur spiritualité, et ils intègrent cet engagement dans leurs façons de faire. La mise en valeur des ressources, la fabrication, ou toute autre activité, étaient toujours animées et soutenues par leur culture et leur spiritualité.

Même si ces collectivités enregistraient ce que nous appellerions du succès en termes occidentaux, nous avons été à même de constater qu'elles intégraient harmonieusement leur développement économique à leur vie communautaire et à leur mode de vie.

Le sénateur Christensen : Autrement dit, toute la collectivité participait au développement, mais il était compartimenté et séparé de sorte qu'il n'y avait pas beaucoup de liaison croisée, et que l'un ne s'effectuait pas au détriment de l'autre aspect.

M. Berthelette : En fait, il était intégré et harmonisé avec le reste, pour ainsi dire.

[Français]

Le sénateur Tardif : Dans un de vos rapports, vous avez souligné l'incertitude du climat d'investissement entourant le développement, en partie parce que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne s'est pas bien acquitté de ses responsabilités à l'égard du mécanisme d'examen des projets de développement.

Pouvez-vous spécifier dans quelles situations les projets ont dû être retardés ou être réduits parce que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne s'est pas bien acquitté de ses responsabilités?

Mme Fraser : Nous n'avons pas fait état de cas spécifiques dans le rapport comme tel. C'était un peu délicat, car les conseils du Nord ont l'autorité de réglementation. Si on ne voulait pas mettre en cause leur décision, c'est-à-dire d'avoir citer des cas, on aurait peut-être donné l'apparence qu'on doutait de la décision qu'ils ont prise et on ne voulait pas faire cela.

Il est certain que nous avons vu des cas où il n'y a pas eu uniformité dans les décisions. Prenons, par exemple, les normes pour la qualité de l'eau. Il n'y a pas de norme d'établie. La norme peut varier de projet en projet et même un projet peut être approuvé et prolongé, et la norme peut avoir changée entre-temps.

Il est important pour les compagnies qui faisaient les projets de développement d'avoir de la clarté concernant les obligations qu'elles doivent rencontrer. Le ministre a, selon la loi, l'autorité d'établir les normes pour la qualité de l'eau. Il devrait aider les conseils à avoir plus de clarté sur certains termes qui sont plutôt ambigus. Le ministère a accepté les recommandations, c'est-à-dire qu'il travaillera avec les conseils pour tenter d'avoir plus d'uniformité dans les décisions. Il s'agit donc d'établir un climat de certitude concernant les normes et le respect des obligations.

Le sénateur Tardif : Quels seraient les obstacles à cet objectif d'après vous?

Mme Fraser : Je pense que c'est une décision voulue de la part du ministère. Au début, quand les conseils ont été établis, le ministère a pris l'approche de ne pas s'en mêler. Il voulait laisser l'autorité aux conseils, leur donner pleine autorité. Il s'agissait d'une relation entre le gouvernement fédéral, les groupes autochtones et la communauté. Nous avons suggéré que le ministère joue un rôle plus actif quant à l'appui à ces conseils, leur donne plus de formation et les aide à clarifier les termes de la loi qui sont ambigus. Nous avons suggéré aussi de les aider à établir les normes pour la qualité de l'eau et améliorer la reddition de comptes des conseils.

Les conseils se disent indépendants parce qu'ils ont un rôle réglementaire. Il est vrai qu'ils doivent avoir une indépendance, tant au niveau décisionnel, réglementaire, mais ils devraient être redevables pour leur administration.

On pense que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle plus actif et les appuyer à bâtir ces compétences.

Le sénateur Tardif : Cela serait-il perçu comme une interférence par les peuples autochtones?

Mme Fraser : Tout dépend de la façon dont c'est fait. Je pense que non. Ils ont déjà eu une ou deux réunions avec les conseils. On demeure donc optimiste. On pense que cela pourrait être fait de façon correcte si le gouvernement fédéral ne s'impose pas aux conseils.

[Traduction]

Le président : Je suis très heureux que la vérificatrice générale et son personnel se soient rendus dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est toujours réconfortant de constater que les gens d'Ottawa prennent la peine de se rendre dans le Nord.

Je pense que vous avez dû voir que les choses avaient complètement changé dans le Nord par rapport à il y a 23 ans. Nous y avons un long passé d'administration coloniale de la part d'Ottawa. Durant les dernières décennies, nous avons déployé beaucoup d'efforts afin de nous doter d'un gouvernement responsable.

Le Nord que vous voyez aujourd'hui est entièrement différent de celui qui existait il y a des années, à l'époque où le gouvernement fédéral y avait la mainmise dans tous les aspects de l'existence de sa population. En tant qu'habitants du Nord, nous avons réussi à nous extirper de l'emprise du gouvernement fédéral.

Ce que l'on y voit est très positif. Nous avons eu la chance de créer dans le Nord une société très stimulante, foisonnante et active à bien des égards. Les peuples autochtones participent, comme tous les autres, à la société, au gouvernement et à l'industrie.

Les offices que la vérificatrice générale et ses collaborateurs ont examinés sont issus des accords de revendication territoriale conclus dans le Nord, depuis 1980 avec Inuvialuit, au début des années 1980 avec les Gwich'in et les Sahtu et, plus récemment, avec les Dogrib. Ces peuples autochtones exercent un contrôle à la mise en œuvre de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, et les offices ont été créés dans le sillage de cette loi.

Même s'il peut exister des lacunes dans ces offices, il reste qu'en vous rendant dans les régions nordiques, vous vous attendiez peut-être à juger l'efficacité de ces commissions en fonction des mêmes critères qu'à Ottawa? Est-ce que vous n'auriez pas pu vous montrer plus sensibles aux progrès et aux réalisations que les populations nordiques ont accomplis grâce à la participation à ces offices?

Dans le Nord, les personnes possédant des dizaines d'années d'expérience dans des offices de ce genre sont rares. On y trouve plutôt des Autochtones qui vivaient encore dans la forêt ou sur les banquises il y a 20, 30 ou 40 ans seulement, et qui se retrouvent soudain à l'ère industrielle. J'aimerais vous entendre dire que vous avez constaté des progrès. Les peuples autochtones comptent pour au moins 50 p. 100 des membres de ces offices, et ils font leur possible.

En examinant cette situation en adoptant le point de vue d'Ottawa, est-ce que vous n'avez pas perdu de vue justement que les choses se passent différemment dans le Nord?

Lors de nos négociations avec le gouvernement fédéral, dans le passé, nous avons constaté que nous pouvions obtenir de meilleurs résultats que le gouvernement. Nous pouvons faire les choses plus efficacement, avec plus d'efficience et à meilleur coût que le gouvernement fédéral.

Si le gouvernement décide de construire une maison dans le Nord, il lui en coûte entre 200 000 $ et 300 000 $. Nous les gens du Nord, nous nous sommes toujours fait fort, en tant que gouvernement, et par l'entremise de l'association locale de logement, de réussir à le faire pour le tiers de ce montant. C'est l'expérience qui nous l'a enseigné.

Des peuples émergents des régions nordiques ont entrepris la transmission de leur culture, de leurs attitudes, de leurs compétences traditionnelles et de leur savoir dans le cadre du travail qu'ils effectuent au sein de ces offices. Avez-vous tenu compte de cette réalité et leur avez-vous accordé suffisamment de crédit? Est-ce que vous insistez sur des normes fédérales ou sudistes qui peut-être ne conviennent pas, ne sont pas applicables ou même souhaitables?

J'ai remarqué que, dans l'une de vos recommandations, vous insistiez pour que les présidents de ces offices créés en vertu de la loi se réunissent avec les hauts fonctionnaires du ministère et pour tenir des consultations.

Malgré tout le respect que je vous dois, je ne sais pas si les gens du Nord souhaitent réellement tenir des consultations avec les fonctionnaires du gouvernement fédéral, ici à Ottawa. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Fraser : J'aime à penser que nous nous sommes montrés sensibles aux particularités du Nord. À titre d'information, je ne sais pas si le comité est au courant que nous agissons à titre de vérificateurs des assemblées législatives dans chacun des territoires. Certains de mes collaborateurs passent beaucoup de temps dans le Nord parce que nous effectuons tant la vérification des gouvernements que des sociétés territoriales. D'une certaine manière, nous assumons deux rôles — celui de vérificateur des Territoires, de même que des responsabilités du ministère des Affaires indiennes et du Nord dans les régions nordiques.

Dans le cadre de cette vérification, nous avons évalué les responsabilités imposées à Affaires indiennes et du Nord par la Loi, donc les rôles que nous décrivons comme ayant été clairement définis dans la Loi incombent au Ministre.

Lorsque nous procédons à nos vérifications, nous prenons grand soin de consulter les personnes concernées, même si, de toute évidence, nous ne jouons pas de rôle précis vis-à-vis les offices. Nous avons effectivement consulté un grand nombre de présidents de ces offices, de même que les membres des offices et des collectivités en général afin de nous assurer de faire des recommandations qui trouveront une résonance chez eux et qui ne seront pas simplement le fruit du travail d'un vérificateur qui propose quelque chose d'irréaliste. Les points que nous avons examinés sont en fin de compte les responsabilités que la Loi confère au Ministre. La question relative à la consultation du Ministère par les offices figure justement parmi les plaintes ou les sujets de préoccupation soulevés par les présidents de ces offices.

Même si nous approuvons l'idée que chaque collectivité de chaque région aura une approche différente des choses, il reste qu'il s'agit de projets de développement et d'investissement très complexes et de grande envergure pour le Nord. Je suis persuadée que tous les promoteurs vous diront qu'ils souhaitent que les conditions que l'on s'attend à ce qu'ils remplissent soient le plus claires possible. À défaut de clarté, et s'ils ont l'impression que ces normes risquent de changer arbitrairement et sans qu'ils sachent exactement pourquoi, il est évident que cela contribue à créer un climat d'incertitude pour l'investissement. Il ne s'agit pas d'abaisser ou d'élever les normes, mais plutôt de les préciser ou d'en faciliter la compréhension.

L'une des responsabilités imposées au Ministre en vertu de la loi est précisément de contribuer à établir ces éléments. Depuis que les offices ont été créés, le Ministère et le Ministre ont adopté une attitude passive. Nous affirmons qu'ils doivent se montrer plus présents auprès des offices afin de les aider à mettre en valeur le potentiel, à accroître la transparence et à définir les termes ambigus de la législation susceptibles d'être interprétés de manière différente par les membres des offices. Les membres des offices eux-mêmes réclament cette intervention.

M. Jeff Greenberg, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Mesdames et messieurs, nous avons consulté énormément de personnes dans le Nord, y compris les présidents des offices, les promoteurs et les collectivités autochtones. Tous et chacun souhaitaient que le processus comporte davantage de précision, de certitude et de cohérence. En effet, qu'il s'agisse des promoteurs de développement ou des citoyens préoccupés par l'environnement ou l'utilisation des terres traditionnelles, tous voulaient obtenir plus de certitude quant à la manière dont le processus se déroule et souhaitaient être rassurés sur le fait que c'était ainsi que les choses allaient se dérouler.

Je ne voudrais pas laisser entendre que le processus de consultation a été limité ou de quelque manière adapté en fonction du style privilégié à Ottawa ou dans le Sud. Le concept même de la consultation a été considéré comme d'un modèle très différent de ce à quoi je suis habitué en tant que sudiste. Nous avons fait preuve de beaucoup de respect à cet égard.

Comme l'a indiqué Mme Fraser, les présidents des offices sont convaincus de l'importance de ces organisations pour le Nord, la population du Nord et pour tout le Canada. Ils ont déclaré que les fonctionnaires devraient leur accorder l'importance qu'ils méritent et agir en conséquence en se réunissant avec eux régulièrement plutôt qu'en dépêchant des subalternes chargés de traiter directement avec les offices. C'est sur leurs conseils que nous avons fait cette recommandation, et d'ailleurs le Ministère l'a acceptée en reconnaissant qu'il s'agissait d'un élément important pour traiter ces régions avec respect.

Lors de la mise en œuvre de la Loi, l'intention de départ était d'accorder un peu de temps aux offices, de se retirer un peu et de leur donner l'occasion de prendre de l'expérience sur le tas. Tout le monde a compris, toutefois, que ce qui s'est passé dans le Nord n'est pas exactement ce à quoi l'on s'attendait. En effet, on a découvert les réserves de diamants. On a parlé de pipeline, et le prix du gaz est monté en flèche. Et c'est alors que le pipeline est devenu un enjeu important. Ces facteurs ont incité les offices à adopter un échéancier différent de celui qu'ils avaient prévu au départ. Par exemple, l'Office des terres et des eaux des Territoires du Nord-Ouest existe depuis un bon bout de temps dans la région désignée des Inuvialuit, et il a eu l'occasion d'acquérir l'expertise qu'il possède aujourd'hui. Ces offices créés en vertu de la Loi sur la Gestion des ressources de la vallée du Mackenzie avaient besoin qu'on leur laisse le temps de faire leurs preuves et de commettre leurs propres erreurs — c'est mon interprétation — mais malheureusement, ce temps n'était pas à leur disposition. On avait besoin d'acquérir des certitudes, et c'est ce que tout le monde souhaitait dans le Nord aussi. Et c'est la raison pour laquelle nous avons fait ces commentaires, tout en reconnaissant qu'en demandant un rôle actif, nous ne voulions pas dire interventionniste. Et cela ne voulait pas dire non plus que l'on souhaitait que les offices soient manipulés en sous main. Au contraire, cela signifiait tout simplement que l'on souhaitait obtenir davantage de soutien direct.

Le président : Vous avez fait allusion aux réserves de diamants. Nous avons la chance dans les Territoires du Nord- Ouest de posséder deux mines de diamants en activité qui produisent des revenus considérables sous la forme de redevances au gouvernement fédéral et qui offrent aussi d'énormes possibilités aux peuples autochtones de la région. Je dois dire que c'est grâce au peuple tlicho, un peuple autochtone de la région de Yellowknife et de Dogrib, parce qu'il s'agit du groupe le plus traditionnel de tous les Autochtones vivant dans le Nord. Et pourtant, lorsque l'on a découvert les gisements de diamants, et qu'il a fallu mettre en place tous les processus réglementaires, et travailler avec les sociétés minières pour qu'elles respectent les exigences sur le plan de l'environnement, de la construction et des permis et licences, toutes les entités et tous les offices en place ont fini par donner leur consentement; on a fini par s'entendre, et ces mines ont commencé à être exploitées dans un délai relativement court.

Le pipeline est un autre projet de grande envergure — un projet de 7 milliards $ — qui est actuellement à l'étude. Ce pipeline s'étendrait de la région désignée des Inuvialuit, dans le haut du delta jusqu'au sud à travers plusieurs régions dont celle des Inuvialuit et des Gwich'in. Cette zone représente 40 p. 100 de la région que le pipeline doit traverser. Il y a seulement une semaine de cela, Esso a annoncé qu'elle cesserait ses démarches sur le plan de l'environnement. La société a fait savoir que c'était en partie en raison de la complexité du processus réglementaire, si j'ai bien compris. Je me demande si leur décision ne résulte pas simplement du fait qu'il existe certains problèmes, et que les membres des organismes de réglementation constatent que la population de cette région n'est pas unanimement en faveur du projet. Je me demande aussi si ces organismes de réglementation sont, en un sens, représentatifs de la population de la vallée du Mackenzie et ont décidé de prendre davantage leur temps et de faire preuve de plus de rigueur avant d'accorder les permis requis.

Diriez-vous qu'il s'agit d'une analyse plausible de ce qui se passe, et que les soi-disant lacunes dans ces organismes de réglementation sont en fait seulement le résultat de la décision des membres qui souhaitent prendre davantage de temps avant de rendre leur décision plutôt que d'accorder automatiquement les licences et les permis que les entreprises demandent?

Mme Fraser : Nous n'avons pas examiné ce projet en particulier dans le cadre de notre vérification, aussi j'hésite beaucoup à faire quelque commentaire que ce soit à ce sujet. Ce projet est, bien entendu, soumis à l'approbation des offices que nous avons examinés ainsi qu'à leur cadre réglementaire.

Si j'ai bien compris, on a mis sur pied un organisme de coordination qui réunira tous les organismes de réglementation afin que les promoteurs n'aient pas à aller d'un office à l'autre. Donc, on a déjà établi une certaine coordination, mais je pense que M. Greenberg pourrait vous en dire davantage.

M. Greenberg : Je pense que vous êtes au courant que tous les promoteurs et tous les membres des offices se sont mis d'accord sur un plan de coopération ainsi que sur un échéancier de mise en oeuvre.

L'échéancier a été remis à tous les promoteurs, au groupe du pipeline et à Esso, et la difficulté vient du fait, bien entendu, que Esso est une grande société et qu'elle constate que l'échéancier en question n'est pas respecté. Ses porte- parole ont déclaré que tous s'étaient entendus sur la nécessité d'établir un échéancier, mais que cet échéancier n'est pas respecté. Et la société se demande pourquoi. Mais cette attitude est caractéristique des gens du Sud. Peut-être que l'on veut tout simplement obtenir davantage de certitude. Mais selon moi, l'autre aspect est que des ententes sur les répercussions et les avantages doivent être négociées aussi, et que ces négociations sont un processus lent et de longue durée que toutes les collectivités veulent voir s'accomplir aussi bien que possible. Il se trouve que ce sont des questions commerciales qui ne nous concernent pas, et il se pourrait bien qu'elles expliquent en partie les délais. Il y a probablement un peu de cela, et vous avez peut-être raison. À mon avis, les délais s'expliquent probablement davantage par le fait que l'on se montre prudent et que l'on veut s'assurer de bien faire les choses. Comme vous le savez, les Dogrib se sont montrés très prudents lorsqu'ils ont négocié ces marchés relatifs aux mines de diamants, et les avantages qu'ils retirent de l'entente sur les répercussions et les avantages — on ne nous l'a pas montrée, parce qu'il s'agit d'une entente commerciale — mais il semble que l'on y a mûrement réfléchi. Je suis convaincu que c'est la même chose qui se passe concernant la vallée du Mackenzie. C'est un processus qui est distinct des audiences elles-mêmes.

Le sénateur Johnson : Le gouvernement a accepté les conclusions du rapport en ce qui concerne les mécanismes institutionnels pour les collectivités des Premières nations, ces mécanismes en vertu desquels on élabore le programme de développement économique communautaire et évalue le programme de négociation de l'accès aux ressources et le programme de partenariats pour l'exploitation des ressources. Je siège au Comité sénatorial des pêches, et je sais que Pêches et Océans vient tout juste d'amorcer un Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques en adoptant une approche axée sur la collectivité. Maintenant, le gouvernement a déclaré qu'il examinerait les exigences en matière de rapport pour tous les programmes dans le but de simplifier les rapports que doivent produire les Premières nations. Je me demande dans quelle mesure les choses ont évolué et si vous êtes satisfaits de la réaction du gouvernement à vos recommandations.

J'aurai ensuite deux autres questions à vous poser au sujet du rapport.

Mme Fraser : Nous n'avons pas fait le suivi de la vérification. En règle générale, nous revenons vérifier ce qui a été fait après un certain temps jugé raisonnable pour permettre au gouvernement de mettre en place les engagements qu'il a pris. Ce rapport a été déposé il y a environ un an et demi, et nous n'avons pas encore entrepris de vérifier les résultats, aussi je ne pense pas que nous ayons quelque information à ce sujet.

Le sénateur Johnson : Avez-vous obtenu de l'information des ministères indiquant un progrès dans la mise en oeuvre de vos recommandations?

Mme Fraser : Non, aucune information. Et si j'en avais, je devrais réserver mes commentaires tant que nous n'aurions pas vérifié la véracité de l'information.

Le sénateur Johnson : Donc, vous ne savez pas où en est la mise en oeuvre des recommandations. Quand le saurons- nous? Sans cette information, il est impossible de savoir si nous allons dans la bonne direction. Je ne sais pas pour ce qui est du programme des pêcheries — je n'ai pas vérifié auprès du comité —, mais il est toujours décourageant de constater qu'il se fait de l'excellent travail dont on n'a aucun moyen de faire le suivi.

Mme Fraser : Le comité pourra sans aucun doute demander au Ministère de lui donner un compte rendu de ses activités — un rapport d'étape en quelque sorte. Soit dit en passant, nous demandons de plus en plus souvent aux comités de nous aider en exigeant des plans d'action des ministères et en faisant un suivi périodique de ces plans d'action. Nous n'avons pas de plan de suivi dans l'immédiat. Nous ne ferons pas de nouvelle vérification avant quelques années.

Le sénateur Johnson : Nous ne pourrons pas savoir comment les choses progressent d'ici là?

Mme Fraser : Vous pourrez demander un compte rendu au Ministère.

Le sénateur Johnson : Je suis un peu découragée. J'ai siégé à ce comité pendant onze années environ et j'ai toujours trouvé que nous étions mal outillés pour faire le suivi des activités et demander des comptes, à maints égards. J'ai toujours les mêmes difficultés à savoir où en sont les choses au juste. J'ai l'impression que nous tournons en rond, que nous ne progressons pas assez vite. Je dois avouer cependant que vous êtes parvenue à réaligner les efforts. Vos rapports sont beaucoup plus précis que d'autres que j'ai pu lire auparavant comme membre de ce Comité et d'autres comités. Je m'intéresse aux dates parce que je viens du Manitoba, où la population autochtone est très nombreuse et en très mauvaise posture sur le plan économique. Je ne sais pas si vous avez fait des vérifications au Manitoba. Je ne m'en souviens plus. Les Autochtones de cette province ont tenté de mettre les réserves en valeur, de les développer, mais les résultats sont maigres. Tout ce qu'on voit, ce sont des salles de bingo et d'autres réalisations du genre.

Je m'insurge, madame la vérificatrice générale, contre l'absence d'imputabilité, que l'on retrouve aussi dans bien d'autres domaines.

Mme Fraser : Nous faisons de notre mieux pour redresser la situation. Parmi les quatre rapports que nous soumettons chaque année, l'un est un rapport d'étape. Nous retournons toujours vérifier après-coup où en est le gouvernement par rapport aux engagements pris. Nous nous sommes beaucoup intéressés à la question autochtone. Nous nous sommes notamment penchés sur l'éducation des Autochtones, le régime d'assurance-médicaments, le logement. Nous avons mené diverses opérations de vérification, et nous en sommes actuellement au deuxième et même au troisième suivi dans certains domaines où les progrès sont loin d'être impressionnants. Nous allons continuer de nous acharner sur ces questions, et certainement sur la question du développement économique.

Le sénateur Watt : J'aimerais parler d'une région que vous n'avez pas visitée lors de votre dernier voyage. Je viens du Nunavik. Je vais aborder les enjeux traités aux colonnes 16, 17 et 18. Vous avez dit dans votre déclaration d'ouverture que le Ministère avait tendance à agir selon la lettre plutôt que selon l'esprit des ententes. Cette constatation décrit très bien ce que ressentent les peuples autochtones quand ils transigent avec les administrateurs des traités modernes.

Je me demande parfois si le gouvernement a bien compris qu'un peuple autochtone conclut une entente non pas avec le gouvernement, mais avec la Couronne. Je crois que vous avez vous-même fait cette mise au point dans votre rapport.

Quoi qu'il en soit, le même problème refait chaque fois surface. La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée en 1975. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis. La mise en oeuvre a donné des résultats heureux, d'autres moins intéressants.

J'aimerais vous interroger sur un aspect, mais je ne suis pas certain qu'il relève de la vérificatrice générale — il s'agit peut-être d'un domaine de compétence provinciale. La Convention comporte deux volets : le volet ethnique et le volet public.

Le volet public englobe les domaines de la santé, de l'éducation, des questions sociales telles que le logement et les affaires municipales. Le volet ethnique concerne principalement les secteurs de la chasse, de la pêche, de l'environnement et des affaires. En ce qui a trait au volet public, nous n'arrivons jamais à savoir si nous en avons assez pour notre argent. Selon la formule de financement prévue dans la Convention, une partie incombe au gouvernement fédéral; l'argent pour l'éducation, la santé, le logement et d'autres questions sociales provient des provinces. Cela peut varier d'une administration à l'autre mais, en règle générale, 75 p. 100 des fonds viennent du fédéral et 25 p. 100 du provincial, ou vice versa. Avec une telle formule de financement, il est difficile pour nous de déterminer si nous recevons tout l'argent que nous doit le gouvernement canadien, parce qu'il nous arrive par l'entremise du gouvernement provincial. Avez-vous un droit de regard sur l'acheminement des sommes versées par le gouvernement fédéral? Vérifiez-vous où va l'argent et si les Autochtones reçoivent tout ce à quoi ils ont droit?

Mme Fraser : C'est une excellente question. Notre rôle consiste à vérifier les dépenses du gouvernement fédéral, et nous ne pouvons donc pas aller plus loin. Une fois que le chèque est sorti des coffres du fédéral, nous n'avons plus droit de regard; nous vérifions toutefois si le gouvernement reçoit les comptes auquel il doit s'attendre.

Nous avons mené certains projets avec des vérificateurs généraux des gouvernements provinciaux. Nous avons notamment travaillé sur un programme d'infrastructure financé conjointement par le fédéral, le provincial et le municipal. Nous avons travaillé en collaboration avec le vérificateur provincial, ce qui nous a permis de faire une vérification beaucoup plus poussée parce que nous avons pu vérifier l'ensemble du dossier et non seulement la partie fédérale.

Nous n'avons jamais envisagé de faire le type de vérifications auquel vous pensez. Ce serait probablement très difficile pour nous. Nous sommes actuellement aux prises avec un dilemme parce que le gouvernement fédéral transfère de l'argent aux provinces, qui l'utilisent pour mettre en oeuvre des activités ou des programmes conjoints. Comment les instances fédérales font-elles dans ces cas pour exiger des comptes? Ce genre d'ententes, souvent, ne décrit pas comment les sommes doivent être affectées.

Je ne sais pas si ce genre de clause figure dans les ententes auxquelles vous faites allusion, si elles décrivent expressément l'affectation des sommes. On entend souvent parler des fonds pour l'achat d'appareils médicaux. Le gouvernement fédéral a octroyé des sommes importantes aux provinces il y a quelques années, supposément pour qu'elles achètent des appareils médicaux. Nous avons souligné dans la partie sur les comptes publics de notre rapport que l'entente ne stipule nulle part que l'argent doit obligatoirement servir à acheter du matériel médical.

Je prends note de votre remarque, sénateur, et je vais voir si nous pouvons à tout le moins nous assurer que le gouvernement demande des comptes et qu'il dispose des mécanismes nécessaires pour vérifier que l'argent parvient vraiment aux collectivités.

Le sénateur Watt : C'est important. Apparemment, personne ne vérifie comment l'argent est dépensé. J'apprécierais énormément que vous m'éclairiez sur ce qui se passe au juste et que vous nous proposiez des solutions pour améliorer la surveillance.

Même s'il est prévu dans la Convention qu'elle sera renégociée tous les cinq ans ou quelque chose comme cela, nous en sommes rendus à négocier tous les ans avec le fédéral et le provincial. Les conditions sont reformulées chaque fois.

Une fois les négociations terminées, quand vient le temps pour le gouvernement fédéral de verser les fonds par l'entremise du gouvernement provincial, nous en perdons la trace. Il est impossible de savoir qui profite vraiment de l'argent.

Une autre source d'insatisfaction pour nous est la lourdeur du processus. J'avancerais même que la moitié au moins de l'argent qui devrait servir dans le Nord reste à Québec, dans le goulot de la bureaucratie provinciale. Nous voulons avoir l'heure juste. Je vous serais reconnaissant de jeter un oeil sur la question.

Le sénateur Buchanan : Je voudrais attirer votre attention sur un autre domaine. Pendant de nombreuses années, à l'échelon du provincial, nous avons suivi la situation et fait de notre mieux pour aider les collectivités mi'kmaq et d'autres nations en Nouvelle-Écosse. J'ai été témoin d'un miracle au cours de la dernière décennie. Très précisément, trois collectivités sont passées de l'indigence à la prospérité. Une partie de cette réussite est attribuable à des acteurs importants comme Bernd Christmas, Lawrence Paul, Dan Paul et d'autres qui, au Cap-Breton, ont mis sur pied la Membertou Development Corporation et, dans la partie continentale, le Millbrook Power Centre. Ces sociétés connaissent un succès phénoménal.

Je sais que c'est un peu en dehors de votre ressort, mais vous avez vérifié la Société d'expansion du Cap-Breton, la Société de développement du Cap-Breton, ainsi que l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Avez- vous vérifié combien d'argent chacune a investi dans ces collectivités? À votre avis, l'argent a-t-il été distribué aux collectivités en bonne et due forme?

Mme Fraser : Nous sommes les vérificateurs financiers des sociétés d'État, effectivement, mais je ne peux malheureusement pas vous répondre. Nous avons certainement vérifié les états financiers et certaines des subventions à ces projets, mais je ne peux vous donner le détail. Cependant, je peux demander à mon personnel de me dire ce qui a été vérifié et transmettre l'information au Comité. Je présume que nous avons fait ces vérifications. C'est tout ce que je peux vous dire pour l'instant.

Le sénateur Christensen : Certains prétendent que le chevauchement des règlements nuit à la mise en valeur des ressources du Nord canadien. Je pense plus particulièrement au Yukon, où de nombreuses Premières nations ont signé des ententes portant règlement. Aux termes de l'Accord-cadre définitif, de nombreux conseils devraient être constitués au moins à moitié de représentants des Premières nations. Malheureusement, elles n'en ont pas la capacité. Tout d'abord, la population du Yukon, très clairsemée, compte à peine 30 000 habitants, et seulement le tiers sont des membres de Premières nations. Comme il leur faut participer à tous ces conseils, des membres siègent à deux ou trois conseils en même temps, et ils manquent de temps pour bien faire leur travail. Souvent, ils se retrouvent membres d'un conseil parce qu'il y a un siège vacant, et non pas parce qu'ils ont l'expérience ou la formation pour le faire. Ces membres sont moins efficaces parce qu'ils se sentent intimidés.

Y a-t-il moyen que le gouvernement fédéral fournisse de l'aide financière aux collèges des territoires, afin qu'ils puissent donner de la formation aux membres des Premières nations sur la participation efficace à des conseils? S'agit-il d'une approche envisageable?

Mme Fraser : L'idée est intéressante. Nous affirmons en effet dans le rapport que le gouvernement fédéral devrait augmenter l'aide à la formation, mais nous avions plutôt en tête la formation des titulaires de rôles et de responsabilités très pointus. La formation leur permettrait de perfectionner leurs compétences pour mieux s'acquitter de leurs fonctions. L'éducation et la formation peuvent se donner dans toutes sortes de contextes, et les établissements locaux peuvent faire partie des solutions choyées.

Le sénateur Christensen : On pourrait allouer des fonds pour ce type de formation, qui prendrait la forme d'un cours de six mois par exemple, ou une autre forme. Toutefois, il vaudrait mieux que les collectivités offrent le cours elles- mêmes plutôt que le gouvernement fédéral.

Mme Fraser : M. Greenberg est sans doute mieux placé que moi pour répondre à la question.

M. Greenberg : Nous parlons dans le chapitre en question de l'absence de collaboration entre Affaires indiennes et du Nord canadien et les conseils formés en application de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie pour ce qui est de recenser les bonnes pratiques, d'évaluer les besoins de formation et de fournir la formation au besoin. Nous avons constaté qu'au moment de la création des conseils en 1988 et 1990, aucun processus systématique n'a été mis en place pour assurer la prestation de la formation, le partage sur les bonnes pratiques. Personne n'a pensé à examiner les façons de faire au Nunavut, ou au sein des autres conseils comme l'Office national de l'énergie; rien n'a été prévu pour simplement permettre aux présidents des conseils de se réunir pour partager sur leurs expériences, sans la présence du gouvernement fédéral ou de fonctionnaires. On a laissé aux conseils le soin de déterminer quels étaient leurs besoins en matière de formation, sans leur fournir les orientations initiales nécessaires. Nous avons notamment cité l'exemple du Yukon, où un nouveau conseil a été formé en vertu de la nouvelle Environmental and Socio-economic Assessment Act, la YESA. Curieusement, malgré la tendance actuelle vers le transfert des responsabilités, ce conseil relève du fédéral. Récemment, nous avons offert aux membres du conseil de les visiter pour leur expliquer certains procédés adoptés dans les Territoires du Nord-Ouest, et ils ont accepté.

Le sénateur Christensen : Le conseil relève du fédéral parce que c'est une obligation stipulée dans l'Accord-cadre définitif.

Le président : S'il n'y a plus de questions, je vous remercie, Madame Fraser. Je tiens également à remercier les responsables qui vous accompagnent, M. Berthelette et M. Greenberg. Je profite également de l'occasion pour vous remercier de l'intérêt que vous manifestez pour votre travail, et spécialement à l'égard de la question autochtone. Les études que vous avez réalisées ces dernières années ont mis au jour des problèmes majeurs. Vous avez allumé les consciences et suscité l'intérêt du gouvernement et de la société entière à l'égard des problèmes vécus par les Autochtones du Canada, à leur plus grand bénéfice. Je tiens à vous remercier et je vous encourage à poursuivre sur la même lancée.

Mme Fraser : Merci, honorables sénateurs, de l'intérêt que vous portez à notre travail. Je vous assure que nous allons maintenir le cap. Comme je l'ai dit plus tôt, la question autochtone constitue l'une des priorités du Bureau. Nous demeurons à l'entière disposition du Comité si jamais vous avez des questions à nous poser sur d'autres vérifications que nous avons faites.

Le président : Avant d'aller en pause, je voudrais informer mes collègues que des témoins se sont présentés sans s'être annoncés au préalable. Ce n'était aucunement prévu. Ces personnes se sont présentées ici et ont demandé à faire une déclaration. Il s'agit du grand chef Dennis Whitebird, de l'Assemblée des chefs du Manitoba, et de Louis Harper, son adjoint spécial. Si les sénateurs et les sénatrices y consentent, nous allons les entendre. Sachez cependant que nous n'y sommes pas tenus.

Le sénateur Christensen : Puis-je connaître le thème de leur déclaration?

Le président : Ils désirent nous parler du développement économique insuffisant de leur région et nous faire part de leurs recommandations.

Aux fins du compte rendu, pourriez-vous décliner vos noms et présenter votre exposé?

M. Louis Harper, adjoint spécial du grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba : Je suis adjoint spécial du grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Je suis venu seulement pour entendre les délibérations. Merci de me donner cette occasion.

M. Dennis Whitebird, grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba : Merci, messieurs et mesdames, de me donner l'occasion de m'adresser à vous. Je suis le grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Je vais faire un exposé oral, mais nous allons vous soumettre des documents écrits, monsieur.

Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de me donner cette possibilité, et je promets de ne pas abuser de votre temps. Je commencerai tout d'abord par vous dire que notre mission est de stimuler le développement économique de nos collectivités et de notre province. Nous représentons les 64 collectivités de Premières nations de la province du Manitoba, qui forment au total une population de 115 000 personnes. Notre population connaît la croissance démographique la plus rapide dans la province, et c'est également la plus jeune. Dans quinze ans d'ici, le quart de la population active du Manitoba sera d'ascendance autochtone. C'est maintenant que nous devons préparer notre peuple de même que les Manitobains à cette réalité future.

Nous avons fait tout le nécessaire pour perfectionner les capacités de nos membres. Nous leur avons donné de l'éducation. Nous nous sommes dotés des ressources essentielles pour la formation, le développement professionnel et celui des entreprises. Tout récemment, nous avons créé l'une des toutes premières chambres de commerce autochtones au Canada. Nous pouvons nous vanter d'enregistrer la plus rapide croissance du nombre d'entreprises au Manitoba. Nos membres ont été à l'avant-plan de la création de la chambre de commerce. Les Premières nations qui font des affaires au Manitoba déploient une immense énergie à créer des emplois et à perfectionner les capacités.

J'aimerais aborder plus en détail le thème des taux d'emploi. Actuellement, le taux de chômage au sein des collectivités de Premières nations est de 90 p. 100 environ. On peut dire qu'elles sont presque totalement à la solde de l'aide fédérale. Les problèmes soulignés par la vérificatrice générale du Canada doivent être redressés. Nous devons ouvrir des possibilités, et l'avenue des sociétés de développement économique est prometteuse à ce point de vue. Au Manitoba, on dénombre sept zones tribales, et chacune a sa propre société de développement.

Pour vous donner un exemple, en 1990, les sept conseils tribaux ont investi 25 000 $ chacun pour la création d'un groupe d'investissement. Aujourd'hui, les groupes de développement des conseils tribaux ont un actif de 12 à 13 millions de dollars, amassé grâce à leurs investissements et à des titres de propriété importants dans des sociétés. Elles présentent des possibilités en matière de création d'emplois. Pour l'instant, les statistiques canadiennes, les taux de chômage dans notre province ne reflètent pas la réalité dans nos collectivités.

Les écarts sont énormes au chapitre des niveaux de revenu entre la province, nos collectivités et les réserves des Premières nations. Le revenu annuel dans certaines réserves équivaut à 10 000 $ environ, par rapport à 21 000 $ hors réserve. Dans la ville de Winnipeg, le revenu annuel peut avoisiner 14 000 $ pour un membre d'une Première nation, alors qu'une autre personne peut toucher jusqu'à 23 000 $. L'écart est de 10 000 $ environ entre les deux groupes.

Le portrait est on ne peut plus clair. Il est résumé dans un rapport publié en 2001 par la Commission canadienne des droits de la personne, selon lequel les Autochtones demeurent le groupe de la population le plus défavorisé au pays sur les plans du revenu, de l'espérance de vie et de la scolarité.

Le ministère des Affaires indiennes a réalisé une importante enquête fondée sur trois critères, qui ensemble donnent ce qu'on appelle l'indice du développement humain. L'enquête a démontré que les membres des Premières nations arrivent au bas de l'échelle. Les Premières nations du Manitoba ont la plus faible qualité de vie au Canada. Qui plus est, l'écart avec le restant de la population manitobaine est le plus important au pays. Nous avons beaucoup à faire pour donner aux collectivités de Premières nations du Manitoba les moyens de combler l'écart avec le reste de la population de la province et celle du Canada. Le Manitoba affiche par ailleurs les écarts les plus larges dans les domaines de la scolarité, du revenu et de l'espérance de vie.

La vérificatrice générale a mis le doigt sur des problèmes économiques bien précis, qui ont trait aux recettes, aux ressources, aux terres et à l'accès au capital. Ce sont les obstacles quotidiens auxquels nous nous butons dans nos efforts de développement économique des collectivités de Premières nations.

La Commission royale sur les peuples autochtones a annoncé déjà qu'il ne serait pas une mince affaire de faire passer les économies autochtones de la dépendance à l'autonomie. L'élan primordial ne peut venir que de l'accès aux terres et aux ressources. C'est un problème majeur au Manitoba.

Nous avons des ressources dans la partie nordique de la province, au nord du 53e parallèle. Nous avons du bois, des ressources naturelles, des minerais. Nous avons trouvé du titane sur les terres d'une de nos collectivités. Elle n'a pas été en mesure de l'exploiter jusqu'ici en raison du différend autour de la propriété des terres et du minerai. Il ne fait aucun doute pourtant que cette terre nous appartient.

Nous cherchons des diamants au Manitoba, et il y a des possibilités d'exploitation pétrolière dans le coin sud-ouest de la province. On trouve des collectivités des Premières nations dans cette partie du territoire. Elles ne peuvent pas établir de partenariat avec les grandes pétrolières afin de tirer profit de leur ressource.

À nos yeux, l'entente conclue en 1930 à l'égard des terres et des ressources naturelles est inachevée. Nous n'avons pas été consultés, et nous n'avons jamais consenti au transfert entre les autorités fédérales et provinciales aux termes de la Loi des ressources naturelles.

Nos administrations et les budgets de développement économique que nous gérons subissent des compressions. Cette année, les fonds pour le développement économique qui étaient gérés par nos collectivités de Premières nations seront diminués et transférés à Entreprise autochtone Canada. Il en résultera sans aucun doute une diminution des possibilités de développement économique pour nos Premières nations. Cet argent, dans certains cas, était utilisé comme capital d'amorçage à des fins de développement ou pour du travail de recherche organisationnel. Il faut examiner de près la situation. Dans son rapport au ministère des Affaires indiennes, le Sénat pourrait lui recommander de rétablir ce véhicule de financement à l'intention des Premières nations.

Nous savons tous que les Premières nations vivent d'énormes difficultés. Nous savons également que les agriculteurs ont eu d'énormes difficultés. Dans le sud de notre province, l'économie repose beaucoup sur l'agriculture. Je ne vous apprends rien en vous parlant des problèmes qu'ont eus les agriculteurs à vendre leur bétail aux États-Unis après la fermeture de la frontière. Les retombées sur nos collectivités sont catastrophiques. Nous avons été incapables de vendre notre bétail. Quelqu'un m'a raconté qu'il avait vendu une vache 89 $, les larmes au bord des yeux.

Des ressources avaient été réservées pour les agriculteurs canadiens. Le gouvernement fédéral leur a versé des millions de dollars. Cependant, comme cet argent est transféré à la province, les Premières nations n'y ont pas accès. Cela nous pose d'énormes difficultés parce que les Premières nations relèvent du fédéral. Par conséquent, quand le fédéral verse de l'argent pour secourir les agriculteurs, il faudrait prévoir un montant séparé pour permettre aux membres des Premières nations de se protéger.

Les possibilités sont multiples. Voilà quelques semaines, nous avons participé à une importante réunion dans notre province concernant la pêche continentale. Nous voulons ouvrir le marché parce que toute l'industrie de la pêche est sous contrôle provincial actuellement. Des règlements provinciaux côtoient les règlements fédéraux, qui eux régissent la pêche maritime.

Certains pêcheurs sont des membres des Premières nations. Nous avons rencontré quelque 400 pêcheurs pour discuter avec eux de pêche continentale. Ils sont présentement en réorganisation. Nous avons besoin d'aide pour parvenir à faire de l'industrie de la pêche un mode de vie.

Mes recommandations porteront sur l'accès au capital, aux ressources, aux terres, ainsi que sur la nécessité d'augmenter considérablement le financement du développement économique des Premières nations. Le financement devra être substantiel, fourni selon des critères souples et viser des résultats mesurables. Il devra être remis à un organisme destiné aux Premières nations et géré par elles. Le financement devra découler d'un engagement à long terme à l'égard de l'amélioration du niveau de vie de tous les membres des Premières nations.

Nous recommandons en outre que les discussions soient amorcées au Manitoba, là où le problème est le plus aigu. Les Premières nations devront participer à l'élaboration du programme. Enfin, pour favoriser une mise en train rapide, AINC doit rétablir dès maintenant le programme d'apports de capitaux pour le développement économique, évalué à quelque 29 millions de dollars par année.

Accès au capital privé : Il faudrait offrir des crédits d'impôt afin d'inciter les particuliers et les sociétés à investir dans les entreprises et stimuler la création d'emplois dans les réserves. Ce coup de pouce favoriserait l'accès au capital du secteur privé. Cette mesure est un complément naturel à l'augmentation du financement pour le développement économique. Il serait également souhaitable que les Premières nations fassent leur part.

Ressources humaines : Il faut améliorer la coordination et augmenter les budgets de l'éducation et de la formation à l'appui des jeunes et de la population en croissance rapide des Premières nations.

Terres et ressources : Il faut accélérer le règlement des revendications territoriales au Manitoba. À ce jour, les DFIT convertis en terres de réserve équivalent à 6 000 acres, alors que le territoire visé en compte 197 000.

Ressources : An Manitoba, le gouvernement fédéral doit avaliser les prises de position des Premières nations concernant l'accès aux ressources et les accords de partage des recettes de l'exploitation des ressources, les initiatives du comité trilatéral sur l'accès aux ressources mettant en cause l'Assemblée des chefs du Manitoba, le Manitoba et le Canada, ainsi que le partage des recettes de l'exploitation des ressources, suivant les recommandations de la CRPA. Cet appui est primordial pour favoriser le développement économique des Premières nations.

Voilà pour nos recommandations. Nous avons sous les yeux de multiples exemples de réussites au chapitre de la création d'entreprises et de l'exploitation des possibilités. Au Manitoba, les budgets octroyés pour le développement social excèdent de loin ceux du développement économique. Des millions de dollars vont au développement social et maintiennent la population dans la dépendance économique par rapport au gouvernement. Nous voulons renverser la vapeur et stimuler le développement économique, la création d'emplois et l'offre de formations, des éléments clés pour que notre population puisse en venir à assurer elle-même sa subsistance à long terme.

Monsieur le président, sénateurs, je vous suis très reconnaissant de nous avoir prêté l'oreille. Je sais que nous sommes arrivés à l'improviste, et j'en apprécie encore plus votre accueil.

Le président : Merci pour vos commentaires et vos recommandations. Nous allons certainement intégrer vos propos au corpus que nous rassemblons aux fins de notre étude spéciale sur les entreprises autochtones et le développement économique. Nous sommes plus particulièrement à l'affût des facteurs de réussite. Nous voulons également étudier certains échecs, et notamment leurs causes. Cette étude nous permettra de mettre en garde les gouvernements et les Premières nations contre les mesures qui ont été nuisibles aux entreprises.

Aux fins de notre étude, nous visiterons l'automne prochain la Saskatchewan, le Manitoba et le nord de l'Alberta. Il est possible que nous nous rendions dans votre région pour rencontrer des gens d'affaires autochtones et d'autres leaders qui pourront mieux nous éclairer sur les entreprises autochtones.

Vous avez préparé des documents à notre intention avez-vous dit? Est-ce que quelqu'un peut présenter une motion visant le dépôt du document?

Le sénateur Buchanan : Je propose que le document soit déposé.

Le président : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée.

Voilà qui met fin à notre programme du jour. Merci à tous de votre présence et de votre patience.

La séance est levée.


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