Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 4 - Témoignages du 7 décembre 2004
OTTAWA, le mardi 7 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 18 heures, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts du Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et à ceux qui vont suivre les audiences du comité ce soir. Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts tient des audiences sur les graves difficultés que connaissent les collectivités d'agriculteurs au Canada. Parmi elles, citons la question de l'ESB qui ferme la frontière américaine aux bovins canadiens depuis près de deux ans. Nous avons écouté les représentants du secteur ainsi que d'autres touchés par les inquiétudes de l'industrie.
Nous allons entendre ce soir M. Terry Campbell, de l'Association des banquiers canadiens; M. Bob Funk, de la Banque Scotia; M. Brian Little, de la RBC Banque royale; M. Dave Marr, du Groupe financier Banque TD. Nous disposons donc d'un groupe de personnes bien renseignées et expérimentées qui aideront les honorables sénateurs à répondre à certaines des questions difficiles dont nous traitons.
Messieurs, peut-être voulez-vous faire des exposés individuels avant de passer aux questions.
M. Terry Campbell, vice-président, Politiques, Association des banquiers canadiens : Madame la présidente, je vais faire une brève déclaration liminaire, vous situer dans le contexte et ensuite, je crois qu'il vaudra mieux passer aux questions.
La présidente : Si cela convient aux autres, c'est parfait. Je vous cède la parole.
M. Campbell : Madame la présidente, au nom de l'Association des banquiers canadiens, je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de nous avoir invités à participer à ce débat important sur l'ESB. Le secteur agricole est très important pour les banques du Canada et c'est depuis longtemps que nous desservons la communauté agricole. Le secteur est aussi le fondement économique de nombreuses collectivités rurales que nous desservons par le biais de notre réseau de succursales. L'industrie bovine revêt une importance particulière, car elle représente près de 20 p. 100 du crédit autorisé au secteur agricole.
Le secteur bancaire travaille avec le gouvernement, l'industrie bovine et ses clients de l'industrie bovine depuis la découverte d'un cas d'ESB en mai 2003. Les banques canadiennes ont assuré à leurs clients qu'elles feraient preuve de patience et travailleraient avec eux, au cas par cas, afin de les aider à traverser cette crise en explorant toutes les options disponibles pour leur venir en aide. En plus des efforts additionnels que le banques ont déployés en travaillant avec leurs clients, l'ensemble du secteur bancaire, par l'entremise de l'ABC, collabore avec les acteurs du secteur agricole et les gouvernements afin de les aider à concevoir des solutions viables et à long terme à cette crise.
Par exemple, nous avons régulièrement des échanges avec l'Association canadienne des éleveurs de bétail afin de partager de l'information sur la situation de l'industrie bovine, d'informer les producteurs des mesures prises par les banques pour aider leurs clients de l'industrie bovine et de travailler avec les producteurs afin d'explorer des façons de traverser cette crise. Nous avons aussi des discussions avec le ministère fédéral de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, ainsi qu'avec les ministres provinciaux de l'Agriculture afin de partager de l'information sur la manière dont le secteur fait face à cette crise.
Les banques sont aussi patientes et souples que possible lorsqu'elles traitent avec des clients qui éprouvent des difficultés à cause de la fermeture des frontières. Dans certains cas, les banques ont conçu des programmes qui visent précisément à aider les clients touchés par la crise de l'ESB, y compris le report des paiements, la consolidation de prêts, l'exonération du taux d'intérêt et le refinancement. Dans d'autres cas, des institutions mettent en œuvre des programmes bancaires plus généraux d'aide aux sinistrés, qui s'inscrivent dans leurs efforts soutenus pour répondre avec le plus de souplesse possible aux besoins de leurs clients. Ces efforts visent à faire en sorte qu'un refinancement supplémentaire puisse soutenir certains producteurs jusqu'à la réouverture des frontières et jusqu'à ce que la demande augmente.
Les mesures prises par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux du Canada pour aider l'industrie bovine ont porté fruit. Elles ont eu des répercussions importantes sur la capacité des producteurs de soutenir leurs activités pendant cette période difficile. Nous avons bon espoir que les récentes mesures prises par le gouvernement pour venir en aide aux producteurs bovins leur fourniront un soutien supplémentaire indispensable.
Bien que les banques apportent toute leur attention aux clients qui éprouvent des difficultés en raison de la fermeture des frontières, cette interruption prolongée du marché a une conséquence déplorable et inévitable : des fermes ont fait faillite et d'autres subiront le même sort. Dans le cas de certains clients, les prêteurs font face à un défi croissant lorsqu'il s'agit de concevoir des mesures personnalisées pour leur venir en aide. Cependant, je tiens à préciser que ce n'est qu'en dernier recours que les banques retirent leur appui à un client. Cette situation ne se produit qu'après épuisement de toutes les autres mesures.
Les clients eux-mêmes ont souvent de la difficulté à décider s'ils veulent consacrer des ressources supplémentaires au soutien de leurs activités ou pour se retirer de l'industrie de façon rationnelle, avec l'actif qu'il leur reste. Nous incitons le gouvernement à examiner la possibilité de mettre en place des mesures visant à aider les producteurs qui désirent se retirer de l'industrie.
La récente annonce selon laquelle le projet de règlement qui régira les importations de bovins sur le marché américain ait été confié à l'Office of Management and Budget aux fins d'examen constitue un signe prometteur indiquant que cette phase de la crise tire peut-être à sa fin. Toutefois, même après la réouverture des frontières, il restera du pain sur la planche pour aider l'industrie bovine à rétablir son fondement économique. La fermeture prolongée des frontières a considérablement affaibli les bilans d'une grande partie de l'industrie bovine et a détérioré la situation financière d'un certain nombre d'entreprises qui fournissent des produits et des services aux producteurs bovins.
De plus, il faudra faire face à une offre excédentaire importante de bovins plus âgés. Le gouvernement aura un rôle important à jouer pour aider l'industrie bovine à recouvrer sa santé financière. Nous incitons le gouvernement à continuer de travailler en étroite collaboration avec l'industrie bovine après la réouverture des frontières.
Madame la présidente, c'est ainsi que se termine ma brève déclaration liminaire. Nous sommes prêts à entamer un dialogue avec vous.
La présidente : Je vous remercie tous, ainsi que les institutions que vous représentez, de l'attitude que vous avez adoptée tout au long de cette crise, parce que s'il en est une où nous devons tous travailler ensemble, c'est bien celle-là. Nous vous remercions sincèrement de votre attitude face à cette véritable crise qui secoue l'ensemble du pays.
Le sénateur Gustafson : Je suis heureux que vous nous fassiez un rapport positif de la situation des agriculteurs en ces moments difficiles. Il ne fait aucun doute que beaucoup de problèmes se posent. Même si le problème de l'industrie bovine est défini ici — et il faut également ajouter le problème important des cours peu élevés du secteur des céréales — il ne faut pas oublier de souligner quelques points positifs et j'aimerais m'attarder sur un ou deux d'entre eux.
Premièrement, les terres au Canada sont probablement les moins chères du monde. La province de la Saskatchewan compte 40 p. 100 des terres arables au Canada. Par comparaison, la valeur nette des terres est quelque chose d'important. On ne fabrique pas de nouvelles terres et elles sont très difficiles à déplacer.
Les terres ont toujours représenté un investissement stable pour l'agriculture. Cela varie d'une province à une autre, cependant. En ce moment, les prix des terres en Alberta sont extrêmement élevés pour diverses raisons qui pourraient même être à l'avantage de la Saskatchewan, car nos prix ne sont pas surgonflés ni non plus, par exemple, les prix pratiqués dans l'ouest du Manitoba. C'est un facteur dont j'espère vous vous souviendrez alors que nous examinons la situation, car les choses ne vont pas manquer de changer.
Je peux vous donner une comparaison, car c'est à mon avis important. J'habite à 20 milles de la frontière. Six quarts de section à la frontière se sont vendus au Canada pour près de 55 000 $ un quart de section. De l'autre côté de la frontière, à Crosby, au Dakota du Nord, cette même superficie se vendrait 120 000 $US; or, les propriétaires ne la vendront pas, parce que le secteur de l'agriculture suscite beaucoup d'optimisme.
Les Américains voient l'agriculture sous un autre angle. Peu importe qu'il s'agisse de New York, de Los Angeles ou de Seattle, les gens se battent pour le cœur du pays et l'appuient. Nous ne semblons pas avoir ce même dévouement au Canada, alors qu'il est nécessaire.
Notre comité a entendu de nombreux témoins représentant toutes les régions du pays. J'essaie donc d'exposer certains des éléments qui nous sont importants. Toutefois, je tiens à dire que je suis heureux de voir que vous vous proposez de défendre les agriculteurs.
Pour ce qui est de l'industrie bovine, sur laquelle porte la plupart de votre déclaration, je crois qu'elle va s'en sortir. Ce secteur a toujours représenté l'une de nos solides industries et bien sûr, les banques et les autres institutions de prêts considèrent toujours que c'est positif, car il y a toujours eu un peu d'argent pour payer les factures et répondre aux obligations.
Sur ce, je vous remercie, madame la présidente.
La présidente : C'est une excellente introduction, sénateur Gustafson. Y en a-t-il parmi vous qui ont des observations à faire sur les commentaires du sénateur Gustafson?
M. Campbell : Nous remercions le sénateur pour ses observations.
Mes collègues ont-ils des commentaires à faire?
M. Robert Funk, vice-président, Agriculture, Banque Scotia : Si vous permettez, je dirais qu'apparemment il y a beaucoup de concordance entre la façon dont nous voyons le comportement de nos clients, celle dont vous les décrivez en général et l'industrie. Au cours des 18 mois de l'ESB qui viennent de s'écouler, nous avons traité des questions davantage du point de vue des banquiers et de leurs clients qui, ensemble, débattent des situations, échangent de l'information et décident des meilleurs moyens d'action, plutôt que d'un point de vue conflictuel comme le genre d'approche : « Nous ne pouvons plus vous apporter notre appui ».
Je pense en fait que cela témoigne de l'importance accordée par le Canada à ce secteur si bien que les banques ou les institutions de prêt, les associations de producteurs et les producteurs eux-mêmes, ainsi que les gouvernements, fédéral et provinciaux, ont été très favorables et conséquents et ont commencé très tôt au cours du processus à apporter leur appui et à manifester ce genre d'attitude. C'est ce qui a certainement permis aux institutions de prêt de comprendre qu'on était décidé à ce que ce secteur reste fort, qu'il continue d'être un volet important de l'agriculture au Canada. Il a été ainsi plus facile pour les institutions de prêt de trouver des moyens d'apporter un soutien supplémentaire.
M. Brian Little, directeur national, Agriculture et affaires agricoles, RBC Banque Royale : J'aimerais intervenir au sujet de vos observations relatives à l'industrie bovine. Nous croyons également que cette industrie va se remettre très vite. Nous parlons ici de producteurs résilients qui participent à cette industrie et qui trouvent des façons de réagir aux circonstances et d'adapter leur plan d'affaires et leurs pratiques de gestion pour ce faire. Nous sommes confiants, comme vous, que l'industrie va poursuivre sur sa lancée; elle sera différente, mais elle sera toujours là.
M. David Marr, conseiller principal, Communauté, questions rurales et agricoles, Relations avec le gouvernement et la communauté, Groupe financier Banque TD : Les observations de M. Little au sujet de l'industrie bovine s'appliquent, je crois, à la plupart des industries ou secteurs de l'agriculture. Ils se sont montrés résilients au fil des ans. Qu'ils aient à payer des droits tarifaires ou qu'ils connaissent une période de sécheresse, les agriculteurs sont forts et défendent leur industrie et la plupart d'entre eux semblent très bien s'en sortir.
Le sénateur Mercer : Je tiens également à vous remercier d'avoir répondu à notre invitation. Je crois qu'au cours de toute la crise ESB, agriculteurs, consommateurs et détaillants ont fait du bon travail. Il y a un groupe que je n'ai pas mentionné, celui des abattoirs. Mes collègues ne sont jamais étonnés que je parle essentiellement des abattoirs.
Lorsque M. Bob Freisen, président de la Fédération canadienne de l'agriculture se trouvait ici il y a quelques mois, je lui ai demandé ce qu'il pensait de ce dont j'avais entendu parler, à savoir que la marge de profit de trois des grandes sociétés d'abattage avait augmenté de 281 p. 100 les deux derniers mois de 2003. Je savais qu'elles se défendaient bien avant cela, et ce pourcentage m'a choqué. Il m'a répondu, et je cite : « Nous croyons que les fonds initiaux versés à l'industrie bovine l'été dernier représentent une partie de l'argent facile que les abattoirs ont jamais gagné. »
J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez. J'ai aussi deux autres petites questions complémentaires.
M. Funk : Je peux commencer. À mon avis, lors de la fermeture initiale des frontières, tous les mécanismes de détermination des prix que nous avions au Canada ont en fait cessé de fonctionner. Comment le prix du boeuf a-t-il été déterminé à l'exploitation? Aux abattoirs, et cetera? On ne savait vraiment pas qui allait acheter du boeuf, combien de boeuf, ni ce qu'on en ferait une fois transformé. Du point de vue de la circulation du produit, les abattoirs se sont mis à chercher un moyen de ne pas avoir d'inventaire dont le prix aurait été trop élevé. J'imagine probablement que dans les mêmes circonstances, un homme d'affaires aurait dit : « Mon inventaire doit être à un prix approprié. »
Que cela ait absorbé les fonds que le gouvernement avait initialement réservés pour les producteurs, je ne peux pas vraiment le dire. Toutefois, pour ce qui est de nos clients, nous avons pu voir sans aucun doute que ces paiements alimentaient leur fonds de roulement. Peut-être cet appui aurait-il pu être apporté d'une meilleure façon, mais à mon avis, les producteurs eux-mêmes en ont profité.
Le sénateur Mercer : Cela nous ramène aux observations que vous avez faites dans la déclaration liminaire, lorsque vous avez parlé de la patience des banques envers les agriculteurs. Je ne suis pas en désaccord généralement parlant, même si ces trois ou quatre derniers mois, on a vu plus de demandes de prêts et de marges de crédit qu'auparavant. J'imagine qu'on peut alors se demander si du point de bue de la banque, la crise a atteint un genre de sommet au plan financier plus tard que dans le cas des autres crises que la collectivité a connues?
M. Campbell : Je vais demander à mes collègues d'intervenir à ce sujet également, mais je crois qu'il est juste de dire, sénateur, que les frontières sont fermées et que le marché ne fonctionne pas depuis un an et demi. Même si nous essayons avec le plus de patience et de souplesse possibles de trouver des solutions, de travailler avec les producteurs au cas par cas et d'examiner les situations individuelles, dans certains cas, le producteur va arriver à la conclusion qu'il doit faire un changement. Il est peut-être dans son meilleur intérêt de ne plus s'endetter et de se retirer du marché d'une façon rationnelle avec l'actif qui lui reste pour se lancer dans un autre secteur d'activité.
Ce seront des décisions rationnelles de leur point de vue. Toutefois, elles ne seront prises que lorsqu'on aura épuisé toutes les autres options et qu'un plus grand endettement ne serait pas dans l'intérêt du particulier. Même avant la crise ESB, la situation financière de certains était fragile, leur actif était épuisé et ils faisaient face à de graves difficultés. Cette crise a exacerbé leur situation. On arrive à un point, dans certains cas, où la décision est collective; il faut prendre une décision très regrettable et difficile. Permettez-moi maintenant de céder la parole à mes collègues.
M. Little : J'ajouterais, monsieur Campbell, que nous cherchons véritablement à aider les clients à conserver leur actif. Cela se fait dans le cadre d'une conversation entre le gestionnaire des comptes, le banquier et le client, avec la famille du client, pour savoir quelle est la meilleure façon de procéder. Faut-il risquer l'actif qui reste pour revenir une fois de plus dans le secteur, faut-il se retirer de l'industrie, conserver l'actif et les ressources ou peut-être liquider des terres ou des biens excédentaires et réduire les activités; faut-il peut-être même chercher un revenu d'un emploi hors- ferme pendant quelque temps afin de pouvoir recommencer lorsque la situation changera? C'est le genre de dialogue qui se fait entre nos gestionnaires de comptes et nos clients à ce moment-là.
Le sénateur Mercer : Cela m'amène à ma prochaine question. Selon la Fédération canadienne de l'agriculture, le coût administratif du Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, le PCSRA comme on l'appelle, pourrait s'élever jusqu'à 14 millions de dollars; c'est le chiffre de la FCA, pas le mien. Si elle a raison, comment justifiez-vous ce coût? Est-ce un exemple des droits prohibitifs que les banques imposent à des programmes destinés à aider l'industrie? Je cite son chiffre, que je suppose juste.
M. Marr : Pouvez-vous nous dire à qui incombent ces coûts, ces 14 millions de dollars?
Le sénateur Mercer : Ce sont les coûts administratifs du PCSRA, les dépôts du programme pourraient s'élever jusqu'à 14 millions de dollars.
M. Marr : Est-ce la partie administrative du gouvernement?
Le sénateur Mercer : Je pense que cela correspond aux coûts administratifs des banques. C'est ainsi que ces chiffres sont représentés.
M. Marr : À ma connaissance, il n'y a pas de coûts administratifs pour le PCSRA de notre côté. Nous ne facturons pas les producteurs pour leur participation au PCSRA. Ce programme a été lancé par le gouvernement, qui nous propose d'établir des comptes à l'appui de ce programme. Nous n'en n'avons pas transféré les coûts aux consommateurs.
Le sénateur Ringuette : C'est intéressant. La crise de l'ESB a causé la perte de combien d'agriculteurs? Je sais que les banques ont des statistiques et que vous avez des prévisions. Avez-vous une idée générale du nombre d'agriculteurs qui ont perdu leur ferme?
M. Funk : Je ne pense pas que nous ayons de chiffre pour l'instant. Nous suivons la stratégie établie au départ, qui consiste à ce que nous, les banques, ne nous comportions pas par rapport à nos consommateurs d'une façon qui ajoute à la confusion qui règne depuis que nous avons perdu nos signaux du marché, que nous avons perdu des marchés, que nous ne savons pas où les bovins iront ou combien pourront être transformés, et cetera. Nous avons tous travaillé avec les consommateurs individuellement, et bon nombre d'entre nous se sont dits qu'il n'était pas temps de prendre une décision. Certaines activités sont moins lucratives et sont dans une position financière plus précaire qu'avant.
Je dirais que lorsque nous prenons des mesures avec nos clients, nous le faisons en partenariat avec eux. Nous faisons les meilleures prévisions possibles, compte tenu du fait que le marché n'envoie toujours pas de signaux clairs et que nous ne pouvons pas établir de prix clairs à part ceux qu'on paie aujourd'hui, qui sont gravement déconnectés des prix versés aux États-Unis, et nous demandons aux consommateurs s'ils veulent poursuivre leurs activités. Nous leur demandons s'ils veulent acheter plus de veaux et remplacer leurs vaches de réforme.
C'est ce que la plupart de nos consommateurs choisissent. Lorsqu'ils disent en avoir assez, ils reconnaissent la faiblesse qui les a pris d'assaut et prennent leur propre décision. Ce ne sont pas les prêteurs qui les forcent à prendre des décisions.
Le sénateur Ringuette : Je suppose que j'ai mal formulé ma question. À votre connaissance, combien d'agriculteurs ont pris la décision de vendre leur terre, leur ferme et leurs activités? Avez-vous des estimations?
M. Funk : Je suis désolé, je n'ai pas de chiffre exact. Certains ont décidé de vendre une partie de leur ferme et de leurs biens pour réduire l'ampleur de leurs activités afin de mieux se protéger pour la prochaine étape. Je n'ai pas de chiffres sur ceux qui ont vendu ou liquidé leurs exploitations.
Le sénateur Ringuette : Je vous pose ces questions parce que j'essaie de comprendre la situation de la propriété agricole actuellement et les répercussions qui se feront sentir lorsque la frontière rouvrira et que le secteur bovin retrouvera un semblant de rendement stable. Si les gens vendent des parties de leur terre, ils risquent de ne pas pouvoir poursuivre leur élevage bovin au rythme d'avant. S'ils vendent une partie de leur terre à leurs voisins, cela pourrait augmenter leur productivité bovine. C'est ce que j'essaie d'évaluer. En bout de ligne, est-ce que les jeunes de la région profitent de cette occasion pour faire leur entrée dans l'industrie du boeuf? En ce moment, les prix sont bas et il ne pourrait y avoir meilleure occasion pour se lancer, ni meilleur contexte financier de départ. Nous nous préoccupons toujours de la jeunesse à cette table et des façons de permettre aux jeunes d'acquérir une ferme même si le coût d'un seul tracteur est de 150 000 $. L'agriculture demande un énorme investissement en capitaux.
J'aimerais avoir une idée de ce vers quoi nous nous dirigeons. Aurons-nous toujours la même capacité? Il y a eu quelques changements de mains. Lorsque la frontière rouvrira, allons-nous retrouver notre capacité d'auparavant? Est- il possible pour nos jeunes de faire leur entrée dans ce marché? La crise sera résolue.
M. Marr : Madame le sénateur, vous soulevez des points intéressants. Avant le premier cas d'ESB, lorsqu'il y avait transfert de propriété, la ferme allait à une famille différente qui cherchait activement à intensifier ses activités pour diverses raisons. La famille qui vendait sa terre réduisait l'ampleur des siennes. Comme nous le savons tous, ce ne sont pas tous les enfants nés à la ferme qui veulent y rester aujourd'hui, et ce pour diverses raisons. En général, la capacité reste dans la collectivité d'une façon ou d'une autre parce qu'il y a une ferme qui prend de l'expansion. Je pense que l'industrie du bœuf risque de s'en sortir plus forte parce qu'elle aura été confrontée à des difficultés qu'elle aura surmontées. Chaque fois qu'il est confronté à une difficulté, le monde agricole en général prouve que les changements nécessaires sont apportés pour répondre aux besoins et il s'en sort grandi. Il y en a beaucoup d'exemples.
Avant l'ESB, il y a eu une réduction du nombre de familles agricoles selon le recensement de Statistique Canada. Je pense que la diminution du nombre de fermes était d'environ 10 p. 100. Cela risque de continuer en raison de la façon dont l'industrie change, qu'il s'agisse d'exploitations agricoles ou d'autres entreprises. Certaines exploitations agricoles familiales prennent de l'expansion et deviennent plus fortes aussi. C'est différent.
Le sénateur Ringuette : Est-ce que l'industrie bovine ouvre la porte à de nouveaux jeunes agriculteurs qui veulent tenter leur chance sur ce marché?
M. Marr : Ce serait possible. Je connais beaucoup de jeunes dans l'industrie bovine qui ne semblent pas hésiter à rester au sein de l'industrie.
Le sénateur Ringuette : C'est un bon signe.
Le sénateur Callbeck : La réserve pour pertes sur prêts faisait partie de la stratégie annoncée en septembre dernier. Je pense qu'elle avait pour but d'augmenter la volonté des prêteurs ou des banquiers d'appuyer des projets et d'accroître la capacité d'abattage. Cependant, je crois comprendre que les institutions financières l'ont bien mal reçue. Est-ce vrai à votre avis? Dans l'affirmative, quel problème les banquiers y voient-ils?
M. Funk : Nous ne voyons certainement pas cette réserve d'un œil négatif sous prétexte que le gouvernement aurait fait quelque chose d'injuste. Il n'y avait rien avant, alors qu'il y a un outil maintenant. Nous essayons de réfléchir aux incidences qui se feront sentir sur les débouchés futurs. Nous savons qu'il y a plusieurs groupes qui cherchent des occasions de favoriser l'essor du secteur de l'abattage et nous constatons que la réserve pour pertes sur prêts offre en quelque sorte un filet de sécurité pour l'un des facteurs déterminants. Ce facteur déterminant sera la survie après la réouverture de la frontière, lorsque la concurrence affluera des principaux abattoirs déjà en place. Ces liquidités pourraient très bien avoir des incidences positives tant que la frontière restera fermée, insuffler un élan positif dans une situation bien mauvaise. Cependant, lorsque la frontière rouvrira, les plus grands du monde comme Cargill et IVP feront des offres très alléchantes pour obtenir les bovins, et ces nouveaux projets devront être forts pour survivre à la concurrence qui se fera sentir.
Le sénateur Callbeck : Comment peut-on solidifier ces entreprises, alors?
M. Funk : Comment pouvons-nous solidifier ces entreprises? En gros, nous croyons que la réserve pour pertes sur prêts peut améliorer ou diminuer le risque auquel s'exposent les particuliers qui se lancent en affaires. Cela ne change en rien le fait que l'analyse de rentabilisation doit être solide, mais cette réserve crée une zone tampon entre ce qui serait à peu près correct et ce qui a clairement le pouvoir de résister à certains chocs. Je doute que quiconque ici connaisse l'ampleur des chocs auxquels ces nouveaux projets devront résister. L'objectif de ce programme est de nous aider un peu à résister à ces chocs, puisque nous savons qu'il y en aura.
M. Little : Je suis totalement d'accord avec M. Funk qu'il faut une proposition et un projet durables pour résister, comme il le dit, aux chocs, aux hauts et aux bas qui existent toujours dans les entreprises de transformation. Nous pensons que c'est un bon outil et que la réserve pour pertes sur prêts de 40 p. 100 nous fournit un bon coussin en cas de besoin. Ceci dit, nous voulons tout de même nous assurer qu'il y a un bon plan d'affaires et un bon plan de marketing, que la gestion est forte et qu'il y a une profondeur financière dans le projet pour qu'il puisse résister à tous les obstacles sur son chemin.
M. Marr : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que M. Funk et M. Little ont dit. Le programme de la réserve pour pertes sur prêts est un bon filet de sécurité, mais il ne remplace en rien un bon plan d'affaires. Je pense que le plus grand défi pour l'expansion de la capacité d'abattage consiste à trouver de bons marchés pour les produits des futures entreprises.
Le sénateur Callbeck : Il n'est donc pas tout à fait juste de dire que ce programme a été mal reçu, alors?
M. Marr : Non.
M. Funk : Dans une certaine mesure, c'est encore très nouveau. Les choses évoluent vite de nos jours, et nous essayons de comprendre comment ce programme va fonctionner en même temps qu'il est mis en oeuvre. Certaines questions sont perçues comme des difficultés, et parfois elles s'avèrent des difficultés alors que d'autres fois, elles s'avèrent n'être que des questions d'information.
M. Little : Nous attendons toujours les versions finales des ententes sur la réserve. Lorsque nous les aurons reçues, nous allons les communiquer à nos forces de vente, à nos directions et à nos gestionnaires de comptes du pays. Certains ont manifesté de l'intérêt dernièrement, et nous allons communiquer avec eux pour leur fournir de l'information sur le tout.
Le sénateur Callbeck : Vous n'avez toujours par reçu l'information définitive?
M. Little : L'entente finale n'est pas encore disponible, mais elle le sera bientôt.
Le sénateur Tkachuk : Dans votre mémoire, vous dites que le secteur bovin obtient presque 20 p. 100 du crédit autorisé à l'industrie agricole. Avant la dernière crise d'ESB, peu de gens parlaient de l'ESB comme d'un problème.
Je suis un optimiste. Lorsque la frontière rouvrira, les institutions financières en tiendront-elles compte pour l'expansion future et le crédit? Est-ce que les taux d'intérêts augmenteront pour l'industrie du boeuf? Ma question s'adresse à quiconque veut y répondre.
M. Little : D'abord, la crise de l'ESB nous a appris qu'il n'y avait aucun secteur à l'abri de grandes difficultés, et tous les acteurs des finances agricoles en sont bien conscients. Nous sommes aussi conscients de la force de l'industrie et de son aptitude à résoudre les problèmes qui lui sont propres. Je serais porté à croire qu'à l'avenir, les principes de l'accès au crédit demeureront les mêmes. Nous continuerons d'exiger un plan d'affaires solide, une saine gestion et tous les mêmes critères qu'aujourd'hui dans l'évaluation d'un parc d'engraissement, d'une exploitation de naissage ou d'activité connexe. Nous utiliserons à peu près les mêmes paramètres qu'aujourd'hui.
M. Funk : J'ajouterais que cela aura pour véritable effet de positionner les risques supplémentaires dont nous avons pris conscience dans l'industrie, mais aussi le redressement de l'industrie elle-même, ainsi que du public par les gouvernements provinciaux et fédéral, et que cela confirmera que le secteur bovin demeure au coeur de l'industrie agricole. Il est clair que l'augmentation radicale du risque qu'il y aurait eu si les gouvernements n'avaient pas réagi n'a pas eu lieu. Cela nous a fait comprendre que nous sommes tous ensemble dans cette industrie. Pour ce qui est des débouchés futurs dans l'industrie, cela vient équilibrer ce que nous percevons comme une nouvelle expérience de risque avec l'appui du gouvernement dans les circonstances.
M. Marr : Je veux ajouter quelque chose au commentaire de M. Funk. Cela a aussi confirmé notre opinion sur la valeur des groupes de l'association et du soutien qu'ils nous ont apporté. En effet, ils ont réagi rapidement : ils ont communiqué avec les détaillants et les ont convaincus, ainsi que la population en général, que notre bœuf était sain. Ils ont contribué à acquérir pour notre produit un soutien qui ne s'est pas démenti au Canada, sur le marché national.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez vu ce qui se passe et vous savez comment les États-unis risquent de réagir. Vous êtes au courant des problèmes politiques. Les politiciens américains ne sont pas particulièrement pressés de rouvrir la frontière. J'ai remarqué que vous aviez fait preuve de prudence lorsque vous avez dit que le crédit disponible serait le même, mais vous n'allez pas dire : « Peut-être est-ce là un point de plus que ce que nous aurions exigé normalement. »
M. Funk : Si j'ai bien compris les propos de M. Marr, la gamme des risques qu'évaluent les institutions financières intervient toujours. À ce moment-là, on évalue la situation du client qui se présente avec un plan d'entreprise solide, une direction viable et des capitaux propres qui attestent qu'il peut respecter certains critères, comme la capacité de payer avec une marge de sécurité, et ainsi de suite. Le risque lié à ce client demeurerait relativement constant. Si l'on considère le risque dans le secteur comme composante du risque global, cela aurait un effet relativement mineur. Tout dépend surtout du producteur et des débouchés de l'entreprise.
Le sénateur Tkachuk : C'est bon d'entendre cela.
Le président : Sans révéler de secrets, compte tenu de ceux qui ont soumis un plan auprès de toutes vos organisations pour lequel ils espèrent un soutien afin de démarrer, pensez-vous qu'une fois que la poussière sera retombée, nous aurons tiré des leçons de cette situation? Aura-t-on appris, en partie, que les producteurs canadiens devraient avoir la possibilité d'écouler davantage leur bœuf sur le marché national canadien, que ce soit en ayant une clientèle de créneau ou un marché plus vaste? Va-t-on abandonner l'idée qui a cours depuis longtemps que les échanges transfrontaliers que nous avons avec les États-unis demeureront la force motrice du secteur? Allons-nous développer notre propre force en optant pour une commercialisation de notre bœuf orientée vers le marché canadien?
M. Campbell : Autrement dit, qu'avons-nous appris?
Le président : Exactement. Il est évident qu'une situation comme celle-là aura créé une onde de choc. C'est indéniable, mais après avoir encaissé un choc, va-t-on se livrer à une réflexion et décider de revenir intégralement aux anciennes méthodes? Avez-vous l'impression que cela a provoqué une ouverture de pensée, une nouvelle façon de voir les choses, qui serait appuyée par une structure et des ressources, afin d'assurer la protection de notre pays et de permettre à nos producteurs de vendre leurs produits aux Canadiens, pour que si cela se produisait de nouveau nous ne soyons pas pris dans une crise comme celle que nous connaissons depuis 18 mois?
M. Funk : Il y a maintenant 10 ans que l'on a éliminé la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. L'un des effets immédiats de ce changement et de l'abandon du tarif du Corbeau a été qu'il est soudainement devenu économique d'élever des bovins au même endroit où l'on produit des céréales fourragères. Nous avons été témoins d'un mouvement de l'industrie de la viande rouge vers l'Ouest et d'une augmentation de la taille de ce secteur. Au cours de cette décennie, nous n'avons pas constaté d'augmentation proportionnelle dans le secteur du conditionnement des viandes; autrement dit, que la valeur ajoutée nous amène plus près du marché du détail.
Aussi dur qu'a été ce récent choc, il nous a rappelé que nous devons assurer en parallèle la croissance de toutes les composantes de l'industrie. Au bout du compte, je pense que nous verrons un secteur très différent, en ce sens que nous aurons de nouveau mis l'accent sur l'équilibre. Nous allons élever des bovins. Nous n'allons pas dépendre uniquement sur le fait que la frontière américaine soit ouverte pour écouler des animaux vivants. Nous allons chercher davantage de marchés pour nos produits à valeur ajoutée. Certains de ces emplois resteront au Canada et l'industrie sera plus équilibrée qu'elle ne l'était il y a deux ans, avant que ne s'abatte sur nous la crise de l'ESB.
M. Little : Je m'attends â voir au cours de la prochaine ronde l'apparition de transformateurs de créneau qui examineront les marchés pour déterminer les besoins spécifiques des clients et élaborer les produits pour les satisfaire. La situation pourrait évoluer à mesure que se déroulera la prochaine étape d'élaboration du processus au Canada.
M. Marr : Je pense que la plupart des intervenants du secteur comprennent que nous ne pouvons pas dépendre uniquement des États-Unis et sont en quête d'autres marchés ailleurs dans le monde. J'espère que nous ne reculerons pas au point de desservir uniquement le marché intérieur, que nous envisagerons tous les débouchés possibles dans d'autres pays. Je pense que les divers acteurs essaieront de limiter leur dépendance envers un marché unique.
Le sénateur Gustafson : Je pense que les règlements sanitaires joueront un rôle important. Il nous faut établir des règlements sanitaires applicables aux États-Unis, au Mexique et au Canada dans un contexte de marché commun nord- américain. Le Canada ne pourra pas vendre au Japon s'il a des problèmes aux États-Unis ou au Mexique, ou vice versa. Tous les pays d'Amérique du Nord sont dans le même bateau à cet égard.
À mon avis, la frontière ouvrira lorsque nos interlocuteurs seront convaincus que nous avons bien les choses en main, et il faut espérer que cela se produira bientôt. Une fois cette étape franchie, nous verrons sans doute la situation d'un autre œil et nous pourrons évaluer comment tout cela fonctionnera.
Je peux me tromper, mais je pense que les règlements sanitaires permettront de débloquer la situation et à mon avis, le Canada est un chef de file dans ce domaine.
À Salt Lake City, j'ai assisté à des réunions où des représentants des États-Unis étaient présents. De multiples idées ont été soumises sur la façon dont les choses devraient fonctionner. Les producteurs laitiers n'ont guère voulu s'avancer. D'autres ont présenté certaines idées. D'aucuns étaient d'avis que nous devrions tester chaque animal, chaque poulet et chaque dinde. Quelqu'un d'autre a noté qu'on ne pouvait même pas recenser convenablement la population, et encore moins le nombre de poulets et de dindes.
Lorsque tout sera réglé et que nous pourrons compter sur des règlements sanitaires applicables dans les trois pays, je pense que le secteur reprendra du poil de la bête et qu'il sera sans doute plus vigoureux que jamais.
Le sénateur Mercer : Les banques ne sont pas les institutions qui suscitent la plus grande confiance dans la société canadienne. Je suis sûr que je ne vous apprends rien ce soir. Je crains qu'après l'ESB, les banques comptent que le gouvernement prendra les risques et qu'il volera au secours de l'industrie advenant une crise car c'est ce que nous avons fait avec l'ESB et ce qu'il faudrait sans doute faire à l'avenir. Cependant, je ne veux pas que l'on pense que cette responsabilité revient uniquement au gouvernement. Lorsque j'entends les gens parler de gestion du risque, j'ai la nette impression que nous verrons un resserrement de l'accès au crédit des banques, ou encore que les critères du financement seront plus rigoureux. Ils faut que, collectivement, le secteur bancaire assume sa part des risque dans le secteur.
Pouvez-vous me donner l'assurance que ces craintes ne sont pas fondées? La communauté bancaire peut-elle s'engager à demeurer des plus actives dans le domaine de l'agriculture?
M. Funk : J'ai énormément réfléchi à la question et nous nous sommes demandés quelle orientation nous voulions prendre. Nous voulons aller de l'avant. Nous avons évalué ce qu'ont fait les gouvernements, notamment avec l'introduction du cadre de politique agricole. Nous avons constaté la volonté du gouvernement d'être une influence stabilisatrice et cela a été perçu comme une chose positive. Certes, la découverte d'un cas d'ESB a été une catastrophe, mais au-delà de cela, il y a eu d'autres interventions du gouvernement.
Pour ce qui est de nos rapports futurs avec le domaine de l'agriculture, y compris le secteur bovin, et les services financiers que nous lui offrirons, nous nous attendons des pouvoirs publics à ce qu'ils jouent le rôle qu'ils ont toujours joué, c'est-à-dire fournir un cadre pour l'assurance-récolte. Le PCSRA a fait place au secteur bovin pour la première fois dans l'histoire des programmes d'assurance. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un programme d'assurance à proprement parler, il a pour effet de protéger cette marge de référence.
En somme, je ne pense pas que nous allons traiter le secteur différemment. Nous allons simplement considérer cet outil comme un élément mesurable du point de vue de l'évaluation du risque.
Le sénateur Hubley : J'ai une question au sujet des collectivités. Il ne fait aucun doute dans notre esprit que même si c'est le secteur du bœuf qui a été dévasté par l'ESB, cela a eu un effet de contagion. Comment vos banques répondent- elles aux besoins des autres intervenants de l'industrie, des collectivités? Comment réagissez-vous alors qu'elles sont aussi dans le besoin à l'heure actuelle?
M. Little : Nous avons appliqué aux petites entreprises des collectivités les mêmes programmes que nous offrons à nos clients du secteur agricole. Nous leur avons offert, entre autres, de reporter les paiements sur le principal et dans certains cas, nous avons procédé à un refinancement lorsque des individus étaient directement touchés par la situation à la suite de pertes d'emploi, de ventes ou d'activités. Nous avons adopté à leur égard les mêmes pratiques qu'avec nos clients touchés par la crise de l'ESB pour leur venir en aide.
M. Marr : De nombreuses collectivités ont été ébranlées. Je salue les banquiers des milieux ruraux qui sont aux prises avec ces problèmes depuis deux ans. Ils ont sans doute été témoins de bien des épreuves puisqu'ils sont en première ligne et que dans bien des cas, ils résident dans la communauté depuis longtemps. C'est dans ces communautés qu'ils ont leur chez-soi car beaucoup d'entre eux ont été élevés sur des fermes. Nous appuyons ces entreprises, tout comme le secteur bovin. Aujourd'hui, nous avons mis l'accent sur les éleveurs bovins, mais il n'y a pas qu'eux; il y a aussi les producteurs laitiers,les concessionnaires automobiles, les épiceries locales, et cetera. Ces communautés assurent la subsistance de nos succursales et il va se soi que nous devons les appuyer.
Le président : Je suis heureux que l'on ait posé la question car dans la région d'où je viens, à Lethbridge et dans le sud-ouest de l'Alberta, la crise a touché pratiquement tout le monde dans la région, les producteurs, les transformateurs, les propriétaires de parcs d'engraissement, les camionneurs, et cetera. Par conséquent, dès le début, tous les habitants ont ressenti énormément d'inquiétudes au sujet de la survie de nos communautés, qui sont absolument merveilleuses et qui sont un important moteur de la prospérité dans toute la région. À l'heure actuelle, on a tendance à se concentrer sur le secteur bovin.
Je suis heureux d'entendre les propos rassurants des représentants des banques et de savoir que celles-ci ont adopté une perspective plus vaste au cours de cette période. C'est un peu comme un château de cartes : si l'industrie bovine est ébranlée, cela touche toutes les autres petites entreprises et provoque de véritables problèmes sociaux dans ces communautés.
Et pourtant, même si certains ont abandonné leur entreprise, dans l'ensemble, les communautés sont demeurées fortes, et je suis heureux de vous entendre dire ce soir que cela est dû en partie à votre engagement en cette période difficile. Sans cela, nous serions confrontés à une situation bien différente.
Monsieur Funk, vous qui avez parcouru le sud de l'Alberta, avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Funk : Un des tout premiers coups de téléphone que j'ai reçus au cours du mois qui a suivi l'annonce du cas de l'ESB venait de notre directeur à Medicine Hat. Il m'a dit,entre autres, qu'il nous faudrait être sensibles à la situation des habitants de la ville dont la rémunération horaire allait diminuer parce que les usines de transformation allaient interrompre ou ralentir leurs activités, que les entreprises de camionnage allaient licencier des chauffeurs, des commis, des répartiteurs et d'autres travailleurs. Que tous les habitants allaient subir un contrecoup financier, qu'ils seraient tous touchés. À ce moment-là, nous avons averti tous les gestionnaires de la banque pour que tout notre personnel, qu'il travaille dans le volet détail ou le volet commercial, porte une attention particulière lorsque se présenterait un problème attribuable à la crise de l'ESB.
Nous avons déjà prévu dans nos politiques des autorisations écrites préalables. Par exemple, on permettra à nos clients qui ont de bonnes raisons de sauter un paiement et de le rajouter à la fin de leur terme ou encore de bénéficier d'autres mesures pour leur permettre de faire face à leurs obligations. Nous avons eu recours à toutes ces initiatives, que ce soit pour l'hypothèque d'un commerce de détail, pour une carte Visa ou la ligne de crédit de fonctionnement d'une entreprise de camionnage. De bien des façons nous avons essayé, dans la mesure du possible, de reconnaître que toute la communauté avait été touchée. Nous voulions tout faire pour essayer de lui permettre de s'en tirer collectivement.
Le sénateur Gustafson : Je ne veux pas m'en prendre à au sénateur Fairbairn, mais il est risqué de consolider à outrance une industrie dans une région. À Garden City, au Kansas, par exemple, on nous a dit transporter tout le maïs par camion à des distances raisonnables de là. C'est à Garden City, au Kansas, que l'on transforme le pourcentage le plus élevé de tous les bovins aux États-unis. J'ai appris avec joie que les Maritimes allaient avoir une usine de transformation car pour cette région, c'est un moyen de se diversifier. Le simple fait d'expédier du bétail en Ontario, à Edmonton ou ailleurs leur donne la possibilité de desservir un marché de créneaux et c'est important.
Avec votre permission, j'ajouterai autre chose. J'ai mentionné tout à l'heure qu'il était impératif de considérer l'agriculture dans une perspective internationale. C'est important et ce que le Canada doit faire pour résoudre certains de ses problèmes à long terme en ce qui concerne le prix des produits de base. Ce n'est pas la première fois que je le mentionne, et d'ailleurs mes collègues du comité savent que j'insiste énormément là-dessus.
La séance est levée.