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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 3 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 7 mars 2005

Le Comité spécial sénatorial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je vais d'abord expliquer brièvement le rôle de ce comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes à New York, à Washington, DC, et dans un champ de Pennsylvanie, ainsi qu'à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.

À cause de l'urgence de la situation à ce moment-là, on avait demandé au Parlement d'accélérer l'étude de cette mesure législative et nous avions accepté. La date limite pour l'adoption de ce projet de loi était la mi-décembre 2001 et nous nous sommes conformés au délai imparti. Cependant, des préoccupations ont été exprimées au sujet de la difficulté de faire une analyse approfondie de l'impact potentiel de cette loi en si peu de temps. Pour cette raison, il a été entendu qu'on demanderait au Parlement d'en examiner les dispositions et leur incidence sur les Canadiens, trois ans après la promulgation de la loi, soit après avoir pris du recul et dans un climat beaucoup plus serein qu'à l'époque.

Le travail de ce comité spécial représente les efforts du Sénat pour remplir cette obligation. Lorsque nous aurons complété l'examen, nous présenterons au Sénat un rapport qui soulignera toutes les questions qui, selon nous, devraient être réglées. Le résultat de notre travail sera mis à la disposition du gouvernement et des Canadiens. La Chambre des communes s'est engagée dans un processus similaire.

Jusqu'à maintenant, le comité a entendu l'honorable Anne McLellan, vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, ainsi que l'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Jim Judd, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, et M. Dale Neufeld, directeur adjoint des opérations.

Même si M. Judd a été assez généreux pour nous dire qu'il peut rester parmi nous jusqu'à 14 heures, je suis certaine que nous aurons un grand nombre de questions à lui poser. Ainsi, je voudrais vous demander d'être le plus concis possible, autant dans vos questions que dans vos réponses. Monsieur Judd, la parole est à vous.

M. Jim Judd, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité : Chers sénateurs, bonjour. Je suis accompagné de M. Dale Neufeld, sous-directeur des Opérations du Service. Nous vous donnerons un aperçu des menaces terroristes auxquelles le Canada fait face actuellement, dans le contexte de votre examen de la mesure législative adoptée il y a plusieurs années dans la foulée des attaques du 11 septembre.

Je vais me concentrer sur trois questions aujourd'hui : les nouveaux développements de la menace terroriste depuis l'entrée en vigueur de la loi, notre vision du contexte actuel, aussi bien canadien que mondial, et les perspectives d'avenir.

Le terrorisme est devenu un phénomène planétaire qui est en train de s'implanter. S'il l'a déjà été, il n'est plus une mode passagère. Il est présent au Canada et constitue une réelle menace pour notre sécurité nationale.

On retrouve des adeptes de mouvements terroristes dans tous les pays, toutes les cultures, tous les systèmes politiques et tous les milieux socioéconomiques. Il y en a parfois dans des élites très instruites, mais ce sont aussi et surtout de simples soldats. Les partisans sont recrutés partout dans le monde, y compris dans notre propre pays. Depuis le 11 septembre, de nombreux actes terroristes ont été perpétrés partout sur la planète, entraînant leur lot de morts et de blessés. Comme vous le verrez sur la prochaine diapositive, il y a une hausse considérable du nombre et de la fréquence des attentats terroristes. Même si aucune de ces attaques n'a eu la même ampleur que celles du 11 septembre 2001, elles n'en étaient pas moins horribles, que l'on parle des attentats à la bombe dans une boîte de nuit de Bali, dans les trains à Madrid l'an passé ou de l'assaut contre l'école de Beslan. Le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau au Canada, pas plus qu'il ne l'est pour les Canadiens; on le connaissait même avant les attaques du 11 septembre et l'adoption de cette loi.

Cela dit, la lutte contre le terrorisme a beaucoup progressé depuis trois ans et demi. En Afghanistan, les interventions des forces de la coalition ont permis de disperser les têtes dirigeantes et de saper les infrastructures qui soutenaient une grande partie du mouvement terroriste. Les mesures prises par les Nations Unies et les différents gouvernements, soit l'adoption de lois, les changements au sein d'organisations, la collaboration plus efficace entre les institutions et l'attribution de ressources aux efforts antiterroristes, ont toutes été salutaires. Malgré le fait que des actes terroristes soient toujours perpétrés dans le monde, des attentats ont été déjoués dans plusieurs pays. Mais en même temps, certains faits marquants et fâcheux ont rendu et rendront difficile le travail des services de sécurité et du renseignement ainsi que des forces de l'ordre.

Tout d'abord, on continue de recueillir des preuves concernant la planification de nouveaux attentats dans le monde, dont au Canada. Bien que nous ayons une bonne idée de ce que trament nos détracteurs actuels, ceux que nous ne connaissons pas nous préoccupent grandement.

De plus, les réseaux terroristes responsables des attentats du 11 septembre ou qui y ont participé se sont davantage dispersés et ont adopté des technologies plus sophistiquées à bien des égards. Nous savons qu'ils poursuivent encore et toujours la même quête, celle de posséder des armes de plus en plus destructrices, qu'il s'agisse d'armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires. Le mois dernier, l'Agence internationale de l'énergie atomique s'est dite fort préoccupée de la facilité avec laquelle on pouvait se procurer des armes radioactives et nucléaires dans le monde aujourd'hui.

Jadis axée sur le pouvoir hiérarchique, la structure organisationnelle du réseau al-Qaïda et de ses membres repose désormais sur un système beaucoup plus décentralisé et aux liens moins étroits. À bien des égards, le réseau a pris l'allure d'un mouvement mondial constitué d'éléments autonomes et ayant de vastes ramifications.

L'utilisation d'Internet par les réseaux terroristes comme outil de communication, de recrutement et de propagande a favorisé de manière spectaculaire la multiplication des membres dans le monde et au pays. La façon dont ceux-ci se servent du cryptage et des techniques raffinées de stéganographie est impressionnante; ils ont de plus en plus recours à la fraude associée aux cartes de crédit pour remplir leurs coffres.

Aussi, le nombre de terroristes a continué d'augmenter depuis le 11 septembre. Le mois dernier, le directeur de la CIA, qui présentait un aperçu de l'ampleur de la menace terroriste devant le Congrès, a cité l'Irak comme étant une possible nouvelle base d'opérations pour le terrorisme international. Des individus d'Europe et du Canada, entre autres, viennent grossir les rangs des combattants terroristes entraînés en Irak. Par exemple, un Canadien est soupçonné de faire partie d'un groupe affilié à al-Qaïda, et on croit qu'Abdul Jabbar, un résident permanent, est l'un des principaux dirigeants et idéologues de cette organisation en Irak.

De plus, le profil des gens attirés par les réseaux terroristes évolue de façon inquiétante. On compte de plus en plus de membres de la deuxième génération, issus de familles qui ont émigré en Europe, au Canada et aux États-unis, entre autres, et d'autres qui semblent n'avoir jamais eu de liens, dans le passé, avec ce genre de réseaux terroristes, un phénomène aussi observé au Canada.

Certaines choses n'ont pas changé dans la menace terroriste contemporaine, ni ici, ni ailleurs. Les extrémistes demeurent des adversaires résolus, près à mourir pour leur cause. Ils choisissent toujours leurs cibles au hasard; soldats, forces de sécurité ou population civile, peu importe, et ils préfèrent s'attaquer à des cibles faciles et faire le maximum de victimes, augmentant ainsi l'impact de leur geste sur la population. Les mesures de sécurité qu'ils suivent sont impressionnantes et leurs capacités en matière de planification sont hautement efficaces; ils consacrent des années à la mise au point de leurs opérations. Ils fonctionnent toujours de manière aussi efficiente, un peu comme une multinationale, puisqu'ils mènent des opérations qui nécessitent du personnel dans plusieurs pays simultanément. La situation géographique n'est pas un obstacle pour eux. Pour terminer, plusieurs outils utilisés par les terroristes sont faciles à obtenir, comme la composition d'agents chimiques, et certains composants entrant dans la fabrication d'explosifs et autres armes sont disponibles sur le marché.

Le Canada est extrêmement chanceux qu'il n'y ait pas eu d'attaques terroristes sur son territoire au cours des trois dernières années et demie, même si nous n'avons pas été épargnés, puisque 24 Canadiens sont morts dans les attaques de la ville de New York. Deux autres ont péri dans des attentats à la bombe contre des discothèques de Bali, des membres des Forces canadiennes ont été tués et blessés dans des attaques terroristes lors d'opérations en Afghanistan, et la menace contre les forces déployées dans ce pays demeure élevée. C'est pourquoi la priorité de notre service est d'appuyer les Forces canadiennes envoyées là-bas.

En raison de la mobilité internationale des Canadiens et du déploiement continu des Forces canadiennes en Afghanistan et éventuellement dans d'autres régions troublées du monde, nos citoyens sont en danger lorsqu'ils se trouvent à l'étranger.

Voici d'autres exemples démontrant que nous n'avons pas été à l'abri du terrorisme. Plusieurs terroristes formés dans des camps d'entraînement, dont bon nombre sont des vétérans aguerris ayant participé à des campagnes en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie et ailleurs, habitent ici, tandis que d'autres cherchent toujours à entrer au pays. Souvent, ces individus restent en contact les uns avec les autres au Canada ou ont des liens à l'étranger, et certains signes indiquent qu'ils continuent de participer à des activités clandestines, utilisent des techniques de contre- surveillance, tiennent des réunions secrètes et se transmettent des messages encodés.

Certains Canadiens ont participé à la planification et à l'exécution d'opérations terroristes dans d'autres pays depuis ici ou pendant qu'ils étaient à l'étranger. Il y avait notamment Abdul Rahman Jabarah, qui était recherché pour son implication dans les attentats à la bombe perpétrés contre des complexes résidentiels à Riyad, en Arabie saoudite, en 2003. Il est mort dans le courant de l'été de cette année-là, lors d'une fusillade contre les forces de sécurité saoudiennes. Son frère, Mohammed Jabarah, était impliqué dans un complot terroriste déjoué à temps et prévoyant des attaques contre des ambassades étrangères à Singapour. Depuis 2002, il est incarcéré aux États-Unis.

La publicité entourant la famille du défunt, Ahmed Said Khadr, un proche collaborateur de Ben Laden, était considérable. Celui-ci était une figure de proue du réseau d'extrémistes islamistes au Canada. Certains de ses enfants ont été formés au maniement des armes et des explosifs dans des camps d'entraînement en Afghanistan.

Kassem Daher, un Canadien, a été emprisonné au Liban pour avoir participé à une fusillade contre les forces de sécurité libanaises.

En outre, Abderraouf Jdey et Faker Boussora, des citoyens canadiens d'origine tunisienne, figurent sur le Reward for Justice Program du département d'État américain. Ils sont tous les deux allés dans des camps d'al-Qaïda, et Jdey a enregistré une vidéo pour ce groupe terroriste dans laquelle il dit vouloir donner sa vie pour le mouvement.

Le Canada a aussi été un refuge attrayant pour les extrémistes. Hani Al Sayegh, un demandeur d'asile, a été impliqué dans des attentats à la bombe en Arabie saoudite, en 1996, et Ahmed Ressam, de Montréal, dont la demande d'asile a été rejetée, avait planifié une attaque contre l'aéroport de Los Angeles à la fin des années 90. Il a été jugé et condamné par un tribunal américain.

Nous croyons que plusieurs de ces extrémistes sont venus au Canada pour poursuivre leurs activités, et ils sont actuellement détenus en vertu de certificats de sécurité. Parmi ceux-ci, il y a Mohammed Mahjoub, membre du Vanguards of Conquest, une aile radicale du Jihad islamique égyptien; Mahmoud Jaballah, une tête dirigeante de l'organisation terroriste égyptienne al-Jihad et d'al-Qaïda; Hassan Al Merei et Mohammed Harket, tous deux membres présumés du réseau d'Oussama Ben Laden; et Adil Charkaoui, un autre membre présumé du réseau al-Qaïda.

Nous savons également que le Canada a servi de base de reconnaissance pour la planification d'attentats contre de nombreuses cibles possibles dans certaines de nos plus grandes villes.

Un autre exemple notoire est celui de Samir Ait Mohamed, un revendicateur du statut de réfugié dont la demande a été rejetée, qui est détenu actuellement à Vancouver et que l'on soupçonne d'avoir voulu prendre pour cible un quartier juif de Montréal.

Enfin, il est important de souligner qu'Oussama Ben Laden a clairement indiqué que le Canada faisait partie des six cibles désignées d'actes terroristes à cause du rôle que nous jouons en Afghanistan. Al-Qaïda a cité le Canada à deux reprises, la dernière fois étant l'an passé, comme une cible de choix.

En guise de conclusion, bien que la situation ait évolué depuis le 11 septembre en termes tant de la nature des menaces terroristes que des mesures prises pour les contrer, les menaces demeurent bien réelles, au Canada comme ailleurs. En fin de compte, les services de renseignement, de sécurité et d'application de la loi ont plus de difficultés à suivre et à appréhender le terrorisme mondial et, plus particulièrement, al-Qaïda et ses réseaux satellites. La plus grande autonomie et la décentralisation de ces cellules en particulier ont multiplié les possibilités pour ces groupes de prendre des initiatives locales, plutôt que de mener des attaques dirigées par le centre.

Il n'y a pas grand différence entre la menace qui pèse sur le Canada et celle avec laquelle sont aux prises d'autres pays, y compris ceux qui ont déjà fait l'objet d'attaques ou le feront probablement. En d'autres mots, rien ne nous soustrait à la menace de la violence.

Bien que notre principale préoccupation demeure les menaces à la sécurité du Canada et des Canadiens, nous avons aussi l'obligation névralgique à l'égard de nos partenaires internationaux de faire en sorte que le Canada ne sert pas de base d'attaque contre d'autres pays et que des Canadiens ne participent pas, de quelque façon que ce soit, à de pareilles attaques ou à leur préparation. À cet égard, il faut se rappeler que, dans plusieurs cas, au moins une demi-douzaine au cours des dernières années, des Canadiens ou des personnes se trouvant ici ont été impliqués dans des attaques terroristes menées contre d'autres pays ou leur planification.

Pour lutter contre la menace terroriste et réduire notre vulnérabilité aux attaques ici et à l'étranger, il faudra que nous fassions preuve d'imagination dans les moyens et les mesures législatives que nous prenons et que nous utilisions toute la panoplie d'outils qui s'offrent à nous. De bien des façons, si nous avons été chanceux jusqu'ici, c'est non seulement parce nous avons poursuivi nos cibles sans relâche par tous les moyens juridiques que nous donnent nos propres lois, mais également, de concert avec nos partenaires, parce que nous avons eu recours aux nouvelles mesures prises par le gouvernement pour accroître sa capacité de lutter contre le terrorisme au pays et à l'étranger.

Voilà qui met fin à mon exposé. M. Neufeld et moi demeurons à la disposition du comité pour répondre à toutes les questions.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci, monsieur Neufeld, d'avoir répondu à notre invitation et, monsieur Judd, de nous avoir fait cet exposé.

Vous avez dit que les cinq dernières personnes que vous avez nommées sont détenues en vertu de certificats de sécurité émis aux termes de la Loi sur l'immigration. J'aimerais discuter avec vous de cette procédure. Le ministre de la Justice et le vice-premier ministre nous ont parlé des certificats de sécurité, et certains d'entre nous s'inquiétaient du fait que les détenus ont peu de droits, s'ils en ont, pour interjeter appel de leur détention et de leur éventuelle déportation dans leur pays d'origine.

Je crois savoir que c'est le SCRS qui déclenche le processus en fournissant à deux ministres de l'information à son avis suffisamment solide pour justifier la délivrance d'un certificat de sécurité à l'égard d'une personne jugée comme représentant une menace pour notre société. Ai-je raison?

M. Judd : C'est juste. Il y a peut-être eu un cas où la délivrance s'est faite à la demande de la police parce que la personne d'adonnait à des activités criminelles.

Le sénateur Lynch-Staunton : Toutefois, dans les cinq cas dont vous nous avez parlé, l'information venait du SCRS, n'est-ce pas?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Comment l'information transmise aux ministres et, une fois que le certificat est confirmé, au juge est-elle réunie? Quels sont les éléments qui figurent dans le dossier? Est-ce, comme on nous l'a affirmé, une série d'articles de journaux? Sont-ce des bruits qui courent? L'information vient-elle d'entrevues menées auprès de voisins et d'autres personnes qui connaissent la personne visée ou auprès de la personne elle-même?

M. Judd : L'information présentée aux ministres et, par la suite, à la Cour fédérale se compose de toute une série de renseignements et de documents, certains publics, d'autres obtenus par des moyens secrets, si vous me passez l'expression, et d'autres encore obtenus lors d'entrevues avec la personne concernée ou d'autres et des services de renseignement étrangers.

L'information qui est présentée aux ministres regroupe habituellement divers renseignements officiels ou secrets venus de sources multiples, c'est-à-dire qu'on ne compte pas sur une seule source. Elle est scrupuleusement documentée, comme on dit, de sorte que chaque conclusion du rapport s'appuie sur des preuves. Je crois savoir qu'il faut beaucoup de travail pour monter un pareil dossier. Il faut parfois plus d'un an pour le faire et y investir des ressources considérables.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je m'étonne que vous affirmiez que le rapport est concluant. J'aurais cru que, si l'information était aussi concluante que vous le dites, elle fournirait des motifs permettant de porter des accusations plutôt que d'avoir à passer par un processus dans le cadre duquel la personne n'est pas accusée, mais bien détenue en attendant l'audience et tout le reste. L'emploi du mot « concluant » est-il optimiste, ou est-ce mon interprétation de ce mot qui diffère de la vôtre?

M. Judd : J'emploie le mot « concluant », en ce sens que l'information est concluante aux fins de l'application de cette partie-là de la loi. Quant à savoir si elle pourrait servir à intenter des poursuites, à porter des accusations en vertu du Code criminel par exemple, voilà une excellente question. La disposition avait pour objet, au départ, de régler le cas de personnes qui entrent au pays sans avoir la citoyenneté et qui, plus tard, pourraient être jugées inadmissibles. Le certificat de sécurité vise avant tout à expulser la personne, non pas à la poursuivre en vertu du Code criminel.

Lorsqu'il agit ainsi, le SCRS cherche surtout à éviter le risque, c'est-à-dire qu'il aimerait faire en sorte que la personne ne soit pas en mesure de faire quoi que ce soit qui pourrait par la suite se traduire par une mise en accusation en vertu du Code criminel.

Le sénateur Lynch-Staunton : La Loi sur l'immigration n'exige que des motifs raisonnables alors que le Code criminel insiste sur une preuve plus solide.

M. Judd : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Il faut que la personne passe devant un juge de la Cour fédérale dans la semaine qui suit la délivrance du certificat. Est-ce vrai que le juge reçoit tous les renseignements qui ont convaincu les ministres de signer le certificat?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : C'est le juge qui décide quelle partie de l'information, si ce n'est toute l'information, peut être communiquée au détenu?

M. Judd : Au détenu ou à son avocat.

Le sénateur Lynch-Staunton : Est-il vrai que le SCRS peut intervenir et protester contre la communication de certains renseignements en les retirant du dossier?

M. Judd : J'ignore si nous pouvons retirer l'information, une fois qu'elle a été communiquée, que le ministre s'en est servi pour signer le certificat et qu'elle a été transmise au juge. Nous ne voudrions pas que certains renseignements soient rendu publics parce qu'ils pourraient compromettre soit des sources, soit le fonctionnement du service. Cependant, une fois que l'information a été communiquée aux ministres, je ne crois pas qu'on puisse la retirer.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le juge est obligé de lire le dossier et il a le pouvoir discrétionnaire de permettre la communication de toute l'information ou d'une partie de celle-ci au détenu ou à son avocat, mais s'il est opposé à la communication d'une partie de l'information que souhaite autoriser le juge, le SCRS peut-il l'en empêcher?

M. Judd : Il pourrait y avoir des cas où le juge rencontre les agents du SCRS pour discuter d'éléments d'information et pour entendre les raisons pour lesquelles ils sont opposés à leur communication. En dernière analyse, c'est le juge qui décide.

Le sénateur Lynch-Staunton : Après avoir consulté le SCRS.

Ai-je raison de croire que ce ne sont pas tous les juges de la Cour fédérale qui peuvent instruire ces affaires?

M. Judd : Je crois comprendre que certains juges de la Cour fédérale sont désignés à cette fin.

Le sénateur Lynch-Staunton : Qui les désigne et en fonction de quels critères?

M. Judd : C'est la cour qui assigne les dossiers.

Le sénateur Lynch-Staunton : En raison du niveau élevé de sécurité de ces affaires, faut-il que les juges obtiennent une cote de sécurité du SCRS pour entendre les causes?

M. Judd : Je ne le crois pas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je vous pose la question avec le plus grand sérieux parce que vous leur donnez accès à des renseignements confidentiels que très peu de personnes ont l'autorisation de voir.

M. Judd : Vous avez là un point valable. Je ne m'en étais jamais rendu compte.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si l'avocat du détenu, après avoir examiné la preuve qu'on l'autorise à voir, y relève des erreurs, peut-il présenter une contre-preuve?

M. Judd : Je crois savoir que c'est possible.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je suis heureux que vous ayez pu éclaircir ce point. D'après ce que j'en sais, l'appel n'est pas permis. On peut contester la preuve, mais on ne peut en présenter de nouvelle à cette fin.

M. Judd : Je crois comprendre qu'il est possible de présenter des preuves et que, dans certains cas, surtout lorsque la personne en question est un résident permanent, le dossier doit être revu tous les six mois et que le détenu ou son avocat peut à ce moment-là présenter une preuve.

Le sénateur Lynch-Staunton : On peut ordonner la déportation de la personne. La crainte à ce moment-là, comme c'est le cas la plupart du temps, est que le pays d'origine pratique la torture. Le Canada est signataire de la Convention des Nations Unies contre la torture en vertu de laquelle, avant de déporter quelqu'un, il faut obtenir du pays d'origine l'assurance que la personne ne sera pas soumise à la torture. J'ai raison?

M. Judd : Si j'ai bien compris le processus, un fonctionnaire ou un représentant désigné du ministre pèse le danger par rapport au risque — danger si l'individu demeure au Canada contre risque qu'il court s'il est refoulé dans son pays d'origine.

Dans le cadre du processus, on évalue le risque que courrait la personne si elle était rapatriée dans son pays d'origine, y compris la manière dont elle serait traitée par les autorités nationales. Le juge de la Cour fédérale en tient compte dans sa décision.

Le sénateur Lynch-Staunton : Les Américains ont renvoyé de nombreuses personnes en Syrie et en Égypte. Ils ont envoyé Arar en Syrie. C'est le cas le plus célèbre au Canada. Je suppose que nous ne pouvons pas en discuter en détail puisque l'affaire fait l'objet d'une commission d'enquête, mais la Syrie est également signataire de la convention, et Arar et d'autres prétendent y avoir été torturés. Les Américains soutiennent qu'ils obtiennent des assurances juste avant de les envoyer là-bas. Manifestement, ils sont incapables de faire un suivi.

Quelle garantie avons-nous, si nous en avons, que ces assurances sont valables? Je peux citer trois cas, celui de M. Arar et de deux autres, où les personnes renvoyées dans leur pays d'origine prétendent avoir été torturées avant que les autorités ne les libèrent sans porter d'accusation. Je me demande pourquoi nous participons à un processus dans le cadre duquel, à long terme, la personne pourrait être victime de traitements pour lesquels notre société a une si grande aversion. Vous n'êtes peut-être pas celui qui peut répondre à cette question, mais à quel point ces assurances sont-elles valables et qui peut vérifier si on s'y conforme?

M. Judd : Voilà une question de toute évidence légitime. J'ai cru comprendre que, parfois, les assurances données ont été déclarées insuffisantes par le juge de la Cour fédérale. Parfois aussi, je sais que des personnes ont été renvoyées dans leur pays d'origine, y compris dans certains pays où le traitement réservé à ces personnes est préoccupant.

Depuis ma nomination récente au poste de directeur du SCRS, je n'ai eu connaissance que d'un seul cas de renvoi, celui de M. Zundel, qui naturellement a été déporté la semaine dernière. Le problème des assurances données et de ce qui arrive quand ces assurances ne sont pas jugées adéquates par un juge de la Cour fédérale est très réel, tant de notre point de vue que du point de vue du gouvernement, à savoir ce qu'il faut faire de ces personnes.

Comme vous le savez, et je crois qu'il en a été question ici d'ailleurs, le problème ne se pose pas uniquement au Canada. Il suscite actuellement des débats très animés dans d'autres pays.

La présidente : M. Judd a gracieusement accepté d'être des nôtres pendant une période assez longue aujourd'hui. C'est pourquoi je ne suis pas très stricte en ce qui concerne la limite de temps durant le premier tour de table. Cependant, je devrai peut-être me montrer plus sévère à mesure que la journée s'allonge.

Le sénateur Jaffer : Je vous félicite de votre nomination. J'ai travaillé avec vous lorsque vous étiez à la Défense et j'espère que vous apporterez à votre nouveau poste les mêmes valeurs, soit d'encourager les femmes et les membres des minorités à faire partie de votre organisation. Je suis sûr que ce sera le cas.

Sur le site Web du SCRS, vous énumérez plusieurs rôles particuliers à votre organisme dans la lutte contre le terrorisme, dont les entrevues dans les communautés. Dans le cadre de votre programme de lutte antiterroriste, vous précisez que ces entrevues jouent un des principaux rôles. Je cite :

Le SCRS maintient des contacts étroits avec plusieurs communautés au Canada afin d'évaluer les risques de violence en réaction à l'évolution de la situation sur la scène politique internationale. Ces entrevues donnent aux membres des communautés l'occasion de faire part de leurs craintes et de leurs opinions au SCRS et de l'aider à déterminer si des menaces pèsent sur une communauté en particulier et les sensibilisent au rôle et au mandat du Service.

Veuillez informer le comité de ce qui vous décide à faire de pareilles entrevues et comment vous choisissez les communautés ou les personnes ciblées, et le genre de questions qu'un agent du renseignement pourrait poser. Qu'avez- vous fait plus particulièrement pour sensibiliser la communauté au rôle du SCRS?

M. Judd : Divers problèmes peuvent survenir à l'égard des différentes communautés au Canada, y compris de celles qui ont peut-être un rapport avec des enquêtes antiterrorisme en cours. Parfois, des membres de la communauté des immigrants peuvent faire l'objet de harcèlement ou de pressions pour les convaincre de faire des levées de fonds ou de les cautionner, par exemple, ou de s'adonner à d'autres activités qui ne correspondent pas à leurs propres préférences ou désirs en tant que membres de la société canadienne.

De nombreuses entrevues sont menées à l'appui d'enquêtes précises et elles sont habituellement associées à une enquête en cours sur certaines personnes. En règle générale, nous tentons de connaître la personne en nous entretenant avec des personnes qui la connaissent peut-être.

Pour ce qui est des relations plus générales avec les communautés, je m'intéresse personnellement à les intensifier. Le service a pris plusieurs mesures pour rencontrer des représentants des diverses communautés du pays. Cette semaine, nous rencontrerons à cette fin les membres de la nouvelle table ronde transculturelle. Dans mes voyages un peu partout au pays, j'espère rencontrer divers dirigeants et membres des communautés afin de mieux expliquer le fonctionnement du service, plus particulièrement ce qu'il fait et pourquoi il le fait, de manière à ce qu'on comprenne mieux notre modus operandi et notre raison d'être.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous fournir au comité de l'information sur les programmes d'extension que vous exécutez et sur la formation offerte aux agents du SCRS pour mieux leur faire connaître les diverses communautés du Canada? Je vous saurais gré de le faire par écrit. Serait-ce possible?

M. Judd : Avec plaisir. Pour ce qui est de votre première question au sujet des programmes d'extension, nous vous répondrons par écrit. Quant à la formation, je peux vous répondre tout de suite.

Les nouvelles recrues du SCRS suivent un programme de formation et de perfectionnement professionnel plutôt intensif qui dure des mois. Il est habituellement scindé en deux périodes d'enseignement magistral. Dans le cadre de la formation et du perfectionnement, elles apprennent tout de la société canadienne, sa composition, ses caractéristiques particulières et les groupes qui la constituent. Des personnes de l'extérieur viennent leur parler et, à un stade plus avancé, les entretiennent de questions sociales et culturelles qui pourraient être particulières à une communauté au Canada. Je pourrais peut-être ajouter que nous avons aussi des employés du Service issus de ces communautés qui participent à l'occasion à ces exercices de formation et de perfectionnement de manière à mieux sensibiliser leurs nouveaux collègues à certaines de ces questions.

En ce qui concerne les programmes d'approche, je serai heureux de vous fournir une réponse écrite.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Judd, je sais que je vous ai posé plusieurs questions, et vous n'êtes peut-être pas en mesure d'y répondre, mais l'une d'entre elles était la suivante : comment ciblez-vous une collectivité et quel genre de questions posez-vous?

Je continue dans la même veine que vous et vous demande quand une collectivité cesse-t-elle d'être considérée comme un groupe d'immigrants et s'intègre-t-elle à la société canadienne? Cet aspect intéresse les gens comme moi. Selon votre définition, quand cesse-t-on d'être immigrants?

M. Judd : Si je peux me permettre une précision, sénateur, le Service ne s'occupe pas des communautés ou des groupes mais essentiellement des personnes prises individuellement. Lorsque nous considérons qu'une personne suscite un certain intérêt, nous essayons d'établir des associations, c'est-à-dire que nous tentons de comprendre cette personne, de découvrir ses intentions et de cerner son milieu. Entre autres, nous nous penchons sur les gens avec lesquels cette personne entretient des relations; parfois, la personne en question peut n'avoir des contacts qu'avec des membres d'une communauté restreinte.

Si vous me le permettez, je demanderai à M. Neufeld d'apporter des précisions à cet égard.

M. Dale Neufeld, directeur adjoint des opérations, Service canadien du renseignement de sécurité : Pour rassurer le sénateur, je lui dirai que nous ne nous occupons pas des communautés d'immigrants tout à fait de cette façon, si j'ai bien compris sa question. Si je devais vous donner un exemple, je vous citerais les cas où il y a des problèmes dans un pays d'origine aux prises avec une violence permanente découlant probablement d'une cause politique ou d'une succession d'États. Si, par exemple, un groupe d'extrémistes irlandais faisait du recrutement et collectait des fonds au Canada pour appuyer le terrorisme au Royaume-Uni, nous mènerions une enquête au sein de la communauté irlandaise. J'ignore depuis combien de temps cette communauté se trouve ici, mais cela remonte à fort longtemps. Par conséquent, je n'examine pas nécessairement depuis combien de temps un groupe d'immigrants particuliers est arrivé au Canada. Nous nous penchons sur les problèmes dans un pays d'origine, c'est-à-dire qu'une communauté d'immigrants peut parfois difficilement de laisser derrière elle la violence qui a cours dans son pays d'origine. Le cas échéant, nous ne tenons plus compte alors du temps écoulé depuis son arrivée au pays.

Nous donnons à toutes nos recrues de la formation sur la sensibilisation aux diverses cultures, et nous pouvons notamment demandé à un iman d'une mosquée locale de venir participer à l'un de nos cours destinés à nos agents supérieurs, ce que nous avons fait tout récemment. L'édifice de notre administration centrale est doté d'un théâtre où nous invitons régulièrement des porte-parole de la communauté musulmane à venir nous exposer leurs points de vue. Ils répondent également aux questions de nos employés.

À l'échelle régionale — nous avons six bureaux régionaux —, nous rencontrons fréquemment les dirigeants des communautés. C'est certes le moyen de savoir si une communauté est menacée, parce que ses membres sont souvent intimidés par des personnes qui les harcèlent ou les menacent et ils hésitent peut-être à le signaler à la police ou au Service. En contactant et en consultant ces communautés, nous sommes en mesure de leur venir en aide si elles sont aux prises avec un tel problème.

Pour nous, il est vraiment important d'établir un dialogue avec les différentes communautés aux prises avec de telles menaces.

Le sénateur Jaffer : Puis-je vous demander encore une fois comment vous choisissez les membres des collectivités qui sont ciblés et quel genre de questions un agent du renseignement pourrait demander?

M. Neufeld : Je dirais que nous nous penchons sur les principaux aspects. Le directeur a également parlé du premier. Si nous soupçonnions qu'une personne constitue une menace à la sécurité du Canada, nous rechercherions les gens qui, dans cette collectivité, pourraient peut-être confirmer ou dissiper nos doutes. Le tout est fonction des gens qui gravitent autour de cette personne. L'autre aspect est plus général. Nous examinons la nature de la communauté et déterminons s'il y a eu de l'intimidation ou du harcèlement. Parfois, il s'agit des dirigeants des communautés. À d'autres occasions, il peut s'agir d'un groupe beaucoup plus restreint de gens qui gravitent autour de la personne soupçonnée.

Le sénateur Jaffer : Je vous suis reconnaissant de nous faire part de ces renseignements.

Depuis mon arrivée au Canada, j'ai pu me rendre compte du genre de formation donnée par la GRC. Je sais qu'il s'agit d'un aspect nouveau pour vous, mais je pense que les différentes communautés se sentiraient plus à l'aise si vous agissiez d'une façon plus structurée.

Pendant les trois ans où cette loi a été appliquée, je me suis souvent rendu dans différentes régions du pays, et je sais que ce ne sont pas les immigrants qui sont angoissés mais les professeurs qui sont nés ici. Puisque la séance est télévisée, je vous donnerai les précisions à cet égard en privé. On m'a dit qu'il y a eu des appels téléphoniques de la part du SCRS et que les agents laissaient un message aux secrétaires des professeurs, précisant que le SCRS voulait parler à leur supérieur. Je peux vous garantir que cela cause une angoisse considérable. Si je recevais un appel téléphonique du SCRS, moi aussi, je serais inquiet. Il y a également de l'intimidation. Un professeur a révélé publiquement avoir reçu quatre appels téléphoniques du SCRS et que, par la suite, les agents sont venus le rencontrer simplement pour avoir des renseignements sur l'histoire de l'Afghanistan. Il n'est pas nécessaire que le SCRS laisse un message s'il veut simplement obtenir de l'information sur l'histoire de l'Afghanistan.

J'ai de nombreux autres exemples d'intimidation de la part du SCRS. Je suis sûr que vous avez lu le dépliant du Conseil canadien des réfugiés, un groupe réputé. Il y est question de l'angoisse et de la discrimination ressenties par les musulmans et les Arabes au Canada. On y précise que les musulmans et les Arabes ont fait l'objet d'interrogatoires inquisitoriaux de la part du SCRS dans des endroits publics. Les interrogatoires sont parfois nécessaires pour obtenir des renseignements, mais les méthodes utilisées ont intimidé certaines personnes et celles-ci peuvent être injustement soupçonnées d'être impliquées dans le terrorisme.

Que répondez-vous à de telles critiques?

M. Judd : Premièrement, je crois qu'il est juste de dire que nous pouvons comprendre les préoccupations de certaines personnes, de certains groupes ou de certaines communautés à cet égard, au Canada. Cependant, je vous rappellerai que, en vertu de la Loi sur le SCRS, toutes les activités du Service peuvent faire l'objet d'un examen externe. Quiconque croit avoir été lésé peut en saisir le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Nous ne tolérerions pas l'intimidation lors d'un interrogatoire. Si vous voulez bien me signaler un cas particulier, je serai heureux d'y donner suite.

Il ne faut pas oublier que le mandat du SCRS ne porte pas uniquement sur la lutte contre le terrorisme. Nous accordons les cotes de sécurité aux personnes qui ont besoin d'une autorisation de sécurité et qui postulent un emploi dans l'administration fédérale, dans au moins deux administrations provinciales et dans l'ensemble de l'industrie nucléaire au Canada. Pour accorder une cote de sécurité, le SCRS doit poser des questions aux gens qui ont été cités comme références par le postulant. Il arrive souvent qu'on téléphone à des personnes, non pas parce qu'elles sont soupçonnées d'être impliquées dans quelque chose d'illicite, mais simplement parce qu'elles postulent un emploi dans une organisation particulière, ce qui nécessite une autorisation de sécurité.

Le sénateur Jaffer : Je comprends. Cependant, lorsque je demande à des personnes pourquoi elles n'ont pas signalé un incident particulier au SCRS, elles me répondent que, si elles l'avaient fait, d'autres problèmes seraient survenus.

Cela m'inquiète que les gens qui sont craints proviennent tous d'une certaine partie du monde. M. Neufeld a dit que vous vérifiez aussi d'autres groupes terroristes, mais les seuls noms qui sont cités sont ceux de musulmans. Vous vérifiez certainement d'autres groupes.

Lorsque je me suis adressé, ce matin, à des journalistes de l'Asie du Sud, je leur ai signalé que le plus grand avantage de notre pays, c'est que nous avons l'impression d'en faire partie intégrante. Vos antécédents n'ont aucune importance. Lorsque vous arrivez ici, vous avez l'impression d'être considéré comme un membre à part entière de la société canadienne. À cause du projet de loi C-36, des gens comme moi ne font pas partie de la société canadienne parce que nous sommes traités différemment.

Vous avez abordé la question des membres de la deuxième génération. Cela me préoccupe que nous considérions les membres de la deuxième génération comme des gens d'un autre pays ou des immigrants, parce que ce n'est pas ce que nous sommes. Mes enfants ne sont pas des immigrants. Ils sont nés au Canada. Le projet de loi C-36 a déjà commencé à créer deux catégories : nous et eux. C'est ce qui me préoccupe.

Le sénateur Andreychuk : Bienvenue, monsieur Judd. J'essaie de me tenir à jour à propos de vos changements de poste. J'espère que vous ne serez pas muté à l'extérieur du SCRS parce qu'il est important d'avoir une continuité au sein de l'organisation.

À propos des membres de la deuxième génération, vous avez formulé une observation que je pensais avoir comprise jusqu'à l'intervention du sénateur Jaffer. Pourriez-vous préciser ce que vous entendiez par membres de la deuxième génération?

M. Judd : Récemment, les services de renseignement occidentaux ont fait, entre autres, une découverte surprenante au sujet des personnes qui adhèrent au terrorisme. On avait l'habitude, du moins au cours des dernières années, de nous concentrer sur les personnes venant d'un autre pays. Cependant, il arrive parfois, ici et ailleurs, que des gens, nés dans le pays où leurs parents ont immigré, appartiennent à des groupes terroristes sans avoir d'antécédents particuliers ni aucun motif apparent.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce une source de préoccupations pour les responsables de la sécurité?

M. Judd : Effectivement, et c'est surprenant.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez déjà répondu aux questions sur les certificats de sécurité en vertu de la Loi sur l'immigration. Vous avez fait allusion aux membres de la seconde génération qui sont nés ici et qui sont des citoyens canadiens à part entière. Si notre sécurité nous tient à cœur, nous devrions nous préoccuper des personnes qui commettront des actes terroristes et non de leur titre : immigrant, résident, étranger, citoyen, et cetera.

Si un citoyen canadien devient un suspect et s'il n'y a pas suffisamment de preuves pour déposer une accusation contre lui, quelles mesures prend-on à son égard? Est-il détenu en vertu d'un certificat de sécurité? Pouvez-vous nous décrire le processus suivi?

M. Judd : À ce que je sache, le seul processus utilisé lorsqu'il s'agit d'un citoyen canadien est celui établi dans les dispositions du projet de loi C-36 qui portent sur l'« arrestation préventive » — je crois que c'est le terme utilisé — et que nous n'invoquons pas. En ce qui concerne les citoyens canadiens liés au terrorisme, plusieurs personnes font actuellement l'objet d'un suivi et une accusation criminelle a été portée.

Le sénateur Andreychuk : Si les faits permettent de porter une accusation, on est effectivement en mesure d'établir une distinction et l'on essaie d'expulser les personnes susceptibles de poser un risque par rapport au processus d'immigration.

En ce qui concerne les Canadiens, dois-je croire que, si vous ne pouvez pas porter une accusation, vous ne pouvez que surveiller ces personnes, ce qu'il faut espérer.

M. Judd : Tout à fait. Comme j'ai essayé de l'expliquer, le certificat de sécurité s'adressant aux personnes qui n'ont pas la citoyenneté canadienne pourrait être considéré, à certains égards, comme un mécanisme implicite dont on se servirait uniquement si, rétrospectivement, l'accès au pays aurait été refusé ou aurait dû l'être.

Cependant, cela ne vise que les personnes qui n'ont pas obtenu la citoyenneté. En ce qui concerne les citoyens canadiens, je le répète, une seule accusation criminelle a été déposée l'an dernier. Malheureusement, cette affaire est frappée d'une ordonnance de non-publication. Pour les autres affaires, la surveillance exercée par le Service ou d'autres organisations se poursuivrait jusqu'à ce qu'on détermine que ces personnes ne constituent plus une menace.

Le sénateur Andreyckuk : Les ministres se sont succédé pour nous dire que nous vivons dans un village planétaire et que nous devons apporter notre contribution pour que les terroristes soient expulsés rapidement. Pourquoi alors expulsez-vous des gens à destination d'un tiers pays, comme la Syrie ou l'Égypte, où nous savons qu'ils pourront faire l'objet d'interrogations et être torturés? Cette question a été signalée.

Le deuxième aspect qui a reçu moins d'attention est le suivant : si ces personnes ne sont pas accusées dans ce pays, elles sont libérées et nous perdons leur trace. Ne craignons-nous pas que des terroristes puissent ainsi se fondre dans une masse opaque et reprendre leurs activités terroristes? Servons-nous vraiment la sécurité en les expulsant?

M. Judd : Cela nous ramène à l'intention initiale des certificats, c'est-à-dire expulser une personne à destination de son pays d'origine qu'elle a quitté pour s'établir ici, lorsqu'on juge qu'elle constitue dorénavant une menace terroriste. Idéalement, le système aurait décelé cette menace lorsque cette personne aurait présenté sa demande initiale, et celle-ci aurait été rejetée.

Lorsque des gens ont été retournés dans leur pays d'origine pour être ensuite libérés par les autorités de ce pays, il est probablement juste de dire qu'ils continueront à faire l'objet d'une surveillance si elles ont été détenues après la déportation, et ce même si elles ne le sont plus. Si ces personnes étaient renvoyées dans un autre pays, nous le signalerions aux autorités nationales de ce pays.

Le sénateur Andreychuk : Il m'apparaît curieux que, si vous êtes un citoyen canadien, une accusation doit être déposée contre vous au Canada. Il doit y avoir suffisamment d'éléments de preuve pour porter une accusation. Si vous êtes un immigrant ou un étranger, vous pouvez être déporté, et il s'agit alors de pays qui n'ont peut-être pas la même attitude que nous face aux activités terroristes. Comment rendons-nous alors le monde plus sûr? C'est la question que je vous pose.

M. Judd : C'est une question pertinente. La sécurité de notre pays constitue la première préoccupation de notre service. Si une personne était expulsée à destination d'un autre pays et faisait encore l'objet de doutes ou de soupçons quant à sa participation à des activités d'un genre particulier, je dirais que cette personne continuerait d'être surveillée par les autorités de ce pays, même si elle n'était ni détenue ni poursuivie au criminel.

Le sénateur Andreychuk : Nous ne possédons aucun pouvoir, si ce n'est l'influence que nous pouvons exercer sur ces pays.

Je passe à un autre point. La commission qui s'est penchée sur les événements du 11 septembre a signalé qu'on avait été au courant préalablement des activités terroristes. Et nous pouvons même parler de la guerre en Iraq. Selon les conclusions, ce ne sont pas les outils qui ont fait défaut mais les évaluations. Autrement dit, les responsables de l'évaluation de la situation n'ont pas fait les rapprochements nécessaires et ils avaient comme motifs valables le manque de ressources, de temps, de coordination et d'uniformité dans le réseau du renseignement.

Selon ce que j'ai compris de vos propos, les activités de sécurité au Canada reposent aujourd'hui essentiellement sur la façon dont vous vous acquittez de votre tâche, dont vous identifiez les suspects et dont vous découvrez les éléments de preuve. Depuis les événements du 11 septembre, le SCRS a-t-il modifié ses opérations? J'aimerais que vous parliez de la façon dont les autres membres du Service ont changé.

Le lendemain des attaques, nous nous sommes rendu compte que de la surveillance avait été effectuée et que nous savions qu'il y avait des activités terroristes, mais nous n'avons pas fait les rapprochements nécessaires ou nous ne disposions pas des ressources pour le faire. Tous semblent avoir apporté les rajustements après le 11 septembre, c'est-à- dire après l'adoption du projet de loi C-36. Comment avez-vous modifié vos opérations. Il me semble que notre sécurité passe par une exécution pertinente de votre travail. Si vous n'effectuez pas votre travail correctement, soit nous sommes aux prises avec un problème de sécurité, soit nous nous en prenons à des innocents. Quels changements avez- vous apportés depuis le 11 septembre.

M. Judd : Certains des problèmes que vous avez énoncés, sénateur, sont communs à plusieurs pays occidentaux, et la commission qui s'est penchée sur les événements du 11 septembre en a certes souligné plusieurs.

En ce qui concerne le Service, M. Neufeld en fait partie depuis beaucoup plus longtemps que moi. Je lui demanderai donc de compléter ma réponse.

Premièrement, ce qui a changé, d'après moi, c'est que le SCRS consacre comme jamais des ressources aux activités de lutte contre le terrorisme. C'est probablement aussi le cas pour la plupart des organisations de ce genre dans le monde occidental.

Deuxièmement, le gouvernement a augmenté le budget du service pour embaucher plus de personnel et mener davantage d'activités opérationnelles.

Troisièmement, on constate que des efforts sont sciemment déployés pour assurer une meilleure collaboration, coordination et cohérence entre les diverses entités gouvernementales qui peuvent avoir un rôle à jouer dans la sécurité internationale. La réorganisation de ministères et d'organismes, entreprise il y a 15 ou 16 mois par le gouvernement, particulièrement la création de l'Agence des services frontaliers du Canada, a permis de regrouper bon nombre de services auparavant dispersés pour obtenir une meilleure cohérence entre ces services.

À la suite de l'annonce de la politique de sécurité nationale, l'année dernière, le gouvernement a établi le Centre d'évaluation intégrée des menaces, qui est composé de ressources provenant de divers ministères et agences du gouvernement fédéral et, dans certains cas, de gouvernements provinciaux. Le centre a pour mandat de diffuser à la population canadienne de l'information sur les menaces à la sécurité, ici au Canada ou à l'étranger. Au moins deux ou trois autres gouvernements étrangers ont entrepris cette démarche au cours des dernières années. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont fait des choses analogues. Diverses mesures ont été prises, et nous espérons qu'elles porteront fruit.

Le sénateur Andreychuk : Vous effectuez une vérification de la sécurité pour toute personne nommée par décret à un poste sensible dans un ministère. Vous enquêtez aussi sur toutes sortes de menaces, pas seulement les menaces contre la sécurité. Fournissez-vous maintenant une autorisation de sécurité avant la nomination par décret ou devez-vous encore le faire, dans certains cas, après la nomination?

M. Judd : On me corrigera si je me trompe vu que ça fait peu de temps que j'occupe ce poste, mais je crois que les vérifications de la sécurité sont effectuées avant que le décret ne soit rendu.

J'aimerais clarifier un point; le programme des autorisations de sécurité est beaucoup plus vaste que vous ne l'avez laissé entendre. Nous effectuons maintenant des vérifications de la sécurité pour certains postes en Alberta et au Nouveau-Brunswick ainsi que dans l'industrie nucléaire, ce qui est relativement nouveau, c'est-à-dire que ça ne se fait que depuis quelques années.

Le sénateur Andreychuk : Aucune nomination nécessitant une autorisation de sécurité ne peut être faite tant que le SCRS n'ait fourni l'attestation de sécurité, n'est-ce pas? Puisque vous êtes nouveau dans votre poste, je veux simplement m'en assurer. Vous pouvez répondre plus tard.

M. Judd : Je vous reviendrai là-dessus.

Le sénateur Fraser : Je sais que le SCRS a des listes de surveillance terroriste. Un profane pourrait croire que c'est une fonction fondamentale du SCRS. Pouvez-vous nous donner une idée des critères utilisés pour inscrire quelqu'un sur cette liste?

M. Judd : Nous avons un répertoire interne des gens que nous soupçonnons d'avoir été ou d'être des membres d'une organisation terroriste. Nous ne fournissons aux organisations externes que le nom de ressortissants étrangers qui répondent à ces critères. Cette information est fournie à Citoyenneté et Immigration Canada aux fins de l'Index des renseignements relatifs à l'exécution de la loi.

Parmi les critères déterminant les personnes qui doivent figurer sur la liste, il y a, entre autres, les antécédents de la personne, le fait de savoir qu'elle a suivi une formation dans un camps de terroristes, qu'elle participe à des activités terroristes ailleurs dans le monde ou qu'elle a une affiliation reconnue avec des gens et des groupes terroristes connus. Il peut y avoir d'autres critères. Je demanderais à M. Neufeld d'étoffer un peu ma réponse.

M. Neufeld : La liste de surveillance peut renfermer aussi le nom d'autres personnes qui sont considérées comme une menace à la sécurité du Canada. Il peut s'agir d'une personne qui n'est pas un terroriste mais que nous soupçonnons d'espionnage au Canada, par exemple. La liste de surveillance ne contient pas que des terroristes.

Le sénateur Fraser : Comment procédez-vous pour déterminer si une personne a déjà participé, ou pourrait participer, à des types d'activités que nous ne voulons pas dans notre pays?

M. Judd : On examine le comportement de la personne, ses relations et ses déplacements. Je n'ai énuméré que certains des facteurs que nous prenons en compte. Nous traitons chaque cas individuellement. C'est du cas par cas, et nous associons à chaque personne une certaine gradation dans la menace qu'elle représente. Il se peut qu'on s'intéresse à certaines personnes seulement pour déterminer si on devrait les surveiller à plus long terme. Si ce n'est pas le cas, on ne leur accorde plus d'attention.

Si, au cours de l'enquête, une personne se comporte d'une façon qui nous laisse croire qu'il faudrait s'y intéresser davantage, nous continuons d'enquêter, et son nom est inscrit sur une liste de surveillance interne. Il arrive parfois qu'on nous signale des gens, mais si pendant l'enquête on constate que les soupçons étaient sans fondement, nous arrêtons tout.

Le sénateur Fraser : Enlevez-vous alors le nom de la liste ou est-ce qu'une fois le nom inscrit, il y demeure à jamais? Épurez-vous la liste?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Fraser : Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de noms qui pourraient figurer sur une telle liste, aujourd'hui par exemple? Je ne vous demande pas de divulguer des renseignements secrets.

M. Judd : Je vais vous donner un chiffre approximatif très vague; disons que c'est dans les centaines.

Le sénateur Fraser : Pas les milliers?

M. Judd : Non, pas au Canada.

Le sénateur Fraser : Vous échangez de l'information avec d'autres services de renseignements au sujet des personnes pouvant poser une menace, n'est-ce pas?

M. Judd : En effet, mais c'est fait sous surveillance assez serrée. Pour que nous puissions travailler avec une autre agence, nous devons avoir l'approbation d'au moins deux ministres du Cabinet. Pour ce qui est de l'information transmise à un service étranger, toute information qui nous est transmise ou que nous diffusons fait l'objet d'un examen annuel par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et, dans certains cas, par l'inspecteur général pour déterminer que tout a été fait selon les règles.

Le sénateur Day : Pouvez-vous me dire ce que signifie l'acronyme CEIM?

M. Judd : C'est le Centre d'évaluation intégrée des menaces.

Le sénateur Day : Est-ce ici à Ottawa?

M. Judd : Oui. Le centre est logé dans notre édifice, mais il ne fait pas partie proprement dit du SCRS. Il est dans notre édifice simplement parce que nous avions des locaux disponibles au moment de sa création. Des gens provenant de diverses organisations fédérales et provinciales travaillent pour le centre, qui est dirigé actuellement par un agent de la GRC.

Le sénateur Day : Une de vos responsabilités principales est d'effectuer une évaluation de la menace à la sécurité nationale. Utilisez-vous l'information produite par le CEIM comme source dans le cadre d'une évaluation de la menace à la sécurité nationale?

M. Judd : Ces informations peuvent faire partie du fondement servant à la préparation d'une évaluation de la sécurité nationale. Cette évaluation doit habituellement être faite chaque année, puis soumise à l'examen du Cabinet; celui-ci donne ensuite des directives sur ce que devrait être le point de mire de nos efforts en fonction des données présentées. Toutefois, cette information provient de différentes sources et couvre divers domaines, pas seulement le terrorisme.

Le sénateur Day : Est-ce que l'information transmise au premier ministre sur l'évaluation de la menace continue d'être également donnée au conseiller à la sécurité nationale par le truchement du Bureau du Conseil privé, ou est-ce que le CEIM s'acquitte d'une partie de cette responsabilité? Comment tout cela se passe-t-il? Pouvez-vous m'expliquer le rôle que joue le secrétariat de la sécurité nationale qui a été établi au sein du Bureau du Conseil privé?

M. Judd : Les fruits du travail du CEIM sont transmis à l'ensemble des organismes chargés de la sécurité, du renseignement et de l'application de la loi. À l'inverse, toutes les données produites par ces organismes sont communiquées au conseiller à la sécurité nationale au Bureau du Conseil privé.

De plus, le conseiller à la sécurité nationale peut recevoir des rapports distincts produits par le SCRS ou d'autres ministères ou organismes fédéraux ayant trait aux menaces à la sécurité et à d'autres enjeux particuliers, comme des questions pouvant peut-être se rapporter à la sécurité nationale ou ayant un lien avec l'étude à long terme d'un phénomène international ou intérieur qui pourrait susciter un intérêt du point de vue de la sécurité.

Le conseiller à la sécurité nationale peut recevoir des documents du CEIM, de notre organisme et d'autres ministères et organismes gouvernementaux, et c'est son rôle de s'assurer que le premier ministre en est informé.

Le sénateur Day : Merci de ces informations.

Pouvez-vous me dire quelle est la différence entre les renseignements étrangers et les renseignements sur la sécurité nationale? J'essaie de définir ces deux concepts pour que nous puissions voir où nous allons.

M. Judd : C'est une question intéressante et légitime. Il y a des divergences d'opinions quant au sens de ces deux termes.

De mon point de vue, les renseignements sur la sécurité nationale ont trait aux renseignements qui touchent directement la sécurité nationale du pays.

Quant aux renseignements étrangers, il s'agit plutôt de renseignements sur les activités d'autres gouvernements ou individus dans le monde qui peuvent n'avoir aucun lien direct avec la sécurité nationale du Canada. Les renseignements étrangers peuvent porter sur les intentions d'un pays contre un autre, sans pour autant que cela ne touche la sécurité nationale du Canada.

Le sénateur Day : La vice-première ministre a laissé entendre que nous devrions en faire davantage dans ce domaine et qu'il devrait y avoir plus de fonds alloués pour recueillir des renseignements sur la sécurité nationale. Est-ce également votre interprétation?

M. Judd : Selon moi, on aimerait obtenir plus de renseignements sur la sécurité nationale à l'extérieur du pays. Ça n'éclaircit pas du tout le débat sémantique.

Le sénateur Day : Est-ce que ça pourrait comprendre la collecte de renseignements étrangers?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Day : Je commence à voir les différences et les chevauchements.

Pendant votre exposé, vous avez semblé dire que les activités et organisations terroristes potentielles semblent toutes avoir un lien islamiste. Votre liste de surveillance contient-elle d'autres organisations internationales qui vous préoccupent mais qui ne sont pas liées à l'islam?

M. Judd : Je n'aime pas utiliser le terme « organisation islamiste ». En réalité, la menace terroriste, y compris celle associée publiquement au « terrorisme islamiste », est une perversion de la religion musulmane. Les motivations des gens qui portent ce flambeau peuvent être politiques, socioéconomiques ou autres. Bon nombre des personnes associées à ces organisations n'ont rien à voir avec l'islam.

Cela dit, d'autres organisations terroristes, dont beaucoup orchestrent d'une façon ou d'une autre leurs opérations depuis le Canada, n'ont absolument rien à voir avec l'islam ou le Moyen-Orient. Elles représentent différentes régions, causes, idéologies, motivations politiques, et cetera ou y sont associées. Le monde est probablement plus complexe que beaucoup de gens aimeraient l'admettre.

Le sénateur Day : C'est malheureux que presque tous les groupes terroristes ou ceux qui sont soupçonnés de l'être semblent avoir une étiquette musulmane ou islamiste, ce qui crée une fausse impression. On ne parle jamais des groupes de suprématie blanche ou noire, ni des groupes terroristes irlandais ou des Tigres tamouls. Outre ce groupe religieux particulier, il y a d'autres menaces possibles au Canada qui doivent sûrement figurer sur votre liste de surveillance et que vous suivez de près pour protéger la sécurité nationale.

M. Judd : À vrai dire, en raison du 11 septembre et d'autres activités terroristes, on semble actuellement mettre davantage l'accent sur les individus et les groupes associés d'une façon ou d'une autre à al-Qaïda qui, au cours des cinq dernières années, est devenue l'organisation terroriste la plus connue au monde.

D'après moi, bon nombre de ces personnes et groupes qui se disent associés à al-Qaïda n'ont rien à voir avec l'islam, ni même avec le Moyen-Orient ou l'Afrique du nord.

Beaucoup de gens semblent se réclamer de cette mouvance, ce qui rend très difficile la tâche de déterminer avec certitude les associations. Ces gens communiquent et agissent parfois sous les directives de ces groupes, mais, une fois de plus, beaucoup des caractéristiques les plus apparentes sont quelque peu douteuses.

La présidente : Nous allons nous arrêter pour le repas du midi et reprendrons nos délibérations à 12 h 30.

La séance est levée.


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