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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 3 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 7 mars 2005

Le Comité spécial du Sénat sur la Loi antiterroriste s'est réuni aujourd'hui à 12 h 30 afin d'entreprendre un examen global des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste, (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je déclare réouverte cette séance du comité spécial du Sénat qui examine la Loi antiterroriste. Nous avons avec nous, pour poursuivre notre réunion de ce matin, Jim Judd, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, et Dale Neufeld, directeur adjoint des opérations.

Veuillez poser votre question, sénateur Kinsella.

Le sénateur Kinsella : Monsieur Judd, notre comité est chargé de l'examen du projet de loi C-36, qui est maintenant un texte de loi en vigueur. À mon point de vue, il y a trois options qui s'offrent au Parlement. La première est de ne pas modifier la loi, la deuxième est de la modifier, et la troisième est de l'abroger.

Quelle option recommanderiez-vous au comité?

M. Jim Judd, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Je vous invite instamment à ne pas vous prononcer en faveur de l'option trois, à savoir l'abrogation de la loi. Si j'en juge des discussions que le comité a eues jusqu'à présent, la loi soulève certaines questions, notamment le fait que certaines dispositions n'ont jamais été utilisées, ce qui nous amène à nous demander pourquoi on voudrait les conserver si l'on ne les a pas utilisées? Ma réponse est que, à l'avenir, on pourrait vouloir y avoir recours.

Je ne connais pas bien la loi dans son ensemble. La loi n'a eu que peu d'incidence sur le SCRS; il n'y a eu insertion dans le texte que d'un ou deux mots au sujet de nos attributions.

Il y a un autre facteur que le comité devrait éventuellement garder à l'esprit : y a-il des lacunes qu'il faudrait songer à combler? À ce stade, je n'ai aucune suggestion à vous faire, mais cette question pourrait surgir au cours de vos délibérations.

Le sénateur Kinsella : J'ai lu avec intérêt la déposition que vous avez faite devant le comité dans l'autre endroit lorsqu'il a examiné le projet de loi C-36. Vous avez signalé aux membres de ce comité que, quand vous êtes arrivé au SCRS, vous vous êtes demandé s'il devait y avoir des modifications de la loi et vous avez dit que vous attendiez la rétroaction du SCRS à ce sujet. Avez-vous reçu ces renseignements de vos collègues? Dans l'affirmative, voudriez-vous les partager avec le comité?

M. Judd : Je n'en ai pas reçu, pas encore. Pour être plus précis, j'ai posé deux questions à cet organisme. D'abord, devons-nous envisager des modifications à la Loi sur le SCRS? Ensuite, y a-t-il des questions entourant des lois autres que celle qui nous concerne sur lesquelles l'on pourrait ou devrait se pencher?

Je pense que, au cours des prochains mois, nous devrions être mieux informés sur ces deux questions. Si vous le désirez, nous serions heureux de revenir devant vous et d'en discuter.

Le sénateur Kinsella : Je vous en remercie.

En ce qui a trait à la question des entités figurant sur la liste des Nations Unies, je crois que, devant le comité de la Chambre, vous avez signalé que l'inscription à celle-ci avait le même effet que celle établie sous le régime du Code criminel du Canada. Pourriez-vous expliquer cela pour les membres de notre comité?

M. Judd : Il y a au moins deux listes d'organisations terroristes conservées par les Nations Unies — l'une conformément à une convention antérieure à septembre 2001, et l'autre dans le cadre de que l'on appelé le Règlement d'application de la résolution des Nations Unies sur l'Afghanistan, qui a été instauré ultérieurement. Je crois que les entités terroristes qui sont inscrites sur la liste canadienne le sont toutes sur les listes des Nations Unies, et c'est dans ce sens que j'ai dit qu'il n'y avait aucune différence entre les deux.

Le sénateur Kinsella : Est-il donc juste de dire que la tenue d'une liste au Canada est redondante au regard de celle qui relève du processus international auquel nous sommes partie?

M. Judd : Sauf erreur, je crois que la liste canadienne est tenue en conséquence des mesures prises les Nations Unies : la partie des conventions des Nations Unies qui ont été adoptées obligeait les gouvernements nationaux de tenir des listes de ce genre. Je pense qu'il y a peut-être des exemples d'autres administrations dans le monde occidental où il y a d'éventuels décalages entre les listes tenues par les autorités nationales et celles des Nations Unies mais, en ce qui concerne le Canada, les nôtres correspondent.

Le sénateur Kinsella : Les listes tenues conformément de la Convention des Nations Unies attirent mon attention sur les autres conventions et pactes des Nations Unies, qui consacrent les normes reconnues en matière de droits de la personne et de libertés publiques. Par exemple, le Canada est partie depuis 1976 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. D'ailleurs, nous sommes aussi partie au protocole facultatif de cet instrument qui autorise les communications aux personnes.

La disposition de non-dérogation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 4, prévoit que :

1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 [...]

Par exemple, il n'y a pas de dérogation à l'obligation de ne se pas se livrer à la torture.

Il me semble que cette norme internationale édictée par les Nations Unies, que le Canada s'est engagé à respecter, serait encore plus directement applicable aux listes tenues par les Nations Unies. Lorsque nous examinons le projet de loi C-36, la norme de protection, cela me semble moins évident, même si on faisait jouer la Charte, car la disposition de non-dérogation de celle-ci n'est pas aussi stricte que ce qui est prévu dans les pactes internationaux.

Il s'agit plutôt d'une question d'ordre juridique, mais vous désirez nous faire part de votre opinion à ce sujet, je serai heureux de l'entendre.

M. Judd : Ma seule certitude est que le point que vous venez de mentionner me dépasse complètement. Je ne suis pas juriste, et il y a longtemps que j'ai quitté le service diplomatique; je ne suis donc pas très bien placé pour répondre correctement à cette question.

Le sénateur Kinsella : Vous pouvez comprendre qu'un défi se pose pour nous, comme pour toute personne qui a vos responsabilités : on s'attend, non seulement au pays, mais partout à l'étranger, que nous puissions concilier comme il se doit la protection des droits et libertés d'une part et, d'autre part, l'obligation de l'État de protéger ses citoyens.

Le SCRS est un organisme de cueillette de renseignements, qu'il partage avec le gouvernement. Les partagez-vous avec Immigration Canada?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Kinsella : Mon collègue, le sénateur Lynch-Staunton, a soulevé la question des certificats de sécurité et de la détention préventive prévus par cette loi, qui est assortie de mécanismes de protection. La détention qui est ordonnée en vertu de la Loi sur l'immigration ne semble pas faire l'objet du même niveau de protection, au plan des libertés individuelles, que celui qui caractérise le projet de loi C-36. Quand vous décidez de partager des renseignements, que soit avec le ministre de l'Immigration ou la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, allez-vous jusqu'à leur demander ce qu'ils vont en faire?

Les renseignements que vous donnez en vertu du projet de loi C-36 pourraient être utilises de telle manière que les personnes concernées pourraient être privées de leur liberté, être détenues; pourtant il y a certains mécanismes de protection. Si vous les partagez avec le ministre de l'Immigration, il n'y a pas le même niveau de protection. Êtes-vous troublé par le fait que c'est tel ou tel ministre qui reçoit les renseignements, ou est-ce un facteur qui entre jeu d'une manière ou d'une autre?

M. Judd : Dans le cas des certificats de sécurité, le rapport que le SCRS produit est transmis aux différents ministres simultanément, à l'actuelle vice-première ministre, qui est la ministre de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et au ministre de l'Immigration. Tel est le processus envisagé dans cette loi qui, sauf erreur, remonte à 1978 et, sauf erreur, c'est le processus auquel on a eu recours depuis dans quelques deux douzaines d'affaires.

Si je ne me trompe pas, aucun effort semblable n'a été fait pour quelque disposition que ce soit du projet de loi C-36. Donc, bien sûr, il y a une différence et, dans le cas des certificats de sécurité, nous avons agi sur la base d'un texte législatif qui est antérieur au projet de loi C-36 de 13 ans.

Le sénateur Kinsella : Enfin, madame la présidente, si nous pouvions porter maintenant notre attention sur l'hypothèse où nous avons en détention une personne qui doit être renvoyée vers son pays de nationalité, ou une personne qui a la double nationalité, la canadienne, et une autre, et une instance est en cours en vertu du Code criminel. Il y a eu une modification il y a trois ans qui avait trait à la question de l'extradition : le ministre canadien demandera aux autorités du ressort qui impose la peine de mort des assurances que le ministère public ne la réclamera avant d'y extrader la personne qu'elles réclament. Sans cette assurance, il est probable que nous n'extraderons pas cette personne.

Cela entre-t-il en jeu dans le processus concret d'extradition d'une personne vers un autre pays lorsqu'il y a des raisons de croire qu'elle sera arrêtée au moment où elle descendra de l'avion? Nous avons vu les preuves et les récits de violations des droits de la personne concernant la torture. Si on va réclamer la peine de mort et l'appliquer, cela semble contraire aux valeurs nationales canadiennes, qui sont déjà consacrées dans la loi. Que faire dans une situation où des personnes doivent être extradées afin d'être remises à un autre pays?

M. Judd : Par définition, les personnes visées le processus de certificat de sécurité en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne peuvent avoir la citoyenneté canadienne. À moins d'être apatride, par définition, ils sont citoyens d'un autre État. En aucun cas un certificat de sécurité ne pourrait viser une personne ayant une double citoyenneté.

La question de l'extradition et de la peine de mort et de son incidence sur les affaires de certificat de sécurité ne s'est jamais posée, à ma connaissance, mais je peux faire une enquête plus poussée et vous revenir sur cette question.

En ce qui a trait à la question de droit elle-même et à l'application de l'extradition, elle est quelque peu en-dehors de mon ressort, mais je serais heureux de consulter un avocat à ce sujet et d'en discuter ultérieurement avec vous.

Le sénateur Smith : Je voudrais aborder le sujet que les sénateurs Jaffer et Day ont mentionné, quand on a mis l'accent sur les noms qui semblent connoter l'appartenance à la communauté musulmane. Je conviens que vous êtes réticent à adopter une telle qualification, car certains de ces agissements extrêmes ne reflètent en aucune manière les dirigeants établis et reconnus de ces communautés.

Il y a eu une poignée de groupes ultra-extrémistes en Grande-Bretagne qui se sont présentés comme des mosquées. L'homme à la chaussure explosive, qui avait un dispositif d'explosion dans sa chaussure qu'il a tenté de déclencher, provenait d'un de ces groupes. Il y a eu un homme qui était peut-être né en Grande-Bretagne qui prônait la participation à la guerre en Irak et qui recrutait des volontaires pour y aller et se livrer à des activités de nature terroriste. Le gouvernement britannique prenait des mesures concernant cette personne. Je ne suis au courant d'aucune activité de ce genre dans notre pays. Mes suppositions sont-elles correctes?

M. Judd : Personnellement, je ne suis au courant de rien.

M. Dale Neufeld, directeur adjoint des opérations, Service canadien du renseignement de sécurité : Il y a certainement des mosquées dans notre pays — là encore, je ne dirais pas qu'elles sont typiques de la communauté religieuse musulmane. Cependant, il y en a une poignée qui, selon nous, facilitent les cueillettes de fonds et peut-être font du dépistage de recrues éventuelles, comme vous l'avez mentionné.

Le sénateur Smith : Si un incident retentissant devait se produire, plus ou moins semblable à ce qui s'est produit en Grande-Bretagne, que feriez-vous?

M. Neufeld : Nous recueillerions les renseignements et, si les circonstances le justifiaient, les transmettrions à l'organisme policier le plus indiqué, selon nous. Nous pourrions nous adresser à la GRC, et ils pourraient juger les faits au regard du projet de loi C-36 pour voir s'il serait possible de porter des accusations.

Le sénateur Smith : Il y a une controverse au sujet des cueillettes de fonds et l'obtention de reçus d'impôts. Je crois que c'est le sénateur Lynch-Staunton qui a soulevé devant la ministre McLellan la question des tigres tamouls au Sri Lanka, où plus de 60 000 personnes ont perdu leur vie au cours des 15 dernières années. À plusieurs reprises, la ministre McLellan a eu cette réponse : « vos préoccupations sont tout à fait légitimes ». Elle n'a rien contesté. Quel est votre point de vue sur la question de savoir si ces groupes doivent être inscrits sur cette liste, ou non? Je sais que cette question est délicate.

M. Judd : À l'heure actuelle, on étudie cette question au sein du service. Il y a eu certains débats concernant les tigres tamouls et s'ils devaient être inscrits sur la liste, ou non. Le ministre des Affaires étrangères a soutenu que, sous l'angle plus général du processus de paix au Sri Lanka, il serait préférable de ne pas le faire. À ma connaissance, nous n'avons pas communiqué d'opinion au gouvernement sur cette question.

Le sénateur Smith : La semaine dernière, j'étais en Irlande avec une délégation de deux sénateurs et cinq députés, notamment des gens dont le nom de famille était O'Brien et Kenny. Nous avons passé un certain temps à Belfast et à Dublin, et rencontré les dirigeants de tous les principaux partis. Récemment, on a beaucoup parlé d'un vol de banque qui a eu lieu là-bas. Nul ne semblait douter que c'est l'IRA qui en était l'auteur, notamment les forces de l'ordre des deux côtés de la frontière. Les membres de notre comité ont soulevé la question de la collecte de fonds effectuée par un représentant du Sinn Fein à Calgary en mars. Le conférencier devait être un des dirigeants qui avaient un casier judiciaire; il devait donc obtenir un permis du ministre.

Il y a des débats là-bas, ce qui est très sain en fait. Les trois soeurs d'un homme qui a été assassiné à Belfast se sont exprimées publiquement. Il semble y avoir une volonté généralisée, jamais vue auparavant, de mettre fin à toute cette violence. Si une personne liée à l'IRA demandait un permis pour venir dans notre pays, le consensus dans notre groupe était que nous devions recommander très fermement au gouvernement de ne pas accorder des permis de ce genre, tant que ces organisations poursuivent ce genre d'activités. Avez-vous quelque chose à dire sur une question de ce genre?

M. Judd : Comme la plupart des gens qui suivent l'actualité, je suis au courant de la situation en Irlande, particulièrement en ce qui concerne la mort de cette personne et de ce vol de banque. Parmi les questions qui entrent en jeu, il y a les liens entretenus entre une entité politique comme le Sinn Fein avec les entités paramilitaires, la manière dont on les démarque, et celle de savoir si le fait d'en être membre ou d'y être lié devrait être un facteur à prendre en compte lorsque l'on veut se rendre au Canada; à tout cela il faut ajouter les gros efforts accomplis par tous les côtés dans le cadre du processus de paix.

Il faut agir au cas par cas. Je n'étais pas au courant de l'événement que vous avez mentionné au sujet d'une manifestation prochaine au Canada.

Le sénateur Smith : Cette manifestation à Calgary a été annulée il y a quelques jours en raison de toutes les réactions hostiles. Notre comité allait adopter une attitude unifiée sur cette question : toutes les personnes qui veulent prêcher ces choses peuvent rester chez elles.

M. Judd : Ça serait la bonne attitude.

Le sénateur Joyal : Monsieur Judd, le week-end dernier, le New York Times a publié un long article de deux journalistes confirmant le programme secret administré par la CIA, un programme de transfert de personnes soupçonnées de terrorisme vers des pays étrangers pour interrogatoire sans qu'elle demande une autorisation au cas par cas; elle se fonde sur le pouvoir étendu qui lui a été accordé à la suite du 11 septembre. Ce programme est appelé programme de remise. Avez-vous participé à la mise en oeuvre de ce programme en collaboration avec la CIA?

M. Judd : Non.

Le sénateur Joyal : Ni directement ni indirectement?

M. Judd : Jamais.

Le sénateur Joyal : La CIA ne vous a jamais demandé des renseignements sur l'un quelconque des suspects que la CIA pourrait vouloir envoyer vers un pays étranger pour interrogatoire?

M. Judd : Pas à ma connaissance, non.

Le sénateur Joyal : Même pas dans le cas de M. Arar?

M. Judd : Comme vous le savez, il y a une enquête publique en cours au sujet des événements vécus par M. Arar et sur les mesures de plus grande envergure que le gouvernement pourrait envisager de prendre relativement au genre de questions qui ont été traitées en l'occurrence. Pour l'instant, si on fait abstraction du fait que toute l'affaire fait l'objet d'une enquête publique, je sais qu'aucun renseignement n'avait été transmis par le SCRS au sujet de M. Arar à quelque organisme américain que ce soit avant sa remise à la Syrie.

Le sénateur Joyal : À votre avis, dans quel cas prendriez-vous des mesures très semblables à la remise pratiquée par le CIA, la remise d'une personne à un État tiers pour interrogatoire?

M. Judd : Je ne pense pas pouvoir concevoir une situation de ce genre. Les personnes peuvent être extradées du Canada vers un autre pays, ou sinon, les personnes sont renvoyées vers leur pays d'origine en vertu du programme de certificat de sécurité. Cependant, dans ces deux cas de figure, les autorités ministérielles et judiciaires exercent leur contrôle et leur surveillance.

Le sénateur Joyal : Comme l'a mentionné mon collègue, le sénateur Kinsella, l'extradition est une procédure publique. C'est une procédure selon laquelle il est possible de saisir une cour d'appel; les décisions doivent s'appuyer sur les preuves et les documents pertinents. Une affaire d'extradition est une cause publique.

Le programme des États-Unis que j'ai mentionné, le programme de remise, est un programme plutôt secret. Ce n'est pas un programme qui est rendu public, qui reconnaît le droit des personnes de s'adresser au tribunal et d'être informées des accusations et des doutes qui pèsent contre elles car, à ce stade, il ne s'agit que de doutes. Il ne s'agit pas d'accusations. C'est la grande différence avec l'extradition. L'extradition est fondée sur des accusations. Le tribunal doit se pencher sur l'accusation, vérifier si un chef d'accusation semblable existe dans notre pays, et ensuite statuer. Le programme de remise est totalement différent. Aucune accusation n'a été portée. On agit sur de simples doutes. À mon avis, dans un cas de ce genre, il faut avoir une conviction d'autant plus forte que l'on agit comme il se doit car il n'y aucune possibilité de vérifier que le pays concerné respecte la primauté du droit.

Moi et certains autres sénateurs réunis autour de cette table veulent être certains que, en ce qui concerne le programme de certificat de sécurité, il y ait la surveillance la plus stricte afin de prévenir les abus, surtout lorsque des personnes sont expulsées vers des pays tiers, que ce soit l'Égypte, la Syrie, l'Arabie saoudite, la Jordanie ou le Pakistan, pour citer les pays qui ont été mentionnés dans l'article du New York Times, et qui ont des antécédents très particuliers en ce qui concerne le respect des droits de la personne, selon les Nations Unies... Je n'essaie pas de les juger sans avoir égard à l'évaluation que leur a donnée au plan international le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Nous avons la responsabilité supplémentaire de faire en sorte que, lorsque le certificat est accordé, les pays concernés donnent aux autorités canadiennes l'assurance qu'elles seront traitées « avec humanité ».

En vous fondant sur votre expérience, ou de celle du SCRS, pourriez-vous proposer des procédures supplémentaires que nous devrions suivre pour maintenir le respect des droits de la personne qui est traditionnel au Canada?

M. Judd : En ce qui concerne le processus de certificat de sécurité, si on voit les choses avec du recul, depuis que la loi est entrée en vigueur il y a 17 ans, il a été demandé 27 certificats et trois ont été rejetés par le tribunal. En moyenne, c'est un texte qui a été relativement peu utilisé.

Premièrement, la quantité de travail poussé que réclame la préparation d'un dossier de demande de certificat est incroyable. En fait, un de mes prédécesseurs a expliqué devant un autre comité sénatorial le temps, les efforts et les ressources qui sont nécessaires pour constituer un dossier considéré comme défendable. Avant même qu'une demande de certificat de sécurité quitte le SCRS, elle est examinée par un avocat du ministère de la Justice au SCRS. Elle est ensuite examinée par deux ministres et des avocats et d'autres personnes qui sont en rapport avec eux, et elle est ensuite examinée par un juge de la Cour fédérale. Il y a des mécanismes de contrôle dans tout le système au plan juridique, dès le début de la constitution du dossier par le SCRS.

Deuxièmement, il y a une disposition qui prévoit que, ultérieurement, la demande peut être examinée et contestée par la personne visée par le certificat, ou par son avocat. Troisièmement, il y a une disposition qui prévoit le contrôle judiciaire, là encore par un juge de la Cour fédérale, de toute décision de rapatriement de l'intéressé vers son pays d'origine. Tout le système est assorti de mesures de contrôle.

Cela dit, je comprends fort bien le problème avec lequel vous et vos collègues êtes aux prises, et bien d'autres : que faire lorsque vous détenez quelqu'un pour des motifs considérés solides, et lorsque le gouvernement, pour d'autres raisons, ne se sent pas capable ou disposé de renvoyer l'intéressé vers son pays d'origine?

Je n'ai pas de solution miracle à ce problème. Comme je l'ai dit plus tôt, c'est un problème auquel font face un certain nombre de pays occidentaux. C'est une question dont je m'entretiendrai avec quelques-uns de mes homologues étrangers au cours des prochaines semaines.

Cela dit, je reconnais l'existence du problème, mais je n'ai pas la réponse providentielle pour un problème qui est semblable à la quadrature du cercle.

Le sénateur Joyal : À la suite de ces discussions avec vos collègues, et avec d'autres personnes, pourriez-vous revenir ultérieurement devant notre comité, et présenter quelques options de sorte qu'il pourra étudier les différentes possibilités d'action relativement à cette question?

M. Judd : Je serai heureux de le faire, sénateur. Comme vous et, j'imagine, d'autres membres du comité, j'ai suivi dans la presse les débats au Royaume-Uni qui ont suivi la décision rendue par la Chambre des Lords. Je crois comprendre que les nouvelles mesures adoptées par le gouvernement ne semblent pas avoir suscité l'enthousiasme non plus. C'est une question dont je discuterai avec un certain nombre de fonctionnaires britanniques plus tard ce mois-ci. À la suite de celles-ci, et d'autres que j'espère avoir en mars et en avril, je serai heureux de revenir devant vous.

Le sénateur Joyal : Au cours de précédentes réunions du comité, certains d'entre nous ont dit craindre que des personnes pourraient être détenues pendant longtemps sans pouvoir saisir le tribunal et lui demander d'évaluer les preuves que vous avez vous-même explicitées.

En ce qui concerne l'obligation du gouvernement de s'adresser au tribunal et de lui expliquer pourquoi il n'est pas prêt à aller de l'avant et de demander l'autorisation de maintenir en détention l'intéressé, convenez-vous qu'il serait préférable d'avoir des délais plus courts plutôt que des délais indéterminés?

M. Judd : Selon moi, à l'origine, l'idée sous-jacente à cette disposition de la loi était qu'il fallait traiter les différents dossiers avec célérité. Je crois comprendre que la célérité en avait pâti dans certains cas pour deux raisons conjuguées. L'une se rapporte aux questions des assurances relatives à la sécurité des intéressés s'ils devaient être rapatriés vers leur pays d'origine. L'autre se rapporte aux mesures prises par les avocats des intéressés qui ont prolongé le processus bien au-delà de ce qui avait été prévu au départ. Auparavant, le processus était beaucoup plus rapide, mais il est possible qu'il se soit agi d'affaires ne soulevant pas de questions ou de préoccupations au sujet des assurances concernant la sécurité des intéressés s'ils étaient retournés vers leur pays d'origine.

Pour résumer, je dirais que, dans certains cas, l'application de la loi n'a pas été conforme aux attentes du législateur.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, voilà un aspect pour lequel nous devrions envisager ajouter à la loi les mécanismes indiqués afin que la loi prenne bien en compte les cas qui n'avaient pas été prévus à l'origine. Voilà, pour reprendre la question posée plus tôt par le sénateur Kinsella, un aspect de la loi qui pourrait peut-être être revu afin de mieux prendre en compte la notion canadienne d'application régulière de la loi.

M. Judd : Si je comprends bien, il a été demandé à votre comité d'examiner le projet de loi C-36; la loi encadrant les certificats de sécurité est très différente de celle qui l'a précédée. Tout cela dit, je pense que la question est toujours d'actualité.

Le sénateur Joyal : Je pense qu'aucune personne raisonnable ne ferait abstraction du fait que, dans toutes ces causes, c'est la Loi sur l'immigration à laquelle on a recours.

M. Judd : J'y penserais toujours à deux fois avant d'insinuer que les sénateurs sont déraisonnables, sénateur.

Le sénateur Jaffer : Je voudrais poser quelques brèves questions. Je crois comprendre que le projet de loi C-36 ne donne pas au SCRS plus de pouvoirs, sauf en ce qui concerne ce que vous avez reconnu ce matin. C'est avec la définition de la notion d'« activité terroriste » que, à mon sens, vous avez obtenu plus de pouvoirs. En ce qui concerne la mention des motivations religieuses, idéologiques, ou politiques, si celles-ci étaient retirées de la définition des activités terroristes, cela favoriserait-il ou nuirait-il à votre travail?

M. Judd : Si je me fie aux travaux préparatoires, en ajoutant quelques termes à la Loi sur le SCRS, l'intention du législateur était de rendre ce texte conforme aux autres modifications que l'on apportait au Code criminel.

La question de savoir si ces modifications ont amélioré ou empiré notre situation ou si elles ont eu une quelconque incidence concrète est intéressante. Je ne sais pas s'il est possible de vous donner une réponse raisonnable à une question hypothétique.

Le sénateur Jaffer : D'après ce que vous avez dit auparavant, vous reviendrez devant notre comité. Je vous demanderais de réfléchir à ce sujet, et peut-être vous poserai-je la question la prochaine fois que vous serez ici.

Quand votre prédécesseur était ici, je lui ai posé des questions au sujet de profilage racial. Il a répondu : « nous faisons du profilage dans une certaine mesure, mais il ne s'agit pas de profilage racial ». Lorsque la ministre était ici, elle a dit : « Nous ne faisons pas de profilage racial; nous faisons de la gestion de risque ».

Pouvez-vous nous expliquer ce que veut dire la gestion de risque?

M. Judd : Selon moi, la gestion de risque comporte essentiellement plusieurs volets. D'abord, quelque soit la nature de vos activités, que vous gériez un bistrot, une grande entreprise, ou un ministère, vous devez étudier l'environnement dans lequel elles se déroulent et des risques auxquels elles vous exposent. Vous commencez ensuite à réfléchir sur la manière de réduire ces risques, de manière préventive, ou à ce que vous feriez si l'un d'eux devait se concrétiser. Voilà ce que j'entends par gestion de risque en termes très généraux.

En ce qui concerne la question de profilage racial ou religieux, nous n'en faisons pas. Je pense que peut-être la ministre, en parlant de gestion des risques, avait en tête la prise en compte d'un certain nombre de critères dont on s'était compte qu'ils constituaient des caractéristiques ou des traits communs aux gens associés à des genres particuliers d'activités.

Le sénateur Jaffer : Lorsqu'un nom est retiré d'une liste du SCRS, que faites-vous pour faire en sorte... parce que vous avez peut-être partagé ce nom avec d'autres groupes? Même si le nom d'une personne ne figure sur la liste que temporairement, cela peut avoir des répercussions sur ses possibilités de déplacement ou de faire des affaires à l'étranger. Je crois savoir que, il y a à peine une semaine, un nom semblable à celui de notre ministre de la Défense était sur la liste. Il a pu montrer que son nom était différent de celui de la liste, mais cela ne sera peut-être pas aussi facile pour d'autres personnes.

M. Judd : En ce qui concerne nos propres activités relatives à ces listes, il n'y a qu'à Citoyenneté et Immigration que nous fournissons des noms, et il s'agit de personnes qui sont des ressortissants étrangers, pas des citoyens canadiens. Nous avons tendance à être assez prudents avant de communiquer quelque nom que ce soit. On nous pose souvent des questions au sujet de certaines personnes et nous disons souvent qu'elles ne présentent aucun intérêt pour nous, ce qui veut dire qu'elles sont peut-être des personnes merveilleuses, que sais-je, mais que nous n'avons aucun intérêt à leur égard.

Le sénateur Jaffer : Si j'ai bien compris votre réponse, nous ne partageons aucune liste avec nos voisins du sud?

M. Judd : Il peut y avoir des renseignements qui sont mis à la disposition d'autres administrations lorsqu'il existe un intérêt commun — par exemple, si une personne voyage ou si on sait qu'elle est liée avec un groupe ou mouvement en particulier. Cependant, nous avons tendance à être très prudent en matière de partage de renseignements.

Comme je l'ai dit ce matin, tout partage de renseignements que nous faisons avec un gouvernement étranger est régi par l'article 17 de notre loi, ce qui veut dire que deux ministres au moins doivent approuver nos rapports avec un organisme étranger. Deuxièmement, touts les renseignements qui sont reçus ou donnés telle ou telle année peuvent faire l'objet d'un examen, et ils sont examinés par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qui doit vérifier que les choses se passent comme il se doit.

Le sénateur Lynch-Staunton : Premièrement, je voudrais corriger l'impression que je vous ai donnée relativement à la question des appels. J'aurais dû dire que même si un avocat ou un détenu peut produire des éléments de preuve selon lesquels les renseignements produits par le SCRS à l'appui du certificat de sécurité sont exacts, en fin de compte, on ne peut porter en appel celui-ci. Dès qu'il est produit, il est en place. Y a-t-il une disposition prévoyant la possibilité de faire annuler un certificat après qu'il a été produit? Lorsqu'il est produit, peut-il être levé ou annulé?

M. Judd : Je crois savoir que, depuis la création des certificats de sécurité, il y a eu 27 demandes, et trois d'entre elles ont été rejetées. Dans l'un de ces cas, il me semble, après quelque temps, une toute nouvelle demande de certificat a été faite visant une des personnes pour laquelle le gouvernement avait essuyé un premier refus. Dans ces trois cas, ces certificats ont perdu leur validité et il a fallu tout reprendre à zéro.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous ne répondez pas à ma question. Je suis au courant des trois affaires dont vous venez de parler. Dans l'une d'elles, lorsque le SCRS a essuyé un refus, il s'est adressé à un autre juge, qui a convenu que les éléments de preuve établis devant le premier juge étaient suffisants pour justifier la production d'un certificat. Nous en resterons là pour l'instant, mais cela est troublant.

Voici où je veux en venir : Y a-t-il une disposition qui prévoit que, lorsque ce certificat est produit, il peut être levé? Vous avez dit que le gouvernement peut se le voir refuser, et qu'il peut alors essayer de convaincre un autre juge et encore un autre, jusqu'à ce qu'il ait gain de cause. Lorsqu'il est produit, peut-il être levé, surtout si les éléments de preuve produits par le détenu sont tels que le tribunal conviendrait que ce dernier est détenu en raison d'éléments de preuve ou de renseignements qui se sont révélés, en fin de compte, incorrects?

M. Judd : Je dois être très prudent, car je ne sais pas si je dispose de tous les éléments pertinents pour répondre à cette question précise. En ce qui concerne l'affaire instruite par les tribunaux à l'heure actuelle, nous verrons ce qu'elle révélera au sujet des délibérations sur le caractère raisonnable des éléments de preuve relatifs au certificat.

Le sénateur Lynch-Staunton : Selon les renseignements dont je dispose, 18 certificats ont abouti à l'expulsion — Zundel a été le dix-huitième — et trois ont été rejetés. Ce qui en laisse sept, mais sur la liste que vous avez produite ce matin, il n'y en avait que six. La liste que nous avons compilée montre un septième nom : Suresh. Y a-t-il une raison expliquant cette omission? Il est un sri-lankais qui a été détenu pendant neuf ans.

M. Judd : La liste utilisée ce matin a été mise à jour, c'est tout.

Le sénateur Lynch-Staunton : Voulez-vous dire que, après cinq ans, ils sont retirés de la liste, et qu'ils restent en prison et dans les oubliettes?

M. Judd : Non, je voulais dire au regard de l'étude que fait votre comité de ce texte législatif.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous avons évoqué le terrorisme. Votre exposé de ce matin portait sur la menace; votre analyse et vos explications sur toute cette question étaient très bonnes. Y a-t-il quiconque au SCRS qui va au- delà de l'état du terrorisme dans le monde et se demande pourquoi il y a des terroristes? Par exemple, pourquoi le terrorisme existe-t-il? Y a-t-il quelqu'un au SCRS qui va au-delà des simples faits et qui essaie d'expliquer certains événements? Y a t-il quelqu'un qui étudie pourquoi il y a des gens qui sont disposés à tuer pour une cause, justifiée ou non?

Je ne veux pas me pencher sur des arguments philosophiques, mais il me semble que nous ne sommes pas allés assez loin pour savoir ce qui provoque le terrorisme. Nous tenons pour acquis que le terrorisme est là pour rester, qu'il faut faire avec, au lieu d'en chercher la cause première.

M. Judd : Nous et de nombreux autres organismes dans le monde passons beaucoup de temps à réfléchir à cela et à creuser les motivations des activités terroristes de différentes sortes. En matière de terrorisme, mon opinion personnelle est que, si on fait abstraction du nihilisme et de l'anarchisme, il s'agit surtout d'activités accomplies pour promouvoir certains objectifs politiques, économiques, sociaux, ou autres, dirigées contre un adversaire où les mécanismes traditionnels, qu'ils soient politiques, judiciaires, militaires, que sais-je, sont considérés comme illusoires.

Par le passé, les organisations terroristes ont été reliées aux aspirations à l'indépendance politique ou au changement de régime. Vous pouvez aller partout dans le monde et lier les deux notions. Il peut s'agir de près ou de loin de considérations économiques ou sociales, que sais-je. En fin de compte, je ne pense pas que la réponse puisse être exprimée par une formule mathématique.

En ce qui les terroristes eux-mêmes, il y a de tout, au plan socio-économique, ou encore au plan de l'origine linguistique, ethnique, religieuse, nationale, géographique, entre autres. Dans la plupart des cas, il s'agit d'hommes dont l'âge se situe entre 18 et 45 ans, souvent très instruits, dans bien des cas beaucoup plus que l'on ne l'aurait cru.

Traditionnellement, les femmes n'ont qu'infréquemment participé aux actions terroristes dans le monde. Récemment, il y en a eu quelques cas, surtout au Moyen-Orient ou Tchétchénie. Pour faire court, on peut constater l'existence de toutes sortes de motivation de facteurs sous-jacents. Nous passons beaucoup de temps à comprendre les choses, au cas par cas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ne conviendriez-vous pas que celui que vous désignez du terme d'adversaire est peut- être aussi en faute, par exemple en appuyant des régimes répressifs, en divisant des continents, en envahissant d'autres pays, et en réprimant des mouvements que nous pourrions trouver plus acceptables, mais qui sont réprimés au point que, en fin de compte — et je ne le justifie pas — s'expriment par le truchement d'actions terribles?

M. Judd : Par le passé, ce facteur a été présent pour un certain nombre d'organisations terroristes. L'histoire nous enseigne que certaines organisations, qui étaient terroristes au départ, ont peu à peu fini par former des gouvernements, notamment des mouvements d'indépendance ou de libération nationale à l'époque de la décolonisation.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous pourrons revenir sur cette question une autre fois.

La présidente : Voilà qui constitue une session presque complète, sénateur Lynch-Staunton. Je vous remercie d'avoir soulevé cette question.

Le sénateur Andreychuk : Je voudrais simplement confirmer quelque chose, M. Suresh est en détention. Depuis combien de temps?

M. Judd : Il a été relâché en 1998, sous conditions.

Le sénateur Andreychuk : Il est en liberté depuis 1998, et sous quelles conditions?

M. Judd : Je n'ai pas ces renseignements, mais je peux tenter de les obtenir pour vous.

Le sénateur Andreychuk : Pour répondre aux questions posées par le sénateur Lynch-Staunton, la question des activités terroristes est quelque peu différente de celle du terrorisme et des terroristes. Le Canada, dans le projet de loi C-36, a porté son attention sur les activités terroristes. Comment définir cette notion? S'agit-il d'actes en cours de préparation? Se fie-t-on à des déclarations verbales? Autrement dit, vos éléments de preuve proviennent-ils de ce que quelqu'un a dit à un agent du SCRS, ou vous appuyez-vous sur des faits matériels qui indiquent que quelqu'un ne se borne pas à adopter des convictions négatives, différentes, ou opposées, mais qu'il fait bel et bien des préparatifs afin de concrétiser ces convictions et de passer à l'action? Où est la frontière entre les différences d'opinion réelles, qui sont toutes tolérées dans notre société, et les activités terroristes?

M. Judd : Selon moi, la ligne de démarcation est définie par la violence et tout ce qui serait associé à la violence, dans le but de faciliter cette violence, qu'il s'agisse d'activité d'organisation, d'acquisition d'équipement et de provisions pour des personnes, et la création de couvertures, si on veut, pour des personnes. En ce qui me concerne, et là encore vous devez garder à l'esprit que ce n'est pas un membre de la confrérie juridique qui vous parle, le noeud du problème est constitué par la question de la violence, par contraste à l'expression de convictions politiques ou économiques relativement à telle ou telle question.

Le sénateur Andreychuk : Vous n'avez rien dit sur le fait qu'une grande partie de vos renseignements provient, comme je le soupçonne, d'autres organismes dans le monde, comme la CIA. Dans quelle mesure vous fiez-vous à des sources autres que le SCRS pour obtenir vos renseignements? Êtes vous dans la position où vous êtes en mesure de faire du travail à l'étranger, mais en subissant de nombreuses contraintes, et donc obligés de vous fier à ces autres sources si vous voulez faire une évaluation? Les choses se font-elles selon un protocole, ou y a-t-il simplement des ententes tacites avec d'autres organismes?

M. Judd : Jamais le service ne fait de détermination concernant une personne en se fiant à une source unique de renseignements. Notre politique est qu'il doit y avoir de sources multiples de renseignements.

En ce qui concerne les sources de renseignement, en termes techniques, je les subdiviserais en, disons quatre catégories. Il y a d'abord les sources ouvertes, qui donnent des renseignements qui sont déjà accessibles au grand public, selon l'endroit où vous vous trouvez et ce que vous lisez ou regardez. Deuxièmement, nous obtenons des renseignements d'organismes étrangers. Troisièmement, nous obtenons des renseignements d'autres organismes canadiens, par exemple s'ils attirent notre attention sur certaines questions, comme les forces de l'ordre ou l'Agence des services frontaliers du Canada. La quatrième catégorie concerne les renseignements produits par le SCRS lui-même, soit de manière que je qualifierais d'ouverte, par des entrevues avec des personnes ou par la compilation de renseignements obtenues de concert avec d'autres personnes, et soit de manière plus envahissante, par des moyens subreptices autorisés par la loi.

Le sénateur Andreychuk : Avez-vous un protocole formel? N'y a-t-il que des ententes tacites entre les organismes étrangers et vous-mêmes?

M. Judd : Comme je le disais, selon l'article 17 de notre loi, nous devons avoir l'approbation de notre propre ministre et du ministre des Affaires étrangères pour conclure n'importe quel arrangement avec un organisme d'un autre État. Les renseignements ou données transmis dans un sens ou dans l'autre sont examinés annuellement par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et ils peuvent aussi faire l'objet d'un examen par l'inspecteur général afin de vérifier que les choses se font dans les limites fixées.

Les échanges de renseignements peuvent porter sur des questions très abstraites ayant trait à notre partie du monde, ou sur des choses très banales, comme la manière efficace de conserver des dossiers dans notre ère où le développement de la technologie donne lieu à une masse considérable de renseignements, ou sur les renseignements touchant des personnes ou des organisations précises qui considérées comme importantes pour notre pays.

Le sénateur Fraser : Monsieur Judd, pour revenir à la question des listes, vous vous souviendrez du projet de loi C-7, qui appelait notamment à l'établissement d'un système de transmission de renseignements sur les passagers des lignes aériennes au SCRS. Ce système est-il finalement en place?

M. Judd : Pas que je sache, non.

Le sénateur Fraser : C'est ce que je pensais. Même en faisant abstraction de toutes les autres considérations, je pense qu'il exigerait des systèmes informatiques très développés.

Pour s'y préparer, le SCRS a-t-il établi des critères pour les noms au regard desquels il voudra vérifier les renseignements fournis sur les passagers des lignes aériennes?

M. Judd : Nous étudions cette question en ce moment. Nous sommes conscients du fait qu'elle est délicate, et nous voulons être absolument scrupuleux sur la manière dont nous voulons aller de l'avant.

Si je me fie aux discussions à l'interne que nous avons eues il y a environ une semaine, il y a encore du chemin à faire pour trouver une solution concrète. Si vous le voulez nous pourrons revenir devant vous et en discuter lorsque vous aurez une meilleure idée de ce que nous projetons de faire.

Le sénateur Fraser : Cela pourrait être très important, madame la présidente. Même si cela ne découle pas du projet de loi C-36, nous devons comprendre le système dans son ensemble afin d'avoir un point de vue bien informé sur le projet de loi C-36. Je vous en serais très reconnaissant. Envisagez-vous de vérifier les noms des passagers au regard de la liste de surveillance du terrorisme ou d'autres listes, qu'elles soient plus globales ou plus circonscrites? Là encore, à quels critères aurait-on recours pour porter ces jugements?

Le sénateur Day : Les agents du SCRS sont-ils des agents de la paix?

M. Judd : Non. Pour n'avons pas de pouvoirs d'arrestation ou de détention.

Le sénateur Day : Nous avons eu beaucoup de discussions au sujet des certificats de sécurité en matière d'immigration. Expliquez moi le processus dont ils sont assortis. Vous recueillez des renseignements. Est-ce vous qui agissez et qui vous vous adressez alors à l'Immigration?

M. Judd : Le processus est engagé par le service, au motif que la personne concernée pose une menace éventuelle à notre pays et que, dans des circonstances normales, nous préférerions ne pas la voir ici et que nous aurions voulu l'avoir détectée dès son arrivée.

Le dossier est instruit par les agents du SCRS, ce qui prend beaucoup de temps et d'efforts. À un certain stade du processus, le dossier est examiné par les avocats du ministère de la Justice. Lorsque l'on est suffisamment satisfait, tant au plan opérationnel que juridique, que le dossier se tient, le certificat est transmis aux deux ministres chargés d'approuver la demande de certificat, à la suite de quoi l'intéressé est mis en détention. La Cour fédérale reçoit l'intégralité du dossier. Le juge donne un sommaire des renseignements, qui ne contient pas nécessairement tous ceux qui figuraient dans le rapport de renseignement en matière de sécurité à l'appui du certificat. Les renseignements sont partagés avec le détenu et son avocat. Selon le statut de l'intéressé, il est réexaminé tous les six mois par le tribunal en présence du détenu et de son avocat. Ultérieurement, le juge de la Cour fédérale décide s'il doit ordonner le renvoi de l'intéressé vers son pays, là encore en pesant ces facteurs.

Le sénateur Day : Il n'y a donc aucune intervention du ministère de l'Immigration?

M. Judd : C'est l'Agence des services frontaliers du Canada qui détient l'intéressé.

Le sénateur Day : Je crois comprendre que le budget du SCRS a connu une augmentation considérable. Je n'ai pas encore pu jeter un coup d'œil sur la demande budgétaire pour l'an prochain. Le SCRS a t-il obtenu des augmentations conséquentes pour le prochain exercice, ou celles-ci ne font elles que refléter le taux d'inflation?

M. Judd : Je crois que le budget prévoit une augmentation modeste, qui sera reflétée dans le Budget principal des dépenses du prochain exercice, qui reproduisent les décisions de financement qui avaient été prises dans le budget de décembre 2001, quand le gouvernement a choisi d'augmenter le financement d'un certain nombre d'organismes et de ministères concernés par la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme. Je pense que cette augmentation s'élève à environ 5 millions de dollars.

Le sénateur Day : J'ai mentionné plus tôt une déclaration faite par la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, selon laquelle le SCRS devrait accroître ses activités. Cela est-il reflété dans votre demande de crédit, dans le Budget principal des dépenses, ou cela se reflète dans votre budget actuel?

M. Judd : À ce jour, nous avons trouvé, dans notre budget actuel, l'argent pour faire plus en matière de cueillette de renseignements à l'étranger. Si le gouvernement veut nous voir continuer dans cette direction, c'est à lui qu'il revient d'étudier cette possibilité.

Le sénateur Joyal : Ma première question concerne le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Vous l'avez mentionné plusieurs fois dans vos réponses aujourd'hui. Je crois comprendre que le CSARS constitue plus ou moins votre comité de contrôle, c'est à dire que vous devez vous adresser au CSARS pour obtenir l'autorisation de poursuivre des initiatives supplémentaires et d'agir en matière d'enquêtes.

Dans les trois ans qui ont suivi la mise en oeuvre du projet de loi C-36, y a-t-il eu des éléments de vos activités que vous jugez importants et qui ont suscité l'opposition du CSARS?

M. Judd : Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité — CSARS — est un des deux organismes externes qui examinent les travaux du SCRS. L'autre est un inspecteur général, qui un agent du ministre. L'inspecteur général remplit des fonctions analogues.

Sauf erreur de ma part, le CSARS a le droit d'examiner tout ce que nous faisons et tous les documents et renseignements que nous avons, à l'exception des Documents confidentiels du Cabinet. Ils ont une grande marge de manoeuvre relativement à tout ce que nous faisons. Je dirais qu'ils agissent de manière énergique, comme l'inspecteur général. On nous a demandé de faire des observations devant la commission chargée de l'enquête sur l'affaire Arar sur la question de l'examen externe. Je serai heureux de remettre ce document au comité, si cela vous intéresse.

Le sénateur Joyal : Certainement. Nous attendrons ce document et le partagerons avec les membres de comité.

La présidente : Absolument, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Qu'en est-il de l'inspecteur général?

M. Judd : L'inspecteur général est un agent nommé par le ministre. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et l'inspecteur général ont leur propre personnel. Là encore, les attributions de l'inspecteur général sont très larges. Bon an, mal an, le bureau de l'inspecteur général examine un certain nombre de questions relatives aux agissements du service. La différence essentielle entre les deux est peut-être la suivante : le CSARS a le mandat de recevoir les plaintes du public touchant le service, et l'appareil administratif pour les traiter.

Le sénateur Joyal : Diriez-vous que c'est le CSARS ou l'inspecteur général qui sont chargés de faire respecter la Charte au profit des Canadiens?

M. Judd : Je dirais que moi-même et toutes les personnes qui travaillent au service ont l'obligation de veiller à ce qu'elle soit respectée dès le départ. Le CSARS et l'inspecteur général sont là pour rafraîchir notre mémoire en cas de besoin.

Le sénateur Joyal : En répondant au sénateur Andreychuk, vous avez dit que vous aviez signé un accord avec des pays étrangers afin de recevoir des renseignements. Avez-vous signé un accord avec les pays qui étaient mentionnés dans l'article du New York Times — l'Égypte, la Syrie, l'Arabie saoudite, la Jordanie ou le Pakistan — afin d'échanger des renseignements avec ces pays?

M. Judd : De mémoire, je ne saurais vous le dire. Il faudrait que vous me posiez la question ultérieurement.

Le sénateur Joyal : Lorsque le Canada signe un accord avec un pays qui a de mauvais antécédents en matière de droits de la personne, selon la liste publiée par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, je suis préoccupé par les renseignements que nous communiquons à ce pays.

M. Judd : Comme j'ai essayé de le dire plus tôt, sénateur, nous ne traitons pas les organismes étrangers ou les renseignements de manière uniforme. Nous exerçons notre jugement, de différentes manières, sur les renseignements que nous échangeons.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Judd : Nous aussi sommes soucieux de notre bonne réputation et de celle des autres. Lorsque nous décidons si nous devons conclure un arrangement bilatéral avec un organisme étranger, nous devons être convaincu qu'il va dans le sens de l'intérêt national en matière de sécurité. Sinon, en ce qui concerne les échanges concrets de renseignements, s'il y en a qui concernent des personnes ou des organismes, nous sommes très scrupuleux sur ce que nous communiquons, nous tenons compte de sa destination et de l'usage que l'on pourra en faire. Vous pourrez constater que nous agissons avec une grande prudence.

Le sénateur Joyal : Ces accords sont-ils alors examinés par le CSARS? Avant de conclure officiellement un accord, vous adressez-vous au CSARS pour lui expliquer quel type de renseignements vous échangerez avec un organisme de ce genre, et pour telle et telle raison?

M. Judd : Le CSARS n'est pas un organisme chargé d'accorder des approbations. C'est un organisme d'examen. Cela doit dissiper les préoccupations sous-jacentes à votre question. Ils ont un droit d'accès sans restriction à tous les arrangements et renseignements qui ont été reçus ou transmis.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, il est capable de faire en sorte que les demandes pouvant émaner d'un organisme étranger soient scrutées à différents niveaux, non seulement par vous, qui préparez les décisions et les raisons qui vous poussent à déterminer le niveau de renseignements que vous voulez lui transmettre. Je ne veux vous paraphraser ou vous mettre des paroles dans la bouche, mais vous prenez en compte l'état des droits de la personne du pays concerné afin de faire en sorte que ces renseignements ne soient pas utilisés à des fins impropres, sans la protection qui convient et qui est consacrée par les normes en vigueur au Canada?

M. Judd : Oui.

La présidente : Je voudrais remercier chacun d'entre vous de vos questions et vos réponses. Il est extrêmement difficile de faire le tour de cette question, et vous avez été très patients, monsieur Judd et monsieur Neufeld. Il est manifeste que le comité veut vous revoir. Nous examinerons le procès-verbal de cette réunion, et nous resterons en contact avec vous, de sorte que vous serez au courant des domaines que nous serons intéressés à suivre.

La séance est levée.


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