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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 18 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 31 octobre 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 h 32 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Il s'agit de la 40e séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste entend des témoins. Pour les gens qui nous regardent, je vais expliquer le mandat de notre comité.

En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes perpétrées à New York, à Washington D.C. et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Vu l'urgence de la situation à l'époque, on a demandé au Parlement d'accélérer son étude du projet de loi, et nous avions accepté. L'échéance pour l'adoption de ce projet de loi était fixée à la mi-décembre de 2001.

Toutefois, des préoccupations ont été soulevées à l'égard du fait qu'il était difficile d'évaluer en profondeur l'impact potentiel de cette loi en si peu de temps, et, pour cette raison, on a convenu que, trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner les dispositions de la loi et à évaluer rétrospectivement son impact sur les Canadiens, et, dans un contexte dont la charge émotive est moins lourde, avec le public. Par conséquent, le travail de notre comité reflète les efforts déployés par le Sénat en vue de remplir cette obligation.

Quand nous aurons terminé l'examen, nous présenterons au Sénat un rapport faisant état des questions qui, selon le comité, devraient être examinées plus en détail, et permettant de présenter les résultats de nos travaux au gouvernement et à la population canadienne. Je vous signale également que la Chambre des communes mène actuellement une étude similaire.

Jusqu'à maintenant, notre comité a entendu des représentants et des ministres du gouvernement, des experts internationaux et nationaux du contexte de menace, des experts juridiques, des intervenants des forces de l'ordre et du domaine de la collecte de renseignements, des représentants de groupes communautaires; nous nous sommes rendus jusqu'à Washington pour parler à nos collègues là-bas. La semaine prochaine, nous allons passer quelques jours à Londres en vue d'y rencontrer nos collègues qui sont là-bas.

Cet après-midi, nous revenons à la question de l'impact sur la collectivité, qui a suscité un vif intérêt tout au long de nos audiences. Nous sommes heureux d'accueillir M. Faisal Joseph, avocat-conseil national pour le Canadian Islamic Congress, et l'imam Salam Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui. Comme toujours, chers collègues, je vous invite à poser les questions les plus concises possible.

La parole est à vous, messieurs.

Faisal Joseph, avocat-conseil, Canadian Islamic Congress : Premièrement, c'est un honneur pour moi d'être ici, dans la chambre de second examen objectif. Nous sommes honorés d'avoir été invités à présenter notre point de vue à l'égard de ces questions importantes.

Je suis un musulman canadien né dans ce foyer du terrorisme qu'on appelle Truro, en Nouvelle-Écosse. J'ai déménagé à London, en Ontario, ville affichant la plus grande proportion de musulmans au pays. Il y a environ 35 000 musulmans à London, ce qui correspond à environ 12 p. 100 de la population. Aujourd'hui, je représente trois organismes : le Canadian Islamic Congress, l'Association of London Muslims et l'Islamic Centre of Southwestern Ontario.

Je ne tenterai pas, dans le cadre de mon exposé, d'analyser juridiquement la légitimité, la constitutionnalité ou l'autorité morale de la législation canadienne actuelle en matière de lutte contre le terrorisme. Ces points ont été soulevés par moi-même et d'autres personnes auprès de premiers ministres, de parlementaires et de comités de la Chambre des communes, mais, malheureusement, en vain. Ainsi, aujourd'hui, à titre de musulman né au Canada, j'aimerais adopter un point de vue humain en ce qui concerne l'effet des quatre dernières années sur les 750 000 contribuables musulmans respectueux des lois.

J'ai également eu l'occasion d'entendre certains commentaires de M. Judd, qui dirige désormais le SCRS, et je me suis réjoui de constater que ses opinions étaient beaucoup plus réfléchies et appropriées que celles de son prédécesseur, même si elles n'étaient pas toujours en accord avec celles de la communauté musulmane.

Selon moi, l'Association du Barreau canadien a eu raison de dire, dans le cadre de son évaluation et de son analyse initiales du projet de loi C-36, devenu la Loi antiterroriste, que cette loi était sans précédent, déraisonnable et inutile.

Nos politiciens et nos anciens premiers ministres nous ont promis, à moi-même, qui ai été procureur de la Couronne fédéral et provincial, ainsi qu'à d'autres Canadiens, que nos craintes de profilage racial et religieux, de violation possible des droits de la personne, et d'intimidation par les forces de l'ordre ou les agents d'immigration n'étaient pas fondées. Cette promesse n'a pas été tenue.

Au cours des deux dernières années, j'ai reçu chaque semaine des appels de musulmans de partout au pays, issus de plus de 50 cultures différentes, qui se sont sentis maltraités, intimidés ou menacés par des agents des Douanes et de l'Immigration ou des forces de l'ordre, y compris la Gendarmerie royale du Canada; et, effectivement, conscients du fait que le SCRS est non pas un organisme d'application de la loi, mais bien un organisme de renseignement, je signale que nous avons également reçu des plaintes à l'égard du Service canadien du renseignement de sécurité.

Mesdames et messieurs, avant les événements du 11 septembre, on n'aurait jamais cru à la tenue d'audiences secrètes relatives aux certificats de sécurité, aux arrestations préventives, à la modification des règles en matière de preuve en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, y compris la preuve par ouï-dire dans le cadre d'affaires criminelles. Il règne actuellement un climat de peur et d'ignorance qui a occasionné un recul au chapitre des droits de la personne, voire leur élimination pure et simple. À l'heure actuelle, ce recul est considéré, à tort, comme nécessaire ou justifié dans une société libre et démocratique. Il en découle une érosion continue de ces droits, ce qui, au bout du compte, ébranle cette société très démocratique que nous tentons justement de protéger des terroristes.

De nombreux musulmans regardent ce qui s'est passé en Afghanistan et en Irak, et se demandent qui sont les agresseurs. Lorsqu'un soldat américain est tué, cela fait les manchettes. Quand des dizaines de milliers de musulmans sont tués — je parle ici de civils —, la presse se contente de parler, tout simplement, de « dommages collatéraux », si elle en parle. Des dizaines de milliers ont été tués depuis le 11 septembre, et personne ne prend la parole en leur nom.

Le gouvernement des États-Unis, notre ami et allié du Sud, exige du reste du monde qu'on assure fermement la primauté du droit, et, pourtant, continue de miner les efforts à ce chapitre en recourant à la torture, en violant la Convention de Genève, et en procédant à des attaques préventives illégales contre d'autres pays.

Pas plus tard qu'en juin dernier, il a fallu que la Cour suprême américaine, à six contre trois, fasse valoir que les prisonniers détenus à Guantanamo Bay, qu'il s'agisse de combattants ennemis ou pas, ont droit au moins à la même chose que les citoyens américains, pour ce qui est de l'application régulière de la loi. Auparavant, ce n'était pas le cas, selon la Maison Blanche et le président des États-Unis. C'est ça, les États-Unis.

En Grande-Bretagne, une majorité écrasante de membres de la Chambre haute — la Chambre des lords —, a décidé que le gouvernement anglais ne peut, pour une période indéfinie, garder en détention des suspects étrangers sans les traduire en justice.

La chambre a insisté sur la violation claire et présente de la primauté du droit par la Grande-Bretagne, ainsi que sur la disproportion des mesures prises, qu'elle a qualifiées de — ce sont ses mots, pas les miens — « mesures draconiennes qui ne sauraient s'imposer dans le contexte actuel ».

Parlons maintenant du Canada. Au Canada, par ailleurs — et, à titre de personne née au pays, je n'aurais jamais cru une telle chose possible —, des dizaines de musulmans ont été mis en détention pendant des mois, dans le cadre d'enquêtes relatives à l'immigration ou au terrorisme. De fait, cinq musulmans bien connus ont été incarcérés pendant une période totale de 178 mois, soit presque 15 ans, sans que des accusations officielles ne soient portées, ou qu'un procès transparent n'ait lieu. S'ils sont expulsés, ces hommes courent le risque d'être, comme nous aimons dire au sein de la communauté musulmane, « ararisés », terme faisant allusion à la torture brutale dont a été victime un Canadien bien connu, du nom de Maher Arar. Le gouvernement a empêché que soient rendues publiques des preuves claires de l'innocence de M. Arar dans le cadre d'une commission d'enquête fédérale, et ce, malgré l'opinion du juge O'Connor, selon laquelle ces documents devraient être diffusés, et ne posaient aucun risque pour la sécurité nationale.

L'enjeu crucial, dans l'après-11 septembre, consiste à établir l'équilibre entre le besoin d'assurer la sécurité et la protection des droits de la personne. Je ne peux que vous faire part de mes observations, à la lumière de mon expérience sur le terrain.

J'ai été consterné et bouleversé par les questions qu'on pose aux musulmans canadiens dans le cadre d'enquêtes relatives à la sécurité nationale ou à l'immigration. Il ne s'agit pas de choses qui m'ont été relatées, ce sont des choses dont j'ai été témoin. Par exemple : à quelle fréquence priez-vous? Est-ce que vous vous considérez comme très religieux? Que pensez-vous de George Bush et de ses politiques? Ces questions sont inappropriées, certes, mais, au-delà de tout cela, il y a lieu de se demander ce qui va arriver si on répond honnêtement à ces questions. Est-ce que la personne détenue sera expulsée? Est-ce qu'on va formuler à l'égard des membres de sa famille des menaces en ce qui concerne leur statut d'immigrant?

Au Canada, le processus de certificat de sécurité a été maintenu par la Cour d'appel fédérale, et j'ai prédit, il y a de cela plusieurs mois, que la Cour suprême du Canada serait saisie de cette affaire. Je suis heureux de dire que ça s'en vient.

L'an dernier, l'honorable Roy McMurtry, juge en chef de la Cour d'appel de l'Ontario, a assisté, pour la première fois en 177 ans, à une ouverture historique des instances supérieures du sud-ouest ontarien. Dans son discours- programme, le juge en chef a déclaré ce qui suit, et le contexte est important. Les paroles qui suivent sont non pas les miennes, mais bien celles du juge en chef d'une cour d'appel de notre province :

Le caractère pluraliste de l'Ontario et du Canada est effectivement un trait fondamental de notre esprit national. Les Canadiens devraient être fiers du fait qu'un si grand nombre de personnes issues d'une diversité de milieux raciaux, ethniques, culturels et religieux aient choisi de faire du Canada leur foyer, et choisiront de le faire à l'avenir. J'ai souvent déclaré qu'il y a vraiment deux grandes catégories de Canadiens, soit les gens qui, comme moi, pourraient être qualifiés de Canadiens par hasard ou par accident, car nous sommes nés ici, et les Canadiens qui ont pris la décision réfléchie et délibérée de s'établir au Canada. Ce choix a souvent exigé beaucoup de courage de ces personnes, confrontées à une culture et à une langue différentes, et parfois, à un climat hostile. Je crois que les Canadiens devraient reconnaître qu'il faut respecter les personnes qui ont fait ce choix et qui, par le fait même, ont contribué à rendre notre pays vraiment remarquable, malgré les défis constants auxquels nous sommes confrontés.

Le juge en chef poursuit en disant :

Parallèlement, je reconnais que les événements tragiques du 11 septembre 2001 imposent malheureusement un fardeau injuste à la communauté musulmane du Canada, car certains Canadiens assimilent, de façon irrationnelle et injuste, la religion musulmane au terrorisme. On semble parfois tenter d'imposer à la communauté musulmane un sentiment de culpabilité collective susceptible de mener à la création d'une mentalité de défense. Un tel événement aurait manifestement des répercussions néfastes sur notre tissu social, souvent fragile.

De nombreux intervenants à l'échelle internationale n'hésitent pas à qualifier ces événements de « choc des civilisations ».

Tout comme le juge en chef, je ne crois pas à l'existence d'un tel choc.

Un tel discours, bien sûr, amène de l'eau au moulin des terroristes et des extrémistes. En effet, il serait très difficile d'extirper les terroristes si nous permettions à tous les membres d'une religion et d'une communauté données d'être diabolisés.

J'ose espérer que nous tirerons des leçons du passé, en ce qui concerne le danger extrême lié au fait de diaboliser une minorité donnée. De fait, aucune des grandes religions du monde, à ce que je sache, n'a échappé au fait d'être exploitée par quelqu'un en vue de commettre des atrocités à l'égard de non-croyants perçus. Songez seulement aux croisades des Chrétiens au Moyen-Âge, ou à l'Inquisition espagnole en Europe et dans les Amériques. Même le fondamentalisme chrétien d'aujourd'hui peut produire un Timothy McVeigh.

On a également reconnu que, sous la peur, la majorité des gens accordent la priorité à la sécurité, et sont plutôt disposés à céder des pouvoirs extraordinaires au gouvernement.

Encore une fois, je cite le juge en chef :

Comme l'a récemment déclaré un professeur de droit américain : « Nous préférons la sécurité à la liberté. » Cette réalité est illustrée de façon éloquente et, selon moi, tragique, par l'emprisonnement de citoyens américains et canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, et, à mes yeux, du moins, par l'imposition de la Loi sur les mesures de guerre au Québec, en 1970.

Il termine en disant ce qui suit :

En même temps, nous devons reconnaître que toutes les lois du monde et toutes les chartes des droits de la personne ont bien peu d'importance si chaque citoyen n'est pas disposé à s'engager personnellement à faire preuve de tolérance et de compréhension, et, par-dessus tout, à saisir toute occasion de lutter contre l'intolérance et les préjugés.

Mon expérience à titre d'avocat plaidant, ainsi que le témoignage d'un grand nombre de musulmans canadiens après le 11 septembre, n'ont pas été plaisants. Il n'est pas inhabituel pour des agents de sûreté et des agents de police du Canada d'invoquer des motifs fallacieux pour expliquer à des musulmans pourquoi on les interroge. On décourage fortement les musulmans visés par une « enquête d'immigration relative à des irrégularités éventuelles » de consulter un avocat, et on les empêche même d'assurer leur subsistance ou de faire des études.

Soit dit en passant, je me permets d'ajouter que je suis très offusqué lorsque j'entends des gens — comme d'anciens commissaires de la GRC — dire des choses comme : « Eh bien, s'ils étaient de bons Canadiens, ils coopéreraient avec les autorités. » Mais bien sûr qu'ils coopéreraient avec les autorités, les musulmans. C'est notre obligation religieuse de protéger notre pays, de protéger notre famille, de protéger nos biens. Il est intéressant de constater que c'est la première fois, en 20 ans, que j'entends dire, lorsque la communauté musulmane décide d'invoquer la Charte des droits et libertés, d'invoquer les droits que lui confère la Constitution, qu'une telle démarche serait, en quelque sorte, anticanadienne. Cela ne contribue pas à favoriser la confiance entre les organismes d'exécution de la loi et la communauté musulmane.

De nombreux musulmans au pays ont parlé de situations où des membres de leur famille avaient été menacés d'expulsion si certains renseignements n'étaient pas fournis. Même sur les campus universitaires de partout au pays, des étudiants musulmans nous disent qu'on les harcèle constamment afin qu'ils travaillent à titre d'informateurs confidentiels pour nos services de renseignement. On les appelle au travail. On communique avec eux dans les campus universitaires. On leur laisse une carte. Je sais ce que M. Judd a dit, et je ferai quelques commentaires à cet égard plus tard.

Il n'est malheureusement pas étonnant qu'un grand nombre d'employeurs ou d'employeurs éventuels perdent tout intérêt à l'égard d'un employé après une visite de nos services du renseignement ou des forces de l'ordre concernant des allégations non fondées selon lesquelles une personne est un terroriste ou connaît quelqu'un qui pourrait l'être. Ce genre d'allégation peut évidemment détruire la vie d'une personne au Canada pour toujours.

Les forces de l'ordre et les forces de sûreté savent bien peu de choses au sujet de notre religion et de notre système de croyances. Dans la plupart des cas, ce qu'ils savent se limite à des mythes qui continuent d'être perpétués par les médias. Le rapport Garvie, qui portait sur le rôle de la GRC à la suite des événements du 11 septembre, a déclaré que le corps de police ne possédait ni la compétence ni les capacités nécessaires pour mener convenablement des enquêtes sur la sécurité après le 11 septembre. C'est ce que m'a permis de constater ma propre expérience des agents de sûreté ou du renseignement qui interrogent mes clients. Leur ignorance de la religion musulmane, et leur parti pris inné, bien que peut-être involontaire — je leur laisse le bénéfice du doute — étaient plutôt surprenants, pour l'ex-procureur de la Couronne que je suis.

Le projet Thread montre clairement que les choses peuvent mal tourner, et que des hommes innocents peuvent être mis en détention dans le cadre d'une enquête relative à l'immigration ou au terrorisme. On a commencé par déclarer que ces personnes posaient un risque pour la sécurité nationale. Ces affirmations ont fait la manchette de tous nos journaux nationaux. Ensuite, une enquête conjointe de la GRC et du CSARS a révélé que rien ne prouvait que ces personnes mettaient à risque la sécurité nationale du Canada.

Pourquoi le gouvernement craint-il tant d'interdire le profilage racial? Pourquoi? Le premier ministre, le vice- premier ministre, le commissaire de la GRC et le chef du SCRS, y compris M. Judd — nous l'avons entendu dire cela ce matin — ont déclaré que, premièrement, le profilage racial n'existe pas, ce que nous contestons, et, deuxièmement, s'il existe, c'est une pratique immorale et inacceptable. Pourquoi ne pas l'interdire? En faire une infraction? L'assortir de conséquences? Ne nous dites pas que cela n'existe pas. Les membres de notre communauté y sont confrontés, d'une façon ou d'une autre, de façon régulière.

Une éminente juriste de l'Université de Windsor, du nom de Reem Bahdi, qui, en passant, n'est pas musulmane, a écrit dans son article intitulé « No Exit — Racial Profiling and Canada's War Against Terrorism » que le profilage racial ne procurera qu'une illusion de sécurité tout en accroissant la marginalisation et le sentiment de vulnérabilité des groupes racialisés au Canada. À mon avis, le profilage racial accroît les risques pour la sécurité nationale au lieu de les réduire. J'étais heureux et soulagé, ce matin, d'entendre le chef du SCRS vous dire que, selon lui, le profilage racial ne fonctionne pas.

Je crois savoir que ce n'est pas la politique officielle du SCRS, mais je dis aux honorables membres de votre comité sénatorial que ce phénomène existe. Je ne porte pas le turban; je ne porte pas la barbe; je n'ai pas d'accent. Laissez-moi vous dire : quand je reviens de Dearborn, au Michigan, et que je tente de traverser la frontière à Port Huron, pour retourner chez moi, à London, en Ontario, et qu'on demande à mon frère : « Comment prononce-t-on votre nom... « Giade »? et qu'il répond : « Jihad », nous en sommes quitte pour une attente de quatre heures et demie avant de pouvoir rentrer au pays. Alors, ne me dites pas que le profilage racial n'existe pas.

Les musulmans du Canada ont davantage intérêt à éteindre le terrorisme que les non-musulmans. Quand un terroriste ou l'auteur d'un attentat-suicide monte à bord d'un autobus, il ne demande pas qui est musulman, ou s'ils peuvent réciter leurs prières en arabe. Ils tuent au hasard. De plus, nous sommes les premiers à subir les crimes haineux, la discrimination, le vandalisme et la violence qui découlent de ces gestes. Nos femmes qui choisissent de porter le hidjab sont faciles à repérer. Vous n'êtes pas capables de déterminer si je suis juif, chrétien, italien ou grec, mais vous savez très bien que mon frère n'est pas écossais.

À Londres, en Angleterre, un homme qu'on croyait musulman a été exécuté dans la rue. Vous excuserez ma réaction, quand j'entends le chef du SCRS dire que c'est « regrettable ».

Je vous invite à vous mettre à la place d'un musulman canadien. Cet homme a été exécuté sommairement, de la même façon dont on aurait tué une personne en Irak, parce qu'on croyait qu'il était musulman et terroriste. À l'époque, j'ai participé à trois émissions-débats. Nous parlions de la confiance à l'égard des forces de l'ordre, et j'aimerais appliquer cela au contexte canadien. L'un des sénateurs a soulevé un bon point ce matin, au moment du témoignage du chef du SCRS. Il a dit qu'il n'était pas utile d'entendre des choses qui n'étaient pas vraies, et je me suis dit que c'était très généreux de sa part. Finalement, l'homme qu'on croyait être un terroriste était un chrétien brésilien. Il portait un gros manteau d'hiver, et il a tenté d'échapper à la police. Tous les faits présentés par le gouvernement anglais étaient faux : c'était un mensonge. Dans toutes les salles de nouvelles, y compris dans celles de la SRC, quelqu'un s'est dit : « Cet homme n'aurait pas dû courir; il n'aurait pas dû porter un manteau bouffant. » Lorsqu'on m'a demandé ce que j'aurais fait à sa place, j'ai répondu : « Si j'étais un musulman à Londres, après ce que j'ai entendu et après qu'on a révélé la tentative de dissimuler les faits, j'aurais couru plus vite que Ben Johnson pendant les Olympiques si on me pourchassait dans la rue. » Ils ont maintenu l'ordre de tirer pour tuer. Ils n'ont rien fait.

J'ai entendu M. Judd dire que nous avons des organismes d'examen. Parlons-en. Nous avons le CSARS, pour lequel j'ai énormément de respect. On nous a consultés si souvent que nous souffrons d'épuisement. Il est intéressant d'entendre la GRC, le SCRS et d'autres organismes d'exécution de la loi dire : « Monsieur Joseph, comment peut-on inciter les membres de votre communauté à coopérer avec les forces de l'ordre? » Nous disions autrefois que nous voulions que les membres de notre communauté participent, mais il est difficile de faire cela lorsqu'on voit, dans le journal, que le CSARS estime que le SCRS a fait de fausses déclarations au gouvernement concernant un homme qui appuie des causes pro-arabes.

Ce n'est pas moi qui dis cela. Où est la relation de confiance? Où est la relation de confiance, quand des citoyens canadiens sont soumis à un processus de « renvoi extraordinaire » — quel euphémisme! Chez nous, en Nouvelle- Écosse, on appelle ça un enlèvement — et que personne n'est au courant?

Je ne vous parlerai pas en détail de la commission d'enquête relative à Maher Arar, mais nous savons ce qui se passe dans ce cas-là. Nous savons également, comme l'a judicieusement signalé le sénateur, qu'au cours des mois qui ont précédé cette enquête et cette commission d'enquête, tout le monde tenait pour acquis que cet homme était coupable, et il est maintenant assez clair que ce n'était pas le cas. Maintenant, il y a plusieurs autres personnes dans la même situation. L'ambassadeur américain a dit qu'aucune excuse ne sera offerte, et qu'il pourrait bien y avoir de nombreux autres Maher Arar.

Je vous laisse avec les paroles du juge en chef, qui a déclaré, au Islamic Centre of Southwestern Ontario, que ses nombreuses années de service à titre d'avocat, de procureur général et de juge en chef de l'Ontario lui avaient permis de conclure, sans l'ombre d'un doute, que la loi ne permet pas à elle seule de protéger les personnes qui sont d'une couleur différente, ou qui pratiquent une religion différente. Il dit que la loi ne sera jamais suffisante en soi, parce qu'aucune loi dans le monde n'est capable de régir les plus grands principes. Une loi ne peut pas prévoir à quel degré un homme doit aimer son prochain, ni même dire qu'il ne doit pas le détester. Il a dit que la tolérance, tout comme la liberté, vit dans le cœur des hommes et des femmes. Lorsqu'elle se meurt, ni la constitution, ni les tribunaux ni la loi ne peuvent la sauver. Ni constitution, ni tribunal, ni loi ne peuvent même faire grand-chose pour l'aider, mais, pendant qu'elle est vivante, elle n'a besoin ni de constitution ni de tribunal ni de loi une sauver.

J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

L'imam Salam Elmenyawi, président, Conseil musulman de Montréal : En mon nom et au nom du Conseil musulman de Montréal, je tiens à remercier le président et les membres du comité de me donner l'occasion de vous présenter certaines de nos préoccupations.

Je suis ici parce que j'aime mon pays, le Canada. J'aime ses gens, et j'ai de graves préoccupations au sujet des certificats de sécurité et de la Loi antiterroriste. Je ne suis pas ici pour critiquer la loi article par article. Les avocats, les associations du barreau, les organismes de protection de la liberté publique et les organismes de protection des droits de la personne ont fait cela, et ils continueront, à juste titre, de critiquer ces dispositions jusqu'à ce qu'on trouve des solutions convenables et qu'on établisse un bon équilibre.

M. Joseph vous a présenté avec éloquence la souffrance humaine et les préoccupations d'un grand nombre de membres des communautés musulmanes. Cet après-midi, mon exposé porte sur un sujet bien précis, mais je serai heureux de partager avec vous mes réflexions au sujet de cette souffrance humaine. Dans le cadre de mes activités à titre d'aumônier musulman dans les prisons provinciales du Québec, je suis en contact avec des gens qui ont été accusés en vertu de certificats de sécurité, des gens qui ont été emprisonnés parce qu'on les soupçonne d'un méfait quelconque en matière d'immigration, et d'autres qui ont été accusés de crimes haineux. Je pourrais peut-être vous parler davantage de cela pendant la période de discussion.

Nous savons déjà que ces lois empiètent sur les droits et libertés des Canadiens, sur la liberté publique et sur la justice fondamentale. Les experts s'entendent pour dire que ces lois sont imparfaites. Je vais vous présenter un aperçu de certaines de ces failles.

Premièrement, l'abandon de la primauté du droit et de la justice fondamentale, y compris le pouvoir arbitraire que détient un « agent du gouvernement » sur une personne ou les biens d'une personne, les renseignements secrets, les renseignements fournis par l'étranger et l'absence de mécanismes de contrôle.

Deuxièmement, la violation de la Charte des droits et libertés, notamment la liberté d'expression, la liberté d'association, le droit de ne pas être privé de la vie, de la liberté et de la sécurité de sa personne, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale, le droit à la protection contre les fouilles et les saisies abusives, le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires, le droit au silence, le droit à un procès équitable et le droit à une protection égale en vertu de la loi. Ce sont des principes fondamentaux de notre système juridique, qui ne peuvent être restreints que si cela est justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Troisièmement, la définition de l'activité terroriste est trop vaste et trop globale. Le projet de loi doit être plus précis afin d'éviter de cibler de façon disproportionnée les musulmans ou les dissensions politiques légitimes.

Quatrièmement, le manque d'uniformité dans l'application de la loi, plus particulièrement en ce qui concerne les crimes haineux. Tous les médias, y compris la presse écrite et les organismes de radiodiffusion, devraient être visés.

Le cinquième point concerne le certificat de sécurité. La norme de preuve est minimale. En vertu du certificat de sécurité, il suffit de soupçonner une personne pour la condamner à la lumière d'une accusation grave. Les conséquences d'une telle condamnation seraient la destruction totale de la vie d'une personne, par la détention, l'expulsion, la torture, et peut-être même la mort. Ces graves sanctions sont la conséquence non pas d'avoir été reconnu coupable d'un crime, mais bien d'avoir seulement été soupçonné. L'accusé ne serait pas au courant des détails des accusations. Le juge reçoit la preuve « ex parte ». L'avocat de la défense ne serait pas mis au courant de telles preuves.

Il n'y a pas de contre-interrogatoire des témoins. Sous le régime de cette loi, la majeure partie de la preuve est obtenue sous la torture, et nous donnons aux tyrans et aux despotes toute latitude, grâce aux renseignements secrets que peuvent fournir des gouvernements étrangers, de faire faire leur sale travail par les Canadiens.

Il ne s'agit pas de déterminer si ces failles existent. La majorité d'entre nous conviennent de leur existence. Nous devrions essayer d'établir l'équilibre entre la sécurité collective et les droits individuels.

Je crois que vous vous y prenez mal. Nous devrions nous attacher à procurer ces outils aux responsables de l'exécution de la loi. Nous avons adopté ces lois en vue de contrer une menace à la sécurité. Nous avons besoin de services de maintien de l'ordre bons et intelligents. Ce que nous avons fait, c'est créer une menace importante à notre sécurité nationale. Nous avons créé un climat de méfiance entre nos services de police et la communauté musulmane.

Je crois effectivement que ces lois constituent la plus grande menace à la sécurité nationale, et que, si nous ne corrigeons pas le tir, elles mineront notre cohésion sociale et déchireront le tissu social.

Les failles que je viens de mentionner ont éliminé toute apparence de justice, et ont établi la possibilité d'abus et de harcèlement de la part des responsables de l'exécution de la loi. Les meilleurs services de police brillent par leur simplicité. Ce sont les musulmans qui ont le plus intérêt à protéger le Canada contre le terrorisme. Or, en vertu de ces lois, les musulmans ne communiqueront pas avec le SCRS ou la GRC lorsqu'ils soupçonnent une personne sans avoir de preuve. En général, on laisse au service de police le soin d'étayer une plainte. Dans le contexte de ces lois, personne n'oserait soumettre un être humain à une telle expérience ou à une telle paranoïa. Par conséquent, nous sommes tous perdants.

La complexité du problème lié au ciblage disproportionné des musulmans va au-delà de ce que je peux vous décrire aujourd'hui. En vertu de ces lois, l'apparence de discrimination institutionnalisée est évidente pour les musulmans.

J'apprécie le travail fantastique du SCRS et de la GRC en vue de protéger notre pays. Un grand nombre de leurs agents travaillent dur. Cependant, ces organismes ont créé une attitude et une culture où on voit les musulmans comme l'ennemi.

L'absence de formation relative à la religion musulmane, de multiples rapports douteux assortis de fausses accusations contre de jeunes musulmans locaux et des mosquées, et l'application aux musulmans, à tort et à travers, d'étiquettes comme djihadiste, islamiste, terrorisme islamique, etc., dans le contexte des lois mentionnées plus haut, donnent l'impression qu'on lutte non pas contre le terrorisme, mais bien contre l'Islam et les musulmans. Cette culture a fait d'un grand nombre de personnes innocentes la cible de ces lois, et a créé un grand filet qui gaspille nos ressources et finira par menacer notre sécurité.

Quoi que nous fassions, je recommande que nous tenions compte de ce qui suit : premièrement, la communauté musulmane et sa religion, l'islam, ne devraient jamais être la cible ou sembler l'être. Deuxièmement, il est essentiel que l'on perçoive que justice a été faite, et que la loi doit être respectée.

Troisièmement, les agents de la sûreté et les avocats doivent bénéficier d'une formation de sensibilisation ou d'éducation relative à l'islam. Quatrièmement, l'embauche de membres de la communauté musulmane par le SCRS et la GRC ne devrait pas se limiter à des fonctions d'informateurs, mal perçues par la population. On devrait les encourager à exercer des fonctions à tous les échelons des deux organismes, à titre d'avocats, d'analystes, d'agents, etc.

Cinquièmement, il faut tenir des consultations convenables et sérieuses avec la communauté musulmane. Sixièmement, il faut établir des mécanismes de protection pour éviter toute diffamation contre les religions en général, et l'islam en particulier.

À titre de Canadiens, nous ne devrions avoir aucune tolérance à l'égard des gestes haineux et de la discrimination. De plus, nous devons habiliter les organismes ethniques — au moyen de lois, de fonds et d'activités d'éducation — à protéger leur culture et leurs pratiques contre le discours haineux ou les gens qui voudraient se faire du capital politique sur leur dos.

De plus, si nous voulons nous joindre à l'effort international pour lutter contre le terrorisme, nous devons aller à la racine du problème, et exercer de la pression à cet endroit. On ne peut clairement pas contrer le terrorisme avec des chars d'assauts ou des lois injustes.

Qui plus est, les règles régissant les organismes de bienfaisance, sous le régime du projet de loi C-56, doivent être remaniées. Et du fait que l'aumône est un article de foi et l'un des cinq piliers de l'islam, les musulmans sont tenus de participer à des activités caritatives, non seulement parce qu'ils le souhaitent, mais également parce que leur religion l'exige.

Ne perdez pas de vue que, même si les musulmans comptent pour 27 p. 100 de la population totale, 80 p. 100 des réfugiés sont musulmans. Ils s'attendent à ce que les musulmans canadiens mieux nantis, qui jouissent d'une bonne vie au Canada, leur tendent la main et les aident à échapper à la pauvreté, de sorte que les musulmans sont davantage exposés aux effets pernicieux de cette loi.

Il n'existe pas de système de justice parfait dans le monde, mais le système canadien est l'un des meilleurs. Mais même dans ce système, avec les mécanismes de surveillance dont nous disposons, nous commettons encore des erreurs, nous ruinons la vie de personnes innocentes. L'adoption de ce projet de loi serait totalement injuste envers l'ensemble des Canadiens, car, lorsqu'il n'y a pas de justice pour certains, il n'y a de justice pour personne. Comme l'a dit Martin Luther King : « Une injustice commise quelque part menace la justice partout. »

On dit que l'accusé est innocent jusqu'à preuve du contraire. Ici, non seulement l'accusé est-il coupable jusqu'à preuve du contraire, mais il aura besoin de bien plus qu'un avocat pour se défendre contre une chasse aux sorcières et les preuves secrètes produites par d'autres pays. L'accusé aura besoin de ressources illimitées, dont il ne disposera peut- être pas, et, même s'il les avait, elles ne serviraient probablement à rien. Encore une fois, il n'est pas défendable.

Si vous n'abrogez pas ces projets de loi pour vous conformer à la Charte des droits et libertés, à la justice fondamentale et à l'application régulière de la loi, vous allez dire à la communauté musulmane et à bien d'autres Canadiens de différentes origines culturelles que l'on peut se passer d'eux, que vous êtes prêt à les sacrifier à la première occasion, et que la démocratie n'est pas nécessairement pour tout le monde.

Quelqu'un a dit que si nous ne soutenons pas la justice, la justice ne nous soutiendra pas. La justice doit non seulement être rendue, mais elle doit être perçue, de façon manifeste et sans équivoque, comme étant rendue. Sur ce, je demande humblement la bénédiction de Dieu. Puisse-t-il protéger chacun d'entre vous. Puisse-t-il vous guider vers une voie honorable qui soit juste et équitable.

Le sénateur Andreychuk : Je remercie les témoins de nous avoir présenté leur point de vue, dont nous en avions déjà entendu une grande partie.

J'aimerais que les témoins concentrent leur attention sur la loi antiterroriste. Si je vous comprends bien, vous avez tous deux dit que nous n'avons pas besoin de cette loi. Toutefois, si le gouvernement n'annule pas la loi, et je ne crois pas qu'il soit disposé à le faire, quels articles en particulier aimeriez-vous voir supprimer? Que pourrions-nous ajouter au projet de loi pour l'améliorer?

J'attire votre attention sur l'un des articles qui soulèvent des préoccupations. Il s'agit de la définition de l'activité terroriste, qui s'assortit d'un motif religieux ou politique. Pourriez-vous commenter?

M. Joseph : Je commencerais tout d'abord en énonçant la prémisse générale selon laquelle toutes les personnes ici présentes, ainsi que la majorité de la population du pays, croient que le profilage racial est inacceptable, qu'il existe ou pas. S'il est inacceptable, nous aimerions que la loi l'interdise. Si personne n'a recours au profilage racial, alors il n'y a rien à craindre.

Personne ne m'a jamais expliqué pourquoi le profilage racial n'est pas mentionné dans cette loi, mais il devrait y figurer, à titre de mesure de protection. Cela nous dirait que les artisans des lois du pays ne se contentent pas de dire que c'est inacceptable : ils le croient. Si c'est inacceptable, vous serez tenu responsable. Il n'y a rien qui tienne quiconque responsable.

La plupart des gens croient que le problème des certificats de sécurité découle de la loi antiterroriste. Ce n'est pas le cas. Je comprends cela. C'est l'application des dispositions qui pose problème, c'est la façon dont on utilise les certificats.

À vrai dire, je ne vois aucun recours abusif au certificat en vertu de la loi antiterroriste. Je le déclare officiellement. Je vois un effet beaucoup plus insidieux que cela, car cela concerne la façon dont on mène l'enquête, et ce qu'on utilise, et ce qu'on menace de faire.

Du point de vue des musulmans et de notre organisme, je ne dis pas que tous les éléments de la loi antiterroriste sont mauvais. Ce n'est pas le cas. Les éléments qui, selon moi, posent problème concernent les organismes de bienfaisance. Je peux vous dire qu'en ma qualité d'ex-procureur de la Couronne, je suis préoccupé par certains aspects. Par exemple, en ce qui concerne la définition du terrorisme et de la facilitation de l'activité terroriste, si je touche une somme versée à titre d'acompte de la part d'une personne que je représente, suis-je visé par cette définition de facilitation de l'activité terroriste en étant lié à ce groupe ou à cette organisation, ou en travaillant avec eux?

Au cours des deux derniers jours, dans la petite ville de London, en Ontario, nous avons recueilli 200 000 $ pour les victimes du tremblement de terre et pour l'Afghanistan et l'Irak. L'une des bonnes choses découlant de la législation antiterroriste, c'est que nous nous préoccupons davantage de l'endroit où nous envoyons cet argent qu'autrefois.

Cela se produit au sein de la communauté musulmane. Il y a un grand nombre de bons organismes. Nous payons la Zakat de 2,5 p. 100, en plus des autres taxes liées aux efforts humanitaires. De nombreuses personnes ne demandent pas de reçus pour l'impôt. Ils ne veulent pas de reçus pour l'impôt. Ils craignent de faire l'objet d'une enquête du SCRS ou de l'Immigration, ou d'autres organismes, si on apprend qu'ils ont versé des contributions à un organisme considéré comme « pro-arabe » ou « pro-musulman ».

Il y a, dans la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance, des dispositions fondées sur le ouï-dire. Laissez-moi vous parler de la Loi sur la preuve au Canada. Vous devez comprendre, à titre d'avocate, que, quand cette loi est entrée en vigueur, elle n'a pas été présentée comme la Loi antiterroriste. Vous connaissez tout ce matériel de fond en comble. On l'a présentée dans le cadre d'un projet de loi omnibus. Elle était accompagnée de 12 projets de loi influant sur des choses que nous n'avions jamais imaginées. En ma qualité d'ex-procureur de la Couronne fédérale et provinciale, je ne m'explique pas pourquoi nous présentons ouï-dire par-dessus ouï-dire aux juges. Il ne s'agit pas de preuve.

Le SCRS vous dira que son mandat ne consiste pas à recueillir des preuves. C'est le travail de la GRC. À combien de reprises vous a-t-on dit cela? Le SCRS recueille des renseignements, et nous disons : « Faites-le bien. Trouvez-nous des renseignements qui nous renseignent bien. »

Ces renseignements peuvent servir des intérêts politiques. Ils peuvent provenir d'un autre pays. Ils peuvent provenir d'Israël. Ils peuvent provenir d'organismes ou de pays qui ont une raison ou des renseignements erronés. Il n'y a aucune façon d'attester la véracité des renseignements. C'est pourquoi nous avons des contre-interrogatoires. Si je suis en détention en vertu d'un certificat de sécurité, j'ignore de quelle information ils disposent. On me remet un résumé. Les avocats se plaignent du fait que nous avons autant d'influence sur ce qui nous arrive que des plantes d'appartement. Des juges ont décrit cela comme une feuille de vigne.

À Toronto, puisqu'il n'y a pas de profilage racial au pays, je dois consulter les arrêts de la Cour d'appel concernant des Noirs — il y a deux phénomènes. Il y a le NAV, « Noir au volant », phénomène qui n'existe pas à Toronto. À titre d'exemple, on pourrait vous accuser de NAV si vous êtes au volant d'une BMW un samedi soir, et que vous vous adonnez à être Noir. Nous avons maintenant le CAA, « conduite avec des Arabes ».

Nous savons que cela existe. Il n'y a pas de raison que les forces de l'ordre et les organismes de renseignements ne succombent pas aux mêmes tentations. Ils sont le produit de notre société. Ce matin, à l'hôtel, j'ai lu la manchette suivante dans le journal : « Les Canadiens disent que les immigrants constituent une menace pour la paix ».

L'article révèle que, même si la population favorise un renforcement des normes d'immigration, 63 p. 100 des Canadiens se disent inquiets ou préoccupés par le terrorisme, par la possibilité d'une violation des droits et libertés des Canadiens originaires de pays arabes ou musulmans.

Mais ce n'est pas ce qu'on dit en manchette. La manchette dit : « Les Canadiens disent que les immigrants constituent une menace pour la paix. » Nous sommes le produit de notre environnement, constitué de choses comme les certificats de sécurité, les règles de la preuve, la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance, la disposition de temporarisation. Rien ne nous empêche de rétablir certains éléments législatifs.

Pourquoi nous acharnons-nous à rendre cette loi permanente quand nous savons très bien que certains éléments n'ont pas leur place? Ils ne sont d'aucune aide. Ce genre de définition est répandue, et le problème tient à la définition du terrorisme.

Vous constaterez que de nombreux pays ne veulent pas définir le terrorisme. Lorsqu'on commence à définir des motifs politiques, des motifs religieux et d'autres choses, ces éléments prennent leur place dans le profil.

Je suis impressionné par votre comité, car vous appréciez la différence. J'ai vu la première version, rédigée par M. Judd. Il a parlé du fait que le SCRS ne fait pas de profilage. Il a tort. En tant que musulman, j'aimerais bien qu'il dresse un profil psychologique. Si un Arabe s'apprête à monter dans un avion avec un billet aller seulement, et qu'il est en sueur, je me fous de sa religion. Je veux qu'on se penche sur son cas. C'est ça, le profilage.

Vous devez comprendre pourquoi nous sommes sensibles à cette question. Le juge en chef a parlé de Timothy McVeigh. Or, on ne qualifie jamais Timothy McVeigh de terroriste chrétien. Un homme, un criminel, a tué 35 personnes qui priaient à la Coupole du Rocher, en Cisjordanie. On n'a pas qualifié cet homme de terroriste juif. La seule religion dont tous les membres se font rattacher à la criminalité, c'est l'islam. On ne parle que de terroristes islamiques.

Ce n'est pas bon. On cultive la haine, et on le fait régulièrement. On continue de faire un lien entre la religion et la criminalité. Cela se répercute dans les médias, dans l'esprit des gens, dans les services de maintien de l'ordre et du renseignement. Voilà comment je répondrais à ces questions. Je serais heureux de vous fournir plus de détails, car j'ai présenté ces recommandations à divers autres comités.

L'imam Elmenyawi : Je ne crois pas avoir dit que je souhaitais l'abrogation totale des lois. Je ne suis pas ici pour dire au Canada de ne pas lutter contre le terrorisme. Je veux que le gouvernement canadien s'assure de lutter contre le terrorisme de façon rigoureuse, convenable et méticuleuse. Je veux qu'il donne suite à tous ces dossiers, et qu'il établisse des lois et règles convenables que nous pouvons utiliser comme outil pour maintenir l'ordre et lutter contre le terrorisme.

Or, les outils actuels ne sont pas tous sains. Un enfant dans un magasin de bonbons voudrait tout ce qu'il y a dans le magasin. Il prendrait tous les bonbons qui se trouvent devant lui, et ce ne serait pas sain.

Ainsi, lorsque nous envisageons les outils actuellement mis à la disposition du SCRS ou des services de police pour lutter contre le terrorisme, on ne peut pas nécessairement dire qu'ils sont sains. Je crois que cela mènera à un manque de rigueur de la démarche.

Les services de police doivent travailler davantage en vue de trouver les bons outils. Nous devons mieux interpréter les renseignements, au lieu de fournir une interprétation erronée ou de montrer qu'il n'y a pas de justice pour ceux qui ont été mis en détention par la police. Cela crée un recul incroyable, les gens ont peur de prendre l'initiative d'aider la police.

Si vous voulez soumettre tous les musulmans au pays à une enquête policière, vous n'aurez pas l'argent nécessaire pour le faire. Cette méthode semble beaucoup plus acceptable : on tente de rendre suspectes le plus grand nombre de personnes possible, en vertu de ce genre de lois et de règles. Si nous nous attachons au profilage intelligent, comme je l'ai mentionné plus tôt, à l'établissement d'un profil psychologique lié aux crimes, alors les choses se dérouleront bien.

Que faut-il changer? Il faudrait changer tout ce qui est ne concerne pas la justice naturelle, l'application régulière de la loi. Il faudrait trouver des solutions. Il faudrait établir une disposition de temporarisation pour mettre un terme à toute mesure temporaire qui s'impose, pour ne pas avoir à se pencher de nouveau sur ces mesures dans quelques années, mais pour les maintenir pendant un certain temps, et ensuite les éliminer.

À notre connaissance, il n'y a actuellement qu'une seule personne accusée en vertu de la Loi antiterroriste. Son procès n'est pas encore commencé. Après le rapatriement de la Constitution en 1982, de nombreuses affaires n'ont pas été entendues, parce qu'il y avait des retards, et les choses ne se déroulaient pas comme prévu.

Lorsqu'on garde une personne en détention et qu'on ne lui intente pas de procès, c'est qu'on n'a pas de preuve. Nous créons encore ce genre d'abus dans l'application du projet de loi C-36. Cela se voit dans les plaintes que je reçois de personnes qui ont reçu la visite d'agents du SCRS, et qui ont été menacées parce qu'elles ne veulent pas parler au SCRS de leurs amis, de la possibilité que leurs amis fassent quelque chose de douteux. Le SCRS veut le nom de ces personnes.

« Si vous ne coopérez pas, nous annulerons votre démarche d'immigration, nous vous accuserons en vertu de la Loi antiterroriste, et nous vous jetterons en prison. Nous trouverons un juge qui va vous forcer à parler. » Ces menaces ont été proférées à maintes reprises par des membres de la force policière. Il est là, le problème.

Nous devrons établir un système de freins et contrepoids à l'égard de ces lois. Oubliez la notion de preuve secrète. Cela ne fonctionnera pas. Je comprends qu'il y a des raisons pour cela, car la plupart des preuves présentées en matière de terrorisme proviennent d'autres pays, et c'est un organisme du renseignement qui présente la preuve. À l'échelon local, il y a des informateurs occasionnels qu'on ne veut pas identifier.

Il y a sûrement un autre moyen. Dans le passé, la police a réussi à traduire des gens en justice. La présentation de preuves secrètes et de preuves de l'étranger est totalement inacceptable, le recours à des preuves soumises par des pays ayant à leur tête un despote ayant des intérêts particuliers; ces preuves ont des répercussions sur des gens au Canada qui sont des immigrants, qui travaillent et qui tentent d'aider leur pays à se libérer. Tout à coup, cet État soumet des preuves fabriquées de toutes pièces, et nous avons un problème.

De plus, il y a des pays du monde musulman qui, pour des raisons géopolitiques, sont confrontés à de grands bouleversements, qui échappent à la définition du terrorisme, et cela a créé un problème énorme. On présente parfois, ici même au Canada, des preuves contre des personnes qui, en vertu du droit international, seraient certainement innocentées. Mais nous envisagerions tout de même de telles preuves.

Il y a des pays qui falsifient des passeports canadiens. Nous continuons d'accepter des preuves de ces pays, même si nous savons qu'ils ont falsifié des passeports canadiens en vue de faire entrer des civils dans un autre pays. Nous savons que cela s'est produit, mais nous continuons d'accepter des preuves de ces pays, et d'en tenir compte dans nos tribunaux. L'idée de ne pas donner à l'accusé l'occasion de contester cette preuve sera certainement très dangereuse pour nous tous.

Nous avons vu David Milgaard se faire emprisonner, et il avait le droit de voir et d'examiner toute la preuve. Tous les freins et contrepoids nécessaires étaient en place. Toutefois, il y a encore eu des abus, ou il n'y avait pas suffisamment de preuves convenables en cour. Imaginez lorsqu'on est privé de ces droits. Pour une personne accusée en vertu de la législation antiterroriste, sans tous ces freins et contrepoids, à quoi devrait-on s'attendre? Voilà ce qui est si grave dans tout ça.

Aujourd'hui, quand nous parlons au SCRS, nous voyons qu'il ne travaille pas à lutter contre le terrorisme au Canada. De fait, il prend les devants en disant qu'il lutte contre l'extrémisme. Lorsqu'on demande ce que cela signifie, on nous répond qu'il n'y a aucune définition. Finalement, si quelqu'un voit une personne se lever à 5 heures du matin pour se rendre à la mosquée, aller de nouveau à la mosquée à midi, y retourner à 15 heures, encore une fois à 17 heures, et, enfin, en soirée, à 19 heures, retourner à la mosquée — c'est de l'extrémisme. N'importe qui verrait une telle chose et considérerait cela comme de l'extrémisme. Mais qui décide de cette terminologie : qu'est-ce que l'extrémisme, et qu'est- ce que le terrorisme? À titre d'organismes de bienfaisance, quand nous tentons d'aider des gens nécessiteux de partout dans le monde, et de leur envoyer de l'argent, encore une fois, dans cette région aux prises avec des bouleversements, nous comprenons que nous prenons de gros risques, car on pourrait nous accuser d'être en contact avec des terroristes. La « facilitation » n'est pas définie convenablement, et « aider l'extrémisme » n'est certainement pas une formule claire, alors c'est difficile pour nous tous.

Le sénateur Fraser : Certaines de vos suggestions ont été formulées par d'autres intervenants, et nous prenons bonne note de celles qui n'ont jamais été mentionnées.

J'aimerais que nous nous penchions sur les difficultés sous-jacentes liées aux efforts visant à déterminer ce qu'il faut faire pour veiller à ce que des Canadiens soient des Canadiens à part entière, et à ce qu'ils sachent qu'ils le sont. Je crois qu'ils le sont, mais ils doivent le savoir, et ils doivent savoir que tous les autres le savent. Cela crée effectivement un problème, car, tout comme il y avait des personnes qui, il y a quelques années, commettaient des attentats à la bombe dans des cliniques d'avortement au nom, disaient-ils, de Dieu, nous avons maintenant affaire, là-bas et ici, d'après ce qu'on nous dit, à un réseau de personnes qui a recours à des méthodes terroristes. Ces gens se justifient — vous me direz qu'ils le font à tort, et je suis tout à fait d'accord avec vous — en disant qu'ils font cela au nom de Dieu. Ils disent qu'ils font cela au nom de l'islam. Tout le monde sait qu'il ne s'agit pas de l'islam au sens habituel. Sur 750 000 musulmans au Canada, il y en a probablement 749 500 qui ne seraient pas d'accord avec eux. Toutefois, il y a des gens dont les principes, les agissements et la justification ou la planification de leurs agissements sont fondés sur l'islam. Par conséquent, cela devient un élément dont il faut tenir compte.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur Elmenyawi, en ce qui concerne la nécessité de dispenser beaucoup de formation de sensibilisation, mais nous ne pouvons dire aux responsables de la sûreté : « Ne posez jamais de questions au sujet de la religion; n'interrogez jamais un musulman. » Parfois, les travaux de notre comité me laisse perplexe. Que pouvons-nous faire? Qu'est-ce que le système peut faire? Qu'est-ce que le Parlement et le gouvernement peuvent faire pour montrer à ces 750 000 musulmans canadiens que nous savons que ce n'est pas eux, le problème? Comment pouvons-nous transmettre ce message sans pécher dans le sens contraire?

Je ne suis peut-être pas très cohérente. Ce que j'essaie de dire, c'est que, parfois, quand une communauté se sent minoritaire, elle se met sur la défensive, à un point tel qu'elle est presque fermée. C'est une déclaration très dure, mais je suis membre d'une minorité moi-même. Je suis également membre de la grande diaspora néo-écossaise, même si ce n'est pas de cette minorité que je parlais.

Il est facile de se retrancher dans sa peur jusqu'à ce que le progrès devienne pratiquement impossible. Comment pouvons-nous surmonter cette peur? C'est une question longue et incohérente, mais c'est ma seule question.

L'imam Elmenyawi : La question est on ne peut plus claire, car cela correspond tout à fait à notre situation. Vous avez raison. Il y a un obstacle, et nous devrons le surmonter.

Il y a deux volets à votre question. Il y a peut-être au Canada des gens qui justifieraient le meurtre au nom de la religion. Je me dois de contester cela, et j'aimerais bien qu'on me montre qui. Je ne connais pas de personne qui pense comme ça. La discussion revient toujours à cela. Une partie du problème, lorsque nous nous penchons sur cette question, tient au fait que les personnes qui posent la question ont cette attitude bien ancrée. On leur a dit qu'il y a des extrémistes ou des terroristes au sein des musulmans, ou parmi eux. Maintenant, il faut s'attaquer à l'extrémiste ou au terrorisme. Ensuite, ils n'ont qu'une seule idée en tête, et c'est de trouver de nouveaux noms et de nouvelles personnes afin de continuer d'assurer un suivi et de poser ces questions.

La réalité, c'est que, de temps à autre, des extrémistes peuvent séjourner au Canada, qu'il y a des lois qui nous protègent contre cela, et que nous devrions toujours être à l'affût. La meilleure défense viendra de la communauté musulmane elle-même. Nous devons mettre cette communauté musulmane à l'aise, veiller à ce qu'elle soit détendue, lui permettre d'aller de l'avant et de comprendre qu'elle n'a pas à avoir peur de révéler le nom de personnes qui, selon elle, adoptent une idéologie ou une orientation fondée sur une interprétation erronée du Coran.

Une partie de ce problème — et je crois que nous commettons la même erreur au Canada qu'ailleurs — tient au fait que, dans nos efforts pour nous attaquer aux sources du terrorisme et à l'extrémisme religieux, nous avons également attaqué les simples musulmans qui ne font rien de mal.

Cela a créé différentes écoles clandestines qui enseignent aux personnes, mais vous n'avez aucune mesure de sécurité ni aucun frein et contrepoids à l'intérieur de ces écoles pour garantir que les enseignants offrent réellement une éducation appropriée. En n'ayant plus l'œil sur cela, c'est-à-dire en ne surveillant plus les écoles, l'éducation et les enseignements et en obligeant ces écoles à fonctionner de façon clandestine, vous avez créé ces fausses idées.

Lorsque, au Canada, vous commencez à attaquer le Jihad, qui est honoré dans l'islam, la plupart des musulmans ne vous écouteront pas. Aussitôt que vous dites que le Jihad est mauvais, vous ne leur transmettez pas le bon message. Vous attaquez l'islam. Lorsqu'ils lisent dans le Coran que le Jihad, c'est quelque chose de bien pour défendre leur pays, eux-mêmes et leur peuple, et que certaines personnes qui en tirent parti sont canadiennes, alors ça ne fonctionne pas.

Lorsque des représentants de SCRS ou de la GRC tentent de savoir si quelqu'un parle du Jihad, les gens deviennent aussitôt suspicieux. Nous nous éloignons tout d'abord du fait d'apporter aux membres de la collectivité la paix ou un sentiment de facilité faisant en sorte qu'ils sont capables d'enseigner et d'étudier leur religion de façon adéquate et d'éduquer les membres de leur collectivité de façon appropriée. Cela n'arrivera pas.

Entre-temps, compte tenu de toutes les accusations portées, nous nous demandons si nous sommes paranoïaques. Non, il ne s'agit pas de paranoïa. C'est une peur véritable. Lorsque le chef du SCRS parle avec tant de fierté d'un rapport qu'il publiera bientôt, selon lequel il y a du terrorisme ou des extrémistes au Canada et que l'élément de preuve concerne le fait que des jeunes musulmans de l'Université Concordia vont dans des camps et jouent au ping-pong, si le rapport ne mentionne personne d'autre, à l'exception des étudiants musulmans, c'est effrayant. Ces jeunes ressemblent à tous les autres jeunes et ils ont le droit d'avoir du plaisir et de jouer au ping-pong ou de faire toute autre activité.

Lorsqu'ils disent que certains imams sont extrémistes, je les mets au défi de nous dire de qui il s'agit, et s'ils le font, nous pouvons corriger la situation. Toutefois, ils ne nous diront rien de tel, parce que ce n'est pas le cas. C'est un jugement exprimé par quelqu'un qui ne comprend pas la religion. Prenez un chef du mouvement extrémiste ou terroriste sunnite sous enquête du SCRS; parlez-lui, et vous vous apercevrez qu'il ne sait pas si le mot vient ou non du Coran, ce que la fatwa signifie, par rapport à un jugement — et qui a témoigné en vertu des certificats de sécurité? C'est honteux d'apprendre qu'une personne qui occupe un poste si élevé dans cette institution est incapable de comprendre la fatwa d'Osama ben Laden et d'où elle provient. Il devrait lire les textes du saint Coran en vue de comprendre que les mots sont pris hors contexte, plutôt que de penser que les musulmans sont dangereux et que nous devrions les arrêter. C'est l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons actuellement, et c'est un grave problème.

L'autre partie du problème concerne l'interprétation de l'information. Vous devez comprendre la culture. Il est important d'offrir une formation axée sur la sensibilisation. Nous devons garantir que les musulmans travaillent dans tous les secteurs, qu'ils peuvent obtenir des postes en vue et que le premier ministre et d'autres représentants du gouvernement sont en mesure de visiter des mosquées de temps à autre pour montrer que le Canada est un pays inclusif et que l'islam est une religion importante qui est certainement acceptée. Comme on l'a vu, on a pris quelques bonnes mesures, notamment la convocation et certaines bénédictions données par des musulmans à Ottawa, qui comprenaient entre autres des prières. C'était très bien. Ce sont des exemples de mesures que l'on peut prendre pour faciliter les choses pour les membres de la collectivité et leur faire savoir que l'on tente de se rapprocher d'eux.

J'aimerais vous présenter un exemple historique pour vous donner une idée claire de ce dont je parle. Il y a environ 1 400 ans, au moment où les musulmans se rendaient en Égypte, l'armée était composée de quelque 4 000 personnes. Les musulmans croyaient que c'était trop peu, mais alors ils ont demandé à d'autres personnes de s'engager. Toutefois, ils ont reçu l'ordre d'entrer dans le pays, et c'est tout. Au cours de leur préparation, ils ont utilisé un objet appelé siwak. Il s'agit d'un morceau de branche provenant d'un arbre d'Arabie. Si vous mâchonnez l'extrémité de cette branche, celle-ci fait office de brosse à dents, et elle était utilisée comme telle. Elle fait partie de la tradition de l'Islam. Les gens l'utilisaient pour se nettoyer les dents. Les soldats se préparaient à envahir le pays, à lancer la guerre, alors ils ont apporté leur siwak et ont commencé à se brosser les dents. Les agents du renseignement les surveillaient. Ils les ont vus se brosser les dents à l'aide du siwak. C'était étrange. Personne n'utilisait encore de brosses à dents. C'était totalement nouveau. Ils ne connaissaient pas la culture. Ils pensaient que les soldats s'aiguisaient les dents en vue de manger les gens. Cette interprétation de la situation a fait en sorte que tout le monde fuyait l'armée.

Cela fait partie des craintes suscitées. Ça n'aide en rien. C'était en partie le but visé : utiliser cela contre eux. Nous devons arrêter cela. Ils doivent commencer à utiliser les définitions et les étiquettes adéquates et un enseignement approprié. Ils doivent avoir recours non pas aux personnes qui lancent des attaques virulentes contre les musulmans, mais aux penseurs compétents.

Nous devons faire appel aux médias et tenter de trouver les solutions qu'ils peuvent nous offrir. Je comprends que la liberté des médias est très importante, mais le droit des musulmans de réagir devrait être énoncé par exemple dans une loi, ou ils devraient recevoir du soutien financier, et les organismes devraient être habilités à réagir et être en mesure d'enseigner à la société en général et de l'éduquer. Nous devons examiner des questions importantes qui vont de pair avec la lutte contre le terrorisme.

M. Joseph : J'aimerais prendre 20 secondes pour répondre à cette question de façon particulière.

Je vous ai donné des exemples précis de la façon de stimuler la confiance et de ce qui peut être fait. Je ne veux pas vous inciter à sous-estimer l'avantage d'interdire le profilage racial. Je dis cela parce que la majeure partie du problème lié à la méfiance entre les services d'application de la loi et du renseignement, d'une part, et la collectivité musulmane, d'autre part, concerne non pas la loi comme telle, mais les communications. Utilisons la loi pour stimuler la confiance. Vous ne pouvez légiférer sur la moralité, mais vous pouvez sanctionner l'immoralité. Voici les trois exemples de questions que je vous ai données : êtes-vous religieux? Combien de fois priez-vous? Que pensez-vous des politiques de Georges Bush? Selon moi, si vous interdisez le profilage racial, on ne posera pas ces questions incendiaires, ridicules et stupides parce qu'on aura peur des répercussions. À l'heure actuelle, il n'y a aucune conséquence.

En tant que fonctionnaire judiciaire, je puis vous dire que, si mon frère et moi menons une discussion dans un bureau, que nous parlons de la situation en Cisjordanie ou en Tchétchénie ou dans diverses autres régions et que nous exprimons notre opinion sur les politiques de George Bush, quelqu'un pourrait entendre cette conversation. J'ai participé à des interrogatoires auxquels un client était soumis par les responsables de l'application de la loi; le client parlait de politique dans un bureau, conversation qu'une autre personne a entendue. Si ce client porte une barbe et une calotte, les conséquences sont bien plus graves que si c'est vous, sénateur, qui tenez cette conversation avec l'un de vos collègues. J'ai été témoin de cette situation et j'en ai entendu parler. Je vous le dis, aussi vrai que je participe à la présente réunion, que j'ai eu l'occasion d'entendre et de voir des choses que mon frère ne peut ni voir ni entendre, car il ne connaît pas mes antécédents.

L'interdiction du profilage racial aura pour effet non pas de mettre un terme à la collecte de renseignements de sécurité, mais de mener cette collecte de façon équitable. Si l'on doit prendre des mesures, on ne dit pas que vous ne pouvez pas poser de questions sur la religion, mais comment pouvez-vous faire correspondre la criminalité au fait de prier à la mosquée cinq fois au cours du mois saint du ramadan? C'est à cause de l'ignorance. Je ne veux pas dire qu'on le fait exprès. Les réponses à ces questions et leurs conséquences sont atroces.

Le sénateur Stratton : Je vous remercie, messieurs, d'avoir présenté ces exposés intéressants. J'apprécie le fait que vous veniez devant notre comité pour nous dire comment l'on vit dans votre collectivité. Il semble que vous voulez tous deux que l'on se débarrasse de ce projet de loi. J'aimerais entendre votre réponse à ce commentaire avant que les gens ne se jettent en bas des ponts. Tout d'abord, voulez-vous que l'on se débarrasse de ce projet de loi?

Ensuite, l'imam Elmenyawi a énoncé clairement que, si l'on ne se débarrasse pas de ce projet de loi, nous devrions insérer une disposition de temporarisation. Êtes-vous d'accord avec cela?

De plus, on a parlé de la possibilité de mettre sur pied un comité de surveillance, peut-être composé de parlementaires, mais pas nécessairement, pour examiner si le profilage racial constitue ou non un problème. J'ai beaucoup de difficultés à déterminer la façon dont nous pouvons aborder cette question en droit. D'après nos discussions avec des législateurs, nous savons qu'il est extrêmement difficile d'aborder cette question en droit tout en permettant aux services de police d'accomplir leur travail de façon adéquate. Cela devient la question que nous devons régler.

J'aimerais mettre l'accent sur la surveillance. Comme bon nombre d'entre nous, je crois que l'on devrait régler le problème du profilage racial au moyen de la formation. Peu importe la loi promulguée, si les responsables de l'application de la loi ne sont pas formés, cela n'a aucun sens. Je crois fermement qu'il s'agit de la première étape visant à éliminer le profilage racial. Si cela ne fonctionne pas, nous pourrions promulguer une loi. Je ne pense pas que l'on offre une formation appropriée dans ce domaine; du moins, on ne nous en a pas fait part.

Un comité de surveillance pourrait faciliter la formation partout au pays. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Un tel comité devrait-il être composé de parlementaires ou de représentants du secteur privé? Si un tel comité de surveillance fonctionne de façon continue, il pourrait immédiatement traiter des cas de profilage racial, ce qui, selon moi, est critique. Je suis en faveur de la création d'un comité de surveillance qui pourrait régler des problèmes de façon rapide et efficace.

J'aimerais que chacun de vous réponde à ces questions.

M. Joseph : Je ne veux pas que l'on se débarrasse du projet de loi, car il contient de bons éléments. J'appuie les sanctions plus sévères à l'égard du terrorisme. J'approuve les dispositions du Code criminel pour certains types de crimes. Ce sont de bons éléments.

Par contre, il y a des choses moins appropriées, comme tout ce qui va à l'encontre de l'application régulière de la loi, de la règle de droit et de tout principe connexe, par exemple le ouï-dire et les certificats de sécurité. Si ces derniers sont nécessaires, conservez-les, mais prévoyons une application régulière de la loi.

Ensuite, quel mal y a-t-il à prévoir une disposition de temporarisation? La loi, c'est la loi, et le moment venu, les membres du Sénat et de la Chambre des communes auront l'occasion d'en débattre. On ne vivra pas sans loi pendant l'examen puisqu'il est mené à l'avance. Il n'y a aucun risque ni inconvénient. Menons une discussion appropriée. Il y a peut-être des éléments que l'on doit améliorer. On pourrait aussi vous expliquer la façon dont nous donnons aux organismes de bienfaisance. Peut-être pourrait-on vous renseigner sur des choses que vous ne savez pas — voilà quelque chose qui devrait vous intéresser. Nous devrions discuter plutôt que de promulguer une loi en vitesse.

J'étais responsable d'apporter des modifications à l'époque où l'on n'était même pas tenu de posséder des connaissances afin de faciliter le terrorisme. Le terme « sciemment » n'était pas énoncé. C'était donc la loi.

En ce qui concerne la formation et la surveillance, vous avez raison; nous en avons besoin. Dans certaines parties des États-Unis, on promulgue des lois relatives au profilage racial à l'égard des Noirs. Je crois encore que nous avons besoin d'imposer des sanctions, car aucune loi n'aura les effets voulus si aucune conséquence n'en découle.

Je suis très honoré d'être ici. Lorsque j'ai comparu devant le comité d'examen de la Chambre des communes, deux autres éminents avocats de la collectivité musulmane faisaient partie du groupe d'experts. J'aimerais vous faire part de la façon dont on se sent lorsque l'on témoigne devant ce comité de la Chambre. Deux parlementaires lisaient la section des sports du National Post pendant que l'on témoignait. Je n'avais pas prévu dire cela, mais je le fais parce que cette façon d'agir n'inspire pas vraiment confiance et que j'ai dû quitter ma pratique où je gagne 400 $ l'heure pour venir témoigner. Lorsque j'ai qualifié votre comité de chambre de second examen objectif au début de mes observations, j'étais sincère. Vous êtes les gardiens et les protecteurs. Le simple fait qu'un projet de loi ait été adopté à la Chambre des communes ne signifie pas qu'il soit pertinent. Vous êtes les freins et le contrepoids de notre collectivité, et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.

L'imam Elmenyawi : Je suis entièrement d'accord avec la réponse de M. Joseph. Nous aussi aimerions conserver le projet de loi, même s'il y a beaucoup de corrections à apporter. En plus de ce qu'a mentionné M. Joseph, il y a la définition de « terrorisme ». Cette définition doit être conforme au droit international. Les personnes qui luttent pour leur liberté ne devraient pas être considérées comme des terroristes; on ne doit pas regrouper toutes les personnes et les traiter de la même façon.

On peut donner l'exemple des Kurdes. En Irak, ils avaient raison; en Turquie, ils avaient tort, même s'ils faisaient exactement la même chose pour la même cause. Ceux qui luttaient aux côtés des États-Unis avaient raison et ceux qui luttaient contre l'un des alliés des États-Unis, c'est-à-dire la Turquie, avaient tort.

En jouant sur la définition de cette façon, les gens qui ne sont pas des terroristes sont considérés comme tels par caprice. Nous devons examiner cette question.

En ce qui concerne la facilitation, il faut tenir compte de nombreuses facettes, en plus de la justice naturelle et de l'application régulière de la loi. L'une des parties du projet de loi qui soulèvent les préoccupations les plus importantes et qui causent le plus de dommages concerne les renseignements secrets et les renseignements fournis par l'étranger. Il faut examiner cette question de façon sérieuse.

Je crois que le profilage racial est un cadeau offert aux terroristes. Une fois qu'ils connaissent le profil que vous recherchez, ils envoient des gens dont vous n'établirez jamais le profil racial. Vous surveillerez toutes les personnes innocentes, et celle que vous voulez arrêter s'en tirera. Elle n'aura pas le visage arabe stéréotypé auquel vous vous attendez. Elle ne sera pas islamique. Elle n'aura pas deux ou trois billets aller-retour.

Au moyen du profilage racial, nous disons aux terroristes comment s'en sortir sans se faire prendre pour les crimes qu'ils ont commis, et je ne crois pas qu'il s'agisse d'une bonne façon d'appliquer la loi. On fait étalage de sa force, on terrifie les gens et on fait en sorte qu'ils se sentent comme des citoyens de deuxième classe, qui sont ciblés et qui n'ont pas l'impression d'être en sécurité. Cela dénote également votre propre insécurité. Nous devons être plus confiants que cela et formuler nos règles et lois de façon plus intelligente. Le profilage racial mène à une impasse; on s'en sert dans les bureaux pour identifier des criminels. Cela se fonde probablement sur le crime lui-même. Vous devez tenir compte de certaines choses afin qu'une personne s'aperçoive du crime commis.

Vous avez parlé d'un comité de surveillance. C'est une très bonne idée. Les organismes d'application de la loi doivent toujours rendre des comptes. Ces freins et contrepoids doivent être en place pour toutes les lois du système de justice pénale; ils ne doivent pas simplement être symboliques, c'est-à-dire que l'on ne fait rien en réalité.

L'année dernière, une douzaine de personnes se sont plaintes devant moi, et chacune d'entre elles m'a demandé de déposer une plainte auprès du CSARS. Elles ont peur. Elles ne veulent pas se présenter, car elles craignent que cela nuise à leur statut d'immigrant.

Il faudrait qu'un tel comité de surveillance soit formé d'un ensemble de parlementaires et de personnes qui ne sont pas membres du Parlement. Les parlementaires fourniront les sanctions, et les autres membres serviront de freins et de contrepoids. Un tel comité serait apprécié.

La discussion des membres de la table ronde concernant la sécurité représente un autre exemple de stratégie que nous n'avons pas bien réussie, même si nous l'avons annoncée. Voilà un exemple type qui montre que la représentation n'est pas adéquate. La table ronde n'a pas été conçue pour représenter différentes collectivités ethniques. Si c'est le cas, de quoi parlez-vous et qui sont les membres de la table ronde? Leur cote de sécurité est peut-être très élevée, mais ils ne sont pas en contact avec le peuple. Ils ne savent pas ce qui se produit. Je considère cela comme une farce.

Si nous souhaitons avoir une table ronde qui est juste envers mon pays et qui lui est profitable, qui nous donne des idées sur la façon de nous défendre, je crois que nous devrons nommer les bonnes personnes.

M. Joseph : La vice-première ministre nous a entendus le dire clairement, mais cela ne nous a pas aidés. Cela nous a même nui, et on ne nous a jamais consultés.

Le SCARS peut-il nous faire confiance, à mon frère et à moi, de même qu'aux membres de la collectivité musulmane? L'appareil judiciaire, les commissions et les tribunaux peuvent-ils nous faire confiance? Pourquoi n'en faisons-nous pas partie?

Vous avez pu constater ce que l'imam a mentionné, que la situation profitait aux membres d'Al-Qaïda; il suffit de penser à Richard Reid, l'homme qui avait caché une bombe dans son soulier. Il était né en Angleterre et n'était pas musulman. En Tchétchénie, il y a eu l'horrible incident où des enfants ont été tués dans une école; une femme était impliquée.

J'ai vu 7 000 lettres écrites par des agents du FBI et envoyées aux collectivités musulmanes et libanaises de Dearborn, au Michigan; le message était le suivant : « Venez nous parler ou nous irons vous voir. » Les agents avaient établi un profil : il s'agissait de personnes âgées de 18 à 35 ans et provenant de cinq pays différents. C'est incroyable de constater que les chefs de police de la région n'en ont pas tenu compte. Ils connaissent ces personnes, et elles sont ici depuis 100 ans, mais personne ne veut participer.

M. Elmenyawi a raison : les membres d'Al-Qaïda savent que vous recherchez de telles personnes, alors ils changeront le profil.

L'imam Elmenyawi : Voici, par exemple, une situation type : un agent de la GRC se rend dans une demeure et trouvent les noms de Dieu, c'est-à-dire que les 99 attributs de Dieu sont encadrés sur le mur.

La question était donc la suivante : qu'est-ce que c'est? Le message est écrit en arabe, et l'agent avait de la difficulté à le lire. Il était pakistanais, alors il pouvait lire les lettres. Il a dit : ce sont les noms de Dieu. La question suivante était celle-ci : Osama ben Laden croit-il au même Dieu? Bien sûr qu'Osama ben Laden croit au même Dieu.

Il ne s'agit pas d'un profilage racial. On abuse des règles, on fait des commentaires et on se défoule. C'est contre- productif. Au bout du compte, nous avons reçu une plainte. C'est une situation type.

Je ne crois pas que l'agent ait ainsi fait face à la situation intentionnellement. Il ne tentait pas de recueillir des renseignements, et je ne crois pas qu'il voulait insulter qui que ce soit. Toutefois, il a bel et bien formulé des commentaires, qui n'aident en rien.

Le sénateur Joyal : Je vous ai écoutés attentivement parler des modifications éventuelles du projet de loi que vous proposez et des domaines dont on devrait tenir compte. Au cours des derniers mois, nous avons entendu un certain nombre de témoignages, comme madame la présidente l'a mentionné. Ce serait très négligent de ma part de ne pas vous poser mes questions concernant la table ronde.

J'ai critiqué l'initiative de la table ronde, car je crois qu'elle est mal conçue. Même si mon collègue, le sénateur Stratton, a raison de soulever la question du comité de surveillance parlementaire qui établit un lien entre les Canadiens et les parlementaires de façon régulière, M. Judd a probablement fourni ce matin l'une des meilleures descriptions des conditions dans lesquelles le comité pourrait être efficient. Je dis cela avec tout le respect que je dois aux membres actuels de la table ronde.

La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage du président du comité. Je crois qu'il est important de mettre en place une tribune pour établir un lien entre les objectifs en matière de sécurité et la collectivité la plus « ciblée ». Nous avons pu le constater au cours des trois dernières années, et vous l'avez décrit de façon éloquente. Il s'agit généralement des collectivités musulmanes et arabes.

Je ne suis pas convaincu que la table ronde a été conçue de façon adéquate pour établir des liens avec votre collectivité. J'ai envie d'utiliser le terme « faussée » pour décrire la composition initiale du comité. Je suis très préoccupé par le respect que nous devons témoigner aux bénévoles qui siègent au comité. Je sais que c'est extrêmement difficile. Ils n'ont aucune responsabilité à cet égard.

Je ne savais pas si la table ronde représentait en fait un groupe de discussion, un groupe de relations publiques ou un véritable groupe qui était responsable devant le ministère. Si la table ronde veut être crédible aux yeux des membres de la collectivité, elle doit comprendre un nombre assez important de chefs communautaires afin qu'on les considère comme des « porte-parole » de la collectivité lorsqu'ils prennent la parole et donnent leurs opinions sur des enjeux.

Les membres de leur propre collectivité se sentiraient à l'aise de faire état de cas comme ceux que M. Joseph et vous avez mentionnés. Je suis certain que ces situations se produisent. Si je détenais un passeport portant la mention « Né au Caire », je serais probablement soumis à un interrogatoire différent, surtout si j'entre chez nos voisins du Sud. Avez- vous réfléchi à cette question?

Dans vos recommandations, imam Elmenyawi, je n'ai rien entendu qui portait particulièrement sur cette question. Vous en avez parlé indirectement en répondant aux questions de mon collègue, le sénateur Stratton. Monsieur Joseph, vous n'en avez pas non plus fait mention dans votre proposition.

Je crois qu'il est important d'apporter un changement institutionnel. Je crois que les membres de la table ronde ont été placés dans une position impossible puisque l'on s'attendait à ce qu'ils prennent des mesures même s'ils ne disposaient pas des outils nécessaires pour le faire. Selon moi, la composition est un élément extrêmement important, tout comme son mandat et sa capacité.

D'après ce que j'ai lu dans les biographies, les bénévoles possèdent des antécédents professionnels imposants. Il ne leur reste que quelques heures de libres après avoir terminé leur travail professionnel. Ils semblent également recevoir peu de soutien et de services administratifs pour se rendre régulièrement dans diverses collectivités en vue d'atteindre le résultat escompté. Que pouvez-vous nous recommander aujourd'hui à l'égard de cette préoccupation?

M. Joseph : Ce point est encore plus critique à l'heure actuelle, car on fera face à des enjeux que devra aborder ce genre d'organe.

À Londres, on a affaire à des listes de personnes interdites de vol. Au Canada, on dit que de telles listes n'existent pas. On les applique tout de même au Canada dans les aéroports par l'entremise d'American Airlines et de divers autres transporteurs aériens. Il y a des bébés de quatre mois qui ne peuvent monter dans un avion. On ne sait pas pourquoi. Les personnes inscrites sur ces listes ne savent pas pourquoi leur nom y figure, ni comment faire pour qu'il disparaisse de ces listes.

Il sera important de se pencher sur cette question. J'aimerais dire, aux fins du compte rendu, que j'ai le plus grand respect pour les membres de cette table ronde. Le problème, c'est qu'on ne les respecte pas. On n'a tenu aucune consultation.

Il existe des motivations politiques au sein de la collectivité musulmane. On qualifie les gens de « modérés ». Je l'ai mentionné à la vice-première ministre lorsqu'elle a déclaré qu'il y avait un problème à cet égard. Le problème est plus grave qu'on ne le croit, et on n'a établi aucun lien.

Pourtant, il faut établir des liens entre les profanes et les parlementaires. Le problème avec le comité, c'est que tous les membres sont des professionnels. Je crois que le comité devrait être représentatif. Par exemple, à Truro, en Nouvelle-Écosse, il y avait six familles. Ce n'était pas un problème. Quand j'étais jeune, et même quand mon père était jeune, on n'avait pas de problème avec le fait d'être musulman ou arabe; on nous considérait comme des juifs. Les gens étaient anti-sémites.

Nous provenons tous de la même région du monde, alors nos amis proches auraient très bien pu être juifs. Aujourd'hui, la situation est différente. À London, en Ontario, on devrait pouvoir se faire entendre. Douze pour cent de la population de la ville de London est au courant. Il y a eu Shirley Heafey, puis, la SESN, le SCRS et la GRC.

Je crois que la table ronde doit être représentative et que la décision doit être prise par les dirigeants. Les membres ne peuvent pas être considérés comme des serviteurs politiques ou le fruit de nominations partisanes. Ce doit être des personnes respectées qui se rendent sur le terrain pour régler les problèmes. Ce n'est pas le cas actuellement. Cela doit être fait. Ce sera encore plus important en raison des enjeux auxquels on devra bientôt faire face — listes de personnes interdites de vol, modifications.

On parle dans le vide. Si une attaque terroriste survient au Canada, et souhaitons que ça ne soit pas le cas, oubliez tout ce dont on a parlé. Tout ce que l'on a dit et toutes les belles paroles concernant les libertés civiles s'envoleront. On sait ce qui se produira. Laissez-nous faire notre travail pour veiller à ce qu'une telle situation ne survienne pas. S'il y a une attaque, ce que l'un ou l'autre des membres de la table a dit n'aura plus d'importance.

L'imam Elmenyawi : Je l'ai déjà dit. La seule façon dont je peux expliquer cela consiste à faire appel à ce drôle de personnage que nous avons dans notre culture arabe. À un certain moment, il assistait à un enterrement. On savait qu'il était drôle. La personne qui était supposée être décédée s'est levée. Elle a regardé l'homme drôle et l'a reconnu. Elle lui a demandé de l'aider. L'homme drôle s'est tourné vers elle et lui a dit : « Vous voulez que je ne croie pas tous ces gens? » Pour nous, ça rassemble à cette histoire. Tout ce que vous dites n'a pas d'importance, personne ne vous croira ou ne vous suivra.

Nous avons tellement soulevé ces préoccupations, je dois l'avouer. Comme Faisal Joseph le mentionnait à l'instant, nous espérons, Dieu nous protège, que cela ne se produise jamais. Si une attaque survient, tout ce travail et toutes ces discussions seront mis de côté. Encore une fois, on soulèverait ces questions.

Elles ne sont pas utiles. Elles sont en fait contre-productives. Elles ne renforceront pas notre sécurité. La seule façon d'y arriver consiste à communiquer directement avec les représentants de la collectivité musulmane et d'autres collectivités ethniques qui éprouvent des problèmes semblables et qui souhaitent être entendues.

Dans mes recommandations, j'ai mentionné que l'on devrait prendre des dispositions pour tenir des consultations adéquates et sérieuses avec la collectivité musulmane. C'était le cinquième point de mes recommandations. On doit lui accorder du temps. On doit également s'assurer qu'elle dispose des ressources nécessaires pour suivre.

J'ai fait part d'un bon nombre de ces plaintes au cours d'une rencontre avec M. Judd, qui a eu lieu à Montréal. J'en ai parlé avec lui pour savoir comment on pourrait les régler. J'ai eu l'impression qu'il était très réceptif. L'un des problèmes dont je lui ai fait part concernait le fait que l'on devait s'assurer que l'on embauchait des membres de la collectivité musulmane — de façon transparente — et que l'on ne refusait pas d'embaucher des musulmans au sein du SCRS ou qu'on les juge dignes de confiance.

Nous devons collaborer pour trouver des solutions à ces problèmes. L'un des points que je lui ai mentionnés concernait le fait que, même si nous déposons beaucoup trop de plaintes, la plupart des personnes ne veulent pas que l'agent du SCRS soit puni pour les erreurs qu'il a commises. Elles veulent qu'on apporte des corrections. Pour qu'une personne soit punie, vous devez mettre en place une application régulière de la loi.

Dans une situation où c'est ma parole contre la vôtre, vous ne pouvez prouver, la plupart du temps, l'une ou l'autre de ces plaintes. Toutefois, vous pouvez dire : « Je ne veux pas que vous le punissiez. Écoutez-moi simplement. C'est ce qui est arrivé. Pouvez-vous vous en occuper et veiller à ce que cela ne se reproduise plus? Si vous croyez que la situation est grave, que ferez-vous pour garantir que cela ne se reproduise plus à l'avenir? »

C'est le genre de travail que l'on peut accomplir dans le cadre d'une discussion transparente entre les membres de la table ronde, dans les cas où ils sont prêts à soulever des problèmes sans mentionner de noms et à dire : « Nous avons reçu ces plaintes. Que pouvez-vous faire à ce sujet? Pouvons-nous régler ces problèmes d'une façon ou d'une autre? » Je crois que c'est ce que nous pouvons accomplir ensemble pour régler certains de ces problèmes.

Le sénateur Joyal : Croyez-vous que l'on devrait aller plus loin que la table ronde, de la façon dont elle est composée à l'heure actuelle, et tenir ce que j'appelle des tables rondes sous-régionales?

M. Elmenyawi : C'est une possibilité.

Le sénateur Joyal : Vous êtes montréalais. Je suis montréalais, tout comme le sénateur Fraser. Comme vous le savez, la collectivité arabe de Montréal diffère de celle de Londres, sauf votre respect, monsieur, puisque bon nombre des membres de cette collectivité viennent des pays d'Afrique du Nord et parlent français.

Comme vous le dites, pour être en mesure d'établir un lien avec les dirigeants, nous devons tout d'abord aborder de façon adéquate la composition de la collectivité. Il est tout aussi important que vous n'utilisiez pas le nom de Dieu pour dire : « Est-ce le même Dieu que celui auquel je crois ou est-ce un autre Dieu? » En utilisant le mot « Dieu », vous pouvez englober de nombreuses entités.

La collectivité arabe et musulmane comprend des groupes différents. La collectivité a choisi d'évoluer en tenant compte de son histoire. Nous respectons tous cette décision. Comme vous l'avez dit, monsieur Joseph, il y a des régions au Canada où un nombre très limité de Canadiens appartiennent à cette collectivité. Ne devrions-nous pas établir des groupes sous-régionaux, avec des dirigeants compétents, c'est-à-dire les personnes de ces régions perçues comme étant les dirigeants, afin que l'on soit en mesure d'établir une véritable communication?

Si vous souhaitez simplement mettre en place un groupe de discussion plutôt que d'établir une relation de travail, la composition différera. Comme je le dis, on doit dépasser l'objectif qui consiste à obtenir une opinion. On doit collaborer.

M. Joseph : Sénateur, vous vous attirerez des problèmes en disant des choses comme celles-là. Vous parlez de stratégie nationale. Je crois qu'il est important qu'il n'y ait pas qu'une seule personne sur 750 000 qui siège au comité. Bon nombre de personnes pensent que la majorité des musulmans sont arabes. Rien n'est plus loin de la vérité.

Parmi les 1,4 milliard de musulmans, peut-être que 12 ou 14 p. 100 sont arabes. À Londres, il y a une grande collectivité libano-musulmane. Elle éprouve des problèmes différents. Cela correspond exactement à ce dont vous parliez, c'est-à-dire un dialogue constructif. On peut trouver les mêmes problèmes à Montréal. On peut rencontrer des problèmes très différents en ce qui concerne d'autres types de profilage racial relatif au fait d'être non pas musulman, mais peut-être noir et musulman.

La question que vous avez abordée est importante. C'est une stratégie nationale que l'on devrait suivre.

L'imam Elmenyawi : Je suis d'accord avec vous, sénateur. Il est important que des groupes locaux examinent des enjeux propres à leur localité. De nos jours, le Canada accueille différentes personnes provenant de différents milieux. Par exemple, au Québec, on trouve principalement des gens venant de l'Afrique du Nord. Actuellement, les chiffres augmentent assez rapidement.

Toutefois, en Ontario, vous trouverez principalement des Pakistanais dans la collectivité musulmane. C'est pourquoi vous devez discuter d'enjeux différents au Québec. Je vais réunir les deux idées : tous les comités régionaux devraient se réunir une ou deux fois par année pour se tenir au courant, discuter des problèmes importants et connaître les faits nouveaux.

Les problèmes régionaux sont certainement importants. On doit couvrir toutes les régions. Par exemple, s'il n'y a personne de Montréal et que la plupart des membres viennent de l'Ontario ou de Vancouver, ils ne connaîtront pas les problèmes vécus à Montréal. Récemment, on a fait face à plusieurs problèmes au Québec.

Le sénateur Joyal : Je tente de trouver une façon d'institutionnaliser cela. L'une de mes préoccupations, qui découle des témoignages entendus la semaine dernière, concernait le fait que les membres sont nommés pour une courte période. En d'autres mots, c'est comme un tourniquet. Vous êtes là. Vous prenez six ou huit mois pour connaître les ramifications du système, qui est complexe, comme vous l'avez décrit vous-même, simplement pour comprendre la loi antiterroriste.

Une fois que vous êtes plus ou moins en mesure de comprendre les divers concepts, vous devrez partir, moins de huit mois après avoir été nommé. Cela doit être fait, je ne dirais pas de façon plus sérieuse, parce que je respecte beaucoup les membres qui siègent au comité. Ce doit être fait différemment si nous souhaitons atteindre certains résultats.

Nous devons repenser à la façon dont nous avons défini l'institution. Comme vous l'avez dit, si vous voulez atteindre certains résultats, et nous prenons des mesures préventives jusqu'à un certain point — j'insiste sur le terme « préventives » — si des terroristes attaquent un jour le Canada, notre institution doit être assez forte pour relever les défis.

M. Joseph : Je crois que vous tombez juste. Il s'agit non pas des personnes qui seront nommés, mais de membres qui représentent des institutions. Il y a quelque temps, j'ai dit au premier ministre d'arrêter de parler avec des gens comme moi. On m'a élu; je suis un chef politique de la collectivité. Je dirige le conseil de la mosquée, mais je ne suis pas un imam. Parlez aux imams, qui représentent une institution — le conseil des imams.

Personne ne s'adresse à eux. Ils tiennent des consultations. Ils viennent pendant une heure; nous parlons de l'islam et de la signification du Jihad, mais il n'y a aucune consultation — et voyez ce qui s'est produit. À ma grande surprise, le premier ministre l'a fait. Il a obtenu une déclaration de 120 imams qui disaient être contre le terrorisme; ils sont unis dans cette lutte. Le premier ministre les a rencontrés à l'aéroport de Toronto et a mené un dialogue constructif. Maintenant, les imans font partie non pas du problème, mais de la solution.

Tout ce dont on a entendu parler vendredi dernier, c'est des imans qui lancent de folles fatwas. Si c'est le cas, et nous savons très bien au sein de nos institutions que cela n'est pas vrai, réunissons nos imams. Ce serait merveilleux qu'une organisation siégeant à la table ronde représente tous les imams du Canada ou de l'Ontario. Si l'on en fait une institution, ça n'a plus d'importance que tel ou tel frère en fasse partie, car l'institution, le conseil des imams, est présent; et l'institution, le congrès, est là — tout comme la Fédération canado-arabe et les autres institutions majeures. Le roulement n'a plus d'importance, puisque les institutions, à titre d'intervenants, représentent l'ensemble de la collectivité.

Le sénateur Joyal : Madame la présidente, je sais que nous aurons bientôt fini d'entendre nos témoins, surtout aujourd'hui, mais je crois que cela représente un élément important de ce que l'on devrait considérer comme des recommandations à ce sujet. C'est l'élément principal qui permettra d'améliorer la façon dont le système a fonctionné jusqu'à maintenant. Si nous voulons accomplir ce pourquoi nous luttons tous en tant que Canadiens, je crois qu'il est important que nous connaissions le défi actuel que doit relever le Canada.

Le défi actuel concerne la diversification de cette démographie culturelle, qui est plus importante qu'elle l'a jamais été. La façon dont nous intégrerons cette diversité à l'objectif de la politique que nous tentons actuellement de mettre en œuvre représente probablement l'un des éléments les plus difficiles — pas difficiles, parce que c'est impossible, mais l'un des éléments auxquels nous devrons réfléchir — avant de prendre une décision. C'est une question beaucoup trop importante pour l'avenir du pays.

[Français]

Le sénateur Chaput : Au début de votre présentation, monsieur Joseph, je crois que vous avez posé la question à savoir où en était la relation de confiance qui existait entre les Canadiens. En vous écoutant, je réalise qu'elle est disparue et qu'il sera impossible qu'elle revienne, car nous sommes tous menacés, nous nous sentons tous menacés. Il y a un réseau de terroriste quelque part dans le monde qui est organisé, qui orchestre des attentats et qui ne met personne à l'abri.

Aujourd'hui, nous discutons de la Loi antiterroriste. Vous nous donnez vos recommandations. Vous parlez de criminaliser certains actes. À titre d'exemple, l'activité terroriste est un crime et le profilage racial devrait être criminalisé. Pour ce faire, il faut le définir et s'entendre sur une définition. Sur ce point, je suis d'accord avec vous. Pour s'entendre sur une définition, il faut également établir des critères, et vous nous mentionnez qu'il faudrait être plus intelligent dans cette approche.

Vous avez dit ce qui suit en anglais.

[Traduction]

Vous devez chercher certaines choses.

[Français]

Il faut chercher les bonnes choses et les bons points pour développer les bons critères.

Maintenant, de la grande discussion philosophique que nous venons d'avoir, il faut passer à la réalité concrète d'aujourd'hui. Si vous aviez à prendre une décision, aujourd'hui, quelle serait-elle en termes de priorité? Qu'est-ce que vous recommanderiez comme première et deuxième actions à entreprendre immédiatement qui, d'après vous, seraient logiques et pourraient commencer à régler ces difficultés que vous vivez?

[Traduction]

M. Joseph : D'abord et avant tout, je crois que la collectivité musulmane doit avoir des procédures en place concernant les diverses mesures législatives, l'application régulière de la loi à l'égard du certificat. Vous devez mettre en place un processus véritable, un processus transparent, pour remanier la loi afin de ne pas accepter de preuves par ouï- dire dans le cadre de procès, dans les tribunaux ou en ce qui concerne les certificats de sécurité. Vous devez changer cela.

On doit le faire immédiatement. Vous ne pouvez pas emprisonner des gens pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq ans au Canada sans même connaître le fondement des allégations; cela ne se fait tout simplement pas. Vous devez ramener les éléments que l'on a retirés. Dans les tribunaux, on accepte maintenant des preuves par ouï-dire, alors qu'elles étaient auparavant rejetées, en raison de ces règles spéciales que l'on a modifiées dans le cadre de la Loi sur la preuve au Canada. C'est extrêmement important pour l'application régulière de la loi.

Ensuite, pour toutes les raisons que nous avons énumérées, si les membres des organismes d'application de la loi et des services de renseignements et ceux de notre collectivité musulmane ne se font pas mutuellement confiance, nous vivons un grave problème. L'une des façons dont vous pouvez stimuler la confiance consiste à s'attaquer au profilage racial — et si nous pouvons élaborer une définition du terrorisme et des définitions de toutes les autres choses que nous avons créées dans le monde, nous pouvons sûrement élaborer une définition du profilage racial. Certains États l'ont fait. On doit faire la même chose afin que les protecteurs du public aient la confiance de tous. On fera ainsi savoir aux membres de la collectivité musulmane qu'on ne soutient pas simplement du bout des lèvres que le profilage racial n'a pas sa place, mais que, si vous le faites, vous serez tenu responsable — que ce soit sur le plan criminel ou civil, vous serez tenu responsable. Cela doit être dit, et il n'y a aucune raison de ne pas le faire, parce que tout le monde dit que cela n'a pas sa place. Pourquoi n'en tiendriez-vous pas compte? La seule raison, c'est que certaines personnes craignent peut-être le profilage racial actuel ou futur, et elles ne veulent pas être tenues responsables. Cela fait partie de la transparence.

Il y a aussi la disposition de temporarisation. Pour certaines dispositions, vous pouvez la conserver. Pour d'autres, lorsque vous parlez d'arrestation préventive, la loi énonçait que, au Canada, vous devez avoir des motifs raisonnables et probables de croire que Faisal Joseph a commis un acte criminel. Maintenant, vous n'avez besoin que d'un doute raisonnable. À l'heure actuelle, quelqu'un peut entendre une conversation et dire : « On croit que M. Joseph prévoit faire quelque chose de terrible. » C'est pris hors contexte. On me demande de me présenter devant un juge de paix — oui, je devrais comparaître devant le juge de paix dans moins de deux jours. Si je ne signe pas un engagement selon lequel je ne peux aller à la mosquée ou parler à certaines personnes — je ne peux avoir de contacts avec certaines personnes, même s'il n'y a aucun élément de preuve — on pourra m'incarcérer pendant une période maximale de un an en vertu de cet engagement. Ce n'est pas bien. Bon nombre de dispositions devraient également faire l'objet d'une disposition de temporarisation. Voilà la façon dont je vois ces questions particulières.

L'imam Elmenyawi : La question était-elle liée à la Loi antiterroriste?

Le sénateur Chaput : Cela se pourrait.

M. Elmenyawi : Parlez-vous de façon générale? Je crois que la question est plus complexe que cela. Comme je l'ai déjà dit un peu plus tôt, on doit tenir davantage de consultations auprès de la collectivité musulmane pour passer en revue un certain nombre de questions que l'on doit aborder, notamment l'éducation et le fait de trouver d'autres moyens et mécanismes grâce auxquels on pourrait se diriger dans la bonne direction et séparer le bien du mal. Nous tentons actuellement de mettre l'accent sur ce que vous avez dit, c'est-à-dire que vous étiez soupçonneux — ou qu'il y a des soupçons.

Le sénateur Chaput : Il y en a, oui.

M. Elmenyawi : Vous avez dit que ce sera très difficile — en fait, je crois que vous avez dit impossible, mais je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit d'impossible si nous mettons l'accent sur l'éducation et la compréhension. Il est plutôt étrange de constater — Dieu merci, et nous espérons que cela va continuer — qu'aucun Canadien n'est décédé au Canada en raison d'une activité terroriste menée par un musulman. Ce n'est pas une telle situation qui a entraîné ce manque de confiance. Je ne comprends pas pourquoi il existe une si grande différence entre les musulmans et les autres personnes, si c'est là la question.

Je ne crois pas qu'il s'agisse de la réalité. Si c'est le cas, 63 p. 100 des Canadiens n'auraient pas déclaré qu'ils sont grandement préoccupés par le fait que la lutte contre le terrorisme violera les droits des musulmans au Canada.

Je vais m'attacher à des signes de confiance. Cette confiance sera chèrement gagnée, car nous sommes tous dans le même bateau. Nous, les musulmans, sommes souvent victimisés lorsqu'un événement survient. Nous faisons partie du public canadien qui mourra, mais nous serons également victimes des contrecoups. Nous sommes davantage préoccupés par le fait d'éliminer le terrorisme. Nous aimerions particulièrement qu'il soit éliminé au Canada, mais également partout dans le monde. Nous savons que cela sera difficile à réaliser.

Les personnes qui décèdent en raison du terrorisme sont des victimes. N'est-il pas aussi mal de victimiser une personne innocente lorsqu'un acte terroriste se produit? Ne disons-nous pas également que les terroristes veulent nous enlever notre liberté? La leur offrons-nous par la suite sur un plateau en éliminant les systèmes de freins et contrepoids, les processus démocratiques, toutes les lignes directrices et mesures de protection que nous avons en vertu de la loi, simplement parce que nous avons peur d'eux? Je crois que nous devrons avoir une vision adéquate des choses et équilibrer ces dernières de façon à élaborer des règles inclusives. Tout le monde collaborera pour tenir les terroristes responsables : les terroristes, pas les personnes innocentes. C'est tout ce que nous demandons. Nous ne demandons pas de permettre aux terroristes de s'en sortir.

Pendant ce temps, nous devons nous assurer que les gens connaissent mieux l'islam en raison de tous les stéréotypes véhiculés dans les médias. Selon moi, nous sommes non pas une démocratie, mais bien une « médiacratie ». Les médias nous entraînent avec eux. Bon nombre d'articles négatifs paraissent dans les médias et causent ce manque de confiance. Cette question est aussi importante que les renseignements secrets, qui éliminent le système de freins et contrepoids, tout comme les procès « ex parte », les renseignements fournis par l'étranger, le droit au silence, la présomption d'innocence. Ce sont toutes des questions importantes que nous devons rétablir. Elles n'étaient pas en place parce que nous voulions que les criminels s'en sortent. Elles n'étaient pas en place pour défendre les criminels. Elles étaient là pour défendre les personnes innocentes, pour garantir qu'aucun innocent ne serait reconnu coupable d'un crime qu'il n'a pas commis.

La présidente : Il nous reste quelques minutes. Le sénateur Andreychuk aimerait avoir le mot de la fin.

Le sénateur Andreychuk : Je ne suis pas certaine qu'il s'agisse du mot de la fin. Je crois que ces tables rondes nous ont fait dévier de notre voie. Il serait intéressant de savoir comment ces tables rondes ont été créées, surtout au moment où les sénateurs promulguaient la Loi sur la sécurité publique, où certains d'entre nous s'opposaient en fait, et s'opposent encore aujourd'hui, à cette loi. Je laisse ça de côté.

Il me semble que, s'il existe des chefs dans la collectivité musulmane et arabe, ils devraient avoir accès aux représentants du gouvernement et aux décideurs. Ils ne devraient pas être obligés de tenir des tables rondes et de représenter un deuxième système de gouvernance. Ils devraient avoir un accès direct à notre système.

À la suite de la réaction du gouvernement britannique aux attentats à la bombe dans le métro, le ministre de la Justice a mentionné qu'il examinerait d'autres lois pour le Canada. L'un des ministres ou l'un des représentants du gouvernement a-t-il discuté avec vous pour savoir s'il existe un mouvement qui incitait les gens à commettre des actes terroristes au Canada, comme c'est le cas au R.-U.? En d'autres mots, avez-vous pris des mesures permettant de savoir si le gouvernement canadien poursuivra dans la même voie?

L'imam Elmenyawi : Je n'ai eu qu'une seule discussion avec le premier ministre; c'était dans le cadre de la réunion avec les imams, où j'ai en fait recommandé ce que vous avez énoncé — ne pas examiner la table ronde, mais la mettre de côté pour trouver une solution afin que notre opinion soit entendue; nous y arriverons. J'ai recommandé au premier ministre de rendre trois ou quatre députés qui travaillent avec lui ou dans son cabinet facilement accessibles aux chefs de la collectivité musulmane, aux imams ou à d'autres personnes pour garantir un échange d'idées et pour discuter de certains de ces problèmes.

Il l'a fait à cette époque; il y avait trois députés, deux députés musulmans et un autre député. Nous avons passé rapidement sur le but de la rencontre. Nous avons laissé de côté l'essentiel. J'espérais obtenir quelque chose d'officiel. Il n'est pas nécessaire que cela soit un député musulman. Nous avons besoin d'un parlementaire qui serait en mesure de présenter notre opinion, d'écouter certains des besoins et de les transmettre afin que nous puissions établir ce lien.

En ce qui concerne la surveillance, nous avons tenu des conférences, surtout auprès des jeunes, pour leur parler, les éduquer, garantir qu'ils ne sont pas laissés de côté ou obligés de recueillir des renseignements sur Internet au sujet d'une zone grise. Nous ne savions pas que cela existait au Canada, mais plutôt que de dire : « Oh, nous ne le savions pas », nous avons pensé en parler en tenant des conférences publiques et en parlant avec des étudiants dans les universités afin qu'ils discutent de certains de ces enjeux.

Avec les lois incitatives, nous risquons d'avoir des règles mal définies qui peuvent pratiquement s'appliquer à tout le monde, selon ce que l'on en fait. Dans un tel cas, nous aimerions certainement en discuter.

M. Joseph : C'est une question importante. Je vais y répondre directement. Vous avez parlé de l'incitation à la haine. Nous avons eu des Ernst Zundel au Canada. Nos lois contre la propagande haineuse ont permis de s'occuper d'eux. Selon moi, ces lois permettront de s'occuper de toute autre personne. Il ne faut pas retourner très loin en arrière pour se rappeler Franklin Graham, Pat Robertson et divers autres ministres du culte évangélique qui ont proféré des paroles terribles incitant à la haine à l'encontre des musulmans, de notre prophète et de notre religion. J'ai invité ces Américains à venir au Canada et à formuler les mêmes commentaires, car nos lois sur la propagation haineuse sont plus sévères que les leurs. J'ai demandé à ces merveilleuses personnes de venir au Canada et de dire les mêmes choses, mais pas au cours de l'émission 60 Minutes ou de leurs bulletins de nouvelles. Je crois que nous sommes à l'aise avec nos lois contre la propagande haineuse. Nous voulons qu'elles soient appliquées.

La seule mise en garde concerne le fait que j'ai entendu des rumeurs concernant, par exemple, l'expulsion d'imams qui adoptent des opinions politiques arrêtées. Nous devrons faire très attention, car si un imam de ma mosquée dit des choses inappropriées sur les juifs ou des choses de cette nature, notre conseil s'en occupera rapidement. Il ne reviendra pas. Il ne sera pas invité. Il ne fera pas partie de notre structure canadienne. Nous nous occuperons de cette question.

Toutefois, si nous avons une opinion politique, par exemple, sur la situation en Cisjordanie et le conflit israélo- palestinien et les enjeux qu'abordent les imams et que vous voulez mobiliser 750 000 personnes qui ont l'impression d'avoir été ciblées et ainsi engendrer davantage de méfiance, alors prenez quelques imams et expulsez-les.

Je vais vous raconter une histoire. À Windsor, un imam ne pouvait pas entrer au pays pour assister à un mariage. Il y avait environ 1 000 personnes qui ne pouvaient pas assister à la cérémonie. Cet imam est très respecté et il est plus modéré que — je déteste étiqueter les gens — un bon nombre de non-musulmans que je connais. Ce genre de situation n'a pas de bon sens. Des milliers de musulmans avaient eu connaissance de la situation et protégeaient leur imam.

Un autre imam s'est rendu aux États-Unis. Cet homme s'était élevé contre le terrorisme avant le 11 septembre. C'est un activiste humanitaire incroyable. Il s'est rendu aux États-Unis, a été arrêté et incarcéré pendant 17 heures, d'après ce que l'on m'a dit. « Vous pouvez rester dans une cellule ici pendant trois mois ou retourner au Canada. » Nous n'avons rien fait.

Nous devons protéger nos citoyens canadiens. La citoyenneté et le passeport signifient-ils quelque chose? Si je me rends en Syrie le mois prochain, ce que je suis censé faire, pour participer à une conférence internationale, y a-t-il un risque pour ma sécurité? On échange ces renseignements avec le gouvernement américain sans avoir mis de protocole en place. Si quelqu'un commet une erreur, cette erreur me coûtera-t-elle neuf mois dans une prison syrienne? Nous nous attendons à ce que le Canada et le gouvernement canadien protègent tant les musulmans que les non-musulmans.

Nous devons en avoir la preuve. Nous ne l'avons pas encore eue.

L'imam Elmenyawi : Je n'ai pas bien compris; faites-vous allusion au programme mis en place à Londres après le 7 juillet dans le cadre duquel on protégeait la collectivité musulmane de la propagation haineuse à son égard? Est-ce bien cela?

Le sénateur Andreychuk : Non, le gouvernement du Royaume-Uni a proposé une nouvelle loi. On s'y est opposé. Je crois comprendre que, avant que nous nous y rendions, le gouvernement l'a peut-être passée en revue ou modifiée. Je me demande si vous avez mené des discussions sur des modifications semblables. Je crois que M. Joseph a répondu à une telle question.

L'imam Elmenyawi : La seule autre chose que nous voulions, c'était que l'on établisse des mesures de protection contre la diffamation de la religion en général et de l'islam en particulier. C'est ce que l'on a fait en Angleterre, qui protège l'islam et d'autres religions contre la diffamation commise par des personnes qui font de la propagande haineuse contre les musulmans ou des personnes d'autres confessions. À l'époque, il y a eu une vague de haine dirigée contre l'islam. Nous avons présenté une demande afin que les musulmans ordinaires qui ne veulent pas voir leur religion ou eux-mêmes faire l'objet de diffamation reçoivent un certain type de protection.

La présidente : C'est terminé. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus témoigner aujourd'hui. C'était une discussion animée qui nous a certainement permis de soulever des questions qui n'avaient jamais été soulevées. Nous apprécions le temps et les efforts que vous avez fournis et l'énergie avec laquelle vous soutenez et défendez les personnes que vous représentez.

Sur ce, chers collègues, je déclare la séance officiellement terminée.

La séance est levée.


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