Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Témoignages du 24 novembre 2004
OTTAWA, le mercredi 24 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je souhaite la bienvenue aux téléspectateurs de partout au pays. La séance d'aujourd'hui est retransmise en direct. C'est un grand plaisir pour le Comité sénatorial des banques et du commerce et au nom de notre distingué vice-président, le sénateur Angus du Québec, de souhaiter la bienvenue à M. David Dodge, gouverneur de la Banque du Canada, et à M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur.
Monsieur le gouverneur, comme vous le savez, c'est une des deux occasions annuelles pour nous de vous rencontrer pour entendre votre appréciation de la situation économique du Canada. Votre comparution aujourd'hui est particulièrement opportune étant donné divers événements récents : les élections américaines, l'appréciation continue du dollar canadien, l'appréciation rapide de l'euro et l'évolution des taux d'intérêt aux États-Unis et au Canada.
Le gouverneur de la Banque du Canada a pour rôle déterminant celui de protéger notre devise et de suivre de près l'activité économique du pays; celui du comité est d'obtenir du gouverneur, au nom des Canadiens, des réponses au sujet de l'état de l'économie. La composition du comité imite celle du Sénat : les cinq régions du pays y sont représentées. C'est avec ces considérations à l'esprit que nous vous avons invités, monsieur le gouverneur et monsieur le sous-gouverneur, à nous aider au nom de tous les citoyens à suivre la marche de l'économie canadienne et à déterminer la meilleure voie à emprunter. C'est un réel plaisir de vous accueillir ici aujourd'hui.
Comme il est d'usage, nous entendrons la déclaration liminaire que vous jugerez bon de nous faire. Comme vous en avez bien l'habitude, nous donnerons ensuite la parole aux sénateurs de toutes les régions du pays qui vous poseront leurs questions.
M. David Dodge, gouverneur, Banque du Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, je félicite d'abord le sénateur Grafstein d'avoir été nommé à la présidence de ce comité, qui revêt une importance extraordinaire et qui, depuis de nombreuses années, accomplit un travail exceptionnel. C'est un véritable plaisir pour nous d'être des vôtres cet après- midi.
Nous apprécions sincèrement la possibilité que nous avons, deux fois l'an, de venir ici à la suite de la parution de nos rapports sur la politique monétaire pour livrer aux sénateurs et, par votre entremise, à tous les Canadiens, notre point de vue sur l'économie. Ces séances nous aident à faire connaître l'objectif de la politique monétaire et les mesures que nous prenons pour l'atteindre.
[Français]
Lorsque Paul Jenkins et moi nous sommes adressés à votre comité, en avril dernier, nous vous avions informés que l'économie tournait nettement en deça de son potentiel. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'économie canadienne a progressé plus rapidement, au premier semestre de l'année, que l'on ne s'y attendait, principalement grâce à l'essor vigoureux des exportations. Elle fonctionne maintenant près des limites de sa capacité et continue de s'ajuster à l'évolution de la conjoncture internationale.
La plus récente livraison du Rapport sur la politique monétaire, publié le 20 octobre, présente le scénario de référence de la banque, qui prévoit que d'ici la fin 2006, la demande globale de produits et services canadiens augmentera en moyenne au même rythme que la production potentielle.
Le rapport précise, étant donné les effets de la hausse des prix du pétrole et de l'appréciation passée du dollar canadien, que la croissance économique devrait être légèrement inférieure à 3 p. 100 en 2005, et légèrement supérieure à ce niveau en 2006.
[Traduction]
Comme l'économie devrait tourner près des limites de sa capacité durant toute cette période, la Banque croit que l'inflation mesurée par l'indice de référence, qui se situe à 1,4 p. 100 en ce moment, regagnera la cible de 2 p. 100 d'ici la fin de 2005. Cette prévision est essentiellement la même que celle que nous avons formulée en avril dernier. Toutefois, la Banque estimait en octobre que le rythme de progression de l'IPC global s'approcherait de la limite supérieure de la fourchette cible de 1 à 3 p. 100 au premier semestre de 2005, pour ensuite descendre un peu au-dessous de celui de l'indice de référence au début de 2006. Cette projection tenait compte de la trajectoire des cours du pétrole brut indiquée par les prix des contrats à terme à la mi-octobre, au moment où nous avons rédigé le rapport.
C'est dans ce contexte, mesdames et messieurs les sénateurs, que la Banque a décidé de porter le taux cible du financement à un jour à 2,5 p. 100 le 19 octobre, la plus récente date préétablie pour l'annonce des taux directeurs.
Le scénario de référence présenté dans le rapport suppose que de nouvelles réductions du degré de détente monétaire seront nécessaires au fil du temps pour permettre à l'économie de tourner près des limites de sa capacité et maintenir l'inflation au taux visé. Nous avons également souligné que le rythme des hausses des taux d'intérêt dépendra de l'évaluation que la Banque fera des perspectives d'évolution des facteurs qui déterminent les pressions s'exerçant sur l'appareil de production et, partant, sur l'inflation.
M. Jenkins et moi-même revenons tout juste de la réunion du G20 qui a eu lieu à Berlin la fin de semaine dernière. Les questions que nous y avons traitées concordent très étroitement avec celles que nous avons analysées dans notre rapport sur la politique monétaire : les prix des produits de base, le réalignement des monnaies, les déséquilibres mondiaux et la présence croissante de pays à marché émergent tels que la Chine et l'Inde.
Nous continuons à nous en tenir, de façon générale, au scénario de croissance mondiale que nous avons exposé dans le rapport, et nous pouvons en discuter cet après-midi. Les entretiens menés à la réunion du week-end dernier et à d'autres rencontres internationales récentes laissent entrevoir une expansion un peu moins vive à l'échelle du globe, bien que les cours au comptant et les cours à terme du pétrole se soient quelque peu repliés depuis un mois. L'un des faits les plus importants survenus depuis la parution du rapport en octobre est que le dollar américain s'est encore déprécié d'environ 5 p. 100 par rapport aux autres grandes monnaies flottantes, y compris le dollar canadien.
Si les taux de change actuels devaient persister — et si tous les autres facteurs économiques et financiers restaient inchangés — , cela aurait un effet modérateur sur la demande globale de produits et services canadiens. Comme la politique monétaire a pour objet de maintenir l'équilibre entre la demande et l'offre globales afin de garder l'inflation près de la cible visée, nous devons évaluer l'incidence des fluctuations de la monnaie sur la demande globale ainsi que le contexte dans lequel elles se produisent, c'est-à-dire les variations qu'enregistrent les autres facteurs économiques et financiers.
En terminant, mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens à souligner que la Banque examine l'ensemble des données disponibles avant chacune des dates d'annonce préétablies, ce qu'elle fera encore une fois avant celle du 7 décembre. M. Jenkins et moi-même nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Le sénateur Tkachuk : Soyez les bienvenus, messieurs. Monsieur Dodge, c'est la septième fois que vous comparaissez devant le Comité des banques. Beaucoup de choses ont changé pendant cette période. Les chiffres de l'inflation que vous avez donnés sont une bonne nouvelle pour beaucoup de Canadiens. Aujourd'hui, le dollar canadien affiche sa vigueur à 84,06 cents américains. Il s'en trouve toutefois au pays qui ne profitent pas de la force renouvelée de notre dollar. Les exportateurs, en particulier ceux du secteur de la haute technologie, se plaignent devant les journalistes d'éprouver des difficultés. Notre dollar fort, par rapport au dollar plus faible de notre plus grand partenaire commercial, est peut-être très avantageux pour ceux qui hivernent dans le Sud, mais cela a des conséquences économiques aussi bien pour le Canada que pour les États-Unis. Pensez-vous que la Réserve fédérale américaine a pour politique, tacite ou autre, d'affaiblir le dollar américain pour stimuler les exportations de ce pays et résorber le déficit commercial américain?
M. Dodge : Je ne voudrais surtout pas prêter des desseins à qui que ce soit en la matière. Les Américains ont été assez lents à adopter des mesures pour corriger leur déficit budgétaire. Leur taux d'épargne global est faible et leurs taux d'intérêt à très court terme sont à zéro ou proches du zéro depuis longtemps. Vu l'absence d'épargne, il n'est pas étonnant que la contrepartie soit un imposant déficit du compte courant. C'est une réalité algébrique incontournable. En pareilles circonstances, on s'attendrait à ce que des corrections soient apportées pour redresser la situation. Une de ces corrections normales et attendues serait une certaine dépréciation du dollar américain face à toutes les autres devises, à partir du niveau très élevé où il se situait au début de l'année. Sans prêter des desseins, la politique budgétaire et monétaire est telle que l'on s'atteindrait dans le fonctionnement normal de l'économie à une certaine dépréciation du dollar américain.
Le sénateur Tkachuk : C'est remarquable à quel point la situation a changé au cours des 12 derniers mois. La Banque du Canada l'avait-elle prévu? Anticipiez-vous des changements d'une telle rapidité?
M. Dodge : Les taux de change sont sans doute ce qu'il y a de plus difficile à prédire. Tendanciellement, il était clair qu'un certain ajustement du taux de change américain allait être nécessaire, mais nous n'essayons pas de prédire les niveaux ou la vitesse à laquelle ces ajustements surviennent.
M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Permettez-moi d'ajouter quelques éléments. Dans notre rapport sur la politique monétaire, la question est abordée dans le contexte de ce qui se passe aux États-Unis. Le graphique 7 du Rapport illustre la croissance récente des États-Unis depuis 2000. Vous constaterez qu'il y a eu une longue période de croissance lente aux États-Unis. D'après certains calculs, l'économie américaine traversait alors une légère récession. En réponse à votre question concernant la politique de la Réserve fédérale, celle-ci favorisait des taux d'intérêt bas pour stimuler à nouveau l'économie américaine, et combattre le ralentissement. Il ne fait pas de doute que cette période de taux d'intérêt bas est un des facteurs, comme l'a dit le gouverneur, de l'ajustement du taux de change aux États-Unis. Ce facteur cyclique est un élément de réponse à votre question.
Le sénateur Tkachuk : C'est la discussion que nous avions avec l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, M. Gordon Thiessen. Il disait que le dollar était bas parce que les cours des produits de base l'étaient aussi à l'époque. Nous parlions des taux d'intérêt et de la question de savoir si le Canada abaissait délibérément sa monnaie, maintenait ses taux d'intérêt à bas niveaux pour faire ainsi baisser le dollar à 65 cents. Cela facilite évidemment un peu le remboursement de la dette et est utile pour nos taux d'intérêt et notre déficit. Il était toujours question des produits de base. Aujourd'hui, M. Jenkins nous dit que les taux d'intérêt américains et canadiens sont en partie responsables. Le cours des produits de base, comme le pétrole, a augmenté. Qu'est-ce qui fait bouger le dollar?
M. Dodge : Soyons prudents. Il y a deux séries d'événements ici. La première touche en particulier le Canada — des cours de produits de base assez élevés et une économie mondiale plutôt forte et, partant, une demande particulièrement soutenue de produits et services canadiens à l'étranger. La deuxième est la dépréciation, qui exercerait normalement des pressions à la hausse, et c'est tout à fait normal, sur le dollar canadien.
D'autre part, il y a un ajustement — un gros déséquilibre de l'économie américaine — qui exerce une pression à la baisse sur le dollar américain. Ce sont des forces tout à fait distinctes, quoique toutes les deux agissent exactement dans le même sens à l'heure actuelle.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais revenir là-dessus, mais je le ferai au second tour de questions.
Le président : Les questions suivantes viendront du sénateur Fitzpatrick de la Colombie-Britannique, à l'économie robuste.
M. Dodge : Robuste de fraîche date.
Le sénateur Fitzpatrick : Monsieur Dodge et monsieur Jenkins, merci d'être des nôtres. J'imagine que l'avion vient de vous ramener d'Allemagne. C'est la première fois depuis que je siège au Comité des banques que nous constatons une augmentation aussi marquée de la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain, ce qui cause un certain nombre de nouveaux problèmes pour le gouvernement et, j'imagine, pour la Banque dans l'année ou les années à venir. Je suis certain que vous maîtrisez bien tous ces dossiers.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'effet que le nouveau rapport de forces entre nos monnaies aura sur notre économie. Je songe tout particulièrement à la balance commerciale entre le Canada et les États-Unis. J'ai plusieurs questions succinctes mais reliées entre elles.
D'abord, quel effet pensez-vous que cela aura sur notre balance commerciale avec les États-Unis dans l'année qui vient? Comme vous le savez sans doute, nos exportations ont déjà baissé, de 17,3 milliards en 2003, soit 4,5 p. 100.
Ensuite, quel effet cela aura-t-il, selon vous, sur la balance commerciale entre les deux pays à long terme? Pouvons- nous compenser adéquatement ces changements par une amélioration de notre productivité et de notre compétitivité?
Pouvez-vous nous dire, à votre avis, à quel rythme — et j'ai entendu ce que vous avez dit tout à l'heure — le dollar canadien va poursuivre sa montée face au dollar américain dans les six à 12 prochains mois?
M. Dodge : Permettez-moi d'abord de répondre à la question de la balance commerciale. Cela dépend évidemment de quantité de facteurs, à commencer par la force de la croissance de la demande intérieure finale aux États-Unis et au Canada. De toute évidence, plus la croissance de la demande finale sera forte aux États-Unis et plus elle sera faible au Canada, plus la balance commerciale du Canada s'améliore; donc dans le cas contraire, elle empire.
Notre perspective, sénateur, comme nous le disons dans le rapport — et nous n'avons guère changé d'avis — c'est que la croissance américaine s'établira sans doute à un peu moins de 4 p. 100 l'an prochain, peut-être 4 p. 100 en 2006, donc assez robuste, pour se situer aux limites ou légèrement au-dessus des limites de sa capacité de croissance. Cela est de bon augure pour les ventes aux États-Unis, quoique, évidemment, ce serait encore mieux, je n'ai pas besoin de vous le dire, si nous pouvions régler le différend sur le bois d'œuvre et l'ESB.
Pour ce qui est du Canada, comme le dit encore une fois notre rapport, nous prévoyons une demande intérieure plutôt forte. S'agissant donc des facteurs agissant sur la demande, on peut soutenir qu'ils ne suffiront sans doute pas à eux seuls à modifier énormément la véritable balance commerciale, même si la balance nominale, elle, pourra évoluer considérablement en fonction du cours du pétrole, des métaux et ainsi de suite. La véritable balance commerciale, peut- on en déduire, ne changera sans doute pas beaucoup.
Sur le long terme, il est très difficile de dire quel effet aura un taux de change plus élevé parce que cela dépend en fait des facteurs qui maintiennent le taux de change à un niveau élevé. Si le taux de change reste fort, pour revenir à la question du sénateur Tkachuk, à cause de la fermeté des cours de l'énergie, du gaz naturel, du bois d'œuvre, des métaux et ainsi de suite, on pourra constater une balance commerciale encore plus avantageuse avec les États-Unis, malgré un taux de change élevé.
Si, en revanche, le taux de change est élevé pour des raisons qui ne sont pas liées au commerce extérieur, l'effet pourrait être contraire. Il n'est pas possible a priori de vraiment répondre à votre question parce qu'il faut connaître la raison qui se cache derrière le taux de change élevé.
Votre troisième question est de savoir si nous pouvons faire échec à cela grâce à des gains de productivité. Vous mettez sans doute là le doigt sur le problème microéconomique le plus important du pays, à savoir comment améliorer notre productivité dans le temps. Cela a une importance extraordinaire si l'on veut que le niveau de vie réel progresse à un moment où notre population active ne grossit pas très rapidement. C'est une question d'une importance capitale pour nous tous.
La dernière question porte sur les changements à venir. Quand nous publions notre rapport — et nous faisons très attention — nous partons toujours de l'hypothèse que le taux de change canadien restera dans sa fourchette dans la période à venir. C'est ce que nous avons fait en avril et dans le présent rapport.
Le sénateur Fitzpatrick : Je me demandais à quel rythme il faudrait augmenter notre productivité en fonction de la vitesse de l'augmentation du taux de change, mais je comprends ce que vous avez dit.
M. Dodge : Peu importe ce qui se produira, vous avez mis le doigt sur le vrai problème, qui est que, que l'on soit à la tête du pays ou d'une société privée ou de la Banque du Canada, il faut tous se concentrer sur la question de la productivité.
Le président : Monsieur Dodge, vous apprendrez sans doute avec plaisir que notre comité a adopté hier à l'unanimité, tout comme le Sénat, une résolution inspirée par notre collègue, le sénateur Angus, demandant à notre comité d'étudier la question de la productivité. C'est d'ailleurs ce que nous nous emploierons à faire au début de l'an prochain, et nous aurons sans doute à faire appel à l'expérience de la Banque dans notre étude.
Le sénateur Oliver : Nous avons toujours grand plaisir à vous accueillir ici. Ma question comporte deux volets et est assez vaste puisqu'elle découle de ce que d'aucuns appellent « l'effet du facteur Chine » sur l'économie du Canada et l'incidence que pourrait avoir la demande des Chinois en marchandises canadiennes sur la croissance à long terme de notre économie. J'aimerais d'abord aborder l'effet que cette situation pourrait avoir sur le dollar, puis ensuite l'effet qu'elle pourrait avoir sur la politique monétaire.
Lorsque vous avez témoigné, monsieur Dodge, au Comité permanent des finances de la Chambre des communes en octobre dernier, vous avez affirmé que la forte croissance économique au Canada, depuis la publication par la Banque de la mise à jour de son rapport sur la politique monétaire en juillet, était due principalement à une poussée soudaine des exportations.
Comme vous le savez, monsieur Dodge, les produits de base comptent pour le tiers environ des exportations canadiennes. L'indice des prix des marchandises de la Banque du Canada, qui suit le prix de 23 marchandises canadiennes vendues sur les marchés internationaux, a grimpé à un taux record la semaine du 20 octobre. Comme vous l'avez dit vous-même, cette poussée est due principalement à l'énorme demande des Chinois de produits de base canadiens tels que le cuivre et le nickel. Cette demande a fait exploser les prix des marchandises et a affaibli à nouveau le secteur des ressources du Canada.
L'économie de la Chine a continué à croître à un taux annuel moyen de presque 9 p. 100 au cours des 25 dernières années. La Chine constitue déjà la sixième économie en importance du monde, et on s'attend à ce que sa contribution à l'économie mondiale double d'ici l'année 2020.
Se fondant sur ces informations, un économiste du Canada auprès de la BMO à Chicago a déclaré que la demande chinoise de produits qui sont abondants au Canada continuera d'agir favorablement sur notre dollar.
La Banque s'est-elle penchée sérieusement sur l'incidence potentielle à long terme de cette augmentation dans la demande de matières premières de la part de la Chine? La Banque du Canada s'est-elle demandé quelles en seraient les conséquences générales pour notre politique monétaire, étant donné l'incidence possible sur nos échanges commerciaux et sur la circulation des investissements?
M. Dodge : La réponse courte est oui, mais je demanderai à M. Jenkins de vous fournir les détails.
Le sénateur Oliver : La situation a donc un effet sur le dollar.
M. Jenkins : Monsieur le président, nous nous attendions à ce que vous manifestiez un certain intérêt pour la Chine et cette région du monde, et c'est pourquoi nous avons rassemblé quelques informations sur lesquelles nous pourrions passer quelque temps avec le comité, si le temps le permet. À vous de décider, mais je crois que nos informations répondent directement à vos interrogations.
Le président : En avez-vous des exemplaires?
M. Jenkins : Oui, nous en avons.
Le président : Veuillez les distribuer.
M. Jenkins : Vous avez énuméré la plupart des enjeux directement ou indirectement. J'aimerais aborder brièvement au moins deux aspects des tendances constatées dans l'économie mondiale qui dépendent beaucoup de la situation en Asie.
D'abord, il y a la question des déséquilibres du compte courant, que vous avez déjà abordée brièvement, mais il y a également le facteur de l'émergence de la Chine; il ne faudrait pas non plus oublier l'Inde lorsqu'on étudie l'économie mondiale.
Le sénateur Oliver : Quels autres pays en Asie, autres que la Chine et l'Inde, avez-vous étudiés?
M. Jenkins : Nous les avons tous étudiés. Même si je vous parle souvent de la Chine et de l'Inde, il vous faut considérer l'Asie comme un tout. J'aborderai la question particulièrement en termes de régimes de taux de change, puisque la devise de la Chine est actuellement alignée sur le dollar américain, tandis que la plupart des autres devises de l'Asie du Sud-Est sont liées au yuan de façon explicite ou implicite. Il faut donc tenir compte de tous ces facteurs dans une vaste perspective régionale, celle de l'Asie.
Le premier graphique vous montre le déséquilibre du compte courant. Nous en parlions il y a quelques instants à peine, en faisant allusion au Canada et aux États-Unis, mais c'est une question qui se pose pour l'économie du monde entier. On constate que le déficit du compte courant aux États-Unis est assez considérable, et c'est dû à plusieurs facteurs. Le premier graphique montre l'ampleur du déficit du compte courant aux États-Unis; on sait que si le déficit du compte courant dans un pays est énorme, il doit bien y avoir des excédents ailleurs. C'est ce que l'on constate comme effet neutralisant en Asie, où se trouvent les surplus. C'est ce qui explique, sénateur, que nous considérions l'Asie dans son ensemble.
Le sénateur Oliver : Et le Canada par rapport à l'Asie?
M. Jenkins : Le Canada enregistre lui aussi un surplus du compte courant, mais il est très petit comparé à celui de l'Asie par rapport aux États-Unis. La ligne rouge du graphique représente le compte courant du Canada. Vous voyez bien que ce n'est pas grand-chose. Mais il est important, dans ce domaine-là, d'envisager la question dans une perspective mondiale.
Nous avons déjà abordé la situation qui est représentée au deuxième graphique, soit l'énorme déficit américain qui reflète, notamment, une pénurie de l'épargne intérieure aux États-Unis. Cela se traduit donc en partie dans l'énorme déficit du compte courant. C'est représenté au deuxième graphique où vous constatez que le déficit représente actuellement 5 p. 100 du PIB.
L'envers de la médaille se trouve représenté au graphique 3, qui montre l'accumulation de réserves. Les portions bleues et rouges hachurées, notamment à droite, montrent l'accumulation massive de réserves en Asie. L'énorme déficit du compte courant aux États-Unis est donc financé par l'Asie, là où on trouve une accumulation considérable de réserves.
Une série de faits explique ces déséquilibres mondiaux, qui ont des conséquences très claires pour l'économie mondiale de demain.
La deuxième série de graphiques aborde l'autre aspect de votre question, et je parle ici des nouveaux acteurs. Ce graphique montre les mêmes éléments mais mesurés sur une base quelque peu différente de celle que vous utilisiez, sénateur. Nous faisons appel ici à ce que nous appelons la parité des pouvoirs d'achat. Sans aller dans les détails techniques, sachez que cette notion vise à égaliser le prix d'un même panier de biens partout au pays. C'est l'indice que la plupart des économistes utilisent lorsqu'ils comparent des pays.
Vous constatez que la ligne bleue, qui représente la Chine, augmente très rapidement. En fonction de ce calcul, la Chine représente aujourd'hui 15 p. 100 de l'économie du monde, ce qui la place au second rang, alors qu'elle ne représentait que 30 p. 100 de cette même économie en 1980. Si vous comparez à l'Inde, représentée par la ligne verte, celle-ci est partie de moins de 3 p. 100 en 1980 pour atteindre un peu plus de 5 p. 100 aujourd'hui. Ce sont là deux grandes économies en expansion rapide.
Pour compléter le tableau, vous trouvez au graphique suivant les exportations en pourcentage des exportations mondiales, et je vous demande de vous arrêter un instant à la ligne bleue, qui représente la Chine. Les exportations de la Chine ont grimpé au point où ce pays constitue aujourd'hui le quatrième exportateur en importance dans le monde, et surpasse même le Canada, représenté par la ligne rouge.
Les deux derniers graphiques brossent à peu près le même tableau mais en termes d'importations. On constate ici encore que les importations ont crû considérablement en Chine et font désormais de la Chine le troisième importateur en importance dans le monde.
En guise de conclusion, l'économie mondiale bouge beaucoup, mais ce sont des phénomènes qui ne sont pas inédits, si l'on pense à la révolution industrielle, à l'Allemagne et aux États-Unis vers la fin du XIXe siècle, notamment. La grande différence, que vous trouverez illustrée à la dernière page, c'est que la Chine et l'Inde combinées représentent 40 p. 100 de la population du globe. Autrement dit, le Canada et l'économie mondiale sont confrontés à d'importants enjeux à court terme en termes de déséquilibres mondiaux, mais également à plus long terme à cause de l'émergence de ces pays dans l'économie mondiale.
Le sénateur Oliver : Quel effet particulier cela aurait-il sur notre dollar et sur notre politique monétaire?
M. Jenkins : Si vous le permettez, je vais revenir à la question de tout à l'heure. Un des enjeux tient au fait que l'économie mondiale croît à un rythme rapide. Au cours de ces dernières années, nous avons connu une croissance économique mondiale forte. Cette croissance a été forte en Asie, mais pas exclusivement. En effet, l'économie américaine a enregistré une reprise. Par conséquent, il y a, en arrière-plan, une économie mondiale qui affiche une expansion rapide. En réalité, nos exportations sont en train de croître rapidement. Nous en parlons dans notre rapport sur la première moitié de cette année.
Il est clair que nous devons prendre en considération la robustesse de la demande de l'économie mondiale, notamment ses implications pour le Canada, en dessinant notre politique monétaire. Ce serait donc un aspect de la question.
L'autre aspect concerne les régimes de taux de change. Là encore, c'est une question à long terme, mais qui comporte des conséquences à court terme. La Chine et la plupart des autres pays asiatiques ont un taux de change fixe, tandis que le reste du monde a un taux de change flottant. Cela suscite d'importantes questions stratégiques, pas seulement pour le Canada, mais pour l'ensemble de l'ordre monétaire international. Il y a des enjeux importants qui se profilent à l'horizon. Nous consacrons beaucoup de temps à ces questions et à leurs implications pour le Canada.
Le président : Ces graphiques suscitent de nombreuses interrogations. Le prochain intervenant est le sénateur Moore, représentant la province de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Moore : Bienvenue aux deux témoins. J'ai trouvé fort intéressant vos commentaires sur la Chine. J'ai sous les yeux un article paru dans le Financial Times d'hier. On peut y lire que la Banque populaire de Chine recommande aux États-Unis de faire le ménage dans leurs finances. J'imagine que les Américains doivent se demander ce qui se passe.
Un des commentaires ici est de M. Lee, le gouverneur adjoint de la Banque populaire de Chine.
Il ressort de l'article que le taux d'épargne en Chine dépasse les 40 p. 100, alors qu'aux États-Unis, il est de moins de 2 p. 100. Les Américains dépensent trop et épargnent peu. M. Lee a dit que les travailleurs américains percevaient des salaires élevés et qu'ils continuaient de travailler excessivement dans des industries à faible valeur ajoutée comme le textile et l'agriculture.
En outre, il a affirmé que les politiques américaines limitant les exportations de produits militaires, de technologies de pointe vers la Chine étaient, pour partie, la cause de l'énorme excédent commercial de Beijing avec les États-Unis.
D'autre part, ses remarques semblent avoir pour but de désamorcer les pressions croissantes exercées par les États- Unis et l'Europe sur Beijing pour que celle-ci permette une appréciation de sa devise, et c'est ce à quoi vous vouliez en venir, monsieur Jenkins, si je ne m'abuse. Apparemment, la devise chinoise est à parité fixe avec le dollar américain depuis 1997-1998, et on ne lui permet pas de flotter. Voilà la conjoncture monétaire mondiale à laquelle nous faisons face, laquelle conjoncture a un effet négatif sur les États-Unis et, par voie de conséquence, sur nous, je suppose.
M. Dodge : Vous me posez deux questions. Je vais tenter d'y répondre.
Tout d'abord, s'agissant de la question soulevée par le sous-gouverneur Lee, les chiffres sont exacts. Cela dit, le problème, c'est que sans croissance de la demande à l'échelle mondiale, il n'y aura pas de croissance dans la production.
Les États-Unis accusent un déséquilibre, l'épargne y étant trop faible, comme je l'ai dit dans une réponse à une question tout à l'heure. Cela étant, si les États-Unis devaient réduire ce déséquilibre en rehaussant l'épargne et que l'économie mondiale devait continuer de croître, le reste du monde, où les taux d'épargne sont plus élevés, devra faire tout à fait le contraire. C'est quelque chose d'extrêmement important à retenir.
La deuxième question est celle que M. Jenkins a commencé à soulever — question que j'ai d'ailleurs abordée brièvement dans une allocution prononcée devant la Chambre canado-allemande de commerce à l'occasion de ma visite à Berlin —, et c'est la question de l'ordre monétaire mondial. Nous en avons également discuté lors de la rencontre du G-20.
Nous faisons face ici à un véritable problème, mesdames et messieurs les sénateurs. En effet, une partie du monde utilise un taux de change fixe, régime où il existe des mécanismes pour faire des ajustements, et le reste du monde utilise un taux de change flottant. Cela fait l'objet d'un véritable débat, de même qu'il devrait y avoir un véritable débat sur l'ordre monétaire — cet état de chose devrait-il persister?
Il est important de comprendre que même dans un monde où l'on utilise un taux de change fixe, et c'est le cas de la Chine et de la plupart des pays asiatiques, plus ou moins, il y a un mécanisme d'ajustement. Un tel mécanisme ne servirait pas à dégager des réserves énormes en devises étrangères, mais plutôt à injecter celles-ci dans l'économie nationale, ce qui provoquerait une inflation, laquelle inflation entraînerait un rééquilibrage des taux de change.
Le sénateur Moore : L'inflation en Asie!
M. Dodge : Oui, en Asie. Le véritable problème, c'est qu'à l'heure actuelle, les autorités chinoises et, dans une certaine mesure, celles d'autres pays d'Asie sont en train de faire ce que nous appelons dans notre jargon de la « stérilisation » des flux de dollars en accumulant des réserves. Il s'ensuit qu'il n'existe pas de mécanisme pour rééquilibrer la devise. Peu importe l'ensemble des règles auxquelles on choisit d'adhérer, que ce soit les règles de Bretton Woods, sur lesquelles repose le monde du taux de change fixe, ou le monde du taux de change flottant, il est très important de respecter les règles du jeu. Or, le problème actuel, comme en témoignent les accumulations massives de réserves, tient au fait que la partie du monde qui utilise un taux de change fixe ne respecte pas les règles du jeu.
Le sénateur Moore : Et cela représente 38 p. 100 des joueurs. Par conséquent, les 40 p. 100 de l'activité économique mondiale qui utilisent un taux de change fixe...
M. Dodge : Le problème est qu'on ne peut pas faire d'ajustement entre ces deux blocs. Nous n'avons pas de mécanisme qui nous permette de faire un ajustement. C'est un problème grave.
Le sénateur Moore : À 8 h 46 aujourd'hui, heure de Greenwich, la dette américaine s'élevait à 7,5 trillions de dollars, et le déficit américain était, au 30 septembre, de 412 milliards de dollars. Ces chiffres sont-ils historiquement élevés, bas, invraisemblables?
Je ne vous ai pas entendu parler de la dette. Je vous entends parler de déficit, mais la dette est apparemment à la hausse au rythme de 1,7 milliard de dollars par jour. Quelqu'un devra intervenir pour faire un peu le ménage. Si un acteur aussi important dans le bloc qui utilise le taux de change flottant se trouve dans cette situation financière, comment un pays comme le Canada pourra-t-il le convaincre de faire quelque chose? Est-ce une façon de faire? Ce n'est certainement pas la façon dont nous gérons nos ménages. Comment est-ce qu'un pays peut continuer d'agir de la sorte et s'attendre à rehausser sa productivité et assurer une vie stable à ses citoyens?
M. Dodge : Votre question comporte deux dimensions. S'agissant des niveaux d'endettement des États-Unis, tout dépend de la perspective historique. Bien entendu, les États-Unis comme le Canada avaient contracté des dettes beaucoup plus importantes par rapport à notre capacité de production durant les années de guerre. La taille de la dette comme telle n'est pas impossible à gérer. Sur la scène mondiale, les États-Unis se situeraient en milieu de peloton pour ce qui est du ratio dette-PIB.
Le véritable problème tient au déséquilibre du côté de l'épargne. C'est que les Américains continuent de consommer beaucoup plus qu'ils ne produisent. Ceci d'une part. D'autre part, comme Paul l'a dit à juste titre, il y a l'Asie. Ces déséquilibres peuvent durer un certain temps, mais pas toujours, et ils doivent finir par s'auto-corriger. Le véritable défi pour l'économie mondiale consistera à faire un rajustement en douceur pour corriger ces déséquilibres, sans causer pour autant un crash.
Le deuxième volet de votre question est on ne peut plus intéressant, et je pense que nous allons y revenir. Il est tout à fait dans l'intérêt du Canada que l'on règle le problème de l'ordre monétaire mondial, car la valeur du dollar canadien s'apprécie par rapport à la devise chinoise et les autres devises asiatiques, ce qui signifie que nous pourrons concurrencer vivement les économies chinoises et asiatiques dans leurs plates-bandes, mais particulièrement sur le marché américain.
Plus encore que les États-Unis, le Canada — tout comme l'Australie et l'Europe dans une certaine mesure — est très touché par le déphasage de l'ordre monétaire mondial; c'est une sorte de pivot autour duquel s'articule le monde à taux de change fixe et le monde à taux de change flottant. Nous y reviendrons plus tard dans les autres questions.
Le président : Les questions supplémentaires commenceront par celles du sénateur Plamondon du Québec, un sénateur indépendant — très indépendant.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Les Canadiens se demandent souvent si l'économie va bien. Je regarde l'endettement des Canadiens, le nombre croissant de gens qui prêtent avec du crédit alternatif, les « soupes populaires » dans toutes les régions. Tout cela me préoccupe beaucoup. De plus, le dernier rapport qu'on a pu lire aujourd'hui dans les journaux dit que la pauvreté chez les enfants va en augmentant. Cela ternit notre rendement.
Puis-je savoir à quel point l'endettement des gens peut devenir un élément important dans votre politique?
M. Dodge : Il y aura dans notre rapport sur le système financier du 9 décembre prochain une analyse en profondeur de cette question. Je peux vous donner aujourd'hui une petite esquisse de cette analyse. Il est vrai que l'endettement des ménages vis-à-vis le revenu disponible est élevé, plus de 100 p. 100 du revenu annuel disponible. Mais le montant que l'on doit payer chaque année en intérêt sur cette dette est inférieur à la moyenne des 20 dernières années. Ce n'est pas un problème dans le sens qu'ils ont des difficultés à payer l'intérêt sur la dette. C'est le premier point.
Si l'on fait des simulations de ce qui se passera si les taux d'intérêt augmentent beaucoup, c'est seulement dans les situations extrêmes qu'on peut envisager un problème si les taux d'intérêt retournent à un niveau plus normal, comme celui des décennie passées. Le service de la dette sera à peu près dans la moyenne qu'on a observée durant les 20 dernières années.
De ce point de vue, ce n'est pas vraiment un problème. Mais il y a toujours des ménages particuliers qui sont surendettés. C'est toujours le cas et c'est le cas en ce moment. Mais il n'y a pas de raison de croire que cette situation est pire qu'en temps normal. En fait, on croit que c'est moins pire qu'en temps normal.
Les actifs des ménages sont aussi très élevés et le ratio dette/actifs, surtout les maisons et cetera, est un petit peu plus bas que la normale. Donc on peut affirmer qu'il n'y a pas de problème même si les taux d'intérêt augmentent, on retourne à une situation plus normale.
Le sénateur Plamondon : D'abord est-ce que vous pourriez me dire jusqu'à quel point les ménages peuvent s'endetter avant que vous soyez inquiets?
M. Dodge : Je ne comprends pas.
Le sénateur Plamondon : Vous avez dit que les ménages sont endettés à 110 p. 100. Jusqu'à quel point diriez-vous que ce n'est pas inquiétant et que les ménages peuvent s'endetter?
M. Dodge : Il n'y a pas de problème. Le problème de service de la dette des ménages est moins sévère qu'en temps normal. Même si les taux d'intérêt retournent à un niveau plus normal, il n'y aura pas de problème mais il y a toujours des ménages qui ont des problèmes.
Le sénateur Plamondon : Cela ne répond pas à ma question. Quand cela devient-il inquiétant? Est-ce que cela veut dire que les gens devraient acheter encore à crédit puisque ce n'est pas inquiétant?
M. Dodge : Il y a une certaine marche de manœuvre, certainement.
[Traduction]
Le président : Il est temps de passer à un autre sénateur. J'ai demandé aux sénateurs de bien vouloir être succincts dans leurs questions. J'ai été un peu trop généreux; je vais maintenant changer de camp. Monsieur le gouverneur, peut- être pourriez-vous être un peu plus précis parce que le temps passe et que nous aimerions donner à chacun la même chance.
Le prochain intervenant sera le sénateur Angus, vice-président et membre de longue date du comité. Nous écouterons tous avec intérêt ce qu'il a à dire.
[Français]
Le sénateur Angus : J'aimerais ajouter un mot de bienvenue. Étant un sénateur du Québec, je veux vous montrer un peu mon français de Westmount. Le sujet que j'aimerais soulever aujourd'hui est un peu délicat. J'espère que vous pourrez rassurer les Canadiens. Ma question est la suivante.
[Traduction]
Les mots à la mode aujourd'hui sont la sécurité nationale et la lutte antiterrorisme. On ne cesse de nous rappeler les conséquences qu'aurait une attaque pour nos systèmes financiers et les institutions financières elles-mêmes. Nous savons que les systèmes en particulier sont vulnérables, peut-être à une cyberattaque, et que les établissements eux- mêmes peuvent être la cible d'attentats.
La Banque a-t-elle un plan de gestion de crise pour lutter contre ces éventualités au Canada?
M. Dodge : Oui. Si vous voulez plus de précisions, je demanderai à M. Jenkins de vous les donner parce que c'est lui qui est chargé de sa mise en place.
M. Jenkins : Oui, la Banque a en place un robuste plan de poursuite des activités, que nous avons d'ailleurs dû activer il y a deux ans pendant la panne d'électricité du mois d'août. Nous considérons la Banque comme une institution et comme responsable de la sécurité de son personnel. Cette sécurité est essentielle pour nous, mais nous travaillons également avec nos partenaires au pays et à l'étranger sur ces questions pour prendre les mesures qui devraient être prises dans telle ou telle éventualité pour assurer la poursuite du fonctionnement des systèmes financiers canadiens et mondiaux. Je peux vous assurer que des exemples se sont produits ces dernières années.
Le sénateur Angus : Dans la même veine — je suis heureux d'entendre que vous avez bien un dispositif — s'agissant des systèmes essentiels à l'intégrité du système financier en général, nous savons que des membres d'al-Qaïda ont déjà par le passé pris pour cible le secteur financier. Quels systèmes de relève avez-vous? Sans divulguer de renseignements confidentiels, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
M. Jenkins : Je me contenterai de généralités. Vous avez tout à fait raison. Nous en avons plusieurs, et il s'agit effectivement de systèmes de fonctionnement essentiels liés par exemple aux systèmes de paiement et de règlement qui sont ce que j'appelle la plomberie du système financier, ceux dont on voit les résultats quotidiennement et qui sont très complexes. La loi nous donne le pouvoir de veiller à ce que ces systèmes soient infaillibles.
Nous avons en effet recensé les systèmes essentiels. Ce ne sont pas les seuls. D'autres relèvent aussi de nous comme mandataire du gouvernement, mais ce sont ces systèmes essentiels auxquels on a consacré beaucoup de temps et d'énergie pour nous assurer qu'il y a des systèmes de secours.
Le sénateur Angus : Une des choses que nous avons aussi apprise depuis ce triste jour de 2001, c'est que le gouvernement a réagi ici en créant ce qui s'appelle, je crois, le Comité spécial du Cabinet chargé de la sécurité publique et de la lutte contre le terrorisme, semblable, j'imagine, à la Homeland Security chez nos voisins. L'un ou l'autre d'entre vous, ou les deux, ou des collègues à vous, font-ils partie de ce comité?
M. Jenkins : Oui, nous en faisons partie.
Le sénateur Angus : Y a-t-il d'autres dispositifs en place que ceux que vous avez déjà mentionnés?
M. Jenkins : Je l'ai dit à propos des systèmes essentiels, il s'agit ici d'éléments à l'échelle nationale, mais il se fait aussi beaucoup de travail sur la scène internationale pour permettre aux banques centrales de collaborer. Vous avez parlé des événements du 11 septembre. La communauté internationale des banques centrales s'est rapidement concertée pour veiller à ce que les installations nécessaires au maintien en activité du système financier mondial soient mises en place immédiatement.
En permanence, grâce à des organisations comme la Banque des règlements internationaux, les banques centrales collaborent étroitement entre elles sur ce genre de questions. Je peux dire avec un bon degré de confiance qu'il y a concertation à l'échelle nationale et internationale.
Le président : Le prochain intervenant sera le membre d'office le plus distingué du comité, le sénateur Kinsella. Nous sommes heureux et choyés de le compter parmi nous. Il est leader de l'opposition au Sénat. Il n'est pas souvent membre du comité ou présent à ses délibérations, mais ses questions sont toujours intéressantes. Nous lui avons demandé d'intervenir et je demande l'indulgence des autres membres du comité.
Le sénateur Kinsella : Monsieur Dodge, je me trompe peut-être, et corrigez-moi si c'est le cas, mais il me semble que le gouvernement a été incapable de produire des lignes directrices au sujet des fusionnements bancaires ou de fixer des règles en matière de regroupement. Sauf erreur, les lignes directrices devaient paraître le 30 juin dernier. À votre connaissance, y a-t-il eu du travail de fait?
M. Dodge : Je suis certain qu'ils y travaillent, monsieur le sénateur.
Le président : Comme nous le sommes tous.
Le sénateur Kinsella : Je vais vous poser cette question-ci, monsieur Dodge. Où en est-on ici et à l'étranger dans le dossier des fusionnements bancaires? L'environnement de l'économie mondiale a-t-il changé? Pourriez-vous nous livrer vos pensées?
M. Dodge : Je pourrais parler davantage de la situation internationale. Nous avons constaté au cours des dix dernières années la disparition des entraves à l'intégration des établissements bancaires entre les frontières nationales et entre les piliers. Au fur et à mesure que ces obstacles seront tombés, on a assisté à une intégration mondiale des institutions financières. Nous l'avons vu dans la quasi-totalité des pays. On a aussi assisté à la mondialisation des institutions. C'est ce qui s'est passé dans le monde.
Cela signifie que ces institutions peuvent répartir sur une base plus étendue leurs frais généraux et peuvent assembler des services à l'intention de leurs clients d'une matière qui n'aurait pas été possible pour les petites institutions. Il y a donc un gros changement dans le monde depuis une dizaine d'années.
Le sénateur Kinsella : Je crois savoir que le président et des membres du comité ont déjà été saisis du dossier des fusionnements bancaires. Vu ce que vient de nous dire le gouverneur, j'aimerais savoir si nous pénalisons ou entravons les banques canadiennes et les empêchons d'être des acteurs dynamiques sur la scène mondiale. Monsieur Dodge, si nous ne nous en occupons pas, cela aura-t-il des effets négatifs sur le secteur bancaire canadien?
M. Dodge : Je ne suis pas certain d'être le plus qualifié pour répondre à cette question, sénateur. Qu'il s'agisse des institutions financières ou des marchés financiers, l'efficacité est, à long terme, avantageuse pour tous les citoyens. L'efficacité devrait être l'objectif qui nous guide chaque fois que l'on songe à modifier une loi ou un règlement.
Le président : Je rappelle au sénateur Kinsella — tous les membres du comité le savent — que c'est un des aspects des études sur les fusionnements bancaires que le comité n'a pas examinés. La dernière partie est l'analyse des fusions intersectorielles. C'est un point qui reste à être examiné par le comité. Je remercie l'honorable sénateur de l'avoir signalé à notre attention et je remercie également le gouverneur. C'est une question importante et il est certain que nous finirons par l'examiner prochainement. Le comité a examiné toutes les autres facettes de la question, mais pas celle-là; ce sera la dernière.
Le prochain intervenant est le sénateur Hervieux-Payette, qui est membre de longue date de ce comité et qui est également membre du comité de direction.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous étiez au ministère des Finances lorsqu'on a adopté le projet de loi C-8. Je me demandais si la Banque du Canada avait fait une étude sur le changement de comportement des grandes banques canadiennes à l'égard des prêts aux entreprises?
Récemment, j'ai reçu un rapport selon lequel les banques canadiennes ne sont plus intéressées et qu'elles se tourneront plutôt vers les transactions plus payantes dans le secteur des valeurs mobilières, où il y a un vide important. Le rapport indique également que les entreprises ont beaucoup de difficultés à obtenir du crédit. Je parle des petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas payer des frais importants auprès des institutions financières étrangères, comme aux États-Unis, lorsque les sommes d'argent ne sont pas considérables. Il faut quasiment emprunter 100 millions de dollars lorsqu'on veut obtenir un prêt d'une banque américaine. Est-ce que la Banque du Canada surveille ce changement de comportement?
C'est très important car on va étudier la productivité. Si nos compagnies ne peuvent pas financer leur expansion, il n'y aura pas de productivité. Est-ce que vous avez fait des études sur les modifications qui sont survenues après avoir enlevé les barrières entre les valeurs mobilières et le secteur bancaire au Canada?
M. Dodge : Quatre fois par année, nous faisons une enquête auprès des entreprises et nous leur demandons leur opinion sur les conditions de crédit.
Nous trouvons que présentement, la plupart des entreprises, incluant les petites et moyennes entreprises, ont un bon accès au crédit. Ce n'est pas un problème. Le Canadian Federation of Independent Business est arrivé au même résultat. Il est vrai que les grandes banques ont alloué une plus grande partie de leur portefeuille de prêts aux petites et moyennes entreprises qu'aux grandes corporations.
[Traduction]
Le président : La parole est au sénateur Meighen. Le sénateur Meighen représente le Québec, mais il possède une expérience unique en son genre en ceci qu'il a évolué dans le monde des affaires ainsi que dans le milieu social, culturel et économique des provinces de Québec et de l'Ontario. Il peut donc exprimer le point de vue des deux régions du pays.
Le sénateur Meighen : On pourrait dire la même chose du gouverneur aussi.
Le président : Bien sûr.
Le sénateur Meighen : Bienvenue, monsieur le gouverneur et bienvenue à M. Jenkins. C'est un plaisir de vous voir ici aujourd'hui.
Je peux peut-être changer de sujet, histoire de vous donner un peu de répit. Vous serez heureux d'apprendre que même si le sénateur Tkachuk a indiqué que, parfois, les mêmes vieilles questions reviennent année après année, et que c'est toujours un plaisir d'entendre le gouverneur de la Banque, je ne vais pas vous poser de questions sur l'union monétaire ni sur la monnaie unique. Ces questions semblent avoir été reléguées aux oubliettes, et peut-être cela a-t-il quelque chose à voir avec l'appréciation de 20 p. 100 du dollar canadien.
Je voudrais vous poser une question sur les intentions de la Banque au chapitre de la transparence. C'est une arme à double tranchant. D'une part, vous dites dans votre rapport monétaire d'octobre que de nouvelles réductions du degré de détente monétaire seraient nécessaires pour maintenir l'inflation au taux visé. Je pense que tout le monde comprend que c'est une expression bancaire pour dire que les taux d'intérêt vont être haussés. Si les taux d'intérêt augmentent, cela n'encourage-t-il pas de manière artificielle les gens à se ruer vers l'achat d'une maison, d'un appareil électroménager, d'une voiture ou, que sais-je, ce qui créera une bulle au chapitre de la demande?
D'autre part, j'ai appris que la Banque a été critiquée dans un rapport du Comité de la politique monétaire de la Bank of England, dans lequel on peut lire que la Banque du Canada « ne divulgue pas au public la diversité des points de vue internes sur des perspectives économiques courantes et futures, d'une manière générale, et sur l'inflation, en particulier ». On peut y lire également que la Banque occupe l'antépénultième place pour ce qui est de son engagement à expliquer sa politique de manière claire et transparente.
Je ne pense pas que vous puissiez être plus clair que vous l'avez été dans votre rapport. Cela étant, vous semblez créer le problème d'une demande artificielle. On vous accuse de ne pas expliquer tous les arguments débattus au sein de la Banque. Où en êtes-vous exactement?
M. Dodge : La Bank of England devrait faire un peu plus attention avant de lancer des accusations. Après tout, c'est un nouveau venu dans le monde des institutions transparentes.
Le président : Monsieur le gouverneur, savez-vous que la séance est télédiffusée?
M. Dodge : C'est pourquoi j'ai bien pesé mes mots, monsieur le sénateur.
Le président : Heureux d'apprendre que vous n'êtes pas très franc avec nous!
Le sénateur Meighen : Si vous vous étiez contenté de dire que la Banque était un nouveau venu, tout le monde aurait sursauté.
M. Dodge : Premièrement, vous soulevez une question extrêmement importante, monsieur le sénateur. C'est une question avec laquelle toutes les banques centrales sont aux prises.
Je vais aborder l'élément précis que vous avez soulevé, à savoir que nous n'avons pas une diversité de points de vue. Nous sommes régis par une loi qui dispose que le gouverneur est responsable de la politique monétaire. Mon prédécesseur disait ceci, et j'ai continué à dire la même chose : « Non, c'est un peu dangereux de tout confier à une seule personne. » En fait, les décisions sont prises collectivement au sein du conseil de direction, lequel conseil comprend M. Jenkins et les quatre sous-gouverneurs. Nous parlons donc tous au nom de la Banque.
Il s'ensuit que lorsque nous faisons une déclaration, nous tentons, autant que faire se peut, de limiter les risques qui y sont associés, et nous exprimons un éventail de points de vue. Cela étant dit, nous parlons tous, il va sans dire, d'une seule et même voix.
Nous publions un rapport sur la politique monétaire, que les honorables sénateurs peuvent consulter. Je vous mets au défi de lire les rapports sur l'inflation de la plupart des autres pays et d'y trouver autant d'informations.
Deux fois par année, nous publions un examen du système financier très convivial.
De plus, nous tentons de donner par intervalles une indication plutôt claire des développements, le cas échéant.
En outre, nous comparaissons devant votre comité et le pendant de ce comité à la Chambre des communes deux fois par an.
Nous ne lésinons pas sur les moyens pour communiquer clairement. Encore une fois, nous parlons d'une seule et même voix. Je pense que c'est approprié.
Le sénateur Meighen : Y a-t-il un danger à le faire? N'est-il pas vrai qu'en indiquant très clairement — et peut-être n'avez-vous pas d'autre choix — une augmentation future de taux d'intérêt, vous créez une bulle artificielle au chapitre de la demande?
M. Dodge : Revenons à un propos antérieur, monsieur le sénateur, parce que je crois que c'est une question très importante. Nous suivons un modèle opérationnel très clair. Nous tentons de maintenir l'inflation autour de 2 p. 100, et quand nous nous éloignons de notre cible, nous tâchons de rajuster le tir dans les 18 à 24 mois qui suivent.
Cela signifie que nous tenterons d'intervenir quand nous constatons ce que nous appelons un « écart de production ». Lorsque la production tombe en deçà du potentiel, nous tentons d'ajuster la politique monétaire pour stimuler la croissance, et vice versa lorsque nous dépassons le potentiel. C'est quelque chose qui est on ne peut plus clair.
Comme nous l'avons dit dans notre rapport, l'implication est que, selon notre mesure classique, nous nous rapprochons de notre capacité à l'heure actuelle. Il s'ensuit que nous devrions supprimer les mesures de stimulation monétaire. C'est ce que nous avons dit. L'implication est claire.
Nous ne rendrions pas service aux Canadiens si nous ne leur expliquions pas les implications de notre analyse.
Le président : Le prochain intervenant est le sénateur Harb, une nouvelle recrue au Sénat et au sein de ce comité, mais qui s'est distingué à titre de député de longue date pour la région d'Ottawa.
Le sénateur Harb : Quelle est la taille de notre réserve? En quelle devise? En euros ou en dollars américains?
M. Dodge : Nous avons quelque 30 milliards de dollars en réserve dans le Compte du fonds des changes. Le compte est au nom du gouvernement du Canada, et c'est en son nom que nous le gérons. Un peu plus de la moitié de notre réserve est en dollars américains, et un peu moins de la moitié en d'autres devises.
Le sénateur Harb : Ma deuxième question se rapporte à la dépréciation du dollar américain et à l'appréciation du dollar canadien. Au cours des derniers mois, le dollar américain a commencé à accuser un recul, alors que le dollar canadien affiche une remontée. Je crois qu'il arrivera un moment où le dollar canadien se dépréciera à cause de la dépendance de l'économie canadienne par rapport à l'économie américaine, et les investisseurs étrangers considéreront alors le Canada comme un pays à risque pour des investissements en raison de cette dépendance.
À quel moment la Banque du Canada, en utilisant le facteur taux d'intérêt, déciderait-elle d'intervenir? À votre avis, quelle est la meilleure façon de contrer la dépréciation du dollar qui risque de se produire à un moment donné?
M. Dodge : Il est très difficile de répondre à une question hypothétique, monsieur le sénateur, sans connaître tous les tenants et aboutissants. Je ne peux vraiment pas répondre à cette question sans connaître les circonstances qui l'entourent, comme je l'ai dit en réponse à une question qu'on m'a posée plus tôt. Ce n'est pas que je n'ai pas envie d'y répondre; c'est que je ne peux tout simplement pas le faire.
Le sénateur Harb : Très bien.
Ma dernière question concerne la conjoncture monétaire internationale. Nous sommes témoins de la constitution de blocs de devises. En effet, un certain nombre de pays dépendent du dollar, tandis que d'autres sont en train de graviter vers le haut, et il semble y avoir un mouvement dans la région de l'Asie-Pacifique en faveur du yuan chinois ou du yen japonais. Le dénominateur commun est qu'il ne semble pas y avoir de discussion constructive sur l'établissement d'une devise internationale en bonne et due forme que tout le monde adopterait. On réduirait ainsi les risques et on établirait des règles de sorte que tout le monde comprenne les règles du commerce.
Vous parliez plus tôt de la distorsion qui existe déjà. Cette distorsion continuera d'être un facteur pendant des années à moins que quelqu'un intervienne pour dire que la fête est finie et que nous devons tenir des discussions sérieuses sur l'établissement d'un système international afin que tout le monde joue selon les mêmes règles.
M. Jenkins : Je tâcherai de répondre à cette question en vous présentant deux modèles. Tout d'abord, je vous parlerai de ce que j'appelle la règle d'or, à savoir un monde où les taux de change sont fixes comme cela s'est produit au cours de la période de l'entre-deux-guerres. Ce genre de monde présente un certain nombre de problèmes pour chaque pays quant à la façon dont ils adapteront l'évolution des circonstances à leur propre économie.
J'avancerais que si nous avions un monde de taux de change fixes, ou si nous revenions à la règle d'or, chaque pays devrait faire preuve d'une extrême souplesse pour pouvoir apporter les rajustements nécessaires en cas de perturbation particulière de sa propre économie. Autrement, la situation qui se produit dans une autre région du monde aura des répercussions sur votre pays, même s'il s'agit d'une perturbation qui vous touche de façon défavorable. Ce modèle n'offre pas beaucoup de souplesse à chaque pays.
L'autre modèle serait un modèle de taux de change flottants accompagné d'un cadre stratégique rigoureux tel que celui qui existe ici au Canada, une politique monétaire qui se rattache à un taux d'inflation faible et stable et un taux de change flottant qui joue comme il se doit son rôle d'amortisseur, afin que s'il se produit quelque chose dans le monde, qu'il s'agisse d'un événement positif ou négatif, ce taux de change flottant nous permettra de nous y adapter. Nous disposons ainsi d'un outil qui nous permet d'administrer nos propres affaires.
L'autre avantage qu'offre un taux de change flottant dans un tel monde c'est qu'il vous permet de participer à la mondialisation — au commerce, aux flux financiers — à votre avantage. Nous considérons qu'à l'heure actuelle il existe un certain décalage dans deux parties du monde, et il faut s'en occuper. Il faut en débattre et en discuter. Cependant, si vous croyez que le monde profite du libre-échange des capitaux, ainsi que des biens et des services et du marché libre, alors cette participation à l'économie mondiale est beaucoup plus propice à la croissance si vous évoluez dans un monde qui offre une grande souplesse, c'est-à-dire dans le cadre d'un régime de taux de change flottants.
Le président : Notre prochain intervenant est le sénateur Banks de l'Alberta.
Le sénateur Banks : Bienvenue, messieurs. Je suis heureux de constater que vous avez apporté la version illustrée des chiffres.
Tout le monde sait que si vous prolongez simplement les lignes du même gradient sur un graphique, vous obtiendrez une réponse fausse à cause des changements qui se produisent. Cependant, ces lignes aboutissent non seulement à un renversement de situation mais à un réalignement parfait des facteurs fiscaux, démographiques, financiers et commerciaux dans le monde. Je suppose que vous faites de la modélisation. En fonction de ces modèles et de l'extrapolation qu'elle vous a permise de faire, où nous situerons-nous dans le cadre de cet alignement au cours des cinq, 10 et 15 prochaines années? Aurons-nous toujours les mêmes amis? Pourrons-nous continuer à tabler sur les mêmes certitudes relatives sur lesquelles nous tablons depuis la guerre, de façon générale?
M. Dodge : De toute évidence, la situation du commerce mondial évolue rapidement, comme l'a indiqué M. Jenkins. La réelle question consiste à déterminer comment évoluera le système commercial. Nous avons fait beaucoup de travail depuis la Convention à La Havane en 1947 qui a établi le GATT, et nous avons fait en sorte que le monde continue d'évoluer en s'ouvrant au commerce, ce dont les citoyens ont énormément profité. La Chine est maintenant en train de s'ouvrir au commerce, ce dont vont énormément profiter les citoyens chinois. L'important, c'est de prévoir des règles de base pour l'ordre commercial et monétaire afin de faciliter les rajustements, puisque des déséquilibres se produiront à l'occasion et que nous voulons les redresser de façon relativement souple, et non comme cela s'est fait après 1929 et la Grande Dépression.
C'est la raison pour laquelle la Banque accorde autant d'importance à l'établissement d'un ordre monétaire mondial qui facilitera ces rajustements sans risque. Il faut avouer que si ce genre de situation ne se règle pas sans heurts, le protectionnisme risque de refaire surface. C'est la raison pour laquelle nous travaillons d'arrache-pied sur cette question, mais ce n'est pas facile.
Le sénateur Banks : Cela n'est pas facile, et le protectionnisme de la part de l'un des principaux intervenants est un facteur important qui touche chacun d'entre nous chaque jour. Compte tenu de la façon dont les choses se déroulent et l'énorme dette qui existe aux États-Unis, est-ce à votre avis une possibilité à laquelle nous devons nous préparer?
M. Dodge : J'espère vraiment que non, monsieur le sénateur. Nous avons fait valoir énergiquement à la Banque que si nous établissons un ordre monétaire qui permet d'apporter ce genre de rajustements sans qu'il y ait apparence d'injustice — ce qui est d'ailleurs un aspect du problème pour l'instant — alors effectivement nous en tirerons d'énormes avantages. Le Canada, l'une des économies fondées sur les échanges commerciaux la plus ouverte au monde, a une responsabilité et un rôle particuliers à jouer pour s'assurer que l'ordre monétaire international facilite le commerce et réduise — sans parvenir à l'éliminer complètement — le risque de protectionnisme.
Le président : Le sénateur Angus a soulevé une question importante sur le risque externe qui se pose pour notre système financier, lequel représente, et nous en convenons tous, le moteur de croissance de notre économie. J'aimerais vous parler d'un risque interne et de la question des instruments dérivés. Dans un climat où les taux d'intérêt sont à la hausse, les instruments dérivés deviennent un problème délicat. Quelle est la taille des instruments dérivés que détiennent nos principales institutions financières, à votre connaissance?
M. Dodge : Sénateur, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Les instruments dérivés sont extrêmement divers, depuis les couvertures de risque de change assumées par les grandes sociétés canadiennes qui font du commerce partout dans le monde, jusqu'à des instruments extrêmement complexes et technologiques destinés à répartir le risque, sans compter une vaste gamme d'autres instruments. Je ne peux pas vous donner un chiffre précis.
Le président : Pouvez-vous nous donner une indication de l'ampleur des instruments dérivés détenus par les principales institutions financières comparativement au capital investi par ces institutions?
M. Dodge : Je ne peux pas vous répondre de mémoire. Cependant, vous êtes en train de soulever la question du risque de contrepartie. De toute évidence, le surintendant des institutions financières surveille de près la situation pour s'assurer que les conseils d'administration de nos grandes institutions financières prévoient des procédures appropriées pour gérer le risque de contrepartie. C'est là le réel problème.
Le président : Je comprends. Ici encore, sur un marché où les taux d'intérêt sont à la hausse, vous vous rappellerez la situation qui s'est produite aux États-Unis en 1998, lorsque les instruments dérivés destinés à assurer une protection contre le risque, ont connu un grave dérapage qui a entraîné une importante crise financière. C'est une question qui me préoccupe et que je voulais soulever.
M. Dodge : Tout à fait, c'est une question préoccupante, et à l'échelle internationale, nous avons comparé les situations lorsque nous nous sommes réunis à la Banque des règlements internationaux, la BRI. Nous avons tenu de nombreuses réunions bilatérales de ce genre avec la Réserve fédérale américaine, par exemple. C'est une question qui suscite énormément d'attention, et il ne fait aucun doute qu'à l'époque où existait LTCM, les institutions financières en place n'ont pas géré de façon appropriée ces risques. La situation s'est nettement améliorée depuis. Vous voudrez peut- être inviter M. Le Pan à comparaître devant le comité pour examiner comment le surintendant s'occupe de la gestion de ces risques.
Le président : Nous ne manquerons pas de le faire.
Le sénateur Tkachuk : Gouverneur Dodge, quelqu'un m'a remis une note indiquant qu'à 15 h 40, notre dollar atteignait 84,67 cents américains; à 17 h 27, il valait 84,8 cents américains. Il a augmenté de 18 points de base depuis que vous êtes ici. Si vous étiez ici jusqu'à minuit, nous pourrions peut-être atteindre les 90 cents américains. Vos réponses aident notre dollar.
Parallèlement, j'ai un communiqué de presse qui renferme votre réponse à ma première question et qui est arrivé à 16 h 30. Le monde change extrêmement vite.
Je veux enchaîner sur ce dont nous avons discuté lors de la première série de questions à propos du dollar et de sa valeur par rapport au dollar américain. Bien que la valeur de notre dollar ait augmenté de façon considérable par rapport au dollar américain, elle est restée remarquablement stable par rapport à la livre et à l'euro. Vous pourriez peut-être expliquer à un profane en économie comment le dollar canadien s'est débrouillé par rapport à la livre britannique et à l'euro et pourquoi il n'y a eu aucun changement comparativement à la situation entre le dollar canadien et le dollar américain.
M. Dodge : Il ne fait aucun doute que récemment la valeur du dollar américain a diminué par rapport à celle d'un ensemble de devises. Selon l'expérience récente, la valeur du dollar américain comparativement aux principales devises a diminué d'environ 5 p. 100, malgré certaines variantes. Sa valeur est plus faible par rapport à certaines devises et moins faible par rapport à d'autres. Il s'agit d'une dépréciation de la monnaie américaine survenue récemment.
Le sénateur Fitzpatrick : Gouverneur Dodge, je vous remercie de vos commentaires sur la productivité, et comme le président l'a indiqué, le comité examinera cette question plus tard cette année. Il est peu probable que nous vous demandions de comparaître devant le comité à cette fin. Si vous me le permettez, j'aimerais profiter de votre présence parmi nous aujourd'hui et vous demander si vous voulez bien nous indiquer votre opinion quant aux conséquences que l'élimination des obstacles au commerce interprovincial aura sur notre économie et notre productivité.
M. Dodge : Monsieur le sénateur, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Nous faisons du travail sur la productivité à la banque et nous publions des données à ce sujet. C'est ce qui distingue notre travail de celui du ministère des Finances ou du ministère de l'Industrie. Nous nous intéressons aux aspects généraux et, par conséquent, nous ne travaillons pas à certains des aspects micro-économiques. Comme il se doit, ce sont d'autres personnes qui s'y intéressent de beaucoup plus près que nous.
Le sénateur Fitzpatrick : Votre réponse ne m'étonne pas mais je me suis dit que j'allais essayer.
Le sénateur Oliver : J'ai une brève question précise à propos de la fausse monnaie. Dans votre rapport annuel de 2003, vous dites, et je cite :
La Banque du Canada est chargée de fournir aux Canadiens des billets de banque sûrs, qui peuvent être utilisés en toute confiance. Au cours des dernières années, cette confiance a été menacée par l'accroissement de la contrefaçon imputable à la prolifération d'appareils faisant appel à une technologie très avancée et dont le coût est abordable.
En 2003, il y avait plus de 400 000 faux billets en circulation. C'est le double du nombre de faux billets enregistrés en 2002. Pourquoi la Banque du Canada, malgré tous les efforts qu'elle déploie et les listes qui ne cessent de s'allonger de nouveaux dispositifs de sécurité n'arrive-t-elle pas à contrer les faussaires?
M. Dodge : Monsieur le sénateur, les progrès technologiques survenus en 2002 et 2003 ont permis la contrefaçon professionnelle et d'une très grande qualité des billets de notre ancienne série et ont permis à des jeunes de contrefaire des billets de 10 $ d'une qualité passable dont ils se servent le samedi soir.
C'est la raison pour laquelle nous avons produit les nouveaux billets, en commençant par le billet de 100 $ au printemps dernier, le billet de 20 $ en septembre et le billet de 50 $ le 17 du mois. Nous utiliserons les mêmes caractéristiques sur le nouveau billet de 10 $ qui sera produit le printemps prochain.
Grâce à ces caractéristiques, il est beaucoup plus facile pour ceux qui manipulent de l'argent comptant de faire la distinction entre un billet véritable et un faux billet. Il devient par conséquent très difficile pour le faussaire de produire de faux billets de grande qualité.
M. Jenkins vient d'offrir de vous donner un billet de 20 $.
M. Jenkins : Simplement pour impressionner.
Le sénateur Oliver : À la même époque l'année prochaine, vous aurez...
M. Dodge : Cela risque de prendre un peu plus de temps. Nous sommes en train de retirer les anciens billets assez rapidement, mais ils ont toujours cours légal. Les billes de l'ancienne série sont toujours en circulation. Nous devrons nous pencher sur cette question à un certain moment, afin de déterminer quoi faire avec les billets de l'ancienne série qui sont toujours en circulation. Cependant, nous croyons que ces nouvelles caractéristiques seront d'une grande efficacité.
Le sénateur Moore : Le 16 novembre, le ministre des Finances, lorsqu'il a comparu devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, a indiqué que l'excédent au 31 mars 2005 du gouvernement du Canada s'élèverait à 8,9 milliards de dollars. La Banque du Canada calcule-t-elle et suit-elle l'excédent ou le déficit?
M. Dodge : Nous nous intéressons beaucoup à la situation de l'ensemble des gouvernements au niveau des comptes nationaux en raison des incidences qu'elle a sur l'économie. Par conséquent, nous en faisons des évaluations, sénateur.
Nous n'établissons pas de comptes publics. Nous ne nous occupons pas de cet aspect parce que cela n'influe pas directement sur nos activités, autrement qu'en tant qu'administrateur du solde bancaire du gouvernement, mais cela se fait davantage sur une base hebdomadaire.
Le sénateur Moore : Communiquez-vous le résultat de vos calculs au ministère des Finances?
M. Dodge : Oui. Nous discutons de la question des prévisions des comptes nationaux. Ils peuvent différer assez considérablement des comptes publics. L'objectif des comptes nationaux diffère de l'objectif des comptes publics.
Le sénateur Moore : S'agit-il d'une activité mensuelle ou trimestrielle?
M. Dodge : Nous tâchons de faire notre examen tous les trimestres parce que les chiffres concernant les comptes nationaux sont publiés tous les trimestres.
Le sénateur Moore : Est-il préférable pour l'économie du Canada que le gouvernement continue de rembourser sa dette, ou de consacrer des fonds aux programmes?
M. Dodge : Je répondrai de deux façons. Le gouvernement a une politique qui vise à réduire le rapport dette-PIB de 25 p. 100, approximativement, au cours de la période avant que les premiers membres de la génération du baby-boom prennent leur retraite. Il me semble qu'il s'agit d'une politique qui est formulée clairement et qui est très logique, parce qu'elle signifie que les coûts de service de la dette à ce moment-là seront nettement plus faibles et que, par conséquent, pour le même niveau d'imposition, le gouvernement du Canada sera en mesure d'assurer les services supplémentaires dont aura besoin une population vieillissante. Il me semble qu'il s'agit d'un objectif extrêmement sensé qu'il faut continuer à viser.
Le sénateur St. Germain : Ma question est très simple. Elle concerne les industries de la Colombie-Britannique, la région que je représente. Ce qui me préoccupe comme il se doit c'est l'accroissement de la valeur du dollar canadien. La productivité du pays s'adapte-t-elle aussi rapidement que la hausse du dollar? Si ce n'est pas le cas, que peut-on faire pour atténuer les pressions que connaissent un grand nombre d'entreprises qui exportent la plupart de leurs produits vers les États-Unis?
M. Dodge : Je répondrai à la première partie de la question, sénateur, parce qu'elle s'applique de façon générale à un certain nombre de secteurs dans certaines régions du pays. Il s'agit d'une question importante parce que, comme je l'ai dit au début, au cours des quatre dernières semaines, la valeur du dollar canadien a augmenté d'environ 6,5 p. 100 par rapport à la valeur du dollar américain. Cette augmentation rapide de notre devise a de toute évidence des répercussions négatives sur certains secteurs, certaines industries et certaines entreprises de notre économie.
Comme vous le savez, bien des entreprises ont eu particulièrement de la difficulté à s'adapter à la rapidité de l'appréciation. À la banque, nous sommes conscients des difficultés que cela cause. En fait, depuis plus d'un an il s'agit de l'un des thèmes centraux de notre analyse, à savoir les rajustements que doit subir l'économie, l'adaptation à l'évolution de la situation économique et financière mondiale, y compris la valeur élevée du dollar. Le défi pour nous a consisté à examiner les conséquences générales ou macroéconomiques. C'est là vraiment que réside notre rôle et c'est la raison pour laquelle j'esquiverai la deuxième partie de votre question.
Même lorsqu'on se penche sur les questions macroéconomiques, il faut évaluer les raisons qui expliquent ces mouvements du taux de change. Je suis désolé, monsieur le président, de prendre un peu plus de temps, mais c'est un aspect important. De façon générale, il y a deux facteurs qui interviennent. L'un, c'est la vigueur de notre économie, en Colombie-Britannique en particulier, à cause de la vigueur et de la taille de nos secteurs de produits primaires. Ils ont fait preuve d'une grande vigueur et traduisent la vigueur de la demande mondiale.
Le deuxième facteur est celui dont nous avons parlé plus tôt, la baisse plutôt généralisée du dollar américain par rapport à l'ensemble des monnaies, ce qui explique pourquoi, lorsque l'on compare le taux de l'euro par rapport au taux du dollar canadien ou le taux du dollar australien par rapport au dollar canadien, ils paraissent relativement stables.
Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas de toute évidence nous soustraire des influences qui s'exercent à l'échelle mondiale. C'est une très bonne chose que le prix des minéraux entre autres augmente, mais il n'est pas si facile de s'adapter à un dollar américain dont la valeur diminue.
Comme je l'ai déclaré dans mon exposé, en ce qui concerne la politique monétaire, notre travail consiste à évaluer les incidences du mouvement du dollar sur la demande générale, en ajoutant tous les plus et les moins, et en établissant une politique nous devons assurer l'équilibre du total de l'offre et de la demande.
C'est effectivement un problème, et nous reconnaissons que certaines industries et certaines entreprises se trouvent effectivement prises dans le processus de rajustement.
Depuis la mi-octobre, la valeur du dollar américain a diminué encore plus par rapport à la valeur des principales monnaies flottantes. Cela s'est produit au cours des quatre dernières semaines, à un moment où les prix des produits de base n'ont pas augmenté. En fait, les prix du pétrole et du gaz naturel ont légèrement baissé. D'ici à ce que nous prenions notre décision en décembre, nous devrons travailler d'arrache-pied et examiner les incidences de la situation ici sur le marché des changes, mais bien entendu, il y a beaucoup d'autres choses qui sont en train de se produire.
Au cours des semaines qui précéderont notre annonce à la date préétablie du 7 décembre, nous réunirons toute l'information que nous avons reçue, toute la série de renseignements dont nous disposons, et comme nous le faisons avant chaque annonce à date préétablie, nous devrons évaluer cette information.
Le sénateur Angus : Monsieur le gouverneur, j'aimerais que l'on boucle la boucle sur cette question, et je conviens avec vous que cela semble être le message central que vous nous transmettez aujourd'hui. J'ai écrit et j'ai souligné un mot de deux lettres que vous avez utilisé dans votre exposé. Vous avez dit « si » les taux de change actuels devaient persister, et « si », et vous avez insisté sur cet aspect, tous les autres facteurs économiques et financiers restaient inchangés, cela aurait alors un effet modérateur. Pourtant, d'après ce que je crois comprendre, la semaine dernière, et vous faisiez peut-être simplement allusion au niveau du dollar canadien et non à tous les autres facteurs en question, vous avez indiqué que vous ne considériez pas que ces niveaux étaient inappropriés. C'est ainsi que vous ont cité les médias locaux.
Quelles sont vos prévisions à ce stade-ci; le dollar se maintiendra-t-il à ces niveaux ou non?
M. Dodge : Monsieur le sénateur, je suis très heureux que vous m'ayez posé cette question parce qu'elle me donne l'occasion de rectifier ce qui a été rapporté dans les journaux.
J'ai indiqué qu'à l'époque où nous avons rédigé le rapport sur la politique monétaire il y a quatre semaines, et comme je l'ai déclaré dans le rapport, le mouvement général du dollar canadien à la hausse par rapport au dollar américain au cours de cette période n'était pas inapproprié, compte tenu de la vigueur des prix des produits de base et de la demande mondiale. C'est ce que j'ai dit, et je faisais allusion à ce que nous avons dit ici, et non pas à ce qui s'est passé depuis la publication de ce rapport.
Le terme « inapproprié » signifie, en langage économique, qu'un prix augmente ou diminue pour tâcher d'équilibrer l'offre ou la demande. Lorsque la demande pour les produits canadiens était à la hausse, il n'était pas inapproprié que la valeur entre autres du dollar canadien augmente. Nous avions connu des améliorations au niveau du commerce, et il n'est donc pas étonnant que la valeur du dollar canadien ait augmenté.
Notre travail, lorsque nous nous réunissons avant notre date préétablie du 7 décembre, consiste à évaluer ce qui s'est passé depuis, ce qui est légèrement différent, parce que nous avons assisté à une dépréciation du dollar américain et les termes de l'échange n'ont pas beaucoup changé au cours de cette période.
Le sénateur Meighen : Je suis revenu de Londres il y a deux jours. Là-bas, on est très consterné par la valeur du dollar américain. En fait, on parlait dans la presse de soutenir la monnaie. Je crois qu'il y avait un article dans le National Post vendredi dernier qui émettait des hypothèses dans le même sens.
Existe-t-il une disposition prévue par la loi qui empêcherait la Banque du Canada de participer au mouvement s'il devenait nécessaire de soutenir le dollar américain, et comment procéderiez-vous?
M. Dodge : Tout d'abord, nous administrons le compte du fonds d'échange au nom du gouvernement du Canada. Nous avons une politique claire, élaborée avec l'aide du gouvernement, quant aux circonstances dans lesquelles nous interviendrions. Cette politique se trouve sur notre site Web. J'invite chacun d'entre vous à en prendre connaissance. Elle indique que nous n'envisagerions d'intervenir qu'uniquement dans les circonstances extrêmement inhabituelles d'une désorganisation du marché. Autrement, je vous dirais franchement qu'il est nettement préférable de laisser les acteurs du marché parier les uns contre les autres plutôt que contre Sa Majesté.
Le sénateur Meighen : Par « intervention » voulez-vous dire une intervention à l'échelle nationale et aussi, par exemple, à l'échelle mondiale pour soutenir le dollar américain?
M. Dodge : Monsieur le sénateur, je vous remercie de revenir à cette question. Cela signifie une intervention sur le marché des changes.
Le sénateur Meighen : Pouvez-vous intervenir sur le marché canadien, par exemple, de votre propre initiative?
M. Dodge : Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « intervenir ».
Le sénateur Meighen : Je ne suis pas suffisamment vieux pour me rappeler de l'époque où nous craignions que la valeur du dollar canadien diminue de façon inquiétante. Si je me souviens bien, la Banque du Canada avait effectivement acheté des dollars canadiens, ou vendu des dollars américains.
M. Dodge : C'est ce que j'avais cru comprendre que vous me demandiez. Lorsque nous agissons ainsi, nous le faisons au nom du gouvernement du Canada. Le compte du fonds des changes appartient au gouvernement du Canada. Nous l'administrons en son nom, à titre de mandataire plutôt que de responsable.
Le sénateur Meighen : Par conséquent, cela se fait selon les instructions du gouvernement?
M. Dodge : C'est exact.
Le président : Monsieur le gouverneur, et monsieur le sous-gouverneur, je tiens à vous remercier d'avoir assisté à notre réunion. Cet échange a été intéressant, franc et instructif.
Je dois vous dire, monsieur le gouverneur, qu'à l'occasion de mes voyages en Europe, chaque fois que je parle à des membres d'une institution financière, ils me disent à quel point la réputation de votre banque vous précède. Nous avons une image plus claire de nous-mêmes à l'étranger qu'ici. Je tiens à vous dire ainsi qu'à l'ensemble de vos collaborateurs à quel point la banque est tenue en haute estime par le monde entier. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons une économie saine et une comptabilité saine. Je tiens à vous remercier des témoignages que vous nous avez présentés aujourd'hui.
M. Dodge : Je vous remercie, sénateurs. J'ai été très heureux de pouvoir me joindre à vous.
La séance est levée.