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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 2 février 2005


OTTAWA, le mercredi 2 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-19, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), se réunit aujourd'hui à 16 h 8 pour étudier ledit projet de loi.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous sommes réunis pour étudier le projet de loi S-19, un projet de loi d'initiative parlementaire, qui a pour but de modifier le Code criminel en ce qui concerne les taux d'intérêt criminels. Nous sommes ravis qu'un membre de notre comité ait jugé bon de porter aussi rapidement qu'elle l'a fait ce projet de loi à l'attention de notre comité.

Cette réunion est télédiffusée partout au Canada par le réseau CPAC. Pour la deuxième ou troisième fois dans l'histoire du Canada, nos délibérations seront également diffusées dans le monde entier sur Internet. Ce que vous direz sera donc entendu non seulement dans les coins les plus reculés du Canada, d'un océan à l'autre, mais également par delà tous les océans aux quatre coins de la planète.

Le sénateur Harb : Je pense que Toronto est une ville merveilleuse.

Le président : Je le sais et je tiens à remercier mon collègue, le sénateur Harb, de l'avoir ainsi signalé. Nous sommes ravis de recevoir comme premier témoin le parrain de ce projet de loi fort intéressant, l'honorable Madeleine Plamondon. Sénateur, cette réunion vous est offerte. Nous espérons que vous pourrez boucler votre exposé en un temps raisonnable afin de donner aux collègues tout le temps voulu pour vous interroger au sujet de votre projet de loi. Honorables sénateurs, si vous avez consulté votre avis de convocation, vous aurez constaté que cette séance doit se terminer à 18 heures précises, ce qui donnera néanmoins au sénateur amplement le temps de nous exposer son projet de loi, et à nous le temps voulu pour lui poser nos questions. Lorsque cela sera fait, nous entendrons les représentants des ministères de la Justice et de l'Industrie, mais tout cela devra se faire avant 18 heures.

Sans plus attendre donc, sénateur, la parole est à vous.

[Français]

L'honorable Madeleine Plamondon, sénateur, parrain du projet de loi : Monsieur le président, vous me permettrez de m'exprimer en français et de vous donner tout d'abord une définition sur l'usure. Il est important de définir le mot « usure » comme je l'entends pour savoir pourquoi j'ai voulu que l'article 347 du Code criminel soit modifié.

L'usure est d'exiger un taux d'intérêt excessif par rapport à la pratique courante. Un taux est excessif ou abusif quand il est assez différent des pratiques usuelles. Il y a longtemps, l'argent était considéré comme un moyen d'échange et aucun intérêt n'était demandé. Aucune communauté ni aucune culture n'avait recours à cette pratique. On peut se demander si aujourd'hui il en reste encore de ces communautés. Il y aura certainement des témoins qui nous diront s'il en reste puisqu'ils sont spécialistes dans ce domaine.

Au Canada toutefois et au cours du XXe siècle, le législateur n'a jamais hésité pour intervenir en vue de protéger les emprunteurs qui étaient malmenés par des coûts de crédit abusifs et excessifs. À l'exemple de nos prédécesseurs de 1906, 1939 et de 1980, mon projet de loi invite le Sénat, et plus tard la Chambre des communes, à faire de même. Il faut favoriser une saine compétition, freiner les abus, éviter les taux d'intérêt excessifs et tenir compte de tous les frais.

Quel est l'objet de mon projet de loi? Il vise à modifier deux éléments de l'article 347 du Code criminel. Le premier élément est de ramener le taux usuraire à 35 points au-dessus du taux cible de financement à un jour — ce qu'on appelle le « prime rate » — et aussi refléter la réalité contemporaine. En utilisant la formule de taux flottant, le taux usuraire suivra les fluctuations du taux cible de financement à un jour et ne deviendra pas irréaliste quand le « prime rate » changera. Le taux cible de financement à un jour est de 2,5 aujourd'hui. Le maintien du taux usuraire au taux de 1981 est tout à fait hors norme et c'est une invitation aux abus dont je vais vous donner des exemples.

Le choix du nombre 35 reflète ce qui est raisonnable compte tenu des divers frais qui doivent être pris en compte dans le calcul des intérêts et compte tenu de différentes décisions des tribunaux canadiens en matière de clause abusive. Les journalistes m'ont déjà dit que cela devrait être au moins 20 p.100 mais 35 points au-dessus du taux de financement de base de la Banque du Canada. J'ai calculé que cela couvrait les risques que pouvaient prendre certains prêteurs.

C'est d'ailleurs cette comparaison qui a amené l'Office de la protection du consommateur au Québec à adopter une politique à l'égard des permis des entreprises de prêt. L'office, d'après nos contacts, n'accorde pas de permis dans les cas où les taux de crédit demandé dépassent 35 p. 100 et cela inclut les frais d'assurance. Pour l'office, c'est une question d'intérêt public.

Les décisions judiciaires montrent aussi qu'il est essentiel que le Code criminel reflète la réalité économique. En effet, les tribunaux de common law utilisent le Code criminel en conjonction avec d'autres lois de protection du consommateur et de redressement de clauses abusives. Au Québec, c'est le Code civil et la Loi sur la protection du consommateur qui sont utilisés pour annuler des taux jugés excessifs même s'ils n'atteignent pas 60 p.100.

La nécessité d'avoir une disposition sur le taux usuraire dans le Code criminel est importante. Ce code doit refléter les valeurs de notre société. Le deuxième élément visé par le projet de loi est la définition du mot « intérêt » dans ce même article 347. Actuellement cette définition exclut, dans le calcul des intérêts, les frais d'assurance payés par l'emprunteur. On sait que c'est automatique : les frais d'assurance, on les propose et on demande de l'intérêt sur ces frais.

On ne trouve rien dans la documentation consultée qui explique pourquoi les frais d'assurance payés par l'emprunteur ne sont pas pris en compte dans le calcul des intérêts; c'est une situation paradoxale.

En somme, c'est un risque. Le taux d'intérêt est pour couvrir le risque. C'est comme si on disait : On va le couvrir en double, en demandant de l'assurance sur le solde du prêt et on va vous prêter l'argent pour s'assurer là-dessus et on va vous charger des intérêts en plus.

Je savais qu'en acceptant la nomination au Sénat, — cela ne fait pas très longtemps que je suis ici, cela fait un an et quelques mois et j'en ai encore pour un an et quelques mois — je demanderais à être membre du Comité des banques et du commerce. Pourquoi? Parce toute ma vie, j'ai défendu les petites gens devant des abus et particulièrement dans le système financier. Il y a eu la bataille des frais bancaires. Cette bataille qui commence en est une à finir contre l'usure.

Qu'est-ce ce qui m'a motivé en plus? Un citoyen de ma région avait fait un emprunt dans une compagnie de finance en septembre 2002 à un taux d'intérêt inscrit au contrat. Si vous le permettez, j'ai un carton expliquant l'affaire. Vous allez le voir ici. Le capital net est de 4 468 09 $.

Le sénateur Angus : C'est un exemple réel.

Le sénateur Plamondon : C'est un contrat réel et j'ai apporté une copie du contrat. Il est extrait d'un contrat réel en 2002.

Le capital net est de 4 468,09 $. L'intérêt chargé est de 35,99 p.100. Cela représente 4 018 68 $. C'est un paiement étalé sur quatre ans. La prime de l'assurance qu'on lui demande de prendre est de 1 055 37 $, divisé comme ceci : l'assurance-solde pour le prêt est de 232 85 $. Cela n'a rien à voir avec une assurance-vie que le consommateur peut garder et rapporter chez lui après.

Le sénateur Angus : C'est une assurance de crédit?

Le sénateur Plamondon : Une assurance de crédit sur le solde.

L'assurance invalidité est toujours sur le crédit ; si notre consommateur devient invalide, l'assurance est de 822 52 $. En tout cela fait un total de 949 22 $, l'intérêt sur le 1 055 $. Donc, vous avez un total de frais de crédit pour toute la durée du prêt qui est de 6 023,27 $. Le consommateur, s'il n'est jamais en retard dans ses paiements — on sait qu'avec des taux comme ceux-ci, des gens qui sont mal pris peuvent être en retard et faire monter les frais — cela va faire un total à débourser de 10 491 36 $, ce qui donne un taux réel de crédit de 50,63 p.100. Il est obligatoire au Québec de l'inscrire comme étant un taux de crédit. Ce que je demande, c'est que le taux de crédit devienne le taux d'intérêt puisque c'est fait pour couvrir la même chose, le même risque.

C'est pour cela que la première partie de mon projet de loi est de faire baisser le taux qui est déclaré criminel, et la deuxième est de faire inclure l'assurance.

L'article 347 du Code criminel comme il est actuellement est dépassé. Quand l'article 347 est entré en vigueur, en 1981, le taux d'escompte de la Banque du Canada était de 20 p.100 et plus. Je ne sais pas si vous vous souvenez — habituellement, les sénateurs sont assez vieux pour se rappeler de cela. Cela a favorisé le développement d'une note de crédit à taux très élevé. L'effet direct, c'est que l'endettement est encore plus profond, ce qui garde les gens dans la misère et les oblige a étirer un contrat de prêt d'argent comme celui-là, et ce qui donne en réalité des montants à débourser qui sont beaucoup plus élevés que ce montant.

Qu'est-ce qu'on retrouve aujourd'hui sur le marché? Je dirais que quand j'ai commencé ma carrière de défense de la protection des consommateurs, je me battais déjà contre les compagnies de finance. Je suis en train encore de me battre contre ces compagnies. C'est comme de la mauvaise herbe. Il y a, en plus, la croissance d'une nouvelle industrie, l'industrie du crédit alternatif, qui dépasse les compagnies de finance. Vous allez entendre comme témoin une association qui inclut les compagnies de finance, mais qui comprend aussi toutes sortes de formes de crédit alternatif. On se retrouve donc avec des établissements de crédit qui prêtent à des taux énormes. Les citoyens sont acculés au pied du mur et doivent collectivement prendre la route des tribunaux. C'est pour cela qu'on se retrouve au Canada avec tellement de recours collectifs parce que les gens en ont ras le bol de ce type d'industrie.

On pourrait se demander pourquoi il y a une telle croissance de ces crédits. On est dans un système qui ne facilite pas l'accès au crédit pour des petits montants. Il n'est pas profitable, pour une industrie financière traditionnelle, de prêter des montants de 100, 500 ou 1000 $. Mais avec l'informatisation, il y aurait des solutions. Et l'Association des banquiers canadiens, que nous allons entendre, pourrait nous en donner quelques-unes.

Il a été un temps où les gens sur l'aide sociale ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque. Les gouvernements, avec l'industrie traditionnelle financière, ont trouvé des moyens, ont donné des conditions, ce qui a facilité l'accessibilité aux comptes bancaires pour tous. Il faut trouver maintenant des solutions qui ne sont pas des solutions pour creuser encore l'endettement, mais des solutions pour aider les gens.

Le projet de loi que je propose se base aussi sur ce que j'ai vu dans d'autres juridictions. Dans mon discours à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat, j'avais apporté quelques exemples. En Californie, je vous rappelle que le taux d'intérêt usurier est de 10 p.100; en Floride, 18 p. 100; au Texas, 18 à 28 p. 100; à New York, 16 p.100 au civil et 25 p. 100 au criminel; en France, 20,85 p. 100; en Italie 19,28 p. 100 ; en Allemagne, 17,40 p. 100. Et nous, on est à 60 p. 100. Il me semble qu'il y a quelque chose à faire pour rabaisser ces taux afin qu'ils soient un peu plus proches de la réalité.

En conclusion, je crois qu'il faut faire comme les législateurs précédents. Regarder ce qu'est l'usure, la ramener à des taux raisonnables, et inclure les assurances dans la définition de l'intérêt, puisque les assurances ne sont pas prises avant un prêt, ni après un prêt, mais qu'elles font partie intégrale du prêt.

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant passer aux questions en commençant par le sénateur Angus, le vice-président du comité.

[Français]

Le sénateur Angus : Madame le sénateur, je vous souhaite la bienvenue comme témoin et vous félicite pour cette impressionnante initiative.

Ma question est assez simple. Je voudrais m'assurer que je comprends. Le taux criminel actuel au Canada est de 60 p.100. Comme vous l'avez dit, c'est inscrit dans le Code criminel.

Le sénateur Plamondon : Oui.

Le sénateur Angus : Est-ce que c'est le taux criminel le plus haut au monde? Vous avez fait des recherches. Vous avez cité beaucoup d'exemples.

Le sénateur Plamondon : Je ne sais pas s'il y en a des plus hauts. Je n'ai pas fait le tour des usuriers, mais il y en a certainement qui prêtent à plus haut taux. Dans les lois, je n'ai rien trouvé de plus élevé que 60 p. 100.

Le sénateur Angus : Vous avez choisi 35 p. 100 au-delà du taux préférentiel au Canada. Vous nous avez mentionné que certains journalistes vous ont demandé pourquoi pas 20 p.100, par exemple. Pouvez-vous nous dire pourquoi? Je trouve vos arguments très impressionnants, mais pourquoi êtes-vous satisfaite avec 35 p. 100?

Le sénateur Plamondon : C'est vrai que 35 p.100, c'est élevé. Des groupes de consommateurs l'ont dit aussi : 35 p. 100, en plus du taux préférentiel. Du moment où le taux préférentiel va monter, le taux sera encore plus élevé. J'essaie, pour être réaliste et rendre le marché équitable, de couvrir le risque réel. Donc, pour la clientèle qui a besoin peut-être de prêt et qui n'en trouve pas à des taux où les gens qui sont plus à l'aise financièrement peuvent négocier, cela me semblait couvrir le risque réel. Je ne vous dis pas que cela pourrait être jugé excessif dans certaines circonstances, mais on parle de taux d'intérêt criminel. Il faut faire attention. Donc, j'ai préféré être du côté le plus sûr et prendre 35 p. 100.

Au Québec, on a contacté l'Office de la protection du consommateur qui nous a affirmé que les permis qui sont accordés pour prêter, maintenant, ne sont plus accordés à ceux qui demandent plus de 35 p. 100, incluant l'assurance.

Mais, afin de juger que les taux demandés sont excessifs, il faudrait poursuivre les prêteurs en cour.

Le sénateur Massicotte : Merci, madame le sénateur. J'ai lu vos rapports ainsi que les soumissions, et vous avez mon appui quant à l'objectif que vous visez.

Cependant, le problème est dans toutes les complications qui entourent cet objectif. Supposons que je sois usurier, et que quelqu'un veut m'emprunter 100 $, je me dirais qu'afin de compenser la perte de temps à remplir des formulaires et les risques de non collection, pour un montant de 100 $, je vais peut-être demander 10 $ d'intérêt. Donc, je demanderais un remboursement de 110 $ dans deux semaines. Ce n'est pas déraisonnable pour tous les problèmes que cela me cause. Mais 10 $ pour deux semaines, cela équivaut à 260 p.100 d'intérêt.

Le problème que j'ai avec cela est du côté affaires, les frais de participation, les débentures convertibles, et dans ce cas, dépendant du succès de l'action en question, il se peut que le taux d'intérêt excède 50, 60 ou même 70 p.100.

J'aimerais comprendre comment on peut définir cela, si on exclut toutes ces choses, si le coût du prêt est de 10 ou 15 $, comment peut-on arriver à l'objectif visé sans préjuger ces compagnies? On ne peut forcer ces compagnies à consentir des prêts et exiger moins d'intérêt que le coût du prêt. Quelle est la solution?

Le sénateur Plamondon : Certains rapports indiquent que c'était 15 $. Je vais vous donner un exemple. Il y a un mois, un consommateur d'Ottawa m'a dit que pour un prêt de 350 $, il lui en a coûté 461,49 $ pour six jours. On est loin du 15 $. Le truc dans cela, c'est de demander 59 p.100 pour être en dessous du 60 p. 100 et demander des frais de courtage de 91,41 $. Alors, reprenez votre argument.

Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord que c'est excessif, mais il y a bien des cas où ce ne serait pas excessif. Mon exemple de 100 $ et de 10 $ ne semble pas très cher, mais c'est très élevé quand vous calculez le taux d'intérêt.

Le sénateur Plamondon : Lorsqu'on parle de ces entreprises, on ne parle jamais de 10 $. Les frais de courtage sont beaucoup plus élevés.

Le sénateur Massicotte : Vous dites que de demander 10 $, serait raisonnable, mais dans ce cas-ci, cela veut dire 260 p.100.

Le sénateur Plamondon : Je suis contre le taux 260 p. 100. Voler, c'est voler. Un petit vol, un grand vol, les sanctions seront différentes, mais il reste que c'est du vol. Si vous conduisez en état d'ébriété avec 0,8 mg/ml d'alcool dans le sang et que vous avez 0,9 mg/ml, entre 0,9 mg/ml et trois fois 0,8 mg/ml, ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Massicotte : Si vous me dites qu'il est illégal de faire un prêt de 100 $ avec des frais de courtage de 10 $, je n'en ferai plus.

Le sénateur Plamondon : Vous n'en ferez plus.

Le sénateur Massicotte : Mais pour le consommateur qui a besoin de cet argent et qui emprunte sur son futur chèque de paie à tous les Money Mart de ce monde, qui offrent un service quand même, qui va en souffrir?

Le sénateur Plamondon : Quel service? Vous appelez cela un service? Ce n'est pas un service. Le service pourrait être offert dans les banques traditionnelles si elles étaient en mesure d'offrir un meilleur accès au crédit, soit pour une marge du crédit ou une protection contre découvert ou autre. Ne vous inquiétez pas, les institutions financières ont de l'imagination et seraient capables de le récupérer.

Le sénateur Massicotte : Vous dites cela, mais le directeur de la caisse populaire n'est pas intéressé à consentir des prêts de moins de 5 000 $ à cause des frais d'administration. Il faudrait en débattre.

Le sénateur Plamondon : Il a été un temps où une personne ne pouvait pas ouvrir de compte parce que ce n'était pas rentable. Les ministères ont consulté des groupes de consommateurs et établi une liste de critères pour ouvrir un compte de banque et maintenant tout le monde a accès à un compte de banque. Il s'agit de trouver des solutions et l'une d'entre elles n'est pas de donner un permis pour faire des prêts usuraires.

Le sénateur Hervieux-Payette : Pour clarifier le taux d'intérêt, il semble qu'on additionne certains autres coûts.

En principe, pour acheter une voiture ou autre, je fais un prêt au consommateur et on m'indique que le taux d'intérêt est de 8 p. 100, et je vais payer 8 p. 100. Il semble que plus les sommes sont petites, plus le consommateur représente un risque. Le taux d'intérêt est un certain montant et d'autres charges sont ajoutées et ne sont pas calculées dans le taux d'intérêt. Dans le cas présent, on parle de l'assurance. Cette assurance continue-t-elle après l'extinction du prêt? Est-elle directement reliée au prêt? Assure-t-elle l'emprunteur ou le prêteur?

Le sénateur Plamondon : C'est la question que nous nous sommes posés pour faire la proposition. L'assurance ne couvre que le prêt, la vie et l'invalidité de l'emprunteur pour le terme du prêt, elle couvre donc le risque.

D'ailleurs, en France, une directive européenne dit que maintenant, l'assurance qui sera prise au même moment que le prêt, fera partie des coûts du prêt. L'idéal serait que le consommateur arrive dans une institution financière avec sa propre police d'assurance, la mette en garantie d'un prêt, la reprenne après et demeure assuré puisqu'il paie la prime. L'exemple donné ici montre qu'on vous prête de l'argent et, au même moment, on vous dit que le gros pourcentage d'intérêt exigé n'est pas suffisant. Le taux de 35,99 p. 100, n'est pas assez. Ils vont vous faire prendre une assurance invalidité sur le prêt et une assurance sur le solde. Vous n'avez pas d'argent évidemment puisque vous venez me voir pour un prêt à 35,99 p. 100. Ils vont donc vous prêter votre assurance à 35,99 p. 100. Cela s'ajoute aux frais. C'est comme avoir une ceinture et des bretelles.

Le sénateur Hervieux-Payette : À part l'assurance, y a-t-il d'autres coûts ou frais d'administration reliés et que vous voulez inclure dans l'intérêt?

Le sénateur Plamondon : Je n'ai pas changé la définition de l'article 347, j'ai seulement ajouté l'assurance. Je n'ai pas inventé l'article 347. Il y a déjà, dans le Code criminel, certains frais compris dans la définition de l'intérêt. J'ajoute l'assurance puisque je calcule que ce sont des frais reliés au prêt.

Le sénateur Harb : Ce que vous avez expliqué ne s'applique probablement pas en Ontario étant donné que nous sommes obligés d'indiquer le coût total du prêt au consommateur incluant les frais d'administration, de l'assurance, et cetera. Avez-vous fait des études dans toutes les provinces?

Le sénateur Plamondon : Au Québec c'est un contrat et il y a une obligation de divulgation.

[Traduction]

Le président : Sénateur, auriez-vous l'obligeance de bien vouloir déposer le document auquel vous faites allusion car il ne fait pas partie du compte rendu officiel et il est important que nous puissions le consulter. Si vous y consentez, nous le verserons donc au compte rendu officiel.

[Français]

Le sénateur Harb : La question dont on discute ici, c'est celle du marché des crocodiles. On ne parle pas des marchés bancaires que l'on connaît ou bien des banques de micro-crédit.

Ce n'est pas une question de 4 $ ou de 5 $ ou même une question de 10 000 $, parce que les banques n'exigent pas ces montants. Nous parlons de quelque chose qui est extérieur au système. Dans des pays développés ou en sous- développement, des banques européennes exigent des taux d'intérêt de l'ordre de 40 p.100 pour les consommateurs de micro-crédit.

Selon votre projet de loi, c'est criminel. Mais franchement, d'après ce que j'ai vu, en bas de 40 p.100 d'intérêt, ce n'est pas faisable pour les banques et ils ne vont pas prêter à cause des coûts d'administration. D'autre part, ce qui va arriver, c'est que les gens qui reçoivent les bénéfices vont être affectés d'une façon négative. Êtes-vous au fait de cela?

Le sénateur Plamondon : Au début des années de la Loi sur la protection du consommateur au Québec, j'étais là, et on avait réussi à demander et à obtenir qu'il y ait des coûts de crédit divulgués en termes réels et en termes de taux. C'est ce que je vous ai montré et qu'il y a dans le contrat que je vais faire circuler.

Donc on sait que le taux d'intérêt est de 35,99 p. 100, mais que, avec tous les autres coûts, cela monte à 50,63 p. 100. Le fait de le dire et de ne pas l'inclure comme taux d'intérêt, c'est la prochaine étape que je veux aborder. Là c'est divulgué, vous avez raison, mais si le taux dépasse, à un moment donné, ce que l'on demande comme taux criminel, qu'est ce que cela nous donne de le divulguer? Quant à cela, si je demande juste la divulgation et que j`enlève toute notion d'intérêt criminel, vous pouvez dire que vous demandez 400 p. 100 et que tout est correct dans le meilleur des mondes, mais est-ce que c'est cela que l'on veut pour les Canadiens?

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : Merci beaucoup, madame, de votre exposé. Il suscite chez nous bien des interrogations, et je ne suis pas certain que nous puissions vider toute la question aujourd'hui. En apparence, 35 p. 100 semble un chiffre élevé par rapport aux chiffres que vous nous avez cités pour certains autres États comme la Californie. En Californie, ce chiffre était de 10 p. 100. Dans d'autres pays, en France par exemple, il peut aller jusqu'à 85 p. 100 pour des petits prêts. Il serait utile que vous nous donniez une comparaison plus détaillée des taux en vigueur au Canada par rapport aux taux pratiqués ailleurs, ce qui nous permettrait de faire quelques recherches.

Je voudrais également dire un mot au sujet des frais d'assurance qui semblent être un élément important du coût total. Ces frais représentent 25 p. 100 de l'intérêt facturé. Pouvez-vous me dire si la prime d'assurance diminue lorsqu'il s'agit d'une police à terme puisque le principal à rembourser diminue progressivement, ou s'il faut payer une seule fois pour toute la durée de l'échéance, c'est-à-dire quatre ans? C'était Mark Twain qui disait, je crois, que ce qui l'intéressait, c'était de pouvoir récupérer son argent, plutôt que ce que celui-ci lui rapportait. Il me semble qu'il s'agit là d'une question qui pourrait être posée à certains des établissements qui proposent ce genre de prêts.

Pouvez-vous nous fournir une comparaison plus détaillée que celle-là? Et pouvez-vous nous renseigner un peu mieux sur la façon dont ce genre d'assurance fonctionne?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Je peux vous dire tout de suite que les montants qui sont prêtés pour l'assurance sont toujours chargés au taux qui est inscrit à 35,99 p. 100 puisqu'ils sont prêtés. Cela fait partie du prêt; on prête de l'assurance. Donc c'est à 35,99 p. 100. Mais si on compte tout ce qui a été prêté, le coût total du prêt, c'est ce qui amène au taux de 50,63 p. 100. L'assurance est un prêt, on vous a prêté des fonds pour vous assurer.

Le sénateur Angus : C'est ajouté au montant?

Le sénateur Plamondon : Oui, c'est ajouté au montant.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ce n'est pas décroissant.

Le sénateur Plamondon : Non.

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : Cela ne diminue pas à mesure que le prêt diminue. Il s'agit d'un coût fixe qui fait partie du service du prêt.

[Français]

Le sénateur Plamondon : C'est décroissant à mesure qu'on s'en va et c'est ce qui fait que c'est un taux annuel décroissant. Un taux, c'est toujours annuel, là-dedans. Donc c'est toujours calculé sur le solde. Je l'ai souvent montré à des consommateurs : quand vous ne payez pas, un mois donné, votre solde va monter, donc c'est toujours le même taux, mais vous en devez plus à la fin. Si vous attendez trois mois avant de faire des paiements, vous devez encore plus, parce l'intérêt se rajoute sur le solde.

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : Je pense avoir compris, mais je ne suis pas certain que cela réponde à la question concernant le coût de l'assurance.

Je vous demandais ceci : au moment où vous contractez votre prêt, devez-vous souscrire une assurance couvrant la totalité du montant emprunté pour toute la période de remboursement du prêt? Le coût de l'assurance ne diminue pas à mesure que le principal est remboursé pour finir par atteindre zéro, c'est-à-dire à mesure que vous faites vos remboursements.

Le président : S'agit-il d'un montant fixe?

Le sénateur Fitzpatrick : C'est cela, s'agit-il d'un chiffre fixe?

[Français]

Le sénateur Plamondon : C'est un montant fixe, vous allez le voir dans le contrat que je vais faire circuler.

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : J'aimerais maintenant savoir si vous pourriez nous donner des chiffres plus péremptoires sur les coûts de ce genre de prêt, de même qu'un échantillonnage un peu plus fourni pour les différents pays dans le cas des petits prêts et des gros prêts.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Si vous parlez des petits prêts. Est-ce que vous parlez d'un réseau traditionnel ou d'un réseau alternatif?

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : Ce qui nous intéresse ici, ce sont les petits prêts. Je ne veux pas être plus précis que cela. Mais utilisons le chiffre que vous avez utilisé pour définir un petit prêt. Combien faut-il payer, mettons en France, en Californie ou ailleurs pour emprunter 1 000 ou 1 500 $ seulement, le genre de prêt que les gens ont du mal à obtenir? Quels sont les taux d'intérêt qui grèvent les prêts de ce genre dans certains de ces États?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Il faudrait diviser le crédit alternatif avec le crédit qui existe dans les banques ou l'industrie financière traditionnelle. Par exemple, il n'y a pas longtemps, la Chase Manhattan Bank, une des plus grandes banques aux États-Unis, s'inquiétant de la montée du crédit alternatif, a proposé de l'argent à des « credit unions »pour que des initiatives soient prise pour contrer l'augmentation de tout ce qu'on pouvait trouver comme crédit alternatif avec des taux de 300 p.100 ou de 400 p. 100. Il ne s'agit donc pas d'encadrer le taux de 400 p. 100, il s'agit de le dénoncer et de trouver des solutions pour aller contre l'usure. Il ne s'agit pas de dire qu'il y en a qui vont demander plus cher que cela. Comprenez-vous?

[Traduction]

Le sénateur Fitzpatrick : C'est ce que je pense. J'essaie de comparer des éléments qui sont comparables. Si vous vous basez sur ce qui se passe dans d'autres États, il faut que nous ayons plus d'informations sur les coûts réels de ces prêts à différents paliers dans différents États, ce qui nous permettrait de faire des comparaisons de manière à pouvoir déterminer si ce qui se fait ici est juste ou à tout le moins semblable à ce qui se fait ailleurs.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Ce que je vous ai donné là, je l'ai obtenu par une recherche de la Bibliothèque du Parlement. Je pourrais leur demander de fouiller un peu plus sur ce que vous avez demandé.

[Traduction]

Le président : Certains de ces éléments pourraient être évoqués à nouveau lorsque nous entendrons les autres témoins, mais puisque c'est vous qui parrainez le projet de loi, il serait utile pour nous que vous puissiez en tenir compte.

Le sénateur Moore : Merci de nous soumettre cette initiative, sénateur.

S'agissant du tableau que vous donnez en exemple, quel est le pourcentage du montant total que cette somme de 949,21 $ représente? Qu'est-ce qui fait partie des autres éléments?

[Français]

Le sénateur Plamondon : C'est l'intérêt que l'on vous facture sur l'assurance.

[Traduction]

Le sénateur Moore : C'est l'intérêt qui grève la prime d'assurance?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Oui, monsieur le sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je suis absolument abasourdi d'apprendre cela. J'en reste muet.

Le président : Une toute petite question de la part du sénateur Angus.

[Français]

Le sénateur Angus : Êtes-vous satisfaite que les mots dans votre projet de loi, au deuxième paragraphe, sont suffisants pour comprendre l'assurance? Dans le sommaire, il est clair qu'ils visent également à inclure dans le calcul du taux d'intérêt les frais assumés par l'emprunteur pour souscrire à une police d'assurance. Cela est clair et net. Mais dans les mots actuels de cette clause, on ne mentionne pas l'assurance d'aucune façon. On parle des frais mais sûrement que vous avez examiné soigneusement ces clauses.

Le sénateur Plamondon : Cela inclut l'assurance dans ce que j'ai préparé.

Le sénateur Angus : Pourquoi ne pas mentionner le mot?

Le sénateur Plamondon : Dans le projet de loi lui-même?

Le sénateur Angus : Oui.

Le sénateur Plamondon : Bien sûr, c'est mentionné.

Le sénateur Angus : Je ne le vois pas.

[Traduction]

Le président : Voyons les notes explicatives parce qu'à mon avis, le sénateur Angus évoque ici une question importante.

Le sénateur Angus : Pour un avocat, ce n'est pas couvert.

Le président : On en parle dans les notes explicatives. Consultez plutôt les notes explicatives que le projet de loi.

Le sénateur Angus : Je les ai lues mais elles ne font pas partie du texte à proprement parler de la loi.

Le président : Ces notes disent ceci : « ... exclut un remboursement de capital prêté, les frais d'assurance... » cela ne fait pas partie de l'intérêt.

[Français]

Le sénateur Plamondon : On le remet dans le texte de la loi.

Le sénateur Angus : Dans les notes explicatives, à l'article 1, Texte des définitions, il est écrit que : « La présente définition exclut un remboursement du capital prêté ou à prêter. » J'ai examiné la clause et le mot assurance ou le coût d'assurance, même le courtage n'est pas mentionné.

Le sénateur Plamondon : Les frais d'assurance.

Le sénateur Angus : D'après moi, les notes explicatives ou le sommaire ne fait pas partie de la loi.

Le sénateur Plamondon : Dans l'article 1, dans le texte des définitions, il y a les frais d'assurance. C'est écrit ici.

Le sénateur Angus : Ce n'est pas écrit dans le projet de loi que j'ai devant moi.

[Traduction]

Le président : Il s'agit d'une question de libellé fort importante. J'en ai également une autre à poser.

Sénateur Massicotte, vous pourrez peut-être poser votre question et, en passant, sénateur Plamondon, vous aurez tout le loisir de répondre par écrit d'ici la fin, ou alors au moment de donner votre conclusion. Mais ne répondez pas immédiatement aux questions si vous ne connaissez pas la réponse complète. Nous recevrons volontiers vos réponses par écrit ou vos commentaires ultérieurement.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Le but principal du projet de loi est de dire qu'il y a une partie de la population qui n'a pas les moyens, l'éducation, n'est pas dans une position de force égale au prêteur ou qui n'apprécie pas le vrai taux d'intérêt demandé. Je présume qu'on se dirige vers cette clientèle. Accepteriez-vous que pour les prêteurs les plus importants, les corporations, que le taux criminel ne s'applique pas à eux? Si une compagnie prête 10 millions de dollars, un prêt participatif et que la valeur de l'action augmente et qu'on fait un profit de 75 p. 100, est-ce que cela vous dérange ou si on peut exclure ces corporations des prêts personnels?

Le sénateur Plamondon : C'est parce que vous avez la Charte des droits et libertés. Comment expliqueriez-vous que vous pourriez demander à quelqu'un un taux de plus de 60 p. 100 ou inférieur à 35 p. 100, ce qu'on propose, et qu'à un autre vous ne pourriez pas le demander?

Le sénateur Massicotte : J'ai l'honneur d'avoir fait beaucoup de prêts. Je ne sais pas si c'est positif ou négatif. De temps en temps, on fait un prêt participatif. On se prête de l'argent, une débenture convertible, si vous voulez, et on a le droit de le convertir en actions de la compagnie si cela va bien. L'action monte, le prêteur convertit son prêt en action. Conséquemment, il a fait 75 p. 100 de son argent. Je suis très heureux, moi aussi, j'ai fait beaucoup d'argent. J'ai partagé mes profits futurs. Cela ne m'offusque pas. J'étais au courant du prêt, de cette condition. Le but de la loi ne devrait pas s'appliquer à moi. Je suis au courant des taux d'intérêt. J'ai pris ce risque. Je savais que je payais au pire 8 p. 100 et non 75 p. 100. Dans ce cas, il faudrait exclure cette catégorie de gens qui prennent des risques en toute connaissance de cause et tout le pouvoir de négocier une transaction équitable.

Le sénateur Plamondon : Quand j'ai présenté le projet de loi, je visais les compagnies de finance. C'est là que les gens s'endettent encore plus. Je n'ai pas pensé, honnêtement, aux corporations alors. J'ai pensé à empêcher les petite gens de s'embourber avec les compagnies de finance. C'est le but de mon projet de loi.

[Traduction]

Le président : J'aurais contrairement plusieurs questions à poser. De toute évidence, ce projet de loi intéresse les plus vulnérables de nos concitoyens et le Sénat est précisément là pour protéger les éléments les plus vulnérables de la société canadienne de la même façon que ceux qui peuvent se protéger eux-mêmes. Pouvez-vous toutefois nous donner une idée de l'ampleur du problème? Avez-vous des statistiques ou pouvons-nous en obtenir pour nous donner une idée de l'envergure du problème, c'est-à-dire du pourcentage de la population ainsi touchée? Est-il important? Est-il relativement faible? Je ne veux pas dire par là que nous ne devrions pas nous en soucier si le pourcentage est faible, quoique notable. Je le répète, nous sommes-là pour protéger non seulement les riches, mais aussi les pauvres. Il nous serait fort utile de pouvoir nous faire une idée de l'envergure du problème au Canada.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Je pourrais faire parvenir ces documents au comité. Selon mon expérience, quand les gens s'adressent à une compagnie de finance, c'est qu'ils ne peuvent pas obtenir de prêts ordinairement. Vous l'avez dit, en bas de 5 000 $, les institutions financières sont réticentes à vouloir analyser des prêts. Je vise à trouver des solutions avec les institutions financières pour pouvoir faire accorder des prêts ou des protections de découvert ou des marges de crédit. On le sait, quand c'est rentable, les institutions trouvent les solutions.

Actuellement, il y a des étudiants à temps plein qui reçoivent des cartes de crédit quand ils ne travaillent pas et qui ont un crédit de 5 000 $. Quand les banques veulent solliciter quelqu'un, ils sont prêts à avancer de l'argent. On pourrait trouver des solutions et le fait de ne pas vouloir régler le problème, c'est ce qui est dangereux. Est-ce que les grandes institutions vont finir par servir seulement la population qui est rentable. Ils ont un autre rôle à jouer. Des solutions peuvent être envisagées. Il peut y avoir des campagnes d'éducation à partir des écoles pour le coût du crédit.

Actuellement, on ne dit pas à quelqu'un qui a de la misère à arriver d'aller acheter des tomates au dépanneur à trois fois le prix d'un autre magasin. On va lui montrer comment acheter. Il doit savoir comment magasiner son crédit. Et on ne peut pas dire que ce client ne nous intéresse pas et l'envoyer dans une compagnie de finance. Je veux éviter que les gens s'endettent jusqu'au cou.

[Traduction]

Le président : Je vous en sais gré. J'espère que les autres témoins nous aideront à comprendre la nature et l'envergure du problème. À mon avis, il y a un problème à nos yeux. Vous nous en avez fait la preuve. La question qui se pose maintenant est de savoir quelle est la meilleure solution à ce problème, et vous nous en avez proposé une.

Permettez-moi maintenant de revenir au projet de loi tel que vous nous l'avez exposé en vous posant deux petites questions.

Je sais que les taux d'intérêt sont calculés quotidiennement, mensuellement, annuellement et semi-annuellement. Lorsque je regarde la définition du taux criminel, je lis qu'il s'agit du taux d'intérêt annuel effectif. Cela veut-il dire qu'il s'agit du taux cumulatif effectif, peu importe que l'intérêt soit calculé quotidiennement, mensuellement, semi- annuellement ou trimestriellement? Lorsque vous faites le calcul, comme nous l'avons tous fait pour calculer le remboursement d'une hypothèque, la nature du calcul qui est ainsi fait, l'effet de l'intérêt composé, fait une énorme différence lorsqu'on détermine ainsi le coût total ultime du prêt.

Lorsque, dans votre projet de loi, vous parlez d'un taux annuel effectif, vous voulez dire j'imagine, et je vous ouvre un peu la voie ici, et peut-être que je me trompe, le coût total du prêt en fonction du taux d'intérêt sur une année. C'est bien cela?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Il faut prendre une même formule, le taux annuel. Si je comprends bien, lors de la Loi sur la protection du consommateur, on parlait d'un taux annuel tout le temps.

[Traduction]

Le président : Pour terminer, je voudrais revenir au problème évoqué par le sénateur Angus et que je partage également. Lorsque je lis l'article 1, je vois que le premier paragraphe dit que l'intérêt est l'ensemble des frais de tout genre, ce qui s'entend peut-être, mais peut-être pas, des frais d'assurance, même si la note explicative semble contredire ce texte. Si on va un peu plus bas, on voit que vous excluez de la définition « ...le remboursement de capital traité, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie... » Je me demande ce que vous entendez ici par « taxes officielles »? J'ignore ce que cela veut dire. En second lieu, le « dépôt de garantie » — il se peut fort bien que pour un prêt de 100 $, comme le disait le sénateur Massicotte, il faille laisser un dépôt de 20 $. Ainsi, un taux de 35 p. 100 grimperait-il automatiquement à 45 ou à 50 p. 100? Lorsque vous excluez cela, comment pouvons-nous avoir une complète certitude étant donné qu'il s'agirait d'un délit et qu'il faut que nous puissions prouver péremptoirement aux tribunaux que c'est cela que nous voulons? Pouvez-vous répondre à cela? Ce ne sont pas des questions simples. Si vous voulez y réfléchir et nous fournir une réponse écrite plus tard, cela ne poserait pas problème non plus.

[Français]

Le sénateur Plamondon : J'ai simplement ajouté l'assurance à la définition de l'intérêt et j'ai laissé l'article 347 du Code criminel tel qu'il était, mais en ajoutant l'assurance.

[Traduction]

Le président : Je pense que vous comprenez mon autre question et peut-être pourriez-vous la prochaine fois vous faire accompagner par un conseiller juridique pour nous éclairer sur ce point.

S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons suspendre nos travaux pendant quelques instants pour permettre au témoin suivant de s'installer. Je vous remercie énormément d'avoir porté cette question à notre attention. Nous sommes donc saisis du dossier et vous aurez pu constater d'après les questions que tous les sénateurs ont un très vif intérêt pour cette question.

Nous sommes ravis de recevoir aujourd'hui des représentants du ministère de la Justice et d'Industrie Canada. Vous aurez compris j'espère que notre temps est limité. Nous allons recevoir vos mémoires aujourd'hui ou plus tard et accepter toute information que vous souhaitez nous remettre, que ce soit oralement ou par écrit.

Je vous présente nos excuses si je vous presse ainsi. Nous avons découvert, après notre premier tour de questions, que c'était en l'occurrence un problème fort complexe, et nous voulons assurément vous entendre. Peut-être les représentants du ministère de la Justice, MM. Jenkin et Scromeda, pourraient-ils se présenter, après quoi nous pourrons poursuivre.

M. Shawn Scromeda, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Je suis avocat à la Section de la politique en matière de droit pénal au ministère de la Justice, et je suis accompagné de M. Michael Jenkin d'Industrie Canada. C'est moi qui commencerai en vous parlant de façon plus générale du projet de loi et de la question des taux d'intérêt criminels, après quoi M. Jenkin abordera pour vous certaines questions qui concernent particulièrement le consommateur.

Le président : Comme nous avons commencé tard et que nous avons donné un peu plus de latitude au parrain du projet de loi en raison de l'heure tardive, seriez-vous d'accord pour que vos témoignages, c'est-à-dire vos deux exposés ainsi que les questions et réponses qui suivront, puissent se terminer pour 17 h 30? Ainsi, les témoins suivants auront droit à un temps d'intervention égal au vôtre. Je vous demanderais donc de bien vouloir un peu limiter vos exposés et faire en sorte que vos réponses à nos questions au demeurant fort difficiles soient aussi brèves que possible.

M. Scromeda : Nous vous remercions de nous avoir invités à témoigner devant votre comité. Cette initiative législative soulève des questions fort importantes qui intéressent l'article 345 du Code criminel concernant les taux d'intérêt criminels.

D'après ce que vient de dire le parrain de ce projet de loi, l'honorable sénateur Plamondon, je conclus que ce projet de loi concrétise une volonté politique de trouver une solution au problème des taux pratiqués par certaines compagnies de financement pour les prêts qu'elles offrent. Il arrive que ces compagnies exigent des taux d'intérêt qui se situent en haut de l'échelle des taux permis par le Code criminel pour les prêts remboursables sur quelques années, et qui produit des frais totaux de financement très élevés compte tenu de la durée du prêt.

Il y a aussi la question différente mais corollaire de l'autre marché du crédit à la consommation, un secteur financier pour l'essentiel non réglementé qui comprend, par exemple, les prêteurs à gage, les prêteurs sur salaire et les officines qui encaissent les chèques personnels. La croissance très visible du secteur des prêts sur salaire — ce qu'on appelle parfois le marché du crédit à la consommation parallèle ou MCCP — qu'on a pu constater récemment a été largement commenté et à même fait l'objet de discussions à caractère politique au sein des différents paliers de gouvernement et entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.

D'autres problèmes se posent en ce qui concerne certaines formes de transactions commerciales complexes qui sont effectuées pour l'essentiel entre les grandes entreprises commerciales très développées. À cet égard, j'ai relevé qu'un rapport de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada signé par Mary Ann Waldron, professeure de droit à l'Université de Victoria, nous apprend que les taux d'intérêt criminels tels qu'ils sont actuellement fixés ont peut-être un effet néfaste imprévu sur ce genre de transactions commerciales. J'ai d'ailleurs fait remettre un exemplaire du rapport en question au greffier du comité.

Toute la question des taux d'intérêt criminels sous-tend plusieurs éléments très complexes dont il faut tenir compte dès lors qu'on envisage d'apporter des modifications. Il faut à ce titre prendre l'article 347 dans son contexte intégral. De prime à bord, cette disposition sur les taux d'intérêt criminels semble quelque peu inusitée. Même si, au Canada, les administrations publiques interviennent parfois pour réglementer les prix et les marchés par voie législative, elles préfèrent généralement le faire en introduisant des régimes de réglementation très complets plutôt qu'en procédant par voie pénale. À ma connaissance, il n'existe dans le Code criminel aucune autre disposition qui limite ainsi les prix.

Pour Justice Canada, cependant, la disposition sur les taux d'intérêt criminels ne vise pas à réglementer le marché économique mais plutôt l'élément criminel du prêt usuraire. Bien que cet article parle d'application générale aux ententes et aux arrangements d'intérêt, hormis quelques exceptions très limitées stipulées dans la disposition elle-même, cette disposition visait exclusivement, au départ, les prêts usuraires et leur cortège habituel de menaces et de violence inhérentes au crime organisé.

Comme les représentants du ministère de la Justice et d'autres ministères fédéraux vous l'ont déjà dit, si cet article 347 a été proposé en 1980 c'est parce qu'il était difficile d'avérer l'extorsion en cas de prêt à taux usuraire. Il a donc été jugé opportun, du point de vue de la politique, de faire expressément référence à un taux criminel. À l'époque, la police et la justice réclamaient une telle disposition pour faciliter le contrôle de cette activité du crime organisé. Un article a été ajouté immédiatement après la disposition sur l'extorsion du Code criminel et ces deux articles peuvent être considérés comme étant liés.

Il est à noter que simultanément à l'addition de l'article 347 au Code criminel, il y a eu l'abrogation de l'ancienne loi fédérale sur les petits prêts, loi administrée par le surintendant du service des assurances relevant du ministère des Finances. Cette loi abordait la question des taux d'intérêt sur les prêts sous un angle plus économique et plus réglementaire, y compris l'accréditation des prêteurs.

Je crois savoir, cependant, qu'en 1980 la Loi sur les petits prêts a été considérée comme n'étant plus viable. Après son abrogation, il n'est resté qu'une approche de marché généralement libre pour l'intérêt au Canada, accompagnée d'une nouvelle sanction criminelle, ostensiblement pour régler la question des prêts usuraires, exprimée sous forme de limite générale applicable aux ententes et aux paiements d'intérêt au Canada.

Il est à noter que ces changements législatifs de l'époque ont provoqué l'expression de craintes concernant les taux d'intérêt élevés et la possibilité que certains consommateurs se voient demander des taux à la limite du maximum criminel fixé par l'article 347. Quoi qu'il en soit, il a été déterminé que dans notre économie de marché la concurrence admirait des taux raisonnables. Il a été également suggéré que les tribunaux auraient le pouvoir, en vertu des dispositions sur les transactions inacceptables de la législation provinciale, d'intervenir ponctuellement en cas de taux trop élevés en fonction des circonstances.

D'aucuns pourraient prétendre que le marché a donné les résultats escomptés pour nombre de Canadiens. Nombre de Canadiens bénéficient de taux raisonnables. Cependant, il faut reconnaître que selon d'autres arguments les marchés n'ont pas du tout donné les résultats escomptés pour les Canadiens.

En particulier, il y a le cas des prêts sur salaire. Je crois comprendre que mes collègues d'Industrie Canada ont l'intention de vous faire un exposé détaillé sur cette question. En plus de cette question des prêts sur salaire à court terme, il y a celle des prêts à moyen terme exposée par le sénateur Plamondon lors de son discours au Sénat. Nous comprenons certes les questions que soulève ce genre de prêts. D'autre part, cependant, il y a le problème des conséquences non désirées de l'article 347 sur certains aspects du droit commercial signalées dans le rapport Waldron de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada soumis pour considération et pour adoption au ministre de la Justice. Le rapport du professeur Waldron décrit d'une manière assez détaillée la façon dont l'article 347 affecte certaines formes complexes de transactions commerciales où le taux est exprimé en pourcentage de bénéfices des emprunteurs. Les effets négatifs se manifestent de diverses manières, obligeant les entreprises commerciales à structurer leurs transactions interentreprises de manière à éviter de contrevenir à cet article, ouvrant la porte à des litiges civils complexes lorsqu'elles n'arrivent pas à satisfaire la loi. Ces effets extrêmes de l'article 347 n'avaient pas été prévus lorsqu'il a été rédigé initialement.

Il apparaît effectivement qu'une grande partie des affaires, certainement des affaires rapportées, impliquant l'article 347 ne concernent pas du tout de poursuites criminelles mais plutôt des procédures civiles entre entités commerciales. Selon la Cour suprême, l'application de l'article 347 peut avoir cette conséquence problématique, mais l'interprétation menant à cette conséquence est le résultat des termes bruts utilisés dans cet article. Je me dois d'ailleurs de vous signaler qu'une diminution du seuil du taux d'intérêt jugé criminel, comme le propose le projet de loi S-19, risque de multiplier les conséquences négatives de cet article. La Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada préconise au contraire une augmentation substantielle du taux criminel, entre autres changements.

Une chose est claire. L'article 347 est complexe et toute modification peut avoir des conséquences sans rapport avec l'objectif initial qui était de lutter contre les prêts usuraires criminels. Apparemment, le projet de loi S-19 vise à réduire les taux d'intérêt pour certains prêts à la consommation. Il est possible que l'article 347 du Code criminel ne soit pas l'instrument approprié pour arriver à cette fin. S'il est conclu que l'intervention législative gouvernementale est opportune en matière de taux d'intérêt pour protéger les consommateurs vulnérables, le contexte général et les complexités qui l'accompagnent devraient être pris en considération pour choisir l'approche législative appropriée.

M. Michael Jenkin, directeur général, Bureau de la consommation, Industrie Canada : Je vous parlerai brièvement des dimensions fédérales provinciales de cette question. Je participe directement, à l'échelon fédéral-provincial-territorial, à des discussions qui ont lieu à l'heure actuelle sur l'industrie parallèle du crédit à la consommation, particulièrement sur les fournisseurs de prêts sur salaire. Ces prêteurs soulèvent la controverse, en partie à cause des frais élevés qu'il faut assumer pour emprunter auprès d'eux. Par conséquent, ce projet de loi — étant donné qu'il traite des coûts d'emprunt — rejoint d'assez près le travail que nous effectuons depuis quelque temps, à mon bureau, avec nos collègues provinciaux et territoriaux, dans le domaine de la protection des consommateurs. Permettez-moi donc d'expliquer comment les travaux fédéraux provinciaux rejoignent ce projet de loi.

Notre bureau sert de secrétariat au comité des mesures en matière de consommation. Il s'agit d'un comité fédéral- provincial-territorial composé de fonctionnaires qui relèvent du Comité fédéral-provincial-territorial des ministres responsables de la consommation. Ces comités ont été créés en vertu de l'accord sur le commerce intérieur.

En janvier 2004, les ministres responsables de la consommation se sont dits « préoccupés par les coûts excessifs et les pratiques abusives sur le marché du crédit à court terme ». Je vous cite ici un extrait du communiqué que les ministres ont émis après cette rencontre; j'ai transmis au greffier des copies de ce communiqué. Entre autres choses, les ministres ont demandé aux fonctionnaires d'examiner la possibilité de mettre en place un cadre de protection des consommateurs qui s'appliquerait à cette industrie, de voir s'il y a moyen de développer de bonnes pratiques pour l'industrie et d'examiner ce que les institutions financières classiques peuvent offrir aux consommateurs sur ce marché.

Nous ignorons beaucoup de cette industrie, que ce soit à propos de sa taille ou de son bassin de consommateurs. Nous savons toutefois, selon des sources de l'industrie, qu'elle semble prendre rapidement de l'expansion. On croit qu'il existe environ 1 000 établissements de prêts sur salaire au Canada; or, il n'en existait pratiquement aucun au début des années 90. Ces établissements fournissent probablement plus d'un milliard de dollars en prêts sur salaire par année, bien qu'il soit difficile d'obtenir des chiffres fiables à cet égard. L'association de l'industrie indique que plus d'un million de Canadiens ont recours aux prêts sur salaire. En comparaison — et je dois admettre que les données ne sont pas nécessairement très exhaustives à ce sujet non plus —, on estime que les sociétés de financement servent 1,7 million de consommateurs et disposent d'actifs s'élevant à 6,3 milliards de dollars; ce dernier chiffre comprend toutefois les prêts aux entreprises et les prêts aux consommateurs. Comme vous pouvez le constater, donc, il semble que les établissements de prêts sur salaire occupent une place de plus en plus importante au sein du marché.

Des fonctionnaires des deux ordres de gouvernement ont travaillé fort pour donner suite aux préoccupations des ministres. En ce qui concerne le cadre de protection des consommateurs, par exemple, le Comité des mesures en matière de consommation a récemment émis un document de consultation publique. Le lundi 31 janvier 2005 était la date d'échéance pour la présentation des mémoires. Les fonctionnaires examinent actuellement les réponses qui ont été présentées. Ce document de consultation que vous avez entre les mains, je crois, est le fruit d'un certain consensus auquel sont parvenus les fonctionnaires provinciaux et territoriaux au sujet des pratiques qui soulèvent des préoccupations concernant la façon dont certains joueurs agissent sur ce marché. Il invite le public à commenter des propositions qui ont pour but d'atténuer ces préoccupations. Si vous avez l'occasion de jeter un coup d'œil au document, vous constaterez qu'il traite de questions comme la divulgation du coût du crédit, le recouvrement de créances, les contrats rédigés en langage simple et la reconduction. Le terme reconduction désigne une situation dans laquelle l'emprunteur ne peut pas rembourser son créancier à la date prévue et se voit forcé d'encourir des frais excessifs pour reconduire, ou prolonger son prêt. Une fois enclenchée, cette pratique peut entraîner le consommateur dans une spirale d'endettement, parce que les coûts commencent à se multiplier. Si l'emprunteur trouvait difficile de rembourser un prêt au moment où il était dû au départ, le prêt sera d'autant plus difficile à rembourser lorsque d'autres frais onéreux y auront été ajoutés.

La consultation aborde la question des coûts, et le rapport entre le plafonnement des coûts d'emprunt et l'industrie. Cette question est particulièrement complexe, parce qu'elle touche à un pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral, à l'égard d'entités qui, autrement, seraient régies par les provinces. Il faut dire que les provinces ne s'entendent pas, à l'heure actuelle, sur l'efficacité du plafonnement des taux d'intérêt à 60 p. 100, que prévoit actuellement l'article 347 du Code criminel. Je vous invite donc fortement à prendre en compte le point de vue des autorités de réglementation provinciales chargées de la protection des consommateurs et de leurs procureurs généraux, au fur et à mesure de vos délibérations.

Cela m'amène à traiter du sujet qui, à ma connaissance, vous intéresse, c'est-à-dire la question très précise de savoir quel sera l'effet, sur les consommateurs, du projet de loi S-19, lequel comprend la modification du plafonnement actuel du coût d'emprunt. L'industrie du prêt sur salaire a commandé une étude sur ce qu'il en coûte de prêter de très petits montants d'argent pour de courtes périodes. La conclusion de cette étude, c'est que les coûts de fournir effectivement les prêts de la façon dont ils le font dépassent de loin la limite imposée actuellement par le Code criminel. Notre propre analyse indépendante révèle que cet argument-là est assez convainquant, malgré des lacunes qui pourraient être présentes dans le rapport de l'industrie, laquelle pourrait surestimer ses frais d'exploitation.

Si la nouvelle limite préconisée dans ce projet de loi était appliquée rigoureusement (une décision que chaque province prendrait, étant donné qu'il faut obtenir la permission d'un procureur général provincial pour entamer des poursuites en vertu de l'article 347), une telle mesure mettrait probablement un terme aux activités de l'industrie du prêt sur salaire, parce que le fait d'avancer de petits prêts sur salaire à très court terme ne serait probablement pas rentable, au plan commercial, à un taux de 35 p. 100 au-dessus du taux préférentiel.

On doit donc se poser la question suivante : où les consommateurs iraient-ils pour obtenir des prêts à court terme? En fait, nous ne savons pas pourquoi ils font affaire avec des prêteurs sur salaire, d'abord et avant tout. Les consommateurs ignorent-ils tout simplement quels sont les coûts? Ou alors ont-ils épuisé toutes leurs autres sources de financement plus abordables — les amis, la famille, les marges de crédit ou même les cartes de crédit? Le fait que l'industrie traverse maintenant une période d'expansion rapide indique que ces services sont très en demande, en dépit du fait qu'ils constituent le moyen le plus dispendieux d'accéder au crédit sur le marché.

Toutefois, le point principal que j'aimerais faire valoir, c'est que les provinces ont divers points de vue au sujet de cette industrie — si elle doit être réglementée et comment elle devrait l'être, voire même si on doit lui permettre d'exister — et particulièrement au sujet de l'influence que l'article 347 exercerait sur une structure réglementaire adaptée à cette industrie.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Monsieur Scromeda, je tiens à vous faire savoir ainsi qu'à tous les membres du comité que j'ai informé le vice-président de l'envoi d'une lettre à tous les procureurs généraux provinciaux et territoriaux et que nous attendons leurs réponses. Ce projet de loi nous a été renvoyé rapidement et nous leur accorderons des délais raisonnables pour qu'ils nous répondent, voire qu'ils viennent témoigner devant notre comité. S'ils ne le font pas, nous poursuivrons notre travail. Je les préviens simplement, tout comme vous, que notre intention est de procéder le plus rapidement possible. Nous espérons pouvoir entendre les procureurs généraux. Si, comme vous l'avez suggéré, ce projet de loi les intéresse, ils devraient répondre.

Le sénateur Angus : Merci, messieurs, de vos exposés. Je n'ai peut-être pas tout compris de ce que vous nous avez dit tous les deux, mais j'ai l'impression que vous préféreriez que ce projet de loi soit retiré. Vous reconnaissez qu'il y a un problème mais d'après vous, ce n'est peut-être pas la solution pour les petits consommateurs. Les études en cours et les justifications des dispositions du Code criminel n'ont rien à voir avec l'initiative du sénateur Plamondon et si nous sommes patients, le gouvernement finira par proposer des mesures législatives pour résoudre ces problèmes.

C'est l'impression que j'ai eue à vous écouter. C'est bien ça ou je suis complètement à côté de la plaque?

M. Scromeda : Le gouvernement est très préoccupé par cette question, qu'Industrie Canada a étudiée en collaboration avec le ministère de la Justice. Le gouvernement est en train d'étudier sa position, et je ne peux donc pas prendre d'engagement précis à cet égard.

Pour ce qui est du mécanisme précis prévu par le projet de loi S-19, soit l'abaissement des taux d'intérêt criminels, on peut légitimement se demander s'il représente le meilleur moyen d'atteindre l'objectif qu'on s'est fixé. C'est certainement un choix possible, mais on peut se demander s'il convient en l'occurrence.

M. Jenkin : Le gouvernement ne s'est pas prononcé sur la question. En tant que hauts fonctionnaires, nous sommes ici simplement pour vous fournir des renseignements, et nous nous efforçons de nous en acquitter du mieux que nous pouvons. Nul doute que la question est très complexe, et franchement, la façon dont l'article 347 intervient dans le domaine de la protection des consommateurs dans le secteur privé est problématique.

Le sénateur Angus : Je devrai donc tirer mes propres conclusions de vos réponses.

Le prêt sur salaire est très répandu au Canada. Des milliers d'entreprises en font leur spécialité. Vous avez dit que cela leur coûte beaucoup plus que 60 p. 100. Comment est-ce que cela fonctionne?

M. Jenkin : Pour obtenir un prêt d'une société de prêt sur salaire, règle générale, il faut fournir des preuves de revenus stables, tel qu'un chèque de paye ou un bordereau, afin d'établir qu'on a un emploi. Il faut aussi qu'on ait un compte en banque, parce qu'on doit libeller un chèque postdaté au montant qui couvrira le prêt ainsi que les frais, l'intérêt et le reste. D'habitude, le prêt demandé couvre une brève période, de sept à quatorze jours, et va de 200 à 500 $.

Le sénateur Angus : Cela sert à dépanner jusqu'au prochain jour de paye?

M. Jenkin : C'est bien cela. Il s'agit d'un prêt à très court terme d'un assez faible montant. Les clients, quelle que soit leur raison, estiment qu'ils ne pourront rester à flot jusqu'aux prochaines rentrées de fonds et qu'ils ont besoin d'un prêt. C'est ainsi que cela fonctionne.

Le sénateur Angus : Je crois vous avoir entendu dire que les droits perçus sont plus élevés que le taux d'intérêt criminel, ou tout au moins que les coûts de la transaction sont supérieurs à cela. Ils dépassent certainement les 35 p. 100.

M. Jenkin : Effectivement, ce qui est exigé de nos jours sur ce marché va bien au-delà du taux d'intérêt criminel. D'habitude, dans une société de prêt sur salaire, il faut payer des frais de 30 $ à 40 $ sur une somme allant de 300 à 400 $, prêtée pendant quelque 10 jours. Je ne peux vraiment pas vous donner de chiffres, car les frais et les barèmes varient selon chacun des points de vente.

Le sénateur Angus : Cette loi du Code criminel a été adoptée pour sévir contre le prêt usuraire — ce qui est tout à fait différent du prêt sur salaire, et qui explique probablement pourquoi on ne poursuit pas ce genre d'entreprises.

Monsieur Scromeda, vous vous occupez du Code criminel et de son administration, la protection du consommateur n'est donc pas de votre ressort.

M. Scromeda : Oui, je travaille sur les questions liées à la répression de la criminalité organisée au sein de la Section de la politique en matière de droit pénal au ministère de la Justice. Je ne peux toutefois parler de jugements précis relativement à l'exécution après poursuite, et il serait tout aussi déplacé de notre part de nous prononcer sur la culpabilité d'une industrie donnée ou de faire des remarques au sujet de litiges en cours, tant au civil qu'au pénal.

En ce moment, des contentieux civils sont en cours au sujet de l'article 347 ainsi que du prêt sur salaire. Il y a aussi des recours collectifs, certains consommateurs s'étant regroupés pour demander le remboursement de frais excessifs, et on invoque aussi une règle de droit.

Le président : Pouvez-vous nous fournir des données sur la portée de ces recours collectifs.

M. Scromeda : Je ne les ai pas en main, mais je pourrai vous les obtenir.

Le président : Je vous en serais reconnaissant, oui.

M. Scromeda : Je ne ferai pas la moindre observation au sujet de cette action en recours collectif, bien que les entreprises visées affirment ne pas contrevenir à la loi, mais d'ici à ce que les tribunaux se soient prononcés sur de telles allégations, il ne s'agit effectivement que d'allégations. Il y a certaines raisons expliquant pourquoi davantage d'allégations ne font pas l'objet de poursuites. Cela relève surtout des procureurs généraux des provinces, et je pense que c'est d'ailleurs pour cela que ces derniers ont été convoqués. Nous sommes au courant des petits montants en question dans ce genre de prêts, du nombre très élevé de ces prêts, de la nature consensuelle de la transaction et de la question générale, à savoir si le droit pénal est bien le mécanisme approprié pour intervenir dans ce genre de cause.

M. Jenkin : Pour ce qui est des taux, il semblerait qu'ils dépassent le taux criminel. Évidemment, c'est contesté.

Le sénateur Angus : Ce sont là des observations dignes du juge Gomery.

M. Jenkin : Je peux seulement dire que les taux semblent très élevés et supérieurs au taux autorisé par la loi.

Le sénateur Harb : Vous avez fait un exposé instructif et je vous en remercie.

Vous avez soulevé un point très intéressant quand vous avez dit que l'article 347 du Code criminel pose des problèmes en matière de prêt. Il me semble vous avoir entendu dire l'inverse, c'est-à-dire que nous devrions augmenter le pourcentage pour le porter à 60 p. 100, 90 p. 100 ou 100 p. 100.

M. Scromeda : Ce n'est pas la position du ministère de la Justice à l'heure actuelle. Je faisais allusion à une recommandation de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, la SHLC, qui est un organisme très respecté formé de juristes parmi les plus éminents au Canada. Ils ont étudié la question essentiellement sous l'angle du droit commercial.

J'ai déposé le rapport du professeur Waldron et je vous invite à le lire et peut-être à entendre l'auteur ou d'autres témoins compétents en cette matière.

L'argument avancé est en partie que cette disposition visait les usuriers. Je veux parler d'usuriers qui font partie du crime organisé, qui ne se contentent pas de 60 p. 100. On pourrait soutenir que ce taux pourrait être rehaussé à beaucoup plus que 60 p. 100, ce qui permettrait quand même d'appliquer le droit criminel pour s'attaquer à ceux qui pratiquent l'usure.

Quant à réduire les taux demandés aux consommateurs, c'est une autre histoire. Le professeur Waldron a suggéré, et la SHLC a souscrit à cette proposition, de continuer à s'attaquer aux pratiques usuraires tout en augmentant les taux, réduisant peut-être ainsi l'incidence négative sur certaines transactions commerciales complexes. Je pense que personne n'avait vraiment prévu l'article 347. Il ne s'agit pas ici de petits consommateurs; ce sont plutôt deux grandes compagnies qui essaient d'arranger leurs transactions. Elles se prêtent parfois mutuellement de grosses sommes et se retrouvent visées par l'article 347. Elles ne savent même pas à l'avance quel sera le taux d'intérêt parce qu'il est exprimé en fonction de l'évolution future du marché. C'est un domaine très complexe et il n'y a pas de solutions faciles.

Le président : Je pense que vous nous avez convaincus que c'est un domaine complexe, mais nous sommes capables d'y voir clair en dépit de la complexité.

Le sénateur Harb : Peut-être notre comité pourrait-il proposer de modifier le projet de loi S-19 en vue d'abroger les éléments du Code criminel qui posent problème. Le comité pourrait recommander également que le gouvernement apporte les modifications voulues à la loi pour que les entreprises qui font des transactions régulières n'aient pas à se livrer à des pratiques tordues pour éviter des poursuites. Aux termes de l'article 347 dans sa forme actuelle, il est possible qu'elles soient poursuivies.

M. Scromeda : Premièrement, cela n'aboutit généralement pas à des poursuites, mais plutôt à des litiges au civil entre les parties.

Le président : Les normes du Code criminel sont appliquées pour déterminer les pénalités au civil.

M. Scromeda : Oui. Deuxièmement, la question de savoir comment on pourrait éviter ce résultat en application de l'actuel article 347 demeure ouverte. Je ne suis pas certain que nous ayons nécessairement trouvé une solution. Le professeur Waldron en a proposé une. L'une des difficultés en cette matière, quand on commence à prévoir des exceptions, c'est que ces exceptions, à moins qu'elles ne soient soigneusement libellées, peuvent alors être invoquées par d'autres personnes pour contourner l'objet de la loi. Il faut être très prudent. Cela exige une étude plus poussée.

Le sénateur Massicotte : Ce que je retiens de votre intervention, c'est que, premièrement, c'est une affaire compliquée. Nous en sommes conscients. Notre tâche, au nom des Canadiens, c'est de trouver une solution au problème. Le problème est que certains consommateurs de l'endettement sont probablement mal informés ou sont mal placés pour négocier en vue d'obtenir un marché équitable, et notre objectif est donc de trouver une manière de protéger leurs intérêts, mais il faut que ce soit un mécanisme très simple.

Nous avons aussi entendu qu'il y a eu une réunion des autorités compétentes et que l'on a donc peut-être fait certains progrès en vue de légiférer. Cependant, il y a quelques années, les ministres ont eu une série de rencontres et ont même convenu d'un document de travail, mais si l'on examine toutes les réunions qui ont eu lieu depuis 10 ans, ils se sont rencontrés très souvent et nous n'avons toujours aucun amendement ni aucun texte de loi proposés. Je comprends le sens de l'intervention du sénateur Plamondon, qui voudrait que l'on aboutisse à quelque chose de concret.

Cela dit, d'après les réunions des deux dernières années, il semble que la solution préconisée soit une plus grande communication de l'information afin de garantir que l'emprunteur connaisse exactement le coût total du prêt. D'après les conférences auxquelles j'ai participé jusqu'à présent, il semble qu'on ne veuille pas traiter du taux d'intérêt maximum.

Je comprends que l'affaire est complexe, si le but est de trouver une solution au problème. Que convient-il de faire? En quoi pouvez-vous nous aider à trouver cette solution? On semble dire que dans certains cas qui posent des risques plus élevés ou qui exigent des coûts de transaction supérieurs, le taux d'intérêt devrait être de plus de 35 p. 100. Peut-on user de cet argument? Quelle est la solution? On dit que le sujet est à l'étude et qu'il est complexe, mais ce n'est pas suffisant.

Le président : Veuillez répondre brièvement à cette question. Je suis désolé, mais nous n'avons plus beaucoup de temps et deux autres sénateurs ont des questions à poser. Veuillez répondre, s'il vous plaît.

M. Scromeda : Tout ce que je puis dire, c'est que le gouvernement analyse cette question très urgente et qu'un certain nombre d'options sont examinées. J'espère pouvoir présenter une mise au point à votre comité ou à d'autres représentants le plus tôt possible. Mais aujourd'hui, je n'ai pas de solution précise à vous proposer.

Le président : Le sénateur Oliver n'a pas encore eu l'occasion de poser de questions.

Le sénateur Oliver : J'ai une petite question pour faire suite à celle du sénateur Massicotte. Monsieur Jenkin, vous avez parlé à deux reprises d'un certain comité sur les mesures en consommation avec lequel vous travaillez et qui est chargé d'examiner cette question. Pourriez-vous présenter à notre comité certaines des conclusions du Comité sur les mesures en consommation relativement au prêt sur salaire? Quelles recommandations ce comité a-t-il formulées au sujet des problèmes que posent ces prêts?

M. Jenkin : Nous avons présenté un rapport de consultation, qui constitue le premier résultat de notre travail. Le comité a évalué des pratiques qu'il estime douteuses et sur lesquelles il souhaite connaître l'opinion de la population pour savoir s'il conviendrait de les considérer comme des pratiques normales dans un cadre de réglementation pour le secteur.

Le Comité sur les mesures en consommation a ajouté à son site Web un ou deux autres documents pour informer la population sur son travail. Toutefois, les ministres nous ont demandé de leur présenter de nouveau des propositions à leur prochaine réunion, dont la date est provisoirement fixée au mois de juin. Pour l'instant, nous n'avons pas de propositions fermes à leur présenter. Ces propositions sont en cours d'élaboration.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Quant à la première question, j'aimerais faire référence au rapport de Mme Waldron. Elle s'est inspirée, à un moment donné, d'un dossier de New Solution, à la Cour d'appel. La décision a été renversée par la Cour suprême qui a maintenu l'article 347. Est-ce que vous pouvez m'en dire un peu plus là-dessus?

[Traduction]

M. Scromeda : Le professeur Waldron a fait référence à un certain nombre de cas — si j'ai bien compris, et je ne vais pas commenter les nouvelles solutions car je ne suis pas au courant de tous les éléments de ces cas —, ainsi qu'à ce qu'a déclaré la Cour suprême elle-même sur le fait que cet article est à la source de la plupart des litiges et sur le fait qu'il existe un lien entre cet article et les litiges au civil entre de grandes sociétés commerciales. En fait, les lois posent des problèmes graves dans ce domaine. Il y a de nombreux cas de ce genre.

La nouvelle solution en est peut-être un. Je ne saurais dire quelle sera la décision finale dans ce cas, mais s'il y a eu de nombreuses affaires, y compris certaines qui se sont rendues devant la Cour suprême du Canada, entre autres l'affaire Garland c. Consumers' Gas Co., dans laquelle cet article avait été appliqué par Consumers' Gas, qui appartient à l'industrie réglementée, relativement à des pénalités pour paiements tardifs. Les frais pour retard imposés par cette société ont été jugés en contravention technique de l'article 347.

Je soutiens que cette situation est bien différente d'une infraction criminelle de prêt usuraire.

[Français]

Le sénateur Plamondon : La dernière consultation a été meilleure que la première. J'ai une lettre adressée à M. Cotler, en date du 28 janvier 2004, qui dit que le processus de consultation avait été entrepris mais qu'il n'avait pas obtenu une grande participation. Est-ce que le dernier processus de consultation a eu une meilleure participation?

[Traduction]

M. Scromeda : Je crois que cette question devrait être posée aux représentants d'Industrie Canada.

[Français]

Le sénateur Plamondon : C'est une lettre envoyée à M. Cotler.

[Traduction]

M. Scromeda : Je n'ai pas copie de cette lettre.

Le président : Vous n'êtes pas obligé de répondre totalement à la question maintenant. Vous pouvez lire la lettre. Vous pouvez répondre à la question maintenant, mais nous aimerions avoir une réponse complète à cette question par écrit, et cette réponse sera incluse dans le compte rendu de notre réunion.

M. Scromeda : On parlait de la CHLC.

Le président : Qu'est-ce que la CHLC?

M. Scromeda : Il s'agit de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Est-ce qu'il y a une meilleure participation dans le dernier rapport que vous avez déposé? Est-ce que c'est le même rapport?

[Traduction]

M. Scromeda : Oui, c'est bien le même.

Le président : J'ai une ou deux petites questions à poser.

Vous semblez avoir confirmé qu'il s'agit d'un problème grave qu'un certain nombre d'organismes essaient de régler. S'il y a un problème grave, nous allons traiter ce projet de loi assez rapidement pour qu'il soit renvoyé au Sénat sous une forme quelconque. Je ne voudrais pas présumer de ce que feront mes collègues, mais le sénateur a fait valoir qu'il s'agit d'un problème. C'est un problème qui ne fait qu'empirer, mais en raison d'un chevauchement des compétences, la solution semble lente à venir. Je connais très bien les commissaires de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. Ce que je le leur dis, c'est que les travaux avancent à pas de tortue. Il est certain que l'intérêt public n'est pas bien défendu lorsque des agences comme celle-là progressent aussi lentement.

J'ai une question à vous poser, mais je crois en connaître la réponse. D'après les notes rédigées par notre attaché de recherche, il semble que le consentement du procureur général de la province soit nécessaire avant qu'une poursuite puisse être intentée sous le régime de l'article 347 — comme vous l'avez dit dans votre témoignage. Je ne sais pas si la recherche est exacte ou non, mais il semble qu'il n'y ait jamais eu jusqu'à présent de poursuites relativement à des prêts à demande ou à des débentures convertibles. Si c'est bien le cas — et je vous demanderais de corriger toute erreur dans notre document de recherche — s'il n'y a jamais eu de poursuites, il me semble que nous devrions savoir plus précisément pourquoi cet article, dans sa version actuelle, et c'est sans parler de sa version modifiée, n'a pas été appliqué, compte tenu de ce que vous avez dit dans votre témoignage qu'il y a eu des allégations d'infraction. Pourquoi les procureurs généraux des diverses provinces ne se sont pas attaqués à ce problème que les sénateurs nous ont signalé? Je sais que vous ne pouvez pas parler au nom des procureurs généraux, mais s'ils comparaissent devant nous, je leur poserai cette même question.

M. Scromeda : Au sujet des poursuites sous le régime de cet article, j'ai eu l'occasion d'obtenir certains renseignements. D'après l'enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, des poursuites ont été intentées sous le régime de cet article. Pour ce qui est du nombre total d'affaires de 1994-1995 à 2003-2004, les tribunaux provinciaux ont jugé 129 cas portant principalement sur une infraction à l'article 347. Cela ne tient peut-être pas compte de toutes les accusations. Il s'agit des accusations principales, et cela représente environ 90 p. 100 du volume des cas traités dans les tribunaux provinciaux au Canada.

Le président : Combien y a-t-il eu de poursuites fructueuses? Vous avez parlé du volume des cas, mais combien y a-t- il eu de poursuites?

M. Scromeda : Cinquante-sept pour cent de ces poursuites ont donné lieu à des peines. Il n'y a pas eu de peine dans 43 p. 100 des cas, ce qui signifie que l'accusé a été acquitté, que la procédure a été suspendue ou que les accusations ont été abandonnées.

Le président : Je vois que vous avez apporté cette correction dans votre propre document, et c'est très utile. Nous aimerions bien avoir une copie de ce document, car il serait intéressant pour tous les membres du comité.

Nous allons maintenant entendre les témoins de la province de Québec.

[Français]

Mme Louise Rozon, directrice, Option Consommateurs : Monsieur le président, on vous remercie de nous donner l'occasion de présenter notre point de vue à l'égard du projet de loi. Le projet de loi S-19 a été déposé et préparé par le sénateur Madeleine Plamondon.

Je suis directrice de Option consommateurs. Je suis accompagné de Jacques St-Amant, analyste-conseil de Option Consommateurs.

Dans un premier temps, on vous explique très rapidement qui est Option Consommateurs. On vous présente quelques données concernant l'état du marché et des commentaires plus spécifiques à l'égard du projet de loi. Option consommateurs est une association qui a pour but des protéger les droits des consommateurs. Nous avons une place d'affaires à Montréal. Nous sommes une association sans but lucratif qui existe depuis 1983. On rejoint en moyenne 10 000 consommateurs chaque année.

On offre différents services, dont un service juridique et un service de consultation budgétaire. Par l'entremise de ces services, nous sommes appelés à rencontrer des gens qui font face à des problèmes d'endettement et qui sont directement touchés par les modifications que vous désirez apporter au Code criminel par ce projet de loi.

On intervient dans différents secteurs, dont le domaine des services financiers, agro-alimentaires et énergétiques. On a produit plusieurs études à ce sujet. On collabore depuis 2002 avec le mouvement Desjardins pour offrir un service de micro- crédit à la consommation auprès des personnes défavorisées. Ce sont des personnes qui ont besoin de petits prêts pour un achat bien précis. On offre ce petit prêt à un taux très intéressant à des consommateurs à faible revenu.

En ce qui a trait à l'état du marché, on constate concrètement, et ce au quotidien, qu'il existe des sociétés de prêt qui fournissent du crédit à des taux annualisés de plus de 40 p. 100. On sait qu'il y a des prêteurs sur gage qui continuent à faire d'excellentes affaires, tant au Québec qu'ailleurs au Canada, tout comme des entreprises de location à long terme. Si le prêt sur gage est actuellement absent du marché québécois, il s'y est brièvement manifesté. Nous savons très bien que l'industrie souhaite vivement réussir une percée. Les taux de crédit annualisés exigés présentement par les prêteurs sur salaire ailleurs au Canada, — nous avons fait l'exercice, nous pouvons dire sans nous tromper — excèdent souvent 300 p. 100. Donc on est très loin du taux criminel qui est actuellement de 60 p. 100.

On ne parle pas ici de pratiques de la mafia ou de shylocks, mais bien d'entreprises considérables qui comparaîtront devant vous pour tenter de vous convaincre qu'elles ne peuvent faire leur frais sans exiger des taux d'intérêt de 300 p. 100 ou plus. Ces services répondent à une demande réelle de micro-crédit à la consommation mais cette demande procède d'une cause précise.

Les grandes institutions financières se sont retirées, pour l'essentiel, du marché du micro-crédit comme l'a noté le sénateur Plamondon tantôt. Ces institutions n'offrent plus de prêts de moins de 5 000 $ environ, sinon sous la forme d'une carte de crédit. Les usuriers se sont multipliés pour combler le vide laissé par les banquiers. À ceux qui diront que le prêt sur salaire répond à un besoin et que l'on devrait augmenter le taux criminel, nous répondons : d'abord un modèle d'affaires basé sur le crédit à très court terme et des taux d'intérêt exorbitants n'ont pas leur place dans la société ni l'économie canadiennes.

Suite à des expériences au Québec, il est possible que la concertation des grandes institutions financières des milieux communautaires et de l'État fasse surgir d'autres solutions qui permettent aux consommateurs d'obtenir raisonnablement du crédit selon des modalités équitables.

En ce qui a trait au cadre juridique et plus particulièrement concernant l'article 347 du Code criminel, il apparaît nécessaire d'opérer un retour en 1980, à l'époque où cette disposition a été adoptée et où le Parlement a abrogé la Loi sur les petits prêts. C'est le moment où on a adopté l'article 347. La Chambre des communes avait adopté le projet en deux jours. Seul votre comité avait eu la sagesse de tenir des consultations publiques auxquelles les ACEF, notre prédécesseur, avaient participé pour faire part de ses graves inquiétudes à l'égard des conséquences de ce projet de loi. L'histoire a démontré que nos prédécesseurs avaient raison. La loi de 1980 n'a rien arrangé. Nous sommes heureux de constater que vous consultez et qu'il s'agit de commencer à corriger l'erreur commise en 1980.

Enfin, l'article 347 n'a pratiquement jamais été invoqué dans une perspective de droit criminel. Il a surtout servi à tenter d'encadrer les pratiques des prêteurs dont nous parlions il y a quelques minutes. La Cour suprême l'a qualifié de dispositions très problématiques et son application a soulevé de fréquentes difficultés.

Qui plus est, la loi de 1980 a établi un taux criminel de 60 p. 100. Ce taux est nettement supérieur à celui observé dans la plupart des autres juridictions, qu'il s'agisse de nos voisins immédiats, comme l'État de New York ou plusieurs pays de l'Union Européenne. On pourra vous apporter plus de précisions à ce sujet si vous le désirez.

Alors que les tribunaux civils canadiens ont fréquemment conclu que des taux d'intérêt de 30. 100 ou plus étaient abusifs, on comprend mal comment le Canada peut être doté d'un taux criminel aussi élevé que celui qui est présentement établi à l'article 347.

Quoi faire? Une première mesure s'impose d'urgence. Il faut réduire le taux criminel en vigueur au Canada. C'est ce que ferait le projet de loi S-19. Nous appuyons donc sans réserve l'orientation fondamentale du projet de loi. Nous préférerions toutefois que le taux criminel soit fixé à un taux moins élevé que ce que propose le projet de loi, soit l'addition d'un facteur de 25 p. 100 au lieu de 35 p. 100 au taux cible du financement à un jour suffirait sans doute à rentabiliser les opérations de prêteurs de dernier recours.

Nous appuyons également la modification proposée à la définition de l'intérêt afin que soient dorénavant inclus les coûts d'assurance. Cet amendement harmoniserait la définition de l'intérêt à celle du coût de crédit qu'on retrouve dans d'autres lois au Canada.

L'adoption du projet de loi ne peut toutefois constituer qu'un premier pas et c'est peut-être un des messages importants qu'on aimerait vous transmettre aujourd'hui. Sur la scène fédérale, provinciale et territoriale, le Comité des mesures en consommation a timidement commencé l'examen global de la problématique du crédit à la consommation. Ce n'est pas suffisant, il faut aller plus loin.

Ce n'est pas en utilisant le Code criminel qu'on pourra contrer les abus des prêteurs, mais bien par le biais d'interventions réglementaires ou de la mise en place de recours civils. Quant aux questions reliées à l'intérêt qui sont de compétence fédérale, le Parlement devra jouer un rôle de premier plan dans la réflexion qui s'impose.

Actuellement, le marché traditionnel du crédit exclut des centaines de milliers de consommateurs et les rejette de plus en plus dans les bras de commerçants qui exigent des taux annualisés de 50, de 100 ou même de 300 p. 100.

L'association regroupant la grande majorité des entreprises offrant des prêts à court terme a mentionné, dans l'un de ses rapports, qu'elle avait rejoint plus d'un million de Canadiens en 2003. Ce service rejoint donc un nombre appréciable de gens qui ne sont pas nécessairement tous à faible revenu.

Les parlementaires doivent assumer le fait que ce n'est pas la direction que la société canadienne veut prendre. Ils devront par la suite rechercher des moyens pour répondre équitablement aux besoins légitimes des consommateurs. Nous souhaitons participer activement à cette réflexion et nous serons heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci d'avoir résumé votre mémoire. Ce dernier est beaucoup plus complet et contient des renseignements comparatifs très intéressants qui ont été mentionnés précédemment avec les représentants de diverses provinces. Nous vous en remercions. Je vais laisser la parole à M. Villemure, puis nous passerons aux questions.

[Français]

M. René Villemure, président, Institut québécois d'éthique appliquée : Je représente un organisme qui réfléchit sur les questions d'éthique en milieu social, gouvernemental et organisationnel.

On le fait depuis quelques années déjà. On s'occupe de gestion de grandes organisations. On amène aujourd'hui une perspective éthique sur le sujet du taux d'intérêt licite ou illicite, criminel ou usuraire.

Avant d'offrir un point de vue sur le sujet, il serait intéressant de préciser ce qu'on entend par un « point de vue éthique » et comment on peut le relier avec les taux d'intérêt licites, illicites ou usuraires.

L'éthique est liée à la bonne conduite, c'est un souci de bien faire. C'est la conduite qui se posera dans le cadre d'une situation particulière et non générale. L'éthique vise à répondre à la question « quoi faire pour bien faire? » L'éthique analysera une problématique en tenant compte des particularités de la situation et de sa complexité. Il faut y réfléchir et la réflexion éthique vise à pallier à cette complexité.

L'éthique consiste également à rechercher une solution, de réfléchir comme vous le faites, dans le but de bien agir. L'éthique est liée aux valeurs et réside dans la compréhension des valeurs impliquées dans une problématique donnée quant à la recherche de solutions. Dans un tel cas, on ne peut dissocier la finalité du projet de loi de l'État puisque l'État a une responsabilité en ce qui touche ces éléments.

Une décision éthique pourrait s'inscrire en faux par rapport à la règle. Aujourd'hui on propose une règle et deux articles dans le cadre d'un projet de loi et on verra si on doit se limiter en quelque part. L'éthique est le complément nécessaire à l'insuffisance de la règle. Cela se produit généralement lorsque la règle ne s'occupe pas du cas exposé devant nous ou lorsqu'elle est inexistante. Une règle existe déjà mais elle ne couvre peut-être pas cette réalité.

L'éthique se préoccupe du fait que la règle, appliquée à la lettre, va à l'encontre de l'esprit de la règle. Elle peut aussi se préoccuper du fait qu'appliquer la règle n'a tout simplement pas d'allure. C'est à partir de ce moment-là que s'amorce une réflexion éthique.

L'éthique implique de fait la compréhension sans préjugés des enjeux d'une question, de ses conséquences, de l'évaluation des actions et des non-actions possibles. L'éthique implique également la délibération, la justification argumentée d'une décision. Il ne s'agit pas d'évaluer plus tard si on aurait dû faire quelque chose, mais plutôt d'y penser maintenant en vue de le faire. L'éthique est liée à la prudence, à la précaution, à la prévention. Elle est destinée à aider le législateur ainsi que les fonctionnaires à décider avec justesse dans l'incertitude.

Qu'est-ce qu'une valeur? C'est ce qu'une collectivité considère comme étant beau, bon ou souhaitable. C'est quelque chose qui est valorisé, un élément moralement positif. Une chaise n'est pas une valeur. Ici, nous parlons de valeurs moralement positives et admises par un large pan de la société car ce projet de loi touche quand même beaucoup de monde.

En général, lorsqu'on parle d'une valeur, il n'est pas nécessaire d'expliquer pourquoi on accorde une valeur supérieure aux valeurs. Les valeurs contiennent leurs propres raisons d'être qui sont comprises par la société. Les valeurs sont des croyances fondamentales qui vont éclairer nos décisions et qui vont même instiguer l'agir des individus, des organisations, de l'État, en justifiant leur raison d'être. Du point de vue social, les valeurs ont un lien avec le bien commun.

Aujourd'hui, notre projet de loi est lié avec le bien commun. C'est donc ici que vont se rencontrer les concepts d'éthique, de valeurs, de taux d'intérêt de pratique licite ou illicite, usuraire ou régulière. Les valeurs viseront à répondre à la question de savoir pourquoi on s'en préoccuperait. Une éventuelle définition d'un taux usuraire, quelle qu'elle soit, va répondre à la question de savoir comment on va s'en préoccuper.

La tâche du Sénat, à l'origine, relève beaucoup du pourquoi. Notre réflexion s'articule donc autour de l'insuffisance de la règle, autour des concepts de respect et d'équité qui sont des mots qu'on emploie tous les jours.

Peu de gens peuvent définir ce que sont le respect et l'équité. On pense souvent que le respect c'est la politesse et que l'équité c'est l'égalité. Ce sont deux mots qui se resssemblent étymologiquement. En fait, le mot « respect » est issu de la contraction de deux mots latins, res et spect signifiant « un second regard sur la chose ». Aux sens éthique, philosophique et étymologique, il s'agit de porter un second regard afin de ne pas heurter inutilement.

Deuxièmement, l'équité, qui se trouve au cœur de la gestion de l'État et du bien commun, elle sera définie comme étant la juste appréciation de ce qui est dû à chacun. Dans notre cas, c'est autant le prêteur que l'emprunteur car les deux ont droit à quelque chose.

Le respect implique de fait un souci de l'autre. L'équité et le respect sont donc nécessaires à notre processus de réflexion. C'est en se basant sur ces concepts qu'on affirme aujourd'hui qu'un taux d'intérêt quelconque ne sera acceptable au plan de l'éthique que s'il est compatible avec l'amélioration de la situation socio-économique, tant de l'emprunteur que du prêteur.

Tout autre taux d'intérêt, en enrichissant les plus favorisés au détriment des moins favorisés, qui les appauvrira au point de les ruiner, devrait être considéré comme usuraire. Tout autre taux d'intérêt, au nom du principe de respect, en heurtant inutilement l'emprunteur, devrait être considéré comme usuraire. Tout autre taux d'intérêt, en ne permettant pas de réaliser la juste appréciation de ce qui est dû à chacun, devrait être considéré comme usuraire.

Aujourd'hui, le but de notre réflexion est d'indiquer que dans le cadre du projet de loi S-19, il ne s'agit pas de favoriser la force du plus fort en lui donnant une forme légale, mais plutôt de protéger les plus faibles des manœuvre prédatrices des plus forts.

[Traduction]

Le président : Comme je l'ai dit, votre mémoire va bien au-delà de votre exposé. Je vous remercie d'avoir limité vos propos, puisque c'est un domaine très complexe. Votre mémoire est très intéressant et j'exhorte tous les sénateurs à le lire attentivement, comme je l'ai fait. Nous allons commencer par le sénateur Massicotte, suivi du sénateur Plamondon, à moins que d'autres sénateurs veuillent poser des questions ou faire des observations.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Nous sommes très conscients du fait qu'il y a des abus dans la société en ce qui concerne les prêts à taux usuraire. Toutefois, j'ai un peu de difficulté avec la complicité de la loi.

Il y a des complications, certes, mais il faut trouver des solutions. Il serait peut-être préférable d'exclure les corporations qui accordent des prêts excédant un million de dollars puisque ceux qui contractent de tels prêts sont des gens généralement bien informés et qu'ils ont probablement leurs raisons de payer un taux d'intérêt qui peut s'élever à 50 ou même 60 p. 100.

Deuxièmement, si un prêteur peut démontrer que son coût de transaction est en moyenne de 15 $ ou 20 $ — ce coût a été démontré par une étude de KPMG — seriez-vous d'accord pour que le prêteur ait néanmoins droit au remboursement de ses coûts de transaction et peut-être un taux d'intérêt additionnel de 15 p. 100 à 20 p. 100?

En d'autres mots, il y a peut-être des exceptions à la règle qui démontreraient qu'il est peut-être juste de charger le calcul très élevé si le coût de la transaction est de 15 à 20 $. Vous dites qu'il y a des solutions à cela et peut-être que les caisses populaires ou une autre institution peuvent faire quelque chose, mais la réalité d'aujourd'hui c'est qu'il n'y a pas de solution. Les caisses et les banques sont sorties du marché parce que ce n'était pas rentable. Et de simplement interdire à ces gens de faire des prêts, je ne pense pas c'est une bonne façon de desservir la clientèle.

Il faut trouver une solution qui protège ces gens, mais qui en même temps ne tuera pas l'industrie.

M. Jacques St-Amant, analyste-conseil, Option consommateurs : Les réponses brèves à vos deux questions sont « peut-être » et « non ». Il est certain qu'il faut réaménager l'article 347. Même la Cour suprême, qui en a vu d'autres, le considère très problématique. Et il y a probablement des exceptions qu'il faut aménager pour des transactions comme les prêts participatifs. Le défi est de trouver des mécanismes juridiques qui permettent d'exclure certains types de transactions comme cela, mais sans ouvrir de porte à des gens qui voudraient s'en servir pour faire du prêt à la consommation qui serait usuraire.

C'est possible, mais il n'y a pas actuellement de proposition sur la table et nous n'en avons pas formulée. Nous serons heureux d'en commenter si un jour il y en a.

Quant à votre deuxième question, si des gens qui se disent commerçants proposent un modèle d'affaires où ils ne peuvent pas faire leurs frais sans exiger des taux d'intérêt de 300 p. 100 ou 400 p. 100 par année, avec beaucoup de respect, je pense qu'ils ne devraient pas être autorisés à faire des affaires. On retrouvait déjà la prohibition de l'intérêt dans le judaïsme, comme par exemple dans le Deutéronome dont je vous cite un petit passage : « Tu n'exigeras aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt. »

Dans la tradition judaïque, dans la tradition chrétienne, dans la tradition musulmane, dans la tradition hindouiste, c'est une question de morale. Or, justement, la nature profonde du droit criminel est de régir dans une société ce qui est moral et amoral.

Dans la société canadienne, est-ce que nous jugeons qu'il est moral et donc qu'il serait permissible d'exiger un taux d'intérêt de 300 p. 100 ou 400 p. 100 par année? Notre réponse est catégorique et c'est non.

Le sénateur Massicotte : La question de morale, c'est toujours intéressant. Là, vous parlez du consommateur. Mais du côté du prêteur, si mon coût est de 15 $ et que je fais un profit de 15 $ plus 10 p. 100 d'intérêt, il se peut que d'après votre calcul numérique que cela arrive à 300 p. 100 mais je ne me considère pas amoral. C'est mon coût plus une somme raisonnable. Ce sont toutes des grandes théories.

M. St-Amant : Effectivement, cette industrie ne se considère sans doute pas comme amorale, mais nous sommes en désaccord avec cette industrie. C'est aussi simple que cela et c'est là qu'est le débat, fondamentalement. Est-il permissible, au Canada, qu'un modèle d'affaire, qui pour être rentable requiert un coût de transaction de 300 p. 100 à 400 p. 100 sur le capital soit permis? Cela ne nous paraît pas acceptable. C'est un modèle d'affaire qui, en soi, n'a pas sa place dans la société canadienne. Il est tout à fait possible de faire du petit prêt à la consommation à des taux de 15, 20, 30, ou 40 p. 100. Et 40 p. 100 c'est déjà beaucoup, mais c'est possible en faisant, par exemple du prêt sur six mois ou un an. C'est un modèle d'affaire différent qui permet de rendre aux consommateurs qui en ont besoin les services dont ils ont besoin dans des conditions socialement acceptables. Mais le modèle d'affaire qui dit prêter pour 10 jours avec un taux annualisé de 300 p. 100, pour nous c'est inacceptable.

Le sénateur Massicotte : Vous invoquez des raisons morales, mais en réalité aucune compagnie des banques ou des institutions responsables n'offre ce service à des taux d'intérêt de 18 à 20 p. 100. Mon coût de la transaction est de 15 p. 100. Vous dites que si c'est le cas et qu'en conséquence le numérique est tel que c'est 300 p. 100, pour des raisons de moralité ce ne devrait pas être. Mais la conséquence peut être telle qu'il n'y aura pas de prêteur pour ces gens. Cela se peut que les gens, si on leur donne le choix, soient prêts à payer ce montant très élevé parce que cela offre un vrai service. Si personne ne veut offrir le service, je ne sais pas qui nous aiderions.

M. St-Amant : Sauf qu'expérimentalement, ce n'est pas le cas et la morale n'est pas que théorique. Par exemple, si la Loi sur les petits prêts avait été adoptée au Canada en 1939, comme beaucoup de lois similaires aux États-Unis à l'époque, c'était pour répondre à des problèmes sociaux graves, des problèmes de surendettement liés à des pratiques comme celles qu'on voit ressurgir, des problèmes qui entraînaient des faillites nombreuses avec des conséquences pour l'ensemble des créanciers. Ce sont des pratiques qui ont aussi des conséquences économiques, non seulement sur les consommateurs visés — et c'est souvent des conséquences économiques et sociales graves —, mais aussi sur l'ensemble de l'économie. C'est très clair dans l'étude que Ernst & Young a préparée pour l'industrie des prêteurs sur salaire. Pour cette industrie, un client rentable est un client qui revient 15 fois. C'est un client qui s'endette à répétition. C'est un client qui, à longueur d'année, est endetté à des taux d'intérêt comme cela. Cela a des impacts considérables à long terme sur la société.

Je redis ce que nous disions tantôt : il y a des alternatives. Au Québec actuellement, nous travaillons à en mettre sur pied. C'est encore à l'état de projet-pilote, mais cela fonctionne bien. On a une excellente collaboration avec le mouvement Desjardins. On a déjà eu des échanges très préliminaires avec au moins une banque, et il n'est pas du tout impossible que ces gens, étant exclus du marché, il y ait d'autres concurrents.

Actuellement, il se passe une chose très curieuse. Au Canada, on permet à des concurrents sur le marché d'agir de façon criminelle, au sens du Code criminel tel que rédigé actuellement. On est très loin des règles du jeu équitables ici.

Le sénateur Massicotte : Je vous souhaite bonne chance. S'il y a d'autres alternatives qui se présentent, d'après votre projet avec la caisse populaire, tant mieux. Cela va forcer les autres à concurrencer et conséquemment le gagnant va dominer. On va régler le problème indirectement, non?

M. St-Amant : Vous partez de la prémisse qu'on va obtenir des résultats parfaits dans un marché parfait. Les marchés, hélas, sont généralement imparfaits. La réalité sociale est telle qu'un jour, un soir, une personne qui a un problème de jeu, un problème de toxicomanie, va faire l'erreur d'emprunter 200 $ ou 300 $ qu'il ne devrait pas emprunter et va s'engager dans un cercle de surendettement. C'est un prêt auquel nous ne consentirions pas parce que nous examinons la situation des gens avant. Mais si vous tolérez des entreprises comme celles qui existent actuellement, vous ouvrez la porte à bien des choses.

Accessoirement, je noterais que depuis déjà deux ans, le Québec a éliminé les prêteurs sur salaire. Or, le marché fonctionne relativement bien. On n'a pas vu de gens dans des situations dramatiques. Il y a d'autres façons, à des taux d'intérêt abordables, de se débrouiller, plutôt que cette solution qui paraît simple et immédiate, mais qui est en fait extrêmement coûteuse pour les consommateurs.

Le sénateur Hervieux-Payette : Cela fait du bien de temps en temps un peu de philosophie, même au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Sur vos propos philosophiques de justice et d'équité, je me demande si je devrais avoir des remords. J'étais députée en 1980 et j'étais membre du comité sur la justice, mais je ne me souviens pas dans quel cadre le projet de loi avait été discuté. En ce qui a trait au projet de loi S-19, est-ce qu'une solution autre serait de revenir à une version nouvelle de la Loi sur les petits prêts? Vous n'en avez pas parlé comme tel. Vous avez dit que c'est complexe et que même la Cour suprême reconnaît que c'est compliqué. C'est un moyen par lequel le fédéral peut aller dans un secteur, mais les institutions financières ont toutefois un large champ de juridiction. Je constate effectivement qu'il y a un besoin parce que lorsqu'il y a 1 000 entreprises sur le marché, il faut vraiment qu'il y ait un besoin pour ce genre d'organisations. Je me demande quelle serait la meilleure mesure que vous pourriez nous recommander et qui en soi serait équitable autant pour le prêteur que l'emprunteur?

Mme Rozon : Il est important tout de même de modifier l'article du Code criminel parce que, comme le soulignait M. St. Amant, il y a une question d'éthique, de principe, de morale qui fait que dans la société, à la lumière de ce qu'on inscrit dans le Code criminel, c'est ce qu'on accepte — en fait, c'est ce qu'on n'accepte pas comme genre de pratique. À ce titre, on endosse le projet de loi dans le sens où il faut réduire ce taux criminel, mais comme on l'a souligné, c'est nettement insuffisant. Il faudrait faire une réflexion plus générale. Est-ce que cette réflexion à l'égard de tout le marché du micro-crédit nous amènerait à conclure qu'il faudrait ressusciter et adapter la loi sur les petits prêts de 1980? C'est possible, mais on n'a pas réfléchi à cette question en détail.

[Traduction]

Le président : Très brièvement, s'il vous plaît. S'il y a une autre possibilité, faites-nous en part.

[Français]

M. St-Amant : Ce travail de réflexion se fait actuellement par l'entremise du Comité des mesures en consommation. Nous participons à ses travaux. J'espère qu'il en sortira des propositions concrètes. J'aimerais ajouter, pour atténuer vos possibles remords, qu'à l'époque, le projet de loi, dont l'article 347, a été adopté en deux jours à la Chambre des communes. Il y a eu dépôt puis adoption le lendemain. Vous n'avez sans doute pas eu de rencontres de comité.

Le sénateur Plamondon : J'aimerais vous remercier tous les trois pour votre présentation. Je sais que Option consommateurs fait aussi de la consultation budgétaire et que vous êtes à même de voir l'endettement et les mauvais côtés des prêts qui frôlent l'usuraire.

Au Québec, nous retrouvons de telles initiatives avec le Mouvement Desjardins, mais il en existe d'autres, dont Cash and Save, avec la banque Royale, à Toronto, Four Corners Community Savings, par le gouvernement provincial, à Vancouver, VanCity Credit Union, à Vancouver aussi, et Assiniboine Credit Union West Broadway Branch, à Winnipeg et à Winnipeg toujours, d'autres initiatives qui s'appellent Individual Development Accounts, Learn and Save et Saving Circle.

Ce qui importe, ce n'est pas juste d'avoir l'article 347, mais d'aller vers d'autres solutions. On sent que les milieux se mobilisent pour chercher des solutions parce que dans le moment, il est impensable de laisser les gens démunis aux prises avec des taux usuraires.

[Traduction]

Le président : Pouvez-vous répondre brièvement au commentaire du sénateur? Un autre comité veut venir s'installer dans la salle le plus rapidement possible.

[Français]

M. Villemure : Il faut faire attention afin de bien faire la différence entre un taux d'intérêt et un taux d'intérêt usuraire. L'origine du mot usure vient de l'époque où on payait les gens avec des pièces d'or. Le prêteur voulait recevoir autant d'or qu'il en avait prêté, sauf que les pièces s'usaient à force d'être manipulées. On est venu à considérer cela comme étant une juste compensation ou même une extraordinaire compensation.

Il faudrait peut-être revenir au sens premier. La personne devra gagner un revenu, pas en bas de ses coûts, mais si l'action contribue à n'appauvrir seulement qu'une personne, elle est probablement injuste.

[Traduction]

Le président : Merci de votre témoignage, que vous nous transmettrez par écrit je l'espère. À la page 11 de votre mémoire, vous parlez de l'évolution du cadre américain. Vous dites que dans l'État de New York, un taux d'intérêt de 25 p. 100 par année sur un prêt est jugé usuraire. Vous laissez entendre que l'écart entre les taux jugés criminels dans l'État de New York comparativement au Canada favorise l'établissement de ces prêteurs au Canada, puisqu'ils sont punis aux États-Unis pour des taux d'intérêt moins élevés. Il nous serait extrêmement utile que vous nous fassiez parvenir des documents ou des preuves à l'appui des différences dans les taux d'intérêt entre les divers États américains et le Canada, ainsi que de l'effet que peut avoir l'établissement de ces mauvais prêteurs au Canada.

J'aimerais vraiment savoir si vous avez aussi ces renseignements.

[Français]

M. St-Amant : Notre commentaire à l'égard de l'impact transfrontalier était délibérément coquin, mais je suis convaincu que les services policiers se feront un plaisir de dire avec qui sont acoquinés les différents groupes criminels dans certaines provinces, notamment le Québec.

[Traduction]

Le président : Je prie nos témoins de Montréal, et plus particulièrement M. Villemure, de nous excuser d'avoir dû abréger le temps que nous leur avons consacré. Je demande à tous les sénateurs de lire tous vos documents.

La séance est levée.


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