Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 11 - Témoignages du 20 avril 2005
OTTAWA, le mercredi 20 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour examiner, afin de faire rapport, l'état actuel des systèmes financiers national et international.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue au public canadien à une des audiences les plus importantes du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Deux fois par année, depuis quelques années maintenant, pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, nous rencontrons le gouverneur et des hauts fonctionnaires de la Banque du Canada. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. David Dodge et son sous-gouverneur, Paul Jenkins. Les gens sont en train de vous regarder non seulement d'un océan à l'autre, monsieur le gouverneur, mais sachez qu'on vous regarde aussi, pour la première fois, sous notre égide, sur le web. En effet, des gens dans des régions lointaines, à partir des banques centrales de l'Asie et de l'Amérique du Sud, seront rivés à chaque mot que vous prononcerez avec grande anticipation et enthousiasme. Nous vous remercions d'être venu nous rencontrer de nouveau. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire, et je sais que les honorables sénateurs ont bien hâte de vous poser des questions qui leur tiennent à coeur.
M. David Dodge, gouverneur, Banque du Canada : Merci infiniment monsieur le président. C'est un grand plaisir pour moi que de me trouver ici aujourd'hui pour la première fois dans vos nouveaux locaux — devant un nouveau président et dans une nouvelle salle.
[Français]
Comme toujours, nous apprécions la possibilité que nous avons, deux fois l'an, de vous rencontrer à la suite de la parution du rapport sur la politique monétaire. Ces séances nous aident à bien renseigner les sénateurs et tous les Canadiens au sujet de notre point de vue sur l'économie, de l'objectif de la politique monétaire et des mesures que nous prenons pour l'atteindre.
Jeudi dernier, nous avons publié la livraison d'avril du rapport sur la politique monétaire. Dans ce rapport, nous expliquons que l'évolution de l'économie mondiale est généralement conforme aux attentes et que les prévisions concernant l'activité au pays sont, en gros, les mêmes qu'au moment de la mise à jour de janvier.
L'économie canadienne continue de s'ajuster aux changements en cours dans le monde. Parmi ces changements, mentionnons le réalignement des devises causées par les déséquilibres mondiaux, la hausse des prix de l'énergie et des produits de base non énergétique ainsi que la concurrence grandissante provenant des pays et marchés émergents.
[Traduction]
Les ajustements sectoriels qui s'opèrent au Canada en réponse à ces changements deviennent plus manifestes. De nombreuses industries productrices de matières premières sont en expansion, alors que les entreprises de certains autres secteurs ouverts au commerce international subissent des pressions associées à l'appréciation de notre monnaie et à la concurrence étrangère. Dans l'ensemble, le volume des exportations nettes ralentit l'activité. Mais grâce au dynamisme de la demande intérieure, quelques secteurs, dont le commerce de détail et de gros ainsi que le logement, connaissent une forte croissance.
La Banque prévoit que l'économie canadienne progressera de quelque 2,5 p. 100 en 2005 et d'environ 3,25 p. 100 en 2006 et que la croissance, cette année et l'an prochain, proviendra principalement du dynamisme de la demande intérieure. Afin de continuer à soutenir la demande globale, nous avons décidé de maintenir à 2,5 p. 100 le taux cible du financement à un jour le 12 avril.
La Banque estime encore que l'économie tourne un peu en deçà des limites de sa capacité et qu'elle remontera à son plein potentiel au second semestre de 2006. L'inflation mesurée par l'indice de référence devrait revenir à 2 p. 100 vers la fin de l'an prochain. Selon le scénario établi à partir des coûts à terme du pétrole, le taux d'augmentation de l'IPC global devrait rester légèrement au-dessus de 2 p. 100 cette année et descendre un peu sous ce taux au deuxième semestre de 2006. À la lumière de ces prévisions pour la croissance et l'inflation, une réduction du degré de détente monétaire sera requise au fil du temps.
Ces prévisions sont entachées de risques, aussi bien à la hausse qu'à la baisse, et d'incertitudes. Parmi ces risques, mentionnons le rythme d'expansion en Asie ainsi que la trajectoire des cours du pétrole et des produits de base non énergétiques. Un autre risque concerne la résorption des déséquilibres des balances courantes à l'échelle mondiale, notamment la possibilité grandissante que le processus de correction ne devienne désordonné si ces déséquilibres devaient persister. Les incertitudes liées aux perspectives pour le Canada ont trait pour la plupart à la façon dont l'économie s'ajuste aux modifications des prix relatifs associés aux principaux changements en cours sur la scène internationale. La politique monétaire continue de faciliter le processus d'ajustement en visant à maintenir l'inflation au taux cible de 2 p. 100 et à faire tourner l'économie près de son plein potentiel.
Honorables sénateurs, nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Monsieur le gouverneur, merci d'avoir été concis. J'exhorte mes collègues à faire de même. Ils ont des questions à poser et des commentaires à faire, et j'espère qu'ils feront preuve de retenue pour nous donner l'occasion à tous de poser des questions.
Le sénateur Angus : Messieurs, c'est toujours un plaisir que de vous recevoir. Cette fois-ci, c'est au lendemain de votre comparution devant les députés. J'ai jeté un coup d'œil à la transcription de cette séance. Je constate aussi que vous êtes en première page de certains de nos grands journaux ce matin. Je suis sûr que l'on va vous interroger sur la question du fusionnement des banques qui a semblé attirer l'intérêt national. Je vous interrogerai pour ma part sur une autre question.
Vous avez parlé de ce « déséquilibre mondial » qui a une forte influence sur l'économie canadienne. Vous y avez fait allusion lorsque vous avez comparu ici en novembre. Vous en avez reparlé hier. Je remarque que vous le mentionnez également aujourd'hui dans au moins deux paragraphes. J'ai l'impression que c'est le résultat d'une situation qui veut que, notamment aux États-Unis, les consommateurs dépensent beaucoup et n'économisent pas, ce qui crée un déséquilibre alors que dans d'autres pays on produit beaucoup et l'on économise. Il y a aussi le fait que certaines devises flottent, comme le dollar canadien, alors que dans d'autres pays, comme en Chine, il y a un taux de change fixe en fonction du dollar américain. Vous avez parlé des risques que peuvent susciter au Canada de tels déséquilibres et de la difficulté que l'on peut avoir à y faire face.
C'est quelque chose qui est compliqué pour nous et pour la population en général et j'aimerais que vous essayiez de nous décrire ce problème de façon à ce que nous comprenions mieux, nous et les téléspectateurs, ce que vous essayez de nous dire et ce que nous devrions surveiller. Je dirais que vous nous avez avertis à deux ou trois occasions de cette situation si bien que j'aimerais comprendre clairement ce dont il est question.
M. Dodge : Merci, sénateur. Vous avez mis le doigt sur un des problèmes clés. En effet, j'ai passé la fin de semaine dernière à Washington au FMI et avec le G7 et c'était-là un des éléments clés à l'ordre du jour.
Tout d'abord, il y a la situation aux États-Unis où l'épargne ne permet pas de faire les investissements nécessaires et où l'on importe donc des épargnes de l'étranger; alors qu'à l'étranger, principalement mais pas exclusivement en Asie, c'est exactement le contraire. Il n'y a pas en principe de problème à cela. En fait, nous avons connu certaines périodes dans l'histoire où nous avions des déficits courants importants. Il n'y a pas de mal à avoir un déficit courant, ni un excédent, comme actuellement. Ce qui est inquiétant, c'est la façon dont cela évolue car il faut savoir si les mécanismes existants permettent à ces situations de se corriger petit à petit. Ce sont normalement les mécanismes du marché qui opèrent cette correction.
Nous voyons cela constamment au Canada. Une région du pays a une épargne excessive alors qu'une autre manque d'épargne. Le capital bouge, les gens aussi et, avec le temps, l'équilibre est rétabli. Les mécanismes normaux du marché dans un pays fonctionnent de façon à le rétablir, même si les ajustements sont parfois difficiles. Le problème, sur la scène internationale, c'est que l'on ne laisse pas fonctionner ces mécanismes à fond.
Évidemment, la main-d'oeuvre n'est pas aussi mobile à l'échelle internationale qu'à l'échelle nationale. Ce mécanisme n'existe pas, il en faut donc d'autres, tels que les flux d'échanges et de capitaux pour permettre les ajustements voulus. Normalement, on peut s'attendre qu'avec le temps un pays qui fait de gros investissements importe des capitaux de l'étranger, faute d'épargne suffisante, et que ce soit l'inverse dans un pays où il n'y a pas autant d'investissements. Avec le temps, avec les mouvements dans les taux d'intérêt, les prix relatifs et à l'échelle internationale, les taux de change, le marché opère les corrections pour rétablir l'équilibre. S'il y a quelques hésitations en cours de route, les choses finissent pas se stabiliser.
Le plus inquiétant pour l'heure est le fait que les politiques entravent le jeu normal des forces du marché afin de redresser ces déséquilibres. Aux États-Unis, on préconise une forte consommation et la contraction de l'épargne. En Europe, les politiques ne sont pas particulièrement souples et, par conséquent, on n'y constate pas une grande croissance de la consommation. La même chose est tout à fait vraie pour le Japon. En Chine et dans d'autres pays asiatiques, la consommation est plutôt faible, même si on y constate de gros investissements, et le mécanisme du taux de change ne se prête pas à des redressements de ce côté-là. Cela pourra se poursuivre un certain temps mais pas indéfiniment. Cela va s'arrêter mais il faut se demander comment le phénomène se produira. Nous craignons que sans le jeu de toutes les forces du marché pour apporter ce redressement, il se produise un bouleversement majeur dans le monde, assorti d'une croissance extrêmement lente et d'une augmentation du chômage car des pays n'adoptent pas les politiques macroéconomiques appropriées ou ne suivent pas les politiques de taux de change appropriées. Et le Canada doit craindre un regain de protectionnisme.
Sénateur, c'est un début de réponse à votre question. Nous allons essayer de vous fournir d'autres précisions.
Le sénateur Angus : Vous avez dit qu'un regain de protectionnisme est l'exemple le plus frappant. Pouvez-vous nous expliquer quel facteur pourrait entraîner telle ou telle conséquence pour l'économie canadienne?
M. Dodge : Ce n'est pas aussi simple que cela mais pour vous donner une idée du spectre qui nous effraie, rappelez- vous les années 1930 quand un ou deux pays ont érigé des barrières commerciales entraînant des mesures de rétorsion prises par d'autres pays. La tentation naturelle doit être contrée. Cette tentation devient de plus en plus intense quand on constate que certains pays ne respectent pas les règles. Actuellement, c'est le cas au Capitol, à Washington.
Le sénateur Angus : Vous parlez maintenant de protectionnisme?
M. Dodge : C'est cela.
Le sénateur Angus : Cela a-t-il une conséquence directe pour le Canada? Manifestement, certains dossiers commerciaux sont plutôt publics, n'est-ce pas?
M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Assurément, comme l'a dit le gouverneur Dodge, on constate un effet de cascade dans une telle situation. Quand un pays adopte des mesures protectionnistes, le commerce est touché de façon plus générale. C'est ce risque-là qui nous inquiète. Le gouverneur a évoqué l'interaction complexe de certains facteurs car cela ne se borne pas au taux de change. Nous craignons particulièrement que les États-Unis éventuellement favorisent une augmentation de l'épargne et en contrepartie, la consommation baissera. Si dans les autres pays, on ne prend pas de mesures compensatrices pour relever les niveaux de consommation, on constatera un effet sur l'économie mondiale au niveau des taux de croissance d'ensemble.
C'est un non-jeu pluridimensionnel et voilà pourquoi nous continuons de soulever la question lors des réunions internationales, comme celle qui s'est déroulée la fin de semaine dernière. Nous estimons que c'est important non seulement pour le Canada mais pour l'économie mondiale également.
Le sénateur Angus : Nous allons devoir revenir sans cesse sur ce sujet.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je vais tenter de résumer les commentaires que vous avez faits hier. D'après les journaux, vous avez dit que la fusion des banques offre une efficacité accrue, et conséquemment, une efficacité qui peut augmenter la productivité et rendre les services plus compétitifs et ce, à l'avantage des consommateurs. Je crois que vous avez aussi fait un commentaire au sujet des banques canadiennes, du fait que le niveau de capital plus élevé pourrait être plus compétitif à l'échelle mondiale et internationale. En même temps, suite à cette lacune, d'où le souci de bien de gens, vous avez suggéré que les coopératives ou les caisses populaires pourraient peut-être satisfaire au besoin ou à la crainte que nous avons tous au point de vue des petites et moyenne entreprises et des gens vivant à la campagne.
J'aimerais plus d'information au sujet des études que la Banque du Canada a faites pour appuyer ces trois hypothèses. Certaines personnes craignent et disent que même s'il y a moins de banques et même s'il y a un potentiel d'efficacité accrue, peut-être que la compétition ne serait pas adéquate à cause du fait qu'il y a déjà peu de joueurs, que les consommateurs ne verraient peut être pas les bénéfices. Il y a plusieurs experts qui disent que nos banques canadiennes n'ont pas été un succès aux États-Unis. Effectivement, cela a été un échec pour plusieurs, il y a même deux ou trois banques qui reviennent maintenant au Canada. Il y a eu quelques commentaires au sujet des coopératives qui peuvent satisfaire à la demande, mais y a-t-il des études plus approfondies qui peuvent répondre à nos soucis relativement à ces trois égards?
M. Dodge : Au mois de décembre dernier, j'ai prononcé un discours à Toronto au sujet de l'efficience dans les marchés financiers au Canada. J'ai parlé de l'efficience des institutions financières et de la fusion des marchés financiers eux-mêmes.
J'ai mis l'accent dans ce discours sur l'efficience dans nos recherches à la banque. Si les institutions et les marchés sont efficaces, ce sera mieux pour le taux de croissance au Canada. Il faut avoir une bonne allocation des épargnes suite aux investissements afin que ce soit le plus rentable possible. C'est le rôle des marchés monétaires et des institutions. Il est extrêmement important de toujours mettre l'accent sur l'efficacité de ces institutions et de ces marchés.
Ce que l'on observe dans la recherche qui a été faite à l'extérieur du Canada et nos recherches sur le développement au Canada, c'est qu'il y avait des bénéfices de consolidation dans le secteur bancaire, soit la consolidation des banques elles-mêmes ou la consolidation de diverses institutions comme l'assurance et l'investissement bancaire.
Ce sont des recherches économiques. Il y a des preuves que la consolidation a livré des bénéfices aux consommateurs et aux émetteurs. Il faut dire que la direction de ces conclusions est à peu près la même à travers le monde mais les gains qu'on estime recevoir de ces consolidations, il y a beaucoup de différence entre les études. En tout cas, la direction est assez claire. C'est simplement le résultat de nos recherches.
Ce qu'on observe aussi depuis longtemps, depuis la Commission Porter en 1964, c'est qu'il y avait au Canada et plus tard dans le monde, une amélioration de l'efficacité des institutions financières qui est venue de l'élimination des contraintes qui limitent les activités des institutions et l'opération des marchés.
Donc la direction est claire. Après quelque temps, il y a un gain dans l'efficience de ces institutions et dans les marchés. Mais ce n'est pas simple et la réglementation des institutions financières est quelque chose d'assez complexe.
[Traduction]
Le président : Monsieur le gouverneur, je ne veux pas jouer les instituteurs mais j'ai ici une longue liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Vous pourriez peut-être écourter vos réponses.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Le rôle de la banque principale est de maintenir la stabilité de la valeur du dollar. Comme plusieurs autres banques mondiales, nous nous sommes beaucoup concentrés sur l'inflation au consommateur. Quelques banques centrales, surtout en Europe, parlent de plus en plus du « asset pricing », en d'autres mots, non seulement l'inflation du prix au consommateur mais aussi des actifs comme les maisons résidentielles.
Je sais que la banque a fait une déclaration, il y a deux ou trois semaines, disant qu'elle va peut-être étudier sa mesure de l'inflation pour en discuter avec le gouvernement et pour déclarer sa cible d'inflation. Est-ce que la Banque du Canada va changer sa cible ou sa méthode de mesure de l'inflation pour inclure l'appréciation des actifs ou cela va toujours rester l'indice du consommateur?
M. Dodge : C'est une question assez complexe. Je vais essayer de donner une réponse courte mais peut-être je pourrais revenir sur ce sujet parce que c'est un sujet très intéressant.
Nous sommes en train de faire des recherches parce qu'en 2006, il faut renouveler notre accord avec le gouvernement pour les prochaines années. Nous avons dit qu'il faut faire des investigations. Peut-on gagner en observant le taux d'appréciation ou de dépréciation des valeurs des actifs? Est-ce qu'il y a de l'information continue dans les puits d'actifs qui peuvent nous aider peut-être à atténuer ou même ajouter du temps à notre objectif de retourner à l'inflation à 2 p. 100 dans 18 à 24 mois.
C'est un sujet très intéressant et peut-être que s'il y a d'autres questions, on pourrait y revenir.
M. Jenkins : Brièvement, il y a une petite différence entre l'information dans les « asset prices » que la banque centrale peut utiliser pour l'application de la politique monétaire. C'est très différent de l'idée d'inclure les « asset prices » dans la cible de notre politique monétaire.
[Traduction]
Le président : J'ai oublié de vous présenter un nouveau sénateur, nommé récemment. Le sénateur McCoy, de la souveraine province de l'Alberta.
Bienvenu, sénateur McCoy. Je me suis intéressé à la dette des provinces et j'ai constaté que l'Alberta est la seule province véritablement sécuritaire et saine sur le plan financier, car non seulement elle a remboursé sa dette mais elle jouit d'un excédent. Nous allons compter sur vos lumières dans nos travaux.
Le sénateur Harb : Merci, monsieur Dodge, pour un excellent exposé.
Je voudrais évoquer le discours que vous avez prononcé aux États-Unis à la National Association for Business Economics. J'ai lu une citation que l'on vous attribue et je l'ai trouvée fort intéressante. Décrivant l'approche de la Banque du Canada, vous avez insisté sur le fait que pour vous juguler l'inflation est un moyen de parvenir à une fin et non pas à une fin en soi. Vous dites que juguler l'inflation est la meilleure façon de réaliser une forte croissance durable de la production et de l'emploi.
Il me semble que dans une grande mesure cela réussit depuis plusieurs années. Je veux comparer cela à ce qu'ils font aux États-unis, où ils utilisent une démarche à double voie : ils ne font pas explicitement du ciblage d'inflation mais se contentent sur la stabilité à long terme des prix en se disant que cela va maximiser la croissance.
Le Canada peut-il en faire autant et surveiller l'inflation tout en se concentrant sur la croissance économique au moyen du plein emploi, par exemple, ou d'autres moyens.
M. Dodge : Comme je l'ai dit dans ce discours, l'objectif de la banque centrale ici, tel qu'il est exposé dans notre loi, est très semblable à la démarche de la réserve fédérale américaine, c'est-à-dire, dans la mesure où c'est possible dans le cadre de l'action monétaire, de promouvoir l'emploi et la croissance, et cetera. C'est dans notre loi.
La question est de savoir comment s'y prendre. Nous avons observé avec le temps, et nous ne sommes pas les seuls dans cette situation, que la meilleure contribution qu'une banque centrale puisse apporter à l'emploi et à une production élevée et soutenable, à une croissance forte dans le temps et à la stabilité est de promouvoir la confiance dans la valeur future de l'argent — la stabilité des prix, à savoir pour nous le maintien de l'inflation à une cible de 2 p. 100.
Nous sommes venus à la conclusion que c'est la meilleure façon d'y parvenir et que quand les Canadiens sont convaincus que nous agirons ainsi, la croissance s'en trouvera encouragée. C'est pourquoi nous avons adopté une formule du ciblage de l'inflation. Comme vous le savez, il y a un grand débat aux États-unis sur la question de savoir s'ils devraient adopter notre démarche.
Le sénateur Harb : Ma deuxième question porte sur l'opportunité d'augmenter les taux. Normalement, vous examinez un ensemble de facteurs ici au Canada; vous examinez les habitudes, les intrants et les extrants, ainsi que d'autres facteurs. Dans quelle mesure tenez-vous également compte de facteurs externes comme l'évolution de la situation aux États-unis ou en Europe et l'émergence de la Chine? Quelle importance accordez-vous à ces événements dans votre décision? Y a-t-il un système de pondération?
M. Jenkins : C'est une excellente question. Le cadre que nous avons tracé autour de notre cible explicite d'information a un centre, d'abord et avant tout, à savoir la façon dont nous envisageons la demande globale dans l'économie canadienne. Il s'agit de la demande totale au Canada ainsi que la demande d'exportation des consommateurs, des entreprises et des pouvoirs publics. Nous consultons constamment toutes les sources d'information susceptibles de nous donner une idée de l'évolution de la demande globale. Autrement dit, nous prenons compte de tout ce que vous avez énuméré en nous alimentant à divers canaux.
Nous examinons les indicateurs de la situation en Chine ou aux États-Unis et nous en mesurons les conséquences pour la demande globale. La façon dont nous envisageons ces tendances dans l'économie canadienne pour la demande globale influe sur notre processus décisionnel. L'objectif d'ensemble est de s'assurer que la demande globale concorde avec l'offre pour que nous puissions conserver la croissance dans le temps et avoir une économie qui fonctionne bien sur le moyen terme. Nous essayons de tout additionner et cette somme nous ramène au concept de la demande globale.
Le sénateur Harb : J'ai vu dans votre rapport de synthèse qu'à un moment donné vous souhaitiez voir une réduction de la détente monétaire. J'aimerais que vous nous en disiez davantage.
En réponse à mon collègue, vous avez parlé du déséquilibre des balances extérieures des opérations courantes. Dans quelle mesure s'agit-il d'entreprises comme Cisco, qui ont des unités en Chine qui produisent des biens renvoyés aux États-Unis et vendus à des compagnies là-bas? L'investissement joue-t-il un rôle dans la création de ces déséquilibres des balances courantes? Même s'il s'agit d'une entreprise américaine qui produit les biens, ça n'est peut-être pas sur le sol américain. Cela peut être en territoire chinois, mais les produits reviennent aux États-Unis et nous nous retrouvons avec un déséquilibre de la balance courante.
Le président : C'est une rafale de questions. Afin d'être juste envers les autres sénateurs, peut-être que le gouverneur pourrait seulement répondre à celle-là.
M. Dodge : En prenant ces données de la balance courante, on tient compte de tous ces aspects. Il n'est pas question d'avoir un déséquilibre. Soyons clairs. Le risque c'est qu'on ne permette pas aux mécanismes qui corrigeraient le déséquilibre au fil du temps d'opérer. C'est cela qui crée le risque plus tard. Ce n'est pas que les déséquilibres de la balance courante ne puissent pas être financés ni que les marchés ne fonctionnent pas; c'est plutôt qu'au fil du temps il faut leur permettre de faire leur travail.
Le président : J'aimerais vous présenter un nouveau sénateur qui siège au comité pour la première fois, le sénateur Ruth, de l'Ontario. Le sénateur Ruth a beaucoup d'expérience dans plusieurs domaines. Nous avons hâte de profiter de son expertise.
Bienvenue, sénateur Ruth.
Le sénateur Oliver : J'aimerais vous souhaiter la bienvenue, monsieur le gouverneur. Nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau.
Depuis le 11 septembre, le monde est devenu plus conscient de la sécurité. La Banque du Canada est responsable de la sécurité de notre système financier et de la protection de l'intégrité de notre monnaie nationale, et cetera.
Si j'ai bien compris, vous avez mis en œuvre un programme à trois volets afin de renforcer la sécurité pour les Canadiens. On entend parler de la contrefaçon de billets de banque. Quelles nouvelles mesures de sécurité avez-vous mises en œuvre pour veiller à ce que notre monnaie ne fasse pas l'objet de contrefaçon?
M. Dodge : Je vais aborder la question de la sécurité et M. Jenkins vous répondra en ce qui concerne la monnaie.
C'est évident que le 11 septembre nous a montré à quel point le système est fragile. Depuis cette date, depuis le verglas, depuis les pannes d'électricité, et cetera, nous avons fait des efforts importants, comme ont fait les banques à charte, pour mettre sur pied un système plus solide qui puisse fonctionner à partir de centres de secours.
Il est juste de dire qu'au cours des cinq dernières années, nous avons consacré, avec les institutions financières, beaucoup de temps, d'argent et d'efforts pour renforcer le système et le rendre plus performant. C'est vrai aux États- Unis et partout dans le monde. Nous avons beaucoup fait pour veiller à ce que les paiements puissent être faits même en cas de perturbation.
Des pays partout dans le monde, et le Canada en particulier, ont fait beaucoup de progrès envers la création d'un système plus robuste par comparaison avec notre situation en septembre 2001.
Je donne la parole à M. Jenkins sur la question des billets de banque.
M. Jenkins : Vous avez raison de dire que nous avons entamé une stratégie à trois volets pour mettre en valeur le niveau de confiance des Canadiens envers les billets de banque canadiens. Rappelez-vous que l'an passé nous avons émis trois nouvelles grosses coupures. Les billets de 20, de 50 et de 100 $. Tous les trois comportent de nouveaux éléments de sécurité qui nous aideront énormément à notre avis dans notre lutte contre la contrefaçon.
Le sénateur Oliver : Quelle a été votre expérience jusqu'à maintenant avec ces trois éléments?
M. Jenkins : Jusqu'à maintenant, l'expérience a été très positive. Les données sur les contrefaçons dont nous avons fait état dans notre rapport annuel de 2004 vis-à-vis de 2003 ont augmenté à nouveau, en volume et en montant. Néanmoins, pour l'ensemble de l'année, on voit que le niveau de contrefaçon commence à diminuer, particulièrement dans le cas des grosses coupures.
La prochaine étape que nous entamerons sera l'émission d'un nouveau billet de 10 $ en mai, qui incorporera les nouveaux éléments de sécurité élevée. Le premier volet c'est l'incorporation de ces éléments de sécurité.
Le deuxième volet, c'est ce qu'on appelle les communications. En fait, une de nos meilleures garanties contre les contrefaçons c'est d'assurer que les Canadiens reconnaissent un vrai billet de banque par rapport à une contrefaçon. Nous continuons à travailler auprès de nos partenaires — les institutions financières, les détaillants à l'échelle du pays et nos bureaux régionaux — afin de faire avancer cette partie de notre stratégie à trois volets.
Le troisième volet, c'est le travail avec les services de police au Canada.
Je répète que nous travaillons à conclure un certain nombre de partenariats et que ceux-ci font partie de notre stratégie globale.
Le sénateur Oliver : S'agirait-il de partenariats avec les banques à charte et avec les forces policières?
M. Jenkins : Oui.
[Français]
Le sénateur Plamondon : J'aimerais vous poser des questions au sujet de votre mandat, qui est de favoriser de façon générale la prospérité économique et financière du Canada. Mes deux questions porteront sur les épargnes et sur l'endettement des Canadiens, et sur vos positions récente à ce sujet.
Vous avez dit récemment, je crois, que vous étiez en faveur de l'idée que les régimes de pension pouvaient être investis à 100 p. 100 à l'extérieur du Canada. Est-ce que cela voudrait dire que le régime de pension des employés du gouvernement fédéral, des employés des gouvernements provinciaux et tous les régimes de pension pouvaient être investis au Canada? Ma perception est que oui. Pouvez-vous me le confirmer?
M. Dodge : Vous avez dit « pouvaient »?
Le sénateur Plamondon : Oui, « pouvaient ».
M. Dodge : Oui.
Le sénateur Plamondon : À ce moment-là, mon inquiétude ne sera pas la même, mais j'ai une inquiétude quand même parce que, pour moi, ces pensions devraient être investies, pour commencer, au Canada, et le fait qu'on hausse de 30 à 100 p. 100 la permission d'investir à l'extérieur du Canada me donne de grandes préoccupations.
J'en viens maintenant aux régimes de pension qui sont gérés par des intérêts extérieurs au Canada. Ce sont des compagnies comme Home Depot, Wal-Mart, et ainsi de suite, qui pourraient avoir des commerces au Canada, avoir beaucoup d'employés, prendre les fonds de pension et les investir aux États-Unis, dans leurs propres intérêts. Est-ce que cela pourrait être fait? Pour les régimes de pension des employés de compagnies qui sont au Canada, mais dont les maisons mères sont aux États-Unis, est-ce qu'on pourrait décider au Canada de prendre l'argent de ces fonds de pension et les investir aux États-Unis?
M. Dodge : Il y a des règlements qui s'appellent « prudent person rule ». Cela veut dire que seulement une petite partie des actifs peut être investie dans une action, dans une compagnie ou dans un émetteur d'obligations.
Le sénateur Plamondon : Ces fonds pourraient être investis dans plusieurs compagnies aux États-Unis, n'est-ce pas?
M. Dodge : Oui.
Le sénateur Plamondon : Cette situation me préoccupe beaucoup parce que c'est l'avenir des régimes de retraite de tous les Canadiens et, souvent, c'est le seul argent que ces gens vont recevoir. Je me demande comment on peut être aussi confiant dans l'économie actuelle pour permettre d'investir jusqu'à 100 p. 100 de ces fonds à l'extérieur du Canada.
M. Dodge : Normalement la question est posée dans l'autre sens. Ici au Canada, surtout dans les marchés pour les actions, pas nécessairement pour les obligations mais certainement pour les actions, nous avons des opportunités assez limitées parce que nos compagnies sont concentrées dans les industries de ressources naturelles et quelques autres comme les banques. Donc, pour essayer de diversifier les actifs des fonds de pension, c'est extrêmement important d'avoir la chance d'investir dans les actions de compagnies qui ne sont pas canadiennes.
Le sénateur Plamondon : Jusqu'à 100 p. 100?
M. Dodge : Jusqu'à dernièrement, il y avait une limite de 30 p. 100, mais les grands fonds de pension avaient souvent investi plus que cela par des moyens indirects qui ne sont pas efficaces pour les membres des fonds de pension. Maintenant ils peuvent investir directement. Cependant, n'importe quel fond de pension doit payer les pensions en dollars canadiens. Donc la prudence dit qu'il faut avoir beaucoup d'actifs dans les compagnies canadiennes ou dans les obligations canadiennes.
Il y a donc des limites de prudence qui s'imposent, mais il n'est pas nécessaire d'imposer d'autres limites supplémentaires.
Le sénateur Plamondon : Ma deuxième question concerne l'endettement des Canadiens. Pour ma part, je suis inquiète de l'endettement des Canadiens. Vous dites que vous avez comme mandat de favoriser la prospérité économique et financière, pourtant vous vous portez à la défense des fusions bancaires. Qu'on parle de fusion, de consolidation, de réingénierie, on parle toujours de la même chose, soit de se rendre plus rentable, d'éliminer ce qui est moins rentable. Vous avez parlé des « credit unions » qui sont prêts à prendre la relève des succursales bancaires qui pourraient fermer. On a entendu le témoignage de l'ex-vice-président de l'Association des banquiers canadiens qui est maintenant pour les « credit unions » et qui nous a dit qu'il était prêt. Mais ce que l'on voit apparaître un peu partout au Canada, ce sont des Money Mart, des prêteurs sur salaire et des guichets qui, dès qu'ils ne sont pas rentables sont fermés. Cela se solde peut-être par de meilleurs rendements pour l'actionnaire, mais non pas par de meilleurs services aux Canadiens.
Je voudrais que vous m'expliquiez comment vous pensez offrir des meilleurs services, dans une époque de rationalisation? On n'a presque pas de grandes banques — on n'a pas le même système que les États-Unis — et vous favorisez encore la fusion des banques alors qu'on n'a pas tellement de grandes banques.
M. Dodge : Il est important d'imposer aux institutions financières l'obligation de rendre service aux Canadiens. C'est la raison pour laquelle nous avons une loi sur les banques. On peut inscrire dans cette législation la nécessité de donner certains services aux communautés. Nous avons cela aujourd'hui au Canada et il y a la même chose aux États-Unis. On peut imposer des obligations dans n'importe quelle institution sous juridiction fédérale. Toutefois, c'est très différent d'une restriction sur la consolidation des institutions. Ce sont des choses tout à fait différentes.
Le sénateur Plamondon : Chaque fois qu'il y a eu réingénierie, au Québec par exemple, des caisses populaires, cela s'est soldé par la fermeture de certaines caisses populaires. Après ces fermetures, il y a eu des guichets et quand le guichet n'est plus rentable, on le ferme. On dit que les services sont rendus; oui, mais c'est à une bonne distance du consommateur. Ce n'est pas tout le monde qui peut faire ses transactions bancaires par ordinateur. Tout le monde n'a pas un ordinateur.
J'ai de la misère quand vous dites que cela va se solder par de meilleurs services, surtout avec la prolifération des Money Mart et des prêteurs sur salaire. En plus, le taux de la Banque du Canada, qui en ce moment est à 2,5 p. 100, était en 1980 à 20 p. 100 et le taux criminel était à 60 p. 100. Le taux criminel est encore à 60 p. 100. J'ai essayé de faire baisser ce taux en proposant un projet de loi, mais il ne sera pas adopté. Le Sénat obéit au gouvernement et le gouvernement obéit à quelques ministres, et quand un ministre ne veut pas d'un projet de loi, celui-ci n'est pas adopté.
[Traduction]
Le président : Sénateur, je ne crois pas que ce soit juste. Nous n'allons pas prendre du temps du gouverneur pour traiter de la question. Notre intention est de continuer à étudier le projet de loi du sénateur. Nous devons nous occuper des affaires du gouvernement qui sont prioritaires. Nous allons étudier le projet de loi et le mener à bon port.
Monsieur le gouverneur, ne vous sentez pas obligé de répondre, mais je vous demanderais par contre de répondre à la question du sénateur Plamondon, qui, à mon avis, est importante.
Des témoins nous ont en effet confirmé que le vide créé par les banques pour les petits clients a donné lieu, dans les cinq dernières années, à une croissance exceptionnelle du nombre d'institutions financières qui exigent des taux d'intérêt extrêmement élevés, c'est-à-dire les prêteurs sur salaire. Les services bancaires qui relèvent de vous sont-ils aussi équitables envers les petits clients qu'ils le sont envers les gros?
M. Dodge : Ce n'est pas à nous que vous devriez poser cette question, surtout en raison du fait que nous ne réglementons pas directement les banques à charte. Vous feriez mieux de poser la question à M. LePan.
Il faut mentionner que les institutions financières sont des organisations de crédit. Elles doivent bien évaluer les risques avant d'accorder un prêt. Le problème réside en partie dans le fait qu'il n'est pas toujours facile d'évaluer le risque et qu'il n'est pas toujours agréable de dire à quelqu'un qu'il représente un mauvais risque. C'est à ce moment qu'interviennent les usuriers et autres.
Comme M. LePan vous le dira, il surveille de près les activités liées au crédit de ces institutions. C'est lui qui est chargé de cela, et c'est donc à lui que vous devriez poser votre question.
Le président : Nous étudions les lacunes dans le secteur des services financiers et nous pensions que vous pouviez nous conseiller. Nous croyons qu'il vous incombe — et à nous aussi, puisque nous sommes le comité chargé de surveiller vos activités — de vous assurer que le système fonctionne de manière efficiente et efficace dans l'intérêt de tous les Canadiens. Vous avez un mandat général dans ce domaine.
Sénateur Plamondon, avez-vous une question supplémentaire?
Le sénateur Plamondon : Je ne sais pas s'il sera encore pour les fusions après ce qui s'est dit!
M. Dodge : Vous avez posé deux ou trois questions. L'une d'entre elles portait sur les services offerts dans les communautés, c'est-à-dire s'il y a des guichets automatiques et ce genre de services. Qu'importe qu'il y ait une banque ou cent, cette question peut être réglée par voie législative.
La deuxième question porte sur les activités bancaires liées aux prêts. De façon générale, on reproche aux banques de donner trop facilement des cartes de crédit aux gens qui s'endettent tellement qu'ils ne peuvent plus faire face à leurs obligations financières. En effet, la force du système canadien repose en partie sur le fait que nos institutions font preuve de plus de prudence lorsqu'elles accordent des prêts que les institutions américaines.
Finalement, il y a la question très importante portant sur le délai pour encaisser un chèque. À cause de ce délai, les gens se tournent vers les prêteurs sur salaire. D'après certains, les banques gèlent un chèque pendant une période déraisonnable. Cette question peut être réglée par voie législative, qu'importe qu'il y ait une banque ou cent.
Le sénateur St. Germain : Ma question porte sur l'inflation. D'après ce que je sais, le prix de l'énergie n'est pas inclus dans les statistiques sur l'inflation.
M. Dodge : Oui, il l'est.
Le sénateur St. Germain : Ce prix est reflété dans les statistiques sur l'inflation, mais est-il également inclus dans le coût du logement?
M. Dodge : Effectivement. L'IPC est calculé précisément sur ce que vous achetez. Figurent dans l'IPC l'électricité que vous achetez pour votre consommation à domicile ainsi que le gaz naturel et l'essence que vous achetez également. Ce sont des achats directs. Y figurent, également, bien sûr, de gros postes comme le transport interurbain, qui a une composante énergétique élevée. Tout ceci est pleinement reflété dans l'IPC.
Le sénateur St. Germain : Selon vous, quelles seront les répercussions à long terme des prix de l'énergie, s'ils restent à leur niveau actuel? Ils ont plus que doublé et continuent d'augmenter. Aujourd'hui, un rapport en provenance des États-Unis indique que cela commence à affecter la confiance des consommateurs et leur pouvoir d'achat. Avez-vous une quelconque idée des répercussions que cela va avoir? C'est une question qui préoccupe de nombreux Canadiens, notamment dans l'Ouest, où nous parcourons de longues distances.
M. Dodge : Il convient de présenter une réponse en deux parties : sur les effets à court terme et sur ceux à long terme. Je m'occuperai des effets à long terme et M. Jenkins répondra à votre question quant aux ajustements à court terme.
L'augmentation des prix se poursuit sur six ou sept ans. Elle aura deux effets. Tout d'abord, elle mènera à de nouvelles sources d'approvisionnement dans le monde; mais c'est quelque chose qui prend du temps. Ensuite, elle entraînera des investissements de la part des ménages et des entreprises. Les entreprises investiront dans des méthodes de production qui permettent d'économiser l'énergie; dans les ménages, les gens chercheront des façons d'économiser, en se demandant, par exemple, s'ils ont véritablement besoin d'un véhiculaire utilitaire sport ou si un véhicule offrant un meilleur rendement énergétique pourrait faire l'affaire.
Ce sont les choses qui se produiront à long terme. Par conséquent, bien que les prix soient susceptibles d'être plus élevés à long terme que ceux observés durant les années 1990, il existe de bons mécanismes du marché qui nous indiquent que nous nous adapterons.
À court terme, c'est plus difficile.
M. Jenkins : Plusieurs facteurs entrent en jeu à court terme. Laissez-moi faire une ou deux remarques d'ordre général avant d'examiner la situation dans le détail. Toutes nos recherches indiquent que ces types de chocs dans le prix des hydrocarbures ont des effets à peu près neutres sur l'économie canadienne. Comme vous l'avez dit, sénateur, l'augmentation du prix des hydrocarbures affaiblit la consommation aux États-Unis; dans l'absolu, cela devrait donc diminuer nos exportations aux États-Unis. Toutefois, comme nous sommes, bien sûr, un grand producteur d'énergie, l'augmentation du prix des hydrocarbures constitue une énorme augmentation du prix des produits que nous vendons sur le marché international. Les économistes parlent du phénomène comme d'une amélioration des termes de l'échange.
Il y a donc deux facteurs qui s'annulent : d'une part, un effet négatif sur nos partenaires commerciaux; d'autre part, un effet très positif, parce que nous sommes des producteurs d'énergie. L'analyse montre que si l'augmentation du prix du pétrole se situe entre 5 et 15 $ le baril, l'effet d'ensemble sur l'économie canadienne en l'espace d'un an ou deux est essentiellement neutre. Voici pour la perspective macroéconomique.
Pour reprendre ce que le gouverneur a dit, l'augmentation du prix des hydrocarbures est la conséquence d'une forte demande internationale, notamment de la part de la Chine, demande d'énergie mais aussi de produits de base en général. Si cette augmentation des prix se maintient, l'économie canadienne devra s'ajuster.
Il faudra que notre main-d'œuvre se déplace dans le secteur des ressources. Par exemple, on manque de main- d'œuvre pour faire avancer les projets dans les sables bitumineux. C'est un type d'ajustement de prix relatif qui nécessite une réaffectation de ressources d'un secteur à un autre. Dans notre rapport, nous parlons de l'évolution globale et nous avons parlé plus tôt de déséquilibre. L'autre aspect de l'investissement au niveau mondial est que les prix de l'énergie et des autres produits de base sont élevés et le resteront sans doute pendant très longtemps. Cela nécessitera la réaffectation de ressources d'un secteur à un autre dans l'économie canadienne.
Le président : Pourriez-vous aller à la page 23 de votre rapport sur la politique monétaire? J'ai écouté vos remarques sur la façon dont l'approvisionnement énergétique et les autres types d'approvisionnement s'équilibrent. On dirait pourtant que les autres types d'approvisionnement stagnent, alors que l'index des produits énergétiques est en pleine croissance. Je pense que c'est en rapport avec la question posée par le sénateur St. Germain. Il ne semble pas y avoir de correspondance dans la croissance.
M. Jenkins : Il y a eu une flambée des prix de l'énergie, accompagnée d'une augmentation des prix des autres approvisionnements. Il y a un problème d'échelle dans le graphique. En partant du niveau de base, à la fin de 2001, on constate des augmentations de 30 ou 40 p. 100 dans les prix des autres approvisionnements, ce qui est plutôt considérable. On sait ce qui s'est passé pour les métaux; et c'est simplement un exemple.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Sur le même sujet, je voudrais avoir une clarification. Sur le site web de la Banque du Canada, sur l'indice de référence, on dit :
La variante d'indice des prix à la consommation qui exclut les huit composantes les plus volatiles.
On y mentionne les fruits, les légumes, l'essence, le mazout, le gaz naturel. C'est de l'énergie?
[Traduction]
M. Dodge : C'est l'indice de référence. Nous l'utilisons spécifiquement parce que c'est une meilleure mesure des tendances sous-jacentes et de l'évolution à venir. Notre cible est l'IPC global, qui inclut l'énergie.
Le sénateur St. Germain : L'avenir nous réserve-t-il des surprises ou des chocs?
M. Jenkins : Les prix de l'énergie sont instables; il faut donc les examiner pour déterminer quelle est la tendance sous-jacente en matière d'inflation. Au fil du temps, cependant, l'indice de référence et l'IPC global convergent.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Les huit composantes les plus volatiles changent-elles ponctuellement ou sont-ce toujours les mêmes qui sont nommés là?
M. Jenkins : Cela change.
Le sénateur Plamondon : Je ne comprends pas. Si cela change, pourquoi vous n'avez pas mis l'énergie dans les références de base? Quel est le prix du litre d'essence? Il me semble que l'essence, le mazout et le gaz naturel devraient compter dans l'inflation.
M. Dodge : Oui, ces choses sont comptées dans le montant total. C'est notre cible, effectivement.
M. Jenkins : Notre cible, c'est l'IPC global.
[Traduction]
Le sénateur Massicotte : Pensez-vous que le prix du pétrole restera à son niveau actuel? Est-ce que cela aura des répercussions négatives sur l'économie?
M. Dodge : En matière de prévisions, nous logeons à la même enseigne que tous les économistes. Nous nous servons de la courbe fournie par le marché. Comme l'a dit M. Jenkins, autant que nous puissions en juger, d'après la courbe des prix du marché, en 2005 l'effet net sur l'économie canadienne est très, très légèrement négatif, tandis qu'en 2006 on a un effet positif similaire.
Le sénateur Moore : Dans le sommaire du Rapport sur la politique monétaire, vous indiquez :
L'une des incertitudes entourant les perspectives a trait au taux de croissance tendanciel de la production potentielle.
Le rapport indique également que, pour que les capacités de production de l'économie puissent s'accroître à un taux de 3 p. 100,
... le rythme d'augmentation de la productivité du travail doit regagner le taux de croissance tendanciel d'environ 1,75 p. 100 et s'y maintenir. La probabilité qu'un tel taux soit atteint est conforté par les hausses récentes et projetées des investissements des entreprises au Canada et par la poursuite de la vive accélération de la productivité du travail aux États-Unis.
J'ai deux questions. Pourriez-vous expliquer au comité, et à moi plus particulièrement, comment l'augmentation de la productivité du travail aux États-Unis a des répercussions sur la croissance de l'économie au Canada?
M. Dodge : Aux États-Unis, à la fin des années 1990, se sont effectués des investissements considérables dans le secteur de la technologie de l'information et des communications. Les répercussions de ces investissements ont été spectaculaires, dès le début de la décennie actuelle, avec une amélioration de la productivité du secteur des services aux États-Unis. Nos investissements dans le secteur de la technologie de l'information et des communications, qui sont à la traîne de ceux des États-Unis, s'améliorent toutefois. Nous estimons que des investissements considérables s'effectueront dans ce domaine en 2005 et en 2006.
Tout nous amène à penser, bien que nous ne puissions pas l'affirmer sans ambages, que cet investissement aura au Canada les mêmes retombées qu'aux États-Unis : avec un décalage, une augmentation de la productivité. C'est pourquoi nous sommes en mesure de dire que, malgré la déplorable absence d'augmentation de productivité au cours des deux dernières années, nous pouvons nous attendre à revenir au moins au niveau tendanciel. Ce n'est pas mirobolant, mais c'est quelque chose que nous sommes en droit d'attendre pour 2005-2006.
Le sénateur Moore : Les choses ne sont pas indiquées clairement dans le rapport; si on s'attend à une augmentation de la productivité du travail au Canada, ce n'est pas à cause de l'accélération de la productivité du travail aux États- Unis, mais à cause de ce qui s'est passé avant aux États-Unis.
M. Dodge : C'est exact.
Le sénateur Moore : Ce n'est pas exactement la façon dont c'est indiqué dans le rapport.
Il y a quelques jours, a paru dans le Financial Post un article de Doug Porter, économiste principal adjoint de BMO Nestbitt Burns. En parlant de la productivité, il écrivait qu'il suffisait de constater l'évolution du taux de chômage pour en venir à croire que le taux de croissance potentiel risquait d'être de beaucoup inférieur à 3 p. 100, se chiffrant peut- être à 2 p. 100 seulement. Il notait que la croissance d'ensemble de l'économie avait été de seulement 2 p. 100 en 2003 et de 2,8 p. 100 en 2004 et que, pourtant, le taux de chômage a vraiment chuté. La seule raison pour laquelle nous connaissons une croissance est que nous embauchons du monde. Le taux de croissance de notre productivité est quasiment nul; sans une augmentation de la productivité, le taux d'inflation va commencer à augmenter. Pourriez-vous réagir à ce point de vue et dire ce que vous attendez en matière d'inflation?
M. Dodge : Voilà pourquoi j'ai dit qu'en 2003 et 2004 nous n'avions eu pratiquement aucune augmentation de la productivité, toute la croissance étant provenue de l'embauche. À notre avis, il est raisonnable d'escompter, à court terme, un retour au moins au taux tendanciel de croissance de la productivité. Ainsi, sauf si la croissance excédait de beaucoup 3 p. 100, la pression sur la capacité ne se ferait pas sentir, vu que nous sommes actuellement un peu en dessous de la capacité de production.
Le sénateur Moore : Le taux de productivité augmentera-t-il des 1,75 p. 100 voulus? Est-ce ce que vous espérez?
M. Dodge : Tout porte à le croire, à court terme. Sommes-nous en mesure de l'affirmer? Non, et personne ne le pourrait.
Le sénateur Gustafson : Mes questions ont trait aussi aux prix de pétrole et du gaz. Je viens d'une collectivité où il existe deux économies : celle des hydrocarbures, et celle de l'agriculture. Elles sont dans des situations radicalement différentes. L'économie des hydrocarbures est florissante, j'ai entendu dire qu'on comptait effectuer 50 nouveaux forages dans une seule petite région; on embauche à tour de bras. Pour l'agriculture, c'est le marasme; nous payons notre carburant deux fois le prix d'il y a un an; le coût des engrais est ahurissant et, dans le même temps, les céréales et les denrées se vendent à moindre prix sur le marché mondial. Vu la situation, les agriculteurs craignent une chose : que l'augmentation du prix des hydrocarbures et le boum dans ce secteur entraînent une augmentation des taux d'intérêt. Cela sonnerait le glas pour ces agriculteurs, qui souscrivent actuellement des emprunts non pas auprès des banques mais auprès des sociétés de matériel agricole, généralement américaines, comme John Deere et d'autres. C'est ainsi que s'achètent les moissonneuses-batteuses et les tracteurs de 250 000 $. Le problème est sans doute plus marqué en Alberta et dans le sud de la Saskatchewan, mais il a sans doute des répercussions dans tout le Canada. C'est pourquoi j'aimerais avoir vos réactions à ce sujet.
Le président : Il faut rendre justice au sénateur. Les répercussions se font sentir dans l'Ouest, mais aussi en Ontario, au Québec, dans les Maritimes et, indubitablement, en Colombie-Britannique. C'est un problème national et donc une question appropriée.
Le sénateur Gustafson : À ce sujet, j'ai reçu l'autre jour un appel d'un producteur de blé de l'Ontario qui m'a dit obtenir 1,20 $ pour du blé de bonne qualité. Ça met les choses en perspective.
M. Dodge : Vous avez parfaitement raison, sénateur. Dans les secteurs où une bonne part du coût des intrants est liée soit à l'énergie, soit aux autres produits de base, il y a eu une augmentation des coûts et une réduction indubitable des profits, ou du revenu agricole dans le cas des agriculteurs. C'est indéniable. Dans ces circonstances, il est vraiment difficile de tirer ses billes du jeu. C'est la loi du marché à l'œuvre. Au fil du temps, se produira un ajustement : on produira moins de céréales dans le monde et leur prix augmentera. C'est bien joli, mais, à court terme, cela n'avance pas beaucoup les agriculteurs, qui sont contraints d'emprunter pour pouvoir planter la récolte de l'année suivante. Personne ne peut, hélas, garantir à un agriculteur qu'il ne connaîtra pas de périodes de vaches maigres; il a aussi des périodes où les choses vont bien; c'est dans l'ordre des choses et dans la logique du marché.
Le sénateur Gustafson : En réponse à ceci, je voudrais dire que le problème est d'ordre international. Les Américains subventionnent l'agriculture à tour de bras et n'ont aucune intention de s'arrêter; cela fait 20 ans que cela dure. Les Européens en font autant et n'ont aucune intention de s'arrêter. Si le Canada entend avoir une industrie agricole, il va lui falloir adopter une perspective internationale. Les pays qui ont le plus besoin de nos produits n'ont pas d'argent. C'est un problème majeur. Les Européens et les Américains le règlent à coup de subventions. Je vais vous donner un exemple, on faisait pousser des petits pois en Saskatchewan. Le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et le Montana ont commencé à en faire autant; et l'Amérique a doublé les subventions octroyées à cette culture. Nos bureaucrates d'Ottawa nous disent qu'ils mettront fin à ces subventions. C'est un refrain que l'on entend depuis 25 ans sans que rien ne change jamais. N'empêche que, si l'on envisage l'économie agricole mondiale, c'est une autre approche qui s'impose.
M. Dodge : Je regrette, mais ce n'est pas le secteur de compétence de la Banque du Canada. Il faudra soulever la question dans d'autres cercles.
Le président : Il y a un écart criant. Le sénateur Gustafson et moi étions en Utah. Nous nous sommes entretenus avec les présidents des comités de l'agriculture dans la plupart des États, dans un effort pour tenter de les convaincre de cesser de faire pression sur leur gouvernement et de réduire les subventions afin que nous puissions effectivement entrer en concurrence. Nous l'avons fait en Europe. C'est un problème fondamental. Tous les autres pays s'efforcent de maintenir la souveraineté de leur nation en ayant un secteur agricole. C'est un problème majeur, un problème important, qui affecte non seulement l'Ouest mais toutes les régions du Canada. Il est nécessaire de s'y attaquer, c'est pourquoi nous sollicitons votre opinion éclairée.
M. Dodge : Si j'avais une opinion éclairée, sénateur, je me ferais un plaisir de vous la donner. J'ai moi-même une petite exploitation agricole; elle est loin d'être rentable en ce moment.
Le président : Je suis heureux de savoir que vous connaissez des temps difficiles, comme d'autres agriculteurs. Que pouvez-vous faire dans cette situation?
Le sénateur Angus : Nous avons toujours voulu rencontrer un gentilhomme cultivateur.
M. Dodge : On en revient à la toute première question du sénateur Angus. On constate, de par le monde, une tendance au protectionnisme. Dès qu'un pays s'y met, les autres enchaînent dans la foulée. Le Canada, qui a une économie très ouverte, se fait prendre de côté par ce genre de protectionnisme. C'est pourquoi nous faisons notre possible, dans notre domaine, l'ordre monétaire international, pour éviter toute perturbation qui aurait des répercussions sur les échanges commerciaux, ce qui serait un véritable désastre pour le Canada.
Le président : À mon avis, c'est la réponse que nous attendions. Je suis ravi de vous entendre confirmer notre point de vue. Nous nous rendons depuis longtemps dans les forums internationaux et travaillons en ce sens. Il y a une chose qui nous préoccupe, à vrai dire, c'est l'accession à la présidence de l'OMC d'un des pays les plus protectionnistes du monde, et le plus protectionniste d'Europe. C'est de mauvais augure pour notre secteur agricole.
Le sénateur Gustafson : J'ai assisté au cours des deux dernières semaines à trois ventes de faillite — de grosses exploitations; l'une avait 100 quarts de section. Je le mentionne ne passant. La situation est très grave.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question a trait à la réduction de la dette fédérale. Est-ce que réduire la dette fédérale a un impact sur la politique monétaire et sur les politiques qui sont développées? Est-ce que la Banque du Canada a une opinion sur la façon dont on devrait repartir l'excédent lorsqu'on réduit la dette? Est-ce préférable de réduire les impôts, rembourser la dette ou d'augmenter les programmes?
M. Dodge : Il faudrait demander au ministre des Finances de répondre à la dernière question. Ce qui est important à ce moment-ci pour la politique monétaire, c'est de maintenir un équilibre fiscal au sein de tous les gouvernements. Cela est important parce que, comme nous avons discuté la dernière fois, nous avons une société vieillissante et dans l'avenir, à la fin de la prochaine décennie, il y aura une augmentation des dépenses gouvernementales soit dans la santé, soit pour les personnes âgées.
C'est donc une partie fiscale très saine qui permet à la banque de suivre une politique monétaire un peu plus souple.
Le sénateur Chaput : Mais est-ce qu'il y a plus d'impact sur une politique monétaire quand on continue à réduire la dette ou quand on réduit les impôts? Est-ce qu'une de ces actions aurait plus d'impact sur la politique?
M. Dodge : Pour nous, c'est l'équilibre qui compte le plus. Le ministre des Finances doit décider comment atteindre cet équilibre.
[Traduction]
Le sénateur Angus : Monsieur le gouverneur et monsieur le premier sous-gouverneur, vous savez que le comité se préoccupe de la productivité de la main-d'œuvre canadienne, qui est loin d'être idéale. Dans vos récents commentaires et dans une partie de votre documentation, vous déplorez le fait que les entreprises canadiennes ne réinvestissent pas dans les biens afin d'améliorer la productivité. D'ailleurs, d'après une étude récemment affichée sur votre site web, l'un des thèmes principaux que vous avez choisis pour cette année est la productivité et la production éventuelle du Canada.
Dernièrement, bien sûr, avec l'appréciation du dollar sur le marché international, vous avez été contraint de rappeler que, si le Canada voulait rester à la hauteur, il devrait améliorer sa productivité et ne pas laisser un dollar plus faible, comme il y a quatre ou cinq ans, masquer les lacunes du pays dans ce domaine.
Auriez-vous l'amabilité de réagir à ce que j'ai dit?
M. Dodge : Nous faisons beaucoup de recherches sur la productivité. C'est un phénomène difficile à analyser. Les chiffres n'étant pas terribles, les problèmes d'analyse ne sont pas aussi faciles à résoudre que pour d'autres choses dont nous nous occupons. Même conceptuellement, d'ailleurs, les problèmes sont plus ardus. C'est pourquoi nous déployons des efforts de recherche assez considérables pour essayer de comprendre la source de la productivité assez peu reluisante de certains secteurs. Il est d'ailleurs important de nuancer les choses.
Les chiffres semblent indiquer que c'est dans le secteur des services que nous sommes le plus mal placé par rapport aux États-Unis, côté productivité. Dans les industries manufacturières, il y a bien des différences selon le secteur et, dans l'ensemble, nos résultats ne sont pas aussi bons que ceux des États-Unis. Toutefois, si on exclut, par exemple, le secteur de production des puces électroniques (le nôtre étant très petit et le leur très important, avec un énorme avantage de productivité), il semblerait que, depuis quelque temps, la productivité du Canada croît aussi rapidement que celle des États-Unis. Ce n'est pas suffisant. Nous devrions nous efforcer de combler le fossé, mais, en tout cas, nous ne perdons pas de terrain.
Dans le domaine des services, par contre, nous semblons prendre du recul. C'est peut-être parce que nos industries de services ont tardé à investir dans les technologies de l'information et les communications ou peut-être parce que les investissements ne se sont pas accompagnés des changements organisationnels voulus pour que l'ensemble ait des répercussions positives ou, peut-être encore, pour d'autres raisons.
L'étude des données d'ensemble nous permet de constater où les écarts sont les plus criants. C'est pourquoi nous comptons concentrer nos efforts sur une meilleure compréhension des données d'ensemble mais aussi, vu que c'est notre domaine, sur les secteurs de la finance, de l'assurance et de l'immobilier. Nous voudrions savoir pourquoi nous n'engendrons pas dans ces secteurs les mêmes gains de productivité que les Américains. Peut-être que ce n'est qu'une question de mesure, peut-être que non; toujours est-il que c'est ce que nous faisons.
Quand nous aurons des réponses, invitez-nous à revenir.
M. Jenkins : Pour répondre à la question du sénateur Moore, les prévisions de notre Rapport sur la politique monétaire indiquent bel et bien une relancée des investissements en capital fixe. On le constate d'après diverses sources, y compris des sondages entrepris par Statistique Canada. Nos bureaux régionaux nous permettent d'avoir des contacts assez soutenus avec des entreprises de par le pays. Là aussi, nos sources indiquent une relance imminente de l'investissement dans les domaines dont vient de parler le gouverneur, y compris les services. C'est ce qui nous permet d'espérer que les données sur la productivité reviendront au niveau que nous estimons souhaitable.
Le sénateur Angus : Le président s'apprêtait sans doute à vous l'assurer mais oui, vous serez réinvité. Les choses sont un peu en suspens, pour le moment, et vous devrez suivre le site web du Sénat, mais nous comptons bien effectuer une étude de la question.
Avant de passer la parole à mon collègue, j'aurais une dernière petite question. J'ai un chef de cabinet sagace qui dit que l'octroi de salaires exorbitants aux PDG, pratique adoptée par les industries canadiennes à la suite du mauvais exemple de nos voisins du Sud, a eu un effet néfaste sur les tendances inflationnistes ainsi que sur d'autres tendances économiques du pays. Qu'en pensez-vous?
M. Dodge : Tout d'abord, que je n'ai pas bénéficié de ces salaires mirobolants, sénateur.
Le sénateur Angus : Nous non plus. Il y a même un projet de loi au Parlement qui essaie de réduire encore notre salaire.
M. Dodge : Je ne pourrais pas répondre à la question. Je ne sais vraiment pas.
Le sénateur Angus : Et vous, monsieur Jenkins, qu'en pensez-vous? C'est de notoriété publique. Les commentaires sur la gouvernance des sociétés en font état presque quotidiennement comme d'une évolution particulièrement regrettable. Au cours de la dernière décennie, les dirigeants de société ont réussi une espèce de coup de force au sein des entreprises américaines. Il a désaxé l'ensemble de l'économie.
M. Jenkins : En ce qui concerne l'inflation, les taux de salaire moyens et le coût unitaire de la main-d'œuvre, domaines où se font sentir les pressions inflationnistes ou leur absence, ne sont pas inquiétants. La situation que vous avez évoquée ne semble pas avoir de conséquences préoccupantes sur les chiffres de l'inflation, du moins au niveau macroéconomique.
Le président : C'est les 11 et 12 mai que nous comptons étudier la productivité. Si vous souhaitez nous fournir des mémoires ou témoigner, veuillez entrer en contact avec le greffier. Il s'agira d'une étude intensive de deux jours sur la productivité au Canada. Nous pensons qu'elle jettera de la lumière sur la question, pour les Canadiens en général et pour les gouvernements et entreprises responsables.
Le sénateur Massicotte : Je dois vous avertir, monsieur le gouverneur, que le sénateur Oliver m'a donné un résumé des commentaires que vous avez faits plus tôt auprès de la presse canadienne. J'espère que vous ne contredirez pas ce que, selon la presse, vous avez dit à la population.
Je reviens à la question des fusions bancaires. Je n'ai pas l'impression que vous ayez complètement répondu à ma question. C'était sans doute à dessein, mais je voudrais vous l'entendre dire.
Nous sommes tous d'accord que, jusqu'à un certain point, les regroupements et les fusions sont susceptibles de se traduire par une plus grande efficacité. Manifestement, cela augmente la productivité et c'est bon pour le système. Adopter ce point de vue suppose toutefois qu'il reste assez de concurrence entre les banques restantes pour que les utilisateurs profitent des économies et pas seulement les vendeurs, les banques fusionnées.
La Banque du Canada a-t-elle une opinion? Existe-t-il des recherches qui montrent que dans cette optique, trois grandes banques à charte assureront une concurrence suffisante? Avez-vous des études qui montrent que les banques canadiennes fusionnées connaîtraient un succès financier, créeraient des emplois au siège, et cetera, comme vous y avez fait allusion? Existe-t-il une étude qui montre que les fusions fourniraient un service adéquat aux collectivités rurales et aux petites entreprises?
M. Dodge : Laissez-moi prendre la première et la troisième des questions, auxquelles je suis en mesure de répondre.
Les expériences effectuées à l'étranger, en matière de regroupement, montrent que la concurrence s'est traduite par des avantages en matière de services améliorés ou des cas moins marqués sur le marché. Comme nous n'avons pas eu de fusions, je ne peux manifestement pas répondre à cette question pour le Canada.
Il semblerait aussi que les caisses de crédit souhaiteraient étendre leur fonctionnement et prendre le relais, là où les grosses banques maladroites ne fournissent pas de très bons services. C'est ce qu'indique la percée du groupe Desjardins en Ontario et l'approche agressive adoptée par certaines caisses de crédit de Colombie-Britannique, ainsi que nos entretiens avec ces institutions. Là encore, par contre, vu que nous n'avons pas eu de regroupement, nous ne pouvons affirmer que tel serait effectivement le cas.
Le sénateur Massicotte : Mon autre question a trait au manque de succès d'une grosse banque canadienne sur la scène internationale du fait du statut actuel de nos banques.
M. Dodge : Là encore, cela dépendra de la qualité de la gestion des banques et de la pression à obtenir des résultats. La concurrence jouera un rôle clé.
Les exemples de regroupement dans d'autres pays montrent que les banques ont tiré parti de cette plateforme pour obtenir de biens meilleurs résultats à l'étranger. Je ne sais pas si je suis censé mentionner des noms, mais on pourrait comparer, par exemple, le Groupe Financier Banque Royale, au Canada, et le Royal Bank of Scotland Group.
Il y a 15 ans, la Banque royale du Canada était une institution plus importante et plus puissante que la Royal Bank of Scotland. Or, comme vous le savez, la Royal Bank of Scotland a d'abord pris le contrôle de NatWest et d'autres petites institutions ici et là au Royaume-Uni, puis, à partir de cette plateforme et grâce à des économies d'échelle, s'en est prise à la Citizens Bank et à d'autres aux États-Unis. La banque a connu un succès remarquable. Elle a fait preuve, il est vrai, d'une excellente gestion de ces opérations. Mais les faits parlent d'eux-mêmes et les dirigeants s'entendent : c'est grâce aux économies d'échelle réalisées au Royaume-Uni et à la plateforme ainsi établie que la banque a pu apporter des gains de productivité aux institutions dont elles ont pris le contrôle à l'étranger.
Dans certains cas, l'expérience a été différente. Mais les banques des Pays-Bas, ABN Amro ou ING, seraient d'accord avec ce que je viens de dire.
Rien n'est jamais sûr. Si quelqu'un vous affirme avoir toutes les réponses, n'en croyez rien. N'empêche que l'expérience montre qu'une plus grosse institution est en meilleure position au moins pour une expansion à l'étranger.
Le sénateur Massicotte : Pour clarifier la première partie de votre réponse, si je vous ai bien compris, vous estimez que le regroupement de nos cinq grandes banques en trois, mettons, assurerait une concurrence suffisante pour permettre les gains d'efficacité voulus. Présume-t-on qu'un changement de nos règlements s'étendrait à une venue des banques internationales sur le marché canadien et qu'elles pourraient installer des guichets automatiques, et cetera?
M. Dodge : Il faudrait certainement s'attendre à ce qu'un certain désinvestissement ait lieu pendant le processus de regroupement des banques nationales, donnant ainsi aux banques étrangères la possibilité de prendre de l'expansion au Canada. Au fil du temps, il est important d'avoir la concurrence internationale dans tous les secteurs.
Je tiens à souligner que le Canada doit procéder secteur par secteur. En ce moment, il y a énormément de concurrence étrangère pour les services bancaires aux grandes entreprises. Les banques étrangères n'ont pas besoin d'une grande présence physique au Canada afin d'offrir cette concurrence. C'est pour cette raison que nous profitons de la présence de banques solides faisant affaires à l'échelle planétaire car cela veut dire des emplois à Toronto, Montréal, Calgary, Vancouver ou même à Halifax. Voilà donc la situation pour ce qui est des services bancaires aux grandes entreprises et il en va de même, à plus forte raison, pour les services bancaires d'investissement.
Dans le secteur des services bancaires aux particuliers, il y a plus de concurrence indirecte maintenant simplement à cause de la possibilité qu'offre Internet sans nécessiter de présence physique.
Il est tout à fait exact que nous supposions que la concurrence étrangère va continuer en s'intensifiant et il est important que nos institutions soient soumises aux pressions du marché afin de devenir performantes. Quand ces pressions existent, elles sont performantes.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Je ne peux pas comprendre comment hausser de 30 à 100 p. 100 l'investissement à l'étranger peut aider la prospérité économique du Canada, quand on admet qu'il y a beaucoup de chômage au Canada. Comment peut-on prétendre alléger le chômage au Canada tout en prenant comme mesure la hausse de 30 à 100 p. 100 de l'investissement à l'étranger? Comment pouvez-vous dire qu'on va avoir de meilleurs services avec la fusion des banques quand vous admettez que pour prendre la place des succursales qui vont fermer, on va être obligé d'avoir des « credit unions » ou des Caisses populaires Desjardins à l'extérieur? Eux aussi devront consolider, il va falloir qu'ils prennent ce qui est plus rentable pour se positionner ailleurs. Ils vont laisser aller des choses à leur tour. C'est un effet domino. C'est une cascade. Les banques fusionnent, les « credit unions » prennent la place. Les « credits unions » sont obligés de consolider parce qu'ils doivent investir, ils vont laisser des choses. C'est le plus petit qui reste sans services. Les plus grands auront toujours des services. Entrer dans une banque aujourd'hui, on ne vous charge rien et vous allez avoir le gérant à vos pieds. Pour les petits, cela ne sera pas la même chose.
M. Dodge : Vous posez beaucoup de questions ici.
[Traduction]
Le président : Oui, mais veuillez répondre à la question supplémentaire qui concerne les fusions, si vous voulez bien, monsieur le gouverneur. Nous voudrions approfondir davantage cette question.
M. Dodge : Monsieur le président, soyons clairs. Ce dont nous parlons, c'est l'effort d'améliorer l'efficacité du secteur financier. La question de l'efficacité revêt une grande importance.
La question à laquelle il faut répondre est la suivante : parvient-on à améliorer l'efficacité en imposant des restrictions sur les activités autorisées aux institutions financières ou bien encourage-t-on l'efficacité et l'innovation en fixant deux objectifs essentiels pour ces institutions : d'abord, assurer le fonctionnement prudent et la solidité financière par l'entremise du Bureau du surintendant des institutions financières; et deuxièmement, par le Bureau de la concurrence, faire en sorte qu'elles répondent aux normes que nous fixons en matière de concurrence? Nous tenons à ce que la pression du marché les rende performantes.
Nous avons constaté dans d'autres industries, et aussi dans le secteur des services financiers et celui des assurances, que lorsque les restrictions sont éliminées, elles deviennent plus performantes et nous obtenons une meilleure qualité de services. Depuis la grande réforme de la Loi sur les banques en 1967, nous avons mis l'accent sur l'élimination des obstacles afin d'obtenir de meilleurs services et des opérations plus efficaces.
Le sénateur Moore : Monsieur le gouverneur, vous avez parlé de ce qui s'est passé en matière de fusions bancaires dans d'autres pays. D'après vous, l'un des résultats a été l'amélioration des services. Nous avons eu beaucoup d'audiences ici concernant les droits des consommateurs et les services aux consommateurs. Quand vous parlez de l'amélioration des services, parlez-vous des services aux consommateurs? Parlez-vous des services offerts aux grandes entreprises? Qu'est-ce que vous entendez au juste?
M. Dodge : De façon générale, la mesure que l'on peut utiliser dans tous les pays c'est l'écart, et les écarts ont eu tendance à se rétrécir. Cela vaut autant pour les consommateurs que pour les emprunteurs commerciaux.
Le sénateur Moore : Je m'intéresse davantage aux services bancaires offerts aux consommateurs.
M. Dodge : L'ennui, sénateur, c'est qu'au fil du temps, la technologie a entraîné tellement de changements qu'il est très difficile de savoir s'il est attribuable ou non au regroupement.
L'une des choses que l'on peut mesurer sur une période donnée ce sont les écarts, c'est-à-dire la différence entre ce que la banque vous donne en tant que déposant ou acheteur d'instruments et ce qu'elle demande comme taux à ses clients. Nous avons constaté qu'au fur et à mesure du regroupement dans différents marchés, il fait effectivement rétrécir ces écarts.
[Français]
Le sénateur Biron : Si on comprend bien que la fusion des banques serait souhaitable, est-ce que la fusion des banques et des compagnies d'assurances serait aussi souhaitable?
M. Dodge : Je ne sais pas exactement si ce sont les fusions des banques, les fusions des compagnies d'assurances ou si c'est le fusionnement qui est important. Il est important d'avoir l'impression de compétition. C'est à eux, pas au gouvernement, pas à la Banque du Canada de dire s'ils fusionnent ou non. C'est à eux de choisir la façon d'opérer qui est la plus rentable au début. Cela crée des pressions pour de meilleurs services.
Ce n'est pas un argument pour la fusion, c'est un argument pour laisser le marché travailler et faire ce que le marché peut faire pour rendre le meilleur service aux Canadiens.
Le sénateur Biron : En quoi l'économie américaine, entre autres, par son déficit énorme actuellement peut-elle affecter les taux d'intérêt canadien et l'économie canadienne en général?
M. Dodge : C'est sûr que si l'économie américaine va bien, si la consommation reste élevée, et avec des investissements des États-Unis, ce sera bon pour nous. Si cela va plus lentement, ce n'est pas bon pour nous. C'est assez simple.
Le sénateur Biron : Les déficits énormes qu'ils ont actuellement vont affecter certainement les taux d'intérêt?
M. Dodge : Oui.
M. Jenkins : Pour l'application de la politique monétaire au Canada, c'est le fait que nous avons un taux de change flottant qui donne l'indépendance à la Banque du Canada de gérer la politique monétaire pour les besoins de l'économie canadienne. Le taux de change flottant donne à la banque l'indépendance à notre politique monétaire. Le mouvement des taux d'intérêt américains n'implique pas directement les taux d'intérêt canadiens.
[Traduction]
Le président : J'ai une courte question supplémentaire. C'est une question fondamentale que tous les sénateurs posent. Quelle est la capacité d'adaptation réelle de l'économie canadienne, du secteur financier et des marchés financiers face à un ralentissement aux États-Unis, compte tenu du déficit énorme et croissant, de la faiblesse inhérente du dollar américain, qui est beaucoup investi dans le marché asiatique — nous avons constaté des répercussions de cela il y a à peine quelques jours — et l'exposition au crédit aux États-Unis et en Chine? S'agit-il d'une sorte de bombe à retardement, compte tenu du fait que l'économie américaine est tellement asymétrique en ce qui concerne ces données? Je crois que c'est ce que le sénateur Biron essayait de savoir. Nous craignons un ralentissement économique en raison de la nature fragile et asymétrique de l'économie américaine actuellement.
M. Dodge : On revient effectivement au point de départ.
Le président : Tout à fait. Je pense que nous ne sommes pas encore à l'aise avec tout cela, et c'est pourquoi le sénateur Biron a soulevé cet aspect. D'autres ont soulevé cette question indirectement. Nous ne sommes pas à l'aise avec cela. Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire, à part attendre qu'il surgisse une urgence incontournable?
M. Dodge : Il y a deux ensembles de questions ici. D'une part, que pouvons-nous faire, à l'échelle internationale, pour essayer de créer les conditions nécessaires pour réduire les possibilités qu'un ralentissement économique se produise à l'avenir? Ce que nous pouvons faire, c'est de prendre des mesures pour assurer l'ordre dans le secteur monétaire, et c'est précisément ce que nous mettons de l'avant depuis quelque temps au FMI et au G-7 : il faut agir afin de réduire ce risque potentiel à l'avenir et de permettre aux corrections de se produire de façon ordonnée. C'est sûr que ce qui serait très mauvais pour le monde entier, et très, très mauvais pour nous, serait un effondrement de la demande américaine sans une augmentation correspondante de la demande dans le monde.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je voudrais changer de sujet si on me le permet. J'aimerais parler de démographie. Il y a beaucoup d'études.
[Traduction]
Le président : Sénateur Massicotte, je m'excuse. Le sénateur Moore a une courte question supplémentaire qu'il voudrait poser d'abord, et vous aurez ensuite quelques instants pour poser la vôtre.
Le sénateur Moore : Lorsque vous avez parlé de la productivité et de l'écart entre le Canada et les États-Unis, vous avez dit que le bilan dans le secteur des services était négatif, et positif dans le secteur manufacturier. Dans le secteur des services, vous avez mentionné les services financiers et les assurances. Est-ce que cette situation évoluerait s'il y avait des fusions?
M. Dodge : Nous ne savons pas. D'abord, nous ne savons pas pourquoi les chiffres sont ce qu'ils sont, si c'est le secteur des banques, de l'assurance-vie ou des assurances générales, la plus grande composante de cela est en fait l'immobilier. Nous ne connaissons pas la réponse parce que nous ne comprenons pas tout à fait ce qui sous-tend les chiffres.
Le sénateur Moore : Je croyais que notre industrie des assurances était en très bonne santé.
M. Dodge : C'est pourquoi je vous dis que nous ne comprenons pas tout à fait les chiffres. Le secteur de l'assurance- vie au Canada semble être très concurrentiel à l'échelle mondiale. Les mesures simples dans le secteur bancaire, à part celles qui servent à calculer le PIB, indiquent que nous ne devrions pas voir un tel écart entre le Canada et les États- Unis, nous ne savons pas pourquoi et je n'essaierai donc pas de répondre à la question.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Vous parlez un peu de la démographie. Comme on en parle souvent, on sait que la population canadienne, en moyenne est de plus en plus âgée. Il y a eu récemment certaines études qui démontrent que si l'âge moyen des Canadiens et Canadiennes ne bouge pas, cela représente une diminution, un changement du PIB de 13 p. 100 d'ici 20 ans. C'est énorme et cela fait peur quand on lit ces études. Deux, trois hypothèses existent, et cela a un impact sur le taux de l'immigration. Est-ce que la Banque du Canada fait des études sur les tendances démographiques au Canada au sens de l'économie en général et au sens gouvernemental relativement à l'effet des coûts de soins de santé qui augmenteront? Si oui, est-ce qu'il y a des politiques, ou des documents que vous nous recommandez de regarder afin d'améliorer notre sort quant à ces projections?
[Traduction]
Le président : Monsieur Dodge, le sénateur Massicotte a convaincu notre comité qu'il fallait étudier l'aspect démographique de l'économie. Nous nous intéressons beaucoup à cette question particulière et je voudrais donc remercier le sénateur de nous avoir exhortés à inclure cela dans le renvoi.
M. Dodge : Comme je vous l'ai déjà dit, nous savons que quelque part après le milieu de la prochaine décennie, à moins d'un changement très important des comportements liés à la participation au marché du travail, la croissance du marché du travail va ralentir presque complètement. Selon certaines hypothèses, il y aura même une croissance négative dans 20, 25 ou 30 ans.
Peu importe les chiffres précis, l'implication est pareille : D'abord, la croissance doit découler d'une plus grande production par travailleur dans le marché du travail, ce qui veut dire qu'il faut mettre l'accent sur la productivité. Deuxièmement, il faudra envisager les moyens les plus efficaces d'intégrer les jeunes dans le marché du travail et de les rendre productifs, tout en permettant aux travailleurs plus âgés qui veulent continuer à participer au marché du travail de trouver les moyens de le faire.
Si nous pouvons faire cela, le ralentissement de la croissance de la population active sera moins rapide et l'ajustement plus facile, car il faudra bien s'y adapter. C'est pourquoi la démographie constitue un facteur si pertinent ici. Il est important que le gouvernement canadien maintienne un budget équilibré au cours des prochaines années pour que le rapport dette-PIB baisse de manière significative au cours de cette période. Si c'est le cas, les gouvernements auront une marge de manoeuvre pour faire face aux problèmes démographiques à la fin de la prochaine décennie, sans augmenter le fardeau fiscal pour la population active. C'est une question extrêmement importante.
[Français]
Le sénateur Chaput : Dans l'ajustement économique que le Canada subit présentement, il y a le secteur des technologies de l'information des communications, où, vous l'avez dit vous-même dans votre rapport, la situation est présentement anémique. On peut le comprendre, cela change tellement vite. Cela prend de plus en plus d'investissements dans la formation des employés, dans l'achat d'équipement. Les collègues et les universités ne fournissent plus à avoir de l'équipement à la fine pointe de la technologie pour former les gens qui sont sur place et les autres. Est-ce que vous croyez vraiment que ce genre d'entreprise va pouvoir se rattraper d'ici quelques années?
Quel pourcentage de l'économie canadienne de nos entreprises vient du secteur des technologies de l'information des communications? Le pourcentage des services est-il assez élevé?
M. Jenkins : Dans le secteur manufacturier, c'est peut-être 8 p. 100 au total, et c'est certainement moins qu'aux États-Unis. C'est le point que le gouverneur a mentionné. Le niveau de productivité dans ce secteur américain est plus élevé qu'au Canada. Cela reflète aussi le fait que nous sommes en train de nous adapter à cette technologie, ce qui est très important pour la productivité à l'avenir.
Le sénateur Chaput : On va pouvoir s'adapter? Dans quelques années?
M. Jenkins : Oui, c'est notre hypothèse. Absolument.
[Traduction]
Le président : Monsieur le gouverneur, j'ai quelques questions courtes mais compliquées.
J'aimerais commencer par votre affirmation, vos observations ici à cette audience sur le fusionnement des banques. Je crois pouvoir dire au nom de tous les membres que le comité a suspendu son jugement sur cette question de regroupement. Nous attendrons que le gouvernement annonce sa politique et nous étudierons ensuite le dossier, comme vous avez proposé, non pas comme une question globale, mais plutôt comme une question précise, de savoir ce qu'il faut pour qu'un regroupement mène en bout de ligne à une plus grande efficacité et à un plus grande équité.
On nous pose souvent la question, mais notre comité, à la différence d'autres comités, ne veut pas se prononcer. Nous voulons attendre de voir les questions qui seront soumises au comité et que nous allons explorer quand le gouvernement nous demandera de le faire. Si le gouvernement ne nous le demande pas, nous allons le faire quand même. Il nous reste encore un point à étudier : l'impact sur les fusions inter-piliers et l'efficacité de ce genre de fusion.
Je croyais important de faire cette observation, comme vous avez voulu faire les vôtres.
Le sénateur Angus : Nous déplorons quand même le fait que les lignes directrices tardent tellement à sortir.
Le président : Il y a certaines inquiétudes politiques concernant le moment où les lignes directrices seront annoncées, mais le comité est bipartisan. Nous nous intéressons aux questions et nous allons les étudier.
J'aimerais parler de la question que vous avez soulevée concernant l'efficacité dans le secteur financier. Nous avons entendu beaucoup de témoignages lors de notre étude concernant les consommateurs et les questions connexes selon lesquels il existe des inefficacités dans le domaine de la réglementation et de la distribution des valeurs dans ce marché. C'est une question qui revient souvent. Nous sommes le seul pays du G8 ou du G7 qui n'a pas de régie centrale de réglementation.
Nous essayons de trouver une réponse à cette question. Nous ne pouvons pas changer la situation politique, la difficulté de faire collaborer les provinces pour résoudre le problème. Elles entravent l'efficacité à notre avis, mais nous n'y pouvons rien. Comme les Américains, cependant, nous pourrions créer un organisme réglementaire central à Ottawa, en vertu des compétences fédérales. Avez-vous une opinion sur cela?
M. Dodge : J'ai déjà exprimé mon opinion clairement et publiquement. Je n'accorde pas tellement d'importance au besoin d'avoir un seul organisme de réglementation ou un réseau de tels organismes, mais il est essentiel de se doter d'un ensemble de règlements cohérents qui couvrent trois types d'émetteurs de valeurs au Canada.
Il y a des émetteurs comme la Banque royale ou Nortel qui doivent faire affaire avec les marchés internationaux. Dans leur cas, les règles doivent être semblables à celles du New York Stock Exchange avec lequel ces sociétés vont devoir traiter.
Tout à fait en bas de l'échelle il y a les petites sociétés minières. Elles n'ont pas besoin de tous ces règlements. Elles doivent respecter les principes de base, mais elles nécessitent une procédure de conformité beaucoup plus simple.
Au beau milieu se trouve la vaste majorité des entreprises canadiennes qui, au niveau international, seraient peut- être considérées comme des titres à micro capitalisation. Nous les considérons comme des titres à moyenne capitalisation. Elles n'ont pas vraiment besoin d'avoir accès au marché de New York, mais elles ont certainement besoin d'avoir accès à l'ensemble du marché canadien, où il faut avoir certaines procédures de conformité, qui sont plus simples que celles imposées par New York mais plus compliquées que celles qu'on imposerait aux petites sociétés minières.
Il s'agit d'essayer de trouver des règlements qui s'appliquent à ces trois groupes plutôt différents afin de leur permettre d'utiliser les marchés publics de façon efficace. Qu'il s'agisse d'un organisme de réglementation ou de 13, il faut avoir une entente sur des règles communes et sur une procédure d'application des règlements afin de traiter ces trois groupes différents convenablement.
Il faut qu'on fasse des progrès quant à l'instauration de ces règlements. Cela m'inquiète, car j'y travaillais en 1996. Nous parlons de cette question depuis longtemps et nous n'avons pas fait autant de progrès que nous aurions pu.
Le président : Vous avez bien compris nos arguments. Ceux qui devraient se préoccuper le plus de l'efficacité au niveau provincial n'avancent pas aussi rapidement que nous le souhaiterions sur l'harmonisation et l'uniformisation. C'est un problème endémique. Nous allons examiner cela dans le cadre de notre étude sur la productivité, entre autres points. Nous préparons deux études, l'une sur la productivité et l'autre sur les obstacles provinciaux à l'efficacité. Je suis ravi que vous vous soyez joint à nous dans ces efforts.
Il y a un problème important au sujet du fédéralisme asymétrique par rapport à la dette. La dette du Québec est de 86 milliards de dollars. La dette de l'Ontario en 2004 était de 138 milliards de dollars. Les deux provinces prétendent qu'il y a un rapport asymétrique entre leurs capacités de rembourser la dette et celle du gouvernement fédéral.
Avez-vous réfléchi à l'incidence de cette situation sur l'efficacité du pays?
M. Dodge : Les marchés de la dette publique — le fédéral, le provincial et les sociétés — fonctionnent assez bien. Je pense qu'il n'y a rien dans le fonctionnement de ces marchés qui signale de grandes inefficacités. Il va sans dire que les marchés fixent constamment le prix de la dette provinciale par rapport aux risques perçus et le prix est plus élevé que celui de la dette canadienne. Cependant, que je sache, rien n'indique que les marchés ne fixent pas de prix justifiés.
Le président : Sur cette remarque agréable, je tiens à vous remercier, monsieur le gouverneur et monsieur le sous- gouverneur.
Quinze pour cent des sénateurs étaient présents pour vous écouter et pour participer à nos travaux aujourd'hui. C'est probablement l'audience la plus importante de ce genre depuis la Confédération.
Merci beaucoup. Vous êtes une grande vedette.
M. Dodge : Nous étions ravis de faire la connaissance de vos nouveaux collègues et d'être ici dans cette salle luxueuse. Nous espérons revenir dans cette salle lors de nos prochaines audiences.
La séance est levée.