Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 13 - Témoignages du 11 mai 2005
OTTAWA, le mercredi 11 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 36 pour examiner, afin d'en faire rapport, les questions concernant la productivité.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous tenons aujourd'hui une table ronde expérimentale et nous souhaitons la bienvenue à nos premiers témoins ainsi qu'à toutes les personnes qui regardent nos délibérations sur Internet aux quatre coins du pays. Le site de nos délibérations a enregistré lors de la dernière réunion 85 000 visites et nous avons reçu des commentaires de toutes les régions du pays. Nos délibérations seront transmises en différé sur CPAC. Bienvenue à tous.
Avant de céder la parole à nos témoins, j'aimerais expliquer brièvement ce que nous comptons accomplir avec la table ronde d'aujourd'hui et celle de demain. Nous sommes tous conscients de l'importance de la productivité et de la compétitivité internationales du Canada pour notre économie et notre niveau de vie. Depuis 60 ans, soit depuis la Seconde Guerre mondiale, entre le quart et le tiers de notre niveau de vie au Canada est directement lié à notre productivité. Nous croyons que la seule façon d'améliorer notre niveau de vie, c'est d'accroître notre productivité.
De nombreux rapports et études ont été publiés sur la productivité. Mes collègues et moi-même en avons lus quelques-uns pour préparer la table ronde d'aujourd'hui. Avant de mettre la dernière main à notre rapport, nous les aurons tous lus.
Au cours des jours qui viennent, nous ferons un examen très large de la productivité. Nous réunirons certains des experts en la matière les mieux cotés, y compris nos témoins d'aujourd'hui, et nous miserons aussi sur les connaissances spécialisées des membres du comité. Nous sollicitons par ailleurs la contribution du public à nos travaux afin que nous puissions mieux comprendre le rôle que le gouvernement fédéral peut jouer, comme il se doit, pour aider nos industries à accroître leur productivité et leur compétitivité.
Nous espérons obtenir des réponses à certaines questions. Devrions-nous investir davantage dans l'éducation publique? Faudrait-il réformer notre régime fiscal? La réglementation des secteurs industriel et financier est-elle un fardeau qui étouffe la productivité? Le gouvernement pourrait-il faire davantage, ou devrait-il réduire ses interventions, afin d'aider les Canadiens à tirer profit de la nouvelle économie?
Nous ne connaissons pas les réponses à ces questions. Je ne les connais pas. Nous espérons que ces tables rondes nous aideront à les trouver.
Avant de donner la parole à nos témoins, j'aimerais rappeler à ceux qui suivent nos délibérations sur Internet et qui écouteront la retransmission différée sur CPAC que nous souhaitons aussi recueillir vos commentaires. Nous tentons une nouvelle expérience puisque nous sollicitons les commentaires du public dans le cadre de cet examen de la productivité.
Comme vous le savez, toutes les régions du pays ont de sérieux problèmes de productivité. Si ce que vous entendez ici vous inspire des commentaires ou si vous avez des idées sur la façon d'améliorer la productivité du Canada, nous vous invitons à nous envoyer un courriel à banking-banque@senate.sen.parl.gc.ca. L'adresse s'affichera à l'écran du site Internet. Je remercie notre personnel d'avoir fait le nécessaire.
L'adresse s'affiche actuellement à l'écran et elle s'affichera périodiquement tout au long de ces tables rondes. Nous voulons que les Canadiens, les experts tout autant que le grand public, nous envoient leurs observations par courriel en réaction aux témoignages d'aujourd'hui et de demain.
Je signale que cette consigne vaut aussi pour nos experts. Si vous n'êtes pas d'accord les uns avec les autres ou si vous entendez aujourd'hui des propos avec lesquels vous êtes en accord ou en désaccord, nous vous prions de nous le faire savoir.
[Français]
La productivité est un problème monumental dans toutes les régions du pays. Si vous avez des commentaires et des suggestions sur la façon d'améliorer la productivité du Canada, nous vous invitons à nous écrire à l'adresse qui apparaît à l'écran en ce moment et qui apparaîtra à plusieurs reprises pendant la durée des tables rondes.
[Traduction]
J'aimerais apporter une dernière précision au sujet de la raison d'être des présentes audiences. Notre excellent vice- président, l'honorable David Angus, a convaincu ses collègues du comité que la productivité et la compétitivité sont deux facteurs déterminants de la croissance soutenue de l'économie canadienne. Nous tenons à le remercier, non seulement pour cette idée mais aussi pour l'appui qu'il a donné à ces audiences expérimentales.
Commençons. Si la productivité correspond à l'efficacité avec laquelle nous transformons les intrants en extrants, que peut faire le gouvernement canadien pour améliorer cette efficacité?
Nous accueillons aujourd'hui Niels Veldhuis, économiste principal de recherche à l'Institut Fraser. Chacun de nous aurait des commentaires fort intéressants à faire au sujet de l'Institut Fraser mais aucun de nous ne peut mettre en doute son grand savoir-faire. Jean-Marc Suret est titulaire d'un doctoral et fellow au Centre interuniversitaire en analyse des organisations et professeur à l'Université Laval. Notre dernier témoin, mais pas le moindre, est Bernard Courtois, président et directeur général de l'Association canadienne de la technologie de l'information.
Comme nous vous l'avons déjà fait savoir, vous avez cinq minutes chacun. Nous avons reçu vos mémoires. Ils sont tous excellents. Comme je vous l'ai dit d'entrée de jeu, si vous souhaitez faire des observations supplémentaires aux autres témoins ou autres membres du comité, oralement, par écrit ou par courriel, n'hésitez pas à le faire.
Monsieur Veldhuis, allez-y.
M. Niels Veldhuis, économiste principal de recherche, Institut Fraser : J'aimerais d'abord remercier les membres du comité de m'avoir invité à me joindre à vous aujourd'hui. Je le fais à titre de représentant de l'Institut Fraser mais les opinions que je vais exprimer aujourd'hui n'engagent que moi.
Je vais essayer de m'en tenir aux cinq minutes imparties. Vous avez reçu mon mémoire. J'espère que vous prendrez le temps de le lire en entier après la réunion, si vous ne l'avez pas déjà fait.
La croissance de la productivité est l'un des facteurs déterminants de la progression des niveaux de vie. Permettez- moi d'abord de faire un retour en arrière et d'expliquer comment les niveaux de vie au Canada ont évolué au cours des 20 dernières années, après quoi je vous parlerai de productivité.
La figure 1 à la page 2 de mon mémoire illustre les revenus moyens au Canada comparativement à ceux des États- Unis. Le PIB par habitant est la mesure des niveaux de vie la plus souvent utilisée. Vous noterez qu'en 1985, le PIB par habitant au Canada s'élevait à 88 p. 100 de celui des États-Unis. En 2004, cette proportion était tombée à 84 p. 100.
La même figure illustre aussi la progression du revenu personnel disponible. Le revenu personnel disponible est le revenu qu'ont les Canadiens après avoir payé les impôts directs. Le revenu personnel disponible inclut aussi les transferts du gouvernement. Vous pouvez constater que le revenu au Canada par rapport aux États-Unis est passé de 80 p. 100 en 1985 à 67 p. 100 en 2004, ce qui est un recul appréciable.
Nous sommes là surtout pour tenter de déterminer pourquoi nos revenus ont régressé par rapport à ceux des États- Unis. L'OCDE a publié récemment une étude intitulée « Objectif croissance » qui avait pour but de faire le point sur les moyens à mettre en oeuvre pour améliorer le niveau de vie.
Les augmentations de la productivité du travail, déterminant ultime de la croissance du revenu réel, exigent une production différentielle toujours plus grande par heure de travail.
Je crois que la plupart des économistes et la plupart des gens en conviendraient. La croissance de la productivité, l'efficacité accrue avec laquelle l'économie produit ses résultats, est essentielle à la croissance soutenue du niveau de vie. Un examen de la croissance de la productivité du travail révèle que nous avons un sérieux problème au Canada.
La figure 2 à la page 3 de mon mémoire illustre le PIB par heure de travail au Canada comparativement à celui des États-Unis. En 1985, le PIB par heure travaillée était de 90 p. 100 comparativement à celui des États-Unis. Il n'est plus que de 82 p. 100. Vous verrez que le Canada a enregistré un recul très marqué entre 2001 et 2004.
Dans un contexte international, la croissance de la productivité du travail du Canada n'est guère plus reluisante. La figure 3 à la page 4 illustre la croissance moyenne de la productivité du travail, PIB par heure de travail, au cours des dix dernières années. Le Canada se classe au 18e rang des 24 pays étudiés. L'Irlande, qui se classe au premier rang, avait une croissance de la productivité du travail trois fois supérieure à celle du Canada.
L'un des principaux déterminants de la croissance de la productivité du travail est la quantité de capital dont dispose chaque travailleur. Les travailleurs qui disposent d'un capital plus abondant sont capables de produire davantage par heure travaillée, sont en mesure d'exiger des revenus supérieurs et ainsi rehausser leur niveau de vie.
Les gouvernements jouent un rôle important pour créer un environnement économique où les niveaux d'investissement dans l'entreprise et les taux de croissance de la productivité sont élevés. Il existe plusieurs déterminants de l'investissement des entreprises, comme l'ouverture au commerce international, le niveau de compétence des travailleurs et la réglementation. Un des déterminants les plus importants, et qui freine l'investissement au Canada, est la fiscalité des entreprises.
Les gouvernements qui pénalisent l'investissement des entreprises, et par conséquent les capitaux, réduisent l'incitation à l'investissement des entreprises. Par ailleurs, l'impôt des entreprises réduit les sommes que les entreprises peuvent réinvestir dans les biens d'équipement et les nouvelles technologies. Voilà pourquoi la recherche économique a toujours déterminé que l'impôt des entreprises est une source de revenu qui nuit à l'économie, c'est-à-dire qu'il représente des coûts beaucoup plus élevés que la taxe de vente, les charges sociales et l'impôt sur le revenu des particuliers.
Le tableau 1 à la page 6 de mon mémoire illustre pour chacun des pays du G7 la part de chacun des impôts en pourcentage du total des impôts. Vous constaterez que le Canada est le pays qui recourt le plus aux impôts les plus dommageables, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les bénéfices. Le tableau 2 à la page 7 illustre le taux marginal réel d'imposition sur les investissements. Il s'agit du taux de l'impôt sur le capital, toutes les sources d'impôt sur les entreprises confondues — impôt sur le revenu des sociétés, taxe de vente sur les intrants d'entreprises, barèmes d'amortissement et impôt sur le capital. Vous constaterez que parmi les pays industrialisés, le Canada se classe au troisième rang par son taux marginal réel d'imposition sur les investissements. Seules l'Allemagne et la Chine ont des taux plus élevés.
Si nos gouvernements souhaitent améliorer notre niveau de vie et notre productivité, ils doivent réduire le taux marginal réel d'imposition sur les investissements. Nous devons créer un climat qui incitera les entreprises à investir. Nos recommandations se trouvent à la dernière page du mémoire.
Dans un premier temps, il faut éliminer immédiatement l'impôt sur le capital des entreprises. Comme vous le savez sans doute, c'est probablement l'impôt le plus dommageable prélevé au Canada. C'est une taxe sur l'avoir propre et la dette des entreprises. Elle est censée d'être supprimée complètement d'ici 2008, mais si elle était supprimée avant cela, cela réduirait énormément le taux marginal réel d'imposition et entraînerait une augmentation des dépenses d'investissement.
Dans un deuxième temps, il faudrait réduire le taux de l'impôt sur le revenu des sociétés et relever le seuil d'imposition des petites entreprises. La réduction du taux d'imposition du revenu des sociétés stimulera les dépenses d'investissement et le relèvement du seuil d'imposition des petites entreprises fera disparaître l'un des obstacles à la croissance. Les données de recherche révèlent que les petites entreprises poursuivent leur croissance jusqu'à ce qu'elles atteignent le seuil et limitent leur croissance par la suite. Le relèvement de ce seuil inciterait les petites entreprises à poursuivre leur croissance.
Troisièmement, il faut éliminer immédiatement la surtaxe sur le revenu des sociétés qui s'établit actuellement à 4 p. 100. Quatrièmement, il faut réviser la déduction pour amortissements afin de mieux refléter les coûts réels du remplacement des actifs.
Le gouvernement fédéral devrait encourager les provinces à harmoniser leurs taxes de vente. De nombreuses provinces prélèvent des taxes de vente sur les intrants des entreprises, ce qui constitue une autre forme de taxe sur le capital.
Enfin, il faut réduire les taux d'imposition des revenus moyens et élevés. Cela améliorera la capacité du Canada de retenir ces travailleurs spécialisés et créera des incitatifs pour les entrepreneurs et favorisera les économies et l'investissement.
Je répondrai volontiers à vos questions.
[Français]
M. Jean-Marc Suret, directeur, École de comptabilité, Université Laval et Fellow CIRANO, à titre personnel : Mes propos ne seront pas trop éloignés de ceux de mon collègue. Je vais aborder la problématique du financement des jeunes sociétés technologiques. C'est un élément essentiel au gain de productivité. Elles doivent, d'une part, pouvoir se développer elles-mêmes et ensuite, développer des produits, des services et des idées qui vont aider les autres entreprises pour améliorer leur productivité.
[Traduction]
Le président : Nous exigeons normalement que les mémoires soient soumis en français et en anglais. Ce mémoire est en français. L'interprétation était lente. Nous avons permis que le témoin poursuive son exposé. Je suppose que les sénateurs n'y voient aucune objection. C'est un excellent mémoire. Je tiens à préciser que ce n'est pas la faute du témoin. Nous n'avons tout simplement pas pu obtenir la traduction à temps et j'espère que nous la recevrons sous peu. Je vois que les sénateurs sont d'accord. Monsieur Suret, veuillez continuer.
[Français]
M. Suret : Nous avons mesuré les coûts et les difficultés que rencontrent les entreprises technologiques pour se financer. Les résultats sont assez effrayants. Les jeunes entreprises que nous avons rencontrées dépensent jusqu'à 50 p. 100 du montant qu'elles vont lever pour aller chercher ce financement. C'est entre 30 et 50 p. 100, c'est-à-dire qu'une jeune société qui va chercher un demi-million va devoir dépenser dans certains cas 250 000 dollars. Les délais d'obtention des fonds sont en moyenne de 12 mois. Ils peuvent atteindre 24 mois.
On comprendra dans ces circonstances que l'entreprise est sujette à un désavantage concurrentiel extrêmement important par rapport à des sociétés américaines où les délais d'obtention des fonds sont de l'ordre de six mois, où les montants obtenus sont quatre à cinq fois plus élevés et où les coûts d'obtention des fonds sont beaucoup moins grands.
On s'est demandé pourquoi. L'une des raisons — elle est aussi relativement grave — à notre avis, c'est l'intervention gouvernementale. C'est-à-dire que des programmes gouvernementaux nuisent au financement des petites entreprises et plusieurs de ces programmes ont été analysés. Je vais intervenir sur le plus important, celui des fonds de travailleurs.
Les programmes de fonds de travailleurs, vous connaissez le principe, sont des programmes répandus à travers le Canada qui, actuellement, collectent à peu près 70 à 80 p. 100 des fonds qui rentrent dans l'industrie du capital de risque. Cela représente chaque année quelque chose comme deux milliards de dollars au Canada qui sont subventionnés à 80 p. 100 par des dépenses fiscales. Donc le coût à travers le Canada est de l'ordre de 1,6 milliard de dollars annuellement. C'est une dépense fiscale énorme. Cette dépense fiscale est, à notre avis, totalement inefficace. Nous avons mesuré que 30 p. 100 des fonds seulement, qui étaient levés par les fonds de travailleurs, allaient dans des sociétés fermées en croissance. Le reste va en obligations, en actions de grandes entreprises ou en projets de toutes sortes. Les fonds ne respectent même pas l'esprit qui a présidé à leur création.
Le Canada a inventé le modèle le plus inefficace d'intervention auprès des entreprises. Vous avez un tableau dans le mémoire qui récapitule le coût par dollar investi de différents programmes aux États-Unis, en Israël, au Royaume-Uni, et cetera. Chaque dollar investi dans une petite entreprise, par l'intermédiaire d'un fonds de travailleurs — surtout ceux du Québec — coûte quatre dollars au trésor public. Les Américains arrivent à le faire avec zéro dollar, les Anglais arrivent à le faire avec 30 ou 40 ¢ par dollar, si on traduit en devises.
La rentabilité des projets financés est extrêmement faible. Nous mesurons un taux de rendement des projets financés qui est de moins 8 p. 100 par année depuis la création de ces fonds. C'est-à-dire qu'on a créé un programme qui prend de l'argent auprès des contribuables et qui va l'attribuer aux sociétés les moins rentables de l'économie. C'est donc ici une pénalité que l'on impose à la totalité de l'économie.
La rentabilité pour les investisseurs est extrêmement faible, et là on touche à un autre problème qui est différent mais qui, quand même, doit nous interpeller. On appauvrit les contribuables canadiens. Ils seront à la retraite moins riches qu'ils ne le seraient si ce programme n'existait pas. Pourquoi investissent-ils là-dedans? Tout simplement parce qu'ils sont attirés par des crédits d'impôt. Ils ont l'impression que chaque dollar de crédit d'impôt qu'ils vont recevoir vaut beaucoup plus qu'un dollar. Ils sont attirés et vont y mettre des milliards. Ils y placent leurs épargnes pour la retraite et s'appauvrissent. C'est une lourde responsabilité des gouvernements.
Le dernier point qui a été mis en évidence par mes collègues ontariens est l'effet d'éviction. L'intervention du gouvernement sous cette forme fait fuir les capitaux privés et la diminution des capitaux privés, qui sont fort importants dans l'économie, est plus importante que l'apport des fonds subventionnés.
Au total, on assiste à une réduction des fonds disponibles pour les jeunes entreprises au Canada. Mes collègues estiment que cette réduction implique 400 investissements de moins annuellement au Canada, ce qui représente un milliard de moins dans les jeunes sociétés technologiques. Voilà donc comment un programme gouvernemental mal conçu, auquel participe le gouvernement fédéral, pénalise les entreprises. C'est, à notre avis, l'une des explications de la très grande difficulté qu'éprouvent les entreprises, d'autant qu'on a créé un quasi-monopole dans certaines régions.
Au Québec en particulier, les fonds gouvernementaux représentent 80 p. 100 des fonds disponibles. Ce qui fait qu'on a enlevé tout élément de concurrence dans ce marché du capital, concurrence qui est un élément essentiel pour faciliter le financement des petites entreprises.
[Traduction]
Le président : Avez-vous dit que c'est 80 p. 100 au Québec?
M. Suret : Oui, 80 p. 100 des capitaux de risque résultent d'une intervention gouvernementale.
Le président : Est-ce que le pourcentage est le même dans tout le pays?
M. Suret : Non.
Le président : Quel serait le pourcentage en Ontario?
M. Suret : Il est inférieur en Ontario parce que la structure des fonds de travailleurs y est différente.
[Français]
Les gens peuvent retirer leur argent des fonds de travailleurs en Ontario après cinq ou sept ans. Ce qui fait que les fonds grossissent peu. Cela coûte très cher au gouvernement. L'argent est mis dans ces fonds et retiré au bout de cinq ans. Au Québec, quelqu'un qui met de l'argent dans un fonds de travailleurs doit le laisser jusqu'à la retraite, ce qui fait que les fonds grossissent d'année en année. Le plus important des fonds à collecter jusqu'à maintenant est de six milliards de dollars. Les autres grossissent. La structure n'est pas tout à fait la même, donc le Québec est plus pénalisé que les autres provinces à cause de cette structure particulière.
[Traduction]
Le président : Merci. Monsieur Courtois, allez-y.
[Français]
M. Bernard Courtois, président-directeur général, Association canadienne de la technologie de l'information : Merci monsieur le président. Je vais présenter mes commentaires en anglais, mais il me fera plaisir de participer à la discussion en français ou en anglais par la suite.
[Traduction]
L'industrie des technologies de l'information et de la communication (TIC) que représente notre association est très mondialisée. Un grand nombre des entreprises membres de notre association vendent la plupart, sinon la totalité, de leurs produits sur les marchés internationaux et non pas sur le marché canadien et se sont parfois donné cette vocation dès leur création. Nous nous intéressons à la productivité et à la compétitivité dans ce contexte-là parce que nous évoluons sur un marché mondial très concurrentiel.
Nous nous intéressons tout particulièrement au rôle spécial que joue notre industrie. En effet, c'est un fait de plus en plus admis qu'elle contribue à faciliter et à accroître la productivité dans les autres secteurs de l'économie. Nous sommes au coeur même de la compétitivité et de la productivité. Cela étant, je ne saurais trop insister sur l'importance du sujet qu'examine le comité aujourd'hui.
Nous croyons qu'il est grand temps de tirer la sonnette d'alarme au sujet de la productivité et de la compétitivité au Canada. Nous courons le risque de ne pas voir venir le danger. S'il est vrai que les choses vont assez bien, si nous voulons réellement conserver notre place à l'avenir, nous devons nous intéresser sérieusement à ces questions. Nous avons préparé un document d'information sur le lien entre la productivité et les TIC qui vous a été distribué et qui fait état de données qui prouvent de plus en plus que l'investissement dans les TIC, l'utilisation accrue des TIC et l'adoption de nouvelles méthodes de travail par les entreprises et les gouvernements augmentent réellement la productivité dans une économie moderne. Le document démontre aussi que pour accroître la productivité il faut investir non seulement dans les biens d'équipement mais aussi dans les travailleurs et leur perfectionnement. Pour accroître la productivité, il ne suffit pas de réduire les coûts, ce qui est bien entendu essentiel pour assurer la compétitivité et, partant, la croissance des entreprises, mais il faut aussi accroître la production.
Notre mémoire contient de nombreux exemples qui illustrent le lien étroit entre la productivité et les TIC qui sont de plus en plus utilisées dans une foule d'activités et de secteurs de notre économie. Je ne m'attarderai pas sur ce lien qui est amplement documenté.
Il y a de plus en plus de raisons de croire que notre secteur a une importance économique à deux niveaux. Nous sommes un secteur assez important qui compte environ 550 000 employés et qui est à l'origine d'une part disproportionnée de la R-D du secteur privé. Notre secteur représente environ 5 p. 100 du PIB mais sa contribution à la R-D privée dans l'économie canadienne est huit ou neuf fois supérieures à cela. Nous sommes au coeur même de l'innovation et de la productivité. Cela nous amène à voir notre industrie dans une perspective beaucoup plus large. Nous avons tendance à croire que notre industrie et son avenir sont étroitement liés à la productivité et à la réussite des autres secteurs de notre économie et à la façon dont les gouvernements canadiens utilisent les technologies productives.
Nous avons aussi constaté, comme M. Veldhuis vous l'a dit et comme nous le rappelons dans notre mémoire, qu'il se creuse entre nous et les États-Unis un écart de prospérité et de productivité. Nous faisons état des diverses études réalisées par le Institute for Competitiveness and Prosperity qui rappelle que nous avons créé l'une des économies les plus concurrentielles et les plus prospères du monde mais qui nous met en garde contre l'immobilisme puisque nos partenaires commerciaux des pays industrialisés et en développement continuent d'avancer et que l'amélioration de la productivité est l'un des défis les plus importants qu'auront à relever les Canadiens. Nous prenons très à coeur la mention de ce qui se fait tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.
Notre industrie est au cœur d'un autre phénomène important qui balaie le monde à l'heure actuelle. En effet, un bouleversement mondial du marché du travail est en cours. Il a d'abord touché le secteur de la fabrication et nous sommes tous témoins des changements survenus dans le secteur de la fabrication dans les pays industrialisés et de ce qui s'est produit d'abord au Mexique puis dans d'autres pays et enfin en Chine. Le même phénomène touche maintenant les industries du savoir. Le travail dans le secteur du savoir se déplace plus facilement que les usines de fabrication. Il n'est pas nécessaire de déplacer autant d'usines et il n'est pas nécessaire d'être situé près des marchés. Notre industrie vit ces transformations de deux façons parce qu'elle mise sur la diffusion sans frais du savoir et parce qu'elle est un fer de lance du travail intellectuel qui peut aisément être déplacé.
Force nous est de constater que nous ne pouvons pas jouer à l'autruche et nier l'existence de ce phénomène. Nous devons assurer notre réussite en l'exploitant de façon stratégique. Voilà pourquoi nous craignons la complaisance. L'écart de productivité entre le Canada et les États-Unis n'a pas été expliqué. Il a été analysé et certains des facteurs ont été recensés. Cet écart résulte généralement du sous-investissement au Canada comparativement aux États-Unis mais nous n'avons pas encore su expliquer pourquoi les entreprises canadiennes investissent moins. Nous avons cerné quelques raisons de façon intuitive. Il est indéniable que la faiblesse du dollar canadien favorise une certaine complaisance. Cette complaisance peut aussi résulter du fait que les économies industrialisées en pleine expansion — la Chine, l'Inde, et cetera — consommeront de plus en plus de nos ressources naturelles.
Le Canada et les Canadiens risquent d'en venir à croire qu'ils se tirent assez bien d'affaire, ce qui nous ferait perdre du terrain et nous ramènerait à l'époque où nous n'étions que des bûcherons et des porteurs d'eau. Comme le dit l'Institute for Competitiveness and Prosperity, nous devons éviter la spirale économique néfaste du sous- investissement, de la productivité réduite, la capacité d'investir réduite qui entraîne une réduction de la productivité, et cetera, dont la conséquence serait que le Canada ne réaliserait pas tout le potentiel qu'il a pour réussir dans l'économie du savoir. Nous risquerions de tomber dans ce piège de la complaisance qui s'installera si nous nous contentons de vendre avec succès nos ressources naturelles.
L'ACTI, soucieuse d'éviter ce piège, se préoccupe du taux relativement faible des investissements propres à accroître la productivité, particulièrement dans les technologies de l'information et des communications, dans le secteur des petites et moyennes entreprises au Canada. Ce secteur, dans lequel travaillent la plupart des Canadiens et qui a créé 36 p. 100 des nouveaux emplois nets en 2002-2003, sous-utilise sérieusement les technologies de l'information et des communications. Nous mentionnons dans notre mémoire les rapports et études de l'Initiative canadienne pour le commerce électronique et son rapport intitulé « Pour une progression rapide 4.0 » qui décrit bien le problème.
Le ministre Emerson l'a aussi évoqué en disant « certaines entreprises canadiennes sont des chefs de file mondiaux dans la création et la production de technologies de l'information et des communications, mais elles sont encore trop nombreuses, surtout parmi les PME, à se montrer lentes à adopter de nouvelles technologies puissantes... ». Cela a des conséquences négatives sur la compétitivité du Canada. Nous avons décidé de relever le défi. En mars, nous avons annoncé la création d'une « équipe électronique » composée de cadres supérieurs qui travaillent avec les PME canadiennes afin de trouver ensemble des moyens d'inciter ces entreprises à adopter des solutions TIC propres à accroître leur productivité.
Nous croyons qu'il faudra d'autres initiatives publiques. Le ministre de l'Industrie a évoqué la possibilité d'utiliser des incitatifs fiscaux pour favoriser l'adoption de ces technologies et nous croyons que le moment est venu d'explorer plus avant cette option compte tenu surtout du fait que les pays avec lesquels nous sommes en concurrence ont déjà pris des mesures pour accélérer le rythme d'adoption de ces solutions. Nous songeons tout particulièrement au Japon, par exemple, qui a récemment mis en place des mesures d'incitation à l'investissement pour l'acquisition de matériel de TIC. En 2004, le Royaume-Uni a accordé aux petites et moyennes entreprises une allocation de 50 p. 100 pour l'année d'acquisition des actifs de TIC. Voilà le genre d'idée que nous devrons nous-mêmes mettre en place. Il y a toute une gamme de choses que nous devons faire. Nous devons réformer notre régime fiscal pour le rendre plus performant. Nous allons devoir lancer des initiatives pour accroître la productivité de nos PME.
J'aimerais dire en guise de conclusion qu'il est grand temps de tirer la sonnette d'alarme. Dans un communiqué de janvier 2005, l'Institute for Competitiveness and Prosperity recommande un plan d'action visant à encourager les entreprises, le gouvernement et les particuliers à travailler ensemble pour réaliser le potentiel de prospérité du Canada. À l'ACTI, nous croyons que le moment est venu de mobiliser les Canadiens — nous sommes après tout un petit pays sur la scène internationale — pour qu'ensemble nous élaborions de toute urgence une telle stratégie.
Le président : Merci, monsieur Courtois. Vous nous avez enlevé les mots de la bouche. Nous sommes là pour tirer la sonnette d'alarme. Nous sommes à élaborer un plan d'action. C'est pour cela que nous sommes réunis aujourd'hui. Je vous remercie d'avoir livré notre énoncé de mission.
Le sénateur Angus : Bienvenue, messieurs, au Sénat réveillé. Vous avez sans doute lu des comptes rendus assez négatifs au sujet des sénateurs. Comme l'a dit le président, nous croyons qu'il est temps de réveiller les Canadiens. Nous vous avons convoqués pour cela, vous et tous ceux qui, nous l'espérons, nous regardent et nous écoutent sur Internet. Vous aurez sans doute remarqué, monsieur Courtois, que nous tentons de tirer profit de certaines des technologies de l'information et des communications dont vous nous avez parlé. Nous espérons ainsi accroître notre productivité et notre contribution à l'élaboration des politiques publiques.
J'aimerais aborder rapidement quelques points qui donneront le ton pour la suite de la période des questions. Vous avez tous insisté sur l'énorme écart de productivité entre le Canada et les États-Unis. Cet écart existe depuis très longtemps. Il me semble qu'il s'est énormément creusé depuis 1973. Ce n'est peut-être pas un repère magique, mais certains auteurs croient que oui.
Cet écart existe-t-il uniquement entre nous et les États-Unis? L'économie est maintenant planétaire. J'ai constaté pour ma part un écart de productivité entre le marché nord-américain, sur lequel nous ne pesons pas lourd, toutes proportions gardées, et les concurrents mondiaux que sont l'Asie, l'Inde et la Chine. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. Courtois : L'écart existe aux deux niveaux. Les États-Unis sont, tout comme le Canada, un pays où les coûts sont élevés. C'est une notion à manier avec prudence mais il est bien clair que dans notre industrie, si l'on compare le coût d'un ingénieur ou d'un titulaire de doctorat en création de logiciels en Chine ou en Inde, cela n'a rien de comparable aux coûts que nous constatons ici. Le Canada est un pays à coûts moyens puisque nous avons toute une gamme d'avantages.
Quant aux États-Unis, l'écart touche la production et la prospérité. En tant que Canadien, je ne vois pas pourquoi nous accepterions un écart de prospérité par rapport aux États-Unis. Quant aux autres pays, c'est autre chose. Nous sommes dans une période de transition qui durera quelque temps encore où nous devons nous adapter au fait que les coûts de certains pays sont de beaucoup inférieurs aux nôtres et nous devrons nous adapter à la situation en partie en utilisant ces pays comme s'ils faisaient partie de notre chaîne de production. Sans cela, nous serons perdants.
J'imagine qu'on peut analyser la croissance de la productivité d'une année sur l'autre. Cela dépend du point de départ. Un autre pays peut avoir une croissance de la productivité plus rapide que la nôtre mais avoir été moins été moins productif au départ. Or, à l'heure actuelle, l'écart-coûts est si grand entre nous et les pays en développement que cela aura sur notre économie l'effet d'un tsunami si nous ne nous adaptons pas. L'analyse des gains de productivité n'exige pas uniquement que nous fassions un bilan de nos activités au Canada, mais aussi que nous analysions notre place dans la chaîne mondiale des fournisseurs.
M. Veldhuis : Si vous vous reportez à la figure 3 à la page 4 de mon mémoire, vous verrez l'illustration de la croissance de la productivité du travail dans tous les pays industrialisés. Le Canada se classe derrière la plupart des pays industrialisés et ni le Canada ni les États-Unis ne se trouvent parmi les meilleurs de la classe. L'Irlande, pour sa part, a transformé en profondeur son économie de telle sorte qu'elle attire maintenant les investisseurs et accroît sa productivité, transformation qu'elle a faite en très peu de temps. Le Canada peut certainement prendre l'Irlande en exemple. La Norvège, la Suède et la Finlande recourent beaucoup moins que le Canada aux impôts dommageables pour l'économie. Le Canada peut certainement tirer des leçons de l'expérience de ces pays.
[Français]
M. Suret : En termes d'innovation, puisque c'est la partie que nous avons davantage regardée, le Canada semble se comporter à peu près comme l'OCDE, par contre ce sont les pays hors OCDE qui se démontrent plus rapide en termes de croissance de l'innovation, croissance des brevets, croissance des brevets exploités et ainsi de suite. Nous nous faisons dépasser par des pays comme Israël pour les taux de croissance, la Finlande, la Suède et autres. Souvent, nous comparons le Canada à l'OCDE et nous nous disons que cela ne va pas si mal. Mais ce sont les pays en dehors de l'OCDE qui vont beaucoup mieux que nous. Nous avons un problème au niveau de l'innovation et des sociétés innovantes.
[Traduction]
Le sénateur Angus : Vous avez mentionné chacun une raison de l'écart de productivité par rapport aux États-Unis et au reste du monde. Par exemple, M. Suret a dit que les entreprises manquaient de capitaux, de capitaux de risque, à des coûts raisonnables. M. Veldhuis a parlé des impôts des entreprises. Compte tenu du climat actuel, je veux essayer de faire fi de toute partisanerie, mais ces impôts, d'après ce que l'on sait du moins, servent à appuyer un mode de vie très canadien. Le gouvernement doit avoir l'argent nécessaire pour financer notre régime de soins de santé, par exemple. Le régime fiscal des entreprises — je suis d'accord avec vous, ce sont des impôts punitifs; je le dis d'ailleurs à qui veut l'entendre depuis de nombreuses années; ils sont un obstacle à la productivité du Canada. Par quoi remplaceriez-vous ces recettes fiscales? Puisque vous avez soulevé la question, monsieur Veldhuis, pourriez-vous y répondre?
M. Veldhuis : En bref, je ne les remplacerais pas. L'une des caractéristiques de l'obtention de revenus, c'est qu'il est plus facile de les obtenir à partir d'une assiette fiscale plus étendue. En diminuant l'impôt des entreprises, on élargira cette assiette. Même si ces impôts ne sont pas remplacés, les recettes fiscales seront accrues parce que l'assiette en sera d'autant élargie. Si vous teniez à les remplacer et à veiller à ce que cette mesure soit dès le départ sans effet sur les revenus, il faudrait alors les remplacer par des impôts moins dommageables. Vous pourriez adopter le modèle de la Suède ou de la Finlande, c'est-à-dire des taxes de vente, une augmentation des charges sociales et d'autres impôts moins dommageables.
Le sénateur Angus : Vous parlez à des gens qui ont souvent discuté de ce sujet. Par exemple, j'ai fréquemment discuté de l'impôt sur les gains de capital avec des fonctionnaires du ministère des Finances. Vous avez mentionné cet impôt. Vous avez aussi parlé de l'impôt sur le capital.
Récemment, nous avons discuté d'incitatifs fiscaux au titre des dons de charité, des mesures qui peuvent aussi avoir un effet intéressant sur la productivité. Je crois que vous en conviendrez avec moi. Les fonctionnaires des Finances nous disent que nous n'avons pas les moyens de perdre ces revenus, car leur perte modifierait toute la structure et l'équilibre de notre économie. Nous n'avons jamais accepté cet argument. Avez-vous des données concrètes montrant que ces mesures seraient sans effet sur les revenus — si je puis m'exprimer ainsi? Si j'ai bien compris, vous avez dit que nous abolissons ces impôts punitifs sur les entreprises, l'augmentation de la productivité et les nouveaux revenus obtenus de ces entreprises pourraient remplacer d'autres taxes, entre autres l'impôt sur le revenu. Est-ce exact?
M. Veldhuis : C'est exact. On parle dans ce cas de cercle vertueux. En réduisant les impôts, ont augmente l'activité économique et on obtient des revenus accrus. On en a de bons exemples au Canada même, surtout en Alberta et en Ontario, ainsi qu'en Saskatchewan dans une certaine mesure. Ces provinces ont réduit leurs impôts et sont maintenant en mesure de dépenser plus d'argent qu'auparavant par citoyen. En réduisant leurs impôts, elles ont augmenté leurs revenus.
[Français]
M. Suret : On a beaucoup utilisé au Canada ce que nous appelons les crédits immédiats « up front ». Nous donnons un crédit d'impôt pour encourager un comportement et on le donne à l'entrée. À peu près toutes les études à travers le monde démontrent que ce type d'intervention est inefficace. Cela apporte toute sorte de comportements qui sont économiquement aberrants, puisque les gens vont investissent pour le crédit d'impôt et oublient de surveiller l'entreprise, l'investissement et ainsi de suite. Les recommandations sont unanimes, la plupart des pays ont abandonné les crédits immédiats pour aller vers les crédits à la sortie. Quand vous avez un crédit à la sortie sous la forme par exemple, d'une exemption du gain en capital, vous allez faire très attention à votre placement. Si, de toute façon, quelque soit ce qu'il advient de votre placement, vous avez le crédit d'impôt, vous ne le surveillez pas.
Le sénateur Angus : Pouvez-vous expliquer pourquoi le Canada a utilisé ces crédits immédiats?
M. Suret : La grande différence entre le Canada et les autres pays c'est qu'il ne révise pas ces programmes d'intervention. Quand on regarde Israël ou les États-Unis, ou les autres pays, un programme dur quatre ou cinq ans, on le réévalue, on l'analyse et on le change. Quand on parle des fonds des travailleurs, c'est un programme qui date de 1979. Il est inchangé depuis cette période. Les petites sociétés d'investissements aux Etats-Unis ont changé leur programme au moins à quatre ou à cinq reprises par l'intermédiaire de commissions sénatoriales d'ailleurs. Au Canada, on ne change pas les programmes, même quand ils ne marchent pas.
[Traduction]
Le sénateur Harb : Je ne suis pas nécessairement du même avis. Dans une grande mesure, nous sommes tous étourdis lorsque nous examinons la productivité. Nous pensons connaître ce sujet, mais j'en doute. Je vais vous en donner un exemple et vous pourrez me dire si j'ai tort ou raison.
Quand nous examinons la productivité, nous examinons des grappes. Par exemple, nous pouvons examiner la technologie informatique ou la technologie dans son ensemble. Je connais au moins une entreprise canadienne qui compte des bureaux en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Europe et en Asie. L'entreprise est ainsi structurée que ses projets de R et D sont menés 24 heures sur 24. L'effectif nord-américain travaille à ces projets pendant une certaine partie de ces 24 heures, puis le travail se poursuit en Europe et enfin, en Asie. Les recherches se poursuivent 24 heures sur 24 jusqu'à la production. Comment cette réalité est-elle prise en compte dans la mesure de la productivité?
Sur quels facteurs se fonde-t-on? Il y a bien sûr différents facteurs. Ici, un ingénieur est payé 50 000 $, supposons, 25 000 $ en Inde et peut-être 12 000 $ en Chine. Il s'agit d'une entreprise canadienne qui vend ses produits. On ne pourrait pas comparer une telle entreprise avec un autre type de société, par exemple, une entreprise à faible technologie. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Si on évalue la productivité en fonction des intrants et des extrants, on souhaitera idéalement une efficacité totale. C'est très bien. Mais dans les faits, ce que l'on examine se situe entre les intrants et les extrants. Vous parlez de la différence entre le Canada et les États-Unis. Les Nations Unies ont récemment publié un rapport montrant qu'au titre des conditions ou de la qualité de vie, le Canada est au second rang des meilleurs pays du monde. Qu'en pensez-vous? Compte tenu des exemples que j'ai donnés, comment peut-on mesurer les résultats pour une société en ce qui a trait à la productivité?
M. Courtois : Notre industrie est un exemple patent du phénomène dont vous avez parlé. Lorsque des entreprises s'établissent un peu partout dans le monde pour que des projets puissent être réalisés de façon continue, nous voulons qu'une partie de ce travail, sinon la totalité, soit réalisée au Canada plutôt qu'aux États-Unis ou au Brésil, lorsque ce travail se fait dans nos fuseaux horaires. Il existe bien sûr des pays où les services d'ingénieurs ou de scientifiques coûtent moins cher qu'au Canada, mais notre pays offre d'autres avantages. Le risque est toujours un élément important. Il faut également tenir compte de la proximité par rapport au client en cas de problème — autrement dit, combien de temps il faut à ceux qui mettent au point votre produit pour consulter ceux qui s'occupent de la R et D, etc. Nous offrons divers avantages, y compris notre qualité de vie et l'ouverture de notre société.
Dans notre secteur, les laboratoires les plus prospères ressemblent aux Nations Unies — on y trouve des gens du monde entier. L'ouverture du Canada est très avantageuse pour attirer ces travailleurs.
La productivité et la compétitivité ne se mesurent pas seulement au coût des extrants et à la qualité de ces coûts. Nous ne perdons pas totalement notre compétitivité parce que certains de nos coûts sont plus élevés. Très souvent, ce qu'il faut, c'est réunir une masse critique de compétences quant à une capacité particulière d'innover afin que les gens reviennent chercher nos services. À cet égard, les gouvernements ont souvent aidé les secteurs de pointe dans des pays comme le Canada en confiant certains travaux du gouvernement au secteur privé, pour créer cette masse critique à laquelle on peut ensuite avoir recours pour vendre ces services ailleurs dans le monde.
Mais permettez-moi de revenir à la question des impôts. Il est important d'avoir un régime fiscal plus efficace et il faut constamment y veiller. Cependant, dans le monde d'aujourd'hui, la réussite dépend de toute une gamme de solutions. Nous ratons des occasions d'innover.
Nous avons généralement tendance à considérer les dépenses gouvernementales comme un problème, au lieu d'évaluer les possibilités. Le Canada dépense 130 milliards de dollars par année au titre des soins de santé, mais nous ne cherchons pas d'occasions d'innover. Tous les pays du monde ont les mêmes problèmes. Nous avons la capacité, dans un régime de payeur unique peut-être, de stimuler l'innovation afin que soient créées des entreprises qui fourniront leurs services aux régimes de soins de santé et pourront vendre leurs services partout dans le monde; mais nous ne voyons pas la chose sous cet angle. Nous ne donnons même pas à notre régime de soins de santé les fonds dont il aurait besoin pour investir à long terme dans l'innovation. Les investissements à long terme sont en concurrence avec les investissements nécessaires pour avoir suffisamment de lits aux urgences le mois prochain, et cela nuit à l'optimisation des investissements dans notre régime.
Il y a bien des choses à quoi nous dépensons les deniers publics sans pour autant chercher des possibilités d'innovation ou tenter de promouvoir la réussite du Canada dans ce genre d'environnement. Il ne s'agit pas simplement de jeter de l'argent ici et là.
Le président : Monsieur Courtois, permettez-moi simplement de rappeler à l'ordre les sénateurs en leur demandant d'être plus productifs dans leurs réponses, et j'entends par là plus concis, et j'espère qu'il en ira de même pour vous et pour les autres. Nous voulons donner la chance à tous nos témoins ainsi qu'à tous les sénateurs de se faire entendre. Merci pour ce renseignement, qui est important certes, mais employons-nous à être plus concis. Monsieur Veldhuis, vouliez-vous répondre?
M. Veldhuis : Permettez-moi de dire un mot rapidement au sujet de la santé. C'est probablement une industrie qui de plus en plus freine la productivité au Canada. La santé consomme environ 10 p. 100 du produit intérieur brut.
Le sénateur Angus : Cela devient un fardeau.
M. Veldhuis : Cela devient en effet un fardeau pour la productivité parce que le Canada n'investit pas dans les technologies de pointe.
Le sénateur Angus : Comme l'a dit M. Courtois.
M. Veldhuis : C'est exact. Ce système où il n'y a qu'une seule personne qui paie est au second rang des systèmes les plus coûteux du monde. Nous n'avons pas les technologies parce que nous n'avons pas les bons incitatifs pour l'innovation, et cela est un énorme problème.
Pour revenir à la question du sénateur concernant le niveau de vie et le rapport des Nations Unies, je n'ai pas lu ce rapport. Par contre, si nous voulons améliorer notre qualité, nous devons produire davantage de biens et de services et augmenter nos revenus. Avec un meilleur revenu, il est évident que nous pouvons dépenser davantage pour la santé, l'éducation et tous ces éléments qui sont peut-être, selon le rapport des Nations Unies, des indicateurs de la qualité de vie.
Le sénateur Hervieux-Payette : Si on regarde votre recommandation à la page 6, on peut voir plusieurs éléments pour lesquels vous préconisez de faire ceci ou cela. S'il fallait établir des priorités — et je montre ici mes couleurs —, diriez-vous que l'une des trois premières priorités devrait être d'ajuster la déduction pour amortissement afin de mieux refléter les coûts de remplacement?
M. Veldhuis : Tout à fait. Lorsqu'on regarde les chiffres du ministère des Finances, on voit qu'il a calculé les gains en matière de bien-être en fonction d'une réduction fiscale par dollar. Le gain le plus important vient de la déduction pour amortissement. Cela affecte les investissements nouveaux mais aussi les investissements graduels, de sorte que c'est l'élément le plus important si l'on veut améliorer le bien-être social. Vient ensuite l'impôt sur le capital, puis probablement l'impôt sur le revenu des entreprises.
Le sénateur Hervieux-Payette : Aucun d'entre vous n'a parlé très longuement de la diminution des investissements étrangers au Canada par rapport à la situation des autres pays, ni du fait que nous sommes moins intéressants pour les capitaux étrangers. J'aimerais savoir comment selon vous nous pourrions stimuler l'investissement étranger, si vous vous sentez suffisamment à l'aise pour répondre à cette question. J'imagine qu'une augmentation des investissements équivaudrait à une augmentation de la productivité. Je vais m'arrêter là mais j'adresse cette question à M. Suret.
[Français]
Monsieur Suret, il y a quelques années, une étude a été effectuée au sujet des fonds des travailleurs de modèles québécois ainsi que ceux de la Colombie-Britannique. Il semble que le modèle de la Colombie-Britannique était plus performant parce qu'il était géré comme un fonds privé. Je fais une mise à jour puisque cette comparaison date de quelques années. Ces gens se vantaient d'une performance extraordinaire. Je vais vous laisser faire l'évaluation.
D'après vous, quel serait l'impact de cesser immédiatement les crédits d'impôts du gouvernement fédéral? On récupérerait quelques milliards de dollars et on rétablirait la l'équilibre fiscal au fédéral. Les travailleurs québécois et les gens oeuvrant dans ce domaine n'ont-ils pas assez de fonds actuellement pour investir au Québec? Autrement dit, si on cesse, on ne créera pas un choc négatif à l'économie du Québec, mais bien un choc positif, si j'ai bien compris vos propos.
M. Suret : Une économie comme celle du Québec a besoin pour l'investissement en capital de risque de démarrage, de 250 millions de dollars par année si elle était aussi performante en recherche et développement qu'Israël, qui est un modèle en terme de RND. Le fonds des travailleurs (FSTQ) ramasse un milliard de dollars par année et nous considérons qu'il a de quoi investir pendant les 10 prochaines années. Donc, mettre fin à ce crédit d'impôt ne créerait absolument pas un choc sur le financement des entreprises. Les problèmes de gouvernance que vous avez évoqués sont particulièrement graves au Québec puisque nous sommes dans une situation invraisemblable où les gens qui investissent de l'argent là-dedans ont deux sièges au conseil d'administration, qui en compte 17, alors que le syndicat qui ne met pas un cent en a 15. La structure est un peu différente dans les autres provinces où les problèmes de gouvernance sont un peu moins graves. Par contre, la performance, et mes collègues ontariens l'ont examinée aussi, est à peu près la même à quelques exceptions près. Quelques fonds de travailleurs vont un peu mieux et ce sont ceux associés aux grandes banques comme la Roynat, qui a un fonds de travailleurs. Lorsqu'on accorde un crédit d'impôt aux titres des fonds de travailleurs à la Banque Royale du Canada, on commence à se poser des questions.
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Courtois, vous parlez de l'expérience japonaise où c'est soit un crédit d'impôt ou 50 p. 100 des dépréciations accélérées. Je reviens sur les propos de votre collègue sur les investissements dans le secteur de la santé. Ce sont en grande majorité des investissements faits dans le secteur public. Avez-vous un remède miracle pour accélérer l'utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de la santé sachant que le gouvernement fédéral est dans une situation un peu ambiguë? On a déjà un fonds de 800 millions de dollars pour améliorer les équipements dans les hôpitaux et on s'est aperçu qu'une partie de cette somme était placée pour le Québec dans un compte de banque en Ontario. Avez-vous une recommandation à faire au gouvernement fédéral dans le but d'améliorer la performance dans ce secteur extrêmement important représentant plusieurs dizaines de milliards de dollars, si on parle de l'ensemble du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux. Il semble que les équipements ne s'améliorent pas avec le temps. C'est la même chose pour les laboratoires dans les autres sciences. Les laboratoires d'universités sont en décrépitude. Si des sommes sont investies dans le domaine de l'éducation, elles doivent l'être pour des équipements et non pour les bâtiments.
M. Courtois : En ce qui concerne les sciences en général dans les universités, le gouvernement fédéral a la possibilité d'intervenir directement à certains niveaux, surtout au postsecondaire. Il faut effectivement bâtir la capacité à la fois dans les équipements et dans le nombre d'étudiants dans les niveaux plus avancés parce que nous tirons de l'arrière dans ce domaine par rapport aux États-Unis. Comme la plupart des entreprises de nos jours, il y a un manque de financement dans le système d'éducation. Selon les entreprises, certaines veulent aider du préscolaire jusqu'à la fin des études. Pour ce qui est du système de santé, ce n'est pas facile à cause des questions de juridiction fédérale-provinciales. À la fois en tant qu'association impliquée dans la technologie et en tant que simples payeurs de taxes, nous voyons passer d'énormes sommes d'argent d'une compétence juridictionnelle à l'autre sans qu'il y ait nécessairement de critères de performance à l'autre bout.
Il faudrait de la bonne foi selon nous au problème d'interférence dans les autres compétences, mais quand les gens se réunissent autour de la table, ne pourrait-il pas se développer des stratégies en commun pour distinguer entre les investissements à long terme et ne pas laisser les problèmes à court terme faire qu'on ne résolve jamais le problème. Si on n'est pas capable d'améliorer notre efficacité, dans deux ou trois ans les problèmes seront encore là. C'est un cercle vicieux. Cela prend de la communication et de la bonne foi. L'argent est là selon nous. Il peut être contrôlé, du moins au niveau provincial et par des ententes entre les différents paliers, provincial et fédéral. Il s'agit de l'investir différemment.
Le sénateur Massicotte : Lorsqu'on parle en général et d'écart de productivité, pour faire une comparaison avec les États-Unis, il y a deux ou trois secteurs en particulier qui expliquent 80 p. 100 de nos différences. Dans le secteur forestier, par exemple, notre productivité est plus élevée que nos voisins américains. Les autres secteurs sont l'électronique et les services. Pouvez-vous être plus spécifique quant à ces secteurs? Où se situent nos lacunes et nos retards par rapport aux États-Unis?
M. Courtois : On a examiné quelques secteurs, dont le commerce au détail, certains des secteurs manufacturiers et certains sous-secteurs dans le domaine financier. Dans ce dernier domaine, il y a des secteurs au Canada qui sont de gros utilisateurs de technologies productives et d'autres moins productives. Notre équipe s'est penchée sur les secteurs qui étaient similaires, et on a noté qu'il y avait sous-investissement au Canada par rapport aux États-Unis.
Le sénateur Massicotte : Quels secteurs sont moins productifs que ceux des États-Unis? La Banque du Canada a fait une étude à ce sujet il y a deux ou trois ans.
M. Courtois : J'ai regardé seulement les secteurs qui devraient être liés logiquement. S'il y a des secteurs qui utilisent moins les technologies au Canada, qui investissent moins, ce doit être ceux qui sont les moins productifs.
Le sénateur Massicotte : Peut-être que quelqu'un d'autre voudrait intervenir. Quels sont les deux ou trois secteurs particuliers où nous sommes en retard par rapport aux Etats-Unis? Parce qu'on ne peut pas généraliser étant donné qu'il y a des secteurs où nous sommes avantagés.
[Traduction]
M. Veldhuis : Je n'ai pas examiné les données sectorielles, contrairement à M. Sharpe, j'en suis sûr. Ce ne sont pas les secteurs qui sont productifs qui m'intéressent. Le rôle du gouvernement consiste à créer un climat dans lequel tous les secteurs peuvent être productifs. Nous devons moins accorder notre attention à certains secteurs spécifiques, à certains éléments spécifiques et à certaines entreprises spécifiques mais parler de façon plus générale de l'environnement dans son ensemble.
Le président : À ce sujet, Statistique Canada mesure la productivité dans son ensemble. Nous allons distribuer ces données. Comme le signale le sénateur Massicotte, si on reste dans le domaine macroéconomique, il ne se passera rien. Nous voulons savoir, site par site, quelles sont les industries qui ont pris du retard et pourquoi. Si nous formulons des recommandations de politique de façon générique, nous aboutirons à une politique générique aussi, ce qui ne mène nulle part. Si nous formulons des recommandations de politique précises, à ce moment-là nous pouvons demander des comptes. Il faut que les gouvernements rendent compte de ce qu'ils font et il faut que les secteurs de l'économie le fassent également.
M. Courtois : D'après ce que nous avons pu voir, il y a effectivement des différences sectorielles. M. Sharpe a peut- être des données à ce sujet. Mais en règle générale, nous ignorons pourquoi. On constate, par exemple, dans les secteurs homologues qu'au Canada et aux États-Unis les entreprises sont de taille comparable. Nous faisons des suppositions de façon intuitive, ce qui veut dire que nous devinons, quant aux raisons pour lesquelles certaines industries prennent du retard. Il arrive aussi que la faiblesse du dollar canadien nous rende un peu paresseux. Comme le marché canadien est plus petit que le marché américain en ce qui concerne l'adéquation risques-avantages, nous mettons automatiquement plus d'argent sur la table parce que nous gagnerons davantage aux États-Unis en investissant dans une entreprise de taille comparable étant donné qu'aux États-Unis le marché est plus gros, mais tout cela, ce sont des hypothèses. En fait, nous n'en savons rien.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Aux États-Unis, il y a 10 ou 15 ans passés, des milliards de dollars ont été investis dans le secteur de la technologie. Tous les économistes se demandaient pourquoi on ne voyait pas de résultats ou de retour sur les placements. Depuis cinq ou sept ans, on commence à voir les résultats. Quelle explication pourriez-vous offrir à cela?
M. Courtois : Monsieur Greenspan a été le premier à le réaliser. Il a été très sceptique jusqu'à la fin des années 1990. Il voyait ces investissements, mais il ne voyait pas l'impact sur la productivité nationale. Vers la fin des années 1990, cela a commencé à se manifester. Les analystes de la productivité ont réalisé que l'effet sur la productivité venait de la façon dont on changeait nos opérations pour prendre avantage de ce qu'offrait la technologie. Les experts disent que dans ce secteur, encore plus d'innovations s'en viennent au cours des dix prochaines années que dans les derniers dix ans. Et dans les derniers dix ans, il y a eu le sans-fil, Internet, et cetera. Mais la productivité ne se fait pas si le gouvernement ne change pas sa façon de fonctionner afin d'en prendre avantage. C'est pour cela qu'il y a eu un recul de quelques années entre le moment de l'investissement et maintenant.
Le sénateur Massicotte : L'argent n'est pas la solution, il faut changer.
M. Courtois : Cela ne peut pas être passif. On ne peut pas juste lancer de l'argent en s'achetant de nouvelles technologies et compter sur des résultats. Il faut vraiment réfléchir à nos opérations.
Le sénateur Massicotte : À moyen terme et à long terme il y a une lien direct entre le taux d'épargne d'un pays, le taux d'épargne mondial et le taux d'investissement. On espère qu'avec un taux d'investissement élevé on ait une productivité élevée. Le lien est direct. À court terme, il n'y a pas nécessairement un lien, mais quand vous regardez le Canada, les États-Unis et bien des pays de l'Ouest, le taux d'épargne est très bas. Historiquement, c'est le plus bas qu'on ait jamais vu au Canada depuis 40 ou 50 ans. D'abord, il y a une crainte, parce que les gens se disent que si le taux d'épargne est aussi bas, éventuellement notre taux d'investissement sera bas. Par conséquent, l'économie va souffrir à long terme. Auriez-vous des commentaires à faire à cet égard? Est-ce exact de croire cela?
M. Suret : Le taux d'épargne est relativement bas. Ce qui serait un peu plus inquiétant, serait la possibilité pour les gens de financer leur retraite. C'est un problème. En termes d'investissement, ce qui est important, c'est de savoir où va l'investissement. Si on a des programmes qui tordent en quelque sorte l'allocation des fonds et si on s'arrange pour que des milliards aillent vers les projets les moins productifs d'une économie, on a beau avoir le taux d'épargne qu'on veut, on n'arrivera nulle part. Il faut non seulement qu'il y ait de l'épargne, mais il faut ensuite qu'elle aille aux meilleurs produits, aux meilleurs projets et aux meilleures entreprises. Ce n'est pas ce qu'on a actuellement. Ce n'est pas ce qu'on observe et c'est cela qui est inquiétant.
Le sénateur Massicotte : Aujourd'hui, notre investissement est beaucoup plus élevé que notre taux d'épargne. On emprunte de l'argent d'autres secteurs ou d'autres pays comme tels et, indirectement, on donne l'argument que cela affecte le dollar canadien. C'est négatif. Éventuellement, il faudra régler cette question.
M. Suret : Le différentiel du taux de change joue plus que ce déséquilibre, mais je vais laisser les macroéconomistes s'arranger avec cela.
Le sénateur Plamondon : Ma question concerne le fonds des travailleurs et elle s'adresse à M. Suret. J'ai de la misère à comprendre que d'un côté, vous dites que les fonds de travailleurs vont, au Québec particulièrement, vers les fonds d'obligations, vers les sociétés fermées qui sont en croissance, donc qui n'ont pas besoin de fonds supplémentaires. D'un autre côté, vous nous dites que si ces fonds étaient investis dans de petites sociétés à risque, ce ne serait pas productif. J'aimerais savoir quant est-ce qu'il serait conseillé d'investir dans quelque chose à risque plutôt que d'investir dans quelque chose de certain par rapport à ce que vous nous disiez sur le fonds des travailleurs?
Ma deuxième question : quelles sont nos priorités? Ma question s'adresse aux trois témoins. Couper dans les coûts est-il suffisant ou ne devrions-nous pas investir plutôt dans l'être humain? Je reviens à l'éducation. Est-ce que nos enfants et les générations qui s'en viennent sont formés à être critiques, à innover, à penser ou simplement seront-ils formés à produire des travaux qui vont générer des notes et qui ne laisseront pas beaucoup de place pour une pensée critique? Vous êtes-vous attardé à la faculté que les gens ont d'être objectifs et de pouvoir penser pour pouvoir innover?
Monsieur Courtois, vous nous parlez des technologies. Vous pouvez avoir une technologie, qui est très productive aujourd'hui, mais qui, demain, sera remplacée par une autre, et les consommateurs la mettront à la poubelle, je pense aux ordinateurs et à tout ce qui est connexe.
Ma troisième question concerne le fait que les entreprises canadiennes sont de moins en moins canadiennes, et ceci à cause des acquisitions en relation avec la mondialisation. Par exemple, le Canada veut augmenter de 30 p. 100 à 100 p. 100 l'investissement de ses fonds de retraite à l'extérieur du Canada. Croyez-vous que cela puisse nuire à la productivité?
M. Suret : Concernant les Fonds de travailleurs, j'ai dit que les fonds investissaient environ 30 p. 100 dans des petites sociétés fermées. Le reste est composé d'obligations et autres. Cela traduit une première chose, c'est-à-dire l'absence d'un bassin suffisant d'investissements rentables, et ils ne sont pas capables d'investir la totalité des fonds qu'ils acquièrent.
Dans le cas du Québec, il a 1,3 milliard de dollars par année et on peut investir environ 200 millions de dollars. Ils sont obligés d'investir le reste où ils peuvent et ils sont donc obligés de prendre des projets d'investissement très peu rentables.
Le sénateur Plamondon : Le fonds est donc rentable, mais pas l'objectif du fonds. Est-ce bien cela?
M. Suret : Le fonds n'a pas assez de bons projets pour assurer sa rentabilité. Il est donc obligé d'investir un peu n'importe où et on se retrouve avec les résultats qu'on a. C'est un problème de déséquilibre entre l'intervention et les besoins réels. Par ailleurs, les besoins réels tels qu'on les connaît, et ce qu'on appelle l'écart d'équité, se situent au niveau des premières phases de démarrage des entreprises. C'est là que l'État doit intervenir.
Or, dans les Fonds de travailleurs, ils peuvent intervenir à peu près n'importe où. Ils ont même le droit d'investir comme ils le font dans l'immobilier en Pologne, et je ne vois pas comment cela peut rapporter, en terme de compétitivité canadienne, d'investir là-bas dans ce secteur.
Concernant votre seconde question, je partage votre inquiétude au niveau des universités. Il y a un très bon travail qui se fait présentement par la Fondation Soros sur cette problématique. Ils sont très inquiets, en particulier, de la mainmise des entreprises sur les universités. Ils allèguent que de plus en plus les gens seront formés à produire à court terme, on fera de la recherche à court terme dans une optique d'entreprise et non plus dans l'optique fondamentale. Je partage donc tout à fait votre inquiétude sur cet aspect.
M. Courtois : Notre secteur a une perspective à ce sujet qui n'est pas nécessairement là où entre en jeu la problématique. Il est vrai que le Canada doit continuer à se bâtir une capacité scientifique forte, parce que dans le monde d'aujourd'hui c'est absolument essentiel. On s'aperçoit toutefois que, dans notre secteur, le succès pour un pays comme le Canada n'est pas de générer plus de docteurs en science que l'Inde ou plus d'ingénieurs que la Chine. Nous ne pourrons pas le faire. Quels sont donc nos avantages? Il faut justement que nos diplômés aient un sens critique et qu'ils reçoivent une formation plus large, une formation dans les aspects d'interactivité humaine.
Nous remarquons dans l'entreprise une faiblesse du côté du marketing et de la mise en marché des produits. Il y a un danger de produire des innovations qui ne génèrent pas d'emplois ou d'amélioration du niveau de vie au Canada, parce que nous sommes moins forts que certains autres dans le domaine des idées de marketing, et ce même si nous sommes considérés un pays très ouvert.
Cela nécessite une formation plus complète et il y a une lacune du côté de la formation de nos jeunes. Il faut les former afin qu'ils aient un esprit plus ouvert. Il faut aussi qu'ils fassent preuve d'interaction avec les gens et les clients, car il faut vendre à des gens. C'est vrai que nous sommes des entreprises et ce sont les connaissances que nous voulons voir, mais nous réalisons que, pour un pays comme le Canada, cela prend davantage qu'une formation étroite.
Le sénateur Plamondon : C'est donc un secteur défaillant.
M. Courtois : Oui, tout à fait.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : J'aurais deux petites questions à poser à M. Courtois en ce qui concerne la productivité. Dans votre témoignage comme dans votre réponse, vous avez parlé de « grappes ». La productivité canadienne serait-elle meilleure si nous avions plus de grappes technologiques dans les grandes villes universitaires comme Vancouver, Toronto, Montréal et Halifax? Halifax compte six universités. Nous pourrions commencer à commercialiser certains travaux de recherche qui y ont été faits. Cela améliorerait-il la productivité?
Notre productivité serait-elle également meilleure au Canada si le gouvernement adoptait davantage de solutions commerciales électroniques au niveau des acquisitions, de la gestion de la chaîne d'approvisionnement, et cetera, ce qui ferait que l'industrie emboîterait le pas?
M. Courtois : Oui dans les deux cas. Il est évident que dans une économie, quelle qu'elle soit, les regroupements sont extrêmement performants. Ils créent une masse critique et ont l'effet d'un aimant. En revanche, les gouvernements ne peuvent pas créer de grappes. Les grappes doivent venir spontanément. Il faut au départ un environnement universitaire et un environnement d'affaires qui se combinent dans une spécialité pour devenir un exemple pour le reste du monde, et à partir de là le mouvement suit.
Le sénateur Olivier : Mais le gouvernement peut-il faire fonction de catalyseur?
M. Courtois : Oui, il peut injecter de l'argent. Il arrive, lorsqu'une grappe est en train de se constituer, que le gouvernement puisse mettre un peu d'argent pour accélérer les choses lorsque la formule est la bonne. Mais la bonne formule doit être une combinaison de plusieurs éléments, quelque chose qui est poussé par le marché, quelque chose qui soit entraîné par le marché plutôt que poussé par la technologie ou telle ou telle compétence. Il faut également que la collectivité intervienne. Nous commençons à bien connaître quelle est la bonne formule pour les grappes. Il est impossible d'en créer, mais lorsqu'on en voit apparaître, on peut accélérer un peu le mouvement.
Lorsque le gouvernement est le principal utilisateur, cela peut faire une grosse différence. Et lorsqu'il s'agit de commercialiser l'innovation, les gouvernements dépensent beaucoup d'argent. Ce sont eux qui peuvent rendre le cercle virtueux. Ce sont eux qui tirent profit de l'innovation et ils peuvent contribuer à la stimuler, au tout début de la commercialisation, parce qu'ils sont les utilisateurs principaux. Par conséquent, ils en tirent un double bénéfice, non seulement en améliorant leur propre fonctionnement, mais également en prenant quelque chose qui en est au tout début de la commercialisation en lui donnant un petit coup de pouce supplémentaire. Les gouvernements devraient beaucoup compter là-dessus. Chez nous, il y a beaucoup de gens qui ont réussi à l'échelle mondiale et, bien souvent, les commandes de l'État au tout début du processus ont été extrêmement utiles. Nous ne préconisons pas pour autant au gouvernement de jeter de l'argent dans ce genre de choses. Ce que nous disons, c'est qu'il y a des exemples où les gouvernements se porteraient mieux s'ils intervenaient financièrement.
M. Veldhuis : Je ne suis pas d'accord. Le programme de l'innovation du gouvernement canadien a dépassé les 9 milliards de dollars, 800 millions de plus lui ont été ajoutés dans le budget de 2005, mais le pourcentage de notre PIB consacré aux dépenses en R et D reste faible. Il diminue par rapport aux autres pays, par rapport aux États-Unis. Ici encore, l'idée qu'un gouvernement militant dans ce domaine puisse on ne sait trop comment stimuler l'innovation et le progrès ne tient pas la route. Le gouvernement est là pour créer un environnement tel que l'entreprise soit poussée à intervenir et à investir dans la R-D.
M. Courtois : Si vous me permettez, pour mettre les choses un peu en contexte, il importe de bien comprendre le rôle du gouvernement et le rôle de l'entreprise. Il n'appartient pas au gouvernement de vendre, c'est à l'entreprise à le faire. Par contre, le gouvernement a pour rôle de donner au pays une capacité scientifique. À ce moment-là, l'entreprise va utiliser des gens pour vendre des choses qui sont issues de cela. Lorsque les rôles sont bien assumés, à ce moment-là on peut dépenser à bon escient.
M. Veldhuis : Je ne suis pas d'accord. Regardez les pays où la productivité augmente très rapidement. Ces pays se donnent un environnement tel que l'entreprise peut investir dans la technologie et rester à la fine pointe. L'histoire a montré que l'intervention de l'État n'a jamais réussi à produire ce genre d'innovation.
Le président : Nous aimerions beaucoup que vous nous fassiez parvenir par courriel vos positions dans ces deux cas.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit que les impôts sur la masse salariale étaient moins pénalisants pour la productivité que l'impôt sur les bénéfices des entreprises. Pourriez-vous être un peu plus précis? J'ai toujours cru personnellement que les taxes sur la masse salariale freinaient la productivité.
M. Veldhuis : En ce qui concerne la productivité, le principal élément qui influe sur la productivité est le capital dont disposent les travailleurs. Si on pénalise, si on élimine tout ce qui incite à investir en capital, c'est cela qui nuira le plus au niveau de vie. Ainsi, tout ce qui taxe directement le capital, par exemple, les taxes sur le revenu des entreprises, l'impôt sur le capital, la taxe de vente sur les intrants commerciaux, tout cela a l'effet le plus néfaste qui soit sur la productivité.
Le sénateur Tkachuk : Le fonds de l'assurance-emploi est constamment excédentaire. Ces excédents sont versés au Trésor public. Manifestement, le gouvernement touche plus que ce qu'il lui en coûte pour gérer ce programme. Par conséquent, si les salariés pouvaient garder cet argent, ils pourraient économiser davantage et donc investir davantage aussi. Il y a toutes sortes de choses qui pourraient se produire et qui ne se produisent pas parce que cet argent disparaît.
M. Veldhuis : C'est exact, je n'en disconviens pas. Il est certain que si on réduit la fiscalité qui frappe les particuliers, les cotisations sociales et l'impôt sur le revenu, l'épargne augmentent, l'investissement augmente, la prise de risques augmente aussi, de même que l'activité des entreprises. Pour l'économie, qu'est-ce qui est le plus nuisible? Les travaux de recherche démontrent que l'impôt sur le capital est plus nuisible que les taxes sur la masse salariale.
Le sénateur Tkachuk : En raison du déficit, le Régime de pensions du Canada est actuellement à 9,9 p. 100 de taux de cotisation, des cotisations qui sont payées par les travailleurs autonomes ou conjointement par le salarié et par son employeur. Tout cet argent sert à payer des dépenses qui ont déjà été faites depuis 20 ou 30 ans, et c'est pour cette raison qu'il y a un trou dans la caisse. Est-ce un frein énorme pour la productivité? Cela s'ajoute au fait que ce sont les petits salariés, ceux qui gagnent entre 3 500 $ et 40 000 $ par an qui paient tout ce dont auront besoin les générations à venir, au lieu qu'il y ait partage équitable tout le long de l'échelle. Cela doit sûrement nuire à la productivité.
M. Veldhuis : C'est encore pire que ceux qui gagnent 40 000 $. Lorsqu'on regarde les réformes de 1997, la plupart des gens seraient outrés d'apprendre d'où venait l'essentiel de tout cet argent. Le plus clair de tout cet argent venait du gel de l'exemption, de sa non-indexation. Par conséquent, ce sont les petits livreurs de journaux qui ont été le salut du programme.
Cela nuit-il à la productivité? Cela nuit assurément à l'épargne, à ce que les petits salariés doivent économiser. Le gouvernement n'a pas vraiment fait grand-chose pour exploiter le fait qu'avec des programmes bien conçus, les petits salariés seraient en mesure d'épargner davantage.
Les REER sont un excellent vecteur pourvu qu'on gagne suffisamment d'argent. Mais pour les petits salariés, il pourrait y avoir d'autres types de programmes, par exemple, des programmes permettant d'épargner une partie de son revenu après impôt, ce qui en exonérerait le produit au moment où on l'utilise. Il y a toutes sortes d'autres façons d'inciter les petits salariés à économiser.
Le sénateur Angus : Un de ces gourous de la finance me disait, en parlant de l'écart de productivité entre le Canada et les États-Unis, que l'un des facteurs négatifs dont nous sommes victimes ici au Canada, en plus de ceux que vous avez déjà mentionnés, est la rigueur de notre climat. J'étais très étonné de l'entendre dire cela, mais ensuite j'y ai réfléchi. Il est certain que certaines industries doivent dépenser de l'argent pour le chauffage, les vêtements, les conditions de travail, etc. Cet argument a-t-il une certaine validité?
M. Courtois : Je ne suis pas certain. Je n'ai jamais entendu parler de cela dans les facteurs négatifs. Au contraire, cela a probablement été, historiquement parlant, un facteur plutôt positif. Lorsque la vie n'est pas facile, les gens réagissent parfois en faisant preuve de plus de courage et de plus d'ingéniosité. Le fait que, dans le domaine des télécommunications nous soyons loin en avance par rapport au reste du monde, a souvent été attribué, en partie du moins, à la rigueur de notre climat qui faisait que nous n'avions pas le choix.
M. Veldhuis : Si on songe à ce qu'était Hong Kong dans les années 50 — une île dépourvue de ressources naturelles, un rocher quasiment nu —, on voit bien que cette enclave a réussi de façon assez remarquable à améliorer sa qualité de vie, et elle affiche probablement le taux de croissance économique le plus élevé parce que c'est également l'économie la plus libre. Le gouvernement n'intervient absolument. Il est donc facile d'y investir, de créer de l'activité économique et des emplois.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Suret, votre entreprise a une bonne réputation et vous faites beaucoup de recherche. Êtes-vous d'accord avec la réponse qu'on a obtenue tantôt selon laquelle les taxes de la main-d'oeuvre sont moins importantes que les taxes sur le capital pour augmenter la productivité?
M. Suret : La taxe sur le capital est effectivement l'élément clé.
Le sénateur Massicotte : Quelle importance peut-on donner à l'infrastructure par rapport à la productivité? Devrait- elle être financée par le gouvernement fédéral ou par le gouvernement municipal?
M. Suret : On pourrait déjà nettoyer la fiscalité et regagner en termes de dépenses fiscales. Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas beaucoup. On pourrait nettoyer une très grande partie des dépenses fiscales et gagner suffisamment d'argent pour faire une exemption partielle ou totale du gain en capital. Ce serait simplement un déplacement. Il n'y a pas à financer autrement. Ce sont les recommandations des gens de C.-D. Howe depuis longtemps.
[Traduction]
Le sénateur Massicotte : La productivité est censée être la solution au problème démographique qui s'annonce au Canada. Que pouvons-nous faire pour faciliter les choses? Il est évident que la productivité se mesure par habitant, et que d'ici 20 ans, notre population active sera moins élevée qu'à l'heure actuelle en pourcentage de la population totale. Que devrions-nous faire pour obtenir ces gains de productivité importants dont nous allons avoir besoin pour conserver notre qualité de vie?
M. Veldhuis : La seule façon de parvenir à conserver les programmes que la population a voulus — santé et éducation — serait d'élargir la base de notre économie. La seule façon d'y parvenir, c'est de faire en sorte que les travailleurs produisent davantage par heure travaillée. La seule façon d'y parvenir, c'est d'attirer les investissements commerciaux dont nous avons besoin. Il faut également un capital humain, mais à ce titre-là, le Canada s'en tire bien. Il faut par contre des investissements commerciaux, et pour avoir des investissements commerciaux, il ne faut pas que ceux-ci soient pénalisés.
Le président : Je voudrais faire un commentaire. Vous pouvez peut-être y répondre par écrit.
Lorsque nous commençons à réunir toutes ces analyses qui nous comparent soit aux États-Unis, soit à l'OCDE, soit encore à d'autres pays — coûts élevés, faibles coûts, climat tempéré, climat vigoureux — il est clair que le Canada est en pleine crise de productivité, peu importe dans quel secteur on regarde. Nous sommes en état de sous-production, c'est même une forme de séparation économique. Économiquement parlant, nous nous distançons des pays les plus productifs au monde.
Après y avoir réfléchi, vous pourrez peut-être nous formuler des recommandations précises dont nous pourrions nous inspirer. Tout cela nous perturbe tous beaucoup. Vous pouvez d'ailleurs bien le sentir en écoutant les sénateurs qui se sont interpellés. Nous ignorons les réponses. Nous espérons pouvoir en obtenir quelques-unes, ou au moins une idée de ce qu'elles pourraient être.
Dans tous les tableaux, dans toutes les statistiques que nous avons examinées, peu importe leurs sources, Statistique Canada ou le secteur privé, on constate cette séparation économique. Et tout tourne autour de la productivité. Lorsque vous aurez entendu le reste des témoignages, nous aimerions beaucoup que vous puissiez revenir et nous donner des réponses mieux ciblées. Nous vous remercions d'être venus aujourd'hui, de vous être bien préparés et de nous avoir remis des mémoires.
Nous allons maintenant entendre une autre fournée de témoins. Bienvenue à tous. Nous sommes ravis de vous voir aujourd'hui. Nous poursuivons cette étude un peu expérimentale en table ronde qui est consacrée à la productivité et à la concurrence. Nous avons de très nombreuses questions mais guère de réponses. Nous sommes ravis d'accueillir M. Andrew Sharp et M. Bruce Winchester.
La parole est à vous, messieurs.
M. Bruce Winchester, directeur des services de recherche, Atlantic Institute for Market Studies : Honorables sénateurs, vous méritez des félicitations pour avoir utilisé votre charge d'éminents représentants de la population pour délibérer de cette question importante.
Il est important d'améliorer la productivité parce que si nous ne parvenons pas au minimum d'égaler les pays qui sont nos concurrents en matière de production par travailleur, le fondement même de notre contrat social canadien risque d'être compromis. Du point de vue de ce groupe de réflexion sur les politiques publiques qui, fortuitement, est situé dans la région Atlantique, l'Atlantic Institute for Market Studies ou AIMS a constaté de façon tout à fait directe l'impact pernicieux du déclin de la productivité. Le problème de la région atlantique soucieuse d'arriver à une convergence économique avec le reste du pays s'inscrit dans le droit fil d'un enjeu plus général, améliorer la productivité nationale. Les obstacles qui entravent l'amélioration de la prospérité de l'Atlantique peuvent être classés en trois catégories : les obstacles attribuables aux politiques publiques, les obstacles attribuables au capital humain et les obstacles attribuables à l'implantation de nouvelles technologies. Ces trois catégories d'obstacles n'agissent pas en autonomie, mais elles ont des caractéristiques propres.
Depuis quelques années, l'AIMS publie énormément d'articles sur ces questions. J'attire en particulier l'attention des sénateurs sur nos études concernant la péréquation, et en particulier sur un rapport intitulé « Taxing Incentives » qui montrent les effets pernicieux de la péréquation sur la fiscalité provinciale. Il est important de songer à l'une des conclusions de l'auteur, en l'occurrence, que les provinces qui bénéficient de la péréquation tendent à imposer des barèmes fiscaux plus élevés et des taxes plus lourdes à des bases plus faibles. Il y a l'impôt sur le capital et l'impôt sur le revenu des entreprises. Ce sont ces deux impôts-là que nous invoquons lorsque nous parlons d'améliorer la productivité.
Qui plus est, le gouvernement fédéral a ajouté à la péréquation un système de subventions et d'aide régionale. Cette année-ci, le gouvernement fédéral va décaisser environ 1,8 milliard de dollars pour aider les industries des régions économiquement défavorisées du pays. Dans le cas de la région atlantique, la plus grosse de ces agences, l'APECA, a joué un rôle douteux dans l'économie régionale. Même elle est souvent vantée pour avoir introduit des innovations productives dans la région, malheureusement ce n'est pas là le produit des subventions et contributions accordées par l'agence. Plus souvent, ces subventions et contributions ont freiné la productivité. Au lieu d'accroître, par exemple, le réservoir disponible de capital d'investissement, l'argent offert gratuitement par l'APECA a chassé les investisseurs qui étaient incapables de faire concurrence à ce genre de conditions, c'est-à-dire des emprunts à faible taux. Tout cela a fait que les entreprises en quête d'innovation se plaignent à nous et ont tendance à se rebiffer contre les façons bureaucratiques de l'APECA alors qu'il y a de moins en moins de possibilités pour elles d'accéder à des investissements privés. C'est un cercle vicieux. L'argent de l'APECA chasse l'argent privé, et le mouvement est encore exacerbé par les impôts provinciaux élevés qui frappent le capital et les bénéfices d'entreprises. Pour ces entreprises, il est difficile de faire preuve d'innovation dans la région de l'Atlantique.
Il y a un genre de politique de la porte tournante pratiquée par l'APECA lorsqu'elle dispense ses fonds, qui fait qu'ils viennent sans cesse frapper à nouveau à la porte pour, selon les termes de l'APECA, « conserver l'emploi ». Le problème est qu'à mesure que l'APECA dépense de l'argent pour conserver l'emploi, elle subventionne en fait des industries moins productives, ce qui revient à dire que le gouvernement fédéral a pour politique de subventionner des industries moins productives. Essentiellement, cette subvention vient compenser le fait qu'il est plus coûteux de produire dans l'Atlantique. Il s'agit à ce moment-là d'un des obstacles qui entrave la productivité dans l'Atlantique. Dans les deux cas, il serait bon que le gouvernement réduise son intervention.
Ensuite, il y a au nombre des obstacles attribuables à la politique publique la question de la main-d'œuvre, qui tend à pénétrer le domaine du capital humain. L'assurance-emploi, l'un des programmes probablement les plus chaudement débattus et les plus paradoxaux dans l'Atlantique, est extrêmement contestée parce que la crainte de voir les prestations modifiées crée dans certaines collectivités une réaction très réelle et tout à fait viscérale parce qu'elles considèrent qu'un changement quel qu'il soit sonnerait leur glas. Cela dit, il est paradoxal de voir que le système d'assurance-emploi crée des pénuries de main-d'œuvre. Malgré des taux de chômage régionaux historiquement très élevés, il y a néanmoins des entreprises qui ne parviennent pas à trouver de la main-d'œuvre. Nous lisons dans les journaux de l'Atlantique que des pans entiers de l'industrie craignent ou connaissent déjà des pénuries de main-d'œuvre. Au bout du compte, il y a des gens qui, dans certains cas, décident d'émarger à l'assurance-emploi. Par conséquent, il n'y a pas suffisamment de monde pour répondre aux offres d'emploi. Cela a un impact extrêmement négatif sur la productivité.
Mais il y en a d'autres. Le programme d'assurance-emploi ne permet pas aux entreprises d'ordonnancer de façon rationnelle leurs ressources. Lorsque les gens se trouvent pris dans un modèle économique et culturel dans lequel l'assurance-emploi vient compléter leurs revenus, les employeurs peuvent facilement payer moins leurs travailleurs. Ces travailleurs n'ont pas besoin de gagner autant d'argent parce que l'assurance-emploi leur paie un complément. Mais en même temps, les travailleurs n'ont aucun intérêt à s'investir davantage, de sorte que très souvent, ils n'ont ni les moyens, ni la volonté d'acquérir de nouvelles compétences, de nouvelles capacités, de nouvelles habiletés pour améliorer la productivité d'ensemble. Ici encore, c'est le cercle vicieux de l'assurance-emploi qui soutient des agences improductives et qui décourage l'investissement dans le capital humain, à un élément que nous savons être important.
Comme je l'ai déjà dit, dans certaines régions et à certaines époques de l'année, il y a des pénuries de main-d'œuvre, ce qui est tout à fait paradoxal parce que nous voyons toujours l'Atlantique comme une région victime d'un taux extrêmement élevé de chômage et qui a vraiment besoin de ce programme. Par ailleurs, nous constatons également que les taux d'imposition très élevés des gouvernements provinciaux et des administrations locales découragent eux aussi l'investissement. Par conséquent, toutes ces politiques se combinent et font qu'il est difficile d'encourager la productivité dans l'Atlantique. C'est en partie pour cette raison que la région n'a pas réussi sa convergence avec le reste du pays.
Une dernière chose à prendre en compte est le fait que les nouvelles technologies ne sont pas utilisées. Je parlerai de l'aquaculture parce que c'est un bon exemple de technologie importante pour l'Atlantique. C'est également un exemple qui prouve que, même si une technologie innovatrice et productive est peut-être utilisée, elle n'est parfois pas implantée suffisamment vite, avec pour résultat de nombreux effets néfastes pour le reste de l'économie.
L'industrie de l'aquaculture a un peu bougé, c'est vrai, mais le problème fondamental demeure le cadre réglementaire. Cet environnement a beaucoup fait pour décourager l'adoption d'une nouvelle technologie et donc le développement de toute l'industrie. La pêche, qui est le mode d'exploitation halieutique actuel, pourrait facilement être remplacée par l'aquaculture, qui est un mode de production plus efficace. En changeant les modes de production, les industries secondaires pourraient également évoluer et adopter de nouvelles technologies, ce qui veut dire que toute la pêcherie pourrait devenir plus productive. Il y aurait alors des retombées en cascades, des retombées qui n'existent pas pour l'instant parce que l'aquaculture n'est pas dynamique. Ses effets de rejaillissement se feraient tous sentir au niveau de l'innovation technologique, de la biotechnologie, de l'industrie pharmaceutique et de tout ce qui concerne l'environnement. Sans cette industrie de base — et l'aquaculture n'est pas robuste chez nous — il ne se passe rien.
Il faut que le gouvernement rationalise l'environnement réglementaire et celui de l'immobilier en les axant sur l'aquaculture. C'est important de le faire dans l'Atlantique, mais cela pourrait également valoir pour le reste du Canada. Sans cela, il ne pourra pas y avoir d'autres modes de production. Si le régime des droits en matière immobilière n'est pas suffisamment bon pour cette nouvelle industrie, il sera impossible de progresser. Parallèlement, si rien ne garantit la protection du capital intellectuel — un excellent régime de droits en matière immobilière —, il est difficile de procéder à certaines innovations.
Notre institut a énormément publié au sujet de l'aquaculture et j'invite d'ailleurs les honorables sénateurs à consulter certains de nos articles sur notre site Web. Je vais envoyer de la documentation au greffier ainsi que pour l'édification des sénateurs. Il y a énormément de documentation sur ce sujet.
Le président : Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir toutes les études de cas à l'appui de votre argumentation.
M. Winchester : Il y a déjà beaucoup de choses sur notre site Web. La façon dont nous avons suscité le débat sur l'aquaculture nous a valu une réputation internationale. C'est un dossier très important pour l'Atlantique.
Certaines personnes viendront vous dire que les gros programmes et une réglementation environnementale tous azimuts aideront le Canada à acquérir et à développer « le prochain gros morceau ». Si on en juge d'après l'expérience de l'Atlantique, le gouvernement aurait plutôt intérêt à rester sur la touche et à se borner à assumer son rôle premier qui est de faire respecter les droits de propriété matérielle et intellectuelle, d'encourager l'investissement dans les ressources humaines, d'attirer au Canada des investissements et du capital humain.
Il faut remanier en profondeur le système de la péréquation et de l'assurance-emploi. Un groupe d'experts vous parlera de la péréquation, et nous allons nous-mêmes nous adresser à lui. Mais les sénateurs devraient également songer aux impacts négatifs de cette politique fédérale et s'en méfier. Il y a eu, nous l'avons vu, beaucoup de choses comme l'élimination des obstacles à l'exploitation des ressources naturelles, où il pourrait y avoir des changements. Ce programme lui aussi doit être modifié afin que tout ce qui empêche les provinces de réduire les impôts sur les bénéfices des entreprises et l'impôt sur le capital puisse être remanié. Le gouvernement fédéral peut apporter des changements et offrir des réductions, mais si les gouvernements provinciaux n'emboîtent pas le pas en réduisant eux aussi certaines de ces charges, les investissements n'augmenteront pas dans la région.
En outre, il faut également remanier le programme d'assurance-emploi. Il ne faut plus que ce programme serve à encourager le travail saisonnier et l'entrée trop active d'une main-d'œuvre trop qualifiée dans le marché du travail. Nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de choses alors même que nous nous employons à améliorer la productivité. Le programme d'assurance-emploi doit retrouver ses racines premières, c'est-à-dire redevenir un programme de soutien temporaire du revenu. On pourrait faire toutes sortes de choses, comme modifier la règle de l'intensité, ou encore changer le niveau auquel il faut travailler pour pouvoir être admissible à une première prestation.
Toutefois, l'une des innovations que nous proposons, soit la refonte de la structure des cotisations, est plutôt intéressante et mérite un examen sérieux.
Aux États-Unis, l'assurance-emploi relève de chaque État. On y observe de grands écarts entre les cotisations que doivent payer les employeurs qui licencient souvent leur personnel et les autres. Les cotisations sont beaucoup plus élevées pour les employeurs qui mettent leurs employés à pied. Cela est très important par rapport à l'innovation productive, car on encourage ainsi les entreprises à garder leurs effectifs. Ces employés sont donc en mesure de se perfectionner et les entreprises d'en tirer parti. Par conséquent, si on substituait à notre taux fixe de cotisations pour tous les employeurs un taux variable, nous assisterions moins au genre de choses qui se sont passées ici, et il y aurait plus d'emplois permanents et moins d'emplois temporaires.
Pour s'en persuader, il suffit de comparer le taux de chômage du Nouveau-Brunswick et celui de son État voisin, le Maine, où le système américain est en vigueur. Le taux du Maine est beaucoup plus faible pour toutes les raisons que j'ai mentionnées.
En conclusion, je dirai que nous devons nous pencher sur trois questions. Il faut modifier les politiques de telle manière que la péréquation et l'assurance-emploi ne nuisent pas à l'innovation. Lorsque le gouvernement intervient afin de protéger des choses comme le droit à la propriété, il faut qu'il protège les droits de propriété appropriés et qu'il opte pour une réglementation plus simple et plus efficace. Il faut veiller à cela car autrement, l'intervention de l'État entraînera de sérieux obstacles à l'innovation.
Le président : Monsieur Winchester, vos remarques générales nous intéressent, mais nous aimerions aussi que vous étayiez toutes vos affirmations à l'aide de données. Nous vous serions reconnaissants de nous fournir tout modèle statistique susceptible de soutenir vos propos. Vous avez exposé des analyses très générales et généralisatrices à propos de certains programmes. Fort bien. Nous aimerions cependant aussi disposer de modèles statistiques établissant le bien-fondé de telles affirmations.
Sans vouloir vous critiquer, monsieur Winchester, c'est précisément ce qu'a fait notre prochain témoin, M. Sharpe, que nous félicitons d'ailleurs. Il nous a en effet fourni des données très intéressantes à consulter.
M. Andrew Sharpe, directeur exécutif, Centre d'études des niveaux de vie : Honorables sénateurs, je vous remercie de l'invitation que vous m'avez faite de témoigner ici aujourd'hui.
Le Centre d'étude des niveaux de vie est un institut de recherche économique indépendant et sans but lucratif situé à Ottawa. Notre organisme effectue de nombreux travaux portant sur la productivité, les niveaux de vie et le bien-être économique. Nous publions aussi une revue, l'International Productivity Monitor, dont le rayonnement est international.
Pourquoi la productivité compte-t-elle? Parce qu'elle correspond à notre destin économique. Si la productivité augmente de 1 p. 100, notre niveau de vie doublera en 70 ans, si elle progresse de 3 p. 100, il doublera en 24 ans. Si nous réussissons des gains de productivité de 2 p. 100 au cours des 30 prochaines années, tous les problèmes liés aux coûts des services de santé et des pensions et causés par le vieillissement de la population s'évanouiront. Si nous atteignons un bon niveau de productivité, nous résoudrons bon nombre de problèmes importants de société.
Il faut toutefois mettre les choses en perspective. La productivité a une importance certaine, mais elle n'est pas tout. À mon avis, le bien-être économique et la qualité de vie sont probablement encore plus importants. Il n'empêche que la productivité contribue de façon non négligeable au bien-être économique du Canada et à notre qualité de vie. Cela nous oblige à faire certains compromis, mais ils ne sont pas très lourds de conséquences. Par conséquent, il demeure indispensable de nous concentrer sur la productivité.
Aujourd'hui, j'aimerais d'abord parler des derniers faits observés en matière de productivité et des politiques qui la favorisent. J'ai donc articulé mon exposé à l'intention du comité en six propositions de politiques concrètes. Je vous ai remis un document dans lequel il est question des dernières tendances de la productivité, tant au Canada qu'aux États- Unis. Je n'en parlerai toutefois pas. Les documents sont assez abondants, je me contenterai donc d'en résumer les principales conclusions.
Ce qui s'est passé récemment en matière de productivité est sans précédent dans notre histoire économique. En 2003, notre taux de croissance de la productivité était de 0,1 p. 100 dans le secteur des affaires. En 2004, c'était pire, il était nul. Par conséquent, ces deux dernières années, dans le secteur des entreprises, il n'y a eu aucune croissance de la productivité sur le plan du rendement par heure, probablement la mesure la plus juste de cela.
En revanche, les États-Unis ont connu des résultats opposés. Ces deux dernières années, la productivité a augmenté là-bas à un rythme de 4 p. 100 par année. Cela représente un écart de quelque huit points de pourcentage entre les pays. Au Canada, notre rendement par heure, par rapport à celui des États-Unis, a dégringolé, passant de 81 p. 100 en 2002 à 74 p. 100 en 2004. Il s'agit d'une grave détérioration de la productivité relative. Nous avons étudié de manière assez poussée les raisons qui expliquent une telle différence, et je vous indiquerai lesquels de nos travaux là-dessus vous pouvez consulter dans l'International Productivity Monitor.
Aujourd'hui cependant, nous discutons davantage des taux de croissance.
Je vais vous donner une brève vue d'ensemble de ce qui s'est passé. D'abord, aux États-Unis, il semble y avoir eu accélération du changement technologique. Nous croyons avoir observé cela pendant la seconde moitié des années 90, lorsque la productivité a sensiblement augmenté. Toutefois, depuis 2000, il y a eu une deuxième accélération de la croissance de la productivité aux États-Unis. À l'heure actuelle, le rythme annuel semble avoir dépassé 3 p. 100 par année. C'est extrêmement positif, à la fois pour les États-Unis et le Canada à long terme, car notre croissance économique a tendance à tirer de l'arrière par rapport à celle de notre voisin du Sud. On peut donc penser que le Canada finira par bénéficier des changements technologiques qui sont en cours aux États-Unis, même si, pour le moment, les bons résultats économiques de notre voisin accentuent l'écart entre nos deux pays.
Que se passe-t-il au Canada? D'entrée de jeu, je dois préciser être entièrement tributaire des données de Statistique Canada portant sur la croissance de la productivité. Or, on sait que l'organisme a tendance à réviser ses chiffres, fréquemment ceux qui se rapportent à la productivité, après modification des données relatives aux résultats économiques. Si vous vous reportez aux résultats des six dernières années, les révisions moyennes des chiffres s'établissaient à 1 p. 100 par année, ce qui est élevé. Le 10 juin, Statistique Canada communiquera ses prévisions révisées de la productivité. On observera peut-être une amélioration, mais je l'ignore. Ça pourrait aussi empirer. Il est peu probable que toutes les données soient révisées, enfin, nous l'espérons. Si elles l'étaient, nos prévisions statistiques ne seraient vraiment pas fiables avec tous ces bruits dans les données.
Nous avons cerné trois facteurs fondamentaux qui semblent expliquer ce qui se passe au Canada, particulièrement depuis 2000. Bien sûr, puisqu'il s'agit d'analyses préliminaires, elles sont sujettes à révision. D'abord, la croissance de la productivité semble avoir reculé sensiblement dans le secteur des technologies de l'information et de la communication, ou le TIC. Dans la seconde moitié des années 90, la productivité a connu une croissance de quelque 11 p. 100 par année. Depuis 2000, elle a été d'à peu près moins 1 p. 100 par année. Précisons qu'il s'agit d'un secteur de taille relativement modeste.
Le président : C'est le contraire de ce que nous a dit M. Courtois, selon qui ce secteur est à la fine pointe de la productivité. Toutefois, lorsque je regarde les chiffres, ils appuient vos informations, la productivité semble à la baisse.
M. Sharpe : Ça en a tout l'air. D'abord, ce secteur ayant subi un effondrement ces dernières années, il peut s'agir d'un phénomène temporaire. Il est vrai cependant que c'est un secteur de pointe. La faible croissance de la productivité peut tenir à d'autres facteurs sectoriels, comme des problèmes structurels et le maintien d'effectifs élevés en même temps qu'un marasme des résultats.
Nous avons étudié le déclin de la croissance de la productivité selon les industries depuis 2000, et sommes arrivés à la conclusion qu'il tenait en grande partie au ralentissement dans les secteurs de fabrication des TIC, et dans une moindre mesure, des services des TIC.
La diminution de la croissance de la demande globale semble aussi un autre facteur important. Depuis 2000, l'économie a connu une expansion plus lente que pendant la seconde moitié des années 90, qui a vraiment connu une vague de prospérité. Nous sommes ensuite passés par un ralentissement, surtout en 2000 et 2001, puis en 2003, nous avons subi certains soubresauts qui ont réduit la croissance économique. Dans l'ensemble, lorsque la croissance économique est au ralenti, la productivité elle aussi est plus faible, du fait qu'il y a moins de formation sur le tas et moins d'économies d'échelle.
Enfin, la croissance de l'investissement en matériel et biens d'équipement a aussi reculé, tout comme celle de l'investissement dans le secteur des TIC. Il y a quand même eu croissance, mais elle a été beaucoup plus lente. Lorsqu'on analyse cela sur une base horaire, c'est-à-dire lorsqu'on examine l'intensité de capital correspondant aux biens d'équipement et aux TIC, il y a encore croissance, mais une croissance beaucoup plus lente.
Nous avons donc conclu que ces trois facteurs étaient à la source du ralentissement de la croissance.
Nous estimons que notre productivité va recommencer à croître à un rythme plus accéléré. Dans une grande mesure, cela sera à la remorque des progrès technologiques, comme nous avons pu l'observer aux États-Unis. Cela dit, je ne pense pas que nous soyons en situation de crise. Nous devrions mieux réussir, et il nous faut des politiques qui nous aideront à y parvenir, mais je ne pense pas qu'il y ait crise. Gardons-nous donc de réagir avec excès. Il est important de résister à cela.
Si je passe maintenant aux politiques, je me trouve à déborder du document que je vous ai fourni, qui est plutôt analytique. La question des politiques est un peu différente.
J'aimerais tout de même vous proposer six politiques susceptibles d'augmenter la croissance de la productivité au Canada. Avant d'aller plus loin, je tiens à dire que c'est au secteur commercial qu'il incombe de s'occuper de sa productivité, non au gouvernement, et il faut le reconnaître. Les gouvernements créent un cadre propice à la productivité. Je vais donc me pencher sur des politiques, mais je le répète, c'est le secteur des affaires lui-même qui doit agir, prendre en main sa productivité en investissant, en innovant et en améliorant ses ressources humaines. Ce sont les trois principaux moteurs de la productivité. Le secteur commercial est déjà motivé à chercher cela, mais le secteur public doit l'aider, lui faciliter la tâche.
En premier lieu, il est impératif de créer un milieu favorisant le plein emploi, car cela signifie qu'il n'y aura pas de stagnation dans le système. Il y aura des économies d'échelle, de l'apprentissage sur le tas et moins d'inefficacités. Il importe donc que la Banque du Canada adopte une politique monétaire qui nous permette d'avoir le taux de chômage le plus bas possible tout en allant de pair avec une inflation stable et de faibles taux d'intérêt. C'est dans un tel cadre que devrait s'inscrire la politique macroéconomique.
Deuxièmement, le gouvernement doit aussi absolument encourager la diffusion des nouvelles technologies. En fin de compte, ce sont elles qui font monter la productivité. Le Canada ne représente qu'une faible proportion des innovations à l'échelle internationale, parce que notre pays est très petit par rapport au reste du monde. Certes, la R et D est importante, mais même les entreprises qui n'en font pas peuvent s'inspirer des meilleures technologies et pratiques de gestion. Les entreprises canadiennes doivent être au courant des pratiques exemplaires des autres pays. Elles ont déjà des raisons de l'être, mais les gouvernements pourraient leur faciliter la tâche, en les renseignant, grâce à des programmes comme le PARI du Centre national de recherches, qui s'occupe justement de diffuser les nouvelles technologies. J'insiste donc là-dessus.
En troisième lieu, il faut favoriser la concurrence des marchés, surtout dans le secteur de la fabrication. Il est important qu'il y ait concurrence, car elle est le meilleur stimulant de la productivité. Lorsqu'on évolue dans un milieu à forte concurrence, on est davantage motivés à utiliser de nouvelles technologies, à former les employés et à chercher à se maintenir à la fine pointe du progrès. La concurrence est un pilier de l'accroissement de la productivité.
Quatrièmement, il est très important d'encourager le passage d'activités à faible productivité à celles à forte productivité selon les régions et les industries. Les subventions aux industries en déclin n'aident pas à relever la productivité du Canada, ne sont pas dans son intérêt. Il y a toutefois des raisons politiques à cela, j'en conviens; c'est nécessaire dans certains cas. Il n'empêche que dans l'ensemble, nous devrions nous efforcer de faciliter le mouvement de ressources, par exemple, de régions à faible productivité vers celles à forte productivité, grâce à des subventions à la mobilité et à une meilleure diffusion des renseignements aux gens qui sont susceptibles de bouger, et à d'autres mesures de ce genre.
En cinquième lieu, nous devons investir dans l'enseignement postsecondaire, en soutenant l'enseignement, mais aussi, bien sûr, la R et D. Pourquoi les États-Unis connaissent-ils le plus haut niveau de productivité du monde? Parce que c'est là que se trouvent les meilleures universités de recherche du monde. Ainsi par exemple, la région en périphérie de Boston a bénéficié de larges retombées des universités de cette ville, tout comme Silicon Valley a des liens très étroits avec l'Université Stanford. Même au Canada, l'Université de Waterloo a eu des effets bénéfiques sur sa région, par l'entremise des modèles industriels régionaux. Il est donc important de pouvoir compter sur des universités fortes en recherche.
Enfin, en sixième lieu, j'aimerais me pencher sur un fait très intéressant. J'ai bien dit que les États-Unis sont au premier rang de la recherche sur le plan de la technologie. C'est indubitable. Toutefois, ce n'est pas à eux que revient la palme mondiale du rendement à l'heure. Certains pays européens les dépassent à cet égard, dont la France. Pourquoi la productivité du travail est-elle plus élevée en France qu'aux États-Unis? Deux raisons expliquent cela. D'abord, de nombreux règlements gouvernementaux relatifs au salaire minimum excluent les gens moins qualifiés, ce qui donne un taux d'emploi plus faible. Toutefois, comme en France il y a moins d'heures ouvrables par année, cela fait remonter la productivité. Si l'on travaille pendant 30 heures par semaine plutôt que 40, on sera plus productifs à l'heure. Il y aura moins de temps à consacrer aux réunions. Aussi, on se concentre davantage sur le travail à faire puisqu'il y a moins d'heures pour le terminer. La France a légiféré pour créer cette situation. Je ne préconise pas nécessairement cela : une telle démarche serait peut-être trop dirigiste. Cela dit, les politiques accordant de plus longues vacances et un plus grand nombre de jours fériés concourent aussi à notre bien-être économique parce que les gens ont plus de loisirs. Ils y perdent peut-être un peu sur le plan de la rémunération, mais sur une base horaire, ils deviennent plus productifs. L'essentiel, c'est le rendement à l'heure, non le rendement total.
Ce sont là six points que le comité pourra examiner et qui pourront l'inspirer à concevoir des politiques favorisant la productivité.
Le sénateur Angus : Monsieur Winchester, vivez-vous dans les Maritimes? En Nouvelle-Écosse?
M. Winchester : L'Institut a son siège social à Halifax.
Le sénateur Angus : Est-ce là que vous vivez?
M. Winchester : Je vis ici à Ottawa, mais l'Institut fait son travail dans la région de l'Atlantique.
Le sénateur Angus : Avez-vous dit à Halifax certaines des choses que vous nous avez servies ici?
M. Winchester : J'ai eu le plaisir de discuter de la question de l'assurance-emploi, en particulier lors d'une émission de radio diffusée depuis Halifax, il y a de cela quelques mois.
Le sénateur Angus : Est-ce que ça a plu aux gens? Est-ce que vous avez plu aux gens?
M. Winchester : Je n'ai pas annoncé le numéro de ma chambre d'hôtel, si c'est ce que vous tenez à savoir.
Le sénateur Angus : Les quatre ou cinq points où vous parlez de l'APECA et de l'abolir, et le reste, m'ont intéressé. Vous m'avez rejoint avec cela. Vous savez, à Ottawa, il y a un homme dont les initiales sont S.H. M. Harper a fait certaines déclarations à ce sujet et cela l'a rendu très impopulaire.
Le sénateur Tkachuk : Tout comme M. Brisson.
Le sénateur Angus : J'ai l'impression qu'il s'agissait dans les deux cas de la même chose. Ce que vous dites, que j'accepte entièrement, concerne les programmes d'aide, qui sont inadaptés. C'est peut-être une surgénéralisation. Vous dites qu'ils pourraient être gérés de façon plus efficace. Si c'était à vous de rehausser la productivité dans ces provinces du Canada Atlantique, vous donneriez peut-être un coup de barre qui entraînerait une hausse de productivité; ai-je raison?
M. Winchester : C'est tout à fait ça.
Le président : Ne dirigez pas le témoin sur une question partisane.
Le sénateur Angus : Votre Seigneurie, je ne dirige pas le témoin.
M. Winchester : Je m'abstiendrai de faire des observations partisanes.
Le président : Jusqu'à présent, le comité a bien réussi à rester à l'écart de la politicaillerie. Nous essayons, dans la mesure du possible, d'établir les faits.
Le sénateur Angus : Tout à fait.
Le président : Je vais permettre à notre vice-président de poursuivre sur cette lancée, à condition que ce soit sous un jour positif, si possible.
M. Winchester : Vous avez frappé dans le mille. L'institut a participé à un certain nombre d'études avec divers acteurs provenant de différentes régions du Canada Atlantique — dont des études à Terre-Neuve, au Nouveau- Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Je sais que je n'ai pas toujours la cote aux réunions de famille à Shediac lorsque je soulève le problème de l'assurance-emploi. Ça va déjà mieux quand la tante de ma femme entre dans la pièce et commence à parler de la difficulté qu'elle a à trouver des gens qui sont prêts à travailler dans son hôtel. Elle manque souvent de personnel parce que les employés, s'ils ont le choix, ne se donneront même pas la peine de rentrer au travail. Mais passons. Dans certains milieux du Canada Atlantique, on n'en parle pas et j'en ai parlé avec un certain nombre de personnes. Soulever la question de ces désincitations, c'est s'attirer les foudres d'un certain segment de travailleurs; or, chez les gens d'affaires des petites et moyennes entreprises, vous trouverez qu'il y a une approbation tacite à cet égard. Sur le plan de la productivité, c'est pernicieux.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, le coût d'un régime d'assurance-emploi qui est mal en point est énorme, non seulement pour la région, mais aussi pour ceux d'entre nous dans le Canada Atlantique qui aimeraient que la région tire son épingle du jeu. Et ceci sans parler du pays dans son ensemble où il y a également un coût sous la forme d'un retard de productivité. Je pense qu'il y a là matière à réflexion, sans partisanerie, et en tenant compte des meilleurs intérêts de tous les résidents de la région et du pays dans son ensemble.
Le sénateur Angus : Monsieur Sharpe, vous avez dressé une liste de six éventuelles initiatives en matière de politique qu'on pourrait envisager. En ce qui a trait à la quatrième, à savoir, favoriser la mobilité de la main-d'œuvre pour lui permettre de passer des secteurs à faible productivité aux secteurs à grande productivité, j'ai souvent entendu dire que les Américains parviennent beaucoup mieux que nous à déplacer la main-d'œuvre là où sont les emplois.
Il y a une certaine région, dont M. Winchester a déjà parlé, où le taux de chômage a grimpé, dans la foulée d'une suite de circonstances économiques malheureuses, telles que l'état des stocks de morue ou de l'industrie de la pêche en général. On m'a dit qu'il y a un besoin criant de main-d'œuvre dans la région des sables bitumineux. Je l'ai visitée dernièrement avec un autre comité du Sénat. Est-ce que c'est de ce genre de choses que vous parlez, c'est-à-dire que nous devons faciliter le mouvement au Canada entre les zones où les perspectives d'emploi sont mauvaises, qu'il s'agisse d'industries productives ou non, et les zones où il existe de nouvelles perspectives commerciales productives?
M. Sharpe : C'est exact, et c'est ce qui se passe maintenant. La population de Terre-Neuve a baissé sensiblement en termes absolus pendant les années 90. Les gens profitent d'incitatifs leur permettant de suivre les débouchés. Un grand nombre de ces personnes sont allées en Alberta. Il y a beaucoup de Terre-Neuviens qui habitent à Fort McMurray.
Grâce aux efforts de sensibilisation, ces gens savent profiter de nouvelles possibilités. Les billets d'avion bon marché permettent aux gens de se rendre dans ces régions. Grâce à ces prix abordables, ils peuvent se permettre de rendre visite à leur famille trois ou quatre fois par an. Ça, c'est une bonne nouvelle qui favorisera la mobilité. Toute politique qui réussit à faire la promotion de la mobilité en est une bonne.
Certains diraient que nous sommes en train de dépeupler certaines zones rurales de Terre-Neuve. C'est malheureusement le cas, mais il y a très peu de solutions de rechange. Nous devons faire de notre mieux pour trouver des possibilités dans ces régions, mais à défaut de cela, ceux qui ne trouvent pas d'emploi devraient déménager dans les zones urbaines du Canada Atlantique et ailleurs au pays, où c'est beaucoup plus dynamique que dans les zones rurales.
Le sénateur Angus : Comment y parvenir? D'après ce que j'ai lu, et ça se dégageait de vos commentaires, il y a, à la différence des États-Unis, une certaine réticence au Canada à aller s'installer dans ces zones-là. Les États-Unis doivent disposer d'une solution magique ou quelque chose qui leur permet de faire ainsi, et vous laissez entendre que c'est ce dont on a besoin au Canada.
M. Sharpe : Certaines études ont été effectuées sur l'écart, en matière de mobilité, entre le Canada et les États-Unis. La plupart des données sont sur une base étatique ou provinciale. Il y a 50 États aux États-Unis et 10 provinces au Canada. Évidemment, il y a davantage de mobilité lorsqu'il est question de 50 États plutôt que de 10 provinces.
Il y a bien des gens au Canada qui s'installent ailleurs afin de profiter des débouchés qu'on y offre. En termes absolus, il existe une certaine mobilité de la population entre les régions du Canada. C'est difficile de savoir si nous en avons moins qu'aux États-Unis.
Certains soutiennent que le régime d'assurance-emploi est ce qui empêche les gens de quitter le Canada Atlantique. Il y a sans doute des cas isolés de ce phénomène, mais dans l'ensemble, si nous éliminions l'assurance-emploi — ce que nous ne ferons pas, j'en suis sûr — bien des gens trouveraient un emploi sur place. Ils auraient deux emplois au cours de l'année. Nous n'assisterions pas forcément à un exode massif du Canada Atlantique vers l'Alberta si jamais on décidait d'éliminer le régime d'assurance-emploi, non pas qu'il est question de le faire.
Un certain rafistolage s'impose dans ces régions, mais nous n'avons toutefois pas besoin de supprimer des programmes sociaux pour obliger les gens à s'installer ailleurs. Il ne faut pas aller jusque là.
Le sénateur Angus : Dans le cadre de votre réponse, vous semblez parler d'une de vos six éventuelles recommandations. Ensuite, vous dites que c'est en fait ce qui se passe déjà.
M. Sharpe : Effectivement, mais nous pouvons faire davantage pour favoriser ce phénomène.
Le sénateur Angus : Pourquoi cela se produit-il?
M. Sharpe : C'est grâce aux incitatifs économiques. Les gens veulent travailler, alors ils partent. Décidément, c'est ce qui se passe.
Le sénateur Angus : Vous parliez tout à l'heure de Fort McMurray. Comme je l'ai dit, j'y étais le mois dernier avec le comité de l'Énergie. L'un des membres de ce comité est un ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse. Nous étions à un restaurant, et il a quitté la table et est revenu par la suite tout excité. Il m'a dit : « Je viens de les compter, il y a 111 personnes dans ce restaurant et 96 d'entre elles sont originaires de la Nouvelle-Écosse. »
Le président : Il a dit que 96 d'entre elles étaient de la parenté.
Le sénateur Angus : Non, il a dit ça plus tard, que 87 d'entre elles étaient de la parenté.
Le président : On parle du sénateur Buchanan.
Le sénateur Angus : Alors les choses bougent, mais je me demande si nous avons trouvé la véritable solution. Si vous étiez au gouvernement et que vous aviez la possibilité de faire une chose pour encourager les gens à s'installer ailleurs, quelle serait-elle?
M. Sharpe : Je mettrais en place, sans doute, des subventions à la mobilité, ce qui leur permettrait de faire le saut. Si quelqu'un n'a pas de travail et part à la recherche d'un emploi, ses coûts de prospection pourraient faire l'objet d'une déduction dans le cadre de sa déclaration de revenu. Ce serait une recommandation précise que vous pourriez envisager. À l'heure actuelle, on ne peut pas déduire les dépenses relatives à la recherche d'un emploi, surtout si on n'en trouve pas un.
Le sénateur Massicotte : Je tiens à répéter ceci pour le bénéfice de notre comité : je crois comprendre, monsieur Winchester, que ce que vous dites, c'est que tout obstacle à la mobilité du capital et de la main-d'œuvre a une incidence négative sur la productivité. Je pense que c'est le point que vous essayez de faire valoir quant à l'assurance-emploi.
Au Sénat, nous ne sommes pas partisans, nous devrions donc essayer de nous attaquer aux questions qui sont plus délicates sur le plan politique aux yeux des députés de la Chambre des communes. L'assurance-emploi est l'une de ces questions. Parmi d'autres, il y a le MEER et les subventions au développement régional.
Vous avez mentionné que selon les études concernant la région de l'Atlantique, ces subventions au développement régional n'ont pas donné lieu à un rendement du capital important, et que dans la plupart des cas, cela a été du gaspillage d'argent qui, d'ailleurs, a été motivé, à quelque part, par la partisanerie. Ça, c'est une autre question que nous devrions aborder.
D'un autre côté, j'ai été surpris par vos commentaires au sujet des paiements de péréquation. À mon avis, si le sénateur Angus vous demandait vos origines, et si vous avez prononcé des discours sur la péréquation, c'est parce qu'il voulait mieux comprendre votre point de vue. La question de l'assurance-emploi est difficile à expliquer, mais j'abonde complètement dans le sens de ce que vous avez dit. Par contre, je suis surpris par ce que vous avez dit sur la péréquation. Je sais que vous avez essayé d'établir un lien. Pourriez-vous me préciser votre point de vue là-dessus?
M. Winchester : Permettez-moi de faire marche arrière un peu sur la question de la péréquation. Nous ne préconisons pas l'élimination de ce programme. Par contre, grâce à un certain nombre d'études, notamment celle qui s'intitule « Taxing Incentives », nous avons pu constater que les provinces récipiendaires de la péréquation doivent composer avec un certain nombre de désincitatifs.
Je peux vous dire qu'après avoir examiné les budgets provinciaux, ces désincitatifs sont très clairs. Nous avons constaté que certaines provinces ont des taux d'imposition des sociétés beaucoup plus élevés qu'ailleurs au pays — notamment l'impôt sur le capital, qui est 30 p. 100 plus élevé. Cela découle du fait que le régime de péréquation, tel qu'il est conçu à l'heure actuelle, ne pénalise pas les provinces qui ont décidé d'avoir un taux d'imposition plus élevé que la moyenne nationale, en dépit du fait qu'ils aient peut-être une petite assiette fiscale.
Ce qui est intéressant à noter, c'est qu'en percevant ces impôts auprès de ces petites assiettes fiscales, ces provinces finissent en fait par réduire leur assiette fiscale. Leur assiette fiscale est en fait affaiblie justement à cause de ce taux d'imposition plus élevé. C'est le genre de choses que nous avons pu relever de ces études.
Ce que nous avons besoin de faire, et ça ne relève pas forcément du comité, c'est d'être conscients du fait que certains éléments de la péréquation engendrent de mauvais incitatifs à l'endroit des gouvernements provinciaux. Alors si ces provinces ont effectivement des taux d'imposition des sociétés plus élevés qu'ailleurs au Canada, nous devons essayer de remédier à cela. Ce qui est intéressant, c'est que dans la plupart des provinces de l'Atlantique, l'impôt des sociétés ne représente que 5 p. 100 de leurs recettes autonomes. Advenant qu'elles éliminent leur impôt des sociétés, l'ensemble des recettes qu'elles auraient à récupérer serait négligeable comparativement à bien d'autres choses. Il serait préférable que la péréquation soit rajustée pour tenir compte de ce genre d'incitatifs.
Le sénateur Massicotte : Ce que vous dites constitue quasiment un danger moral — en d'autres mots, elles touchent une indemnisation du fait qu'elles sont moins bien nanties, ce qui réduit l'incitatif au profit des provinces.
Vous avez peut-être raison de dire que l'impôt sur le capital au Québec est plus élevé qu'ailleurs, mais le Québec se fait verser davantage de subventions. On pourrait faire valoir que faute de paiements de péréquation, l'écart serait encore plus marqué parce que l'argent serait quand même affecté quelque part. Il y a une étude en cours. Certains conseillers ont été nommés justement pour étudier la question de la péréquation. Vous semblez dire qu'on ne doit pas éliminer la péréquation à proprement parler mais plutôt modifier la façon dont elle est calculée. Selon le calcul actuel, on se sert de 33 indices pour établir une moyenne. Vous dites qu'il faudrait réexaminer sa répartition, sans pour autant mettre un terme au régime.
M. Winchester : Donc, modifier le régime.
Le sénateur Massicotte : Ce serait plus acceptable sur le plan politique.
M. Winchester : L'essentiel, c'est que vous devez modifier le programme pour qu'il fonctionne, et cela dans le but de rehausser la productivité dans son ensemble. Qui plus est, dans un monde parfait, le programme finirait par être redondant.
Le sénateur Massicotte : Il devrait et c'est ce qu'il fait. Si vous remarquez, le versement de péréquation est une somme importante qui diminue en dollars constants.
M. Winchester : La Saskatchewan en est un bon exemple.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Sharpe, vous avez fait des commentaires qui prêtent plutôt à la controverse. Vous dites que la Banque du Canada devrait s'assurer que son taux d'intérêt reste suffisamment bas pour encourager le plein emploi. C'était une théorie keynésienne populaire il y a 20 ou 30 ans. Le monde entier dit désormais que ce n'est pas la bonne politique, que les banques centrales devraient se concentrer sur une seule question, c'est-à-dire l'inflation, en d'autres termes, la valeur de la monnaie faible.
Le sénateur Angus : Vous devez être juste avec notre témoin et lui dire que vous avez été très longtemps directeur de la Banque du Canada.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que vous dites que nous devrions revenir à 30 ans en arrière en ce qui concerne cette politique économique?
M. Sharpe : Il existe différentes définitions du plein emploi. La définition standard du plein emploi est un taux de chômage cohérent avec l'inflation stable. On pourrait dire que ce taux se trouve à approximativement 6 p. 100. Notre taux de chômage à l'heure actuelle est d'à peu près 6,8 p. 100. Je ne parle pas d'un taux de chômage de 3 p. 100.
Le sénateur Massicotte : La Banque dit que c'est un facteur qu'ils ne prennent même pas en compte. Ils ont juste dit l'inflation.
M. Sharpe : Ils ont ciblé l'inflation, mais ils prennent en compte la conjoncture économique du pays. Il y a toujours un débat en cours pour savoir si augmenter les taux d'intérêt maintenant aura des répercussions négatives sur l'activité économique.
Je travaille avec la Banque du Canada afin de considérer les enjeux de la productivité à tout moment. Ils savent que notre monde est un monde à plusieurs facettes. Leur responsabilité est de maintenir la cible inflationnelle, mais ils doivent considérer d'autres variables également. Je ne pense pas qu'ils seraient en désaccord avec ce que j'ai dit, c'est-à- dire qu'une économie du plein emploi est la meilleure façon d'avoir une économie forte.
Le sénateur Massicotte : Vous dites que nous n'avons pas suffisamment d'universités de recherche importantes. La politique canadienne, qui est quelque chose que nous devrions reconsidérer, est que nous avons des universités moyennes. Nous avons nivelé notre panoplie de compétences pour qu'elles deviennent moyennes et nous n'avons peut- être pas eu le courage politique ou la conviction politique, afin de créer des universités élitistes, comme celles qu'ils ont aux États-Unis. Vous pensez que nous devrions nous éloigner de ce choix traditionnel, et être plus sélectifs, manifestement, cela aurait un effet sur les droits d'inscription.
M. Sharpe : Je ne crois pas avoir dit que nous n'avions pas d'universités de recherche importantes. Je suis diplômé de l'Université de Toronto, qui aime se considérer comme une université de recherche importante.
Cependant, je dirais que nous n'avons pas d'universités de recherche du calibre des meilleures universités privées ou même des meilleures universités publiques, comme celle de Berkeley, aux États-Unis. Même l'Université de Toronto reconnaîtrait qu'elle n'est pas du calibre du MIT ou de Harvard.
Le sénateur Massicotte : Cependant, vous croyez que nous devrions en avoir?
M. Sharpe : Nous n'en avons pas et nous devrions en avoir. Manifestement, cela pose le problème de savoir comment vous voulez répartir les subventions, est-ce que vous voulez une distribution équitable dans les différentes régions ou est-ce que vous voulez les concentrer sur les universités de recherche clés.
J'aurais tendance à préférer l'idée de concentrer ces subventions sur, disons, les 10 universités de recherche clés. C'est véritablement de là que proviendront les développements clés de la technologie.
Le sénateur Massicotte : En parlant de la France, vous semblez démontrer une préférence au fait de mesurer la productivité à l'heure, plutôt que par habitant. Cependant, la plupart des économistes diraient que la mesure se fait par habitant.
M. Sharpe : Est-ce que vous voulez dire par travailleur ou par habitant?
Le sénateur Massicotte : Je voulais dire par travailleur. Nombre d'économistes diraient : « Pourquoi ne pas travailler un peu plus fort? ». En fait, il s'agit d'une des solutions recommandées pour le côté démographique, ou d'avoir une plus importante participation de la main-d'œuvre.
À votre esprit, est-ce que à l'heure c'est plus important?
M. Sharpe : Absolument. Bien sûr, nous pouvons avoir plus de production si nous travaillons davantage, mais pourquoi devrions-nous faire cela? Cela n'améliorerait pas forcément les choses. Il y a d'autres choses dans la vie que le travail. On devrait mesurer la productivité à l'heure. La quantité de facteurs de production est mesurée en temps, c'est- à-dire en heures, et non pas par la quantité de gens qui travaillent.
Le président : Le sénateur Moore habite dans les Maritimes et à ce titre, il voudrait donner ses idées sur certaines des questions qui ont été soulevées ici. À partir d'ici, nous nous dirigeons vers l'ouest, vers le sénateur Tkachuk et il nous donnera son point de vue de Saskatchewanais.
Le sénateur Moore : Sénateur Angus, je trouve vos remarques désobligeantes sur l'APECA intéressantes. Cette agence a été créée par votre ancien chef de parti, M. Mulroney.
Le sénateur Angus : C'est exact. Cela fonctionnait bien à cette époque, lorsque tout était subventions.
Le président : C'est pour cela que cette discussion piétine, mais je vais la laisser se poursuivre.
Le sénateur Moore : Non, c'est inexact. C'est une discussion instructive. En ce qui concerne le même homme, que nous nommerons SH, qui a dit que les Canadiens de la région de l'Atlantique avaient une attitude défaitiste, vous lui demanderez de venir dans la région atlantique du Canada et de le dire aux gens. Ça, cela me dérange.
En ce qui concerne l'APECA, monsieur Winchester, au début, c'était une agence de subventions. Depuis 1986, elle est devenue une agence de prêts. Ce n'est plus de l'argent gratuit, ce sont des prêts à rembourser. Je sais qu'elle est censée être un endroit à risque, là où les banques refusent des prêts aux demandeurs. Elle a obtenu un taux de réussite de 80 à 85 p. 100, en ce qui concerne le remboursement des prêts.
C'est l'agence qui a investi les fonds pour notre Partenariat pour l'investissement au Canada atlantique, qui a été une énorme réussite, en ce qu'elle a fourni le financement pour l'innovation dans la recherche dans les provinces de l'Atlantique. Il s'agissait d'un programme de 7 millions de dollars, qui était financé par les remboursements des prêts de l'APECA recyclés. De ce point de vue, elle a fourni un incitatif économique régional excellent et bien des occasions d'affaires dans nos provinces.
Vos observations concernant la propriété intellectuelle m'intéressent. Je ne sais pas si vous êtes au courant qu'un réseau des universités de l'Atlantique a été établi l'an dernier. Ils essaient de mettre en place une structure, qui déterminera la propriété, en ce qui concerne les pourcentages, et cetera, que ce soit entre le gouvernement, le secteur privé, l'université et le chercheur qui pourrait découvrir quelque chose. Je ne sais pas si votre institut a considéré cela, mais ce serait intéressant dans nos observations.
Le sénateur Robert Dole aux États-Unis a déposé un projet de loi qui a été adopté en tant que loi et qui fournit ce type de cadre. Je sais que ceux qui participent au réseau de la région de l'Atlantique du Canada considèrent cela comme un exemple ou un modèle de la façon dont on peut mettre quelque chose en place. Peut-être est-ce quelque chose que nous devrions considérer en tant que modèle national.
Étiez-vous au courant de cela? L'avez-vous considéré?
M. Winchester : Je ne suis pas d'accord avec certaines de vos déclarations concernant l'APECA, et je ne vais pas rester là-dessus, mais j'aimerais vous donner quelques statistiques que j'ai recueillies de mon propre chef en étudiant l'agence. Malgré le fait que ce soit désormais une agence de prêts, seul un tiers de son portefeuille, et cela représente un budget annuel de 300 à 600 millions de dollars, est en réalité remboursable. Un taux de remboursement de 15 p. 100 est à peu près ce qu'ils ont reçu net. En fait, des contributions remboursables, la plus grande partie d'un tiers d'entre elles ont été complètement radiées. Au mieux, c'est une déclaration douteuse que de dire que les prêts sont efficaces. En partie, la raison pour laquelle nous avons critiqué l'agence est qu'elle a été moins que sincère, à nous fournir des détails sur ce qu'elle fait.
Ceci dit, il s'agit d'une question dont nous pourrions débattre dans un certain nombre d'autres forums.
Le sénateur Moore : Est-ce que ces chiffres sont actuels?
M. Winchester : Ils sont actuels.
Le sénateur Moore : Quand les avez-vous recueillis?
M. Winchester : Je suis en train de faire certains des calculs, et certains des chiffres sont tirés d'études qui ont été menées par d'autres.
Le sénateur Moore : Vous pouvez peut-être les donner au président.
Le président : Nous avons demandé à tous nos témoins, lorsqu'ils faisaient référence à des statistiques pour étayer leurs déclarations, de nous les fournir dès que possible.
M. Winchester : Je serai très heureux de le faire.
Le président : Il est difficile pour nous d'échanger des arguments avec vous, du point de vue statistique, à moins que nous n'ayons vu vos modèles, puis nous pouvons les analyser et vous revenir là-dessus. Je voudrais obtenir cette information. Ce sera utile et nous distribuerons ces statistiques à tous les membres du comité.
M. Winchester : Je ne dis pas cela dans un esprit d'argumentation. Je dis simplement que ce n'est pas un commentaire que j'ai pris comme ça. J'ai étudié la question, je l'ai considérée.
Les observations que vous avez présentées sur les droits de la propriété intellectuelle sont importantes. Nous avons considéré tout particulièrement l'aquaculture comme un secteur industriel et nous avons passé beaucoup de temps à considérer la question. La pêche est très importante pour l'économie et la culture de beaucoup de ce qui se produit dans la région Atlantique du Canada. En tant qu'institut, nous avons été très enthousiastes à propos du grand éventail de possibilités pour ce secteur de l'industrie. Un certain nombre de questions touchant aux droits de la propriété intellectuelle seront soulevées. Il existe beaucoup de bons modèles qui fonctionneront, pour nous aider à décider qui possède quoi.
Malheureusement, en ce qui concerne l'aquaculture, c'est moins un problème de droit de propriété intellectuelle qu'un problème de compétence pour ce qui est des pêcheries. Il est un peu moins clair de savoir où vous pouvez exercer cette activité d'aquaculture. Je vous enverrai des références, ainsi que des liens à certaines des études qui ont été menées sur le clôturage dans les mers, parce qu'il s'agit d'un véritable problème avec cette industrie qui ne cesse de se développer.
Le sénateur Moore : Cela réduit les zones de pêche traditionnelle, je comprends que cela peut causer un problème.
M. Winchester : Dans certains cas, c'est aussi un litige politique.
Le sénateur Moore : Politique et pratique. Si les gens ont pêché dans cette même zone et ont cherché une espèce particulière dans son cycle naturel chaque année, et que soudain vous mettez une clôture autour de cette zone pour un site d'aquaculture, pourquoi n'y aurait-il pas un problème?
Je me suis déjà occupé de cette question il y a probablement 15 ans en Nouvelle-Écosse, dans les eaux de la baie de Mahone. Nous avons déterminé une sorte de grille d'aquaculture, tout en prenant en compte les zones de pêche traditionnelle, les itinéraires des traversiers, les itinéraires de compétitions de voile et les propriétés privées. Une fois que vous obtenez ce bail, vous possédez cette colonne d'eau de bas en haut, jusqu'à la plage. Cela peut fonctionner. Je ne sais pas si vous avez considéré ce modèle en Nouvelle-Écosse, mais il fonctionne très bien et je sais qu'il a été utilisé dans d'autres provinces. Cela peut être fait et vous pouvez éviter ces problèmes de compétence. Ce ne sont pas des problèmes insurmontables.
Vos remarques concernant l'assurance-emploi m'ont intéressé. Que faites-vous lorsqu'il s'agit d'industries saisonnières historiques? Il existe un cycle ici qui est à la fois historique et documenté. Est-ce que vous êtes en train de dire que les gens qui pourraient avoir des affaires liées au tourisme, à la pêche ou à l'exploitation des forêts, selon les dictats des saisons, devraient payer plus? Ils ne font pas cela par choix. Ils n'embauchent pas des gens pour les faire démissionner après par choix. C'est le climat qui décide, ainsi que la ressource particulière avec laquelle ils travaillent. Comment faites-vous la part des choses par rapport à votre demande d'augmentation des cotisations que les employeurs qui mettent à pied doivent payer? Est-ce que vous pensez à ces types d'industries comme étant celles qui devraient être soumises à ce genre de proposition?
M. Winchester : Vous ne pouvez pas exclure les industries, malheureusement. L'exemple que je mentionnais par rapport à la question du sénateur Angus, était en fait l'exemple d'un secteur saisonnier. La tante de ma femme possède un hôtel et un restaurant juste à l'extérieur de la ville de Shediac et ils ont eu de la difficulté à embaucher des gens. Son hôtel est une affaire saisonnière. Manifestement, il existe quelque chose qui ne va pas avec les incitatifs du programme d'assurance-emploi, lorsque les entreprises saisonnières ne peuvent même pas trouver du monde à embaucher. C'est un véritable problème. Les industries saisonnières présentent un défi pour ces travailleurs.
En même temps, puisque nous parlons de productivité et non des politiques de l'assurance-emploi, reconnaissons que si nous encourageons des gens à travailler une partie de l'année seulement, que ce soit dans le secteur saisonnier ou autre, ils sont moins productifs en ce qui a trait à la rentabilité générale de l'économie. N'oublions pas non plus que s'ils rentrent dans ce cycle, où il n'y a aucun incitatif pour qu'ils puissent investir dans leur propre capital humain, alors ils seront pris dans un système où il faut qu'ils reviennent pour obtenir une prestation d'assurance-emploi ou quelque chose d'autre. Ce n'est pas une situation idéale d'un point de vue économique ou même d'un point de vue culturel, mais c'est encore pire lorsque vous essayez d'améliorer la productivité. Vous devez penser à cela en ces termes et passer au- delà de la politique. Je suis d'accord que c'est difficile de dire à des gens que leur style de vie doit changer.
Le sénateur Moore : Considérons l'exemple de votre tante qui possède un gîte touristique. Supposons que votre tante puisse ouvrir son gîte six mois par année. Des gens travaillent là, l'aident, travaillent à la réception ou au ménage, peu importe ce qu'ils font. Quel est le remède? Vous dites que pendant les six autres mois, ils devraient trouver un autre travail quelque part ailleurs, bien sûr s'ils le peuvent. Que devrait-il se passer pour ces travailleurs saisonniers?
M. Winchester : Il existe deux choix de base. Vous prolongez votre saison touristique, de sorte à ce qu'elle se transforme en douze mois au lieu de six ou...
Le sénateur Moore : Le climat sur les côtes de la Nouvelle-Écosse l'hiver ne permet pas cela.
M. Winchester : Sinon, vous créez d'autres industries ou d'autres industries touristiques. L'exemple très classique qui me vient à l'esprit est celui où je travaillais comme professeur de ski. La grande majorité des instructeurs avec lesquels je travaillais faisaient du ski l'hiver et enseignaient la natation ou le golf l'été. Aucun d'entre eux n'était jamais au chômage pendant l'année, parce qu'ils habitaient ici en Ontario ou dans l'ouest du Québec, où vous ne pouvez pas obtenir de prestations d'assurance-emploi aussi facilement que vous le pouvez dans les régions atlantiques du Canada et parce qu'ils pouvaient trouver deux emplois dans deux industries différentes et pouvoir travailler en continu. C'est peut-être un mauvais choix, mais encore, d'un point de vue de la productivité, et d'un point de vue de l'investissement en capital humain, c'est bien meilleur que de ne rien faire.
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné ces divers éléments qui, selon vous, nous aideraient en ce qui concerne la productivité et des choses que nous avons besoin de surmonter. Avez-vous mentionné l'histoire de l'animal de compagnie du sénateur Kelleher, les barrières commerciales entre provinces? Avez-vous mentionné cela?
M. Winchester : Non.
Le président : Nous sommes en train de considérer cela.
Le sénateur Moore : Oui. Il me semble que c'est une chose très importante en termes de déplacement des marchandises.
M. Sharpe : Je n'ai pas mentionné cela. Je ne pense pas que ce soit important. Je pense qu'on y attache beaucoup trop d'importance. La plupart des barrières interprovinciales sont liées aux politiques d'acquisition gouvernementale des provinces et celles-ci sont très hésitantes à se débarrasser de ces politiques. Nous avons travaillé sur ce sujet depuis plus de 10 ans et n'avons pas avancé d'un pouce. Les barrières ne sont pas si énormes en termes de la plupart des produits et services, donc je ne pense pas que ce soit une priorité pour améliorer la productivité.
Le président : Nous allons effectuer une étude tout particulièrement là-dessus. J'apprécie votre observation.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé du niveau de productivité à l'heure, en France, ainsi que de la semaine de 35 heures. Est-ce que récemment le gouvernement français n'est pas en train d'essayer de modifier cette loi, pour permettre aux employeurs d'augmenter la semaine de travail, à cause du manque de productivité?
M. Sharpe : Il y a eu quelques changements à la loi. Il y a un nouveau gouvernement en France et ils effectuent des changements. La semaine de 35 heures n'était pas en réalité une politique en vue d'augmenter la productivité. C'était une politique en vue de réduire le chômage, en créant des emplois. Si vous passez d'une semaine de 40 heures à une semaine de 35 heures, fondamentalement vous allez être plus productifs, mais vous ferez moins de travail, ce qui signifie que l'entreprise devra embaucher d'autres personnes et cela créera de l'emploi. C'était la raison. Il existe à la fois un gain en termes d'emploi et un gain en termes de productivité, si vous travaillez moins d'heures par semaine.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi a-t-on modifié la loi?
M. Sharpe : La loi a été modifiée récemment parce que c'était une réalisation du gouvernement socialiste de la France, et le nouveau gouvernement de droite la trouvait un peu excessive dans certains domaines. La loi n'a pas été complètement transformée, mais on y a apporté plusieurs changements; elle est moins draconienne qu'avant.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais voir des analyses à ce sujet, monsieur le président, ou sur tout ce qui pourrait étayer cet argument.
M. Sharpe : En ce qui concerne l'amélioration de la productivité?
Le sénateur Tkachuk : Oui, ça nous serait très utile.
M. Sharpe : Nous allons publier ce mois-ci un article du directeur de la recherche de la Banque de France qui porte précisément sur cette question.
Le sénateur Massicotte : D'après ce que j'ai lu, ça n'a pas marché. Le passage aux 35 heures n'a pas permis de créer de l'emploi. On peut prétendre qu'il y a de nombreux obstacles à l'emploi en France. N'ai-je pas raison de dire que le gouvernement français a fait marche arrière parce que la semaine des 35 heures n'avait pas donné les résultats escomptés?
M. Sharpe : Il n'y a pas eu de création d'emplois parce que la productivité a augmenté. Le besoin en main-d'œuvre des entreprises n'a pas augmenté parce que les travailleurs sont restés aussi productifs que lorsqu'ils faisaient davantage d'heures de travail. Les gains en productivité ont été beaucoup plus importants que prévu.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi est-on revenu en arrière il y a deux mois?
M. Sharpe : Parce que la législation mécontentait bien des gens en France, particulièrement à droite. Elle a créé un manque de souplesse dans certaines sociétés, et le gouvernement a donc décidé de la modifier.
Le sénateur Massicotte : D'après ce que j'ai lu, il y a même eu des manifestations. La loi a mécontenté les employeurs.
M. Sharpe : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Vous semblez dire que c'était pour des raisons politiques, qu'elle aurait été maintenue pour des raisons politiques. C'est ce qui explique la faible cote de popularité du premier ministre. Les employeurs ont été très peu favorables au changement.
M. Sharpe : Je vais vous soumettre de la documentation. Les changements survenus en France donnent lieu à diverses interprétations.
Le président : Cela devrait être intéressant. Il serait utile que vous nous donniez une analyse coûts-avantages de ces changements.
M. Sharpe : Je vous la donnerai.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'on mesure la productivité par secteur? Avez-vous les chiffres de chaque secteur?
M. Sharpe : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Comment mesure-t-on la productivité des gens qui travaillent pour le gouvernement?
M. Sharpe : À vrai dire, la mesure de la productivité du secteur public pose de nombreux problèmes. Nous ne réussissons pas très bien dans ce domaine.
En ce qui concerne le rendement du marché, on peut en fixer le prix et appliquer un déflateur à la production nominale pour créer une série réelle. Cependant, dans le secteur public, on ne mesure pas la production indépendamment des intrants. La masse salariale est considérée comme l'extrant du secteur public. Par définition, il n'y a pas de gains de productivité dans le secteur public.
Le sénateur Tkachuk : Cela fait partie de l'ensemble statistique lorsqu'on essaie de mesurer la productivité.
M. Sharpe : Il y a tout un débat à ce sujet. L'ensemble de l'économie comprend le secteur public et il y a aussi le secteur des affaires, qui exclut le secteur public; récemment, il y a eu un débat entre le ministère des Finances et Statistique Canada pour déterminer la mesure la plus utile.
Le sénateur Tkachuk : Les fonctionnaires ne sont pas inclus dans les chiffres dont nous parlons.
M. Sharpe : C'est exact. J'aurais pu vous donner des chiffres comprenant les fonctionnaires, mais on s'entend pour dire que comme la productivité est difficile à mesurer dans le secteur public, il ne faut considérer que le secteur privé.
Le sénateur Tkachuk : Les chiffres seraient moins dynamiques si on y incluait les fonctionnaires.
M. Sharpe : C'est exact.
Le sénateur Tkachuk : Plus on a de fonctionnaires, plus la productivité ralentit.
M. Sharpe : En ce qui concerne la mesure de la croissance de la productivité, c'est exact.
Le sénateur Tkachuk : Dans le cas du Nunavut, par exemple, où l'on ne peut travailler que pour le gouvernement, comment pourrait-on mesurer la productivité ou quoi que ce soit d'autre?
M. Sharpe : Quand une société d'État a une production, elle est considérée comme faisant partie du secteur privé. Dans la comptabilité nationale, seule l'administration est considérée comme secteur public. Je ne sais pas ce qu'il en est au Nunavut. Si on ne mesure la production d'un secteur que par la masse salariale, on ne doit guère constater de gains de productivité.
Le sénateur Tkachuk : Il faut tenir compte de l'augmentation de la taille du secteur public. Depuis 1997, il a augmenté de 50 p. 100.
M. Sharpe : Oui, c'est la part de l'emploi.
Le sénateur Tkachuk : C'est cela. En outre, le secteur public prélève des ressources dans le secteur privé. Tout cela ralentit fortement la productivité, même dans le secteur privé, car on y prélève pour le secteur public de l'argent qui devrait normalement y être dépensé.
M. Sharpe : Plusieurs facteurs entrent en jeu. Comme je l'ai dit, le taux de croissance de la productivité du secteur public est nul, mais les salaires peuvent y être plus élevés que dans le secteur privé. Lorsqu'un employé passe du secteur privé au secteur public, sa valeur ajoutée peut être supérieure, car les salaires sont plus élevés dans le secteur public. Il y a donc un effet positif sur le niveau global de productivité.
Cependant, vous avez raison en ce qui concerne les taux de croissance. Les statistiques sont entraînées vers le bas à cause de la façon dont on mesure la production dans le secteur public. Vous avez tout à fait raison, sénateur.
Le président : Le sénateur Oliver et moi avons visité le siège social des produits Microsoft destinés au secteur public à Redmond, dans l'État de Washington. On nous a remis un rapport sur l'efficacité des secteurs publics grâce à l'informatique. Il semble que le Canada soit passé du troisième au premier rang au monde, car il est passé plus rapidement au cybergouvernement, ce qui a augmenté fortement sa productivité. Je vais faire circuler ce document. Le sénateur Oliver a pris la parole lors de cette conférence et j'aimerais en montrer le compte rendu, car nous n'avons encore rien vu sur ce sujet. Il convient de préciser à l'intention du sénateur Tkachuk et des membres du comité que le Canada a fait des progrès remarquables.
Monsieur Sharpe, connaissez-vous cette question?
M. Sharpe : Je voudrais faire un commentaire. J'ai dit que les statistiques officielles montrent qu'il n'y a pas eu de croissance de la productivité dans le secteur public, mais nous savons que ce n'est pas vrai, car le secteur public a enregistré d'énormes gains de productivité. Il suffit de regarder les chiffres de Statistique Canada pour constater que le secteur public produit beaucoup plus malgré la diminution du nombre des fonctionnaires grâce à l'informatisation. Et c'est vrai dans toutes les composantes du secteur public.
Le président : À ma connaissance, nous étions au premier rang mondial l'année dernière et nous avons augmenté notre productivité. Je tenais à apporter ce rectificatif.
J'aimerais signaler quelque chose d'intéressant. Aucun de nos témoins d'aujourd'hui n'a encore parlé du manque de leadership qui serait à l'origine de la faible productivité du secteur privé. Nous allons débattre cette année de la productivité du secteur bancaire qui essaie de nous convaincre de la nécessité des fusions, à l'égard desquelles nous faisons preuve d'une grande ouverture d'esprit. Nous savons que certaines banques ont fait des gains d'efficacité et de productivité en étendant leurs activités au-delà de nos frontières.
Monsieur Sharpe, pouvez-vous dresser le portrait de nos PDG par rapport à ceux des autres pays dans les secteurs où nous avons du retard?
M. Sharpe : Je ne suis pas spécialiste des questions de leadership dans le monde des affaires. Vous parlez bien des dirigeants dans le monde des affaires, et non pas des personnalités gouvernementales, n'est-ce pas?
Le président : D'après ce que nous avons entendu jusqu'à présent, il est manifeste que le secteur privé est à la traîne dans presque toutes les catégories.
M. Sharpe : Il y a un argument. M. Roger Martin, doyen de l'École d'administration à l'Université de Toronto, prétend que les gestionnaires au Canada n'ont pas la bonne formation lorsqu'on les compare aux gestionnaires américains, quant à comment envisager un plan d'affaires stratégique et comment améliorer la productivité. Son argument n'est peut-être pas objectif, parce qu'il est doyen de l'École d'administration, mais il pourrait y avoir une certaine vérité aussi. Je ne rejetterai pas cet argument. Évidemment, pour qu'une société soit rentable, un bon PDG doit être préoccupé par la productivité de la société.
Par exemple, M. Paul Tellier est devenu PDG à la CN il y a environ 10 ans et il l'a rendue une des industries les plus productives en Amérique du Nord. Avant, elle était une des sociétés de chemins de fer la moins productive. C'est un bon exemple d'un dirigeant qui a mis l'accent sur la productivité et qui a réussi. C'est beaucoup plus facile à faire dans certaines industries que dans d'autres.
Le président : Monsieur Sharpe, pourriez-vous obtenir des études sur cette question précise? Les chefs d'entreprise se plaignent toujours que le gouvernement n'est pas productif, mais je reçois des études sur le gouvernement électronique qui montrent le contraire. Je regarde toutes les études présentées ici qui montrent jusqu'à quel point les entreprises ne sont pas productives. Je ne pense pas qu'on parle de deux solitudes, mais nous devrions peut-être analyser cette question non pas en se servant d'anecdotes mais plutôt en se servant de normes de statistique. C'est une question importante pour nous.
M. Sharpe : Je suis d'accord. Il est difficile d'évaluer un chef de façon quantitative. Effectivement, l'idée est bonne; il faut des dirigeants qui visent à augmenter la productivité.
Le sénateur Massicotte : Si vous me permettez d'ajouter un commentaire, monsieur le président. On évalue la productivité par secteur d'activité, tel que foresterie et les chemins de fer. Nous dépassons de loin les normes internationales dans ces industries. Ce n'est pas à cause de notre système scolaire ou de nos dirigeants, parce que nous réussissons dans certaines industries et pas dans d'autres. La question est peut-être plutôt structurelle. S'il s'agit d'un problème de leadership et d'éducation, le problème serait culturel et très répandu. Et notre problème n'est pas répandu.
Le président : Cela nous donne des idées pour le débat que nous aurons en comité lorsque nous examinerons les facteurs dont il faudrait tenir compte dans nos recommandations en matière de politique publique au Canada.
Monsieur Sharpe et monsieur Winchester, merci.
La séance est levée.