Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 13 - Témoignages du 12 mai 2005
OTTAWA, le jeudi 12 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 47 pour examiner, en vue d'en faire rapport, des questions touchant la productivité.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. Le comité est très heureux que les Canadiennes et les Canadiens puissent suivre sur Internet notre table ronde sur la productivité et la compétitivité au Canada. Nos délibérations sont également diffusées sur la Chaîne parlementaire en différé, parce que la chaîne a choisi de téléviser d'autres audiences qui se déroulent à l'extérieur de la ville, même si nous pensons que la question que nous examinons est plus importante. Bienvenue à tous.
J'aimerais vous expliquer brièvement ce que nous espérons accomplir au cours de nos discussions d'hier et d'aujourd'hui. C'est une expérience pour nous. Nous essayons de réunir beaucoup d'informations en peu de temps. Nous connaissons le sujet, mais nous cherchons sérieusement à explorer de nouvelles données qui pourraient nous aider dans notre étude.
Nous savons tous combien la productivité du Canada et notre compétitivité sur la scène internationale sont cruciales pour notre économie et notre niveau de vie. Entre le quart et le tiers de notre niveau de vie des 60 dernières années est attribuable à notre croissance. Nous croyons que l'augmentation de la productivité est le seul moyen d'accroître notre niveau de vie — il y en a d'autres, mais celui-là est primordial.
Beaucoup d'études ont été faites sur la productivité, et nous en avons examiné un bon nombre en vue de cette table ronde; nous sommes heureux aujourd'hui que des témoins viennent nous en présenter de nouvelles.
Notre comité sénatorial veut examiner les questions de productivité dans une perspective globale. Nous invitons de grands spécialistes canadiens de la question, dont nos témoins d'aujourd'hui, sans compter que des membres de notre comité s'y connaissent bien en la matière. Nous voulons également entendre le point de vue du grand public pour mieux comprendre le rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer afin d'aider nos entreprises à devenir plus productives et plus compétitives.
Avant de poursuivre, j'aimerais rappeler à ceux qui nous suivent en direct sur Internet ou en différé sur la Chaîne parlementaire que nous voulons aussi connaître leur point de vue. La productivité compte dans toutes les régions du pays. Si vous avez des commentaires à faire ou des suggestions à formuler pour améliorer la productivité du Canada, nous vous invitons à nous écrire à l'adresse qui apparaît maintenant à l'écran, soit le www.banking_banques@sen.parl.gc.ca, et qui reviendra encore plusieurs fois à l'écran au cours de la matinée. Nous demandons aux Canadiens, qu'ils soient experts dans le domaine ou non, de nous faire parvenir par courriel leurs commentaires ou leurs opinions sur ce qu'ils vont entendre aujourd'hui. Nous avons reçu beaucoup de réactions au sujet de nos audiences d'hier.
J'aimerais signaler aux témoins qui sont ici aujourd'hui qu'ils peuvent aussi nous écrire par courrier électronique pour réagir aux opinions des autres témoins ou des sénateurs.
[Français]
Si vous avez des commentaires ou des suggestions sur la façon d'améliorer la productivité du Canada, nous vous invitons à nous écrire à l'adresse qui apparaît au bas de l'écran.
[Traduction]
Nos premiers participants d'aujourd'hui sont Paul Darby, du Conference Board du Canada, Jim Stanford, économiste à TCA Canada, et John Baldwin, de Statistique Canada. Nous avons étudié vos graphiques. Merci beaucoup de toutes les informations que Statistique Canada nous a fournies pour cette importante étude.
Monsieur Darby, allez-y.
M. Paul Darby, vice-président et économiste en chef, Le Conference Board du Canada : Bonjour, honorables sénateurs et merci de m'avoir invité à venir vous rencontrer.
Il faut comprendre que le Conference Board examine les questions de productivité d'une façon assez détaillée depuis sept ou huit ans, ce qui peut laisser croire que nous sommes des nouveaux venus dans le domaine. Il reste que nous avons commencé à nous intéresser à la productivité après avoir analysé et observé que les revenus américains semblent dépasser les revenus canadiens. L'écart entre le revenu américain et le revenu canadien par habitant a diminué, ce qui soulève des questions sur le taux de change à appliquer pour comparer nos deux situations. Malgré les incertitudes liées à la façon de mesurer, il semblait assez évident que l'écart entre les revenus par habitant aux États-Unis et les revenus par habitant au Canada s'élargissait de plus en plus.
Ce n'est pas nécessairement très grave, même si ce peut être inquiétant pour l'avenir et qu'on peut se demander pourquoi l'écart continuerait de s'accentuer. Il y a toujours eu un écart, mais il devient très marqué et il ne cesse de croître depuis à peu près quinze ans.
Inquiets que cet écart entre nos revenus creuse l'écart entre nos niveaux de vie, nous avons commencé à examiner, de façon assez brutale mais quand même solide sur le plan statistique, quelles pourraient en être les causes.
Nous en avons relevé un certain nombre, dont la productivité. Compte tenu des méthodes de mesure que nous avions à l'époque, il semblait y avoir une différence importante entre la productivité au Canada et aux États-Unis. Nous avons commencé à nous demander ce qui aurait pu donner lieu à cet apparent écart de productivité, et nous avons constaté qu'il y a un certain nombre d'éléments déterminants possibles.
Un de ceux que nous avons examinés plus récemment part de l'hypothèse qu'au Canada, il y a une plus grande réglementation et plus d'obstacles à la concurrence qu'aux États-Unis. La vague de déréglementation qui a eu lieu aux États-Unis et le niveau de syndicalisation dans ce pays pourraient expliquer pourquoi non seulement il y a toujours un écart de productivité entre nos deux pays, mais aussi pourquoi il s'accentue.
Les entreprises canadiennes qui invoquent les tarifs douaniers pour être moins productives que leurs homologues américaines tout en restant en affaires seraient un exemple d'obstacle à la concurrence. Quant aux obstacles non tarifaires au commerce, ce serait les coûts des facteurs de production qui sont plus élevés au Canada et une baisse possible de la productivité attribuable à des obstacles internes comme les règlements, les normes liées à la sécurité et aux facteurs de production. Un des plus importants obstacles à cet égard concernait les règles d'approvisionnement, quand les administrations publiques achètent seulement d'entreprises établies sur leur territoire.
Plus récemment, le Conference Board a essayé de comprendre dans quelle mesure ces obstacles au commerce, qu'ils soient internes ou externes, pouvaient entraîner une baisse de productivité au Canada.
Je signalerais qu'il doit s'agir d'obstacles au commerce assez importants. Les États-Unis ne sont pas à l'abri d'obstacles internes et externes au commerce. D'ailleurs, le programme Buy America, pour encourager l'achat de produits des États-Unis, est un excellent exemple d'obstacle non tarifaire.
Nos recherches sont terminées. Nos conclusions sont intéressantes parce qu'elles montrent, comme il fallait s'y attendre d'une certaine façon, que ce ne sont pas ces obstacles qui, pour une grande partie des entreprises canadiennes, expliquent les différences de productivité. C'est particulièrement vrai pour le secteur des services et celui des produits non négociables. À bien des égards, ils ne sont pas influencés par la productivité aux États-Unis, surtout pour la période étudiée, simplement parce qu'il n'est pas facile de transiger ces acitivtés, comme les coupes de cheveux ou encore les travaux de construction — il est difficile de construire une maison canadienne aux États-Unis.
Nous avons cependant remarqué qu'il y a un groupe de 16 industries manufacturières importantes, qui représentent environ 20 p. 100 de la production canadienne, pour lesquelles il semble bien que les obstacles à la concurrence et au commerce entraînent une baisse de productivité. Si les obstacles à la concurrence étaient importants dans leur cas, la productivité serait perturbée. Autrement dit, si le Canada imposait des obstacles importants au commerce, la productivité dans ces secteurs diminuerait.
Les répercussions sont intéressantes dans le sens où il serait possible d'améliorer la productivité au Canada dans ces secteurs en réduisant les obstacles au commerce et en leur permettant de s'ouvrir à une concurrence accrue. Il y a cependant un corollaire qu'il ne faut pas négliger. Effectivement, si les obstacles sont importants au Canada par rapport à ce qu'ils sont aux États-Unis, on peut envisager des coûts d'ajustement étant donné que beaucoup d'entreprises canadiennes ne sont pas en mesure de faire face à la concurrence. Évidemment, les répercussions en matière de politique sont alors loin d'être anodines.
Il semblerait que, sur des périodes relativement courtes, d'au moins cinq à sept ans, les obstacles à la concurrence dans une bonne partie du secteur des services et de celui des produits non négociables n'aient pas une grande incidence sur la compétitivité au Canada.
M. Jim Stanford, économiste, TCA Canada : Merci de m'avoir invité à venir vous rencontrer pour discuter d'un sujet capital. Je suis heureux que le comité et le Sénat examinent cette question d'une importance cruciale pour la prospérité future de notre pays. Nous espérons que vos travaux seront plus productifs que ceux qui se déroulent actuellement à l'autre endroit.
Le président : Nous vous remercions du compliment. Ils le sont et vont continuer de l'être.
M. Stanford : Je suis content de vous l'entendre dire.
Je suis économiste auprès d'un syndicat. Je tiens à signaler d'entrée de jeu que « syndicat » et « productivité » ne sont pas nécessairement antinomiques. Particulièrement pour le syndicat des TAC, la productivité n'est pas un mot à proscrire. Nous avons fortement insisté, dans une démarche préventive, sur le fait que la croissance de la productivité est essentielle à la compétitivité. Nous avons pris des mesures innovatrices pour essayer d'accroître la productivité dans nos usines d'assemblage de voitures et dans les autres installations où nos membres travaillent.
C'est peut-être l'industrie de l'automobile au Canada qui illustre le mieux pourquoi la productivité est importante. C'est l'un des seuls secteurs manufacturiers où la productivité moyenne est supérieure au Canada à celle des États- Unis. C'est avant tout une meilleure productivité, combinée à des coûts de main-d'œuvre avantageux, qui explique pourquoi l'industrie de l'automobile au Canada a beaucoup mieux réussi qu'aux États-Unis à conserver des emplois, à augmenter la productivité et à faire croître la richesse économique de nos membres et ce, grâce en partie à notre syndicat. Cela montre très éloquemment pourquoi la productivité compte. Nous aimerions que notre expérience serve à d'autres secteurs de l'économie.
Je vais vous expliquer brièvement les grandes conclusions de mes recherches sur la productivité dont certaines vont à l'encontre des idées reçues qui vous ont probablement été exposées sur la productivité et ses facteurs déterminants.
J'admets certes que le Canada a un problème de productivité et qu'il s'aggrave, relativement parlant, avec le temps. Notre rendement à ce chapitre au cours des trois dernières années est pitoyable. Il ne suffit pas de comparer la situation à court terme et à long terme, car il est étonnant que la productivité moyenne de la main-d'œuvre n'ait pas augmenté au Canada depuis à peu près trois ans. Malgré toutes les discussions sur la question et les efforts déployés pour améliorer la situation, nous connaissons une des pires crises de notre histoire de l'après-guerre à ce sujet. Il est vital de renverser la tendance.
Le lien entre la productivité et le bien-être social, qu'on tient souvent pour acquis, n'est pas systématique. Je reconnais d'emblée que la productivité est un facteur déterminant ou un obstacle important à notre niveau de vie, mais les données sont claires : une augmentation de la productivité ne se traduit pas nécessairement ou forcément par une amélioration du niveau de vie. De même, on peut améliorer le niveau de vie de la société sans accroître la productivité. On a tort d'associer les deux d'aussi près, même si la plupart des gens le font explicitement ou implicitement.
À propos de la croissance de la productivité, il est tout aussi important d'examiner comment les gains de cette croissance vont être distribués et partagés dans la société. La diapositive de la page 14 montre qu'il y a eu des changements importants au cours des dernières années dans la façon dont l'assiette économique est divisée. Nous voyons que la part du PIB attribuée à la main-d'œuvre, et qui comprend en gros les salaires, les traitements et les avantages sociaux, a rétréci. Même en calculant les salaires des PDG et des dirigeants, cette part a diminué de façon constante depuis vingt ans de huit points de pourcentage du PIB, pour représenter moins de 50 p. 100 de l'assiette totale l'an dernier pour la première fois depuis le début des années 1950. Cela met en évidence l'influence qu'ont eue tous les changements de politique en faveur des entreprises et du libre marché mis en œuvre au Canada depuis vingt ans.
Ce changement dans la répartition de l'assiette économique explique la coexistence de la croissance de la productivité au Canada depuis 20 ans avec la stagnation du revenu avant impôt de la majorité des Canadiens. Pour qu'un programme de croissance de la productivité soit efficace et avantageux sur le plan social, il doit expliquer clairement comment les gains seront partagés, parce qu'on ne peut pas présumer qu'il y aura nécessairement des retombées pour tout le monde.
S'en remettre aux forces concurrentielles du marché n'est pas la solution magique à tous nos problèmes. La plupart du temps, on confond les mots « productivité » et « concurrence ». Or, les études de cas ou les données d'ensemble sont claires à ce sujet. Devant une intensification de la concurrence, les entreprises peuvent réagir favorablement sur le plan de la productivité, mais elles peuvent aussi réagir négativement et même fermer leurs portes. Les recherches de M. Baldwin ont montré l'importance de ces fermetures sur la situation de la croissance de la productivité dans le secteur manufacturier au Canada.
On ne peut pas dire qu'en éliminant les obstacles au commerce on va accroître la productivité. Les obstacles au commerce peuvent évidemment protéger des pratiques improductives, mais simplement ouvrir les portes à la concurrence internationale n'aide pas nécessairement la productivité. Comme le montre la diapositive de la page 22, la productivité relative du Canada s'est considérablement détériorée par rapport à celle des États-Unis depuis que nous avons signé l'accord de libre-échange en 1989. On présumait que le libre-échange ferait converger la productivité vers les niveaux américains et entraînerait des gains sur les plans économique et social. L'ouverture des marchés et la réduction des tarifs douaniers devaient accroître la productivité, ce qui de toute évidence ne s'est pas produit.
On fait valoir le même argument dans le cas des baisses d'impôts. Quand les conservateurs ou les lobbyistes analysent un budget, qu'il soit fédéral ou provincial, ils sont toujours bien déçus de l'absence de mesures visant à favoriser la productivité. C'est une façon détournée de dire qu'ils sont toujours déçus qu'on ne réduise pas de façon importante l'impôt des sociétés. On pense que ces réductions d'impôt vont accroître les investissements, stimuler l'esprit d'entreprise et donc accroître la productivité. Les baisses d'impôt très importantes dont les entreprises ont bénéficié, au niveau fédéral et au niveau provincial, au Canada depuis 2001, ont réduit leur fardeau fiscal d'à peu près le quart, sans toutefois avoir un effet positif marqué sur les investissements des entreprises au Canada ou la croissance de la productivité. Notre économie ne s'est jamais portée aussi mal au moment même où nous avons offert aux sociétés les plus importantes baisses d'impôt. Il n'y a pas de lien entre les deux.
Si je devais indiquer le facteur qui m'apparaît le plus important pour la productivité future, je dirais les investissements fixes des entreprises dans les usines, et surtout dans les appareils et l'équipement. Les dépenses d'investissement aident en elles-mêmes à accroître la productivité parce qu'il y a intensification du capital; mais surtout, ces nouveaux investissements permettent d'apporter de grandes innovations sur le plan technologique et organisationnel, et elles sont cruciales pour la croissance de la productivité. La page 23 montre les liens positifs qui existent entre les deux, et il y en a d'autres. Quand les entreprises investissent davantage, la productivité moyenne de la main-d'oeuvre augmente.
Il faut trouver des moyens de stimuler les dépenses d'investissement des entreprises au Canada. Je ne crois pas que réduire l'impôt des sociétés est un moyen efficace d'y parvenir. Il est prouvé que ce n'en est pas un. Il y a beaucoup d'autres mesures plus ciblées que nous pourrions envisager, comme des changements dans les périodes d'amortissement, des crédits d'impôt à l'investissement ou même de l'aide à l'investissement pour des secteurs précis, comme cela s'est fait récemment dans l'industrie de l'automobile.
Je crois que la hausse de la valeur du dollar canadien aura une incidence négative sur l'investissement des entreprises. Nous pensons que nous avions une piètre productivité parce que des producteurs canadiens paresseux ou inefficaces étaient subventionnés par la faiblesse de notre dollar, mais les faits prouvent le contraire. Nos entreprises investissent moins depuis que le dollar s'est apprécié il y a deux ans. Les biens d'équipement coûtent moins cher à importer, mais les producteurs canadiens ne sont vraiment pas motivés à en acheter quand le dollar vaut 80 cents ou plus parce qu'ils sont désavantagés sur le plan de la concurrence.
J'aimerais souligner les effets de la composition sectorielle de notre économie sur la productivité globale. Notre profil économique a grandement changé au cours des deux à quatre dernières années en raison de la montée du dollar et de l'augmentation du prix des produits de base. Les efforts concernant la main-d'œuvre, l'investissement et l'entrepreneuriat se sont éloignés de la fabrication de produits à valeur ajoutée pour se tourner vers l'exportation énergétique et les produits non échangeables.
Pour ce qui est de notre stabilité économique à long terme, les effets de ce changement sont négatifs. Les conséquences du passage de la fabrication de produits à l'exportation d'énergie sur la productivité seront atténuées parce que l'énergie est également un secteur qui connaît une productivité très élevée, comme celui de la fabrication. Toutefois, le recours au secteur des services non échangeables, qui tend à être le moins productif de notre économie, aura des conséquences négatives. Notre plan concernant la productivité devrait en partie mettre l'accent sur des stratégies axées sur les secteurs où des industries dynamiques affichent un taux élevé de productivité pour que le Canada s'en assure une bonne part.
Je vais terminer ici. J'ai hâte d'en discuter avec vous.
Le président : La table est rectangulaire, mais on appelle ça quand même une table ronde. Le principe de la table ronde est de permettre à tous les autres intervenants de répondre. J'ai remarqué le langage corporel de M. Darby pendant que vous parliez. Peut-être qu'il aura des commentaires à faire après l'intervention de M. Baldwin. Vous aurez aussi l'occasion de répondre avant que je laisse les sénateurs s'adresser à vous tous.
J'aimerais dire quelque chose au sujet de Statistique Canada. D'abord, c'est une des grandes institutions de notre pays. Elle est apolitique. Elle est prête à revoir ses hypothèses lorsque celles-ci sont sévèrement critiquées. Statistique Canada accomplit énormément de travail. Nous avons pu constater hier et aujourd'hui que bon nombre de nos différends ne concernent pas les statistiques proprement dites mais bien notre façon de les interpréter. La plupart des statistiques, monsieur Baldwin, proviennent de votre organisation. Nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous écoutons attentivement.
M. John R. Baldwin, directeur, Division des études de l'analyse microéconomique, Statistique Canada : Le rôle de Statistique Canada n'est pas de commenter les politiques; par conséquent, je ne débattrai pas avec mes deux collègues de la pertinence des politiques.
Le président : Vous pouvez enlever votre chapeau de fonctionnaire et nous faire connaître votre opinion personnelle, monsieur Baldwin.
M. Baldwin : Pas tant que je serai un employé de cet organisme.
Le président : Nous vous protégerons. Vous avez doit à l'immunité, mais allez-y.
M. Baldwin : La présentation que j'ai préparée pour vous aujourd'hui utilise des statistiques de fond sur la productivité, qui sont générées par mon groupe, et a pour but de jeter de la lumière sur certaines questions qui nous sont constamment posées sur la productivité.
Le document que je vous ai remis aujourd'hui ne porte pas sur le rendement à court terme. Je pourrai, plus tard, vous donner diverses raisons pour expliquer ça. Le document recoupe des données qui s'échelonnent sur une longue période et qui ont été recueillies en utilisant une même méthode pour répondre à certaines des questions qui nous sont souvent soumises.
Ainsi, il pourra peut-être répondre à certaines des questions qui ont été soulevées ce matin. Les quatre ou cinq premières diapositives abordent des questions très générales entourant le taux de croissance et de productivité au Canada, sur une longue période et des sous-périodes, et la façon dont tout ça est lié à certains agrégats économiques qui nous intéressent.
Le document commence par faire le lien entre la croissance du PIB et la productivité, où celle-ci est définie comme la productivité du travail. On favorise une croissance des extrants, ou du PIB, s'il y a plus d'intrants dans le système ou si on réussit à faire les choses plus efficacement pour augmenter la production par travailleur.
Vous constaterez que le taux de croissance du PIB — la colonne bleue dans le graphique — est en baisse depuis le début des années 1960. Le taux d'augmentation des heures de travail est demeuré plus ou moins constant au cours des trois premières décenniesles années 1960 et 1970, mais a chuté au cours des années 1980; le taux de croissance de la productivité du travail a baissé en même temps que le taux de croissance du PIB. Il existe un lien étroit entre le total des extrants et la productivité.
La deuxième diapositive aborde un concept quelque peu différent, c'est-à-dire la croissance du PIB par habitant. Parfois, les gens mélangent la croissance de la productivité avec la croissance du PIB par habitant. Il existe évidemment une étroite relation entre les deux. La croissance du PIB par habitant dépend de la croissance du PIB par travailleur et du nombre de personnes dans la population active. Certains appellent ce dernier concept « l'intensité du travail ». Ce graphique montre le pourcentage de la croissance totale du PIB par habitant attribuable à la croissance de la productivité du travail et la croissance de l'intensité du travail. Plus il y a de gens qui travaillent, plus il y a d'heures travaillées.
On constate que la croissance du PIB par habitant est principalement attribuable, au fil des décennies, à la productivité du travail, mais il est important de ne pas oublier quand on interprète des données et des énoncés que ce n'est pas toujours le cas.
D'ailleurs, je me souviens qu'au début des années 1990, les gens disaient que nous devions avoir un sérieux problème puisque la croissance du PIB par habitant était en baisse. En fait, la croissance de la productivité ne baissait pas. La situation économique était telle que beaucoup moins de gens travaillaient; l'intensité du travail était donc en quelque sorte moins élevée. Certains pensent que ça veut dire que nous ne travaillons pas fort, que les gens se défilent devant le travail et que ça ne devrait pas être ainsi. L'obtention d'un emploi dépend essentiellement de la situation macroéconomique et de la croissance économique.
La quatrième diapositive montre dans quelle mesure le taux de rémunération réel suit la croissance de la productivité. Les économistes disposent de plusieurs modèles qui vont dans ce sens, mais ce qui est intéressant, c'est de savoir si c'est bel et bien le cas. On constate que c'est le cas pour la plupart des décennies présentées dans le graphique. Lorsque la croissance de la productivité réelle ou la productivité proprement dite baisse, le taux de rémunération réel baisse également. L'un suit généralement l'autre. On voit certains éléments qui appuient ce qu'a avancé M. Standford plus tôt. La croissance de la productivité réelle dépassait largement la croissance du taux de rémunération réel au cours des années 1990, particulièrement après l'an 2000. On constate un changement après 1995 quant à la capacité de l'économie de transformer ces gains de productivité en rémunération, selon les comptes nationaux.
La cinquième diapositive présente les sources de la croissance de la productivité du travail. Pouvons-nous examiner et interpréter certaines causes sous-jacentes? Nous en avons choisi une, l'intensité du capital. Plus le montant de capital disponible aux travailleurs est élevé, plus la productivité du travail a tendance à augmenter. On s'est demandé si au fil des années l'intensité du capital, qui influe sur la croissance de la productivité du travail, avait changé. On voit ici qu'elle a baissé en général. Elle a atteint son plus bas niveau depuis 1960 après l'an 2000.
Ce n'est qu'un aperçu général du lien qui existe entre la productivité, les facteurs qui l'influent au fil du temps et certaines des macro-variables qui intéressent les gens.
Les Canadiens estiment qu'il est primordial de comparer notre croissance de la productivité avec celle des États- Unis. La question de l'écart de productivité nous préoccupe depuis que le Conseil économique du Canada — qui n'existe plus — a commencé au début des années 1960 à mener des études sur le rendement de l'économie canadienne. Les débats publics font d'ailleurs constamment allusion aux écarts et aux problèmes. La croissance de la productivité demeure importante pour l'économie d'un pays, comme je viens de l'illustrer. Le terme « écart de productivité » est incrusté dans la conscience canadienne puisque nous nous soucions toujours de la façon dont nous nous comparons au reste du monde.
Les diapositives 6 et 7 donnent un aperçu à long terme du rendement de l'économie par rapport à celui des États- Unis en utilisant comme facteur de comparaison le secteur des entreprises canadiennes et en mettant de côté la fonction publique, la santé et l'éducation.
On peut voir que pendant de très longues périodes la croissance du PIB du Canada a augmenté plus rapidement qu'aux Etats-Unis. Pendant plusieurs décennies, par exemple les années 1960 et 1970, notre croissance a été beaucoup plus élevée. En partant de l'année de base de 1961, qui commence à 100, on voit que le Canada dépassait de loin les Américains jusqu'au milieu des années 1970. Nous avons tranquillement régressé vers les Américains, puis cette descente s'est accélérée particulièrement au début des années 1990.
Si vous regardez le nombre d'heures travaillées, vous verrez qu'on a constamment eu de meilleurs résultats qu'aux États-Unis. Plus de gens ont travaillé plus d'heures pendant cette période.
Prenez la productivité du travail dans le secteur des affaires américain; vous verrez que nous avions le dessus, par exemple dans les années 1970. Les Américains ont commencé à nous rattraper dans les années 1980. Ils nous ont effectivement rejoints au début des années 1990. Pendant cette décennie, nous avons suivi les Américains.
Évidemment, nous avons eu tendance à nous concentrer, depuis de nombreuses années, sur le taux de croissance parce que notre système statistique était conçu pour déterminer le taux de croissance de la productivité. Nous n'étions pas portés à examiner la différence entre le Canada et les États-Unis quant au niveau de productivité.
L'organisme de statistiques répond à des pressions externes qui veulent que nous consacrions des ressources à de nouveaux domaines. Au cours des deux dernières années, vu l'intérêt marqué à l'égard de la différence entre le Canada et les États-Unis au niveau de la productivité, nous avons commencé à examiner l'importance de l'écart. Nous avons rassemblé de nouvelles données qui nous permettent, autant que possible, de mesurer de la même façon les extrants et les intrants. Les États-Unis disposent d'organismes de statistiques différents qui produisent plusieurs estimations différentes touchant la main-d'œuvre. Elles ne sont pas toutes pareilles. Aux États-Unis, la question à savoir laquelle de ces mesures devrait être utilisée suscite de grands débats.
Le président : Monsieur Baldwin, veuillez nous en parler officiellement. Ce serait très intéressant pour nous et ceux qui nous écoutent de connaître la différence entre ces mesures. Nous voyons des statistiques, mais rien n'est clair puisqu'elles se font concurrence. Pouvez-vous nous dire quels sont les deux ou trois autres modèles statistiques de base?
M. Baldwin : Les Américains ont différents organismes de statistiques. À l'intérieur même de ces organismes, ils utilisent, tout comme nous, différentes façons de mesurer un même phénomène. Aux États-Unis, le Bureau of Labour Statistics est l'organisme chargé d'estimer bon nombre des données concernant la main-d'œuvre. Il utilise aussi d'autres façons de calculer le nombre de personnes qui travaillent.
Lors d'un récent projet, nous avons examiné les sources de données américaines — auxquelles nous avons recours — et avons utilisé notre méthode pour estimer le nombre d'heures travaillées. À partir de ces estimations, nous avons mesuré la productivité relative de la main-d'œuvre. Nous avons ainsi obtenu une estimation de l'écart qui s'est avérée quelque peu inférieure à la plupart des estimations faites par de très bons analystes canadiens.
Les estimations du PIB par habitant étaient les mêmes. À la page 9 du document, on voit que le PIB par habitant en 1999 équivalait à 83 p. 100 de celui des États-Unis, mais que la productivité canadienne était de plus de 94 p. 100.
Cela signifie que l'écart entre les deux pays pour ce qui est du PIB par habitant n'est que de 33 p. 100. L'écart qui reste a essentiellement trait aux heures travaillées par personne, par membre de la population. Ça dépend du nombre de gens qui travaillent, ce qui est tributaire de la composition démographique, à savoir si la population des personnes âgées est plus ou moins importante que celle des jeunes. Ça dépend aussi de la volonté de la population à travailler, si les gens choisissent les loisirs plutôt que le travail, ou de leur capacité de travailler. Vous pouvez interpréter différemment les causes de la différence entre le Canada et les États-Unis par rapport à ces deux facteurs.
Ça dépend aussi du nombre d'heures travaillées par personne occupant un emploi. On constate que les Américains, quand on utilise une source semblable à la nôtre — nous croyons d'ailleurs qu'elle est tout à fait comparable — travaillent beaucoup plus d'heures par personne que nous. Des collègues universitaires m'ont dit que cela peut signifier que les Américains travaillent tout simplement plus intensément que nous ou que leurs priorités ne sont pas les mêmes. On peut interpréter de diverses manières ce fait particulier.
La diapositive 10 reprend la précédente qui était basée sur une seule année et examine ce qui se passe. Elle donne un aperçu de l'écart et de son évolution au cours des 20 dernières années. La ligne verte représente la différence quant au PIB réel par heure travaillée. Comment le Canada se compare-t-il par rapport aux États-Unis? Il se situe de façon relativement constante entre 90 et 100 p. 100.
Un autre élément qui contribue à cet écart est le nombre d'heures travaillées par habitant. J'ai dit que cela n'avait rien à voir avec la paresse ou d'autres choses de ce genre. Cet élément est influencé par d'autres composantes du marché du travail.
La différence relative au PIB par habitant est principalement attribuable au fil des ans à un changement important dans les heures travaillées par habitant, ou si vous voulez, ce que j'appelle l'autre partie de l'économie. Est-ce important ou intéressant? Je trouve ça très intéressant. D'ailleurs, j'ouvre une parenthèse. Nous avons produit une étude il y a deux ans sur ce qui arriverait au taux de croissance dans les années 1990 au Canada et aux États-Unis si on ne tenait pas compte de ce que j'appelle le secteur de l'entreprise individuelle. Nous avons beaucoup plus de travailleurs autonomes au pays. Ceux-ci ont tendance à être moins productifs au sens du PIB. Ils constituent une partie très importante de l'économie, mais un grand nombre de personnes ont intégré l'économie nationale dans les années 1990, mais y ont peu contribué.
Je pense qu'ils n'étaient qu'à demi employés. C'était un peu la faute de la situation économique des années 1990. Si vous les enlevez des données servant à comparer le Canada et les États-Unis, vous ne verrez pratiquement aucune différence entre les taux de croissance pendant cette période. Si vous soutenez que ces personnes, qui en réalité ne pouvaient obtenir un travail rémunéré au même titre que n'importe qui d'autre dans l'économie, étaient sous- employées, on dira alors que le problème dans les années 1990 était le sous-emploi et non le secteur des entreprises qui investissait et lançait notamment de nouvelles technologies.
Les conditions de travail, qui sont une autre composante de l'économie, sont importantes.
On s'est interrogé sur ce qui a été fait au cours des dernières années pour augmenter le nombre d'heures travaillées par habitant. Je vous en donne un bref aperçu dans la diapositive 11. Regardez le taux d'emploi des personnes âgées de 55 à 69 ans. Il est passé de 34 p. 100 à 44 p. 100 en peu de temps. Les gens reviennent sur le marché du travail.
Le président : Bienvenue au Sénat. C'est ce que nous faisons ici.
M. Baldwin : Une composante très précieuse de la société.
Le président : Merci.
M. Baldwin : Je vais parler brièvement du reste du document.
On remarque qu'il y a une différence importante entre les provinces quant au PIB par habitant. Une fois de plus, c'est dû en grande partie à l'intensité du travail. L'Alberta affiche le PIB par habitant le plus élevé. Il a la productivité la plus élevée, mais on voit que les gens travaillent plus d'heures par habitant que partout ailleurs au pays. Il ne faut pas mettre de côté cet élément de l'équation.
La toute dernière partie du document aborde certaines des questions soulevées par M. Darby et M. Stanford, c'est- à-dire l'importance de la concurrence et d'autres facteurs économiques. Nous ne fournissons pas seulement des statistiques agrégées sur la productivité; nous avons aussi un nombre considérable d'études qui font appel à des bases de données spéciales pour examiner les éléments qui donnent lieu à ces macro-chiffres. Nous avons découvert qu'il y avait un roulement élevé de personnel dans l'économie car des entreprises périclitent et ferment leurs portes alors que d'autres s'établissent et prospèrent. Plus de 50 p. 100 de la productivité totale du secteur manufacturier est attribuable au transfert de ressources entre les entreprises qui périclitent et celles qui prennent de l'expansion. Nous ne sommes pas dans un monde où chacun fait progressivement de petits bonds, mais bien où certaines personnes trouvent des façons de faire beaucoup mieux les choses et de croître. Si on ne laisse pas libre cours à ce processus, la croissance de la productivité s'amoindrit.
En fait, les données qui ont trait non seulement à ces changements, mais aussi à la libéralisation des échanges montrent que ce processus de libéralisation a été étroitement lié à des transformations spectaculaires au niveau local qui ont rehaussé la productivité. Nous constatons que les changements attribuables à la libéralisation des échanges ont permis aux établissements de se spécialiser davantage, que les investissements technologiques ont changé et que toutes ces transformations au niveau local ont été étroitement liées à des gains de productivité.
Nous constatons également, comme on le voit à la diapositive 17, que tout ceci s'est produit surtout dans le secteur sous contrôle étranger. Le gros de la croissance dans le secteur de la fabrication est attribuable aux établissements sous contrôle étranger.
À la diapositive 18, nous voyons que les gains ont surtout été enregistrés dans les grandes entreprises, plutôt que dans les petites. Par conséquent, dans ce grand ensemble qu'on appelle l'économie canadienne, ou même au sein des industries, nous assistons à des changements spectaculaires, et certaines industries affichent une croissance plus rapide que d'autres et ont contribué davantage à l'économie dans un passé récent.
Le président : Avant de donner la parole aux sénateurs, je demanderais à M. Darby et M. Stanford de faire un bref commentaire, puis ce sera au tour du sénateur Angus.
M. Darby : Merci, monsieur le président. Il importe de noter que, comme à son habitude, M. Stanford a touché à quelques-uns des aspects les plus importants concernant la croissance de la productivité dans notre société. Je dois commenter brièvement ses remarques.
Il est intéressant de constater que la part du revenu qui va à la main-d'œuvre a pris un net recul par rapport à celle qui revient aux capitaux. Si l'on considère les profits comme une part du revenu national, on constate que nous avons atteint des niveaux records. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Le profit est un revenu également. Toutefois, on peut se demander où est ce profit, comment il est utilisé, comment est utilisé le revenu que génère ce profit. Est-il réinvesti au Canada, est-il écoulé à l'étranger? Il importe de reconnaître qu'à ce moment-ci de notre histoire, la part du revenu qui revient à la main-d'œuvre est relativement faible tandis que la part qui revient aux capitaux est plus élevée. Cette situation soulève des questions intéressantes quant à la direction que nous allons prendre.
Nous remarquons parfois, à travers l'histoire, qu'en pareille situation, les investissements sont considérables. Toutefois, cela n'est garanti d'aucune façon. Comme M. Stanford le fait remarquer, tout dépend du rendement que les entreprises s'attendent à obtenir de cet investissement. Elles doivent sentir que le Canada est un endroit propice aux investissements.
L'accord de libre-échange a certainement attisé ce débat. Nous nous attendions à des gains de productivité substantiels par suite de cet accord, mais les données nous montrent que ces gains de productivité ne se sont pas concrétisés. Les milieux économiques ont dû faire un examen de conscience à partir du milieu jusqu'à la fin des années 90. Où sont ces fabuleux gains de productivité que nous espérions enregistrer avec l'accord de libre-échange?
À la lumière de ce que M. Baldwin a dit, il importe de comprendre que nous n'avons pas les données contre- factuelles devant nous. Qu'aurait été notre productivité si nous n'avions pas signé l'accord de libre-échange? La situation aurait pu être pire. Le débat fait toujours rage. D'après les données que M. Baldwin a présentées, nous voulons croire encore que la productivité est supérieure à ce qu'elle aurait été sans l'accord de libre-échange, mais nous ne pouvons pas l'affirmer.
M. Stanford : Concernant la part accrue du PIB qui revient au profit, je suis d'accord avec Paul pour dire que ce n'est pas nécessairement mauvais. Tout dépend de ce que l'on fait avec les profits. Je crains qu'ils ne soient pas réinvestis suffisamment. À la diapositive 16 de ma présentation, on voit l'évolution de ce qu'on appelle le taux de réinvestissement. Pour calculer ce taux, on prend les rentrées de fonds après impôt des entreprises du secteur non financier, c'est-à-dire les sociétés non financières, leurs profits après impôt, plus les amortissements cumulés, qui constituent une dépense sans mouvement de fonds, et on détermine quelle portion de cette somme est réinvestie dans des capitaux mobilisés au Canada. C'est le taux de réinvestissement, dont on voit l'évolution à la diapositive 16. S'il est supérieur à 100 p. 100, cela signifie que les entreprises investissent encore plus que toutes leurs rentrées de fonds après impôt. Ce que nous observons ici, c'est un déclin au cours des 15 dernières années, et le taux a chuté à 67 p. 100 l'an dernier, soit le niveau le plus bas dans toute l'histoire. Les sociétés investissent le plus faible pourcentage de leurs rentrées de fonds après impôt, même si leurs impôts ont été considérablement réduits au cours des cinq dernières années.
Le sénateur Angus : Messieurs, c'était très intéressant et bien différent de ce que nous avons entendu hier. J'ai peut- être mal interprété.
D'après ce que M. Baldwin a dit, il ne semble pas y avoir un écart important entre la productivité au Canada et celle aux États-Unis, bien que ce soit peut-être une question de nomenclature ou de terminologie. J'aimerais vous poser quelques questions, monsieur Stanford, si vous me le permettez.
Le comité a entendu maintes et maintes fois au cours des six ou sept dernières années que lorsque le dollar canadien atteignait un niveau aussi bas que 62 cents par rapport au dollar américain... L'idée reçue parmi les membres du comité a été que la faiblesse du dollar — lorsqu'il correspond à 75 cents ou moins — a toujours masqué la productivité relativement faible du Canada par rapport à celle des États-Unis. Lorsque le dollar s'est mis à grimper jusqu'à 80 cents et plus, nos problèmes de productivité et nos lacunes ont été mis au grand jour. Vous avez dit que le dollar canadien avait un effet négatif sur la productivité — je crois que c'est ce que vous avez dit. Il m'est difficile de comprendre cela. Je croyais que c'était le contraire, en ce sens qu'un dollar canadien plus rigoureux fait ressortir nos problèmes.
J'aimerais poser tout de suite ma deuxième question, puisqu'elle s'adresse à vous également, monsieur Stanford. J'ai été surpris d'entendre un économiste qui travaille dans le domaine syndical préconiser l'augmentation des investissements dans la machinerie et l'équipement des usines et dans l'innovation, puisque je croyais que le mouvement syndical ne préconisait pas, du moins, le recours accru à la technologie, parce qu'elle élimine des emplois. Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais ces deux questions m'intéressent. Pourriez-vous faire des commentaires, je vous prie?
M. Stanford : Certainement. Concernant le dollar, voilà un autre exemple où l'on se fie trop à la croyance voulant que si on vous plonge dans un contexte de libre concurrence où règne la loi de la jungle, vous serez forcé de devenir plus productif. C'était la même hypothèse qui a fait dire que le libre-échange amènerait une convergence de notre productivité. Les données présentées par M. Darby et M. Baldwin, et d'autres comme Daniel Trefler, montrent que dans certains secteurs, la productivité aurait pu être encore pire sans le libre-échange. L'hypothèse voulant que notre productivité convergera lorsque nous serons exposés à toute la force de la concurrence internationale était manifestement erronée.
C'est la même chose pour le dollar. Un dollar faible aurait agi essentiellement comme un tarif, en subventionnant l'inefficacité au Canada. C'est faux à plusieurs égards. D'abord, même s'il avantage les producteurs canadiens, chacun des producteurs canadiens cherche toujours à devenir plus productif pour augmenter ses marges de profit. Il y a encore cet incitatif, même si le coup de pied n'est pas aussi solide. Deuxièmement, cette hypothèse présume qu'il n'y a pas de concurrence à l'intérieur du secteur manufacturier canadien, ce qui est totalement faux dans la plupart des cas. On s'entretue. Que le dollar se situe à 70 ou à 80 cents, Magna, Woodbridge Group, Linamar et Budd, dans le secteur des pièces automobiles, essaient encore de s'entretuer et ils profitent tous du même dollar.
Le sénateur Angus : Ce sont des industries d'exportation.
M. Stanford : Oui, et dans le secteur manufacturier.
La force du dollar me préoccupe à deux niveaux. D'abord, l'effet négatif direct de la force du dollar sur les dépenses d'investissement est évident. Les dépenses d'investissement ont chuté de façon spectaculaire dans le secteur manufacturier depuis que le dollar a pris de la vigueur. Les investissements dans le secteur manufacturier canadien sont maintenant insuffisants pour même compenser la dépréciation. Cela signifie que le stock de capital net dans ce secteur est maintenant en régression. Même si les biens d'équipement sont moins chers, comme tout le monde le fait valoir, il n'y a pas d'incitatif pour les installer ici.
Deuxièmement, il y a la composition sectorielle que j'ai mentionnée. Je vous renvoie à la diapositive 28 de ma présentation, qui montre clairement une relation inverse entre la valeur du dollar et notre part de l'emploi manufacturier sur le continent. Prenez l'emploi manufacturier total en Amérique du Nord et mesurez notre part. J'accepte votre définition, monsieur le sénateur, de ce qu'est un dollar faible, c'est-à-dire à partir de 75 cents en baissant; je suis d'accord avec vous à ce sujet. Lorsque le dollar est faible, nous augmentons notre part de l'emploi manufacturier en Amérique du Nord. Lorsque le dollar dépasse les 75 cents, notre part régresse. L'industrie manufacturière comporte une productivité moyenne plus élevée que le reste de l'économie, certainement plus élevée que celle des industries de biens non échangeables. Dans le secteur de l'automobile, par exemple, la productivité moyenne est plus que le double de la moyenne. Si vous perdez ces emplois, vous verrez votre rendement moyen chuter. En raison de ces deux mécanismes, la force du dollar aura un effet négatif sur notre productivité.
Concernant votre deuxième question à propos des investissements dans les usines, il est possible que la technophobie persiste dans certains secteurs du mouvement syndical, mais dans la conjoncture économique mondiale actuelle, vous avez deux choix : devenir plus productif par des dépenses d'équipement et perdre quelques emplois en cours de route, ou fermer votre usine et perdre tous les emplois. Dans cette situation, il est clair que nous devons opter pour la nouvelle technologie et les dépenses en capital. C'est l'approche que nous avons prise avec les TCA et, dans l'ensemble, elle a fonctionné.
Le sénateur Angus : Je crois que les TCA sont très progressistes, monsieur le président. J'aimerais bien que leurs semblables aient la même perspective.
Le sénateur Harb : Monsieur Darby, à la page 15 de votre mémoire, dans votre conclusion, vous parlez de ce qui explique l'écart de productivité entre le Canada et les États-Unis. Vous dites que les décideurs doivent chercher d'autres causes, mis à part les obstacles au commerce. Vous pourriez peut-être expliquer ce que sont ces autres causes. Dites- nous quels autres éléments pourraient expliquer l'écart de productivité dans le secteur des services.
Monsieur Baldwin, le climat canadien fait en sorte qu'un grand nombre de secteurs — par exemple, le secteur de la construction durant l'hiver, ainsi que le secteur des pêches, entre autres — sont immobilisés pendant un certain temps. Par ailleurs, nous avons un marché de 30 millions de personnes réparties sur un vaste territoire, si bien qu'il est difficile pour les petites et les moyennes entreprises de faire affaire partout au pays, à comparer aux États-Unis où l'on trouve un marché de près de 300 millions de personnes.
Dans votre présentation, vous avez mentionné que la productivité semblait s'améliorer avec la croissance des usines. Peut-on attribuer cela au fait que ces établissements vendent leurs produits sur la scène internationale plutôt que sur la scène canadienne?
M. Darby : Concernant les autres facteurs, il importe de souligner que nous croyons toujours que ces obstacles à la concurrence sont importants pour ce groupe d'industries manufacturières. Toutefois, cela ne représente que 20 p. 100 de l'économie. Il y a deux éléments qui devraient être prioritaires. M. Stanford en a déjà mentionné un, c'est-à-dire l'investissement. Nous aimerions que des programmes et des politiques soient mis en place afin d'encourager l'investissement qui permettra de rehausser la productivité au Canada. Les données que nous avons montrent que, dans certains cas, nous pourrions faire mieux au chapitre des investissements, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. M. Baldwin a montré que le gros de nos gains de productivité a été enregistré dans les grandes entreprises, souvent dans les entreprises sous contrôle étranger. Vous seriez surpris de voir les écarts qui existent dans l'intensité de capital des petites et moyennes entreprises au Canada. De plus, cet investissement de capitaux remonte souvent à bien des années, par rapport à ce qu'on observe aux États-Unis. Il faut encourager l'investissement de capitaux, en particulier dans les petites et moyennes entreprises.
Le deuxième facteur, c'est l'éducation, ce qui fait peut-être un peu cliché. Nous sommes assez bien instruits au Canada, mais nous pouvons toujours faire mieux. Il faut continuer d'accorder de l'importance non seulement à la formation dans les écoles, mais aussi dans l'apprentissage continu et la formation sur le terrain. Voilà un domaine dans lequel le gouvernement pourrait investir.
Quant à savoir pourquoi le secteur des services est moins productif ici qu'aux États-Unis, ce qui semble être généralisé, je dirai deux choses. Premièrement, j'ignore la réponse, et je m'en excuse. Deuxièmement, nous avons de graves problèmes de mesure ici. M. Baldwin pourrait en parler plus longuement. Il est très difficile de mesurer le rendement dans le secteur des services, et je ne suis pas certain que nous puissions nous fier aux données sur la productivité dans ce secteur, comme c'est le cas dans le secteur manufacturier ou minier.
M. Baldwin : Un certain nombre de facteurs pourraient expliquer les écarts dont j'ai parlé. Soit dit en passant, le fait que l'écart n'est pas aussi grand que certaines personnes l'ont prétendu ne signifie pas que la productivité n'est pas importante. Une plus grande productivité profiterait à tout le monde. Toutefois, cet écart s'explique en partie par des effets d'échelle. Nos marchés sont plus petits, et plusieurs études montrent que deux ou trois points de pourcentage pourraient être attribuables à cette situation.
La croissance vient-elle du marché international? Un certain nombre d'études visaient à savoir dans quelle mesure les établissements ont augmenté leur productivité plus rapidement que d'autres à mesure qu'ils s'introduisaient sur les marchés d'exportation et prenaient de l'expansion au cours de la dernière décennie — et ce sont eux qui ont pris de l'expansion, pour répondre à votre question. Ce sont ces entreprises qui se sont démarquées. Non seulement elles ont fait grimper leur niveau de productivité en s'introduisant sur les marchés d'exportation — une augmentation soutenue —, mais elles ont aussi connu une croissance beaucoup plus rapide après avoir percé ces marchés. De plus, elles se sont dotées de nouvelles technologies plus rapidement après s'être introduites sur ces marchés, ce qui laisse supposer un effet d'apprentissage tandis que nous avons ouvert nos frontières durant cette période.
Reste la question que M. Standford a soulevée tout à l'heure, à savoir pourquoi, dans l'ensemble, les augmentations n'ont pas été aussi importantes au Canada qu'aux États-Unis. Nous allons nous pencher sur cette question. Je soupçonne que le secteur manufacturier américain n'est pas mesuré de la même façon que le nôtre au cours de cette période. Toutes nos microdonnées qui portent sur l'expérience canadienne montrent des améliorations spectaculaires dans les firmes et les établissements qui se sont introduits sur les marchés d'exportation et se sont engagés dans le commerce international. Soit dit en passant, c'étaient surtout des établissements sous contrôle étranger. Nous observons, au cours de cette période, un écart important entre les entreprises canadiennes et étrangères, non seulement au chapitre de la productivité, mais aussi en ce qui a trait aux investissements technologiques. Les établissements canadiens arrivaient derrière au début des années 90 et ont difficilement suivi le rythme des établissements étrangers tout au long des années 90, ce qui leur a nui durant cette période.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Baldwin, comme je ne suis pas économiste, je me suis perdu dans votre exposé. Je vais donc vous demander de m'aider à comprendre.
Lorsque nous avons parlé de productivité, nous en sommes arrivés tout à coup à parler d'heures de travail. J'imagine que nous pourrions parler de minutes. Au bout du compte, peu importe qu'une personne travaille 30, 40 ou 50 heures par semaine, c'est la richesse que cette personne produit qui rend l'économie productive. Autrement dit, si 10 personnes handicapées dans mon usine travaillent 50 heures par semaine et produisent davantage qu'une personne qui y travaille 40 heures, et si la richesse qu'une personne produit au cours d'une année est attribuable au volume de travail qu'elle fait, ces personnes ne sont-elles pas plus productives?
M. Darby : Nous avions tendance à mesurer la productivité sur une base horaire — le rendement produit durant une heure de travail. Il y a une différence entre la productivité et la richesse, ou le revenu. Vous pouvez devenir riche sans travailler très fort si vous êtes assis sur un puits de pétrole et que le pétrole se vend 100 $ le baril. Si vous avez une ressource naturelle et que ce que vous produisez est rare et se vend chèrement sur le marché international, vous pouvez devenir riche sans être très productif. Nous n'avons pas tous cette chance. Comme M. Baldwin l'a fait remarquer, dans l'économie canadienne, qui est très diversifiée, il existe un lien certain entre ce que vous produisez pendant une heure de travail et le revenu que vous avez.
On peut aussi décider de s'enrichir en travaillant plus et en ayant moins de loisirs. Cependant, cela ne nous rend pas plus productif; cela signifie seulement qu'on accorde plus de valeur au revenu qu'on tire de son emploi ou à l'emploi lui-même qu'à une belle petite baignade dans la piscine.
Il y a évidemment des avantages aux loisirs. J'apprécie beaucoup mes périodes de loisir. On peut avoir différentes attitudes quant à la façon dont on apprécie ses loisirs et à celle dont on apprécie les fruits de son travail et son revenu. Ce sont des choix qu'on fait et qui ont des incidences sur notre revenu ou notre richesse totale.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit des principes de base, de la productivité brute, on tend à parler en termes de résultat obtenu pour chaque heure de travail. Il y a une différence entre cela, d'une part, et le revenu et la richesse d'autre part.
M. Baldwin : Pour ajouter à ce que M. Darby a dit, la productivité est mesurée étroitement et elle se caractérise par tous les problèmes propres aux statistiques sommaires mesurées étroitement. Il y a beaucoup d'autres statistiques et de facteurs que j'examinerais pour évaluer le succès d'une économie. La quantité de richesse produite est l'un d'eux. Le temps accordé aux loisirs en est un autre. La santé et le bien-être des Canadiens, deux autres. La productivité peut ne pas changer du tout, mais le PIB par habitant peut empirer considérablement si les prix chutent.
Il y a eu des périodes où les prix des biens n'augmentaient pas comme ils augmentent en ce moment, et le PIB par habitant était beaucoup plus bas pendant cette période, même si la productivité était plus ou moins constante. Ce n'était pas de la faute des Canadiens, sauf que nous concentrions notre production sur des marchés très volatiles. Il y a beaucoup de choses à prendre en considération.
La mesure de la productivité très étroite que nous venons de décrire n'est qu'une des choses à prendre en compte. Cette définition est assez étroite et elle vise à évaluer l'efficacité avec laquelle nous produisons des résultats avec nos intrants, c'est tout.
Le président : Le vice-président fait un rappel au Règlement.
Le sénateur Angus : Êtes-vous tous d'accord sur la définition et sur la façon de mesurer la productivité?
M. Darby : Je pense que nous sommes tous d'accord. Nous voulons aussi faire preuve de prudence et souligner d'abord qu'il est difficile de mesurer la productivité avec exactitude et particulièrement de faire des comparaisons, comme M. Baldwin l'a souligné. Ensuite, corrigez-moi si je me trompe, mais nous aurions tendance à convenir qu'une mesure englobante de la productivité, que nous appelons souvent la productivité totale des facteurs, est le modèle théorique de mesure de la productivité le plus approprié parce qu'il vise à évaluer la productivité du capital ainsi que des autres intrants dans le processus de production. On peut avoir une main-d'oeuvre très productive, mais qui utilise très mal la machinerie et qui n'obtient pas un degré de productivité totale satisfaisant.
Bien souvent, même si ce n'est pas simple, il est beaucoup plus facile de mesurer la productivité du travail que la productivité du capital. M. Baldwin pourrait nous parler de cette question avec éloquence, j'en suis certain, mais il importe de reconnaître que la meilleure mesure possible serait une mesure plus générale de la productivité, qui tiendrait compte de tous les intrants.
M. Stanford : Je suis tout à fait d'accord qu'il faut nous concentrer sur la productivité par heure et non sur la production totale, faute de quoi nous allons entrer dans un monde très trompeur dans lequel on aurait l'impression de devenir plus riche simplement parce qu'on travaille plus longtemps. C'est tout à fait erroné.
Le sénateur Tkachuk : Même si l'on s'enrichit.
M. Stanford : On peut s'enrichir selon un indicateur donné, mais notre vie ne s'est pas nécessairement améliorée, c'est une toute autre question. On peut établir des comparaisons entre les Américains et les Européens à ce chapitre. Les Américains travaillent plus d'heures que les habitants de tout autre pays industrialisé, y compris le Japon. Par conséquent, ils ont le PIB par habitant le plus élevé, et tout le monde tient pour acquis qu'ils sont les champions de la productivité. Pour ce qui est du PIB par heure, les Européens font aussi bonne figure que les Américains. Ils ont simplement décidé socialement de prendre une plus grande part des dividendes en temps libre. Les Européens ont six ou sept semaines de vacances par année; aux États-Unis, il n'y a toujours pas de nombre minimal de semaines de vacances dans la loi. C'est un choix important qu'on oublie si l'on met l'accent sur la production totale plutôt que sur la production totale par heure.
La mesure de la productivité du travail est plus logique que les autres mesures de la productivité. Elle est plus concrète; elle est difficile à mesurer, mais c'est possible de le faire. La productivité totale des facteurs est très amorphe, il est pratiquement impossible de la mesurer.
De plus, nous sommes tous des êtres humains. Nous essayons de mesurer notre amélioration en tant qu'êtres humains, sans la diviser par la somme de capital. Nous ne sommes pas encore des machines. C'est vraiment la productivité du travail qui influence notre bien-être.
M. Baldwin : Le monde a évolué depuis 20 ans, pourtant, on met encore surtout l'accent sur la productivité du travail. La même question revient constamment : pouvons-nous améliorer la mesure pour tenir compte des autre ressources qui entrent dans le processus? La plupart des organismes de statistiques du monde vont au-delà des mesures de la productivité du travail et essaient de tenir compte de la quantité de capital utilisé dans le système, de la qualité (du niveau d'éducation de l'effectif, si l'on veut) et d'autres changements qui s'opèrent dans le système de production. Ils le font parce que les utilisateurs veulent ces renseignements. Les organismes de statistiques réagissent à leur demande.
Est-ce que je trouve dans mes discussions avec les utilisateurs de ces données qu'ils ont de la facilité à les comprendre et par conséquent, à les utiliser? Non, ce sont surtout les spécialistes qui les utilisent. Ils demandent des mesures plus complexes de la productivité, mais la plupart des gens mettent toujours l'accent sur la productivité du travail.
Le sénateur Tkachuk : Les témoins ont mentionné que notre productivité n'avait pas augmenté beaucoup en raison du libre-échange. C'est possible; je ne le sais pas. Cependant, en 1988, notre dollar atteignait des sommets à 84 cents, puis il a chuté radicalement jusqu'à 65 cents dans les années 1990. Je me serais attendu à ce que cela signe l'arrêt de mort des mesures pour déterminer si les Canadiens étaient plus productifs lorsque le dollar valait 84 cents. Lorsque le dollar a descendu jusqu'à 65 cents, les exportations sont très vite devenues beaucoup plus abordables. Quel incitatif pourrait-il y avoir pour amener l'industrie canadienne à devenir plus productive?
Il est difficile pour nous de défendre l'argument que la faiblesse du dollar est une bonne chose pour nous. Nous pourrions utiliser la valeur du dollar et l'affaiblir sans cesse — pour augmenter notre taux d'emploi et tout le reste —, quitte à descendre aussi bas que 50, 40 ou même 30 cents, et nous aurions vraiment une bonne économie. Cela ne peut- il pas expliquer pourquoi nous ne sommes pas devenus très productifs?
Le président : Vous avez tous répondu en partie à cette question, donc je vous prierais d'être bref.
M. Darby : Je serais porté à croire que la faiblesse du dollar a eu un effet négatif sur notre productivité, du moins dans le groupe des principales industries de fabrication que nous avons examinées. Notre productivité serait supérieure si le dollar valait plus cher.
Encore une fois, il faut penser aux incidences sociales de cette productivité accrue aussi. M. Baldwin a dit que bon nombre de nos gains de productivité venaient de la fermeture des entreprises les moins efficaces, mais il faut tenir compte des incidences sociales.
Je suis d'avis que dans une certaine mesure, mais en général, la faiblesse du dollar masquait des problèmes de productivité dans le secteur manufacturier du Canada.
M. Baldwin : Diverses études universitaires (je n'y ai pas participé) ont été menées dans le monde pour distinguer les diverses influences qui se sont exercées sur l'économie canadienne pendant cette période. Le taux de change a changé. Au début des années 1990, il y a eu une récession très importante. Vous pouvez voir par les tableaux que j'ai produits que la plupart des gains acquis en matière de croissance du PIB canadien par rapport au PIB des Américains sont disparus à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Nous avions pris beaucoup d'avance. En réalité, ce grand écart leur a permis de prendre les devants et de nous dépasser. Il y a eu une très grave récession qui a duré longtemps.
Enfin, il y a eu des changements radicaux dans la technologie à ce moment-là. Il y a eu l'avènement de changements massifs dans les technologies de l'information et de la communication, et les entreprises ont dû s'y adapter tous en même temps. Ensuite, les taux tarifaires ont changé suite à la libération et à l'intensification du libre-échange.
Les universitaires ont essayé d'évaluer les incidences de chacun de ces facteurs. Je pense entre autres au professeur Trefler de Toronto, dont M. Darby vient de parler, qui a dit : « Après avoir essayé tout cela, je dirais que oui, le libre- échange a un certain effet. » C'est une tâche difficile à accomplir.
M. Stanford : L'industrie automobile en est un exemple concret. Lorsque la valeur du dollar a chuté, de la moitié à la fin des années 1990, un immense flux de nouveaux investissements est arrivé dans les usines automobiles canadiennes; en moyenne, environ 5 milliards de dollars par année étaient dépensés en nouvelles technologies dans les usines d'assemblage canadiennes. C'est exactement à ce moment que notre productivité s'est élevée considérablement au- dessus de celle des Américains. Dans cette industrie très importante — et il y en a d'autres semblables — un dollar faible est tout à fait compatible avec une augmentation de la productivité. Nous nous inquiétons de perdre cet avantage maintenant.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Je vais vous parler en français parce que même si vos tableaux sont en anglais, le sujet est tellement complexe que c'est difficile pour moi.
Monsieur Darby, quand je regarde la plupart des tableaux qui mettent l'Ontario ou l'Alberta comme étant plus productifs ou plus performants concernant les différents secteurs, si je regarde le secteur de la foresterie, les produits du bois et les meubles, je mets cela ensemble, versus le pétrole et les produits du charbon, les produits chimiques et les véhicules automobiles, je fais une hypothèse que nous avons une économie diversifiée, donc, nous avons des provinces qui ont pratiquement des vocations différentes.
Le Québec et la Colombie-Britannique semblent avoir des paramètres assez semblables avec la forêt comme étant une base industrielle assez importante, et pour l'Alberta ce sont les mines. L'Alberta est la seule à avoir une production pétrolière extrêmement importante.
Est-ce qu'il y a un lien direct entre les secteurs dans lesquels les provinces sont impliquées qui sont parfois liées directement à la géographie du secteur? La performance du Québec semble être moindre que celle de l'Alberta et de l'Ontario et semblable à celle de la Colombie-Britannique. Est-ce que c'est à cause des secteurs d'activités dans lesquels oeuvrent nos provinces respectives? On ne se mettra pas à être un producteur de pétrole sous peu. Je n'ai pas entendu parler que nous avions des puits de pétrole au Québec.
Est-ce qu'il y a un lien direct entre la structure des secteurs de chaque province et la productivité? Monsieur Baldwin, peut-être que c'est une statistique?
M. Baldwin : Oui, peut-être 80 p. 100 de la différence est attribuable au secteur géographique.
Le sénateur Massicotte : La géographie ou le secteur?
M. Baldwin : Le secteur qui diffère.
Le Sénateur Hervieux-Payette : À cause de la géographie. Je voyais la même chose dans les tableaux de M. Stanford. Évidemment, j'ajouterais aussi la finance parce que c'est un secteur qui est en grande partie en Ontario, à Toronto. Nous voyons que les marches bénéficiaires sont beaucoup plus larges en Ontario et en Alberta. Ensuite, nous regardons le reste du Canada. C'est donc l'hypothèse que je faisais parce qu'il y a des choses que nous ne pouvons pas changer. Et pour les choses que nous pouvons changer, nous étudions la productivité, mais il sera difficile de changer tous les secteurs d'économie de chaque province. Géographiquement, il y a des choses que nous ne pouvons pas changer. Je trouvais intéressant de voir qu'une partie de la productivité vient des investissements étrangers. Est-ce que les investissements étrangers, selon vous, sont attribuables en partie à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis? La main-d'œuvre est peut-être moins dispendieuse et nous avons un système de santé qui est excellent. Est-ce que nous pouvons déterminer les facteurs qui ont amené cette augmentation d'investissements étrangers? Il y a quand même encore des barrières à l'investissement étranger dont certaines taxes qui existent sur les investissements étrangers. Est-ce qu'on améliorerait l'investissement étranger si les entreprises étrangères avaient, en plus d'avoir accès au marché américain, un système de taxation identique aux entreprises canadiennes?
M. Baldwin : Nous n'avons pas fait d'étude dans ce domaine.
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Darby?
[Traduction]
M. Darby : Il est difficile d'évaluer ce qui détermine l'investissement étranger direct. Nous avons nous-mêmes fait des analyses, à l'échelle nationale et à l'étranger, sur les facteurs qui semblent expliquer l'afflux d'investissements étrangers directs au Canada. M. Stanford fait valoir à juste titre que lorsque la valeur du dollar est plus faible, nos coûts de travail sont moindres en dollars américains.
De plus, nos frais de soins de santé sont un élément important lorsqu'on compare les coûts du Canada avec ceux des États-Unis. Les Américains considèrent que le coût global du travail, y compris les avantages, est souvent inférieur au Canada qu'aux États-Unis, particulièrement lorsque le dollar attire les investissements.
L'investissement étranger dépend aussi de choses comme la stabilité politique, et ce type de facteur est important. Il revient dans nos sondages sur l'investissement au Canada.
Franchement, il importe aussi de tenir compte des débouchés que les entrepreneurs voient en matière de rentabilité future dans divers secteurs. L'investissement dans le secteur pétrolier et gazier du Canada commence à s'intensifier pour la simple raison que les investisseurs voient d'un œil réaliste que le marché a un très bon rendement, compte tenu du prix du pétrole à l'échelle mondiale. Ce pourrait être l'élément le plus déterminant de l'IED au Canada.
Il y a divers facteurs. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, nous nous sommes rendu compte que notre part d'IED à l'intérieur du pays avait diminué énormément depuis quelques décennies, ce qui nous a portés à nous demander si le Canada était toujours perçu comme une destination attirante. Il se pourrait que la valeur élevée du dollar ait changé la perception des investisseurs étrangers. Nous voyons une reprise de l'investissement depuis un an, notamment en raison des investissements dans les champs de pétrole. Cela découle du potentiel de rentabilité future attribuable aux prix élevé de l'énergie dans le monde. Il y a beaucoup de facteurs qui influencent l'IED, et le dollar est certainement l'un d'entre eux.
Le président : Monsieur Stanford, voulez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Stanford : Je suis un fort partisan des mesures pour attirer les investissements étrangers. Cela doit faire partie de notre stratégie globale d'investissement, bien qu'il nous faille des outils pour veiller à ce que les nouveaux investissements respectent les priorités, les avantages sociaux et les autres valeurs canadiennes. Le libre-échange a eu des effets décevants sur l'investissement étranger direct. Au moment où l'accord a été conclu, à la fin des années 1980, on disait que le fait d'exporter des biens aux États-Unis attirerait tout un afflux de nouveaux investissements. L'effet a été tout le contraire. La diapositive 18 de ma présentation montre le changement d'équilibre entre l'investissement étranger au Canada et l'investissement des sociétés canadiennes à l'étranger. Le Canada a perdu des investissements directs d'environ 80 milliards de dollars depuis qu'il a adopté le libre-échange. La diapositive 20 de ma présentation confirme l'hypothèse de M. Darby qu'une grande partie des investissements effectués au pays sont concentrés dans l'industrie de l'énergie et des mines.
Les soins de santé sont aussi très importants. Dans l'industrie automobile, nous avons essayé de quantifier la valeur des soins de santé par rapport aux coûts internationaux des entreprises. Nous pensons que notre système de santé vaut environ quatre dollars américains par heure travaillée dans une usine d'assemblage canadienne. Cela explique pourquoi nos coûts de soins de santé par véhicule ajoutent environ 150 $ au prix d'un véhicule ici comparativement à 1 500 $ par véhicule aux États-Unis. C'est un facteur qui pèse très lourd pour attirer des investissements au Canada.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Nous sommes rendu au point où nous subventionnons les Américains parce que ce sont eux qui achètent les mêmes voitures, mais cela est un commentaire. Vous suggérez d'augmenter le réinvestissement des profits et vous n'avez pas beaucoup parlé de taxation, est-ce que l'élimination complète de la taxe sur le gain en capital pourrait favoriser le réinvestissement des profits?
[Traduction]
M. Darby : Absolument.
M. Stanford : Les taxes ont des incidences, mais j'opterais pour une autre stratégie. Je doute que les grandes réductions fiscales aient des incidences ou que les gains en capitaux aient des incidences. Tout se passe sur le marché des valeurs mobilières et non dans le vrai monde où nous investissons.
Voici ce que je ferais. J'augmenterais encore le taux de base des entreprises et j'accorderais un amortissement cumulé de 100 p. 100 aux entreprises — je vois grand. Autrement dit, les entreprises pourraient radier le coût total des investissements en capitaux immobilisés effectués au cours d'une année. C'est un immense incitatif fiscal, mais il faudrait faire quelque chose pour l'obtenir. Si l'on opte pour une grande réduction de taxe générale, elles n'auront rien à faire pour l'obtenir.
Le président : Vous êtes plus généreux que le CCI, qui demande un amortissement de 50 p. 100. Vous êtes beaucoup plus conservateur dans vos politiques fiscales que le CCI lui-même.
M. Stanford : Il faut voir grand.
[Français]
Le sénateur Massicotte : À la page 6, on voit que le PIB du Canada se compare facilement à celui des États-Unis. Si on faisait la même analyse par personne, est-ce que ce serait similaire?
M. Baldwin : Je ne sais pas.
Le sénateur Massicotte : Encore à la page 6, si on prend le nombre d'heures travaillées, cela se compare encore une fois très bien au nombre d'heures travaillées aux États-Unis.
Cependant, si je vais à la page 9, le titre dit qu'effectivement, le deux tiers de notre différence de PIB est relatif au nombre d'heures travaillées par la population. C'est bien cela?
M. Baldwin : À la page 6, c'est le taux de croissance.
Le sénateur Massicotte : Oui, mais à la page 9, lorsqu'on parle de la différence dans le PIB, les deux tiers, c'est le nombre d'heures que la population travaille en totalité. C'est bien cela?
M. Baldwin : Oui.
Le sénateur Massicotte : Mais lorsque je regarde les heures par personne, à la page 9, cela suggère que l'on travaille moins d'heures que les Américains. D'après ce que je comprends, à la page 9, c'estpar personne, alors qu'à la page 6, c'est la population en général.
M. Baldwin : La différence est qu'à la page 6, nous parlons du taux de croissance de toutes les heures travaillées dans l'économie canadienne. À la page 9, on parle du niveau du Canada comparé à celui des États-Unis.
[Traduction]
Nous pourrions commencer et faire aussi bien avec le temps que les Américains à la page 6, mais commencer à un niveau assez différent.
Le sénateur Massicotte : Votre point de départ est faux. Il n'est pas faux, mais c'est là où il y a une différence.
M. Baldwin : Cela illustre que nous avons toujours été derrière eux. Nous avons toujours travaillé moins d'heures que les Américains, et la proportion de notre population active a toujours été inférieure à la leur.
Le sénateur Massicotte : La tendance est semblable, mais le point de départ est différent.
M. Baldwin : Le point de départ et le point d'arrivée.
Le sénateur Massicotte : Je vais revenir rapidement à M. Darby. J'essaie de comprendre vos tableaux des pages 6 et 9. Comment dois-je les interpréter? Autrement dit, je présume qu'il y a des industries plus productives que d'autres. Comment dois-je interpréter ces pages?
M. Darby : À la page 6, nous essayons de montrer... Ces données se fondent sur le travail effectué à Industrie Canada, donc nous ne pouvons pas en prendre le crédit. Industrie Canada a publié des données sur la productivité du travail par secteur au Canada comparativement aux États-Unis.
Le sénateur Massicotte : Comment dois-je interpréter tout cela?
M. Darby : Prenons une industrie comme celle du textile et du vêtement. Les données qu'on voit ici montrent qu'en 1999, à un taux de change de 67,4 p. 100, ce qui correspond à peu près au taux moyen de cette année-là, l'industrie canadienne du textile et du vêtement avait une productivité équivalente environ aux deux tiers de celle des États-Unis.
Le sénateur Massicotte : La colonne sur la productivité du travail est importante à votre avis, n'est-ce pas?
M. Darby : La colonne sur la productivité du travail est celle sur laquelle nous mettons l'accent. Je préfère la productivité multifactorielle, mais il y a clairement des problèmes de mesure en ce sens.
Si le chiffre est supérieur à 1, nous concluons que la productivité au Canada est inférieure à celle des États-Unis.
Le président : Monsieur Baldwin, êtes-vous d'accord?
M. Baldwin : Je ne connais pas bien ce tableau.
Le président : Si vous avez autre chose à nous dire après la séance, n'hésitez pas à communiquer avec nous.
M. Baldwin : Certainement.
Le sénateur Massicotte : Je pense qu'il faut faire preuve de prudence. Dans le rapport du Conference Board du Canada, vous laissez entendre autre chose. Autrement dit, vous indiquez que l'industrie forestière est plus productive que l'industrie américaine. J'interpréterais la chose différemment.
M. Darby : En ce qui concerne l'ensemble du secteur tertiaire, nous avons laissé entendre que notre productivité est moins élevée que celle des États-Unis. Il s'agit du ratio de la productivité canadienne à la productivité américaine.
Quant à l'industrie automobile, dont a parlé M. Stanford, le ratio de la productivité en fonction du taux de change selon la PPA est certes plus élevé que 1, ce qui vient appuyer l'idée que nous sommes davantage productifs que les Américains.
Le sénateur Massicotte : Si le ratio est plus élevé que 1, c'est donc dire que c'est bon.
En terminant, vous avez déclaré que tout obstacle au commerce est négatif. Pouvez-vous nous mentionner deux ou trois obstacles au commerce?
M. Darby : Le plus grand obstacle au commerce est le taux de change. Un autre serait les taux tarifaires, qui ont pratiquement tous disparus, particulièrement dans le cas des échanges commerciaux avec les États-Unis. Par conséquent, les obstacles les plus importants sont maintenant les barrières non tarifaires. Les règles d'approvisionnement constituent un véritable problème. Je dirais que ces règles constituent en fait maintenant la plus importante barrière non tarifaire. En conséquence, les organismes gouvernementaux, par exemple, choisissent de s'approvisionner auprès de producteurs qui exploitent des usines sur le territoire canadien; le programme Buy America chez nos voisins du Sud est un bon exemple de cette situation.
Le sénateur Massicotte : Pourriez-vous nous remettre une liste des obstacles au commerce, car vous en venez à la conclusion que tout obstacle au commerce est négatif. En ce qui concerne le taux de change, proposez-vous que nous modifiions la politique monétaire?
M. Darby : Non, pas du tout. Ce n'est qu'un facteur général, et nous en avons parlé longuement ce matin.
Le sénateur Massicotte : M. Stanford a fait observer que, lorsque le taux de change était bas, notre dollar canadien était faible. De toute évidence, les exportateurs étaient avantagés. En fait, contrairement à la théorie qui prévalait il y a quatre ou cinq ans, nous avons bénéficié d'investissements considérables. Êtes-vous d'accord avec cette observation?
M. Darby : Je suis d'accord. Il s'agit d'une question très importante dont on ne tient pas nécessairement compte. Je félicite M. Stanford de l'avoir soulevée. Nous devrions examiner l'importance de ces investissements pour la productivité comparativement à l'importance que nous devrions accorder au fait que les entreprises moins productives pourraient survivre dans un contexte de faible taux de change; cela a rapport avec la recherche de M. Baldwin au sujet de l'incidence de l'accord de libre-échange sur la disparition des entreprises moins productives. Deux ou trois points de vue vont s'affronter au cours de cette discussion.
Le président : Nous avons des preuves provenant de la Banque du Canada; le sénateur Massicotte a siégé à son conseil d'administration. Nous allons essayer d'étudier l'information qui existe au sujet des répercussions d'un dollar faible ou fort sur la productivité.
Le sénateur Massicotte : Nous présumons que cela favorise les exportations, mais il faut penser que nous importons pratiquement autant que nous exportons. Qu'en est-il des importateurs? Ont-ils été plus productifs?
M. Darby : Je ne le sais pas, mais il est certain que cela contribue à réduire les coûts des facteurs de production.
Le sénateur Massicotte : Certains gens d'affaires ont affirmé il y a quelque temps que le dollar est trop faible et que c'est pour cette raison que nous ne sommes pas productifs et que nous n'investissons pas suffisamment, mais nous ne sommes pas de cet avis. Si cette théorie est exacte, cela signifie que les importateurs devraient faire exactement le contraire de ce que font les exportateurs.
Le président : Le sénateur Massicotte a visé juste. Il existe beaucoup d'idées reçues au sujet de l'appréciation et de la dépréciation du dollar. Les données ne sont pas concluantes. Nous essayons de comprendre du mieux que nous pouvons. Nous aimerions obtenir votre point de vue à vous aussi, monsieur Baldwin.
M. Baldwin : Vous devriez probablement attendre la comparution des représentants de la Banque du Canada. Nous avons mené une étude conjointement avec eux.
Le président : Nous avons discuté de cela avec la Banque.
M. Baldwin : Nous avons mené une étude conjointe, et nous avons constaté que l'incidence est très minime.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Stanford, vous avez dit, et d'autres y ont aussi fait allusion, que l'investissement dans l'industrie automobile était plus important lorsque le dollar était faible, c'est-à-dire lorsqu'il s'établissait à 65 cents, mais qu'en était-il de l'agriculteur en Saskatchewan qui devait payer davantage pour sa moissonneuse-batteuse et ses produits chimiques importés et de la personne qui devait débourser davantage pour acheter un téléviseur? N'y a- t-il pas eu un transfert de la richesse, afin de compenser le fait qu'on pouvait acheter à bon marché des voitures fabriquées au Canada?
Le président : Faites le lien avec la productivité au sein du secteur agricole.
M. Stanford : Les agriculteurs payaient beaucoup plus.
Le président : Il y a aussi un lien avec la productivité dans le secteur agricole.
M. Stanford : Je présume que l'agriculteur en Saskatchewan vendait une bonne partie, sinon la totalité, de sa production sur le marché mondial. La dépréciation du dollar canadien se traduit par une augmentation de son revenu, ce qui, s'il ajoute de la valeur à son entreprise, fera plus que compenser le coût de la moissonneuse-batteuse. S'il s'agit d'une exploitation agricole à valeur ajoutée — c'est-à-dire, si elle produit davantage que le coût de l'ensemble des facteurs de production — sa production aura davantage de valeur en dollars canadiens. Le prix que l'agriculteur aura payé pour sa moissonneuse-batteuse sera plus élevé en dollars canadiens, mais puisqu'il produit davantage que ce qu'il débourse — étant donné qu'il exploite une ferme, il doit demeurer en affaires — il devrait être gagnant. Tout producteur canadien qui vend sur le marché mondial sera gagnant quand le dollar est faible en raison de la valeur ajoutée dans l'économie canadienne.
M. Baldwin : Il existe une autre complication que nous ne devrions pas oublier lorsque nous parlons de l'économie canadienne. La majeure partie de la discussion que nous tenons ce matin porte sur la mesure dans laquelle les variations du taux de change modifient le prix relatif des biens d'équipement, car nous parlons des biens d'équipement importés. Il ne fait aucun doute que cela est important dans l'industrie automobile, où une grande partie des machines et de l'équipement provient de l'étranger. Moins de la moitié de notre stock de capital est constitué de machines et d'équipement.
D'énormes sommes sont investies dans ce qu'on appelle le génie du bâtiment. Les agriculteurs consacrent des sommes considérables à l'amélioration de leur exploitation agricole. En raison de notre économie, nous investissons massivement dans les chemins de fer, l'électricité et les communications. Ces investissements représentent un pourcentage qui est beaucoup plus élevé dans notre économie que dans la plupart des autres économies du monde. La majeure partie provient de sources nationales. Par conséquent, une grande part de notre discussion ne concerne pas cette partie de notre économie, qui est pourtant très importante et qui ne devrait pas être oubliée.
Le président : Monsieur Baldwin, si vous avez des statistiques à ce sujet, veuillez nous les faire parvenir. Elles nous seraient utiles.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Darby, est-ce un fait connu que la productivité en est venue à ne plus dépendre de l'investissement au cours des quatre ou cinq dernières années, alors qu'elle en dépendait depuis vingt ans. Quelles sont vos pensées à ce sujet? Pourquoi est-ce ainsi?
M. Darby : Je ne crois pas avoir la réponse absolue et je n'ai pas non plus effectué la recherche en profondeur nécessaire pour répondre à cette question. Dans la première moitié des années 1990, bon nombre des mauvais résultats que nous avons enregistrés, surtout au chapitre de la productivité du travail, étaient attribuables en grande partie au fait que l'économie canadienne ne se portait pas très bien à cette époque. Lors des deux premières années de cette décennie, nous avons connu une récession très grave, et, par la suite, nous avons vécu une période de reprise économique marquée par un taux de chômage élevé.
Le président : Nous savons cela. Avez-vous des éléments nouveaux à apporter?
M. Darby : Non. C'est la meilleure réponse que je puisse donner à votre question.
[Français]
Le sénateur Plamondon : À la lumière des témoignages que nous avons entendus, j'ai l'impression que le Canada devient un pays de sous-traitance pour les multinationales.
Vous avez parlé d'investissements étrangers. Prenons l'exemple d'une personne qui désire investir au Canada pour une partie de son produit. Si la productivité de son entreprise au Canada n'est pas suffisamment élevée, cette personne optera pour un pays dans lequel les critères de productivité sont différents de ceux que vous nous avez mentionnés — je pense à la Chine et à l'Inde, par exemple.
Mettons de côté les États-Unis. Nous avons pu examiner plusieurs tableaux illustrant leur situation. Dans l'industrie du textile, par exemple, les États-Unis ne mettront pas en péril nos emplois. Toutefois, quelle que soit la productivité des travailleurs canadiens dans le secteur du textile, nous perdront des emplois aux mains d'autres pays.
Ne sommes-nous pas en train de devenir un pays de sous-traitance en ce qui a trait à l'investissement étranger? Ne perdons-nous pas nos acquis?
Monsieur Darby, vous avez parlé de barrières. Le fait que vous qualifiiez de barrières la réglementation, les normes de sécurité et la syndicalisation m'inquiète.
À une certaine époque, j'ai siégé sur un comité qui se penchait sur l'Accord de libre-échange. Lors de son étude, le comité espérait que cet accord entre le Canada et les États-Unis offrirait aux consommateurs le meilleur des deux mondes et de meilleures normes pour les produits américains et canadiens. Si un étiquetage s'avérait adéquat aux États-Unis, il pourrait être utilisé également au Canada. Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est produit. Nous avons obtenu le dénominateur commun le plus bas.
J'ai l'impression que nous devenons, au Canada, le dénominateur commun le plus bas quand vient le temps d'investir. On est en train de nous retirer socialement. Lorsqu'on dit que les soins de santé et les normes de sécurité deviennent un handicap à l'investissement étranger, je me demande jusqu'où il faut aller avec ces normes de productivité qui se comparent difficilement avec celles qui existent en Inde et en Chine.
[Traduction]
M. Darby : C'est une excellente question. Vous faites ressortir le fait qu'une société ne doit pas viser simplement un taux de productivité ou un PIB par habitant élevé. Un pays peut avoir un PIB par habitant très élevé, mais sa population vit peut-être dans un milieu très pollué. La réglementation peut être utilisée comme obstacle ou être considérée comme un obstacle à la concurrence, mais elle existe pour d'autres raisons. Dans de nombreux cas, des règles existent pour protéger les consommateurs ou les travailleurs ou bien pour atteindre des objectifs sociaux souhaitables.
J'ai saisi votre point. Cependant, il faut veiller à maintenir le fardeau réglementaire le moins lourd possible, conformément à nos objectifs sociaux. Il faut faire en sorte que le régime de réglementation soit efficace. Les règles doivent protéger les consommateurs ou la société ou bien favoriser un meilleur fonctionnement de la société; elles ne doivent pas simplement servir à faire en sorte que nos concurrents ne bénéficient pas des mêmes règles du jeu.
M. Stanford : Sénateur, quant au défi que susciteront les pays à marché émergent — vous avez mentionné la Chine et l'Inde, mais il y a en d'autres également — je dois dire qu'il s'agit d'un défi auquel fait face actuellement l'industrie du textile. Bientôt, l'industrie automobile, l'industrie aérospatiale et les autres secteurs de la haute technologie y seront également confrontés. En fait, l'industrie automobile y fait déjà face. Par exemple, même si le Canada enregistre un excédent commercial dans le secteur des produits automobiles, il connaît un déficit commercial de 7 milliards de dollars dans le domaine automobile avec des pays à marché émergent comme le Mexique, la Chine, la Corée et d'autres. Et ce déficit s'accentuera.
Le président : Pouvez-vous nous fournir des chiffres qui proviendraient d'une autre source?
M. Stanford : Oui, je serais ravi de faire parvenir cette information à votre personnel.
Il faut souligner que les deux tiers de ce déficit sont attribuables aux importations de véhicules finis, et non pas aux importations de pièces. L'autre jour, j'ai lu dans le journal un article dans lequel un représentant de Watson Wyatt donnait des conseils sur la façon d'accroître la productivité, notamment en impartissant le plus grand nombre d'emplois possibles à la Chine et à l'Inde et en conservant les emplois à valeur ajoutée ici. Lorsqu'on importe un véhicule ou un aéronef fini — nous en importerons bientôt de la Chine — il est impossible de conserver des emplois à valeur ajoutée, mis à part peut-être les emplois au sein des concessionnaires.
Le président : Nous avons aussi entendu M. Stronach déclarer que l'Amérique du Nord et l'Europe produisaient moins d'automobiles.
M. Stanford : Cela explique en partie la faiblesse des investissements des entreprises canadiennes, à laquelle j'ai fait allusion, malgré les profits record et les baisses d'impôts. Bon nombre d'entreprises qui réussissent bien au Canada constatent qu'elles feront davantage d'argent dans l'avenir si elles impartissent des emplois aux pays dont nous avons parlé. C'est un enjeu énorme. C'est pourquoi il faut revoir notre vision traditionnelle de la libéralisation des échanges. Les déplacements qui résulteront de l'intégration accrue avec la Chine, en particulier, seront trop nombreux pour que nous puissions en assumer les conséquences. Nous devrons sortir du moule traditionnel, peut-être par l'entremise des stratégies propres à chaque secteur dont j'ai parlé dans mon exposé.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Étant donné que l'investissement et les décisions viennent de l'étranger, est-ce que le Canada ne pourrait pas en faire une condition que la machinerie devrait être améliorée? Pour les travailleurs, c'est un signe que l'usine va fermer quand la machinerie commence à se détériorer et qu'on ne voit pas d'investissements majeurs — en tout cas dans ma région. Les travailleurs ne peuvent pas être productifs s'ils travaillent avec une machine désuète. On devrait également avoir un système d'éducation permanente pour la main-d'oeuvre sur place afin de garder les travailleurs toujours au courant des derniers développements, au cas où d'autres voudraient investir si l'industrie ferme.
[Traduction]
M. Durby : Le dernier point est très important. Un grand nombre des recherches que nous avons menées ont révélé que le Canada fait très mauvaise figure au chapitre de l'apprentissage continu et de la formation en cours d'emploi par rapport à d'autres pays industrialisés. Nous enregistrons de mauvais résultats sur le plan de la formation continue des travailleurs. C'est un domaine dans lequel nous devons vraiment nous améliorer.
M. Baldwin : J'ai parlé plus tôt de l'importance de l'intensité du capital en ce qui a trait à la croissance de la productivité du travail. Des documents ont été rédigés et des travaux ont été menés sur les changements relatifs à la composition de la main-d'œuvre — les Américains parlent de la qualité de la main-d'œuvre — et sur la mesure dans laquelle ces changements ont contribué à faire augmenter la productivité au fil du temps. À cet égard, le Canada et les États-Unis se ressemblent. Nous avons tous les deux amélioré la capacité de notre main-d'œuvre de travailler avec des machines; elle est aujourd'hui mieux qualifiée. Cela a contribué de façon importante à hausser la productivité au fil du temps. Pour que la productivité ne cesse pas de progresser, nous devons continuer à investir dans l'éducation, dans la formation et dans d'autres domaines qui ont permis cette hausse de la productivité.
M. Stanford : En général, je reconnais entièrement la valeur que revêtent les compétences et l'éducation pour la société. Ce n'est toutefois pas l'ingrédient essentiel qui manque. Qu'il s'agisse d'une industrie qui se porte bien, comme l'industrie automobile, ou d'une industrie en crise, comme celle du textile, la compétence de la main-d'oeuvre n'est pas un élément crucial. Les Canadiens sont bien formés en général, bien instruits et compétents. Ce qui fait défaut dans l'industrie du textile, c'est la désuétude du stock de capital et le manque d'investissements dans les machines et dans l'équipement. Cela fait en sorte que les usines canadiennes ne sont pas en mesure d'être concurrentielles sur le marché mondial. C'est le principal problème.
Le sénateur Moore : Ma question porte sur les propos du sénateur Plamondon. Nous avons entendu M. Stanford parler de l'importance des investissements des entreprises dans les usines et dans l'équipement. En parcourant la presse nationale ce matin, j'ai lu que le taux d'analphabétisme s'élevait à 42 p. 100 au Canada. Quelle est la conséquence de cette situation sur la productivité au sein de notre économie? Vous venez de dire que la compétence de la main-d'oeuvre n'est pas un facteur. C'est peut-être vrai dans le cas des travailleurs qui occupent déjà un emploi dans le secteur industriel, mais qu'en est-il des personnes qui se cherchent un emploi dans ce secteur? L'éducation est très importante à mes yeux, et il en va de même pour les autres personnes ici présentes. J'aimerais entendre d'autres commentaires de votre part, messieurs, au sujet du rôle que joue l'éducation au sein de l'économie sur le plan de l'alphabétisme, de la capacité de travailler avec les chiffres, de l'apprentissage et de l'acquisition des connaissances.
Vous en avez parlé un peu plus tôt, monsieur Darby.
Monsieur Baldwin, avez-vous d'autre chose à dire à ce sujet? Je ne vois pas comment vous pouvez déclarer que la compétence n'est pas importante. Je crois qu'elle est très importante.
Le président : Ces chiffres proviennent de Statistique Canada. Ils ont été publiés aujourd'hui. Peut-être pourriez- vous comparer le taux d'analphabétisme au travail dans notre pays, auquel fait référence le sénateur Moore, à ce même taux aux États-Unis pour voir s'ils sont similaires.
En passant, le sénateur Moore l'a très bien dit : nous avons remarqué que tous les témoins ont accordé très peu d'importance à l'éducation et au rôle qu'elle joue sur le plan de la productivité. Vous avez fait de même aujourd'hui. Sachez que ce sujet nous intéresse.
M. Baldwin : Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour répondre parce que j'ai dit que l'éducation était terriblement importante et que nos études l'ont d'ailleurs démontré. Je ne me suis pas préparé pour discuter des données qui ont été publiées aujourd'hui. Je sais par contre ce qui a été écrit sur la question et je connais les chiffres qui ont été révélés.
Le président : Veuillez nous les faire parvenir. Contentez-vous aujourd'hui d'émettre un bref commentaire, et ensuite, nous allons passer aux deux autres témoins.
M. Baldwin : La majeure partie de l'article paru ce matin porte sur la queue de la distribution. Ce n'est qu'à la fin de l'article qu'on souligne que le Canada se classe assez bien par rapport à d'autres pays. Cependant, il y a une queue de distribution, et elle paraît à l'occasion un peu différente par rapport d'autres pays. Cette moyenne n'est pas un désastre. Il faut se rappeler que certaines de ces compétences n'ont pas toujours eu la même valeur au sein de notre économie que la valeur qu'elles ont dans d'autres pays. En outre, pendant longtemps, notre économie a fourni des emplois bien rémunérés dans le secteur des ressources qui n'exigeaient pas le même niveau d'éducation que d'autres emplois. Cela est en train de changer. C'est en partie ce que traduisent certains des chiffres. Au fil du temps, nous avons mis à jour nos compétences, et ce de façon considérable. Il y a eu une hausse de la productivité au sein des industries dont les travailleurs ont amélioré leurs compétences.
Il faut nous demander, à mon avis, si nous allons devoir augmenter, dans l'ensemble des industries, le rythme auquel nous améliorons nos compétences. Notre site Web contient plusieurs études sur le degré d'amélioration des compétences dans les différentes industries et sur les industries où il y a eu le plus et le moins d'amélioration. Je serais ravi de vous faire parvenir ces études.
M. Sanford : Je ne voudrais pas laisser entendre que l'éducation n'est pas importante, surtout si mes deux filles écoutent aujourd'hui. Je suis entièrement en faveur d'une affectation plus importante de ressources à la formation. Selon moi, ce n'est pas un manque de compétences qui explique notre piètre performance en matière de productivité, et nous n'allons pas régler ce problème en pensant que nous devons tous acquérir plus de compétences. Un pourcentage énorme de notre main-d'œuvre sous-utilise les compétences dont elle dispose aujourd'hui. Notre performance par rapport à la plupart des indicateurs éducationnels comme l'inscription scolaire, l'achèvement d'études de base et l'inscription postsecondaire, soutient avantageusement la comparaison, mais nous accusons du retard dans quelques domaines spécialisés. Les apprentis de métiers manuels spécialisés ne sont pas assez nombreux au Canada et nous sommes assez nuls dans ce domaine. Les études supérieures et au niveau de la maîtrise sont un facteur que le groupe de Roger Martin a souligné. En général, le manque de compétences n'est pas un problème au Canada.
M. Darby : Je ne suis pas vraiment de votre avis, puisque, selon moi, le manque de compétences a nui à notre pays dans la deuxième moitié des années 90 et je crois qu'à certains égards, les choses ne vont qu'empirer. Nous enregistrons des taux très élevés d'études postsecondaires, mais ce n'est pas le cas dans le domaine des sciences du génie ou des métiers. Nous assistons à une évolution du travail, comme l'a indiqué M. Baldwin, qui met l'accent sur un niveau plus élevé de compétences même dans le cas d'emplois traditionnels. Ce qui m'inquiète davantage, c'est que les travailleurs qui répondent à des sondages ont tendance à considérablement surévaluer leur degré d'instruction par rapport aux tâches objectives. En d'autres termes, les gens pensent avoir certaines connaissances, alors que ce n'est pas le cas.
Par conséquent, je dirais que c'est un domaine dont il faut se préoccuper, surtout face à l'évolution de la nature du travail.
Le sénateur Moore : Si on veut accroître la productivité et offrir des incitatifs en faveur de l'investissement dans les usines et l'équipement, pourquoi ne pas prévoir un genre de politique qui offrirait la même chose à ceux qui travaillent dans les divers secteurs de notre économie? C'est un investissement tout aussi important peut-être que l'investissement dans les usines et l'équipement.
Le sénateur Massicotte : Les deux tiers de l'écart PIB per capita correspondent au nombre d'heures travaillées, le dernier tiers correspond à l'écart de productivité, n'est-ce pas?
M. Baldwin : Oui.
Le sénateur Massicotte : Ce tiers existait-il en 1961 et dans quelle mesure? Jusqu'à quel point peut-on parler d'une structure historique de notre économie et dans quelle mesure s'agit-il d'un manque d'efficience de nos sociétés?
M. Baldwin : Je ne peux pas répondre à cette question. L'étude dont j'ai fait mention et que j'ai utilisée aujourd'hui ne porte que sur la fin des années 90. Nous ne sommes pas remontés si loin.
Le sénateur Oliver : M. Darby a dit que des investissements permettant d'accroître la productivité s'imposent au Canada, à la fois pour le travail et le capital. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ces genres d'investissements que vous souhaiteriez?
M. Darby : Cela dépend des secteurs de l'industrie, mais nous souhaiterions des investissements dans de l'équipement plus moderne. L'usine, à certains égards, est devenue moins importante, elle ne fait qu'abriter les machines. Il faut prêter attention aux petites et moyennes entreprises qui représentent un secteur quelque peu oublié, en ce qui concerne les investissements prévus. Il faut faire en sorte qu'elles bénéficient d'un appui afin qu'elles soient au courant de la technologie de pointe et apprennent ainsi à devenir plus efficientes et à utiliser au mieux cette technologie.
Le président : Merci, messieurs de votre témoignage si éloquent.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au groupe suivant et nous allons commencer par le représentant de l'Institut C.D. Howe.
Allez-y, monsieur Guillemette.
M. Yvan Guillemette, analyste de politique, Institut C.D. Howe : Merci de m'inviter pour parler du sujet important de la productivité au Canada. J'ai préparé une brève déclaration. Ces dernières années, l'Institut C.D. Howe et d'autres ont fait du travail sur ce thème qui pourrait faciliter l'élaboration de politiques. Permettez-moi de citer les points les plus importants qui découlent de cette recherche.
Tout d'abord, dans un commentaire que j'ai publié en 2003 pour l'Institut C.D. Howe, j'aborde certains points prouvant que le vieillissement de la population peut ralentir le futur taux de croissance de la productivité. Nous savons également que le vieillissement va ralentir et arrêter la croissance de l'intrant que représente le travail et peut-être aussi ralentir le taux d'accumulation de capital en raison de ses effets sur l'épargne. C'est en raison de ces prévisions qu'il est encore plus important et urgent de mettre l'accent sur l'accroissement de la productivité dans notre pays.
L'innovation, les nouvelles idées technologiques qui améliorent l'efficience d'utilisation du capital par les sociétés et les travailleurs, sont un déterminant essentiel de la productivité du travail. Les gouvernements au Canada ont bien compris l'importance de l'innovation et aujourd'hui, notre pays offre l'un des régimes d'aide fiscale pour la R-D les plus généreux — sinon le plus généreux — au monde.
Malgré cette aide fiscale généreuse, selon les derniers chiffres de l'OCDE, les dépenses R-D du Canada comme part du PIB correspondent à un peu moins de 2 per cent. Le Canada se retrouve donc au milieu des autres pays de l'OCDE et bien en dessous des pays qui se démarquent dans ce domaine, comme la Suède.
Dans une étude que l'Institut C.D. Howe doit publier la semaine prochaine, Rick Harris explique pourquoi c'est sans doute le cas. Il cite plusieurs obstacles qui empêchent d'augmenter les dépenses R-D au Canada, comme l'ouverture relative et la petitesse du marché canadien par rapport au marché américain et à celui d'autres grands pays, les forces de regroupement qui ont un effet sur les activités R-D du secteur privé en Amérique du Nord et l'état de l'intégration économique Canada-É.-U. qui, jusqu'à présent, n'a pas permis d'inclure le système d'innovation américain.
À mon avis, le deuxième facteur, les forces de regroupement, est particulièrement crucial. Étant donné que ces forces de regroupement des activités R-D sont si prononcées, et à cause de l'avantage naturel dont disposent les États-Unis pour attirer de telles activités en Amérique du Nord, il serait beaucoup plus avantageux pour nous de mettre l'accent sur la facilitation de transferts R-D des É.-U. plutôt que d'offrir des allégements fiscaux coûteux pour attirer ces activités dans notre pays. D'après certaines études, la R-D qui se fait aux É.-U. a d'importantes retombées pour le Canada. Selon une étude prestigieuse, la valeur moyenne d'un dollar américain consacré à la R-D pa rapport à la productivité canadienne correspond à 78 p. 100 de la valeur d'un dollar canadien affecté à la R-D. Comme l'indique Rick Harris dans l'étude que j'ai citée plus haut, étant donné que les dépenses américaines R-D sont près de 40 fois supérieures à celles du Canada, cela veut dire que les dépenses américaines R-D sont au moins beaucoup plus importantes pour l'accroissement de la productivité du Canada que les propres dépenses R-D du Canada. On ne peut pas prendre beaucoup de mesures, au plan politique, pour stimuler les dépenses R-Daux É.-U., mais par contre, on peut faciliter les transferts de technologies des É.-U. au Canada grâce aux retombées dont je viens de parler.
Il est maintenant bien établi que l'investissement direct étranger est l'un des principaux moyens qui permet au Canada de tirer profit de la technologie étrangère. Par conséquent, l'une des mesures les plus importantes que peut prendre le Canada pour tirer profit de la R-D américaine consiste à faciliter l'investissement par des multinationales américaines et d'autres pays au Canada. Toutefois, non seulement l'investissement d'autres pays permet-il les transferts internationaux de technologie, mais le capital physique, comme les trois autres témoins l'ont indiqué, est lui-même un déterminant de la productivité du travail, car les biens d'équipement symbolisent les progrès technologiques qui découlent de l'innovation. Par conséquent, il est extrêmement important que le Canada devienne un pôle d'attraction pour les investisseurs. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
La part du Canada quant à l'investissement direct étranger — l'IDE, est moins importante aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 10 ans, tout comme sa part de l'IDE nord-américain, ainsi que sa part de quelque investissement direct étranger que ce soit que les É.-U. exportent.
Comme le démontrent mes collègues Danielle Goldfarb et Bill Robson dans un court document publié la semaine dernière et que je vous ai distribué, non seulement notre performance en matière d'investissement étranger, mais aussi notre performance globale en matière d'investissement, accusent du retard par rapport à d'autres pays de l'OCDE, dont les Etats-Unis en particulier. L'investissement commercial dans les machines et l'équipement par travailleur au Canada était environ 10 p. 100 inférieur par rapport à la moyenne OCDE entre 2000 et 2004, et près de 17 p. 100 inférieur par rapport aux États-Unis pour la même période. Cela correspond à 1 800 $CAN de moins en investissement par travailleur canadien par rapport aux États-Unis. C'est ce qui apparaît à la figure deux du document que je vous ai remis.
On peut l'expliquer de nombreuses façons. Je mettrais l'accent sur deux domaines à propos desquels nous pouvons facilement prendre certaines mesures. Premièrement, il faut parler des restrictions que nous continuons d'imposer en matière d'investissement étranger. Ainsi, nous imposons toujours des restrictions en matière de propriété étrangère dans plusieurs secteurs, qui ne servent absolument à rien. Nous avons des exigences en matière de contrôle liées à l'investissement étranger. Tout cela diminue l'attrait du Canada comme pays favorisant l'investissement international.
L'imposition joue également un rôle important. Malheureusement, le Canada a l'un des taux d'imposition réels sur le capital les plus élevés parmi les pays industrialisés. Selon les dernières estimations de mes collègues Jack Mintz et Duanjie Chen, nos impôts sur l'investissement commercial occupent toujours le troisième rang au monde, sur un échantillonnage de 20 pays industrialisés. Seules la Chine et l'Allemagne affichent des taux d'impôt réels sur l'investissement plus élevés que le Canada. Réduire l'impôt sur l'investissement stimulerait à la fois l'investissement national et étranger. Dans une étude que nous avons faite l'année dernière, M. Mintz et moi-même estimons que chaque point de pourcentage de réduction de ce taux d'impôt des sociétés prévu par la loi au Canada pourrait augmenter l'afflux d'investissement étranger au Canada de plus d'un milliard de dollars par année.
On peut accroître la productivité de nombreuses façons, mais à mon avis, la solution la plus simple se trouve dans le régime fiscal. Nous avons réussi à améliorer quelque peu les possibilités d'investissement ces dix dernières années, mais d'autres pays font également des progrès dans ce domaine et nous ne devons pas nous laisser distancer. Aux États- Unis, le président Bush a créé un groupe chargé de rédiger une proposition de réforme fiscale qui, d'après certains, devrait recommander une refonte du code des impôts qui diminuerait considérablement les impôts sur l'épargne et l'investissement — voire, les éliminerait. Nul besoin d'attendre pour réagir aux changements qui vont survenir aux États-Unis. Nous pouvons agir dès maintenant ou dès que nous aurons un gouvernement opérationnel.
M. Wimal Rankaduwa, professeur associé, Département de science économique, Université de l'Île-du-Prince-Édouard, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous. Comme je l'ai indiqué, je suis professeur agrégé d'économie à l'Université du Prince-Édouard. Je travaille également en qualité de professeur auxiliaire à l'Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Je vais faire un exposé rapide qui s'appuie sur une étude récente dont des exemplaires ont déjà été remis au comité. Cette étude examine le rapport qui existe entre le niveau de vie et la productivité à l'Île-du-Prince-Édouard par rapport au Canada et aux États-Unis.
Pour cette étude, nous avons utilisé un cadre comptable qui établit un rapport entre le niveau de vie et une série de variables économiques touchant la performance économique globale et le bien-être global des habitants de la région. Ces variables comprennent le niveau de productivité, le taux d'emploi, le taux de participation, le taux de la population d'âge actif, entre autres choses. Dans cette étude, j'essaie de déterminer les écarts de niveau de vie et de productivité qui se manifestent dans l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard par rapport au Canada et aux Etats-Unis.
Certains des facteurs qui ont pu contribuer à ces écarts sont également examinés. L'étude a été faite pour le bureau régional d'Industrie Canada et je vais en présenter certaines des grandes conclusions dans ma déclaration liminaire. Je vais m'attarder sur l'I.-P.-É., puisque cette province permet d'illustrer les problèmes de la région Atlantique.
L'étude vise la période entre 1981 et 2001; on peut en résumer les conclusions de la façon suivante. Le niveau de vie de l'Île-du-Prince-Édouard a augmenté à un rythme plus rapide que la moyenne canadienne entre 1981 et 2001. Malgré ces améliorations, on observe un écart constant en matière de niveau de vie sur l'île par rapport au Canada. Cet écart est d'environ 33 p. 100. Le niveau de vie de l'Île-du-Prince-Édouard est inférieur de 33 p. 100 par rapport à la moyenne nationale. C'est ce que cela veut dire.
Par rapport aux États-Unis, cet écart correspond à près de 43 p. 100. Par rapport à tous les États et provinces, l'I.- P.-É. se classe à l'avant-dernier rang pour ce qui est du niveau de vie.
Le sénateur Tkachuk : Qui arrive au dernier rang?
M. Rankaduwa : Terre-Neuve et Labrador. On a observé de légers changements ces dernières années.
Nous avons examiné à la fois la productivité des travailleurs et la productivité horaire. Je sais que la discussion précédente a porté essentiellement sur la productivité horaire. Toutefois, il est très important, lorsqu'on examine le niveau de vie de la région, de prendre en compte la productivité des travailleurs. Par conséquent, il est important d'examiner à la fois la productivité des travailleurs et la productivité horaire.
L'Île-du-Prince-Édouard n'affiche que 75 p. 100 environ de la productivité nationale des travailleurs, soit 25 p. 100 environ en-dessous de la moyenne nationale. Par rapport aux États-Unis, cet écart est de près de 37 p. 100. En fait, l'I.- P.-É. se classe au dernier rang pour ce qui est de la productivité des travailleurs. C'est la même chose dans le cas de la productivité horaire, soit 72 p. 100 de la productivité horaire nationale, ce qui fait que l'I.-P.-É. se classe au dernier rang du pays. Même si la productivité horaire par rapport au Canada a augmenté, un écart de 28 p. 100 s'est maintenu au cours de la période de 1987 à 2001.
Dans cette étude, nous sommes arrivés à la conclusion que les écarts de productivité sont ceux qui contribuent de la façon la plus importante à l'écart de niveau de vie que l'on observe à l'I.-P.-É. Cela s'applique également à toutes les autres provinces de la région et à la région.
Le sénateur Angus : La région Atlantique?
M. Rankaduwa : Oui.
Le taux d'emploi est l'une des variables que nous avons examinées. Le taux d'emploi de l'I.-P.-É. par rapport au Canada reste également en-dessous de la moyenne nationale, près de 5 p. 100 en-dessous.
Si mon exposé est important pour votre comité, c'est que je demande une perspective régionale dans l'élaboration des politiques. Dans la discussion relative à la productivité, on ne cesse de se faire dire que le Canada s'inquiète du niveau national de la productivité par rapport aux ÉtatsUnis. Il suffit d'examiner une région comme celle de l'Atlantique pour comprendre jusqu'à quel point elle est elle-même à la traîne. Si vous parlez d'une politique ou d'une stratégie nationale de productivité, nous devons alors prendre en compte chaque région du pays. Favoriser la productivité dans ces régions à faible productivité contribuera certainement à l'amélioration du niveau national de productivité. Par conséquent, si je parle aujourd'hui de la productivité de l'I.-P.-É., c'est pour vous demander de faire des recommandations qui tiennent compte des enjeux régionaux et provinciaux.
Il suffit d'examiner les écarts de productivité industrielle à l'I.-P.-É. pour s'apercevoir qu'ils se retrouvent dans les domaines de la construction, des métiers, des services d'approvisionnement et techniques, de l'éducation, du logement et de l'alimentation, de la santé et de l'administration publique. Dans ces domaines, les écarts de productivité se sont creusés. Pour ce qui est des différences de productivité entre le Canada et les États-Unis, on souligne toujours que certaines industries à forte productivité aux ÉtatsUnis et au Canada n'affichent pas un bon rendement. Lorsqu'on pense à une région comme la région Atlantique ou l'Île-du-Prince-Édouard, on s'aperçoit que de nombreux secteurs, pas seulement ces industries à haute productivité, mais beaucoup d'autres secteurs, n'affichent pas la performance attendue. C'est très préoccupant.
Dans la discussion précédente, les intervenants ont parlé des façons d'accroître la productivité. Parfois, la productivité peut augmenter, car la productivité au sein des industries a elle-même augmenté. La productivité peut également s'accroître en raison des changements dans la structure de l'emploi ou la structure industrielle de la variation de l'emploi. En d'autres termes, lorsque la part de l'emploi des industries à forte productivité augmente, la productivité du pays augmente également.
Dans notre étude, nous concluons que dans le cas de l'I.-P.-É., le moindre accroissement de productivité s'explique essentiellement par l'accroissement de la productivité industrielle, et non par les différences d'une industrie à l'autre. Cela indique clairement qu'il est possible d'améliorer la productivité dans ces secteurs ainsi que la productivité générale de ces régions.
Nous avons cherché à connaître les raisons qui sous-tendent ces écarts de productivité. Parmi celles-ci figurent les dépenses que consacrent divers secteurs à la recherche et au développement. Les politiques qui visent à promouvoir la productivité doivent porter non seulement sur le court terme, mais également sur le long terme. Il est essentiel d'investir à long terme dans les ressources, y compris les ressources humaines, pour générer plus de productivité. Dans le milieu économique, les investissements dans le capital humain sont considérés comme une bonne affaire, non comme une initiative qui contribuera à améliorer la productivité dans les années futures.
Le président : Je m'excuse de vous interrompre, mais comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais vous demander de conclure votre exposé —vous nous avez soumis un mémoire très détaillé.
M. Rankaduwa : Si les écarts de productivité sont plus grands, c'est, entre autres, à cause du faible niveau de dépenses consacrées à la recherche et au développement dans ces secteurs.
Il y a d'autres raisons. J'en parlerai si on me pose des questions à ce sujet.
Le président : Je tiens à vous remercier pour l'excellent mémoire que vous avez préparé. Il nous donne une perspective nouvelle.
Le sénateur Moore : Monsieur le président, je voudrais faire une mise au point avant de poser des questions : au cours de la table ronde sur la productivité que nous avons eue, hier, M. Bruce Winchester, du Atlantic Institute for Market Studies, a fourni au sujet de l'APECA des renseignements que je juge inexacts. Il a dit, par exemple, que le taux de remboursement des emprunts n'était que de 15 p. 100. J'ai effectué quelques recherches, hier soir, et j'ai constaté que le taux de remboursement était plutôt de 92 p. 100.
Je préparerai une note là-dessus et je la remettrai au greffier du comité.
Le président : Très bien, sénateur Moore. Pourriez-vous en faire parvenir une copie à M. Winchester, pour qu'il puisse répondre à vos commentaires?
Le sénateur Moore : Bien sûr.
Monsieur Guillemette, vous faites un commentaire intéressant à la page 2 de votre mémoire. Vous dites qu'il est très important que le Canada devienne un lieu d'investissement attrayant, ce qui, malheureusement, n'est pas le cas présentement. Quelles solutions proposez-vous? Vous dites qu'il faudrait éliminer les restrictions à l'investissement étranger, procéder à une refonte du régime fiscal. Avez-vous des suggestions à formuler?
M. Guillemette : J'en ai plusieurs. Pour ce qui est de faire du Canada un lieu d'investissement attrayant, les chiffres que j'ai cités montrent que, comparativement à d'autres pays industrialisés, nous possédons un des taux réel d'imposition les plus élevés au monde, ce qui n'incite aucunement les producteurs canadiens ou étrangers à investir. Le régime fiscal constitue l'outil le plus facilement accessible que nous avons pour faire du Canada un lieu attrayant où investir.
D'autres facteurs, toutefois, doivent être pris en compte. Mentionnons, par exemple, les restrictions à la propriété étrangère qui, dans plusieurs secteurs, n'ont plus leur raison d'être. Pourquoi avoir des restrictions à la propriété étrangère dans le secteur des communications? Je ne comprends pas. Pourquoi les investissements étrangers au Canada doivent-ils toujours faire l'objet d'un examen? La Loi sur Investissement Canada établit des seuils au-delà desquels les investissements sont sujets à examen. Il y a aussi les formalités qui doivent être remplies. Toutes les propositions d'investissement doivent être analysées. Depuis l'adoption, en 1989, de la Loi sur Investissement Canada, pas une seule proposition n'a été rejetée. Pourquoi continuons-nous d'imposer cette exigence?
Par ailleurs, les restrictions au commerce, pas nécessairement les restrictions tarifaires, mais les restrictions non tarifaires, comme les règles d'origine, n'incitent pas les producteurs étrangers à s'implanter au Canada, puisqu'ils doivent ensuite se plier à ces règles ou composer avec les retards à la frontière. Ces retards constituent un autre facteur de dissuasion.
Le régime fiscal est l'outil le plus simple dont nous disposons. Nous devons réduire le taux d'imposition général des sociétés. Nous nous situons toujours au-dessus de la moyenne de l'OCDE. Le taux moyen d'imposition des sociétés des pays de l'OCDE est de 30 p. 100. Au Canada, il est de 35 p. 100. Nous nous situons toujours au-dessus de la moyenne.
Nous pourrions faire en sorte que les provisions pour amortissement concordent avec la dépréciation économique réelle de certains actifs. Nous sommes encore loin des taux réels de dépréciation économique. Nous pourrions jeter un coup d'œil aux retenues d'impôt à la source, à l'impôt sur le capital que le gouvernement fédéral s'est engagé à éliminer, mais pas assez rapidement. Plusieurs provinces continuent de prélever un impôt sur le capital. Elles pourraient l'abolir. L'Ontario prévoit le faire d'ici 2012. Pour ce qui est des taxes de vente sur les charges en capital, plusieurs provinces pourraient adopter une taxe sur la valeur ajoutée, comme la TPS, qui ne pénalise pas les producteurs quand ils achètent des biens d'équipement. Toutes ces mesures sont énoncées dans nos nombreuses publications sur le régime fiscal.
Le sénateur Moore : M. Jim Stanford, qui a comparu plus tôt, a proposé que l'on augmente l'impôt des sociétés, mais que l'on accorde une déduction pour amortissement de 100 p. 100 dans l'année où les fonds sont investis dans des immobilisations. Quel est votre avis là-dessus?
M. Guillemette : Je ne suis pas d'accord avec l'idée d'augmenter le taux général d'imposition des sociétés. Il faut établir des règles du jeu équitables entre les différents secteurs, industries et entreprises. Si vous augmentez le taux général et que vous accordez ensuite des crédits d'impôt à l'investissement à certaines industries, ou par secteurs, vous allez créer une certaine inégalité entre les différentes industries. Vous ne voulez pas faire cela. Vous voulez un régime fiscal aussi neutre que possible pour faire en sorte que les investissements et les capitaux soient utilisés à bon escient.
Concernant la déduction pour amortissement accéléré, la déduction totale ou encore l'élimination de la taxe sur les gains en capital, si vous n'adoptez qu'une seule de ces mesures, vous allez créer des distorsions entre le traitement fiscal accordé aux dividendes, aux gains en capital et aux paiements d'intérêt. Nous devrions plutôt adopter un régime de taxe à la consommation où les économies d'impôt, les gains en capital ou le revenu du capital ne seraient plus imposés. Il est possible que les États-Unis adoptent cette approche. Nous pourrions sûrement y jeter un coup d'œil. Toutefois, je n'adopterais pas de mesures qui compromettraient la neutralité du régime fiscal.
Le sénateur Moore : Monsieur Rankaduwa, votre étude vise la période allant de 1981 à 2001. Avez-vous réalisé des analyses qui vont au-delà de cette date? On semble faire beaucoup dans le domaine de la recherche à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard. De nouvelles installations de recherche viennent d'être inaugurées. Vous êtes-vous penché là- dessus? Y a-t-il eu des changements, des progrès au chapitre de la productivité sur l'île?
M. Rankaduwa : Les dépenses consacrées à la recherche au cours des dernières années n'ont pas été incluses dans l'étude. Nous n'avions pas accès aux données. D'après M. Baldwin, les données qu'ils ont obtenues ne sont pas accessibles à tous. Celles que nous avons utilisées viennent de Statistique Canada, mais nous pouvons uniquement avoir accès à un certain type de données.
Il se peut, surtout pour ce qui est des données qui visent l'industrie, la protection des renseignements personnels — que d'autres facteurs entrent en jeu.
Le sénateur Moore : Par conséquent, vous n'êtes pas en mesure de commenter les récents développements qui, à mon avis, sont positifs.
M. Rankaduwa : Il y a eu un renforcement des capacités. Toutefois, comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, les dépenses que consacre l'Île-du-Prince-Édouard, tous secteurs confondus, à la recherche représentent moins de 1 p. 100 de celles du Canada. C'est très peu.
Le président : Encore une fois, quelle année — car il y a eu des changements notables? Je me suis rendu à l'Université de Toronto, récemment. Il y a 10 ans, l'établissement consacrait 50 millions de dollars par année à la recherche. Aujourd'hui, ce chiffre atteint 500 millions par année. On a considérablement accéléré la recherche dans le domaine des sciences naturelles, du génie, de l'écologie, ainsi de suite. Il est important d'avoir des données qui sont à jour. Si vous avez des données à jour pour l'Île-du-Prince-Édouard, nous aimerions bien les avoir.
Le sénateur Tkachuk : Il habite là.
Le président : On a considérablement intensifié les travaux de recherche au cours des deux ou trois dernières années dans ce secteur en particulier. J'ai utilisé l'exemple de Toronto, mais on doit observer la même chose dans toutes les régions.
Le sénateur Angus : Monsieur Rankaduwa, vous nous avez très bien expliqué les difficultés que connaît l'Île-du- Prince-Édouard. Quelles en sont les raisons? Je sais que vous les énoncez dans votre mémoire, mais quelles sont les quatre principales raisons qui expliquent cette situation?
M. Rankaduwa : Les gouvernements provinciaux dans la région sont confrontés à de nombreux problèmes. Il n'est pas exagéré de dire que jamais, au cours des dernières années à tout le moins, les gouvernements ne se sont-ils autant attachés à accroître la productivité, à encourager l'arrivée de travailleurs qualifiés dans la région. La promotion de la productivité est un enjeu majeur et doit faire partie de la stratégie globale dans la région.
Pour ce qui est des politiques visant la région de l'Atlantique, les syndicats réclament des salaires plus élevés. Nous manquons cruellement de travailleurs qualifiés. Si nous n'arrivons pas attirer de tels travailleurs, c'est, entre autres, parce que les salaires ne sont pas assez élevés. Toutefois, augmenter les salaires équivaudrait à décourager les investissements dans la province. Il y a des objectifs contradictoires qui sous-tendent les politiques.
Le président : Il faut régler le problème.
Le sénateur Angus : Je voudrais revenir aux raisons. Voici ce que je pense. Le sénateur Moore était un peu contrarié, mais il va se rendre compte qu'il n'avait aucune raison de l'être quand il va entendre ce qui suit. Hier, monsieur Winchester a déclaré qu'il n'y a rien qui incite les habitants de la région de l'Atlantique à être productifs et à travailler parce qu'ils bénéficient d'un très grand nombre de programmes d'aide du gouvernement. Je sais que je généralise.
Prenons l'Île-du-Prince-Édouard. Le gouvernement, de concert avec des organismes fédéraux comme l'APECA, a encouragé les industries, surtout celles qui oeuvrent dans le domaine de l'aéronautique, à s'implanter dans la région de Summerside, où il y avait jadis une base aérienne. Il a eu recours à des programmes d'aide. Cette initiative a favorisé la création d'emploi. Elle a permis aux gens d'acquérir des compétences, ce qui a entraîné une hausse exceptionnelle de la productivité, selon les premiers résultats, à tout le moins. Je ne suis pas prêt à dire que les programmes d'aide du gouvernement ne sont pas une bonne chose, surtout dans les secteurs nouveaux que vous décrivez. Quel est votre avis là-dessus?
M. Rankaduwa : L'aide qu'accorde le gouvernement aux industries peut contribuer à accroître l'emploi dans ces régions. Toutefois, cela ne favorise pas nécessairement la productivité, sauf si nous mettons l'accent sur les secteurs où la productivité peut être améliorée. La plupart des industries ont bénéficié du soutien de ces programmes parce que le gouvernement voulait essentiellement favoriser la création d'emplois, ce qui est tout à fait normal, la région de l'Atlantique étant celle qui affiche le taux de chômage le plus élevé au Canada. Voilà pourquoi j'ai dit, plus tôt, qu'il est important de tenir compte des circonstances particulières de la région au moment d'élaborer des politiques. Si j'arrive à faire passer ce message, mon exposé aura servi à quelque chose.
De manière générale, nous accordons toujours la priorité aux intérêts nationaux. Nous nous efforçons d'élaborer des politiques qui s'appliquent à l'ensemble du pays, mais qui, parfois, ne tiennent pas compte des circonstances propres aux régions.
Le président : À ce sujet, la Réserve fédérale aux États-Unis a réalisé des études sur les marchés régionaux. J'ai assisté à une réunion à Chicago. Nous tiendrons compte de vos observations lorsque nous examinerons la question. Vous avez raison. Il y a d'abord l'analyse macro-économique nationale, et ensuite, l'analyse micro-économique régionale.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Pour répondre à la question pourquoi on empêche de donner le contrôle dans les télécommunications au Canada en élevant le pourcentage de propriété, je pense que c'est du côté de la propriété culturelle et qu'il y a aussi des protections qu'on veut obtenir avec l'Organisation mondiale du commerce. C'est une valeur canadienne importante, surtout depuis qu'il y a la convergence où le transport d'un signal peut profiter à l'informatique et, en même temps, transmettre des images télévisées, donc un contenu culturel. C'est le même véhicule. On ne peut pas séparer les deux.
J'ai eu l'occasion de comparaître devant la Federal Communications Commission aux États-Unis. Je peux vous dire que les barrières sont encore plus hautes aux États-Unis, pour des raisons de sécurité. C'est important. Les gens qui nous écoutent doivent comprendre pourquoi il y a une limite de 30 p. 100 — qui peut aller jusqu'à 40 p. 100 — de propriétés étrangères dans le domaine des télécommunications.
Il y a un tableau dans le document de l'Institut C.D. Howe qui présente les « investment per worker for provinces, Canada as a whole, OECD countries on average and the U.S. ». Pouvez-vous nous donner une explication sur le montant relatif au Québec qui est à peu près un des plus bas au Canada? Il y a l'Île-du-Prince-Édouard qui est très bas avec 6 100 et le Québec avec 6 500. Ailleurs au Canada c'est 7 000, 9000, 10 000 et 11 000. Quelle en est la raison? Quelle sorte d'investissements sont les « investment per worker for provinces »? Est-ce que ce sont des investissements globaux, c'est-à-dire locaux et étrangers?
M. Guillemette : Oui, cela comprend toutes les sources de fonds, mais ici on parle d'investissements en machinerie, en équipement et en structure. Il s'agit d'investissement fixe non résidentiel. Pourquoi c'est si bas au Québec? Il y a deux facteurs principaux. Premièrement, le Canada a un des taux effectifs de taxation sur le capital les plus élevés dans le monde et le taux du Québec est un des plus élevés au Canada. Malgré le fait que le taux de taxation corporatif au Québec est plus bas, d'autres mesures font que le taux effectif de taxation est plus haut. Donc, si on prend le Québec comme un pays et qu'on le compare à la grandeur du monde, c'est très élevé. Sans vouloir faire de suggestion!
Deuxièmement, la croissance de la population au Québec est beaucoup plus faible qu'ailleurs. Cela nous vient des recherches de M. Pierre Fortin, de l'UQAM, qui a démontré que si on veut maintenir un certain niveau de stocks de capital au fur et à mesure que la population augmente, il faut investir. Quand on parle de stocks de capital, on parle toujours de capital par travailleur. Au Québec, la population croît moins vite qu'ailleurs, on a donc moins besoin d'investir pour maintenir un certain niveau de stocks de capital. Si on regarde les stocks, le Québec ne performe pas si mal. Cependant, ce tableau se rapporte à l'investissement et le Québec est plus bas.
Le sénateur Hervieux-Payette : Il y a une petite dichotomie. Hier, on nous disait que seulement 30 p. 100 des fonds des travailleurs sont investis dans l'économie du Québec et 70 p. 100 sont investis en obligations et autres titres qui ne sont pas nécessairement productifs dans le secteur manufacturier. Il y a déjà un surplus incroyable d'épargne des Québécois, parce que c'est quand même ce qui va dans les fonds de pension. Il y a donc de l'épargne qui pourrait être réinvestie de façon productive dans le secteur manufacturier et dans les secteurs qui produisent des profits plutôt que d'avoir tout simplement à acheter un titre gouvernemental. C'était la relation que je voulais établir.
Professeur Rankaduwa, dans votre document, à la page 34, vous avez une section sur le « GDP per worker relative to the United States ». Nous ne sommes pas économistes. Si on compare l'État du Maine avec celui de New York, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le chiffre pour New York est de 128 p. 100? Je me demande pourquoi on a plus que 100 p. 100? Je pensais que la limite était de 100 p. 100. Le Maine, avec 79 p. 100, a une économie semblable à celle de la région de l'Atlantique. C'est presque 50 points de moins que l'État de New York.
[Traduction]
Le président : Soyez bref. Vous pourrez nous donner une réponse plus détaillée par écrit.
M. Rankaduwa : Le chiffre 128 signifie que le taux affiché par l'État est de 28 p. 100 supérieur à la moyenne nationale aux États-Unis. C'est ce qu'il signifie.
Le sénateur Hervieux-Payette : Dans le cas du Maine, le taux est de 20 p. 100 inférieur à la moyenne nationale.
Le président : Chers témoins et chers collègues, merci beaucoup. La table ronde sur la productivité est terminée. Nous entendons nous mettre à l'œuvre tout de suite et être aussi productifs que possible. Les projets de recommandations seront prêts la semaine prochaine. Les sénateurs pourront les examiner. Nous préparerons ensuite, je l'espère, notre rapport.
Je tiens à remercier nos témoins, les auditeurs et tous ceux qui nous ont envoyé de la documentation par courriel. Nous allons en tenir compte. Nous allons également examiner certains documents, dont le « World Public Sector Report 2003 on E-Governement at the Crossroads » — qui porte sur la productivité — publié par les Nations Unies. Nous allons également jeter un coup d'œil au rapport de 2004.
On nous a brossé un tableau général de la situation, un tableau qui manque de rigueur. Nous allons nous aussi produire un rapport général. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire tant dans le secteur privé que public. Le secteur privé doit redoubler d'efforts s'il veut être plus productif. Le gouvernement, lui, doit faire preuve de leadership dans le domaine de la productivité. Les milieux universitaires et scientifiques ont eux aussi du travail à faire. Nous ne sommes pas aussi productifs que nous souhaiterions l'être. Nous allons formuler des recommandations très fermes sur la façon d'améliorer la productivité au Canada. Nous sommes en train de perdre du terrain, et cela ne nous plaît pas.
Je tiens à remercier les sénateurs de leur diligence. Nous allons produire un rapport le plus tôt possible. Notre travail sur cette question est maintenant terminé.
La séance est levée.