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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 15 - Témoignages du 22 juin 2005


OTTAWA, le mercredi 22 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-19, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), se réunit aujourd'hui à 17 h 5 pour procéder à l'étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue, honorables sénateurs. Nous sommes réunis pour étudier un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi S-19, présenté par le sénateur Plamondon, visant à modifier le Code criminel pour réduire le taux d'intérêt criminel de 65 p. 100 à 35 p. 100.

Je dois une explication aux membres du comité. Vous vous rappellerez que notre comité a accepté de reporter l'étude article par article, en dépit des instances et de la patience du sénateur Plamondon, afin de donner au ministre, qui est apparemment contre ce projet de loi, l'occasion de présenter son point de vue au comité. Nous pensions avoir un rendez-vous ferme avec lui aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle l'étude article par article a été reportée à aujourd'hui. On nous a dit à la fin de la semaine dernière que le ministre ne viendrait pas aujourd'hui parce qu'il comparaît à la même heure devant un autre comité au sujet d'un projet de loi gouvernemental, lequel a la priorité.

Nous avions aussi pris des arrangements pour qu'il puisse comparaître demain pour la même raison. Le greffier a communiqué directement avec le cabinet du ministre. Après nous avoir dit qu'il serait peut-être libre demain, on nous a finalement dit qu'il ne pourrait pas venir demain. Voilà pourquoi nous étudions le projet de loi aujourd'hui.

Dans l'intervalle, le ministre m'a envoyé une lettre en date du 1er juin, et je crois savoir qu'elle a été envoyée en anglais et en français à tous les membres du comité. Je voudrais lire cette lettre pour qu'elle figure au compte rendu. Le sénateur Plamondon a répondu à sa lettre, étant donné que c'est son projet de loi. Je vais lui donner l'occasion de lire également sa réponse. Nous aurons une brève discussion, après quoi nous passerons à l'étude article par article.

La lettre est sur du papier à en-tête du ministre de la Justice et du procureur général du Canada et est datée du 1er juin 2005. Elle n'est pas adressée au comité. Les lettres ont été envoyées individuellement à chaque sénateur, ce qui est une autre question que des sénateurs pourraient vouloir soulever. Je lis :

Monsieur le sénateur,

La présente porte sur le projet de loi S-19, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), dont est actuellement saisi le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je crois comprendre que le comité pourrait bientôt reprendre l'étude du projet de loi, et je voudrais vous expliquer mon point de vue au sujet des modifications au Code criminel qui y sont proposées.

Je comprends très bien l'objet sous-jacent du projet deloi S-19, surtout en relation avec les Canadiens qui ont des bas revenus, et j'y suis sensible. Je comprends que l'objectif est de réduire les frais liés aux prêts à coût élevé, en particulier ceux offerts par certaines institutions financières au Canada. Je souligne que j'ai écrit sur ce sujet dans mon œuvre « Law and Poverty in Canada ». Cependant, après avoir soigneusement examiné le projet de loi, je suis d'avis que les modifications qui y sont proposées ne sont pas les mesures qu'il convient d'utiliser pour réaliser ces objectifs, autrement louables, de protection du consommateur. Je suis également d'avis que le projet de loi n'est pas conforme avec la nature et l'objet fondamentaux des dispositions relatives au taux d'intérêt criminel et qu'il constitue une politique inadéquate en matière de droit pénal.

Comme l'a indiqué un fonctionnaire du ministère de la Justice du Canada lorsqu'il a comparu devant le comité sénatorial sur le projet de loi S-19 en février dernier, le taux d'intérêt criminel n'est pas une disposition visant à réglementer, dans le secteur financier canadien, les intérêts applicables au consommateur, mais l'élément criminel grave du prêt usuraire. Au départ, cette disposition avait pour but en matière de politique pénale de viser les prêts usuraires et leur cortège habituel de menaces et de violence inhérentes au crime organisé. L'infraction prévue à l'article 347 a été ajoutée immédiatement après la disposition sur l'extorsion du Code criminel, et ces deux articles peuvent être considérés comme étant liés.

En ce qui concerne les prêts aux consommateurs, le Canada a essentiellement adopté, en matière de frais de crédit, une approche axée sur le marché libre, à laquelle s'ajoutent des efforts pour assurer la concurrence, la pleine divulgation des taux applicables et l'éducation des consommateurs. En effet, pour de nombreux consommateurs canadiens, les marchés opèrent pour offrir des prêts à des taux raisonnables. Cependant, je suis d'accord qu'il faut se demander si, compte tenu des taux offerts pour certains prêts au Canada, une approche axée sur un marché non réglementé est nécessairement appropriée dans toutes les situations.

Bien qu'il soit vraisemblablement possible pour leParlement du Canada de remédier à de telles situations en utilisant explicitement l'article 347 du Code criminel pour tenter de réglementer les taux d'intérêt du marché, ce ne serait pas, selon moi, un outil approprié pour le faire. Il est vrai que, malgré son objet fondamental de nature pénale, l'article 347 est rédigé de façon à s'appliquer de façon générale aux arrangements et aux paiements d'intérêt au Canada, hormis quelques exceptions. Cependant, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada et l'ont souligné les membres de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, de l'Association du Barreau canadien et de l'Association des banquiers canadiens, cette approche, même au taux d'intérêt actuellement prévu par la disposition, entraîne déjà des complications nondésirées, sans rapport avec l'objet de nature pénale manifeste de la disposition et le but visant à protéger les consommateurs. La réduction du taux d'intérêt maximal établi à l'article 347, comme le propose le projet deloi S-19, accentuerait ces complications.

Tandis que certaines de ces complications, actuellement causées par l'article 347, pourraient peut-être être évitées en appliquant des exemptions à certains prêts commerciaux, une telle mesure n'aurait pas pour effet de faire de l'article 347 un véhicule approprié en matière de réglementation financière et de protection du consommateur. Au contraire, si l'on conclut qu'une solution législative est nécessaire pour faciliter la réalisation de l'objectif relatif à la réglementation financière et à la protection du consommateur, une solution réglementaire plus globale spécifiquement adaptée aux prêts aux consommateurs serait probablement une meilleure option. Comme vous le savez sans doute déjà, un examen de la politique au plan fédéral-provincial-territorial visant à élaborer une meilleure approche réglementaire non pénale est actuellement en cours en ce qui concerne les petits prêts à court terme offerts par les sociétés de prêt sur salaire au Canada. Les travaux sur cet examen sont menés de façon régulière et, en fait, ils s'intensifient. Bien que cet examen en particulier soit limité, pour le moment, à ces types de prêts, j'estime que celui-ci constitue la voie qu'il convient également de suivre pour atteindre les objectifssous- jacents du projet de loi S-19.

Je demande donc, avec respect, que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ne donne pas son appui au projet de loi S-19 pour permettre l'élaboration d'une politique mieux adaptée prévoyant des solutions plus appropriées.

On trouve ensuite la formule de politesse habituelle et c'est signé « Irwin Cotler ». Des copies conformes de la lettre ont été envoyées à l'honorable Ralph Goodale, ministre des Finances, et à l'honorable David L. Emerson, ministre de l'Industrie.

Je voudrais maintenant donner au sénateur Plamondon l'occasion de lire sa réponse à la lettre, après quoi nous aurons une brève discussion avant de passer à l'étude article par article.

Le sénateur Angus : Je m'excuse d'être en retard. Avez-vous déjà commenté le fait que le ministre ne soit pas ici et les raisons de son absence?

Le président : Je l'ai fait. Vous pouvez ajouter vos commentaires.

Le sénateur Angus : Je vous en ferai part tout à l'heure.

Le président : J'ai fait part de mes préoccupations et les ai consignées au compte rendu.

Le sénateur Angus et moi-même avons eu des discussions à huis clos sur cette question et je n'ai pas d'objection à ce qu'il exprime publiquement le point de vue qu'il m'a communiqué en privé, s'il le souhaite.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Lorsque j'ai reçu la lettre, je croyais qu'elle m'était adressée parce que j'étais la marraine du projet de loi. Après la dernière réunion, je me suis aperçue que chaque membre du comité avait reçu une lettre de la part du ministre de la Justice. J'ai répondu tout de suite et voici la teneur de la lettre :

Monsieur le ministre,

Le 1er juin 2005 et par courrier spécial, vous m'avez envoyé une lettre concernant le projet de loi S- 19 visant à actualiser le taux usuraire prévu à l'article 347 du Code criminel.

La réception de votre missive m'a beaucoup surprise compte tenu du fait que vous aviez exprimé, directement et indirectement à trois reprises, votre point de vue.

1. Des représentants de votre ministère, en compagnie de représentants du ministère de l'Industrie, sont venus me rencontrer en décembre 2004 pour exprimer votre point de vue;

2. Les mêmes représentants sont venus, en février 2005, dire la même chose au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce; et

3. Le 14 mars vous m'écrivez une lettre dans laquelle vous donniez ce même point de vue.

Ces représentations exprimaient toutes la même opinion, vous n'êtes pas d'accord avec le projet de loi S- 19.

Votre missive du 1er juin, survenant à quelques heures de la réunion du Comité pour reprendre l'étude du projet de loi S-19, m'a laissée perplexe. Vous avez eu toutes les occasions possibles de faire valoir votre point de vue et vous aurez encore d'autres opportunités lorsque ce projet de loi viendra à la Chambre des communes. J'ai trouvé le procédé inapproprié.

Dès janvier 2005, je vous avais écrit afin d'expliquer le projet de loi et vous inviter à venir exprimer votre point de vue. En réponse à cette lettre vous m'écriviez le 14 mars 2005. Dans cette missive, vous faites allusion au fait que le projet de loi S-19 comporterait une question de stratégie connexe, des intervenants souhaiteraient être exemptés de l'article 347 du Code criminel et un travail conjoint des ministères fédéraux et provinciaux « visant à déterminer la meilleure approche à adopter pour régler cette question » est en cours.

Le projet de loi vise simplement à actualiserl'article 347 du Code criminel en regard des taux d'intérêt actuels qui sont très inférieurs à ce qu'ils étaient en 1981. Il n'y a pas de stratégie connexe ou complexe derrière le projet de loi S-19.

Dans votre dernière lettre du premier juin 2005, vous abordez la question des petits prêts à court terme et vous faites valoir qu'une approche réglementaire non pénale est en développement au niveau fédéral, provincial et territorial.

Les témoignages et interventions des représentants de votre ministère et de celui de l'Industrie, ont clairement indiqué que l'activité des petits prêts à court terme est considérée comme une activité de juridiction provinciale et que les provinces se dirigent vers un consensus pour encadrer ces activités.

Actualiser le Code criminel n'est pas un empêchement, pour les provinces, d'adopter des lois et des règlements en matière de protection du consommateur et des transactions abusives.

L'actuel projet de loi ne vise qu'à procéder à cette actualisation de l'article 347 sans modifier son champ d'application.

Respectueusement,

[Traduction]

Le président : Nous avons reçu des réponses et j'en ai parlé tout à l'heure. Nous avons retardé l'étude article par article pendant six semaines ou peut-être deux mois, pour permettre à toutes les provinces de répondre. Nous avons reçu des réponses du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de l'Alberta, de la Saskatchewan, de la Colombie- Britannique et du Québec. Nous avons également reçu une réponse du ministre de la Justice.

J'ai lu ces réponses dans le passé et elles font donc partie des comptes rendus du comité. Si les membres du comité souhaitent en discuter, je suis prêt à le faire. J'ai un bref résumé de ces réponses. Le Code criminel est de compétence fédérale, mais son application relève des provinces et une grande partie de la réglementation de cette activité est de ressort provincial.

À titre de sénateurs représentant les régions, nous avons pensé que nous donnerions aux provinces l'occasion de répondre. J'ai été renversé qu'aucune des provinces ne choisissent de comparaître devant le comité. J'ai toutefois estimé qu'à titre de sénateur représentant les régions, nous avions le devoir de faire en sorte qu'elles aient la possibilité de présenter leurs points de vue, ce qu'elles ont fait par écrit.

C'est une affaire compliquée. Malheureusement, les réponses écrites n'ont pas donné aux membres du comité la possibilité de contre-interroger les représentants des provinces. Nous avons donc beaucoup de demi-informations et de demi-instances, et je comprends profondément la frustration sentie par le sénateur Plamondon.

Le sénateur Angus : Au sujet du ministre, je vous ai fait part de mon point de vue personnel en termes très catégoriques. J'ai constaté que vous étiez réceptif et je suis convaincu que vous, à titre de sénateur et personnellement, n'avez ménagé aucun effort pour aviser le ministre. En fait, je crois que vous lui avez parlé directement pour lui faire savoir notre mécontentement. Non seulement s'est-il engagé deux fois à comparaître devant nous, mais il a ensuite décidé d'envoyer une lettre à tous les membres du comité, ce qui m'apparaît très inhabituel.

La toute dernière fois, le comité de direction a fait savoir au sénateur Plamondon qu'il convenait à notre avis d'attendre jusqu'à aujourd'hui parce que le ministre devait venir aujourd'hui. C'était à condition que le sénateur Plamondon accepte de reporter son projet.

J'ai le net sentiment que le ministre ne veut pas être entendu. Procédons à l'étude article par article et adoptons ce projet de loi.

Le président : Je voudrais ouvrir la discussion pour permettre aux sénateurs de commenter la lettre du ministre, la réponse du sénateur Plamondon ou toute question touchant les relations fédérales-provinciales à propos de ce projet de loi. Ensuite, nous passerons à l'étude article par article.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord avec le vice-président. Je voudrais toutefois savoir au sujet de quel projet de loi et devant quel comité le ministre comparaît aujourd'hui.

Le président : Je crois qu'il comparaît devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet d'un projet de loi gouvernemental. Le greffier me dit que c'était le projet de loi C-2.

C'est pourquoi nous avions une certaine marge de manoeuvre. J'ai parlé avec le vice-président de la possibilité de remettre l'étude article par article à demain. Nous avions prévu deux dates, le 22 juin, c'est-à-dire aujourd'hui, ou peut- être le 23 juin. Le greffier a été avisé que le 23 juin était libre. On nous a dit par la suite que parce qu'il y avait un conflit le 22 juin, il viendrait plutôt le 23 juin, c'est-à-dire demain matin. Nous savons maintenant que ce n'est pas le cas.

Après en avoir discuté avec notre vice-président des efforts déployés directement et avec l'aide de notre leader, j'ai vu le ministre moi-même. Je lui ai dit qu'il était très important que notre comité puisse procéder à un contre-interrogatoire et qu'il serait utile qu'il soit présent. Il m'a dit qu'il ne pourrait pas venir aujourd'hui et qu'il avait un conflit demain. Je lui ai dit que les membres du comité étaient mécontents, comme le sénateur Angus l'a dit, et que nous procéderions à l'étude article par article aujourd'hui. Il a été mis au courant du mécontentement du comité.

Le sénateur Angus a très bien résumé mon point de vue. Si un ministre choisit au nom du gouvernement de s'opposer à un projet de loi, il doit assumer la responsabilité de venir défendre son point de vue devant le comité, en toute justice pour le sénateur Plamondon, qui a été extrêmement patiente à ce propos. Cela n'enlève rien à notre manière d'aborder la teneur du projet de loi. Sa comparution nous aiderait simplement dans notre travail.

Le sénateur Tkachuk : Nous avons passé plus de la moitié de nos séances de comité, sinon davantage, à discuter de cette question.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Si je comprends bien les commentaires, je suis un peu frustré et déçu du fait que le ministre n'ait pas trouvé le temps de nous rencontrer. En même temps, un peu dans le sens contraire du commentaire, cela ne me motive pas d'approuver une mesure qui n'est pas bien pour les Canadiens. On ne punira pas les Canadiens pour essayer de se rattraper avec le ministre. On va faire l'essentiel pour formuler des commentaires sur le projet de loi.

Le sénateur Angus : Il ne s'agit pas de punir les Canadiens, au contraire.

[Traduction]

Le président : Sénateur Massicotte, je pense que nous sommes d'accord avec votre énoncé. Quelle que soit notre frustration, nous sommes ici pour étudier le projet de loi, et nous croyons que c'est la chose à faire.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, vous avez dit avoir lu et consigné au compte rendu les points de vue des provinces qui ont répondu à votre demande. Ensuite, vous avez dit avoir fait un résumé de ces réponses. Pourriez-vous nous donner l'essentiel de ce résumé, en quelques phrases?

Le président : Chaque province avait un point de vue différent. Certaines étaient en faveur du projet de loi. D'autres étaient contre. La province de Québec, par exemple, n'avait aucune objection au projet de loi.

Le sénateur Plamondon : L'Alberta était en faveur.

Le président : Le point de vue du Nouveau-Brunswick sur la modification proposée ne fait aucune différence entre les petits prêts, les prêts à court terme ou les prêts portant sur des sommes moyennes ou importantes. La conclusion de la province, après avoir passé en revue les problèmes de mise en œuvre au niveau provincial et tout le reste, est que l'on pourrait appuyer l'abaissement proposé du taux d'intérêt criminel s'il s'appliquait seulement aux prêts importants et à long terme. Cela semble incompatible avec ce que nous avons découvert.

Le Manitoba accueillerait favorablement une modification qui tiendrait compte de l'émergence du secteur des prêts sur salaire et du besoin de l'encadrer. Une modification à l'article 347 du Code criminel permettrait au Manitoba de proposer sa propre réglementation. Les Manitobains sont ambivalents là-dessus également. Le Manitoba appuie les amendements proposés au projet de loi S-19 et il s'agit de l'amendement que le sénateur Plamondon a déjà invoqué.

L'Alberta appuie les modifications proposées et accepte que le taux d'intérêt criminel soit lié au taux de la Banque du Canada. Les Albertains sont d'accord avec l'inclusion du coût d'assurance dans le calcul de l'intérêt. Je ne suis pas certain que ce soit dans votre proposition. C'est probablement dans l'amendement proposé par le sénateur Massicotte.

La Saskatchewan est préoccupée par l'incidence du projet de loi S-19 sur les taux des prêts de consommation à court terme et croit qu'il faut mettre en place un cadre de réglementation avant de modifier le Code criminel pour exempter les prêts à court terme de l'application de l'article 347.

La Colombie-Britannique veut un examen approfondi de l'article 347, y compris du seuil minimum et du traitement de l'assurance. La province réclame un examen exhaustif, au lieu de se contenter de la modification unique proposée dans le projet de loi.

Le Québec a adopté des dispositions semblables à celles proposées dans la modification envisagée à l'article 347. L'article 70 de la Loi sur la protection du consommateur de la province dicte que les frais de crédit doivent inclure la prime d'assurance. Les Québécois nous ont envoyé une longue lettre très détaillée. Ils concluent en disant que le projet de loi S-19 ne constitue qu'une solution partielle au problème des prêts à court terme, mais ils n'ont aucune objection. Ils pensent que ce n'est qu'une solution partielle.

Ensuite, nous avons la lettre du ministre de la Justice.

En passant, sénateur Baker, nous n'avons pas eu de réponse de la province de Terre-Neuve.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, la raison pour laquelle j'ai posé la question, c'est que quiconque ferait des recherches là-dessus à l'avenir serait intéressé de connaître ce résumé et je pensais qu'il convenait de consigner le tout au compte rendu.

Est-ce que quelqu'un s'est penché sur le paragraphe 347(2) du Code criminel pour examiner la jurisprudence qui en découle? Cette jurisprudence réfuterait-elle ce que le ministre dit dans sa lettre, à savoir que cet article du Code criminel n'a rien à voir avec la portée que lui prête notre comité ou le parrain du projet de loi? Est-ce que quelqu'un a examiné la question ou fait une analyse de tout cela?

Le président : Il est juste de dire que le comité n'a pas fait d'étude indépendante sur l'article 347. On nous a présenté des arguments, comme vous l'avez dit, et nous avons entendu le sénateur Plamondon. Il lui incombe, puisque le projet de loi S-19 est d'initiative parlementaire, de répondre à ces questions, à moins que le comité décide qu'il n'a pas suffisamment d'éléments de preuve et qu'il souhaite étudier cette question de manière plus approfondie.

Le sénateur Baker : Je dis cela parce que c'est très simple pour n'importe quel sénateur de faire une recherche sur Quicklaw ou Carswell en mettant entre guillemets le paragraphe 347(2), pour déterminer si la lettre reflète fidèlement la situation relativement à ce projet de loi.

La lettre exprime certaines idées que je trouve plutôt étranges, monsieur le président. J'ai du mal à comprendre comment on peut passer d'un extrême à l'autre, en disant dans un paragraphe que l'article 347 ne s'applique pas, puis en disant dans le paragraphe qui suit qu'il ne doit pas s'appliquer, et ensuite dans le prochain, qu'on va étudier toute la question pour faire en sorte qu'il s'applique, puis à la fin, qu'en effet il s'applique.

La question est simple. Je vais y voir de plus près moi-même.

Le président : Le sénateur Plamondon peut peut-être répondre. Le vice-président et moi-même nous attendions à ce que le ministre se présente ici pour que nous puissions discuter de questions comme celle-là. Je n'ai pas fait de recherche de mon côté. Je n'ai pas commandé de recherche indépendante pour le comité, mais le sénateur Plamondon est là. Elle a peut-être étudié la question et pourrait être en mesure de vous répondre.

Le sénateur Angus : Avons-nous invité le Barreau canadien à témoigner? Cela aiderait peut-être le sénateur Baker.

Le président : On sent une certaine colère ici, mais je retiens ce qu'a dit le sénateur Massicotte. Nous sommes peut- être en colère, mais nous sommes obligés de produire ce que nous jugeons être une loi qui répond à l'intérêt de tous les Canadiens. Nous avons été quelque peu désagréablement surpris par l'absence de coopération du barreau, étant donné qu'il ne nous a pas soumis de mémoire, chose certaine, des divers procureurs généraux ou ministres provinciaux responsables. Ils ont tous dit qu'ils étudiaient la question dans le cadre d'un examen global, et nous avons maintenant la réponse du ministre. Nous sommes pris dans un dilemme.

Excusez-moi; on vient de me corriger. L'Association du Barreau canadien a bel et bien témoigné et fait ses commentaires.

Le sénateur Plamondon : Il y avait deux grandes objections au projet de loi S-19. La première, c'est qu'il ne serait pas équitable envers les prêteurs commerciaux. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé un amendement au projet de loi qui viserait les prêts de 100 000 $ et moins. Ainsi, on ne toucherait pas aux prêts commerciaux. Je l'ai fait pour apaiser les inquiétudes du sénateur Massicotte.

L'autre objection avait trait aux prêts sur salaire et aux services d'encaissement de chèques. C'est la raison pour laquelle notre président a demandé aux provinces de faire connaître leur avis. Nous nous sommes rendu compte qu'il n'existait pas de prêts sur salaire au Québec parce que la province réglemente les permis. Au Québec, on ne peut pas avoir de permis pour prêter si l'on exige plus de 35 p. 100. Le Québec a réglé le problème.

J'ai demandé à l'industrie du prêt sur salaire pourquoi elle ne s'établissait pas au Québec. Elle a répondu que c'était parce que ce n'était pas payant. Nous avons notre réponse.

Le ministre de la Justice a organisé quelques rencontres provinciales-fédérales. Il préconisait une approche commune. Comme vous pouvez le voir dans sa réponse, il n'y a pas d'approche commune.

Nous savons qu'il faudra peut-être attendre cinq ou dix ans avant qu'il y ait une approche commune dans la réglementation provinciale et que toutes les provinces réglementent ce secteur de la même façon. Si vous savez ce que sont les rencontresfédérales-provinciales, vous savez que cela pourrait prendre beaucoup de temps.

Chaque province a des lois pour prévenir les abus. Elles peuvent invoquer l'article 47 ou pas, mais elles ont du moins le pouvoir voulu pour interdire les pratiques abusives.

En réponse aux préoccupations du sénateur Massicotte, j'ai décidé de proposer un amendement au projet de loi qui engloberait le chiffre de 100 000 $, et j'ai discuté de ce montant avec lui. Il a dit qu'il était d'accord.

J'ai appris qu'il appartenait aux provinces de trouver leurs propres solutions pour contrer les pratiques abusives.

Je n'ai pour ma part qu'une seule préoccupation,et mon projet de loi y voit. En 1981, le taux préférentiel était de 21 p. 100 et le taux criminel de 60 p. 100. Je ne fais quem'adapter au taux actuel de telle sorte que le gouvernement n'aura pas à l'adapter perpétuellement avec l'évolutiondu taux préférentiel. Le taux criminel est de 35 p. 100 de plus que le taux préférentiel. En ce moment, le taux préférentiel est de 2,5 p. 100, donc le taux criminel serait de 37,5 p. 100. Cependant, si l'on retourne un jour au taux d'intérêt de 22 p. 100, le taux criminel sera de 57 p. 100, soit à peu près la même chose que le taux de 60 p. 100 de 1981.

La situation pourrit depuis 25 ans et personne n'a rien fait. Avant mon entrée au Sénat, j'ai passé 40 ans à défendre les gens aux prises avec les sociétés de finances. Comme personne n'avait rien fait, j'ai décidé de faire quelque chose. La seule chose que je veux, c'est d'actualiser le taux criminel en fonction de ce qu'il était en 1981. Je ne veux pas régler tous les problèmes associés à l'accès au crédit. Je veux seulement actualiser l'article 347.

Le président : Sénateur Baker, permettez-moi de dire quelque chose. Je me suis trompé parce que je n'avais pas lu cette lettre aussi bien que j'aurais dû. Je veux revenir à la lettre de M. Cotler. Voici ce qu'il dit, en réponse à votre question. Il écrit à la page 2 :

Cependant, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada et l'ont souligné les membres de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, de l'Association du Barreau canadien et de l'Association des banquiers canadiens, cette approche...

— c'est-à-dire d'utiliser le Code criminel pour réglementer les taux d'intérêt commerciaux —

...même au taux d'intérêt actuellement prévu par la disposition, entraîne déjà des complications non désirées, sans rapport avec l'objet de nature pénale manifeste de la disposition et le but visant à protéger les consommateurs. La réduction du taux d'intérêt maximal établi à l'article 347, comme le propose le projet de loi S-19, accentuerait ces complications.

J'imagine que c'est ce qu'a dit aussi l'Association du Barreau canadien. Elle a donné son opinion sur la question. Elle dit qu'on se sert d'une sanction criminelle pour traiter essentiellement d'un problème lié à la protection du consommateur. Nous avons entendu l'argument contraire qu'a avancé le sénateur Plamondon.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, la phrase que vous venez de lire est intéressante. De manière générale, on entre dans les détails de ce projet de loi et l'on dit que, en fait, il existe une jurisprudence concernant cet article qui nous donne exactement les résultats que ce que vise la modification proposée dans le projet de loi S-19. Cependant, dans la première page de sa lettre, M. Cotler affirme que ce projet de loi « n'est pas conforme avec la nature et l'objet fondamentaux des dispositions relatives au taux d'intérêt criminel et qu'il constitue une politique inadéquate en matière de droit pénal ». S'il s'agit d'une politique inadéquate en matière de droit pénal, qu'on l'applique dans les tribunaux et que la Cour suprême du Canada a rendu un jugement à ce sujet, pourquoi donc quelqu'un dirait-il tout à coup : « Non, ce n'est pas le bon véhicule? » C'est la raison pour laquelle j'ai demandé s'il existait une jurisprudence ou des jugements concernant cet article en particulier, dans la mesure où il s'agit de l'intention du projet de loi S-19.

Je n'ai pas entendu parler de jurisprudence pour ma part, exception faite de ce commentaire général de la Cour suprême du Canada. Je ne sais pas à quoi le ministre se réfère lorsqu'il dit « comme l'a précisé la Cour suprême du Canada ». Où et quand a-t-elle précisé cela? Était-ce en 1940? Dans quelle publicationest-ce paru et dans quel jugement?

Le président : Le sénateur Baker a illustré le problème que j'ai moi aussi à cause du manque d'information. Il y a une chose que nous ne savons pas, entre autres, c'est que si cette disposition figure bel et bien dans le Code criminel, à quelle fréquence les divers procureurs généraux provinciaux intentent-ils des poursuites dans ce contexte? Nous n'avons pas vraiment de preuve à ce sujet. Le sénateur Plamondon a étudié la question plus profondément que nous tous. Elle peut peut-être nous en parler. C'est une des raisons pour lesquelles le comité voulait entendre les représentants provinciaux. Nous voulions savoir s'ils appliquent l'article 347 ou dans quelle mesure.

Ce n'est pas seulement une question de jurisprudence; il faut aussi savoir s'il y a eu des poursuites qui n'ont pas été relevées dans les recueils de jurisprudence. J'ignore, madame la sénateur, si vous avez une idée de ces poursuites. C'est un autre problème qui se pose à nous.

Le sénateur Plamondon : L'article 347 est invoqué dans des poursuites civiles, mais il sert de lignes directrices pour ce que nous jugeons être criminel. Il s'agit du Code criminel, mais il est invoqué dans des poursuites civiles; donc nous devons savoir non seulement ce que font les procureurs généraux, mais comment les tribunaux civils traitent l'article 347. Je peux dire à mes honorables collègues que la police attend leur aide.

Le président : Le sénateur Massicotte a des propositions à faire. Il pourrait peut-être nous en parler en termes généraux, ce qui nous facilitera la tâche lorsque nous discuterons des divers amendements.

Le sénateur Massicotte : Si j'ai une préoccupation, comme le sénateur Angus l'a dit l'autre jour, c'est que nous n'en savons pas beaucoup relativement à l'aspect criminel des prêts; autrement dit, je parle des prêts de plus de 100 000 dollars. Le sénateur Angus disait craindre que nous n'en savons pas assez à ce sujet. Je dois dire franchement que cela me préoccupe aussi, mais à l'heure où nous nous parlons, je suis disposé à prendre un risque, et j'espère que nous ne nous tromperons pas lourdement en dépit de notre manque de connaissances sur cette question.

J'ai longuement discuté de cette question avec le sénateur Plamondon, au comité et aussi en privé. Je suis d'accord avec l'amendement qu'elle propose à son projet de loi, mais j'ai un autre amendement. Sans cet amendement, je ne peux pas accepter ce projet de loi. À l'heure actuelle, on n'invoque pas les dispositions concernant le taux criminel parce qu'elles ne sont pas pertinentes. On n'intente pas de poursuites parce que cela déforme souvent la justice et l'équité. L'amendement que je propose nous permettrait de régler toute cette question. On écarterait ainsi tous ces mécanismes de financement compliqués.

Mais le problème que je vois concerne les prêts à court terme. Si l'on emprunte 75 000 dollars à une banque, la banque vous dira que c'est équitable. Le taux d'intérêt est, par exemple, le préférentiel plus 1 p. 100, ce qui est très bon, mais la banque exigera aussi, en toute justice, d'être remboursée pour ses frais de traitement et d'administration du prêt. Il peut en coûter 750 dollars, mais il y a généralement des frais de transaction indiquant 750 dollars plus un prêt de deux ou trois mois, s'il s'agit d'un prêt-relais ou de toute autre chose.

Le président : C'est pour le traitement du prêt.

Le sénateur Massicotte : C'est pour le traitement du prêt. La difficulté avec le calcul des intérêts, c'est que si l'on calcule le taux préférentiel plus 1 p. 100, plus le taux d'intérêt criminel, on aboutira probablement à 55 p. 100 si l'on n'emprunte que pour un mois ou deux.

Je pense qu'en théorie, ce n'est pas ce que nous voulons faire. Dans le calcul du taux d'intérêt, il y a un paragraphe qui dit comment on le calcule, ce qui est très bien; c'est composé et ainsi de suite. Je veux déduire cela, le vrai coût de traitement du prêt pour le prêteur. Pour le prêt sur salaire, c'est en moyenne de 17 dollars par prêt. Les banques connaissent ces informations. Pour ce genre de prêt remboursable à vue, c'est 75 dollars ou quelque chose du genre. Sans ce calcul de l'intérêt, en dépit des bonnes intentions du sénateur Plamondon, cet amendement va perdre toute sa pertinence. On n'appliquera pas cette loi parce qu'elle va choquer trop de monde.

Dans votre amendement, vous devez vous assurer que l'intérêt est le véritable intérêt. L'intérêt, c'est le rendement sur les capitaux que l'on prête. Ce n'est pas le remboursement des frais internes ni du coût de la transaction. Je pense que mes idées sont claires.

Avec cet amendement, je pourrais voter pour le projet de loi et l'amendement du sénateur Plamondon.

Le sénateur Plamondon : Je comprends le pourquoi de l'amendement du sénateur Massicotte, mais je ne suis pas d'accord parce qu'il s'agit ici d'une chose qui doit être réglée par les provinces. Cela pourrait s'appliquer aux prêts sur salaire, et je crois que c'est là une prérogative des provinces.

Quand on parle de 75 000 dollars, il ne s'agit pas de prêts usuraires, et je n'ai entendu personne accuser les banques d'avoir une conduite criminelle. Elles peuvent justifier ce qu'elles font.

Disons qu'il peut aussi y avoir des frais juridiques. Si on devait mettre cela dans le Code criminel aussi, on inclurait en conséquence toutes sortes de frais, ce qui affaiblirait la substance de l'article 347. Je vais devoir voter contre l'amendement de mon collègue.

Le sénateur Massicotte : Voici le problème que j'ai.Disons que vous empruntez 10 000 dollars au taux préférentiel plus 1 p. 100, et que la banque exige des frais de traitement de 250 dollars. C'est ce qu'il en coûte pour emprunter. Vous empruntez l'argent pour un mois. Avec ce calcul vient immédiatement le taux d'intérêt criminel, avec ces 250 dollars plus le taux d'intérêt préférentiel plus 1 p. 100, ce qui est très raisonnable.

Je suis d'accord avec les dispositions sur le prêt sur salaire. N'oubliez pas que le taux d'intérêt criminel est de compétence fédérale. En ce moment, personne ne fait respecter cette disposition. Les provinces n'émettent pas de permis. Elles régissent indirectement l'industrie du prêt sur salaire là où elles le peuvent en disant, comme au Québec, qu'elles n'émettront pas de permis pour les prêteurs. Cependant, cela ne supprime en rien la responsabilité que nous avons d'établir un taux d'intérêt criminel. Les provinces disent que c'est leur responsabilité. Cependant, si l'on commence à exempter des cas d'application de cette loi, on va encore se rendre compte que cette loi n'est pas appliquée du tout. Si l'on veut modifier une loi, aussi bien la rendre équitable et la faire respecter en tout temps, autrement, elle perdra sa pertinence. On ne la fera pas respecter, tout comme on ne fait pas respecter celle-ci.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : La question du 100 000 dollars exclut, à toutes fins pratiques, le consommateur régulier. Par contre, il y a toujours des frais. Quel que soit le montant, que ce soit 100, 500, 50 000 ou 500 000 dollars, il y a toujours des frais, un peu plus de paperasse, plus d'autorité parce que dans les institutions financières, les responsabilités pour autoriser les prêts varient selon la valeur du prêt. Il y a donc plus de processus pour un gros prêt que pour un petit prêt. Si j'ai bien compris, je veux juste être sûr que je comprends votre amendement versus l'autre amendement. Il me semble que les deux peuvent aller ensemble, sauf que je ne vois pas l'idée de mettre 100 000 dollars. Je crois que cela devrait être appliqué à tout le monde. Je ne vois pas pourquoi des frais excessifs seraient appliqués à un emprunteur de 100 000 dollars. Je ne vois pas pourquoi un aurait le droit de payer plus que l'autre, de payer 35 p. 100 de plus que le taux de base. Parce que si j'ai compris, en enlevant le 60 p. 100, onmet 35 p. 100 plus le taux de la Banque du Canada.

Qu'il y ait des frais réels encourus par le prêteur, ce n'est pas des frais inventés pour faire un profit additionnel déguisé en intérêt. C'est la question que je me pose. Cela voudrait dire que tous les frais vont être à l'intérieur du taux d'intérêt. En mettant le 100 000 dollars — je pose la question au sénateur Massicotte et à vous — je pense qu'on pourrait faire les deux et servir les intérêts de ceux qui empruntent.

Le prêteur ne pourrait pas imposer des frais excessifs au petit emprunteur. Si la personne emprunte 500 dollars, on ne peut pas lui imposer des frais pour faire la transaction au comptoir, dix minutes de temps et un formulaire à remplir. On ne peut pas demander à la personne 100 dollars de frais d'administration.

J'essaie de comprendre la différence dans vos deux amendements. Il y a un coût. Est-ce que je comprends que tous les coûts, assurance, frais de traitement et administration vont tous entrer à l'intérieur du « prime rate »? Ai-je bien compris?

Le sénateur Plamondon : Exactement.

Le sénateur Hervieux-Payette : Cela s'appliquerait à tous les prêts de moins de 100 000 dollars? Ceux en dessous, est- ce qu'ils auraient à payer le 35 p. 100?

[Traduction]

Le sénateur Plamondon : Ma réponse sera brève. Disons que cinq personnes entrent dans une banque et que chacune obtienne un taux différent, selon le risque que la banque prend. C'est dans le taux d'intérêt que la banque calcule le risque. Ajouter d'autres frais, c'est calculer le risque deux fois.

Avec un taux d'intérêt criminel de 35 p. 100 plus le taux préférentiel, il faut inclure tous les risques qu'on prend et le traitement du prêt. Il ne sert à rien alors d'ajouter une liste de frais.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'essayais de voir si on peut réconcilier les deux. Je m'aperçois qu'avec le 100 000 dollars, il faut expliquer les sommes.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Monsieur le président, le sénateur Massicotte a mentionné l'exemple de quelqu'un qui demande un prêt de 10 000 $ et qui obtient ce que le sénateur juge être un taux raisonnable pour le prêt; puis il a dit que cela serait contraire à l'essence de ce projet de loi. C'est ce que le sénateur disait il y a un instant. J'attendais la réponse de la marraine du projet de loi pour savoir s'il avait raison ou tort. A-t-il raison, oui ou non?

Le sénateur Plamondon : Je ne crois pas qu'il ait raison.

Le sénateur Angus : Est-ce que ce qu'il dit est absurde?

Le sénateur Plamondon : C'est absurde.

Le sénateur Massicotte : Prenez le montant que vous voulez. Contrairement à ce que vous pensez, je ne dis pas qu'il s'agit de frais.

Disons qu'il en coûte à la banque 250 $ et que vous empruntez l'argent pour trois semaines. Le taux d'intérêt annuel correspondant est d'environ 40 p. 100. Par conséquent, la banque se criminalise du fait qu'elle exige le taux d'intérêt préférentiel plus un pour cent, plus 250 $ pour avoir consenti le prêt. Je dis que lorsque le taux d'intérêt est calculé, le coût réel du traitement du prêt devrait être déduit. La banque sait qu'il en coûte 250 $ pour traiter le prêt. Déduisons- le. On paie de l'intérêt pour emprunter de l'argent, et le coût de traitement du prêt ne devrait pas figurer dans le prêt. Ce devrait être séparé.

Le sénateur Plamondon : Ce l'est aussi, parce que si vous allez à la banque et que vous empruntez 10 000 $, on ne vous demandera pas un sou de plus pour traiter votre prêt, étant donné que c'est inclus dans le taux d'intérêt.

Le sénateur Massicotte : La banque l'exige souvent. Je l'ai vu maintes fois.

Le président : Chers collègues, je crois que le sénateur Massicotte pose une question de fait.

Le sénateur Angus : Ce ne serait pas à ce niveau, pasà 10 000 $. Je n'ai jamais vu une banque le faire à ce niveau.

Le sénateur Massicotte : Quoi qu'il en soit, il devrait y avoir une déduction pour les coûts réels, qu'on les exige ou non.

Le sénateur Plamondon : La somme de 100 000 $ couvrirait les deux. Elle couvrirait tout.

Le président : À moins que le comité n'en décide autrement; la procédure normale consiste à reporter à la fin l'étude du titre du projet de loi. Le comité procédera-t-il de la façon normale?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1 est-il adopté?

Je vois un amendement du sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Je vous en ai remis copie. Je propose que l'on amende la ligne 30 de la version anglaise pour tenir compte du coût du traitement et de l'administration de la transaction pour le prêteur, coût qui doit être déduit du calcul de l'intérêt.

Le président : Il s'agit d'une procédure au criminel. C'est une question d'intention et de mens rea. L'amendement proposé dit en partie :

[...] le dépôt de garantie ou un montant reflétant adéquatement les frais de traitement et d'administration de l'opération [...]

Ce libellé serait-il vague et créerait-il de l'incertitude, ou bien serait-il assez précis pour ce qui est du mens rea?

Le sénateur Massicotte : C'est l'avis que j'ai reçu des conseillers juridiques du Sénat. Ils tenaient vraiment à ce libellé. Ils estimaient qu'il résisterait à l'épreuve du temps parce qu'à un moment donné, la banque doit dire que tel est le coût du prêt.

Le président : Mark Audcent n'était pas libre, mais Michel Patrice est présent. Nous devrions l'entendre. Il s'agit d'une question technique et juridique et qui porte sur le mens rea.

M. Michel Patrice, avocat parlementaire, Services juridiques, Sénat du Canada : Sur votre question portant sur l'utilisation du mot « fairly » en anglais, cette question se poserait en cas de poursuite devant un tribunal. Dans un tel scénario, le défendeur devrait établir combien il lui en coûte pour le traitement de la transaction. Ce serait une question de fait et il faudrait que le défendeur établisse en preuve le coût de la transaction.

Le président : Est-ce que le mot « fairly » serait défini par le tribunal?

M. Patrice : Le tribunal devrait en faire l'évaluation. Cela dépendrait du type de prêts et d'activités, du type de prêteurs.

Le président : Selon vous, est-ce vague et susceptible de créer de l'incertitude, ou bien croyez-vous que c'est assez clair?

M. Patrice : C'est assez clair.

Le sénateur Baker : Est-ce que le mot « fairly » a un historique en jurisprudence, ou bien, à la réflexion, préféreriez- vous le mot « reasonably »?

M. Patrice : Le mot « reasonably » fait l'objet d'une solide jurisprudence. « Fairly » satisferait le tribunal. Peut-être est-ce une bonne chose que ce mot ne soit pas associé à toute la jurisprudence à laquelle a donné lieu le mot « reasonable ».

Le président : Dites-vous que, à votre avis, le mot « fairly » est plus précis que « reasonably » à cause des divers critères qui s'appliquent à « reasonably », dont le sens est plus étendu?

M. Patrice : Oui, il est plus étendu.

Le président : Est-ce bien ce que vous dites?

M. Patrice : Oui.

Le sénateur Baker : Cela soulèverait justement les questions que vous avez soulevées au sujet de ce mot. C'est ce qu'il dit. Toutes ces questions-là seraient soulevées. Si le mot « reasonably » figurait dans ce projet de loi, ce mot a donné lieu à de nombreuses décisions dans des situations de ce genre, « reasonably reflects the costs ».

Le sénateur Angus : N'est-ce pas ce qu'il dit?

Le sénateur Baker : Non, ce n'est pas ce qu'il dit. Ce mot a tout un historique, mais ce n'est pas le cas du mot « fairly». Je ne pense pas que ce soit le cas. Cela soulèverait les questions dont vous parlez, mais c'est plus précis. Je pense que c'est ce qu'il dit.

Le président : Sénateur Angus, je ne voudrais jamais me retrouver obligé de dire ce que le sénateur Baker vient de dire, parce qu'il le dit mieux que moi, mais je pense que ce qu'il dit, c'est qu'il y a toute une jurisprudence au sujet de l'application du mot « reasonable ». Il n'y a par contre aucune jurisprudence relativement au mot « fairly ». Par conséquent, il est d'avis que pour éviter l'incertitude, il serait préférable de se fonder sur une jurisprudence existante plutôt que d'essayer de tout refaire à neuf.

Le sénateur Angus : Ce n'est pas ce que j'ai compris. C'est ce que M. Patrice a dit. Êtes-vous d'accord avec cela? Il me semble qu'il a dit le contraire.

M. Patrice : Pourrais-je avoir le texte de l'amendement?

Le sénateur Massicotte : Le calcul est une affaire de comptabilité. Le mot « fairly » est utilisé par les vérificateurs partout dans le monde. Quand on parle de PCGR, c'est une position financière assez représentative. Je suis certain qu'il y a tout un historique dans le domaine comptable.

Je répète que c'est un calcul comptable. Le mot « fairly » est utilisé par les vérificateurs et je pense qu'il représente mieux l'intention. Le mot « reasonably » pourrait être interprété comme étant déraisonnablement élevé. Le mot « fairly » est normalement utilisé en pareil cas.

[Français]

M. Patrice : En français, on utilise les termes « reflétant adéquatement ».

[Traduction]

Tout dépendra des faits et les faits devront être établis devant le tribunal par le défendeur.

Le sénateur Angus : « Reflecting adequately ».

Le président : Dans la version anglaise, on utilise le mot « fairly », tandis qu'en français, on dit « reflétant adéquatement ». Sénateur Massicotte, y a-t-il une différence entre les deux?

Le sénateur Massicotte : J'ai de la difficulté à concilier le français et l'anglais. Nous avons déjà eu ce débat.

Le président : Sénateur Massicotte, je pense que vous soulevez un point important.

Le sénateur Massicotte : Je préfère le mot « fairly ».

Le président : Quel serait en comptabilité le mot français correspondant à « fairly »?

[Français]

M. Patrice : Je pense au mot « équitablement ».

[Traduction]

Le président : Monsieur Patrice, êtes-vous au courant de la terminologie comptable?

M. Patrice : Je ne suis pas comptable, monsieur le président.

Le président : Le sénateur Massicotte dit que ce mot correspond aux règles de l'art dans la profession des vérificateurs. Si vous deviez plaider une cause dans cette affaire, feriez-vous venir un témoin pour dire que, selon les principes comptables et l'application du mot « fairly » dans des manuels de comptabilité, il s'agit là d'un usage approprié du mot. J'ai entendu l'argument du sénateur Massicotte. La question est de savoir si les termes employés en anglais et en français sont équivalents.

M. Patrice : Oui, ils sont équivalents.

Le président : Sénateur Massicotte, pourriez-vous lire votre amendement, je vous prie?

Le sénateur Massicotte : L'amendement est le suivant :

Que le projet de loi S-19 soit modifié, à l'article 1, à la page 1, par substitution, à la ligne 16, de ce qui suit :

[...] de compte, le dépôt de garantie ou un montant reflétant adéquatement les frais de traitement et d'administration de l'opération, et, dans le [...]

En français, c'est à la ligne 16 :

[Français]

[...] de compte, le dépôt de garantie ou un montant reflétant adéquatement les frais de traitement et d'administration de l'opération et, dans le [...]

[Traduction]

Le président : Le sénateur Massicotte propose que le projet de loi S-19 soit modifié, à l'article 1, à la page 1, par substitution, à la ligne 16, de ce qui suit :

[...] de compte, le dépôt de garantie ou un montant reflétant adéquatement les frais de traitement et d'administration de l'opération, et, dans le [...]

Plait-il aux honorables sénateurs d'adopter l'amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Le président : Que tous ceux qui sont en faveur de l'amendement veuillent bien lever la main.

Ceux qui sont contre?

L'amendement est rejeté.

Nous revenons à l'article 1.

Sénateur Plamondon, avez-vous un amendement à proposer à l'article 1?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Que le projet de loi S-19 soit modifié à l'article 1, à la page 1 :

par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

1.(1) Les définitions de « intérêt » et « taux »;

par adjonction, après la ligne 27, de ce qui suit :

(2) L'article 347 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (8), de ce qui suit :

(9) Le présent article ne s'applique aux conventions ou ententes aux termes desquelles le capital prêté dépasse cent mille dollars.

[Traduction]

Le président : Le sénateur Plamondon propose que le projet de loi S-19 soit modifié, à l'article 1, à la page 1 :

par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« 1. (1) Les définitions de « intérêt » et « taux »;

par adjonction, après la ligne 27, de ce qui suit :

« (2) L'article 347 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (8), de ce qui suit :

(9) Le présent article ne s'applique pas aux conventions ou ententes aux termes desquelles le capital prêté dépasse cent mille dollars ».

Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter cette motion?

Des voix : D'accord.

Le président : Ceux qui sont en faveur?

Le sénateur Massicotte : Avec dissidence.

Le président : Nous allons noter qu'il y a dissidence dans le cas des deux amendements.

Si l'amendement est adopté, l'article 1 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est adopté à l'unanimité.

Des voix : D'accord.

Le président : Le projet de loi est-il adopté avec ou sans amendements?

Des voix : Avec amendements.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence.

Dois-je faire rapport de ce projet de loi modifié à la prochaine séance du Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Félicitations, sénateur Plamondon.

Je voudrais faire une observation. On m'a critiqué pour avoir consacré beaucoup de temps à un projet de loi d'initiative parlementaire. J'estimais toutefois — et ce sentiment était partagé par le vice-président — qu'en dépit du fait que nous avons consacré un temps démesuré à cette affaire, nous trouvions que c'était une question importante sur le plan du principe et du précédent. Nous avons estimé avoir donné au gouvernement amplement l'occasion de répondre.

Le sénateur Angus : Y compris le temps nécessaire pour réagir à l'amendement sur la limite de 100 000 $.

Le président : Nous avons cru donner aux provinces tout le temps nécessaire pour réagir. Donc, je crois que le comité a fait preuve de diligence raisonnable.

Je voudrais remercier la sénateur Plamondon pour sa patience. Elle comprend que ce processus est compliqué. Nous avons fait notre devoir ici, et je lui souhaite bonne chance à la prochaine étape du projet de loi S-19.

Le sénateur Tkachuk : Je voudrais dire encore une fois, afin que la sénateur Plamondon comprenne bien, de même que d'autres membres du comité qui ne sont pas là depuis aussi longtemps que moi, que nous devons féliciter le président et le vice-président pour la façon dont ils se sont occupés de ce projet de loi. C'est probablement le meilleur exemple que j'ai vu de la façon de traiter un projet de loi d'initiative parlementaire ici au Sénat. Depuis que je suis ici, je n'en ai jamais vu traité de cette façon. Avec tout autre président, ce projet de loi n'aurait jamais vu le jour.

Le président : C'est parce que j'ai été moi-même victime des mauvais traitements en comité. J'ai perdu des projets de loi d'initiative parlementaire en un clin d'œil.

La sénateur Plamondon : Je tiens à remercier une dernière fois le président et tous les membres du comité, y compris le sénateur Massicotte. J'aime les défis et j'aime les discussions qu'on a tenues, lui et moi. Je sais que les provinces réagiront à ce qu'il a dit.

La séance est levée.


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