Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 16 - Témoignages du 28 septembre 2005
OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2005
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 16 h 12 pour examiner la situation actuelle du système financier national et international et pour en faire rapport.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus parmi nous. Dans un moment, nous allons commencer une brève mais très intéressante séance portant sur les entités intermédiaires, question importante s'il en est, conformément à notre mandat, soit d'étudier le système financier national et international. Nous sommes en effet officiellement chargés de nous pencher sur ces questions, et nous remercions tous les témoins d'être venus parmi nous aujourd'hui, malgré un si bref préavis.
Nos audiences coïncident avec des consultations tenues par le ministère des Finances et portant sur les fiducies de revenu et d'autres entités intermédiaires, tel qu'annoncé le 8 septembre. Nous avons d'ailleurs des copies du communiqué relatif à cette annonce à la disposition des sénateurs, de nos invités et du public.
De plus, le 19 septembre, il a aussi été annoncé que les décisions anticipées relatives aux entités intermédiaires ne seront pas communiqués pour le moment, le gouvernement préférant se prononcer et agir une fois que les consultations seront terminées. Lorsqu'il a annoncé le report des décisions anticipées sur la fiscalité, le ministre Goodale a aussi précisé que la tenue de consultations répond à certaines préoccupations; on pense en effet que l'usage de plus en plus répandu de ce mécanisme financier pourrait avoir une incidence sur la croissance économique de notre pays.
Cela fait très longtemps que notre comité se penche sur les politiques, les programmes et les autres mesures ayant des répercussions sur la croissance économique de notre pays, et il est tout à fait d'accord avec la thèse voulant qu'une expansion et une productivité économiques fortes soient les conditions indispensables à la prospérité que nous souhaitons tous. Le ministre Goodale ajoute ensuite qu'il souhaite garantir que « les revenus fiscaux du gouvernement sont adéquatement protégés ». Il veut que « des entreprises canadiennes fortes et dynamiques, de toutes les tailles et dans tous les secteurs, contribuent à la prospérité et à la croissance de l'économie ». Notre comité veut certainement lui aussi qu'on protège les recettes fiscales, grâce à un régime fiscal équitable, efficace et transparent, tout comme il souhaite que nos entreprises soient dynamiques et prospères et qu'elles participent à une économie canadienne dynamique et en pleine croissance.
Par le truchement des audiences qu'il tient, le comité veut faire sa part pour faciliter les consultations fédérales portant sur l'importante question des entités intermédiaires et sur leurs incidences économiques et fiscales. Nous n'ignorons pas que ces entités ont connu une progression phénoménale ces dernières années, mais certaines préoccupations à leur sujet justifient un examen attentif. Tout comme le gouvernement, nous tenons nous aussi à ce que les discussions d'aujourd'hui s'effectuent de manière transparente, constructive et équilibrée, et à ce qu'elles soient, nous l'espérons, fructueuses. Nous croyons savoir que les décisions annoncées par le gouvernement ce mois-ci ont entraîné des controverses et des perturbations pour certains investisseurs et entreprises. Nous espérons toutefois que nos délibérations favoriseront la prise de positions équilibrées et réfléchies par rapport à cet important sujet. Une fois les consultations publiques terminées, au début de décembre prochain, nous prévoyons que, tel qu'annoncé, le gouvernement nous dira comment il entend aller de l'avant. Bien entendu, c'est à lui qu'il incombe de choisir le moment et les modalités de cette annonce.
Nous espérons que la diffusion de nos audiences d'aujourd'hui sur les ondes de CPAC et le Web permettra de mieux comprendre ce sujet complexe. Il serait probablement utile en effet de mieux comprendre la nature des entités intermédiaires, particulièrement celles des fonds de fiducie ainsi que les problèmes et les difficultés inhérents à ce genre de mécanisme ainsi que les changements qu'il aurait peut-être lieu de leur apporter. Nous espérons aussi que notre étude permettra à chacun de mieux connaître, non seulement les fonds de fiducie, mais également le système d'imposition des sociétés avec les mesures incitatives et les freins inhérents à ce régime, et particulièrement ses conséquences pour des entreprises dynamiques et en plein essor.
Précisons que les audiences ne portent que sur un des aspects de notre régime fiscal. Nous estimons qu'à terme, on comprendra mieux comment il fonctionne dans son ensemble et comment ses diverses composantes agissent les unes sur les autres. Comme c'est toujours le cas, le principal objectif du Comité sénatorial des banques et du commerce demeure de favoriser la santé et la prospérité de l'économie canadienne et de recommander les mesures qui s'imposent pour qu'elle soit productive et efficace.
Je remercie le ministère des Finances d'avoir acquiescé aussi promptement à notre demande. Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. Leonard Farber, directeur général, Législation, Direction de la politique de l'impôt. Il est accompagné aujourd'hui par Mme Louise Levonian et M. Denis Normand.
Monsieur Farber, nous aimerions bien consacrer une demi-heure à une discussion avec vous, après quoi il y aura une période de questions.
Leonard L. Farber, directeur général, Législation, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de vous pencher sur cette importante question et de nous accueillir ici aujourd'hui. Nous nous réjouissons que vous ayez lancé les consultations. Vous vous trouvez ainsi être la première tribune publique à le faire depuis le communiqué du 8 septembre qui portait sur cette question. Les sénateurs ont tout à fait raison d'affirmer qu'on veut tenir des délibérations à la fois vastes et transparentes, dans le but d'entendre des gens de l'extérieur du gouvernement s'exprimer sur certaines questions relatives aux entités intermédiaires publiques et au milieu dans lequel évoluent les sociétés. Aujourd'hui, nous allons nous efforcer de vous fournir des renseignements généraux sur ces consultations et allons aussi vous présenter les principales articulations de notre mémoire. Nous nous ferons aussi un plaisir de répondre aux questions que voudront nous poser les sénateurs.
Avant d'aborder certaines parties de notre document, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'annonce faite par M. Goodale le 19 septembre dernier, lorsqu'il a demandé au ministre du Revenu national, l'honorable John McCallum, de suspendre les décisions anticipées relatives aux entités intermédiaires. Il importe ici de préciser qu'à elle seule, cette annonce n'influera en rien sur les conclusions auxquelles le processus de consultation pourrait arriver. Elle a été faite afin que les gens concernés soient au courant de l'émission du document relatif aux consultations et qu'ils le prennent au sérieux. Il faut aussi souligner qu'il serait déplacé de la part du gouvernement d'émettre des décisions fiscales anticipées sur des questions au sujet desquelles il tient en même temps des consultations. Pendant que ce vaste processus est en cours, il importe que les décisions portant sur les sujets étudiés demeurent donc en suspens jusqu'à la présentation de certaines conclusions et recommandations.
Les honorables sénateurs n'ignorent sans doute pas que les décisions anticipées sont de nature administrative et non juridique. Par conséquent, Revenu Canada ne se prononcera pas sur l'application de la loi par rapport à certains faits ou à certaines transactions qui pourraient lui être soumis pendant la durée des consultations. Honorables sénateurs, dans ses propos, le ministre, et d'ailleurs le président du comité il y a quelques instants, ont encouragé le public à participer au processus, qui commence dès maintenant.
L'un des moyens expliqués dans le document qui annonce la consultation est la tenue de colloques partout au pays, ce dont se chargera l'Association canadienne d'études fiscales, à notre demande. Nous espérons que ces rencontres aient lieu à Toronto, dans l'Ouest et ailleurs, et qu'y participeront fiscalistes et gens d'affaires, en y présentant des mémoires et en discutant librement des mérites de certains mécanismes et des entités intermédiaires elles-mêmes, de leurs fonctions et de leurs avantages, et enfin, de la manière dont elles rendent l'économie plus efficace et dont les sociétés qui les utilisent fonctionnent. Grâce à ce processus, nous obtiendrons des renseignements susceptibles de nous aider à adopter les grandes orientations que nécessite l'utilisation de tels instruments financiers.
Les consultations portent en général sur toutes les entités intermédiaires publiques, et particulièrement sur les fiducies de revenu ou d'entreprise, les fiducies de redevances de ressources naturelles, les fonds de placement immobilier et les sociétés de personnes en commandite. Ces dix dernières années, les entités intermédiaires publiques sont devenues des moyens de placement de plus en plus répandus. Les fiducies de revenu d'entreprise sont toutefois plus récentes que les fonds de redevances de ressources naturelles et que les fonds de placement immobilier et les sociétés de placement, qui existent depuis le début des années 1980.
On peut répartir les questions à étudier sous quatre grandes rubriques : premièrement, les effets du traitement fiscal de ces instruments et comment les sociétés canadiennes sont organisées; en deuxième lieu, leurs effets sur les recettes fiscales fédérales; troisièmement, le rôle joué sur le marché par les investisseurs exemptés d'impôt, et en quatrième lieu, les effets du traitement fiscal des entités intermédiaires sur l'économie canadienne.
Par rapport à ces quatre grandes catégories, le document pose cinq questions afin d'encadrer la discussion que nous voulons voir se tenir d'ici la fin de l'année.
Les cinq grandes questions sont les suivantes : est-ce que les avantages fiscaux des entités intermédiaires par rapport aux sociétés cotées en bourse ont des répercussions importantes sur la façon dont les entreprises sont constituées au Canada? Les entités intermédiaires ont-elles eu une incidence importante sur les recettes fiscales? Par rapport à cela, les pertes de recettes pourraient-elles s'aggraver au cours des prochaines années si ce marché continue de s'étendre? Quel est l'effet des entités intermédiaires sur les décisions prises en matière de placement et sur l'affectation des capitaux au Canada? Est-ce que les répercussions générales de cela sont positives ou négatives pour l'économie? Étant donné le rôle important que jouent les investisseurs exonérés d'impôt sur les marchés financiers canadiens et qu'ils peuvent jouer sur le marché des entités intermédiaires, quelles sont les répercussions éventuelles de cela sur les recettes gouvernementales et sur l'efficience économique? Dans l'ensemble, les entités intermédiaires suscitent-t-elles des préoccupations administratives et des inquiétudes à cause de la façon dont le régime fiscal favorise peut-être leur existence? Si tel est le cas, quelles mesures devrait-on envisager afin d'y répondre?
Cela étant dit, le secteur des entreprises et l'impôt des sociétés et l'impôt sur le revenu des particuliers réunis devraient aussi donner lieu à des discussions intéressantes.
Honorables sénateurs, cela vous donne une idée d'ensemble de la façon dont les consultations seront encadrées et dont nous nous efforcerons de recueillir des renseignements à des fins d'analyse.
Nous estimons important d'expliquer certaines des répercussions implicites des entités intermédiaires sur le plan des politiques fiscales, de donner aussi une idée de la croissance de ce marché ces dernières années et enfin de comparer notre situation à celle d'autres pays.
Je sais le temps est compté. Mes collègues vont donc parcourir brièvement l'essentiel du document, qui cherche à susciter l'intérêt de la population pour ces consultations.
Si vous n'y voyez pas d'objection, monsieur le président, je vais donc céder la parole à Mme Louise Levonian, afin qu'elle vous donne un aperçu de certaines de ces questions.
Louise Levonian, directrice, Division de l'impôt des entreprises, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Honorables sénateurs, si vous me le permettez, j'aimerais d'abord mettre ces discussions en perspective. Ainsi qu'on l'a mentionné, ces dernières années, on a assisté à une forte croissance de la capitalisation boursière. Elle a atteint 119 milliards de dollars à la fin de 2004, ce qui représente une hausse de 18 milliards de dollars par rapport au même moment en 2000, et fin août, cette même capitalisation avait progressé de 170 milliards de dollars.
Ici, j'aimerais attirer votre attention sur la page 11 du document de consultation, où l'on trouvera une ventilation entre les diverses fiducies de revenu et les sociétés de personnes en commandite. On note une croissance des fiducies de revenu d'entreprise, des fiducies de redevances de ressources naturelles, des sociétés de placement immobilier et des sociétés de personne en commandite. Vous observerez aussi que ce sont les fiducies de revenu d'entreprise qui ont connu la plus forte progression.
Nous prévoyons la poursuite de cette croissance dans un avenir rapproché, et ici, j'aimerais attirer votre attention sur certains facteurs. Il a été question d'assujettir les investisseurs ayant acquis de telles entités de fiducie de revenu à une responsabilité civile limitée. Les provinces ont d'ailleurs déjà agi en ce sens. L'Alberta a légiféré à cette fin en mai 2005, le Manitoba en juin 2005 et l'Ontario en décembre 2004. Quant au Québec, il a adopté une législation semblable en 1994.
En outre, Stantard & Poors a annoncé que d'ici mars 2006, certaines fiducies de revenu et entités intermédiaires figureront à l'indice composé S&P/TSX, bien qu'on se soit demandé si cette entreprise de cotation ne va pas surseoir à cette mesure pour le moment.
Pour ce qui est des répercussions éventuelles des entités intermédiaires sur la politique fiscale, l'un des facteurs ayant mené à la croissance de ces instruments de placement a été leur capacité de rapporter des sommes aux investisseurs sans que les entités elles-mêmes soient assujetties à l'impôt. C'est leur attrait essentiel.
Cela diffère du traitement fiscal des sociétés et de leurs actionnaires, où on perçoit l'impôt à la fois de la société et de l'actionnaire lors de la répartition des revenus. En revanche, en règle générale, les entités intermédiaires ne paient aucun impôt, mais distribuent le revenu aux investisseurs. Par conséquent, pour peu que l'investisseur soit assujetti à l'impôt, le gouvernement peut alors aller chercher des recettes fiscales.
La plupart des montants distribués par les entités intermédiaires sont des revenus pour les investisseurs, bien qu'ils soient de nature variable, prenant par exemple la forme de gains en capital ou de rendement du capital.
Je vais maintenant comparer notre situation à ce qui se fait dans d'autres pays.
La croissance très rapide que les entités intermédiaires ont connue au Canada ces dernières années semble mettre notre pays dans une situation unique. Toutefois, le traitement fiscal d'entités intermédiaires n'a rien de nouveau. Il existe aussi dans d'autres pays. L'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont eux aussi dotés de ce moyen de placement. En général, là-bas, on les assujettit à l'impôt sur les sociétés mais aussi à davantage de restrictions. Ainsi par exemple, aux États-Unis, à quelques exceptions près, les entités intermédiaires sont traitées de la même manière que les sociétés. En Australie, des instruments publics de placement semblables aux entités intermédiaires canadiennes sont le plus souvent traités tout comme les sociétés. Il importe cependant de noter qu'en Australie, les régimes d'imposition des sociétés et des particuliers sont pleinement intégrés, ce qui dissuade donc les gens d'opter pour ce genre de mécanismes.
Le Royaume-Uni envisage un nouveau régime fiscal visant les sociétés de placement immobilier, mais il ne semble pas pour le moment s'être doté de la même sorte d'entités intermédiaires que le Canada. Cela tient peut-être au fait qu'il existe dans cet autre pays des règlements plus strictes.
Pour ce qui est des répercussions sur les revenus, on s'est beaucoup intéressé à la perte de recettes fiscales fédérales. Selon le ministère, en 2004, les entités intermédiaires ont eu pour effet de priver le Trésor fédéral de recettes fiscales totalisant 300 millions de dollars. Par conséquent, les recettes totales du gouvernement ont été inférieures à ce qu'il aurait perçu n'eut été l'existence des entités intermédiaires.
À la page 32 de notre document, vous remarquerez que le montant estimatif de 300 millions de dollars est ventilé selon le genre d'entité : les fiducies de revenu d'entreprise, les fiducies de redevances de ressources naturelles, les fonds de placement immobilier (FPI) et les sociétés de personnes en commandite. Les fiducies de revenu d'entreprise correspondent à 120 millions de dollars des coûts, les fiducies de redevances de ressources naturelles à 55 millions de dollars, les FPI à 80 millions de dollars et les sociétés de personnes en commandite à 45 millions de dollars.
Le calcul de ces sommes repose sur une comparaison entre les montants payés en vertu du régime d'imposition des sociétés et ceux perçus grâce au régime des entités intermédiaires. Dans le cas du premier terme de la comparaison, on a tenu compte de l'impôt payé par les sociétés. On a aussi comptabilisé l'impôt sur le revenu ou le prélèvement libératoire payé par les actionnaires ainsi que l'impôt payé par des tiers prêteurs sur les revenus d'intérêt.
Selon le régime des entités intermédiaires observé, les recettes fiscales comprenaient l'impôt payé, le cas échéant, par l'entité en exploitation, l'impôt sur le revenu des particuliers payé par l'investisseur et, encore une fois, l'impôt sur le revenu des particuliers payé par des tiers prêteurs.
Ces estimations sont très sensibles à certains paramètres. Il importe de noter que la proportion d'entités intermédiaires détenue par des investisseurs exonérés d'impôt et le taux moyen d'imposition des sociétés au fédéral sont des éléments primordiaux à cet égard. J'attire ici votre attention sur le tableau 6 à la page 33, qui présente une analyse de cette sensibilité. On y trouve la proportion d'entités intermédiaires détenue par des investisseurs exonérés d'impôt et, à la gauche, le taux d'imposition des sociétés.
Lorsqu'on modifie les divers éléments, on découvre que les fuites et les pertes de revenu peuvent varier selon les postulats retenus. Dans la troisième colonne, à la deuxième ligne, vous pouvez voir le montant estimatif de 300 millions de dollars, qui nous paraît raisonnable en nous fondant sur nos postulats.
Toujours au même tableau, vous pouvez constater qu'une augmentation d'un seul point de pourcentage, par exemple, dans la colonne des investisseurs exonérés d'impôt à 0 p. 100, alourdit la fuite de revenus. Cela se trouve à diminuer les revenus de quelque 130 millions de dollars que nous aurions pu percevoir. Un seul point de différence à donc d'énormes conséquences pour les revenus estimatifs. Si on regarde le pourcentage d'entités intermédiaires détenues par des investisseurs exonérés d'impôt, en passant de 0 à 20 p. 100, la différence s'élève à plus de 200 millions de dollars.
En guise d'explication, le taux d'imposition des sociétés que vous voyez ici n'est pas le taux réel. C'est le taux moyen appliqué aux bénéfices avant intérêts, dépréciation et amortissement. C'est fondé sur le montant des revenus et le taux appliqué à ce montant, par opposition au taux appliqué au revenu imposable, et c'est ce dernier taux que vous avez sans doute à l'esprit, c'est-à-dire le taux fédéral de 21 p. 100.
Le sénateur Oliver : C'est donc inégal?
Mme Levonian : Oui. Cela tient compte des impôts futurs, c'est-à-dire que certaines entités exonérées d'impôt comme les caisses de retraite et les REER peuvent avoir à l'avenir des incidences sur les revenus fiscaux. Cependant, nous nous attendons à une incidence annuelle relativement minime.
Le document aborde aussi le fait qu'il y a également des répercussions sur les revenus fiscaux des provinces. Il y a possibilité d'un changement de l'assiette de l'impôt provincial sur les sociétés. Il y a possibilité de pertes de revenus pour les gouvernements provinciaux.
En particulier, le glissement éventuel de l'assiette fiscale des provinces présente un aspect intéressant. Par exemple, si une société se déleste de certains actifs dans une province donnée, l'assiette d'impôt des sociétés sera sensiblement réduite. Une partie de l'assiette fiscale se déplace vers les investisseurs. Il y a un élément intéressant de glissement de l'assiette fiscale dans le cas des provinces.
Enfin, je voudrais aborder une question que M. Farber a évoquée et qui revêt une grande importance pour nous, à savoir l'efficience économique.
Étant donné que le régime fiscal peut être un facteur dans la décision d'utiliser une entité intermédiaire pour structurer un secteur d'activité donné, il est important de déterminer quelles en sont les conséquences pour l'économie canadienne. Des arguments contradictoires ont été invoqués sur cette question. D'aucuns soutiennent que le traitement fiscal des entités intermédiaires entraîne une plus grande efficience économique. D'autres soutiennent plutôt que le traitement fiscal crée une distorsion dans les décisions d'investissement et cause une baisse de l'efficience économique.
Du côté positif, les entités intermédiaires peuvent supprimer un obstacle à la distribution des bénéfices. On a soutenu que puisque les dirigeants d'entreprise peuvent avoir un choix d'options plus limité que celui des actionnaires pour ce qui est du réinvestissement, il peut être préférable que le rendement soit réparti parmi les investisseurs, surtout lorsque les liquidités proviennent d'entreprises parvenues à maturité ayant peu de potentiel de croissance.
Les entités intermédiaires peuvent aussi promouvoir l'efficience en créant un important réservoir d'investisseurs potentiels détenteurs d'actifs à maturité, et elles représentent une option de financement pour les entreprises qui veulent réduire leur endettement et restructurer leur bilan en transférant des actifs générateurs de revenus.
D'autre part, le régime fiscal pourrait amener à prendre des décisions en matière de structure d'entreprise qui peuvent déboucher sur de l'inefficience. Cela pourrait arriver, par exemple, si des entreprises se transformaient en entité intermédiaire avant d'avoir atteint l'étape de la maturité, par exemple, pendant la période d'innovation ou de croissance. Certains ont soutenu qu'il serait difficile pour une fiducie d'attirer des capitaux de R-D, par exemple. Le débat se poursuit.
De plus, la distribution des liquidités aux investisseurs ne résulte pas nécessairement en des gains d'efficience si les actionnaires ne disposent pas de renseignements parfaits sur lesquels fonder leurs décisions. S'adresser de nouveau aux marchés de capitaux pour un reclassement de titres pourrait être plus coûteux que de financer la croissance au moyen des bénéfices non répartis. De plus, les entreprises à maturité qui utilisent la structure de société peuvent être défavorisées en comparaison de celles qui fonctionnent comme entités intermédiaires, et il y a donc une argumentation fondée sur l'équité ou la compétitivité. Dans la mesure où certaines sociétés à maturité peuvent se buter à des obstacles qui les empêchent d'utiliser efficacement une entité intermédiaire, on peut soulever des préoccupations relatives à la concurrence déloyale. Enfin, d'aucuns ont soutenu qu'il peut aussi y avoir inefficience économique si les entités intermédiaires favorisent l'investissement dans des industries à faible croissance.
M. Farber : Comme vous pouvez le voir, monsieur le président, ce ne sont pas des questions faciles. Elles soulèvent tout un éventail de préoccupations en matière d'efficience économique, de capitalisation, du mérite d'une structure par rapport à l'autre, et la question de savoir si le régime fiscal lui-même détermine dans quelle structure on décide de fonctionner comme entreprise. Je trouve qu'il est important d'obtenir l'avis des intéressés sur ces questions et nous avons hâte que l'on commence les consultations. Nous comptons certes sur votre comité comme élément intégral de ces consultations et nous vous en remercions. Nous avons des relations de longue date avec le comité et nous pensons que ce cadre ne peut que favoriser la cueillette d'une information qui sera importante pour déboucher sur des conclusions et des recommandations qui, nous l'espérons, résulteront de ce processus.
Nous répondrons volontiers à toutes les questions que les honorables sénateurs auraient à poser au sujet de ce dont on vient de parler.
Le président : Je vous remercie beaucoup pour votre exposé.
Le sénateur Angus et moi-même avons en commun un vif intérêt envers une économie forte et productive. Nous abordons parfois la question différemment. Il voudrait faire une brève déclaration, si vous n'avez pas d'objection, après quoi il sera le premier à poser des questions.
Le sénateur Angus : Merci, monsieur le président. Je m'engage à faire trois choses.
Premièrement, pour le compte rendu, je voudrais faire la déclaration suivante relativement au nouveau code sur les conflits d'intérêts à l'intention des sénateurs que l'on a adopté pendant l'été et qui est maintenant en vigueur. Je voudrais dire publiquement qu'au début de la séance, j'ai déposé auprès du greffier, avec copie au président, une déclaration écrite d'un intérêt privé en conformité de l'article 14 du code sur les conflits d'intérêts à l'intention des sénateurs, déclaration dans laquelle je dis, entre autres choses, que j'ai des motifs raisonnables de croire que j'ai peut- être un intérêt privé, quoique indirect, qui pourrait être touché par nos audiences sur les fiducies de revenu. Cet intérêt consiste dans le fait que je suis associé au cabinet d'avocats Stikeman Elliott. J'ai joint à cette déclaration une lettre dans laquelle je précise que, quoique le cabinet Stikeman Elliott s'occupe activement du domaine des fiducies de revenu et traite avec des clients qui peuvent éventuellement être touchés par ce que notre comité pourrait avoir à dire sur la question, je n'ai personnellement absolument rien à voir avec cette pratique ni avec aucun des clients en question; que les audiences que nous débutons aujourd'hui n'ont absolument aucun rapport, pour autant que je sache, avec le fait que je sois associé chez Stikeman Elliott, et que je participe à ces audiences à titre de sénateur et de vice-président du comité vivement intéressé à remplir notre mandat concernant la santé du système financier canadien.
La déclaration que je viens de faire oralement est conforme à l'article 15 du code sur les conflits d'intérêts. Je demanderais au président et au greffier de veiller à ce qu'on fasse scrupuleusement le suivi conformément au code.
Le président : Je confirme que nous avons reçu un document plus volumineux du sénateur Angus en conformité des règles. Je l'en remercie.
Le sénateur Angus : Deuxièmement, je voudrais remercier nos amis de Finances Canada d'être ici présents aujourd'hui, ainsi que tous ceux qui sont ici pour écouter et pour participer à nos audiences, de même que tous ceux qui nous écoutent dans le cyberespace et sur le réseau CPAC et qui, nous le savons, suivent assidûment les délibérations de notre comité.
Je voudrais par ailleurs, non pas nécessairement contester la déclaration liminaire qu'a faite mon collègue le sénateur Grafstein, mais peut-être amplifier cette déclaration. Nous avons effectivement le mandat de superviser l'intégrité et la stabilité du système financier. Dans ce contexte, nous connaissons bien le document de discussion et nous avons l'intention de participer à vos délibérations en temps voulu.
Cependant, au cours de la courte période suivant le 8 septembre, comme les faits l'indiquent maintenant clairement, les fiducies de revenu sont devenues fort populaires. Vous avez fait suivre cela d'une déclaration à propos d'un moratoire sur les décisions anticipées, ce qui a créé sur le marché — je n'aime pas utiliser des mots comme « désarroi » ou encore « perturbation », mais disons plutôt que cela a créé de l'incertitude.
Il en est résulté directement l'effondrement immédiat de la capitalisation boursière dans les fiducies de revenu; on nous a dit et nous avons lu que cette baisse atteint peut-être 9 milliards de dollars. Le président et moi-même et le comité directeur de notre comité avons estimé que nous ne pouvions plus attendre et que nous devions participer à vos audiences; c'est une question très préoccupante pour les marchés financiers du Canada et leur organisation. C'est pourquoi nous avons peut-être anticipé le départ, dans votre esprit, mais nous voici ici maintenant et nous espérons obtenir certaines précisions.
À titre de membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, nous savons que la clarté est importante pour que les marchés fonctionnent de manière ordonnée. Dès qu'il y a beaucoup d'incertitude, on risque la catastrophe.
Je suis certain que tous ceux qui sont ici présents seront d'accord avec moi là-dessus. Je voulais ajouter cette apostille à la déclaration liminaire du sénateur Grafstein, si l'on n'a pas d'objection. Voulez-vous faire un commentaire, sénateur Grafstein?
Le président : Comme vous le constaterez, notre comité est énergique et dynamique et nous pouvons envisager une même question sous des angles quelque peu différents. Le sénateur a son point de vue là-dessus. J'ai fait ma déclaration, mais en fin de compte, nous visons tous les deux le même résultat, à savoir renforcer la productivité et l'efficience du marché.
Je vais laisser le sénateur Angus poser sa première question.
Le sénateur Angus : Je pose ma question aux représentants du ministère des Finances collectivement. Je connais M. Farber; on me dit que vous êtes la locomotive dans ce dossier. Je pense que chacun doit savoir ou devrait savoir que le ministre, M. Goodale, a été invité à témoigner devant nous aujourd'hui. Nous lui avons fait savoir que nous tiendrions ces audiences plutôt exceptionnelles, étant donné que c'est notre premier jour de retour de vacances. Il n'est pas ici, mais l'invitation tient toujours et je suis convaincu qu'il viendra très bientôt discuter avec nous et nous faire part de ses vues sur le système financier.
Le président : Je devrais peut-être ajouter à ce que le sénateur a dit. Il est vrai que nous lui avons demandé s'il voulait bien venir témoigner. Nous n'avons pas insisté. Nous tenions absolument à connaître les faits, et vous nous les avez maintenant présentés au nom du gouvernement. Le ministre aura l'occasion de venir. Nous entendrons plus tard cet automne le gouverneur de la banque et nous espérons par la suite entendre le ministre. Cela lui donnera l'occasion de venir et de nous faire part de ses réflexions sur ce que nous avons dit aujourd'hui; et nos recommandations suivront, le cas échéant. Je pense que nous aurons amplement l'occasion d'entendre le ministre en temps voulu.
Le sénateur Angus : Je vous demande de bien vouloir interpréter mes propos à la lumière de mes commentaires de tout à l'heure, empreints de bonne volonté. Je suis obligé toutefois de formuler ma question d'une manière que vous risquez peut-être de trouver impolie.
Il s'agit du processus. Étant donné qu'il semble y avoir eu un changement assez profond en une période d'à peine plus d'une semaine, quel était le processus à votre ministère qui a débouché sur la décision de ne plus rendre de décisions anticipées?
Le ministre a publié le document de consultation seulement 11 jours avant cette décision, ce qui est très bien. Les marchés fonctionnaient et les participants et les actionnaires poursuivaient leurs activités en sachant que ce processus se déroulait. Qu'est-il arrivé au ministère entre le 8 septembre et le 19 septembre? Quel a été le déclencheur, précisément? Quand la décision a-t-elle été prise et qui était présent au ministère? Peut-être que cela pourrait jeter un peu de lumière sur les tenants et aboutissants de cette décision et sur ce qui s'est passé.
M. Farber : Un processus est en cours depuis mars 2004, date à laquelle le gouvernement a annoncé pour la première fois une intervention limitée dans le domaine des actions accréditives en imposant certaines limites aux caisses de retraite. À ce moment-là, cela s'inscrivait dans le processus budgétaire et des instances assez pressantes ont été faites parce qu'il n'y avait pas eu assez de consultations. On nous a dit que l'intervention dans le dossier des caisses de retraite était inappropriée et que le gouvernement bénéficierait d'une consultation. Par conséquent, le gouvernement a annoncé à ce moment-là la suspension de ces règles, en attendant de plus amples consultations et l'élaboration d'un document de consultation pour obtenir le point de vue du public.
Dans l'intervalle, entre ce moment-là et le budget de l'année suivante en février 2005, le gouvernement a introduit une autre mesure importante relativement aux limites de la propriété étrangère, supprimant toute limite à la propriété étrangère pour le secteur exonéré d'impôt et le montant qu'il pouvait investir. Encore là, la dynamique du marché des entités intermédiaires a alors changé parce que cela visait non seulement les fiducies de revenu, mais essentiellement toutes les entités intermédiaires, y compris les sociétés en commandite. Pendant ce processus, on continuait la rédaction du document.
Ce document a finalement été publié le 8 septembre, mais dans un environnement où nous avions tenu des discussions et des consultations avec le secteur de façon générale, sans avoir l'avantage de pouvoir lire ce document. Après la publication de ce document, je pense que vous avez raison de dire que rien ne semble s'être passé. En fait, je crois que le document a été accueilli froidement et n'a pas été pris tellement au sérieux. On a continué à lire des articles sur des sociétés qui envisageaient de se transformer en fiducie, et tout continuait comme si rien ne s'était vraiment passé.
Comme je l'ai dit dans mon allocution, sénateur, le processus des décisions est de nature administrative et non pas juridique. C'est simplement une déclaration de l'Agence de revenu du Canada qui donne son interprétation de la loi dans un contexte particulier. C'est exécutoire dans la mesure où la transaction est effectuée exactement dans le contexte auquel s'appliquait la décision.
Le président : C'est au cas par cas.
M. Farber : Oui.
Le président : C'est un peu comme une affaire judiciaire, mais c'est limité aux faits en l'espèce tels qu'ils sont présentés par le candidat; est-ce bien cela?
M. Farber : C'est cela.
Le sénateur Angus : En outre, je pense qu'il est juste de dire qu'il n'est même pas nécessaire d'avoir une décision anticipée.
M. Farber : C'est ce que j'allais dire.
Le sénateur Angus : Voilà; nous sommes à l'unisson. Nous cherchons toutefois à identifier l'élément déclencheur.
Le président : Nous devons faire plus attention; nous ne pouvons pas être tout le temps d'accord, alors essayons de faire un peu mieux la part des choses.
M. Farber : Je vais essayer de faire attention, monsieur le président.
Le sénateur a entièrement raison; ce n'est pas nécessaire. En fait, les médias d'information ont rapporté clairement dans de nombreux articles que pour la grande majorité de fiducies de revenu et fiducies énergétiques cotées à la bourse, aucune décision de ce genre n'a jamais été demandée. Dans ce contexte, c'est une question intéressante de savoir quel est l'impact d'un moratoire sur de telles décisions alors même que, premièrement, les décisions ne sont même pas nécessaires pour la poursuite des activités de l'entreprise; et, deuxièmement, bien souvent — je ne dirai pas dans la plupart des cas parce que je ne les connais pas tous —, d'après les articles publiés là-dessus, je crois comprendre que très peu de décisions ont été demandées dans ce domaine. On a demandé une décision dans les cas où la transformation avait déjà eu lieu et relativement à certains aspects de la fiducie de revenu mais pas sur la transformation elle-même. Par conséquent, à certains égards, cela ne devrait pas avoir d'incidence. À bien des égards, on pourrait...
Le sénateur Angus : Pourquoi l'avez-vous fait?
M. Farber : On pourrait considérer cela comme une réaction différée, parce que le document expose fondamentalement ces questions importantes et ce que le gouvernement compte discuter et sur quoi il veut consulter. Le document établit le cadre pour le déroulement du processus. Les questions abordées vont au cœur de la manière dont les sociétés sont capitalisées, pourquoi les entités intermédiaires sont utilisées comme structure de prédilection, et tout le reste. Comme ma collègue l'a dit, quand on fait des comparaisons internationales, il ressort clairement que beaucoup d'autres pays ont étudié la question et ont pris certaines mesures.
Je pense que le document lui-même doit être considéré, non pas comme une sorte de réaction, mais plutôt comme l'indication que le gouvernement est sérieux dans cette affaire. Le gouvernement a pris son temps pour rédiger le document, lequel est neutre dans ce contexte. On s'y efforce d'exposer la problématique d'une manière neutre et équilibrée et, je l'espère, transparente, pour que la discussion et la consultation prennent place dans un cadre où l'on pourra entendre le point de vue de tous, peu importe quel est l'angle d'attaque. Chose certaine, nous avons entendu des interventions de toutes parts.
Le sénateur Angus : Monsieur Farber, ma question n'était pas tellement compliquée. Ce que je vous entends dire, et je dis cela dans le plus grand respect que j'ai à votre égard et envers vos collègues et envers tout ce que vous essayez de faire en l'occurrence, c'est que parce qu'il n'y a pas eu vraiment de réaction au document, une décision a été prise de brasser la cage, s'il l'on peut dire. Ma question est celle-ci : que s'est-il passé entre le 8 septembre et le 19 septembre pour déclencher ce moratoire? Y a-t-il eu beaucoup de nouvelles demandes? A-t-on pris connaissance de nouveaux éléments? Quelle qu'en soit la raison, cela a plongé le marché, le milieu des finances dans l'incertitude. Voilà ce qui nous préoccupe et nous essayons d'obtenir grâce à nos audiences des renseignements susceptibles d'apaiser la tempête.
Selon l'une des interprétations qu'on entend, assez simpliste, pendant une période soutenue de faibles taux d'intérêt, des effets courants tels que des instruments de placement à revenu fixe ne fournissaient pas le niveau de revenu dont avaient besoin des gens à revenu fixe, comme les pauvres sénateurs. Ils avaient besoin d'un rendement plus élevé sur leurs placements. C'est pour cela qu'on aurait conçu des fiducies de revenu et qu'on leur aurait donné naissance. Vous avez parlé de chiffres et de la remarquable croissance de la capitalisation boursière. Les fiducies de revenu ont réussi à s'infiltrer dans les fonds de pension, ou les REER, dont le rendement a ainsi doublé, du fait qu'ils échappaient à l'impôt. Tout d'un coup, en raison de l'effondrement de la semaine dernière, toutes les économies des petites dames âgées se seraient évaporées. Ici, je peux dire que le Parti conservateur a reçu là-dessus de nombreuses plaintes par courriel au cours de la semaine écoulée. Nous voulons donc une réponse.
M. Farber : D'abord, on a réussi à se remettre dans une grande mesure de la réaction immédiate à l'annonce des consultations. Dans 50 p. 100 des cas, les pertes entraînées un ou deux jours après l'annonce du moratoire ont été épongées. Compte tenu de cela, à mon avis, on fait surtout des conjectures sur ce que cela a représenté.
Le sénateur Angus : Vous ne pensez pas que les faillites ou les bilans déposés par certains fonds ou certaines fiducies en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers ont quelque chose à voir avec l'annonce? Selon vous, il ne s'agirait alors que de dommages indirects, comme on dit?
M. Farber : Je le répète, à la longue, une telle réaction aurait eu lieu de toute façon. Ce qui l'a déclenchée aussi rapidement, à mon avis, c'est la communication du document de consultation, suivie de près par une foule d'articles portant sur le nombre croissant de transformations en fiducie. Tout se passait comme si le document n'avait pas été fourni et qu'aucun processus de consultation n'avait été lancé. Compte tenu de cela, le gouvernement devait clairement s'abstenir d'émettre des décisions et d'approuver des transactions pendant la durée des consultations.
Le sénateur Angus : S'agit-il ici de vos gens? Est-ce que ce sont les fonctionnaires du ministère des Finances qui ont eu cette idée, ou est-elle venue de M. Goodale?
M. Farber : Je parle des gens du ministère des Finances. M. Goodale s'exprimera en son propre nom lorsqu'il témoignera devant vous.
Les fonctionnaires du ministère ont certainement estimé qu'en raison de la publication du document de consultation et des transactions qui semblaient en cours, il ne convenait pas de rendre des décisions touchant ces affaires. C'était un mécanisme inadapté et son usage a donc été suspendu jusqu'à la conclusion du processus. Ça ne signifie pas que les transactions ne peuvent s'effectuer, ni qu'une fois les consultations terminées, elles ne bénéficieront pas d'une décision anticipée au moment propice, mais tout simplement que pendant la durée des vastes consultations sur tous les aspects du sujet et auprès de diverses parties prenantes, le gouvernement a choisi de suspendre le mécanisme.
Le sénateur Angus : C'est un bon point de départ.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : En général, les gens ont des unités dans des fonds de pension, un régime d'épargne- action ou ont commencé à vivre à partir des revenus de leurs placements. Pour une personne qui n'est pas un expert, qui a acheté d'un courtier de bonne foi, lorsque les revenus sont distribués, on nous dit que si on revient à la méthode antérieure, tous ces gens recevront moins d'argent. Ce genre de véhicule financier et la façon fiscale de le traiter ont-il été créés dans un but particulier à l'origine? Vous avez parlé tout à l'heure d'immeubles et du secteur énergétique, mais on a entendu parler des compagnies de communication, des banques, de tout le monde et de son père qui n'ont pas nécessairement des revenus identiques d'une année à l'autre, qui n'ont pas toujours la même performance. On a vu des compagnies de communication avec de très hauts revenus passer à de très bas revenus.
Où se situe notre retraité dans un tel système? Son revenu va-t-il automatiquement baisser? La valeur de son unité va-t-elle automatique baisser? Est-ce que son capital est protégé?
[Traduction]
Le président : Ça c'est une question.
M. Farber : Monsieur le président, pour ce qui est des personnes âgées ayant besoin d'une distribution mensuelle de leurs rentrées de fonds, franchement, un mois après l'annonce, on distribue les mêmes montants qu'un mois avant. Aussi, le taux des rentrées ou les montants demeurent à peu près les mêmes, à moins qu'il ne se produise quelque chose dans l'entité elle-même de nature à justifier un changement du niveau de la distribution. Ce qui fluctue en fait, c'est le taux de la distribution en fonction de la valeur du capital. Il monte ou il baisse selon la valeur de l'unité sur le marché. Par conséquent, rien n'a vraiment changé pour les retraités qui cherchent des rentrées de fonds à distribution mensuelle. La valeur de l'unité peut bien fluctuer, mais tout comme celle de l'action ordinaire d'une compagnie cotée en bourse, en fonction de diverses variables, dont les taux d'intérêt, mais la distribution mensuelle n'a pas changé.
Le sénateur Harb : J'irai droit au but. À mon avis, vous avez raison de prendre cette initiative. J'aimerais aussi poser une question précise au sujet des consultations et du moratoire.
À la page 4, lorsque vous indiquez une croissance de 118 milliards de dollars, vous parlez des répercussions sur les recettes fiscales, affirmant, à la page 5, que les recettes fédérales de 2004 étaient de 300 millions de dollars inférieures à ce qu'elles auraient été si les entités intermédiaires avaient eu les mêmes structures que les sociétés. Est-il vrai que si, sur le plan fiscal, elles avaient été traitées sur le même pied que les sociétés, elles auraient quand même obtenu des revenus de 188 milliards de dollars?
Mme Levonian : Je ne crois pas avoir bien compris.
Le sénateur Harb : Le montant de 300 millions de dollars se fonde-t-il sur le postulat d'après lequel la capitalisation boursière totale de 118 milliards de dollars dans ce secteur serait demeuré la même malgré l'assujettissement au même impôt que les sociétés? Il n'y aura aucune disparition; personne n'abandonnera; les entités représenteront encore la même valeur, c'est bien cela? Est-ce là votre hypothèse?
Mme Levonian : En fait, les chiffres ne se fondent pas sur la capitalisation boursière des sociétés ou des entités intermédiaires mais sur les gains. Le modèle correspondant aux revenus estimatifs repose sur les gains avant intérêt, il ne s'agit donc pas de la capitalisation boursière de la société ou de la fiducie, mais bien des gains.
Le sénateur Harb : C'est précisément là où je voulais en venir. Vous avez comme postulat que ces sociétés vont continuer à fonctionner et à obtenir des gains assez semblables.
Mme Levonian : Oui, les gains demeureront les mêmes.
Le sénateur Harb : Au cours des quatre dernières années, nous avons observé une très importante croissance de ce secteur au Canada. Que s'est-il passé pendant ce temps en Australie et aux États-Unis?
Mme Levonian : Le régime fiscal australien est pleinement intégré, et il traite donc les entités intermédiaires de la même manière que les sociétés. Je n'ai pas en main de chiffres précis sur la croissance de ce secteur là-bas, mais je ne pense pas qu'il y en ait eue, compte tenu des circonstances.
Aux États-Unis, il se passe des choses intéressantes. On est en train de créer des entités semblables à celles que nous connaissons. On les appelle « income deposit securities » (valeurs tirées de dépôt de revenu). Pour l'essentiel, ces mécanismes réunissent les capitaux propres et les capitaux d'emprunt, imitant en cela les fiducies de revenu.
Le président : Il s'agit d'un nouvel instrument ressemblant à une obligation très spécialisée. Nous ignorons où cela ira, mais les Américains sont toujours très doués pour concevoir de nouveaux mécanismes de placement à des fins précises. Toutefois, est-ce que ce nouvel instrument n'entraînera pas des répercussions fiscales inexistantes au Canada?
Mme Levonian : Voulez-vous dire pour ce genre d'entité au Canada?
Le président : Oui. Pouvez-vous comparer les deux?
Mme Levonian : Il s'agit d'un mécanisme semblable, car les fiducies de revenu réunissent aussi les capitaux propres et les capitaux d'emprunt.
Le président : Quelles sont les répercussions fiscales de cet instrument lorsqu'on le compare aux fiducies de revenu du Canada?
Mme Levonian : Elles sont semblables.
Le président : Je vous remercie.
Mme Levonian : Aux États-Unis aussi on assiste à une évolution dans ce secteur, bien qu'elle soit moins prononcée qu'au Canada.
Le sénateur Harb : Je suppose que ces entités accueillent les investisseurs étrangers puisque nous vivons à l'heure de l'économie mondialisée.
Avez-vous analysé les ramifications fiscales éventuelles que pourrait avoir le rapatriement de leur argent par les investisseurs étrangers par rapport au prélèvement libératoire? Est-ce que cela signifie que tout cet argent va sortir du Canada? Si vous décidiez de modifier le système, l'argent irait probablement ailleurs.
Mme Levonian : Parlez-vous des circonstances où un Américain investissant au Canada rapatrierait ensuite son argent?
Le sénateur Harb : Oui.
Mme Levonian : En règle générale, un prélèvement libératoire s'applique aux paiements transfrontaliers. Il atteint d'habitude 15 p. 100 et est prélevé sur l'intérêt. Dans le budget de 2004, nous avons pris de nouvelles mesures afin de taxer aussi les gains en capital qui vont aux États-Unis. Par conséquent, notre système canadien réussit dans une certaine mesure à capter de telles recettes fiscales.
M. Farber : Puisque vous ne pouvez pas toujours distinguer entre le capital et le revenu parce que dans les deux cas, il s'agit d'apports en espèces, nous effectuons un prélèvement libératoire sur le paiement intégral et permettons qu'il y ait apurement des comptes au plus tard quatre ans après. S'il y a aliénation, on peut apurer en fonction de la base de coûts et réduire ainsi le gain en capital résultant, mais nous percevons de l'impôt lors de la distribution.
Le sénateur Oliver : J'ai l'impression que la véritable cible de vos consultations, ce sont les fiducies de revenu d'entreprise. Je n'ignore pas qu'il existe aussi depuis des décennies, des FPI, des fiducies à redevances et nombre d'autres entités intermédiaires, mais si j'en juge d'après vos propos d'aujourd'hui, le véritable coupable que vous voulez prendre, ce sont les fiducies de revenu d'entreprise. Si je me reporte aux chiffres de l'année 2004-2005, à la page 32 de votre document, j'y vois que le gouvernement a perçu quelque 30 milliards de dollars de recettes fiscales grâce à l'impôt des sociétés. Or, vous nous avez dit estimer que les pertes encourues à cause de la non-imposition des fiducies de revenu d'entreprise n'atteignent que 120 millions de dollars. On dirait que vous chassez le lièvre armé d'un fusil pour la chasse à l'éléphant, parce que 120 millions de dollars c'est assez peu de choses par rapport aux 30 milliards de dollars que vous percevez tous les ans.
Les préoccupations relatives à l'efficience de l'économie justifient-elles une réorientation aussi importante des politiques, y compris fiscales, ou vous êtes-vous inspiré des idées de Gordon Nixon de la Banque royale, d'après lesquelles si une banque agit, les autres emboîteront le pas?
Mme Levonian : Pour ce qui est de notre intention de nous en prendre aux fiducies de revenu d'entreprise, ainsi que le disait ma collègue, le budget de 2004 a annoncé des mesures précises visant à limiter la possibilité pour les fonds de pension d'investir dans des fiducies de revenu d'entreprise. Ensuite, le budget de 2005 a éliminé la règle applicable aux participations étrangères. Les sociétés de personnes en commandite étaient couvertes par les limites à la participation étrangère, et lorsqu'on a fait sauter cette règle, les sociétés de personnes en commandite ont donc pu devenir des entités semblables aux fiducies de revenu d'entreprise. Nous nous efforçons de consulter les gens. Affirmer que nous cherchons à neutraliser les fiducies de revenu d'entreprise reviendrait à préjuger les conclusions des consultations. Nous tenons à nous pencher sur les entités intermédiaires en général, à écouter l'avis de toutes les parties prenantes au sujet des diverses formes d'entités puis, une fois les consultations terminées, à proposer certaines recommandations.
Le sénateur Oliver : Pouvez-vous me donner votre avis au sujet de la comparaison que j'ai établie entre des recettes fiscales de 30 milliards de dollars et des pertes fiscales de 120 millions de dollars?
Mme Levonian : Excusez-moi. Je n'ai pas bien saisi.
Le sénateur Oliver : Les recettes fiscales brutes provenant de l'impôt sur les sociétés s'élevaient à 30 milliards de dollars et vous avez dit que les pertes totales à imputer au compte des actions accréditives étaient de 300 milliards de dollars, puis vous nous avez donné une ventilation. Vous avez dit que pour les fiducies d'entreprise, c'était 120 millions de dollars. Le facteur de 120 millions de dollars, qui, selon vos projections, seraient la perte à imputer au compte des fiducies de revenu d'entreprise, comparé à un revenu de 30 milliards de dollars, équivaut en quelque sorte à tirer un lapin avec un fusil à éléphant.
Mme Levonian : Je vois exactement ce que vous voulez dire. Il faut prendre de nombreux facteurs en compte avant de décider des mesures à prendre dans ce genre de situation. Ainsi que le ministre le précisait dans son communiqué du 19 septembre, à part les considérations relatives aux recettes, il y a aussi lieu de tenir compte de l'impact que pourrait avoir sur l'économie la refonte des structures des sociétés, la création de structures différentes. Il faut aussi prendre cela en compte lorsqu'on se penche sur ces entités.
Le sénateur Oliver : Lorsque Gordon Nixon, de la Banque royale du Canada, disait envisager de convertir certains des actifs de sa banque en fiducies de revenu, quel effet cela a-t-il eu sur votre réflexion au ministère?
Mme Levonian : Je dirais qu'une seule conversion ne suffirait pas pour réorienter notre décision. Nous tiendrons compte de tout.
Le sénateur Oliver : Mais si c'était le coup d'envoi d'un mouvement généralisé de la part des banques, est-ce qu'alors vous en tiendriez compte?
Le président : Je crois qu'on vous a répondu. Vous pourrez demander une réponse plus étoffée après l'audience, mais pour le moment, le temps nous presse.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Ma question sera simple, car je suis profane en la matière. Selon les témoignages, on remarque une croissance extraordinaire dans ce type de placement. Cette croissance extraordinaire doit profiter à quelqu'un. La question est de savoir qui en profite le plus. Est-ce le gouvernement du Canada qui peut le réinvestir pour le Canadien moyen, est-ce l'entreprise ou l'investisseur?
[Traduction]
Mme Levonian : À brûle-pourpoint, il est difficile de répondre à cette question.
Le sénateur Plamondon : Est-ce que ce sera l'entreprise?
Mme Levonian : Pas nécessairement. La compagnie elle-même appartient aux investisseurs. En fin de compte, ce sont les investisseurs qui vont bénéficier de cela.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Si l'investisseur en profite le plus de cette façon, c'est que quelqu'un, quelque part, y perd au change. Lequel y perd le plus?
Vous avez dit qu'en bout de ligne, le gouvernement du Canada perd de l'argent et que cela a une incidence sur les provinces. Avez-vous prévu des consultations avec les provinces? Si l'investisseur en profite le plus, qui donc perd le plus?
[Traduction]
Mme Levonian : Je dirais que ce sont les gouvernements qui subissent des pertes de revenus. Quand une société se transforme en fiducie de revenu, il y a toujours une augmentation de la valeur. Certains ont soutenu que cette augmentation est surtout attribuable au gain fiscal. Ce sont les gouvernements fédéral et provinciaux qui subissent des pertes fiscales.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Est-ce qu'il serait exact de dire que l'investisseur y gagne plus que le Canadien moyen, étant donné qu'il y a moins de revenus du gouvernement du Canada à distribuer?
Mme Levonian : Qu'entendez-vous par « Canadien moyen »?
Le sénateur Plamondon : Les revenus du gouvernement du Canada sont répartis chez tous les Canadiens tandis qu'on parle d'un gain destiné à des investisseurs et ce ne sont pas tous les Canadiens qui investissent dans ces placements.
[Traduction]
Le président : Je vous invite à répondre le mieux possible à cette question, après quoi nous passerons à autre chose. Nous avons discuté abondamment de cette question. C'est une question importante, mais je pense qu'il faut passer à autre chose.
Mme Levonian : En général, le gouvernement fédéral établit son budget en tenant compte de nombreux facteurs. Bien des éléments influent sur les recettes publiques; celles-ci fluctuent à la hausse ou à la baisse, en fonction de divers facteurs, dont la santé de l'économie. Est-ce que les fiducies de revenu influent sur un programme particulier dans un domaine particulier? Je dirais que non.
[Français]
Le sénateur Plamondon : Généralement, au bout du compte, quelqu'un va perdre.
[Traduction]
Le président : Je n'essaie pas de mettre fin à la discussion. Si vous voulez revenir à la charge, sénateur, pour obtenir réponse à votre question, les témoins seront disponibles tout de suite après la séance.
Le sénateur Moore : Je poursuis dans la même veine que le sénateur Plamondon. C'est bien beau de dire que quelqu'un a gagné et que quelqu'un d'autre a perdu, mais n'oublions pas que des particuliers canadiens ont pris un risque. Ils ont investi. Tout le monde oublie le petit investisseur qui a mis de son argent. Ce n'est pas comme si c'était l'État tout puissant qui gagne ou qui perd. Les gens ont examiné un prospectus et ont décidé d'investir leur argent durement gagné, dans l'espoir de réaliser un gain. Je ne vois ce qu'il y a de mal là-dedans. Si les gens veulent prendre un risque, investir leur argent en espérant gagner, c'est leur affaire.
Le sénateur Angus : Ce n'est pas comme le Conseil du Trésor, avec ses 12 p. 100.
Le sénateur Moore : Non, pas du tout.
Je veux que figure bien au compte rendu la question du sénateur Oliver au sujet du président de la Banque royale du Canada. Ce dernier a dit qu'il est bien possible que la banque transforme une ou deux de ses branches d'activités en une fiducie de revenu. Le sénateur Oliver vous a demandé si ce commentaire vous aurait incité à passer à l'action. Vous avez dit non, ce n'est pas le fait d'une personne en particulier. Mais si toutes les banques à charte en avaient fait autant, qu'auriez-vous fait?
M. Farber : C'est une question hypothétique. Je comprends votre point de vue.
Le président : Ce n'est pas une question hypothétique. Les banques ont tendance à se comporter en moutons.
M. Farber : Je comprends cela, monsieur le président. Les banques sont par ailleurs un secteur réglementé. Je doute qu'une banque prendrait l'initiative de déclarer « nous allons adopter telle ou telle mesure » et que ce serait la fin de l'histoire. Elles sont réglementées et il existe un processus. Ce que mon collègue a dit en réponse à la question, c'est qu'il n'y a pas un seul élément qui entraîne une réaction, mais plutôt toute une série de considérations. Comme je l'ai dit tout à l'heure, après la publication du document, on ne semble pas y avoir accordé beaucoup d'attention. Dans le contexte de ce qu'on a dit, étant donné que le processus des décisions est de nature administrative, et j'insiste là-dessus, le gouvernement n'a pas vraiment pris de mesure comme telle, sinon de dire ce qu'il convenait de dire, à savoir qu'il ne donnerait pas sa bénédiction aux transactions pendant qu'il procède à des consultations sur la question.
Le président : Je pense qu'il est juste de dire, monsieur Farber, que le ministre et vous-même avez réussi à attirer notre attention, l'attention des contribuables et l'attention des investisseurs. Vous avez atteint votre objectif.
M. Farber : Absolument. C'est pourquoi le processus actuel est en cours. C'est grâce à des discussions fructueuses de ce genre que nous trouverons des solutions.
Le sénateur Moore : La discussion est fructueuse, mais en même temps, je trouve que l'on anticipe quelque peu. C'est bien beau de dire que nous faisons une étude et qu'on verra ce qui en ressortira et qu'on prendra peut-être des mesures, mais de faire cela alors même que les gens poursuivent leurs activités sur le marché, c'est très inhabituel, à mon avis.
Le National Post a publié samedi dernier, le 24 septembre, une lettre intéressante d'un lecteur qui disait que notre ministère des Finances est obnubilé par la perte de recettes fiscales provenant des sociétés, mais qu'il ne s'intéresse pas aux millions qui ont été perçus sous forme d'impôts sur le gain en capital pendant cette ruée vers les fiducies de revenu, sans même parler de la TPS provenant des dépenses de consommation additionnelles engendrées par le revenu supplémentaire généré dans des comptes imposables.
Pour revenir à ce qu'on disait, le sénateur Oliver a dit que votre cible, pour ainsi dire, c'est la fiducie de revenu commerciale. Et l'autre élément de l'équation? Que fait-on des impôts qui ont été perçus, comme on le dit dans cette lettre? Avez-vous analysé cela? Comment cela se compare-t-il aux autres chiffres dans votre rapport?
Le président : C'est une question.
Mme Levonian : La réponse à la question se trouve à la page 32 du document sur les fiducies de revenu. En fait, nous avons tenu compte des gains en capital résultant des conversions en fiducies de revenu. Cela se trouve à la ligne 3 du tableau 5 où l'on établit la valeur de l'impôt lors de conversions.
Le sénateur Moore : Pourriez-vous nous lire cela?
Mme Levonian : Impôts lors de conversions, pour un total de 40 millions de dollars. C'est un élément de l'estimation de 300 millions de dollars.
Le sénateur Moore : Ce chiffre de 40 millions de dollars correspond au total que le Trésor aurait reçu sous forme d'impôts sur les gains en capital réalisés par les gens qui vendent leurs unités. C'est bien cela?
Mme Levonian : L'impôt lors de conversions.
Le sénateur Moore : Lors de conversions. Vous parlez d'une société qui se transforme en fiducie de revenu. Moi, je parle des gens qui achètent des unités dont la valeur augmente, qui réalisent un gain et qui paient ensuite de l'impôt là- dessus. Avez-vous tenu compte de cela?
Mme Levonian : Cela se situe aux lignes 1 et 2. Vous voyez qu'il est question de l'impôt sous la structure des entités intermédiaires et de l'impôt sous la structure des sociétés; le gain en capital est pris en compte dans ces deux chiffres. De plus, on tient compte à la ligne 3 du gain en capital réalisé lors de conversions.
Le président : J'ai plusieurs brèves questions. Je vous demanderais de répondre rapidement. Je m'excuse; nous avons d'autres témoins à entendre et nous voulons leur accorder du temps.
Le personnel a fait une analyse à notre intention. On a pris une société commerciale ayant des revenus de 100 millions de dollars. On a supposé un dividende de 100 $ versé aux investisseurs sous la structure des sociétés et 100 $ sous forme de paiement d'intérêts dans une fiducie de revenu. Nous avons fait l'analyse. Cela se trouve dans nos notes d'information. Nous vous les ferons parvenir. En fin de compte, sous une structure de société, cette somme de 100 $ se transforme en un montant de 43 $ reçu par l'actionnaire, et un montant de 54 $ reçu par un détenteur d'unités d'une fiducie de revenu. Il y a une inégalité flagrante entre les deux sociétés commerciales, l'une utilisant la structure normale de société que nous connaissons, l'autre s'étant transformée en fiducie de revenu, et le résultat net est que le détenteur d'unités reçoit environ 11 $ de plus, soit quelque 22 p. 100. Cela me frappe comme une injustice fondamentale. J'en conclus qu'il y a confusion sur le marché quant à l'intention du législateur au plan fiscal.
Il peut s'agir de deux entités dans le même secteur d'activités, l'une adoptant le mode fiducie et l'autre la structure d'une société. Qu'est-ce que le gouvernement veut nous faire comprendre par cette particularité du régime fiscal? Pourriez-vous répondre rapidement à cela?
Les membres du comité s'intéressent vivement à la productivité et nous ne connaissons pas la solution au problème. J'ai lu des articles de journaux selon lesquels cet aspect est anecdotique. Nous avons découvert dans notre étude sur la productivité que les sociétés aux États-unis investissent 1 500 $ de plus par travailleur et que la productivité est donc plus élevée. La question que se pose le comité, dans la foulée de cette étude, c'est de savoir quelle est l'incidence de la fiducie de revenu en termes de structure d'investissement interne, en comparaison de la structure normale des sociétés. Avez-vous fait cette analyse. Le ministre y a fait allusion dans ses observations sur l'incidence que cela pourrait avoir sur la productivité. Je vous prie de nous aider à comprendre ces deux aspects. Je vous demanderais d'être brefs, si possible; sinon, veuillez faire parvenir une réponse écrite au greffier du comité.
Mme Levonian : Pour ce qui est de votre première question, c'est difficile pour moi d'y répondre sans avoir vu l'analyse.
Le président : Je m'excuse, nous vous la fournirons.
Mme Levonian : Nous avons une analyse semblable dans le document de consultation, à la page 24.
Le président : Oui, c'est semblable.
Mme Levonian : Je suis entièrement d'accord. Vous avez bien souligné les deux éléments les plus importants du document, l'un étant le problème que pose l'écart entre la structure des sociétés et la structure d'une fiducie de revenu. Sur le plan fiscal, il y a un manque flagrant de neutralité, et nous voulions le souligner dans le document, comme vous l'avez fait. Pour ce qui est de la productivité, je l'ai abordée sous l'angle de l'efficience économique à la fin de mon exposé préliminaire. La productivité est l'autre aspect qui nous préoccupe dans la restructuration des sociétés en fiducie et c'est précisément pour cette raison que nous consultons les intervenants.
Le sénateur Moore : Est-ce qu'il s'agit de réinvestissement dans des usines?
Le président : Oui. La presse a dit, en réponse à la déclaration du ministre, que c'était anecdotique. Un sage observateur a dit qu'il n'existe aucune preuve d'un tel écart. Pourriez-vous nous fournir des statistiques ou des analyses qui nous aideraient dans notre examen de cette question? C'est important pour nous car nous avons été chargés d'examiner l'économie canadienne en vue d'en accroître la productivité, ce qui se traduirait par un accroissement du niveau de vie de tous les Canadiens. Ce n'est pas un obsession, mais plutôt une question de principe. Pouvez-vous nous aider avec ce document?
Mme Levonian : Vous dites qu'il n'y a aucune preuve, mais il est possible de calculer l'écart entre les impôts versés.
Le président : Nous l'avons déjà fait.
Mme Levonian : Il est assez clair que le système n'est pas neutre.
Le président : Toutefois, est-ce qu'une structure est plus susceptible que l'autre de pousser les dirigeants d'entreprises à investir moins dans leur entreprise et de donner plutôt l'argent à leurs actionnaires ou aux détenteurs d'unités afin qu'ils puissent l'investir comme bon leur semble? L'objectif d'une société est d'être productive et concurrentielle et de créer des emplois, des revenus et de la croissance.
Mme Levonian : Absolument. C'est une des raisons fondamentales pour lesquelles nous tenons des consultations. Nous voulons entendre le point de vue des intervenants, pour savoir si cette absence de neutralité est plus ou moins inefficace ou si ça sert à éliminer des obstacles. Ces choses sont difficiles à cerner et à déterminer au moyen d'une analyse statistique. Nous aimerions bien pouvoir quantifier la question d'une manière ou d'une autre, mais c'est difficile.
Le président : Nous devons conclure, mais nous serions intéressés à recevoir tout autre document qui pourrait voir le jour pendant votre consultation.
Le sénateur Angus : L'un des avantages qu'il y a à vivre dans le monde de la cybernétique est qu'on est rapidement informé des plus récentes nouvelles. À la fermeture des marchés aujourd'hui, le géant des fonds mutuels CI Financial a officiellement reporté son projet de se convertir en une fiducie de revenu et il blâme pour cela la confusion créée récemment par la décision du gouvernement fédéral de geler les nouvelles fiducies. Le PDG a dit que le gouvernement avait présenté les fiducies de revenu comme étant un problème à régler. Il a dit qu'étant donné le climat d'affaires défavorable engendré par le gouvernement fédéral, il ne peut pas recommander à ses actionnaires la conversion de CI en une fiducie de revenu. Je crois savoir que cela concerne la conversion, plutôt qu'un PAPE, et qu'il leur faut une interprétation fiscale. Je pense savoir ce que vous allez dire. J'ai promis que ma question serait brève, et j'espère que votre question le sera aussi. Lorsque, après le 8 septembre, le ministre Goodale a laissé entendre que les fiducies de revenu posaient un problème et que le climat d'affaires était défavorable, est-ce que le gouvernement s'attendait à ce genre de résultat? Est-ce que quelqu'un avait informé le ministre qu'il risquait de freiner la capitalisation boursière et de créer de l'incertitude sur le marché? Est-ce que c'est une réaction que vous aviez prévue?
M. Farber : Vous m'avez demandé d'être bref, monsieur le président, mais, dans les circonstances, ce serait difficile. Le document a paru le 8 septembre; il présente les grandes lignes de la question à discuter, et dont nous discutons aujourd'hui. Les enjeux sont complexes et importants. Je ne pense pas que nous ayons dit ou fait quoi que ce soit qui puisse compromettre les conclusions du processus consultatif. Je répète ce que j'ai déjà dit : il ne serait pas opportun que le gouvernement donne une interprétation fiscale anticipée sur une transaction quelconque pendant cette période. C'est ce qui a été annoncé le 19 septembre. Pour ce qui est de la réaction des marchés, elle peut toujours faire l'objet de spéculations. Pour ce qui est du frein à la capitalisation boursière dont vous parliez, monsieur le sénateur, il y a eu un ralentissement un jour ou deux après l'annonce, mais depuis la situation s'est pas mal rétablie. Je ne peux que formuler des hypothèses. Si je pouvais faire mieux que cela, je ne serais peut-être pas ici. Lorsque les esprits rationnels comprendront mieux ce dont il s'agit, le marché réagira de manière appropriée.
Le sénateur Angus : Donc, il n'est rien arrivé que vous n'ayez prévu. Vous aviez prévu cette réaction.
M. Farber : On peut toujours prévoir qu'il y aura une réaction. Oui, il y a des avantages et des inconvénients à tout ce que nous conseillons au ministre de faire, comme il y en aurait pour tous les conseils que nous pourrions vous donner.
Le président : Nous aimerions beaucoup spéculer et essayer de prédire ce que fera le marché mais, malheureusement, ce n'est pas possible maintenant. Merci, monsieur Farber, madame Levonian et monsieur Normand. Pardonnez-moi si je suis un peu brusque, mais nous manquons de temps.
Nos prochains témoins représentent l'Association canadienne des fonds de revenu. Nous essayons d'apporter un peu de clarté, de sens d'équilibre à un important débat public, et nous espérons le faire d'une manière qui ne crée pas d'émoi sur le marché. Nous espérons que nos échanges d'aujourd'hui aideront à calmer le jeu. Je demanderais aux témoins de respecter les limites de 20 minutes pour leurs exposés. Cela nous laissera plus de temps pour une période de questions animée. Vous verrez que cette question intéresse beaucoup les sénateurs. Nous sommes bien renseignés et votre point de vue nous intéresse.
Encore une fois, merci et je m'excuse de notre retard. Notre temps est limité mais le sujet est important.
Encore une fois bienvenue. Monsieur Probyn, vous pourriez peut-être nous présenter les autres témoins.
Stephen Probyn, président-directeur général, Clean Power Income Fund, Association canadienne des fonds de revenu : Merci beaucoup, monsieur le président, et honorables sénateurs. Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui au nom de l'Association canadienne des fonds de revenu. L'ACFR, comme nous l'appelons, représente le secteur des fonds de revenu du Canada, y compris les fiducies de revenu cotées à la bourse, les fiducies de redevance et les sociétés de personnes en commandite.
J'aimerais vous présenter mes associés qui m'accompagnent aujourd'hui. George Kesteven est président de l'ACFR et directeur des relations avec les investisseurs à PrimeWest Energy Trust. Paul Hollands est PDG du Revenue Royalties Income Fund de A&W. Marcel Coutu est PDG de Canadian Oil Sands Trust. Pour ma part, je suis président de l'ACFR et PDG du Clean Power Income Fund.
Nous avons trois objectifs aujourd'hui. Premièrement, nous voulons vous présenter des renseignements de base; deuxièmement, nous voulons souligner notre rôle dans l'économie canadienne; et, troisièmement, nous voulons traiter du processus de consultation du ministère des Finances.
Une fiducie de revenu, qu'il s'agisse d'une fiducie de redevance, une fiducie de revenu de sociétés ou d'une FPI, fiducie de placement immobilier, est une structure de société légale qui a été établie et qui fonctionne conformément à toutes les lois fédérales et provinciales. Les entreprises sous-jacentes fonctionnent comme toutes les autres entreprises au Canada, elles créent des emplois, investissent et se comportent en bons citoyens.
Cependant, il y a des différences. Dans le cas d'une structure de société traditionnelle, le gros des revenus est en général réinvesti dans la société et c'est le conseil d'administration qui détermine quelle proportion, s'il y a lieu, des bénéfices après impôts seront répartis aux actionnaires sous forme de dividendes.
La structure de fiducie conserve une part de ses revenus pour payer ses employés et ses fournisseurs et pour financer ses investissements, mais permet également qu'une part plus importante des revenus générés par les activités commerciales soit versée directement aux détenteurs d'unités de la fiducie. Les détenteurs d'unités d'une fiducie de revenu reçoivent régulièrement — parfois mensuellement — une part des flux de trésorerie générés par les activités de l'entreprise, telles que décrites dans le prospectus de la fiducie de revenu.
Les fiducies de revenu comme telles ne paient pas d'impôt sur ces revenus. Toutefois, les versements mensuels que reçoivent les investisseurs, ou détenteurs d'unités, s'ajoutent à leurs revenus imposables. C'est un élément essentiel, mesdames et messieurs les sénateurs. Les bénéficiaires de la fiducie, les millions de Canadiens qui ont investi dans des unités de fiducie, paient en fait des impôts à un taux plus élevé que celui des sociétés.
Il y a à l'heure actuelle environ 220 fiducies cotées à la Bourse de Toronto et à la Bourse de croissance TSX et elles ont une capitalisation boursière totale dépassant les 176 milliards de dollars.
Le principe fondamental des fiducies de revenu est que les flux de trésorerie générés par une entreprise sont versés aux propriétaires, qui sont en fait les détenteurs d'unités. Comme les propriétaires d'une entreprise privée, nos propriétaires décident quoi faire de cet argent. Ils peuvent le réinvestir dans l'entreprise en achetant de nouvelles unités au fur et à mesure qu'elles sont émises ou en participant à des programmes comme les programmes de réinvestissement des revenus distribués. Ils peuvent également choisir de diversifier leurs investissements. Ils peuvent investir dans leurs résidences; ils peuvent dépenser l'argent pour subvenir à leurs besoins et aux besoins de leurs familles, comme le font de nombreux Canadiens. C'est l'essence même de la propriété des unités d'un fonds de revenu.
Les fonds de revenu participent aux entreprises productrices qui sont le moteur de notre économie. Par exemple, M. Kesteven est directeur des relations avec les investisseurs chez Prime West Energy Trust, qui a investi des millions de dollars dans diverses technologies de récupération secondaire et tertiaire afin d'accroître la productivité des ressources pétrolières et gazières classiques.
M. Coutu est PDG de la Canadian Oil Sands Trust, le principal actionnaire de Syncrude, la plus grande société d'extraction des sables bitumineux au monde. Depuis 2002, la Canadian Oil Sands Trust a investi 2,8 milliards de dollars dans la réalisation en trois étapes du projet Syncrude.
M. Hollands est PDG du Revenue Royalties Income Fund de A&W qui a plus de 650 franchises et est l'une des chaînes de restaurants qui connaît la plus forte croissance au Canada. J'ajouterai que A&W Canada, qui appartient à une fiducie de revenu, est l'une des franchises de cette chaîne qui a le plus haut rendement au monde.
Enfin, le Clean Power Income Fund, que je dirige, investit quelque 186 millions de dollars dans la construction d'une des plus grandes installations d'énergie éolienne au Canada, le projet Erie Shores.
Nous croyons que les fiducies de revenu ont contribué de manière importante à la productivité et à la croissance au Canada. L'ACFR a commandé une étude approfondie de cette question, qui servira à préparer le mémoire que nous présenterons dans le cadre du processus de consultation.
Les fiducies de revenu sont des organismes bien gérés qui dirigent leurs entreprises selon les mêmes principes de gouvernance que le secteur des entreprises. Nous avons des normes élevées en matière de divulgation et nous sommes assujettis à la réglementation du TSX et des organismes de réglementation des valeurs mobilières. De nombreux observateurs ont fait valoir que la discipline qu'exige la gestion de la distribution de la majeure partie des flux de trésorerie d'une entreprise à ses propriétaires procure plus et non moins d'imputabilité.
Nous savons qu'un million de Canadiens détiennent directement des unités et que plusieurs autres millions détiennent des unités par l'entremise de fonds mutuels.
Au cours des derniers jours, nous avons été débordés d'appels téléphoniques, de lettres, de télécopies et de courriels de Canadiens qui sont inquiets.
J'aimerais vous faire part des sentiments exprimés par une détentrice, que j'appellerai Mary. Mary écrit :
Ma colère s'est calmée; maintenant je crains pour mon avenir. Je vais essayer de décrire de manière rationnelle ce qui me semble être le problème pour moi, une Canadienne de 60 ans. Le secteur des fiducies est la seule option qui permet à une personne à la retraite de survivre dans ce pays...
Puis, Mary décrit comment dans les deux jours suivant l'intervention du gouvernement le 19 septembre, ses REER ont perdu 25 000 $ de valeur. Elle poursuit ainsi :
Je travaille sans arrêt depuis plus de 40 ans pour mon propre compte. L'an prochain, je dois arrêter de travailler. Comment pourrai-je subvenir à mes besoins à 61 ans? Les prestations de retraite anticipée du RPC s'élèvent à 550 $ par mois, ce qui est ridiculement insuffisant. Je n'ai aucun régime de retraite. Je n'ai que mon REER...
Mes fiducies de revenu me procurent environ 28 000 $ par année, soit un rendement moyen de 8 p. 100. Cette somme comprend le revenu et le rendement de mon propre capital qui se trouve dans mon compte protégé. Je réinvestis chaque cent que je reçois sur mes investissements. Je n'ai plus les moyens de contribuer à mon REER.
Lorsque je prendrai ma retraite l'an prochain, mon taux d'imposition marginal sera de 26 à 30 p. 100, selon le rendement de mes investissements. Dites-moi, s'il vous plaît, où sont ces pertes fiscales? Nous payons plus d'impôts que les sociétés...
Elle poursuit ainsi :
Les fiducies de revenu permettent à un plus grand nombre de Canadiens à la retraite d'être financièrement autonomes, sans toutefois être riches. Cette indépendance financière est tout ce que nous souhaitons et tout ce que nous attendons de ce pays...
J'ai fais ma part pendant plus de 40 ans. NE ME PRIVEZ PAS de mon seul moyen de survie.
Je vous remercie,
« Mary »
Votre séance d'aujourd'hui porte sur les consultations que tient le gouvernement sur les fonds de revenu. Permettez- moi de vous dire que nous avons publiquement félicité le gouvernement sur sa façon de lancer cette consultation le 8 septembre.
J'aimerais vous rappeler, honorables sénateurs, que le ministère des Finances a dit :
Le présent document a pour objet d'évaluer les répercussions fiscales et déficiences économiques des entités intermédiaires pour déterminer si le régime fiscal en place est adéquat ou s'il y a lieu de le modifier.
À ce moment-là, nous avons cru que le gouvernement allait adopter une approche équilibrée. Toutefois, nous sommes moins enthousiastes à la lumière des événements récents.
Onze jours après la diffusion du document de consultation le 19 septembre, le gouvernement a court-circuité son propre processus de consultation en suspendant les décisions anticipées en matière d'impôts sur le revenu, ce qui a eu pour effet de créer de l'instabilité sur le marché. Comme le sénateur Angus l'a souligné, cela a fait perdre 9 milliards de dollars en avoirs propres aux investisseurs canadiens.
Cela indique un échec du processus, puisque le gouvernement a entrepris de modifier la politique et de contourner complètement son propre processus de consultation. Le lendemain, le 20 septembre, le ministre Emerson disait : « Ottawa doit agir rapidement pour modifier l'impôt des fiducies de revenu... »
Cela laisse clairement entendre que la décision est déjà prise et qu'il ne reste plus qu'à déterminer le moment de son entrée en vigueur. Je vous rappelle que ces faits se sont produits entre le 8 et le 20 septembre.
Au nom de ses membres, l'ACFR espère que votre comité nous aidera à rétablir la confiance des investisseurs envers ce processus de consultation en lui redonnant la légitimité d'une vraie consultation, telle qu'annoncée le 8 septembre. L'industrie et les investisseurs doivent avoir confiance au processus et nous demandons l'aide du Sénat du Canada à cet égard.
J'aimerais maintenant passer la parole à mon collègue, M. Kesteven, président de l'ACFR, qui sera heureux de répondre à toutes vos questions.
Le président : Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier, monsieur Probyn, pour ces commentaires concis et lourds de sens. Encore une fois, je me réjouis que vous ayez pris l'initiative d'analyser votre structure sur le plan de la productivité; je pense que vous aviez compris que c'est ce qui nous intéresse. Ça intéresse également M. Greenspan aux États-unis et M. Dodge au Canada. Nous ne pouvons pas perdre du terrain sur le plan de la productivité et nous allons donc examiner cette étude très attentivement.
Je remercie votre groupe d'avoir investi dans cette initiative car elle nous aidera dans nos travaux futurs. Nous venons tout juste d'entreprendre notre étude de la productivité. Le gouvernement s'y intéresse également. Nous entendons dire que c'est devenu presque un leitmotiv dans les discours du gouvernement. Nous en sommes très contents. Nous sommes ravis que votre groupe fasse la même chose.
Le sénateur Angus : Tout d'abord, messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'être venus. J'ai trouvé votre mémoire très concis, comme le président l'a dit.
Vous étiez présents lorsque les représentants du ministère des Finances ont comparu il y a quelques minutes. Je pense que vous étiez tous là. En tout cas, la plupart d'entre vous.
N'est-ce pas vrai que M. Farber avait raison de dire que l'intégrité du capital de Marie a été plus ou moins récupéré dans l'intervalle?
M. Probyn : J'ai discuté avec Mary à plusieurs reprises. Je ne peux pas révéler son nom de famille, car l'idée de divulguer ces renseignements l'inquiétait. Je peux vous dire qu'elle ne pense pas que sa situation se soit rétablie. Je ne sais pas ce qu'il y a dans son portefeuille d'investissement.
Elle dit qu'elle est très inquiète pour son avenir car elle dépend de cet investissement. Elle habite à Toronto et, comme de nombreux sénateurs le savent, c'est une ville où le coût de la vie est élevé.
Le sénateur Angus : Évidemment, elle n'est pas de Montréal ou alors, elle s'appellerait Marie.
Ce que j'essaie de comprendre — et vos membres sont parmi les nombreuses personnes qui nous ont envoyé les courriels que j'ai montrés tout à l'heure et qui traitent des questions que M. Solberg a posées au ministre Emerson et au ministre Goodale à la Chambre des communes, c'est quelle est au juste votre intention? C'est pourquoi nous avons décidé de tenir ces quelques jours d'audiences presque extraordinaires avant que le processus de discussion du gouvernement n'aille plus loin.
Est-ce que vous essayez de nous dire que ces audiences du gouvernement ne seront que de la poudre aux yeux, que les jeux sont déjà faits et que le gouvernement a des intentions cachées?
M. Probyn : Nous aimerions remettre ces audiences sur la bonne voie. J'écoutais très attentivement pendant que M. Farber décrivait le processus et, franchement, je l'ai trouvé un peu fourbe, étant donné que les ministres ont déjà fait des déclarations importantes. Il y a eu des discussions en coulisse, ce qui inciterait n'importe quel observateur ou investisseur rationnel comme Mary à croire que le résultat du processus de consultation est déterminé d'avance.
Je pense que les fiducies ont une excellente cause, pas seulement en raison de leur importance pour les investisseurs, ce qui est bien sûr l'aspect prédominant, mais aussi pour le Canada. Je vous inviterais à interroger mes collègues assis à cette table au sujet des gains de productivité considérables qui ont été réalisés grâce aux investissements dans les fiducies. Ils sont très importants pour notre pays si nous voulons devenir chef de file et faire face à la concurrence mondiale.
Marcel R. Coutu, président-directeur général, Canadian Oilsands; Association canadienne des fonds de revenu : Je suis ici pour répondre à vos questions.
Le président : Je connais très bien votre entreprise. J'aimerais entendre votre réponse à la question portant sur notre crainte que ce forum corporatif et organisationnel ait pour effet de ralentir ou de reporter ou de décourager les réinvestissements dans la productivité, et vous en êtes un exemple parfait. Dites-moi si nous avons tort ou raison. Ce serait intéressant d'entendre votre point de vue plutôt que le nôtre.
M. Coutu : Nous sommes probablement le meilleur exemple si vous voulez, car nous n'avons pas distribué beaucoup d'argent, du moins, au cours des dernières années.
Le sénateur Angus : Croyez-moi, les sables pétroliers canadiens ne gagnent rien.
M. Coutu : Le rendement sur notre prix du marché est inférieur à 2 p. 100. Les gens conservent nos titres car ils croient qu'ils gagneront en valeur et qu'ils obtiendront un rendement sous forme de gain en capital et qu'avec le temps ils obtiendront en plus un fort rendement sur leur investissement. C'est à cette fin que nous travaillons.
Je ne crois pas que le fait que les actifs appartiennent à une société ou à une fiducie soit la principale raison qui explique leur croissance ou leur absence de croissance ou qui explique pourquoi les investissements sont faits ou ne sont pas faits. Je pense que cela dépend davantage de la qualité que de la nature des actifs. Certains actifs ont atteint un niveau de maturité et d'autres ont été attirés vers les fiducies de revenu. C'est une manière efficace pour les investisseurs d'investir leur capital avec moins de risque. Ils prennent quand même des risques et ils obtiennent une part des flux de trésorerie qui ne sont pas seulement des intérêts.
En général, ces actifs, particulièrement dans le secteur de l'énergie, sont des actifs sur le déclin, de sorte qu'ils récupèrent une bonne partie de leur capital. Il faut être prudent lorsqu'on fait des prédictions. Les sociétés recherchent la croissance, du point de vue des gains en capital, et je pense que les entreprises canadiennes auraient plus de difficulté à rendre des gains immédiats sur leurs investissements au moyen de dividendes. J'aurais quelque chose à dire à ce sujet plus tard. Je pense, monsieur le président, que c'est ce que vous disiez tout à l'heure. Il y a un gros écart qui est au centre de toute cette discussion.
Dans le cas de Canadian Oilsands, et c'est peut-être de cela que les gens veulent entendre parler, nous avons été créés il y a 10 ans. Nous avions une participation de 12,5 p. 100 dans Syncrude. Nous avons lancé un premier appel public à l'épargne avec une capitalisation boursière d'environ 270 millions de dollars, soit 10 $ l'unité, à un moment où le marché était propice pour ce type d'instrument. Nous n'avons jamais versé beaucoup d'argent sous forme de dividende ou sous forme de redistribution du flux de trésorerie.
Le fait est que la structure des fiducies attire le capital à un coût un peu inférieur à celui des sociétés parce que notre risque semble plus faible, et c'est ainsi que nous gérons notre entreprise. Ainsi, avec un coût du capital plus faible, une fusion et deux acquisitions, nous détenons maintenant 35 p. 100 de Syncrude, ce qui fait de nous le principal actionnaire, devant les grandes sociétés comme Imperial et Coneco Phillips, par exemple. Cet avantage a fait toute la différence. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres facteurs. Il peut y en avoir.
Le président : Je vous interromps, car j'essaie de vous comprendre. Est-ce que vous nous dites que vous avez pu obtenir du capital à un coût inférieur et donc améliorer vos taux de réinvestissement et adopter des technologies plus modernes et plus productives?
M. Coutu : Je dis que nous avons pu faire aussi bien que les sociétés qui ont d'autres avantages.
Le président : Vous êtes allé plus loin; vous avez dit que la fiducie de revenu a réussi à attirer du capital à un taux inférieur, ce qui vous a permis de redéployer votre capital d'une manière plus efficace par rapport aux coûts des sociétés, lesquelles paient des impôts plus élevés et doivent payer plus cher pour attirer du capital. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Coutu : Il y a du vrai à ce que vous dites. J'en conviens.
Nous ne redistribuons pas les revenus. Nous avons un actif apte à être développé et à attirer beaucoup de capital. Vous savez quel est le montant de l'expansion récente. Notre part des dépenses s'est élevée à 2,8 milliards de dollars. Nous dépenserons plus de 8 milliards de dollars pour cette expansion. En outre, nous dépensons et investissons sur d'autres fronts. Nous investissons dans la recherche et le développement. Canadian Oilsands investit plus de 20 millions de dollars en recherche et développement chaque année. Ça ne veut pas dire que les autres fiducies n'en font pas autant, mais je parle uniquement de la nôtre. En outre, nous réinvestissons dans le maintien. Cela veut dire, en général, remplacer l'équipement par un équipement plus moderne, et notre part de cette dépense s'élève à environ 100 millions de dollars par année.
Nous investissons beaucoup dans la productivité. Si vous dirigez bien votre entreprise, vous produirez des bénéfices pour vos actionnaires, qui pourraient prendre la forme de gains en capital, ce qui est en grande partie le cas pour Canadian Oilsands, et sous forme de distribution du flux de trésorerie pour bien d'autres.
Je vais parler au nom de certaines entreprises énergétiques qui sont dans un secteur différent du nôtre. Dans certains cas, c'est plus difficile pour elles car leurs réserves sont de courte durée. Ce qu'il y a de merveilleux, et qui pourrait vous intéresser, c'est qu'en raison de leurs coûts du capital inférieurs elles peuvent exploiter des réservoirs abandonnés par des sociétés plus importantes. Elles appliquent de nouvelles technologies à ces réservoirs, comme l'injection de gaz carbonique, ce qui pourrait nous aider à atteindre nos objectifs du Protocole de Kyoto. Elles utilisent diverses technologies de pointe pour extraire davantage de ressources. Elles peuvent faire cela car leur coût du capital est plus faible et leur seuil de rentabilité est meilleur.
Un autre argument pertinent est le fait que, ayant généré du capital au sein de leurs organisations, les ratios de distribution commencent à baisser. Ils payaient 100 p. 100, mais ils se sont rendu compte qu'il fallait continuer d'investir pour prendre de l'expansion sinon pour survivre eux-mêmes, et c'est pourquoi ils ne versent plus que 60 ou 70 p. 100, et même moins que ce ratio dans le cas de certaines entreprises qui commencent à ressembler davantage aux entreprises d'exploration et de production du passé.
Un autre avantage réel des coûts de l'expertise et du calibre des personnes en cause. Je suis originaire de l'Est, mais j'habite à Calgary depuis 25 ans. J'ai été fort impressionné par le calibre des gens qui ont quitté de grandes entreprises pour consacrer leur carrière à ces fiducies. Maintenant qu'ils se sont taillés un créneau, ils commencent à investir à l'étranger. Cela assure un grand essor au Canada, car ces gens sont en train d'acheter des avoirs générateurs de recettes qui sont ensuite rapatriés au Canada à des fins fiscales.
Le sénateur Angus : Vous comprenez la préoccupation du comité quant à la corrélation entre notre régime fiscal et la compétitivité et la productivité de l'économie canadienne. La récente étude de l'Institut C.D. Howe, et je crois que vous la connaissez, qui s'intitule « 2005 Tax Competitiveness Report : Unleashing the Canadian Tiger », conclut que le Canada a le deuxième taux d'imposition effectif sur le capital le plus élevé de 36 pays industrialisés.
Je crois savoir que cela a mené à divers arrangements commerciaux créatifs. Le meilleur exemple de ces distorsions financières est la croissance du marché des fiducies de revenu. Pour ma part, je pense que les fiducies de revenu sont la réponse à un régime fiscal qui est discriminatoire envers les dividendes en faveur des autres sources de revenus.
Ai-je raison? Le marché a conçu ces instruments pour composer avec des taux d'intérêt faibles comme élevés, et les maîtres ici à Ottawa disent que nous sommes peut-être en train de devenir concurrentiels et productifs grâce à ces instruments et veulent qu'on soit classé de nouveau 33e sur 35.
M. Probyn : Je suis d'accord avec vous. Cela étant, pour ce qui est des comparaisons internationales, je vous signalerai que les fonctionnaires du ministère des Finances ont fait allusion aux structures IDS aux États-unis. En réalité, il s'agit d'une invention des courtiers en valeurs mobilières canadiens travaillant aux États-Unis.
Le président : Cet instrument est une invention canadienne?
M. Probyn : Absolument.
Le président : Par quelle institution?
M. Probyn : Elles sont nombreuses à l'avoir inventé. La CIBC est active sur ce marché, tout comme la BRC et d'autres comme la Banque Scotia.
Nous avons introduit cette technologie financière dans les marchés américains, mais les Américains avaient ce genre de structures accréditives depuis des années. Il y a les sociétés en commandite, les sociétés en commandite principales, qui sont cotées, et les sociétés de placement immobilier.
Le sénateur Angus : Des sociétés de fonds!
M. Probyn : Absolument.
Le président : En toute justice, la structure fiscale là-bas est quelque peu différente de la nôtre. On grève davantage les opérations accréditives là-bas. C'est ce qu'on peut lire dans l'article, et c'est que notre analyse montre aussi.
M. Coutu : Il y a une autre différence : l'impôt sur les dividendes des sociétés est beaucoup plus bas, ce qui signifie que la différence dont vous parliez tout à l'heure est infime et qu'elle n'oblige pas les sociétés à se convertir. Je pense que c'est là que se trouve le cœur du problème. Il y a le delta, comme vous l'avez signalé à juste titre, et je crois que le ministère des Finances tente d'apaiser les plus grandes craintes, à savoir la conversion massive des sociétés canadiennes en fiducies. Ce n'est peut-être pas le meilleur scénario, car dans l'ensemble, les fiducies réalisent de bons résultats avec les actifs échus et les sociétés, avec la R-D et le développement de nouvelles entreprises.
J'arrive à mon point sur les dividendes, car il peut s'avérer approprié. Je pense que le ministère des Finances pourrait résoudre ce problème d'un seul coup de barre. Les fonctionnaires du ministère ont soulevé la question eux-mêmes, et je pense qu'ils tentaient de voir si la population allait s'y opposer. Pour enchaîner sur le point soulevé par le sénateur Angus, nous avons effectivement le fardeau fiscal le plus élevé du monde. Un excellent point de départ pour corriger la situation serait de régler la question des dividendes des sociétés et d'accorder un traitement fiscal égal aux bénéficiaires de dividendes.
Le président : Vous avez dû lire notre dernier rapport sur la productivité. C'est précisément ce que nous y recommandions, et une des raisons pour lesquelles nous sommes parvenus à cette conclusion est que nous avons estimé que nous devions être concurrentiels par rapport à notre principal partenaire, les États-Unis, pas seulement au chapitre de la productivité, mais aussi en ce qui a trait aux éléments de la productivité et du coût de la fiscalité. Nous comprenons bien cet argument.
M. Probyn : Les fonds de fiducie au Canada jouent le premier rôle dans cette histoire. C'est ce que nous sommes en train de vous dire aujourd'hui.
Le président : Pour nous, la question est de savoir s'il y a une distorsion dans notre structure fiscale actuelle, sans oublier qu'il existe un traitement inégal. C'est une question parallèle importante pour nous.
Le sénateur Harb : À vous entendre parler, on a l'impression qu'ils voient en cela un exutoire et qu'ils tentent de colmater la brèche. Or, vous y voyez une occasion de retourner de l'argent aux consommateurs et aux investisseurs, et vous voulez conserver cette occasion.
Il me semble que vous êtes en train de sonner l'alarme. Vous êtes en train de dire que si on intervient, on sèmera la panique sur le marché. Vous avez certainement lu l'histoire de Mary, qui n'était pas contente parce qu'elle a perdu beaucoup d'argent. Êtes-vous en train de nous dire que l'approche que nous utilisons n'est peut-être pas la meilleure? Que nous devons aborder la question d'une manière systématique qui permettrait de régler la disparité entre notre régime fiscal et celui de nos partenaires?
M. Probyn : C'est absolument juste, sénateur. C'est exactement ce que nous disons. En effet, nous pensons que notre secteur a un énorme potentiel pour stimuler la croissance, la productivité et le développement économique au Canada. Nous pensons qu'il survivra à un examen minutieux. Nous ne craignons pas un processus rationnel. Ce qui nous inquiète beaucoup, en revanche, c'est qu'on préjuge du résultat final. C'est bien là le problème.
Le sénateur Harb : Je veux vous poser une question franche. Je pense qu'il est important que le gouvernement et nous l'entendions. Et j'espère que vous allez y répondre. Si le gouvernement décidait de vous imposer comme il impose les sociétés, quelles en seraient les conséquences pour vos fiducies?
M. Probyn : Elles seraient extrêmement fâcheuses.
M. Coutu : Pis encore, elles seraient catastrophiques. Elles sonneraient le glas des marchés. Je ne peux même pas imaginer que des gens raisonnables envisagent d'assujettir les fiducies à une structure fiscale globale. Sans être naïf, je me présente devant vous aujourd'hui en présumant que des mesures draconiennes de la sorte ne seront pas prises.
Le sénateur Harb : En toute justice, votre jeune société est en train de prendre de l'expansion à un rythme rapide. Vous n'avez peut-être pas eu l'occasion d'effecteur une étude d'impact. Peut-être trouverez-vous là une occasion de le faire et de partager les résultats avec nous, à moins que vous ne l'ayez déjà fait.
M. Probyn : Notre mémoire abordera la question, sénateur.
Il y a d'autres impacts. Un que j'aimerais vous signaler est celui de la canadianisation. Il y a quatre ans, nous aurions pu avoir une discussion constructive sur l'évidement du Canada de ces sociétés et sur le déménagement des sièges sociaux dans diverses villes des États-Unis. Ça n'arrive pas que dans l'industrie pétrolière. En effet, les fiducies ont rapatrié des milliards de dollars au Canada. M. Coutu et M. Kesteven habitent et travaillent à Calgary, pas à Denver.
Avec votre indulgence, j'aimerais demander à M. Hollands de nous raconter comment la structure des fiducies a permis à la chaîne canadienne A&W de devenir un chef de file mondial, car cela illustre, de façon raisonnable, la contribution de forces productives, pas seulement dans le secteur énergétique mais aussi dans l'industrie alimentaire et d'autres secteurs.
Paul Hollands, président-directeur général, Services alimentaires A&W du Canada Inc., Association canadienne des fonds de revenu : Mesdames et messieurs les sénateurs, la plupart d'entre vous connaissent A&W et ont probablement mangé des Teen Burgers.
A&W Canada est une société distincte de A&W dans le reste du monde. Je travaille pour cette société depuis 25 ans. Pendant une bonne partie de sa vie, la société appartenait à un grand conglomérat néerlando-anglais. Au milieu de 1995, la direction de la société a eu l'occasion d'entreprendre le rachat de l'entreprise pour en faire une société purement canadienne, ce que nous avons fait. Quand on fait le rachat d'une entreprise, on prend énormément de risques et, souvent, on s'endette énormément aussi. L'émergence du marché des fiducies de revenu nous a permis de restructurer nos activités pour avoir accès à des capitaux propres de sorte que nous serions en mesure de rembourser toutes nos dettes et de prendre le contrôle de cette société. Notre société s'en est retrouvée considérablement renforcée, car nous nous étions débarrassés de toute notre dette.
Historiquement, les marchés des capitaux propres typiques ne se sont pas particulièrement portés vers le secteur de la restauration. Ce n'est pas un secteur attrayant, comme l'a été la technologie de pointe en 1999, 2000 ou 2001, mais il peut néanmoins croître de façon constante. Le secteur de la restauration est un grand générateur de liquidités et emploie beaucoup de travailleurs. Cette structure convient parfaitement à la nature du secteur. C'est pourquoi nous avons été la première fiducie de restaurants à se lancer sur le marché, avant que huit ou neuf autres ne nous emboîtent le pas.
Vous avez évoqué la productivité. Dans notre secteur, nous n'achetons pas une nouvelle pièce d'équipement pour en améliorer une autre. Tout passe par la croissance. Du point de vue de la compétitivité, si vous regardez d'autres chaînes de restauration d'importance, vous constaterez que la plupart d'entre elles ont connu un essor et qu'elles se sont dotées de programmes de réinvestissement appréciables. Boston Pizza, comme nombre d'entre vous le savent, prend rapidement de l'expansion sur le marché ontarien et est en train d'investir dans de nouveaux restaurants au rythme de quelque 60 millions de dollars par année, soit 300 millions de dollars en un peu plus de cinq ans.
Le sénateur Angus : Au Canada!
M. Hollands : Au Canada uniquement. Je connais très bien les administrateurs. Ils engagent 1 600 employés de plus par année. Pour notre part, nous construisons environ 25 restaurants par année. Aujourd'hui, nous comptons entre 19 000 et 20 000 employés. Nous créons environ 1 000 emplois par année à mesure que nous prenons de l'expansion. Compte tenu de notre structure et de notre accès au marché, les détenteurs de nos actions reçoivent d'importants bénéfices en espèces, et nous sommes en mesure de prospérer davantage. Nous avons une structure qui marche bien.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je dois dire que je connais M. Probyn du temps où j'étais consultante dans le cadre d'un projet énergétique dans la firme de mon collègue Stikeman Elliott. Cet instrument pour financer de nouveaux projets énergétiques n'avait jamais été remis en question avant cette tendance à la conversion. Les entreprises existantes n'étaient pas tenues de créer des emplois, mais elles ont néanmoins profité du crédit d'impôt destiné en réalité aux nouvelles entités canadiennes pour l'acquisition d'une nouvelle entreprise ou l'investissement dans la croissance, comme ce fut le cas du projet Syncrude.
En outre, je peux vous dire que je détiens probablement 0,0001 p. 100 des actions de PrimeWest, et pourtant, avec 2 p. 100 je ne pourrais pas prendre ma retraite du Sénat. Quand on investit de cette manière, ce n'est certainement pas dans le but de prendre sa retraite. Il y a un autre objectif, puisque c'est un investissement à long terme.
J'ai appuyé des projets énergétiques, pensant qu'un jour ils deviendraient des projets remarquables. J'étais présente quand la politique sur les sables bitumineux a été établie. La raison d'être des fiducies est de produire de nouveaux projets comme les mini-projets hydroélectriques de l'époque où je vous ai connu. La formule marchait parfaitement bien et pendant 20 ans, on n'a pas eu de problème. Voilà que tout d'un coup cet instrument fiscal est utilisé à d'autres fins, pour éviter des impôts. Bien entendu, les fiducies sont vendues à des investisseurs, mais elles n'avaient jamais été remises en question auparavant. On n'avait jamais de difficulté à monter des projets et on utilisait cet instrument de façon routinière dans le cadre de ces activités. Or, voilà que des sociétés de communication et des banques songent maintenant à se convertir en fiducies de revenu. L'aviez-vous prédit? Aviez-vous vu que cela allait nuire à vos propres entités?
M. Probyn : Sénateur, quel plaisir de vous revoir!
Le sénateur Angus : Nous partageons votre sentiment.
M. Probyn : Nous avons eu de nombreuses conversations intéressantes sur le financement de projets. Je me rappelle de SNC-Lavalin quand vous y étiez à la direction.
Dans le secteur énergétique, le financement de projets et le marché des fiducies sont à bien des égards les revers de la même médaille. Pour financer un projet, on contracte des dettes moyennant la signature de contrats à long terme. D'une manière typique, les fiducies énergétiques se servent aussi des contrats à long terme pour stabiliser les mouvements de trésorerie et assurer la viabilité de leur entreprise sur la durée. Nous avons constaté une évolution vers un nouveau forum.
J'ai récemment rencontré des représentants d'une importante banque d'investissement de New York. Un des principaux directeurs s'est plaint de ce que le coût des capitaux pour le secteur des services publics canadiens était nettement inférieur à celui du coût aux États-Unis et de ce qu'ils avaient beaucoup de difficulté à faire des investissements et acquérir des services publics canadiens. Pour ce qui est de la question des économies réalisées sur une dette à long terme dont nous avions l'habitude de discuter il y a longtemps, je pense que nous avons fait la transition vers une structure plus efficace dans le secteur énergétique.
C'est une transition vers la rentabilité des capitaux qui produit des avantages pour le Canada.
Le sénateur Hervieux-Payette : Ne croyez-vous pas que quand nous avons un régime fiscal qui donne de bons résultats, que si un autre groupe veut s'en servir à d'autres fins, c'est-à-dire sans générer de croissance ou de nouvelles richesses mais simplement pour tirer avantage de notre régime fiscal, c'est vous qui êtes le grand perdant? Avons-nous besoin de lignes directrices pour faire en sorte que les fiducies de revenu puissent continuer d'exister mais sous certaines conditions? Quand on essaie de réclamer le crédit d'impôt à l'innovation, on doit se conformer à un certain nombre de lignes directrices, sinon, on n'y sera pas admissible.
Dans ce cas-ci, s'il y avait une structure fiscale qui ne soit pas la même mais qui soit avantageuse pour le Canada, pourquoi ne pas s'assurer qu'elle réponde aux besoins et qu'elle ne permette pas à des gens de profiter de la structure fiscale, tout en générant la productivité ou la richesse que nous souhaitons? On aura de nouvelles entités, on fera l'acquisition de nouveaux champs ou de nouvelles installations, il y aura productivité, monsieur le président. Si un jour, une société est de type « A » et le lendemain elle devient de type « B », sans qu'on ait investi un cent dans la nouvelle société, je ne pense pas que ce soit là la raison d'être de la structure.
Le président : Je vous demanderais de bien vouloir être précis et concis dans vos réponses. C'est une longue question, mais elle exige une certaine précision et, je l'espère, une réponse étayée.
M. Coutu : Je vous avouerai que je ne sais pas quelles étaient les raisons originales sous-tendant les règles de fiducie, mais il y a autre chose que vous devez aussi comprendre au sujet de la productivité. C'est que les gens chargés d'administrer des fiducies doivent aussi apprendre une nouvelle façon de faire, ce qui impose une nouvelle forme de discipline aux sociétés gérées selon le régime des fiducies.
Les bénéfices ne seront pas toujours considérables, car les taux d'intérêt ne seront peut-être pas toujours très faibles, dans lequel cas, je vous soumettrai que les structures de fiducie prévaudront. J'ajouterai que les investisseurs aiment la discipline que cette structure impose, notamment à un moment où la gouvernance est un sujet d'actualité. Le seul moyen pour les sociétés d'imposer une discipline, c'est la gouvernance.
Avec les fiducies, vous devez envoyer à vos investisseurs un chèque tous les mois ou tous les trimestres, et c'est de la discipline. L'investisseur, qui est propriétaire de la fiducie, décide si vous allez pouvoir ou non investir des liquidités dans un projet d'expansion comme nous avons pu le faire; sinon, il vendra vos actions. Les administrateurs en sont conscients et ils savent qu'ils ne pourront investir dans ce projet. Ils doivent continuer de verser les bénéfices. C'est une nouvelle façon de faire, et je vous dirais que c'est une approche qui impose une plus grande discipline et qui est beaucoup plus réceptive aux investisseurs. Je ne sais pas quelles étaient les raisons originales des structures de fiducie, mais c'est vers cela que les choses ont évolué.
Le président : L'histoire remonte à une vingtaine d'années. Tout a commencé avec les sociétés de placement immobilier : l'argent était bloqué, et il n'y avait pas de moyen accréditif qui permette aux actionnaires de devenir des partenaires dans des projets immobiliers. Puis, ce fut le tour des champs pétrolifères. Comme le sénateur Hervieux- Payette l'a signalé, toutes les sociétés veulent s'en prévaloir. C'est pourquoi nous essayons de savoir si la raison originale demeure valide ou si le système a été transformé à un point tel que c'est devenu contreproductif. Nous essayons de discuter avec vous en toute honnêteté.
M. Hollands : Une des leçons importantes que nous avons tirées de tout cela, c'est que le marché des fiducies de revenu existe pour répondre à un besoin chez les investisseurs.
Le président : Tout à fait.
M. Hollands : Comme le dirait M. Probyn, si on a une perte d'impôt se chiffrant à 300 millions de dollars sur un marché qui vaut 170 milliards de dollars, cette perte est infime. La décision n'est peut-être motivée que par des raisons fiscales. C'est le besoin de mettre la main sur des liquidités. Si vous regardez la démographie et le rendement que les Canadiens moyens obtiennent sur leur REER, celui-ci est tellement faible qu'ils vous diront qu'ils ont besoin de liquidités. Or il se trouve qu'il existe des entreprises capables de générer ces liquidités. Le message du marché : « Nous pouvons générer une valeur élevée des liquidités que vous pouvez produire. » Si cela ne nuit pas à l'entreprise, c'est que c'est une bonne entreprise qui continue de croître et qui est capable de répondre aux besoins de l'économie canadienne. C'est une bonne chose.
Le danger, c'est qu'on s'intéresse à la structure des fiducies de revenu qui sont à l'origine du problème, et non pas à ce que les Canadiens en font discrètement.
M. Coutu : J'ai été impressionné par les propos que vous avez tenus au comité des finances, et je vous en félicite. Il y a une question qui se pose toujours et qui n'a pas été soulevée ici, c'est celle de la propriété étrangère limitée dans les fiducies. Je voudrais qu'elle soit mentionnée dans ces délibérations.
Le président : C'est fait.
M. Coutu : Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Coutu. Vous comprenez que le sénateur Angus n'est pas là pour la galerie. Derrière son teint avantageux, il y a de la matière grise.
Mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir participé à cette audience. Je peux vous assurer que le comité garde l'esprit ouvert sur ces questions. Nous avons eu une discussion fructueuse et nous pourrons aborder le problème d'une perspective différente. Merci de votre franchise.
Je prends acte des propos des fonctionnaires du ministère des Finances. M. Farber et ses fonctionnaires nous ont dit que leur décision n'est pas encore prise, malgré ce qu'on a pu entendre à ce propos. Ils ont témoigné aujourd'hui sous serment.
Le sénateur Angus : Ils n'ont pas été assermentés.
Le président : Pas sous serment, mais devant un comité du Parlement, et nous en prenons acte. Nous allons surveiller la situation de près. Lorsque le ministre comparaîtra, nous lui poserons les mêmes questions concernant l'équité. S'il y a des consultations, comme l'a annoncées le gouvernement, notre fonction de surveillance nous oblige à nous assurer qu'elles sont équitables et transparentes. C'est ainsi que nous pourrons stabiliser le marché et en éliminer tout excès, dans notre intérêt comme dans celui des investisseurs et des entrepreneurs. Merci beaucoup de votre franchise. À suivre.
M. Probyn : Nous reviendrons.
La séance est levée.