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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 17 - Témoignages du 20 octobre 2005


OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2005

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 35 pour étudier, afin d'en faire rapport, les changements démographiques qui se produiront au Canada d'ici une vingtaine d'années.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous et bienvenue à la deuxième table ronde du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Les délibérations du comité sont diffusées en direct sur le Web et sont diffusées en différé sur la chaîne CPAC.

Le mandat du comité consiste à étudier les questions qui touchent non seulement les banques et le commerce mais l'économie dans son ensemble. Nous entendrons des témoignages sur les principaux enjeux qui influent sur le fondement même de l'économie canadienne. La première table ronde était consacrée à la productivité. Le rapport du comité a été déposé au Sénat en juin dernier et est disponible sur le site Web du comité. Nous croyons que le rapport a contribué à influencer les décideurs des secteurs public et privé à inclure la productivité comme élément clé de l'avenir économique du Canada.

La deuxième table ronde est consacrée à la question des changements démographiques, qui est un facteur déterminant qui influera sur l'ensemble de notre économie dans un avenir prochain. Les objectifs de ces audiences sont simples : encourager le débat public et proposer des politiques qui traitent des répercussions économiques et financières possibles du vieillissement rapide de la population canadienne. Dans seulement dix ans, on s'attend à ce que le Canada se trouve dans une situation sans précédent. Le Canada comptera beaucoup plus de personnes âgées, c'est-à-dire des gens de plus de 65 ans, que de jeunes de moins de 15 ans. Dans 30 ans, on s'attend à ce qu'il y ait environ 2,5 personnes en âge de travailler — celles qui appartiennent au groupe des 15 à 64 ans — pour chaque aîné. Cela correspond à la moitié du ratio actuel de 5,0 personnes en âge de travailler pour chaque aîné. C'est un ratio qui pose problème. Ces tendances démographiques ne sont pas propres au Canada. De nombreux autres pays de l'OCDE vivent des changements tout aussi traumatisants. Récemment, notre remarquable gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, a prononcé un discours dans lequel il a souligné à quel point il était essentiel pour les décideurs — et j'insiste là- dessus — d'agir dès maintenant, sans attendre, pour s'assurer d'établir les politiques gouvernementales structurelles appropriées pour relever les défis des 10 aux 20 prochaines années. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard à cet égard. Cette question touche non seulement le secteur public mais aussi le secteur privé. Nous entendons de nombreuses hypothèses contradictoires quant aux répercussions possibles du vieillissement de la population sur les finances des gouvernements provinciaux et fédéral, sur notre croissance économique, sur nos marchés du logement, sur notre système de soins de santé, sur nos pensions publiques, sur nos marchés financiers et sur nos économies personnelles, par exemple.

Le comité a l'intention d'entendre le témoignage d'une vaste gamme de spécialistes pour fournir à l'ensemble des Canadiens un meilleur aperçu, plus intelligent, des tendances démographiques futures et de leurs incidences pour notre économie et la société canadienne dans son ensemble. Nous espérons que cette étude suscitera de nouvelles réflexions et de nouvelles idées stratégiques, modifiera les façons conventionnelles de raisonner, qui à l'heure actuelle ne permettent pas de mettre l'accent sur cette question, et aboutira à des recommandations efficaces sur la façon de mieux se préparer à ce que j'appelle « la bombe démographique ».

Je tiens à rappeler à ceux qui nous écoutent en direct sur Internet et en différé sur CPAC que le comité veut aussi connaître vos commentaires. Ce problème démographique aura d'énormes répercussions sur la vie de l'ensemble des Canadiens. Si vous avez des commentaires à faire, le comité vous invite à nous les transmettre par courriel à banking- banque@senate.parl.gc.ca. Nous espérons que tous les spécialistes canadiens et les simples citoyens nous communiqueront leurs points de vue par courriel, car ils influeront sur les délibérations du comité.

L'honorable sénateur Paul Massicotte, membre de notre comité, nous a convaincus qu'il est essentiel d'étudier cette question. Nous le félicitons de cette idée et de ses pouvoirs de persuasion.

Je vais maintenant céder la parole à notre troisième groupe de témoins de cette deuxième table ronde. Monsieur Longman, vous avez la parole.

Phillip Longman, Bernard L. Schwartz Senior Fellow, New America Foundation : La New America Foundation est essentiellement un groupe de réflexion. Je ne prétends pas être un spécialiste de la démographie canadienne en particulier, mais j'ai écrit et publié beaucoup d'ouvrages sur les tendances démographiques mondiales. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de prendre la parole devant le comité et de vous expliquer comment ces tendances sont susceptibles d'influer sur l'avenir du Canada.

Le Canada est confronté à un phénomène démographique sans précédent qui commence à se répandre dans tous les coins du globe. Aujourd'hui, dans les deux hémisphères, des pays les plus riches aux plus pauvres, dans les pays chrétiens, taoïstes, confucianistes, hindous et surtout islamiques, une grande tendance sociale dominante caractérise ce début de XXIe siècle : partout, le taux de natalité est à la baisse.

Aujourd'hui, les taux de fécondité à l'échelle mondiale sont deux fois moindres qu'en 1972. Aucun pays industrialisé ne produit assez d'enfants pour maintenir sa population ou pour en prévenir le vieillissement rapide.

L'exemple le plus parlant est celui de la Russie, dont la population diminue de 750 000 habitants par année. La population du Japon commence elle aussi à décroître, et on s'attend à ce qu'elle diminue au plus d'un tiers, diminution qui, équivaut à celle qu'a entraînée la dévastation causée par la peste en Europe médiévale.

Le taux de natalité au Canada est 40 p. 100 au-dessous du niveau nécessaire pour prévenir une diminution de population à long terme. Démographiquement parlant, le Canada ressemble davantage aux nations rapidement vieillissantes d'Europe ou d'Asie, qu'à son voisin, les États-Unis, dont le taux de natalité n'est qu'un peu inférieur au seuil de renouvellement des générations — c'est-à-dire le nombre de personnes nécessaires pour maintenir le taux de la population avec le temps.

Ces faits viennent heurter l'idée reçue selon laquelle la race humaine tend vers la surpopulation. Nous savons aujourd'hui, d'après l'expérience, que les populations humaines ne croissent pas automatiquement dans les limites des ressources qui leur sont disponibles, comme Thomas Malthus, Charles Darwin et tant d'autres l'ont enseigné depuis si longtemps. En effet, nous savons aujourd'hui que même des populations bien nourries et en santé comme celles de l'Europe, du Japon ou du Canada, peuvent décider collectivement de ne pas produire assez d'enfants pour se maintenir.

C'est une troublante anomalie dans l'histoire du monde. Par le passé, nous avons constaté cette tendance chez certaines classes sociales — entre autres particulièrement chez les aristocrates de l'Empire romain, dont le taux de fécondité avait tellement diminué que César Auguste a jugé nécessaire d'imposer des taxes aux célibataires. Cependant, jamais dans l'histoire a-t-on constaté des pays tout entiers et encore moins des continents, afficher cette tendance, c'est- à-dire un taux de fécondité inférieur au seuil de renouvellement des générations.

Il est d'autant plus anormal que ces taux de fécondité insuffisants touchent maintenant des pays et des classes qui sont loin d'être prospères. Les chutes les plus vertigineuses de la fécondité, et les taux les plus élevés de vieillissement de la population, ont maintenant lieu dans les pays en développement, qui sont nombreux à vieillir sans jamais avoir été prospères. Même l'Iran, par exemple, qui est sous le joug d'un groupuscule de fondamentalistes islamistes, a vu son taux de fécondité chuter de deux tiers et ne produit plus assez d'enfants pour renouveler sa population.

À cause de cette décroissance rapide de la fécondité, un bon nombre de pays en développement vieillissent à un rythme inouï. Afin de mettre les choses en contexte, comparons l'âge moyen au Canada avec l'âge moyen en Algérie. Au cours des 50 dernières années, l'âge moyen au Canada a augmenté d'un peu plus de 11 ans; de sorte qu'aujourd'hui, la moitié de la population canadienne a plus de 39 ans. Par contraste, selon les projections de l'ONU, dans la première moitié du XXIe siècle, l'âge moyen en Algérie augmentera de presque 20 ans, au point où la moitié de sa population aura plus de 40 ans.

En tout et pour tout, il y a aujourd'hui 59 pays, qui représentent environ 44 p. 100 de la population mondiale, qui ne produisent actuellement pas assez d'enfants pour prévenir le déclin de la population. Le phénomène continue de se répandre dans tous les continents, y compris l'ensemble de l'Asie, l'ensemble de l'Europe et une bonne partie de l'Amérique latine.

Que signifie cette mégatendance globale pour l'avenir du Canada? Je me limiterai à quelques points clés en commençant par l'immigration.

L'immigration est cruciale pour l'avenir du Canada, mais ce n'est pas la panacée qui résoudra tous les problèmes de population du Canada, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, n'oublions pas que les taux de fécondité du monde en développement sont à la baisse et que, en conséquence, le nombre d'immigrants possibles au Canada sera moindre que dans le passé. Le nombre d'immigrants de pays tels que la Chine et l'Inde, associés à une fécondité à la baisse et à des taux rapides de création d'emplois, diminuera vraisemblablement très rapidement.

Deuxièmement, il y aura une concurrence accrue de la part d'autres sociétés vieillissantes pour l'obtention de ces immigrants. Déjà, de nombreux Latino-Américains préfèrent immigrer en Europe, par exemple.

Troisièmement, les immigrants qui choisissent notre pays arrivent habituellement non pas pendant l'enfance mais à l'âge adulte. Cela signifie que ces immigrants contribueront moins au rajeunissement de la population canadienne que ne le ferait un taux accru de naissances.

Enfin, les immigrants ont moins d'enfants que dans le passé. Chez les immigrants qui vivent au Canada depuis plus de 10 à 14 ans, le taux moyen de fécondité est de 1,5, soit la moyenne nationale.

Cela signifie que le Canada doit, d'une façon ou une autre, encourager plus de gens à fonder une famille. Sinon, il y aura stagnation de l'économie, les contribuables devront assumer un fardeau insupportable et les coûts des régimes de retraite et de soins de santé deviendront exorbitants. Avec la montée de ces coûts, il sera encore plus difficile pour les jeunes couples d'assumer les frais d'une famille, ce qui enclenchera un cercle vicieux de taxes et d'impôts toujours plus élevés et de taux de natalité toujours plus bas.

Malheureusement, les politiques pronatalistes de l'histoire n'ont pas été particulièrement fructueuses. Cela ne signifie pas que les gouvernements sont impuissants devant le déclin démographique, mais plutôt qu'il nous faut faire preuve d'audace.

Comme je dispose de peu de temps, je n'entrerai pas dans le détail de ces approches, mais je pourrai en parler pendant la période de questions. Je me contenterai de dire qu'il faut réduire les tensions entre le travail et la famille que connaissent de si nombreux jeunes couples de nos jours, et mieux compenser les énormes sacrifices que font les parents pour toute la société.

Jean-Claude Ménard, actuaire en chef, Bureau du surintendant des institutions financières : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir offert la possibilité de venir vous parler des enjeux relatifs aux changements démographiques qui se produiront au Canada au cours des 20 prochaines années. J'aimerais d'abord dire quelques mots au sujet du mandat du Bureau de l'actuaire en chef.

Bien que le BAC fasse partie du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, il fonctionne de manière autonome. Son rôle et son mandat sont différents de ceux du BSIF. En fait, son rôle clé consiste à fournir des services actuariels au gouvernement fédéral et aux gouvernements des provinces qui participent au Régime de pensions du Canada. Bien que je relève du surintendant des institutions financières, je suis seul responsable du contenu des rapports préparés par le BAC et des opinions actuarielles qui y sont exprimées. Je le répète, notre mandat consiste à effectuer des évaluations actuarielles législatives du RPC, du programme de la Sécurité de la vieillesse et des régimes de retraite et d'assurance des employés de la fonction publique fédérale.

Comme l'indiquent les plus récents rapports sur le RPC et sur la Sécurité de la vieillesse, la population canadienne s'établissait à 32 millions de personnes. L'âge médian était de 39 ans, ce qui signifie que la moitié de la population avait plus de cet âge. Selon les projections démographiques de ces rapports, la population canadienne devrait vieillir considérablement d'ici 2030, année où la plupart des membres de la génération du baby-boom auront pris leur retraite.

D'ici à 2030, la population du Canada devrait grimper à 39 millions, et l'âge médian sera de 44 ans. Au cours de cette période, la population en âge de travailler diminuera, passant de 62 à 56 p. 100 de la population, soit 22 millions de personnes, tandis que la proportion des retraités croîtra de façon marquée, passant de 13 à 23 p. 100, soit neuf millions de personnes.

La proportion des 80 ans et plus augmentera aussi sensiblement, passant de 3 à 6 p. 100 de la population, soit 2,3 millions de personnes. Ce groupe forme l'un des segments démographiques dont la progression est la plus forte.

Ces projections s'appuient sur des hypothèses de fécondité, de migration et de mortalité. On prévoit que la population continuera d'augmenter, mais de moins en moins vite en raison de la faiblesse anticipée du taux de fécondité. Puisque le taux de fécondité demeurera sans doute bas d'ici 2030, la migration nette sera la seule composante de la croissance démographique prévue.

À mesure que la population vieillira, le coût des régimes de pension publics — Sécurité de la vieillesse, Régime de pensions du Canada et Régime des rentes du Québec — augmentera, passant de 5 p. 100 du PIB à 7 p. 100 en 2030. À l'échelle des pays de l'OCDE, le coût des pensions publiques au Canada est relativement peu élevé.

Les coûts des pensions publiques en Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni seront plus faibles qu'au Canada, et cette situation devrait se maintenir puisque leurs coûts devraient s'établir entre 4 et 6 p. 100 du PIB en 2030. Les pays de l'OCDE dont les coûts des pensions publiques sont nettement plus élevés, comme la France, l'Italie et l'Allemagne, prévoient que les coûts atteindront quelque 16 p. 100 du PIB en 2030.

Le ratio des dépenses au titre de la Sécurité de la vieillesse au produit intérieur brut devrait passer de 2 à 3 p. 100 d'ici 2030, surtout en raison de la retraite de la génération du baby-boom. Le maintien de l'équilibre budgétaire et la réduction soutenue de la dette en proportion du PIB sont des moyens efficaces d'assurer le financement viable de la Sécurité de la vieillesse à même le Trésor.

En ce qui concerne le Régime de pensions du Canada, à la suite de vastes consultations tenues en 1997, les gouvernements fédéral et provinciaux ont choisi de modifier la façon de capitaliser le RPC en le transformant en un régime hybride, c'est-à-dire un régime par répartition et un régime de pleine capitalisation, dit « régime à capitalisation au taux de régime permanent ». Les cotisations ont été augmentées, la hausse ultérieure des prestations a été réduite et l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada, l'OIRPC, a été créé pour investir les fonds du RPC ne servant pas au paiement des prestations actuelles. Ces mesures ont été prises pour assurer la viabilité financière à long terme du RPC.

Les cotisations devraient demeurer supérieures aux prestations jusqu'en 2021. L'OIRPC investira les fonds qui ne sont pas nécessaires au service des prestations. Le total des actifs du RPC couvrira donc un nombre d'années de dépenses qui augmentera.

La retraite de la génération du baby-boom fera augmenter les décaissements du RPC et une partie des revenus de placement du régime devra servir à financer les prestations après 2021. Cependant, les actifs continueront de croître à long terme.

[Français]

Le système canadien de revenu de retraite prévoit la diversification des sources de revenu — et là, je parle des sources de pensions privées et de pensions publiques.

Le système prévoit également la diversification des méthodes de financement. Le recours, à la fois, à la capitalisation intégrale pour les régimes d'employeurs ou les régimes enregistrés d'épargne-retraite, à la capitalisation partielle pour le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec et au financement par répartition pour la pension de sécurité de vieillesse permet au pays de mieux s'adapter à l'évolution démographique et économique, y compris au vieillissement de sa population.

Le Canada est également parvenu à maintenir le coût des pensions à un niveau raisonnable, tout en réduisant l'incidence de la pauvreté chez les aînés et en préservant le niveau de vie à la retraite. Ce régime devrait continuer de bien fonctionner et d'être à la fois abordable et soutenable dans le futur malgré les changements démographiques. Une revue régulière du système permettra de s'assurer que cela soit toujours le cas.

Ainsi, à la suite des réformes entreprises en 1997, les gouvernements ont convenu d'examiner les finances du Régime de pensions du Canada à tous les trois ans. À ce titre, le plus récent rapport actuariel sur le Régime de pensions du Canada, déposé devant le Parlement, en décembre 2004, et dont vous avez obtenu copie, compte parmi les documents sur lesquels les ministres fédéral et provinciaux des Finances s'appuient pour examiner le régime et formuler des recommandations à son sujet.

Au nombre des facteurs susceptibles d'atténuer les tensions futures sur le système de pensions publiques, je citerais l'accroissement de la migration nette et une hausse additionnelle des taux d'activité, surtout chez les femmes et les travailleurs plus âgés.

Le bureau de l'actuaire en chef a mené, en mars 2003, une étude sur les facteurs de rajustement actuariel qui s'appliquent aux rentes de retraite du Régime de pensions du Canada lorsque celles-ci débutent avant ou après l'âge de 65 ans. La rente de retraite du Régime de pensions du Canada est rajustée en permanence de 0,5 p. 100 à la hausse ou à la baisse pour chaque mois compris entre le 65e anniversaire et le début du paiement de la rente, laquelle rente peut commencer à être payée dès 60 ans ou seulement à 70 ans, au gré du cotisant.

L'étude montre que ces ajustements sont trop généreux dans le cas de ceux qui choisissent de toucher leur rente avant 65 ans et qu'il pénalise, en revanche, ceux qui réclament leur rente après 65 ans.

Les décideurs pourraient analyser si le Régime de pensions du Canada est suffisamment adapté aux différents parcours de transition du marché du travail vers la retraite. Permettre aux travailleurs de demander leur rente du Régime de pensions du Canada et de continuer d'accumuler des crédits de rente mérite une attention particulière. Une telle avenue requérrait que les travailleurs pensionnés cotisent au régime, ce qui n'est pas le cas, actuellement.

Soulignons toutefois que cette avenue est déjà possible depuis 1998 au Régime de rentes du Québec. Ainsi, les travailleurs pensionnés du Québec cotisent sur leurs gains de travail et reçoivent potentiellement une rente améliorée.

Ceci dit, il est important de noter qu'avec une cotisation de 9,9 p. 100, il est prévu que le Régime de pensions du Canada demeurera solide financièrement, même sans changement au régime.

Je vous remercie à nouveau de m'avoir invité aujourd'hui. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Steven Tobin, économiste, Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales, Division de l'analyse et des politiques d'emploi, Organisation de coopération et de développement économiques : Je remercie le comité de m'avoir invité. Je répéterai peut-être ce que mes collègues ont déjà dit. J'abonde dans le même sens que M. Longman sur le rôle strictement complémentaire que jouera l'immigration dans le contexte canadien. Je félicite aussi M. Ménard de l'excellent travail qui a été entrepris pour améliorer le financement des régimes de retraite du Canada. Comme il l'a indiqué, le Canada est en bien meilleure posture à cet égard que d'autres pays de l'OCDE.

Le mémoire que vous avez sous les yeux, « Vieillissement et politiques de l'emploi au Canada », fait partie d'une série de 21 rapports semblables sur différents pays. J'espère que si vous ne l'étiez pas déjà, vous êtes maintenant convaincus que la population canadienne vieillit. Comme l'a fait remarquer le président au début de la séance, cela aura des conséquences importantes pour les dépenses en soins de santé au Canada.

J'aimerais aussi souligner que le vieillissement de la population signifiera une réduction considérable du nombre de travailleurs qui devront appuyer un nombre croissant de retraités qui consacreront plus de temps que jamais auparavant à leur retraite.

Nos publications signalent qu'en donnant aux gens la possibilité de rester sur le marché du travail plus longtemps, on pourrait prévenir un important déclin de la population active dans les décennies à venir. Pour vous donner une petite idée de ce que l'avenir nous réserve par rapport au passé, au cours des 50 dernières années, la population active au Canada a crû de près de 200 p. 100, soit l'un des taux de croissance les plus élevés de l'OCDE. Toutefois, si les taux de participation restent au niveau actuel, la main-d'oeuvre active augmentera de 5 p. 100 durant les 50 prochaines années. C'est donc 5 p. 100 sur les 50 prochaines années en comparaison à près de 200 p. 100 pour les 50 dernières années.

Heureusement, au Canada, on a constaté que de nombreux nouveaux retraités auraient envisagé de rester au travail plus longtemps si les circonstances avaient été autres. J'espère que nous ne parlerons pas aujourd'hui de forcer les gens à travailler plus longtemps pour éviter ces pénuries de main-d'œuvre. Pour les gouvernements, les employeurs et les syndicats, il faut offrir des conditions propices à un prolongement de la vie au travail. Je suis ravi de voir ici aujourd'hui des gens qui ont plus de 50 ans et qui, justement, prolongent leur vie de travailleur.

Le sénateur Angus : Et que dire de ceux qui ont plus de 65 ou 70 ans?

Le président : Vous êtes un économiste bien charmeur. Merci beaucoup.

Le sénateur Angus : C'est l'effet de la vie à Paris.

M. Tobin : Venons-en aux recommandations essentielles de votre rapport. Il est important que les employeurs et les gouvernements donnent aux travailleurs davantage de souplesse pendant la transition entre le travail et la retraite. Au Canada comme dans bien d'autres pays, on passe brutalement du travail à la retraite. Soudain retraité, on se demande quoi faire. Retourner au travail semble insurmontable pour bien des gens. Nous préférerions voir des transitions plus en douceur vers la retraite. Les gens pourraient à la fois recevoir des prestations de retraite et travailler.

Deuxièmement, il faut donner davantage de choix aux travailleurs. Ce que le gouvernement pourrait faire en abolissant l'âge de la retraite obligatoire qui ne cadre pas avec les politiques visant à prolonger la vie professionnelle.

Tout en parlant de prolonger la vie professionnelle de travailleurs, il ne faut pas oublier qu'au Canada, il y a des chômeurs. Le gouvernement doit donner une aide accrue aux chômeurs âgés qui cherchent du travail.

Pour avoir droit à diverses mesures de soutien à l'emploi, de nos jours, les travailleurs âgés comme les autres doivent avoir un dossier d'assurance-emploi. Nous savons que de nombreux travailleurs âgés de diverses régions du Canada n'ont pas ces antécédents nécessaires pour participer à ces mesures de soutien.

Même s'il faut pour cela modifier la Loi sur l'assurance-emploi, nous recommandons que le gouvernement fédéral envisage d'élargir à tous l'accessibilité au programme de soutien, au moins à titre d'essai. On pourrait, par exemple, laisser aux conseillers en emploi plus de latitude dans ses décisions relatives au soutien à ceux qui en ont le plus besoin, peu importe leur participation passée au marché du travail et le fait qu'ils aient ou non reçu des prestations d'assurance-emploi.

Pour éviter des pénuries de main-d'œuvre, il faut que les employeurs, les syndicats et les gouvernements cherchent une solution et encouragent les gens à prolonger leur vie active. Comme c'est ce que veulent beaucoup de Canadiens, outre l'avantage économique de repousser une pénurie de main-d'œuvre, cela contribuerait beaucoup au bien-être de ces personnes qui sont souvent forcées de prendre leur retraite.

Le président : Merci à tous. Vos propos donnent matière à réflexion. Nous avons tous eu la possibilité de lire vos mémoires en entier puisqu'ils ont été remis aux membres du comité. Je les ai lus rapidement et nous les examinerons plus en détail. Nous sommes contents que vous ayez pris le temps de réfléchir à la question et de non seulement de parler du problème, mais aussi de proposer des politiques provisoires, dirions-nous. Nous en reparlerons. Le premier intervenant est celui qui a inspiré la tenue de cette étude.

Le sénateur Massicotte : Je vais d'abord m'adresser à M. Longman. Vous avez adopté un point de vue mondial. Beaucoup de gens s'intéressent peu à la démographie parce que nous n'en avons pas encore senti vraiment les effets, du moins en ce pays. D'emblée, ils se disent que c'est un problème de déficit gouvernemental qui ne les touchera pas. Pourquoi cela doit-il intéresser le Canadien moyen? Comment sera-t-il touché? Pourquoi est-il important qu'ils s'intéressent à ce sujet?

M. Longman : Beaucoup de gens se réjouissent d'apprendre qu'il y aura moins d'habitants dans le monde à l'avenir. Prenons l'exemple de l'Italie et de l'Espagne, parmi les premiers touchés par l'hypervieillissement : ce ne sont pas des milieux où il fait bon être jeune. En effet, dans cette catégorie d'âge, le taux de chômage dépasse 10 p. 100, malgré la pénurie de jeunes personnes. Même s'ils sont rares, leurs revenus ne sont pas supérieurs, bien au contraire. En effet, le vieillissement de la population signifie que pour payer les prestations de retraite, les impôts sont plus élevés pour les jeunes. Dans ce cadre-là, les syndicats déploient davantage d'efforts pour protéger les emplois, puisque les syndicats sont dominés par les travailleurs âgés. Il en résulte une sclérose, constatée en Italie, au Japon et en Espagne, qui nuit directement aux possibilités dont pourraient profiter les jeunes.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Au Canada, on généralise en disant que ceux qui ont une bonne éducation et plus d'argent ont tendance à avoir moins d'enfants, particulièrement chez les femmes qui sont sur le marché du travail. Cependant, M. Longman nous parle de pays comme l'Irak ou l'Iran, où le nombre de femmes sur le marché du travail n'est pas élevé, où les gens ne sont pas plus riches, mais où il y a néanmoins un taux de natalité relativement bas. Il y a une faille quelque part. Comment expliquer cela? Pourquoi est-ce une tendance mondiale?

[Traduction]

M. Tobin : J'espère avoir bien compris votre question sur le nombre moins élevé de femmes dans la population active au Canada.

Le sénateur Massicotte : L'une des raisons pour lesquelles le taux de natalité est plus bas, c'est le travail des femmes. Comme elles font partie de la main-d'œuvre, elles ne sont pas à la maison. Les gens plus instruits ont plus d'argent. Ils ont tendance à prendre leur retraite plus tôt. M. Longman a parlé de l'Iran, où ce n'est pas le cas. Pourtant, le taux de natalité y est bas aussi. Quelle est la cause du faible taux de natalité dans ce pays?

M. Tobin : Le taux de natalité dépend beaucoup de ce que décident les ménages et il est difficile de faire des comparaisons d'un pays à l'autre. M. Longman serait peut-être mieux placé que moi pour vous répondre. Prenons le cas des États-Unis : comme il l'a dit, le taux de natalité est plus élevé alors que le taux de participation est assez semblable à celui du Canada. Nous savons que le taux de natalité a un effet sur la participation à la main-d'œuvre, mais nous savons aussi qu'au Canada, il y a des mesures de soutien généreuses pour les femmes qui quittent le marché du travail pour y revenir ensuite. Pourquoi de plus faibles taux de natalité? Je pense que cela résulte des décisions prises par les ménages : les gens décident d'avoir moins d'enfants.

M. Longman : À l'échelle mondiale, nous en sommes maintenant au point où la moitié de la population est urbaine. En milieu urbain, les finances familiales sont différentes. Les enfants sont un bien de consommation de luxe plutôt qu'un atout, comme à la campagne.

Le président : Hier, l'un des témoins disait que c'était comme avoir un bateau de course. C'est le grand luxe.

M. Longman : J'ai fait les calculs pour les États-Unis. Pour élever un enfant de la classe moyenne né cette année aux États-Unis, si l'on tient compte des frais directs et indirects, il en coûte plus d'un million de dollars. C'est tout un bateau de course!

Le président : J'ai vu ces chiffres.

Le sénateur Angus : Redites-nous ça? Est-ce pour élever un enfant du milieu ou un enfant?

M. Longman : Pour un enfant de la classe moyenne. Cela ne comprend pas les frais universitaires.

Le président : De un an à 18 ans, c'est ça?

Mr. Longman : Oui.

Le président : Et qu'arrive-t-il lorsqu'ils vont à l'université?

M. Longman : Il s'agit surtout d'une perte de revenus et je parle des carrières compromises particulièrement pour les femmes qui restent à la maison pour élever leurs enfants.

Je pense que la mondialisation des médias a aussi un effet. Au Brésil, par exemple, la télévision est arrivée province par province, et non partout à la fois. Chaque fois que la télévision arrivait dans une province, le taux de natalité y baissait. Vous pouvez spéculer sur les raisons de cela, mais c'est une tendance marquée.

Le président : La grève du hockey a peut-être aidé.

M. Longman : Je ne pense pas que cela ait été le cas au Brésil, mais cela aurait pu aider au Canada.

L'instruction des femmes a une forte corrélation avec une faible fertilité. Cela donne matière à réflexion aux décideurs. Le comité sélect du Québec a parlé aujourd'hui d'investir davantage dans l'éducation et de facturer davantage les jeunes pour qu'ils y aient accès. C'est l'un de leurs principaux arguments. Qu'est-ce qui peut davantage décourager quelqu'un de fonder une famille que de lourdes dettes étudiantes? C'est presque un poumon d'acier pour le secteur des sciences sociales : l'instruction nuit à la fertilité. Si l'on veut une population plus instruite, il faut prendre des mesures pour veiller à ce que les gens instruits aient des enfants. Habituellement, ils en veulent, mais croient ne pas en avoir les moyens.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous des commentaires au sujet de la décision prise au Québec il y a quelques années d'encourager financièrement les familles à avoir des enfants? Il semble que cela n'ait pas été très efficace. Statistiquement, il n'y a pas eu d'augmentation du taux de natalité au Québec alors qu'en France, pourtant, un programme semblable a suscité une amélioration. Il semble qu'on ait réussi là-bas à mettre sur pied un programme qui a contré la tendance mondiale à la diminution du taux de natalité. Avez-vous des commentaires sur les raisons de cela?

M. Longman : J'ai lu différentes choses à propos du Québec. Une étude dont j'ai pris connaissance indiquait que cela avait contribué à accroître le taux de fécondité au-delà de ce qu'il aurait dû être. Cela aurait coûté 15 000 $ par enfant. Je considère que c'est une aubaine.

On ne paiera jamais suffisamment les gens pour qu'ils aient des enfants. L'une des raisons pour lesquelles les États- Unis ont un taux de natalité plus élevé que tout autre pays industrialisé, c'est l'existence d'un marché du travail comparativement souple. Il est facile pour une jeune mère de trouver du travail à temps partiel, et cela est très important.

Réduire les coûts de renonciation pour les parents est beaucoup plus important que de simples avantages directs en espèces, bien que si vous lisez mon mémoire, il est possible d'établir un lien entre les pensions de vieillesse et la fécondité. Pour répondre à votre première question, à savoir pourquoi le taux de fécondité diminue partout dans le monde, l'une des raisons c'est qu'historiquement, les gens avaient principalement des enfants pour qu'ils s'occupent d'eux dans leur vieillesse. Aujourd'hui, l'État et le secteur financier en général nous ont permis de financer essentiellement notre retraite grâce aux enfants des autres. Et c'est ce qui se passe même dans le cas d'un régime de pension privé. Par conséquent, un régime de pension qui accorde des avantages plus importants aux parents — c'est-à- dire des parents qui élèvent avec succès leurs enfants jusqu'à l'âge de 18 ans et qui s'assurent qu'ils obtiennent un diplôme d'études secondaires et deviennent relativement indépendants — ne représenterait pas une subvention mais la possibilité de récupérer une partie de la valeur qu'il créerait pour l'ensemble de la société. Cela transmet un message approprié à propos du mode de financement des pensions et pourrait s'avérer une importante mesure d'encouragement à la procréation.

Le sénateur Massicotte : Comment le programme du troisième enfant fonctionne-t-il en France?

M. Tobin : Je n'étais pas préparé à commenter sur le système français, mais le système de la famille nombreuse, c'est- à-dire où on a un troisième enfant, entraîne des avantages supplémentaires. Je suis d'accord avec M. Longman lorsqu'il dit qu'il est important de réduire les coûts de renonciation. Nous devons prendre garde à ne pas payer les gens pour avoir des enfants alors qu'ils en auraient eus sans qu'on les paie.

Le sénateur Angus : C'est ce qu'on appelle le pragmatisme à l'américaine.

Le président : Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions à cet égard?

M. Tobin : Si nous décidions d'offrir une subvention pour inciter les gens à avoir des enfants, nous devrions évaluer soigneusement le programme pour déterminer s'il influe sur les décisions des femmes d'avoir des enfants. Le programme pourrait se trouver à payer des femmes qui auraient eu des enfants sans recevoir de subvention. Cela équivaudrait à une perte nette, une perte d'argent.

Le sénateur Meighen : N'est-il pas paradoxal que ceux qui peuvent le mieux se permettre d'avoir des enfants n'en ont pas. Que peut-on leur offrir pour les inciter à en avoir?

M. Longman : On peut leur offrir le même genre d'avantages que nous offrons à nos anciens combattants. Nos anciens combattants assurent un service public qui historiquement était réservé aux hommes. Il n'est pas étonnant que partout dans le monde les anciens combattants aient, comme aux États-Unis, leur propre ministère. Nous devrions viser les hommes et les femmes de façon égale, qui font le sacrifice d'élever des enfants et leur offrir en contrepartie des prestations d'éducation. Un parent pourrait travailler deux ans dans la fonction publique ou servir dans l'armée et se voir offrir la possibilité de faire des études. Nous pourrions leur offrir cette possibilité lorsqu'ils atteignent l'âge de 30 ans, c'est-à-dire une fois qu'ils ont passé leur vingtaine à élever des enfants. Nous ne devrions pas faire de discrimination fondée sur l'âge. Cela est un problème dans le monde d'aujourd'hui.

Le sénateur Plamondon : Monsieur Tobin, je tiens à vous féliciter de la dernière phrase que vous avez prononcée. Vous avez commencé par dire, « le couple », puis immédiatement vous avez dit « la femme » décide. Personne ne pose la question aux femmes, qui sont en mesure de vous expliquer pourquoi elles ne veulent pas avoir plus d'enfants. C'est la femme qui décide. Depuis que les femmes peuvent décider si elles veulent ou non des enfants, ce sont elles qui ont pris cette décision. Nous devons déterminer ce qu'en pensent les femmes, parce qu'à cet égard, elles ne régresseront pas. Elles ont le contrôle de leur fécondité, mais elles ne détiennent pas les rênes du pouvoir en politique, en économie et au travail. Par conséquent, un grand nombre de femmes décident de ne pas avoir d'enfant. C'est un choix, comme celui d'avoir des enfants. Tant que les hommes prennent les décisions dans leurs départements respectifs, au lieu de prendre en considération la vie des femmes, le nombre d'enfants n'augmentera pas. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que nous devons faire des sacrifices personnels pour avoir des enfants. J'ai sept enfants et je n'ai jamais fait de sacrifices. C'est un plaisir d'avoir des enfants, mais il faut faire en sorte que cette expérience soit agréable.

Le président : Mon collègue a fait une série d'observations provocantes. Nous pourrions peut-être avoir votre réaction.

M. Tobin : J'ai un bref commentaire à faire. Monsieur le sénateur, je suis d'accord avec vous dans une grande mesure. Je préciserai ce que j'ai voulu dire par ma déclaration selon laquelle c'est le couple qui décide après quoi j'ai dit que c'était la femme qui décidait. Je voulais dire qu'un grand nombre de femmes célibataires décident d'avoir des enfants, donc il ne s'agit pas de couples qui décident. Je voulais faire la distinction en indiquant qu'un grand nombre de femmes célibataires décident d'avoir des enfants seules.

M. Longman : Les données d'un sondage semblent indiquer que les hommes et les femmes de ma génération qui arrivent à la fin de leur vie reproductive n'ont pas eu autant d'enfants qu'ils l'auraient voulu. Je suis le père d'un enfant adopté parce que nous n'avons pas prêté suffisamment attention à nos horloges biologiques. Un grand nombre de personnes, compte tenu de la situation économique, font face à des pressions pour établir leur carrière et créer toutes les conditions qui leur permettront de devenir des parents décents. Pour un grand nombre d'entre nous, il est trop tard. Ce sont donc de bonnes nouvelles. Ce serait nettement plus grave si l'opinion générale était que le monde est un endroit tellement terrible qu'on ne veut pas y élever des enfants. C'est ce que pensent certains, mais ce n'est pas l'opinion de la majorité en Amérique du Nord.

M. Ménard : Je ne suis pas un expert de cette question. Lorsque j'examine les données empiriques, je dirais qu'il est difficile pour les gouvernements d'intervenir pour modifier la tendance des taux de fécondité. En Suède, où l'écart dans les taux de participation des femmes et des hommes est le plus faible, il est de 4 p. 100 à l'avantage des hommes.

Le président : La situation en Islande est également assez similaire.

M. Ménard : Oui, je suis d'accord. Leurs taux de fécondité sont également plus élevés que le nôtre. Au Canada, l'écart est de 11 p. 100, et le taux de fécondité est plus faible. Compte tenu de ce que j'ai constaté en Suède, je dirais que nous avons l'occasion au Canada d'accroître à la fois les taux de participation et le taux de fécondité.

Je suis tout à fait d'accord avec une observation faite par M. Longman : Le niveau d'instruction des femmes est étroitement lié au taux de fécondité. Le défi intéressant à relever consisterait à assurer d'abord l'éduction des hommes et des femmes après quoi ils pourraient avoir des enfants. Il est possible d'atteindre des taux de fécondité de 1,6, 1,7 ou 1,8.

M. Tobin : Je suis d'accord avec M. Longman et M. Ménard. Je crois également que le gouvernement doit décider de la portée du rôle qu'il veut jouer à cet égard, et il devrait peut-être établir un système distinct du système général de protection sociale.

Par exemple, le Royaume-Uni ne fait aucune déclaration officielle à propos de la fécondité. Il considère, comme je l'ai déjà mentionné, qu'il s'agit d'une décision du ménage. Donc, il n'a pas à promouvoir la fécondité. Bien sûr, ils se battent pour offrir des indemnités de garde d'enfants et pour assurer ce genre de mesures de protection sociale.

C'est une question importante pour le gouvernement. De nombreux facteurs influent sur la fécondité et les liens entre les taux de participation. Il existe aussi d'autres raisons pour lesquelles les taux de participation en Islande et en Suède sont élevés.

Il est difficile d'établir la distinction entre tous ces facteurs et nous pouvons certainement faire beaucoup plus de travail à cet égard. Cependant, dès le départ, le gouvernement doit décider du rôle qu'il veut jouer en premier lieu avant d'essayer d'en débroussailler toutes les conséquences.

Le sénateur Plamondon : Ma question est pour M. Longman : j'aimerais savoir pourquoi vous dites que l'immigration est une solution temporaire et que le renouvellement de nos générations est la réelle solution. Quelles sont les approches que vous privilégiez?

M. Longman : Je ne voulais pas dire qu'il s'agit d'une solution temporaire; je voulais dire qu'il s'agit uniquement d'une solution partielle. C'est différent. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles elle est partielle. Aux niveaux actuels, cela n'est pas suffisant pour permettre de surmonter le problème du taux de natalité, et il est probablement inconcevable sur le plan politique que l'on accueille autant d'immigrants et que l'on continue de maintenir un sentiment d'appartenance au Canada.

Les États-Unis ont fermé la porte à l'immigration dans les années 1920 lorsqu'ils traversaient une période de baisse démographique. La Suède a fait la même chose dans les années 1970, tout comme la France. Même si les sociétés vieillissantes ont besoin d'un plus grand nombre d'immigrants, elles ont tendance à devenir xénophobes. Il existe des limites pratiques et politiques à l'immigration et aussi des problèmes d'offre.

Ce qui m'a toujours surpris, c'est qu'il n'y a plus d'immigration nette entre Porto Rico et les États-Unis continentaux. En dépit du fait que le niveau de vie est plus faible à Porto Rico qu'aux États-Unis, qu'il y a une diaspora portoricaine importante aux États-Unis et que la frontière est entièrement ouverte. En effet, les Portoricains préfèrent en général rester dans leur île natale, où un nombre suffisant d'emplois a été créé.

Nous avons connu une époque où nous avions l'impression que le monde entier essayait inlassablement de venir chez nous — et d'ailleurs la situation n'a pas changé. Par contre, j'ai l'impression que ce flux migratoire ne pourra pas perdurer, étant donné la chute des taux de fécondité ailleurs et la prospérité accrue d'un grand nombre de ces pays.

Le sénateur Goldstein : Je voudrais revenir aux politiques de natalité. En fait, je voudrais parler de l'expérience québécoise relativement aux allocations familiales. Bien évidemment, on ne s'entend pas sur l'efficacité du programme. J'ai pris connaissance de l'étude que vous avez citée dans votre document et on en a justement parlé brièvement hier.

Pensez-vous que le programme serait plus réussi si au lieu d'encourager une première ou deuxième naissance, on incitait les gens à faire un troisième ou quatrième enfant, étant donné la théorie qui veut que les couples qui ont déjà créé une famille seraient plus enclins à avoir un autre enfant si le fardeau financier était partagé avec l'ensemble de la société?

M. Longman : Je vois où vous voulez en venir. Mais je ne sais pas qu'en penser parce qu'un de nos problèmes aujourd'hui, c'est que les couples reportent la naissance de leur premier enfant pour des raisons économiques. Je sais que pour ma génération, 20 p. 100 des baby-boomers aux États-Unis n'ont jamais eu d'enfant. Je ne sais pas quel est le pourcentage au Canada, mais il est sûrement semblable.

Les sondages montrent qu'un grand nombre de baby-boomers vieillissent en se le reprochant. En effet, ils n'ont pas d'enfant et devront affronter la vieillesse seuls. Je vous dirais instinctivement qu'il ne faudrait pas favoriser la naissance du premier enfant par rapport au troisième. Même si, au bout du compte, on aide financièrement certaines personnes qui auraient eu des enfants de toute façon.

Le sénateur Angus : Je suis bien content de la formule que nous avons choisie. C'est comme cela que les tables rondes devraient fonctionner. Je suis enthousiasmé par le déroulement des événements.

Le président : Vous êtes libre d'accéder à la demande du sénateur Plamondon.

Le sénateur Angus : J'aimerais quand même dire ce que j'ai à dire.

Le président : Et voilà le problème. Quand on accorde trop de liberté aux sénateurs, cette liberté est brimée. Je demanderais donc au sénateur Angus de terminer son intervention pour qu'on puisse revenir à la liste et permettre au sénateur Plamondon d'intervenir une deuxième fois.

Le sénateur Angus : Messieurs, y en a-t-il parmi vous qui étaient là hier? Avez-vous eu l'occasion de suivre les délibérations? Non? Bon.

Hier, on a expliqué très clairement qu'il y a deux facteurs qui nous ont incités à reconnaître l'existence de cette bombe à retardement : d'abord, le vieillissement de la population, le fait qu'une meilleure scolarisation et une industrialisation accrue à l'échelle mondiale nous aient permis de créer de meilleurs soins de santé et médicaments, et cetera. D'autre part, le taux de natalité ne cesse de chuter.

On nous a dit que le déclin du taux de natalité pouvait s'expliquer principalement par le fait que quand les sociétés évoluent et les États deviennent membres de l'OCDE, la scolarisation et la contraception deviennent abordables. Personne n'a contredit cette affirmation.

Cela dit, le problème existerait dans la plupart des pays de l'OCDE, à l'exception des États-Unis, pour le moment du moins. Comme le président l'a indiqué, des théories contradictoires ont été avancées hier. Comme vous êtes Américain, monsieur Longman, et que vous habitez aux États-Unis et que vous vous intéressez à ce dossier, j'aimerais que vous nous disiez quelle est la réalité. Les informations qu'on nous a données hier étaient nuancées, mais, en résumé, on a dit qu'aux États-Unis il n'y avait ni déclin ni croissance. Le taux de reproduction est atteint. Le taux de fécondité est plus élevé qu'ailleurs, mais ce n'est pas grâce aux populations ethniques, c'est-à-dire les Américains d'origine africaine ou sud-américaine qui se sont établis aux États-Unis. Il faut noter que les femmes ont leur premier enfant plus tôt aux États-Unis qu'au Canada, à 24 ou 25 ans, et 28 ou 29 ans, respectivement. J'aimerais bien qu'on nous donne toutes les données — les données de l'OCDE et les vôtres — et qu'on nous explique les tendances actuarielles.

M. Longman : Je citerais plusieurs facteurs. L'un, c'est la différence qui existe entre l'immigration aux États-Unis et au Canada. Aux États-Unis, l'immigration provient en majeure partie du Mexique et de l'Amérique latine. On n'y tient aucun compte du niveau d'instruction. La politique d'immigration du Canada accorde beaucoup d'importance au fait de détenir un doctorat; je pense que cela équivaut à trois points sur une liste de 67 points. Par conséquent, le Canada accueille un grand nombre de personnes de l'Inde qui sont titulaires d'un doctorat et qui se retrouvent à conduire des taxis. Cependant, ce que l'on sait, que l'on vienne d'Inde ou d'ailleurs, c'est que si l'on est titulaire d'un doctorat, il est très peu probable qu'on ait une grande famille. Par conséquent, les immigrants canadiens ont moins d'enfants que les immigrants américains.

Une autre raison que j'ai mentionnée, c'est la souplesse comparative du marché du travail américain. Elle permet plus facilement aux parents de concilier le travail et la famille, même si l'État offre très peu d'avantages aux parents.

Le sénateur Angus : Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Que voulez-vous dire par souplesse de la main-d'oeuvre et ainsi de suite?

M. Longman : Étant donné qu'il n'y a pas beaucoup de mandats régissant les conditions d'emploi aux États-Unis, il est plus facile de renvoyer des employés, par exemple.

Le sénateur Tkachuk : C'est meilleur marché aussi.

M. Longman : Oui. Un employeur se trouve dans une situation où s'il a un peu de travail disponible, il peut engager une personne à temps partiel. Il n'a pas à prendre d'engagements, même en ce qui concerne les soins de santé ou la pension de la personne en question. Cependant, cela crée un marché du travail extrêmement souple. Cela a ses inconvénients, mais c'est très intéressant pour les femmes.

Par exemple, pour les Italiennes qui ont un diplôme d'études collégiales, c'est tout ou rien. Soit elles travaillent pour une entreprise et grimpent les échelons, soit elles restent à la maison et font des enfants. Il n'existe pas d'option intermédiaire, d'après ce que je crois comprendre.

Le sénateur Angus : Vous êtes en train de parler de l'Italie?

M. Longman : Oui, la situation en Italie. Les États-Unis, par comparaison, offrent un grand nombre d'options différentes pour ceux qui veulent concilier le travail et la famille.

Troisièmement, les États-Unis sont un pays très religieux et qui le devient de plus en plus. Comme les fondamentalistes protestants ont un taux de natalité beaucoup plus élevé que le reste de la population, on peut s'attendre à ce que les États-Unis deviennent graduellement une société encore plus religieuse. Tout comme dans le cas de l'éducation, l'autre lien important est celui qui existe entre le sentiment religieux et la fécondité. Dans le contexte canadien, je songe au dimanche de l'été 1967 lorsque les églises du Québec se sont soudainement vidées. C'est à ce moment-là que l'Église catholique a perdu son emprise sur la population du Québec. C'est en grande partie ce qui se passe en Espagne et en Italie également. Il y a une désaffection de la part des jeunes pour la religion d'État et ils n'ont trouvé aucune autre religion pour prendre sa place. La situation est tout à fait différente aux États-Unis où, même dans le domaine religieux, règne l'esprit d'entreprise. Nous avons toutes sortes de nouvelles églises qui ouvrent leurs portes.

Le président : En ce qui concerne la situation aux États-Unis pour ce qui est de l'accession à la propriété et du coût des maisons en tant que pourcentage du revenu, ce coût est comparativement inférieur à celui qui existe au Canada. Ici, les taxes foncières grimpent en flèche. Il est beaucoup plus facile et rapide, à cause de votre système d'imposition, pour une personne de faire l'acquisition d'une maison aux États-Unis.

Vous avez indiqué dans vos remarques que le milieu urbain est un désincitatif à avoir beaucoup d'enfants à cause du coût élevé de la vie en milieu urbain. Ce n'est pas le cas aux États-Unis.

M. Longman : Les situations sont comparables.

Le président : Elle est pire au Canada.

M. Longman : Cela est attribuable à l'existence de l'accès relativement facile aux prêts hypothécaires. En Italie, par exemple, il faut faire une mise de fonds de 40 ou 50 p. 100 pour acheter une maison.

Le sénateur Angus : Au Canada aussi.

Le président : Par ailleurs, nous ne pouvons pas déduire les paiements d'hypothèques de notre impôt. Il existe des différences régionales, mais je crois qu'il existe une différence comparative entre le Canada et les États-Unis.

M. Longman : Le logement est une question d'une énorme importance. Si vous parcourez l'histoire du monde à la recherche d'une politique qui favorise la natalité et dont l'efficacité était claire, cela est difficile à trouver, sauf une politique qui n'avait pas été conçue en tant que politique favorable à la natalité, à proprement parler, et c'est le projet de loi sur les GI adopté aux États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce projet de loi accordait à tous les anciens combattants qui revenaient de la guerre une subvention pour leur hypothèque. Ils pouvaient acheter leur première maison pour 3 000 $ sans mise de fonds. Ils recevaient aussi des prestations d'éducation. Grâce à cet unique projet de loi, les États-Unis ont connu un accroissement énorme du capital humain, mais cela concordait avec l'accroissement du taux de natalité. Cela a en fait créé le baby-boom. Ce n'est pas la seule cause du baby-boom, mais l'explosion démographique qui a suivi la guerre aux États-Unis était beaucoup plus importante que dans n'importe quel autre pays, et cela s'explique par des politiques qui à ce stade favorisaient nettement les jeunes adultes. Le pays s'est rendu compte de la dette qu'il avait envers cette génération et lui a donné le coup de pouce dont elle avait besoin.

M. Tobin : Je suis d'accord avec M. Longman. Parallèlement, la marge de comparaison est très mince. Par exemple, le taux de fécondité au Canada est plus élevé qu'il ne l'est dans des pays comme l'Italie. Vous avez mentionné la sécurité d'emploi. La sécurité d'emploi au Canada est assez faible comparativement à la plupart des autres pays de l'OCDE. Le marché du travail canadien est beaucoup plus souple que celui qui existe dans d'autres pays, mais sans doute pas aussi souple que le marché du travail aux États-Unis.

En ce qui concerne l'immigration, les types d'immigration que nous avons eus n'ont pas entraîné des taux de fécondité plus élevés, mais parallèlement, ils nous ont permis de façon relativement efficace de répondre à une partie de notre demande de main-d'oeuvre. Il s'agit donc également d'un succès remarquable. Nous devons prendre le soin de reconnaître qu'il existe une ligne très mince de démarcation entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. En ce qui concerne certaines de ces questions, je suis d'accord avec M. Longman. Par ailleurs, nous nous débrouillons aussi très bien.

Le sénateur Angus : Monsieur le président, je crois que nous convenons tous qu'il existe un problème. Cela a été confirmé par les témoins, tant ceux d'hier que ceux d'aujourd'hui. Nous avons analysé l'étendue et la nature du problème mais nous n'avons pas encore entendu grand-chose à propos des solutions. J'aimerais savoir s'il existe une solution raisonnable sans qu'il faille recourir à la révolution dans les pays de l'OCDE.

Le président : Vous avez l'occasion ici de présenter votre liste de souhaits. Quels sont les quatre ou cinq éléments stratégiques que vous pourriez nous recommander et que nous pourrions alors transmettre à notre gouvernement et au secteur privé?

M. Tobin : Je comprends ce que vous dites. Je ne suis pas ici aujourd'hui pour parler de promouvoir la fécondité. Nous devons considérer le vieillissement de la population comme une chose positive également. Comme vous l'avez mentionné, cela est dû au fait que nous vivons plus longtemps, en santé et, par conséquent, que nous passons plus d'années à la retraite. Ce sont toutes des bonnes nouvelles et nous devons considérer cela comme un avantage.

Laissons de côté pour l'instant la question de la fécondité. Le rapport de l'OCDE semble indiquer qu'étant donné que nous vivons plus longtemps et en meilleure santé, nous devons encourager les gens à rester plus longtemps sur le marché du travail. Cela nous permettra d'éviter certaines des difficultés qu'entraîne le vieillissement de la population. Un élément indispensable consiste à favoriser une plus grande souplesse et à offrir de meilleures possibilités aux gens de le faire, plutôt que de les obliger à prendre leur retraite. Par ailleurs, nous devons aider les personnes de plus de 50 ans qui n'ont plus d'emploi à acquérir les aptitudes nécessaires pour retourner sur le marché du travail.

Je répète qu'il s'agit d'une occasion, et nous devons la saisir.

Le sénateur Meighen : Monsieur Tobin, dans votre exposé, vous avez dit que vous êtes favorable à une transition plus graduelle de l'emploi à la retraite. Qu'est-ce que vous envisagez? Le travail à temps partiel pourrait en être un aspect.

M. Tobin : C'est exact.

Le sénateur Meighen : Vous avez également indiqué qu'il est de toute évidence important que les syndicats et le patronat se penchent ensemble sur cette question. Si je me souviens bien, l'une des raisons pour lesquelles on avait instauré la retraite obligatoire, c'était pour libérer les emplois pour les jeunes travailleurs au moment où les baby- boomers sont entrés sur le marché du travail. Avons-nous maintenant dépassé ce stade? Diriez-vous à un dirigeant syndical qu'il ou elle n'a plus à se soucier de cela?

M. Tobin : Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question. Je répondrai à votre deuxième question d'abord.

L'expérience des pays de l'OCDE nous a appris que la retraite précoce n'a pas créé de perspectives d'emplois pour les jeunes. Cela n'a pas été le cas et cela n'est pas le cas, tout comme des perspectives d'emplois pour les femmes ne signifient pas une diminution des perspectives d'emplois pour les hommes. Il faut dissiper le mythe selon lequel la retraite anticipée crée des emplois pour les jeunes. C'est un important message avec lequel un grand nombre de pays de l'OCDE sont aux prises à l'heure actuelle.

J'ai entendu l'argument selon lequel la retraite obligatoire assure un plus grand nombre d'emplois aux jeunes. Je crois que certains de ces arguments sont dans l'intérêt des employeurs. Si je peux me permettre de parler franchement, je crois que la retraite obligatoire permet aux employeurs de se débarrasser des gens qu'ils ne veulent pas garder.

Le sénateur Angus : Ou dont ils n'ont pas besoin.

M. Tobin : Ou dont ils n'ont pas besoin.

Les employés ne sont pas très rassurés. C'est une situation sans issue. Les employés craignent qu'on les oblige à travailler plus longtemps et, parallèlement, les employeurs pensent qu'ils doivent se débarrasser d'eux.

L'absence de retraite obligatoire n'oblige pas les employés à quitter leur emploi s'ils ont accumulé des droits à pension. Cependant, l'absence de retraite obligatoire permet effectivement aux employés de continuer à travailler s'ils le préfèrent.

La souplesse est un aspect difficile à comprendre. Un grand nombre de pays de l'OCDE préfèrent utiliser le bâton plutôt que la carotte. Un grand nombre de pays ont décidé d'augmenter l'âge d'admissibilité à toucher une pension. Le danger en ce qui concerne cette souplesse c'est qu'un grand nombre de gens pensent que cela signifie que l'on peut commencer à travailler à temps partiel à 55 ans et prendre sa pleine retraite à 62 ans. Une trop grande flexibilité risque de réduire l'offre totale de main-d'œuvre, et c'est un aspect auquel nous devons prendre garde.

En ce qui concerne le type d'arrangements que l'on pourrait envisager, vous avez mentionné l'emploi à temps partiel. Dans un sondage récent de Statistique Canada, un tiers des personnes sondées ont indiqué qu'elles auraient revu leur décision de prendre leur retraite si on avait prévu une plus grande souplesse.

Étant donné que la situation au Canada est relativement favorable, le pays a eu l'occasion de mettre à l'essai différentes formules flexibles. Comme nous le savons, de nombreux travailleurs veulent avoir une gamme de formules flexibles. Certains veulent travailler peut-être trois postes de douze heures puis avoir quatre jours de congé, tandis que d'autres préféreraient travailler trois jours par semaine. Le nombre de choix individuels est donc important à ce niveau.

Le risque, c'est que cela est susceptible de réduire l'offre totale de main-d'œuvre, mais je pense que nous devons essayer de mettre à l'essai ces formules de travail. Étant donné que le Canada est dans une bonne situation, je crois que nous avons la possibilité de le faire. J'espère que les gens continueront de travailler au-delà de l'âge où ils prennent leur retraite maintenant.

M. Ménard : Je considère personnellement que nous devrions déployer tous les efforts nécessaires pour favoriser une plus grande flexibilité et un plus grand nombre de choix pour les travailleurs âgés afin qu'ils travaillent plus longtemps s'ils le souhaitent. À cet égard, nous devrions tâcher d'éliminer tous les éléments du système qui les dissuadent de travailler plus longtemps, qu'il s'agisse d'éléments du Régime de pensions du Canada, de régimes de pension privés ou de la Loi de l'impôt sur le revenu.

M. Tobin fait preuve d'humilité parce que son document comprend de nombreuses recommandations sur la façon d'éliminer ces facteurs dissuasifs, non seulement de façon générale, mais en donnant des indications précises.

M. Longman : J'abonde dans le sens de mes deux collègues lorsqu'ils parlent d'assurer une flexibilité pour les travailleurs plus âgés, mais nous pouvons attaquer le problème des deux côtés — assurer une flexibilité pour les jeunes afin que les parents aient davantage d'options pour ce qui est d'entrer et de sortir de la population active ainsi qu'une flexibilité pour les travailleurs âgés. Il s'agit d'un thème général.

Nous entendons souvent dire que nous sommes en train de vivre une révolution au niveau de la longévité, et il est vrai qu'une partie du problème est attribuable au fait que les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé. Je trouve qu'il s'agit d'une exagération et que ce n'est pas une tendance susceptible de se poursuivre au cours des 30 prochaines années. À cet égard, je suis plutôt anti-conformiste.

Aux États-Unis, par exemple, nous constatons une épidémie d'obésité parmi les jeunes. Nous connaissons une épidémie de diabète. Pour la première fois de l'histoire, nous connaissons une augmentation du taux d'invalidité chez les gens de moins de 39 ans.

Le taux d'augmentation de l'espérance de vie des personnes âgées a diminué au cours de chacune des dix dernières années de façon à ce que jusqu'à un certain point, les Américaines qui ont 65 ans aujourd'hui n'ont pas une espérance de vie plus longue que les femmes de leur âge il y a dix ans.

Aux États-Unis en particulier, nous sommes devenus très efficaces pour ce qui est de prolonger la vie d'une personne pendant six mois de plus dans une unité de soins intensifs. Je ne constate pas de tendance générale indiquant que les gens seront en santé lorsqu'ils seront vieux. Parallèlement, je constate une économie mondiale qui a besoin de compétences toujours plus pointues et toujours plus nouvelles.

Il est stupide pour les gens de mon âge de dire qu'ils n'ont pas besoin d'économiser pour leur retraite car l'économie mondiale de 2025 leur réservera un bon emploi.

Nous devons encourager les gens à travailler plus longtemps. Il serait certainement indéfendable de fixer à 60 ans l'âge normal de la retraite. On ne peut pas s'attaquer au problème simplement par un recul de l'État providence, en retirant aux aînés leurs prestations et en les faisant travailler plus longtemps, quel que soit leur état de santé ou de fatigue.

Le sénateur Angus : Hier, l'économiste en chef du Canadian Conference Board a dit dans son témoignage qu'il était choqué et étonné que le secteur privé ne s'intéresse nullement à cette question. Le secteur privé estime que c'est un faux problème, un peu comme le bug de l'an 2000, et il n'y réagit pas.

Le président : Quand le témoin du Conference Board du Canada, qui est un laboratoire d'idées pour le secteur privé, a mentionné ces questions à nos réunions, il a été conspué. Nous en sommes venus rapidement à la conclusion qu'il y avait là un problème d'opinion toute faite au sujet du statu quo.

Le sénateur Angus : Les anticonformistes ont peut-être raison.

Le président : L'opinion anticonformiste est peut-être plus juste que les opinions toutes faites.

L'un des problèmes, c'est que notre comité essaiera de voir comment il est possible de changer les opinions toutes faites dans ce domaine. Nous avons constaté hier qu'il existait de telles opinions opposées aux changements que pourrait apporter le gouvernement même si le gouvernement commence à se pencher sur la question; cela s'applique au Parlement, aux syndicats, au secteur privé et à tous les secteurs qui interviennent dans l'économie. Les opinions toutes faites vont dans l'autre sens.

M. Tobin propose de laisser le libre choix, mais il existe un lourd contrepoids politique contre ce que nous estimons être une solution raisonnable. C'est pourquoi nous sommes si intéressés à ce que vous pouvez nous dire.

Le sénateur Meighen : J'aimerais poursuivre dans la même veine. Les opinions toutes faites sont généralement mauvaises.

Comme bon nombre de personnes ici, j'ai terminé mes études universitaires avant 1970, époque qui a été une sorte de point tournant dans ces domaines. À ce titre, je puis dire que la théorie de Malthus était encore bien acceptée à cette époque. On disait que les populations du monde perdraient le contrôle de leur croissance et que nous nous entretuerions tous parce qu'il n'y aurait pas suffisamment de nourriture.

Le nationalisme était chose du passé et l'internationalisme était la voie de l'avenir. Tout le monde le savait. Il suffit de voir ce qui s'est fait depuis 35 ou 40 ans pour voir où nous ont menés les opinions toutes faites.

Je ne nie pas l'à-propos de certaines des solutions que vous nous avez présentées, car vous avez abordé certains faits qui pourraient modifier pour le meilleur ou pour le pire les tendances que nous constatons aujourd'hui. Vous en avez mentionnés un ou deux. La maladie pourrait en être un.

Voyez quelle est la situation en Afrique actuellement. Je ne sais pas si l'effet s'en fait déjà sentir. Connaissez-vous des phénomènes qui pourraient renverser la tendance actuelle ou la modifier?

M. Longman : Oui. J'ai ici un article tiré du magazine Foreign Policy, dans lequel on prédit que les taux de fécondité augmenteront considérablement dans la prochaine génération. Je vais vous expliquer mon raisonnement : prenez le cas des femmes françaises nées en 1960. Environ 30 p. 100 d'entre elles seulement ont mis au monde trois enfants ou plus. Et pourtant, ces enfants représentent aujourd'hui la moitié des jeunes en France.

Dans des pays comme la France, le Canada et les États-Unis, un vaste pourcentage de la population n'a pas d'enfants. Leur lignée génétique disparaît tout simplement. Une autre tranche de 30 à 40 p. 100 n'a qu'un enfant. Cela suffit à remplacer un parent, mais pas les deux. Leur influence génétique sociale et culturelle sur la prochaine génération sera très faible.

Vient ensuite un nombre relativement faible de gens qui élèvent de grandes familles. Ces personnes exerceront une énorme influence sur la population future.

J'ai expliqué un peu plus tôt pourquoi les États-Unis étaient voués à devenir un pays plus conservateur. Pour cela, il faut voir qui a des enfants et comment ces derniers sont élevés. C'est un changement qui s'exercera à long terme, mais pas nécessairement pour le mieux. De l'histoire de l'empire romain, on constate que les classes sociales supérieures se sont désintéressées de la famille.

Cela ne signifiait pas pour autant que la péninsule de l'Italie était moins peuplée; la population était tout simplement différente. Ce genre de problèmes tend à se corriger en l'espace d'une génération.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous dites, c'est que compte tenu de ce que la plupart des enfants d'aujourd'hui viennent de familles nombreuses, ils auront tendance à eux-mêmes fonder des familles plus nombreuses, ce qui corrigera la tendance générale. C'est un argument plausible. Je vais vous donner un exemple à partir de mon propre milieu. Qu'est-il arrivé aux familles canadiennes françaises qui ont élevé 12 ou 13 enfants? Ces enfants venaient de familles nombreuses, mais ils n'ont pas suivi cette tendance. Pourquoi en serait-il maintenant autrement?

M. Longman : Si vous parlez de l'après-guerre au Québec, où partout au monde d'ailleurs, il est vrai que certaines personnes avaient plus d'enfants que d'autres, mais il n'y avait pas une énorme disparité. Je suppose qu'il n'y avait que très peu de personnes qui n'avaient pas d'enfants au Québec dans les années 1960. Cela représentait probablement de 5 à 6 p. 100 de la population. Ce pourcentage est maintenant de 20 p. 100. Tous ces zéros dans les moyennes signifient qu'une proportion relativement faible de la population produit la majeure partie des enfants, alors qu'auparavant, on s'attendait davantage, en général, à ce que les gens se marient et fondent une famille. Il n'y avait pas autant de différence dans la fécondité des gens qui fréquentent l'église et de ceux qui ne la fréquentent pas, par exemple, ou entre ceux qui ont voté pour John Kerry et ceux qui ont voté pour George Bush. Les partisans de George Bush on un taux de fécondité de 12 p. 100 plus élevé, par rapport aux partisans de Kerry.

Le président : C'est une idée très intéressante pour nous du point de vue politique. En quoi consiste la différence, exactement?

M. Longman : Cette différence de 12 p. 100 est calculée à partir de la fécondité moyenne des États où Bush l'a remportée par rapport aux États où Kerry a été élu. Les États qui ont voté pour John Kerry ont le même taux de fécondité que la France.

M. Tobin : J'ai une petite observation sur ce que vous avez dit. Il existe peut-être une raison à cette complaisance. Il faut toutefois être prudent, car il faut beaucoup de temps pour que se fassent sentir les effets des mesures qui ajoutent à la souplesse du régime de pension ou qui le modifient. À un moment donné, de telles réformes pourraient être justifiées, et il faudra du temps pour modifier ce genre de structures. Si nous attendons, il faudra peut-être attendre trop longtemps. Le fait que les employeurs soient complaisants n'est pas une raison pour que nous le soyons nous-mêmes.

Deuxièmement, le fait d'offrir plus de choix aux gens n'est pas si mauvais que dans 15 ans nous pourrions le regretter. Nous devons également tenir compte de ces facteurs.

Le sénateur Tkachuk : Il y a plusieurs sujets dont j'aimerais discuter.

Nous avons parlé de politique à l'intention des jeunes, pour leur donner la possibilité d'avoir des enfants. L'une des réformes dont M. Ménard avait parlé portait sur le Régime de pensions du Canada. Même si j'étais d'accord pour que l'on modifie le Régime de pensions du Canada, je n'étais pas d'accord avec la façon de le faire, car le régime a été élaboré en fonction de ce qu'il y aurait plus de cotisants que de prestataires, et non le contraire. Nous avons imposé à nos jeunes — et j'en ai deux, c'est donc un sujet dont leurs amis et d'autres me parlent souvent — une taxe de 10 p. 100 pour payer la prodigalité de ma génération. À l'heure actuelle, une personne de 25 ans qui commence à travailler et dont le revenu est donc à son plus bas niveau verse dans le Régime de pensions des cotisations qui lui permettront d'obtenir les mêmes prestations que je recevrai après avoir payé au cours de ma vie des cotisations beaucoup moins élevées.

N'aurait-il pas mieux valu combler la différence par le biais de la fiscalité et repenser tout le concept d'une taxe pour financer le régime de pensions afin que les jeunes ne soient pas obligés de payer ces sommes énormes pour le reste de leur vie alors que, comme vous l'avez dit tout à l'heure, ils n'ont aucune assurance de pouvoir recevoir quoi que ce soit puisqu'il se pourrait qu'il y ait un manque à gagner?

M. Ménard : Oui, je suis d'accord avec vous pour dire que le taux de cotisation de 9,9 au RPC est très élevé. Je ne suis toutefois pas d'accord pour dire qu'il s'agit d'une taxe. Il s'agit d'une épargne en vue de la retraite. Le montant des prestations est calculé en fonction du montant des cotisations.

À l'époque, en 1996 et en 1997, il était aussi question de revenir sur la promesse qui avait été faite à ceux qui avaient cotisé au régime par le passé. Cette possibilité n'a toutefois pas été retenue. Nous avons plutôt reconnu qu'il y avait un passif non capitalisé que les générations futures auraient à se partager. Dans le rapport actuariel, nous indiquons la valeur du Régime de pensions du Canada, c'est-à-dire ce que nous appelons le coût normal; si le régime est entièrement capitalisé, quelle sera sa valeur? Le taux nécessaire au maintien du régime est de 6 p. 100, et pourtant nous payons 9,9 p. 100. Pourquoi? C'est parce que 40 p. 100 du coût est attribuable à ce qui s'est produit entre 1966 et 1996, dans ces trente années. Vous avez raison de dire que le régime a été fondé à l'origine sur l'hypothèse qu'il y aurait de plus en plus de cotisants comparativement au nombre de retraités, mais il est devenu très clair, je dirais, au milieu des années 1980, que cela ne serait plus jamais le cas. Les gouvernements ont dû faire des choix difficiles. Il a été convenu d'essayer de toujours maintenir le même taux de cotisation.

Toujours, c'est long. Les projections sur 75 ans se fondent toutes sur des hypothèses démographiques, économiques et d'investissement. Bien entendu, la réalité pourrait être très différente, pas nécessairement dans les 10 ou 15 années à venir, mais peut-être en 2075, nous n'en savons rien.

Il a au moins été décidé de bien financer le régime et de faire en sorte que, lorsque la génération du baby-boom prendra sa retraite, le régime sera financé à même deux sources de revenu : les cotisations des travailleurs et le revenu de placement des actifs investis par le RPC.

Le sénateur Tkachuk : Quel serait le taux de rendement pour un jeune de 18 ans qui sortirait tout juste de l'école secondaire et qui à ses débuts aurait un revenu assez peu élevé, et quel serait le taux pour le diplômé d'université qui commencerait à travailler à 24 ans et qui paierait 10 p. 100 de son revenu? Je sais que les employeurs contribuent aussi, mais il reste que l'employé a aussi une part à payer. Les travailleurs autonomes quant à eux auraient à payer 10 p. 100.

M. Ménard : Oui, 9,9.

Le sénateur Tkachuk : Après toutes ces années, en supposant un taux de rendement de 6 p. 100, ils pourraient avoir accumulé de 750 000 $ à 1 million de dollars dans leur compte de banque. Mais ils recevront plutôt l'équivalent de 9 000 $, en dollars d'aujourd'hui, ce qui dans 40 ans pourrait bien être 26 000 $. Cela vous parait-il raisonnable?

M. Ménard : Pour les jeunes cotisants — et j'ai moi-même un fils qui aura 22 ans la semaine prochaine —, le taux de rendement interne réel est de 2 p. 100. En supposant un taux d'inflation à long terme de 3 ou 2 p. 100, le taux de rendement nominal sera de 4,5. C'est quand même avantageux pour la génération de mon fils et celles qui vont suivre. Je conviens qu'auparavant les cotisants avaient droit à un taux de rendement plus élevé parce qu'ils contribuaient moins et pendant moins d'années que ce n'est le cas à l'heure actuelle.

Le président : Je voudrais obtenir plus de précision sur ce point, puisqu'il s'agit d'un élément fondamental qui touche à la nature même de notre contrat social. Les jeunes d'aujourd'hui se plaignent, comme le dit le sénateur Tkachuk d'avoir à payer un montant excessif. Ils sont lourdement imposés maintenant et ils n'auront droit qu'à un faible rendement. Ils doivent cotiser à raison d'un taux fixe de 10 p. 100, peu importe le taux exact, en vue d'obtenir un rendement qui sera bien moins élevé que le montant de leurs cotisations. Il y a donc eu un virage important qui fait que le régime favorise maintenant ceux qui n'y ont pas tellement contribué. Il semble y avoir une certaine injustice dans le contrat social. Sur le plan actuariel, je suis sûr que vous avez fait tous les calculs. Nous préférons ne pas parler de tout cela parce que, sur le plan politique, c'est une véritable bombe à retardement. La question qui se pose est de savoir comment rendre le régime équitable. Il s'agit ici d'un énorme transfert de richesse à des secteurs de la collectivité qui n'ont pas contribué pleinement et qui ne contribueront pas autant au régime. Je vous demanderais de bien vouloir nous donner plus de précisions à ce sujet puisqu'il s'agit d'un des éléments fondamentaux sur lesquels nous allons nous pencher.

M. Ménard : Tout d'abord, si l'on n'avait pas pris de décision en 1997, cela aurait voulu dire que nos enfants et nos petits-enfants auraient été soumis à un taux de cotisation de 14 p. 100. Il a été décidé à l'époque de mettre toutes les générations futures de travailleurs sur un pied d'égalité et de les soumettre à un taux de cotisation fixe de 9,9 p. 100. Cela leur vaudra un taux de rendement qui se situera aux alentours de 4,5 ou de 5 p. 100.

Les taux d'intérêt à long terme sont tellement bas que les personnes de 65 ans et plus qui veulent acheter une rente à une compagnie d'assurances peuvent s'attendre à un taux de rendement réel d'environ 1 p. 100. Le taux de rendement interne accordé par les compagnies d'assurances pour les rentes immédiates se situe aux alentours de 1 p. 100, ce qui est encore plus bas que pour le RPC.

Le sénateur Tkachuk : Si le Régime de pensions du Canada était fondé sur l'hypothèse du plus grand nombre qui paierait pour le plus petit nombre, ce qui, comme nous le savons, n'est plus le cas...

M. Ménard : Oui, et le taux de 9,9 p. 100...

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi alors conserver le même régime ou le même principe de base du régime, qui voulait à l'origine que nous contribuerions tous à aider nos aînés parce qu'ils étaient si peu nombreux et que cela coûterait si peu d'argent? Le régime était fondé sur le principe même qu'il en serait toujours ainsi. Maintenant que la situation est complètement inversée, pourquoi n'avons-nous pas un régime différent, par exemple un régime à cotisations déterminées qui seraient prélevées à même l'impôt sur le revenu, ce qui permettrait que le coût réel soit réparti entre un plus grand nombre de cotisants? Nous pourrions ainsi permettre aux gens d'avoir leurs propres placements? N'y aurait- il pas eu bien d'autres formules qui auraient pu être envisagées à part celle pour laquelle on a opté, et qui consiste simplement à augmenter les cotisations?

M. Ménard : Vous ai-je bien compris? Avez-vous dit que l'autre possibilité aurait été d'avoir un régime entièrement capitalisé pour tout le monde? Est-ce là votre question?

Le sénateur Tkachuk : Non, mais d'avoir peut-être une répartition plus large.

M. Ménard : Tout d'abord, si on voulait remplacer le régime existant par ce qu'on appelle un super REER et repartir à zéro en disant à mon fils : « Très bien, vous allez commencer par payer 6 p. 100 au lieu de 9,9 p. 100 et, vous aurez droit au plein montant des prestations du RPC comme les autres », et il faudrait tenir compte des 400 ou 500 milliards de dollars de passif pour les cotisants au régime. Certains pays ont opté pour un autre type de régime, mais le défi le plus important est d'éviter qu'une génération en particulier ait à payer deux fois, pour elle-même et pour la génération de ses parents. Je voudrais intervenir brièvement pour appuyer M. Ménard. Je ne prétends surtout pas parler en son nom, mais il faut réformer le régime de pensions.

Dans une certaine mesure j'applaudis aux réformes qui ont été entreprises à un moment crucial. Beaucoup de pays de l'OCDE doivent maintenant faire face aux problèmes auxquels le Canada a fait face il y a 10 ans. Quand on entreprend des réformes de ce genre, il est difficile d'éviter complètement les transferts intergénérationnels. Nous avons à l'heure actuelle des transferts entre les classes de revenu. On aurait pu assurer une plus large répartition en augmentant les impôts sur le revenu, mais on aurait ainsi entraîné la redistribution d'autres ressources.

Le président : Vous serez heureux d'apprendre que notre comité a décidé de se pencher sur la réforme de la fiscalité d'une manière générale plutôt que spécifique, car il y a des anomalies dans le régime actuel, comme les pensions, les rendements, et cetera. Nous allons nous pencher là-dessus l'an prochain dans le cadre de l'examen complet que nous allons faire de l'économie.

Le sénateur Tkachuk : Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre. Ce que je voulais dire, c'est que pour combler le manque à gagner, on aurait pu mettre à contribution d'autres segments de la population, pas seulement les jeunes. Nous avons des excédents qui auraient pu être versés dans le Régime de pensions du Canada, et nous aurions pu prendre d'autres moyens pour combler le manque à gagner.

J'ai une autre question pour tous nos témoins, et vous y avez fait allusion, monsieur Longman. Hier, nous avons discuté de mesures économiques pour inciter les gens à avoir des enfants, et certains des témoins ont indiqué que ces mesures ne donnent pas toujours les résultats escomptés. Nous avons discuté du cas de la France et de l'efficacité de ses mesures. C'est quelque chose de culturel, n'est-ce pas? Ne s'agit-il pas de célébrer la famille? Ne s'agit-il pas de ce que nous a dit le sénateur Plamondon? Pour elle, ce n'était pas un sacrifice que d'avoir sept enfants. Ceux qui ont des enfants n'y voient pas un sacrifice. Avant de les avoir, on pense peut-être que c'est un sacrifice, mais pas après. C'est un problème culturel qui guette notre monde, et il nous faut faire quelque chose sans obliger les gens à vivre dans une société à la George Orwell. C'est une question culturelle. Le sénateur Moore y a fait allusion hier. Il ne fait aucun doute que plus la famille est déconsidérée comme unité sociale, plus le taux de fécondité va baisser.

M. Longman : Je pense que vous avez parfaitement raison, sénateur. J'ai fait allusion à la corrélation avec la croyance religieuse. Si l'on se fie aux attitudes qui ont cours de nos jours, on peut dire qu'avoir des enfants c'est comme avoir des animaux domestiques. Si on a le moyen d'en avoir, c'est très bien. Les enfants sont gratifiants pour le moi, ils occupent et c'est amusant de passer du temps avec eux, parfois. Il ne s'agit pas vraiment d'une question d'intérêt public. Nous acceptons peut-être de payer pour leur enseignement public, mais ça s'arrête là. Comme je l'ai dit tout à l'heure, peut-être qu'un vent de renouveau religieux permettrait de changer les choses, mais si nous optons pour une solution laïque, il faudra alors dire à ceux qui se sacrifient pour créer le capital humain de la génération suivante, qu'ils sont tout aussi importants et dignes d'être honorés par notre société que les anciens combattants et qu'ils devront recevoir des avantages en conséquence, tout comme les anciens combattants qui, de manière générale, se sacrifient aussi au même stade de leur vie, soit au début de la vingtaine. On pourrait parler de féminisme maternel ou je ne sais quoi encore, mais à cause de l'explosion démographique extraordinaire qu'a connue notre société, nous en sommes venus à déconsidérer complètement le rôle des parents, si bien que nous ne reconnaissons plus les sacrifices qu'ils font; être parent c'est renoncer à beaucoup de possibilités et de distractions. Je crois que vous avez raison de dire qu'il s'agit en fin de compte d'une question culturelle.

Le président : Il nous reste quatre minutes.

Le sénateur Plamondon : Ma première remarque s'adresse à M. Longman. Il y a peut-être une dimension religieuse à cette question, mais il me semble qu'il y a plus que cela. Vous avez dit que, rendu à 40 ans, vous vous êtes rendu compte que vous n'aviez pas d'enfants et qu'il vous fallait en adopter. Ce n'était pas une question de religion, mais d'humanité. Vous n'avez pas invoqué l'aspect religieux à ce moment-là. De nos jours, les gens se rendent compte à un moment donné qu'il leur manque quelque chose, et cela n'a rien à voir avec la religion. Dernièrement, nous avons eu des films comme Horloge biologique, et ce n'est que le début à mon avis. Mais, si l'on en croit les médias et la publicité, la famille idéale se compose invariablement de deux enfants. Nous sommes par ailleurs en présence d'un autre phénomène, quand tous ces gens arriveront à 40 ans et se rendront compte qu'ils ont investi dans des choses matérielles au lieu de se concentrer sur l'importance d'être, la tendance sera inversée. Ces 20 p. 100 se rendront compte qu'ils ont raté la chance d'être heureux. Il me semble que la publicité et les médias devraient avoir un rôle à jouer à cet égard. Qu'en pensez- vous?

Le président : Brièvement, s'il vous plaît.

M. Longman : Je dirais simplement que je suis d'accord.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de faire une observation et de vous demander quel serait l'effet d'après vous. Dans le manifeste publié par des personnes éminentes, on souligne que le Québec a le taux de natalité le plus faible après le Japon, et que le taux de natalité y est certainement plus faible que dans le reste du Canada. Le taux de natalité au Canada est également plus faible qu'il ne l'est aux États-Unis. Pourtant, dans les deux cas — le Québec par rapport au reste du Canada et le Canada par rapport aux États-Unis —, c'est le principal partenaire commercial. Il est en concurrence directe avec les autres pour les emplois, la richesse, la croissance, et cetera. M. Longman a fait remarquer que, dans les pays où ces conditions existent, comme en Espagne, au Japon et en France, cela a pour effet de susciter l'opposition à l'immigration et on note que le chômage augmente et que la société en devient paralysée. Le manifeste qui a été publié hier au Québec avait pour objectif de contrer cette tendance. Dans quelle mesure cela pourrait-il avoir une incidence sur notre efficacité économique par rapport aux États-Unis, étant donné que l'autre partie se trouve dans une situation plus avantageuse?

M. Longman : C'est l'intuition qui parle ici, car je ne connais pas vraiment la société québécoise. Si le Québec a eu du mal à se moderniser et à s'adapter à l'économie mondiale, c'est en partie à cause de ce segment de sa population pour qui l'avenir n'a plus autant d'importance. Ce sont des gens qui arrivent à la fin de leur vie active ou qui sont déjà à la retraite, et les jeunes n'ont guère voix au chapitre, si ce n'est sur la question des frais de scolarité. Voilà une partie du problème de la spirale de la mort qui guette une population vieillissante. Un certain vieillissement peut être bon. Il y a des avantages par exemple à atteindre l'âge de la maturité. On a plus de vigueur intellectuelle à 45 ans que l'on en a à 35 ans, mais il y a toute une marge entre 45 et 75 ans. Je m'inquiète pour le Québec parce que le vieillissement semble se conjuguer avec une espèce de sécularisation militante, mais je ne puis qu'observer de loin ce qui s'y passe.

M. Tobin : Face au vieillissement de la population, le Canada se trouvera, dans une certaine mesure, légèrement défavorisée par rapport aux États-Unis. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien faire. Peut-être que ce qui vous intéresse c'est de savoir quelles seraient les différentes initiatives que nous pourrions prendre. Si le taux de fécondité s'accroissait dès demain, les effets ne s'en feraient sentir qu'en 2030 au plus tôt. L'immigration a aussi ses limites, tout comme de prolonger la vie active, d'établir des mesures d'incitation en ce sens. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne pouvons rien faire. Il faut examiner la situation sous tous ses angles. Il nous faut commencer dès maintenant à agir sur divers fronts au lieu de miser sur une solution en particulier. Ce sera là notre plus grand avantage comparatif.

[Français]

M. Ménard : Si les projections se réalisent, il est clair que la population du Canada sera bientôt plus vieille que celle des États-Unis. Il est aussi clair que la population du Québec va devenir plus vieille que celle du reste du Canada. Même si le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec sont identiques, il y a des différences. Mais au niveau de la retraite, c'est la même chose, au niveau des processus d'indexation des rentes, c'est la même chose.

Il est évident que le Québec a un taux de fécondité pas nécessairement plus faible que le reste du Canada, mais lorsqu'on regarde les dernières 30 années, c'est surtout l'immigration qui a été plus faible au Québec que dans le reste du Canada. Et quand on regarde la façon dont le régime est financé, on dit qu'on s'en va vers une capitalisation partielle, mais cela demeure quand même un régime 25 p. 100 capitalisé en 2015, donc les pressions démographiques sont importantes, et à ce moment-là, je pense que le Régime de rentes du Québec fera face à des pressions additionnelles comparativement au Régime de pensions du Canada.

[Traduction]

Le président : Je recommande à tout le monde l'ouvrage de M. Longman intitulé The Empty Cradle. Je l'ai lu. C'est un ouvrage fascinant. Après que le vice-président et moi-même avons été amenés par le sénateur Massicotte à nous dire que ce sujet pourrait bien faire l'objet d'une étude de notre comité, et j'ai lu le livre de M. Longman et je suis arrivé à la conclusion que ses vues sont importantes. Si nous voulons changer les idées reçues au Canada, il faudrait d'abord commencer par lire ce livre.

Je tiens à remercier M. Tobin pour ses réflexions perspicaces et M. Ménard pour son excellente étude. Nous sommes vraiment aux prises avec une bombe à retardement déjà armée. Mais, comme dit le sénateur Angus, quelqu'un en est-il conscient? Je tiens à remercier nos témoins. Nous vous sommes reconnaissants de votre apport. Si vous avez d'autres observations à nous livrer, je vous invite à nous les faire parvenir. Nous allons mettre fin très bientôt à notre étude et nous comptons publier un rapport dans un avenir rapproché.

Le sénateur Angus : Quand votre article va-t-il paraître dans Foreign Affairs?

M. Longman : Celui-là est dans Foreign Policy, mais l'autre sera publié pendant l'hiver.

Le président : Tenez-nous au courant de ce que vous allez écrire. Merci beaucoup.

Petite précision d'ordre administratif : conformément à l'article 89 du Règlement, je suis autorisé en ma qualité de président à tenir des audiences et à recevoir des témoignages en l'absence de quorum. Nous avions le quorum plus tôt aujourd'hui. Beaucoup de sénateurs ont dû partir pour se rendre à d'autres séances de comités, mais tous les membres du comité auront accès à la transcription de tous les témoignages.

Nous sommes ravis de vous accueillir ici aujourd'hui. Nous avons lu votre mémoire, et le comité prendra bonne note des observations complémentaires que vous voudrez nous adresser.

J'invite également tous ceux qui nous suivent sur la chaîne CPAC ou en direct sur le Web et qui souhaitent contribuer à notre Table ronde sur les changements démographiques, à communiquer avec nous par courriel. Notre adresse électronique apparaît sur le site Web de même que sur la chaîne CPAC.

Nous sommes enchantés d'accueillir nos deux distingués témoins, M. Jacques Henripin et M. Robert Brown. Nous allons d'abord entendre M. Henripin, qui est professeur à la retraite de l'Université de Montréal, après quoi nous entendrons Robert Brown, de l'Université de Waterloo.

[Français]

Jacques Henripin, professeur émérite, Université de Montréal, témoignage à titre personnel : Je vais être bref et commencerai en mentionnant trois phénomènes importants. Le premier concerne la fécondité canadienne, le deuxième concerne le vieillissement et la troisième, l'immigration.

Le Canada est en train de devenir un des pays les moins féconds de l'ensemble des pays qui lui ressemblent, c'est-à- dire l'Amérique du Nord et les pays d'Europe de l'Ouest. On a souvent parlé du taux de fécondité très faible des Québécois, c'est vrai, mais je dois dire que le reste du Canada est en train d'imiter le mauvais exemple des Québécois.

D'après les dernières indications que nous avons, l'ensemble du Canada « produit » des enfants — si je peux utiliser cette expression — avec un déficit d'à peu près 20 à 25 p. 100 par rapport au nombre d'enfants auxquels il devrait donner naissance pour assurer qu'une génération est entièrement remplacée par l'autre. Il faut en moyenne 2,1 enfants par femme ou par homme — c'est la même chose. Nous sommes au Canada, dans l'ensemble, autour de 1,6 enfant en moyenne. Il en manque cinq dixième; sur 2,1, ce qui équivaut à près 25 p. 100. Donc nous sommes en déficit de 25 p. 100.

Cela veut dire que, d'une génération à l'autre, lorsque le régime fonctionne normalement, en l'espace de 25 ou 30 ans, la population initiale se réduit d'à peu près 25 p. 100. Bien sûr, cela peut être remplacé en partie par des immigrants, mais il s'agit là d'un autre problème.

Par rapport au Canada et à bien d'autres pays comme les pays du Nord de l'Europe, les États-Unis sont le seul grand pays occidental qui produit encore assez d'enfants pour renouveler ses générations — on ne sait pas très bien pourquoi mais c'est comme cela. D'autres pays d'Europe ont également une bonne moyenne, meilleure que le Canada. Je pense que l'on doit s'inquiéter du rythme actuel de la dégringolade de la reproduction humaine au même titre qu'on le ferait pour une dénatalité soudaine chez les animaux. Tout le monde paniquerait pour cela; mais, quand il s'agit des Canadiens, cela n'a aucune importance. Je pense donc qu'il y a raisons de s'inquiéter. Les gouvernements occidentaux n'ont pas beaucoup sondé le terrain de la dénatalité, mais cela changera car on s'en inquiète de plus en plus.

Voilà pour la fécondité. Tout à l'heure on se demandait pourquoi le taux était aussi bas. Il y a actuellement toutes sortes de raisons; certes, le travail des femmes et des mères de famille, en particulier, n'aide pas; les enfants coûtent beaucoup plus cher aujourd'hui qu'autrefois; les familles sont beaucoup plus fragiles — et je pense qu'il faut insister sur ce point.

Au Canada, 25 p. 100 des enfants nés vers 1990, ont vu leurs parents se séparer avant l'âge de 10 ans et c'est en voie de croissance. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas dans le fonctionnement d'une bonne partie des familles canadiennes. Bien sûr, ce n'est pas toujours une catastrophe. Il y a des enfants qui s'en tirent bien, mais il y a des enfants en bas âge qui vont souffrir toute leur vie des difficultés entraînées par la séparation de leurs parents.

Ce phénomène commence en général par la pauvreté car, lorsqu'un couple se sépare, une famille monoparentale se crée. Les familles monoparentales sont un des grands foyers de pauvreté au Canada. J'ajouterai une dernière chose, le Canada est un des pays occidentaux qui donnent le moins, de façon générale, pour les enfants; les allocations universelles sont nulles; en fait, il n'y en a pas : elles ne sont données qu'aux familles pauvres et semi-pauvres. Le Canada aurait beaucoup à gagner à imiter un certain nombre de pays européens qui s'en tirent beaucoup mieux que nous.

Le deuxième phénomène sur lequel je voulais insister, à mon avis le plus important, c'est le vieillissement de la population. Je vais citer quelques chiffres à ce sujet. Nous allons nous intéresser à la période qui se termine en 2025; en 2025, nous serons à peu près 22, 23 p. 100 de personne âgées de plus de 65 ans. C'est une bonne façon de mesurer l'état du vieillissement. Aujourd'hui, ce nombre est de 13 p. 100. L'état du vieillissement va presque doubler.

Or, le coût de la santé publique croît à peu près de la même façon que le pourcentage des personnes de plus de 65 ans. Si le pourcentage des personnes de plus de 65 ans double, le coût par payeur de taxe, par travailleur, par adulte, pour les soins de santé va aussi doubler. C'est une réalité et les calculs le démontrent, quelle que soit la façon dont on fait ces calculs. Quant aux pensions publiques, c'est encore pire — j'insisterai tout à l'heure sur notre système de pension.

Les pensions publiques font plus que croître proportionnellement à l'accroissement de la portion des personnes âgées. On peut s'attendre à ce que, d'ici 2025, le coût par travailleur pour les pensions publiques augmente d'à peu près 75 p. 100. Or, en ce moment, le coût de la santé et des pensions publiques représente à peu près 12 à 15 p. 100 du PIB. Si cela augmente de 75 p. 100 — et je pense que c'est un minimum d'ici 2025 — cela veut dire qu'à peu près 25 p. 100 au moins de tout ce que nous produisons en biens et services va servir uniquement à des soins de santé et à payer les pensions publiques.

Il faudra modifier quelque chose dans ce système; s'il y a des remèdes à proposer, on peut en adopter plusieurs. Le principal remède, et de loin le plus efficace, c'est de repousser l'âge de la retraite. Pour un système de pension donné, quel qu'il soit, repousser l'âge de la retraite de cinq ans réduit le coût en cotisations de 40 p. 100 environ. Ou encore, à taux de cotisation égal, cela permettrait de donner des pensions qui seraient à peu près de 35 à 40 p. 100 plus élevées. Bien sûr, repousser l'âge de la retraite de cinq ans, ce n'est pas rien; on peut le repousser de moins d'années, les effets sont proportionnels.

En tout cas, c'est certainement l'instrument le plus efficace, le plus puissant qu'on puisse utiliser pour se prémunir contre les inconvénients strictement économiques du vieillissement de la population qui, à mon avis, représente le défi social le plus important auquel nous devrons faire face d'ici 25 ans. Le vieillissement devrait se stabiliser à environ 25 à 27 p. 100, ce qui est le double de 13 p. 100.

On parle beaucoup de vieillissement mais on n'a rien vu. On n'en n'a vu que la moitié. L'autre moitié reste à venir. Il faut donc réfléchir. On a du temps pour y penser, mais encore faut-il se pencher sur la question et agir.

Il existe d'autres possibilités. On pourrait repousser l'âge de la retraite. Il est inquiétant de constater la tendance qu'ont les employeurs à ne pas embaucher des travailleurs âgés ou à les inviter à prendre leur retraite d'une façon un peu hâtive. Mais les entrepreneurs en général ne sont pas des imbéciles. S'ils ont des hésitations à garder ou à embaucher des personnes âgées, c'est qu'ils craignent que ces travailleurs âgés ne leur donnent l'équivalent de ce qu'ils leurs coûtent.

Je n'ai jamais soulevé la question à des chefs syndicaux, mais il faudrait peut-être envisager des échelles de traitement qui iraient en diminuant au-delà d'un certain âge. Je ne sais pas à quel rythme. Cette diminution varierait sans doute selon les professions. Il faut essayer de trouver des moyens de faire travailler les personnes qui sont encore en état de travailler, jusqu'à 70 ans si elles en ont envie, sans imposer cela à personne. Les pensions seront proportionnelles au temps qu'on aura passé au travail.

Je terminerai ici ma présentation sur ce point.

[Traduction]

Le président : Vous avez la parole, monsieur Brown.

Robert L. Brown, directeur, Institute for Insurance & Pension Research, et professeur, Department of Statistics & Actuarial Science, Université de Waterloo, témoignage à titre personnel : Sénateurs, j'ai apporté un certain nombre de tableaux, que vous avez sous les yeux, et je vais prendre le temps qui m'est alloué pour vous expliquer pourquoi j'estime qu'ils sont importants. Le premier tableau illustre les naissances vivantes au Canada sur une assez longue période. Sur ce tableau, vous pouvez voir qu'il y a effectivement une remontée soudaine et très courte du nombre de naissances vivantes pour les années 1945-1946, mais ce tout petit sursaut passager, c'est le baby-boom de l'après-guerre. Le baby- boom en tant que tel est survenu, non pas en 1946, mais plutôt dans les années 1950 et il s'est poursuivi jusqu'en 1966. Le nombre de naissances vivantes a atteint son sommet au Canada en 1959. S'il fallait choisir un âge en particulier pour définir les enfants du baby-boom, on dirait que ce sont les personnes qui ont maintenant, non pas 59 ans, mais 46 ans. La génération du baby-boom ne risque guère de prendre sa retraite dans les prochaines semaines. Il faudra donc en tenir compte au fur et à mesure que j'avancerai dans mon exposé.

Le tableau suivant montre la répartition des différents groupes d'âge, auxquels mon collègue a fait allusion. Comme vous pouvez le constater, le pourcentage de la population âgée de 65 ans et plus a augmenté rapidement, mais si on remonte dans le temps — chaque colonne marque un intervalle de 20 ans — on remarque que la répartition a changé de façon très graduelle. L'accélération rapide des changements ne se produit qu'après 2016.

Cela s'explique par le fait que le baby-boom s'est traduit, non pas en 1946, mais bien dans les années 50 et la première moitié des années 1960. Dans mes travaux de recherche, j'ai été amené à me pencher sur le vieillissement de la population sous l'angle de l'indice de transfert de la richesse. Je ne m'arrêterai toutefois pas à cela ici. L'âge de la retraite au Canada est en baisse, et il se situe maintenant à près de 61,5 ans. Les gens ne prennent pas leur retraite à 65 ans au Canada. Tout ce tollé qu'a soulevé la fixation de l'âge obligatoire de la retraite à 65 ans me semble en quelque sorte une tempête dans un verre d'eau. Modifier l'âge obligatoire de la retraite n'aura qu'une incidence d'environ 0,5 p. 100 sur le taux de participation à la vie active. Nous devons amener les gens à travailler plus longtemps, pas jusqu'à l'âge de 65 ou 66 ans, mais plutôt jusqu'à 61,5 ou 62,5 ans. J'ai fait des projections à partir de ces chiffres : j'estime que nous pourrions maintenir le même niveau de vie qu'à l'heure actuelle si nous relevions légèrement l'âge de la retraite. L'âge projeté de la retraite atteint un creux vers 2016. La situation démographique est encore assez bonne pour l'instant. Il y a encore plus de gens qui deviennent actifs aujourd'hui qu'il y en a qui abandonnent la vie active. Après 2016, lorsque la véritable génération du baby-boom prendra sa retraite, il faudra que tout soit en place. Je m'explique. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire jusqu'en 2016, mais je dis qu'il faut que tout soit en place pour 2016 afin que nous soyons prêts à faire face à la situation. Il faut que les gens continuent à travailler plus longtemps, mais pas cinq ou six années de plus, car il faut faire le lien avec la productivité, qui a été le sujet de la précédente table ronde du comité. Je veux porter de nouveau à l'attention des sénateurs ce terme important. Si nous devenons plus productifs, nous pouvons résoudre beaucoup des problèmes propres au vieillissement de la population. Nous pouvons remplacer le bébé que nous avons en moins par un immigrant. Il faut toutefois comprendre que le travailleur qui devient deux fois plus productif est l'équivalent de deux travailleurs. Nous pouvons également remplacer le manque à gagner au chapitre des naissances par une productivité accrue. Par le passé, la croissance de la productivité était tellement faible que c'en était gênant, mais elle a atteint en moyenne environ 0,9 p. 100 par an. Avec des taux de croissance de la productivité de cet ordre, il faudrait allonger de sept à huit mois la participation à la vie active afin de maintenir un niveau de vie constant. Mais qui dit maintenir un niveau de vie constant ne dit pas améliorer le niveau de vie. Si nous ne voulons pas prendre notre retraite plus tard ou si nous voulons un meilleur niveau de vie, cela peut notamment se faire par l'accroissement de la productivité. Si nous arrivons à accroître notre productivité de 1,3 p. 100 par an, il ne sera pas nécessaire de relever l'âge de la retraite, même si cela signifie que le niveau de vie ne va pas s'améliorer, qu'il va rester constant.

Le dernier tableau montre ce que font divers pays industrialisés pour leurs aînés. À gauche, vous voyez le ratio Gini. Il s'agit d'une mesure de stabilité du revenu ou de l'absence de disparités de revenu pour les personnes de 65 ans et plus dans les pays en question. Dans deux pays, en Israël et aux États-Unis, on constate une très grande disparité de revenu après la retraite. Le pays où la disparité de revenu est la moins marquée est la Suède. Comment s'y prend-on en Suède pour assurer cette stabilité de revenu? C'est que le gouvernement assure aux personnes âgées 70 p. 100 de leur revenu. Il en résulte un niveau de sécurité élevé, mais cela signifie également que l'épargne privée et les régimes de retraite privés n'ont guère leur place dans ce pays.

Voyons ce qu'il en est au Canada. Nous n'assurons à nos retraités que 46 p. 100 du revenu dont ils ont besoin, et nous avons pourtant une sécurité de revenu équivalente à celle de la Norvège, très proche de celle de l'Allemagne et bien meilleure que celle du Royaume-Uni, de l'Australie, des Pays-Bas, des États-Unis et d'Israël. À mon avis, en tant qu'actuaire et gérontologue, nous ne nous tirons pas trop mal d'affaire avec la formule mixte que nous avons, qui mise à la fois sur un régime de sécurité sociale modeste et des incitatifs fiscaux destinés à encourager l'épargne privée. Ce que je viens de vous présenter, ce sont des faits, non pas des opinions. J'attends vos questions.

Le président : Nous vous remercions d'avoir partagé avec nous le fruit de vos réflexions, qui diffèrent de celles que nous avons entendues plus tôt.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de vos présentations. C'est très éducatif. Monsieur Herripin, j'aimerais recevoir un commentaire de votre part; vous dites que le coût de la santé va presque doubler d'ici 20 ou 25 ans. Le coût des régimes de retraite va augmenter de presque 75 p. 100. Si les tendances se maintiennent et si on n'a aucun succès au point de vue de l'augmentation du taux de participation ou du nombre d'années que les travailleurs canadiens vont travailler, disons que le taux de productivité demeure le même, comme celui que nous avons depuis cinq ans, quelles sont les conséquences pour les citoyens quant à l'impôt à payer. Dans quelle sorte de société allons-nous vivre d'ici 20 ans?

M. Henripin : Du point de vue de la santé, nous allons augmenter les difficultés pour les patients qui attendent leur tour à l'hôpital. On aura de plus en plus de mal à fournir les soins. Il y a des remèdes qu'on pourrait instaurer pour essayer de réduire un peu, non pas les coûts de la santé, mais la réduction de l'augmentation des coûts de la santé. Lorsque je dis l'augmentation des coûts de la santé, ce sont toujours les coûts par travailleur.

Le sénateur Massicotte : Oui.

M. Henripin : Je pense que le Canada pratique un angélisme extraordinaire dans l'imposition des conditions faites aux provinces en matière de régime d'assurance-santé. On est plus angélique que beaucoup de pays européens qui ont la réputation d'être plutôt socialistes, bien plus que nous d'ailleurs.

L'interdiction d'un petit montant qu'aurait à payer chaque patient ou chaque malade à son médecin, — peut-être qu'à l'hôpital, ce ne sera pas nécessaire — c'est se priver d'un moyen de réduire les dépenses parce que cela contribue aux frais et que cela diminue aussi le nombre des visites que font certains malades à leur médecin.

Je pense qu'on a été angélique à ce point de vue. D'autre part, il faudrait peut-être instaurer pour les soins de santé très coûteux, ceux qui interviennent surtout en fin de vie, un régime de capitalisation que je propose d'ailleurs pour les pensions. Prenez un modèle très simple. Un homme commence à travailler à 20 ans et termine à 65 ans. Il verse pour sa pension future une cotisation en vue d'avoir une pension de 50 p. 100 de son revenu moyen au cours de sa vie active. C'est quand même convenable, ce n'est pas beaucoup mais convenable, pas mal mieux, en tout cas, que ce que l'on assure au Canada à 25 p. 100. On peut se demander combien il en coûte de cotisation en termes de proportion de son salaire qu'il doit verser à une caisse qui va servir à payer sa pension. Cela lui coûte 18 p. 100 de son salaire, s'il n'y a pas de rendement sur le capital accumulé.

S'il y avait 2 p. 100 de rendement, cela coûterait 9,6 p. 100, soit la moitié. Pourquoi? Parce que la contribution du rendement des prêts de la caisse est à peu près égale à la contribution que représentent les cotisations elles-mêmes de l'employé. Se priver, comme dans le régime actuel, de l'apport des rendements de capital qui sont placés dans une caisse — ce que font tous les systèmes de pension privés, ils n'ont pas le choix, eux — c'est se priver d'une grande partie des faveurs qu'on pourra faire à ceux qui paient 10 p. 100. Mon 9,6 p. 100, qui assure avec un taux d'intérêt de 2 p. 100 et une pension de 50 p. 100, c'est la même cotisation que ce que l'on paye actuellement pour avoir une pension de 25 p. 100.

Je ne comprends donc pas pourquoi on n'essaie pas progressivement de passer du système de « pay as you go » que nous avons maintenant, — il est un peu bâtard — à un système de capitalisation comme le font toutes les entreprises privées. Ce que je ferais, je soustrairais les systèmes de pension privés du monopole des employeurs pour en faire un régime comme l'a fait le Chili, et d'autres pays, c'est-à-dire que le gouvernement impose à tous ceux qui gagnent de l'argent de cotiser à un système de pension minimum, un système de pension géré par diverses entreprises privées ou publiques, peu importe, cela ne change rien. Mais les employeurs n'ont plus à se soucier de cela, les employés ne sont plus les victimes ou les esclaves de tel employeur qui paie une bonne pension contre tel autre qui en paie une moins bonne. Il n'y a pas de raison que la pension future d'un travailleur canadien, qui va durer une vingtaine d'années, dépende du fait qu'il travaille pour un bon employeur ou qu'il travaille pour un mauvais employeur. Je ne vois pas pourquoi cela fonctionne ainsi. Cela devrait être complètement indépendant. Il y aurait des entreprises qui géreraient ces systèmes sous la gouvernance du gouvernement pour imposer les règles nécessaires et s'assurer que les choses se font bien.

[Traduction]

Le président : Monsieur Brown, voulez-vous répondre brièvement?

M. Brown : Je serai bref.

Permettez-moi de dire que j'ai pris la parole à autant de tribunes que j'ai pu le faire pour m'opposer au modèle de sécurité sociale chilien. Je serais heureux de le faire de nouveau si j'y étais invité.

J'aime bien l'idée d'avoir un régime de sécurité du revenu de retraite qui comporte de multiples facettes. Au Canada, nous avons la Sécurité de la vieillesse, qui comprend le Supplément du revenu garanti, qui constitue un régime de prestations déterminées qui est capitalisé à même les impôts. On paye donc au fur et à mesure. Nous avons aussi le Régime de pensions du Canada, qui est aussi un régime à prestations déterminées et qui est maintenant partiellement capitalisé.

Puis, nous avons un certain nombre d'incitatifs fiscaux où le gouvernement joue certainement un rôle. Les régimes de pensions d'employeurs privés sont entièrement capitalisés. Certains sont du type cotisations déterminées, alors que d'autres sont du type prestations déterminées. Il arrive que des entreprises accusent un certain retard dans une courte période, mais ces régimes sont censés être entièrement capitalisés. Les régimes d'épargne-retraite privés sont par définition du type cotisations déterminées et sont entièrement capitalisés. C'est un bon mélange.

À certains moments, il semble intéressant de payer au fur et à mesure, mais à d'autres moments, comme c'est le cas à l'heure actuelle, la capitalisation semble être beaucoup plus avantageuse, mais je ne peux pas savoir à quoi ressemblera l'économie de 2020 ou de 2030.

Le président : Il nous reste 16 minutes. Étant donné, monsieur Brown, que nous allons examiner le modèle chilien, il nous serait très utile que vous puissiez nous envoyer des documents à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Meighen : J'ai trouvé vos présentations fort intéressantes. Je vais poser une seule question à M. Brown et indirectement au professeur Henripin.

[Traduction]

Je ne sais pas si vous étiez là pour les exposés des témoins qui vous ont précédé. Il y a peut-être quelque chose qui m'échappe, et je vous invite à me le dire si c'est le cas.

Il n'y a pas vraiment de grande différence entre ce que vous nous avez tous dit si ce n'est, monsieur Brown, cette donnée statistique étonnante au sujet du moment où se fera sentir l'impact du baby-boom. C'est tellement simple que c'en est alarmant. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s'imagine que c'est pour maintenant plutôt que pour 2016, à moins que quelque chose m'ait échappé.

Comme vous le savez, les gouvernements sont plutôt lents en affaires. Pourriez-vous nous donner plus de précisions quant à ce que nous devrions faire ou ce que nous pourrions faire qui serait à la fois réaliste et utile pour nous préparer pour 2016, outre l'accroissement de la productivité?

M. Brown : La meilleure façon d'assurer un bon niveau de vie, c'est de produire de la richesse. Une fois qu'on a produit de la richesse, il est facile de la distribuer, mais il faut d'abord la produire. Que pourrions-nous faire?

Je suis d'accord avec bien des choses qui ont été dites ce matin. L'immigration est une solution partielle mais pas une solution totale. Nous allons devoir être concurrentiels pour attirer des immigrants. De même, le taux de fécondité est une solution partielle, mais il est difficile d'encourager les familles à être nombreuses de nos jours, et je suis d'accord avec les raisons invoquées ce matin : nous ne vivons plus dans une société patriarcale; les femmes ont un meilleur niveau d'instruction; nos taux de divorces sont élevés et les taux de participation religieuse faibles; autant de facteurs qui mènent à...

Le président : Le coût des maisons?

M. Brown : Le coût pour élever un enfant, comme on vous l'a dit ce matin.

Le président : Le coût des maisons pour avoir de l'espace où élever des enfants.

M. Brown : Tout cela mène à des taux de fécondité faibles. J'aimerais qu'il y ait une combinaison de solutions : un peu de ceci et un peu de cela.

Ce matin, vous vous demandiez par exemple si nous devrions créer des incitatifs financiers pour encourager les familles à avoir un troisième et un quatrième enfant. Permettez-moi de vous proposer une autre solution : si vous réalisez une étude et que vous appreniez que les garderies subventionnées auraient la même incidence sur le taux de fécondité que des indemnités de naissance pour un quatrième enfant, je préférerais que vous optiez pour les garderies subventionnées, qui produisent d'autres effets positifs. Si la gratuité de l'éducation a le même effet sur le taux de fécondité que le fait de verser une indemnité à une femme qui accouche d'un troisième ou d'un quatrième enfant, j'opterais alors pour la gratuité de l'éducation, puisque celle-ci donne d'autres résultats positifs.

Personnellement, ma priorité ne serait pas de trouver de l'argent pour encourager les familles à avoir un troisième et un quatrième enfant. Ce n'est pas la meilleure façon de procéder, à mon sens.

[Français]

Le sénateur Goldstein : M. Henripin, vous avez insisté sur le fait que repousser l'âge de la retraite aurait de lourdes conséquences. Cela entraînerait notamment une augmentation des montants à payer en pensions, ce qui poserait un risque à savoir si l'on dispose de suffisamment d'argent pour assumer le fardeau des pensions, compte tenu de l'augmentation de l'âge moyen de la population.

Ma question s'adresse également à M. Brown. Comment pourrions-nous inciter les gens à repousser leur âge de retraite, soit de 65 à 70 ans, ou pour accepter votre chiffre, monsieur Brown, à 66, 67, 68 ou 69 ans?

M. Henripin : Je ne suis pas spécialiste de l'organisation du travail dans les entreprises. Je ne sais pas ce qui devrait être fait. Toutefois, si les employeurs sont réticents à garder leurs travailleurs plus âgés et à en engager de nouveaux, c'est parce qu'ils n'en voient pas les avantages. Les employeurs verraient un certain avantage s'ils pouvaient les payer moins cher. On est pris avec des échelles de salaire qui ne s'abaissent jamais en fonction de la diminution de la productivité des travailleurs avec l'âge.

Pour ma part, j'ai terminé ma carrière et je me suis bien rendu compte que vers 60 ans, je commençais à avoir un peu moins d'ardeur au travail que quand j'en avais 40. Je trouve donc qu'il serait normal que les salaires soient payés en fonction du rendement des travailleurs. Et si le rendement est moindre à cause de l'âge, il ne s'agit pas de les renvoyer chez eux mais de les payer moins.

De toute façon, à cette période de la vie, on a besoin de moins d'argent. Les enfants sont grands et le fardeau financier est moindre. Certains ajustements pourraient être apportés.

Il existe probablement beaucoup de préjugés contre lesquels on devrait lutter. Quoi qu'il en soit, il faudrait cesser de mettre à la porte systématiquement les personnes âgées de 65 ans et plus, comme on le fait au gouvernement fédéral. On donne là un très mauvais exemple. Il faudrait plutôt suivre l'exemple des sénateurs : l'âge de retraite de 75 ans est respectable.

[Traduction]

M. Brown : La question était de savoir ce que nous devrions faire et je vous dirai qu'il y a des choses sur lesquelles nous pouvons revenir. En effet, il existe des dispositions aujourd'hui dans le Régime de pensions du Canada qui privilégient le départ précoce à la retraite. La formule du RPC comporte deux ou trois parties qui ont des effets pervers, lesquelles peuvent être changées et annulées.

Le facteur de la moitié de 1 p. 100 qu'on gagne en prenant sa retraite plus tôt que plus tard favorise le départ précoce à la retraite. Si je prends ma retraite tôt, le nombre d'années calculé dans la formule d'admissibilité est inférieur à ce qu'il serait si je prenais ma retraite à l'âge de 65 ans. C'est injuste. Nous pourrions entrer dans de nombreux détails actuariels subtils.

Le président : Ce n'est pas ce qui nous intéresse ici.

M. Brown : Je préparerai quelque chose par écrit et vous l'enverrai pour ne pas nous faire perdre de temps.

Dans le secteur privé, il m'est difficile d'obtenir un revenu salarial de la même machine à chèque qui me fournit ma pension le même jour. Il y a des règles de l'impôt sur le revenu à ce sujet. Soit que vous êtes à la retraite, soit que vous ne l'êtes pas, cela ne favorise pas une retraite souple. Il y a donc des choses que nous pouvons annuler avant d'avoir à nous préoccuper de ce que nous devons faire pour aider les travailleurs et les employeurs à créer un environnement où les gens pourront demeurer actifs plus longtemps, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 62, 63 ou 64 ans.

[Français]

Le sénateur Plamondon : Vous avez parlé de la fragilité de la famille et que dans 25 p. 100 des cas ce problème mène à des familles monoparentales. On parlera alors de familles monoparentales composées d'une mère gagnant un salaire réduit et qui a la charge des enfants, donc d'une femme qui s'est appauvrie. Soulignons que ce sont les femmes et leurs enfants qui, par conséquent, deviennent pauvres.

On remarque que dans le couple qui vieillit, la femme vit plus longtemps que l'homme. J'entends parfois que les femmes deviennent ce qu'on appelle les aidants naturels. Or on me répond qu'il n'y a rien de naturel à être infirmière pour une personne qui serait prête pour l'hôpital et que ce fardeau, de plus en plus, revient à la femme. La femme non seulement devient pauvre, mais elle assume le rôle du système de soins.

Vous avez parlé des coûts en santé. Déjà on voit davantage de pressions sur les personnes âgées que sur le système de soins de santé. Une infirmière m'a raconté que lorsqu'une personne âgée fait un ACV et qu'elle appelle d'urgence l'hôpital, la première question que le médecin lui demande est son âge. Si la personne a 80 ans, croyez-moi, il n'y a pas de soins qui sont donnés.

On est en train de faire une sélection par abstention pour régler le problème des soins de santés, surtout ceux offerts aux personnes âgées.

J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. La femme étant jeune doit élever ses enfants. C'est elle qui devient pauvre lorsque la famille fait faillite. Puis, lorsqu'elle vieillit, elle doit prendre soin de son mari jusqu'à sa mort. Quand à son tour elle aura besoin de soins, qui prendra soin d'elle?

M. Henripin : Je ne suis pas spécialiste de ce genre de question. Je ne sais pas si on peut généraliser à ce point. Il est probablement vrai de dire que ce sont surtout les femmes qui sont les aidants naturels. Est-ce que c'est naturel ou pas? Je n'en sais rien. Je crois que l'État pourrait assister davantage, sous forme de subventions peut-être. Toutefois, ce genre de problème ne fait pas partie de ma compétence.

Le sénateur Massicotte : On remarque que le taux de fécondité au Québec est inférieur à celui du Canada et que celui du Canada est inférieur à celui des États-Unis. Cependant, ces trois partenaires financiers et sociaux transigent beaucoup entre eux.

Est-ce qu'on peut imaginer que ce bas taux de fécondité aura pour conséquence d'appauvrir le Québec par rapport au Canada et le Canada par rapport aux Etats-Unis?

M. Henripin : Je n'interpréterais pas aussi facilement que cela la réduction de la natalité à la pauvreté. En fait, moins on a d'enfants, sur le coup, on s'enrichit un peu car il y a moins de dépenses à faire. C'est à long terme que cela cause des problèmes. Le prix pour le Québec, à supposer qu'il garde cette sous-fécondité par rapport au reste du Canada et surtout par rapport aux États-Unis, et c'est vrai pour le Canada par rapport aux États-Unis aussi, le coût à payer sera le coût du vieillissement de la population. C'est l'effet démographique majeur qui aura des conséquences économiques pénibles. Ce sont les dépenses publiques qui sont liées au pourcentage de personnes âgées et cela concerne surtout la santé et les pensions publiques.

[Traduction]

M. Brown : Il n'est pas nécessaire d'avoir une relation de cause à effet entre le vieillissement de la population et la pauvreté. Nous pouvons effectivement avoir un bon niveau de vie tout en ayant une population vieillissante. J'ai un parti pris, j'en conviens, étant donné mon travail quotidien, mais je crois néanmoins que la cible principale que vous devriez viser avec vos fonds limités, c'est l'éducation. Nous pouvons livrer concurrence aux États-Unis et au reste du monde, et le Québec peut livrer concurrence au reste du Canada, à condition que nous permettions à nos jeunes de s'instruire aussi longtemps qu'ils auront envie de s'instruire. Si vous voulez un exemple vivant de cela, je vous invite à regarder ce qui s'est passé en Irlande au cours des vingt dernières années. En effet, l'Irlande a pris de nombreuses décisions intelligentes que nous devrions peut-être songer à imiter, et une de ces décisions, c'est de permettre aux gens de s'instruire aussi longtemps qu'ils en ont envie, et c'est ainsi que le pays est devenu le tigre de la Communauté économique européenne.

Le sénateur Massicotte : Si vous postulez, à mon avis à juste titre, que le niveau de productivité serait le même au Québec, au Canada et aux États-Unis, le niveau d'instruction resterait probablement le même, ou au moins il y aura une forte corrélation, et compte tenu du fait que le fardeau des coûts des soins de santé et des pensions sont en croissance en tant que proportion du PIB, la plupart des études indiquent que notre taux de croissance accusera probablement une baisse pour s'établir à 1 p. 100 à l'échelle nationale, si bien que l'essentiel de notre croissance par habitant sera absorbé par la flambée des coûts de la santé. Si on émet la même hypothèse en ce qui concerne la croissance et la productivité économiques, vous devrez alors dire que le Québec dépensera une plus grande partie de son PIB au titre des soins de santé que le reste du Canada, et le Canada plus que les États-Unis, et par conséquent, le taux d'imposition devra augmenter au Québec plus que dans le reste du Canada. Il s'ensuit que vous vous retrouvez en désavantage concurrentiel, puisque les gens sont mobiles, surtout les plus instruits. N'y a-t-il pas là un grave problème de compétitivité économique?

M. Brown : C'est sur ce point que le professeur Henriprin et moi-même sommes tout à fait en accord. Je n'ai pas l'intention de parler en son nom, alors n'hésitez pas à formuler des objections, si je le fais. Gardez les gens actifs sur le marché du travail plus longtemps et aucun de ces scénarios ne se concrétisera.

Le sénateur Massicotte : Supposons que les trois scénarios se concrétisent. En d'autres termes, si les tendances sont les mêmes partout, et qu'on enregistre une augmentation dans deux ans, le fardeau fiscal au Québec sera plus lourd que dans le reste du Canada, et au Canada plus lourd qu'aux États-Unis. Si les personnes instruites sont mobiles, ce qui est le cas, n'y a-t-il pas danger de perdre sa compétitivité? Je sais que la productivité résoudra bien des problèmes.

M. Brown : Il y a une dimension compétitive, certes, mais je ne pense pas que ce soit une pierre d'achoppement. Je dirai que bon nombre de ces affirmations sont vraies aujourd'hui, et pourtant, les gens ne sont pas mobiles pour autant. La conjoncture économique n'est pas favorable au Cap-Breton, mais cela n'empêche pas les habitants d'y rester. Pourquoi? Il y a une centaine d'autres raisons. Toutefois, si vous donnez à chacun l'occasion d'être productif en lui garantissant l'accès à l'éducation et à des immobilisations, nous pourrons alors tous jouir d'un bon niveau de vie. Il se peut que d'autres parties du monde progressent plus rapidement ou plus lentement, mais nous aurons, quant à nous, un niveau de vie satisfaisant.

Le président : Juste une brève question qui s'adresse à vous deux : il a été question de l'économie nationale, mais nous savons aussi, à la lumière de ce que nous avons lu dans les journaux aujourd'hui — vous êtes au courant du manifeste publié au Québec et des questions qu'il a suscitées — qu'il existe des différences entre les régions. D'après vos recherches, pouvez-nous dire quelles sont les disparités régionales sur cette question? Y a-t-il d'autres régions qui accusent un retard et où les pressions sur le système sont en train de s'intensifier en raison de ce que nous considérons comme étant une bombe économique à retardement? L'échéance approche peut-être plus lentement que nous l'escomptions mais elle approche néanmoins? Comment pourrons-nous persuader les régions qui accusent un retard de changer certaines de leurs pratiques politiques, car l'essentiel de cette information, comme vous l'avez indiqué, n'invite pas à faire de nouvelles choses mais à annuler celles qui existent déjà et qui produisent des effets pervers? C'est la loi des conséquences imprévues! Nous essayons de faire en sorte que notre économie soit plus productive, mais nous produisons l'effet contraire.

M. Brown : Il existe beaucoup de disparités régionales aujourd'hui. Ce n'est certes pas mon domaine d'expertise, mais on n'a qu'à penser à la richesse qui existe en Alberta par rapport à la plupart des autres régions du pays. Il est clair qu'il y a des régions déprimées. Terre-Neuve, les collectivités tributaires de la pêche et les provinces qui dépendent des ressources primaires traversent une période difficile. Que devons-nous faire alors? Je vais revenir à un thème précédent. Je ne crois pas que la péréquation soit la solution. En revanche, je crois qu'il est impérieux de permettre à chaque Canadien de pouvoir réaliser un objectif élevé. Laissons les navires voguer au gré de la marée!

M. Henripin : Probablement en quittant cette province, parfois.

Le président : Quelle province?

M. Henripin : Voyez le choix des immigrants. Ils vont tous en Ontario, en Alberta maintenant, mais pas tellement au Québec et en Colombie-Britannique et pratiquement jamais dans les Maritimes.

Le président : Pour vous, la mobilité des travailleurs, est-ce une bonne ou une mauvaise chose?

M. Henripin : Je pense que c'est une bonne chose. C'est nécessaire.

Le président : Une des façons d'accroître la productivité, c'est d'accroître la mobilité des travailleurs.

Le sénateur Angus : Le Sénat devrait déménager en Nouvelle-Écosse.

Le président : Ou à l'île du Cap-Breton.

Je veux vous remercier des échanges que nous avons eus ici. Voilà qui termine nos audiences sur ce thème, ce qui ne doit pas empêcher les téléspectateurs, les experts de l'extérieur qui nous suivent sur Internet ou à la télévision, de nous faire part de leurs points de vue. Nous les prendrons tous en considération. Je remercie le sénateur Massicotte et le reste du comité de nous avoir permis d'entreprendre cette étude. Je veux remercier particulièrement les témoins d'aujourd'hui d'avoir apporté un éclairage nouveau sur une question que nous pensions avoir cernée. Je considère maintenant que les audiences de notre deuxième table ronde sur la démographie sont terminées.

Le sénateur Goldstein : Je veux vous remercier en mon nom personnel, et au nom de tout le comité, d'avoir décidé qu'il valait la peine de tenir cette table ronde. Sénateur Massicotte, merci de l'avoir suggérée au président. Je veux aussi remercier le président et le greffier d'avoir convoqué devant nous des témoins absolument exceptionnels qui nous ont aidés et renseignés. J'en suis reconnaissant.

Le président : Sénateur Goldstein, nous sommes heureux de vous compter parmi les membres de notre comité.

La séance est levée.


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