Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 4 - Témoignages du 29 novembre 2004 (après-midi)
KINGSTON, le lundi 29 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 12 h 30 pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous accueillons cet après-midi le lieutenant-colonel David Last, officier d'artillerie qui a fait partie de plusieurs forces de maintien de la paix de l'OTAN et de l'ONU. Il est diplômé du Collège militaire royal du Canada, du Command and General Staff College de l'armée américaine et il détient un doctorat de la London School of Economics. Il a fait des travaux sur le terrain au Sierre Leone, au Gabon, en Israël et en Palestine. Aujourd'hui, il enseigne au Collège militaire royal du Canada et effectue des recherches sur le contrôle de la violence, y compris le maintien de la paix, les opérations de police sur la scène internationale, la résolution des conflits et les opérations spéciales.
Nous accueillons aussi aujourd'hui Mme Jane Boulden, qui est professeur adjoint de politique au Collège militaire royal du Canada. Elle occupe aussi une chaire de recherche canadienne en relations internationales et en études sur la sécurité et elle est agrégée supérieure de recherche au Centre pour les relations internationales de l'Université Queen's. Elle a fait sa marque comme universitaire spécialiste des opérations de paix dans l'ère postérieure à la guerre froide.
Mme Boulden a publié récemment trois ouvrages ayant une thématique militaire : le premier est intitulé Dealing with Conflict in Africa : The United Nations and Regional Organizations; le deuxième est Terrorism and the UN : Before and After September 11th; le troisième ouvrage est intitulé Peace Enforcement : The United Nations Experience in Congo, Somalia and Bosnia.
Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux au comité.
Mme Jane Boulden, Chaire de recherche du Canada en relations internationales et en études sur la sécurité, Collège militaire royal du Canada : Nos observations seront tirées d'un texte que nous avons rédigé sur les leçons des opérations de maintien de la paix des 15 dernières années. Je vais aborder un certain nombre de questions différentes et établir le contexte général. Mon collègue traitera d'une manière un peu plus spécifique de certaines leçons qui sont énoncées dans ce document mais, au cours de la discussion, nous pourrons revenir à l'un ou l'autre des thèmes ou questions qui auront été soulevés.
La nature, sinon les particularités, du débat sur la politique de défense canadienne est remarquablement inchangée. J'ai été à l'étranger pendant trois ans et demi, je suis revenue et j'ai eu l'impression de n'être jamais partie. Les thèmes de notre discussion auraient pu être ceux d'un groupe d'étude d'il y a quatre ans, 10 ans ou même 17 ans, quand Ron Byers a qualifié la situation « d'écart engagements-ressources ».
Je soutiens que nous n'avons pas d'écart engagements-ressources à l'heure actuelle parce que cela suppose qu'on a une idée claire de nos engagements, des engagements qui ne sont pas remplis; or, je ne crois pas que nous ayons une idée claire de ce que devraient être ces engagements.
Pendant la guerre froide, nous n'avons jamais eu besoin de réfléchir à la nature de nos engagements parce que le cadre stratégique de la menace et de la réaction à cette menace était en place. Nous n'avons pas vraiment réévalué la situation en profondeur depuis cette époque. En l'absence d'une stratégie globale qui énonce une vision du monde, ses menaces et ses possibilités, et qui établit une série d'objectifs pour le Canada dans un ordre de priorité, il semble que nous soyons inévitablement et constamment préoccupés par notre rôle en tant que puissance moyenne, c'est-à-dire que nous nous demandons si nous en sommes une et si nous avons effectivement de la puissance, ainsi que par nos relations avec les États-Unis et la préservation des institutions multilatéralistes.
L'absence d'une politique globale de sécurité nationale, fondée sur une vision stratégique où les politiques étrangère et de défense sont intimement liées, nous amène à insérer la politique de défense dans un ensemble préétabli centré sur des processus comme le multilatéralisme, sur une position comme le fait d'avoir un siège à la table, ou sur des institutions comme les Nations Unies. Cela donne l'impression que nous participons aux opérations multilatérales simplement pour avoir une présence multinationale ou bien pour appuyer les États-Unis, et non pas parce que cela correspond à nos objectifs de politique nationale.
C'est pourquoi un examen de la défense est important et opportun, tout comme l'est à mon avis un examen plus général de la sécurité. C'est particulièrement le cas à cause des changements spectaculaires qui ont marqué l'environnement national et international de la sécurité depuis la fin de la guerre froide. Je voudrais faire ressortir trois facteurs, et nous nous attarderons en particulier sur le troisième.
Le premier est l'importance croissante des acteurs non étatiques sous la forme du terrorisme. Le terrorisme représente une menace à la sécurité nationale, internationale et régionale. La guerre au terrorisme qui en est résultée a fait très peu pour atténuer cette menace. Seuls ou avec d'autres, nous n'avons pas réussi jusqu'à maintenant à aller jusqu'au bout dans notre réflexion sur les répercussions de la menace ou de la réaction à celle-ci.
En quoi consiste notre politique antiterroriste, à part le fait de dire que nous sommes contre le terrorisme? Quelles sont à notre avis les mesures les plus appropriées pour composer avec l'émergence d'un acteur non étatique aussi puissant?
Après le 11 septembre, nous avons fait partie d'une réaction qui était fondée sur l'intervention de l'État. Quelle aurait été notre politique, par exemple, si al-Qaïda n'avait pas été située de façon si commode en Afghanistan et associée au régime taliban tellement détesté? Qu'en aurait-il été si cette organisation avait été dispersée au Pakistan, en Allemagne et au Royaume-Uni?
Le deuxième grand thème est la prolifération, nucléaire aussi bien que chimique et biologique. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est en péril. L'Inde et le Pakistan sont des États possédant notoirement des armes nucléaires et il est très improbable qu'ils fassent marche arrière. L'un des plus graves échecs de l'ère post-guerre froide a été l'incapacité d'assurer le confinement de l'arsenal nucléaire de la Russie et de trouver une manière d'empêcher la prolifération ouverte du genre de celle que nous avons constatée au Pakistan. Cette situation est aggravée par les avancées menaçantes dans la recherche chimique et biochimique qui mettent en péril les limites existantes.
Le gouvernement canadien a une longue et importante tradition d'appui au traité de non-prolifération qui est un élément clé de ses objectifs en matière de contrôle des armements et de désarmement, mais le traité est en péril et nous ne semblons pas avoir réfléchi pour trouver des solutions de rechange. Quelle est notre position sur le recours à la force comme outil de lutte contre la prolifération? Quels critères devons-nous respecter avant d'en arriver à une telle décision? Un changement de régime est-il un résultat légitime d'un effort de lutte contre la prolifération? Quel rôle les Forces canadiennes peuvent-elles ou devraient-elles jouer à cet égard?
À défaut d'autre chose, nous devons reconnaître que la prolifération et le terrorisme qui y est associé sont considérés comme une grave menace par les États-Unis. Ce point de vue n'est pas seulement associé aux Républicains ou au gouvernement Bush, on le retrouve également chez bon nombre de penseurs importants parmi les Démocrates.
Troisièmement, la conception de la sécurité et, plus généralement, la manière dont la sécurité est perçue et recherchée au niveau international ont également changé du tout au tout. Avec la fin de la guerre froide, la communauté internationale, surtout par l'entremise du Conseil de sécurité de l'ONU, s'est engagée dans un élargissement presque infini de ce qui constitue la paix et la sécurité internationales pour y englober la démocratie, l'aide humanitaire et les conséquences des guerres civiles, par exemple.
Un élargissement du concept de sécurité se produit également au niveau national par suite du 11 septembre. Cela comprend des éléments comme l'immigration, le commerce extérieur, les transports et la justice. L'un des aboutissements de ce processus a été la mise au point du concept de sécurité des personnes. Cependant, l'une des convictions est que la paix est plus que l'absence de guerre et que la sécurité individuelle au moyen du développement et de la démocratisation est la clé de la sécurité des États et, par extension, de la sécurité internationale.
Au moment même où nous étendons la définition de la sécurité sur le plan du sens, nous en faisons autant sur le plan du niveau, allant au-delà de l'État pour descendre jusqu'au niveau de l'individu. Cette extension à la fois horizontale et verticale signifie que presque plus rien n'est maintenant laissé de côté. La sécurité est maintenant complètement informe et englobe absolument tout.
L'absence de cadre stratégique pour nous guider et la présence d'un concept de sécurité qui englobe tout partout confirment la tendance préexistante au Canada à fonctionner sur le mode réaction. Faute d'un ordre de priorité et d'une pensée stratégique pour nous guider, et d'une compréhension profonde de notre approche face aux questions plus vastes, nos engagements sont dictés par les réactions à ce qui peut se passer à un moment donné à la frontière.
Une première étape importante a été franchie avec la publication sous le gouvernement Martin du rapport intitulé « Protéger une société ouverte : La politique canadienne de sécurité nationale », dans lequel on tente pour la première fois d'établir une politique nationale de sécurité. La partie internationale du rapport, qui a été rédigée relativement vite pour que le rapport soit prêt à temps pour une rencontre avec le président Bush, souffre de la rapidité avec laquelle elle a été composée et constitue l'élément le plus faible du document.
L'absence d'examen par le gouvernement de la sécurité internationale, dont je dois comprendre qu'il a été encore une fois remis à plus tard, nuit à l'analyse internationale qui ne va pas tellement plus loin que d'insister sur la nécessité de s'occuper des États faibles comme manière de contrer le terrorisme.
Que faut-il donc en conclure sur le plan de la politique de défense, sinon de dire que le moment est très opportun pour s'engager dans un examen? Voici certaines pistes de réflexion.
Nous comprenons maintenant de mieux en mieux, par exemple, que dans des situations antérieures et postérieures à des conflits, nous avons besoin d'une réponse à long terme qui soit multidimensionnelle. Les aspects militaires, politiques, sociaux et économiques sont tous importants. Nous savons aussi maintenant que ce qui se passe durant cette période initiale, au tout début de l'environnement postconflit, est la clé du succès à long terme. Si nous voulons consolider la paix au lieu de se contenter de la maintenir ou de la mettre en place, nous devons être sur le terrain rapidement et être capables d'adopter une approche multidimensionnelle axée sur le long terme.
C'est dans ce contexte que l'on a discuté davantage ces derniers temps de ce que l'on appelle les trois D, à savoir la défense, le développement et la diplomatie, ce qui constitue une nouvelle et importante étape de notre réflexion sur la sécurité nationale et les conflits de l'après-guerre froide. Cependant, le potentiel de valeur ajoutée et d'engagement international est moindre quand nous éparpillons nos ressources, à la fois sur le plan géographique et en termes de secteur d'intérêt.
Nous devrions par exemple pouvoir prendre des engagements multidimensionnels et à plus long terme dans des pays comme Haïti et l'Afghanistan, par rapport à ce que nous sommes actuellement capables de maintenir. De tels engagements devraient être fondés sur l'énoncé établi de nos intérêts nationaux et sur une compréhension cohérente des leçons apprises à la suite des opérations antérieures. C'est un domaine où non seulement le Canada, mais même des institutions comme les Nations Unies, éprouvent un véritable problème. Nous n'avons pas encore établi de processus nous permettant de puiser dans l'expérience que nous avons accumulée dans le cadre de telles opérations.
En fin de compte, je plaide en faveur d'une focalisation; c'est-à-dire qu'il faut avoir la détermination de s'engager à consolider la paix et à renforcer les États qui ont été en proie à des conflits, mais nous devons le faire dans quelques endroits clés et à plus long terme. Il nous faudrait reconnaître que nous ne serions plus en mesure de faire autre chose si d'autres situations surgissaient, et pas seulement dans des situations où l'absence d'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU nous donne une porte de sortie.
Une telle approche exigerait un changement des mentalités dans l'appareil gouvernemental et parmi les Canadiens, mais ce changement pourrait être opéré au moyen d'un examen de la politique étrangère et de défense.
Par conséquent, la disjonction qui existe ne se situe pas entre nos engagements et nos ressources, mais plutôt entre nos engagements et nos objectifs, nos intérêts nationaux tels qu'énoncés en fonction d'une vision du monde qui conceptualise l'environnement actuel et établit un ordre de priorités dans nos réponses. Voilà un argument en faveur d'une réarticulation de notre politique de sécurité nationale en fonction du nouvel environnement et d'une prise de décisions sur les engagements et les ressources qui en découle.
Le lieutenant-colonel David Last, registraire, Collège militaire royal du Canada : Mme Boulden dit toujours ces choses de manière beaucoup plus éloquente et synoptique que je ne puis le faire et je suis donc très content d'avoir bénéficié de son introduction.
Je vais faire un léger détour à la demande du sénateur Day. Je vais reprendre là où nous avons laissé hier soir. Avant d'aborder les leçons du maintien de la paix, je vais traiter brièvement du Collège militaire royal du Canada, le CMR.
Vous avez entendu hier le directeur du Collège, M. John Scott Cowan, vous dire que le CMR est une institution nationale, qu'il est centré sur la défense du Canada et que depuis sa fondation, le CMR ne s'occupe pas seulement de produire des officiers. Il a produit des leaders pour la sécurité nationale et internationale, d'abord au sein de l'Empire britannique, et ensuite dans le cadre des institutions qui lui ont succédé. Il a produit des leaders et les éléments de sécurité dont il s'est occupé comprennent les sciences économiques et sociales tout aussi bien que la défense nationale.
Je pense que la plupart d'entre vous ont constaté hier soir que nous avons des cadets qui sont intelligents, dévoués et qui veulent servir, pas nécessairement pour devenir de simples pions dans l'infanterie, les blindés, l'artillerie, la marine et l'aviation, mais qui ont une vision plus large grâce à l'éducation que le CMR peut leur offrir.
Vous avez aussi entendu des professeurs expliquer que le CMR est une fenêtre sur une communauté nationale de chercheurs et que c'est un actif national. Vous avez entendu des officiers ayant de longs états de service vous dire que ce qui manque parfois, c'est justement cette vision nationale qui nous permet d'accomplir les tâches que nous pouvons et devons faire pour défendre le Canada.
Je pense que le message que vous devez retenir de l'entretien que vous avez eu avec le commandant et le directeur de l'établissement est que le Canada peut être un chef de file mondial en associant la sécurité des personnes à la sécurité nationale et internationale et que l'éducation professionnelle, pas seulement des Canadiens, mais aussi de tous ceux à l'étranger qui s'occupent de sécurité, est peut-être le meilleur outil pour accomplir cette tâche.
Je pense que cela correspond à notre histoire et à la politique de sécurité nationale du gouvernement actuel. Cela nous permet aussi de tirer profit de notre avantage comparatif en termes d'établissements d'enseignement de calibre mondial et permet de traiter la sécurité publique et la sécurité internationale comme faisant partie du bien public, à l'instar de la santé, quelque chose à quoi les Canadiens peuvent s'identifier. Une telle politique englobe des équipes d'aide à la formation, une réforme du secteur de la sécurité, le soutien des Nations Unies et des programmes internationaux en matière d'éducation dans le domaine de la défense, y compris des programmes menant à des diplômes supérieurs comme ceux qui sont offerts au Collège militaire royal et au Collège des Forces canadiennes.
Je pense que cette politique cadre très bien avec les leçons que Mme Boulden et moi-même avons essayé de rassembler. Je passe maintenant au document intitulé « Leçons tirées des opérations de soutien de la paix ». Pour éviter de vous réciter une litanie de leçons logistiques et tactiques qui vont des particularités de certaines missions jusqu'à des enseignements plus universels, je vais essayer de reformuler légèrement la question pour la poser de la manière suivante : Qu'avons-nous appris sur la question de savoir comment le Canada peut contribuer à la sécurité et à la stabilité grâce aux opérations de soutien de la paix? Je trouve que cela va au cœur de la question stratégique à laquelle Mme Boulden a répondu.
Dans le document, Mme Boulden et moi-même insistons sur les quatre volets distincts de nos efforts visant à appuyer la paix et la stabilité, allant au-delà de ce que l'on appelle les 3D — la défense, la diplomatie et le développement — pour englober les trois premiers volets, à savoir la sécurité, la gouvernance et le développement économique, ainsi que le quatrième pilier, à savoir les dimensions psychologiques et sociales de la réconciliation et de la reconstruction sociales, que l'on pourrait qualifier d'élément culturel.
Cela réfute la vieille expression qui veut que « le maintien de la paix n'est pas un travail pour un soldat, mais seul un soldat peut le faire ». En fait, les opérations modernes de paix et de stabilité ne peuvent plus être réalisées par des soldats, pas plus que l'on peut s'attendre à gagner la guerre en envoyant des scouts au front. La population locale est la cible critique pour remporter la paix. Les étrangers, qu'ils soient en uniforme ou en civil, peuvent aider, mais ils ne peuvent pas s'en charger eux-mêmes. Plus solide est le consentement local à la forme et à l'objet de l'intervention, plus grande est sa légitimité et moins il faut recourir à la coercition. Plus les efforts déployés par les étrangers sont légitimes, moins il faut recourir à la force.
Cette réflexion n'est pas nouvelle. Elle remonte à la naissance des Nations Unies, et même à ses précurseurs, et elle se reflète dans la structure des Nations Unies qui comprend des agences économiques et sociales d'une part, et un conseil de sécurité pour s'occuper de la paix et de la sécurité, d'autre part.
Nous savons que les efforts des tierces parties doivent mettre en équilibre le développement, la sécurité et les 3D qui, comme Mme Boulden l'a dit, sont devenus un slogan pour l'élaboration des politiques occidentales relativement à l'Afghanistan, à l'Irak et au Kosovo. Cependant, le succès nécessite vraiment que l'on mette ensemble toutes ces ressources au niveau communautaire. Nous pouvons avoir de bonnes raisons de nous engager dans des opérations de police prolongées comme notre engagement à Chypre depuis trois décennies ou les opérations policières en Afghanistan, qui ont plus à voir avec le maintien de l'ordre qu'avec l'édification de la paix et de la sécurité. Si nous faisons cela, nous devons faire la distinction entre nos intérêts et les intérêts des parties locales pour ce qui est de bâtir une paix durable au moyen d'un engagement à long terme.
La clé du succès est le travail d'équipe. Sir Marrack Goulding, des Nations Unies, a explicité cette idée il y a plus de dix ans. Il préconisait un organe de l'ONU conjuguant les agences à vocation économique et sociale, peut-être placées sous la direction d'un représentant résident avant une crise. Ensuite, il préconisait la transition vers une mission de l'ONU ou une autre forme de mission internationale sous l'égide d'un représentant spécial disposant de pouvoirs assez étendus pour assurer la coordination une fois que le Conseil de sécurité est saisi de l'affaire. Enfin, en bout de ligne, il préconisait de revenir aux activités axées sur le développement une fois que la stabilité est rétablie.
Quant à savoir si la communauté internationale amorphe peut atteindre un tel niveau de cohérence dans le cadre d'une stratégie, c'est une autre histoire, mais le Canada peut y arriver dans le contexte de régions géographiquement limitées dont nous sommes responsables. Il est possible pour nous d'établir des équipes régionales axées sur le développement qui tirent profit du personnel compétent que pourrait identifier une organisation non gouvernementale comme CANADEM, qui pourrait être rassemblé dans le cadre d'un programme Canada Corps, dont on a proposé la création, des gens qui pourraient être formés par des organisations dirigées par des Canadiens comme le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix ou d'autres.
Ensuite, quand des tensions surgissent, nous pourrions insérer dans ces groupes des équipes peu visibles qui aideraient à assurer la sécurité. Grâce à ces équipes, nous aurions alors un pied dans la porte et nous pourrions à la fois assurer la sécurité de nos civils qui sont déjà sur place, peut-être faire sortir ces civils si les choses tournent mal, et disposer d'une tête de pont pour des activités ultérieures de collecte de renseignements et d'appui en vue de renforcer notre présence en matière de sécurité. Nous pourrions aussi demander aux équipes de sécurité de travailler à la formation et au développement des forces de sécurité locales, policières et militaires, et de s'engager dans la réforme du secteur de la sécurité.
Cette réflexion sur l'ordonnancement des interventions n'est pas nouvelle ni originale, mais on dirait que nous avons perdu de vue les méthodes qui nous permettraient de rassembler ces ressources, en dépit du fait qu'on a créé des organisations comme le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix précisément dans ce but.
C'est bien beau pour les ministères gouvernementaux de discuter de l'instauration de politiques communes à Ottawa. Mais c'est encore mieux, mais toujours pas suffisant, si nous pouvons créer un point de jonction des soldats, des diplomates et des experts en aide à l'étranger, de même que des dirigeants locaux dans la capitale du pays en cause. Quand ces spécialistes sont en mesure de conjuguer des ressources suffisantes pour répondre à des besoins définis localement dans une communauté, alors on a jeté les bases du progrès. Des expériences comme celles du Neighborhood Facilitators Project, qui consistent à placer des gens de l'endroit à la tête des équipes de résolution des problèmes, représentent le genre d'innovation que nous devrions envisager à mon avis en appliquant les leçons de l'expérience.
C'est seulement au niveau de la collectivité que nous pouvons rompre ce cercle vicieux : Le développement nécessite la sécurité, mais la sécurité ne peut pas être assurée à long terme en l'absence de changements fondamentaux sur le plan du développement social et économique équitable.
Je vais m'en tenir là.
Le sénateur Day : La première question que je voudrais vous poser vise à obtenir votre point de vue sur la question de savoir si un examen de la défense et une politique de la défense doivent inclure, dans le cadre du présent débat, tous les divers aspects que vous avez évoqués faisant intervenir la dimension sociale et toutes les autres composantes qui doivent être présentes.
D'où viendra le leadership? Prenons un pays, par exemple Haïti. Envisagez-vous que le Canada puisse aller là-bas et dire : nous prenons l'engagement à long terme d'aider à rebâtir ce pays en déliquescence? Nous pourrions alors fournir tout le nécessaire, depuis les forces armées jusqu'aux policiers, en passant par la formation des juges, la mise en place d'un système juridique et le développement économique. Envisagez-vous que la seule manière de procéder soit qu'un pays se charge de tout cela, ou bien serait-ce un effort conjoint, chaque pays se spécialisant dans un domaine particulier?
Le lcol Last : Un seul pays ne pourrait fournir tout l'éventail de services que vous avez décrits.
Je pense que vous avez posé deux questions distinctes. La première est celle-ci : Quelle doit être la portée de l'examen de la défense, parce que telle est notre compréhension de ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité et la stabilité internationales? La deuxième est celle-ci : Comment pouvons-nous mettre concrètement en application une telle politique?
Je pense qu'un examen de la défense qui se limite à l'armée, à la marine et à l'aviation est en quelque sorte une fraude. Je pense que nous sommes passés à côté de la question. Je ne veux nullement insinuer que les honorables sénateurs commettent une fraude. Toutefois, l'idée que la défense soit uniquement l'affaire des gens en uniforme et que nous devions mettre l'accent strictement sur les services, le ministère de la Défense nationale et les forces armées canadiennes était déjà quelque peu fallacieuse pendant la guerre froide et elle l'est aujourd'hui de façon flagrante.
Un examen de la défense doit aller bien au-delà des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale. Il doit englober tous les aspects de la sécurité des personnes, de la sécurité nationale et de la sécurité internationale précisément comme l'indique l'énoncé de la politique de la sécurité nationale. La défense est une affaire de sécurité nationale et doit donc englober tous ces éléments.
Maintenant, quant à savoir comment on pourrait envisager de mettre en œuvre une telle politique, le Canada n'a pas à s'en charger tout seul. C'est à cela que sert le multilatéralisme. Nous choisissons des domaines où nous avons un avantage comparatif. Voici certaines questions qui se posent dans le cadre d'un examen de la défense : Dans quels domaines avons-nous un avantage comparatif? Où devrions-nous investir pour renforcer nos capacités? En élaborant le concept du Canada Corps, quelles étaient nos attentes au juste?
Pour aller au plus simple, je dirais qu'il y a deux manières de couper le gâteau. On peut le faire verticalement, en nous concentrant, pour utiliser l'exemple de Haïti, sur le développement judiciaire à Haïti, et en laissant d'autres pays s'occuper des forces policières. Si nous faisons cela, il nous faut une certaine sophistication dans les liens entre la mise en place de la police, la réforme judiciaire, les pénitenciers, et cetera. Il peut être nécessaire, dans le cadre de notre politique, de déceler les lacunes et de commencer à bâtir en conséquence afin d'éviter de nous retrouver avec l'espèce de récidive qu'on a constatée à Haïti.
L'autre manière de couper le gâteau est géographiquement. Quand les interventions internationales sont bien concertées, comme ce fut le cas en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan, nous pouvons alors nous attendre à occuper une région et à assurer, à l'intérieur de cette région, l'ensemble des éléments politiques, économiques, sociaux et psychosociaux de la sécurité, en plus du cadre de sécurité proprement dit.
L'avantage d'une répartition régionale, c'est que cela nous donne une base d'expérimentation. Nous pouvons alors comparer une région canadienne à une région de Nouvelle-Zélande ou des États-Unis et voir qu'est-ce qui fonctionne le mieux à chaque endroit. Cela exige une introspection un peu plus poussée. On ne s'attend pas à dépenser autant d'argent que pour le maintien de la paix dans le domaine de la santé publique sans faire un peu de recherche pour savoir qu'est-ce qui fonctionne et qu'est-ce qui ne fonctionne pas. Pourtant, nous faisons remarquablement peu de recherches avant d'engloutir des sommes énormes dans le maintien de la paix. Il n'y a pas de programme d'évaluation très poussé.
Mme Boulden : Pour faire suite à ce que le lieutenant-colonel Last a dit, pour revenir à l'exemple de Haïti, si vous me demandez de concevoir ou de définir un type idéal, nous ne pouvons pas tout faire.
Idéalement, surtout à Haïti parce que c'est dans notre région, ce serait une situation où nous prendrions l'initiative, seuls ou de concert avec d'autres États qui ont des intérêts semblables. En fait, nous avons fait partie d'une sorte de groupe d'amis de Haïti au fil des années et ce groupe est l'endroit tout désigné pour prendre l'initiative dans ce type d'opération. Nous pourrions dire aux États-Unis et aux autres : « Nous avons l'affaire bien en main et nous allons nous charger d'évaluer la situation dans toutes ses dimensions et quand nous aurons besoin d'aide judiciaire, par exemple, nous vous le ferons savoir ».
Nous adopterions alors une approche à long terme et multidimensionnelle, sans nécessairement tout faire nous-mêmes.
L'Afghanistan est un autre exemple qu'on peut donner, simplement parce que nous avons été présents dans ce pays. Nous avons fait du travail extraordinaire là-bas. Je donne cet exemple parce que je pense que sur le plan militaire, par exemple, encore une fois dans une situation idéale, nous devrions être en mesure de soutenir cet effort beaucoup plus longtemps. Nous devrions être capables, dans cinq ans par exemple, si la situation se dégrade, de retourner là-bas; de réduire notre présence à peut-être 500 soldats tout en mettant davantage l'accent sur la police, le judiciaire et d'autres aspects. Cependant, si la situation se détériore, nous devrions pouvoir renforcer notre présence et envoyer plus de soldats. C'est la même chose dans le cas de Haïti.
Cela présuppose la capacité d'avoir une compréhension nuancée de ce qui se passe sur le terrain, grâce aux services du renseignement notamment, et de pouvoir dire qu'il y a des signes précurseurs, d'être capables d'agir avant même qu'on en arrive à ce stade. Encore une fois, si l'on adopte une approche davantage multidimensionnelle, cela dépend de la capacité d'agir de manière efficace sur tous les plans.
Le sénateur Day : Supposons que le Canada soit effectivement un chef de file dans l'une de ces opérations. S'agirait-il d'une coalition de partenaires agissant d'un commun accord? On aurait un certain nombre de pays et l'on dirait : « Allons-y ensemble. Nous serons le chef de file, mais nous voulons que vous donniez votre bénédiction pour que le Canada se charge de ceci ou de cela. »
Supposons que c'est le cas. Qui est alors le principal responsable du point de vue canadien, les forces armées, les militaires, parce qu'ils sont là en premier? Les militaires déterminent-ils que nous n'avons plus besoin de soldats armés aussi nombreux, que nous pouvons maintenant amorcer une opération policière en quelque sorte? C'est une sorte de transition. Vous ne pouvez pas travailler de manière cloisonnée. Quelqu'un doit prendre les commandes et déterminer à quel moment il faut ramener des soldats plus nombreux.
Comme vous êtes tous les deux au CMR, est-ce que vous enseignez aux élèves du CMR à comprendre — je sais qu'ils se dirigent principalement vers une carrière militaire — les aspects multidimensionnels de ces situations dans lesquelles nous serons probablement plongés?
Le lcol Last : Il y a passablement d'expérience, en particulier chez les Britanniques et les Américains, relativement à l'approche d'équipes nationales dans lesquelles les États-Unis appliquent le modèle de l'ambassadeur, les agences relevant toutes d'une autorité unique. Nous pourrions adopter ce modèle.
La clé, à mon avis, c'est d'avoir des gens qui, dès le départ, ont appris comment toutes les pièces de l'échiquier se meuvent. Pour ce qui est du rôle du CMR, il serait peut-être utile de sortir les cadets de leur programme d'études de premier cycle et de les envoyer faire des stages d'été dans d'autres ministères gouvernementaux, en particulier le ministère des Affaires étrangères, le SCRS et l'ACDI, afin de former des gens polyvalents et capables d'assumer ces nouvelles missions de sécurité.
Je pense qu'il serait aussi utile de considérer que nos diplômés sont prêts à travailler pendant leur période de service obligatoire dans n'importe quel ministère du gouvernement. Il n'est certainement pas logique de consacrer trois ans et demi à former des jeunes chefs de premier ordre, pour qu'ils se brisent ensuite un genou dans un accident de karaté et se retrouvent sur le marché de la population civile, alors que nous pourrions les employer de façon parfaitement satisfaisante dans presque n'importe quel ministère gouvernemental autre que le ministère de la Défense nationale.
L'idée selon laquelle ce sont des leaders prêts à servir le Canada et que nous avons l'obligation d'utiliser leurs bons offices dans l'intérêt supérieur du Canada aiderait à résoudre ce problème qui est de trouver le bon assemblage de chefs pour mener des opérations complexes. La question n'est pas de savoir quelle agence est le chef de file. La question est de savoir quelles personnes dirigent l'opération et quel est leur bagage respectif.
Le sénateur Day : Pour en terminer avec votre observation sur les élèves du CMR qui pourraient acquérir de l'expérience dans d'autres organismes gouvernementaux, avez-vous envisagé de former également au collège des gens qui envisagent de faire carrière dans la fonction publique, au ministère des Affaires étrangères ou dans d'autres ministères gouvernementaux?
Le lcol Last : Absolument. Le directeur a actuellement une initiative visant à créer un poste d'universitaire qui serait un haut fonctionnaire d'un autre ministère gouvernemental. Cela commencerait au sommet de la pyramide, rassemblant ainsi les compétences universitaires et de la fonction publique issues d'autres ministères gouvernementaux, rendant le CMR plus visible aux cadres supérieurs dans d'autres domaines.
Il serait tout à fait logique de permettre à des fonctionnaires qui sont cadres intermédiaires dans d'autres ministères gouvernementaux de faire des études de deuxième cycle au CMR et peut-être aussi au Collège des Forces canadiennes. Il s'agit simplement de trouver les bonnes occasions. Nous avons déjà beaucoup de fonctionnaires au programme des études sur la guerre et je pense aussi au BCP. Je crois que nous avons au moins une demi-douzaine de diplômés du CMR au programme des études sur la guerre, et peut-être même beaucoup plus que cela.
Mme Boulden : Sur la question des décisions compartimentées et de la manière de fonctionner au niveau national, c'est une question difficile, mais importante. C'est pourquoi, premièrement, je soutiens que nous devons avoir une politique nationale de la sécurité de laquelle découlent la politique de défense et la politique étrangère. Je suis entièrement d'accord pour dire que nous ne pouvons pas compartimenter les décisions. Il doit y avoir une certaine coordination qui n'existe pas actuellement dans ces dossiers.
C'est pourquoi, en dépit de toute la discussion qui se poursuit sur les 3D, je demeure sceptique parce que je pense que cela exige un certain changement d'attitude dont je n'ai pas eu la preuve jusqu'à maintenant chez des gens dans les divers ministères et parmi les décideurs nationaux eux-mêmes.
Sur la question de ce que l'on a appelé une coalition de partenaires et du mandat dans le cadre duquel nous fonctionnerions, je pense que nous sommes toujours, en dépit de l'Irak, dans une situation où nous avons besoin d'un mandat de l'ONU pour l'intervention initiale, en particulier pour la partie de l'intervention qui repose fortement sur la capacité militaire. Dans le document et dans notre discussion, nous discutons des autres aspects de l'opération, les aspects multidimensionnels, qui exigeraient moins d'appui militaire dans le sens traditionnel du terme.
À mesure que l'opération se poursuit, on pourrait donc envisager un point à partir duquel l'intervention officielle prend fin. Cependant, le Canada pourrait toujours prendre la tête de groupes d'État semblablement disposés, si l'on veut appeler cela ainsi, ou de pays amis de l'État en question. Nous pourrions établir des liens dans les institutions financières, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, et le Programme des Nations Unies pour le développement, par exemple, pour ce qui est du développement. Une fois qu'on atteint cette étape du processus, nous n'avons pas nécessairement besoin de faire partie d'une coalition de partenaires, il n'est plus nécessaire d'être dans une situation autorisée internationalement. Nous pouvons alors faire jouer nos autres relations bilatérales avec des pays en demandant à ceux-ci d'assumer un rôle spécifique ou bien exercer des pressions pour qu'ils recommencent à jouer un certain rôle, sur une base bilatérale, et non plus dans un cadre international.
Est-ce que ce que je dis est logique?
Le sénateur Day : Oui, ça l'est. J'ai terminé, mais je me demandais si vous étiez d'accord avec le lieutenant-colonel Last au sujet de l'éducation au CMR?
Mme Boulden : Oui, je le suis. C'est une question intéressante, quand vous demandez si on leur enseigne à penser de cette manière. Pour les élèves qui suivent mon cours de politique, oui. Cependant, de façon plus générale, le lieutenant-colonel Last évoquait notre approche globale en la matière.
Le sénateur Munson : J'aurais quelques brèves questions. Nous en sommes au premier jour d'un très long voyage qui nous permettra de jeter les bases d'une bonne compréhension du dossier.
J'ai été frappé par votre expression, quand vous avez dit que notre examen était une « fraude ». Je suis un journaliste de la vieille école. Et je m'interroge : Êtes-vous en train de dire que pour que notre examen ait une certaine valeur, il faut avoir un point de vue plus vaste pour comprendre ce dont vous parlez, les 3D? Je m'intéresse beaucoup à ce que vous avez dit concernant votre argument sur une focalisation ou un recentrage.
Le lcol Last : Je ne veux certainement pas vous dire comment mener vos affaires. Cependant, il me semble que si nous voulons procéder à un examen de la défense et si cet examen de la défense met l'accent sur la manière d'obtenir une plus grande sécurité, et si la sécurité a déjà été définie en termes de sécurité des personnes, de la sécurité nationale et de la sécurité internationale — alors les choix que Mme Boulden a évoqués au début de son exposé, la question de savoir ce que nous essayons vraiment de réaliser par rapport à notre position en matière de sécurité, de notre politique, de notre engagement — tout cela pose en fin de compte des questions assez fondamentales qui ont fait surface en premier dans le sillage immédiat des attentats du 11 septembre, où l'on mettait dans la balance les causes profondes et les actions punitives à prendre.
Pour y voir clair dans ces questions, vous devez voir plus loin que les forces armées et le ministère de la Défense nationale. Nous n'avons pas la réponse à toutes les questions. La sécurité va bien au-delà de ce que nous pouvons réaliser au ministère de la Défense.
Le président : Sans aucun doute, quelqu'un doit faire ce que vous proposez. Mais vous ne prétendez certainement pas que cela doit faire partie de l'examen de la défense. En effet, il faut pour cela prendre en compte d'autres questions, mais si vous voulez que nous fassions un examen de l'ensemble du gouvernement, vous n'êtes pas au bon endroit.
Le lcol Last : Je pense que dans le cadre d'un examen de la défense, il faut bien comprendre ce que l'on entend par sécurité. Ainsi, dans le document, on peut faire deux choix assez clairs. On peut décider que notre défense et notre sécurité dépendent fondamentalement de notre relation avec les États-Unis et que pour préserver cette relation, nous devons être de bons soldats de l'empire. Si c'est notre choix, il nous faut alors probablement nous concentrer davantage sur des solutions capitalistiques à nos problèmes de défense. Nous voudrons probablement investir dans la défense antimissile même si nous savons qu'elle ne fonctionne pas. Nous voudrons probablement participer à certaines expéditions américaines, même si nous avons des réserves quant à leur utilité pour la paix et la sécurité internationales.
En revanche, si nous estimons que nos intérêts fondamentaux de sécurité nationale sont mieux servis par un ordre international axé sur le respect de règles et de lois et sur le multilatéralisme — et je vais laisser Mme Boulden décrire ces deux concepts, ce qu'elle saura faire avec plus d'éloquence que moi — alors il faut faire d'autres types de choix en matière de défense.
Dans un cas comme dans l'autre, lorsqu'il s'agit de décider si l'argent de la défense doit être affecté au ministère de la Défense nationale, à la sécurité des frontières ou à la défense du territoire, on va bien au-delà des questions se rapportant simplement à l'armée de terre, à la marine et aux forces aériennes. Je pense que cela doit aussi faire partie d'un examen de la défense.
Le président : Nous ne sommes vraiment pas d'accord, mais je comprends votre propos.
Le sénateur Munson : J'aimerais poser une question complémentaire. On a cité l'exemple de Haïti. C'est quelque chose que je devrais peut-être savoir, mais que j'ignore. Quand on va dans un pays comme Haïti, en envoyant la police militaire pour faire respecter l'ordre, y a-t-il au sein de notre gouvernement et de nos ministères des mécanismes qui déclenchent automatiquement une consultation? Autrement dit, on pense à la finalité plutôt qu'à ce qu'on fait aujourd'hui, en termes de stabilité et d'attention à long terme.
Je sais que je m'écarte des questions de défense, et des 3D, mais votre argument sur une focalisation m'a frappé.
Mme Boulden : Je vais vous décrire ce qui doit normalement se produire, et qui se produit probablement très rarement. En pratique, dans ces situations, l'ONU, par le biais du Conseil de sécurité, fixe un mandat dont la mise en œuvre est confiée au Secrétariat. Le Secrétariat essaie ensuite de trouver des pays qui peuvent envoyer des troupes, comme le Canada, afin qu'ils envoient leurs soldats, leurs civils, leur police militaire, et cetera. Tout dépend du mandat et de la situation en cause. Ensuite, c'est ce mandat de l'ONU qui devient dans les faits l'ensemble d'objectifs à atteindre.
Pour répondre à votre question, est-ce quelque chose qui déclenche un examen à long terme : oui et non. Oui, parce que le mandat de l'ONU est tourné vers l'avenir. Quand on est sur le terrain, sous l'égide des Nations Unies, et qu'on nous dit qu'à tel ou tel moment le mandat est terminé, il faut alors partir à la fin du mandat.
À l'interne, au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense nationale, si j'ai bien compris, nous travaillons en fonction de ce mandat, ce qui peut être différent de nos propres politiques relatives à une situation comme Haïti. Nous pouvons avoir un processus parallèle. Il peut aussi ne pas y en avoir et c'est alors notre seul moyen d'action.
Le sénateur Cordy : Si nous faisons un examen de la défense, nous devons nous pencher sur l'éducation de nos militaires. Comme vous êtes tous deux du Collège militaire royal, je vous pose cette question : Y a-t-il actuellement suffisamment de financement pour le Collège militaire royal qui, comme vous l'affirmez et comme nous le croyons, est un établissement national?
J'aimerais aussi parler du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix. Le financement de ce centre en formation pour le maintien de la paix est-il suffisant pour que nous fassions un bon travail de formation de nos militaires? D'ailleurs, vous avez parlé d'élargir son mandat, pour qu'on n'y traite plus uniquement de défense et de sécurité, mais aussi de ce qui intéresse le SCRS et les Affaires étrangères. Le cas échéant, s'il n'y a plus que des gens de la Défense nationale qui y sont formés, le financement suffira-t-il?
Le lcol Last : Je crois qu'hier, le commandant vous a dit qu'il avait suffisamment d'argent pour faire ce qu'on lui a demandé. J'enseigne là-bas depuis cinq ans. Le nombre d'élèves par classe augmente. Les ressources disponibles pour les principaux départements, soit celui de politique et d'histoire, sont de plus en plus exploitées. Et à titre de registraire, je peux vous dire qu'on arrive au point critique, dans certaines classes. Il est de plus en plus difficile de tout faire en même temps. Il est certain qu'il serait utile d'avoir plus d'argent, mais on peut en dire autant de n'importe quelle activité. On peut toujours dépenser plus d'argent.
Si vous donniez plus d'argent au Collège militaire royal ou au Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix, ou à tout autre organisme, quelles seraient vos attentes, étant donné que ces organismes arrivent maintenant à joindre les deux bouts?
La première réponse, ce serait un accroissement de la collaboration interministérielle, et plus de places pour des étudiants d'autres ministères. Essentiellement, notre mandat actuel ne dit rien des autres ministères, mais on pourrait trouver dans les autres ministères des fonds permettant d'élargir les possibilités de formation pour leurs employés, de la même façon que le MDN assure le financement de la formation de ses officiers. Voilà une source possible de fonds à l'extérieur du MDN.
Deuxièmement, il y a le plan international. Nous avons actuellement des échanges avec des écoles militaires, soit la Air Force Academy et West Point, et nous en conclurons bientôt avec la U.S. Naval Academy d'Annapolis. Nous avons déjà envoyé des cadets à la Australian Defence Force Academy. Mais il me semble qu'il s'agit là d'écoles militaires très proches de nous. Pour bien comprendre et connaître les problèmes du monde de demain, il serait particulièrement avantageux d'envoyer nos cadets recevoir une formation à Abuja, au Nigeria ou à Quetta, au Pakistan.
Cela peut vouloir dire le financement d'une année supplémentaire de la formation d'un cadet, mais cette formation serait exceptionnelle. Si nous choisissions les écoles et collèges militaires de pays qui seront nos principaux alliés ou les principales sources de problèmes des 20 prochaines années de la carrière de ces cadets, en ciblant par exemple la Chine, l'Indonésie, le Nigeria et le Brésil, et si notre recrutement de cadets tenait compte des compétences linguistiques des candidats, on pourrait agir tout de suite, sans que cela coûte très cher, mais cette modeste mesure supplémentaire accroîtrait de beaucoup notre capacité dans nos relations avec le monde qui nous entoure.
Les contacts internationaux sont le deuxième volet.
Dans le cadre du troisième volet, avec un peu plus d'argent, on accroîtrait le contact des cadets avec les universités civiles, et ceux des étudiants civils avec notre société militaire. Dans vos audiences précédentes, on vous a peut-être parlé du problème de visibilité que nous avons. On ne nous voit plus autant dans les collectivités qu'autrefois, quand chaque ville avait son manège militaire.
Si on pouvait prendre un cadet de l'Alberta unilingue anglais et l'envoyer pour un semestre, ou une année, à l'Université Laval dans le cadre de sa formation au CMR, nous obtiendrions non seulement quelqu'un qui serait plus bilingue, mais qui aurait aussi un plus grand respect et une plus grande affection pour une autre partie du pays. Ce genre d'échange pourrait se faire dans le cadre du mandat du CMR. De même, des cadets du PFOR, le Programme de formation des officiers de la force régulière, sont dans des universités civiles. Une partie de leur contrat pourrait stipuler qu'ils passent un semestre au CMR.
Une partie de ces échanges entre le CMR et les universités civiles pourrait se faire au niveau du premier cycle universitaire. Mais plus encore, à mon avis, il serait très avantageux que des étudiants diplômés et des officiers à mi-chemin de leur carrière, au sein du CMR ou d'autres ministères, soient envoyés au Forum sur la sécurité et la défense, le FSD, et que des chaires leur soient confiées dans des universités civiles. Pour cela, il faudrait un peu plus d'argent, mais pas beaucoup plus, et cela pourrait se faire dans le cadre du Forum sur la sécurité et la défense.
Je m'arrête ici. Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Cordy : Oui. Ce n'est pas que je sois content que la taille des classes augmente, mais je suis content de vous entendre dire que c'est un problème, et puisque tout va bien, il faudra alors le mettre dans notre rapport. Si vous nous dites que la taille des classes augmente sans que les ressources augmentent, c'est ce que nous dirons dans notre rapport. Si personne ne nous en parle, alors nous ne le savons pas.
Si des fonds supplémentaires sont accordés au CMR et au Centre Pearson, devraient-ils être ciblés? Est-ce que le financement du CMR est ciblé par le gouvernement, ou est-ce qu'il vient du MDN, qui vous le reverse?
Le lcol Last : Je ne suis pas le mieux placé pour vous répondre, mais je dirais que toutes les organisations résistent au changement et tendent à préserver ce qui existe. On ne se tromperait pas en assortissant le financement d'attentes explicites.
Le sénateur Banks : Colonel, je vais commencer par dire que j'ai été si abasourdi par ce que j'ai cru vous entendre dire, que je vais vous demander de me le confirmer, parce qu'il n'est pas possible que je vous aie entendu dire cela.
C'était au sujet de la mesure dans laquelle la sécurité nationale dépend, comme on le sait, de nos bonnes relations avec les États-Unis. Je crois vous avoir entendu dire que même si nous ne sommes pas en faveur d'une force expéditionnaire, et que nous la croyons inopportune, nous devrions tout de même, d'un point de vue pratique, y participer. Est-ce ce que vous avez dit?
Le lcol Last : J'ai dit que cela pourrait être un de nos choix. Nous pouvons jouer au bon soldat de l'empire compte tenu des bénéfices accessoires, mais ce genre de calcul fait partie, à mon avis, de l'histoire et du patrimoine militaires canadiens. Parfois, nous sommes allés tout de go dans des conflits comme la guerre des Boers et au Soudan et dans d'autres cas, nous avons fait preuve de réticence et reconnu qu'il y avait des arguments à la fois pour et contre ces conflits.
Ce sont des choix nationaux. Ces choix ne sont pas faits par les militaires. Ce sont des choix de politique, des choix gouvernementaux et c'est le genre de choses sur lesquelles doit sérieusement se pencher le comité, pour dispenser ses conseils.
Le sénateur Banks : Historiquement, même dans des cas qui remontent aussi loin que la guerre des Boers, le Soudan et Khartoum, où nous étions aussi, il est facile de voir si nous avions raison ou pas d'y participer, avec le recul, on ne peut se tromper. Mais à l'époque, et quelle qu'en soit la raison, les Canadiens se sont dit qu'il fallait y aller, non?
Le lcol Last : Pour certains Canadiens, oui, pour d'autres, non. L'un des facteurs fondamentaux pour la sécurité canadienne, c'est l'incidence de ces opérations à l'étranger sur le consensus politique national et sur la volonté des francophones et des anglophones de vivre ensemble, ainsi que sur celle d'autres groupes de vivre ensemble.
Lorsque des guerres au Sri Lanka touchent la communauté tamoule de Toronto, ou que des guerres dans la Corne de l'Afrique touchent la communauté éthiopienne, c'est une considération qui est prise en compte dans notre décision d'envoyer des troupes canadiennes ainsi que dans le choix des opérations où elles participent.
Le sénateur Banks : Il ne s'agit pas toujours d'envoi de troupes, puisque la principale contribution canadienne à la marche sur Khartoum, c'était l'envoi de canoteurs pour les portages jusqu'en haut de la montagne.
Vous avez aussi dit que le CMR et ses activités sont conformes à la politique de sécurité nationale du gouvernement. Avez-vous copie de cette politique?
Le lcol Last : La dernière politique sur la sécurité nationale a été publiée en avril dernier, je crois.
Le sénateur Banks : Je voulais m'assurer de savoir de quoi vous parliez.
Madame Boulden, vous étiez heureuse d'affirmer qu'il n'y avait pas d'écart entre nos engagements et nos ressources. Je crois le contraire, puisque nous ne pourrions pas soutenir de nouveau l'envoi de 800 personnes en Afghanistan. Même si on nous a demandé une rotation normale, c'était impossible et il nous a fallu dire que malheureusement, c'était impossible. Je pense que notre capacité est insuffisante pour certains engagements. L'engagement n'a pas été pris, mais nous devrions pouvoir le prendre.
Ne jugez-vous pas important que nous puissions faire ce genre de choses? Si je vous ai bien comprise, vous avez rejeté l'argument du siège à la table. D'après notre expérience limitée, au contraire, il est important de participer non seulement pour les questions de défense, mais aussi de commerce et pour notre statut, dans tous les sens du terme. Il ne faut pas être considérés comme des profiteurs. Ne pensez-vous pas que c'est là un aspect important de l'élaboration de notre politique de défense nationale?
Mme Boulden : J'ai dû mal m'exprimer. Je crois absolument qu'il y a un écart entre nos engagements et les ressources. Mon propos n'était peut-être pas clair quand j'ai dit que le deuxième écart sur lequel nous devions nous consacrer, c'est celui entre les engagements et la stratégie au sens large; une vision du monde à partir de laquelle découlent les décisions relatives aux engagements et aux ressources.
Absolument, je crois qu'il y a un écart. Ce que j'essayais de dire, c'est qu'il y en a un autre ailleurs, et qui se rapporte, en fait, à la question du siège à la table. Je pense que cela a son importance, mais qu'il ne faut pas que ce soit notre point de départ.
Une partie de mes arguments se rapportait au fait qu'on s'attache à ces choses, et qu'on en fait des objectifs : Le multilatéralisme, le siège à la table. Je pense que nos objectifs doivent avoir plus de substance. Le siège à la table et le reste font aussi partie de l'atteinte des objectifs, mais ne sont pas des fins en soi. Du moins, ils ne devraient pas l'être, à mon avis.
Le sénateur Forrestall : J'aimerais vous parler un peu du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix. Vous savez peut-être, lieutenant-colonel Last, que c'est là que j'ai grandi. C'est dans cet immeuble, dans ce grenier, que je jouais.
Pouvez-vous me faire une mise à jour? On me dit que le Centre va déménager. Sait-on déjà où? A-t-on trouvé l'endroit?
Le lcol Last : Je pense qu'il serait préférable d'adresser cette question à Mme Sandra Dunsmore, présidente du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix.
Le sénateur Forrestall : Elle est à 1 800 milles d'ici. Vous, vous êtes avec nous.
Le lcol Last : Le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix a des bureaux à Ottawa maintenant et leur principal centre intellectuel, qui regroupe trois titulaires de doctorat et du personnel militaire et civil, se trouve à Ottawa, la plupart du temps, sauf lorsque ces personnes offrent des cours à Cornwallis, sous forme de programmes intensifs.
Les salles de classe et les résidences de Cornwallis seront confiées à une société privée qui gérera les installations de conférence et les logements, pour ces cours. Les causes sont surtout reliées au financement et au fait que ni le ministère de la Défense nationale, ni Affaires étrangères Canada n'ont de mandat pour la gestion de programmes de soutien économique régional, ce qu'est essentiellement le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix, en fait, à Cornwallis.
Outre le bureau d'Ottawa et les salles de classe et la bibliothèque de Cornwallis, il y a un bureau régional à Montréal, qui partage des locaux avec l'École nationale d'administration publique, l'ÉNAP.
Le sénateur Forrestall : Est-ce là que le Centre se retrouvera?
Le lcol Last : Je crois bien que le Centre et le bureau du président se trouveront tous les deux à l'Université Carleton, là où ils sont déjà situés.
Le plus important, à mon avis, c'est que le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix doit être et sera dorénavant moins un centre offrant de la formation à des groupes qu'un centre de mobilisation des ressources pour les interventions régionales.
Il ne pourra toutefois pas faire cela seul et il existe un conflit fondamental entre le fait que le Centre est, d'une part, une ONG gouvernementale et, d'autre part, une organisation non gouvernementale qui doit rivaliser avec toutes les autres ONG pour obtenir des contrats publics.
Le surintendant Doug Coates, de la GRC, Susan Brown, la directrice des programmes de consolidation de la paix, et quatre officiers en uniforme sont affectés au Centre Pearson pour le maintien de la paix, mais ils ne peuvent être tenus informés de ce que font leurs ministères car cela les avantagerait par rapport aux autres ONG.
Ce n'est pas utiliser de façon sensée des ressources gouvernementales à l'appui de la politique gouvernementale, ce pourquoi on a créé le Centre Pearson.
En fait, les ministères compétents, le ministère de la Défense nationale, Affaires étrangères Canada et l'ACDI, doivent déterminer ce qu'ils attendent du Centre Pearson et comment en faire un mobilisateur, une organisation qui rassemble les ressources, sous l'égide de Corps Canada, par exemple.
Cela faisait partie du programme libéral de la dernière campagne électorale et cette tâche avait d'abord été confiée au ministère des Affaires étrangères. On m'a dit que Corps Canada relève dorénavant de l'ACDI. Il reste encore à déterminer si l'on se fondera sur la jeunesse ou l'expérience.
Dans mes notes d'allocution, j'ai parlé de transition. Nous savons que Cuba constituera un problème. Que faisons-nous actuellement à Cuba pour préparer le terrain à l'inévitable transition? Que faisons-nous comme prévention? Avec des équipes constituées de membres bien préparés, ayant les compétences linguistiques et les connaissances culturelles, ayant été formés au travail en équipe et pouvant compter sur l'aide d'une petite équipe de la deuxième force opérationnelle interarmées pour la sécurité et un éventuel retrait d'urgence, nous pourrions envoyer une équipe régionale de 20 à 40 personnes à Cuba dès aujourd'hui. Cette équipe pourrait avoir de l'aide en matière de sécurité si la situation s'aggravait. Elle nous donnerait une présence sur le terrain qui pourrait ensuite se transformer en équipe internationale d'assistance à la sécurité.
Réunir ceux qui ont les connaissances spécialisées nécessaires permet de prévenir la violence et de préparer le terrain en vue de l'exécution d'une opération de stabilisation et d'aide à la sécurité, et le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix pourrait très bien s'en charger.
Cela doit se faire conformément à une politique gouvernementale claire et à un mandat bien clair pour les jeunes qui seront envoyés. Cela ne peut se faire de façon improvisée et à distance. Cela ne peut se faire sans prendre en compte les objectifs de la Défense nationale, du ministère des Affaires étrangères, et de l'ACDI et des autres ministères. Cette politique doit être élaborée de concert. C'est ce que ma collègue canadienne qui travaille au Royaume-Uni, Ann Fitz-Gerald, appelle le gouvernement décloisonné. Nous devons commencer par combiner notre politique de défense à d'autres outils qui contribueront à la prévention et à la stabilisation.
Le sénateur Forrestall : Je vous remercie de votre réponse détaillée. Est-ce que cela entraînera un changement général pour le Centre Pearson? Deviendra-t-il un établissement universitaire relevant d'un ministère fédéral? Si c'est ce qui est prévu, je crois que c'est une bonne idée. C'est ce que je souhaite. J'aurais bien aimé que cela se fasse à l'Université Acadia.
Le lcol Last : Depuis que je suis au CMR, je m'efforce d'inclure le personnel du Centre Pearson, avec lequel j'ai collaboré avant d'être affecté au CMR, au cercle intellectuel du collège. Comme établissement de formation, il est peut être beaucoup plus efficace s'il est à la fine pointe de la connaissance, de la recherche et du savoir sur la maîtrise de la violence. C'est le point de rassemblement.
Si en parlant d'établissement universitaire, vous envisagiez qu'il joue un rôle de recherche, de rédaction et de publication en outre de son rôle d'information, oui, absolument. J'estime que c'est ce qu'il faut faire.
Le sénateur Forrestall : Si j'étais allé plus loin, j'aurais pu vous parler de la possibilité d'offrir des diplômes à différents niveaux. Pourquoi a-t-on rejeté l'idée d'associer le CMR et l'Université Queen's?
Le lcol Last : Pardon?
Le sénateur Forrestall : Pourquoi le Collège militaire royal n'a-t-il pas servi de base? Pourquoi n'a-t-on pas cru bon d'inclure le Centre Pearson au CMR? On devait avoir une raison. Autrement dit, pourquoi a-t-on décidé de le situer au Québec?
Le lcol Last : À l'heure actuelle, les cours offerts par le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix sont reconnus par le CMR. Nos officiers qui suivent des cours au CPMP obtiennent des crédits reconnus pour l'obtention d'un diplôme du CMR.
Nous avons une relation semblable avec le bureau régional à Montréal. D'ailleurs, je donnerai un cours de formation au bureau régional de Montréal et au Mali en décembre. J'enseignerai à neuf agents de police supérieurs provenant de neuf pays francophones d'Afrique. Il s'agit d'un cours de formation de formateurs qui ne donne pas de crédit universitaire.
Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Forrestall : Oui. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet car ce n'est probablement d'un intérêt que pour moi, mais cela a quand même une incidence, du point de vue éducatif, sur les conseils que nous considérerons pertinents dans le cadre de cette étude. Il est dommage que vous ayez dû déménager le Centre; il semble que le développement économique régional ne soit plus un objectif du gouvernement.
Le président : Nous espérons que ce n'est pas l'un des objectifs du ministère de la Défense nationale.
Le sénateur Forrestall : Je n'ai pas dit cela, j'ai parlé des objectifs du gouvernement.
Je comprends. Je vous souhaite bonne chance. Nous vous savons gré de tout ce que vous pouvez faire pour rehausser la crédibilité du Centre et continuer d'attirer des étudiants car cela ne peut que contribuer à améliorer les relations entre les divers pays et, du coup, l'état du monde. Ne relâchez pas vos efforts.
Comme l'a dit Ed, colonel, vous êtes un type formidable et vous faites de l'excellent travail.
Le sénateur Day : Madame Boulden, nous avons parlé des divers éléments d'une équipe de sécurité. Le lieutenant-colonel Last vient de nous parler du concept de Corps Canada et nous pourrions peut-être exercer une certaine influence sur l'élaboration de son mandat. Avez-vous réfléchi au rôle que pourrait jouer Corps Canada dans le développement de la sécurité internationale dont nous parlions plus tôt?
Mme Boulden : Je crois qu'il pourrait constituer un outil très utile. D'après mon expérience auprès des étudiants, une telle entreprise offre des perspectives fantastiques et l'occasion idéale de s'engager. Ils sont très nombreux à vouloir travailler sur le terrain mais les débouchés sont peu nombreux.
Vous avez aussi raison de dire que Corps Canada pourrait s'inscrire dans un cadre plus large, surtout à plus long terme, après des conflits, où il pourrait contribuer à l'édification d'institutions et à la surveillance d'élections. Corps Canada pourrait certainement jouer un rôle important à ce chapitre.
Au CMR, on a un point de vue bien particulier. On y trouve beaucoup d'étudiants qui sont déjà prêts à prendre un tel engagement, mais il y en a bien d'autres dans des universités comme Queen's qui n'hésiteraient pas à saisir une telle occasion qu'offrent bien d'autres pays mais pas le nôtre. Il serait bon de permettre aux jeunes d'aller travailler sur le terrain outre-mer pendant deux ou trois ans. C'est en effet une lacune.
Le sénateur Day : Je crois savoir que l'adhésion à ce programme ne sera pas limitée aux jeunes mais qu'on acceptera aussi ceux qui sont entre deux emplois ou qui veulent consacrer un an de leur carrière ou de leur formation au bénévolat.
Mme Boulden : En effet, c'est ce que je crois savoir aussi. Pour ma part, j'estime très important qu'on donne la priorité aux étudiants. C'est particulièrement profitable pour eux. Ils apportent leur contribution, mais acquièrent des connaissances et des compétences qu'ils peuvent mettre à profit au Canada à leur retour.
Le sénateur Cordy : Le Canada a-t-il bien défini ce que sont ses intérêts nationaux? Madame Boulden, un peu plus tôt, vous avez dit que les Canadiens ou le gouvernement sont contre le terrorisme mais, en fait, nous n'avons pas de politique sur le terrorisme ou de politique antiterrorisme. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur notre politique ou l'absence de politique, ce que nous approuvons, ce que nous désapprouvons ou ce que constituent les intérêts canadiens.
Mme Boulden : De façon générale ou en ce qui a trait au terrorisme?
Le sénateur Cordy : De façon générale.
Mme Boulden : N'importe qui à qui vous poserez la question vous énumérera nos intérêts nationaux. Sur une liste de 10, plus ou moins tout le monde, selon la personne à qui vous vous adressez, s'entendra sur sept ou huit de ces intérêts. Toutefois, notre pays, notre gouvernement n'a jamais consacré le temps et les efforts nécessaires à l'élaboration d'une véritable politique, certainement pas depuis la fin de la guerre froide. Or, c'est nécessaire, car l'environnement de sécurité dans lequel nous vivons actuellement soulève des questions qui restent sans réponse. Les questions relatives au territoire et à la régionalité revêtent une plus grande importance que dans le passé. Nous n'avons pas encore appris à envisager nos intérêts dans un cadre régional, par exemple. Et ce n'est là qu'un exemple.
Qu'en est-il de l'Amérique du Nord comme région et, de façon plus large, des liens qui nous unissent à l'Amérique du Sud? Avons-nous des intérêts nationaux sur ce continent et, dans l'affirmative, comment les défendre? Il existe aussi, je crois, une réticence traditionnelle chez les décideurs canadiens à voir le Mexique comme un allié naturel. Si nous définissions nos intérêts nationaux plus précisément, nous constaterions probablement que le Mexique est un allié naturel ou, du moins, que dans certaines situations, il est dans notre intérêt de collaborer plus efficacement avec lui.
Il y a bien d'autres exemples de ce genre dans le dossier du terrorisme. C'est un problème délicat non seulement pour nous, mais pour tout le monde. Sur la scène internationale, on tente depuis des années de définir le terrorisme, de définir ce qui est légitime dans la lutte antiterrorisme. Il n'y a pas de réponse définitive car chaque situation est différente. Surtout sur la scène internationale, chacun a son point de vue sur ce qui est acceptable. On a eu du mal à définir le terrorisme au niveau international notamment parce que certains pays estiment que, dans certaines situations, quand c'est la seule option possible, dans les cas de répression grave, dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, pour déclencher la décolonisation, le terrorisme est acceptable. Celui qui est un terroriste aux yeux de certains est un combattant de la liberté pour d'autres.
Sans faire abstraction des intérêts internationaux, si notre politique était mieux articulée, si nous tentions de définir notre place dans le monde, nous pourrions, à partir de ce point de départ, élaborer un ensemble d'objectifs; c'est la façon de faire que je préconiserais, mais je sais qu'elle ne plaît pas à tous. Cette méthode s'apparente davantage à la détermination fondée sur la menace, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Certains croient qu'il y a d'autres méthodes.
Le sénateur Cordy : Cela m'apparaît nécessaire. Lieutenant-colonel Last, vous avez dit plus tôt que cela ne devait pas se faire seulement du point de vue militaire, qu'il fallait adopter une optique pangouvernementale.
Le sénateur Banks : Étant titulaire d'un doctorat et colonel, vous avez une expérience objective des attitudes des jeunes hommes et des jeunes femmes qui fréquentent le CMR.
Quand vous avez parlé un peu plus tôt des conflits antérieurs où le Canada s'est distingué, vous avez souligné, et je l'ignorais, que le Canada n'était pas préparé à participer à ces conflits. Nous avons dû faire une entrée accélérée après le fait.
Ceux qui ont participé à ces conflits pour quelque raison que ce soit étaient toujours préparés, désireux et même impatients de combattre pour défendre les croyances auxquelles tous souscrivaient et que j'appellerai, aux fins de ma question, l'intérêt national. Qu'ils aient eu tort ou raison importe peu; qu'on ait conclu par la suite qu'ils avaient eu tort ou raison importe peu. À l'époque, je présume que ceux qui arrivaient au CMR le faisaient sachant qu'ils joignaient les rangs d'une organisation militaire dont l'un des rôles est le combat.
Les étudiants que vous accueillez maintenant ont-ils la même attitude? Sont-ils encore disposés à aller au combat pour défendre ce qu'ils considèrent comme l'intérêt national?
Le lcol Last : D'emblée, je vous répondrai oui, mais j'apporterai certains bémols.
J'enseigne l'éducation civique, la vie sociale et la vie politique canadiennes depuis cinq ans à tous les étudiants anglophones en arts de première année. Chaque année, je leur demande de me dire ce qui les motive, ce qui les intéresse, et pourquoi ils sont au CMR. Nous tenons des ateliers et aussi des cours en groupes plus nombreux. Je dirais que, d'après les réponses que me donnent ces cadets de première année, on est généralement enthousiaste à l'idée de servir le public, mais aussi incertain devant l'idée de consacrer de nombreuses années aux forces armées.
Au fur et à mesure qu'ils en apprennent sur les forces armées, certains sont plus enthousiastes et d'autres moins. Toutefois, l'idée de servir une grande cause, cet idéal d'altruisme semble presque universel. À tout le moins, ce l'est dans la mesure où ces étudiants sont prêts à décrire leurs motivations personnelles à quelqu'un portant l'uniforme devant toute la classe ou dans le cadre d'un séminaire.
J'aimerais que nous sachions capturer plus efficacement cet enthousiasme pour la fonction publique, que cela comprenne ou non le combat armé. Il se peut qu'il nous faille très peu de gens qui soient prêts, à 18 ans, à prendre les armes pour leur pays. Nous avons certainement besoin d'eux. Toutefois, chez les jeunes cadettes, plus sensibles et réfléchies — sans vouloir faire de stéréotypes sexistes, j'estime qu'il y a une corrélation entre la motivation pour le combat et l'expérience et les études préalables à l'arrivée au collège ainsi qu'avec le sexe —, il faudrait canaliser cet enthousiasme et ce désir de servir le pays, que ce soit au combat ou autrement.
Les menaces à la sécurité, les intérêts nationaux, ces questions que vous explorez exigeront la contribution de tous, qu'ils soient prêts à prendre les armes ou non. J'estime que nous avons besoin de tous ces jeunes et qu'ils constituent un potentiel énorme.
Mme Boulden : J'abonde dans le même sens que David, mais je suis au CMR depuis moins d'un an et je suis moins en mesure de répondre à votre question.
Le sénateur Banks : Mais d'autant plus objective.
Mme Boulden : Je suis d'accord avec David. Je crois que cela varie, mais tous ceux que j'ai rencontrés sont vraiment acquis à l'idée de faire partie d'un projet collectif d'une grande envergure, et cet engagement est vraiment remarquable. C'est l'un des aspects que j'ai trouvé vraiment intéressant lorsque je suis arrivée au Collège militaire royale; ce sentiment d'appartenance à une communauté et ce sens de l'engagement.
Le sénateur Day : Une autre question concernant cette approche collective, pour ce qui est de surveiller comment se font les choses et de s'inspirer de ces expériences, êtes-vous en mesure d'examiner l'intention déclarée du Canada de créer une équipe provinciale de reconstruction, comme je crois qu'on l'a désignée, en Afghanistan? Cela me semble correspondre à ce dont nous avons parlé et ce sera un projet important puisqu'il s'agira de la première fois que nous prenons une telle initiative, que nous surveillons ce genre de situation.
Mme Boulden : Je suis d'accord. Je crois qu'il s'agit d'un modèle qui sera important pour bien d'autres opérations. L'Afghanistan est probablement l'un des endroits les plus difficiles pour mettre un tel projet à l'essai. Cependant, il correspond effectivement à ce cadre plus général dont nous avons discuté, cela ne fait aucun doute.
L'un de nos collègues est déjà là, comme vient de le dire David, dans le cadre de ce processus. Il pourra peut-être fournir plus de précisions à ce sujet.
Le lcol Last : M. Sean Maloney se trouve à l'heure actuelle à Kaboul et se rendra dans le nord pour examiner plusieurs des modèles d'équipes provinciales de reconstruction. M. Michael Hennessey, l'un de mes collègues au Collège militaire royal, fait des recherches sur cette question sous un angle historique. Je pourrai vous envoyer une copie d'un chapitre d'un livre qui sera bientôt publié sur l'évolution des opérations spéciales qui traite précisément des leçons tirées de l'expérience des équipes provinciales de reconstruction en Afghanistan.
Le sénateur Day : Ce document pourrait être très utile. Si vous voulez bien l'envoyer au greffier. Je vous remercie.
Le président : Madame Boulden et colonel Last, nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous parler. Vous avez été d'une grande aide à notre comité. Vous pouvez constater par le nombre de questions et l'intérêt qu'a suscité votre témoignage que le comité a trouvé vos propos très utiles.
Notre témoin suivant est le major-général Andrew Leslie. Il a eu une carrière remarquable dans les forces armées. Il a débuté sa carrière dans les réserves en 1977. En 1981, il a été transféré aux forces régulières. Il a occupé plusieurs postes importants, y compris commandant de la Première Brigade canadienne mécanisée et commandant du Secteur du centre de la Force terrestre. Je ne suis pas sûr si j'ai bien cité ces titres mais vous me corrigerez s'il y a lieu.
Récemment, il a assuré le commandement de la Force opérationnelle à Kaboul et a été commandant adjoint de la Force internationale d'assistance à la sécurité, ou ISAF, en Afghanistan pendant une période de six mois. À son retour, il a agi à titre de chef d'état-major adjoint de l'Armée de terre à Ottawa. Il est en train de faire un doctorat au CMR.
Bienvenue au comité, général. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici. Nous avons hâte de vous entendre parler de vos expériences personnelles et de recevoir les conseils que vous pourrez donner au comité compte tenu de votre expérience. Je crois que vous avez une courte allocution à faire. Je vous cède la parole.
Le major-général Andrew Leslie, Forces canadiennes : Je tiens d'abord à vous féliciter de votre excellent travail et d'avoir lancé un débat public très opportun sur l'avenir des Forces canadiennes.
Vous m'avez demandé de parler de mes expériences à titre de commandant d'unité et des conclusions que l'on peut en tirer pour l'avenir des Forces canadiennes. Je proposerais, avec votre approbation, que la meilleure façon de le faire en 10 secondes environ est de répondre à vos questions. Je suis très heureux et en fait honoré de partager avec vous mes expériences en Afghanistan et de l'Afghanistan. Cependant, je suis sûr que vous comprendrez que je ne pourrai traiter que de façon limitée les vastes questions qui se rattachent à l'avenir des Forces canadiennes, mais je suis tout à fait disposé à étudier ces limites avec vous. Il n'en demeure pas moins qu'il y a beaucoup de choses dont je peux vous parler dans le contexte de l'Afghanistan.
[Français]
Si vous avez des questions en français, je serai ravi de vous répondre dans la langue de Molière.
[Traduction]
C'était là ma déclaration. Je suis bien sûr à votre disposition.
Le président : Général, si seulement je pouvais convaincre les membres du comité de poser des questions aussi brèves, nous aurions un comité du tonnerre!
Sénateur Banks, vous avez la parole.
Le sénateur Banks : Le message a été compris, monsieur le président. Je pense toutefois qu'il me sera impossible d'être aussi bref que le général. J'ai déjà mentionné au général que j'ai eu le plaisir d'être là au moment du changement de commandement lorsqu'il était commandant de la brigade et je me souviens des paroles qu'il a prononcées à l'époque et qui ont été inspirantes. Nous sommes ravis de vous accueillir, général.
Il est difficile de nous occuper de l'avenir, encore moins du présent, à moins de comprendre clairement le passé. Je crois que c'est une maxime qui a été exprimée de façon beaucoup plus éloquente par d'autres, mais si nous ignorons de quoi est fait le passé, nous aurons énormément de difficulté à déterminer de quoi sera fait l'avenir.
Vous êtes l'une des rares personnes avec qui nous aurons l'occasion de nous entretenir, qui possède une expérience pratique et directe et qui sera en mesure de nous parler en fonction d'une expérience durement acquise. Vous pourrez également nous présenter votre perspective professionnelle, compte tenu des vastes compétences dont vous avez fait preuve pour la plus grande fierté de notre pays et je dirais même des hommes et des femmes que vous avez encadrés et qui vous tiennent, comme vous le savez sans doute, en très haute estime.
Nous avons appris par d'autres personnes, et à la lecture de rapports, d'articles de magazines et de livres après coup, qu'en ce qui concerne les ressources dont vous disposiez, compte tenu des ordres, du mandat et des conditions d'engagement, et du travail que vous ainsi que les hommes et les femmes sous vos ordres se sont vu confier, il y avait un certain décalage. Il y avait un certain décalage entre les ressources qui vous ont été fournies et celles dont vous aviez réellement besoin pour accomplir votre mission.
J'arrêterai ici parce que c'est ici que commence ma question.
À votre avis, en tant que militaire de carrière, y a-t-il des mesures que notre pays aurait dû prendre pour s'assurer que les hommes et les femmes qui étaient sous votre commandement et sous vos ordres auraient pu faire un meilleur travail, si cela est possible, que l'excellent travail que vous avez fait? J'ajouterai en passant que vous-même ainsi que les militaires sous vos ordres étiez considérés par les commandants supérieurs là-bas comme les meilleurs militaires sur le terrain, et c'est ce qu'ils disent et c'est ce dont nous sommes tous très fiers.
Cependant, nous avons entendu dire que ce travail aurait pu être plus facile et plus efficace. À votre avis, ces propos sont-ils fondés?
Le mgén Leslie : Sénateur, si vous me permettez très brièvement de revenir en arrière au risque de rouvrir d'anciennes blessures, je vous parlerai de la mission en Somalie au cours de laquelle il s'est produit plusieurs incidents, diverses crises, des problèmes de commandement et de contrôle, des problèmes structurels et des problèmes au niveau de l'entraînement.
Comme vous le savez, j'ai participé à plusieurs missions internationales tout comme une grande proportion des militaires de l'armée, et aussi de la force aérienne et de la marine. Nous avons tiré des leçons de l'expérience en Somalie. Je ne veux pas dire que les choses sont maintenant parfaites, loin de là, mais nous verrons à ce qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais.
La Somalie et la crise qu'elle a suscitée en matière de compétence a marqué pour nous un tournant, si je puis dire. C'est là le contexte. Moi-même ainsi que mon équipe de commandants supérieurs avons soigneusement étudié toutes les leçons tirées de cette expérience de même que certains des excellents travaux d'enquête qui ont été effectués au sujet de certains des facteurs déterminants de cette mission.
Je suppose que la façon la plus simple — et vous me pardonnerez si je m'étends sur le sujet et vous pourrez évidemment m'arrêter si je vous ennuie — consiste à décrire le processus que nous avons suivi pour nous préparer sur le plan pratique.
De toute évidence, c'est le gouvernement du Canada qui décide où il enverra ses soldats, ses marins ou ses aviateurs. Nous n'avons pas de rôle à jouer dans cette décision et ne devrions pas en avoir un. Dès le départ, le MDN m'a confié la préparation des instruments, si je puis dire, qui nous autoriseraient à nous rendre outre-mer et à accomplir la mission qui nous avait été confiée.
Par le passé, les ordres d'opérations, les objectifs visés, l'état final, les objectifs du gouvernement du Canada n'étaient pas clairement définis. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne la mission en Afghanistan. Cette mission n'était pas complètement inattendue ni improvisée. Tout un groupe de personnes vraiment intelligentes ont consacré beaucoup de temps et d'efforts à la préparation de ces instruments, non seulement au MDN, mais aussi au bureau du premier ministre, au BCP, au Conseil du Trésor, au ministère des Affaires étrangères, à l'ACDI et la liste continue.
Nous avons en fait reçu des instructions remarquablement cohérentes qui n'ont pas été diffusées de manière isolée. Cette communication s'est faite de bas en haut et de haut en bas et a visé aussi les paliers intermédiaires. Tout a commencé par une reconnaissance stratégique, c'est-à-dire l'envoi en Afghanistan au mois de mars d'une équipe de commandement désignée dont j'étais à la tête et qui se composait de l'officier censé commander la brigade multinationale de Kaboul, de représentants de l'ACDI, de représentants du ministère des Affaires étrangères, du commandant de bataillon, du commandant du service de soutien. L'équipe devait vérifier la faisabilité et ce dont nous aurions besoin en tant que force militaire professionnelle pour ce qui est des biens, de la structure, des notions d'organisation et ainsi de suite.
Nous avons alors établi un devis, un concept d'opération et déterminé certaines particularités, les ressources dont nous pensions avoir besoin en ce qui concerne le nombre de soldats ou les capacités technologiques. Nous avons obtenu tout ce que nous avons demandé.
On a très rapidement intégré diverses technologies au service, depuis l'équipement de vision de nuit G3, un plus grand nombre de vestes de protection contre les balles anti-aériennes, des uniformes, des véhicules aériens téléguidés tactiques, de tout petits avions espions, des capteurs au sol non surveillés, des radars, pour détecter les tirs de roquettes, et nous en sommes reconnaissants, des munitions à portée accrue pour les canons légers. Je ne me rappelle pas à combien s'élève en tout le montant de l'argent du contribuable qui a permis d'acheter de nouveaux équipements et de nouvelles technologies, mais il était nettement supérieur à 100 millions de dollars. C'est donc ce que nous avons réussi à obtenir en quelques semaines et en quelques mois.
En ce qui concerne l'entraînement, j'étais l'officier responsable de l'entraînement pour cette organisation. J'étais le commandant du Secteur du centre de la Force terrestre dont a parlé le sénateur. Si l'entraînement s'est bien passé, je ne m'en attribue absolument pas le mérite. C'est parce que j'avais tout un groupe de colonels, de lieutenants-colonels, de majors, de capitaines et d'adjudants-chefs vraiment intelligents qui travaillaient pour moi.
Nous avons mis l'accent sur l'entraînement de combat parce que d'après notre première évaluation, lorsque nous avons fait notre première mission de reconnaissance en Afghanistan en mars 2003, si la situation était devenue entièrement déplaisante — et elle s'apprêtait à l'être — alors notre plus grande préoccupation n'était pas nécessairement les terroristes, qu'il s'agisse d'al-Qaïda ou des talibans, mais de tâcher de régler les divers problèmes politiques des seigneurs de guerre, dont certains font partie du Cabinet du président Karzai, en utilisant une force écrasante.
Lorsque nous sommes arrivés à Kaboul, par exemple, il y avait plus de 300 armes lourdes à Kaboul et aux alentours — des lance-roquettes, et des tanks, certains d'entre eux appartenant à des particuliers. Nous les avons tous rassemblés dans une enceinte de confinement, je suis heureux de le dire, mais cela vous donne une petite idée du chaos absolu auquel faisaient face non seulement le président Karzai, mais en fait le contingent canadien qui a contribué à la mission de l'ISAF.
J'espère que j'ai décrit de façon satisfaisante les instruments, si je puis dire, qui nous ont permis de déterminer ce que nous étions censés faire et comment nous étions censés le faire.
Comme je l'ai dit, j'ai participé à de nombreuses missions et celle-ci était la plus cohérente que j'ai jamais connue et celle dont l'orientation était la plus claire. Je n'ai absolument aucune critique à faire à cet égard. Je n'essaie pas non plus de vous raconter des histoires. Si j'avais des critiques à formuler, comme je vous connais depuis un certain temps, je vous en aurais fait part. Je considère que c'était une vraiment bonne mission.
L'entraînement a duré environ trois mois. Près de 4 000 soldats ont été réunis à Wainright pour y subir un entraînement de tir réel d'opérations de brigade, le premier entraînement de ce genre depuis de nombreuses années pour l'armée canadienne. Comme je l'ai indiqué, cet entraînement était axé sur le combat en raison de l'incertitude créée par la présence de diverses factions politiques à Kaboul.
Cet entraînement a été très coûteux. Il s'est élevé en tout à environ 40 millions de dollars. Mais l'avantage, je suppose, pour ceux que l'efficacité intéresse, c'est que grâce à ce montant nous avons pu entraîner deux des groupements tactiques qui ont été dépêchés en quelques mois l'un de l'autre à partir du secteur du centre; l'un est allé en Bosnie et l'autre est allé en Afghanistan.
Si c'était à refaire, certains considèrent que nous aurions dû consacrer plus de temps à l'entraînement axé sur le soutien de la paix plutôt que sur une instruction au combat aussi intense que celle que nous avons assurée. Ils ont tout à fait droit à leur opinion. Si c'était à refaire, je ne changerais pas grand-chose. Il y a de légères modifications que nous pourrions apporter.
Je crois que les soldats ont reçu un bon entraînement. Il est toujours préférable d'avoir plus de temps. Je suis profondément convaincu que nous sommes tout à fait prêts pour notre mission, surtout si nous savons que nous disposons de plus de temps. Cependant, je crois honnêtement que les soldats qui sont allés outre-mer étaient bien formés. Il y a eu à l'occasion un ou deux renforts qui se sont joints à la force assez tard ou pour remplacer les militaires qui ont dû être renvoyés chez eux par suite de blessures, entre autres. Leur entraînement aurait peut-être pu être plus cohérent, plus ciblé. Il ne s'agit toutefois pas forcément d'un problème systémique. C'est un problème attribuable au renfort occasionnel.
En ce qui concerne les règles d'engagement, elles étaient remarquablement solides. Essentiellement, elles m'ont permis de déterminer si je pouvais utiliser une force mortelle pour accomplir la mission, ce qui constitue un paramètre assez vaste, une énorme responsabilité. Mais il faut que ce soit ainsi. J'étais en fait très satisfait que les règles d'engagement soient remarquablement solides.
En ce qui concerne les équipements, la plupart de l'équipement dont nous disposions, aux dépens du reste de l'armée, était d'excellente qualité. Je vais essayer de vous donner plus de précisions à ce sujet. Étant donné qu'il s'agissait d'une mission d'une telle envergure qui présentait des risques très élevés, nous avons dû nous munir du meilleur équipement que possédait l'armée et cela a bien entendu eu des répercussions sur les soldats qui sont restés au Canada parce que la grande majorité de l'équipement vraiment haut de gamme a été envoyé outre-mer de même que tout le nouvel équipement.
Ai-je abordé les trois grands thèmes auxquels vous vous intéressiez?
Le sénateur Banks : Tout à fait et je tiens à vous en remercier.
Nous pouvons partir du principe que les histoires que nous avons entendues à propos de l'équipement qu'on a essayé d'emprunter d'autres personnes, autres que nos propres ressources à propos desquelles il existe de nombreuses histoires, sont anecdotiques et sans importance. En règle générale, vous étiez satisfaits du matériel dont vous disposiez là-bas?
Le mgén Leslie : Oui, monsieur. En fait cela dépend de votre point de vue en tant que commandant de l'équipe d'intervention et commandant adjoint de l'ISAF. En tant que commandant de la force d'intervention, je m'occupais de la totalité des 2 300 Canadiens qui se trouvaient à Kaboul et ailleurs et en tant que commandant adjoint de l'ISAF, je m'occupais des 33 autres contingents.
Pour ce qui est d'emprunter de l'équipement, l'armée se débrouille extrêmement bien. Les soldats sont toujours en train d'essayer d'obtenir ce qu'il y a de mieux pour leurs camarades, leur section, leur peloton, leur compagnie, ainsi de suite. J'essaie de songer à un exemple précis. Si vous pouviez m'aider à m'en donnant un, je pourrais peut-être tâcher de vous expliquer un peu mieux la situation.
Le sénateur Banks : Je ne me souviens pas des détails. Je crois que cela concernait du matériel de communication qui n'était pas suffisant et nous avons dû en emprunter des Américains.
J'aimerais aussi que vous répondiez à la dernière partie de ma question qui est la suivante : racontez-moi comment cela s'est passé lorsque vous êtes arrivés là-bas.
Le mgén Leslie : Si je pouvais aborder d'abord la question des communications, lorsque nous sommes arrivés, le brigadier-général Peter Devlin était le commandant de la brigade. Il avait amené avec lui la totalité de son état-major et son escadron chargé des transmissions. Comme nous étions censés le faire, nous avions amené des équipes formées, des gens qui avaient travaillé ensemble depuis des années et je dois l'avouer, des militaires que le sergent-major de la force, un remarquable soldat, l'adjudant-chef E. J. Gapp et moi-même avions triés sur le volet pour cette mission.
Une fois arrivés, on a constaté que les militaires qui avaient été là avant nous n'avaient pas établi d'architecture de communications avec les nombreux bataillons et compagnies qui composaient l'ISAF, c'est-à-dire 33 pays à l'époque où j'étais là. On a alors décidé de les doter d'équipement canadien de communications à pratiquement tous les niveaux. Nous avons alors dû essentiellement et assez simplement prendre le téléphone et dire : « Écoutez, nous avons besoin d'équipement supplémentaire ici. » L'équipement est arrivé en quelques jours. Nous avons aussi installé diverses structures de communications civiles à Kaboul et aux alentours qui avaient un double usage.
Le sénateur Banks : Comment vous êtes-vous rendus là-bas.
Le mgén Leslie : Nous nous y sommes rendus par avion, train, navire, avion à nouveau et enfin nous avons utilisé des véhicules automobiles pour circuler dans les rues de Kaboul.
Deux cargaisons d'équipement ont suivi et un tiers a été envoyé du Canada à la Turquie. Ensuite, l'équipement a été acheminé par avion de la Turquie à Kaboul. Kaboul se trouve à 6 000 pieds d'altitude. Je sais que certains membres du comité y sont allés donc ils sont au courant. Il n'y a qu'une façon d'y entrer et qu'une façon d'en sortir, surtout dans un environnement hostile. Tout l'équipement destiné à l'ISAF, non seulement pour les Canadiens mais pour tous les autres contingents, a dû être acheminé par avion. Il y a eu plusieurs exceptions mais en général, c'est la façon dont les choses se sont faites.
Les aéronefs qui ont été utilisés étaient entre autres des avions affrétés, des Hercules et toute la gamme intermédiaire d'aéronefs utilisés par l'ensemble des contingents. La capacité maximale à l'aéroport international de Kaboul dont, à titre de commandant adjoint de l'ISAF, je surveillais entièrement l'administration, environ 550 minutes par jour tout au long de l'année, était de 55 vols. Il s'agissait donc de créneaux de 10 minutes. Il y avait 15 ou 20 avions nolisés au sol, en train de décharger ou de charger, disposant de délais très serrés.
Lorsque nous sommes arrivés la première fois, il y avait un risque élevé d'attaques de missiles sol-air. L'avion tactique qui transportait notre bien le plus précieux, c'est-à-dire nos soldats, se faufilait plus ou moins entre les montagnes et atterrissait brutalement sur la piste; c'était très excitant. On apprend vraiment à bien apprécier le talent de certains de nos pilotes.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Banks : Oui. Dans l'ensemble, d'après ce que vous nous avez dit, nous avons l'impression qu'en ce qui concerne cette mission en particulier, il n'y avait pas de lacunes importantes en ce qui concerne votre matériel.
Le mgén Leslie : Non.
Le sénateur Munson : Je tiens à vous remercier de nous avoir permis de sortir de Kaboul en toute sécurité, au nom de l'ancien premier ministre. L'arrivée à Kaboul et le départ ce jour-là ont été assez mouvementés.
Après vous avoir écouté raconter vos expériences, il y a une chose qui m'intrigue. Lorsque je suis allé outre-mer en tant que journaliste dans certaines zones de guerre, les soldats canadiens avaient une bonne réputation. Je suis revenu ensuite après dix ans et c'était à l'époque de la Somalie dont vous avez parlé.
Comment définiriez-vous le soldat canadien aujourd'hui, après les événements du 11 septembre, son travail et, en fonction de votre expérience, comment pouvons-nous en faire un meilleur soldat, mieux équipé et ainsi de suite?
Le mgén Leslie : Je crois que nous devons rétablir notre réputation. Malheureusement, dans des circonstances parfois extrêmement compliquées et dangereuses, pour rétablir cette réputation il arrive parfois qu'il faille payer le prix du sang. On ne peut pas se reposer sur ses lauriers.
Je crois que les missions à Kaboul auxquelles ont participé récemment non seulement les soldats, mais les aviateurs qui les ont appuyés de même que les navires qui ont fait tellement du bon travail de toutes sortes, ont grandement contribué à rétablir la crédibilité que nous avons peut-être perdue au cours des dernières années.
Nous avons la réputation d'être particulièrement efficaces dans tout ce que nous faisons. Si vous me permettez de faire une transition, je ne crois pas qu'il y ait une expression qui englobe ce mélange délicat et complexe de rétablissement de la paix, soutien de la paix, opérations prescrites, combats restreints, aide humanitaire et établissement de la règle de droit. Quelle que soit l'expression utilisée, je soupçonne, en fait je sais, parce que j'ai des contacts avec un nombre important de généraux très haut gradés d'autres forces armées et divers ministres d'autres pays, qu'on nous tient en haute estime.
Il existe d'autres pays que l'on tient aussi en haute estime pour ce délicat mélange qui, parfois, n'est pas du tout délicat. Les Britanniques sont aussi extrêmement efficaces dans ce genre d'opération.
Cela répond-il à votre question?
Le sénateur Munson : Oui. Je comprends qu'il existe certaines règles fondamentales, mais je déteste les règles fondamentales. D'après votre expérience, avez-vous une opinion personnelle quant à l'orientation future des forces armées dans cette nouvelle ère du terrorisme? On ne cesse de dire que les forces armées sont sursollicitées. Pourtant, chaque fois qu'on vous demande de faire ceci ou de faire cela, ceux qui apprécient ce que vous avez fait ne tarissent pas d'éloges à votre endroit.
Si on se tourne vers l'avenir, je suppose que la question que l'on se pose est la suivante : Sommes-nous sursollicités et comment pouvons-nous cibler nos efforts dans ce monde de turbulence?
Le mgén Leslie : Je vous dirai que surtout lors de mes séjours à l'étranger, je me suis réveillé bien des fois en remerciant Dieu d'être Canadien.
Nous sommes un pays privilégié. Comme un grand nombre de pays, nous avons évidemment des problèmes internes, mais je crois que nous pouvons apporter une contribution à l'échelle internationale. D'après l'excellent travail effectué par divers universitaires qui essaient de m'inculquer certaines connaissances avec un succès limité, je dirais que les trois grands thèmes de notre politique de défense sont demeurés remarquablement cohérents depuis près d'une cinquantaine d'années. Il s'agit de la souveraineté, de la défense du Canada et des États-Unis et des opérations expéditionnaires que nous assumons de temps à autre en coopération avec nos alliés et amis.
Le monde a changé. La fin de la guerre froide et les attentats du 11 septembre ont vraiment marqué des tournants historiques, des moments cruciaux dans l'évolution non seulement de diverses structures de défense mais en fait de diverses questions systémiques en fonction desquelles les États se dotent de mécanismes pour travailler en coopération ou régler leurs problèmes.
Si nous sommes un pays privilégié et que nous sommes particulièrement efficaces dans le cadre d'opérations expéditionnaires limitées que nous pouvons assumer de temps à autre, je crois qu'il serait dans notre intérêt à tous de participer à un plus grand nombre d'opérations de ce genre. Elles seraient évidemment choisies avec soin par le gouvernement du Canada, sans perdre de vue le fait que nous avons évidemment la responsabilité de défendre nos citoyens de même que leurs intérêts et leurs valeurs ici mais aussi outre-mer.
Je dirais que nous traversons aujourd'hui pratiquement une période de décolonisation avec effondrement de l'empire soviétique et les répercussions que cela a entraînées au cours des dix à quinze dernières années. Les questions névralgiques actuelles sont toutes celles qui existaient en pleine guerre froide, mais bien entendu les diverses aspirations nationales avaient été étouffées à l'époque de la guerre froide. Désormais, tous ces liens fragiles ont été brisés.
Il existe un si grand nombre d'États non viables dirigés par des seigneurs de la guerre qui sont prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition, une interprétation religieuse erronée de ce qui est en réalité un programme ou un document social très cohérent et élégant qui remonte à 610 ans après Jésus-Christ, pour chercher à obtenir le pouvoir à des fins personnelles. Je crois que nous pouvons contribuer à régler certains des problèmes qui existent là-bas parce qu'autrement ces problèmes auront des répercussions sur nous ici.
L'important, c'est que je crois que le premier ministre a dit, et j'en suis personnellement et professionnellement ravi, que le gouvernement compte augmenter de 5 000 l'effectif de la force régulière et de 3 000 celui des réserves.
Le sénateur Munson : Et avez-vous des vues personnelles ou professionnelles quant à la façon dont ces militaires devraient être déployés dans les points chauds du monde ou au pays?
Le mgén Leslie : Si vous me le permettez, monsieur le sénateur, j'aimerais faire une analogie avec la contribution initiale du Canada à la force déployée à Kaboul qui, fort naturellement, a concentré son action à Kaboul.
L'argument qui a alors été avancé est qu'il était impossible d'abandonner le président Karzai, ses principaux collaborateurs ainsi que les organismes internationaux qui commençaient de peine et misère à faire du bon travail à Kaboul, travail qui a beaucoup progressé depuis que j'y étais. Il s'agissait, si je peux m'exprimer ainsi, d'axer les efforts sur le cœur et le cerveau du pays et d'adopter une vision s'appliquant à tout l'Afghanistan en concentrant les interventions à Kaboul.
Il faut bien à un moment donné prendre les moyens pour que la primauté du droit se répande plus loin. Il faut populariser cette notion. Pour revenir à cette vision nationale de l'Afghanistan dont je parlais et dont il faut tenir compte dans le contexte plus large de la situation géopolitique à laquelle nous sommes confrontés, je suppose que l'objectif à viser est un certain équilibre. Je crois que le travail que vous, vos collègues et le gouvernement du Canada dans son ensemble effectuent va déterminer, en grande partie, comment ces nouveaux effectifs seront déployés.
J'appartiens à l'armée et je crois qu'il serait dans l'intérêt du Canada qu'un pourcentage important de ces troupes soit affecté à l'armée. Je sais cependant aussi très bien que l'armée, en vertu de la loi, n'est pas une entité autonome. Aux dernières nouvelles, les Forces canadiennes étaient des forces unifiées.
Pour résumer, je crois que l'approche qui a été adoptée est la bonne. Le gouvernement du Canada a dit ceci : « Ce que vous faites nous intéresse beaucoup. Nous y croyons. Nous allons augmenter de 5 000 membres l'effectif des forces régulières. Dites-nous maintenant comment, à votre avis, cet effectif devrait être distribué entre les divisions des trois composantes traditionnelles des Forces canadiennes. »
J'aimerais que nous participions à davantage de missions soigneusement choisies comme celle-là qui répondent non seulement le mieux aux intérêts nationaux du Canada, mais qui présentent aussi une véritable utilité. Ce sont les jeunes hommes et les jeunes femmes qui patrouillaient les rues de Kaboul — et vous les avez rencontrés et avez vu ce qu'ils faisaient — qui jouent un rôle essentiel. S'ils n'avaient pas été sur place, combien de centaines de milliers de personnes de plus seraient-elles mortes si la situation avait dégénéré encore une fois? Un nombre inestimable de vies ont ainsi été épargnées.
Cela répond-il à votre question, sénateur?
Le sénateur Munson : Je vois que vous préféreriez que quelqu'un d'autre réponde à votre place.
Le mgén Leslie : Vous songez à l'amiral Ron Buck qui comparaîtra devant le comité la semaine prochaine, n'est-ce pas?
Le sénateur Munson : Non. Je vous remercie beaucoup. J'attendrai le prochain tour de questions.
Le sénateur Day : Général, je vous remercie beaucoup de votre présence. Permettez-moi d'abord de vous féliciter pour la médaille pour service méritoire qui vous a été remise. Je dois admettre avoir été étonné lors de la cérémonie de voir le nombre d'officiers et de militaires ayant servi en Afghanistan, à qui cette médaille était remise. Je vous félicite ainsi que tous les autres officiers et militaires qui ont reçu cette distinction. J'étais très heureux pour vous tous.
Nous nous sommes entretenus avec des représentants du Collège militaire royal qui nous ont parlé du rôle et de la fonction des réservistes qui sont formés au CMR ainsi que de la possibilité que cette même formation soit dispensée à des personnes qui n'appartiennent pas aux Forces canadiennes.
J'ai jeté un coup d'œil à votre curriculum vitae. Vous avez étudié à Ottawa, à Londres et ensuite à Genève, et tout cela lorsque vous étiez réserviste, c'est-à-dire avant de vous joindre à la Force régulière. Est-ce exact?
Le mgén Leslie : Oui, monsieur.
Le sénateur Day : Qu'est-ce qui explique ce cheminement? Est-ce que vous n'aviez pas encore décidé de faire carrière à temps plein dans les Forces?
Le mgén Leslie : J'ai demandé, sénateur, à faire partie de la Force régulière au même moment où l'on m'acceptait pour poursuivre mes études universitaires. À cette époque, qui remonte à il y a deux ou trois décennies, on m'a dit qu'il fallait choisir. J'ai donc choisi de demeurer dans la réserve, de poursuivre mes études et je me suis ensuite joint à la Force régulière.
Le sénateur Day : Et vous avez pu le faire tout en continuant de faire partie de la réserve?
Le mgén Leslie : Tout à fait. Je dois dire que cela a été une époque fantastique de ma vie.
Le sénateur Day : Cette souplesse est importante. Il faut que les membres des Réserves et de la Force régulière puissent compter sur une certaine souplesse.
On nous a aussi fait part de situations difficiles à cet égard. Je crois que ces cas concernaient surtout la marine, mais il y a eu des cas de personnes qui ont dû passer de la réserve aux forces régulières. Nous reviendrons cependant sur cette question une autre fois. Je voulais simplement faire observer que votre cheminement vous avait réussi.
Il a aussi été question au cours des deux dernières journées des études au sein des forces armées. À une époque, il se peut qu'il n'ait pas été bon pour sa carrière d'abandonner un poste de commandement ou un poste hiérarchique pour aller poursuivre ses études. La politique des forces armées à cet égard a-t-elle changé? Vous avez abandonné un poste de commandement et vous êtes retourné aux études. Vous enseignerez sans doute aussi un jour. Pourriez-vous nous dire quelle est la politique générale des forces armées à cet égard?
Le mgén Leslie : Il est vrai, sénateur, que je constitue pour l'instant ma propre armée. Je suis d'accord avec vous. Il n'était pas bon par le passé pour sa carrière de poursuivre ses études. Je pourrais vous donner en exemple le cas de plusieurs personnes, mais je préfère ne pas le faire pour ne pas...
Le sénateur Day : Je connais peut-être aussi un certain nombre de ces personnes.
Le mgén Leslie : Sans doute. Je pense que la situation a commencé à changer, mais je ne suis pas assez naïf pour croire que tous les superviseurs, qu'ils soient des militaires ou des civils, croient à la valeur des études. Je sais que la haute direction des forces armées souhaite que non seulement les officiers supérieurs, mais aussi les soldats aient la meilleure formation possible et puissent aussi poursuivre leurs études. Je sais que vous connaissez la différence entre ces deux concepts.
Le sénateur Day : Oui.
Le mgén Leslie : Nous avons fait beaucoup de chemin, mais il nous en reste encore beaucoup à faire.
Le sénateur Day : Je suis heureux que vous soyez à l'avant-garde dans ce domaine et que vous soyez un très bon exemple. Nous vous remercions de vos efforts.
Pourriez-vous nous dire quelques mots au sujet du rôle des équipes provinciales de reconstruction en Afghanistan? Nous avons discuté un peu plus tôt de l'approche multidisciplinaire et du rôle que les ONG auront à jouer pour favoriser la reconstruction de ces sociétés en déroute.
Parlons de l'aspect militaire du rôle de cette équipe. La formation dispensée aux membres de l'équipe est-elle différente de celle qu'ils ont acquise dans les forces armées ou dans la police? Pourriez-vous nous expliquer ce concept?
Le mgén Leslie : Oui, sénateur. Je crois avoir rendu visite à la plupart des équipes provinciales de reconstruction lorsque j'étais en Afghanistan. Je crois qu'il y en a actuellement 14 ou 15 et plusieurs sous-équipes. Je crois qu'il existe trois modèles généraux d'équipes provinciales de reconstruction.
Il y a d'abord et avant tout les équipes qui sont constituées de membres de la Garde nationale aux États-Unis — qui travaillent dans le domaine de la reconstruction rurale, des affaires civiles et des affaires humanitaires. Plus souvent qu'autrement, le chef de l'équipe est un civil qui a le rang de lieutenant-colonel ou de colonel.
Les équipes américaines comptent des membres appartenant à divers organismes spécialisés qui sont l'équivalent de l'ACDI, de Solliciteur général Canada, d'Agriculture Canada et d'Affaires étrangères Canada. Les membres de ces équipes remplissent diverses fonctions sous la direction d'un lieutenant-colonel ou d'un colonel.
La sécurité des équipes est assurée par des soldats appartenant aux forces régulières qui sont stationnées à environ 100 mètres, par des agents de reconnaissance ainsi que par des artilleurs parce que les EPR essuient parfois des tirs d'artillerie et qu'elles doivent pouvoir se défendre.
C'est là un modèle.
Le second modèle est le modèle allemand qui est beaucoup plus imposant et qui met davantage l'accent sur la protection et l'autonomie. Ce modèle comporte des sections de services sociaux et d'incroyables installations médicales. Ce modèle ne donne pas vraiment des résultats supérieurs au modèle américain, mais les EPR allemandes peuvent compter de 300 à 400 membres.
Le modèle britannique se situe entre ces deux modèles tant pour ce qui est de son approche que de sa taille.
Les membres des équipes provinciales de reconstruction doivent posséder les aptitudes nécessaires pour aider le président Karzaï à répandre la règle de droit. La règle de droit ne joue pas seulement un rôle essentiel pour ce qui est d'assurer la sécurité. Elle vise à redonner confiance à la population locale qui, depuis près deux millénaires, vit dans un état presque semi-permanent de guerre. Cette guerre prend la forme d'affrontements suivis d'un retranchement, suivi à son tour d'un regroupement. Viennent ensuite d'autres affrontements soit avec ses voisins, les membres de sa propre tribu ou avec d'innombrables forces hostiles qui ont cherché à imposer leur volonté sur l'Afghanistan sans succès.
La sécurité est le principal défi qui se pose du côté militaire. Je crois que les membres de nos compagnies de carabiniers possèdent les compétences voulues pour assurer la sécurité des équipes provinciales de reconstruction où qu'elles se trouvent.
Les membres de ces équipes exercent aussi des fonctions de liaison et ils interagissent avec la population locale par l'entreprise d'officiers civils armés par opposition à des spécialistes des affaires civiles comme les membres de l'ACDI, par exemple.
Il faut évidemment aussi dispenser aux membres de ces équipes une formation propre à leur mission. Contrairement à certains de nos alliés, nous dispensons une formation poussée sur la culture et les mœurs locales, les conditions de déplacement locales et sur les responsabilités de chacun. Je pense que les membres des Forces canadiennes possèdent en fait les compétences voulues pour faire partie de ces équipes.
Je ne voudrais cependant pas vous induire en erreur. Le modèle américain est beaucoup plus petit que les modèles britanniques ou allemands. Il ne faut pas oublier que dans ce modèle, des équipes composées de 100 militaires appuient les EPR qui oeuvrent dans des régions très dangereuses.
Le président : Qu'entendez-vous par EPR?
Le mgén Leslie : Je m'excuse. Il s'agit des équipes provinciales de reconstruction.
Bien qu'elles ne soient pas directement affiliées aux EPR, les équipes américaines sont souvent déployées dans les points chauds. Si des précautions ne sont pas prises, des difficultés vont survenir et il se produira des pertes dans vos rangs ainsi dans les rangs de ceux qui comptent sur vous pour assurer leur sécurité.
Les membres de ces équipes ne travaillent pas dans un milieu calme. L'Afghanistan continue d'être l'un des pays les plus dangereux au monde.
Le sénateur Day : Le groupe qui appuie les équipes provinciales de reconstruction sera sans doute composé de membres de la FOI2, soit des militaires affectés aux opérations spéciales. L'unité que nous sommes en train de constituer reçoit-elle actuellement une formation?
Le mgén Leslie : Sénateur, je suis peut-être en retard dans les nouvelles et l'on me corrigera si j'ai tort, mais je ne pense pas que le gouvernement du Canada ait déjà décidé si nous allions participer ou non à une équipe provinciale de reconstruction.
Le sénateur Day : Je suis peut-être aussi en retard dans les nouvelles, mais je crois comprendre que nous nous sommes engagés à le faire d'ici l'été prochain.
Le mgén. Leslie : Tout à fait. C'est certainement une option qui est envisagée. La date d'août prochain a été mentionnée, ce qui nous donnerait amplement de temps pour nous organiser et nous préparer.
Le sénateur Day : Il ne faudrait donc pas six mois pour former les soldats pour remplir cette mission?
Le mgén Leslie : Plus on a de temps à consacrer à la formation, mieux cela vaut, qu'il s'agisse de six mois ou de trois mois. Si nous décidons de participer à cette mission, je pense que vous devriez demander l'avis de l'officier qui aura la grande chance de commander l'équipe provinciale de reconstruction.
Le président : Général, quel investissement en temps et en ressources serait nécessaire pour assurer la stabilité de l'Afghanistan?
Le mgén Leslie : Sénateur, si vous me le permettez, je vous répéterai ce que m'a dit le président Karzai avant que je ne quitte l'Afghanistan, mais je vous rappelle que c'était déjà il y a un certain temps. Je sais que vous rencontrerez sous peu le lieutenant-général Rick Hillier qui compte beaucoup plus d'expérience que moi à un niveau supérieur d'un cran au mien. Je vais tout de même vous donner mon opinion.
Le président : Je vous demandais quel était votre avis d'après ce que vous aviez pu voir sur place. Quelle impression avez-vous eue à cet égard pendant que vous étiez en Afghanistan? Faudrait-il encore beaucoup plus de ressources? Quand vous étiez sur place, combien de temps de plus vous a-t-il semblé qu'il faudrait pour assurer la stabilité du pays?
Le mgén Leslie : Lorsque j'étais en Afghanistan, sénateur, la force de l'OTAN comptait environ 5 500 soldats et nous pensions qu'avec 15 000 soldats, nous pourrions vraiment essayer de répandre la règle de droit, d'après les priorités établies par l'autorité de transition afghane qui est maintenant le gouvernement afghan.
Je crois que l'effectif de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) compte maintenant près de 7 000 membres. L'effectif de la force doit augmenter d'ici quelques mois de 1 000 à 2 000 membres.
Compte tenu de mon expérience à Chypre, au Kosovo, en Bosnie, en Croatie et ailleurs, je pense qu'il faudra que les pays occidentaux maintiennent leur présence en Afghanistan pendant deux décennies.
Le président : Pour que la situation soit stable. Qu'en est-il de la démocratie?
Le mgén Leslie : Sénateur, le président Karzai est un réaliste et il envisage pour l'Afghanistan un certain niveau de démocratie et un certain niveau de sécurité, qui permettront aux jeunes hommes et jeunes femmes d'Afghanistan d'obtenir une certaine éducation libérale. Comme vous le savez, tout est relatif.
La démocratie est un concept nouveau en Afghanistan. Beaucoup d'observateurs internationaux étaient très pessimistes avant les élections présidentielles. Certains prévoyaient que pas plus de 3 à 4 millions de personnes sur une population d'environ 28 millions d'habitants participent au scrutin. D'après les dernières données que j'ai consultées, le pays comptait entre 10 et 11 millions d'électeurs admissibles. Le taux de participation au scrutin a été supérieur à 90 p. 100 et juste un peu moins de la moitié des électeurs étaient des femmes.
Je crois que les Afghans souhaitent ardemment exercer un droit que nous tenons pour acquis, soit le droit d'élire leurs dirigeants. Il faudra cependant du temps pour que ce concept se répande dans toute la société et dans toutes les relations qui existent, des grands groupes ethniques aux sous-groupes et des tribus aux clans. Voilà pourquoi j'avance le chiffre de 20 ans.
Le président : Si nous voulions appliquer une norme comme celle que nous appliquons dans le cas du Partenariat pour la paix, le PPP, des pays...
Le mgén Leslie : Vous posez une excellente question, mais je ne suis pas en mesure d'y répondre.
Le président : Vous venez de dire au comité qu'il faudrait déployer 15 000 militaires en Afghanistan pendant toute une génération. Les militaires verront leurs enfants servir dans ce pays avant qu'il ne devienne stable et il faudra plusieurs générations pour que la démocratie s'y implante, si l'on définit la démocratie comme la capacité de renouveler le gouvernement au moins deux fois dans un climat de paix.
Ma question est la suivante : Lorsque vous êtes intervenu là-bas, est-ce que vous envisagiez une stratégie de sortie viable?
Le mgén Leslie : En effet, monsieur, si vous me le permettez, j'aimerais vous renvoyer aux expériences semblables que nous avons connues dans d'autres théâtres opérationnels.
Les États dysfonctionnels sont nombreux, mais aucun autre n'a la même importance géopolitique que l'Afghanistan — je reviendrai là-dessus si vous le souhaitez. Si vous acceptez mon opinion selon laquelle nos forces armées sont excellentes dans ce genre de situation, mais ne disposent que de ressources limitées, nous pourrions peut-être prendre l'exemple de la Bosnie, ou des gens comme nous, des Britanniques et d'autres interviennent pendant une période définie, de cinq ou dix ans, avant de céder la place à ceux qui sont en mesure d'assurer la relève, libérant ainsi une capacité d'intervention exceptionnelle qui pourra être réorientée vers des points chauds où elle est nécessaire.
Évidemment, je ne parle pas de gens comme moi. Je vous parle du caporal-chef de 25 ans à qui on confie deux ou trois îlots urbains pour six mois. Vous, sénateur, devez patrouiller avec lui. À la fin du mois, les anciens du village viennent lui soumettre un certain nombre de problèmes et finissent par lui dire : « Il y a, au bout de la rue, des insurgés qui ont l'intention de s'en prendre à vous ou à nous. Aidez-nous. » Dans une telle situation, l'attitude ferme, équitable et amicale des Canadiens est tout à fait admirable à voir.
En ce qui concerne la stratégie de sortie pour le Canada, le gouvernement canadien a évidemment le choix. Mais tôt ou tard, l'Afghanistan va se rétablir. Je suis convaincu qu'il arrivera un moment où le Canada pourra confier une partie de sa mission à quelqu'un d'autre, libérant ainsi des troupes qui pourront être affectées à un autre point chaud, et les points chauds sont très nombreux.
Le sénateur Cordy : J'aimerais approfondir cette idée d'État dysfonctionnel à la lumière de votre expérience en Afghanistan. En réponse à une question antérieure, vous avez dit que les États dysfonctionnels sont de plus en plus nombreux ou du moins, qu'on en entend de plus en plus souvent parler, et qu'il faut donc choisir ceux où nous allons intervenir.
J'aimerais savoir comment vous les choisissez, car le Canada abrite un grand nombre de personnes qui ont fait l'expérience de la vie dans ces États dysfonctionnels. Évidemment, elles vont faire pression sur leur gouvernement ou sur leur député pour que le Canada envoient des troupes à la rescousse de ces États dysfonctionnels. Comment choisissons-nous ceux où nous allons intervenir?
Vous avez parlé de l'Afghanistan, et vous pensez que la démocratie ne pourra pas s'y établir avant 20 ans. On peut dire la même chose d'Haïti, par exemple. Nous y sommes intervenus, nous sommes repartis et les problèmes ne peuvent jamais être résolus lorsqu'on n'intervient qu'à court terme.
Le président : Si vous me permettez d'intervenir, sénateur Cordy, j'aimerais que vous reformuliez votre question dans le contexte de l'expérience du général en Afghanistan.
Le sénateur Cordy : C'est ce que j'ai dit au départ. J'ai formulé ma question en fonction de son expérience en Afghanistan.
Le mgén Leslie : Considérons donc qu'elle est reformulée en ce sens.
Le choix du pays d'intervention constitue évidemment une tâche extraordinairement complexe. Nous sommes allés en Afghanistan pour trois raisons, mais également pour une raison occulte. Ce n'est pas un secret, mais c'est un sujet qu'on aborde rarement, même s'il est bien connu de tous ceux qui sont allés à Kaboul, que ce soit entre membres de la communauté internationale, du corps diplomatique, des organismes d'aide au développement ou d'un contingent étranger.
Mais surtout, l'Afghanistan était un État dysfonctionnel où un certain nombre d'organismes intégristes et terroristes avaient établi leur base pour obtenir ou déclencher des attentats contre nous, contre nos intérêts ou contre nous. Comme vous le savez, Oussama ben Laden a débuté sa carrière, si on peut employer ce terme, à la demande de différents acteurs du Moyen-Orient en établissant des camps de base pour al-Qaïda qui signifie la base. Ces camps de base se trouvent le long de la frontière pakistano-afghane et ils existent toujours.
Les madrassahs, ces écoles religieuses qui donnent une interprétation tout à fait faussée du Coran, sont toujours très actives et pratiquent une dialectique extrêmement complexe qui favorise les rivalités entre différents groupes politiques.
Si nous n'avions pas envoyé nos soldats en Afghanistan et que ce pays soit devenu encore plus dysfonctionnel, d'autres attentats terroristes, comme ceux du 11 septembre notamment, auraient pu être organisés à partir de cette région.
Je considère que le terrorisme international tel que le pratique al-Qaïda se concentre dans un rayon de 1 000 kilometres autour de Kaboul. Il existe de nombreux groupuscules d'al-Qaïda ou d'organisations terroristes intégristes, mais c'est là qu'elles sont concentrées actuellement.
C'est la première raison de notre choix. L'Afghanistan est un pays dysfonctionnel et nous avons intérêt à veiller à ce qu'il ne le reste pas. Je suis heureux de pouvoir dire aujourd'hui qu'il est en train de se rétablir.
La deuxième raison, c'est que nous avons consulté nos alliés et nos amis, et que nous avons répondu à leurs demandes.
La troisième raison est notre volonté d'apporter notre aide à ceux qui en ont besoin.
Je sais que tous ces arguments vous ont été présentés en détail.
Si vous me permettez d'exprimer une opinion personnelle, je dirais qu'il existe aussi une autre raison. Le président pakistanais Moucharaf fait tout ce qu'il peut pour participer à la guerre contre le terrorisme. À l'intérieur des frontières du Pakistan, il existe indiscutablement un nombre important de groupes terroristes intégristes. La ligne de démarcation entre l'Afghanistan et le Pakistan, qu'on appelle la ligne Duran de 1893, a été tracée par un diplomate britannique appelé Duran; elle ne respecte ni les territoires ethniques traditionnels, ni les conditions géographiques. Il s'agit d'une région très montagneuse où l'on peut franchir la frontière à loisir.
Que va-t-il se passer si ces groupes intégristes établis à proximité de cette frontière mettent la main sur des armes nucléaires? Comment va réagir la Chine? Comment va réagir l'Inde? Comment vont réagir les États-Unis? Je n'en sais rien, mais c'est une question très inquiétante.
Quand les descendants de Gengis Khan ont envahi l'Afghanistan au XIIIe siècle, l'un des neveux favoris de Tamerlan a été tué. Tamerlan dépêcha son officier de cavalerie Subadi accompagné d'un grand nombre de cavaliers, à la poursuite des malheureux Afghans qui durent les subir pendant trois ans. Les hommes de Tamerlan ne s'arrêtèrent qu'aux portes de l'Europe. C'est cet épisode qu'on a par la suite qualifié d'arrivée des hordes mongoles.
Ce qui se passe en Afghanistan a toujours eu et aura toujours un effet direct sur ce qui se passe en Occident. On peut appliquer les mêmes critères soigneusement définis à plusieurs autres points chauds du monde, dont la liste peut être dressée très rapidement.
Le sénateur Cordy : Je me pose des questions sur la fonction du renseignement. Je sais que vous vous y êtes consacré pendant une période antérieure de votre carrière. D'après votre expérience en Afghanistan, les militaires ont-ils une capacité de renseignement suffisante? Où obtenez-vous l'information dont vous avez besoin?
Le mgén Leslie : Nous devons obtenir la bonne information à chaque fois. Si nous ne l'obtenons pas, nos soldats se font tuer, comme cela s'est déjà produit. Nous avons dû faire face à un grand nombre d'attaques dirigées soit contre nous, soit contre ceux que nous étions chargés de protéger.
L'architecture du renseignement au sein du groupe d'intervention de Kaboul était solide. Si j'y inclus les différentes disciplines, c'est-à-dire le renseignement humain, le renseignement technique, les transmissions, le traitement, la coordination et les autres services canadiens de renseignement dont les représentants ont travaillé en étroite collaboration avec l'armée canadienne lors de ce déploiement, on atteint un total de près de 200 personnes, soit presque 10 p. 100 du contingent déployé en Afghanistan.
Nous avions à l'intérieur, à Kaboul et aux environs, des capacités de renseignement à vous couper le souffle, des trucs que je n'avais jamais vus avant. Par contre, il faut faire les choses comme il faut chaque fois pour les empêcher de vous retrouver et de s'en prendre à vous et aux autres, et parfois nous n'y parvenions pas.
Le sénateur Cordy : Lorsque nous envisageons d'aller dans ces États non viables comme l'Afghanistan et d'y rester peut-être 20 ans comme cela s'est déjà fait, si nous songeons à la possibilité, pour le comité, de procéder à un examen de la politique de défense, et aussi en notre qualité de Canadiens, nous devons entre autres nous demander ce que nous attendons de nos forces armées.
Leur mandat me semble de plus en plus vaste. Est-ce bien vrai qu'il devient de plus en plus vaste et devrions-nous plutôt regarder de façon plus détaillée ce que les Forces canadiennes devraient faire selon nous?
Le mgén Leslie : D'après notre expérience en Afghanistan, je pense que nous nous acquittons bien de ce genre de mission. Un officier de marine vous dira avec tout autant d'aplomb et d'exactitude que la Marine fait très bien son travail. Et un officier de l'Armée de l'air vous dira avec tout autant d'aplomb et d'exactitude que l'Armée de l'air fait très bien son travail.
Mais si vous me demandez en fait à quoi nous devrions consacrer nos maigres ressources pour en avoir le plus possible pour notre argent, je vous répondrais tout de suite très simplement que je l'ignore. Je sais que nous devons faire en sorte d'avoir les ressources nécessaires pour protéger nos intérêts chez nous, dans le contexte nord-américain, et aussi essayer d'apporter une solution aux problèmes là-bas avant qu'ils puissent commencer à venir nous nuire.
Lorsque vous dites 20 ans, je ne sais pas si le Canada sera présent pendant 20 ans en Afghanistan. J'ignore à quoi ressemblera notre contingent mettons dans deux ou trois ans. Aurons-nous à un gros groupe-bataillon à Kaboul et aux alentours? Peut-être cela ne sera-t-il pas nécessaire. Peut-être que maintenant que tous les chars lourds et les lance-roquettes ont été neutralisés et que les chefs de guerre ne sont plus aussi turbulents — et je pèse mes mots — peut-être le temps est-il venu d'envoyer des contingents plus restreints dans d'autres régions du pays.
Comme vous l'avez déjà dit, il y a d'autres pays qui ont désespérément besoin d'aide. Il reste à voir qui fera quoi et où. Je sais que je suis incapable de faire mon boulot de soldat s'il n'y a pas quelqu'un dans les airs pour m'aider lorsque je suis sur le terrain, s'il n'y a pas quelqu'un avec des navires pour transporter le matériel jusqu'à un point de débarquement.
Le sénateur Forrestall : Bienvenue, général. Vous vous en êtes tiré assez facilement jusqu'à présent, aussi j'aimerais peut-être passer à la vitesse supérieure et vous poser une ou deux questions d'ordre pratique. J'en ai d'ailleurs une que je pose régulièrement.
Pour commencer, qu'en est-il de vos uniformes? Vous les avez depuis un certain temps déjà. Avez-vous reçu le bon type de matériel, le matériel adapté aux saisons, par exemple?
Le mgén Leslie : Sénateur, permettez-moi de vous donner une réponse en deux parties.
Le nouveau fourbi, qui n'a d'ailleurs je crois pas encore été remis à tous nos soldats — il y a encore des réservistes, je pense, qui ne l'ont pas encore touché, un problème fort irritant, mais il faut l'espérer, qui sera bientôt réglé —, je pense qu'il est vraiment fort bon.
Vous savez, l'opinion d'un général n'est pas aussi importante, peu s'en faut, que celle du soldat qui doit utiliser ce matériel, de sorte que je vous conseillerais plutôt de poser la question à eux et ils vous diront la vérité. Je ne vous mens pas. Je pense que ce matériel est bon. Je le pense vraiment. Nous avons consacré énormément de temps et d'argent pour que ce nouveau fourbi soit prêt avant notre départ pour l'Afghanistan.
Mais vous parlez plutôt de la différence entre le kaki et le chamois, c'est bien cela?
Le sénateur Forrestall : Oui, j'en ai toute une série.
Le mgén Leslie : Je peux certainement vous en parler.
C'est moi et moi seul qui ai pris la décision de leur faire porter du vert pour aller en Afghanistan. Nous avions dans nos caisses deux jeux de kaki, mais si j'ai choisi le vert, c'est à cause des Afghans.
Lorsque nous sommes partis pour la première fois en reconnaissance, et n'oubliez pas que le taux d'analphabétisme est de l'ordre de 80 p. 100, si ce n'est plus, les Afghans n'avaient aucune idée de ce qu'étaient les Canadiens, de qui ils étaient ni de quelle partie du monde ils venaient. Pas leurs leaders, non, mais le peuple. Leurs leaders sont extraordinairement instruits, mais je parle des gens dans les rues. Un grand nombre de nos amis et alliés avaient des uniformes qui étaient remarquablement semblables à nos uniformes kaki, et j'ai donc préféré pour ne pas opter pour le kaki.
Le sénateur Forrestall : Quel a été le résultat?
Le mgén Leslie : En fait, ils savent maintenant qui nous sommes. C'est en partie la raison pour laquelle ils sont tous opté pour le kaki. N'oublions pas que lorsqu'il fallait porter du kaki pour aller dans les montagnes et y faire toutes sortes de choses intéressantes, les soldats portaient l'uniforme kaki. Mais en ville, pour patrouiller dans les rues de Kaboul et aussi pendant la nuit, l'uniforme vert est vraiment efficace parce qu'il permet de se fondre dans l'ombre.
Je voudrais vous rassurer, tous mes soldats comme moi-même avions deux jeux d'uniforme kaki dans nos caisses, ainsi que deux jeux d'uniforme vert, et nous portions du vert.
Le sénateur Forrestall : Voilà qui est assez intéressant.
Pourrais-je passer maintenant aux mines terrestres? Pour commencer, est-ce un gros problème pour les équipes de reconstruction et pour les troupes?
Le mgén Leslie : Il y a en Afghanistan un nombre inconnu de mines antipersonnel et de nouvelles mines sont posées tous les jours, il y en a entre 7 et 11 millions. C'est une estimation, bien sûr, compte tenu de cette imprécision. Chaque nuit, on entend des explosions dans les montagnes aux alentours de Kaboul et dans les montagnes environnantes, mais on ne peut pas laisser cela vous paralyser, vos troupes ou les gens de l'endroit, et ce n'est pas le cas non plus.
C'est un risque qu'il faut accepter. Bien sûr, ces mines peuvent tuer et elles ont déjà d'ailleurs tué pas seulement nos soldats, mais aussi des soldats d'autres pays et des centaines, voire des milliers d'Afghans. C'est un énorme problème, mais comme c'est également le cas dans bien d'autres pays, c'est quelque chose qu'il faut accepter.
Le sénateur Forrestall : Y a-t-il là-bas une équipe canadienne de déminage?
Le mgén Leslie : Il y a toutes sortes d'équipes de déminage qui vont un peu partout pour faire exploser les bombes et les mines que nous trouvons à l'occasion de nos patrouilles et d'autres actions préventives.
Nous avons du matériel de déminage, mais nous ne faisons du déminage en Afghanistan que si ces mines nous empêchent d'avancer. En d'autres termes, si nous voulons aller du point A au point B, nous allons déminer le terrain pour sécuriser la route. Le reste du déminage est effectué par un organisme qui s'appelle le Centre d'action antimines des Nations Unies pour l'Afghanistan, l'UNMACA, qui est d'ailleurs dirigé par un ancien officier canadien du génie maintenant à la retraite et qui est un type formidable.
Cela sert à plusieurs choses. Le déminage exige énormément de temps et de travail. C'est également extrêmement coûteux. Le financement international — dont le Canada est, sinon le principal, du moins le second donateur par ordre d'importance — permet de faire travailler des milliers de moudjahidines afghans, ces guerriers qui combattaient jadis les Russes ou les talibans et qui, sinon, seraient sans travail. Vous savez, ce n'est pas nécessairement pas une bonne chose d'avoir trop d'anciens moudjahidines oisifs.
Le sénateur Forrestall : Aviez-vous suffisamment d'argent à votre disposition pour faire des choses permettant de créer de l'emploi?
Le mgén Leslie : En fait, ce n'est pas nous qui engagions les Afghans pour faire du déminage. C'était...
Le sénateur Forrestall : Mais je parlais au sens beaucoup plus large du terme, pour la reconstruction des routes par exemple.
Le mgén Leslie : Il y avait en fait à l'époque le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qu'on appelle maintenant Affaires étrangères Canada, l'ACDI et le MDN qui suivaient cela de beaucoup plus près qu'auparavant. Le gouvernement canadien avait affecté 250 millions de dollars sur deux ans pour la reconstruction en Afghanistan. Lorsque j'étais là-bas, le gouvernement canadien travaillait avec le quart de cette somme, soit entre 75 et 80 millions de dollars, dans le cadre d'une palette de projets différents.
Mais si vous voulez parler de l'argent qui était à ma disposition en tant que commandant d'une force d'intervention pour les affaires civiles, pour être franc avec vous, j'aurais bien voulu en avoir beaucoup plus. J'aurais souhaité avoir plus facilement accès à une partie de l'argent de l'ACDI. Il y avait toute une série de complications bureaucratiques de bas de gamme qui me mettaient littéralement hors de moi. Je suis heureux de pouvoir vous dire maintenant que la plupart de ces complications ont fort heureusement été réglées, je pense. Selon ce que j'ai pu voir, ces organismes n'avaient pas l'habitude de travailler en très étroite collaboration et cela a été en partie à l'origine de certains de ces problèmes de croissance.
Était-ce vraiment la vedette? Non. D'ailleurs, je pense que le ministre de la Défense était même intervenu à l'époque en ouvrant tout grand son portefeuille pour nous permettre de régler le problème.
Le sénateur Forrestall : Que Dieu lui en soit reconnaissant. Merci beaucoup, général.
Je voudrais à mon tour vous offrir mes félicitations ainsi qu'à vos soldats. Vous ne passez pas inaperçu, vous le savez.
Le mgén Leslie : C'est très gentil à vous, sénateur.
Le sénateur Forrestall : Merci pour ce que vous avez fait.
Le président : Avant de donner la parole aux sénateurs Day et Munson, je voudrais à mon tour vous poser une question, afin d'éclairer le comité.
L'une des choses que nous tentons de faire dans le cadre de cette étude, c'est d'essayer de montrer aux Canadiens en quoi l'armée leur est utile, ou encore leur demander si à leur avis, l'armée a pour eux une quelconque utilité. Comment utiliser cette expérience en Afghanistan pour expliquer à monsieur tout le monde, à un ouvrier d'une chaîne de montage de Windsor ou à un boulanger de Winnipeg, pourquoi ce que vous avez fait en Afghanistan lui est utile à lui aussi et en quoi cela a pu avoir une incidence sur son quotidien?
Le mgén Leslie : Sénateur, ce n'est pas bien sûr uniquement l'armée, mais je comprends la tournure de la question.
Lorsque nous allons à l'étranger, nous le faisons pour aider les faibles et les démunis. Ainsi, nous essayons de rendre le monde meilleur afin que nos enfants puissent, à leur tour, mieux vivre que les enfants là-bas.
Mais il est certain qu'on ne nous enverrait pas à l'étranger si ce n'était pas dans l'intérêt national. Alors qu'il s'agisse de quelque chose de désintéressé ou non, on peut en discuter, c'est sûr. Mais je pense que les genres de missions que nous avons effectuées récemment ressembleront beaucoup plus souvent qu'autrement aux genres de missions qui vont nous être confiées pendant les cinq, dix ou quinze prochaines années.
Je pense que ce genre de mission trouve un écho favorable au sein de la population canadienne. Je ne saurais prouver ce que j'affirme, mais peut-être pourrais-je le faire une fois que vos collègues et vous aurez terminé votre travail.
Le sénateur Day : Je ne parviens pas à comprendre qui devrait prendre certaines décisions en ce qui concerne notre politique de défense. Faudrait-il, du point de vue de l'armée de terre, que ce soit au chef d'état-major de l'armée de terre à décider, de concert avec ses collègues de l'état-major, qu'il n'y aura plus de chars dans l'armée de terre faute d'argent, et que s'il y en avait, il devrait les partager, ce qui le pousserait donc à dire : « Supprimons donc cela ». Est-ce là une décision qui devrait être prise à un niveau plus élevé, moyennant les consultations nécessaires, et faudrait-il réfléchir un petit peu plus longuement à notre rôle futur?
C'est un des exemples qui me vient à l'esprit. Peut-être pourriez-vous nous parler un peu de spécialisation parce que ce qui découle un peu de cela, c'est la possibilité que nous avons de donner à nos soldats l'entraînement nécessaire dans ce but et qui devrait prendre cette décision. Faudrait-il davantage de spécialistes de la communication et faudrait-il que ce soit l'armée, une force d'infanterie dotée de missiles légers...?
Le président : Sénateur Day, pourriez-vous plutôt axer vos questions sur l'expérience du général en Afghanistan?
Le sénateur Day : Auriez-vous eu besoin de chars en Afghanistan?
Le président : C'est un peu comme le jeu Jeopardy. Vous affirmez quelque chose, puis vous pouvez poser une question dans le même sens. Il suffit de faire suivre l'affirmation d'un point d'interrogation.
Le sénateur Day : Nous allons manquer de temps et mon ami veut que je poursuive. C'est ce que je viens de faire.
Le président : Je voulais simplement un contexte.
Le sénateur Day : Je n'ai aucune idée de ce que je voulais demander.
Le mgén Leslie : Mais cela a trait à l'Afghanistan.
Le sénateur Day : Tout à fait.
Le mgén Leslie : Laissez-moi répondre à votre question en ce qui concerne les détails de la mission en Afghanistan, pour ensuite amener l'argument au niveau qui, je crois, vous intéresse. Bien sûr, vous voulez les deux réponses.
Le sénateur Day : Tant et aussi longtemps que notre président vous permet d'y répondre.
Le mgén Leslie : Non, je n'avais pas besoin de chars en Afghanistan, et je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Aucun des corps d'intervention étrangers, aucune des forces coalisées actuellement sur le terrain en Afghanistan n'a de chars. Certains pays ont apporté des véhicules blindés pour transporter le personnel, les Track Barons, des II3, mais ces véhicules quittent rarement le périmètre de l'aéroport international de Kaboul.
Le principal problème tient au message que cela transmet, qui est parfois bon, qui est parfois mauvais, mais également à l'infrastructure et à l'impact sur l'infrastructure. Si on faisait passer des chars de 70 tonnes ou de 55 tonnes dans les rues de Kaboul, ils viendraient très rapidement à bout de la chaussée.
Mais pour répondre à votre question, non. D'ailleurs, je n'en ai jamais demandé. Si j'en avais mis sur ma liste, personne n'a jamais refusé quelque chose que j'avais demandé ou que mon équipe avait demandé.
Le sénateur Day : Si vous en aviez demandé, en auriez-vous eus?
Le mgén Leslie : Certainement, personne ne m'a jamais donné à entendre que c'était quelque chose de verboten. Et même si cela avait été le cas, si j'avais pensé qu'il m'en fallait, je les aurais demandés.
Le sénateur Day : Pourriez-vous demander davantage de démineurs par exemple? Est-ce que vous pouvez prendre ce genre de décision ou doit-elle être prise ailleurs?
Le mgén Leslie : Des démineurs...
Le sénateur Day : Vous venez d'en parler il y a quelques instants au sujet des mines antipersonnel et de l'intervention d'un organisme non militaire.
Le mgén Leslie : L'UNMACA.
Le sénateur Day : Vous nous avez également dit que vous faisiez un peu de déminage vous-même.
Le mgén Leslie : En effet.
Le sénateur Day : Qui a décidé que ce travail devait être partagé?
Le mgén Leslie : L'aspect militaire m'appartenait. Je ne veux pas que cela rejaillisse sur moi si vous pensez que les choses ont bien tourné parce qu'en fait, il s'agit de tout un groupe disparate de gens vraiment intelligents, depuis les caporaux jusqu'aux généraux, mais c'est moi et moi seul qui ai la responsabilité de la structure de cette force d'intervention.
Si vous me permettez de revenir au problème plus général des chars dans le contexte de l'Afghanistan, accordez-moi quelques instants.
S'agissant des décisions en matière de politique de défense, vous le savez, ces décisions relèvent à juste titre du gouvernement du Canada. Cela ne me dérange absolument pas. Je ne tiens pas vraiment à ce que des généraux puissent essayer de dire au gouvernement canadien ce qu'il doit faire. Je ne pense pas que nous ne voulions jamais en arriver là.
Pour ce qui est de la décision au sujet des chars, vous savez que le gouvernement canadien a annoncé que nous allions acheter des SCM, des systèmes de canon mobile. J'ai vu ici et là, dans certaines publications, soit qu'on remplacerait chaque char par un SCM, soit encore qu'il y aurait un nouveau SCM qui viendrait remplacer deux chars. Je sais que vous allez entendre bientôt le lieutenant-général Rick Hillier qui a commandé l'ISAF, la Force internationale d'assistance à la sécurité, qui est lui-même issu des blindés. Il connaît beaucoup mieux que quiconque toutes les finesses de ce dossier.
Cela dit, si vous me permettez une petite mise en contexte préliminaire, le SCM, qui est une nouvelle technologie, ne représente qu'un des trois éléments qui constituent un système de tir complet. Il n'y a pas que les SCM, il y a aussi le véhicule à effets multimission, le VEMM. C'est un véhicule qui a le châssis d'un ADATS, un système d'arme antiaérien et antichar, installé sur un véhicule blindé léger et qui a une portée de tir relativement importante, de l'ordre de six ou sept kilomètres. Il y a également le TOW, un missile filoguidé à poursuite optique lancé par tube, qui est réinstallé sur le châssis léger.
Nous espérons que les VEM — et vous me pardonnerez l'utilisation des acronymes — les TOW et les SCM pourront fonctionner comme une unité. En fait, tout récemment à Wainwright, nous avons procédé au tout premier exercice afin de voir comment ces trois technologies fort perfectionnées pouvaient être intégrées les unes avec les autres, et les résultats ont été très encourageants. Cela représente d'importants investissements.
Le président : Nous avons entendu dire que ces exercices s'étaient soldés par un fiasco. Nous avons entendu dire qu'il y avait eu beaucoup de problèmes à Wainwright.
Le mgén Leslie : Sénateur, vous me placez dans une position difficile parce que je n'étais pas à Wainwright, mais j'ai parlé à deux des commandants, un responsable de l'artillerie antiaérienne et l'autre des armes blindées. Ils assurent actuellement l'instruction. Évidemment, ce qui est important dans ces essais, c'est d'assurer la bonne instruction. On se sert du char d'assaut Léopard pour simuler le SCM, et on recourt à la version à chenilles de l'ADATS pour simuler le VEM parce qu'évidemment, comme vous le savez, nous n'avons pas encore les SCM. Nous avons toujours des chars. Nous n'avons pas le VEM. Nous avons toujours les versions à chenilles de l'ADATS. Le TOW n'est pas encore installé sur le chantier approprié et nous utilisons toujours le Ferret à chenilles.
C'est tout ce que j'en sais, et je vous recommanderais fortement de vous entretenir avec le général Hillier pour en savoir davantage.
Le président : Certains de ceux qui ont été invités à assister à cette démonstration ont dit que cela n'avait pas fonctionné.
Le mgén Leslie : Sénateur, je crains que nous ne parlions pas exactement de la même chose. Je ne parle certainement pas de l'exercice de tir réel de l'ADATS à Suffield. Je parle plutôt du récent essai des systèmes de tir direct qui a eu lieu à Wainwright.
Le président : Je vois. Je m'excuse. Merci.
Le sénateur Day : Pour conclure la discussion sur cette question, et c'est tout compte fait ma seule intervention, ce que vous nous avez décrit est une évolution des armements, une décision prise par le QGDN alors que cette décision devrait être une décision politique prise dans le cadre de la politique nationale en matière de défense. Vous avez décrit une évolution des armements, à mon avis.
Le mgén Leslie : Oui. Je m'excuse, sénateur, si j'ai semblé indiquer qu'il s'agissait là d'une décision du QGDN qui fonctionnait de façon complètement indépendante de la politique gouvernementale. Ce n'est pas le cas. Pour de plus amples renseignements, il faudrait en parler au commandant de l'Armée de terre.
Le sénateur Munson : Je voudrais vous poser deux questions, général.
Aurait-il été utile d'avoir une meilleure capacité de chargement pour envoyer plus de matériel plus rapidement en Afghanistan?
Le mgén Leslie : De la Turquie à Kaboul?
Le sénateur Munson : Oui.
Le mgén Leslie : Je crois qu'à la période de pointe nous avions deux ou trois vols par jour, ce qui est tout ce que nous pouvions autoriser parce qu'à la même période, les bataillons français et allemands participaient aussi au roulement. C'était en fait une question de place dans l'aire de trafic, comme disent mes collègues de l'Armée de l'air.
Je n'ai aucune plainte à formuler quant à l'acheminement du matériel vers Kaboul. Clairement, puisque je m'occupe des forces terrestres, peu m'importe le type d'avion, le propriétaire de l'aéronef, qui assure mon transport aérien, tant que le matériel arrive et que j'ai tout ce qu'il me faut.
Le sénateur Munson : Peu vous importe si c'est un vol nolisé ou un Hercules?
Le mgén Leslie : Un vol nolisé ou un vol des Forces canadiennes, je ne suis pas de l'Armée de l'air donc je ne peux pas vraiment faire de commentaires là-dessus.
Le sénateur Munson : Voici ma dernière question. Que faites-vous à Kingston après votre expérience en Afghanistan? Qu'étudiez-vous? Quel sorte de message communiquons-nous aux jeunes soldats et aux membres des forces armées lorsqu'un général retourne à l'école?
Le mgén Leslie : Ma réponse officielle à votre question, c'est que j'étudie dans le cadre du programme sur la conduite de la guerre au Collège militaire royal du Canada afin d'obtenir un doctorat dans ce domaine. Je poursuivrai ces études jusqu'à l'été, à moins que quelqu'un au QGDN ne m'avise du contraire. J'essaie de suivre les cours de base du programme de doctorat en étudiant à plein temps pendant un an. Puis je suppose que j'aurai des examens écrits et oraux, je l'espère l'automne prochain, et par la suite je pourrai rédiger ma thèse de doctorat en soirée alors que je serai retourné à la vie militaire.
Je crois que mon retour à l'école montre aux soldats et aux officiers des forces armées que les généraux ne savent pas tout. Nous devons retourner à l'école, et c'est une bonne chose, pour élargir nos horizons et pour nous épanouir comme particuliers de sorte que nous puissions les aider, eux qui sont sur le terrain, à obtenir le bon matériel et à se concentrer sur la mission qu'on est sur le point de leur confier.
C'est une occasion rêvée. Je voudrais qu'un plus grand nombre de mes collègues puissent faire de même.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup. C'est un peu comme un journaliste qui est nommé au Sénat!
Le président : Sauf qu'au Sénat le contre-interrogatoire est très serré.
Le sénateur Banks : Général, j'ai deux petites questions à vous poser. La deuxième nécessitera peut-être une réponse un peu plus longue, tout au moins je l'espère. J'aimerais que vous confirmiez ce que vous avez dit lorsque vous discutiez avec le sénateur Day d'où devrait provenir la décision d'acheter un Striker plutôt qu'un char d'assaut. J'espère que ce sont les soldats qui diront au gouvernement du Canada ce dont ils ont besoin, et non pas le gouvernement qui décidera en vase clos des besoins des soldats canadiens. Ai-je bien saisi? Les soldats doivent pouvoir dire : « Voici ce qu'il nous faut pour nous acquitter des missions que vous nous avez confiées. »
Le mgén Leslie : Oui, sénateur. Je crois que vous rencontrerez le plus haut gradé de l'armée soit la semaine prochaine ou la semaine suivante. Je peux vous assurer que le gouvernement du Canada a reçu des conseils techniques, et pour être honnête, des recommandations du général Hillier à cet égard.
Le sénateur Banks : Merci. J'espère que c'est vraiment ce qui se fera. Le gouvernement du Canada ne retient pas toujours les meilleurs conseils en ce qui a trait aux acquisitions, mais il importe quand même que les bons conseils soient offerts.
En passant, vous avez été fort modeste aujourd'hui quand vous avez dit que vos soldats étaient assez compétents. Ils sont bien plus qu'assez compétents, et le monde entier le sait.
Je vais vous poser une question qui, en dépit de la remontrance du président, ne touche pas nécessairement directement l'Afghanistan ou Kaboul, mais touche en quelque sorte votre expérience dans cette région. Vous êtes un officier général. Nous avons souvent l'occasion de parler à des officiers généraux et d'autres officiers brevetés.
Nous sommes également assurés de rencontrer les principaux sous-officiers, des adjudants qui, comme nous le savons tous, font vraiment fonctionner les choses avec les caporaux et les simples soldats. Je crois que c'est important car, comme vous l'avez dit un peu plus tôt, « les soldats vous diront la vérité ». Nous croyons que c'est vraiment le cas.
Le comité existe depuis trois ans et pose des questions depuis ce temps. Parfois, les réponses que nous donnent ceux qui sont sur le terrain sont bien différentes de celles des officiers qui, même si auparavant dans leur carrière, ils étaient sur le terrain, ne le sont plus maintenant.
Dans la même veine, certains nous ont dit qu'il existe une certaine inefficacité — en fait c'est une efficacité qui n'est pas vraiment nécessairement souhaitable — qui découle du fait que le QGDN et MDN semblent être inséparables et que parfois les intérêts du secteur militaire passent au deuxième rang.
Permettez-moi de vous donner une analogie. Je l'ai saisie la deuxième fois que je l'ai entendue parce que j'ai œuvré dans le théâtre pendant plusieurs années. Chaque théâtre a un directeur artistique et un directeur général et il faut concilier les intérêts pratiques de l'un et les intérêts esthétiques de l'autre. La tension qui existe entre les deux est nécessaire. Si l'intérêt de l'un domine celui de l'autre, rien ne fonctionnera. La tension entre ces deux éléments est fondamentale et essentielle si l'on veut que tous les intervenants et tous les intérêts soient représentés.
Il s'agit en fait d'une question à deux volets. Si vous étiez le roi et que vous puissiez dire que le QGDN serait dans cet édifice là-bas et il décidera ce dont le secteur militaire a besoin. Il va présenter ses propositions au MDN, les intervenants politiques, et ils s'entendront quant à la décision à prendre. Procéderiez-vous de cette façon si vous étiez le roi? C'est clairement une question hypothétique.
De plus, à votre avis, comment pouvons-nous expliquer que les généraux nous disent que tout va bien dans le meilleur des mondes et que les simples soldats nous disent que ce n'est pas le cas? Nous avons écarté les cas de simple rancune. Je parle de ceux qui nous ont dit qu'ils n'avaient pas suffisamment de matériel ou qu'ils n'avaient pas ce qui leur fallait, qu'ils ne pouvaient pas faire ceci ou cela parce qu'ils n'avaient pas l'équipement nécessaire depuis déjà trois ans et qu'il aurait fallu acheter des pièces chez Radio Shack simplement pour se tirer d'affaire.
Le président : Et tout ça c'est lié à l'Afghanistan?
Le mgén Leslie : Si vous placez les choses dans ce contexte, je serai heureux d'essayer de répondre à votre question.
Ce sont de bonnes questions, sénateur. Pourquoi la différence d'opinion? Permettez-moi de m'inspirer de mon expérience personnelle pour répondre à cette question.
J'ai eu beaucoup de plaisir lorsque j'étais commandant de brigade dans l'ouest et j'avais des soldats absolument extraordinaires. Nous avons beaucoup fait d'instruction à un endroit qui s'appelle Suffield, le seul endroit en fait où une grosse brigade peut vraiment s'entraîner et faire son travail, ce qui a été grandement facilité grâce à une injection importante de fonds.
Le premier assaut de mon groupe-brigade s'est très bien déroulé, tout au moins c'est ce que je pensais. J'avais trois groupes tactiques et nous faisions ce que nous devions faire. À la fin de l'exercice, comme la pratique le veut, tous les leaders se réunissent : il y avait moi, les chefs des groupes tactiques, les divers conseillers, les responsables des hélicoptères, des aéronefs, les artilleurs, les ingénieurs et j'en passe. Tout le monde ne jugeait pas que tout s'était très bien passé. En fait, ils étaient d'avis que les choses s'étaient très mal passées parce que personnellement, j'avais simplement voulu m'assurer que plusieurs choses fort complexes avaient lieu. Cependant, du point de vue commandement et contrôle, comme l'a expliqué le coordonnateur, qui était chargé d'assurer que tout allait bien, des véhicules armés jusqu'aux groupes de bataille, les choses étaient plutôt chaotiques. D'après eux, les choses ne s'étaient pas très bien déroulées.
Nous avons répété l'exercice deux ou trois fois. En fait, nous l'avons répété à plusieurs reprises. À la fin du dernier exercice, la majorité était d'avis qu'en fait les choses s'étaient assez bien passées. Puis, vous recevez une promotion et vous laissez vos subalternes faire ces exercices et décider quel char d'assaut aurait dû être où et quelles armes auraient dû être déployées à tel endroit. Écoutez, j'ai participé à l'exercice et je pensais que tout s'était bien passé. Les commandants de mon groupe tactique qui sont des lieutenants-colonels pensaient que les choses s'étaient bien passées.
Je suis tombé sur l'équipage d'un transporteur qui était couvert de boue. Les membres de l'équipage jugeaient que tout cet exercice avait été la catastrophe la plus totale parce qu'ils étaient allés directement dans un marécage, tout compte fait, et qu'ils avaient passé quatre à cinq heures à essayer de se sortir de la boue, ce qui n'est certes pas facile quand il s'agit d'un véhicule blindé. À leur avis, tout cet exercice avait été une totale catastrophe et ils auraient bien voulu pouvoir mettre la main sur l'idiot de commandant de brigade qui les avait envoyés dans ce marécage. Vous voyez ce à quoi je veux en venir, c'est toute une question d'échelle et de perspective.
Une autre anecdote. Lorsque j'étais commandant de la Force terrestre du secteur du centre, je ne permettais à aucun de mes subalternes d'acheter du matériel de technologie de l'information qui coûtait plus de 50 $ sans avoir obtenu auparavant mon autorisation. Il s'agissait d'une organisation qui comptait 13 000 à 14 000 membres. J'avais pris cette décision parce que j'étais d'avis que nous dépensions beaucoup trop d'argent pour le matériel de bureau et la technologie de l'information, de l'argent qui pouvait être mieux investi dans des programmes visant à envoyer nos soldats là où ils pouvaient revenir couverts de boue. Nous avons pu dépenser beaucoup d'argent pour la formation et l'instruction justement pour cette raison.
Ce n'est pas la fin de l'histoire. Évidemment, il y avait des choses importantes dont les soldats et les diverses bases avaient besoin, des microphones et des projecteurs sans lesquels ils ne pouvaient faire leur travail. En raison de mon désir de transférer des montants du secteur administratif vers le terrain, comme vous l'appelez, l'année suivante on a dû dépenser encore plus d'argent pour le budget administratif, ce qui a été fait au détriment des activités sur le terrain.
À l'occasion, l'interprétation d'une situation ou d'une décision peut être complètement différente selon le groupe auquel vous vous adressez, et selon l'échelle du problème.
Je sais que vous le savez déjà, mais vous vous demandez pourquoi il existe une telle différence d'opinion. À mon avis, c'est là la raison. Je connais tous les généraux des Forces canadiennes. Je ne les connais pas tous très bien. Je connais très très bien ceux qui font la même chose que moi. Il s'agit dans tous les cas de gens qui travaillent très fort et qui croient sincèrement qu'ils jouent un rôle important dans la défense du Canada. Ils ont raison. Certains font leur travail mieux que d'autres. Mais ils veulent tous sincèrement aider ceux qui devraient être aidés, soit les soldats, les marins et les aviateurs sur le terrain. Je le crois sincèrement.
Certains sont plus intelligents que d'autres. D'autres sont plus beaux. Comme je l'ai déjà signalé, certains font les choses mieux que d'autres mais, pour être honnête, ce n'est pas le genre de boulot que vous voudriez faire si la passion nécessaire ne vous animait pas. Sans passion, vous ne pourriez pas faire ce travail. Cette passion, évidemment, devrait vous amener à faire tout ce que vous pouvez pour aider ceux qui sont sur le terrain.
C'était ma réponse à votre première question.
Votre deuxième question porte sur le fait que le Quartier général de la défense nationale semble ne pas pouvoir être séparé du ministère de la Défense nationale. Vous avez parlé du modèle de consensus, du processus décisionnel par consensus, l'outil préféré des bureaucrates — et je suis convaincu que vous connaissez M. Lou Gershner qui avait essayé avec brio de remanier IBM il y a près de 20 ans; il a essayé de surmonter ce paradigme extrêmement compliqué — tout cela mérite d'être étudié.
Je vais accepter le conseil du sénateur et je vais en fait vous relancer la balle. Je vous recommande de poser la question au vice-amiral Buck qui est le vice-chef d'état-major de la Défense. Il est l'officier responsable de l'administration efficace du Quartier général de la défense nationale.
Le président : Et il renverra la balle à M. Ward Alcock le plus rapidement possible.
Le sénateur Forrestall : Je vous remercie du commentaire et des observations que vous avez faits. Depuis déjà 35 ou 40 ans — cela fait donc déjà très longtemps et ça me tracasse toujours lorsque j'y pense, ce qui ne m'arrive pas souvent mais seulememt plusieurs fois par an — je m'intéresse à ce qu'on dise la vérité aux puissants.
Je ne vous demanderai pas de répondre à la question, mais j'espère qu'il s'agit d'un principe qui nous assimile à Dieu. Il est d'une importance capitale que les gens comprennent que la vérité est communiquée vers le haut. C'est ce qui est important. La vérité, tout compte fait, c'est le résultat.
Je vous remercie d'être venu nous rencontrer. Vous avez été fort direct avec nous. Nous vous en sommes reconnaissants. Mon commentaire ne nécessite aucune réponse.
Le mgén Leslie : En fait, sénateur, j'aimerais essayer d'y répondre, mais seulement si le président m'y autorise.
Le président : Vous pouvez répondre, général.
Le mgén Leslie : Si vous constatez qu'un général vous a menti, vous devriez le congédier, pour être honnête, le plus rapidement possible.
Le sénateur Forrestall : La raison pour laquelle je n'ai jamais demandé qu'un général soit congédié alors que je pensais qu'il m'avait peut-être menti, c'est que je n'étais jamais tout à fait convaincu que j'avais posé la bonne question. Ce qui m'irrite et me tracasse est que le général n'a pas dit : « Écoute, Forrestall, pourquoi ne m'as-tu pas demandé ceci? Pourquoi ne m'as-tu pas demandé cela? Pourquoi m'as-tu plutôt demandé ceci? Si tu m'avais posé une autre question, je t'aurais donné la réponse que tu cherchais. »
C'est pourquoi il est si important que je puisse vous faire confiance. Je ne veux même pas qu'il y ait le moindre doute dans mon esprit. Si vous me dites que c'est noir, je vous croirai.
Le mgén Leslie : C'est très aimable à vous, sénateur. J'espère ne pas vous décevoir.
Le sénateur Forrestall : Je sais que vous ne le ferez pas.
Le mgén Leslie : C'est très aimable à vous.
Le président : Général, c'était une très bonne question. Pour conclure à l'intention du comité et peut-être aussi pour rappeler l'essentiel de la séance que nous tenons maintenant, pourriez-vous nous résumer les enseignements que vous avez tirés ou que vous croyez que vous auriez dû tirer, des efforts déployés en Afghanistan, depuis que vous y êtes allé? Que souhaiteriez-vous que le comité retienne au moment de conclure votre témoignage, et sur quoi devrions-nous nous concentrer dans la poursuite de notre étude?
Le mgén Leslie : Avant tout, je recommanderais — bien sûr, sous réserve de l'approbation du chef d'état-major et du ministre, reconnaissant la nature du travail que vous effectuez et son importance pour engager un débat de ce genre avec les Canadiens au sujet des endroits où ils veulent que leurs forces armées aillent ou se trouvent — d'aller à Kaboul. Je pense que vous devriez y aller à titre personnel. Je pense que des gens comme vous-même et le coprésident et d'autres devraient aller à Kaboul...
Le président : Ne suffit-il pas d'y avoir envoyé le sénateur Munson?
Le mgén Leslie : Sénateur, je ne vois pas comment m'en tirer, et je m'en abstiendrai donc.
Sénateur, dans la poursuite de vos délibérations, s'il se dégage parmi les Canadiens un consensus qui montre qu'ils approuvent les types de missions qu'on a menées en Afghanistan et qu'ils comprennent pourquoi on l'a fait ainsi que le prix que nous devons parfois payer pour protéger les faibles et les innocents, je pense qu'il existe quatre grands secteurs qui méritent que nous y réfléchissions tous au cours des quelques années qui viennent. À nouveau, je pense ici précisément à l'Afghanistan.
Par exemple, le soutien de l'aéronavale; nous avions là-bas trois hélicoptères allemands mais ils ne suffisaient pas. Nos hélicoptères Griffin ne pouvaient pas fonctionner à ces altitudes, des altitudes de 6 000 pieds. Si nous sommes censés effectuer ce genre de missions, j'aimerais que nous envisagions de nous y préparer maintenant, parce que les décisions que nous prenons en ce moment au sujet de l'acquisition d'équipement ne se traduiront effectivement dans la réalité que...
Le président : Dans treize ans, à ce qu'on nous dit.
Le mgén Leslie : Est-ce la moyenne, treize ans? Quand nous pensons à l'aviation nous devons nous demander comment déplacer des soldats du point A au point B sur un terrain très accidenté, face à des forces hostiles, ce qui suppose aussi que nous disposions de ces énormes plates-formes d'aviation, de ces hélicoptères de taille moyenne ou de gros hélicoptères, et qu'il nous faut un aéronef d'escorte armé d'un type semblable à ceux qui peuvent servir à des fins de dissuasion et de protection.
Deuxièmement, il faut songer à certaines des nouvelles technologies, aux véhicules aériens sans pilote, les UAV, et voir comment les intégrer. Nous en avions en Afghanistan. Ils nous ont permis de faire de l'excellent travail, mais la capacité d'utiliser ces technologies pour voir ce qui se passe de l'autre côté de la colline permettra je pense de remporter la victoire au cours de certaines missions, qu'il s'agisse de missions de guerre, de soutien de la paix ou de soutien humanitaire. Je pense que d'ici cinq à dix ans, il serait bien que divers éléments de la chaîne de commandement, de la compagnie, du groupe tactique et de la brigade, aient leurs propres moyens de vérifier ce qui se trouve de l'autre côté du coteau sans avoir à y envoyer un jeune soldat en pleine nuit à travers un champ miné.
Troisièmement, il est question des communications et de certaines des architectures qui nous permettent d'améliorer notre connaissance de la situation. Comment découvrons-nous ce que l'ennemi est en train de faire et comment nous en servir compte tenu des nouvelles technologies qui sont en voie d'être mises au point dans le domaine électromagnétique.
Quatrièmement, les véhicules de patrouille d'infanterie légère. Actuellement, aucune nation n'a vraiment encore de solution, à ma connaissance, même si je suis porté à croire qu'il existe un début de création d'un prototype quelque part au Canada dans la région de London. On entrevoit pour l'avenir un véhicule de patrouille d'infanterie légère spécialement conçu, qui pourrait accueillir quatre, six, huit ou quelque soit le nombre de gens dont les experts vous diront avoir besoin, et leur assurer dans une certaine mesure la capacité de survivre à une mine antichar. C'est vraiment beaucoup demandé d'un véhicule léger. Les mines antichars, comme vous le savez, sont puissantes. Elles ont une très forte charge explosive.
Toutefois, la technologie existe. Il nous suffit de la trouver et nous devons concevoir un système de véhicule de patrouille d'infanterie légère qui à l'avenir permettra de mieux protéger nos jeunes soldats. Je sais que beaucoup d'autres nations recherchent cette technologie.
Voilà quatre grands secteurs auxquels il faut songer pour l'avenir. Je prends bonne note des observations du sénateur Bank selon lequel nos jeunes hommes et jeunes femmes excellent dans tout ce que nous faisons outre-mer.
Le président : Pour que je comprenne bien, à propos de cet hélicoptère dont vous parliez, ces navires armés. Comment appellerait-on couramment ce type d'hélicoptère?
Le mgén Leslie : Oui, sénateur, peut-être parce que nous sommes Canadiens, nous pourrions peut-être parler d'un appareil léger d'escorte à des fins pacifiques et humanitaires.
Le président : Formidable. Nous permettez-vous de vous citer?
Le mgén Leslie : Non. Et puis, faites-en ce que vous voulez.
Pas nécessairement, mais quelque chose. Nous ne sommes pas en train de théoriser. Nous parlons d'une force qui existe bel et bien, comme vous l'avez mentionné. Vous avez parlé de l'échéancier des projets et j'aimerais — mais il vous revient à vous d'en décider — que des idées soient examinées maintenant en prévision de l'avenir, compte tenu des types de missions que nous avons tout récemment menées et que nous pourrions avoir à accomplir à l'avenir, dans les dix à quinze prochaines années.
Le président : Général, merci beaucoup au nom du comité. Vous avez pu constater que vous avez captivé notre attention pendant une heure et demie. Votre témoignage nous aura été très précieux. Nous vous remercions d'être venu et de nous avoir consacré du temps. Nous vous sommes très reconnaissants de nous aider à mener à bien notre travail en vue de l'élaboration d'une politique.
Nous vous sommes reconnaissants pour votre aide et nous vous souhaitons bonne continuation.
Le mgén Leslie : Merci, sénateur.
La séance est levée.