Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 4 - Témoignages du 29 novembre 2004 (soirée)
KINGSTON, le lundi 29 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité pour le Canada (assemblée publique).
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir. J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à une réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Veuillez prendre place à l'avant. Nous avons des sièges pour vous. Nous sommes heureux que vous soyez venus.
L'assemblée publique de ce soir s'adresse aux résidents de Kingston et porte sur des questions relatives à la politique de défense. Je m'appelle Colin Kenny. Je suis sénateur de l'Ontario et je préside le comité.
Voici comment la soirée va se passer, du moins nous l'espérons. Premièrement, je vais vous présenter les sénateurs, ensuite je vous décrirai brièvement les travaux du comité jusqu'à maintenant, après quoi je céderai la parole au professeur David Haglund de l'Université Queen's, qui servira de modérateur pour la discussion de ce soir.
Au nom du comité, Monsieur Haglund, je vous remercie beaucoup pour l'aide que vous nous apportez dans l'organisation de cette réunion.
Immédiatement à ma droite se trouve le distingué sénateur de Nouvelle-Écosse, le sénateur Michael Forrestall. Le sénateur Forrestall est au service des commettants de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député à la Chambre des communes, ensuite à titre de sénateur. Pendant son mandat à la Chambre des communes, il a été secrétaire parlementaire de plusieurs ministres, notamment le ministre des Transports et le ministre de l'Expansion industrielle régionale.
Plus loin à ma droite se trouve le sénateur Tommy Banks de l'Alberta. Le sénateur Banks est bien connu des Canadiens comme artiste de variété et il est l'un de nos musiciens les plus polyvalents. Sa carrière musicale s'étend sur plus de 50 ans. Il a reçu un Prix Juno et il est Officier de l'Ordre du Canada. Il est également le président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, et il préside le caucus libéral de l'Alberta.
Immédiatement à ma gauche se trouve le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick. Il a des liens de longue date avec Kingston. Il détient en effet un baccalauréat en génie électrique du CMR et une licence en droit de l'Université Queen's. Le sénateur Day a également obtenu une maîtrise en droit de Osgoode Hall. Avant sa nomination au Sénat en 2001, il a fait une brillante carrière d'avocat. Il est également vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et de notre Sous-comité des anciens combattants.
À côté de lui se trouve Jim Munson de l'Ontario. Le sénateur Munson a été un très bon journaliste et directeur des communications du premier ministre Jean Chrétien avant d'être nommé au Sénat. Le sénateur Munson a été deux fois mis en nomination pour un Prix Gémeau en reconnaissance de son excellence en journalisme.
Le sénateur Jane Cordy de Nouvelle-Écosse se joint à nous en ce moment même. Elle est une enseignante accomplie qui a aussi de longs antécédents de participation communautaire, ayant notamment été vice-présidente de la Commission de développement portuaire de Halifax-Dartmouth. Elle est également présidente de l'Association parlementaire Canada-OTAN.
Notre comité est le premier comité sénatorial permanent qui a le mandat d'étudier à la fois la sécurité et la défense. Nous avons publié cinq rapports sur la sécurité nationale et la défense au cours des trois dernières années. Nous avons conclu dans nos rapports que les Forces canadiennes sont sous-financées et surchargées de travail et nous avons recommandé, entre autres choses : une augmentation permanente des dépenses de base consacrées aux forces armées d'environ 25 p. 100, ce montant étant ensuite indexé à l'inflation; une réduction des déploiements militaires outre-mer jusqu'à ce que les ressources attribuées aux forces armées correspondent davantage aux tâches exigées de leur part; et un recentrage du rôle des réserves qui doivent se consacrer davantage à la protection civile.
Au total, nous avons fait plus de 130 recommandations et notre réunion de ce soir est le début de l'étape suivante. Le comité a été chargé par le Sénat d'examiner la politique de défense du Canada. C'est la première fois qu'une telle étude est effectuée depuis dix ans. Nous examinons quels sont les besoins du Canada en matière de forces armées et, ce qui est encore plus important, qu'est-ce que les Canadiens veulent dans ce domaine.
Les renseignements et les opinions que nous recueillerons de vous ce soir seront intégrés dans un rapport que nous remettrons au Sénat avant septembre 2005. Je dois dire que la dernière fois que nous l'avons fait — trois sénateurs membres de notre comité ont participé au dernier exercice en 1993-1994 —, environ 90 p. 100 du rapport du comité a par la suite été incorporé au livre blanc qui est devenu la politique gouvernementale qui est encore en vigueur aujourd'hui.
Je tiens réitérer que nous sommes ici pour vous écouter. Nous voulons entendre ce que vous avez à dire. Nous ne considérons pas cette soirée comme une période de questions et de réponses. Nous voulons vraiment vous écouter et peut-être vous demander des précisions sur ce que vous avez dit. C'est votre occasion de nous faire part de votre point de vue et ce que nous aimerions entendre, c'est ce que vous pensez des Forces canadiennes, comment vous voudriez qu'elles soient organisées et qu'est-ce que vous aimeriez les voir faire.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, notre modérateur est David Haglund. Le Dr Haglund est professeur de sciences politiques à l'Université Queen's et il a été directeur du Centre des relations internationales. Il va vous expliquer les règles de la réunion.
Professeur, vous avez la parole.
M. David Haglund, professeur de sciences politiques, Université Queen's : Merci, sénateur. Je vous remercie, sénateurs, d'être venus à Kingston pour partager vos importantes responsabilités avec les membres de la collectivité.
Voici les règles de base. Il y a deux microphones dans la salle. Si vous voulez prendre la parole, faites la queue devant l'un des microphones. Je me rends compte qu'il n'y a pas beaucoup de place, mais vous constaterez qu'il y a des allées où vous pourrez attendre votre tour.
Vous ne poserez pas de questions. Les sénateurs sont ici pour nous écouter, pour apprendre en vous écoutant. Vous ferez un exposé qui ne devra pas dépasser trois minutes. J'ai ici un petit gadget technologique que je n'ai jamais utilisé auparavant et je vais sûrement me tromper de bouton, mais dans la mesure où je réussirai à ne pas m'embrouiller, je vais contrôler rigoureusement votre temps de parole en appuyant sur les boutons début et fin. Quand la lumière rouge s'allume, vous mettez fin à votre intervention. La lumière jaune devrait s'allumer quand il vous reste 30 secondes, si je procède comme il faut. Vous devrez donc jeter des coups d'oeil dans ma direction.
Si vous n'avez pas cessé de parler après trois minutes, le microphone va se fermer. Vous feriez donc mieux de planifier votre intervention en conséquence.
Un seul membre du comité pourra alors vous poser une question pour vous demander des précisions. On essaiera de poser des questions brèves et les sénateurs m'ont donné comme instruction de les aider en leur rappelant que 30 secondes suffisent amplement pour poser une question précise. Si l'un d'eux vous pose une question, vous aurez alors une minute et demie pour répondre. Je vais faire respecter la limite de temps et je vais vous le dire quand votre temps sera écoulé.
Pour la minute et demie consacrée à la réponse, à supposer que vous vouliez répondre, je ne prévois pas surcharger mes connaissances technologiques en reprogrammant ce gadget, et je vais donc tousser ou me racler la gorge pour vous faire comprendre que votre temps de réponse est écoulé.
Le comité exige que les intervenants s'identifient aux fins du compte rendu. On pourra ainsi compiler un compte rendu fidèle de la soirée et, au besoin, communiquer avec vous. Comme c'est une séance parlementaire, vous comprendrez qu'il est nécessaire d'établir un compte rendu fidèle. Je pense que vous avez tous pris une carte d'inscription et quand vous serez en ligne pour faire votre exposé, n'oubliez pas de remettre votre carte à l'un des greffiers qui seront assis à côté de chaque microphone. Normalement, vous avez tous trouvé une carte sur votre chaise en arrivant. S'il n'y en avait pas, vous pouvez vous en procurer à l'arrière de la salle.
N'oubliez pas de dire votre nom avant de commencer à parler. Merci.
Le président : Monsieur Haglund, j'ai oublié de préciser que nous avons ici un service d'interprétation. Vous pouvez vous procurer des écouteurs à l'arrière de la salle. vous pouvez évidemment vous exprimer dans une langue ou dans l'autre.
M. Paul Gervan, témoignage à titre personnel : Je soupçonne que le point de vue que je vais exprimer sur les militaires sera légèrement différent de celui de la plupart d'entre vous, étant donné que je ne suis ni professionnel ni politicien. Je crois toutefois parler au nom d'un grand nombre de Canadiens qui, comme ma grand-mère avait coutume de dire, crachent de colère.
La politique de défense du Canada semble totalement déconnectée de la réalité du monde que nous connaissons. Le monde a changé complètement depuis trois ou quatre ans. Il me semble que nous nous apprêtons à poursuivre notre politique désuète et lamentable qui consiste à faire la mouche du coche de l'empire américain en essayant de suivre le rythme irrationnel et destructeur de leurs dépenses consacrées à la défense.
J'ai beaucoup voyagé depuis 40 ans. Je suis allé à l'étranger bien des fois pour affaires. Deux choses me sont apparues clairement : la futilité de la force — l'usage de la force n'a tout simplement rien donné depuis que je suis au monde. Je n'ai pas constaté que cela ait renforcé le moindrement la paix ou la stabilité dans le monde. En fait, notre situation est plus instable et nos enfants sont plus menacés aujourd'hui, à mon avis, par la situation internationale que je ne l'étais à titre d'enfant de la bombe atomique dans les années 1940 et 1950.
Pour revenir à ce changement dont j'ai parlé, le monde s'est complètement réaligné. Je pense que n'importe quel Canadien qui est allé à l'étranger a été frappé de voir à quel point les États-Unis sont impopulaires. On dirait que nous continuons à appliquer aveuglément notre même politique en matière de dépenses militaires, surtout pour la défense antimissiles, nous sommes les laquais des Américains et notre politique n'a aucun rapport avec ce que souhaite l'immense majorité des habitants de notre planète.
Nous vivons dans un monde imaginaire. Ce sont les États-Unis qui sont l'empire du mal et nous les appuyons. Nous sommes ici sur la frontière et nous avons une abondance de ressources, notamment en eau et en pétrole, et s'il y a quelque chose que nos forces armées devraient faire, c'est de protéger notre souveraineté, autant au nord qu'au sud.
Les sous-marins diesel et cette politique d'acquisition risible sont vraiment gênants pour nos militaires. J'ai honte pour eux. Je les plains et je nous plains, nous qui devons payer pour tout cela. Je souhaite ardemment que le Canada consacre plutôt ses ressources militaires à la défense civile, pour protéger nos ressources et notre souveraineté, et que nous fassions un virage radical pour adopter une politique étrangère indépendante, une politique militaire indépendante en réduisant notre intégration aux Forces américaines.
Le sénateur Banks : Nous croyons que nous appliquons, dans l'ensemble, une politique indépendante, comme il a été amplement démontré, à mon avis. Cependant, à votre avis, n'avons-nous aucune responsabilité pouvant nous amener à nous lancer dans ce que vous pourriez considérer comme une aventure à l'étranger, je veux dire quand il s'agit d'envoyer un corps expéditionnaire quelque part pour faire quelque chose qui, à ce qu'il nous semble, est dans notre intérêt national?
M. Gervan : Oui, je me félicite assurément des efforts de maintien de la paix du Canada dans le monde, dans la mesure où ils sont indépendants et appropriés. Nos efforts de maintien de la paix en Afghanistan ne sont pas indépendants ni appropriés. C'est une tâche qui nous a été assignée par George Bush. Nos forces n'ont pas d'affaire là.
Il conviendrait peut-être que nos forces et nos efforts humanitaires soient consacrés au Soudan ou à d'autres crises humanitaires dans le monde.
Cependant, il est certain que vous autres, au Parti libéral — Dieu du ciel, le Parti libéral! — vous nous avez vendu corps et âme à George Bush. Il ne faut pas s'y tromper : la décision a été prise sur la défense antimissiles. Les Canadiens n'ont pas eu leur mot à dire dans cette décision. C'est une énorme décision qui a d'énormes répercussions financières pour notre pays. Elle a d'énormes répercussions pour la sécurité de notre pays et pas seulement à cause de l'argent qu'on va dépenser, mais aussi du fait que cet argent gaspillé pourrait être beaucoup plus utile, par exemple pour lutter contre le sida en Afrique. Les crises humanitaires ne manquent pas autour de nous. Pourquoi dépenserions-nous de l'argent pour la défense antimissiles dont l'efficacité n'a jamais été démontrée, et qui n'est même pas de la défense; c'est de nature offensive. Cela alimente la course aux armements.
Je vous entends tousser, merci. Je vais m'arrêter là.
M. Haglund : Ce n'est pas moi qui ai toussé, en fait. Mais je vous remercie d'avoir toussé, sénateur Munson. Le temps était écoulé.
Le lieutenant-colonel (à la retraite) Arthur T. R. H. Neadow, témoignage à titre personnel : Madame et messieurs, je suis lieutenant-colonel à la retraite au régiment PPCLI. J'ai passé 55 ans au service de mon pays, en commençant comme cadet à l'âge de 10 ans et à la fin, à 65 ans, j'étais l'un des réservistes supplémentaires actifs qui ont accepté d'être appelés en service actif quand la Loi sur les mesures de guerre a été déclarée en conformité des recommandations du comité parlementaire précédent, sous la présidence de Marcel Prud'homme.
J'avais l'intention de vous expliquer mon cheminement en long et en large, mais à cause de la limite de trois minutes, je me contenterai de dire que je me suis enrôlé dans le PW ici à Kingston, c'est-à-dire le Princess of Wales Own Regiment, et ensuite dans les Brockville Rifles, après quoi j'ai fait amende honorable et je me suis enrôlé dans les forces régulières dans le régiment Patricia. Voilà ma feuille de route.
Aujourd'hui, je voudrais aborder trois points. Je voudrais vous parler des principes de la guerre et de leur application au commandement et contrôle, à la formation des chefs et à l'administration. Je voudrais vous parler de l'impact de la politique étrangère sur nos forces de réserve et régulières mal organisées et mal équipées. Je vais oser donner mon point de vue sur l'immigration. Et le dernier point que je voudrais aborder, si j'en ai le temps, concerne votre visite.
Il y a dix principes de la guerre. À ma connaissance, la plupart des soldats que j'ai rencontrés aujourd'hui sont incapables de s'en rappeler, de les réciter, et s'ils peuvent les réciter, ils n'ont aucune idée de ce qu'ils veulent dire.
Je ne vais pas les réciter à votre intention, qu'il suffise de dire que le principe primordial est le choix et la poursuite de l'objectif et, dans tous les livres blancs que j'ai lus, je n'ai jamais vu la moindre indication que les auteurs du document avaient la moindre compréhension du principe de la guerre appelé « choix et poursuite de l'objectif ». C'est simple : il faut décider de ce qu'on veut faire, après quoi il faut préparer les forces à le faire et ensuite en le fait.
Au lieu de cela, dans le dernier livre blanc que j'ai lu, on énumérait 55 missions et tâches des forces armées et, bien sûr, il nous était impossible de faire tout cela et nous ne savions pas ce qu'il fallait faire en premier. C'est en violation de tous les principes militaires et d'affaires que je connaisse. Ce livre blanc remplaçait une mission très simple que nous avions auparavant, qui consistait à se rapprocher de l'ennemi et à le détruire. On semble avoir complètement perdu cela de vue dans les documents présentés par le gouvernement.
Quand nous appliquions cette norme, nous pouvions remplir n'importe quelle mission qui n'allait pas jusqu'à la guerre totale : maintien de la paix, édification de la paix, ou bien notre mission quand je commandais la Force d'observation et de désengagement de l'ONU en Israël; nous étions capables de faire cela avec la formation que nous avions à cette époque.
Le sénateur Munson : Une brève question. Seriez-vous prêt à accepter une augmentation de nos impôts pour augmenter les dépenses consacrées à la défense? Quand nous parlons aux Canadiens, chacun admire les militaires et ce qu'ils font. Par contre, quand nous les interrogeons sur les dépenses, ils nous disent que les priorités sont la santé et l'éducation. Il semble qu'au bout du compte, le gouvernement doit décider quelles seront les priorités de dépenses.
Quelles sont d'après vous les priorités de dépenses?
M. Neadow : Monsieur, j'ai une réponse très radicale à cela, à savoir que j'aurai bientôt 73 ans et que j'aurai bientôt besoin de médicaments et de soins, mais je suis d'avis que vous pouvez dépenser l'argent plus judicieusement, par exemple dans l'éducation et des forces armées convenables.
J'aimerais aussi que les forces de réserve aient leur propre budget pour qu'elles ne soient pas obligées de réagir au jour le jour en fonction du budget des forces régulières.
M. Frederick W. Fairman, témoignage à titre personnel : Je suis professeur émérite de Systèmes de commande en boucle fermée à l'Université Queen's.
Je vais faire une brève déclaration qui ne devrait pas prendre trois minutes.
Il a été proposé que le Canada participe au projet de bouclier antimissiles des États-Unis, qui est une nouvelle version de la guerre des étoiles; cette proposition doit être rejetée. Mon premier argument est que si nous devions participer à ce programme américain, la réputation du Canada à titre de pacificateur serait compromise et nous serions perçus comme contribuant à une nouvelle course aux armements. Au lieu de cela, nous devrions renforcer nos activités frontalières pour s'assurer que les terroristes et le matériel de terrorisme ne puissent entrer dans notre pays.
Mon deuxième argument est que les États-Unis travaillent à un bouclier antimissiles depuis des années et que d'éminents experts continuent de dire avec insistance que cela ne pourra jamais fonctionner. De plus, toute puissance suffisamment avancée pour pouvoir lancer un missile balistique contre les États-Unis serait capable d'employer des contre-mesures pour rendre le bouclier inefficace.
Troisièmement, pourquoi gaspiller l'argent des contribuables pour réaliser cette idée stupide alors qu'il y a tant à faire pour améliorer la vie du Canadien moyen.
Enfin, si la démocratie est une vertu, alors l'adoption accélérée de mesures législatives est un péché. Il doit y avoir un véritable débat suivi d'un vote à la Chambre pour décider si le Canada doit entamer des pourparlers avec les États-Unis sur cette question et dans quelle condition.
Le sénateur Forrestall : Monsieur, je ne sais trop comment dire cela. Vous avez parlé du système de défense contre les missiles et des crédits budgétaires qui y seront consacrés. Si nous avions le choix en la matière, et Dieu merci, nous sommes encore un pays libre, et si d'autres coûts surgissaient, seriez-vous disposé à ce que nous assumions d'autres coûts pour la défense nationale — je songe à une augmentation du nombre de soldats, de réservistes et du renforcement des activités intérieures — avez-vous une opinion là-dessus?
M. Fairman : Je suis d'avis que le Canada doit examiner attentivement ce que votre comité étudie, à savoir quels sont nos besoins, et doit ensuite prendre une décision en conséquence. Il me semble que ce dont nous avons besoin, c'est la capacité tout au moins d'assurer la surveillance continue de toutes nos côtes et de s'assurer qu'on ne fait pas entrer des armes dans notre pays en passant par les ports.
C'est ma seule préoccupation.
M. Bill Grayden, témoignage à titre personnel : Je possède une petite entreprise familiale ici, appelée Bioped Footwear and Orthotics. De 10 à 15 p. 100 de ma clientèle vient de la communauté militaire et la question me touche donc directement. Les questions de sécurité ont des conséquences encore plus grandes, surtout aujourd'hui, après les événements du 11 septembre. Le terrorisme ou n'importe quelle catastrophe, c'est mauvais pour les affaires.
Je veux commenter le merveilleux travail accompli par la milice pendant des événements comme la tempête de verglas et les inondations au Manitoba, et aussi au combat avec le deuxième bataillon du PPCLI, appelé Medak Pocket. Les militaires prennent de plus en plus de place dans les médias ces jours-ci et je pense qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud.
Les armées existent pour servir l'État. Ce qui me préoccupe, c'est notre capacité de le faire. Étant donné que l'usage de la force facilite indéniablement la tâche quand il s'agit de prévenir la violence et d'autres catastrophes, comme Tom Axworthy l'a dit hier matin, au Canada, nous sommes de beaux parleurs, mais de petits faiseurs. Nous avons déjà une méthode peu coûteuse pour y remédier en partie, à savoir la milice. Je pense que le gouvernement doit reconnaître sa valeur et exiger que les forces tiennent compte de leur orientation.
Je serais intéressé à entendre tout commentaire ou question de votre part.
Le sénateur Day : Monsieur Grayden, je vous remercie d'être venu. Pourriez-vous me dire si le rôle que vous envisagez pour la milice est différent de celui des forces régulières ou bien complémentaire? Vous avez évoqué des opérations que la milice a faites de façon indépendante, mais vous avez aussi évoqué leur rôle de complément dans une mission des forces régulières. Est-ce que la milice peut faire les deux ou bien devrait-elle avoir son propre mandat?
M. Grayden : La milice peut faire les deux et l'on peut diviser des unités ou des sections d'unités pour que les gens qui en ont le temps et l'énergie puissent devenir des forces de service spécial au sein de la milice. Vous pouvez avoir un peloton d'une unité qui accomplit une tâche pendant que les autres apprennent d'autres métiers.
Fondamentalement, les membres de la milice doivent quand même apprendre les habiletés militaires de base dont chacun a besoin pour être prêt à tout. Ceux qui en ont le temps et le goût peuvent devenir des soldats qui renforcent les forces régulières et assument des rôles spéciaux, et cetera. D'autres n'en ont pas le temps; ils possèdent probablement leur propre entreprise. Je me rappelle que pendant la tempête de verglas, un jeune homme qui travaillait comme chauffeur de taxi a confié son entreprise à ses parents et, pendant les deux ou trois semaines de la crise du verglas, il a sillonné tout le comté de Lanark-Renfrew pour se rendre utile. Il a pris le temps de le faire. Est-ce qu'il pourrait partir pour une mission de six mois? Probablement pas, mais d'autres le peuvent.
Il faut reconnaître la valeur de la milice. C'est un symbole communautaire. Il se fait beaucoup de recrutement. Nous avions 100 personnes qui faisaient la queue pour essayer d'entrer dans la milice et on leur a dit d'attendre trois mois, et encore trois mois. C'est une tragédie quand on a un tel nombre de gens qui attendent leur tour de se mettre au service de leur pays et qui se font traiter comme des moins que rien.
Mme Nancy Fairman, témoignage à titre personnel : Bonsoir, sénateurs. Je suis assistante bibliothécaire à la retraite à l'Université Queen's.
Je prends la parole cet après-midi pour vous exhorter de ne pas recommander que le Canada se joigne aux États-Unis dans le traité de défense antimissiles. J'ai lu que, premièrement, cela ne pourra jamais fonctionner; deuxièmement, qu'il faudra y engloutir des sommes d'argent énormes à même les deniers publics; troisièmement, que cela débouchera sur une nouvelle course aux armements planétaires; et quatrièmement, que les seuls à en bénéficier seront les entrepreneurs du secteur de la défense au Canada.
Cette question est trop importante pour que le gouvernement prenne une décision de son propre chef. Il faut absolument un débat et un vote au Parlement.
Le sénateur Cordy : Merci d'être venu nous parler ce soir. Je trouve que des assemblées comme celle-ci sont importantes pour recueillir l'opinion publique sur des questions comme la défense contre les missiles balistiques. Chose certaine, nous entendons l'opinion publique là-dessus ce soir.
Que cela nous plaise ou non à nous, Canadiens, les Américains vont probablement aller de l'avant avec leur projet de défense contre les missiles balistiques. Il semble bien que c'est l'un des projets que George Bush va chercher à mener à bien. Les Canadiens ont toujours travaillé avec les Américains dans le domaine de la défense aérienne par l'intermédiaire du NORAD. En fait, ce que bien des gens ignorent, c'est que l'officier qui était aux commandes au NORAD le 11 septembre était un Canadien.
En tant que Canadiens, nous devons faire des choix. Heureusement, nous ne nous entendons pas toujours avec les Américains, et il est certain que dans le cas de l'invasion de l'Iraq, j'ai été ravi que notre premier ministre ait décidé à l'époque que les Canadiens ne suivraient pas les Américains. Le choix que nous devons faire en tant que Canadiens — et c'est là-dessus que je vous interroge — est le suivant : si nous décidons bel et bien de ne pas nous joindre aux Américains pour la défense antimissiles, sommes-nous disposés à renoncer à notre rôle au NORAD? Je ne dis pas que cela va arriver, mais c'est une possibilité. Je me demande ce que vous en pensez.
Ms Fairman : Le NORAD a-t-il été créé pour défendre le Nord contre les missiles venus d'ailleurs, ou quoi? Il a été créé il y a très longtemps. Je persiste à croire que les militaires canadiens — peut-être davantage les réserves — devraient être organisés et probablement dotés d'un plus grand nombre de soldats pour défendre nos véritables frontières et ne pas se lancer dans des missiles défensifs que l'on peut transporter dans son sac à main au risque de se faire arrêter et enfermer. N'importe qui peut en faire autant.
Peut-être qu'il faudrait renforcer le NORAD, mais pas par la défense contre les missiles.
M. Wyn van der Selee, témoignage à titre personnel : Bonsoir, sénateurs. J'ai déménagé récemment de Calgary à Kingston et j'ai donc un point de vue légèrement différent.
Je suis un diplômé du CMR et j'ai servi ensuite pendant 11 ans dans les forces régulières et ensuite pendant environ 25 ans à titre de fonctionnaire à la ville de Calgary, de sorte que j'ai un point de vue à la fois civile et militaire. J'ai également servi dans les réserves.
Je fais remarquer que le Canada est vulnérable au terrorisme, directement ou de la part de terroristes qui se serviraient du Canada comme base pour attaquer les États-Unis. La milice, implantée dans au moins 125 localités canadiennes différentes, semble bien placée pour jouer un rôle majeur dans la prévention des attentats et l'intervention après un éventuel attentat; en fait, dans beaucoup de localités, les réservistes sont les seuls renforts possibles pour les premiers intervenants, la police et les pompiers.
Cependant, ils sont tellement peu nombreux, théoriquement 15 000, qu'il est difficile d'essayer de planifier un rôle ou une tâche quelconque. Je soutiens que la milice devrait être considérablement renforcée, probablement pour atteindre environ 45 000 à 50 000 miliciens. Je vais maintenant révéler mes vraies couleurs. Je suis membre de Réserves 2000, qui préconise un effectif de cette ampleur.
En outre, nous devons éliminer les obstacles législatifs et bureaucratiques qui empêchent d'employer la milice dans ce rôle. À l'heure actuelle, si une catastrophe survient à Moose Pasture, en Saskatchewan, où il n'y a aucune force régulière, la milice doit passer par les gouvernements provincial et fédéral pour obtenir l'autorisation de sauver sa propre collectivité. C'est ridicule.
Il nous faut un système en vertu duquel un commandant peut prendre une décision conjointement avec un maire pour fournir de l'aide à l'autorité civile.
Le sénateur Meighen : Je vais également révéler mes vraies couleurs : je suis d'accord avec vous. Il est probablement juste de dire, pour ce qui est du rôle des réserves, qu'il y a quelques années, l'animosité, si je peux utiliser ce terme, entre les forces régulières et les forces de réserve était relativement forte, les soldats de la régulière trouvant que les réservistes n'étaient qu'une bande d'amateurs. Toutefois, depuis les récentes opérations outre-mer, où les forces régulières ont dû compter sur les réserves comme renfort et ont vu de quoi les réservistes étaient capables, les tensions ont diminué considérablement.
Vous énoncez un rôle pour les réserves que je trouve légitime. Mais qu'en est-il des opérations à l'étranger? Comme les opérations de pacification et d'imposition de la paix deviennent de nos jours très techniques, les réservistes peuvent-ils, à votre avis, recevoir une formation suffisante dans le temps dont ils disposent pour pouvoir s'acquitter des mêmes rôles que les soldats de la régulière, que ce soit sur terre, en mer ou dans les airs?
M. van der Selee : Cette question comporte plusieurs dimensions, monsieur. La première est que nous ne devons pas sous-estimer la capacité du réserviste moyen. Je pense que dans bien des cas, le réserviste moyen apporte à son travail militaire une expérience que l'on ne trouve pas dans la force régulière.
De plus, on peut faire les deux, comme l'un de mes prédécesseurs au microphone l'a dit. Ils peuvent renforcer et compléter la force régulière.
M. Blair MacLean, témoignage à titre personnel : J'ai été candidat conservateur aux dernières élections.
Merci, sénateurs, d'offrir aux citoyens l'occasion de se faire entendre. Je vous remercie d'être venus à Kingston et je vous souhaite la bienvenue.
Je dois dire qu'à mesure que je vieillis, je trouve de plus en plus important que le Canada compte sur des forces armées puissantes et compétentes. La plus grande vulnérabilité du Canada, c'est de boxer en dessous de son poids sur la scène internationale. Beaucoup ont dit que le Canada est moins important qu'il l'a déjà été sur la scène mondiale. Durant les deux guerres mondiales, l'importance des Canadiens était reconnue par le monde entier. Après la dernière guerre, nos diplomates étaient à l'avant-garde mondiale, notamment lors de la création des Nations Unies et les interventions de Lester Pearson qui ont permis de résoudre pacifiquement la crise de Suez. Le Canada était admiré et respecté partout dans le monde.
Je soutiens que notre prestige international a baissé parallèlement au déclin de l'attention accordée par le gouvernement fédéral à nos forces armées. Pourtant, il est clair que nous avons besoin des militaires pour protéger nos rivages contre le terrorisme qui a frappé beaucoup de nos alliés, depuis l'Espagne jusqu'à l'Australie en passant bien sûr par les États-Unis. Nous aimerions croire que cela ne pourrait pas arriver ici, mais la triste vérité, c'est que c'est possible. Le Canada doit être prêt.
Quand toutes les lumières se sont éteintes en Ontario il y a un an et demi, le poste de commandement central du gouvernement fédéral était inopérant. Il n'y avait plus d'électricité. Le Canada doit faire mieux que cela pour assurer notre sécurité nationale.
L'approche actuelle ne fait aucun cas des leçons de l'histoire, y compris l'histoire très récente. Nous avons succombé à la paresse intellectuelle en croyant que l'on pouvait rogner les dépenses militaires dans un cadre post-guerre froide. Même le 11 septembre n'a guère contribué à modifier le discours en vogue au gouvernement fédéral. Ils ont été des beaux parleurs, certainement durant la dernière campagne, mais ils sont de petits faiseurs.
Notre gouvernement a lésiné en faisant ses achats. L'achat d'hélicoptères pourtant nécessaire a été remis à plus tard et l'argent des contribuables a été jeté par les fenêtres en payant des frais d'annulation de contrat. Vous le savez sûrement, il faut 30 heures de maintenance pour chaque heure de vol de nos minables hélicoptères Sea King. Nous connaissons tous les tristes péripéties entourant la décision du gouvernement d'acheter des sous-marins usagés des Britanniques. Pour transporter nos troupes et nos fournitures, le Canada doit louer des aéronefs étrangers.
Deux articles parus dans les journaux de ce matin sont révélateurs. Notre propre Whig Standard a publié des commentaires formulés par l'ancien chef de cabinet du premier ministre Trudeau, Tom Axworthy, qui a dit que « la vulnérabilité du Canada s'est accrue non pas à cause d'une position indépendante dans des dossiers critiques, mais parce que nous n'avons plus la capacité d'être efficaces ou de faire une différence. »
L'ombudsman militaire André Marin déclare, d'après des propos rapportés dans le Toronto Star d'aujourd'hui : « L'indifférence du gouvernement fédéral envers nos militaires se fait durement sentir en termes de facteurs humains parmi nos troupes canadiennes en Afghanistan ». Il a ajouté : « Pendant le peu de temps que j'ai été là-bas, j'ai constaté que nos soldats sont très concentrés sur leurs tâches, très motivés, mais ils sont tout simplement épuisés et accablés par la tâche ».
Le sénateur Banks : Merci, monsieur MacLean. Vous êtes conservateur, je suis libéral, et nous sommes essentiellement d'accord sur le principe. Comme le président l'a dit, nos rapports vont tout à fait dans le sens que vous préconisez.
Cependant, du point de vue du gouvernement, c'est une question de priorités de dépenses. Nous avons constaté — c'est purement anecdotique — que lorsque nous demandons aux gens quelles sont leurs priorités, si nous leur demandons « Pensez-vous que nous devrions avoir une armée plus forte? », tout le monde répond : « Absolument ».
On a ensuite posé la question suivante : « Dans ce cas, êtes-vous prêt à payer plus d'impôt pour obtenir ce résultat? » ou, à défaut, « Dans quel programme gouvernemental existant devrions-nous prendre l'argent pour faire cela? », sachant que la tâche du gouvernement est de recueillir de l'argent et de décider comment le dépenser.
D'après vous, d'où devrait venir l'argent, étant donné que le gouvernement actuel a déclaré que sa priorité, s'il reste de l'argent à la fin de l'année budgétaire, est de s'en servir pour réduire notre dette à long terme de 500 milliards de dollars?
M. MacLean : C'est la question du jour, n'est-ce pas, sénateur. Je suis d'avis que le gouvernement doit défendre le projet. C'est sa responsabilité de convaincre les Canadiens et il ne l'a pas fait. La sécurité nationale est importante pour chacun d'entre nous, peu importe qu'on en soit conscient ou non. Il incombe au gouvernement de mener.
Les questions ne sont toutefois pas aussi difficiles que vous l'avez laissé entendre, étant donné que nous enregistrons des surplus année après année depuis maintenant bon nombre d'années — au moins quatre ou cinq — de sorte que l'argent ne manque pas. C'est seulement le désir et le leadership de la part du gouvernement fédéral qui manquent.
Mme Nicole Dunn, témoignage à titre personnel : Je suis étudiante à l'Université Queen's où je fais une maîtrise en administration publique avec spécialisation en gestion de défense.
Je suis venue ici aujourd'hui pour vous parler des travaux de recherche que j'ai faits. Plus précisément, je veux identifier quatre des principales crises que je perçois dans les Forces canadiennes et vous faire de brèves recommandations.
Comme je l'ai dit, les Forces canadiennes sont en situation de crise. Le principal problème à l'origine de cette crise est un financement insuffisant.
D'autres crises découlent de ce problème initial. Je vais en identifier quatre : le contraste entre la force actuelle et la force future, une crise des ressources humaines, une crise de délabrement des immobilisations et la crise de la dégringolade de notre réputation internationale. Au bout du compte, si le Canada ne fait rien pour remédier à ces crises au sein des Forces canadiennes, la question de la durabilité se posera et nous pourrions être menacés de perdre notre souveraineté.
Pour ce qui est du contraste entre les forces actuelles et les forces futures, essentiellement, la crise qui secoue actuellement nos forces et la crise qui les frappera à l'avenir sont des ennemis, détournant toutes deux l'attention et l'argent l'une de l'autre. En fin de compte, le résultat pourrait être la désintégration des deux.
Quant à la crise des ressources humaines, beaucoup de militaires prendront leur retraite d'ici dix ans et nous ne semblons pas capables de combler les postes aussi rapidement que les gens partent, surtout en recrutant du personnel formé et expérimenté. Le rythme rapide des départs des chefs compétents et expérimentés est vraiment inquiétant.
La crise du délabrement des immobilisations fait souvent les manchettes. Le sénateur Kenny a écrit un article sur la question, plus précisément sur l'aérotransport stratégique. Pourtant, à chaque jour qui passe sans qu'on prenne la moindre décision pour remédier à ce délabrement, l'écart s'agrandit et la crise s'approfondit.
La dernière crise dont je voudrais vous parler est la dégringolade de notre réputation internationale. La majorité des Canadiens se perçoivent eux-mêmes comme des pacificateurs et ils en tirent une grande fierté. Cependant, à mesure que nos forces armées se désintègrent et que notre capacité diminue, nous sommes menacés de perdre notre réputation internationale, notre position et notre influence.
Je passe maintenant à mes recommandations. Ma première est qu'avant de rédiger une nouvelle politique, nous devons décider quelles devraient être nos priorités de défense : quoi, où, quand, pourquoi, comment nous voulons engager nos forces armées.
La deuxième recommandation est que j'estime impératif d'établir un sentiment d'urgence au sein du gouvernement canadien et parmi le public canadien. Il est nécessaire d'établir des relations complémentaires entre la politique étrangère et la politique de défense. L'une ne devrait pas être créée sans considération de l'autre.
Une autre recommandation est que le budget de la Défense devrait manifestement être augmenté. Étant donné qu'il y a un surplus de neuf milliards de dollars, il n'y a aucune raison empêchant le gouvernement d'augmenter les dépenses consacrées à la défense, surtout si nous voulons compter sur la scène internationale.
Enfin, le problème, quand on rédige des politiques, c'est qu'en général, elles ressemblent à des ordinateurs. On en écrit une et elle est désuète le lendemain. En examinant l'ancienne politique de défense et en formulant des recommandations pour en établir une nouvelle, je pense que nous devrions garder à l'esprit le caractère adaptatif de la politique en question. Celle-ci doit refléter la réalité actuelle, mais peut nous préparer à affronter la réalité de demain.
Le sénateur Cordy : Monsieur le président, pourrait-elle aussi nous remettre son document?
Le sénateur Day : Nous y avons passé toute la journée et nous n'aurions jamais pu résumer tout cela aussi bien que vous l'avait fait en trois minutes. Si vous aviez encore une minute et demie, seriez-vous en mesure de nous donner encore quelques aperçus éclairants tirés de vos travaux?
Mme Dunn : L'une de mes recommandations serait de m'embaucher pour aider à régler tous les problèmes. Je cherche un emploi quand j'aurai obtenu mon diplôme.
Le sénateur Day : Je me demande si vous avez réfléchi à la manière dont la politique de défense cadre avec la politique plus générale en matière de sécurité et la politique étrangère. Peut-on aborder la politique de défense de façon isolée, compartimentée?
Mme Dunn : Non, je ne crois pas que ce soit possible. La politique de défense, la politique étrangère, la sécurité et tout ce que vous venez de mentionner, tout cela est de la même eau. On peut les séparer jusqu'à un certain point, mais il faut tenir compte de l'une pour étudier l'autre.
Je trouve qu'il est important de faire les deux. La politique de défense est en bonne partie intérieure et en grande partie internationale. Il faut tenir compte des deux aspects quand on rédige et qu'on examine une politique.
Le président : Merci. Veuillez remettre votre curriculum vitae au greffier.
M. Michael Carter, témoignage à titre personnel : Je suis moi aussi étudiant de deuxième cycle à l'Université Queen's.
Le débat sur la politique de défense, autan ce soir qu'en général, porte en grande partie sur le besoin d'augmenter les ressources et sur la question de savoir d'où viendront ces ressources.
Je soutiens que le plus grave échec de la politique de défense canadienne dans l'histoire récente n'a pas été causé par le manque de ressources, mais plutôt par l'organisation lamentable et la mauvaise répartition de ces ressources. Dans le domaine des soins de santé, qui reçoit bien sûr beaucoup plus d'attention en politique canadienne que la défense, une partie considérable du discours est consacrée au concept de l'élaboration des politiques en aval plutôt qu'en amont. On peut dépenser les ressources tout de suite ou bien on peut les dépenser après que des crises surgissent.
Je soutiens qu'une surveillance parlementaire plus uniforme, cohérente et rigoureuse des politiques en cours d'élaboration pourrait assurer une meilleure répartition des ressources par rapport à la situation actuelle, au lieu d'élargir l'assiette fiscale actuelle. Ou, tout au moins, cela pourrait atténuer l'ampleur de cet élargissement et aussi nous épargner des situations embarrassantes en diplomatie internationale résultant de mauvaises décisions en matière d'affectation des ressources, de mauvaises décisions d'acquisition et de mauvaises décisions en matière de déploiement. Cela permettrait au moins d'économiser cette sorte de capital diplomatique et, surtout, cela pourrait sauver des vies parmi nos effectifs des Forces canadiennes, au lieu de les déployer dans des missions dangereuses et inutiles partout dans le monde.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le domaine d'élaboration de politiques qui a les conséquences les plus catastrophiques pour la vie des citoyens canadiens et des membres des Forces canadiennes ne bénéficie pas de ce type de surveillance parlementaire permanente et cohérente.
Le sénateur Munson : Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur cette surveillance parlementaire? Ce que j'ai appris, après 35 ans comme journaliste et deux ans au bureau de Jean Chrétien, c'est que les décisions sont prises au centre, le « centre » signifiant trois ou quatre hommes ou femmes qu prennent ces décisions et qui travaillent dans ce cadre parlementaire.
Après vous avoir écouté, je serais curieux de savoir quel pouvoir vous accorderiez aux responsables de cette surveillance parlementaire et quelles en seraient les contraintes de temps.
M. Carter : Les décisions en matière de politiques de défense sont évidemment prises au centre, comme vous le dites, par l'exécutif. Comme, par définition, la politique de défense sert des intérêts politiques, ce n'est pas nécessairement mauvais. Le problème vient du fait que l'exécutif est mal informé et ne possède pas l'expertise voulue dans ce domaine de la politique de défense.
La première étape pour éclairer l'exécutif, c'est un comité qui pourrait ressembler au vôtre. Cependant, il ne doit pas se contenter de publier des rapports qui sont peut-être lus, mais peut-être pas, et qui sont ensuite entassés sur les tablettes de la bibliothèque parlementaire. Il faut un rôle consultatif plus actif, que ce soit un comité sénatorial ou un comité mixte, qui permettrait à l'exécutif d'être informé en temps de crise, et aussi tout au long de l'année, quant aux types de décisions, aux dilemmes auxquels l'exécutif est confronté et à l'information nécessaire pour mieux résoudre ces problèmes.
Le président : Je mentionne en passant que la surveillance parlementaire est quelque chose qui nous préoccupe vivement.
Nous procédons d'ailleurs à un examen des recommandations que le comité a formulées jusqu'à maintenant; ce rapport devrait être rendu public d'ici dix jours. Essentiellement, nous avons attribué au gouvernement une note pour mesurer son taux de réussite pour ce qui est d'être d'accord avec nous. Dans la mesure où il a été d'accord avec nous, il a fait très bien, tandis que s'il n'a pas été d'accord avec nous, il n'a pas fait aussi bien. Ce rapport sera rendu public très bientôt.
Nous sommes donc d'accord avec vous.
M. Harvey Rosen, témoignage à titre personnel : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je suis maire de Kingston. Ayant pris connaissance du mandat de votre comité, j'ai pensé que je me devais de comparaître devant vous pour faire savoir qu'on n'insistera jamais assez sur l'importance de la base des Forces canadiennes de Kingston pour notre collectivité.
La présence militaire dans notre ville date de très longtemps. Je crois pouvoir dire que Kingston est davantage liée aux forces armées que toute autre localité de notre pays puisque la ville a été fondée comme installation militaire en 1673 — c'était un fort construit à l'origine par le Comte de Frontenac — et que les militaires y ont toujours été présents depuis cette date. Halifax est associée historiquement à la marine, mais nous avons aussi le NCSM Gananoque et le NCSM Kingston. Nous avons eu une présence militaire beaucoup plus concentrée sur une période plus courte. Cela fait seulement 331 ans.
On peut vraiment dire que les forces armées constituent un élément important et même vital de notre collectivité. Il fut un temps où la base était menacée de fermeture. La communauté s'est serrée les coudes et a créé un comité pour tenter de convaincre le gouvernement fédéral, le ministère de la Défense nationale, qu'il était judicieux de maintenir cette base en activité. La communauté a contribué de façon significative à améliorer le fonctionnement de la base en aidant à en rentabiliser l'exploitation. Ce fut un succès. Aujourd'hui, la base est plus populeuse qu'à l'époque et elle continue de connaître une bonne croissance.
Je ne suis certainement pas un expert et je n'ai pas non plus étudié dans le domaine de la défense, quoique mon domaine de concentration était l'histoire au collège, quoique c'était il y a longtemps, mais si le Canada souhaite occuper une situation imminente et être en position d'autorité sur la scène internationale, il doit compter sur une force de défense solide et dynamique.
Je ne vois pas qu'on puisse nous prendre tellement au sérieux. Le Canada aura beau donner un avis fondé et judicieux dans les cercles internationaux, cet avis n'aura pas le poids qu'il pourrait avoir si nous avions une force capable de contribuer à mettre en oeuvre les politiques que nous pourrions souhaiter proposer ou préconiser.
Le président : Merci, monsieur le maire.
Le sénateur Cordy : Vous avez devant vous une Haligonienne. Comme je viens d'Halifax, je suis assurément d'accord avec vous pour dire à quel point les militaires peuvent être importants pour les habitants d'une collectivité comme Kingston ou Halifax.
Mais j'en reviens à ce qu'on a dit tout à l'heure. Même à Halifax, le public s'imagine que les militaires sont toujours là, sauf quand on apprend par exemple que l'on va réduire les effectifs à Shearwater.
Vous avez décrit l'importance des forces armées. Nous avons sillonné le pays d'un océan à l'autre pour visiter des bases et les membres des Forces armées canadiennes, et ceux-ci font du travail remarquable. Cependant, comment en convaincre le public? Les réunions d'hier soir et de ce soir représentent la première fois que nous avons réuni des assemblées publiques. C'était une suggestion que nous avons décidé de mettre à l'essai et je trouve que c'est une magnifique occasion pour nous de dialoguer avec les Canadiens au sujet des militaires, de la défense et des questions de sécurité.
Avez-vous des suggestions pour obtenir l'adhésion du public canadien? Vous êtes de Kingston, moi je suis de Halifax. Ce sont deux régions dont les habitants devraient participer très activement au dialogue.
M. Rosen : J'ignore si c'est une coïncidence ou le résultat des efforts déployés d'un côté ou de l'autre, mais à Kingston, les militaires se sont engagés dans une campagne intense visant à rejoindre les membres de la collectivité, et le gouvernement municipal a également un programme très étoffé pour établir le contact avec les militaires.
J'ai participé à beaucoup de cérémonies militaires, notamment celles marquant les changements de commandement, en tant que représentant du conseil municipal. Je ne crois pas que les politiciens y aient participé aussi assidûment dans le passé. Quoi qu'il en soit, je tiens beaucoup à être actif dans ce dossier et à participer à toutes les cérémonies marquant les changements de commandement sur la base militaire.
Je sais que la base fait des campagnes de financement dans la collectivité. Je viens tout juste de participer à un programme de sécurité dans le cadre duquel on accueillait des écoliers au manège militaire pour leur présenter différents exposés sur la sécurité dans le domaine des drogues, de la circulation routière, et cetera. Il y avait des expositions interactives pour sensibiliser les enfants de la région aux questions de sécurité. Cette opération a été menée en collaboration avec le commandant et le personnel de la base.
Nous tentons de faire en sorte que les militaires participent constamment aux activités communautaires, et les militaires ont déployé eux aussi de grands efforts pour être présents dans la collectivité et ont invité les citoyens à participer à des activités sur la base.
Je pense que c'est une question de bonne volonté et de bonne communication.
Le président : Merci beaucoup, monsieur.
M. Gary Coulter, témoignage à titre personnel : Madame, messieurs, bienvenus à Kingston.
Je vais aborder la question sous un angle différent. C'est une chose d'avoir une politique étrangère efficace et c'en est une autre d'avoir une politique de défense qui cadre bien avec la première et d'avoir des forces armées solides et bien financées qui sont capables de mener efficacement les missions qu'on lui confie. Je peux vous assurer, pour avoir côtoyer les militaires ici, que ceux-ci sont très bons dans leur domaine. Il faut les protéger.
Quand je dis que je vois les choses d'un angle différent, c'est que c'est bien beau d'avoir tout cela, mais que c'est autre chose que d'avoir une politique d'immigration qui est un véritable fouillis. C'est aux parlementaires qu'il incombe d'y voir. La Loi sur l'immigration n'est pas une bonne loi. Nous avons trop de gens qui viennent ici. Nous ne savons pas qui ils sont. Ils viennent ici munis de faux papiers. C'est vrai que la plupart d'entre eux sont des réfugiés économiques. Ils sont inoffensifs. Il y a toutefois beaucoup de choses que nous ignorons.
Cela m'inquiète. Je vous fais part de ce commentaire. C'est une autre manière d'envisager la sécurité et la défense.
Le sénateur Meighen : Les êtres humains ne sont qu'un seul aspect de la sécurité non militaire. Vous dites que des gens viennent ici sans autorisation et sans être en règle. Durant nos études, nous nous sommes préoccupés de la sécurité dans les aéroports et les installations portuaires, nous demandons ce qui entre chez nous à notre insu, que ce soit des drogues ou bien pire encore. Nous avons préconisé une plus grande vigilance. Je pense qu'il y a eu une certaine amélioration, mais il est certain que bien des choses passent sans vérification dans les ports et les aéroports, non pas des êtres humains, mais toutes sortes de marchandises.
C'est un problème. Est-ce que vous préconisez peut-être un renforcement de notre capacité en matière de renseignements, ou d'avantages sur le plan du traitement des dossiers au ministère de l'Immigration?
M. Coulter : Je pense que nous avons vu dernièrement dans les journaux la preuve flagrante que notre politique de l'immigration est bourrée de problèmes. Quand une personne peut passer par-dessus le système sur la foi d'un simple bout de papier, c'est mauvais, à mon avis.
Le sénateur Meighen : Je ne suis pas certain que cela pose une menace à la sécurité nationale.
M. Coulter : Non, mais c'est parfois arrivé. Je vous renvois à l'affaire de la famille dont le père a été tué en Afghanistan, la famille Khadr. C'est un bon exemple. Le premier ministre Chrétien l'a défendu au Pakistan sur la foi de ouï-dires. C'était une décision politique.
Il faut qu'il y ait un processus pour tout cela. Les gens veulent venir au Canada parce que c'est un magnifique endroit où vivre. Très bien, qu'ils viennent. Qu'ils présentent une demande, qu'ils passent par le processus et qu'ils deviennent admissibles. Mais je ne crois pas que ce soit professionnel d'avoir un programme de détermination du statut de réfugié quand l'organe de contrôle qui rend les décisions en la matière sont des nominations politiques.
Le sénateur Meighen : Non, mais cela pose-t-il un risque pour la sécurité?
M. Coulter : C'est possible. J'en ai vu des exemples. Je vous fais cette observation.
M. Kevin Connolly, témoignage à titre personnel : Messieurs, sénateurs, je suis agent de probation et de libération conditionnelle à la retraite de la province d'Ontario.
J'ai un court message à livrer.
On dirait que nous cheminons dans la voie étroite de la peur, craignant constamment que le ciel nous tombe sur la tête. Or le ciel ne tombe pas. Les gens partout dans le monde deviennent de plus en plus pauvre. Personne ne sait combien de milliards de dollars sont dépensés pour des fournitures militaires servant à faire la guerre à d'autres peuples. Si la moitié de cet argent était dépensé pour construire des écoles ou instruire ces pauvres gens, nous n'aurions rien à craindre du terrorisme. Le terrorisme existe parce que les gens sont opprimés et foulés aux pieds par les grandes puissances qui tentent d'amasser des fortunes de plus en plus colossales.
Le système de défense contre les missiles est une catastrophe qui cherche un endroit où atterrir. Cela n'a jamais fonctionné. Tous les essais ont échoué. Ceux qui ont réussi étaient arrangés d'avance.
Dans sa politique étrangère, le Canada a eu la sagesse de voir dans ce programme un pas vers une escalade militaire sans fin dans le monde entier. Dans notre politique étrangère, que le Canada ait assez de bon sens pour convaincre nos frères et soeurs au sud de la frontière de consacrer plutôt leurs milliards à la lutte contre la faim et la misère.
Le sénateur Munson : Je suis le gauchiste au sein de ce comité. Je suis le petit nouveau et j'ai beaucoup de sympathie pour ce que vous venez de dire. À vous entendre parler, je sens que vous êtes sincère. En tant que journaliste, j'ai couvert de nombreux dossiers, que ce soit à l'étranger, comme l'affaire des orphelins au Cambodge, ou chez nous, comme les enfants à Davis Inlet. J'ai vu la misère de près.
Vous dites que nous gaspillons des millions de dollars pour nos forces armées. D'après vous, que devrions-nous faire de nos forces armées? Devrions-nous nous retirer? Faut-il garder le statu quo? Devons-nous revenir à l'époque où nous étions un pays de gardiens de la paix, par opposition à un pays qui agit de manière affirmative et, comme certains militaires le disent, de manière « robuste » dans des régions comme l'Afghanistan?
M. Connolly : Je ne propose pas que le Canada se débarrasse de ses forces armées. En fait, le Canada ne consacre pas une grande partie de son budget aux militaires. Je dénonce plutôt les puissances étrangères. D'après les Affaires étrangères, beaucoup de complexes militaires dépensent des milliards de dollars. Personne n'a besoin de demander par exemple combien de milliards de dollars sont dépensés en Iraq. C'est un piège épouvantable.
Nous avons besoin d'une armée. Nous avons besoin des militaires pour défendre nos frontières au cas où quelque chose arriverait. Cependant, si nous aidons les gens à assurer leur propre croissance et développement dans leur propre pays, nous n'aurons pas le problème qu'évoquait l'intervenant précédent, les gens qui essayent de sortir de leur pays à cause de l'oppression, de la pauvreté et du manque de développement. Nous aurions même du mal à faire venir des immigrants au Canada.
Nous n'aurions pas à nous inquiéter du terrorisme. Nous avons créé le terrorisme avec notre monde complètement faux, un monde où, au lieu d'aider les gens à comprendre comment mettre sur pied un système téléphonique, on envoie là-bas un groupe de gens qui installent le système, leur font payer le prix fort et les obligent ensuite à continuer de payer pendant 20 ans. Voilà ce qui se passe dans notre monde.
Le lieutenant-colonel (à la retraite) John Selkirk, témoignage à titre personnel : J'ai servi dans la réserve quand j'étais très jeune, après quoi j'ai passé 20 ans dans les forces régulières, et je suis ensuite retourné dans les réserves pendant bon nombre d'années.
Vous avez demandé comment les Canadiens aimeraient peut-être voir les forces armées organisées différemment. Je voudrais dire que nous devrions consacrer plus d'argent aux réserves et je pense que nous devrions faire plus avec les réserves. Je dis cela pour de nombreuses raisons, à commencer par le fait que les réserves peuvent assurer une certaine partie de la capacité de défense dont le Canada a besoin, avec un bon ratio coût-efficacité. Un réserviste, par exemple, coûte environ un cinquième de ce qu'il en coûte pour entretenir un soldat à plein temps.
Je pense que votre comité a fait de l'excellent travail en signalant les problèmes de la prévention du terrorisme au Canada, mais qu'arrive-t-il après qu'un attentat terroriste est perpétré? Nous aurons besoin de beaucoup de gens pour prendre la situation en main, pour faire le nettoyage. Nous n'avons pas les soldats en question. Nous n'avons pas ces gens-là au Canada.
Par conséquent, je préconise ce soir qu'on multiplie au moins par trois la taille des réserves du Canada, en particulier la milice, comme l'a dit le dernier intervenant. Je pense que ce serait très bon pour le Canada. C'est très efficace par rapport au coût.
De plus, comme nous le savons tous, quand les jeunes Canadiens s'enrôlent dans la milice, ils reçoivent une formation qui est avantageuse pour le Canada et cet avantage va bien au-delà de l'aspect strictement militaire. En effet, ils apprennent des connaissances pratiques élémentaires. Ils apprennent à travailler en équipe et à être des meneurs. Cela contribue à cimenter l'unité nationale. Des Canadiens viennent des quatre coins du pays pour travailler ensemble à la réalisation d'objectifs communs.
Les 500 millions de dollars que l'on consacre à la milice canadienne pour 15 000 soldats représentent à mon avis une excellente aubaine. Je crois que nous devrions en faire plus dans ce domaine.
Dans la minute qui me reste, je vais changer de sujet.
Nous avons entendu ce soir bon nombre de gens dire que nous ne devrions pas nous joindre au programme de défense contre les missiles. Moi, j'affirme que nous devrions le faire. L'une des raisons invoquées contre ce programme est qu'il coûtera trop cher. Je soupçonne que nos pères ont dit la même chose quand nous sommes devenus membres du NORAD, mais nous n'avons pas été fauchés pour autant et je crois que le NORAD a été très bon pour le Canada.
Deuxièmement, on a dit et redit que, pour une raison ou une autre, nous deviendrons une nation moins souveraine si nous participons à ce projet aux côtés des Américains. Je dis que c'est exactement le contraire, parce que si nous n'y participons pas, alors les Américains vont faire le travail à notre place et je ne pense pas que ce soit une preuve de souveraineté.
Je tiens à dire publiquement que le Canada devrait se joindre au programme de défense antimissiles. Je ne dis pas que nous devons renoncer à quoi que ce soit, je dis simplement que nous avons tout à y gagner.
Le sénateur Forrestall : Nous avons des milliers de milles de littoral, de rivières et de lacs, y compris les grands fleuves qui coulent dans le Nord, qui ne sont pas protégés, qui sont laissés sans surveillance. Qui est le mieux placé, si l'on est réaliste, pour patrouiller et défendre ces rivages, les rives des lacs qui se trouvent dans le territoire canadien? Qui est mieux placé pour le faire qu'une force de réserve réactivée, revitalisée, dotée d'un financement accru, bien formée et pourvue de moyens de transport satisfaisants, car il s'agit d'assurer la défense côtière et sur l'eau?
Envisagez-vous un rôle utile pour les réserves dans la défense des frontières du Canada, la défense des plans d'eau?
M. Selkirk : Oui, sénateur Forrestall, bien sûr. Je trouve que c'est un rôle tout naturel pour les réservistes et, comme vous le savez pertinemment, nous avons déjà une force de réserve très efficiente et efficace sur le plan des coûts qui accomplit ce travail dans le Nord, nommément les Rangers canadiens. J'espère que nous allons renforcer les Rangers canadiens ainsi que la première réserve pour mieux faire ce travail.
M. Randy Cleary, témoignage à titre personnel : Je viens du monde de l'investissement et du développement et de la croissance des entreprises et c'est donc de ce point de vue que je vais vous parler ce soir.
Je voudrais dire qu'il est peut-être temps de cesser de fonctionner de façon cloisonnée dans les forces armées. Je vais en donner deux exemples.
Il semble qu'il y ait une occasion en or à l'étranger, si nous sommes déjà présents, de nouer des relations qui pourraient déboucher sur de futures possibilités commerciales. Quand on est déjà sur place, si l'on veut faire bonne impression devant les dirigeants d'un pays, y a-t-il une meilleure manière de s'y prendre?
On peut appliquer la même ligne de pensée localement, et quelqu'un a dit que les deux groupes, la base et la ville, ont noué d'étroites relations. C'est vrai. Nous pourrions toutefois faire beaucoup mieux.
Nous avons un groupe ici dans cette ville qui s'appelle KEDCO. Tout le monde ici présent le connaît. Ce sigle signifie Société de développement économique de Kingston. Cette organisation comprend six groupes consultatifs, dont l'un pour le secteur manufacturier. Nous avons identifié un secteur appelé « sécurité ». Personne ne semble savoir de quoi il s'agit. Nous avons beau nous gratter la tête, nous ne semblons pas capables de cerner la problématique.
Tout le monde s'imagine par exemple que le service correctionnel, c'est quatre murs entre lesquels on enferme les méchants. Il faut toutefois essayer de faire preuve d'imagination relativement au service correctionnel et au militaire. Pensons technologie. Pensons fabrication. Pensons formation. Pensons croissance. Je suis convaincu qu'il y a beaucoup de place dans tous ces domaines pour établir des liens et bâtir l'avenir.
M. John Russell, témoignage à titre personnel : J'ai récemment pris ma retraite à titre d'officier militaire après 34 ans de service. Dans mon dernier commandement, de janvier à juillet 2003, j'étais commandant de la force d'intervention au Sierra Leone, composée d'un petit groupe d'observateurs militaires canadiens. J'ai constaté là-bas les conséquences positives du refus de notre pays d'aller en Iraq. J'ai également été très fier quand nous sommes allés en Afghanistan.
Je voudrais dire aujourd'hui que je suis en faveur de participer au système de défense antimissiles nord-américain. Je suis le fils d'un vétéran de Hong Kong et, n'eût été de la bombe atomique lancée par les Américains, je ne serais pas ici devant vous aujourd'hui, content de vivre dans mon pays.
Je suis un bon ami des États-Unis et je suis disposé à leur pardonner beaucoup pour bien des choses. Cependant, je fonctionne en appliquant deux principes : qui l'on connaît et à qui l'on doit. Nous savons que les États-Unis d'Amérique sont amicaux à notre égard. Cela nous donne la possibilité d'aller à l'étranger. Nous avons une dette envers les États-Unis d'Amérique parce que nous dormons bien la nuit, hypocritement pour beaucoup d'entre nous, dans nos petits lits douillets, en nous imaginant que 34 navires de guerre, 122 F18 et une petite armée de la taille d'une division nous protègent sur terre, sur mer et dans les airs.
Les Canadiens doivent savoir à quel point nous sommes petits et à quel point nous avons besoin des forces armées et d'une alliance pour que nous puissions aller ailleurs dans le monde. Nous ne sommes pas entourés d'ennemis mortels, comme beaucoup d'autres pays. Nous bénéficions d'une très bonne qualité de vie ici, mais nous ne l'avons pas entièrement mérité. Nous ne faisons pas notre juste part.
Pendant la guerre froide, quand j'étais en Allemagne, nous étions inquiets à l'idée que des missiles nucléaires pouvaient se croiser au-dessus de nos têtes. Bien sûr, en Amérique du Nord, nous étions inquiets à l'aidée que des missiles puissent être interceptés au-dessus du Canada. Beaucoup d'entre nous appelions le Canada une zone dénucléarisée, mais nous nous leurrions, parce que nous n'étions certainement pas une zone dénuée de retombées nucléaires. Nous étions en plein milieu de la zone.
Nous avons besoin de cousins amicaux au Sud et nous avons besoin de forces armées plus nombreuses. Nous devons faire notre travail et accepter nos responsabilités en tant que pays fonctionnant dans les cercles internationaux.
Le sénateur Day : Monsieur Russell, je vous remercie beaucoup pour vos observations. Au lieu de m'attarder à la question de la défense antimissiles, je voudrais plutôt faire le lien avec le NORAD. Le NORAD existe depuis les années 1950 et nous a bien servis. D'aucuns soutiennent que c'est un prolongement naturel. Ce n'est pas la guerre des étoiles de Ronald Reagan, mais plutôt un prolongement naturel du NORAD.
Avez-vous réfléchi à l'élargissement des activités du NORAD dans d'autres domaines, par exemple pour la défense côtière et maritime, pour que nous puissions collaborer avec nos voisins du Sud à la défense de l'Amérique du Nord dans un domaine autre que la défense aérienne?
M. Russell : Sénateur Day, je crois que nous devons travailler avec les Américains à mettre en place un système de défense de l'Amérique du Nord, ce qui nous avantagerait nous aussi. Il nous faut des mécanismes différents pour collaborer et partager l'information, parce que s'il se trouve dans notre pays des ennemis, qu'ils soient ressortissants étrangers ou canadiens, ces gens-là sont probablement des ennemis de la démocratie, de la liberté de parole, de la liberté religieuse, et cetera.
Je pense que nous devrions collaborer et mettre au point tout ce que nous devons mettre au point pour que nous puissions faire proportionnellement notre part en tant que partenaires valables dans une alliance.
M. Anthony Shields, témoignage à titre personnel : Je voudrais soulever trois points qui m'apparaissent des considérations importantes dont il faut tenir compte au moment où le Canada se tourne vers l'avenir et s'interroge sur le rôle que nous voulons confier aux Forces canadiennes.
Les trois points sont les suivants : premièrement, projection de la force; deuxièmement, complément de la force régulière; et troisièmement, le coût normal à payer.
Avant de commencer, je voudrais exprimer devant le comité sénatorial mes convictions personnelles. Je suis convaincu que les Canadiens et les militaires canadiens ont un rôle à jouer sur la scène internationale. C'est sur cette conviction que je fonde mon opinion. Je crois que nous, Canadiens, avons des valeurs démocratiques, des valeurs canadiennes, des intérêts canadiens et une bonne volonté générale que nous devons projeter sur la scène mondiale.
Il y a un coût associé à cela, le coût normal de ce genre d'activité, un coût que nous devons payer afin d'avoir la capacité de faire cela.
Premièrement, je pense que les Forces canadiennes doivent être considérées comme une manière de projeter notre pouvoir sur la scène mondiale. Nous pouvons envoyer des gens, des soldats dans un endroit donné. Si l'on accepte cette hypothèse de départ, cela veut dire que les Canadiens doivent posséder une capacité de transport générique, intrinsèque qui nous permette de nous rendre dans ces endroits. Le comité sénatorial doit se pencher là-dessus. Les Canadiens veulent-ils que les Forces canadiennes restent au Canada ou bien qu'elles aillent à l'étranger?
La question qui se pose ensuite est celle de la force e réserve qui sert de complément à la force régulière.
Les membres de la force de réserve ne peuvent pas aller à l'étranger pendant six mois d'affilée parce que leur emploi n'est pas garanti à leur retour. Si ma femme prenait un congé de maternité, elle aurait son emploi garanti à son retour neuf mois plus tard. Les réservistes qui partent pour servir notre pays n'ont aucune garantie qu'ils auront le droit de reprendre leur emploi à leur retour.
Le troisième point que je veux aborder est le coût normal à payer. En bout de ligne, il s'agit de savoir combien nous, les contribuables, souhaitons payer et sommes prêts à payer. Cependant, parfois nous ne sommes pas bien renseignés sur ces questions et parfois il faut qu'on nous explique. C'est une question de transmettre le message au public, de lui dire : si vous voulez que nous ayons cette capacité, cela va vous coûter tel montant en dollars.
Ayant formulé mes trois points, je vais terminer en annonçant pour qui je vote à titre de plus grand Canadien. Le plus grand Canadien a été Sir Robert Borden. Vous vous demandez peut-être : « Pourquoi lui? Il n'était même pas dans la liste des 50 premiers ». C'est lui qui a réussi à nous faire reconnaître sur la scène mondiale. Il ne s'est pas contenté de belles déclarations, il n'a pas hésité à dépenser ce qu'il fallait. Il a été reconnu en 1919, au Traité de Paris, alors que les Canadiens ont pour la première fois été reconnus comme puissance mondiale. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut prendre en compte.
Le sénateur Banks : Je suppose que vous ave entendu parler des navires que le Canada propose de construire et qui nous donneront la capacité de transporter des soldats à l'extérieur du Canada. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
Deuxièmement, je voudrais que vous nous disiez quels sont les critères, si vous y avez réfléchi, qui détermineraient quand, où et pourquoi les Forces canadiennes devraient être projetées à l'étranger, comme vous dites.
M. Shields : Premièrement, je crois que les soldats canadiens sont des instruments au service de l'État. Je crois que ce sont les politiques qui déterminent où ils vont, après quoi nous y allons et nous faisons la tâche que vous nous confiez.
J'ai entendu parler des navires. Je crois qu'on prévoit en fabriquer deux. J'ai entendu l'amiral dire qu'il en voudrait trois ou quatre. Je pense qu'il faut se demander combien de soldats vous voulez envoyer en un endroit donné. C'est une question de coût qu'il faut soulever auprès du public. Si vous voulez envoyer un bataillon à l'étranger et qu'il faut deux navires pour cela, alors vous devez vous assurer d'avoir deux navires sur chacune des côtes. Par conséquent, il faut quatre navires.
Je pense qu'il y a aussi un besoin de réaction rapide et que cela pourrait exiger que nous envisagions d'acheter des avions qui nous donneraient une capacité d'aérotransport sur longue distance. C'est une question de coût, cela dépend de ce que les Canadiens veulent dépenser.
Le président : Le sénateur Meighen a une question supplémentaire. Nous dérogeons un peu aux règles, mais vous avez soulevé un autre point.
Le sénateur Meighen : C'est une question vieille comme le monde. Les Américains ont une loi qui stipule que l'on ne peut pas mettre en péril l'emploi d'un réserviste si celui-ci ou celle-ci est appelé à servir. Nous n'avons pas cela au Canada. Bien des gens pensent que nous ne devrions pas avoir une telle loi. Pourquoi? Parce que si nous avions cette loi, disent-ils, alors les réservistes ne trouveraient jamais d'emploi.
Avez-vous réfléchi à cela et avez-vous décidé que le moindre mal, ou la meilleure solution, serait d'avoir une telle loi?
M. Shields : Je pense que cela a beaucoup à voir avec l'information du public. J'ai deux frères dans la réserve en ce moment. Dans un certain comté, s'ils étaient enseignants, et c'est ce qu'ils aspirent à devenir un jour, on leur garantirait non seulement que leur emploi les attendrait à leur retour, mais qu'ils toucheraient un supplément de revenu afin de ne pas perdre d'argent quand ils s'en vont représenter le pays.
Je trouve que ce serait honteux, scandaleux, si quelqu'un refusait d'embaucher certaines personnes parce que celles-ci estiment devoir servir leur pays.
Le sénateur Meighen : Je suis d'accord avec vous, mais est-ce qu'on le saurait à l'avance?
M. Shields : Je leur donnerais le bénéfice du doute, je dirais que je fais confiance aux employeurs du Canada et je compte sur eux pour non pas mépriser cet emploi, mais plutôt voir comme un atout précieux la formation multiformes qu'on peut acquérir dans les forces armées.
Le brigadier-général (à la retraite) Christopher Kirby, témoignage à titre personnel : Je m'appelle Kirby et je suis soldat à la retraite. Je voudrais remercier personnellement les membres du comité pour ce que vous faites et ce que vous avez fait dans le passé.
Je suis fermement d'opinion que la politique de défense canadienne est déjà fondée sur le neutralisme et le pacifisme et, clairement, elle n'est pas en faveur du Québec.
Je pense que pour nous, le neutralisme se rapproche beaucoup de l'immolation; Cette immolation lente est déjà très flagrante. Je pense que le pacifisme, c'est de l'idéalisme à tout crin. C'est contre notre tradition et contre le bon sens.
Certains aspects de la politique devraient être fondés sur la responsabilité et non pas entièrement sur l'opinion publique. La politique de défense nationale se trouve clairement dans cette catégorie.
En terminant, je dirai que l'immobilisme est la plus irresponsable des attitudes.
Le sénateur Cordy : Merci beaucoup. Quand vous dites que le pacifisme est de l'idéalisme à tout crin, ça me rappelle un poème que je n'arrive pas à me rappeler textuellement, mais c'était quelque chose comme « Si vous marchez, remerciez un soldat. Si vous pouvez lire un article de journal, ne remerciez pas l'auteur, remerciez plutôt le soldat pour toutes les libertés que nous avons », et je crois que c'est quelque chose que nous avons parfois tendance à oublier.
Quant à votre dernier commentaire au sujet des attitudes, c'est certainement une question qui se pose au sujet de l'accroissement des dépenses militaires; autrement dit, les Canadiens sont-ils disposés à dépenser l'argent voulu pour avoir une forte présence militaire? Je me demande comment nous pourrions encourager les Canadiens à mieux s'informer pour savoir de quoi nos soldats ont besoin pour défendre et protéger notre pays.
M. Kirby : Je ne pense pas que ce soit une question d'encouragement dans le cas de cette politique. Je pense que c'est une question d'explication. Comme je l'ai dit, les gouvernements ont certaines responsabilités qu'ils doivent assumer. S'ils ne le font pas, ils sont irresponsables.
Je ne pense pas que le mot « encouragement » soit le mot juste. Je pense plutôt qu'il faudrait parler en l'occurrence « d'explication ».
Le sénateur Cordy : Donc, le gouvernement devrait prendre l'initiative à cet égard et ne pas attendre que le grand public lui dise quoi faire.
M. Kirby : Exactement. Je ne pense pas que le gouvernement soit nécessairement un meneur. Je pense que le gouvernement fait ce qu'il est obligé de faire.
M. Torben Schau, témoignage à titre personnel : Je suis membre du Programme de gestion de défense à l'Université Queen's.
Je serai aussi bref que possible.
Je pense que la question de savoir ce que le Canada veut obtenir comme résultat de sa politique de défense est étroitement lié à la question plus large de la politique étrangère canadienne. Que voulons-nous que le Canada fasse? Nous ne pouvons pas agir comme si la politique de défense existait sans aucun lien avec la politique étrangère.
Pour emprunter un aphorisme des Australiens quand ceux-ci essayaient de définir en quoi consistaient leurs forces armées, ils disaient que les militaires reflètent le genre de pays que nous sommes, le rôle que nous cherchons à jouer et la manière dont nous nous percevons nous-mêmes. L'absence d'orientation stratégique qui est apparue de façon flagrante récemment réduit à néant tous les efforts que nous déployons pour être présents sur la scène mondiale. Si nous n'avons pas de forces armées capables d'agir de concert avec la politique étrangère canadienne, alors nous ne pouvons pas faire grand-chose. Quand Paul Martin évoquait la responsabilité de protéger, il n'y avait pas grand monde à l'ONU. C'est un problème.
Si nous voulons agir — et je pense que nous le voulons, les Canadiens ne sont pas disposés à renoncer à leurs missions humanitaires — alors nous avons besoin d'une force armée capable d'agir en conséquence.
Voici où je veux en venir : il est plus important de trouver une réponse. On a souvent eu tendance au Canada à remettre la réponse à plus tard quand nous n'arrivons pas vraiment à trouver quelque chose qui nous plaise. Cependant, je pense qu'il est plus important de trouver une réponse que de se croiser les bras et de dire : « Eh bien, nous ne savons pas très bien ce que nous voulons, alors nous ne répondrons pas à la question ».
Le sénateur Forrestall : C'est une observation plutôt qu'une question, mais vous pouvez certainement nous en dire plus long là-dessus.
Aujourd'hui, tout comme c'était le cas il y a 10 ou 12 ans, nous cherchons à obtenir le point de vue des Canadiens relativement à un livre blanc, un document de politique sur la défense nationale. En même temps, le gouvernement se traînait les pieds pour ce qui est de sa position en matière de politique étrangère. En même temps, le gouvernement lui-même rédigeait sa propre politique de défense. En fait, certains d'entre vous se rappelleront que celle-ci a été publiée deux ou trois jours après que nous ayons terminé notre travail sur le livre blanc en 1994. C'est une observation que je fais.
Je dis qu'il est plutôt intéressant que nous soyons précisément en train de faire la même chose aujourd'hui. On nous a dit qu'il y aura un document de position sur la politique étrangère. Soit dit en passant, j'accepte votre argument; je ne vois vraiment pas comment on peut avoir une politique de défense si l'on ne sait pas quel en est l'objet.
Quoi qu'il en soit, ce qui se passe est intéressant. Nous allons en entendre parler. Le gouvernement a l'avantage de savoir exactement ce que vous avez à dire ce soir. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes en faveur d'une assemblée publique comme celle-ci, pour que le gouvernement, qui est en train de rédiger son propre document, ait exactement les mêmes indices que nous quant à ce que les Canadiens veulent.
Je vous remercie de vos commentaires et observations.
Le président : Vous avez maintenant 90 secondes pour dire tout ce que vous aimeriez dire.
M. Schau : Franchement, je pense que j'ai dit ce que j'avais à dire.
Le colonel Harry Aitken, témoignage à titre personnel : Bonsoir, sénateurs. Je commande la base ici à Kingston. C'est pour moi un privilège de m'entretenir avec vous ce soir. Je vous remercie beaucoup d'avoir saisi cette occasion de tenir une assemblée publique.
Je veux faire brièvement quatre observations, après quoi j'aurai une invitation à vous faire.
Ma première observation porte sur les retombées économiques qu'une grande base a sur la vie d'une collectivité comme Kingston ou Halifax. Nous injectons plus de 200 millions de dollars de revenus nets dans l'économie de la ville. Nous sommes le principal moteur économique de la ville, ce qui est un fait méconnu, et nous nous efforçons de surmonter cet obstacle des communications pour que les gens comprennent bien la valeur des forces armées et les possibilités que peut vraiment offrir une agence fédérale ou un ministère fédéral, travaillant de concert avec la province et la ville; et nous obtenons de bons résultats à cet égard. Chose certaine, en matière de planification d'urgence et d'intervention, nous travaillons extrêmement bien ensemble.
Kingston a ses propres défis à relever. La base des Forces canadiennes de Kingston offre un exemple étrange de dichotomie. Nous sommes un exemple de modernisation, puisque nous avons le modèle le plus avancé au monde en termes de centres d'expérimentation des armées, où les soldats et les chefs peuvent se livrer à des simulations de combat dans un environnement synthétique. Je vous invite à venir visiter la base de Kingston, quand cela vous conviendra, et je pourrai alors vous montrer ses installations qui vous donneront une bonne idée de ce que nous faisons actuellement. En même temps, il faut juxtaposer à cela l'état délabré de notre infrastructure, qui date de nombreuses années.
Le problème de la transformation et de la modernisation, c'est que cela nécessite plus d'argent que le statu quo. Au moment où nous tentons de transformer les forces, il nous faut plus d'argent et un plus grand nombre de cerveaux pour mener à bien la tâche. Voilà l'étrange dilemme dans lequel nous nous trouvons actuellement à mon avis.
L'un des grands avantages dont le Canada a fait preuve dans le passé, c'est notre capacité de recherche et de développement. Nous pouvons certainement en tirer profit mieux que nous ne l'avons fait dans le passé. Les retombées du CNRC à Ottawa, notamment Mitel et Nortel, sont des exemples de ce qui peut se faire dans ce domaine. Si le Canada veut jouer un rôle en politique étrangère, les forces armées doivent se trouver une capacité dans un créneau, utilisant notre expertise comme levier pour faire bouger les choses; or nous ne semblons pas nous diriger dans cette direction.
En terminant, je répète que je vous invite à venir visiter la base de Kingston, où je pourrai vous montrer exactement ce que nous avons, y compris les problèmes, mais aussi de bons exemples de succès que nous avons obtenus dernièrement.
Le président : Merci, colonel. Je dois préciser que nous avons visité la base avant que vous en soyez le commandant, mais nous serions ravis de revenir.
Le sénateur Day : Nous avons en effet visité une fois la base. Nous avons surtout eu des entretiens avec les spécialistes de la guerre électronique et nous avons vu la formation qui se donne en matière de communications. Nous avons vu certains de vos problèmes d'infrastructure. On nous a fait descendre dans un sous-sol qui est inondé chaque printemps où des soldats étaient en train de s'entraîner.
Je comprends de l'allusion à l'état de l'infrastructure que vous avez besoin d'un financement accru pour maintenir cette base.
M. Aitken : Les problèmes simples peuvent être réglés avec de l'argent. Je n'ai que des problèmes simples.
Le sénateur Day : Nous comprenons cela. C'est un commentaire que je vous fais pour que vous soyez au courant. Nous savons que c'est votre budget qui détermine l'infrastructure au Collège militaire royal, et nous avons également entendu des commentaires là-bas au sujet de leur infrastructure et de leur budget de fonctionnement.
Je pense que nous devrions avoir un autre entretien en temps voulu. Nous vous remercions d'être venu. Merci, colonel.
M. Aitken : J'ai hâte de faire cette visite. Merci.
M. Richard Moller, témoignage à titre personnel : Bonsoir, sénateurs. Je suis entrepreneur à Kingston et, depuis 20 ans, je fais partie de l'unité de réserve de la marine en ville.
Sénateurs, vous posez la question : « Quelles sont les vulnérabilités du Canada? » Je vais vous faire une réponse directe. Notre plus grande vulnérabilité est notre complaisance. Nous sommes un état libéral démocratique séculier dans la tradition occidentale et, en tant que tel, nous défendons tout ce qu'un groupe comme al-Quaïda déteste. Nous faisons partie d'une certaine civilisation et nous nous inscrivons dans une tradition qui a été pris pour cible par un groupe de gens très déterminés et très en colère. Cependant, même ces gens-là ne sont pas les plus graves menaces à notre souveraineté. Je le répète, c'est notre complaisance, surtout en matière de défense.
Qu'on le veuille ou pas, le loyer à payer pour se tailler une place sur la scène mondiale est la capacité d'agir de manière crédible et indépendante sur la scène internationale. Nous sommes devenus trop habitués à nous dérober au fardeau trop lourd et à les mettre plutôt sur le dos de nos alliés. Les Canadiens et notre gouvernement semblent aspirer à jouer un rôle planétaire, mais on dirait que nous sommes tout aussi déterminés à ne pas payer pour cela. Cette absence de volonté a laissé la porte grande ouverte à nos alliés qui peuvent commencer à abuser de nous.
Les États-Unis et le Danemark contestent ouvertement et fortement notre souveraineté le long de notre frontière septentrionale. Nous les regardons faire, nous contentant de protester par les voies diplomatiques alors que des navires de guerre franchissent le Passage du nord-ouest impunément et que des soldats font flotter des pavillons étrangers sur notre territoire.
Ceux qui souhaitent que le Canada prennent ses distances par rapport à son plus proche voisin et principal partenaire commercial commettent l'erreur de croire que le meilleur moyen de le faire est d'adopter l'attitude contraire à celle des États-Unis. Nous maintiendrons notre indépendance non pas en nous opposant systématiquement à tout ce que les Américains font, mais plutôt en maintenant notre capacité d'exercer notre souveraineté au moment et à l'endroit de notre choix.
Une bonne capacité de défense et de sécurité n'est pas une fin en soi. C'est ce qu'il faut si un État souhaite demeurer souverain. C'est ce qui est nécessaire si nous, Canadiens, voulons démontrer non seulement une suprématie politique sur la scène intérieure, mais aussi une véritable indépendance par rapport aux autorités étrangères quand nous nous aventurons à l'étranger à la poursuite de nos objectifs de politique étrangère.
En tant que pays commerçant, ce sont ces objectifs de politique étrangère qui auront un impact positif ou négatif sur notre économie et par conséquent sur la vie quotidienne, le niveau de vie et l'emploi de tous les Canadiens.
À mesure que les militaires canadiens voient s'effilocher leur capacité d'agir seuls dans le cadre d'opérations, le Canada perd sa capacité de parler et d'agir seul sur la scène mondiale. Cela influe directement sur notre capacité d'opérer un changement positif et d'exercer un effet de levier chez nos partenaires commerciaux. Comme l'économie canadienne dépend tellement du commerce extérieur, tout affaiblissement de ces liens commerciaux aura un impact dramatique et négatif sur notre économie. Le déclin économique s'accompagne d'une baisse des recettes fiscales et de la perte de la capacité de payer des programmes sociaux comme les soins de santé et l'éducation, programmes qui nous tiennent tellement à coeur à titre de partie intégrante de notre identité nationale.
Un autre élément tout aussi fort de l'identité canadienne, c'est notre engagement envers l'aide humanitaire. Je constate que je manque de temps. L'érosion de la capacité de défense du Canada entraînera directement le saignement à blanc de nos systèmes de soins de santé, d'éducation et de soutien à la culture. Bref, en l'absence d'une capacité de défense dynamique, crédible et viable, le Canada n'aura pas une culture, une économie et une société dynamiques et viables.
Le sénateur Meighen : Je trouve que votre argumentation est très solide et convaincante. Que nous conseilleriez-vous de faire pour convaincre le public d'être moins complaisant? Vous pouvez blâmer les politiciens, c'est de bonne guerre et c'est probablement assez juste, parce que les politiciens, à mon avis, doivent mener et non pas nécessairement se contenter de suivre.
Cependant, nous n'avons pas fait du très bon travail pour ce qui est d'expliquer les compromis que vous venez d'évoquer. À part inviter les politiciens à se tenir debout et à faire preuve de leadership, avez-vous d'autres suggestions à nous faire?
J'ai moi-même un dada depuis que nous sommes allés en Bosnie en 1994 comme membres d'un comité mixte et qu'on nous a dit que les soldats qui quittaient le théâtre d'opération avaient l'ordre d'enlever leurs uniformes parce qu'on craignait qu'ils puissent déshonorer cet uniforme dans un bar dans un aéroport au Canada. Je n'en suis jamais revenu. J'étais tellement content de voir le colonel venir ici en uniforme.
Quand on se promène au Canada, autour des aéroports, sauf dans certaines villes, on ne voit jamais la présence militaire parce qu'ils sont tous regroupés à Borden, à Petawawa ou ailleurs. Nous ne les voyons pas. Ce n'est qu'un exemple superficiel et je ne veux nullement dire que cela contribuerait grandement à changer les mentalités.
Peut-être avez-vous des réflexions là-dessus; j'aimerais bien les entendre.
M. Moller : Premièrement, je ne blâme pas les politiciens, en partie parce que je suis un politicien moi-même, m'étant présenté à la mairie de Kingston. Je veux seulement lui rappeler, s'il est encore ici, que Point Frederick était une base de la marine longtemps avant qu'elle ne devienne une base de l'armée.
Comme le dit le célèbre aphorisme de Tip O'Neil : « Toute politique est locale. » Par conséquent, on n'a pas grand chance de capter l'imagination et l'intérêt des Canadiens en leur parlant de menaces planétaires mal définies alors qu'ils sont préoccupés par les soins de santé, l'éducation et l'infrastructure municipale. Même le rôle réconfortant du maintien de la paix a perdu le lustre qu'il avait au début.
Si nous voulons sauver notre pays, nous devons parler aux Canadiens du lien entre l'économie mondiale et notre économie locale, de l'impact que nos forces de défense, ou leur absence, auront sur les deux. Nous devons éliminer la fausse dichotomie qui consiste à demander si nous devrions dépenser de l'argent pour les soins de santé ou la défense, et reconnaître que nous devons consacrer de l'argent aux deux.
Tout à l'heure, je prenais des notes quand quelqu'un a posé la question : « D'où devrait venir l'argent? » Eh bien, non, pas des soins de santé, non, pas de l'éducation, mais oui, peut-être des campagnes publicitaires au Québec, peut-être du registre des armes à feu et oui, peut-être du Musée des beaux-arts, qui veut encore dépenser 300 000 $ pour acheter un tableau de huit sur huit peint uniformément en noir.
Mme Alice Aiken, témoignage à titre personnel : Je veux faire une brève observation. Il ressort clairement des commentaires entendus aujourd'hui que la défense côtière est prioritaire. Je pense que nous devons envisager d'englober la Garde côtière dans la Défense nationale et d'établir une Garde côtière solide ainsi qu'une réserve de la Garde côtière, qui compléteront la marine et la réserve de la marine pour assurer la défense des côtes.
Le sénateur Banks : Vous avez lu nos rapports.
Mme Aiken : Oui, je les ai tous lus.
Le sénateur Banks : Ce que vous proposez présente des difficultés. Nous avons réfléchi à la question. J'aimerais entendre votre opinion là-dessus.
Le rôle actuel de la Garde côtière canadienne est les aides à la navigation, la sécurité, la recherche et le sauvetage, et elle fait du très bon travail dans ce domaine. Nous avons exprimé l'avis que la garde côtière possède un nombre considérable de navires relativement bons qui devront tous être remplacés dans un avenir assez rapproché. Cependant, c'est un fait que dans les eaux internationales le long de nos côtes, si un bandit transportant quelque chose de très mauvais aperçoit un bateau blanc avec une bande orange, il s'enfuit à toute vapeur, parce que c'est la Garde côtière américaine et que celle-ci est assez menaçante. Par contre, s'il aperçoit un bateau orange avec une bande blanche, il se dit : « Ah, ah, mon entrepont est chargé de ballots marqués `Héroïne' et il n'y a rien que ces types-là puissent faire ».
Jusqu'où devrions-nous aller, à votre avis? Faudrait-il donner à la Garde côtière, comme nous l'avons proposé, au moins la capacité d'une force constabulaire, pour qu'elle puisse arraisonner un navire jusqu'à ce que quelqu'un d'autre parvienne sur les lieux, ou bien faudrait-il la militariser à l'égal de la Garde côtière des États-Unis, qui est la quatrième ou cinquième marine en importance dans le monde?
Mme Aiken : Je suis plutôt en faveur d'une garde côtière militarisée, selon le modèle américain, et d'avoir aussi une réserve de la Garde côtière.
Le sénateur Banks : Dans ce cas, devrait-on simplement confier cette fonction à la marine, qui se chargerait d'une partie de la mission, le reste, c'est-à-dire la recherche et le sauvetage et l'aide à la navigation étant assurés par une garde côtière civile?
Mme Aiken : Non. Je pense que la meilleure solution est probablement de combiner toutes les fonctions dans une unité militaire. On obtient ainsi davantage de bateaux, plus de personnel entraîné, et l'on peut facilement faire des mises à niveau pour armer les navires, comme on l'a fait dans la marine canadienne pendant des années et des années.
Mme Lisa Salley, témoignage à titre personnel : Merci de donner à la communauté de Kingston cette occasion de faire entendre sa voix et d'exprimer nos préoccupations et de formuler nos questions.
Je suis directrice générale du Centre de ressources des familles militaires de Kingston. Je suis aussi l'épouse d'un militaire.
Le mandat de notre centre est d'aider les familles militaires à affronter les facteurs de stress unique associés au mode de vie militaire. Je vais vous raconter une histoire.
Un jeune caporal et sa femme, qui était enceinte de huit mois, sont déménagés à Kingston. Ils avaient déjà un fils de trois ans qui avait divers problèmes de santé exigeant un examen tous les six mois. Ils avaient déménagé trois fois durant les huit dernières années. L'épouse n'avait jamais été en mesure de trouver du travail avant de tomber enceinte de son deuxième enfant.
Il leur fallait trouver une maison. Les logements familiaux de la base ne sont pas une option, car l'enfant est allergique à la moisissure. Ils avaient six jours pour trouver une maison et l'épouse était incapable de faire des recherches immobilières parce qu'elle avait de légères complications dans sa grossesse et que son médecin ne voulait pas qu'elle prenne l'avion. L'épouse était incapable de trouver du travail parce qu'elle était enceinte de huit mois quand elle est arrivée ici.
On a fait beaucoup pour les familles militaires. Nous en sommes conscients. Les familles militaires sont capables de rebondir. Nous le constatons tous les jours quand ces gens-là viennent frapper à notre porte au centre. Cependant, quand on se fait dire en arrivant ici à Kingston — et le même phénomène existe partout au Canada et on en entend de plus en plus parler — qu'il y a une liste d'attente de deux ans pour consulter un médecin, c'est une situation assez effrayante pour les familles militaires qui déménagent constamment. Nous avons eu des familles dont les enfants n'ont pas vu un médecin depuis huit ans. Ces gens-là doivent se contenter de cliniques sans rendez-vous.
Cela soulève une foule de questions et de préoccupations, parce que si votre enfant éprouve divers problèmes de développement et qu'il voit un médecin différent à chaque fois, même un très bon médecin ne va pas nécessairement déceler les problèmes. Par conséquent, les problèmes commencent à s'accumuler. Il nous est arrivé de rencontrer des gens pour qui le problème aurait pu être réglé si on l'avait décelé plus tôt. Le coût est beaucoup plus élevé quand le diagnostic n'est pas posé rapidement.
Qu'avons-nous fait ici à Kingston? Nous avons ouvert une clinique. C'est la première en son genre au Canada pour les familles militaires. Nous en sommes très fiers. C'est un partenariat entre la base et le Centre de ressources des familles militaires de Kingston, et nous avons eu aussi un merveilleux appui du conseil d'administration.
Nous avons déjà une liste d'attente de 300 familles militaires à notre clinique. On ne cesse de lire dans les journaux que l'on manque de médecins. Qu'allons-nous faire? Si nous ne pouvons pas faire en sorte que nos familles sont sûres et en sécurité ici chez nous, comment les membres des forces armées se sentiront-ils quand ils seront envoyés en mission ou en exercice?
Le sénateur Munson : Je suis nouveau à ce comité et les autres membres le savent probablement déjà, mais la situation est-elle semblable dans toutes les bases militaires d'un bout à l'autre du pays?
Mme Salley : Oui, c'est la même chose partout.
Le sénateur Munson : À quel point est-ce grave? C'est la même histoire?
Mme Salley : C'est la même histoire. Les familles militaires sont ravies d'apprendre qu'elles sont mutées à Kingston parce qu'elles savent que nous avons cette clinique. C'est triste de dire que nous avons 300 familles sur notre liste d'attente, mais nous sommes en train d'agrandir. Mais nous entendons la même historie de la part des familles partout au pays. Nous avons des gens qui viennent de Trenton et d'Ottawa pour des consultations à notre centre médical, parce qu'ils n'arrivent pas à trouver de médecins. Ça arrive aussi dans les Maritimes. Il est possible que je déménage dans les Maritimes l'année prochaine ou l'année d'après. Si vous allez dans une région rurale de Nouvelle-Écosse, il n'y a aucun espoir de trouver un médecin. Nous n'avons pas de cliniques dans les régions rurales, mais nos bases ne sont pas toutes situées dans de grandes villes.
Le sénateur Munson : Comment cette situation est-elle perçue dans cette collectivité? Comment réagissent les familles militaires quand elles constatent que des civils peuvent consulter un médecin à leur convenance? Cela doit vous briser le coeur.
Mme Salley : Nous sommes très chanceux parce que notre centre médical est au service des familles militaires. Nous avons donc réglé ce problème. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un manque de médecins et que les autres habitants de la ville n'ont pas de misère à en trouver un eux aussi. Quiconque déménage à Kingston, qu'il soit militaire ou non, a de la misère à trouver un médecin.
Nous devons mettre en place une mesure pour régler ce problème à l'intention de nos familles militaires, parce que l'autre question qui vient exacerber le problème dans notre cas, c'est que nous déménageons tous les deux ou trois ans. Par conséquent, s'il y a une liste d'attente de deux ans, ils refusent même de vous inscrire sur la liste. Vous demandez alors : « Comment suis-je censé m'inscrire sur cette liste magique? » Cela devient effectivement très difficile et stressant pour les familles militaires.
Le sénateur Cordy : Je siège aussi au comité sénatorial qui étudie le système de soins de santé et je comprends donc ce que vous dites. Il n'y a pas seulement pénurie de médecins, mais aussi pénurie de tous les praticiens de la santé partout au Canada.
Je suis curieuse de savoir une chose : quand vous avez ouvert la clinique, avez-vous fait appel à un médecin et des infirmières militaires, ou bien êtes-vous allée chercher un médecin à l'extérieur? Comment cela a-t-il fonctionner?
Mme Salley : La clinique a été créée en partenariat avec la base de Kingston, comme je l'ai dit. Les médecins ont un contrat avec le commandant de la base. Le Centre de ressources des familles militaires gère la clinique, laquelle fonctionne sur la base du recouvrement des coûts, comme n'importe quelle autre entreprise, d'ici trois à cinq ans, de sorte que nous ne perdons plus d'argent. Nous espérons rentrer dans notre argent. Nous ne voulons pas faire d'argent. Ce n'est pas notre but. Notre but est de rentrer dans notre argent et de pouvoir continuer à exploiter la clinique.
Le sénateur Cordy : Combien de médecins avez-vous?
Mme Salley : Nous avons trois médecins à temps partiel, l'équivalent d'un à plein temps.
Le sénateur Cordy : Les payez-vous à salaire ou à l'acte?
Mme Salley : Les deux, en fonction de la facturation totale.
Le sénateur Cordy : Merci.
Le président : Ce sont des civils?
Mme Salley : Oui.
Le major-général (à la retraite) Frank J. Norman, témoignage à titre personnel : Je suis un soldat à la retraite. Je voudrais faire deux ou trois observations et je pense que l'histoire que nous venons d'entendre est une bonne illustration de ce que je vais dire. Cela revient à la question que vous avez posée, sénateur Meighen : « Est-ce que les gens passent inaperçus? » Cela a fait l'objet d'un débat durant les années 1950. On a insisté à ce moment-là pour que les militaires soient bien visibles aux yeux du public dans les villes du Canada : Calgary, London, Halifax, Kingston et d'autres.
Cela a beaucoup changé. Comme vous le savez, de nos jours, le public ne nous voit plus tellement, ce qui nous amène, si je peux me le permettre, sénateur Cordy à votre question : « Comment obtenir l'adhésion du public? » Eh bien, vous avez certainement commencé du bon pied. J'espère que vous allez poursuivre.
Je voudrais toutefois vous raconter une autre histoire brève. Quand Perrin Beatty est devenu ministre de la Défense — c'était il y a bien des années, sénateur Forrestall, en 1985 —, à sa première réunion du Conseil de la défense, il a dit qu'il voulait que les militaires fassent des efforts pour convaincre la population du bien-fondé de la politique. Le vice-chef a alors posé la question suivante, ce qui a causé un frisson d'excitation dans la salle : Quand le ministre nous dirait-il quelle était la politique. Or nous voici encore une fois au même point, parce que c'était la genèse du livre blanc de 1985. Nous avons vu ensuite ce qui s'est passé en 1994.
Nous avons encore le même problème de savoir qui va convaincre le public du bien-fondé; qui va faire preuve de leadership. Je vous dirai — et je ne veux pas m'en prendre aux politiciens — que c'est le rôle du gouvernement de faire preuve de ce leadership, comme le général Kirby l'a dit. Nous devons vraiment être visible publiquement pour communiquer avec les communautés partout au Canada.
Depuis que j'ai pris ma retraite, je me suis occupé de la gouvernance des soins de santé. Je connais les arguments sur les dépenses en santé par opposition aux dépenses militaires. Je suis toutefois contraireux de nature et je vous dirais qu'il y a en fait assez d'argent pour payer tout ce qu'il faut pour que cela fonctionne.
Quand je constate que le budget des Forces armées canadiennes est le tiers de celui des soins de santé dans la province d'Ontario, je trouve assez fascinant qu'on ne puisse en trouver un peu plus. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'augmenter les impôts pour y parvenir.
Je vous invite à lire les propos de Tom Axworthy qui sont rapportés dans les journaux d'aujourd'hui. Je regarde autour de la salle et je vois très peu de journalistes présents. Sur la question de savoir comment montrer que les militaires ont un impact dans cette ville, Tom l'a dit très simplement : « Diplomatie, défense, développement ». Ce sont les trois éléments qui doivent être intégrés pour que nous allions de l'avant.
Le sénateur Banks : Je pense que nous sommes tous d'accord avec vous, monsieur Norman. Je pense que nous convenons tous qu'il serait possible de trouver l'argent et, comme vous le savez peut-être, notre comité a d'ailleurs recommandé que l'on trouve l'argent.
M. Norman : Je vous en remercie.
Le sénateur Banks : Nous avons à l'occasion réussi à faire apporter graduellement des modifications à la politique publique. Le navire ne tourne pas comme une toupie, mais nous avons eu un certain effet et nous espérons que cela va continuer.
Toutefois, diriez-vous que dans l'ensemble, quand il s'agit de ces questions, le gouvernement devrait simplement prendre le taureau par les cornes, prendre les mesures voulues et lancer les programmes qu'ils auront décidé de faire sur la foi des recommandations, y compris les nôtres, que nous leur ferons parvenir, pour ensuite essayer de convaincre le public d'accepter cette politique, ou bien est-ce simple prudence de demander aux gens ce qu'ils en pensent?
M. Norman : Je pense que les deux éléments doivent être pris en compte. Ce qui m'inquiète toutefois, c'est que quand nous interrogeons un public dont l'information est parcellaire — je ne dis pas qu'elle est inadéquate, simplement qu'elle est parcellaire — et qui semble beaucoup mieux renseigné sur d'autres questions, il arrive un point, à un moment donné, où il faut effectivement assumer ce rôle de leader.
Dans la situation où se trouve le ministère de la Santé et des soins de longue durée dans notre province, ni le ministère ni les médecins n'ont fait preuve de leadership pour convaincre les gens d'accepter cette politique.
Le sénateur Banks : Le problème que vous évoquez, des connaissances du public sur ce qui se passe, n'est pas particulier à notre époque ni au Canada. Je me rappelle de ce que disait Kipling : « On le traite de tous les noms et on l'envoie promener, mais il est le sauveur de son pays quand les canons commencent à tonner ».
M. Norman : Il a écrit cela à regret, sénateur, après que son fils ait été tué.
Le sénateur Banks : Oui, en effet.
Mme Kimberly St-Louis, témoignage à titre personnel : Je n'avais pas prévu prendre la parole ce soir. J'interviens devant vous en tant qu'épouse d'un militaire et je suis aussi une immigrante.
Mon mari est revenu d'Afghanistan il y a moins d'un mois. Je ne passe pas mon temps à la maison à réfléchir à la politique étrangère et à toutes ces questions. Je m'occupe, comme Mme Salley l'a dit, des soins de santé pour mes enfants, de l'éducation et d'un emploi pour moi, parce que je passe mon temps à déménager. Je veux seulement demander à toutes les personnes ici présentes de se rappeler que pour chaque membre des membres des Forces canadiennes qui s'en va à l'étranger, il y a une famille qui reste derrière. Peu importe ce que vous pouvez penser de la politique, rappelez-vous que les Forces canadiennes, c'est des gens, pas des politiques.
Je suis une épouse. J'ai des enfants. Je suis très fière de ce que mon mari a fait. Quelqu'un a dit que nous devons améliorer la vie des gens ordinaires. Je suis une personne ordinaire. Je suis une mère à plein temps. J'ai des enfants. Les missions sont dangereuses et nécessaires. Elles sont tout à fait nécessaires. J'aimerais que mon mari soit ici pour vous en parler pour vous dire tout ce qu'il a vu pendant qu'il était en Afghanistan et à quel point sa présence était nécessaire et ce qu'il faisait là-bas. J'en suis très fière.
Encore une fois, rappelez-vous que les forces, c'est des personnes et des familles. N'oubliez pas cela. C'est tout ce que j'ai à dire.
Le président : Merci beaucoup.
Si vous aviez des conseils à nous donner sur la choses la plus importante que nous pourrions faire pour aider les familles ou les membres des forces, en particulier ceux qui servent à l'étranger, que choisiriez-vous?
Mme St-Louis : Bien sûr, je suis un défenseur du centre de ressources des familles militaires. J'y travaille. Je suis très reconnaissante de l'existence de ce centre, pas seulement parce que j'y travaille, mais aussi parce que je suis la femme d'un militaire. Je pense que ce qu'ils font est merveilleux, surtout le centre médical que nous avons enfin ouvert. Cela enlève un grand fardeau à des femmes de militaires comme moi.
Vous avez demandé : « Comment faire en sorte que les gens sachent mieux ce dont les militaires ont besoin? » Venez à la base. Les gens one une idée fausse à notre sujet; ils nous croient à part. Venez nous rendre visite. Venez nous voir. Venez voir ce que nous faisons pour les familles. Participez. Engagez-vous. Faites du bénévolat.
Je ne sais pas, c'est très difficile de répondre à cette question. Je pense que nous devons nous entraider. La communauté doit nous appuyer. Kingston est une communauté qui appuie très fermement les familles, mais les gens ont une idée fausse, ils s'imaginent que nous sommes de l'autre côté de la colline. Venez nous voir. Rendez-nous visite. Venez voir ce que nous faisons.
Le président : Je ne veux pas être sur la défensive, mais c'est un fait que nous venons vous voir.
Mme St-Louis : Je parle de la collectivité.
Le président : Les gens qui sont ici, je comprends. Ce serait difficile de trouver une base où nous ne sommes pas allés, et nous rendons visite aux centres de soutien des familles. Vous avez raison. C'est là où nous avons appris le plus. Nous n'apprenons pas beaucoup en écoutant des témoins à Ottawa. Nous apprenons beaucoup plus quand nous venons sur place et qu'on nous parle sans détour.
Le sénateur Munson : J'aurais une petite observation, parce que j'étais auparavant journaliste. Je pense que ce qui est dommage ce soir, c'est qu'il y a beaucoup d'émotion dans la salle et j'entends une foule de témoignages différents que je n'aurais jamais cru entendre, et pourtant, je pense qu'il n'y a pas un seul journaliste sur place.
Nous sommes lundi soir à Kingston. Un photographe est venu il y a un certain temps, il a pris une photo et il est parti. Si vous étiez allés manifester devant l'hôtel de ville pour parler de tout cela publiquement, cela aurait beaucoup dérangé et les journalistes seraient présents. Si les gens venaient manifester devant la base en faveur de la défense antimissiles en hurlant « Nous voulons la défense antimissiles », les journalistes seraient là.
Je trouve que nous avons eu une discussion très utile et il y a un message que j'ai appris et que je vais essayer d'en retirer, à savoir qu'il faut aller parler aux autres médias. Je l'ai fait pour l'ancien premier ministre. J'ai gagné ma vie à le faire. J'ai beaucoup appris ce soir.
Je tiens à vous dire qu'en tant qu'ancien journaliste, je demeure un journaliste au fond du coeur et que je vous suis très reconnaissant de tout ce que vous avez dit.
Le président : Merci.
Nous touchons au terme d'une soirée très instructive pour nous. Peut-être que certains d'entre vous étiez un peu nerveux en vous présentant au microphone. Je vous promets qu'aucun de vous n'était aussi nerveux que nous l'étions. C'était la première fois que nous avions une séance publique et nous ne savions pas trop à quoi nous attendre. Je pense que le résultat est très positif. Je soupçonne que quand nous ferons un débriefing avec les membres du comité, nous serons très heureux d'avoir tenté l'expérience.
Nous n'avons pas entendu la même chose que d'habitude. Le comité m'a donné dès le début pour instruction de ne pas rencontrer seulement les porte-parole habituels pour ne pas entendre seulement la même bonne vieille rengaine. Je peux vous assurer que ce que vous nous avez dit n'était pas une rengaine. Nous avons entendu un bon échantillon de points de vue, auxquels le comité attache de l'importance et auxquels il réfléchira. Nous avons la chance d'avoir pris vos noms et nous pourrons donc communiquer avec vous si nous avons besoin de précisions.
Je tiens à vous remercier tous beaucoup. Nous sommes lundi soir et vous avez pris du temps enlevé à vos familles. Vous avez pris le temps de quitter vos foyers pour venir nous faire part de votre point de vue. Nous vous en sommes reconnaissants. Vous nous avez donné confiance et notre comité continuera de tenir des assemblées publiques dans d'autres villes du pays. Nous partons demain pour Windsor et ensuite, deux jours plus tard, nous serons à Toronto. Nous avons un calendrier qui est rempli jusqu'à la mi-juin.
Nous vous sommes très reconnaissants à tous d'être venus et d'avoir eu le courage de vous présenter au microphone pour exprimer votre point de vue. Nous espérons que vous continuerez de nous communiquer votre point de vue.
Avant de terminer, je tiens à remercier notre modérateur, le Monsieur Haglund. Vous n'avez pas eu besoin d'intervenir beaucoup, mais vous avez fait du bon travail. Nous avons réussi à nous en tenir à notre horaire. Nous avons eu un nombre remarquable de personnes qui sont venues au microphone pour s'entretenir avec nous.
Je dois aussi remercier M. Douglas Bland et M. Kim Nossal, qui nous ont aidés à organiser cette assemblée et qui ont aussi pris les arrangements pour que nous entendions d'autres témoins tout au long de la journée. Merci à tous les deux de nous avoir aidés à faire de notre visite à Kingston un éclatant succès.
Si vous avez des questions ou des commentaires, nous avons un site Web. Quelqu'un a dit qu'il ne fonctionnait pas aujourd'hui, mais je soupçonne qu'il sera très bientôt réparé. L'adresse est www.sen-sec.ca. Je sais que personne n'a réussi à prendre cela en note assez rapidement, mais nous avons deux greffiers ici; je leur demanderais de lever la main pour que vous puissiez les identifier, et ils vous donneront l'adresse du site Web si vous voulez nous rejoindre.
Nous avons aussi un numéro 1-800 par lequel les gens peuvent communiquer avec le greffier. Le numéro est le 1-800-267-7362. C'est de cette manière que vous pouvez obtenir des renseignements sur les audiences du comité. Vous constaterez que toutes nos audiences sont affichées régulièrement sur le site Web. Le compte rendu intégral est affiché sur le site Web. Malheureusement, quand nous sommes en voyage, nous ne sommes pas télédiffusés par CPAC, mais toutes nos audiences à Ottawa sont diffusées et les gens peuvent donc suivre nos travaux. Nous pouvons prendre des arrangements pour faire en sorte que vous sachiez à quelle date nos séances sont diffusées.
Au nom du comité, je vous remercie tous beaucoup d'être venus passer du temps avec nous. Je sais que le comité, une fois que nous aurons lever la séance, dispose de quelques minutes et nous aimerions beaucoup avoir des entretiens en tête-à-tête avec certains d'entre vous. Nous allons le faire. Merci d'être venus et bonne soirée à tous.
La séance est levée.