Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 6 - Témoignages du 2 décembre 2004 (après-midi)
TORONTO, le jeudi 2 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 13 h 3 pour examiner la nécessité d'une politique de sécurité nationale et pour faire rapport à ce sujet.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense tient cette réunion pour recueillir des témoignages au sujet de la politique de défense du Canada.
Nous accueillons aujourd'hui M. Michael Marzolini, président et PDG de Pollara. Il mène des recherches d'opinion sur l'image des entreprises, le positionnement stratégique, les affaires publiques, le marketing et les communications, et dispense des conseils à un large éventail d'entreprises, d'institutions et d'associations industrielles d'Amérique du Nord.
À titre personnel, j'ajoute que j'ai pu bénéficier de ses excellents services quand j'étais impliqué dans les guerres du tabac et qu'il m'a beaucoup aidé grâce à un sondage commandé pour nous aider dans notre étude de la loi visant à faire cesser le tabagisme chez les jeunes.
L'audience d'aujourd'hui est sensiblement différente. Son objectif est de voir comment les Canadiens se voient sur la scène internationale et quelle est leur relation avec l'armée. Je crois pouvoir dire que le comité a le sentiment que les politiciens canadiens ont généralement bien interprété l'opinion publique depuis une vingtaine d'années, ce qui explique le niveau relativement faible des dépenses publiques consacrées à la chose militaire.
Ce qui nous intéresse en particulier aujourd'hui, c'est de savoir si les politiciens sentent bien l'opinion publique et, s'il est vrai que les Canadiens ne s'intéressent pas beaucoup à la chose militaire, comment devrait-on formuler la question? Comment devrait-on s'adresser à la population? Le problème vient-il de la manière dont les Canadiens perçoivent les menaces et vulnérabilités du pays? Est-ce une question de fierté nationale? Est-ce une question d'altruisme et de souci d'aider les pays étrangers afin d'assurer la stabilité du monde? Quelles sont les questions qui préoccupent vraiment les Canadiens et qui pourraient les amener à considérer que leur armée a une certaine valeur?
C'est là-dessus que nous espérons obtenir votre aide cet après-midi, monsieur Marzolini. Je crois comprendre que vous souhaitez faire une déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons quelques questions.
M. Michael Marzolini, président et directeur général, Pollara : Merci beaucoup, sénateur. Je suis très heureux d'être avec vous cet après-midi et je vous remercie sincèrement de votre invitation.
La sécurité nationale et la défense sont des questions auxquelles je m'intéresse depuis plus de 30 ans et au sujet desquelles j'espère pouvoir être utile à votre comité. Avant de commencer à faire des sondages d'opinion, il y a environ 25 ans, j'étais soldat et j'ai été agent de maintien de la paix; j'ai également reçu une formation au contre-terrorisme en préparation des Jeux olympiques de 1976. Aujourd'hui, ma firme, Pollara, est la plus grande firme d'opinion publique du Canada à propriété canadienne. Nous avons 925 employés et sept bureaux répartis dans tout le pays. Nous sommes uniques dans la mesure où nous gérons l'opinion publique, nous ne faisons pas que la mesurer. Nous proposons à nos clients des stratégies, fondées sur les données que nous avons recueillies, pour changer l'opinion publique, qu'il s'agisse d'efforts de marketing ou de modifier l'environnement des politiques publiques.
L'opinion publique est la monnaie la plus puissante de la civilisation. Elle provoque des guerres et y met fin, elle engendre de nouveaux marchés pour des produits et des services, et elle influence chaque décision que prennent les gouvernements et les entreprises. Durant le mandat du gouvernement Chrétien, j'ai régulièrement fourni des avis stratégiques au premier ministre, surtout sur des questions intérieures mais aussi sur maints conflits internationaux. Ainsi, j'ai suivi l'évolution de l'opinion publique canadienne au sujet de nos initiatives au Kosovo et en Afghanistan, ainsi que sur la guerre contre le terrorisme et la guerre en Iraq, et j'ai fait des recommandations qui n'ont pas toujours été acceptées. Notre firme a régulièrement étudié les attitudes de l'opinion publique à l'égard des dépenses militaires, à l'égard de nos forces armées et à l'égard de toutes les menaces internes et externes pouvant exister au Canada.
Bien que Pollara ait produit près de 14 000 pages de rapports et de tableaux sur les valeurs canadiennes relatives à la sécurité nationale et à la défense au cours des 12 dernières années, je vais tenter de synthétiser tout cela en quelques phrases.
Globalement, trois quarts des Canadiens pensent que le monde est plus dangereux aujourd'hui qu'il y a 10 ans. Ils sont très préoccupés par le terrorisme, beaucoup plus en tout cas que par le réchauffement de la planète, les changements climatiques, la criminalité ou les drogues illégales. Leur plus grande crainte concerne les terroristes armés d'armes nucléaires, et 63 p. 100 croient qu'il y aura inévitablement une attaque avec de telles armes à l'avenir, mais pas au Canada. Neuf sur dix s'attendent à d'autres attentats-suicides aux États-Unis, et une petite majorité dit qu'il y en aura probablement aussi au Canada.
Bien sûr, l'avenir, c'est très loin mais, si nous restons dans le court terme, certains de nos sondages les plus récents présentés dans Maclean's cet automne révèlent que près de la moitié des Canadiens pensent qu'il est très probable qu'il y aura une attaque terroriste grave sur le territoire américain dans les six prochains mois. Seulement 15 p. 100 pensent qu'une telle attaque est probable au Canada durant la même période.
Facteur intéressant, que les Canadiens croient ou non à l'imminence d'une attaque, seulement un sur 15, soit environ 7 p. 100, a changé son comportement en conséquence. C'est seulement cette petite proportion de la population qui évite maintenant de voyager en avion, d'emprunter le métro ou les trains de banlieue, ou d'emprunter des tunnels ou des ponts. Dans l'ensemble, nous continuons dans notre très grande majorité à croire que « ça ne peut pas arriver ici », et la proportion de Canadiens qui tombent dans cette catégorie augmente régulièrement à mesure qu'on s'éloigne du 11 septembre.
Cela dit, les Canadiens comprennent que nous avons la responsabilité de participer à la guerre contre le terrorisme mais, dans une proportion de 2 contre 1, ils ne croient pas que l'on puisse gagner une telle guerre. C'est l'acceptation de cette responsabilité qui fonde l'inquiétude très réelle des Canadiens à l'égard du sous-financement de leur armée.
Depuis 20 ans que nous faisons des sondages d'opinion dans tous les domaines, l'appui à l'accroissement des dépenses militaires a atteint une crête en 2003, alors que 56 p. 110 des Canadiens disaient que le gouvernement devrait consacrer plus d'argent à l'armée. La proportion est aujourd'hui retombée à 50 p. 100, probablement suite aux achats d'hélicoptères et d'autre matériel militaire l'an dernier, avec une certaine pression additionnelle causée par l'impopularité de la guerre en Iraq. Je pense qu'il est également probable que nous découvrirons une incidence du problème des sous-marins lors de notre prochaine enquête. Malgré tout, cette proportion est quand même trois fois supérieure à ce qu'elle était en 1996, et l'accroissement des dépenses militaires continue d'être une priorité plus élevée aujourd'hui que les programmes d'assistance sociale, la R et D, la formation professionnelle et maintes autres priorités du gouvernement.
Le mois dernier, dans un sondage spécial réalisé pour le magasine Maclean's à l'occasion du jour du Souvenir, nous avons révélé que 63 p. 100 des Canadiens pensent que leur armée est sous-financée, le groupe le plus important disant qu'elle est gravement sous-financée. Ce chiffre dépasse 70 p. 100 dans le reste du Canada mais il tombe à 41 p. 100 seulement au Québec, où une légère pluralité pense que l'armée reçoit assez d'argent.
Cette différence régionale apparaît souvent dans les sondages d'opinion concernant ce type de question et constitue une source de problèmes, sur le plan politique, quand on veut faire une priorité de la défense. De fait, lors d'enquêtes que nous avons effectuées au sein même des forces armées, nous avons constaté que les soldats ont la ferme conviction que le gouvernement n'est pas en phase avec l'opinion publique au sujet de l'armée.
Les sondages annuels que nous effectuons pour le MDN nous indiquent que 9 Canadiens sur 10 pensent que les forces font du bon boulot. Quelque 92 p. 100 des Canadiens ont une opinion très positive des soldats auxquels ils attribuent des adjectifs tels que « dévoués », « engagés », « loyaux » et « patriotiques », ce qui débouche sur l'opinion interne qu'ils ne sont pas appréciés par leur gouvernement et les amène à s'interroger sur la raison pour laquelle certains de leurs plus grands accomplissements, comme dans l'enclave de Medak ou en Afghanistan, sont en grande mesure passés sous silence par les politiciens et les médias.
Sur une note personnelle, j'ai été amusé, il y a deux ans, de recevoir une médaille pour le maintien de la paix avec seulement 26 ans de retard. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que, si le Parlement avait autorisé cette médaille plus tôt, des milliers de Canadiens qui ne sont plus avec nous aujourd'hui l'auraient sans doute appréciée.
Quoi qu'il en soit, laissons de côté les budgets et les remerciements et constatons qu'il n'y a pour les Canadiens aucune réponse claire quant à la meilleure manière pour le pays de jouer un rôle notable sur la scène mondiale. Dans un sondage que nous avons effectué le mois dernier et qui a été présenté dans les médias, nous avons constaté que les Canadiens sont partagés entre deux possibilités. Une moitié pense que nous pouvons être un acteur mondial important « seulement par des efforts diplomatiques et similaires », alors que l'autre moitié estime que, si c'est ce que nous voulons, nous devons absolument renforcer notre armée. Cette dernière opinion est partagée par une majorité de bonne taille dans toutes les provinces sauf au Québec où près de sept résidents sur 10 pensent que nous ne pouvons être un acteur mondial que par la voie diplomatique.
Cette différence régionale n'a évidemment rien de nouveau. La plupart des initiatives de défense ont toujours recueilli moins d'appui au Québec. Toutefois, l'écart s'est considérablement creusé au cours des trois dernières années, ce qui ressort le plus clairement de la ferme opposition de la province à la participation du Canada à la guerre en Iraq et au bouclier antimissile, opposition qui est moins bien définie dans le reste du Canada. Il convient toutefois de souligner qu'une très nette majorité de Québécois a appuyé l'intervention du Canada en Afghanistan, ce qui témoigne d'une certaine flexibilité de l'opinion québécoise selon les événements.
Depuis quelques années, le rôle que le public souhaite pour les Forces canadiennes passe lentement du maintien de la paix vers la défense de la souveraineté du pays et la lutte intérieure contre le terrorisme. On enregistre un appui solide pour l'utilisation de nos forces contre le terrorisme à l'étranger, ce qui va même jusqu'à l'utilisation d'une force létale pour rétablir la paix dans les pays déchirés par la guerre, mais cette opinion est atténue par la compréhension que nos ressources ne sont peut-être pas suffisantes pour prendre de telles mesures en dehors de notre territoire.
De fait, depuis les attentats du 11 septembre, notre rôle plus traditionnel sur le maintien de la paix est passé au second plan dans l'ordre des priorités publiques. Nous préférons aujourd'hui une armée capable de surveiller et de défendre l'espace aérien canadien ou nord-américain, en coopération avec les États-Unis, et de mener une guerre à côté de nos alliés de l'OTAN pour maintenir la paix et la sécurité internationales ainsi que pour mettre fin à l'épuration ethnique et au génocide. Nous avons fait des études sur chacune de ces questions et toutes sont actuellement jugées plus prioritaires que le maintien de la paix.
Lutter contre le terrorisme au Canada ou dans les ambassades canadiennes est jugé encore plus prioritaire, et l'on considère que le rôle le plus important de notre armée doit être de pouvoir mener une guerre pour protéger le territoire canadien, y compris dans le Grand Nord. C'est là un changement profond par rapport au rôle attendu et souhaité d'agent de maintien de la paix que les Canadiens souhaitaient pour notre armée dans les années 90. Depuis le 11 septembre, le public canadien a adopté une vue plus mondiale et moins introspective de notre place dans le monde. Mis à part notre opinion de la participation au conflit en Irak, les Canadiens comprennent que le monde d'aujourd'hui est plus dangereux et que notre armée doit être mieux préparée et mieux équipée tant pour protéger nos intérêts que pour contribuer à la stabilité internationale.
Je vous remercie beaucoup de votre attention et je serai très heureux de répondre à vos questions. Nous avons apporté beaucoup de documents sur beaucoup de sujets différents, allant des achats de sous-marins aux salaires des soldats et à notre rôle en Irak, ainsi que sur la question de savoir si les Canadiens pensent qu'on réussira jamais à mettre la main sur Oussama ben Laden, question que nous avons étudiée le mois dernier. J'attends vos questions avec beaucoup d'intérêt.
Le président : Merci beaucoup de nous avoir présenté un menu aussi alléchant, monsieur Marzolini. Je me demande si vous pourriez préciser brièvement l'expression « force létale ». Je crois en effet que certains membres du comité pensent que ce sont là deux mots que l'on associe difficilement aux Forces canadiennes parce que les Canadiens, dans le passé, n'ont pas considéré que leurs soldats étaient des gens qui pouvaient aller exercer une force létale. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus?
M. Marzolini : En septembre 2002, une étude a été effectuée pour le MDN — je pense qu'elle est dans le domaine public mais je ne veux pas la citer directement — où l'on utilisait exactement cette expression, « force létale ». J'ai délibérément décidé depuis lors de poser une question directe là-dessus car l'opinion des Canadiens sur certains de ces sujets est fortement influencée par ce qu'ils entendent dans les médias, et nous ne voulons pas qu'il y ait de malentendu à cet égard.
La question que nous posons sans cesse depuis quelques années, à la fois dans les sondages privés et dans ceux que nous publions régulièrement, et c'est une question que nous posons aussi depuis quelques années dans un sondage du MDN — que je ne citerai pas directement, je le répète, mais il devrait être accessible par le truchement de l'accès à l'information — est celle-ci : « Pour chaque opération, pouvez-vous nous dire si vous êtes très favorable, relativement favorable, relativement opposé ou très opposé à l'utilisation d'une force létale pour rétablir la paix dans les pays ou régions déchirés par la guerre? » Pour cette question, nous avons un total de 69 p. 100 de répondants favorables et de 29 p. 100 en opposition, les 2 p. 100 restants étant sans opinion. Nous avons constaté que l'appui à cet égard a généralement augmenté entre 2001 et 2002.
Il existe beaucoup d'indicateurs pour mesurer l'attitude des Canadiens à l'égard des forces armées. Le premier est un sondage de 1997, réalisé à l'époque d'une hausse marquée des dépenses. Cela n'avait rien à voir avec la guerre contre le terrorisme ni avec aucun des problèmes similaires. C'était surtout relié à des rapports de presse portant sur la détresse des soldats incapables de joindre les deux bouts avec les salaires qu'ils touchaient. Il y avait aussi à l'époque des articles traditionnels concernant le Sea King.
Toutefois, en ce qui concerne ce que les Canadiens attendent aujourd'hui de la structure réelle des Forces canadiennes, cela a changé essentiellement durant les trois dernières années, tout au moins en ce qui concerne la question brutale de la force létale. Nous avons utilisé beaucoup d'expressions différentes à ce sujet mais nous constatons que celle que je viens de citer permet de séparer clairement les loups des agneaux.
Le président : Combien d'autres questions sur la force létale devriez-vous poser de manière différente avant d'arriver à la conclusion que vous avez une bonne compréhension de l'opinion des Canadiens à ce sujet?
M. Marzolini : Les Canadiens comprennent bien le sujet. Dans n'importe quelle grande enquête, nous voudrions poser beaucoup de questions là-dessus de façon à nous faire une bonne idée des réactions, des émotions et des sentiments, mais c'est en grande mesure comme pour la peine capitale. Chacun sait qu'il y a au Canada environ 70 p. 100 de gens qui sont favorables à la peine capitale mais moins de six Canadiens sur 10 sont en faveur de la peine de mort. Ils sont en faveur de la peine capitale mais ils sont contre la peine de mort. La différence vient de la terminologie employée. « Peine de mort » donne l'idée de quelque chose qui est moins bureaucratique, moins institutionnel et plus personnel. C'est une chose pour laquelle ils seraient peut-être obligés d'accepter une certaine responsabilité.
C'est la même chose avec la force létale. C'est une expression qu'on entend dans les séries policières à la télévision. Les gens savent ce que c'est. Ils savent que c'est une question de violence, que ça provoque probablement la mort et, certainement, si nous utilisions le scénario le pire pour cette question, c'est la terminologie que nous utiliserions.
Le sénateur Atkins : Certaines des informations que vous venez de nous donner sont un peu renversantes. Puis-je vous demander des précisions d'ordre pratique? Dans vos sondages d'opinion sur la politique, vous demandez depuis un certain temps : « Quelle est la préoccupation la plus importante des Canadiens aujourd'hui? » Parmi les réponses, on vous parle de la santé, de l'économie, de l'éducation puis, très bas dans la liste, de la défense. Comment pouvez-vous concilier cette information avec ce que vous venez de dire? Est-ce parce que le questionnaire que vous utilisez porte essentiellement sur des questions d'ordre militaire?
M. Marzolini : Je pense que ces questions sont un peu inutiles sauf en ce qui concerne les toutes premières préoccupations. En effet, quand on demande aux gens quel est le problème le plus important auquel le Canada fait face aujourd'hui, ils vont généralement vous répondre en disant la première chose qui leur vient à l'esprit. Autrement dit, la chose dont ils ont entendu parler hier soir aux nouvelles. Ce n'est pas nécessairement ce qui les préoccupe eux, personnellement. Nous avons déjà posé cette question pour savoir exactement ça et, quand nous l'avons fait, nous avons obtenu 1 ou 2 p. 100 de gens qui ont dit que les questions de défense sont les plus importantes pour le pays. Cela s'est fait dans le passé et je pense que ce n'est pas très utile; quoi qu'il en soit, si l'on posait cette question aujourd'hui même, à part la santé qui obtiendrait 40 p. 100, on constaterait que la défense nationale et les forces armées sont à 1 p. 100, et la sécurité nationale à 1 p. 100 aussi. Ça ne veut pas dire que 2 p. 100 de Canadiens seulement sont préoccupés par ce sujet mais qu'il y a ces 2 p. 100 qui placent ces questions avant toutes les autres, même avant la santé et leur situation économique personnelle, afin d'en faire la toute première priorité.
Si l'on posait une question beaucoup plus intelligente, que l'on devrait poser plus souvent mais qui coûte très cher aux firmes de sondage — et c'est pourquoi on ne la pose pas souvent — c'est celle-ci : « Quel est votre degré de préoccupation au sujet de chacune des questions suivantes... ». Quand on fait cela, cette question passe avant beaucoup d'autres; je n'ai pas le classement avec moi mais je sais que, du point de vue des priorités de dépense, la défense passe avant la recherche et le développement, avant le recyclage professionnel et avant les programmes d'assistance sociale, de manière générale. Les gens sont donc très préoccupés par la défense et la sécurité.
C'est comme pour l'environnement. L'environnement obtient toujours 2 p. 100 des mentions dans tout le Canada comme étant la préoccupation la plus importante mais, quand nous demandons aux gens quel est leur vrai degré de préoccupation, il passe au deuxième rang, après la santé seulement. Cela veut dire qu'il y a la préoccupation saillante, qui reflète ce que les gens voient dans les médias, et la préoccupation latente, qui exprime ce qu'ils ont vraiment en tête. La défense n'est tout simplement pas la chose qu'ils ont continuellement en tête.
Le sénateur Atkins : Quand vous préparez un questionnaire, vous le faites évidemment dans le but de satisfaire les intérêts de votre client, n'est-ce pas?
M. Marzolini : Non, nous rédigeons nos questions dans le but d'obtenir la vérité sur ce que pense le public. À mes yeux, l'opinion publique est sacrée. Nous ne la faussons pas. Nous n'essayons pas de rendre les choses plus attrayantes qu'elles ne le sont. L'opinion publique, c'est à peu près la seule chose que l'on ne peut pas enlever aux gens. On ne peut pas la frapper d'impôt, on ne peut pas la modifier. Bon, c'est vrai, on peut essayer de la modifier mais j'estime que fausser l'opinion publique, formuler une question qui va donner l'impression que le public pense telle ou telle chose, ça cause un tort considérable au public.
Notre firme a déjà été critiquée pour avoir conçu des stratégies destinées à changer ce que pensent les gens de telle ou telle chose. Nous l'avons fait avec le déficit, en 1995, quand personne ne pensait que c'était important. Le gouvernement pensait que ça l'était et nous avons donc étudié les méthodes qui nous permettraient de porter la question à l'attention du public et de la rendre importante. Je ne pense pas qu'un gouvernement doive suivre aveuglément les sondages d'opinion.
Les sondages sont un indicateur de ce que le public réclame et désire mais, quand les députés doivent prendre des décisions, les firmes de sondage devraient faire leur travail pour examiner les problèmes que peuvent poser ces décisions, afin de trouver des solutions pour les faire accepter. Par exemple, il a fallu faire accepter l'élimination du déficit par la population. Le public n'en savait rien. En fait, seulement 20 p. 100 des Canadiens savaient en 1993 ce qu'était un déficit, ce qui compliquait singulièrement la tâche du gouvernement qui voulait l'éliminer.
Cela dit, nous ne voulons certainement pas dorer la pilule à nos clients. Nous pouvons interroger la population sur tel ou tel argument visant à faire pencher l'opinion d'un côté ou de l'autre, ou à fixer une limite en ce qui concerne les résultats les pires que l'on puisse jamais obtenir durant telle ou telle enquête. C'est un peu comme sous-estimer un excédent budgétaire. Il ne faut pas exagérer quand on fait ça. Tout ceci pour dire que nous n'utiliserons pas une expression comme « l'utilisation d'une force létale » lorsque nous rédigeons une question, car nous savons que c'est un gros obstacle à franchir pour la plupart des gens mais, s'ils le franchissent, c'est très révélateur.
Le sénateur Atkins : Depuis que vous faites des sondages d'opinion, avez-vous perçu un glissement d'opinion ayant une incidence sur le genre de résultats que vous obtenez?
M. Marzolini : Il y a eu beaucoup d'événements qui ont eu une incidence, le plus gros étant certainement le 11 septembre, qui a clairement provoqué les changements les plus rapides que j'aie jamais vus dans l'opinion publique.
Je dois cependant préciser que j'ai été très inquiet par certains des sondages d'opinion que j'ai vus cette semaine-là. Souvenez-vous, 48 heures après les attentats du World Trade Center, le Globe and Mail publiait un sondage montrant que 70 p. 100 des Canadiens, à peu près, acceptaient qu'on lise leur courriel ou leur courrier privé et étaient en faveur d'obliger les gens à porter une carte d'identité pour la montrer à pratiquement n'importe qui. Ils étaient prêts à suspendre toutes sortes de droits fondamentaux. Voilà ce qu'on obtient quand on pose des questions de ce genre 48 heures après une crise. Quand il y a une crise, les opinions sont formées en se demandant quelle serait la solution à ce problème-là — « Eh bien, les solutions que me propose ce sondeur d'opinion, comme lire le courrier des gens, porter des cartes d'identité ou installer des systèmes de contrôle rétiniens un peu partout, c'est une bonne réponse. Je suis en faveur de ça parce que je n'ai pas d'autre réponse ». À l'époque, j'avais prévenu beaucoup de gens au gouvernement en leur disant que ces résultats de sondages étaient très dangereux, surtout s'il s'agissait de prendre des décisions à partir de ça. Les mois suivants ont donné des résultats très différents, tout au moins au Canada. Ensuite, nous avons perdu environ 5 à 6 p. 100 de gens en faveur de telles mesures toutes les deux semaines, pour retomber en janvier au point où nous étions au départ.
Le président : Donc, si le gouvernement avait agi sur la base de ce sondage effectué immédiatement après la tragédie, vous nous dites qu'il n'aurait pas nécessairement produit une bonne législation. Cela dit, comment comparez-vous cela au fait que l'opinion des gens s'est cristallisée en fonction d'événements choquants, qui les ont amenés à porter certains jugements qu'ils ont conservés pendant un certain temps ensuite, ce qui veut dire que les gouvernements qui n'ont pas sauté sur l'occasion ont pu rater une occasion extraordinaire d'effectuer des changements quant à la manière dont la société voit ces choses?
M. Marzolini : Il y a un équilibre délicat à trouver quand on veut connaître l'état de l'opinion publique. Notre rôle n'est pas de prédire l'opinion publique mais il y a des indicateurs qui nous disent dans quel sens elle évolue, et à quelle rapidité. Je me trouvais à Washington en mars 2002 juste une semaine après que nos soldats aient été bombardés dans cet incident de tir ami. J'essayais de convaincre les gens de la Maison-Blanche qu'ils n'avaient pas besoin d'essayer d'encourager l'opinion publique à appuyer leur position sur l'Irak. Le gouvernement américain n'a jamais bien compris l'opinion publique, et c'est ressorti très clairement de la Tempête du désert et du Bouclier du désert. Il a essayé de développer un appui dans l'opinion publique alors que ce n'était pas nécessaire.
Dans le cas du 11 septembre, on lui a donné un chèque en blanc. En fait, l'opération menée en Afghanistan a bénéficié d'un appui considérable dans beaucoup de pays, y compris au Canada. Nous étions 76 p. 100 à appuyer notre participation à cette opération. La proportion a baissé de quelques points pratiquement chaque semaine après le 11 septembre. Le chèque en blanc a été signé la première semaine, et on a perdu ensuite entre 8 p. 100 et 12 p. 100 d'appui par semaine, ce qui n'a pas été le cas aux États-Unis, où c'est seulement la deuxième année que l'appui a commencé à baisser, et beaucoup moins lentement que chez nous, d'ailleurs. Si le gouvernement américain avait pris en mars 2002 la décision qu'il savait qu'il allait prendre, il n'aurait pas eu les problèmes d'opposition dans le monde entier qu'il a ensuite rencontrés.
Le sénateur Atkins : Si vous deviez recommander des mesures au MDN, pour rehausser le profil et la visibilité de l'armée dans le public canadien, que lui diriez-vous?
M. Marzolini : Veuillez m'excuser, rehausser l'image?
Le sénateur Atkins : Oui, et le profil.
M. Marzolini : Je crois que j'en ai parlé dans ma déclaration liminaire. Hérodote, Suétone et Rudyard Kipling ont dit l'un après l'autre que les soldats, les bidasses, sont toujours mal considérés en temps de paix. Par contre, l'opinion que nous avons des gens qui servent dans les Forces canadiennes est incroyablement positive. Le public leur voue un respect considérable, et je pense que c'est là que réside votre levier. Les Canadiens pensent peut-être qu'il y a trop d'officiers dans les Forces canadiennes, que celles-ci sont trop bureaucratiques, qu'elles sont menottées par le gouvernement ou sous-financées, mais l'assise même de cette institution se compose d'hommes et de femmes qui sont généralement très respectés et admirés et dont nous pensons qu'ils font le meilleur travail possible avec ce qu'ils ont.
Le sénateur Atkins : Comment dire cela au public?
M. Marzolini : Mais le public nous a déjà dit que c'est ce qu'il pense. Il s'agit maintenant d'utiliser cette excellente opinion comme levier pour engendrer plus d'appui à l'égard d'un meilleur équipement, ce qui existe déjà, et peut-être aussi plus de soutien politique. Il se peut que l'interruption de l'enquête sur la Somalie ait joué un rôle à cet égard. Il se peut que certains des changements intervenus au cours des 10 ou 12 dernières années, ou peut-être même avant, se reflètent dans la situation actuelle, mais beaucoup de Canadiens ne croient pas — et c'est incontestablement l'opinion des soldats eux-mêmes — que le gouvernement ait toujours donné aux Forces canadiennes l'appui qu'il aurait dû.
Il est clair que l'appui à un accroissement du budget augmente depuis huit ans et rien n'indique qu'il soit sur le point de baisser. Il importe seulement que les sondeurs d'opinion reflètent ce phénomène exactement en posant des questions directes à ce sujet, c'est-à-dire en interrogeant directement les gens sur le financement de l'armée, pas en essayant d'embobiner la population, comme nous avons vu des sondages le faire dans le passé, indiquant que seulement 2 p. 100 des Canadiens pensent que la défense nationale et la sécurité sont les préoccupations les plus importantes de la population et qu'il n'y a donc aucune raison d'en faire des priorités budgétaires. J'ai vu des sondages effectués à la fois pour les médias et pour des groupes de pression qui ont été présentés de cette manière à Ottawa. Je vous les remettrais si je les avais mais je pense qu'ils sont faciles à trouver.
Le sénateur Atkins : Cela semble toutefois être l'un des problèmes, dans la mesure où, plus on s'éloigne du 11 septembre, moins il semble y avoir d'urgence dans l'esprit des gens, ce qui fait qu'il est de plus en plus difficile au gouvernement de mettre en oeuvre des mesures pour réagir à toute la problématique du terrorisme.
M. Marzolini : Oui, et la situation est exacerbée par l'opinion actuelle d'environ 80 p. 100 des Canadiens à l'égard de l'administration américaine, ce qui a un impact sur la question du bouclier antimissile beaucoup plus que la question elle-même n'a d'impact sur la question.
Oui, il y avait un chèque en blanc le 11 septembre. Les États-Unis auraient pu faire ce qu'ils voulaient pour régler le problème alors que, chez nous, seulement trois mois après, nous remettions en question la manière dont étaient traités les prisonniers d'al-Qaeda en nous demandant s'il fallait les remettre aux Américains ou ce que nous devions faire du point de vue de notre souveraineté et de tout le reste. C'est une question complexe qui a un impact sur beaucoup d'autres choses. Plus nous nous éloignons de cette date, plus ça devient difficile.
L'argument que j'essaie de présenter c'est qu'il y a actuellement beaucoup d'appui dans la population, que ce soit un appui résiduel ou un appui qui existe depuis longtemps. Il est certainement assez fort pour justifier certaines décisions sans choquer la majorité des gens dans chaque province, sauf au Québec, bien sûr, dont les résidents témoignent d'une certaine sensibilité à l'égard de ces questions et où il faudrait sans doute faire un peu plus d'effort pour rallier le public.
Le sénateur Meighen : Monsieur Marzolini, votre célébrité vous précède. C'est la première fois que j'ai le plaisir de vous écouter. Le sénateur Atkins connaît beaucoup mieux que moi la question des sondages d'opinion et il a posé beaucoup des questions qui m'intéressaient. Cela dit, puisque vous affirmez que l'appui existe dans la population, comment expliquez-vous le décalage politique? Au fond, ce n'est peut-être pas un décalage. Votre expérience vous a peut-être montré qu'il faut longtemps aux politiciens pour rattraper l'opinion publique? Est-ce que c'est ça l'explication ou est-ce qu'il s'agit d'un domaine au sujet duquel la plupart des politiciens pensent qu'ils n'ont de toute façon jamais rien à gagner et qu'il n'y a donc aucune raison pour eux de prendre des risques politiques inutiles?
M. Marzolini : Je crois que de nombreux facteurs influent sur la manière dont les politiciens réagissent à ce problème, et il est clair que les relations étrangères sont l'un de ces facteurs depuis deux ou trois ans. Pour ce qui est du décalage entre les politiciens et l'opinion publique, il y a généralement un certain décalage, et c'est probablement légitime. Je pense que les politiciens veulent éviter de suivre aveuglément l'opinion publique comme des moutons de Panurge et qu'ils tiennent en fait à prendre leurs décisions après mûre réflexion. Toutefois, en ce qui concerne le décalage actuel, je pense que les politiciens sont encore en retard sur l'opinion publique. Ils n'ont pas encore embrassé le problème.
Le sénateur Meighen : Alors que le public est prêt à agir, lui?
M. Marzolini : En effet, mais n'oubliez pas que, depuis trois ans, le gouvernement fédéral — et j'entre presque ici dans le domaine de l'opinion analysée — est plus réactif que proactif dans la plupart des cas. Le gouvernement ne semble pas du tout tenir à mettre sur la table des questions comme les fusions de banques, la protection des brevets de médicaments, ou d'autres questions similaires. Le gouvernement est plus axé sur la gestion quotidienne des choses et il tient avant tout à ne pas effrayer les chevaux. C'est le type de gouvernement que nous avons depuis quelques années, ce qui explique pourquoi il n'y a pas beaucoup de nouveaux problèmes qui sont mis en relief ou vraiment analysés en profondeur, et celui-ci en est un. Il y a également la problématique québécoise à cet égard, qui fait que c'est un problème que bon nombre de politiciens ne tiennent aucunement à aborder, en tout cas pas de front. Il me paraît incontestable que le public est bien en avance sur les élus à cet égard. Il y a un appui dans la population, et j'ai constaté dans une enquête que vous avez distribuée qu'il semble y avoir plus d'appui dans la population pour le côté équipement des forces militaires que pour le côté personnel quand on demande aux gens ce qu'il faudrait faire pour permettre aux forces de s'acquitter correctement de leurs tâches. À part ça, je n'ai pas vraiment de commentaires à faire sur la raison pour laquelle le gouvernement est à la traîne de l'opinion publique. Je pense qu'il sait fort bien analyser les divers sondages dont il prend connaissance. Vous en avez vu un ce matin et le gouvernement l'a certainement analysé en détail. Ce n'est un secret pour personne que le public appuie les forces armées et qu'il veut qu'elles soient mieux financées. Ce n'est peut-être pas la première chose qui vient à l'esprit des gens quand on les interroge mais c'est certainement une préoccupation latente qui est très importante pour eux.
Le sénateur Meighen : Ce que vous dites est très encourageant, dans un certain sens, car vous nous avez donné l'exemple de la réduction du déficit qui, au début, préoccupait fort peu la population et recueillait très peu d'appui. Pourtant, les autorités ont décidé en 1995 de prendre le taureau par les cornes et vous avez conçu une stratégie, ou quelqu'un l'a fait, qui s'est avérée très efficace. Ma question est donc celle-ci : comme vous avez maintenant un problème qui jouit d'un appui beaucoup plus grand dans l'opinion publique, ne serait-il pas en fait beaucoup plus facile de formuler une stratégie pour aller de l'avant et répondre aux attentes de la population?
M. Marzolini : Le public sait ce qu'il veut. C'est la volonté politique qui manque.
Le sénateur Meighen : Le problème vient donc du haut, pas du bas.
M. Marzolini : Un autre avantage est que cette question est facilement compréhensible. Certes, la majorité des Canadiens ne sait pas encore combien de millions il y a dans un milliard, la plupart des gens vous diront une centaine, d'autres 10 000, peut-être un million, mais seulement 40 p. 100 savent combien de millions il y a réellement dans un milliard. Donc, lorsqu'il s'agit de questions d'impôts et de dépenses, c'est un problème non négligeable. De plus, seulement 20 p. 100 des Canadiens sont capables de choisir une bonne description d'un déficit quand on leur propose cinq possibilités, ce qui reflète évidemment une sélection aléatoire, et cela explique pourquoi c'était très difficile.
Dans le cas présent, les problèmes ont beaucoup plus de relief. Les gens ont entendu parler du Sea King, ils ont entendu parler des sous-marins, ils comprennent que l'armée a besoin de crédits additionnels, et ils n'ont pas un grand saut à faire pour franchir ces barrières.
Le sénateur Meighen : Avez-vous constaté un changement notable dans la manière dont les Canadiens saisissent les dangers auxquels sont exposés nos soldats à l'étranger dans les jours et les mois qui ont suivi l'incident du tir ami?
M. Marzolini : Quand nous sommes allés interroger la population, dans les 48 heures qui ont suivi, j'ai eu peur que les Canadiens perdent absolument tout désir de continuer cette opération et j'ai été très surpris d'enregistrer en fait tout le contraire, c'est-à-dire que leur résolution en a été renforcée.
Le sénateur Meighen : C'est ce que j'aurais pensé.
M. Marzolini : C'était comme si les gens pensaient : maintenant que nous avons versé notre sang, continuons. Il ne s'agit pas d'aller là-bas quand ça nous plaît. Nous avons pris un engagement. C'était un engagement majeur et notre devoir est maintenant de terminer le travail par respect pour ceux qui sont morts. J'ai trouvé cela très encourageant et positif de la part des Canadiens.
Le sénateur Meighen : Les Canadiens ont-ils des caractéristiques particulières que vous auraient révélées vos sondages? Autrement dit, si vous posiez la même question dans d'autres démocraties occidentales, obtiendriez-vous les mêmes réponses? Par exemple, tout le monde est préoccupé par la santé, ce qui peut influer sur l'efficacité du réseau dans tel ou tel pays, mais est-ce que ce serait la priorité numéro un dans d'autres pays?
M. Marzolini : Cela pourrait faire l'objet de plusieurs bons livres et je ne sais pas si je peux ici examiner ces questions l'une après l'autre pour faire ressortir les différences entre le Canada et les autres. Je pense qu'on peut dire que nous sommes tous foncièrement semblables et qu'il y a beaucoup d'impacts régionaux dans les systèmes politiques. Je suis sûr qu'on ne parle pas du système de santé en Ukraine cette semaine. C'est vraiment trop complexe comme sujet. Je ne voudrais pas faire comme Kim Campbell et dire que les élections ne sont pas le bon moment pour en parler.
Le sénateur Meighen : Certes.
M. Marzolini : Je crois que Michael Adams, président d'Environics et excellent sondeur d'opinion, a publié quelques livres là-dessus, dont Sex in the Snow.
Le sénateur Day : Le sénateur Kenny a dit tout à l'heure que nous avons eu l'impression que les politiciens avaient bien senti l'opinion publique, dans les années 90. Les Canadiens ne veulent pas qu'on consacre d'argent à l'armée et les politiciens n'en ont donc pas consacré. Si je vous comprends bien, vous dites que ce n'est pas seulement l'effet du 11 septembre 2001 et qu'il existait un appui inhérent à l'armée avant cela.
M. Marzolini : C'est l'effet du pendule. Nous attendions un dividende de la paix à l'effondrement du mur de Berlin. Nous pensions que nous n'aurions pas besoin de laisser une grande partie de notre armée en Allemagne, qu'il n'y aurait plus les mêmes dépenses et que nous n'aurions pas besoin d'acheter de nouveaux chasseurs. C'était une époque où l'expression « dividende de la paix » était souvent utilisée et où les gens s'attendaient à une certaine réduction des dépenses dans ce domaine. Toutefois, comme c'est toujours le cas dans ce genre de situations, il y a eu un retour du pendule et on en voit l'effet aujourd'hui. Les gens pensent que cela n'a pas été une priorité pendant cinq ou six ans puis ils commencent à lire des articles sur les Sea King qui tombent du ciel et d'autres disant que des familles des soldats sont obligées d'aller à la soupe populaire, comme il y en a eu dans le Toronto Star et ailleurs, et cela commence à les inquiéter sérieusement.
Nous parlions tout à l'heure du déficit, qui a été en grande mesure un sujet propulsé par les médias. Le facteur le plus important a été la publication d'un article dans le New York Times, ou peut-être bien dans le Wall Street Journal, décrivant le Canada comme le Brésil du Nord. On y disait essentiellement que notre pays était fini sur le plan économique. Quand on lit ça, ça fait réfléchir. Si les Américains disent que nous valons rien, nous avons tendance à réfléchir un peu plus sérieusement parce que c'est un sujet sensible pour nous. C'est cela qui est arrivé avec le déficit. Il y a eu des messages aux États-Unis disant que nous ne respections pas notre engagement de l'OTAN mais ça n'a pas eu beaucoup d'impact sur l'opinion publique. Par contre l'idée que des gens que nous admirons beaucoup et que nous respectons, nos soldats, dépendent des banques d'alimentation, ça a réveillé beaucoup de monde.
Il y a eu des petites fluctuations entre ça et l'attente du dividende de la paix. Il y a eu les incidents de bizutage dans le bataillon de parachutistes. Je ne sais plus quel en était le nom mais le bataillon a été démantelé, ce qui a été regrettable du point de vue du régiment aéroporté.
Le sénateur Day : En effet.
M. Marzolini : J'ai un ami qui a fait partie du régiment aéroporté durant la Deuxième Guerre mondiale et il était très mécontent de ce qui s'est passé. L'affaire n'a pas été bien traitée. Il y a eu d'autres incidents de bizutage.
L'image des forces armées n'était pas brillante au début des années 90.
Le sénateur Day : La Somalie.
M. Marzolini : La Somalie.
Le sénateur Day : Ai-je raison de penser que votre position est qu'il existe au Canada un appui inhérent et fondamental en faveur des forces armées? Il est peut-être plus élevé dans certaines régions que dans d'autres, par exemple dans les Maritimes et en Ontario qu'au Québec, mais ce soutien inhérent existe bien, n'est-ce pas?
M. Marzolini : Il a toujours été là. Même les Québécois ont une opinion très positive des soldats. Comme vous le dites, l'appui a toujours été plus élevé dans les Maritimes, et il est également excellent dans l'Ouest et en Ontario. Au Québec, il fluctue selon les situations mais, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, l'attitude du Québec dépend des événements. Les Québécois ont fortement appuyé l'initiative du Canada en Afghanistan, ce qui montre que leur position peut varier, comme c'est toujours le cas avec l'opinion publique.
Le sénateur Day : On n'a pas besoin d'un 11 septembre 2001 ou d'un incident de tir ami en Afghanistan pour rallier cette opinion. On perçoit les changements dès que l'on décrit le niveau de vie des soldats et la nécessité pour un soldat de Victoria d'avoir un deuxième emploi en dehors de la base, dans son temps libre, pour pouvoir payer son logement. Ce genre de situation réveille le géant qui dormait.
M. Marzolini : Chaque attitude change avec le temps et c'est pourquoi nous suivons l'évolution de l'opinion au cours des mois. Par exemple, je parlais tout à l'heure du chèque en blanc donné au moment des événements, puis de l'atténuation progressive, et nous avons des données qui le confirment. Nous effectuons une enquête de suivi trimestrielle sur les préoccupations du Canada à l'égard du risque d'attaques terroristes. C'est cette ligne-ci. Elle commence à 43 p. 100 au premier trimestre de 2002 et elle est tombée à 29 p. 100 le mois dernier. Le déclin n'est certainement pas régulier mais il est incontestable. Pour ce qui est de la sécurité à la frontière entre le Canada et les États-Unis, qui est cette ligne-ci, personne n'est très préoccupé par ça, comme vous pouvez le constater. L'une des raisons en est que les gens pensent que la situation va inévitablement s'améliorer à ce chapitre, et c'est pourquoi vous voyez que nous avons actuellement 65 p. 100 des gens qui pensent qu'elle va s'améliorer considérablement ou légèrement. En ce qui concerne la sécurité du Canada contre des attaques terroristes, de manière générale, 63 p. 100 des gens pensent qu'elle s'améliorera considérablement ou légèrement au cours de l'année prochaine, ce qui est en fait un peu plus faible que peu après l'attaque du 11 septembre, où le chiffre était de 73 p. 100 environ.
Les Canadiens font extrêmement confiance à leur gouvernement et à leurs forces armées pour réagir à ce genre de problèmes.
Le sénateur Day : C'est la question suivante que je voulais aborder. Les Canadiens font-ils preuve de complaisance parce qu'on ne leur a jamais rien montré d'autre, même si nous parlons de cela depuis longtemps? Quand vous sondez l'opinion publique sur son appui aux Forces canadiennes, est-ce que le manque d'appui vient du fait que ça ne la touche pas de près, ce qui n'est pas le cas de l'éducation ou de la santé, par exemple, et est-ce pour cela que les Canadiens veulent que le gouvernement consacre de l'argent à des choses qui les touchent quotidiennement, comme le transport, plutôt qu'à l'armée, qui est très éloignée de leur vie quotidienne?
M. Marzolini : Nous essayons de tout examiner de manière holistique. Mon processus d'étude comprend au moins deux ou trois enquêtes par jour. Je ne les vois pas toutes mais j'essaie d'en voir le maximum. C'est comme étudier l'histoire et dire, quand les Romains faisaient ceci, les Chinois faisaient cela, et comment tout s'intègre-t-il? Nous essayons d'examiner chaque thème et de relier le tout ensuite. Bien souvent, ce n'est pas possible. Il y a des priorités différentes et, quand l'appui baisse dans un domaine, ce n'est pas nécessairement parce que le degré d'appui a effectivement baissé mais plutôt parce qu'une autre question a pris plus d'importance. Je sais que ce n'est pas facile à suivre et que je ne me suis pas très bien expliqué. Il y a une certaine cohérence dans tout cela mais elle n'est pas toujours parfaitement claire.
Le sénateur Day : Est-il possible que les politiciens, confrontés à des ressources limitées, disent : « La population appuie peut-être l'armée mais, si nous laissons ce géant dormir, nous pourrons nous occuper d'autre chose et tout ira bien tant que personne n'attirera l'attention là-dessus, ce que nous n'avons certainement pas l'intention de faire nous-mêmes? »
M. Marzolini : Encore une fois, vous me demandez de faire une remarque sur la relation qui existe entre ce que pense le gouvernement et ce que pense le public.
Le sénateur Day : Je ne veux pas vous interrompre mais j'essaie de comprendre pourquoi le corps politique n'a pas réagi à un appui évident du public, malgré les efforts de nombreux groupes et comités, comme le comité du Sénat, qui ont tenté d'attirer l'attention sur cette question. Nous savons qu'il existe un niveau d'appui inhérent mais le corps politique n'y a pas réagi et, au fond, il s'en est toujours très bien sorti.
M. Marzolini : C'est cela qui est curieux, et je me suis de temps en temps posé la question. Je me souviens de la note d'Eddie Goldenberg adressée en 1975 à M. Chrétien où il se demandait si nous avons vraiment besoin de forces armées. C'était peut-être le reflet d'une opinion assez répandue. Pour moi, comme pour la grande majorité de la population, il est absolument évident que l'on a besoin d'une force militaire quelconque pour être un acteur sur la scène mondiale. Par contre, il est clair que la moitié des Canadiens ne partagent pas cette opinion et pensent que l'on peut obtenir ce résultat par des voies diplomatiques ou autres.
Le sénateur Atkins : C'était une note de 1995?
M. Marzolini : Non, de 1975.
Le sénateur Day : C'est très vieux.
M. Marzolini : Je m'en souviens parce que je faisais partie des Forces canadiennes à l'époque et, quand la note a été rendue publique par le truchement de l'accès à l'information, il y a quelques années, je me souviens que je me suis dit : « Goldenberg me mettait déjà les bâtons dans les roues à cette époque-là ».
Le président : Si vous me le permettez, je voudrais revenir sur le commentaire du sénateur Day car je pense qu'il concerne un aspect fondamental de notre plan de travail. J'aimerais savoir si vous avez la conviction absolue qu'il y a dans la population un degré de soutien plus élevé que celui qu'imaginent les politiciens. Vous nous dites au fond que les politiciens n'ont pas bien senti la population et vous semblez suggérer que nous devrions nous concentrer sur ce qui amène les Canadiens à arriver au point de vue auquel ils arrivent, mais simplement de l'intérieur du cénacle. Empiriquement, nous savons que se concentrer sur l'intérieur du cénacle ne marche pas. Ça ne fait pas changer le Cabinet, ça ne fait pas avancer notre objectif. Nous sommes donc à la recherche d'une autre solution, tout simplement parce que nous n'avons pas réussi avec la méthode suivie jusqu'à présent.
Si les politiciens avaient lu notre premier rapport, nous ne serions pas ici aujourd'hui; s'ils avaient lu notre troisième rapport, nous ne serions pas ici aujourd'hui; s'ils avaient lu notre sixième rapport, nous ne serions pas ici aujourd'hui.
Donc, s'il vous plaît, monsieur Marzolini, venez nous aider. Notre message ne passe pas. Si ce thème était populaire, les politiciens s'en seraient déjà emparés. Pouvez-vous nous dire pourquoi ils ne l'ont pas fait?
M. Marzolini : Premièrement, il ne faut pas penser que le gouvernement soit complètement inconscient à ce sujet, ce n'est pas le cas. En 1993, quand on a pris la décision de supprimer l'achat des Cormorant ou des EH-1001 — ce qui représentait une dépense de 5,3 ou 5,8 milliards de dollars, si je me souviens bien — c'était essentiellement un coup de dés qui n'a pas été impopulaire parce que ça reflétait une décision franche. Toutefois, pour faire passer la décision, il a fallu dire que c'était un hélicoptère de la guerre froide.
Le président : L'hélicoptère plaqué or.
M. Marzolini : Plaqué or, peut-être, mais de la guerre froide, anti-sous-marin, alors que ce n'est probablement pas ce dont nous avons besoin. On l'a en quelque sorte discrédité et on a relié ça à un dividende de la paix, au fait qu'il n'y avait plus de Mur de Berlin ni d'empire du mal à l'autre bout de la planète attendant la moindre occasion pour provoquer un conflit. Il y a donc eu environ quatre ou cinq années ou le gouvernement fédéral a été parfaitement sur la même longueur d'onde que le public. Quand la situation a commencé à changer en faveur d'une augmentation des dépenses, en 1997, ce n'était pas en réaction à un besoin fondamental ou au fait que les gens étaient descendus dans la rue avec des fourches et des torches mais parce que nous avons eu clairement le sentiment qu'il fallait faire quelque chose pour les Canadiens sous l'uniforme parce que leur équipement était vraiment complètement désuet et que leurs salaires n'étaient pas très bons. Nous aimons ces gens-là, ils font beaucoup pour nous et nous ne les récompensons pas adéquatement. Nous sommes préoccupés par leur statut mais pas très troublés.
Le président : Je crois comprendre cette ligne de pensée, dont le meilleur exemple a sans doute été l'histoire du livreur de pizzas — il faut faire quelque chose pour ces gens.
M. Marzolini : Le 11 septembre a donné une nouvelle impulsion, surtout en ce qui concerne l'équipement. Y a-t-il un gain politique à faire en faisant de cette question l'une des grandes priorités de demain? Je pense qu'il est dangereux pour la plupart des politiciens, et je dis ceci en tant que stratège politique, pas nécessairement en tant que sondeur d'opinion — mais comme ça aussi — de se concentrer sur un seul thème qui finit par vous définir totalement, alors qu'il y a de profondes divisions dans le pays.
J'ai lu l'article du Toronto Sun sur la défense antimissile et j'ai pensé que son auteur exprimait fort bien les divisions qui existent dans le pays sur cette question, ainsi que certaines des idées fausses qui sont répandues. Pour le public, la question est importante mais elle ne lui cause pas particulièrement d'inquiétude. Les gens ont beaucoup d'autres préoccupations et ne peuvent pas prêter attention à tout. Ils peuvent être préoccupés par la santé, par les transports, ou par leur dernier vol sur Air Canada, et à juste titre dans ce cas. Par contre, il y a beaucoup de choses qui les préoccupent et, quand on en arrive à la défense et à la sécurité nationale, ils vous diront que ça les préoccupe, certes, mais ils n'ont pas beaucoup d'énergie à y consacrer. Est-ce que cela peut suffire pour les amener à voter d'une certaine manière? Probablement pas si c'est le seul facteur à prendre en compte mais, lors des prochaines élections, je recommanderais certainement aux candidats d'avoir une politique axée sur le renforcement de l'équipement et du personnel des Forces canadiennes. Ce serait sans doute utile sur le plan électoral. Par contre, il ne serait sans doute pas utile pour un candidat de faire de cette question son seul thème électoral ou de défendre d'arrache-pied sa position à ce sujet car il risquerait de passer pour un va-t-en guerre.
Le président : Vous semblez avoir étudié les réactions de la population sur le « dividende de la paix ». Avez-vous fait des études similaires sur la notion de « police d'assurance », l'analogie étant que le citoyen paie une police d'assurance contre l'incendie ou pour son automobile, et que l'argent consacré à l'armée permet au pays en entier de s'acheter une police d'assurance?
M. Marzolini : Nous faisons d'autres recherches sur le secteur de l'assurance automobile, qui n'est pas un sujet facile ces jours-ci. Je ne pense pas qu'il soit productif de faire des comparaisons entre l'assurance automobile et la sécurité du pays, en tout cas pas dans les provinces maritimes.
Le président : Il s'agirait simplement de faire comprendre aux gens le lien logique qui existe entre une police d'assurance individuelle et la nécessité d'avoir un service de police ou un service de pompiers et une armée.
M. Marzolini : C'est le genre de recherche que nous ferions si nous voulions également formuler une stratégie pour faire accepter cette idée. Nous n'avons jamais fait ça. Personne ne nous a demandé de le faire. J'adorerais faire une recherche de cette nature. De fait, je dis souvent que, si je n'avais pas de clients, je continuerais à faire des sondages d'opinion car j'aime beaucoup voir les résultats. Le thème que vous soulevez pourrait certainement produire des recherches fort intéressantes, et je ne l'avais jamais envisagé.
Mes tarifs sont très raisonnables et je pourrais certainement vous envoyer une proposition.
Le président : Je vous offre le sujet gratuitement.
Le sénateur Day : J'aimerais savoir si vous croyez que le public comprend bien la notion de « maintien de la paix »? Est-ce que cela comprend l'établissement de la paix ou est-ce que c'est une activité plus traditionnelle de type policier?
M. Marzolini : Nous avons fait beaucoup de recherches sur le maintien de la paix, sous de nombreuses formes différentes. Nous n'avons pas organisé de groupes de réflexion pour voir ce que pensent vraiment ceux qui n'ont pas une bonne compréhension du maintien de la paix. Toutefois, je pense que tout le monde a vu les films et lu les articles, au cours des années, et je pense que la plupart des gens savent généralement ce qu'est le maintien de la paix, mais leur idée correspond probablement plus à ce qui se faisait dans les années 60 ou 70. Je ne parle pas ici du début de l'intervention à Chypre mais plutôt de la fin, de l'action au Sinaï, d'être un tampon mais de ne pas jouer un rôle actif comme dans l'enclave de Medak, lorsque les troupes canadiennes ont été proactives plutôt que simplement réactives. Je crois que cela n'est généralement pas très connu des Canadiens.
Le sénateur Day : Les Canadiens pensent-ils que ce qui s'est fait dans l'ex-Yougoslavie, c'était du maintien de la paix?
M. Marzolini : Probablement que oui pour la fin de l'intervention, mais pas pour le début, et je peux dire que l'appui à cette intervention a été plus faible que pour n'importe quelle autre. Je crois qu'il se situait à 56 p. 100 environ. Les Canadiens n'ont pas vraiment compris ce qui se passait là-bas, ni qui étaient les bons et les méchants. Ils ont l'habitude de voir beaucoup de films et ils aiment les situations claires. Là-bas, il semblait y avoir beaucoup trop d'acteurs pour qu'on s'y retrouve.
En règle générale, les Canadiens ne pensent pas que le maintien de la paix soit particulièrement dangereux. Quand je parle aux gens du nombre de victimes canadiennes à Chypre, durant l'invasion turque de 1974, ils me regardent avec étonnement et me disent : « Je ne savais pas que nous avions perdu des agents de maintien de la paix là-bas ». Ils ne pensent pas que c'est une activité dangereuse, sauf en ce qui concerne d'éventuelles mines terrestres ou d'autres types d'explosifs. Ils ne réalisent pas qu'il peut y avoir des échanges très dangereux.
Voilà pourquoi nous utilisons des expressions comme « force létale ». Jusqu'où pensent-ils que nous devrions aller? En règle générale, au Canada, et ce n'est pas le cas aux États-Unis, nous ne sommes pas très à l'aise avec les gens qui causent des pertes de vie.
Il m'est arrivé de devoir conseiller quelqu'un qui aurait pu être un excellent maire mais qui, parce qu'il avait dû tirer sur un criminel dans un autre emploi, aurait eu beaucoup de mal à être accepté par la population, qui s'inquiète rapidement quand il s'agit d'utiliser des armes à feu ou n'importe quel type de force, létale ou non. Ce n'est pas quelque chose que les gens veulent voir chez leurs politiciens. Aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de gens à la Chambre des communes qui ont vu la moindre bataille. Au Sénat, je crois que Stan Waters a un passé remarquable à ce chapitre, mais ça ne fait pas partie de notre culture.
Les gens n'entrent pas nécessairement dans l'armée à l'âge de 16 ans ou 18 ans, comme aux États-Unis, et c'est probablement pourquoi, lors des dernières élections américaines, l'attaque des anciens combattants du Vietnam contre John Kerry a été tellement efficace. Mais je m'écarte du sujet.
Le sénateur Banks : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Marzolini. Nous ne vous voyons plus aussi souvent qu'autrefois. J'espère que ça changera. Je voudrais continuer dans le même ordre d'idées. Vous devez comprendre, et je l'admets dès le départ, que nous, membres du comité, ne sommes pas des clients potentiels. Vous avez eu raison de dire dans vos remarques liminaires que les relations publiques, les perceptions du public et l'opinion publique peuvent littéralement déclencher des guerres. La guerre hispano-américaine a éclaté à cause de l'opinion politique.
M. Marzolini : Le USS Maine.
Le sénateur Banks : C'est ça.
M. Marzolini : Le port de la Havane.
Le sénateur Banks : Et il y a d'autres exemples.
M. Marzolini : Vous savez, tout relève de l'opinion publique. La religion, c'est l'opinion publique.
Le sénateur Banks : C'est vrai. J'ai été surpris de vous entendre dire, parce que je ne le savais pas, que votre firme, et c'est un exemple — mais vous êtes sans doute unique à cet égard — non seulement analyse l'opinion publique mais, parfois, essaie de la changer. On peut faire croire n'importe quoi aux gens. Joseph Goebbels en est l'une des preuves les plus évidentes, je crois.
M. Marzolini : On peut changer l'opinion des gens mais pas leurs valeurs ni ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes. Il y a une limite. On peut les convaincre qu'un hamburger est différent d'un autre ou qu'une automobile est meilleure qu'une autre, ou de voter d'une certaine manière plutôt qu'une autre, mais on ne peut pas vraiment atteindre le fond même de la personne. On ne peut pas changer les valeurs des gens. Ils tiennent très fermement à leur opinion. Je n'arriverais jamais à changer l'opinion de quelqu'un sur la peine capitale ou l'avortement durant une campagne électorale mais, si je communique de nouvelles informations, certains décideront peut-être qu'il est plus important d'avoir un système de santé différent ou d'accroître le financement des forces armées, parce que ça, c'est une opinion. On peut travailler là-dessus.
Le sénateur Banks : Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites qu'on ne peut pas mais j'accepte que vous ne le ferez pas.
M. Marzolini : Je ne suis pas assez bon.
Le sénateur Banks : J'aimerais connaître un peu mieux le processus car vous avez fait plus qu'étudier en passant les choses dont nous parlons — le dividende de la paix et l'idée, que vous avez mentionnée, d'amener le grand public à attacher beaucoup d'importance au déficit et à son élimination. J'aimerais saisir comment cela s'est fait. Comme c'est terminé, vous ne révélerez rien de secret, je suppose. Quel processus vous a amené à faire ça? Est-ce qu'on vous a demandé de faire ça parce que vous aviez constaté, durant vos enquêtes, que c'était un problème ou un thème qui serait utile lors des élections?
M. Marzolini : Eh bien, nous avons dû essayer de convaincre certaines personnes, lors de discussions internes, parce que je savais que les gens au pouvoir pensaient que ce serait important, et nous savions que ça l'était, mais ils n'arrivaient pas à en convaincre le public.
Le sénateur Banks : Vous saviez que ce serait important.
M. Marzolini : Ce n'était pas une question d'opinion. Sur le plan économique, quand vous avez 580 milliards de dette et que le service de cette dette vous coûte un pourcentage élevé des impôts que vous récoltez, le problème est clair. Je n'ai pas beaucoup d'opinions politiques très ancrées moi-même, puisque je suis un sondeur d'opinion. Je ne veux pas que mes résultats soient faussés par de nombreuses opinions différentes mais je pense qu'il était assez facile de comprendre qu'éliminer le déficit exigeait que le gouvernement ne vive plus au-dessus de ses moyens. Il s'agissait donc de faire accepter cette idée par les gouvernants — vous pouvez faire ça mais la population ne vous appuie pas pour le moment; nous pouvons faire en sorte, non pas nécessairement que les gens vous ovationnent mais au moins qu'ils acceptent ce que vous allez faire. Nous avons fait toutes sortes d'exercices et de répétitions, nous avons amené des gens à préparer un budget, pour qu'ils comprennent ce que cela implique et quelles sont les données économiques de base.
J'ai dit plus tôt que 40 p. 100 seulement des Canadiens savent combien il y a de millions dans un milliard. Le déficit et la dette, ça n'avait aucun sens pour eux. Nous avons dû faire passer l'idée qu'il y avait une crise. Nous avons dû chercher des relais dans les médias. Si vous aviez entendu un politicien américain dire que nous étions finis sur le plan économique, cela vous amènerait-il à penser que les réformes envisagées vont dans le bon sens? Nous avons cherché les facteurs susceptibles de stimuler la population. Il y a certains facteurs qui permettent d'agir sur la population, et d'autres, non. Il s'agissait donc d'utiliser les bons instruments, non pas pour manipuler l'opinion publique mais pour l'éduquer de la bonne manière, afin qu'elle en arrive à accepter l'importance du problème et la nécessité d'agir.
Je me souviens qu'après l'un des budgets, j'avais été très déçu de voir quelqu'un que j'admire beaucoup, l'ex-ministre des Finances Michael Wilson, donner une entrevue dans laquelle il a dit : « Notre gouvernement ne s'est jamais attaqué au déficit parce que nous n'avons jamais eu l'appui du public pour ça ». Je considère qu'il s'agit là d'une philosophie différente du rôle du gouvernement. Je pense que le gouvernement doit faire ce qui est bien et se servir des relations publiques pour tenter d'influencer l'opinion afin qu'elle accepte sa décision.
Le sénateur Banks : En fait, l'opinion de M. Wilson sur ce qu'il fallait faire n'était pas très différente de celle de M. Martin.
M. Marzolini : Exactement.
Le sénateur Banks : La différence, c'est que M. Martin a été autorisé à le faire alors que M. Wilson ne l'a pas été. Est-il donc exact de dire que les gens qui savent de quoi il s'agit, au sein du gouvernement, ainsi que des gens comme vous-même, saviez à l'époque que l'élimination du déficit était une politique qui pouvait être vendue à la population?
M. Marzolini : C'était vendable.
Le sénateur Banks : Mais les gens ne l'avaient pas encore réalisé?
M. Marzolini : Le public n'avait pas pris conscience qu'il y avait là un vrai problème.
Le sénateur Banks : Très bien.
M. Marzolini : Sur cette question, l'opinion publique en était essentiellement au point où elle en est aujourd'hui au sujet de la défense. L'appui est là, il faut le mobiliser. En fait, c'est encore plus vrai cette fois-ci parce qu'il y a déjà dans la population un appui pour les mesures dont nous avons parlé. Il faut maintenant le mobiliser et s'en servir pour aller dans la bonne voie.
Le sénateur Banks : Je suis heureux de vous l'entendre dire car, pour le moment, nous prêchons dans le désert. Je suis content d'entendre votre confirmation.
Dans le dernier de vos sondages, qu'on nous a donné aujourd'hui, du mois dernier, de décembre à novembre, au tableau 1, page 6, vous précisez que l'appui des Canadiens envers l'idée de se concentrer plus sur les relations avec les États-Unis plutôt que sur celles avec d'autres pays a beaucoup baissé entre avril et novembre de l'an dernier. D'après vous, est-ce attribuable à un facteur particulier? Ce sondage vous a-t-il permis de voir quelle est la raison de ce phénomène, ou vous êtes-vous limité à fournir le résultat?
M. Marzolini : J'ai vu ce sondage pour la première fois aujourd'hui. Ce n'est pas moi qui ai préparé ce condensé de nos sondages sur cette question, car ils ont été réalisés pour un client privé et, généralement, nous n'en discutons pas publiquement, mais on a mis plus l'accent sur les pays autres que les États-Unis depuis plusieurs années, et la réaction est reliée à la manière dont le public perçoit l'administration Bush. Nous avons fait des enquêtes indiquant qu'il ne s'agit pas d'anti-américanisme, ce n'est pas une opposition à leur type de gouvernement mais c'est une opposition aux politiques américaines au Moyen-Orient et une opposition à George Bush. C'est cela qui a amené les gens à se détourner de l'idée que nous devrions consacrer plus d'efforts à nos relations avec les États-Unis et à en consacrer plus à nos relations avec l'Europe. Tout ceci est cependant très émotif et ce n'est pas nécessairement quelque chose qui se confirmera avec le temps. À l'époque de Clinton, les gens avaient certainement une opinion totalement différente à ce sujet. Hélas, il est souvent arrivé que les relations personnelles exercent beaucoup d'influence sur les affaires étrangères, et je pense que c'est le cas ici.
Le sénateur Banks : Pour finir sur la question précédente, nous avons en ce moment un champ fertile que quelqu'un pourrait ensemencer avec succès?
M. Marzolini : Ce n'est peut-être pas l'image que j'utiliserais mais je pense que vous avez absolument raison.
Le président : Au nom du comité, monsieur Marzolini, je vous remercie très sincèrement de votre témoignage d'aujourd'hui. Vous nous avez beaucoup aidés à mieux comprendre la manière dont le public perçoit la chose militaire, et vous nous avez fourni beaucoup d'indices ou d'idées qui nous aideront dans la suite de nos travaux. J'espère que nous pourrons à nouveau faire appel à vous à l'avenir. Votre compréhension de l'opinion publique pourrait nous être extrêmement utile plus tard. Je vous remercie à nouveau.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant le brigadier-général Lessard, officier des forces régulières et commandant du Secteur du centre de la Force terrestre depuis juillet 2003. Il est entré dans les Forces canadiennes en 1978, a servi à Chypre et a été déployé à deux reprises dans l'ex-Yougoslavie. Durant sa carrière, il a commandé le Centre d'instruction au combat ainsi que la Base des Forces canadiennes de Gagetown. Il a également été commandant du Collège d'état major de la Force terrestre canadienne et commandant adjoint de la Flotte d'intervention de l'Atlantique à Norfolk, en Virginie.
Il est accompagné du brigadier-général Young, qui est membre de la Réserve et commandant adjoint du Secteur du centre de la Force terrestre. Il est entré dans l'armée comme fantassin dans le 48th Highlanders of Canada en juin 1964. Il a été promu à son rang actuel et a été nommé commandant adjoint le 15 août 2001. Le brigadier-général Young est également enseignant au Conseil scolaire d'Etobicoke.
Je suis heureux de vous accueillir devant le comité, messieurs. Je regrette que nous soyons un peu en retard mais nous sommes ravis de vous accueillir. Je crois comprendre que vous allez faire une déclaration liminaire, général Lessard, après quoi le général Young nous dira également quelques mots.
Le brigadier-général J.G. Marc Lessard, commandant, Secteur du centre de la Force terrestre, ministère de la Défense nationale : Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui, honorables sénateurs.
Ma mission est de produire et de maintenir une force terrestre polyvalente, prête au combat, conformément aux objectifs de défense du Canada, à l'intérieur et à l'extérieur du pays.
J'assume quatre responsabilités principales : former et organiser les soldats au sein d'unités, de groupes d'intervention ou de brigades pouvant être déployés sur des théâtres internationaux; commander et organiser des unités formées, des groupes d'intervention ou des brigades pour des opérations intérieures en Ontario; gérer l'infrastructure ministérielle à l'appui du SCFT et des unités non SCFT en garnison sur mes bases; et, finalement, assurer un appui logistique général aux unités SCFT et aux unités non SCFT en garnison sur mes bases.
Le SCFT est l'une des quatre formations régionales composant la Force terrestre de l'Armée canadienne, avec neuf formations subordonnées. Ce sont : le 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada, en garnison à Petawawa : c'est un groupe-brigade des forces régulières qui est la principale source de soldats pour les opérations internationales et intérieures; le 31e Groupe-brigade du Canada, basé à London, qui est un groupe-brigade de la réserve primaire ayant des unités dispersées dans le sud de l'Ontario; le 32e Groupe-brigade du Canada, basé ici-même, à Toronto, qui est un groupe-brigade de la réserve primaire ayant des unités dans la région métropolitaine de Toronto; le 33e Groupe-brigade du Canada, basé à Ottawa, qui est également un groupe-brigade de la réserve primaire ayant des unités dans trois régions, soit le couloir du Saint-Laurent, la région de la capitale nationale et le couloir Sault-Sainte-Marie—North Bay.
Une autre formation est le 2e Groupe de soutien de secteur, basé à Toronto, qui comprend les cinq unités des bases et unités de soutien de secteur, un bataillon de soutien général et des unités spécialisées de secteur.
Il y a aussi un Centre d'instruction du Secteur du centre de la Force terrestre basé à Meaford et assurant la formation des nouvelles recrues et la formation générale au leadership, au moyen de cours formels.
Le Centre de parachutisme du Canada, basé à Trenton, est responsable de l'entraînement de tous les parachutistes et des unités aéromobiles de l'armée, au moyen de cours formels. Ce centre sera placé sous le commandement du Centre d'instruction au combat de Gagetown en avril 2005, de façon à regrouper toutes les écoles de l'armée sous un même commandement. Il restera cependant basé à Trenton.
Le 3e Groupe de patrouille des Rangers canadiens, basé à Borden, commande 15 patrouilles de Rangers canadiens et 15 groupes de Rangers junior, qui sont tous basés dans le nord de l'Ontario, au nord du 50e parallèle.
L'Unité régionale de soutien aux cadets (Centre), également basée à Borden, exploite un programme d'instruction de cadets en Ontario pour dispenser une formation au leadership et à la citoyenneté à quelque 17 000 cadets chaque année. L'Unité commande 267 unités de cadets de toute la province.
Depuis février 2003, le SCFT a mis sur pied une force de 2 690 soldats destinés à être déployés sur des théâtres internationaux, en grande majorité en Afghanistan et en Bosnie. Dans les deux cas, le SCFT a eu la responsabilité de mettre sur pied les forces nécessaires et d'assurer la réintégration des soldats à leur retour au Canada.
Le Secteur du centre de la Force terrestre est doté d'un budget de 237 millions de dollars pour cette année. Il comprend 3 600 soldats de la force régulière, 5 500 membres de la réserve primaire et 1 500 employés civils. Encore une fois, le Secteur du centre a été chargé de mettre sur pied une force primaire pour des groupes d'intervention devant être déployés en Afghanistan, pour la 3e rotation de l'opération ATHENA, en février 2005, et pour la 1ère rotation de l'opération BRONZE en Bosnie, en mars 2005, et l'entraînement se donne en ce moment. Le Secteur du centre mettra également sur pied la force requise pour la 4e rotation de l'opération ATHENA, en août 2005.
Je voudrais maintenant donner quelques précisions sur la réserve primaire du Secteur du centre. Le Secteur du centre de la Force terrestre regroupe 43 unités de la réserve primaire, constituant essentiellement trois groupes de brigade, comme je l'ai déjà mentionné. Il y a également trois unités spécialisées, à savoir une unité de coopération civilo-militaire, une unité de police militaire et une unité de renseignement. Le 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada commande une seule unité de la réserve primaire, qui exerce un rôle de défense aérienne basée au sol. Un nombre important de réservistes sont également employés à temps plein au sein d'unités et de quartiers généraux dans la région. Le SCFT bénéficie en outre de l'appui de trois unités médicales de réserve, regroupées sous notre contrôle opérationnel, ainsi que d'unités de communications réparties dans la province. L'empreinte collective de nos unités de la réserve primaire touche 42 collectivités de l'Ontario.
Comme je l'ai dit, le Secteur du centre de la Force terrestre regroupe actuellement 5 500 réservistes, dont le nombre devrait passer à environ 5 800 lors du prochain exercice budgétaire. Sur ce nombre, 340 ont été affectés à des opérations internationales au cours des 18 derniers mois dans des régions telles que la Bosnie, l'Afghanistan, le Congo, les Hauteurs du Golan et le Sierra Leone. Bien que la prépondérance des déploiements ait pris la forme d'une augmentation individuelle de groupes d'intervention existants ou d'observateurs militaires individuels, il y a eu également une compagnie mixte d'infanterie légère de réserve qui a été déployée en Bosnie comme sous-unité formée l'an passé. De plus, 160 réservistes seront déployés à la nouvelle année, certains en Bosnie et d'autres en Afghanistan.
En résumé, le Secteur du centre de la Force terrestre a été et reste focalisé sur la mise sur pied d'unités et d'individus pour des missions d'outre-mer, tout en complétant les plans de transformation de l'armée. Ces deux priorités garantiront que le Secteur du centre aura toujours la préparation au combat comme mission centrale.
J'aimerais maintenant vous présenter mon commandant adjoint, le brigadier-général Greg Young, qui vous donnera des précisions sur la nature et le rôle de la réserve primaire du Secteur du centre. Merci beaucoup.
Le brigadier-général G.A. Young, (Réserve), commandant adjoint, Secteur du centre de la Force terrestre, ministère de la Défense nationale : C'est un grand plaisir pour moi de témoigner aujourd'hui devant vous, honorables sénateurs.
À titre de commandant adjoint et de premier officier de réserve d'active du Secteur du centre de la Force terrestre, mon rôle consiste à conseiller et à appuyer le commandant dans sa mission, en mettant particulièrement l'accent sur la gestion, l'entraînement et l'emploi de la composante de la réserve primaire. Le brigadier-général Lessard m'a demandé de vous donner des précisions sur la nature et le rôle de la réserve primaire au sein du SCFT.
Vous êtes au courant de la restructuration de la Réserve de la Force terrestre, ou RRFT, actuellement en cours. L'une des étapes essentielles du projet a été de définir clairement le rôle de la réserve primaire. Son rôle, tel qu'il a été entériné par le chef d'État-major, contient trois éléments essentiels : augmentation de la force régulière, en offrant des capacités complémentaires ou approfondies et des capacités supplémentaires qui émaneront essentiellement ou uniquement de la Réserve; un cadre de mobilisation offrant des capacités complémentaires ou approfondies et des capacités supplémentaires qui émaneront essentiellement ou uniquement de la Réserve; un cadre de mobilisation ou d'expansion de la force — chaque unité de la Réserve a reçu une mission ou tâche clairement définie qu'elle est censée assumer s'il devient nécessaire d'augmenter la force pour faire face à une crise officielle. Cet élément exige que la Réserve de l'armée de terre maintienne une structure plus vaste de commandement et de contrôle que ne l'exigerait normalement la taille de la force, pour maintenir une présence des Forces canadiennes au sein des collectivités du Canada de façon à favoriser des liens plus étroits avec la population.
En tirant parti du patrimoine solide de la milice, le Secteur du centre de la Force terrestre s'est attaqué vigoureusement aux tâches qui lui ont été attribuées dans le cadre du projet RRFT, avec un degré élevé de succès.
Nous avons atteint les objectifs fixés en matière d'accroissement des forces, et nous sommes bien positionnés pour les étapes d'accroissement futures. Nous avons établi ou sommes en train d'établir des éléments de la réserve dans sept nouvelles collectivités de la province. Nous profitons de cette occasion pour transférer les unités en dehors des centres-villes des grands centres urbains, pour les installer là où réside la population visée.
Nous avons relevé avec succès le défi des nouvelles capacités de la Réserve; 90 p. 100 du détachement d'origine de coopération civilo-militaire, COCIM, mis sur pied il y a à peine trois ans, a été déployé pour des opérations internationales. Nous venons d'achever le recrutement de personnel qui a permis de doubler la taille de ce détachement et nous y ajouterons 30 nouvelles personnes l'an prochain.
La demande de capacité géomatique augmente rapidement à mesure que l'armée de terre évolue vers des systèmes numérisés de commandement et de contrôle. Sur la base d'un petit essai effectué à Ottawa, nous avons clairement démontré que les réservistes sont capables de fournir cette capacité.
Au moyen de matériel classique emprunté, nous avons démontré que les réservistes peuvent offrir un soutien aux premiers intervenants municipaux en cas d'incidents chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires.
Nous sommes tout à fait prêts à relever les nouveaux défis des opérations d'information et des opérations psychologiques auxquelles nous serons confrontés dans la prochaine phase d'expansion.
Je ne veux pas donner une image trop rose de la situation car nous devons essentiellement notre succès au dynamisme de nos soldats et de leurs commandants. Il nous reste encore de nombreux défis à relever en ce qui concerne le recrutement, l'équipement, l'infrastructure et l'instruction. Nous faisons face à un certain nombre de sérieuses difficultés.
Ainsi, il existe un écart technologique croissant entre la force régulière et la force de réserve. À mesure que nous évoluons vers des systèmes plus avancés et, par conséquent, plus dispendieux, leur disponibilité pour l'instruction de la Réserve est réduite. L'étiolement des compétences est un obstacle majeur, étant donné que la plupart de ces nouvelles technologies exigent un recyclage constant en situation réelle. La différence de niveau d'instruction entre les réguliers et les réservistes s'accroît, ce qui débouche sur une facture d'instruction avant déploiement plus élevée pour les réservistes appuyant les unités régulières en opérations. Ce problème ne vaut pas que pour la Réserve, il touche également la force régulière dont les membres sont obligés de partager l'équipement pour l'instruction. Le meilleur exemple est celui de la nouvelle famille de récepteurs radio, que nous appelons STCCC. Le Secteur du centre de la Force terrestre n'en a pas suffisamment pour dispenser une instruction adéquate à l'appui des opérations intérieures, et c'est la Réserve qui souffre de plus en plus de cette carence. En cas d'opérations intérieures de secours ou d'aide humanitaire, il est crucial de pouvoir déployer des corps doté de communications intégrales.
Une bonne part de l'infrastructure requise pour appuyer les forces de réserve du SCFT remonte au début des années 1900, lorsque les soldats étaient encore à cheval et que les exercices répétitifs étaient un volet important des tactiques de bataille. Les manèges construits dans les années 1950 et 1960 étaient conçus de la même manière que les anciens manèges, mais avec les normes de construction de l'époque. La plupart de nos manèges sont inefficients du point de vue des opérations et de l'instruction. Si l'on voulait les rénover en fonction des normes d'aujourd'hui, pour l'accès sans obstacle ou les systèmes de câblage qu'exigent les ordinateurs, le coût serait extrêmement élevé. Le SCFT vient de lancer un programme agressif de reconstruction employant des méthodes novatrices et efficientes.
En juin de cette année, un nouvel établissement a été ouvert à Windsor, dans le cadre d'un arrangement de financement unique. Nous nous sommes associés à la police de Windsor pour construire un établissement mixte faisant office à la fois de manège et de centre d'instruction de la police. Nous étudions actuellement des ententes similaires avec la police régionale de Toronto et de Halton et avec les services d'urgence de Mississauga. Dans les plus petites collectivités, nous réduisons notre empreinte en construisant des manèges plus petits et plus spécialisés et en nous débarrassant des structures désuètes.
Environ la moitié des réservistes du SCFT sont des soldats d'infanterie. Vingt-cinq pour cent font partie d'autres armes de combat, comme l'artillerie, la reconnaissance et l'ingénierie, et les 25 p. 100 restants sont affectés à l'entretien, à la logistique et aux troupes spécialisées. Cette combinaison de forces permet au SCFT de s'acquitter de ses tâches d'augmentation à l'appui des opérations internationales et d'assurer une capacité de réponse intérieure.
Ces dernières années, la réserve de terre a connu une forte croissance en effectif et en capacité et elle a démontré un potentiel considérable de soutien des opérations internationales et intérieures. Toutefois, malgré cette renaissance récente et continue, elle reste une institution fragile qu'il faut gérer attentivement et doter de ressources si l'on veut qu'elle soit à la hauteur de son potentiel et qu'elle accomplisse avec succès les tâches qui lui sont attribuées.
En particulier, l'appui de la Réserve aux opérations internationales et intérieures a augmenté, et on s'attend à ce qu'il continue d'augmenter en taille et en capacité. Pour relever ces défis avec succès, la Réserve devra être dotée de ressources adéquates et ses politiques actuelles de gestion du personnel devront être révisées afin d'instaurer des programmes, comme le programme de soutien des employeurs, qui permettront d'utiliser le vrai potentiel de la Réserve.
Ceci met fin à ma déclaration. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
Le président : Hier après-midi, nous avons entendu un appui vigoureux au nouveau manège de Windsor de la part du Régiment écossais Essex and Kent et du Régiment de Windsor. Nous n'avons pas eu l'occasion d'aller le visiter mais on a dit beaucoup de bien.
Je pense que nous avons eu l'occasion de visiter la plupart de nos établissements au cours des trois dernières années, ce qui nous a permis de voir le bon, le mauvais et l'horrible. Nous l'avons dit dans nos rapports et nous sommes certainement d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut améliorer les infrastructures. Elles en ont sérieusement besoin.
[Français]
Le sénateur Meighen : Mes questions s'adressent au général Young, car elles concernent particulièrement la milice. Dans votre présentation, général Young, vous avez soulevé plusieurs points qui me préoccupent.
[Traduction]
Le sénateur Meighen : En vous écoutant, général Young, j'ai pris note de plusieurs questions que je souhaite vous poser et je vais le faire tant que le président me laissera la parole.
Tout d'abord, où en êtes-vous dans la définition des secteurs dont la Réserve sera le pourvoyeur de capacité primaire ou unique? On dit souvent que la marine est en avance sur vous parce qu'elle a donné les navires de patrouille côtière à la Réserve. Je pense que cela remonte à plusieurs années. Quant à l'armée de terre, elle a traditionnellement considéré les réservistes comme des coupeurs de bois et des tireurs d'eau, c'est-à-dire qu'elle n'a pas toujours eu avec elle la relation chaleureuse et amicale à laquelle vous avez fait allusion. Les choses me semblent s'être améliorées considérablement mais je voudrais savoir jusqu'où vous êtes allés en ce qui concerne les rôles confiés aux réservistes.
Le bgén Young : Pour l'heure, cette capacité, c'est-à-dire celle qu'on trouve exclusivement dans la Réserve, est limitée aux COCIM, les unités de coopération civilo-militaire.
Le sénateur Meighen : De quoi s'agit-il?
Le bgén Young : Ce sont des unités opérant en petites équipes de deux ou quatre hommes dont la tâche consiste à assurer la liaison sur les théâtres entre un groupe d'intervention et la population civile. Leurs membres font des choses telles que reconstruire des écoles ou creuser des puits. C'est une capacité qui existe exclusivement dans la Réserve. Nous fournissons tous les détachements de COCIM pour les groupes d'intervention en Bosnie et en Afghanistan.
Le sénateur Meighen : Comment sont constituées les équipes? Y a-t-il un réserviste et un régulier?
Le bgén Young : Non.
Le sénateur Meighen : Ou alors deux réservistes ou deux réguliers?
Le bgén Young : Non, cette capacité appartient exclusivement à la Réserve, mais cela ne veut pas dire qu'il ne puisse pas y avoir des cas où une équipe ne peut pas obtenir son effectif complet, auquel cas elle pourrait faire appel à un membre régulier. Toutefois, l'objectif — et nous sommes très près de l'avoir atteint — est que ces équipes soient complètement constituées de réservistes, de haut en bas.
Le sénateur Meighen : Voilà donc un rôle qui a été clairement défini et mis en application?
Le bgén Young : Plusieurs autres sont en cours de définition. Vous comprendrez qu'il s'agit de nouvelles capacités. Par exemple, les opérations psychologiques ont été attribuées à la Réserve, mais on est en train d'en définir la doctrine. Les opérations d'information sont un autre secteur que nous assumerons dans un an. Je ne suis pas certain qu'il s'agira exclusivement de réservistes mais ils seront fortement présents.
Le sénateur Meighen : Est-ce que les rôles dont les réservistes sont les fournisseurs essentiels ou uniques ont tendance à être des rôles résultant de ce que vous avez qualifié d'écart technologique croissant entre la force régulière et la Réserve? Est-ce qu'on se dit : « Comme les réservistes ne peuvent pas recevoir une instruction de niveau aussi élevé que les réguliers, on va leur donner un rôle qui est moins dépendant de la technologie »?
Le bgén Young : Le seul rôle dont je puisse parler est le COCIM, car c'est celui qui a été complètement développé, et ma réponse est non. Le COCIM a une capacité presque parfaitement conçue pour les réservistes qui, dans cette fonction, apportent leurs compétences civiles, lesquelles s'intègrent parfaitement sur les théâtres du point de vue de la liaison avec la communauté civile.
Le sénateur Meighen : Exactement.
Le bgén Young : C'est aussi une fonction qui n'exige pas beaucoup de personnel. Les réservistes, qui exercent évidemment d'autres professions, sont parfaitement bien placés pour répondre à ce besoin. Dans le cas du COCIM, ça n'a rien à voir avec la technologie.
Le sénateur Meighen : Toutefois, si j'étais réserviste, pourrais-je être un opérateur radio, avoir une promotion et assumer des responsabilités égales à celles d'un soldat régulier?
Le bgén Young : Absolument. Le vrai problème est de s'assurer que les réservistes, qui sont évidemment des soldats à temps partiel, ont la possibilité d'obtenir l'instruction qui leur manque avant leur déploiement, et c'est ce que nous faisons.
Le sénateur Meighen : À cet égard, je suppose qu'il est toujours difficile de fournir aux unités de réserve l'instruction et l'équipement voulus, à la fois en volume et en qualité?
Le bgén Young : En bref, oui.
Le sénateur Meighen : Bien.
Le bgén Young : Nous avons pris des mesures pour remédier à cela en regroupant l'équipement et en transformant les méthodes de formation, ce qui a été très efficace mais, en fin de compte, nous pourrions probablement faire bon usage d'un équipement supplémentaire.
Le sénateur Meighen : Vous ne voudrez sans doute pas répondre à la question suivante mais la raison en est-elle que le force régulière ne veule pas prêter son équipement ou qu'il n'y a pas assez d'équipement?
Le bgén Young : Je ne peux répondre au sujet de votre deuxième raison.
Le sénateur Meighen : Vous ne voulez pas dire s'il y a pénurie d'équipement?
Le bgén Young : Je suis prêt à dire qu'il est probablement réaliste de supposer que l'armée a un budget qui ne lui permet d'acheter que...
Le sénateur Meighen : C'est bien possible.
Le bgén Young : En effet.
Le sénateur Meighen : Avez-vous assez d'équipement?
Le bgén Young : Nous en avons assez pour assumer notre tâche, ce qui veut dire que nous dispensons de l'instruction avec ce qui nous a été attribué.
Le sénateur Meighen : J'entends bien mais pourriez-vous entraîner plus de réservistes si vous aviez plus d'équipement?
Le bgén Young : Bien sûr.
Le sénateur Meighen : Mais vous avez actuellement assez d'équipement pour les membres qui se joignent à la Réserve?
Le bgén Young : C'est cela.
Le sénateur Meighen : Vous avez assez d'équipement pour aller outre-mer?
Le bgén Young : Assez pour entraîner nos soldats, pour les déployer au sein de groupes d'intervention qui sont correctement équipés.
Le sénateur Meighen : Je suis heureux de vous l'entendre dire.
Le président : Êtes-vous donc en train de nous dire que, dans notre rapport, nous n'aurons pas à dire que vous avez besoin de plus d'équipement?
Le bgén Young : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
Le président : Nous voudrions savoir ce que vous voulez dire.
Le sénateur Meighen : Avant que vous ne répondiez, je voudrais vous expliquer l'une de nos difficultés. Nous avons entendu dire que vous n'avez pas l'équipement de la meilleure qualité possible. Nous avons entendu dire que vous n'avez pas assez d'équipement mais nous avons du mal à en obtenir conformation de votre part. J'ose quand même croire qu'il n'est pas contraire à la doctrine militaire de dire que vous pourriez avoir plus d'équipement pour donner une meilleure instruction?
Le bgén Young : Je suis d'accord avec cette dernière remarque. L'équipement que nous avons actuellement est certainement limité.
Le sénateur Meighen : De quelle manière?
Le bgén Young : Il est limité en quantité. Je parle ici de ma propre expérience, avec les unités de réserve. Si vous prenez le nombre d'unités de réserve que nous avons, et le général en a mentionné 43, et considérez que nous devrions pouvoir donner à chaque unité son établissement d'attache avec un équipement complet en vue d'un déploiement, ce ne serait pas possible. Serions-nous heureux d'avoir un équipement complet dans chacun des établissements? Oui. Cela dit, nous avons suffisamment d'équipement, regroupé dans des installations telles que notre centre d'instruction. Je ne veux pas dire que nous ne saurions que faire d'équipement supplémentaire mais simplement dire qu'il y a assez d'équipement pour la Réserve, et que c'est le même équipement que les forces régulières utilisent, dans l'ensemble, qui est regroupé centralement dans un établissement que peuvent utiliser pour l'instruction les unités qui n'en disposent peut-être pas dans leur établissement d'attache.
Le sénateur Meighen : Je suis abasourdi. Continuez, c'est tout nouveau pour moi.
Le président : Je crois comprendre que vous faites face à des contraintes d'une autre origine. Toutefois, notre comité jouit d'une vaste expérience. Quand nous allons sur le terrain, nous parlons aux gens qui utilisent l'équipement, nous parlons à ceux qui le réparent, et ils ne nous disent pas la même chose que ceux qui dirigent la boutique. Nous avons eu cette semaine des témoins qui nous ont parlé de gens qui vont aux États-Unis ou, pour 1 $ par jour, ils obtiennent un Humvee et des possibilités d'entraînement largement supérieures à celles qui existent au Canada. Quand nous nous baladons, et croyez que nous nous baladons beaucoup — et nous nous sommes beaucoup baladés dans votre coin du monde — les gens ne nous disent pas : « Nous avons tout ce qu'il nous faut ».
Comme vous êtes deux, nous allons vous poser les mêmes questions à tous les deux. Nous voulons savoir quels sont vos besoins et, comme vous vous adressez à un comité parlementaire, vous bénéficiez du privilège parlementaire.
Le sénateur Meighen : Commencez donc par nous parler des récepteurs radio, puisque vous avec dit tout à l'heure...
Le bgén Lessard : Puis-je intervenir?
Le président : Absolument, général, mais dites-nous la vérité, s'il vous plaît.
Le bgén Lessard : Je laisserais le général Young vous donner des précisions sur le matériel spécifique dont il peut avoir besoin, s'il le souhaite — et je suppose que votre question actuelle porte sur la Réserve — puisqu'il connaît fort bien les forces de réserve de l'Ontario.
Le problème de l'équipement va largement au-delà de la Réserve ou du Secteur du centre. Il concerne toute l'armée de terre. Je ne veux pas parler pour l'armée de l'air ou la marine, mais il y a eu un changement de paradigme. Quand je suis arrivé, en 1972, il y avait de l'équipement. On s'entraînait avec son équipement. Aujourd'hui, l'équipement coûte très cher. Nous n'avons pas les moyens de donner de l'équipement à chaque unité et il y a donc en ce moment une transformation délibérée des méthodes au sein de l'armée de terre, sur la base de ce que nous appelons « une préparation gérée ». L'équipement est envoyé dans notre centre d'instruction de Wainwright. Nous savons que les unités bénéficient de la prévisibilité pour deux raisons. Les gens savent au moins deux ans à l'avance quand ils seront affectés à un groupe d'intervention quelque part dans le monde, mais il y a aussi le fait que nous concentrons l'équipement — je parle maintenant essentiellement de la force régulière — dont certains éléments coûtent extrêmement cher, dans les unités qui reçoivent une formation en vue d'un état de préparation élevé.
Si votre question est destinée à savoir si nous avons tout l'équipement que nous souhaitons, la réponse est « probablement non ». En revanche, si votre question est destinée à savoir si nous avons l'équipement dont nous avons besoin pour donner une instruction adéquate aux groupes d'intervention qui vont à l'étranger ou qui sont affectés à des tâches intérieures, la réponse est oui.
Je viens de passer deux jours à Petawawa. L'instruction à laquelle j'y ai assisté, hier et avant-hier, malgré 12 pouces de neige, était absolument sans équivalent, et j'ai fait partie du Régiment aéroporté en Allemagne en 1972. Je parle ici de soldats qui partiront en Afghanistan en février.
Le sénateur Banks : Je vais formuler la question de manière un peu différente. Général Young, comme vous commandez directement ces 42 unités séparées, disparates, dans des lieux différents, et pour reprendre la question du sénateur Meighen au sujet des récepteurs radio, car tout le monde doit en avoir un, est-il exact de dire que l'équipement radio que ces unités séparées utilisent pour leur instruction est regroupé dans un seul endroit où les soldats doivent généralement se rendre pour recevoir leur instruction?
Le bgén Young : Dans certains cas, pas dans tous. Chaque unité reçoit un stock de base, si je puis m'exprimer ainsi. Comme vous étiez hier à Windsor, je peux dire que le Régiment de Windsor a un stock de récepteurs radio et de véhicules qu'il peut utiliser pour l'instruction sur place. S'il a besoin d'équipement additionnel, par exemple s'il veut relever le niveau d'instruction jusqu'à...
Le sénateur Banks : Un niveau opérationnel? Si vous deviez dispenser une instruction de niveau opérationnel, ces unités n'auraient pas le matériel nécessaire, n'est-ce pas?
Le bgén Young : Si je vous ai bien compris, vous avez raison. Elles n'ont qu'une partie de l'équipement au niveau local.
Le sénateur Banks : Voici donc la question suivante. Nous avons cru comprendre que l'équipement dont dispose la Réserve pour les tâches d'instruction, c'est l'équipement dont on a les moyens, pas celui dont on a besoin. Quand je parle de besoin, il pourrait s'agir d'une intervention en cas de tempête de glace, ou d'inondations, exigeant que l'on entre en action sur-le-champ — pas avec deux mois de préavis mais immédiatement. Selon nos informations, il n'y a pas assez d'équipement à l'heure actuelle pour permettre à ces soldats de faire leur travail. Est-ce vrai, sur le plan opérationnel, pas sur le plan de l'instruction?
Le bgén Young : Non, une unité de réserve n'a pas assez d'équipement pour mener une opération, si je vous comprends bien.
Le sénateur Banks : C'est cela.
Le bgén Young : Elle serait obligée d'obtenir de l'équipement ailleurs.
Le sénateur Day : Je voudrais essayer de nous faire gagner du temps pour plus tard. Quand vous dites « opération », vous parlez — tout à l'heure, le général Lessard parlait de déploiement international — d'une opération intérieure et du rôle que devraient y jouer les réservistes pour appuyer les autorités. Si on fait appel à vous demain matin, à cause d'un problème, que faites-vous? Envoyez-vous vos gens à Petawawa pour quelques heures d'instruction préalable?
Le bgén Young : Pour une opération intérieure?
Le sénateur Day : Oui, dans le cas où votre rôle est d'appuyer les autorités civiles dans une opération intérieure.
Le bgén Young : Quand on parle d'opération intérieure, il faut comprendre qu'il pourrait s'agir de n'importe quoi, aussi bien d'une tempête de glace que d'une inondation ou d'une crise civile quelconque.
Le sénateur Day : J'entends bien.
Le bgén Young : Ce que l'unité de réserve pourrait être appelée à fournir dépendrait en grande mesure de la nature de la crise.
Si vous me permettez de prendre l'exemple que je connais le mieux, celui de la tempête de glace, le rôle de la Réserve a été de fournir des corps organisés avec des mécanismes de commandement et de contrôle pour prêter assistance aux premiers intervenants, essentiellement pour maintenir le contrôle ou pour transporter des gens d'un point A à un point B. Dans ce genre de scénario, et j'en ai fait partie, les unités de réserve devaient fournir les soldats, avec une capacité limitée de transport sur le théâtre. Elles ont été capables de le faire avec une certaine augmentation locale.
Si vous parlez maintenant d'une opération intérieure de niveau plus élevé, concernant par exemple du terrorisme ou quelque chose comme cela, ces rôles n'ont pas encore été clairement définis en ce qui concerne la Réserve et, si le gouvernement, le MDN, s'attend à ce que la Réserve puisse répondre à des crises de niveau supérieur, alors, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, il va falloir nous donner les ressources nécessaires car, à l'heure actuelle, nous n'avons pas la trousse voulue pour faire face au problème A, B, C ou D. Le problème A, B, C ou D n'a même pas encore été défini, ce qui veut dire que nous avons une capacité limitée de réaction, mais nous avons fort bien fait dans le passé.
Le sénateur Meighen : À titre d'exemple, la force régulière a-t-elle tous les Striker qui ont été commandés? Ont-ils tous été livrés? Est-ce que les réservistes peuvent s'entraîner avec des Striker?
Le bgén Lessard : Tout d'abord, l'expression que nous utilisons est VBL III. Vous parlez du véhicule de transport de troupes?
Le sénateur Meighen : Oui, des véhicules de reconnaissance.
Le sénateur Banks : Non, vous parlez ici d'un véhicule mobile.
Le sénateur Meighen : Oui, le Striker.
Le bgén Lessard : Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, nous avions il y a quelques années le Coyote, qui ressemble beaucoup au VBL III. Le Coyote est un véhicule de reconnaissance, et nous sommes pleinement équipés avec les Royal Canadian Dragoons, qui est l'unité blindée de la 2e Brigade de Petawawa. Il y a un bataillon de VBL III, véhicules blindés légers, à Petawawa, le Premier bataillon du RCR, et il est totalement équipé. Le troisième membre de la famille, que l'on a déjà annoncé, et que nous recevrons en 2007 ou 2008, est le MGS, ou Système de canon mobile.
Le sénateur Meighen : C'est ça.
Le bgén Lessard : C'est essentiellement le même châssis, avec une tourelle et un canon de 105 millimètres. Il sera donné aux corps blindés, mais dans l'Ouest. Aucun ne sera livré à la 5e Brigade de Valcartier ni au Royal Canadian Dragoons de Petawawa.
Le sénateur Meighen : Très bien. Si tel est le cas, comment un réserviste faisant partie d'une unité de l'Est pourra-t-il obtenir une instruction à moins d'aller dans l'Ouest?
Le bgén Lessard : Je crois que la question est un peu plus fondamentale que cela car, dans le Corps blindé royal canadien, la Réserve joue un rôle de reconnaissance.
Le sénateur Meighen : Très bien. Cela exige quel véhicule, le Coyote?
Le bgén Lessard : Les forces de réserve sont actuellement en période de transition. Nous remplaçons peu à peu le Cougar, que nous avons depuis très longtemps. Nous avons maintenant le véhicule Iltis, dans la phase de transition, pour une douzaine de mois, et vous savez probablement que nous passons peu à peu au G-Wagon, qui est déjà en opération en Afghanistan. La force régulière en obtient petit à petit, à Petawawa et, dans les 12 à 18 prochains mois, les unités blindées de la force régulière et de la force de réserve en seront équipées.
Qu'est-ce que cela veut dire? Que les cinq unités blindées de réserve du Secteur central auront les G-Wagon et qu'elles pourront mener des opérations de reconnaissance avec ce véhicule, des opérations de même type que celles que mènent les pelotons de reconnaissance d'infanterie de Petawawa.
On accorde parfois trop d'importance à la technologie. Certes, elle permet de faire certaines choses, et le Coyote est un véhicule de première qualité qui a été utilisé avec succès en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan. La technologie, c'est une chose mais, quand on parle d'opérations, l'intelligence humaine est toute aussi importante, si ce n'est plus, dans ce qu'on appelle la « Three Block War » ou guerre de quartier. Nous réduisons parfois le rôle du G-Wagon. C'est un véhicule de patrouille léger à la pointe de l'art et, comme vous le savez, nous formerons de bons soldats des unités de réserve blindées tout comme nous le faisons avec le peloton de reconnaissance de l'infanterie. L'élément humain est aussi important, si ce n'est plus, que les plates-formes de surveillance de technologie avancée. Les unités blindées de la Réserve auront le G-Wagon, il s'agit d'une tâche pour laquelle je pense qu'elles pourront être entraînées avec succès. C'est quelque chose qu'elles pourront faire et c'est une tâche qui nous permettra de déployer des unités blindées avec un G-Wagon sur n'importe quel théâtre international, et je pense que nous le ferons avec succès.
Le sénateur Meighen : Je vais terminer en posant une dernière question qui va faire grogner mes collègues parce que je la pose partout où nous allons. En l'absence d'une loi obligeant les employeurs à donner du temps libre aux réservistes, comme il en existe aux États-Unis — je précise que je ne pense pas qu'elle soit nécessaire mais je voudrais connaître l'opinion d'un spécialiste — avez-vous constaté des obstacles au recrutement?
Le bgén Young : C'est une question qui me tient beaucoup à coeur. Je fais partie de la Réserve depuis 40 ans et je crois, par conséquent, que j'ai une bonne idée des difficultés que l'on rencontre quand on veut intégrer des forces de réserve à certaines opérations. Les besoins actuels en matière de réservistes appuyant des opérations à l'étranger ont été satisfaits, cela ne fait aucun doute, jusqu'au niveau de compagnie, 140, disons une unité. Cela n'a pas été facile. Il a été difficile de réunir ce nombre de soldats pouvant quitter leur emploi et leur famille.
Le sénateur Meighen : Pendant 13 mois, si je ne me trompe?
Le bgén Young : Pendant un peu moins longtemps que cela, avec l'instruction, mais c'est quand même à peu près cette période quand on inclut l'identification, la sélection, le traitement, l'instruction, le déploiement, l'affectation elle-même, et les processus suivant le déploiement, après le retour au pays. C'est pratiquement un an. C'est difficile. Tout le monde ne peut pas quitter son emploi civil du jour au lendemain. Le plus souvent, ce sont soit des gens sans emploi, soit des gens pouvant quitter leur emploi civil. Très franchement, beaucoup sont des étudiants qui peuvent prendre une année de congé dans leurs études au collège ou à l'université.
Nous avons pu faire face à ce besoin. Je connais bien les systèmes américain, britannique et australien. Ils sont similaires mais il y a de légères différences en ce qui concerne la subtilité ou le manque de subtilité dans la manière dont on attire le soldat. Cela ne nous a pas entravés jusqu'à présent mais il est possible, c'est ce qui pointe à l'horizon, que les réserves soient utilisées en plus grand nombre dans des opérations à l'avenir, et nous allons précisément consacrer deux fins de semaine à l'examen attentif de cette question. Comment allons-nous réunir un plus grand nombre de réservistes, pas nécessairement pour des périodes plus longues mais dans les cas où nous n'aurons pas d'autres possibilités que d'obtenir des volontaires capables de mettre leur vie ordinaire en suspens et d'avoir l'appui de leur employeur? Nous avons raisonnablement bien réussi jusqu'à présent, et le Conseil de liaison des Forces canadiennes a été très utile à cet égard mais, en fin de compte, tout dépend encore de l'accord de l'employeur.
Faudrait-il une loi? Personnellement, je pense qu'il faudrait réviser les politiques de gestion du personnel. Le système américain est attrayant puisqu'il bénéficie du pouvoir contraignant de la législation et de ses aspects punitifs. En revanche, il pose d'autres types de problèmes, dont nous pourrions parler si nous avions plus de temps. Les systèmes britannique et australien sont similaires mais beaucoup plus souples, autant pour l'employeur que pour l'employé. Je pense que nous devrions revoir au moins certaines politiques, peut-être pas pour adopter le système américain mais pour permettre aux employeurs de libérer plus facilement leurs employés.
Je pense qu'il faut faire quelque chose, mais c'est un sujet délicat car il y a certains écueils. Il est impossible de dire aujourd'hui si nous pourrons continuer de dépendre exclusivement de volontaires lorsque les besoins augmenteront.
Le sénateur Meighen : On nous a dit hier à Windsor que l'une des manières de susciter l'enthousiasme des employeurs est de les faire participer à un exercice d'instruction.
Le bgén Young : Absolument, nous l'avons souvent fait.
Le sénateur Meighen : Et ça marche?
Le bgén Young : Oui.
Le sénateur Meighen : Merci beaucoup.
Le président : Pour terminer sur ce sujet, l'une des préoccupations du comité est évidemment qu'un employé aura du mal à se faire recruter si l'employeur sait qu'il fait partie de la Réserve et qu'une telle loi est adoptée. Nous craignons qu'il n'y ait une certaine discrimination si l'on adopte une telle loi.
Le bgén Young : Comme je l'ai dit, j'ai une certaine expérience du système américain et je peux vous dire, en toute franchise, que c'est un problème. Je reviens du Collège de la guerre où l'on a discuté de cette question. On signale aux États-Unis des frictions considérables parce que les employeurs sont réticents à engager certaines personnes s'ils savent qu'elles font partie de la Réserve. Je pense que le système américain est un peu trop draconien.
Le système britannique est très attrayant. Il y a une loi mais elle n'est pas aussi draconienne. Je pense qu'il serait utile d'examiner comment les Anglais et les Australiens sont parvenus à un compromis qui est bénéfique aux deux parties.
Le président : Si c'est une question que vous examinez en ce moment, pourriez-vous envoyer plus tard une lettre au comité pour nous dire quelles options ou adaptations permettraient d'améliorer le système actuel?
Le bgén Young : Je ne voudrais pas vous induire en erreur, monsieur. Le groupe qui va se réunir dans quelques semaines va se pencher sur toute la question du recrutement de troupes pour les opérations. Je suis sûr que cette question sera soulevée mais je ne pense pas que le groupe de travail aura pour mandat de recommander des mesures précises concernant explicitement la législation ou l'intervention du ministère. Ce sera discuté de manière très générale.
Le président : Je comprends.
[Français]
Le sénateur Day : Général Lessard, vous avez fait référence aux groupes de coopération civile/militaire. C'est la première fois que j'entends ce terme. Où sont situés ces groupes? Les retrouve-t-on partout dans la région centrale ou plutôt à un endroit spécifique? À quel endroit s'entraînent les membres de ces groupes?
Le bgen. Lessard : Je crois que c'est mon adjoint le général Young qui a soulevé ce point.
[Traduction]
Le bgén Young : J'hésite à reconnaître que vous devriez peut-être répéter cela en anglais.
Le sénateur Day : Ce n'est pas un problème. Nous avons des interprètes mais je vais répéter ma question en anglais. Je n'avais jamais entendu parler du groupe de coopération civilo-militaire et j'aimerais donc savoir où il reçoit son instruction, s'il a des unités dans toute la région du Centre ou simplement dans une région particulière.
Le bgén Young : Chaque force terrestre du pays a des équipes de COCIM. Dans notre secteur, les équipes sont concentrées dans une unité du QG du SCFT. Elles viennent d'unités de réserve de la province mais, quand les gens sont volontaires pour la COCIM, ils sont affectés à partir de leur unité, comme le Régiment de Windsor que vous avez peut-être visité.
Le sénateur Day : Oui.
Le bgén Young : Les gens sont affectés à l'unité qui réside à Toronto. Ils peuvent obtenir leur instruction localement mais ils doivent venir à Toronto pour l'instruction centrale de COCIM et on les envoie suivre des cours au Collège Pearson du maintien de la paix. Des cours étrangers sont également offerts aux opérateurs COCIM.
Le sénateur Day : Pour l'infanterie?
Le bgén Young : Pour toutes les armes.
Le sénateur Day : Ils peuvent donc venir de n'importe quel groupe.
Le bgén Young : De n'importe quelle arme.
Le sénateur Day : Il pourrait y avoir des gens des communications, par exemple?
Le bgén Young : Absolument. On ne peut pas entrer directement dans une unité COCIM. Il faut être déjà un soldat entraîné pour pouvoir être transféré à partir d'une unité existante. C'est généralement une affectation de deux ans, pour l'acquisition d'une expérience. Les membres acquièrent des compétences supplémentaires, ils vont en opérations puis ils sont réaffectés à leur unité et nous les remplaçons par de nouveaux soldats.
Le sénateur Day : Vous avez dit que le recrutement connaît beaucoup de problèmes. Nous avons parlé de l'équipement et vous avez parlé de faire certaines choses en infrastructure et en formation. Pourriez-vous donner des précisions sur les problèmes? En particulier, nous n'avons pas discuté du recrutement et ce pourrait donc être un bon point de départ.
Le bgén Young : Je suis sûr que personne ne sera surpris d'apprendre que le recrutement est un problème pour la Force de réserve, depuis de nombreuses années. Certains des obstacles provenaient, je vais être gentil, de processus bureaucratiques internes qui avaient tendance à ralentir l'enrôlement. Il y avait des goulots d'étranglement portant sur des questions médicales et de sécurité.
Un projet pilote a été lancé il y a un peu moins d'un an pour rationaliser le processus de recrutement de la Réserve. Les contrôles médicaux ont été un peu rationalisés. Il est encore trop tôt pour dire si tous les problèmes ont été réglés étant donné que la nouvelle procédure a été adoptée au milieu d'une année de recrutement mais les unités locales nous disent que les choses ont été simplifiées. Le nombre de recrues a augmenté marginalement — mais de manière très sensible par rapport aux deux ou trois dernières années. Je ne veux pas dire encore que c'est grâce au processus rationalisé puisque nous n'avons pas encore eu le temps d'analyser la situation. Si vous me posez la même question dans un an, je pourrai probablement vous donner des statistiques indiquant si la rationalisation de la procédure a changé les choses ou non. Certes, le recrutement est toujours problématique, bien que nous ayons relativement réussi à atteindre nos objectifs. Nous sommes très proches des 6 000 nouvelles recrues.
Le sénateur Day : Le recrutement est-il assuré par le groupe de recrutement de la force régulière ou est-ce que la Réserve s'en occupe elle-même?
Le bgén Young : C'est un peu des deux. Les unités de réserve se chargent d'attirer des candidats, des recrues. Elles se chargent aussi d'une partie de la préparation préliminaire pour le processus de documentation. Il y a un centre de recrutement des Forces canadiennes à Toronto qui est doté de membres de la force régulière et de la Réserve et qui attire et traite des candidats pour les deux forces. C'est donc une opération centralisée.
Le sénateur Day : Dans votre mémoire et votre déclaration, vous avez parlé de nouvelles installations. Si j'ai bien compris, vous avez employé un mot que je pense regrettable, et j'aimerais que vous le précisiez. Vous avez dit : « Dans les petites communautés, nous révisons notre empreinte ». Est-ce que cela voulait dire la taille physique des établissements ou plutôt l'empreinte de l'unité?
Le bgén Young : Il s'agissait des édifices. Par exemple, il y a actuellement un très vieil établissement à Chatham et nous avons lancé la procédure pour en construire un nouveau. Je ne voudrais certainement pas donner l'impression que la présence militaire va disparaître de la communauté. Il s'agit simplement du fait que nous avons un vieil édifice énorme que l'on pourrait remplacer par un édifice peut-être plus petit mais plus efficient.
Le sénateur Day : Ça me rassure.
Vous parliez du mandat actuel de la Réserve. Vous avez dit : « Son rôle, tel qu'il a été entériné par le chef d'état-major, contient trois éléments essentiels ». Cela vaut pour maintenant?
Le bgén Young : Oui.
Le sénateur Day : « Un cadre de mobilisation ou d'expansion de la force — chaque unité de la Réserve a reçu une mission ou tâche clairement définie qu'elle est censée assumer s'il devient nécessaire d'augmenter la force pour faire face à une crise officielle ». Je suppose qu'il s'agit ici d'une opération intérieure?
Le bgén Young : Ça pourrait l'être.
Le sénateur Day : C'est un de vos rôles actuels, pas un rôle futur? Vous avez parlé ensuite « d'équipement classique emprunté ». « Nous avons démontré que les réservistes peuvent offrir un soutien aux premiers intervenants municipaux en cas d'incidents chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires ».
Le bgén Young : Oui.
Le sénateur Day : S'agit-il d'un cas où vous pourriez être obligés de vous mobiliser d'urgence?
Le bgén Young : Non, ce n'est pas ça. Cela concerne explicitement l'une des nouvelles capacités qui sont actuellement attribuées à la Réserve à titre d'essai. Nous avons effectué un essai pilote de COLPRO, la protection collective. L'objectif n'était pas de mettre l'équipement à l'essai mais de voir si nous pouvions effectivement réunir un groupe de réservistes capables de s'engager envers une tâche telle que COLPRO. Ils ont tous reçu une instruction sur la guerre nucléaire, chimique et biologique au Camp Borden. L'équipement utilisé était un équipement classique, c'est-à-dire un équipement existant. Si les résultats de l'expérience sont tels que les forces armées veulent aller de l'avant avec cette capacité, nous prévoyons que COLPRO recevra de l'équipement moderne. L'objectif de l'essai était simplement de voir si nous pouvions ou non produire des soldats ayant le niveau minimum de compétences requis, et nous avons fait cela au moyen de matériel existant.
Le sénateur Day : Vous dites plus loin : « En cas d'opérations intérieures de secours ou d'aide humanitaire, il est crucial de pouvoir déployer des corps doté de communications intégrales ». C'est quelque chose que vous pourriez être appelés de faire demain.
Le bgén Young : Oui, comme pour la tempête de glace.
Le sénateur Day : Vous dites : « Le meilleur exemple est celui de la nouvelle famille de récepteurs radio, que nous appelons STCCC. Le Secteur du centre de la Force terrestre n'en a pas suffisamment pour dispenser une instruction adéquate à l'appui des opérations intérieures, et c'est la Réserve qui souffre de plus en plus de cette carence ».
Voulez-vous modifier cette déclaration?
Le bgén Young : Non, pas la modifier mais plutôt la replacer dans son contexte. « Pas suffisamment » veut dire ici que, si nous devions prendre cette unité de Windsor, celle qui est commandée par le colonel dont vous avez entendu parler hier, pour la déployer ailleurs avec ce qu'elle a, elle n'aurait pas assez de récepteurs radio. Il faudrait lui donner de l'équipement provenant soit du centre d'instruction local, soit de la brigade régulière de Petawawa.
Le sénateur Day : Ce qui ralentirait évidemment son délai de réaction, je suppose?
Le bgén Young : C'est possible.
Le sénateur Banks : Dans le même ordre d'idées, le STCCC est le système radio qui fait du saut de fréquences, n'est-ce pas?
Le bgén Lessard : C'est la nouvelle génération de récepteurs que nous avons depuis quelques années déjà.
Le sénateur Banks : Les communications en sont difficiles à intercepter parce qu'il fait du saut de fréquences?
Le bgén Lessard : Oui, c'est le récepteur radio de nouvelle génération.
Le sénateur Banks : Pouvez-vous me dire ce qu'est la géomatique?
Le bgén Lessard : Je vais essayer, bien que je ne sois pas un expert. C'est une branche de l'ingénierie qui s'occupe de l'entreposage de données géographiques — composition des sols, rivières, et cetera. Il s'agit essentiellement de recueillir ces données de façon à les présenter aux divers commandements sous la forme qu'ils souhaitent. Nous en faisons de plus en plus. Cela exige des gens ayant des compétences très poussées. Quand on va dans un nouveau secteur d'opérations, il est utile d'en connaître à l'avance la géographie, les aéroports, les ports et la visibilité en fonction des montagnes. La géomatique a une capacité extraordinaire de produire ce genre d'informations. C'est une nouvelle capacité que nous mettons au point à l'intérieur de la Réserve et de l'unité de réserve d'Ottawa.
Le sénateur Banks : Quel genre de route accepterait quel type de charge quand vous allez dans un nouveau secteur?
Le bgén Lessard : Par exemple.
Le sénateur Banks : Considérant ce facteur et les autres choses dont nous avons parlé, dont le STCCC, vous dites que la raison pour laquelle vous avez connu tant de succès, si souvent, c'est que les soldats ne se laissent pas abattre par la difficulté, quelle qu'elle soit. Les Canadiens sont célèbres pour cela, pour faire ce qu'il faut faire. Par contre, c'est peut-être là le problème. Peut-être que nous devrions finir un jour par dire que nous ne pouvons pas faire telle ou telle chose mais, jusqu'à présent, ce n'est pas arrivé.
Vous indiquez dans ce rapport — et c'est quelque chose qui nous préoccupe depuis quelque temps — qu'il y a un écart technologique croissant en ce qui concerne la formation requise et la formation dispensée, car je suppose que la plupart des réservistes ne sont disponibles qu'une ou deux fins de semaine par mois et une ou deux soirées par semaine, n'est-ce pas?
Le bgén Young : C'est ça.
Le sénateur Banks : Plus une unité a recours à la technologie, et plus la technologie devient compliquée, plus nous allons atteindre le point où il y aura une telle disparité que nous aurons de vraies difficultés à cause du temps qu'il faudra pour rendre un soldat de la réserve complètement opérationnel dans une unité régulière.
Le bgén Lessard : Je vais répondre à cette question et le général Young pourra y ajouter des précisions s'il le souhaite. Ce que vous dites était peut-être vrai il y a quelques années. Si l'on comparait toutes les compétences de la force régulière à celle de la réserve, il y avait un delta. Nous pensions que le delta allait augmenter et nous nous interrogions sur la pertinence de la Force de réserve.
La réalité d'aujourd'hui est que nous parlons de la fameuse « Three Block War », la guerre de quartier, ce qui veut dire que, si vous allez en Afghanistan, vous devez être capable de mener des opérations de combat, des opérations de stabilisation et des opérations humanitaires, c'est-à-dire beaucoup de choses qui n'exigent pas une technologie de pointe. Voyez les opérations que nous menons actuellement en Afghanistan. Certaines utilisent une technologie de pointe mais d'autres sont essentiellement basées sur, et j'utilise à nouveau l'expression, l'intelligence humaine — les soldats à pied d'oeuvre. Si je peux revenir à mon exemple de corps blindé, la force régulière aura le nouveau système de canon mobile dont vous parliez il y a quelques minutes, elle aura le véhicule Coyote que vous avez peut-être vu, avec un mât, et cela exige des compétences techniques très poussées. En ce qui concerne la Force de réserve, elle aura des régiments blindés équipés du G-Wagon, qui est un véhicule de patrouille moderne, mais elle pourra effectuer des patrouilles de renseignement humaines, des choses que notre force régulière du bataillon d'infanterie fait déjà. Les deux sont totalement complémentaires. Les deux fonctions sont extrêmement importantes. Le fait que certains éléments d'équipement ne puissent pas être utilisés par la Réserve ne signifie absolument pas que celle-ci ait un rôle moins important à jouer dans les opérations internationales ou intérieures.
Ce qui compte, c'est de déterminer où la Réserve peut augmenter ses capacités et où elle ne le peut pas. Je vais vous donner un exemple. En Afghanistan, nous avons un escadron de reconnaissance comprenant trois équipes équipées de Coyote, évidemment de la force régulière. Le quatrième élément est un peloton de reconnaissance d'infanterie de la force régulière avec le G-Wagon. À l'avenir, ce peloton de reconnaissance pourrait-il être une équipe de reconnaissance de la réserve blindée? Absolument.
Vous voyez le problème, que l'on parvient à résoudre, entre la technologie avancée et la technologie simple. Les deux sont utiles.
Le sénateur Banks : Toutefois, l'augmentation ne peut pas être réalisée en mettant un réserviste dans un Coyote?
Le bgén Lessard : Non, mais on peut le mettre dans l'équipe qui a le G-Wagon et elle fonctionnera comme une unité.
Le sénateur Banks : Général Young, vous avez dit vers la fin de votre déclaration que la Réserve devra être dotée de ressources adéquates si l'on veut qu'elle puisse relever les défis. Pourriez-vous nous donner des chiffres en ce qui concerne votre commandement, le 32e Groupe de brigade?
Le bgén Young : Je peux vous donner une réponse générale car c'est dans cet esprit que je formulais cette remarque.
Je sais de quoi nous sommes capables maintenant et je sais que nous avons répondu aux besoins qui nous étaient adressés. Cela a pu exiger un effort dans certains cas mais l'avons fait. Mon commentaire concernait plutôt l'avenir car je pense que l'on aura plus souvent besoin de la Réserve à l'avenir, pas seulement du point de vue du nombre de missions mais aussi du point de vue d'un plus grand effectif. Ce n'est pas un problème car je pense que la Réserve possède le potentiel voulu. L'attitude que vous avez identifiée est certainement positive. Les réservistes veulent participer aux opérations. Toutefois, à mesure que la demande augmente, j'ai l'impression — et c'est un avis personnel — qu'il faudra procéder à une réévaluation des ressources. Il faudra effectuer cette réévaluation pour assurer une concordance de la capacité, comme l'a dit le général il y a une minute. Qu'est-ce que l'on attendra de la Réserve? Si l'on veut qu'elle puisse s'acquitter avec succès de ses tâches, il faudra inévitablement réévaluer ses ressources. Cela veut dire qu'il faudra se pencher sur les programmes de soutien des employeurs, pour obtenir toutes les pièces de l'échiquier de façon à ce que, si la demande apparaît, les réservistes puissent se présenter en plus grand nombre pour y faire face.
Le président : Généraux, je vous remercie tous les deux. Je vous remercie d'être venus devant le comité. Nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir nous expliquer les défis auxquels vous êtes confrontés. Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de mieux comprendre ce qui se passe dans votre monde, de façon à pouvoir mieux l'interpréter à l'intention du monde civil, dans notre rapport.
Nous vous remercions très sincèrement de votre collaboration. Nous avons une brève présentation à faire mais, avant cela, je vais lever la séance.
La séance est levée.