Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 7 - Témoignages du 6 décembre 2004
OTTAWA, lundi 6 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 9 h 5 pour examiner la nécessité d'une politique de sécurité nationale au Canada et en faire rapport.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous allons entendre aujourd'hui des témoignages qui porteront sur la révision de la politique de défense du Canada. Je m'appelle Colin Kenny, je suis sénateur de l'Ontario, et je préside le comité depuis 2001.
À ma droite immédiate se trouve l'éminent sénateur Forrestall de la Nouvelle-Écosse, qui est au service de ses commettants de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député à la Chambre des communes puis comme sénateur. Au cours de son séjour à la Chambre, il a été le secrétaire parlementaire de plusieurs ministres, dont celui des Transports et celui de l'Expansion régionale et industrielle.
À l'extrême droite se trouve le sénateur Jane Cordy de la Nouvelle-Écosse, éducatrice accomplie qui a longuement servi ses concitoyens, notamment à titre de présidente de la Halifax-Dartmouth Port Development Commission. Le sénateur Cordy est également présidente de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN. À côté d'elle, le sénateur Norm Atkins de l'Ontario qui a été nommé au Sénat en 1986 après une carrière de plus de 27 ans dans le domaine des communications. Le sénateur Atkins est l'ancien président de Camp Associates Advertising Limited et a été le conseiller de l'ancien premier ministre Davis de l'Ontario.
De l'autre côté du sénateur Cordy se trouve le sénateur Jim Munson de l'Ontario, autrefois journaliste écouté et directeur des communications de l'ancien premier ministre Jean Chrétien avant son entrée au Sénat en 2003. Le sénateur Munson a été mis en nomination deux fois pour un prix Gémeau d'excellence en journalisme.
À l'extrême gauche, le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick, bachelier en génie électrique du Collège militaire royal de Kingston, en Ontario, bachelier en droit de l'Université Queen's et titulaire d'une maîtrise en droit de Osgoode Hall. Avant son entrée au Sénat en 2001, le sénateur Day a connu une belle carrière comme avocat. Il est également vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et il siège au Sous-comité des anciens combattants.
À côté de lui, le sénateur Tommy Banks de l'Alberta qui est bien connu des Canadiens, l'un de nos musiciens et artistes de la scène les plus accomplis, lui dont la carrière dans le monde du spectacle a duré plus de 50 ans. Le sénateur Banks a reçu un prix Juno et est officier de l'Ordre du Canada. Il est également président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles, et il préside le caucus libéral de l'Alberta.
Notre comité est le premier comité sénatorial permanent qui ait pour mandat d'étudier la sécurité et la défense. Au cours de la dernière législature, il a publié un certain nombre de rapports, dont le premier était intitulé « L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense », étude qui a été déposée en février 2002 et faisait le point sur les grandes questions de défense et de sécurité auxquelles le Canada est confronté. Le Sénat a ensuite demandé à notre comité d'étudier la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité. À ce jour, nous avons publié cinq rapports sur divers aspects de la sécurité nationale : le premier, « La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne », en septembre 2002; le deuxième, « Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : Une vue de bas en haut » en novembre 2002; le troisième, « Le mythe sur la sécurité dans les aéroports canadiens », en janvier 2003; le quatrième, « Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde », en octobre 2003; et le cinquième, « Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne », en mars 2004.
Le comité examine maintenant la politique nationale de défense du Canada. Au cours de l'année à venir, il tiendra des audiences dans chacune des provinces et consultera les Canadiens afin de définir l'idée qu'ils se font de l'intérêt national, de savoir ce qu'ils considèrent comme étant les principales menaces pour le Canada, et de quelle façon ils aimeraient que le gouvernement y réagissent. Le Comité veut susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et dégager un consensus public sur nos besoins en matière militaire.
Notre premier témoin ce matin est le vice-amiral Ron Buck, qui a été nommé vice-chef d'état-major de la Défense le 3 septembre 2004. De 2001 à 2004, il a été chef d'état-major de la Force maritime. Au cours de sa carrière opérationnelle, le vice-amiral Buck a été commandant de la Flotte canadienne du Pacifique et de la 5e Escadre de destroyers du Canada, laquelle se composait de sept frégates de patrouille de classe Halifax et deux destroyers de la classe Iroquois. Il a également commandé son propre navire, le destroyer d'escorte NCSM Restigouche. Le vice-amiral Buck est bachelier en science de l'Université McGill. Il s'est enrôlé dans la Marine royale canadienne en 1967.
Monsieur le vice-amiral, bienvenue au comité. Nous vous écoutons.
Le vice-amiral Ron Buck, vice-chef d'état-major de la Défense, ministère de la Défense nationale : Merci, monsieur le président, j'ai en effet une déclaration.
[Français]
Je suis heureux d'être ici pour partager avec les membres du comité quelques réflexions concernant les rôles et les missions qui attendent les Forces canadiennes.
[Traduction]
Comme vous savez, le gouvernement élabore en ce moment une déclaration de politique internationale qui donnera un cadre intégré et cohérent à notre diplomatie, notre défense, notre développement et notre commerce. L'articulation des rôles et missions des Forces canadiennes doit donc se poursuivre, elle doit s'inspirer de cette déclaration de politique générale et s'appuyer sur la politique de sécurité nationale qui vient d'être énoncée.
Les nombreuses déclarations qui ont été faites démontrent hors de tout doute qu'on s'attend à ce que les Forces canadiennes conservent un rôle intérieur, continental et international. La difficulté consistera à équilibrer ces rôles et ensuite définir l'ampleur et la profondeur des capacités dont les Forces canadiennes auront besoin pour répondre aux attentes du gouvernement. Ces attentes doivent bien sûr s'appuyer sur les ressources qui nous seront imparties.
[Français]
La définition des Forces canadiennes de l'avenir doit tenir compte des impératifs et des intérêts du Canada en ce qui a trait au futur contexte de sécurité.
[Traduction]
Le terrorisme mondial, la prolifération des armements de destruction massive, les États dysfonctionnels et les points chauds régionaux sont les principaux aspects qui marquent un environnement de plus en plus menaçant pour notre sécurité. Mais c'est peut-être la conjonction du terrorisme et des armements de destruction massive qui doit nous préoccuper le plus, sans oublier la possibilité que certaines régions sans gouvernement qui appartiennent à ces États dysfonctionnels abritent certaines de ces menaces. Dans ce contexte, tout conflit devient en soi plus complexe et dangereux.
Même s'il est nécessaire de contrer certaines menaces qui sont fort loin du Canada, il est également évident que notre pays n'est plus à l'abri de ces menaces, et c'est la raison pour laquelle, tant sur le plan intérieur que continental, nous devons nous préoccuper davantage de nos approches aériennes et maritimes, et cela comprend l'Arctique.
[Français]
Nous devrons collaborer plus étroitement avec les États-Unis et avec bon nombre d'autres autorités canadiennes, en vue d'assurer une capacité intégrée de défense et de sécurité. Ceci comprend, sans s'y limiter, le renforcement du rôle de commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord.
[Traduction]
Tout cela exigera à l'avenir des Forces canadiennes plus flexibles. Nous croyons que, pour répondre aux attentes du gouvernement, les Forces canadiennes, de concert avec leurs alliés et autres partenaires internationaux, auront besoin de capacités diverses pour divers types d'opérations, humanitaire, stabilisation, combat, et peut-être même ces trois capacités simultanément au cours de la même opération. Ce sont des Forces canadiennes plus holistes que nous allons bâtir à l'avenir, et de ce point de vue, nous croyons qu'il sera nécessaire d'accorder plus d'importance aux capacités de surveillance commune, autant chez-nous qu'à l'étranger; il faudra une plus grande interopérabilité, tant au sein des Forces canadiennes qu'avec nos alliés, guidée par des concepts opérationnels communs plus étendus; il faudra une meilleure déployabilité, pour partir en mission ainsi que sur place; et il faudra enfin donner à la défense une approche multidimensionnelle qui s'appuiera sur des armes de plus grande précision.
Votre comité le sait, le gouvernement a fait savoir qu'il comptait augmenter les effectifs des Forces canadiennes de près de 5 000 membres de la force régulière et de 3 000 réservistes. Pour ce qui est des 5 000 réguliers, nous allons tâcher d'augmenter substantiellement la capacité de déployabilité des Forces canadiennes dans une optique plus holiste.
[Français]
Les 3 000 réservistes supplémentaires, pour leur part, seront affectés à des missions précises qui les rendront plus aptes à appuyer les opérations nationales ou de déploiement.
[Traduction]
En conclusion, si l'on veut un portrait détaillé des Forces canadiennes de l'avenir, il faudra attendre que le gouvernement fasse connaître ses intentions et, bien sûr, il faudra attendre que les comités parlementaires achèvent leur travail. Cependant, je peux vous dire d'emblée que certains éléments doivent retenir notre attention dans les années à venir. Je songe entre autres à ce qui menace la viabilité des forces, à leur expansion et enfin, à leur modernisation et à leur transformation. Cela étant dit, en dernière analyse, l'avenir des Forces canadiennes sera façonné par les impératifs canadiens qui ont été articulés dans la Politique de sécurité nationale et la Déclaration de politique internationale ainsi que par les ressources que les Canadiens et le gouvernement voudront bien nous impartir. L'augmentation de nos ressources stabilisera les Forces canadiennes et leur permettra d'avancer.
[Français]
Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Banks : Bonjour amiral Buck. Heureux de vous revoir.
Vous avez dit qu'il vous faudrait davantage de ressources pour mieux travailler, pour être plus efficients et efficaces. Faut-il en conclure qu'à votre avis, le Parlement devrait augmenter le budget général de la défense?
Le vam Buck : Comme je l'ai dit dans mon allocution liminaire, c'est largement la politique du gouvernement canadien qui définira les capacités des Forces canadiennes de demain, et il faut dès lors trouver l'équilibre voulu. Quelles que soient l'orientation ou les capacités que les Forces canadiennes devraient avoir de l'avis du gouvernement, celui-ci doit s'assurer que les ressources qu'il leur impartit sont convenables. Il est évident que des ressources supplémentaires nous permettraient d'acquérir des capacités plus diverses.
Le sénateur Banks : Nous sommes d'accord. Je crois pour ma part que les tensions entre les décideurs et le personnel opérationnel sont une très bonne chose. Ces tensions sont naturelles et saines dans pratiquement n'importe quelle entreprise. Cependant, ce qui me préoccupe depuis toujours, c'est l'absence parfois apparente de tensions entre les militaires et le ministère de la Défense nationale, étant donné qu'il s'agit deux entités différentes ayant des idées différentes de la manière dont elles doivent atteindre leur objectif.
Croyez-vous que le cordon ombilical qui lie en ce moment les Forces armées en tant que tel — c'est-à-dire vous et votre supérieur immédiat et les Forces armées telles quelles — et les responsables politiques du ministère de la Défense nationale est une bonne chose? Il me semble que ce lien réduit presque à néant certaines de ces tensions que j'ai mentionnées.
Le vam Buck : Vous avez parfaitement raison de le dire, monsieur le sénateur, les Forces canadiennes et le ministère sont des entités distinctes, mais leurs rôles sont complémentaires et sont en fait intégrés partout au pays. L'un des avantages de cette intégration, c'est qu'elle nous permet d'agir avec plus d'efficacité et d'efficience. Cependant, le rôle de décideur, qui appartient au ministère, et le rôle de conseiller militaire, qui appartient au chef d'état-major de la Défense, sont en fait très distincts et sont respectés à tous égards.
Le rôle du ministère dans l'élaboration des politiques consiste à accomplir cette tâche dans le contexte des impératifs nationaux et des intentions gouvernementales. Il appartient ensuite aux militaires, sous la direction du chef d'état- major de la Défense, de traduire ces politiques en capacités de défense concrètes. Cela est efficient non seulement dans ce contexte, mais le fait est aussi que cette séparation existe, et nous voyons d'ailleurs de nombreux pays épouser une structure semblable.
Le sénateur Banks : Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est efficient. Mais c'est justement au niveau de l'efficience que j'ai un problème. J'aimerais que vous me donniez votre avis sur l'idée générale que voici.
Quand on demande leur avis sur cette question aux hauts officiers qui font partie de l'état-major à Ottawa, ils nous répondent que tout va très bien, qu'il y a concomitance de vues sur la manière de faire les choses. Cependant, quand on rencontre les militaires et les commandants opérationnels dans les bases, ils nous disent souvent que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et que les missions que le gouvernement confie à nos forces armées ne sont pas dotées des ressources qu'il leur faudrait pour bien faire leur travail.
J'entrevois une disjonction ici ainsi qu'une tension qui, si elles étaient maintenues aux échelons supérieurs du commandement des forces armées, seraient une bonne chose. Alors voici ma question : est-ce qu'on nous raconte des histoires en haut ou en bas?
Le vam Buck : Je ne crois pas qu'on vous raconte d'histoire en haut ou en bas. Je dis que nous manquons manifestement de ressources. Nous savons tous cela. Au quotidien, nous prenons les décisions voulues pour impartir les ressources aux priorités du jour. Cela étant dit, l'optique de la base est différente de celle d'en haut. J'ai une longue expérience des deux niveaux, et quand j'y étais, je prenais des décisions au quotidien pour m'assurer de donner suite aux priorités les plus marquantes du jour, mais le fait est qu'on ne peut pas tout faire. Les ressources sont limitées, et elles le seront toujours.
Le sénateur Banks : Je suis d'accord avec vous pour dire que la vue n'est pas la même d'en haut que d'en bas. C'est une tension naturelle aussi. Chose certaine, tous ceux qui comme vous atteignent votre poste ont un passé opérationnel. C'est la raison pour laquelle ils ont été promus. C'est votre brillante carrière qui vous a conduit là où vous êtes. Cependant, on voit encore que ces tensions sont parfois absentes, et pourtant elles sont saines.
Le sénateur Day : Toutes mes félicitations pour votre nomination au poste de vice-chef.
Dans une entreprise, il y a un président et deux vice-présidents, et l'un peut être premier vice-président et l'autre second vice-président. Mais pourquoi en faut-il deux? Est-on bien servi quand on a un sous-chef et un vice-chef? Est-ce une division naturelle du travail et des responsabilités?
Le vam Buck : Excellente question, je me ferai un plaisir d'y répondre.
Dans la structure des Forces canadiennes, le chef d'état-major de la Défense contrôle et administre les Forces canadiennes. C'est lui qui commande les Forces canadiennes. Le vice-chef a plusieurs rôles. Premièrement, comme le veut la loi, il agit au nom du chef lorsque celui-ci est absent. Deuxièmement, il est le premier répartiteur des ressources du ministère et des Forces canadiennes, même s'il n'en est pas le directeur financier. Je suis aussi le chef d'état-major du quartier général intégré que mentionnait le sénateur Banks, et dans ce contexte, je suis le directeur de cabinet du chef d'état-major de la Défense et du sous-ministre.
Le sous-chef d'état-major de la Défense est responsable de l'exécution des opérations, rôle essentiel des Forces canadiennes. Rôle essentiel aussi dans la mesure où, en l'absence du chef, il y a une personne distincte du sous-chef qui s'assure que, sur la recommandation du sous-chef, on aille de l'avant et exécute les opérations comme nous devons le faire. Dans ce contexte, ce sont des rôles très différents. Franchement, une seule personne ne pourrait jouer les deux rôles, et ce ne serait pas souhaitable non plus.
Le sénateur Day : Vous dites que vous êtes responsable de la répartition des ressources, pouvez-vous expliquer cela? Est-ce que cela comprend aussi les décisions qui sont prises avant le dépôt du budget pour ce qui est des ressources qu'on investira dans les opérations, combien on réservera pour les acquisitions et les infrastructures, ce genre de décisions et d'équilibrage?
Le vam Buck : Mon personnel et moi, de concert avec les responsables des commandements et les autres sous- ministres adjoints, rédigeons les dernières recommandations à l'intention du chef d'état-major et du sous-ministre où il sera dit exactement où nous allouerons les ressources à l'intérieur de notre base de ressources. Pour ce qui est de savoir combien sera alloué aux opérations en tant que telles, nous ne tenons pas compte de ce quotient parce que lorsque nous exécutons des opérations, de manière générale, nous disposons de ressources discrétionnaires. Pour ce qui est du reste des services votés, soit les montants d'argent que nous réserverons pour les acquisitions, l'infrastructure, les opérations et la maintenance, ou même les activités de formation quotidienne, c'est mon personnel et moi-même qui faisons les recommandations voulues.
Le sénateur Day : Dans votre exposé, vous avez dit qu'il faudra accorder plus d'attention aux éléments aériens et maritimes des Forces canadiennes. Est-ce que ce sont là des besoins que vous anticipez, ou est-ce déjà le cas en ce moment, étant donné la situation actuelle?
Le vam Buck : J'ai bien dit qu'il fallait accorder plus d'importance aux approches maritimes et aériennes de l'Amérique du Nord. C'est une activité à laquelle votre comité s'est déjà intéressé et qui est aussi mentionnée dans la politique de sécurité nationale. Il faut ici reconnaître que les Forces canadiennes ont non seulement des missions de déploiement mais aussi une mission de défense continentale et intérieure.
Le sénateur Day : Vous ne disiez pas que les choses étant ce qu'elles sont, il faut accorder davantage d'attention à ces deux éléments?
Le vam Buck : Je veux dire qu'il faut insister plus sur la surveillance et le contrôle. Encore une fois, tout cela commence à se mettre en place grâce au travail de votre comité.
Le sénateur Day : Je suis heureux d'entendre cela. Cela m'amène à ma dernière question sur le tempo opérationnel que nous avons depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000. Le dernier énoncé de politique du gouvernement remonte au livre blanc de 1994. Nous travaillons actuellement à un nouvel énoncé de politique. En tant que personnel des Forces canadiennes, comment établissez-vous votre planification? Il n'est pas question dans le livre blanc de 1994 du niveau de tempo opérationnel, c'est-à-dire des exigences des forces sur de nombreux plans. Ça n'était pas prévu.
Pour aller plus loin, pensez-vous qu'il sera question de ce tempo ou de cette cadence opérationnelle dans ce document? Comment déterminez-vous si vous avez les forces nécessaires pour soutenir une cadence opérationnelle si vous ne savez pas en quoi elle va consister?
Le vam Buck : Vous avez parfaitement raison au sujet du Livre blanc de 1994. Il s'appuyait sur l'hypothèse d'un monde plus stable et plus sûr, un monde où l'on avait le temps de se préparer.
À l'avenir, quand le gouvernement va déterminer les missions et les capacités des Forces canadiennes pour le futur, nous avons l'intention de bien faire comprendre à ce gouvernement le nombre de personnes qui peuvent être maintenues de façon permanente en service. Toutefois, cela dépendra en partie des différences de capacités et de ressources. Nous voulons avoir une parfaite compréhension du niveau d'opérations soutenable.
Le sénateur Day : Est-ce que vous contribuez à développer ce point dans le document de politique en préparation?
Le vam Buck : Oui. La situation varie entre les trois éléments : l'armée de terre, la marine et l'armée de l'air. Du point de vue de l'armée de terre, nous estimons que le taux de roulement est d'environ un sur cinq. Pour la marine et l'aviation, c'est probablement un sur quatre.
Le sénateur Day : À votre avis, est-ce que les 5 000 membres supplémentaires de la force régulière et les 3 000 membres supplémentaires de la réserve suffiraient pour soutenir la cadence opérationnelle que nous avons actuellement, à supposer qu'elle se maintienne?
Le vam Buck : Encore une fois, tout dépend de ce que l'on peut déployer et pendant combien de temps. D'après le travail que nous faisons à l'interne sur ces chiffres de 3 000 et 5 000, la capacité de déploiement des Forces canadiennes serait accrue. Toutefois, il y aura toujours une limite. Quelle que soit la taille de nos forces, il y aura une limite. Nous le dirons toujours clairement au gouvernement. Ces 5 000 membres supplémentaires nous permettraient toutefois d'accroître notre soutenabilité.
Le sénateur Day : Est-ce que cela permettrait à nos forces armées de soutenir les activités auxquelles on nous demande de participer actuellement?
Le vam Buck : Cela dépend du gouvernement au pouvoir et de la recommandation du chef en fonction. Cette augmentation de l'effectif permettrait d'accroître la capacité pour avoir, dans le cas des forces terrestres, par exemple, un ratio d'environ un sur cinq. Il y a toujours une limite. Cet accroissement de 5 000 individus nous permettrait d'avoir une force plus importante à déployer.
Le sénateur Day : Je comprends cela. Comme nous l'avons déjà dit dans notre rapport, vous savez bien que nous estimons qu'on vous en demande trop actuellement.
Le sénateur Banks : Avons-nous les Forces canadiennes dont nous avons besoin ou les Forces canadiennes que nous avons les moyens d'avoir?
Le vam Buck : C'est aux Canadiens et au gouvernement du Canada de répondre à cette question, sénateur.
Le sénateur Banks : Et pas aux Forces canadiennes?
Le vam Buck : Les Forces canadiennes n'existent pas parce qu'il faut qu'il y ait des Forces canadiennes. Elles existent pour offrir au Canada et aux Canadiens la défense que le Canada, les Canadiens et le gouvernement...
Le sénateur Banks : Ont les moyens de se payer ou ont besoin d'avoir?
Le vam Buck : ... jugent nécessaires. Elles doivent s'appuyer sur des ressources.
Le sénateur Munson : L'armée a-t-elle les installations nécessaires pour équiper, former et loger ces 5 000 nouveaux membres?
Le vam Buck : Pour l'instant, non. Donc, selon nous, toute initiative en ce sens implique le déblocage de ressources. Autrement dit, il y a naturellement une facture à payer pour le personnel, l'équipement, l'entraînement et le logement, comme vous l'avez-vous dit.
Le sénateur Munson : En tant que vice-amiral, où souhaiteriez-vous situer ces 5 000 membres plus les 3 000 réservistes? Quel serait le meilleur emplacement?
Le vam Buck : Pour l'instant, tant que nous n'avons pas un énoncé de politique internationale plus clair et les paramètres de défense qui en découleront, il serait prématuré de se prononcer à ce sujet. Encore une fois, cela dépend en grande partie des capacités dont le gouvernement du Canada jugera avoir besoin. Nous fournirons des conseils militaires, mais tant que nous ne saurons pas clairement quelles sont les intentions du gouvernement pour les Forces canadiennes, il serait prématuré de faire des commentaires.
Le sénateur Munson : Vous êtes le responsable militaire qui fournit ces conseils. Les politiciens doivent en tenir compte.
Le vam Buck : Oui.
Le sénateur Munson : Et quels sont vos conseils?
Le vam Buck : Comme le gouvernement n'a pas encore présenté son énoncé de politique, qui sera ensuite soumis aux comités du Parlement, il est encore une fois trop tôt pour faire des commentaires. Quand cet énoncé de politique sera déposé, il y aura certainement un débat sérieux et le document final sera peut-être très différent. C'est un travail en devenir.
Le sénateur Munson : Dans votre exposé liminaire, vous avez parlé de l'Arctique et d'une plus grande concentration. Nous avons entendu des histoires que certains jugent assez embarrassantes, et nous avons vu des dessins humoristiques sur la situation actuelle dans l'Arctique.
En tant que représentant de la marine, avez-vous des idées précises sur la façon dont le Canada pourrait exercer plus efficacement sa souveraineté dans le Nord? J'ai l'impression que dans certaines régions du monde, on n'a pas beaucoup d'estime pour notre défense et notre souveraineté.
Le vam Buck : Encore une fois, il faudra attendre l'énoncé de politique pour se prononcer à ce sujet. Toutefois, je vous dirais que le renforcement de la surveillance dans l'Arctique est un domaine particulièrement important. Il peut s'agir de surveillance aérienne ou maritime. Et ensuite, il faudra aussi probablement avoir une plus grande capacité de déploiement dans l'Arctique.
Le sénateur Munson : Qu'entendez-vous par « plus grande capacité de déploiement »?
Le vam Buck : Disons qu'il faudrait surtout avoir une forme de pont aérien.
Le sénateur Munson : Pour poursuivre sur les questions d'autres sénateurs, nous avons recommandé de porter l'effectif des forces armées à 75 000. Êtes-vous d'accord?
Le vam Buck : La taille et les capacités des Forces canadiennes sont encore une fois une question de politique pour le gouvernement. Du point de vue des Forces canadiennes, à partir du moment où un besoin est défini, nous définissons l'éventail et le mélange de capacités holistiques nécessaires.
Le président : Pour compléter cette question, amiral, si les Forces canadiennes avaient eu un effectif de 75 000 individus au cours des dix dernières années, quelle différence cela aurait-il fait pour vous et pour les hommes et les femmes des Forces canadiennes qui ont dû faire face à la cadence opérationnelle que leur a imposée le gouvernement?
Le vam Buck : Il est certain qu'avec des effectifs plus importants on peut avoir un degré de soutenabilité plus important. Encore une fois, cela aurait dépendu du mélange de personnel, de l'asymétrie ou non entre les trois environnements et des ressources disponibles.
Le président : N'auriez-vous pas pu organiser cela de façon à ce que les intéressés aient une vie plus raisonnable et s'épuisent moins, par exemple? Vous avez parlé d'une plus grande soutenabilité. Pourquoi ne pas organiser les choses de façon à moins épuiser les ressources?
Le vice-amiral : Sénateur, la question est essentiellement hypothétique parce que ces circonstances n'étaient pas réunies. Comme je l'ai dit, cela aurait dépendu de la façon dont les Forces canadiennes se seraient structurées et des ressources fournies. Est-ce que cela aurait donné une plus grande soutenabilité? Oui.
Le président : C'est hypothétique, en ce sens que c'est imaginer ce qui se serait produit si ça s'était produit. J'ai l'impression que vous ne me répondez pas réellement, amiral. Je dis que si, plutôt que d'avoir un effectif de 52 000...
Le vam Buck : Certes, vous auriez eu un effectif plus important.
Le président : Si vous aviez eu un effectif de 75 000, décrivez au comité ce que cela aurait donné.
Le vam Buck : Tout d'abord, une armée canadienne qui compte 75 000 personnes ne donne pas un effectif de 75 000. C'est moins.
Le président : Nous n'avons pas parlé d'un personnel de 75 000 mais bien d'un effectif de 75 000.
Le vam Buck : Certes, on aurait pu soutenir un rythme opérationnel supérieur et, de ce fait, il est très probable que l'on aurait pu améliorer la qualité de vie au Canada et en mission. Là encore, tout dépend du nombre de missions pour lesquelles le gouvernement du jour aurait utilisé l'armée. Aussi, cela reste hypothétique.
Le président : La question était : si vous aviez eu le même nombre de missions au cours des dix dernières années et que vous aviez eu un effectif de 75 000, en quoi la situation aurait-elle été différente?
Le vam Buck : Cela aurait permis un taux plus soutenable de déploiement de nos forces; un taux soutenable signifie qu'il y a un équilibre entre le déploiement des troupes et leur retour au pays, l'entraînement et la préparation pour repartir.
Le président : Cela aurait été préférable?
Le vam Buck : Certainement.
Le sénateur Forrestall : J'aimerais revenir sur la défense intérieure et des besoins que vous aurez, si vous ne les avez pas déjà.
Pourriez-vous nous expliquer le rôle que vous voudrez peut-être confier à la réserve en ce qui concerne la défense intérieure? Je parle toujours des Fusillers de Halifax. Si vous voulez accroître l'effectif et vous vous demandez où trouver ces soldats, pourquoi ne pas songer à certaines des unités que nous avons laissées de côté? Veuillez nous expliquer le rôle que pourraient avoir les réserves dans le contexte de la défense intérieure et de la sécurité.
Le vam Buck : La marine, il y a quelque temps, a décidé de confier un rôle spécial à sa réserve, donc à la réserve navale, qui fait de la patrouille et de la surveillance côtière. Pour la marine, c'est fait.
Pour les autres composantes des réserves du Canada, l'intention, pour l'avenir, serait de veiller à leur confier des rôles plus précis qui leur permettraient d'être mieux à même de venir en aide à des organismes responsables, tant au pays qu'à l'étranger, dans un certain nombre de domaines très spécialisés et spécifiques.
Dans l'ensemble, l'objectif serait que lorsque le gouvernement aura décidé de sa politique, nous aurons une capacité générale tant au pays qu'à l'étranger. Au pays, nous ferions appel à des réservistes. Nous aurions aussi des membres de la force régulière et des réservistes, selon la réserve, que nous pourrions déployer de temps à autre.
Le président : Amiral, vous avez parlé du rôle des réserves dans la défense côtière. Par le passé, vous nous avez avisés que les navires à sa disposition ne convenaient pas vraiment à ce rôle. Ils sont lents et ne fonctionnent pas trop bien. Il s'agit essentiellement de navires de formation pour la réserve et ce ne sont pas les meilleurs navires pour la défense côtière, n'est-ce pas?
Le vam Buck : Je crois avoir dit précédemment, monsieur le président, que les navires de la défense côtière maritime avaient été conçus pour diverses missions. L'une de ces missions était la guerre des mines, qui dicte conception, rapidité, et cetera. Dans un concept de défense maritime par couches, ces navires ont toujours un rôle à jouer. Pour le moment, ils sont essentiellement utilisés pour la formation mais c'est surtout parce que nous traversons une phase de recrutement afin de nous développer et qu'il y a donc plus de formation à donner.
Le président : Alors, nous ne vous avons pas bien compris lorsque vous avez dit que ce n'était pas les meilleurs navires et que vous auriez des navires différents s'il s'agissait d'assurer la défense côtière?
Le vam Buck : Je disais qu'ils représentaient un élément des activités côtières. Le défi, quand on dépasse la limite de 12 milles nautiques ou territoriaux et que l'on se retrouve en pleine mer, on peut avoir besoin d'une autre catégorie de bateaux, besoin qui peut être soit satisfait par les frégates et destroyers existants soit par quelque chose d'intermédiaire. Selon les circonstances, il y aura un type, des dimensions, une vitesse et des besoins particuliers. Ce n'est pas un bateau unique; c'est une gamme de bateaux et cela a toujours été.
Le sénateur Forrestall : Je suis surpris de vous entendre dire cela. Ayant compris que ces bateaux ne convenaient pas vraiment à la surveillance de nos eaux côtières. Il y a des bateaux qui sont mieux à même d'entrer et sortir dans des ports peu profonds. Un autre bateau conçu pour une activité spéciale pourrait être la solution.
Le vam Buck : Je vous dirais, en toute déférence, sénateur, qu'il y a probablement environ quatre éléments. Il y en a un essentiellement qui permet d'opérer dans les eaux internes, comme les Grands Lacs et les fleuves, et qui inclurait les ports. C'est un bateau plus petit que les navires de défense côtière. Il y en a un qui sert pour le golfe du Saint-Laurent et ses approches immédiates et ce bateau serait plutôt de l'ordre de ceux de la défense côtière. Au-delà, il faut décider si l'on veut avoir une catégorie de navires dédiés à cet élément de surveillance maritime ou si l'on veut recourir à des navires polyvalents tels qu'une frégate ou un destroyer qui ont une capacité bien supérieure à ce qui est en fait nécessaire pour ce faire.
Le sénateur Forrestall : Pour vous, l'idéal serait-il, lorsque vous parlez de développer les réserves, de recruter des hommes et des femmes qui ont reçu une formation dans les réserves et qui, pour une raison ou une autre, sont partis — autrement dit, d'essayer de les ramener dans la structure de la réserve?
Le vam Buck : Certes, notre objectif serait de recruter autant de monde que possible avec de l'expérience, dans la réserve ou dans la force régulière. En fait, s'ils veulent se réintégrer dans l'armée canadienne, ils leur seraient possible de le faire. C'est une façon efficace et rentable d'utiliser ces gens-là et la formation qu'ils ont reçue.
Le sénateur Forrestall : Il est trop tôt pour examiner la classification de ces réserves : combien y en aurait-il pour les mercredis et les week-ends et combien...
Le vam Buck : La question est complexe. En fait, comme vous le savez, dans les Forces canadiennes, il existe en fait plus d'une réserve. Il y en a plusieurs. La réserve navale, par exemple, est très différente de la réserve de la force terrestre qui est très différente de la réserve des communications et de la réserve médicale. Il n'y a pas de réponse à cette question mais il y a un équilibre particulier à atteindre dans chacune de ces réserves, selon la façon dont on a l'intention de les utiliser.
Le sénateur Forrestall : Il y a aussi la question de la situation de la force terrestre additionnelle qui a été si difficile de constituer. Est-ce elle qui recevrait les 5 000 soldats supplémentaires? Comment les formeriez-vous? Utiliseriez-vous les installations de formation existante, par exemple, en communications, à Kingston? Sinon, les formeriez-vous dans tout le pays et les réuniriez-vous dans ces nouvelles installations?
Le vam Buck : Monsieur le sénateur, quand vous avez parlé de la transformation de l'armée de terre, pensiez-vous aux réservistes?
Le sénateur Forrestall : Non, l'armée permanente.
Le vam Buck : C'est vrai qu'un nombre important de soldats parmi les 5 000 dont on a parlé intégreront l'armée de terre. Il sera donc nécessaire, au sein de l'armée de terre mais aussi des autres corps des Forces canadiennes qui accueilleront de nouveaux venus, d'augmenter modérément la capacité de formation. Comme je l'ai déjà précisé, les infrastructures de formation sont actuellement saturées, et vous le savez pertinemment. Pour assurer plus de formation, il faudra donc augmenter la capacité.
Le sénateur Forrestall : Dans quelle mesure l'augmentation de l'effectif des forces armées de 5 000 hommes et femmes au cours des trois prochaines années poserait-elle des difficultés en matière de formation, de capacité et de soutenabilité des groupes qui sont actuellement sur le terrain?
Le vam Buck : Comme vous le savez, la campagne de recrutement d'envergure que nous avons lancée bat son plein. Parallèlement, nos infrastructures de formation sont saturées. Par conséquent, il serait impossible d'intégrer 5 000 ou même 3 000 personnes aux forces armées au cours des trois prochaines années; ça demanderait plus de temps.
Le sénateur Forrestall : Ah bon? Combien de temps?
Le vam Buck : D'après moi, je dirais que la période d'intégration durerait environ cinq ans.
Le sénateur Forrestall : Les réservistes seraient-ils intégrés au même rythme?
Le vam Buck : Oui.
Le président : Vous ai-je bien entendu dire, monsieur le vice-amiral, que l'augmentation de l'effectif des Forces canadiennes de 5 000 recrues prendra cinq ans?
Le vam Buck : Oui, c'est bien ce que j'ai dit.
Le président : Et pourquoi?
Le vam Buck : Parce qu'il va falloir que l'institution grossisse pour qu'on puisse absorber les nouvelles recrues. La taille des forces armées est limitée et, de plus, nos infrastructures de formation ont été conçues pour accueillir un effectif d'environ 60 000 personnes. Pour augmenter l'effectif des forces armées, il nous faudra d'abord renforcer les infrastructures de formation et le système de recrutement avant qu'on ne puisse accélérer l'intégration de nouvelles recrues.
Le président : Je le conçois. Je sais également qu'en raison des compressions qu'on a observées à tous les niveaux au cours des 15 dernières années, la capacité de formation a été réduite. Par contre, j'ai du mal à comprendre pourquoi il faudra tant de temps pour ramener cette capacité à niveau. Que feriez-vous si vous appreniez que le gouvernement, ne se contentant pas d'une augmentation ponctuelle de 5 000 recrues, décidait qu'au cours des cinq prochaines années, il y aurait deux ou trois augmentations de cet ordre?
Le vam Buck : Nous augmenterions notre capacité en conséquence. Par contre, une bonne planification dans le domaine de la défense repose sur la définition des objectifs à atteindre. Ainsi, on sait avec justesse quels sont les besoins en matière d'infrastructures de formation et quels nouveaux équipements seraient nécessaires si les rôles changeaient ou augmentaient. Comme vous le savez, tout cela prend du temps.
Le président : Je sais que la fluctuation des demandes au niveau politique vous frustre — et par vous j'entends les Forces canadiennes. C'est vrai que les attentes au niveau politique n'ont pas toujours été cohérentes. Je vais essayer de formuler ma question pour qu'elle ne vous mette pas dans l'embarras. Peut-on dire que vous et vos collègues seriez mieux en mesure d'assurer une bonne planification si vous saviez quelles seraient les demandes politiques des dix prochaines années.
Le vam Buck : Les forces armées sont toujours à la recherche d'une définition claire des attentes du gouvernement mais aussi d'un engagement clair à financer de façon adéquate ces attentes.
Le président : C'est ce que vous aimeriez qui figure dans un livre blanc sur la défense, n'est-ce pas?
Le vam Buck : Il faut avant tout définir les attentes. Ensuite, les Forces canadiennes, par le biais du chef, pourront décrire le nouveau visage des Forces canadiennes, tout en précisant les coûts découlant des transformations. Au bout du compte, il faut qu'il y ait un équilibre entre les attentes claires et les ressources.
Le sénateur Cordy : Je vous félicite, monsieur le vice-amiral, de votre promotion. Nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau. La référence aux 5 000 nouveaux militaires dans le discours du Trône n'a échappé à personne. Savons-nous exactement quand ces recrues vont commencer à être intégrées?
Le vam Buck : Comme je l'ai déjà indiqué dans ma réponse à une autre question, cette augmentation de l'effectif s'accompagne de coûts. Mais nous n'avons pas actuellement les ressources nécessaires pour recruter 5 000 ou même 3 000 nouveaux militaires. Par conséquent, lorsque le gouvernement aura pris sa décision finale, il faudra débloquer des ressources. Mais je peux vous dire que nous avons déjà des plans, sujets aux ressources nécessaires, pour que l'intégration commence.
Le sénateur Cordy : Comme vous l'avez dit, la capacité de formation est saturée. Quand nous étions à Gagetown, il y a quelqu'un qui se plaignait du fait qu'ils attendaient un formateur, qui allait par la suite être rappelé et par conséquent qu'il ne resterait sur place pas très longtemps. Nous avons également constaté que dans certaines bases, il y avait des recrues qui, je ne voudrais pas dire « se tournaient les pouces » mais qui, en tout cas, n'étaient pas en train d'être formés. Il est clair que même si l'intégration dure plusieurs années, on poussera aux limites les ressources en formation des forces armées.
Le vam Buck : Pour assurer la bonne intégration des 5 000 recrues, nous allons agrandir notre infrastructure de formation pour qu'elle puisse accueillir les nouveaux militaires à un rythme qui ne les obligera pas à attendre pour être formés. Comme je l'ai déjà dit au président, nous devons, entre autres activités, assurer une plus grande capacité de formation, ce qui ne se limite pas à la construction de nouvelles installations; il faudra également que nous ayons des personnes très compétentes pour dispenser la formation. C'est tout un cycle, qui ne se construit pas du jour au lendemain.
Le sénateur Cordy : Pour ce qui est du maintien en poste, combien de militaires quittent les forces armées par année?
Le vam Buck : Ce qu'on appelle « l'attrition structurelle », à savoir les militaires qui quittent, représente environ 4 p. 100. Ça, ce sont les départs à la retraite. Actuellement, on parle de 5 ou 6 p. 100, ce qui est, par rapport aux forces armées des autres pays occidentaux, un taux de maintien en poste élevé.
Le sénateur Cordy : Justement, c'est ce que je voulais soulever. Des fois, on a l'impression que les militaires abandonnent les forces armées plus tôt que par le passé. Mais vous dites que ce n'est pas le cas?
Le vam Buck : Comme je l'ai dit, le taux de maintien en poste est bon. Par contre, l'équilibre entre les militaires qui partent au cours de leur carrière et ceux qui attendent la retraite change. Beaucoup des femmes et des hommes qui intègrent les Forces canadiennes n'ont pas l'intention d'y rester jusqu'à la retraite. Les données démographiques changent, et nous allons devoir nous y adapter.
Le sénateur Cordy : Vous accueillez chaque année un grand nombre de recrues, pour remplacer les départs à la retraite mais également pour gonfler votre effectif. Logistiquement parlant, à quoi donnez-vous la priorité? Est-ce le recrutement ou la formation, ou encore les deux ou l'atteinte difficile d'un équilibre entre les deux? Il faut éviter d'avoir des recrues mais des mécanismes de formation inadéquats ou encore d'avoir la capacité de formation nécessaire mais trop peu de recrues.
Le vam Buck : Il faut agir aux deux niveaux. C'est un véritable défi parce que dans les deux cas il faut s'assurer que les personnes responsables de la formation et du recrutement sont compétentes. À court terme, on ressent les répercussions au niveau des capacités opérationnelles.
Le sénateur Cordy : On nous a répété que les réservistes ont souvent du mal à intégrer les forces armées régulières. Aplanir cette difficulté pourrait-il faire partie de la solution?
Le vam Buck : Tout à fait.
Le sénateur Meighen : Désolé d'être arrivé en retard. Il faut en fait compter trois heures pour venir de Toronto en hiver.
Le président : Si on vous fouille, oui.
Le sénateur Meighen : Pour ce qui est de l'entraînement, vice-amiral Buck, vous avez besoin d'un financement pour accroître vos capacités d'entraînement mais également pour avoir à disposition des formateurs. Si les formateurs sont déployés, ils peuvent difficilement être sur place pour assurer l'entraînement de nouvelles recrues. Même si vous disposiez de cinq ans, ne serait-il pas nécessaire de ralentir le rythme opérationnel dans une certaine mesure ou bien pensez-vous qu'il soit possible d'avoir des formateurs en place tout en maintenant le rythme actuel?
Le vam Buck : Étant donné l'accent qu'on met actuellement sur le recrutement et la taille de nos forces armées, nous pensons pouvoir y arriver en limitant nos déploiements à un niveau viable.
Le sénateur Meighen : Qu'entendez-vous par un niveau viable?
Le vam Buck : Comme je l'ai dit précédemment, par niveau viable on entend une rotation sur cinq pour l'armée de terre, et une sur quatre pour l'armée de l'air et la marine.
Le sénateur Meighen : C'est ce que vous faites actuellement?
Le vam Buck : Maintenant, oui. Par contre, il est vrai que par le passé divers gouvernements ont à l'occasion dépassé ce ratio. Permettez-moi de citer l'exemple d'Opération Apollo, la campagne contre le terrorisme. Je vous parlerai de la marine, parce que c'est le corps que je connais le mieux. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de nos matelots et presque tous nos navires ont été déployés. Mais au terme de ces déploiements, la disponibilité opérationnelle a chuté parce qu'il fallait qu'on s'occupe de notre personnel et qu'on rattrape le retard du côté de l'entretien. Bref, quand on en demande trop aux forces armées, on crée une espèce de cycle. Quand on conseille le gouvernement au plan militaire, il faut toujours prendre en compte l'aspect viabilité d'un éventuel déploiement.
Le sénateur Meighen : Monsieur le président, si vous me permettez de poser une autre question maintenant je n'interviendrai pas lors de la seconde ronde de questions.
Le président : Désolé, le sénateur Cordy a d'autres questions à poser sur ce sujet et c'est à elle que je vais donner la parole.
Le sénateur Cordy : Quel financement faudra-t-il prévoir au prochain budget pour le recrutement et l'entraînement de 5 000 ou même de 3 000 réservistes?
Le vam Buck : Pour assurer l'intégration de 5 000 réservistes, il faudra relever la contribution de l'État sur une période d'environ cinq ans. Par contre, à l'heure actuelle, il est difficile de vous donner une somme exacte. Pour cela, il faudra attendre la fin de l'examen de la défense et l'énoncé de politique internationale. C'est alors que nous saurons dans quel corps d'armée ces différentes recrues seront intégrées.
Le sénateur Meighen : Vous ai-je bien entendu dire, amiral, qu'à part des questions de planification, vous ne pouvez commencer à intégrer les 5 000 réservistes avant que les ressources appropriées ne soient attribuées?
Le vam Buck : Effectivement.
Le sénateur Meighen : Donc, si les ressources ne sont pas attribuées avant six mois, vous accuserez un retard de six mois?
Le vam Buck : Effectivement.
Le sénateur Atkins : Bienvenue, vice-amiral Buck. En fait, il faut bien comprendre que l'intégration de 5 000 nouvelles recrues ne se fera pas du jour au lendemain.
Le vam Buck : Les intentions du gouvernement ont été exprimées clairement et le gouvernement s'est engagé, par le biais du processus budgétaire, à indiquer aux Forces canadiennes la marche à suivre. Par contre, les ressources dont nous disposons actuellement ne nous permettent pas de recruter. Nous ne pouvons pas nous permettre de recruter des militaires supplémentaires au-delà de notre effectif autorisé de 60 000 personnes.
En fait, notre effectif dépasse les 60 000 actuellement parce que nous essayons de compenser les départs et de retrouver notre niveau d'effectifs entraînés et en activité dont a parlé le président.
Le sénateur Atkins : Quand vous décriviez vos responsabilités, vous avez parlé de répartition des ressources. Est-ce que ça comprend la promotion des officiers?
Vam Buck : Non. Les forces armées ont un système fondé sur le mérite qui s'applique à tous, depuis le soldat ou le matelot au niveau d'entrée jusqu'au général ou à l'amiral. Chaque année, un conseil évalue chacun des militaires. Pour les premiers grades, l'évaluation est faite par rapport aux pairs, c'est-à-dire qu'un soldat d'infanterie serait évalué par rapport aux autres soldats d'infanterie.
Aux grades supérieurs, l'évaluation est plus globale. Par exemple, à partir des grades de colonel et de capitaine de la marine, le conseil juge du rendement d'une personne par rapport à l'ensemble des militaires. Mais on peut dire que le processus est appliqué de façon systématique et ouverte à tous les niveaux des Forces canadiennes. Mais ce n'est pas moi qui en assume la responsabilité, c'est plutôt le sous-ministre adjoint chargé des ressources humaines militaires.
Le sénateur Atkins : La décision est-elle plus politique que militaire?
Vam Buck : Non, ce n'est pas du tout une décision politique. Le rendement des militaires est évalué par d'autres militaires qui siègent à un conseil qui n'utilise qu'un critère, le mérite.
Le sénateur Atkins : Pour ce qui est des budgets et du resserrement des dépenses, êtes-vous en train de déterminer quelles bases devraient être fermées ou, au contraire, agrandies? Ou est-ce que cette question a été traitée dans le cadre de l'examen de la défense?
Vam Buck : Comme la politique gouvernementale n'a pas encore été établie clairement, nous n'avons pas effectué de planification détaillée. Par contre, nous nous sommes intéressés à une série de scénarios hypothétiques qui nous permettraient d'optimiser notre présence opérationnelle à l'échelle du pays, à la fois en créant une capacité opérationnelle et en nous assurant d'être suffisamment nombreux pour répondre aux besoins du gouvernement à l'échelle du pays.
Le sénateur Atkins : Comment pouvez-vous juger des besoins des forces armées sans savoir quelles seront précisément les missions? Vous n'avez pas de boule de cristal. Nous déployons des militaires en Afghanistan et en Haïti. Pensez-vous que ces deux missions demandent une formation distincte ou, au contraire, que la formation qui est dispensée par les forces armées actuellement convient, peu importe la mission?
Vam Buck : Dans mes remarques liminaires, j'ai précisé que les Forces canadiennes devaient être en mesure d'assurer toute la panoplie de missions, des missions humanitaires ou de reconstruction de nations, telles qu'en Afghanistan, en passant par les combats. Les forces armées pourraient même être appelées à intervenir à ces trois niveaux au même endroit simultanément. Le problème, en raison de l'imprévisibilité dont vous avez parlé dans bien des théâtres d'opérations, c'est qu'on ne sait pas ce qui va se passer. C'est pourquoi j'estime que cet éventail de capacités est essentiel pour les Forces canadiennes. Si on retirait certaines de ces capacités, et plus particulièrement celles se rapportant au combat, les Forces canadiennes seraient très limitées dans leur déploiement parce qu'on ne peut pas déployer nos militaires sans être sûrs qu'ils ont la bonne formation et les bons outils pour faire face à ce qui pourrait les attendre.
Le sénateur Atkins : Dans notre monde où tout bouge si rapidement, on risque de ne pas avoir beaucoup de temps pour résoudre ces problèmes.
Vam Buck : Vous avez entièrement raison. C'est pourquoi l'éventail de capacités est fondamental. Nous, les hauts gradés, estimons que cet aspect devra obligatoirement faire partie de la structure militaire que choisira le gouvernement.
Cela dit, il ne faudrait pas croire que nous avons les mêmes capacités que les États-unis, mais nous disposons quand même de ressources clés qui nous permettent d'assurer, dans les limites du possible, que nos militaires sont formés et équipés adéquatement, peu importe le théâtre d'opérations.
Le sénateur Atkins : Le problème aujourd'hui, c'est que même lorsque nos militaires sont assignés à un théâtre quelconque, l'ennemi est inconnu.
Le vam Buck : Cela devient encore plus complexe, et c'est encore plus dangereux.
Le sénateur Atkins : J'ai une question au sujet des achats. Que pensez-vous des achats de matériel militaire de série?
Vam Buck : S'il s'agit d'un élément qui est de conception militaire ou commerciale et qui respecte nos exigences, nous devons profiter de cette possibilité.
Le président : Si tel est le cas, pourquoi se donne-t-on la peine de concevoir un nouveau navire qui remplacera les navires de la classe Provider, Preserver ou Protector? Pourquoi cet exercice de deux ans? Pourquoi ne pas magasiner et trouver un navire qui fera l'affaire?
Vam Buck : Tout d'abord, c'est une question de conception, si vous voulez. Le fait que nous réunissons une série d'exigences signifie dans un sens que le travail de conception comme tel n'est pas si complexe que cela. Oui, cela prend du temps, mais la raison en est bien simple : pour conserver deux navires de conception différente — l'un qui fait essentiellement le travail maritime ou naval, et l'autre qui n'assure que le transport ou le soutien aux opérations ailleurs — , cela coûte très cher. La question que vous devez également poser est celle-ci : à quelle fréquence va-t-on les utiliser, surtout celui qui assurera le transport? Est-ce qu'on va s'en servir tous les jours? Je peux vous dire que non.
Je vous dirais que ce que nous proposons, c'est en fait une manière rentable d'optimiser l'utilisation de ces navires tout en sachant que, de toute manière, peu importent les capacités de transport que nous aurons, nous allons toujours louer des capacités de transport, particulièrement en mer.
Le président : Si ce sont de si bons navires que ça, comment se fait-il que les autres pays n'en ont pas, et pourquoi ne pourrions-nous pas acheter l'un des leurs?
Vam Buck : À la fin des années 60, personne n'avait ce qu'on appelle aujourd'hui une zone de responsabilité — c'est dans cette zone de responsabilité que se trouve le Preserver et le Protector. Toutes ces fonctions étaient réunies sur trois ou quatre navires. C'était là une conception proprement canadienne, qui a été reprise par presque toutes les autres marines occidentales aujourd'hui. Nous sommes peut-être en avance sur les autres, monsieur le sénateur.
Le président : Oui, mais avons-nous les moyens d'être en avance sur les autres? Nous étions peut-être en avance sur les autres par le passé. Vous pouvez faire valoir que nous étions en avance avec nos frégates, mais le fait est que nous avons payé 30 ou 40 p. cent de plus que ce qu'elles coûtaient. Personne n'a dit que c'était de mauvaises frégates, mais le fait est qu'elles ont tout simplement coûté trop cher. Elles ont coûté trop cher pour toutes sortes de raisons.
Vam Buck : Je peux vous assurer que le fait d'avoir deux classes de navire, par opposition à une seule, dépassera de beaucoup les ressources que nous engagerions ici.
Le président : Nous aimerions voir ces chiffres. Pouvez-vous nous fournir votre plan d'affaires ainsi que les comparaisons, s'il vous plaît?
Vam Buck : Je vous ferai parvenir ces informations, bien sûr.
Le sénateur Banks : Je vais revenir à ma première pensée, en partie à cause de ce qui a été dit aujourd'hui.
J'ai appris ces dernières années que la gestion d'une entreprise ne ressemble en rien à la gestion gouvernementale. Cependant, je m'irrite du fait que, dans les circonstances que vous nous avez décrites et que nous commençons tous à comprendre, je crois, personne ne défonce les portes en criant au meurtre parce que les choses qui doivent être faites, et tout le monde s'entend pour dire qu'elles doivent être faites — et le gouvernement est d'accord aussi —, ne se font pas. On voit ça tout le temps.
La plupart des Canadiens comprennent aujourd'hui que le gouvernement s'est engagé à ajouter 5 000 membres opérationnels aux Forces armées, et la plupart des Canadiens comprennent aussi, sachant ce qui a été dit, que cette mesure est maintenant en marche, qu'on fait des choses, que le processus est en place et qu'on peut s'attendre, dans un délai raisonnable, à ce que ces personnes soient au cœur de l'action que l'on attend d'elles.
En fait, ce n'est pas le cas. Je ne crois pas que les Canadiens comprennent bien que nous venons tout juste d'amorcer ce processus, et que peut-être d'ici cinq ans, nous aurons ces 5 000 nouveaux militaires. Ce n'est pas ce qu'on a dit aux Canadiens. Nous, au comité, dans une certaine mesure du moins, avons fait tout un tintamarre, mais nous n'avons pas la crédibilité des opérationnels, de ceux qui ont de l'expérience, qui sont dans les forces armées. Les gens qui ont quitté l'armée font leur tintamarre aussi, ils disent que c'est l'expérience qu'ils ont vécue lorsqu'ils étaient dans l'armée, et que ces irritations étaient les leurs aussi.
La première question que je vous ai posée portait sur la tension que je crois saine et importante et qui doit exister entre personnes, que ce soit dans le métier où j'étais, au théâtre, à la télévision, ou dans les Forces armées, à qui on confie une mission mais sans lui donner le temps, les ressources et l'infrastructure nécessaires pour s'en acquitter, et ce sont eux qui devraient faire aujourd'hui tout ce tintamarre. Le fait est que le gouvernement a confié des missions aux Forces canadiennes qui, tout le monde le sait je crois, excédaient de loin leurs capacités. Personne ne traite de cette question. Vous nous avez parlé d'un tableau où les besoins avaient causé un retranchement. Le sénateur Meighen y a également fait allusion. Nous l'avons vu. Nous nous sommes rendus dans ces bureaux opérationnels, et on nous a dit : « Nous ne pouvons pas former les nouvelles recrues parce que les seules personnes qui savent comment fonctionne cet équipement sont en Bosnie. »
La seule solution, c'est qu'une personne ayant la crédibilité voulue fasse tout un tintamarre et dise : « Il faut en finir avec ces pirouettes et cesser de dire qu'on obtiendra un jour le matériel mais qu'il faut attendre. » C'est comme faire des rénovations dans sa maison : on ne peut pas faire venir le poseur de tapis avant que le plombier soit passé. Le plombier vous dit pour sa part qu'il doit attendre une pièce. On finit par tourner en rond sans régler le problème. On dirait que je suis en train de faire un discours.
Le président : Oui, et votre question est?
Le sénateur Banks : Ma question est celle-ci : est-ce qu'il ne devrait pas y avoir quelqu'un qui occuperait, comme vous dites, un « poste supérieur » dans les Forces canadiennes et qui pourrait piquer une colère et dire : « Ça suffit. Si vous voulez nous confier ces missions, vous devez nous accorder davantage de ressources; vous devez en faire plus. » N'est-ce pas là le rôle de l'état-major?
Le vam Buck : La réponse à cette question dépend de la démocratie dans laquelle vous vivez. Si l'on prend le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, il y a des différences très importantes.
Au Canada, un officier supérieur des Forces canadiennes est bâillonné, comme le sont tous les autres employés de la fonction publique, dans la mesure où nous pouvons informer le gouvernement et tenons des pourparlers à l'interne, mais nous ne pouvons pas réclamer quoi que ce soit. Il s'agit alors pour ces personnes de décider si elles veulent changer de rôle et de savoir dans quelle mesure elles obtiendront les résultats.
Au Royaume-Uni, c'est un cadre légèrement différent où les officiers supérieurs sont tenus, de temps à autre, de débattre avec le gouvernement. Aux États-Unis, dans certains cas précis, la loi oblige les officiers supérieurs à faire cela. Le Canada est différent.
Le sénateur Banks : Dans le même ordre d'idées, dois-je comprendre que l'état-major des Forces canadiennes n'a pas liberté de parole?
Le vam Buck : Il y a des limites à ce que nous pouvons dire publiquement.
Le sénateur Banks : Vous ne pouvez pas exprimer votre désaccord avec le gouvernement?
Le vam Buck : Je n'ai pas pour fonction de réclamer des choses publiquement; mon rôle consiste à expliquer la politique gouvernementale à l'interne, suite aux discussions avec le gouvernement. Il est évident que nous discutons.
Le sénateur Banks : Si vous n'étiez pas d'accord avec une approche ou une politique gouvernementale, le diriez- vous?
Le vam Buck : Ce n'est pas à moi de débattre des politiques gouvernementales avec le gouvernement.
Le président : À qui le Parlement peut-il demander des conseils professionnels sur des questions d'ordre militaire?
Le vam Buck : Dans les prochains mois, une fois que l'énoncé de politique, qui comprend un volet défense, sera établi, les Forces canadiennes feront leur part en vous donnant les informations dont vous aurez besoin pour juger du mérite de diverses solutions. En bout de ligne, il faut qu'on sache clairement quelle forme devraient prendre les Forces canadiennes. En d'autres termes, il faut qu'on définisse la nature et le nombre des effectifs qu'on veut avoir. Sans le savoir, il est impossible de répondre clairement à vos questions.
Le sénateur Banks : Une augmentation de 5 000 militaires ne sera pas suffisante. Nous l'avons d'ailleurs déjà dit dans notre rapport. Je vais répéter la question qu'a posée le président : si vous n'êtes pas en mesure de le faire alors qui peut nous expliquer pourquoi cette intégration ne peut pas se faire rapidement? Nous pensons qu'elle ne devrait pas prendre cinq ans.
Dites-moi, les crédits ont-ils été adoptés par le Parlement? À votre connaissance, le gouvernement a-t-il proposé le financement nécessaire pour respecter ses engagements?
Le vam Buck : Le gouvernement a annoncé ses intentions. Par contre, il n'a pas dit qu'il mettrait en œuvre ses intentions.
Le sénateur Banks : Les forces armées pourraient-elles recourir, par exemple, au Budget supplémentaire des dépenses pour effectuer ces améliorations?
Le vam Buck : Étant donné l'étape du cycle financier à laquelle nous nous trouvons, il faudra passer par le budget pour concrétiser les intentions.
Le sénateur Banks : On peut donc s'attendre à ce que les Forces canadiennes passent par un budget supplémentaire?
Le vam Buck : Ce ne sera pas par un budget supplémentaire, mais plutôt par le Budget principal des dépenses. Nous avons expliqué clairement aux autorités le niveau et la nature du financement que demande l'intégration de 5 000 recrues.
Le sénateur Banks : Pensez-vous que ces montants figureront dans le budget qui sera déposé prochainement?
Le vam Buck : Je n'en sais rien.
Le sénateur Munson : Une question, rapidement. J'aime votre façon de vous exprimer : « Les attentes doivent être claires ». Quand, au plus tard, ces attentes claires doivent-elles être formulées? Vous avez dit que vous pourriez prendre les décisions à l'interne.
Le vam Buck : J'ose espérer qu'au cours des prochains mois il y aura un énoncé de politique internationale, comprenant un volet défense, qui sera déposé et dont les comités parlementaires seront saisis. Ça nous permettrait de lancer notre processus d'augmentation des effectifs par le biais du budget.
Le sénateur Munson : Pour que les attentes soient bien claires, idéalement, quand les premières recrues seraient-elles embauchées?
Le vam Buck : Aussitôt que possible.
Le sénateur Munson : Les alliés quittent Goose Bay. Que savez-vous sur la fermeture de bases? Étant donné le départ des alliés, comment allons-nous pouvoir assurer la pérennité des bases?
Le vam Buck : Pour ce qui est de Goose Bay, nous négocions à l'heure actuelle avec divers alliés l'exploitation de cette base.
Plusieurs facteurs expliquent les décisions qui ont été prises relativement à notre présence partout au pays : l'actuelle structure d'une base ou d'une escadrille est-elle toujours utile permet-elle de créer les capacités opérationnelles nécessaires. Certaines de ces capacités opérationnelles ont en fait trait aux enjeux liés à la sécurité nationale.
Ensuite, il faut savoir dans quelle mesure le gouvernement désire et a besoin que les Forces canadiennes assurent une certaine présence à l'échelle du pays. Cet équilibre est toujours difficile à atteindre. Dans le cadre de l'examen de la politique de défense, il faudrait qu'il y ait des éléments qui nous permettent de nous aligner sur la nouvelle politique.
Le sénateur Munson : Est-il possible qu'on ferme la base Goose Bay?
Vam Buck : Théoriquement parlant, n'importe quelle base pourrait être fermée. De nouvelles bases pourraient également être ouvertes.
Le sénateur Munson : Peut-on dire que la base de Goose Bay a de plus fortes chances d'être fermée que d'autres?
Vam Buck : Il faudra qu'on juge de l'utilité de cette base par rapport aux autres. C'est notamment la mesure dans laquelle elle continuera d'être utilisée comme centre d'entraînement au pilotage qui déterminera son utilité.
Le sénateur Munson : Même si les alliés quittent Goose Bay, devrions-nous, pour notre part, y rester afin d'asseoir notre souveraineté?
Le vam Buck : Ce genre de questions devrait être discuté dans le cadre de l'examen des politiques.
Le président : Avez-vous bien dit, amiral, qu'il faut prendre en compte d'une part l'utilité des bases, et, d'autre part, le désir du gouvernement d'assurer une certaine séparation des activités à l'échelle du pays?
Le vam Buck : Les forces armées doivent assurer une présence adéquate à l'échelle du pays, c'est un équilibre qui est difficile à atteindre et qui n'a rien à voir avec une exigence gouvernementale; il s'agit plutôt d'un besoin de visibilité.
Permettez-moi de vous donner un exemple de la marine. La marine a des divisions maritimes un peu partout au pays justement parce qu'elle n'est pas très visible aux yeux des Canadiens, qui ont du mal à comprendre ses activités. Cette présence leur permet au moins de les comprendre un peu mieux. Dans une certaine mesure, cela s'applique aux autres corps de l'armée.
Le président : Évaluez-vous l'utilité de ces bases de façon régulière?
Vam Buck : Quand il y a des choses nouvelles. Par exemple, avec l'arrivée des nouveaux hélicoptères maritimes nous avons changé les fonctions de nos infrastructures. L'évaluation se fait donc de façon régulière mais pas selon un cycle défini annuellement.
Le président : Est-ce que vous avez un classement des différentes bases des Forces canadiennes en fonction de leur utilité?
Vam Buck : À ma connaissance non.
Le président : Est-ce que ça pourrait se faire?
Vam Buck : Pour nous, je ne pense pas que ce serait particulièrement utile parce qu'en général les décisions ne sont pas prises unilatéralement par les Forces canadiennes. Elles sont prises par le gouvernement.
Le président : Ça se conçoit, tout comme le fait que vous voulez éviter les rapprochements avec les hommes politiques fédéraux. Cela dit, comment pouvons-nous faire la différence entre une proposition qui serait importante du point de vue militaire et une qui favoriserait le développement économique et régional ou encore qui serait soutenue par un ministre exerçant beaucoup d'influence au sein du Cabinet? Comment sommes-nous censés véritablement savoir ce dont ont besoin les forces armées si vous ne nous donnez pas cette liste?
Vam Buck : Ce sera l'énoncé de politique internationale et, plus précisément, le volet défense, ainsi que les délibérations des comités parlementaires qui vous permettront de déterminer quels sont les besoins exacts.
Le président : Eh bien, nous sommes en comité parlementaire et nous vous posons justement la question.
Vam Buck : Nous ne sommes pas seuls à décider ce qui devrait et ne devrait pas se faire.
Le président : D'accord. Notre question est simple. Pour les Forces canadiennes, quelle est l'utilité militaire des diverses bases?
Vam Buck : Je ne pourrais pas vous répondre car nous ne connaissons pas les intentions finales du gouvernement quant à la nature des capacités des forces armées, ici et à l'étranger.
Le président : Nous allons persister, vice-amiral.
Le sénateur Day : Vous avez dit qu'on devait accorder plus d'importance aux approches concernant la marine et la force aérienne. Dans notre dernier rapport, nous avons fait des observations sur le radar haute fréquence à ondes de surface. De plus, nous avons lu des articles sur les tests opérationnels de véhicules aériens sans pilote en Afghanistan. Est-ce que les forces armées ont l'intention de se doter de ce type d'équipement dans l'avenir?
Le vam Buck : Premièrement, en ce qui concerne le radar haute fréquence à ondes de surface, les deux systèmes existants viennent d'être homologués pour les opérations. Le gouvernement a annoncé qu'il avait l'intention d'élargir la couverture de ces radars en couvrant ce que j'appellerais les « points d'étranglement », l'Atlantique et le Pacifique. Ces ressources ont été débloquées et le processus d'approbation est en cours pour mettre en place cette capacité.
En ce qui concerne les véhicules aériens sans pilote, au niveau tactique nous avons utilisé un système en Afghanistan que l'armée a rapatrié au Canada. Il faut cependant comprendre qu'il existe tout un éventail d'UAV. Récemment, l'été dernier en fait, nous avons fait une expérience à grande échelle dans l'Atlantique de ce qu'on appelle un « UAV », qui a fait énormément de travail de surveillance des océans et des côtes. En fin de compte, pour ce qui est de la surveillance du Canada et des opérations de déploiement, nous souhaiterions avoir un dispositif qui nous permettra d'assurer les services de surveillance les plus rentables. Cela inclura l'avion de patrouille maritime Aurora, qui nous donne non seulement une capacité de surveillance mais aussi une capacité de patrouille, qui est un autre élément.
En bref, oui, nous tenons compte de cela dans notre planification en vue de moderniser et de transformer la force pour l'avenir. Toutefois, comme tout le reste, l'éventail des capacités dépendra de l'exposé de politique et des ressources qui seront finalement débloquées.
Le sénateur Day : Dans combien de temps l'UAV sera-t-il opérationnel, ou en est-il encore au stade expérimental?
Le vam Buck : Le système que l'armée utilise a dépassé le stade expérimental. Il fait partie de notre ordre de bataille et nous continuerons à l'utiliser dans nos opérations futures. Toutefois, plus généralement, nous sortons du stade de l'expérimentation pour en arriver à déterminer les dispositifs qui seront les mieux adaptés à tel ou tel objectif, et ensuite nous essaierons de déterminer leur priorité en fonction des ressources disponibles.
Le sénateur Day : Les deux radars haute fréquence à ondes de surface sont-ils opérationnels maintenant à Terre- Neuve? Est-ce qu'ils transmettent des informations au bureau opérationnel de Halifax?
Le vam Buck : Oui.
Le sénateur Day : Si vous aviez le financement nécessaire, la côte Ouest et les autres emplacements pourraient-ils devenir opérationnels?
Le vam Buck : Les crédits ont été débloqués mais la procédure d'approbation n'est pas tout à fait terminée. Nous allons élargir le dispositif très prochainement.
Le sénateur Day : Puisque les crédits ont été débloqués, quelle approbation finale vous faut-il?
Le vam Buck : Il faut que ce soit approuvé finalement par le Conseil du Trésor.
Le sénateur Day : Mais le Conseil du Trésor a débloqué les crédits, donc il n'a plus qu'à signer le chèque?
Le vam Buck : Oui, mais il y a toute une procédure.
Le sénateur Day : Et cela prend longtemps?
Le vam Buck : Cela dépend de la charge de travail du Conseil du Trésor.
Le sénateur Day : On parle d'années ou de semaines?
Le vam Buck : Plusieurs mois.
Le sénateur Day : Une fois que les crédits ont été débloqués, qu'on a établi les priorités et que l'équipement est prêt, il faut encore plusieurs mois au Conseil du Trésor pour signer le chèque? C'est bien cela?
Le vam Buck : Il y a un travail à l'interne pour vérifier que la documentation contractuelle est complète et que toutes les autres conditions de fonctionnement dans le contexte du secteur public sont réunies afin de pouvoir prouver qu'il s'agit d'une utilisation légitime de l'argent des contribuables.
Le sénateur Day : Vous n'avez que deux dispositifs fonctionnels.
Le vam Buck : Oui.
Le sénateur Day : On nous a beaucoup parlé depuis quelque temps du recrutement dans les Forces canadiennes. Avez-vous envisagé une autre façon d'assurer le service — une sous-traitance du recrutement qui vous permettrait de remédier à toutes les plaintes qu'on entend depuis plusieurs années?
Le vam Buck : Il en est question depuis un certain nombre d'années, mais nous ne l'avons évidemment pas fait principalement parce qu'il y a quelques aspects clés du processus qui doivent de toute façon rester la prérogative du gouvernement. Dans certains cas, ce sont ces aspects qui posent problème, notamment la question des cotes de sécurité. Il n'est pas question de sous-traiter l'évaluation des cotes de sécurité.
Le sénateur Day : Autrefois, les visites médicales se faisaient à l'interne, et maintenant elles se font à l'extérieur, dans le cadre du processus de recrutement. La détermination de la cote de sécurité doit se faire en même temps.
Le vam Buck : Oui, mais c'est un élément clé.
Le sénateur Day : Je comprends, mais le SCRS ou la GRC pourraient faire cette évaluation de sécurité une fois que le recrutement et les contrôles de base seraient terminés.
Le vam Buck : Dans certains cas, nous utilisons les capacités de cette façon-là. Le vrai défi, c'est de faire sauter les obstacles artificiels. En particulier, on a parlé tout à l'heure de la difficulté qu'avaient les réservistes de passer dans la force régulière.
Le sénateur Day : Oui.
Le vam Buck : Encore une fois, ce sont des problèmes internes. Ce qui est important aussi, dans le recrutement, c'est « l'élément d'attraction ». J'entends par cela la personne qui fait le recrutement. Il vaut beaucoup mieux que cette personne ait une expérience opérationnelle et soit crédible quand elle explique en quoi consiste les Forces canadiennes à de jeunes hommes et de jeunes femmes.
Le sénateur Day : On nous a dit qu'on chargeait souvent des membres opérationnels des Forces canadiennes de ce rôle de recrutement même s'ils ne voulaient pas le faire. Ils estiment que cela ne contribue pas à leur progression de carrière et ce manque de motivation se traduit dans le travail qu'ils font.
C'est pour cela que je vous suggère de revoir cette situation si vous envisagez de recruter au moins 8 000 nouvelles recrues une fois que vous aurez le financement.
Le vam Buck : Votre remarque à propos d'individus qui ne sont pas intéressés par des activités de recrutement est intéressante. C'est toujours un défi car, malheureusement, certains individus pensent que ce genre d'emploi risque de nuire à leur progression de carrière. Nous avons essayé de leur démontrer, par des évaluations, que ce n'était pas le cas. Le défi, c'est de trouver des gens extrêmement motivés qui vont savoir expliquer parfaitement aux jeunes qui se présentent en quoi consistent les Forces canadiennes.
Le sénateur Forrestall : Le plan interarmées de soutien prévoit-il une capacité renforcée sur la glace pour au moins un des éléments?
Le vam Buck : Il prévoit une capacité sur la glace pour la première année pour tous les navires de la classe.
Le sénateur Forrestall : Pouvez-vous nous décrire cette classe?
Le vam Buck : Disons qu'ils doivent pouvoir franchir 0,7 mètre de glace fraîche.
Le sénateur Forrestall : Environ deux pieds. Je songe à notre souveraineté et si nous avions le temps, j'aimerais bien vous demander de nous parler un peu de la possibilité de régénérer le Polar 8 ou une version du Polar 8, ou l'un des navires de soutien pour pouvoir disposer d'une capacité toute l'année dans le Nord.
Le président : Merci, vice-amiral Buck, d'être venu nous rencontrer. Nous espérons vous revoir de nouveau avant de terminer notre examen. Nous vous sommes reconnaissants des informations que vous avez communiquées au comité ou que vous vous êtes engagé à nous transmettre plus tard.
Le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario, s'est joint à nous. Il est avocat et membre du barreau du Haut-Canada et du barreau du Québec. Il est actuellement président de notre Sous-comité des affaires des anciens combattants et aussi membre du Comité permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Notre témoin suivant ce matin est le major-général (à la retraite) Lewis Mackenzie. Le général Mackenzie est chercheur universitaire à l'Institut canadien des études stratégiques. Pendant 33 ans, il a servi dans les Forces canadiennes et il a pris sa retraite en 1993. Cet ancien commandant militaire est connu pour son travail dans le maintien de la paix, car il a servi à l'occasion de neuf missions en Égypte, à Chypre, au Vietnam, en Amérique centrale et dans l'ex-Yougoslavie.
Le major-général Mackenzie est aussi l'auteur d'un livre très respecté publié en 1993 et intitulé Peacekeeper : The Road to Sarajevo, dans lequel il raconte les expériences qu'il a vécues au cours de missions de maintien de la paix à travers le monde.
Bienvenu au comité, major-général Mackenzie.
Le major-général (à la retraite) Lewis Mackenzie, témoignage à titre personnel : Je dois dire, monsieur le président, que j'ai apprécié de vous voir passer la sécurité toutes les deux heures à CBC Newsworld depuis 24 heures. D'autre part, puisque j'ai comparu plusieurs fois à des comités du Sénat américain, je sais que les témoins là-bas sont placés en contrebas et en position d'infériorité par rapport aux sénateurs. Or ici, je crois que je suis assis un peu plus haut que vous, et je vous remercie de cette disposition très canadienne.
Comme j'étais très mécontent de ne pas avoir le livre blanc que nous avaient promis M. Manley, M. Eggleton, M. Axworthy et les premiers ministres Chrétien et Martin — et il n'en est plus question maintenant — je me suis décidé un dimanche après-midi à rédiger le mien. Le premier, écrit en 1994, faisait 50 pages et contenait 26 000 mots. J'ai enlevé les éléments de remplissage et le mien ne fait que 700 mots; il ne vous faudra donc pas beaucoup de temps pour le lire.
Le Livre blanc de 2005 sur la défense part du principe que le premier ministre Martin prend au sérieux sa doctrine de la « responsabilité de protéger ». Je l'approuve tout à fait. Le deuxième et dernier principe, c'est que le crédit dont jouit le Canada sur l'échiquier international est proportionnel aux risques des tâches militaires qu'il entreprend.
Le contexte international a changé. Les opérations de maintien de la paix telles que les conçoivent la majorité des Canadiens ont disparu. Tant que les nations éviteront la guerre, ce qui est la tendance actuelle, les menaces pour la paix mondiale proviendront des terroristes, des crapules, des seigneurs de la guerre et de certaines nations faciles à identifier qui veulent absolument fabriquer des armes nucléaires.
Étant donné que le processus de décision du conseil de sécurité des Nations Unies ne fonctionne pas et a échoué lamentablement depuis une dizaine d'années à cause de conflits d'intérêts mesquins, le Canada ferait mieux de participer à des organisations internationales telles que l'OTAN, l'OSCE, l'Union européenne, l'OEA, le G8 et le G20 — ou plus exactement le L20, comme l'a dit le premier ministre — ainsi que d'autres coalitions du même genre pour contribuer à la paix et à la sécurité. Cela n'empêchera pas le Canada de participer à des missions de l'ONU à condition que le gouvernement du Canada les juge méritoires.
Pour ce qui est des considérations sur le plan intérieur, le Canada est sur la liste des cibles des terroristes. La sécurité nord-américaine préoccupe les États-Unis au plus haut point, et nous devons contribuer sérieusement aux nouvelles initiatives de sécurité pour protéger notre souveraineté. Sinon, nous nous reléguerons à un simple statut de spectateur pendant que Washington prendra des décisions qui influeront sur notre avenir pendant des décennies.
Pour ce qui est de la structure de la force, les Forces canadiennes doivent immédiatement entamer une restructuration qui leur permettra d'être stratégiquement mobiles et capables de participer auprès de nations aux vues similaires à des opérations pouvant aller jusqu'au combat en mer, sur terre et dans les airs.
Sur le front intérieur, il faudra élargir les réserves, notamment dans des provinces comme la Colombie-Britannique et la Saskatchewan où la présence de l'armée régulière est très ténue, afin de pouvoir répondre au moyen d'une chaîne de commandement rationalisée aux demandes des premiers ministres provinciaux en cas de crise naturelle ou autre.
D'ici un an, la marine prendra livraison de deux navires d'assaut de classe San Antonio capables chacun de transporter un groupement tactique de 800 à 1 000 soldats avec leurs véhicules, le soutien logistique et médical et les hélicoptères d'appui. Pour éviter le délai de production de 10 ans, ces navires seront loués des États-Unis.
Un dispositif de mise en place d'une force amphibie sera créé à la BFC Shearwater. Le démantèlement et la vente de ces installations inestimables seront immédiatement interrompus. Un second site sera créé en temps utile sur la côte Ouest.
Deux des contre-torpilleurs de la marine seront remplacés et la flotte actuelle de frégates sera maintenue avec les quatre sous-marins de classe Upholder. Cette structure nous garantira une interopérabilité avec nos alliés et nous permettra d'assurer la sécurité des bâtiments d'assaut quand ils seront en action.
Le plan qui prévoit l'achat de trois navires de soutien destinés à appuyer la marine lors des opérations et qui doivent être livrés dans 10 ans sera ramené à deux navires qui seront opérationnels dans cinq ans.
Les effectifs de l'armée seront renforcés, et le niveau de dotation de toutes les unités sera porté à 110 p. 100 de ce qu'il est. Les unités ne nécessiteront pas d'augmentation avant d'être déployées. Des unités équilibrées avec des structures ayant fait leurs preuves se déploieront lors des opérations, et non des organisations temporaires spécifiquement conçues pour une mission, comme c'est le cas actuellement.
L'armée convertira une de ses trois brigades actuelles en force d'intervention rapide avec trois groupements tactiques équilibrés. Deux seront organisés, équipés et entraînés pour le déploiement en mer, et le troisième pour une intervention aérienne avec capacité de parachutage et d'atterrissage. Les deux autres brigades feront un roulement entre la formation et le renforcement de la force d'intervention rapide et des tâches de sécurité intérieure.
L'armée de l'air continuera sa modernisation de sa flotte de F-18 et le remplacement de son stock d'armes intelligentes. La flotte de transport tactique de C-130 sera remplacée, en tenant compte des exigences de transport aérien et d'atterrissage de la force d'intervention rapide. Les capacités de la flotte d'avions de patrouille maritime seront maintenues. On poursuivra les négociations avec les compagnies aériennes commerciales pour fournir aux forces canadiennes un transport stratégique en cas de besoin.
Le quartier général de la Défense nationale sera restructuré et scindé. La majorité des effectifs civils et militaires seront séparés, à l'exception d'un très petit contingent au ministère de la Défense nationale. Les autres membres du personnel civils relèveront du sous-ministre de la Défense nationale. Le personnel militaire créera un quartier général opérationnel mixte des Forces canadiennes. Globalement, l'effectif civil et militaire sera réduit de 50 p. 100 d'ici janvier 2006. Lors de cet exercice, les tâches et fonctions ne seront pas réaffectées à l'extérieur d'Ottawa. Les titulaires des 3 000 postes libérés seront réaffectés à des unités opérationnelles.
Pour ce qui est du financement, le gouvernement s'engage à assurer un financement garanti et à long terme pour cette vaste restructuration et réorientation des Forces canadiennes. Les montants précis seront annoncés quand les prévisions budgétaires auront été faites. Les subventions tenant lieu d'impôt, les pensions militaires et les programmes spécifiés par le gouvernement, par exemple, l'enseignement bilingue et la sensibilisation à l'égalité des sexes, seront maintenus; toutefois, cet argent ne sortira pas des caisses du MDN, ce qui libérera environ 3 milliards de dollars supplémentaires pour les opérations et l'équipement.
En conclusion, cette réorganisation et cette réorientation des Forces canadiennes nous permettra de renforcer la sécurité nord-américaine et permettra au Canada de jouer un rôle plus solide dans la recherche de la paix et de la sécurité internationale. En tant que porte-étendard de la doctrine de la « responsabilité de protéger », le Canada ira de l'avant au lieu d'être timoré.
Le sénateur Munson : Vous avez entendu le précédent témoin, le vice-amiral Buck, parler de clarté des attentes. Encore une fois, j'adore cette expression. Vous avez probablement connu cela, vous aussi, quand vous étiez dans l'armée. Il nous a aussi dit qu'il faudrait cinq ans pour intégrer ces 5 000 nouvelles recrues plus les 3 000 réservistes. Est-ce que cela vous a étonné dans le contexte du corps expéditionnaire interarmées dont vous nous parliez au printemps dernier?
M. Mackenzie : Je suis déçu que cela prenne si longtemps. Toutefois, l'excuse selon laquelle tout le monde est à l'étranger ne tient plus. Le premier ministre a dit il y a deux jours sur CNN que nous ne pouvions pas nous déployer en Irak. Il ne s'est pas appuyé sur l'argument moral ou éthique en disant que nous fonctionnions déjà au-delà des limites de nos capacités. Ce n'est pas vrai. Nous avons plus de 1 000 personnes à l'étranger. Nous avons reculé. Nous sommes en phase de régénération et de reformation. Nous avons un modeste contingent en Afghanistan, auquel on pourrait ajouter une équipe de reconstruction provinciale. Nous nous sommes retirés de la Bosnie et de Chypre. Le premier ministre a dit que nous étions présents à Haïti. Toutefois, il s'agit là d'officiers de police et non pas de militaires.
Je ne critique nullement cette justification. Simplement, si on ne veut pas aller en Irak, il faut avoir le courage de le dire. Nous ne voulons pas participer à cette guerre, nous ne voulons pas participer au maintien de la paix. Nous pouvons former des gens en Jordanie pour qu'ils aillent plus tard en Irak. Mais ne disons pas que nous manquons de personnel. Nous avons 55 000 militaires.
J'aurais tendance à être d'accord avec vos chiffres plutôt qu'avec le chiffre de 5 000. Je pense que ce chiffre a été inventé de toutes pièces, selon ce que m'ont dit pendant la campagne mes amis qui ne sont pas bien haut placés au ministère de la Défense. Ces 5 000 recrues devraient être intégrées aux unités existantes afin que ces dernières atteignent leur force opérationnelle. On a donc prévu à leur intention des lits, des casernes, un lieu pour leur entraînement qui, j'espère, sera plus rapide que cela.
Le sénateur Munson : Depuis votre dernière comparution, avez-vous constaté que le gouvernement s'est attelé à la tâche, ou estimez-vous qu'il est dans un état d'inertie?
M. Mackenzie : J'ai travaillé avec certains des comités qui participent à l'examen en cours. J'ai l'impression qu'on ne fait pas grand chose, sauf si ce n'est de chercher de ramener les militaires au pays, de reconstituer les troupes et de les soumettre à un entraînement collectif. Comme on le verra en répondant à certaines de vos questions, notre problème, c'est que nous n'avons pas d'unités que l'on peut envoyer à l'étranger. Cette formule « prêt à utiliser » qui consiste à réunir d'importants éléments et à créer des organisations spécifiques à une mission n'est absolument pas la bonne car la seule chose dont on peut être certain, c'est que la mission changera dès qu'on arrivera là-bas.
Vous vous rappelez sans doute que, lorsqu'on nous a demandé d'aider à surveiller les élections en Afghanistan, le porte-parole du MDN a déclaré que nous n'avions pas de personnel formé pour assurer ce type de sécurité. À l'époque, là-bas, c'était les Van Doos qui étaient les mieux entraînés pour ce genre de mission. La raison pour laquelle nous ne pouvions remplir cette fonction, c'est que nous avions structuré cette organisation sans son bataillon de services. Nous lui avons donné un élément de logistique civile qui avait un cordon ombilical de 20 kilomètres de long. Ils étaient donc pris à Kaboul et ne pouvaient partir séance tenante pour surveiller les élections à 200 kilomètres de là. Les troupes n'étaient pas entraînées pour cela. Elles étaient structurées pour une mission spécifique, ce qui, à mon avis, ne devrait jamais être le cas lorsqu'on va à l'étranger. Nous avons des structures qui ont fait leurs preuves pour les organisations dans les trois services. Il ne faut pas les perturber parce qu'elles ont de la souplesse.
Le sénateur Munson : En parlant de l'Afghanistan, la semaine dernière le général Leslie a dit que l'Ouest devra rester en Afghanistan pendant 20 ans. Il s'est adressé à notre comité à Kingston. Notre pays est-il prêt? Avons-nous ce qu'il faut pour participer à ce processus au cours des 20 prochaines années en Afghanistan?
M. Mackenzie : C'est là une décision tout à fait politique. La mission de Chypre a été pacifique de 1964 à notre départ en 1993, sauf pour une période de six mois. Si nous restons, c'est là une décision tout à fait politique. À Chypre, lorsque je m'y trouvais en 1965, nous avons commencé avec environ 900 troupes; lorsque j'y suis retourné en 1971, il y en avait environ 700; lorsque je commandais en 1978, il y en avait environ 600. La force a graduellement diminué. Au fait, il y a toujours une personne là-bas, parce que notre drapeau se trouve toujours sur la diapositive des Nations Unies, mais nous avons un officier au quartier général à Nicosie.
Le sénateur Munson : Je n'ai pas vu votre déclaration sur les programmes de sensibilité et de bilinguisme, 3 milliards de dollars? C'est beaucoup d'argent.
M. Mackenzie : Les programmes gouvernementaux sont importants. Il peut s'agir de programmes de harcèlement sexuel, de sensibilité, de bilinguisme; toutes subventions tenant lieu d'impôts représente un gros montant de la facture. Ma pension et sans doute 40 000 ou 50 000 autres pensions qui sont versées sont toutes prélevées sur le budget de la défense. Il reste donc moins de la moitié du budget de 13 milliards de dollars pour administrer l'armée, la marine, la force aérienne et le quartier général.
Le sénateur Munson : Que laissez-vous entendre?
M. Mackenzie : Vous êtes les spécialistes, mais je dis que cela devrait être prélevé sur les recettes générales ou autres, mais pas sur le budget du MDN. Il s'agit d' environ 3 milliards de dollars.
Le sénateur Meighen : J'ai une question complémentaire à celle que vous a posée le sénateur Munson et votre réponse à la déclaration du premier ministre. Si j'ai bien compris, vous avez dit que oui, nous avons les troupes si le premier ministre et les dirigeants politiques décident que nous devrions aller en Irak. Ces troupes ne sont-elles pas épuisées?
Notre comité, comme vous le savez bien, a recommandé de ralentir le rythme opérationnel, de ramener les troupes au pays pour qu'elles se reposent et qu'elles s'entraînent et, sûrement, cela pourrait justifier que l'on ne devrait pas se précipiter d'aller en Irak — où nulle part ailleurs, en fait — avant au moins quelques mois.
M. Mackenzie : Devoir, pouvoir; ce sont des interprétations intéressantes. Le fait est que lorsque nous avons envoyé 700 troupes de mon régiment, le Princess Patricia's Canadian Light Infantry, en Afghanistan avec la coalition dirigée par les Américains pour aller à Kandahar, on nous a dit six mois plus tard qu'elles devaient revenir au pays car nous n'avions personne pour les remplacer. Quelques mois plus tard, le premier ministre a déclaré à la Chambre que nous ne pouvions aller en Irak car nous nous apprêtions à envoyer 2 000 troupes en Afghanistan. Ne pensez-vous pas que tous les soldats n'ont pas compris ce qu'il voulait faire?
Si vous prenez des décisions politiques, alors prenez des décisions politiques. Ne les déguisez pas en blâmant les militaires, ou en disant que nous ne sommes pas assez nombreux sur le terrain. Si nous voulions envoyer une unité — que nous n'avons pas, soit dit en passant, il faudrait malheureusement en concocter une — ou si nous voulions créer un groupe tactique de 800 personnes pour l'envoyer en Irak, nous pourrions certes le faire. Il nous faudrait quelques mois pour noliser les navires, il nous faudrait trouver un aéronef ukrainien, et il commence à en manquer, mais il y a moyen de le faire.
Personnellement, je ne pense pas qu'on ait donné pour excuse le fait que c'était par souci de compassion pour les forces canadiennes qu'on ne voulait pas surmener.
Le sénateur Meighen : On ne l'a pas laissé entendre non plus.
M. Mackenzie : Non, mais je ne pense pas que ce soit là la raison. La raison, c'est que nous ne voulons pas aller en Irak avec une unité d'armée. Il faut le dire.
Le sénateur Meighen : Que pensez-vous? Qu'il faudrait regrouper, réentraîner, réorganiser, engager les 5 000 recrues, avant de nous éparpiller tous azimuts en même temps?
M. Mackenzie : Je me rappelle avoir rédigé un article à ce sujet lorsque votre rapport très respecté a été publié. Je regrette mais on ne peut pas faire une pause comme cela; on ne peut pas se retirer de tout. Je ne pense pas que pour faire notre part sur le plan international, une petite contribution en Afghanistan soit suffisante.
Le sénateur Meighen : Je terminerai sur cette note : je pense que nous le savions très bien lorsqu'on a suggéré — 18 mois, était-ce, ou deux ans?
M. Mackenzie : Deux ou trois ans.
Le sénateur Meighen : ...qu'un répit total des opérations était peut-être un peu exagéré, mais nous voulions bien nous faire comprendre, et je pense que nous avons réussi car, comme vous le dites, la plupart de nos forces sont maintenant rentrées au pays. La seule chose que je vous dirais, c'est qu'elles ont peut-être encore besoin d'une période de repos et d'un nouvel entraînement.
M. Mackenzie : Oui. Je ne suis certainement pas d'accord avec le terme « repos », parce que ce n'est pas du repos. On les ramène ici pour les former individuellement et collectivement et, franchement, malgré les longues journées qu'ils font dans certaines de ces régions et ces déploiements, il est plus reposant d'être là-bas qu'ici parce qu'ils se font constamment ballotter lorsqu'ils reviennent, et c'est encore plus vrai s'ils sont proches d'Ottawa.
Le sénateur Atkins : À titre d'éclaircissement, le gouvernement vient d'annoncer l'achat d'hélicoptères. Cet achat sera-t-il prélevé sur le budget de 13,5 milliards de dollars?
M. Mackenzie : Je crois comprendre que cette somme doit provenir du budget de la défense.
Le sénateur Atkins : Au cours d'une certaine période?
M. Mackenzie : Absolument.
Je dois dire que, comme bien des gens qui exercent l'ancienne profession du sénateur Munson, j'avais l'impression d'avoir été trompé jusqu'à au moins une semaine suivant la nouvelle de l'accident du sous-marin. J'étais encore debout devant les médias, et je disais que la marine avait obtenu ces navires gratuitement. Je croyais comprendre qu'on les avait obtenus en échange de l'utilisation par les Britanniques des zones d'entraînement dans le sud et dans le nord de l'Alberta à Suffield, Wainwright et à Goose Bay, et que les montants originaux versés par les Britanniques à titre de frais de location avaient été versés dans le Trésor public, non pas dans le budget du ministère de la Défense. Par conséquent, puisque le ministère de la Défense doit maintenant payer comptant pour ces sous-marins, c'est un coup dur pour son budget.
J'expliquais honnêtement à la population canadienne, car c'est ce qu'on m'avait dit, qu'en fait cette transaction était en échange des droits d'entraînement, de sorte que pour les militaires, ces sous-marins étaient gratuits. Il y a des coûts liés à l'entraînement, et cetera, mais les sous-marins comme tels étaient gratuits pour la défense. Ce n'est pas le cas cependant. Je ne sais pas où ils se seraient situés sur la liste de priorités, au-dessus ou en dessous de la limite de ce que pouvait se permettre le ministère de la Défense, mais on se le demande.
Le sénateur Forrestall : Monsieur Mackenzie, depuis quand êtes-vous à la retraite?
M. Mackenzie : Depuis maintenant environ 11 ans.
Le sénateur Forrestall : Merci de nous avoir parlé de Shearwater et de la création d'un centre pour s'occuper de ces activités. Je voudrais parler de ces navires de ravitaillement et vous demander, à titre de commandant des Forces canadiennes lors de nombreuses missions à l'étranger, tout d'abord, avez-vous déjà été ravitaillé par un de ces navires?
M. Mackenzie : Non, jamais.
Le sénateur Forrestall : Est-ce que votre unité en a déjà eu besoin?
M. Mackenzie : Oui, nous aurions pu certes en utiliser un. Si je peux parler du système de surveillance conjointe, on l'a souvent décrit comme un navire qui appuierait non seulement la marine en mer — ce qui serait sa première responsabilité, réapprovisionner un navire en mer — mais également comme un navire qui transporterait l'équipement de l'armée. On m'a enseigné lorsque j'avais 20 ans et que j'étais second lieutenant qu'au cours d'un exercice en hiver on ne se sépare jamais de son sac à dos et de ses raquettes à neige. Lorsqu'on envoie l'équipement de l'armée par navire dans un théâtre opérationnel, et que l'on s'y rend peut-être en avion, il y a un problème. En d'autres termes, si cela est possible, il faut garder les soldats et leur équipement ensemble, et c'est ce que je dis pour ce qui est du navire d'assaut, un navire de type San Antonio.
Par ailleurs, on a dit que ce type de navire transportera des troupes, mais pas des troupes de combat. Il transportera le personnel médical, qui est très important. Il transportera les pilotes d'hélicoptères et les spécialistes de la maintenance de ces derniers. Les 250 lits seront tous occupés. Ce navire ne transportera pas des troupes opérationnelles. Il y en aura peut-être quelques-unes à bord pour vérifier l'équipement, mais ce navire ne transporte pas des troupes comme telles.
Je suis d'avis qu'on ne combine pas les deux et peut-être les trois caractéristiques en un seul navire. Il y a de meilleures façons de s'y prendre. Si l'argent était un problème, alors je pense que cela aurait dû être le contraire; je pense qu'il aurait fallu définir les besoins, et si cela est justifié, alors payez et non pas dire : « Voici l'argent. Que pouvez-vous faire avec ce budget? » Je pense que cela nous amène à l'une des questions qui m'a été posée.
Le sénateur Forrestall : L'amiral Buck vient de nous dire que les navires — et je ne suis pas certain s'il voulait parler des trois qu'on envisageait de construire ou de tous les navires — ont la capacité de manoeuvrer dans deux pieds de glace.
M. Mackenzie : Oui.
Le sénateur Forrestall : Je ne suis pas certain que cela nous aide beaucoup, en réalité. Je veux cependant aborder une autre question, car ces navires ont une utilité que nous devons examiner de près. En ce qui concerne la souveraineté dans le nord et le problème croissant à cet égard, en raison de la fonte des glaces que l'on constate, on me dit que nous n'avons pas à nous inquiéter que l'on puisse nager dans ces eaux avant encore 50 ou 60 ans, de sorte que nous pourrons peut-être assurer la souveraineté dans le nord pendant encore tout le temps que durera l'équipement dont nous disposons à l'heure actuelle.
Plutôt que de commencer par le bas, j'ai commencé par le haut, en songeant peut-être à ressusciter le plan d'aide polaire, qui, je pense, nous donnait une présence toute l'année, nous donnait un corps d'armée canadien, un corps d'armée territorial, provincial, un hôpital avec de bons services diagnostiques — toute une série de choses qui démontrait la souveraineté canadienne dans le nord. À votre avis, une présence militaire dans le nord avec ce genre de capacité aurait-elle un rôle à jouer?
M. Mackenzie : Tout d'abord, le deuxième plus grand pays au monde, avec une extrémité nord contestable, du point de vue de la souveraineté, devrait assurément avoir la capacité de se rendre sur les lieux. Je ne suis pas certain que le brise-glace, pour utiliser le terme que je comprends, devrait nécessairement être militaire. Il y a d'autres façons de résoudre cette question, avec la Garde côtière ou autre.
Pour ce qui est de la présence militaire dans le nord, je vais vous relater une expérience personnelle lorsque j'ai été parachuté près de Resolute. J'étais à l'époque un jeune major qui commandait un exercice de souveraineté. C'était toujours un peu drôle car nous atterrissions et nous partions alors en raquettes et en toboggan en groupe de dix, et nous étions partis pendant environ quatre ou cinq jours à travailler d'arrache-pied. La population autochtone à Resolute disait, le dimanche après-midi : « Allons visiter l'armée. » Ils sautaient dans leurs motoneiges et ils nous rejoignaient environ une heure et demie plus tard. Ils nous demandaient : « Comment ça va, les gars? » Voilà ce qui était considéré comme la souveraineté. Nous n'avons pas eu une très bonne expérience à cet égard l'an dernier, si le documentaire à la télévision était le moins du monde exact.
Je soutiens que nous devrions avoir la capacité d'aller sur les lieux pour réagir, non pas nécessairement pour y rester, mais pour pouvoir y aller. Je ne sais pas si c'est vraiment « légal », mais on a confié aux militaires la tâche d'aller là-bas, dans l'éventualité de l'écrasement d'un avion commercial. Il y a maintenant beaucoup plus de trafic dans le nord qu'il n'y en avait par le passé. Le fait est que nous ne serions pas en mesure de nous y rendre à temps pour sauver qui que ce soit, mais nous pourrions retrouver les corps.
Ce n'est pas tant une présence 24 heures sur 24, 365 jours par an qui me préoccupe, que la capacité de nous rendre sur les lieux. Le groupement tactique aéroporté que je propose et la force de réaction rapide auraient certainement cette capacité, pourvu qu'ils aient le transport tactique pour s'y rendre.
Le sénateur Forrestall : Pouvez-vous nous parler un peu plus des navires de type San Antonio?
M. Mackenzie : C'est un navire qui est utilisé et construit par les Américains en ce moment même.
Le sénateur Forrestall : Sont-ils utilisés à l'heure actuelle?
M. Mackenzie : Oui. Certains d'entre eux sont à flot. L'Espagne, l'Italie, l'Australie et quelques autres pays dont j'ai oublié le nom projettent aussi d'utiliser des types de navires semblables.
Le sénateur Forrestall : Est-ce un grand navire?
M. Mackenzie : C'est un navire qui peut transporter de 800 à 1 000 soldats avec tout leur équipement.
Le sénateur Forrestall : Est-il à notre portée? Il l'est certainement pour ce qui est de la disponibilité.
M. Mackenzie : Oui, et il pourrait mouiller au quai de Shearwater demain après-midi, s'il le fallait.
Le sénateur Forrestall : Ce qui n'est pas une mauvaise idée, avant que nous le perdions complètement.
Qu'entend-t-on par interopérabilité? Naguère, cela voulait dire que le boyau d'arrosage correspondait à la bouche d'arrosage. Qu'est-ce que cela veut dire aujourd'hui?
M. Mackenzie : Cela veut que sur le plan logistique on peut se soutenir mutuellement, mais plus encore, cela veut surtout dire l'échange de renseignements, l'échange de données, l'échange de systèmes de choix des objectifs; la capacité pour nous, par exemple, de désigner une cible, de l'identifier, et pour un autre pays avec qui nous faisons alliance la capacité d'engager cet objectif.
Le sénateur Forrestall : Pour ce qui est du commandement et du contrôle?
M. Mackenzie : Oui. Je vais vous donner un exemple. Quand j'étais conseiller en matière de sécurité, l'un des deux conseillers auprès du premier ministre de l'Ontario, nous avions un exposé formidable. Les premiers intervenants les plus avisés maintenant, pour ce qui est de la fourniture d'information, ne sont pas les gens de New York. Ils y travaillent encore. Ce sont les gens qui ont eu dix ans pour y penser à Oklahoma City. Quand les premiers intervenants se sont présentés là-bas — c'est-à-dire les pompiers, les ambulanciers, les services de police et, comme dans le cas de New York, les autorités portuaires — ils ne parvenaient pas à communiquer les uns avec les autres. Ils utilisaient des procédures différentes. On assistait à des luttes de pouvoir parce que selon leur mandat trois d'entre eux avaient la responsabilité d'une même situation. Il n'y avait guère d'interopérabilité.
C'est la même chose dans le domaine militaire. Si nous sommes destinés à travailler au niveau le plus élevé, et nous semblons le vouloir, ce que j'approuve certainement, alors nous devons nous efforcer d'être en mesure de le faire « sans failles » — belle expression, mais il y aura toujours des failles — c'est-à-dire, arriver sur place et améliorer leur capacité de combat plutôt que de la réduire, et avoir un effet de synergie. À mes yeux, c'est cela l'interopérabilité.
Le sénateur Atkins : C'est toujours un plaisir de vous accueillir ici. Je m'étonne que le sénateur Forrestall ne vous ait pas demandé si vous accepteriez d'être le colonel honoraire du Halifax Riffles.
Le sénateur Forrestall : Je vais le faire.
M. Mackenzie : Je pense qu'ils assurent très bien la sécurité à Shearwater.
Le sénateur Forrestall : Ils font même mieux que cela.
Le sénateur Atkins : Comme je suis de l'Acadie, quand je vois cet anneau des diplômés de la St Francis Xavier University, ça ne rend un peu nerveux.
Pour ce qui est des groupements tactiques, combien d'hommes comptent un groupe tactique, s'il est autonome?
M. Mackenzie : Voilà un mot que je n'aurais pas employé il y a sept ou huit ans, mais les Forces canadiennes ont changé de terminologie. Cela signifiait autrefois qu'il s'agissait d'un bataillon d'infanterie ou d'un régiment blindé qui comportait des tanks.
J'ai posé la question directement aux responsables de la stratégie au Quartier général de la défense nationale il y a trois ans. Un « groupe tactique » peut comporter un millier de soldats d'un service ou d'un autre. Autrement dit, il n'est pas nécessaire qu'ils disposent de tanks. Il pourrait s'agir en majorité de membres de l'infanterie. On avait l'habitude de parler de groupes bataillons et de groupes tactiques, mais maintenant quand on parle de groupes tactiques cela veut simplement dire qu'il est question de 800 à 1 000 soldats.
Le sénateur Atkins : Pourraient-ils avoir une compagnie d'artillerie?
M. Mackenzie : Ils le pourraient.
Le sénateur Atkins : J'ai posé cette question à l'amiral, et je vais vous la poser aussi : Comment savez-vous quel type de force il vous faut, dans le contexte actuel, quand vous ne savez pas quelles sont exactement les missions en question?
M. Mackenzie : Voilà une excellente question. Sénateur, les structures dont nous disposons, non seulement depuis la guerre froide mais depuis que l'on écrit l'histoire, sont ainsi conçues en raison de leur flexibilité inhérente. Le brassage et le mixage se faisaient normalement sur le terrain : Ce qu'on appelait les attachements et les détachements, quand les missions à court terme changeaient.
Je crois le général Jeffrey, quand il a répondu à la question que je lui ai posée. Le jour où il a fait cette annonce à son personnel militaire, il a eu la bonté de m'inclure dans cet appel conférence. Après qu'il eut expliqué comment nous prendrions des sous-unités — c'est-à-dire des compagnies de 100 personnes de l'artillerie et de l'armée de terre ou d'ailleurs — et les mélangerions selon la mission, la seule question que je lui ai posée à la fin de la conférence a été celle- ci : « Général, si vous aviez l'argent pour le faire comme nous l'avons fait pour pendant notre carrière, le feriez-vous? » Il a répondu que non. C'était fait pour des raisons financières, c'est devenu la grande tendance. Les politiciens disaient que c'était visionnaire parce que cela signifiait que les militaires pouvaient continuer à fournir des contingents à déployer en respectant l'enveloppe budgétaire qu'ils avaient.
Je prends l'exemple de notre opération en Afghanistan. Nous avions stationné là-bas une organisation prête à utiliser qui n'était pas capable de faire quoi que ce soit d'autre que ce qu'elle pensait qu'elle ferait pour toute la durée de la tournée.
J'ai fait la même constatation à Sarajevo. Quand le bataillon du Royal 22e Régiment/RCR est venu dans l'ancienne Yougoslavie en 1992, on avait d'abord procédé à une mission de reconnaissance dans l'esprit de Chypre, où nous étions allés de 1962 à 1992, toujours pour faire la même chose. Les militaires réorganisaient leurs bataillons pour effectuer du travail de sentinelle ou pour occuper des postes d'observation. Le commandant du bataillon était rentré en Allemagne et avait réorganisé son bataillon pour effectuer les missions de patrouille et assurer le service aux postes d'observation en Croatie. Dans le mois qui a suivi son arrivée là-bas, j'ai pu convaincre l'ONU de détacher ce bataillon et de me l'envoyer à Sarajevo. Ils avaient changé leur structure de bataillon et il n'était pas flexible comme il aurait dû l'être s'ils avaient eu une organisation de bataillon conventionnelle.
On ne quitte pas le Canada, pour se rendre là-bas, jeter un coup d'œil à la mission et dire : « Voici ce que nous allons faire », puis mettre en place une unité et s'attendre à ce qu'elle puisse réagir sur le terrain avec la souplesse d'une unité organisée conventionnelle normale. Quant à savoir qui s'en rend compte maintenant, des hauts gradés américains rédigent maintenant des ouvrages sur la question et disent : « Nous avons commis une erreur. Les unités qui s'en tirent le mieux en Irak et de loin sont celles que nous avons détachées là-bas en tant qu'unités formées. Nous n'avions pas fait venir des tas d'autres gens pour constituer une unité artificielle pour un an et demi. » C'est l'unité qui a combattu ensemble, qui a reçu sa formation ensemble, qui a joué ensemble, qui a fait de l'exercice ensemble; leurs familles se connaissent; ils ont un esprit de corps et ce sont les types qui font le meilleur travail.
Nous nous éloignons de cette pratique, en pensant avoir découvert quelque chose de neuf. Je vous dirais que nous avons fait cela pour de strictes raisons financières.
Le sénateur Atkins : En tant que commandant de vos troupes est-ce que le type de formation que vous avez reçue diffère de la formation dont nos troupes ont besoin aujourd'hui pour aller en Afghanistan? Est-ce la même formation qu'on donnerait à des troupes déployées en Haïti?
M. Mackenzie : Certainement. La formation générale — et je pense ici à la fois à l'infanterie, à l'armée de terre, à l'artillerie, aux ingénieurs et aux autres, à la ligne de front — je parle de l'armée de terre maintenant, de types aguerris. Ils sont tout à fait capables d'assumer cette tâche.
Cela me déplait vraiment de faire cela, parce que je vais maintenant critiquer l'opinion d'un des mes collègues qui a une toute autre idée de la question, je parle du général Dallaire. Le général Dallaire estime, d'après son expérience dans le cadre de la plus désastreuse mission de l'ONU au Rwanda, qu'il nous faut une force formée pour ce type de travail. Les officiers ont étudié l'anthropologie, la philosophie et la psychologie et comprennent ce qui se passe dans le pays. Le général Dallaire lui-même a dit qu'avec 5 000 combattants, il aurait pu arrêter ce génocide. Il n'avait pas besoin de travailleurs sociaux qui brandissent des fusils. Je sais que des gens n'aiment pas m'entendre employer ce mot parce que c'est une hyperbole. Toutefois, gardez-vous-en. Des combattants auraient mis un terme au génocide; puis on aurait ensuite fait entrer les bâtisseurs de nation. Nous procédons à rebours.
Dans l'ouest du Soudan actuellement, ces très braves ONG de partout dans le monde et des organisations d'aide font de l'excellent travail, mais en même temps, il arrive qu'une femme portant un bébé sur son dos part à la recherche de bois de chauffe et se fait violer et assassiner en route. Nous parlons nous d'exporter nos valeurs, mais elle n'en a que faire du multiculturalisme ou de la bonne gouvernance quand elle doit aller chercher du bois de chauffe au Darfour. Elle veut simplement vivre.
Le travail du soldat c'est de la protéger, non pas d'arriver là et de tabasser les membres du gouvernement ou les forces rebelles — qui ont déclenché tout cela, cela dit, dans l'ouest du Darfour — mais bien plutôt de protéger les innocents. C'est le travail des soldats. Puis on fait venir les diplomates, les bâtisseurs de nation et les superviseurs d'élections formés à l'école de Lloyd Axworthy. Ils sont, cela dit, tous des gens formidables, mais ne les y envoyez pas d'abord. Ils iront une fois qu'on aura mis fin à la tuerie. Pour cela, il nous faut des militaires qui puissent faire ce travail; il ne faut pas confondre la construction de nation et la mise en place d'un système judiciaire, d'une force de police et tout le reste. Ces choses seront bien mieux faites par des civils. Ne les y envoyez pas avant que la tuerie cesse. Envoyez des soldats pour faire cesser le massacre.
Le sénateur Atkins : Nieriez-vous que les commandants sont quand même sensibles à cette réalité?
M. Mackenzie : Ils le sont tous. Pensez à Leslie, pensez à Dallaire et pensez à moi. Je ne suis pas insensible à la situation, loin de là. Malheureusement, j'étais là avant que les diplomates pensent même à venir, même si la tuerie dans bon nombre de ces missions avait cessé. Il faut faire venir les bâtisseurs de nation peu de temps après la fin de la tuerie.
Je ne pense pas que nos officier généraux ou nos officiers supérieurs soient priés par les nations du monde de venir et de participer à ce qui se passe, même parfois quand nous ne fournissons pas de troupes sur le terrain, parce qu'ils ont été insensibles. Je ne pense pas que ce soit la question, non.
Le sénateur Atkins : Votre exposé était très intéressant. Votre Livre blanc me plaît.
M. Mackenzie : Il a permis d'épargner quelque 5 millions de dollars et deux ans de travail.
Le sénateur Atkins : Vous avez parlé de la force aéroporté?
M. Mackenzie : Oui, un des groupes tactiques ayant une capacité aérotransportée et une capacité d'armes livrables par air.
Le sénateur Atkins : Je vous l'ai demandé la dernière fois, et je me demande si vous avez changé d'idée. Pensez-vous toujours qu'il faudrait rétablir le CTCU?
M. Mackenzie : J'ai toujours répondu oui à cette question. Il serait beaucoup mieux accueilli aujourd'hui qu'il ne l'aurait été il y a 10 ou 15 ans, mais une réserve ayant la capacité d'entrer dans la force régulière, de former des officiers dans des universités civiles, certainement. Dans les universités civiles où je donne des cours, je constate que l'auditoire est très réceptif. Pour la première fois de ma vie — je l'ai déjà expliqué au comité — je constate un appui chez les écoliers, les chroniqueurs, les éditorialistes, dans les milieux universitaires, les tribunes de discussions et chez les documentaristes au sujet du soutien aux forces militaires. Ce qui est bizarre, c'est qu'il ne s'est rien passé, je suppose parce que cela ne rapporte pas de votes.
On a déformé nos propos dans certains cas. J'ai été tellement déçu pendant la campagne électorale quand on a parlé de défense nationale et que cela me semblait être une excellente chose, et puis cette idée d'un bâtiment d'assaut à fait place à celle d'un porte-avion et on l'a comparée aux soins de santé. Tout cela n'a fait qu'accroître l'hostilité du public envers nous, les militaires. On nous a accusé d'essayer de nous approprier des porte-avions. Non, ce n'est pas le cas. Nous essayons de faire ce que les Canadiens veulent que nous fassions et nous rendre là-bas, à certains de ces endroits pour y protéger les gens qu'on y assassine.
La défense est un sujet périlleux en campagne électorale parce qu'elle polarise les débats. Cependant, je suis ravi de la compassion, pour ne pas dire la pitié, que suscite la question de certaines pièces de notre équipement. Je ne cesse d'expliquer au public que notre équipement individuel est parmi les meilleurs au monde. C'est seulement dans le cas des véhicules de transport et de combat que l'équipement pose des problèmes soit de qualité ou de quantité.
Le président : Quel premier ministre a dit que ce n'était pas le moment de parler de sérieuses questions politiques pendant une campagne électorale?
Le sénateur Cordy : J'ai une question à ce sujet. Vous avez dit que la question avait été débattue pendant un certain temps durant la campagne électorale, mais dans votre Livre blanc d'aujourd'hui vous dites que les missions de maintien de la paix ont changé par rapport à ce que croit la majorité des Canadiens. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Des Canadiens disent que nous devrions disposer de plus d'argent pour nos militaires parce que nous excellons dans le maintien de la paix et que nous devrions, peut-être, nous contenter d'être des gardiens de la paix, ou consacrer des sommes substantielles au maintien de la paix. Ils croient que le maintien de la paix signifie que l'on se rend dans un pays où la paix est déjà instaurée et où il suffit donc de la maintenir. Cependant, si l'on pense aux États non viables et aux situations auxquelles nos militaires sont confrontés, il est certain que les missions de maintien de la paix ont grandement changé et qu'il s'agit maintenant bien davantage de rétablir la paix.
Seriez-vous d'accord pour dire que les opérations de maintien de la paix exigent elles aussi une armée bien entraînée?
M. Mackenzie : À mon avis, les gouvernements de toutes tendances qui se sont succédés, dont deux au cours de ma vie, ont voulu mettre l'accent sur le maintien de la paix, après la guerre froide, parce que cela coûtait moins cher. Autrement dit, la population canadienne pensait que les opérations de maintien de la paix ne nécessitaient pas l'acquisition de matériel vraiment coûteux. On n'avait pas besoin de tous ces navires, canons, avions et armes intelligentes, par exemple. C'est probablement de cette façon que les politiciens ont présenté la chose.
Bien entendu, certains Canadiens à tout le moins se rendent compte que la réalité est tout autre. C'est même indiqué dans la charte. Même l'ONU refuse de perpétuer ce mythe. Le chapitre 6 traite des bérets bleus et du maintien de la paix. Le chapitre 7, qui porte sur la Somalie, par exemple, n'entretient pas cette idée erronée. On peut y lire qu'outre le recours à la force mortelle en légitime défense, on peut également utiliser de façon préméditée la force pour accomplir sa mission.
Vous avez cependant parfaitement raison. L'opinion publique croit encore que s'il faut consacrer de l'argent aux forces armées, mieux vaut l'affecter à des opérations de maintien de la paix, comme si c'était différent; comme si dans ce cas on n'aurait pas besoin d'acheter les mêmes équipements que pour une force de combat. En réalité, dans la plupart des missions auxquelles nous avons participé, nous aurions pu avoir besoin de combattre pour nous sortir de là. Voilà pourquoi nous avons jugé bon de conserver cette capacité. Il ne faut pas oublier qu'on vous pendra haut et court si jamais un groupe de jeunes Canadiens et Canadiennes se faisait tuer parce que vous n'aviez pas prévu les moyens de les tirer d'un mauvais pas.
L'équipe provinciale de reconstruction en est un exemple parfait. Si nous envoyons un effectif modeste pour les protéger, disons 40 soldats d'infanterie, nous devons avoir reçu l'assurance du quartier général de la Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan qu'elle aura la capacité de les secourir si jamais un seigneur de la guerre devenait furieux parce qu'ils lui font perdre de l'argent et décidait d'éliminer tous les Canadiens à cet endroit. On peut bien mettre des soldats dans cette situation pourvu qu'on ait réfléchi aux moyens de les en tirer. S'il fallait le faire, ce serait probablement des membres de la force de coalition dirigée par les Américains en Afghanistan et non pas la force de l'OTAN à Kaboul.
Le sénateur Banks : Vous avez dit qu'on avait retiré trois milliards de dollars du budget du ministère de la Défense nationale pour payer autre chose que des armes. On obtiendrait le même résultat si on ajoutait trois milliards de dollars au budget de ce ministère, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Oui, effectivement.
Le sénateur Banks : Vous avez dit que c'est pour des raisons financières qu'on envoie de tels groupes formés de militaires des différentes organisations. Pourquoi est-il moins coûteux de procéder ainsi que d'envoyer des membres du RCR, du Royal 22e ou du PPCLI?
M. Mackenzie : Parce que le RCR, le Royal 22e et le PPCLI n'ont pas des unités assez grandes pour pouvoir constituer une unité structurée; voilà pourquoi il faut amalgamer ensemble des militaires de différentes sources. Et pour faciliter ce rapiéçage, l'armée a décidé de retirer d'un bataillon d'infanterie, par exemple, les mortiers, les batteries antichar et les pionniers, les ingénieurs de l'infanterie. C'était des éléments qu'on pouvait mettre ensemble pour former ces structures temporaires.
Si ces unités avaient fait partie du tableau des effectifs de guerre, disons 900 soldats — et j'espère que la part de l'armée de ces 5 000 recrues fera passer l'effectif des unités à ce nombre —, on n'aurait pas eu besoin d'amalgamer des unités. On aurait pu décider d'envoyer un RCR qui serait remplacé par trois TPCLI, par exemple.
Le sénateur Banks : Si le Royal Canadian Regiment avait autant d'effectif que ce que vous évoquez, aurait-il toutes ces capacités?
M. Mackenzie : Oui.
Le sénateur Banks : Aurait-il des mortiers et les moyens de transport dont il aurait besoin?
M. Mackenzie : Oui, si le RCR était restructuré pour en faire un bataillon d'infanterie conventionnel. S'ils ne les avaient pas d'office, ils pourraient obtenir ces éléments complémentaires au même endroit. Autrement dit, ils connaîtraient déjà les gens avec qui ils seraient appelés à travailler; ils auraient fait les exercices avec la même brigade. On n'aurait plus besoin de prendre des effectifs d'Edmonton et de les amalgamer avec un effectif de Petawawa.
Lorsqu'on m'interviewe, je donne souvent l'exemple suivant : l'infanterie compte 2 000 personnes de moins que le service de police de Toronto, dont je suis le chef honoraire, et l'armée déployable compte environ 15 000 membres. Le Maple Leaf Gardens peut recevoir 19 000 spectateurs. Il s'agit donc d'une organisation de très petite envergure. Le commandant est confronté à ce dilemme.
Le problème est tout aussi sérieux pour la marine; il faut soit amarrer un navire au quai, soit faire venir une partie de l'équipage ici pour constituer un tableau des effectifs de guerre afin de pouvoir envoyer l'équipage dans le golfe Persique ou ailleurs. La marine en subit elle aussi les effets.
Ce sont les budgets qui déterminent le nombre de soldats. Au cours de la dernière décennie, on nous a demandé de faire d'importantes économies et nous avons dû revoir le programme d'équipement. Mais même si on abolit le programme, cela prend un certain temps avant de réaliser des économies. Au contraire, on peut devoir faire face à des pénalités considérables.
On cherche alors du côté des opérations et de l'entraînement. On ne peut pas réduire les opérations, puisque c'est le gouvernement qui décide de déployer les forces armées. Les possibilités d'entraînement collectif sont limitées parce que beaucoup de militaires sont à l'étranger. On regarde alors du côté du personnel. Votre budget augmente d'un coup sec pendant une année parce que vous payez les gens pour quitter l'armée, mais par après, vous faites des économies spectaculaires. Je dois dire qu'on a vraiment sabré dans les forces armées. Quand j'ai pris ma retraite en 1993, elles comptaient environ 83 000 membres. Aujourd'hui, nous avons des effectifs d'à peine 55 ou 60 000 militaires. J'imagine qu'il a fallu trouver l'argent quelque part.
La défense, l'aide au développement et la diplomatie étaient trois secteurs importants pour le gouvernement, les véritables piliers de notre réputation internationale. Et pourtant, on a réduit de 23 et 27 p. 100 leurs budgets.
Le sénateur Banks : Si le PPCLI avait les effectifs voulus, il pourrait en tant qu'unité accomplir toutes les missions appropriées qu'on leur confierait, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Oui, d'après notre expérience des 10 dernières années.
Le sénateur Banks : Ce corps d'armée vient d'être dénudé. Vous avez peut-être pris votre retraite, général, mais vous ne battez pas en retraite.
J'ai parfois exprimé ma frustration, que d'autres ont partagée, face au fait qu'on empêche les chefs des forces armées de nous parler franchement et de nous conseiller sur ce qui doit être fait et sur nos lacunes. Nous ne le savons pas parce que nous ne sommes pas des soldats.
Les événements en question sont survenus il y a 11 ans, et les choses peuvent avoir changé, mais pourriez-vous nous dire qui vous a empêché de répondre à une question au sujet de l'armée, et de quelle façon ou au moyen de quel ordre?
M. Mackenzie : Je n'ai pas subi de telles contraintes, et c'est pourquoi j'ai pu prendre ma retraite deux années plus tôt. Grand merci aux hommes et aux femmes qui travaillent au quartier général de la Défense nationale. J'évitais de telles situations comme la peste. Je n'en suis pas fier, du reste. J'ai été membre des force armées pendant 36 ans, dont 33 à titre d'officier commissionné, mais je n'ai travaillé qu'une année à Ottawa. Au cours d'une audience antérieure, j'ai donné l'exemple suivant : après ma mission en Bosnie, je m'apprêtais à comparaître devant un comité du Congrès américain; mes chefs politiques de l'époque — le ministre, et non pas le CEMD, m'ont enjoint de donner mon opinion personnelle et de bien m'assurer que les membres du Congrès sachent que c'était mon opinion personnelle. J'ai même mentionné expressément pendant l'audience que c'était mon opinion personnelle.
Quand on m'a demandé de témoigner devant votre comité il y a 11 ans, on m'a donné une liste de notes en me disant « Voici ce que vous devrez répondre aux questions. » J'ai répliqué qu'on pourrait aussi bien y envoyer un singe, et j'ai refusé d'y aller. N'importe qui peut lire des notes préparées d'avance. Je suis prêt à donner mon opinion personnelle, mais on ne l'a pas accepté.
Le sénateur Banks : Vous a-t-on dit : « Voilà ce que vous devez dire et ce à quoi vous devez vous en tenir »?
M. Mackenzie : Oui. Je ne sais pas si les choses se passent encore de la même façon aujourd'hui. Si on m'a donné de telles directives, c'est sans doute parce que je m'étais déjà exprimé assez librement; c'est peut-être pour ça qu'on m'a donné des directives précises et, à l'époque, je n'avais pas encore travaillé au quartier général de la Défense nationale. Quand je l'ai fait, c'était dans le domaine du personnel.
Il y a plusieurs facteurs en jeu. J'aimerais tout d'abord vous raconter une anecdote. J'ai reçu un appel de Paul Hellyer il y a environ 10 ans, me demandant s'il pouvait venir me voir. C'était mon ministre à l'époque alors, bien sûr, j'ai accepté. Il a une maison à Muskoka, alors il est venu me voir. Il m'a demandé de cesser de lui reprocher à la télévision d'avoir intégré les quartiers généraux des Forces canadiennes et de la Défense nationale. Il a dit : « J'ai unifié les forces, et je pense encore que c'est ce qu'il fallait faire, mais c'est le ministre de la Défense MacDonald qui a réalisé l'intégration. » Il avait raison et j'avais tort. D'après Hellyer, c'était une erreur totale.
Quand on a fusionné ces deux quartiers généraux, les militaires et les civils ont commencé à travailler côte à côte en égaux; ils ont aussi commencé à comparer leurs échelles salariales. Ils ont découvert que les échelles salariales des employés civils de la catégorie EX étaient sensiblement plus élevées que celles des colonels et des officiers supérieurs avec lesquels ils travaillaient. Nous avons faussé les grades. Nous avons nommé beaucoup de généraux et d'officiers supérieurs pour égaliser les salaires. Voilà pourquoi le nombre de généraux a explosé. Dieu merci, je n'aurais probablement jamais obtenu ce grade. Le fait est qu'une fois la fusion réalisée, il a fallu harmoniser les salaires. Croyez- le ou non, le nombre d'employés EX civils a lui aussi augmenté notablement. Nous sommes maintenant aux prises avec ce problème, et voilà pourquoi, à mon avis, il ne faut pas leur demander de simplifier les structures. Il faut leur dire de couper 50 p. cent du budget au cours de la prochaine année et appliquer cette mesure, si quelqu'un en a le pouvoir.
Le président : Merci de vous exprimer aussi clairement. C'est bien là l'approche que notre comité veut prendre pour communiquer des messages. Il vaut mieux exprimer ce qu'on pense d'une façon percutante.
En ce qui concerne vos propos au sujet de la rémunération et de l'échelle salariale des civils et des militaires, la question de la solde des militaires a été soulevée à l'époque, mais nous avions l'impression que l'augmentation de salaire s'accompagnait d'une réduction correspondante des autres avantages auxquels les soldats, les marins et les aviateurs avaient droit. Au bout du compte, ils n'y ont peut-être pas gagné au change. Il y avait d'autres éléments plus difficiles à quantifier dont le soldat bénéficiait et qui contribuaient de façon appréciable à son niveau de vie.
M. Mackenzie : Et à son moral.
Le président : Convenez-vous que cela a disparu lorsqu'on a commencé à classer leurs postes selon les critères civils?
M. Mackenzie : Je ne suis pas un expert, monsieur le président, mais instinctivement je suis d'accord avec vous. Je parlais des officiers de très haut niveau, des majors-généraux et des lieutenants-généraux qui travaillaient avec des EX. En ce qui concerne la cohésion des troupes, je peux dire que j'ai passé toute ma carrière à justifier l'existence de mess pour les officiers subalternes, les sous-officiers, et cetera. Quand il m'arrive aujourd'hui d'aller dans une base pour prononcer un discours, je constate que tous les mess ont disparu. Tout le monde est ensemble à présent. Cela répond dans une bonne mesure à votre question. Et pourtant, cela faisait partie de la cohésion, de la structure de base dont l'armée s'est toujours plainte.
Quand j'étais un jeune commandant, un jeune lieutenant, je passais le plus clair de mon temps à m'occuper de mes gars, à les aider à payer les emprunts qu'ils avaient contractés auprès de compagnies de finance. Aujourd'hui, ce ne sont plus les commandants de peloton, mais des « spécialistes » qui s'occupent de ces choses.
Quant aux logements familiaux, je n'ai pas besoin de vous dire combien il est frustrant pour les militaires, sous- officiers et soldats de voir leur augmentation de salaire disparaître parce qu'elle a été récupérée. Ils doivent payer deux fois le montant de l'augmentation de salaire en augmentation de loyer pour leur logement familial.
Le président : Pourriez-vous donner plus d'explications à ce sujet, à l'intention des téléspectateurs?
M. McKenzie : Il s'agit de logements familiaux permanents, construits entre 1940 et 1945. Ces maisons ont été construites par le gouvernement et elles abritent beaucoup de familles de militaires aujourd'hui.
Le sénateur Banks : Certains d'entre nous prétendent depuis longtemps que les officiers se transforment en bureaucrates lorsqu'ils commencent à travailler au quartier général de la Défense nationale. Ils cessent d'être des soldats, des aviateurs et des officiers de la marine, alors qu'ils devraient le rester. Ils franchissent le plafond de verre et deviennent autre chose; dès lors, ils cessent de représenter fidèlement les services dont en principe ils font partie. Mon opinion peut vous sembler injuste, mais ai-je raison?
M. Mackenzie : C'est tout à fait compréhensible, dans certains cas. La grande majorité des organisations militaires dans le monde ont une structure. Prenons l'exemple de l'armée : elle comprend des régiments, des brigades, des divisions, et cetera, dont sont issus les gens qui vont travailler au quartier général. Je suis diplômé du U.S. Army War College, et c'est ce que mes collègues ont fait. Ils allaient travailler au Pentagone pendant quelques années, puis ils acceptaient de commander une brigade sur le terrain. Ensuite, ils revenaient au Pentagone, et retournaient à la tête d'une division. Ils faisaient pour ainsi dire leur chemin de croix.
Nous ne pouvons plus procéder de cette façon parce que nous n'avons plus cette structure. Il y a très peu de postes de commandement sur le terrain. L'armée a perdu le seul qu'elle avait. Quand le régiment aéroporté est devenu un bataillon, le grade de son commandant est tombé à celui de colonel. Il n'y a donc pas de postes que ces officiers pourraient reprendre.
Le sénateur Banks : Quand, par suite de telle rotation, des officiers vont travailler au Pentagone, ils pensent, parlent et agissent encore comme des officiers de l'armée. Et c'est ainsi qu'ils nous apparaissent quand nous les rencontrons, à l'occasion.
M. Mackenzie : Ils savent qu'ils devront retourner sur le terrain. Ils savent que leur raison d'être, ce sont les opérations sur le terrain.
J'ai trouvé intéressant l'échange entre le président et l'amiral sur cette question. L'amiral s'est montré très prudent. Des officiers supérieurs m'ont invité à quelques reprises à parler de ce sujet au collège d'état-major. J'ai alors essayé d'expliquer la situation par l'analogie suivante : imaginez la fin de votre carrière comme un ravin; si vous ne descendez pas dans ce ravin, vous mourrez. Le général Jeffrey, par exemple, allait toujours jusqu'au bord du ravin, avant de s'arrêter et de revenir sur ses pas. Les troupes l'admiraient réellement à cause de cela. Si vous vous tenez à 20 pieds du ravin par souci de prudence, les soldats le comprennent. Combien de temps s'est-il écoulé depuis que l'armée a congédié quelqu'un? Dans le cas du général Boyle, il ne s'agissait même pas à proprement parler d'un congédiement. Il a accepté de partir et a reçu sa pension intégrale.
À mon avis, on peut courir le risque de critiquer le système et ne pas avoir à en payer le prix. C'est arrivé il y a environ six ans, et le sénateur Atkins était peut-être là à l'époque. On nous a dit que les Forces canadiennes étaient plus efficaces sur le plan opérationnel qu'elles ne l'avaient été dix ans plus tôt. L'expression « Forces canadiennes » était utilisée dans le communiqué. Lors d'une réunion de l'Académie canadienne de la défense tenue au Château Laurier, j'ai poussé l'impertinence jusqu'à demander aux officiers en service et à la retraite qui remplissaient la salle de lever la main s'ils étaient d'accord pour dire que nous étions plus efficaces sur le plan opérationnel que dix ans auparavant. Pas une seule main ne s'est levée. On a modifié la déclaration pour préciser que, dans certains secteurs, nous étions devenus plus efficaces opérationnellement. C'était peut-être à cause du véhicule de reconnaissance Coyote. En tant que forces armées, nous n'étions pas et nous ne sommes pas plus efficaces sur le plan opérationnel qu'alors, parce que pour l'être, il faudrait avoir des militaires sur terre, à bord des navires ou dans les avions.
Le sénateur Banks : Les commandants militaires britanniques et américains sont-ils assujettis aux mêmes contraintes en ce qui a trait à la possibilité pour les officiers supérieurs de donner des conseils à des personnes telles que nous et aux occasions qu'ont les officiers supérieurs de s'adresser à la population? Vous vous êtes rendu là-bas et vous avez travaillé avec vos homologues américains.
M. Mackenzie : Non, je crois que le vice-amiral a entièrement répondu à la question : on exige beaucoup plus de souplesse aux États-Unis. Nous avons été témoins d'un exemple qui illustre parfaitement cette réalité tout récemment. Le chef de l'état-major interarmées parlait de l'Iraq, sans toutefois réclamer davantage de soldats. Il était en total désaccord avec le secrétaire à la Défense. À CNN, quand on lui a posé la question, le président Bush a dit qu'il était obligé de donner une opinion personnelle, et il l'a fait. Tout cela pour dire que quand on donne un avis sans contrainte, alors on reçoit des observations valables en retour.
Le sénateur Banks : Cela ne serait-il pas préférable?
M. Mackenzie : Absolument, ce serait préférable. Il est certain que je ne nommerai personne car cela ne s'applique pas à tout le monde; cela ne s'applique même pas à la plupart des hauts gradés des Forces canadiennes. Toutefois, il existe, au Canada seulement, une tendance voulant que certains officiers supérieurs se voient offrir, à la retraite, des postes prestigieux au sein du gouvernement, par exemple, des postes de sous-ministre, d'ambassadeur, ou d'ambassadeur principal auprès des États-Unis. Croyez-vous que ces personnes oseront créer des remous si elles entrevoient un tel avenir? Je ne fais aucun reproche à la plupart des personnes concernées.
Le président : Vous refusez même de nous donner des noms.
M. Mackenzie : S'il me restait une année avant ma retraite et que j'avais de bonnes chances d'avoir un poste de sous- ministre principal, je crois que je ferais preuve de retenue.
Le sénateur Banks : J'ai l'impression que vous ne feriez pas preuve de retenue.
Vous avez parlé de postes d'ambassadeurs. Selon les articles que nous avons lus ces derniers jours, de nombreuses personnes estiment que les Nations Unies sont de moins en moins utiles à cause de l'équilibre qui s'est établi et parce que les Nations Unies semblent incapables d'infliger des sanctions. Vous avez travaillé pour cette organisation à une certaine époque. Qu'en pensez-vous?
M. Mackenzie : J'aurais aimé que le texte que j'ai envoyé hier soit publié aujourd'hui. Il y a une longue lettre dans le Toronto Star à ce sujet. Un examen complet a été mené. L'un des membres du comité responsable était mon supérieur, l'un des meilleurs patrons que j'aie connus. On indique qu'il est diplomate et il s'agit d'un général trois étoiles à la retraite. La plupart des commentaires formulés jusqu'à maintenant ne mentionnent pas l'élément clé. Pourquoi? Parce que les responsables refusent d'aborder la question de la charte et du droit de veto. Ainsi, les 191 membres de l'Assemblée générale des Nations Unies peuvent invoqué la responsabilité de protéger, et cetera. Le nombre de membres du conseil de sécurité peut passer de 15 à 24 ou 25, selon l'option qui est retenue, mais, au bout du compte, il n'y a que cinq membres permanents.
La charte prévoit le veto, qu'il s'agisse de questions de paix ou de sécurité internationale ou du processus régissant le conseil de sécurité. En d'autres mots, la charte contient des dispositions sur la composition du conseil de sécurité et sur les règles entourant les votes. Il est impossible que les Britanniques, les Français, les Chinois, les Russes et les Américains conviennent à l'unanimité de modifier ces règles. Ils ne le feront pas, par conséquent, ils vont continuer à tourner en rond. Selon moi, une augmentation de la taille du conseil de sécurité entraînera seulement un élargissement du débat.
Le sénateur Banks : Si nous parlons de la responsabilité de protéger et de choses du genre, doit-on en conclure que cela ne se reproduira plus jamais par l'entremise des Nations Unies? La seule raison pour laquelle cela s'est produit une fois, c'est parce que les Russes avaient quitté la salle.
M. Mackenzie : Cela se produira par l'entremise d'organisations multinationales. Nous faisons partie de la plupart de ces organisations, comme les États-Unis. Nous ne faisons pas partie de l'Union européenne, c'est la seule exception, mais nous sommes membres de l'OSCE. Nous devons nous tourner vers de telles organisations. J'aime bien l'idée du L20 que le premier ministre a exprimée. Selon moi, l'idée de réunir 20 dirigeants de ce niveau est fort précieuse. En revanche, les Nations Unies ne changeront pas.
Combien de fois faut-il essayer de prouver la crédibilité des Nations Unies après la Croatie, la Bosnie, les événements à Srebrenitza et ceux du Rwanda? D'après les Nations Unies, même ce qui est arrivé au Timor-Oriental a été un succès. Ceux qui ont commenté ces événements rappellent aux Nations Unies qu'il a fallu le massacre d'employés civils des Nations Unies avant que le conseil de sécurité ne demande à l'Australie de mener une mission de sauvetage au Timor-Oriental dans laquelle le Canada a joué un rôle mineur mais important.
Par ailleurs, tous les autres organismes qui se sont ajoutés depuis 1945, comme le HCNUR, UNICEF, l'Organisation mondiale de la santé et le Programme alimentaire mondial, sont tous de bons organismes qui font du bon travail, même s'ils ont des problèmes internes. Ces organismes prennent de plus en plus d'ampleur, surtout à cause du nombre de réfugiés dont s'occupe le HCNUR. Que dire de la paix et de la sécurité? D'après certains Canadiens, nous aurions dû attendre que le conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution au sujet de l'Irak. Il n'y en aurait jamais eu une parce que les divers pays protègent toujours leurs propres intérêts et que la Russie et la France n'auraient pas accepté de perdre leurs milliards de dollars de recettes.
Le sénateur Banks : Cela aurait été une bonne position à prendre à ce moment-là, cependant.
Le sénateur Day : Je voudrais clore la discussion sur la division entre le côté militaire et le côté civil. De qui venaient vos directives de ne pas donner votre avis personnel et de suivre la ligne de pensée politique?
M. Mackenzie : Cela s'est produit à quelques reprises. D'habitude, cela venait d'un représentant du ministre ou de l'adjoint exécutif du chef d'état-major.
Le sénateur Day : Le Bureau du Conseil privé s'en mêlait-il aussi?
M. Mackenzie : Non, il n'avait pas directement affaire à moi, mais j'avais un ami au Conseil privé à l'époque.
Le sénateur Day : Est-ce ainsi que se passent les choses d'habitude?
M. Mackenzie : Je l'ignore, sénateur, parce que j'ai quitté l'armée en 1993.
Le sénateur Day : À l'époque, c'est ainsi que se passaient les choses et cela ne faisait pas l'objet de communication écrite?
M. Mackenzie : C'était comme cela pour moi.
Le sénateur Day : Nous allons examiner la question d'un peu plus près, mais c'est une bonne chose que nous sachions comment cela se passait. Selon vous, si l'on sépare le côté militaire du côté civil au quartier général de la Défense nationale, est-ce qu'on cessera de donner de telles directives aux officiers des forces armées?
M. Mackenzie : D'après l'explication du vice-amiral, probablement pas, mais au moins les Forces pourraient agir indépendamment pour fournir des conseils non biaisés aux dirigeants politiques. Pour l'instant, il y a contact permanent entre les deux côtés. Au niveau du vice-amiral Buck, j'imagine que les membres du personnel discutent de la façon de réagir aux différentes situations. Je les plains parce qu'ils doivent respecter les contraintes financières et politiques.
Le vice-amiral Buck a parlé de la ligne de démarcation entre les deux aspects. On atteint cette ligne de démarcation quand on demande à l'amiral s'il est d'accord avec telle ou telle politique.
Le sénateur Day : Il me semble qu'il s'agit de deux choses différentes. Il y a la séparation entre le côté militaire et le côté civil et l'autre la tradition ou la règle tacite selon laquelle les officiers généraux ne peuvent pas critiquer les dirigeants politiques.
M. Mackenzie : Oui.
Le sénateur Day : Ce sont deux choses bien distinctes et le fait de séparer le côté militaire et le côté civil ne résoudra pas le problème, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Non, et ce n'est pas pour cela que je proposais qu'il y ait séparation. Je voudrais que cela soit enlevé du ressort des militaires et confié à des experts. Doug Young comptait sur quatre personnes Jack Granatstein, Des Morton, David Bercusson et je ne me rappelle pas le nom du quatrième et leur demandait conseil sur la façon d'améliorer l'efficacité de la structure des Forces canadiennes. Ils avaient formulé des centaines de recommandations mais la toute première recommandation dans chacun de leur rapport, que l'on peut encore obtenir, était de faire une séparation au quartier général de la Défense nationale. Nous n'avons plus de quartier général des Forces canadiennes. Je pense que la loi stipule que nous devons en avoir un, mais nous n'en n'avons plus. Tout ce qu'il y a maintenant est le quartier général de la Défense nationale. Les quatre conseillers avaient dit qu'il fallait séparer les fonctions civiles et militaires pour que les militaires fassent ce qu'on leur dit et que les civils s'occupent du personnel civil et que l'on devrait avoir en haut de l'échelle un tout petit groupe intégré s'occupant de politique, de budget, et cetera. Curieusement, la grande majorité des recommandations de ces quatre conseillers on tété appliquées, mais pas la première.
J'ai deux amis qui sont devenus CEMD et qui s'opposaient catégoriquement à l'intégration au départ. Les deux m'ont dit qu'une fois sur place, on comprend qu'il vaut beaucoup mieux faire partie du processus et pouvoir exercer une influence quelconque, ce qui n'est pas une mauvaise idée, à quoi je leur avais répondu : « Vous avez été co-optés. Je ne peux pas juger parce que je n'ai jamais été dans cette position, mais vous avez été co-optés. »
Le sénateur Day : Pouvez-vous nous parler un peu des forces de réserve? Lors de réunions précédentes et aujourd'hui aussi, vous avez dit qu'il faudrait une force de réserve pour les cas d'urgence en territoire canadien et vous avez dit qu'il faudrait plus de réservistes dans les provinces de l'Ouest. Pendant la dernière campagne électorale, le gouvernement a déclaré qu'il y aurait deux rôles pour les forces de réserve; le premier, dont vous avez vous-même parlé, soit la défense contre les attaques chimiques et biologiques et les situations d'urgence, et l'autre comme complément pour les forces régulières.
Est-ce réaliste? Est-ce que cela correspond à ce que vous proposez ou pensez-vous que les forces de réserve devraient s'occuper davantage de la sécurité en territoire canadien?
M. Mackenzie : Vous avez parlé de fait historique, sénateur. Entre 1960 et le début des années 80, il n'y avait pas de remplacement ou de concept de force totale. Quand nous avions un engagement à l'étranger, les forces régulières s'en occupaient. Plus tard, à mesure qu'on a réduit les effectifs des forces régulières et que les États-Unis ont commencé à parler du principe des forces totales, nous avons opté aussi pour ce principe et cela nous a permis d'obtenir que des réservistes servent avec les forces régulières pour les missions à l'étranger.
L'aspect le plus révolutionnaire de ma proposition relative aux forces de réserve, à cause de ce que j'ai appris quand j'étais conseiller en matière de sécurité en Ontario, c'est que, selon moi, c'est qu'il devrait y avoir un élément de garde nationale au sein des forces de réserve. Selon moi, un premier ministre provincial, s'il y a une grande catastrophe, il y en aura certainement, ne devrait pas être obligé de téléphoner au CEMD, vu qu'il ne peut pas téléphoner au ministre ou au premier ministre de crainte de susciter des accusations de préjugés politiques, par exemple, si un libéral téléphonait à un conservateur et n'obtenait pas de réponse alors qu'un premier ministre provincial conservateur avait obtenu une réponse favorable. C'est pour cela que les premiers ministres provinciaux téléphonent au CEMD. Cependant, si vous vous appelez Mel Lastman, vous n'avez qu'à téléphoner à l'un des anciens maires de Toronto pour obtenir que l'armée aille faire le déneigement.
Selon moi, le premier ministre provincial devrait avoir une ligne directe de communication avec les unités de réserve des forces régulières de la province. Cela peut devenir un peu compliqué. Par exemple, à la frontière entre l'Ontario et le Manitoba, il faudrait communiquer avec Winnipeg et avec l'ouest de l'Ontario, mais ce n'est qu'un détail. Le processus est beaucoup plus lent à l'heure actuelle. Je crois savoir que l'on veut simplifier les choses. Les forces de réserve ne sont pas maintenant en mesure de recruter autant de membres qu'elles pourraient en avoir.
On opte toujours pour la solution la plus facile et, pendant plusieurs décennies, nous avons ciblé les étudiants parce qu'ils ont besoin d'argent. Par ailleurs, une fois qu'ils ont terminé l'université et trouvé un emploi, bon nombre d'entre eux déménagent et ne joignent pas nécessairement leur unité la fois suivante. La population étudiante est très mobile.
Les déploiements outre-mer sont très attrayants pour le genre de personnes que veulent les forces armées, c'est-à- dire les gens dynamiques qui veulent servir leur pays à l'étranger. Les forces armées auront du mal à prendre de l'expansion. Cela fait des années qu'elles essaient de recruter. Parfois, c'était les agents de recrutement des forces régulières qui s'en occupaient. On pourrait probablement remplir cette pièce avec tous les documents qu'il faut pour recruter quelqu'un et on nous demandait toujours de nous en occuper, mais nous ne le faisions jamais.
Le sénateur Day : Avez-vous pensé à charger quelqu'un de l'extérieur du recrutement? Bon nombre de forces armées ont chargé d'autres organismes de recruter des gens comme des cuisiniers, des moniteurs des sports et des instructeurs de culture physique et se sont occupés uniquement des effectifs militaires. Pourquoi ne pas charger un organisme externe du recrutement?
M. Mackenzie : Je n'ai pas tellement d'expérience avec les forces de réserve parce que je n'ai commandé l'armée en Ontario que pendant six mois environ avant ma retraite, mais je pense malgré tout que les unités sont une bonne source de recrutement pour les forces. Je veux dire par là que l'unité est l'esprit de l'armée, que c'est une affaire de cœur qui représente une histoire et un uniforme et que cela attire des gens. Ils vont au manège de Fort York ou à la rue Jarvis pour s'enrôler dans mon premier régiment, le Queen's Own Rifles. Cela devient une rivalité. Les unités essaient de recruter des gens. Ce qui compte, c'est de le faire rapidement et de remettre le premier chèque aux recrues dans l'espace de quelques semaines.
Le sénateur Meighen : À votre avis, l'absence d'une loi comme celle qui existe aux États-Unis pour les employeurs et leurs relations avec les réservistes nuit-elle à nos efforts pour recruter des réservistes au Canada?
M. Mackenzie : Sénateur, cela ne marche pas aux États-Unis. Plus de 50 p. 100 des gens qui ont effectué des missions prolongées à la garde nationale et dans la réserve avaient leur propre entreprise, et ces entreprises ont périclité à cause de cela. L'un des grands problèmes de l'armée américaine, c'est que bien souvent ces gens-là, quand ils rentrent chez eux, s'aperçoivent que leur épouse n'a pas été capable de continuer à faire tourner l'entreprise.
On est victime de sa propre expérience. Deux officiers supérieurs australiens avec lesquels j'ai servi à l'étranger m'ont dit de ne pas le faire. Ils m'ont dit que si deux personnes cherchaient un emploi, et que l'un des deux fait partie de la réserve et pas l'autre, c'est celui qui ne fait pas partie de la réserve qui va être engagé parce que l'entreprise ne sera pas obligée de maintenir son ancienneté et de le reprendre après une mission. C'est un argument assez convaincant.
Comme d'habitue, il y a probablement un compromis canadien et nous avons essayé cela avec les conseils de liaison. C'est une excellente formule. J'imagine que le coupable no 1, c'est encore le ministère de la Défense nationale. Au gouvernement, et particulièrement au MDN, on laisse très peu de gens partir et faire de la formation dans la réserve. En tout cas, c'était le cas quand je suis parti.
Disons que c'est une façon un peu détournée de dire qu'il faudrait revoir cela de près. Il ne faut pas nécessairement prendre des mesures draconiennes, mais simplement il y aurait peut-être un moyen de renforcer l'efficacité de ces conseils de liaison. On pourrait se servir de carottes au lieu du bâton.
Le sénateur Meighen : On nous a dit que tous les éloges internationaux que le Canada a reçus pour son recrutement et la pertinence du rôle de ses forces armées s'inscrivaient généralement dans le cadre des opérations internationales. Or, de nos jours, beaucoup de gens se soucient d'interopérabilité, ce qui signifie, je crois, le lien avec les Américains. Pouvons-nous faire les deux ou faut-il insister plus sur un aspect que sur l'autre?
M. Mackenzie : Je pense qu'il faut être plus sélectif. J'ai des chiffres assez proches de la vérité. Je crois que nous sommes déployés dans 13 ou 14 régions actuellement. La dernière fois que j'ai vérifié, dans 10 cas, il y avait moins de 10 personnes. Nous avons un gars ici, ou deux ou quatre là-bas, ce qui permet de dire lorsqu'on est interviewé : « Nous avons 13 missions différentes à travers le monde ». Or, nous avons moins de 250 soldats engagés actuellement dans des opérations de l'ONU. Le contingent le plus important, ce sont environ 160 soldats sur les hauteurs du Golan où nous sommes allés en 1973. À l'époque, j'étais au Caire avec l'autre moitié de la mission. Est-ce que nous avons besoin d'en avoir une à Sarajevo et une autre à Chypre, comme je vous le disais tout à l'heure?
Il est juste de dire que nous sommes ancrés pour un bon moment en Afghanistan, mais ne structurons pas les unités uniquement pour cette mission particulière, car les choses vont changer.
Encore une fois, pour revenir sur la question de la force amphibie, l'un de ses grands avantages, c'est qu'elle évite au gouvernement à Ottawa de devoir prendre des décisions rapides. Pourquoi? Parce que si le gouvernement décide de nous envoyer quelque part maintenant, il nous faut trois mois pour y arriver.
Il a été question d'aller dans l'ouest du Soudan. Si c'était le cas, notre force pourrait aller là-bas et s'installer dans les eaux internationales. Les troupes sont entraînées et peuvent s'entretenir à bord des navires. Si le gouvernement décide de les déployer, elles pourraient débarquer en quelques heures. Est-ce que ce ne serait pas fantastique?
Certains Canadiens ont été sidérés de voir avec quelle rapidité nous sommes intervenus en Yougoslavie quand nous nous sommes déployés avec force publicité là-bas en 1992. Vous savez pourquoi nous sommes intervenus en l'espace de six heures? Parce que les troupes venaient de l'Allemagne. Et ces gars-là de la vieille brigade s'y connaissaient en trains. Ils se sont précipités dans les trains qui ont foncé sur la Croatie. Ils sont arrivés avant les Britanniques, les Français et tous les autres. Les Canadiens en ont été fiers à juste titre. C'est la dernière fois que nous avons pu faire cela. Maintenant, il faudrait qu'on aille chercher ces troupes un peu partout au Canada pour les envoyer là-bas par roulement.
Il faut rationaliser notre interopérabilité avec l'Amérique. C'est une question d'équipement aussi bien que de formation. Nous sommes en train de moderniser et de convertir les F-18. L'armée fait énormément de formation avec les États-Unis compte tenu des contraintes budgétaires. C'est la marine qui fait le meilleur travail. Elle le fait, parce qu'elle a plus d'expérience de ces activités dans le cas du STANAVFORLANT, de l'OTAN et auprès des forces américaines dans le golfe Persique et la mer d'Arabie. Ne nous éparpillons pas trop.
Je ne m'exprime pas très bien, car envoyer un soldat ici et deux ou trois là-bas, ce n'est pas s'éparpiller trop, mais disons que je pense qu'il ne faudrait pas envoyer ces contingents de moins de 10 personnes.
Nous parlons beaucoup de formation des casques bleus de l'Union africaine. Premièrement, ils n'ont pas besoin de formation. Je suis revenu tout récemment de cette région, qui inclut le Kenya et l'Ouganda, il y a deux mois. J'enseignais au Uganda War College. Ces gens-là sont parfaitement capables de faire le travail eux-mêmes, merci beaucoup. Cependant, ils ont besoin d'équipement et de transport.
Le sénateur Meighen : Mais nous ne pouvons pas le leur fournir, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Non. Quand je parle de « transport », je parle de camions pour aller sur place à partir d'un pays voisin comme l'Ouganda.
Je pense que nous pouvons former des gens pour surveiller les élections, mettre sur pied un pouvoir judicaire au Kosovo et ce genre de choses. Mais il ne faut pas beaucoup de formation pour apprendre à des soldats à maintenir la paix.
L'un des problèmes que nous avons au Canada et sur le plan international maintenant concerne la notion d'organisations régionales, un de mes sujets favoris dont j'ai fait la promotion pendant des années, notamment aux États-Unis au cours des premières années de ma retraite. J'ai maintenant changé d'avis du tout au tout sur la question. J'ai examiné des contingents africains qui assuraient le maintien de la paix au Sierra Leone, par exemple, quand ils ont commencé à contribuer au problème. L'idée de neutralité de Pearson, l'idée d'arriver de l'extérieur en étant neutre par rapport au problème, était excellente. Mais après avoir travaillé auprès du Japon et de la Corée sur l'idée de maintien de la paix dans ces deux pays, je ne peux pas les imaginer travailler ensemble à une mission de maintien de la paix en Asie du Sud-Est.
Au lieu de dire qu'on va apprendre aux Africains à s'occuper des problèmes de l'Afrique, je préférerais qu'on envoie là-bas des contingents de Suédois, de Norvégiens et de Fidjiens, si l'on parle strictement de maintien de la paix. S'il s'agit de dire : « Restez en paix ou je vais vous tuer », peu importe qui on envoie. On peut très bien envoyer une organisation de combat faire ce travail.
Le sénateur Meighen : On parle beaucoup de l'écart technologique entre les États-Unis et tous les autres pays. On parle aussi de la capacité de communiquer à tous les niveaux, des premiers intervenants jusqu'à l'appareil militaire. Dans quelle mesure cet écart technologique rend-il difficile cette communication avec les Américains? Qu'est-ce que cela entraîne pour le Canada, sans parler des forces militaires du reste du monde? Est-ce que nous devrions leur dire : « De toute façon, vous allez faire ce que vous voulez. Bonne chance. Allez-y. Nous n'allons pas essayer de rester à votre niveau et nous allons faire ceci ou cela »?
M. Mackenzie : Nous n'en sommes plus à la Seconde Guerre mondiale ou à la Corée, à une époque où notre apport et l'apport d'autres nations pouvaient vraiment faire la différence en matière de puissance de combat. Il s'agit maintenant de politique. On parle de géopolitique. On parle d'un appui dans des zones à risque élevé.
Nous avons combattu dans trois guerres — la première guerre du Golfe, la Serbie et le Kosovo et l'Afghanistan, sans avoir une seule victime. Quand les gens voient cela, ils se disent : « Ces gens-là sont reliés par un élastique à leurs dirigeants politiques chez eux ». Et ils ont raison.
C'est le message de soutien politique qu'on envoie en fournissant ces éléments de pointe. Cela marche parce que l'Amérique a la puissance de combat nécessaire pour faire la différence sur le terrain. Il y a des moyens de faire cela. On peut faire appel à des officiers de liaison. On peut nous prêter des postes de radio, comme on l'a fait dans d'autres missions. Il y a des façons de faire ce genre de choses. Ils ne nous rejetteront jamais en pensant que nous n'avons pas le bon matériel de communication.
Je l'ai déjà dit, et peut-être même à votre comité : j'ai enseigné pendant 11 ans au Army Joint Flag Officers Warfighting Course aux États-unis, mais non pas l'art de la guerre. On me demandait d'expliquer à leurs généraux à deux, trois et quatre étoiles les complications qui interviennent dans le commandement d'une force multinationale où 30 pays sont représentés. J'ai établi de bons rapports avec eux.
Lorsque les deux ministres sont allés en Afghanistan, les Américains les ont félicités et leur ont dit : « Vos gars sont formidables. Ce que vous faites ici est important. » Du moins, c'est ce que le public a entendu. Ce que le commandement de cette force m'a dit à moi, c'est que nous étions des emmerdeurs. Il m'a dit : « Vous avez des soldats formidables, très bien équipés, mais le jour de votre arrivée, vous avez dû nous emprunter nos véhicules pour vous déplacer. » Il nous a fallu échanger un camion de traitement des eaux usées pour des rations. Il nous a fallu emprunter des munitions pour les tireurs d'élite, vous voyez le genre. Ils adorent la qualité de nos gens, à titre individuel et en petits groupes, mais nous pourrions mieux faire en envoyant à l'étranger des troupes autosuffisantes et interopérables.
Le sénateur Meighen : Sans avoir à entrer dans la stratosphère de la haute technologie?
M. McKenzie : Oui, c'est vrai.
Le président : Vous avez parlé des troupes qu'on envoie par navires. Il n'est pas bon que les troupes séjournent trop longtemps à bord des navires, n'est-ce pas?
M. Mackenzie : Vous pouvez poser la question au United States Marine Corp, et aux Britanniques qui sont allés aux Falklands. Il est possible de faire cela si un séjour à bord est raisonnable. Le voyage ne peut pas durer des mois; il faut jeter l'ancre, des fois. Chose certaine, vous devez être en mesure de conserver votre condition physique et vos compétences dans le maniement des armes, ce que les Britanniques ont réussi à faire en route vers les Falklands. C'est possible, mais pas pendant des mois.
Le président : Si on les envoie par mauvais temps, on sait qu'ils n'arriveront pas en bonne condition physique.
M. Mackenzie : Il y a des médicaments pour ça. Si vous n'avez pas le sens de l'humour, pas la peine d'endosser un uniforme. Cela fait partie du métier.
Le président : Si le gouvernement envoyait une force opérationnelle par mer pour ensuite lui retirer sa mission, ne croyez-vous pas qu'il y aurait un prix politique élevé à payer pour cela?
M. Mackenzie : Oui, je pense que ce serait possible. Nous avons pris des décisions plus audacieuses que celle-là par le passé. Il nous a fallu trois semaines pour débarquer à Haïti dans notre propre hémisphère. Cette force aurait pu s'y rendre — je ne suis pas marin — aisément en une semaine, avec une unité formée et prête à parer le pire, au lieu de s'en tenir à l'habitude des Nations Unies, pour des raisons d'argent où l'on imagine toujours les scénarios les plus optimistes, on s'imagine que les choses vont se passer comme on veut, et parfois ce n'est pas le cas.
Le sénateur Cordy : Vous avez mentionné Shearwater. Je suis de la Nouvelle-Écosse. Je suis parfaitement d'accord avec vous. Au milieu des années 90, lorsque le Sommet du G-8 s'est tenu à Halifax, les chefs de tous ces pays ont pu atterrir à Shearwater, et de là se rendre en bateau de Shearwater jusqu'au centre-ville de Halifax, ce qui, du point de vue de la sécurité, était la meilleure façon de procéder.
La semaine dernière, George Bush est arrivé à Halifax, et son avion n'a pas pu atterrir à Shearwater parce que la piste d'atterrissage était en trop mauvais état. La piste est hors d'usage, et vous avez mentionné le fait qu'on espère ne pas perdre l'accès à la mer. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. Il est très malheureux de voir se détériorer ainsi une propriété gouvernementale, qui donnait accès immédiatement au centre-ville, ainsi que l'accès à l'océan par le port de Halifax.
M. Mackenzie : Il est évident que c'est un échec. Une pléthore d'officiers retraités des trois armes ont convenu — et cela est en soi fort inhabituel — que l'on devrait conserver Shearwater comme base de préparation. La Canadian Land Company — qui fait un beau travail, comprenez-moi bien — a fait l'acquisition de cette propriété. Vous venez de confirmer que le président des États-Unis n'a pas pu atterrir là-bas, non pas parce que l'aéroport est en si mauvais état, mais parce qu'on est en train de le démanteler; on fait table rase. C'est une tragédie. S'il fallait reconstruire toute la base, il vous en coûterait 1 milliard de dollars : la jetée, les casernes, et cetera, ce qui est exactement ce qu'il vous faudrait si vous deviez mettre en œuvre ce que nous recommandons. Même si on ne met pas en œuvre nos recommandations; même s'il ne s'agit que de déplacer des troupes de Gagetown à Halifax, les faire monter à bord d'un navire nolisé pour les envoyer à l'étranger, cette installation demeure une base de préparation inégalée.
Dans les questions officielles qui m'ont été adressées, on m'a interrogé sur le document que j'avais soumis au premier ministre, et qui avait été approuvé par tous ces autres officiers. Le texte a été envoyé au premier ministre, au chef de l'opposition, aux présidents des comités de la défense des Communes et du Sénat et au ministre de la Défense nationale. J'ai reçu deux réponses. L'une était une lettre type, un mot de remerciement de l'ancien ministre. L'autre réponse que j'ai reçue m'est venue de votre président, avec une note manuscrite sous le texte dactylographié, me remerciant et m'assurant que le texte serait remis aux membres du comité. Ce furent les deux seules réponses. Les autres ne m'ont même pas envoyé d'accusé de réception. C'était pourtant un travail sérieux, qui avait coûté six mois de travail à un grand nombre d'officiers supérieurs. On se serait imaginé qu'on aurait à tout le moins reçu un accusé de réception. Je suis allé voir le porte-parole en matière de défense, à sa demande, et il n'avait pas vu le texte. Son prédécesseur ne le lui avait pas transmis.
Le président : Si Shearwater reprenait du service et que la piste d'atterrissage était opérationnelle, pourriez-vous justifier aussi Greenwood?
M. Mackenzie : À mon avis, Greenwood est beaucoup plus importante pour la surveillance maritime, par opposition à une base de préparation pour une force amphibie. Sa justification est toute trouvée. Vous le savez sans doute mieux que moi, cette exigence est supérieure.
Le président : Je comprends, mais combien de bases aériennes faut-il dans une seule province?
M. Mackenzie : Il ne s'agit pas d'une base aérienne, monsieur. C'est un emplacement qui pourrait être utilisé dans le cas où l'on déploierait une force de réaction rapide par voie aérienne, ou si l'on envoyait des gens à Shearwater pour qu'ils s'embarquent et partent, s'ils n'y sont pas d'une manière permanente. Nous avons des installations temporaires de contrôle du trafic aérien qui peuvent faire l'affaire, mais j'ai la certitude que le côté civil de la maison aurait continué d'utiliser l'aéroport comme remplacement à l'autre aéroport du coin qui résiste mal au mauvais temps. Je suis de la région près de Truro, je connais donc bien la région, avec son brouillard le long de la côte de Fundy.
Le sénateur Cordy : J'aimerais discuter du même paragraphe dans votre rapport où il est question d'acquisition. Vous parlez de ce plan de 10 ans, et vous dites qu'on devrait peut-être louer. Comment va-t-on rendre les acquisitions plus efficientes? C'est une question de coût et de temps. Le temps qu'il faut, qui augmente les coûts, est une aberration pour moi.
M. Mackenzie : Absolument, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai évité de servir au quartier général de la Défense nationale. Il y a eu de nombreux excellents textes qui ont été écrits sur la question, et on a fait un tas d'excellentes recommandations, même dans les rapports que j'ai mentionnés, Granatstein, Bercuson, et cetera. On a longuement étudié la question des acquisitions, qui échappe au contrôle direct du ministère de la Défense nationale. Il est sûr qu'il y a là un grand potentiel de rationalisation. Cependant, cela ne s'est pas fait et, chose certaine, cela mobilise plus de monde au sein des forces.
Dans les années 40 et 50, si on avait besoin d'acheter un char d'assaut, trois ou quatre personnes s'occupaient du projet, en tout cas c'est ce que m'a dit le général qui en était chargé à l'époque. Aujourd'hui, si on veut acheter un nouveau char d'assaut, l'auditorium d'un théâtre ne suffirait pas à contenir toutes les personnes qui prennent part à la décision.
J'aimerais répondre à votre question, mais je me contenterai de dire qu'il y a des gens beaucoup plus intelligents que moi qui ont étudié le problème et qui ont fait des recommandations importantes.
Le sénateur Banks : Mes questions ont pour thème l'incrédulité. Comment diable est-ce arrivé? Dans les bandes dessinées, on répond que c'est à cause des militaires. Cependant, cette réponse ne peut pas toujours suffire.
L'avantage de Shearwater, c'était la proximité des capacités maritime et aérienne. C'est virtuellement au même endroit. Si l'on met en œuvre bon nombre de nos intentions, il nous faudra rebâtir cette installation. Alors cette semaine, on la démantèle; et la semaine prochaine, il faudra la reconstruire, et Dieu sait à quel prix.
Mon incrédulité tient aussi à ce dont vous avez parlé — et j'ai la conviction que bon nombre de ces histoires sont apocryphes — notamment, cette histoire où les Forces canadiennes vont à l'étranger et elles n'ont même pas de pâte dentifrice, ou elles ont deux caisses de mitaines pour gauchers, ou alors les tireurs d'élite n'ont pas de munitions pour leurs fusils.
Comment cela est-il possible? Comment peut-on envoyer une force expéditionnaire de petite ou de grande taille quelque part sans les camions qu'il lui faut pour se déplacer ou sans munitions pour les fusils? Comment cela est-il possible?
M. Mackenzie : La fusion d'organisations temporaires aggrave la situation. Vous avez mentionné l'exemple du RCR. Si vous envoyez une unité comme le RCR quelque part, il y a suffisamment de savoir au sein de cette organisation, et elle est stable. Le pire qu'on puisse faire au moment d'entreprendre une mission compliquée, c'est de se réorganiser. Cette unité n'a pas besoin de se réorganiser, ou elle peut le faire elle-même. Elle a un officier du transport qui sait comment envoyer des choses par avion et elle a des logisticiens et un bataillon des services. Ces gens savent que le système ne les soutiendra pas, et c'est la raison pour laquelle ils emportent plus de tubes de pâte dentifrice qu'il ne leur en faut, ce genre de choses, et ils se débrouillent à l'arrivée.
En 1973, j'ai servi au sein d'une organisation où l'on avait fabriqué de toutes pièces une compagnie des services, et le contingent a échoué lamentablement. C'est la raison pour laquelle j'avais été envoyé là-bas. Même si je n'étais que major, on me prêtait une longue expérience des Nations Unies, et le général sur place à l'époque n'arrivait pas à maîtriser la situation. J'ai été envoyé là-bas presque comme un agent de la Gestapo pour faire un rapport du QGDN sur le moral et quelques autres éléments de ce genre, parce que nous avions eu quelques tués et les autopsies ne s'étaient pas bien passées au centre-ville du Caire. Il s'agissait d'une unité temporaire. L'officier commandant a été congédié, et le général a été remplacé par Don Holmes, Dieu ait son âme, qui a fait un travail superbe.
Si les unités sont suffisamment imposantes, on peut leur confier la mission, et ces gens savent qui appeler à la brigade pour s'assurer qu'ils seront bien préparés avant de partir outre-mer.
Le Régiment aéroporté du Canada — et l'enquête ne s'est jamais rendue là — avait vu sa mission modifiée juste avant son départ. Il devait constituer une force de maintien de la paix genre scout, et je leur avais dit : « Non, c'est le chapitre 7 qui s'applique maintenant. Les États-Unis dirigent la coalition, et vous devrez vous battre pour y prendre pied, et vous devrez probablement prendre possession d'une tête de pont aérienne sous le feu de l'ennemi lorsque vous serez là-bas. » C'est ce qui est arrivé, mais l'ennemi n'a pas riposté parce qu'ils étaient bien organisés et résolus, et l'ennemi a quitté le champ de bataille et leur a cédé la piste aérienne.
Dans les questions qui m'ont été remises, je note la question sur la transformation. Votre interprétation de la transformation tenait à cette notion du prêt à l'emploi. Je vais assister ce soir à un briefing du général Hillier à Toronto. Nous serons plusieurs à assister à un briefing sur la transformation. J'espère ne pas mettre de mots dans sa bouche, mais pour moi, la transformation, c'est le fait d'utiliser ce système incroyable de cueillette d'information et de ciblage pour réduire le nombre de personnes agissantes étant donné la capacité accrue des systèmes d'armement. Le gars des forces spéciales monté sur son cheval fait venir un B-52 et désigne une cible à deux milles de là, et le missile entre par la fenêtre d'une maison.
Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que la transformation devrait être présentée comme l'amalgame d'unités disparates au nom de l'efficience, parce que ce n'est pas efficient. Je ne crois tout simplement pas que ce soit plus efficient. Cela répond à votre question de savoir comment ils ont pu se présenter là-bas avec des camions, parce que ceux-ci ont été chargés à Edmonton, et le personnel a été envoyé là-bas par avion et parachuté, et leurs camions suivaient derrière, ou même plus près. Ils ont été envoyés par bateau. Il y a une autre expression que je préfère, « avec une efficience toute militaire ».
Le sénateur Banks : C'est un oxymoron, n'est-ce pas?
Le sénateur Day : Merci, général, pour votre Livre blanc sur la défense de 2005. C'est pour nous un bon point de départ. Dans la première partie de votre livre blanc, général, vous partez d'un certain nombre d'hypothèses qui sont les mêmes pour tous, j'imagine. Si l'on voit ce qui s'est fait en matière de déploiement depuis le livre blanc de 1994, il y a eu beaucoup de déploiements que l'on en envisageait à l'époque où l'on a rédigé ce livre blanc. Il nous faut maintenant établir des hypothèses sur le rythme des déploiements, sur la fréquence avec laquelle nos forces devront aller outre-mer au cours des 10 prochaines années.
M. Mackenzie : Je vous ferais remarquer, cependant, monsieur le sénateur, qu'avec le Livre blanc de 1994, si l'on avait pu faire ce qui y était dit, nous n'aurions eu aucune difficulté avec les déploiements que nous avons eus au cours des 10 années qui ont suivi. Ce livre blanc disait que nous devrions être en mesure de soutenir indéfiniment la présence de 5 000 soldats outre-mer. Le plus gros contingent que nous ayons déployé il y a quelques années de cela était les 700 Patricia à Kandahar, et on disait à l'époque qu'on ne pourrait pas les garder là plus de six mois, ou les remplacer. Si l'on pouvait maintenir 5 000 soldats outre-mer, j'en serais ravi. Je parle bien sûr de l'armée. À l'époque, nous avions quatre navires, et 95 p. 100 de la marine était déployée par rotation.
Le sénateur Day : Plutôt que d'essayer de prédire combien de déploiements se feront au cours des cinq prochaines années, l'amiral que nous avons entendu aujourd'hui a dit que nous allons établir une norme objective quelconque. Il disait que pour chaque mois passé à l'étranger, le soldat devrait rentrer au Canada pour cinq mois. S'il s'agit d'un marin, pour chaque mois passé en mer, il devrait rester au Canada quatre mois. Cette moyenne d'un sur cinq et d'un sur quatre est-elle à votre avis une norme objective raisonnable?
M. Mackenzie : Il n'en adviendra rien. Quelqu'un de la colline téléphonera, et nous, avec cette responsabilité de protéger, nous allons déployer cette personne peu importe la norme. C'est comme ça que ça marche. Ils vont brandir des formulaires de désistement, comme c'est le cas dans l'armée et la marine. Vous n'êtes pas obligés d'accepter un déploiement. Après votre mission à l'étranger, vous avez droit à une année chez vous, mais vous pouvez toujours signer un formulaire de désistement, et il faut aussi compter avec les pressions des camarades. Moi je suis l'imbécile qui s'est porté volontaire neuf fois pour ce genre de choses, parce qu'on ne veut pas que les collègues rentrent au pays et disent : « Tu aurais dû être là, Lew. » On veut être du premier groupe qui part, autant que possible.
Il me plaît de penser que les soldats, les marins et les aviateurs sont encore comme ça. Les gars et les filles vont continuer de se porter volontaires et de faire ce genre de choses, et le gouvernement va continuer de leur confier des missions. Ce qu'il faut aux forces armées, c'est du personnel et du matériel pour pouvoir réagir sans avoir à fusionner des organisations.
Le sénateur Day : Réagir à quoi? On ne sait pas ce qui va se passer, alors comment peut-on se préparer à réagir?
M. Mackenzie : Je vous répondrai que c'est une industrie d'avenir, parce que la responsabilité de protéger est un principe important, et je suis évidemment d'accord avec cette responsabilité de protéger. Étant donné qu'il s'est engagé sur la place publique internationale à faire valoir la responsabilité de protéger — que Dieu l'en remercie — le premier ministre devra parfois livrer la marchandise, et il devra recourir à la diplomatie et augmenter l'aide étrangère ainsi que les crédits militaires.
Le sénateur Day : Quand vous recommandez une armée de 75 000 ou 80 000 militaires, et divers autres facteurs, est- ce que parce que vous croyez que le nombre de déploiements va augmenter au cours des 10 prochaines années au même rythme que par le passé?
M. Mackenzie : Oui. Les chiffres que j'ai sont très proches des vôtres. J'en entrevois six ou sept dans l'armée de terre, trois dans la marine et deux dans l'aviation. Il y a les augmentations parallèles au niveau des infrastructures, et ça donne à peu près 75 000 à 80 000 hommes. Si vous avez 80 000 militaires, il n'y en a que 75 000 qui sont déployables. Autrement dit, il y aura des tas de gens qui vont prendre leur retraite, ce genre de choses. Cela est fondé sur l'hypothèse que la demande va croître et non diminuer.
Nous pourrions faire aujourd'hui ce que nous faisions en 1992 quand 12 000 soldats étaient déployés. Beaucoup de gens oublient que nous avions une brigade en Allemagne dans un groupe aérien, plus 600 soldats à Chypre, près de 2 000 en Bosnie, environ 500 au Cambodge et 1 400 en Somalie. C'est une période d'activité intense. Cela pourrait arriver aujourd'hui. Nous pourrions être en Sierra Leone avec un bataillon; nous pourrions avoir un groupe-bataillon au Darfour; nous pourrions avoir un bataillon en Iraq et nous pourrions avoir un plus gros contingent en Afghanistan. La demande existe. Il est évident que nous ne répondrons pas aux vœux de tout le monde. Par contre, il sera plus difficile de refuser quand ce ne sera pas seulement l'ONU; par exemple, lorsque la requête viendra de l'OTAN ou de l'OSCE.
Le président : Mais il faudra cinq ans pour recruter 5 000 soldats de plus?
M. Mackenzie : Oui.
Le président : Général, merci beaucoup au nom du comité. La discussion a été fort intéressante. Nous vous remercions de vos observations. Elles nous aident à préciser notre travail d'examen des capacités de défense du Canada. Nous espérons avoir l'occasion de communiquer de nouveau avec vous à l'avenir et, si vous en avez le temps, de vous réinviter à nouveau.
M. Mackenzie : Merci, et j'apprécie sincèrement ce que vous faites parce que c'est ce qui se rapproche le plus d'un livre blanc, dont on a cruellement besoin.
Le président : Je m'adresse maintenant aux téléspectateurs. Pour toute question ou réaction, veuillez consulter notre site Web à www.sen-sac.ca. Vous y trouverez les comptes rendus des délibérations du comité ainsi que la date des prochaines réunions du comité. Vous pouvez également communiquer par téléphone avec le greffier du comité au numéro 1-800-267-7362 pour obtenir un complément d'information ou de l'aide pour contacter les membres du comité.
La séance est suspendue.
La séance reprend.
Le président : Avant de passer aux prochains témoins, j'aimerais vous présenter, à mon extrême droite, le sénateur Pierre Claude Nolin du Québec. Le sénateur Nolin a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet réclamant la légalisation et la réglementation du cannabis au pays. Il est vice-président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.
Au bout de la table se trouve le sénateur Michael Meighen de l'Ontario. Il est avocat et inscrit au barreau du Haut- Canada et au barreau du Québec. Il est actuellement président de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est aussi membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial des pêches et des océans.
Le premier témoin cet après-midi est Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada depuis sa nomination le 31 mai 2001. Mme Fraser est entrée au Bureau du vérificateur général comme vérificatrice générale adjointe, Opérations de vérification, en janvier 1999. Avant d'entrer au Bureau, Mme Fraser a eu une carrière remplie et exigeante à la maison Ernst & Young, où elle est devenue associée en 1981. Elle a obtenu un baccalauréat en commerce de l'Université McGill en 1972 et est devenue comptable agréée en 1974.
Madame Fraser, c'est avec plaisir que nous vous accueillons à nouveau. Auriez-vous l'amabilité de nous présenter vos collègues? Je crois aussi savoir que vous avez un court texte. La parole est à vous.
Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs de nous avoir invités à venir discuter de nos travaux de vérification portant sur la sécurité nationale et la défense nationale. Je suis accompagnée aujourd'hui de Hugh McRoberts, vérificateur général adjoint, ainsi que de Peter Kasurak et de Wendy Loschiuk, directeurs principaux de notre bureau qui sont responsables des vérifications de la sécurité nationale et de la défense nationale.
Dans une lettre que nous avons récemment fait parvenir au comité, nous avons dressé une liste de sujets qui font ou ont fait l'objet d'une vérification. Ma déclaration d'ouverture portera sur certaines de ces questions.
La question principale à laquelle le gouvernement doit répondre en matière de sécurité nationale n'est pas « Que faut-il faire? », mais bien « Comment le faire? ». Le budget de 2001 énonçait clairement les buts fondamentaux en la matière, soit assurer la sécurité du pays, en interdire l'accès aux terroristes et laisser nos frontières ouvertes aux voyageurs légitimes et au commerce. Notre vérification a permis de constater que presque toute la somme de 7,7 milliards de dollars prévue au budget de 2001 pour le rehaussement du niveau de sécurité a été consacrée à la réalisation de ces buts.
Le plus difficile est de mettre en place des structures permettant de bien orienter les efforts du gouvernement. Au moment où nous avons commencé notre vérification, on comptait au moins 16 organismes chargés d'exécuter ou de diriger des programmes de sécurité nationale. Les manquements les plus courants que nous avons constatés s'expliquaient par la gestion en vase clos des responsabilités ou simplement par la complexité de l'entreprise en raison même du nombre d'organismes concernés. Une meilleure coordination entre les organismes de renseignement et les organismes de sécurité s'imposait. Nous avons constaté que le gouvernement ne disposait pas d'un cadre de gestion lui permettant d'orienter les décisions d'investissement, de gestion et de développement, de diriger les interventions complémentaires dans les divers organismes et de choisir entre des priorités concurrentes.
[Français]
Nous avons également constaté qu'il y avait des lacunes dans la gestion des renseignements à l'échelle du gouvernement. Un manque de coordination a laissé des vides dans le champ d'application des activités de renseignement et créé du double emploi. Dans l'ensemble, le gouvernement n'a pas bien évalué les enseignements à tirer en matière de renseignements, d'accidents critiques, ni fait de suivi à l'égard des plans d'amélioration.
Le gouvernement a effectué des changements structuraux pour donner suite à nos constatations, et il a adopté sa première politique en matière de sécurité nationale.
Le gouvernement a failli à la tâche de rendre les systèmes d'information sur la sécurité plus aptes à échanger les uns avec les autres. L'initiative de la sécurité publique et de l'antiterrorisme n'a pas financé les projets qui auraient contribué à faire face à la demande accrue d'identification par les empreintes digitales. On a depuis investi d'autres fonds dans le système d'identification en temps réel, mais il pourrait être difficile de mener les travaux à terme avec le montant alloué. De même, il serait difficile d'intégrer des projets de technologie de l'information entre tous les organismes.
Les renseignements criminels n'ont pas été utilisés pour filtrer les demandeurs de cote de sécurité donnant accès aux zones réglementées des aéroports. On a donc accordé les cotes sans vérifier si les intéressés avaient des liens avec le monde criminel. Notre protocole d'entente, conclu par la GRC et Transports Canada afin de faciliter l'échange d'information, est nécessaire à toute amélioration. Mais les procédures et les systèmes d'information doivent être mis à jour pour aller de l'avant.
Il existe un grand désordre en ce qui concerne les listes de surveillance servant au filtrage des demandeurs de visa et de statut de réfugiés, ou des voyageurs qui demandent à entrer en territoire canadien. L'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC se sont engagés à améliorer la mise à jour de ces listes de surveillance. Il y aurait peut-être lieu de se renseigner maintenant sur les progrès faits à cet égard.
Le gouvernement s'est attaqué à la tâche en adoptant sa première politique en matière de sécurité nationale en vue de mettre sur pied un système de sécurité intégré. Il a également regroupé plusieurs organismes de sécurité au sein du nouveau ministère de la Sécurité publique et de la protection civile, qui relève d'un seul ministre. Un projet de loi visant à définir les rôles et les pouvoirs de ces institutions a été déposé au Parlement.
[Traduction]
Monsieur le président, le comité sera peut-être intéressé de savoir si le gouvernement marque des progrès en ce qui concerne l'intégration des programmes de sécurité. Au printemps prochain, je rendrai compte de mes travaux sur d'autres éléments de l'initiative du budget de 2001, c'est-à-dire la protection civile, la sécurité maritime et la sécurité aérienne.
Je vais maintenant passer à la défense nationale. Au fil des ans, mon bureau a souvent examiné le ministère de la Défense nationale et je suis heureuse d'avoir l'occasion de vous entretenir de quelques-uns de nos travaux. Comme vous le savez, nous avons tout récemment fait rapport sur le programme de modernisation des avions de chasse CF-18. Il serait peut-être approprié que je parle d'abord de nos constatations à ce sujet. D'après les déclarations que j'ai déjà faites, vous savez probablement que je suis, dans l'ensemble, satisfaite des résultats obtenus à ce jour par le ministère dans le cadre de ce programme. La phase 1 du programme respecte les budgets et les avions qui sortent de la chaîne de montage répondent aux attentes du ministère. En fait, les avions modernisés sont actuellement utilisés aux bases des Forces canadiennes Cold Lake, en Alberta, et Bagotville, au Québec. Bien sûr, le programme n'est pas sans problème. Nous avons constaté qu'il y avait des retards dans deux projets de modernisation — c'est-à-dire l'acquisition de simulateurs et l'utilisation d'écrans dans les postes de pilotage. Les retards sont attribuables à une pénurie de personnel et à des problèmes d'approbation des projets.
Le ministère de la Défense nationale doit donc améliorer la gestion des projets et des risques s'il veut être en mesure de régler les problèmes qui retardent la mise en œuvre des projets. Dans ce sens, le programme de modernisation des CF-18 ne diffère pas des autres grands programmes d'équipement que nous avons vérifiés.
[Français]
Par exemple, en 1998, nous avions examiné six grands projets d'acquisition de biens d'équipement du ministère de la Défense nationale et avons constaté que le ministère devait améliorer la gestion du projet et la manière dont il ressassait et gérait les risques.
Deux ans plus tard, nous avons effectué un suivi de la vérification de 1998. Nous avions alors été encouragés par les améliorations qui avaient été apportées. Pourtant, en 1998, en 2000 et de nouveau en 2004, nous avons chaque fois constaté que le ministère ne peut s'assurer que les personnes appropriées, avec les compétences requises, sont disponibles pour mener à bien ces grands projets d'équipement. Néanmoins, l'équipe du programme de modernisation des avions de chasse CF-18 a travaillé très fort pour mettre en œuvre la phase I du programme. Cependant, la phase II pourrait être plus difficile à gérer. J'aimerais donc que le ministère renforce ses capacités de gestion pour affronter les difficultés auxquelles il peut raisonnablement s'attendre au cours de la mise en œuvre de la phase II de ce programme ou de tout autre grand projet d'acquisition. La haute direction doit disposer d'une meilleure information sur le déroulement des projets et le traitement effectif des risques.
La phase II devrait être terminée en 2009. Par la suite, la force aérienne prévoit pouvoir voler pendant au moins huit ans avec les avions de chasse améliorés. Cependant, si les avions modernisés ne sont pas mis en service en 2009, la force aérienne ne pourrait pas les utiliser pendant la période prévue de huit ans. Or, plus la durée d'utilisation des avions de chasse, dans la version modernisée, est longue, plus la force aérienne les rentabilisera.
C'est donc dire que le ministère devrait garantir au comité qu'il sera en mesure de livrer les avions complètement modernisés en temps voulu.
Une fois que les avions de chasse modernisés auront été livrés aux escadrons, il faudrait veiller à ce que la force aérienne puisse les utiliser de façon optimale. Autrement dit, il devrait y avoir des pilotes, des techniciens d'entretien, des pièces de rechange et des fonds.
[Traduction]
Nous nous sommes déjà inquiétés de la pénurie de techniciens d'entretien d'aéronefs au sein des Forces canadiennes. En 2001, dans notre chapitre sur l'équipement en service, nous avions indiqué qu'il y avait trop peu de techniciens pour effectuer les travaux nécessaires, et que ceux qui étaient disponibles n'étaient pas suffisamment qualifiés. En 2002, dans nos chapitres sur le recrutement et le maintien du personnel militaire et sur le contrat pour le programme d'entraînement en vol de l'OTAN, nous avions mentionné une pénurie de pilotes. Je reste préoccupée par la situation, mais je suis encouragée par la réponse donnée par le ministère, qui affirme qu'il consacre davantage de fonds à la formation d'un plus grand nombre de techniciens et au recrutement de pilotes.
Nous avons signalé d'autres problèmes qui ont une incidence sur le processus d'acquisition au ministère. En 1998, nous avons examiné six grands projets d'acquisition de biens d'équipement du ministère et le budget consacré aux dépenses en capital pour l'achat de biens d'équipement. En 2000, nous avons vérifié si le ministère avait donné suite à nos recommandations de 1998 et nous avons été encouragés de constater des améliorations. En 2003, nous avons fait rapport sur l'achat d'aéronefs Challenger. Je serai heureuse de vous faire part de nos constatations.
Nous avons aussi déjà exprimé des inquiétudes au sujet de l'information fournie au Parlement sur l'état de préparation des Forces canadiennes. Le ministère de la Défense nationale doit surmonter de nombreuses difficultés qui ont une incidence sur l'état de préparation. Ainsi, dans plusieurs rapports de vérification, nous avons parlé des problèmes de recrutement et de maintien du personnel militaire des Forces canadiennes et des effets, sur les opérations, de l'insuffisance de personnel, en particulier de personnel compétent. La désuétude grandissante de l'équipement, qui devient de plus en plus coûteux à entretenir et de moins en moins utilisé, est un autre secteur où une meilleure information pourrait aider le Parlement.
Monsieur le président, le comité montre un vif intérêt pour les Forces canadiennes. Il veut savoir si les Forces sont en mesure d'accomplir ce que l'on attend d'elles et si elles peuvent s'adapter pour répondre aux nouveaux besoins. Nous avons déjà posé ces questions et nous continuerons de les poser. Nous examinons en ce moment un aspect de cette adaptation et nous ferons rapport à ce sujet en avril 2005.
Monsieur le président, c'est ainsi que se termine ma déclaration d'ouverture. Mes collègues et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Fraser. Je ne saurais vous dire combien nous prisons votre travail et apprécions de recevoir vos lettres et rapports. Ils nous sont d'un grand secours et nous vous en sommes reconnaissants.
Les premières questions aujourd'hui viendront du sénateur Day.
Le sénateur Day : Tout d'abord, j'aimerais discuter du processus d'acquisition à la Défense nationale. Dans votre exposé, vous dites avoir examiné six grandes acquisitions d'équipement en 1998. Quelques années plus tard, vous avez vérifié si vos recommandations avaient été suivies et vous dites avoir été encouragée par les progrès réalisés.
Nous avons vent de quantité de cas actuels — et non de cas qui remontent à trois, quatre ou six ans — de retard et de frustration causés par la longueur du processus d'acquisition. Avez-vous de l'information plus récente au sujet des acquisitions? Qu'avez-vous constaté? Voyez-vous des améliorations?
Mme Fraser : La vérification la plus récente que nous avons faite sur le CF-18 illustre bien le problème que vous évoquez. Comme nous le disons dans notre rapport, il aura fallu 14 ans entre le moment où le problème a été constaté et la fin de la première phase. Le ministère lui-même admet que le processus est trop long et nous a indiqué qu'il entreprend actuellement une étude et s'est fixé pour objectif de raccourcir la période d'acquisition à 11 ans, ce que d'aucuns estimeront encore trop long, peut-être.
Le rapport comprend une annexe qui illustre les divers retards, en particulier dans le cas du CF-18. Je demanderais également à Mme Loschiuk d'en parler. Il se peut qu'un grand nombre de ces retards soient indépendants de la volonté des gestionnaires de chacun des projets.
Mme Wendy Loschiuk, directrice principale, Bureau du vérificateur général du Canada : Dans le cas du CF-18, nous avons constaté des retards quand on a essayé de faire avancer des projets et des composantes de projet tout au long du processus, ne serait-ce que pour les faire approuver. Le problème tenait en partie au fait qu'il y avait trop de niveaux d'approbation au ministère. Beaucoup de ces projets ont dû passer par plusieurs niveaux, un problème que le ministère aussi admet et veut corriger.
Il y a aussi des retards à l'extérieur du ministère. Certains sont survenus dans les tractations avec Travaux publics et Services gouvernementaux Canada ou avec le Conseil du Trésor pour l'obtention des approbations. Nous ne les avons pas examinés de très près. Cela débordait un peu le cadre de la vérification.
Le sénateur Day : Le ministre des Travaux publics, Scott Brison, a au moins entrepris une étude au sujet des acquisitions qui portera sur son ministère plutôt que sur celui de la Défense.
Avez-vous pu cerner des points précis à l'origine des retards au QGDN et avez-vous pu faire des distinctions entre les militaires et les civils?
Mme Loschiuk : Je dois vous dire que nous n'avons pas fait de distinction particulière entre les militaires ou les civils. Nous nous sommes contentés d'examiner le processus global d'acquisition des CF-18 améliorés. Nous avons constaté quelques problèmes que le ministère doit régler, ne serait-ce que pour gérer lui-même le projet à l'interne et pour pouvoir agir plus rapidement. Le ministère a besoin d'une information de meilleure qualité pour pouvoir déterminer ce qui se passe, s'il est dans les temps et, sinon, pour pouvoir accélérer les choses.
La deuxième chose que nous avons constatée, c'est que parfois les gens qui travaillaient à l'interne à des projets ne possédaient pas l'expérience ou les compétences qui leur auraient permis d'aplanir les difficultés et d'accélérer les choses. Parfois, cela tient simplement au fait que l'on n'a pas les gens qu'il faut, ou suffisamment de gens, au ministère, à affecter à ces projets.
Le sénateur Day : Vous avez fait une vérification d'optimisation des ressources au quartier général de la Défense nationale. Serait-il possible d'optimiser les ressources si les acquisitions étaient effectuées par des gens dont le travail est de savoir comment gérer les projets, par opposition à quelqu'un qui sera là pendant trois ans, ou deux ans à faire un autre travail et qui retournera ensuite sur le terrain faire ce qu'il a été formé pour faire pendant la quasi-totalité de sa vie adulte?
Mme Loschiuk : Dans ce cas particulier, le CF-18 est un exemple d'acquisition à long terme extrêmement complexe et beaucoup de gens se succèdent tout au long d'un projet comme celui-ci. Il est certain que la stabilité aurait du bon. Une plus longue expérience et davantage de compétences contribueraient certainement à faire avancer le projet. Tout ce que vous avez relevé sont des points faibles que nous avons notés. Dans un projet pluriannuel, multiphases de plusieurs milliards de dollars comme celui-ci, ce sont autant de points faibles à corriger, c'est sûr.
Le sénateur Day : Vous parlez de gestion de projet et je viens de poser une question sur ce point et je vous remercie de votre réponse. Vous parlez aussi de la façon dont le ministère repère et gère les risques. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la question et me dire de quoi il s'agit ici?
Mme Fraser : En ce qui concerne la gestion de projet, je dirai que nous avons formulé des observations et des recommandations dans ce chapitre sur le nombre de personnes affectées globalement au ministère à la gestion des projets. Le nombre d'employés affectés à la gestion de projet est actuellement plafonné, quels que soient le nombre ou la complexité des projets en cours. C'est un des problèmes.
Il y a aussi la connaissance de la gestion des projets, et je dirais que cela est relié en quelque sorte à la gestion du risque. Nous avons des inquiétudes en particulier en ce qui concerne la phase 2, même si le ministère a fait du bon travail malgré le nombre de difficultés qu'il a eues à la phase 1 à finir à temps sans dépassement de coûts. Certains projets sont en retard, et la phase 2 sera encore plus complexe et difficile. Il faudrait que quelqu'un recense tous les risques potentiels et la parade à employer au besoin. Il est raisonnable de s'attendre à ce que certaines de ces éventualités surviennent.
Il faut mieux recenser les risques et les mesures à prendre pour les atténuer ou les minimiser. Il y a des problèmes de qualification du personnel et de financement. Par exemple, les simulateurs font problème. Ils seront en retard. Les pilotes devront donc s'entraîner sur les avions plutôt que sur les simulateurs, ce qui présente d'autres difficultés. Nous disions à l'instant qu'avec toutes les complexités qui surgissent, il est nécessaire de mieux les recenser pour mieux les gérer.
Le sénateur Day : Essentiellement, les acquisitions au sein des Forces canadiennes — outre l'équipement et les services — se font essentiellement de la même manière que dans toute autre organisation complexe?
Mme Fraser : J'imagine que oui. Chose certaine, c'est complexe. Souvent, il s'agit de projets très grands à fournisseur unique. Cela doit donc s'accompagner d'une certaine rigueur. Il y a aussi toute la gestion d'un certain nombre de composantes dans ce qui constitue de très grands projets.
Le sénateur Day : N'entend-on parler de retard au sein des Forces canadiennes alors qu'il se produit la même chose dans d'autres ministères, comme celui des Ressources naturelles, sauf que cela ne fait pas autant la manchette?
Mme Fraser : J'imagine qu'il y a sans doute des retards aussi dans d'autres grands projets.
M. Hugh McRoberts, vérificateur général adjoint : L'évolution des opérations du gouvernement fédéral est telle que, de plus en plus, le ministère de la Défense nationale est l'un des rares à faire ce genre de choses de manière courante. Par le passé, quand j'ai fait la vérification de grands projets de ce genre dans d'autres ministères, j'ai constaté des difficultés et des problèmes semblables. Il s'agit donc dans une certaine mesure de problèmes indissociables de grands projets complexes.
Le sénateur Day : Ce matin, le vice-amiral Buck nous a parlé d'une pièce d'équipement qui avait été approuvée : l'argent avait été affecté, ils savent ce qu'ils veulent et ont présenté leur demande. Il y en a déjà deux pareils qui sont en service. Le problème n'est pas de faire fonctionner l'équipement ou de le tester pour voir s'il va fonctionner. Tout ce qu'il faut, c'est l'approbation du Conseil du Trésor. Il dit s'attendre à ce que cela prenne entre quatre et six mois pour obtenir le feu vert. Pourquoi intègre-t-on ce genre de retard dans un système?
Mme Fraser : Tout ce que je peux dire, c'est que c'est une excellente question. Peut-être que le Conseil du Trésor devrait y répondre.
Le sénateur Day : Cela ne s'est produit pour aucune autre de vos enquêtes?
Mme Fraser : Nous l'avons certes constaté, et je crois que vous verrez que, concernant le programme du CF-18, il y a eu de longs retards avant d'obtenir les diverses autorisations du Conseil du Trésor. Nous n'avons pas fait enquête sur ce qui a justifié ces retards. Dans certains cas, on a présumé que c'était une question de financement, que peut-être le financement n'avait pas été prévu. Compte tenu de l'existence d'une enveloppe financière, et nous signalons également dans ce rapport qu'elle est restée fixée à environ 2 milliards de dollars par année pour les dépenses en capital, il s'agissait d'établir les priorités et de décider quels travaux seraient financés et quels autres ne le seraient pas. Vous semblez dire que, dans ce cas-ci, le financement était déjà autorisé?
Le sénateur Day : C'est ce que l'on nous a dit.
Mme Fraser : Nous avons l'impression que pour certaines des composantes du programme du CF-18, le financement n'avait pas été approuvé, ce qui expliquerait en partie les retards.
Le sénateur Day : Avez-vous fait le projet d'étudier d'autres acquisitions, comme vous l'avez fait en 1998? En avez- vous d'autres que vous avez choisies et que vous pourrez suivre du début jusqu'à la fin?
Je vais demander à Mme Loschiuk de vous parler des dossiers sur lesquels elle travaille.
Mme Loschiuk : Nous effectuons actuellement des travaux de vérification pour examiner la transformation du ministère et pour voir comment il définit ses besoins en systèmes. Nous prévoyons également faire des travaux de suivi sur des questions que nous avons déjà examinées pour voir dans quelle mesure les responsables du ministère ont réussi à obtenir les pilotes et les techniciens qu'il leur faut et à corriger certains de leurs problèmes des programmes de recrutement et de conservation du personnel. Voilà ce que nous avons prévu pour l'immédiat.
Le sénateur Day : D'après ce que nous avons constaté, vous aurez amplement l'occasion de voir comment ils se débrouillent, parce qu'ils vont continuer de travailler sur ces questions.
Le président : Nous constatons, au sein de ce comité-ci, qu'une chose se produit de plus en plus souvent : à mesure que les fonds sont rationnés, nous voyons que le ministère entreprend ses travaux à un rythme de plus en plus lent. Combien cela coûte-t-il de faire les choses de cette façon? Le savez-vous? Intuitivement, nous trouvons qu'il y a dans le système un très grand nombre d'obstacles à l'efficacité à mesure que les travaux s'étirent. Vos études vous permettent- elles d'appuyer cette thèse?
Mme Fraser : Nous n'avons pas examiné cette question en particulier. Toutefois, concernant les CF-18, je pense pouvoir dire que l'expérience des simulateurs indique qu'il y aura des coûts supplémentaires parce que l'obtention des simulateurs va être retardée. C'est un exemple clair de ce que vous décrivez.
Cela dit, il faut peut-être signaler certains avantages à faire les choses ainsi. Le Canada effectue les mises à niveau des CF-18 presque en même temps que l'Australie et les États-Unis. Il y a d'ailleurs des travaux effectués en collaboration avec l'Australie. On tire également des leçons de l'expérience des États-Unis et de l'Australie. Il peut y avoir des avantages à avoir un léger retard ou à faire les choses en même temps que ces deux autres pays. Toutefois, nous n'avons fait aucune analyse pour voir quels seraient ces avantages au juste.
Lorsqu'on parle de mise à niveau technologique, cela soulève certaines préoccupations. Par exemple, s'il faut 14 ans pour faire cela, on peut commencer à se demander comment on peut travailler efficacement à des programmes de haute technologie s'il faut tant de temps.
Le président : Cela me fait penser au carénage de l'Aurora. Je ne sais pas si vous avez étudié cela, mais il s'agit manifestement d'un programme que l'on étire sur un très grand nombre d'années, et il semble bien que cela va coûter beaucoup plus cher que ce qu'il aurait fallu payer.
Mme Fraser : Nous n'avons pas particulièrement examiné cette question.
Le président : Voulez-vous l'ajouter à votre liste?
Mme Fraser : Nous pouvons y songer.
Le sénateur Forrestall : Je ne suis pas sûr que la genèse des questions relève de vos attributions, mais vous parlez de retards dans la progression des travaux concernant, par exemple, le programme des CF-18. Je me reporte à un bon nombre d'années plus tôt. Nous avons eu beaucoup de difficultés avec les Sea King. En fait, cela remonte même au Argus, lorsqu'un beau jour quelqu'un s'est réveillé et a déclaré qu'il faudrait peut-être que nous ayons ici la capacité de faire des travaux d'ingénierie. Dans ce cas-là, c'est en Nouvelle-Écosse que cela s'est produit, chez ceux qui ont fini ces travaux-là, qui qu'ils soient.
Cette capacité de faire des travaux d'ingénierie permettrait à Shearwater, qui n'est qu'à quelques milles, de prendre en charge un hélicoptère Sea King, par exemple, et de faire toutes les réparations nécessaires, y compris remplacer entièrement le harnais électrique, ce qui économiserait temps et argent. Il y a eu un certain nombre de personnes qui ont dû prendre des décisions, expédier des plans de l'autre côté de la frontière, se les faire renvoyer — ce qui revient à les exporter et à les importer et nécessite des permis d'exportation et d'importation — sans compter les questions de fiscalité.
Je vous pose la question parce que, franchement, je ne connais pas la réponse. Savez-vous si nous sommes détenteurs des divers certificats d'ingénierie qui nous permettraient de faire du travail sur les CF-18, y compris des mises à niveau et des modifications?
Mme Loschiuk : Pour ce qui est des travaux d'entretien des CF-18, il y en a assurément certains qui sont donnés en sous-traitance.
Le sénateur Forrestall : Sont-ils donnés en sous-traitance à des Canadiens ou à des entreprises américaines?
Mme Loschiuk : Je vais devoir vérifier cela, mais je crois que c'est une entreprise canadienne. Permettez-moi de faire une vérification pour savoir qui fait ce travail et de vous en informer ensuite. Je crois qu'il s'agit d'une entreprise à Calgary, mais je tiens à le vérifier d'abord.
Le sénateur Forrestall : Ils doivent évidemment détenir les certificats d'ingénierie qui les qualifient pour ce type de travail. Je me posais la question. S'ils détiennent cette accréditation, est-ce généralisé dans tous les programmes, et disposons-nous des compétences de pointe pour tel ou tel type d'achat, pour corriger les choses, pour que le ministère de la Défense nationale et ceux qu'il doit employer pour assurer l'entretien de ces machines très complexes puissent effectuer les travaux à bon prix ou du moins à moindre prix, grâce à la réduction des retards?
Vous dites quelque part, monsieur McRoberts — je n'ai pas pu m'empêcher de le lire — que le vieillissement du matériel le rend plus coûteux à entretenir et moins fonctionnel. Voilà encore un autre élément où de meilleurs renseignements auraient aidé le Parlement à mieux faire son travail. On ne saurait mieux décrire les Sea King, si ce n'était pas là-dessus que portaient vos observations. Cela dit, mes questions portent sur ces permis. C'était là les questions que je tenais à poser pour l'instant. Je participerai peut-être à un deuxième tour un peu plus tard.
Mme Fraser : Pour ce qui est de l'état de préparation, cette question a été soulevée dans notre rapport de décembre 2001. Nous y avions recueilli des renseignements d'ensemble sur l'état de préparation des Forces canadiennes et avions recommandé que cette sorte d'information soit communiquée au Parlement. Il existe des dossiers détaillés des travaux d'entretien, mais pas d'image d'ensemble de l'état de préparation des divers matériels dont disposent les forces armées. Nous avions trouvé que le Parlement devrait savoir quelle est la durée de vie utile prévue pour ce matériel et connaître les choix sur lesquels il sera appelé à se prononcer quant à son remplacement. Toutefois, cette information n'était pas facile à obtenir.
Le sénateur Forrestall : C'est une vieille histoire. Il s'agit de décider s'il nous faut un budget d'immobilisations distinct pour la planification de la Défense nationale, à tout le moins, ainsi que pour les travaux d'entretien interopérationnels.
Le président : Madame Fraser, je crois que vous nous avez parlé de problèmes tels que le fait que, sur 33 appareils Hercules, il y en a toujours au moins 19 qui sont inutilisables?
Mme Fraser : Oui.
Le président : C'est ce qui m'a passé par l'esprit.
Le sénateur Meighen : Mon souvenir est imprécis, et le président pourrait peut-être corriger ce que je dis. Je crois qu'il y a au moins deux ans que le comité a signalé que, dans les aéroports, on accordait des cotes de sécurité sans vérifier les liens éventuels à des activités criminelles. Dans votre rapport de mars, vous dites que l'on ne se sert toujours pas des données provenant des services de renseignement pour vérifier les antécédents des demandeurs d'emploi avant de leur accorder une cote de sécurité. Vous avez dit avoir uniquement trouvé un protocole d'entente entre le ministère des Transports et la GRC. Sans vouloir insister trop lourdement, puis-je en conclure que malgré notre rapport et le vôtre, rien de concret ne s'est encore produit?
Mme Fraser : Nous n'avons pas fait de suivi sur cette question précise. Je vais demander à M. Kasurak de fournir de plus amples détails. Juste après notre vérification, le ministre a déclaré qu'il allait faire une vérification complète des antécédents. Toutefois, cela a-t-il été fait? Quels ont été les résultats? Il faut poser la question au ministère.
M. Peter Kasurak, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Nous n'avons pas fait de suivi et nous ne savons donc pas jusqu'où ce dossier a évolué. Après la signature du protocole entre les deux organismes, D'autres renseignements provenant des corps policiers ont été mis à la disposition du ministère des Transports. J'ignore toutefois le degré de profondeur des dossiers que l'on a pu transmettre.
Un des problèmes, c'est qu'une bonne partie de ces données n'appartient en fait pas à la GRC. Il s'agit d'un assemblage de données provenant des divers corps policiers au Canada. Les règles actuelles stipulent que pour y avoir accès, il faut soi-même appartenir à un service de police. Sinon, chaque source de données doit accepter que les informations qu'elle a fournies puissent être communiquées à un organisme non policier. C'est donc un obstacle bureaucratique énorme à surmonter que d'obtenir de toutes les sources que leurs données soient transmises au ministre des Transports. Je crois qu'on travaille encore à obtenir cela.
Cela dit, nous ne nous préoccupons pas uniquement de la disponibilité des données pour le ministère des Transports. Nous nous soucions aussi de la mesure dans laquelle le ministère des Transports se montre prêt à s'en servir. Dans la réponse que le ministère nous a fournie, nous avons trouvé qu'il adoptait des méthodes plutôt étroites qui limitent sa capacité de vérifier la cote de sécurité des employés, même s'il dispose de tous les renseignements voulus. Les responsables nous ont dit que, selon eux, si ces personnes ne posent pas un risque direct pour un aéronef, il ne les rejette pas nécessairement. Par conséquent, par exemple, on ne refuse pas automatiquement un laissez-passer de zone réglementée à une personne qui a déjà été accusée de possession de drogues.
Nous n'étions pas d'accord quant à leur évaluation juridique de la situation. Nous n'étions d'ailleurs pas tout à fait d'accord non plus quant à l'évaluation du risque. Il y a au moins deux problèmes : tout d'abord, transmettre les renseignements aux agents des services de renseignement du ministère des Transports qui effectuent la vérification; Deuxièmement, la perception qu'a le ministère des Transports de son rôle de vérification pour les fins de la délivrance des laissez-passer.
Le sénateur Meilhac : C'est une réponde très utile, même si elle est un peu effrayante. On peut dire, presque sans blaguer, que si le ministère des Transports est responsable des questions touchant le transport et que la GRC est responsable des question de sécurité, pourquoi diable n'est-ce-pas la GRC qui est responsable d'assurer la sécurité dans les aéroports? Je ne sais pas si cela vous est passé par l'esprit. Pouvez-vous nous en parler?
M. Kasurak : Il existe une réponse toute simple: la Loi sur l'aéronautique confie cette responsabilité directement au ministre des Transports. C'est la réponse la plus brève. Est-ce la meilleure solution? Il ne nous appartient pas d'examiner cela.
Le sénateur Meighen : Cela éliminerait certainement l'obstacle bureaucratique qui consiste à obtenir l'assentiment de chaque service de police avant que les renseignements de la GRC puissent être transmis au ministère des Transports.
M. Kasurak : Peut-être, mais pas sûr. La GRC obtient ces renseignements des services de police. Bien sûr, elle obtient une bonne partie de ces renseignements par ses propres moyens mais tout le reste de divers autres corps policiers. Malheureusement, dans un certaine mesure la GRC se retrouve dans la situation peu enviable de la tranche de jambon au milieu du sandwich. Elle est la gardienne de données qui proviennent de tous les services de police du Canada. Si elle les transmet à quelqu'un et qu'elles sont rendues publiques involontairement ou par mégarde, les sources d'information tarissent. Dès lors, cela compromet la coopération qui avait permis de rassembler toutes ces données en un même lieu.
La solution n'est peut-être donc pas simplement de transférer la responsabilité à un autre organisme. La grande difficulté est d'assurer aux gens qui collectent l'information que le ministère des Transports est un utilisateur fiable.
Le sénateur Meighen : Ce que je voulais surtout dire, c'est que si les vérifications de sécurité étaient effectuées par la GRC, on n'aurait pas à transmettre ces renseignements à Transports Canada.
M. Kasurak : Oui, pardon. J'avais mal compris la question.
Le sénateur Meighen : Je vais passer à un autre sujet, parce qu'il y a une longue liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions.
Madame Fraser, je crois que votre bureau a effectué une vérification financière du droit pour la sécurité des passagers du transport aérien. Est-ce exact?
Mme Fraser : C'est exact.
Le sénateur Meighen : Pouvez-vous nous dire quelles ont été les principales constatations de cette vérification? Avez- vous également une liste de ce que l'on a dépensé dans chaque ministère et organisme, et dans quel aéroport?
Mme Fraser : Essentiellement, nous avons vérifié un état des comptes qui a été préparé et qui précise que les recettes perçues au titre de ce droit pour l'année se terminant en 2003, autrement la première année d'application de ce droit, suivi d'un état des dépenses parce que les dépenses ont commencé avant l'exercice financier de 2003. Il s'agissait d'une vérification des états financiers.
Nous n'avons pas une ventilation très détaillée des dépenses. Cette vérification a été conduite expressément du fait des préoccupations du ministère des Transports quant aux détails des renseignements qu'il pouvait fournir. Dans cet état des comptes, une note précise que les dépenses d'exploitation représentent principalement les traitements, les frais généraux et les services professionnels. On ne fournit pas beaucoup de détails sur la nature des dépenses. Ce sont uniquement les dépenses d'exploitation, l'amortissement des immobilisations, les subventions et les contributions.
Le sénateur Meighen : Avons-nous la moindre assurance que l'argent recueilli auprès des voyageurs sert effectivement à la sécurité des passagers?
Mme Fraser : Notre état des comptes fournit deux montants. Je vais brièvement passer cela en revue. On a recueilli environ 443 millions de dollars, ce qui inclut le droit pour la sécurité, la taxe sur les produits et services, les amendes et les intérêts. Selon la comptabilité de caisse, le total des débours a été de près de 302 millions de dollars et le montant recueilli a été de 374 millions. Selon le principe de la comptabilité de caisse, les deux chiffres sont assez rapprochés. Selon la méthode de comptabilité axée sur les dépenses, lorsque ces immobilisations sont capitalisées puis amorties sur la durée de vie de l'avoir, la dépense est beaucoup plus basse. Le total des dépenses serait d'environ 249 millions de dollars comparativement aux recettes, selon la comptabilité d'exercice, de 443 millions de dollars.
Le sénateur Meighen : Il y a toujours un écart.
Mme Fraser : Il y a un grand écart. Initialement, le gouvernement du Canada utilisait encore de façon générale la comptabilité de caisse pour les immobilisations et je soupçonne que cela peut avoir influé sur la façon de percevoir ce droit. On aurait pu choisir plutôt de collecter les recettes pendant la durée de vie du bien. C'est évidemment une question sur laquelle le gouvernement devra se pencher.
Le président : Madame Fraser, avez-vous, vos adjoints et vous, établi clairement qui est responsable de la sécurité aéroportuaire?
M. Kasurak : Comme le comité le sait, la sécurité du transport aérien est très largement répartie mais nous en sommes venus à la conclusion qu'au bout du compte, c'est le ministre des Transports qui est responsable. Il s'occupe à la fois d'établir les grands principes et de faire appliquer la réglementation. Même si le ministre et le ministère des Transports n'assurent pas en fait chaque fonction ou chaque programme de sécurité, en dernière analyse, ce sont le ministre et le ministère des Transports qui sont responsables. C'est autre chose qu'être le gestionnaire. Il est difficile de dire qui est le gestionnaire, ou s'il y a un « gestionnaire », parce que la fonction est très largement répartie. Il y a cependant une responsabilité qui revient au ministre, mais il ne gère pas les programmes directement. C'est ainsi qu'est faite la structure qui a été établie.
Le président : Dans les officines gouvernementales, « fonction répartie » veut-il dire « personne ne s'en occupe »?
M. Kasurak : Non. Peut-être que cela veut dire qu'on l'a coupée en petits morceaux et que chacun en a eu une partie. Cependant, quant à savoir qui est responsable de toute l'affaire en dernière analyse, je dirais que le ministre est ultimement responsable parce que c'est lui qui établit la politique et décrit quelle pièce va où et quels critères doivent être respectés par chaque élément, et c'est lui qui prend des règlements et les applique.
Le président : Vous parlez de quelque chose que vous avez vérifié. Vous avez fait une vérification du règlement et de sa mise en application?
M. Kasurak : Oui. Il en a été question dans nos vérifications de la sécurité aérienne. Nous avons dû nous pencher sur cet aspect.
Le président : Êtes-vous convaincus que le règlement est bien géré par Transports Canada?
M. Kasurak : Comme vous pouvez le constater dans ce chapitre, nous avons trouvé qu'il y a des lacunes et qu'il s'est produit un certain cloisonnement. Nous avons signalé dans ce rapport particulier ce que nous avons constaté. Il est certain que pour la vérification de sécurité des gens qui reçoivent des laissez-passer de zones réglementées, par exemple, il y a eu un certain cloisonnement. Dans d'autres dossiers également, nous avons constaté la même chose. Non, nous ne sommes pas entièrement convaincus que le système fonctionne parfaitement; en fait, nous prévoyons faire un autre rapport sur cette question précise. Essentiellement, nous nous sommes penchés dans ce rapport-ci sur le contrôle de sécurité des gens qui travaillent dans les aéroports, mais même dans ce domaine limité, nous constatons ce problème.
Le président : Dans le cadre de votre examen du contrôle de sécurité, avez-vous vérifié si quelqu'un regarde les laissez-passer?
M. Kasurak : Non, nous n'avons pas examiné cela dans le cadre de cette vérification. Nous avons simplement examiné la délivrance des laissez-passer.
Le président : Avez-vous vérifié si l'on exigeait un laissez-passer pour aller du côté piste?
M. Kasurak : Pas directement. On s'est penché brièvement là-dessus, mais nous n'avons pas fait rapport sur cette question.
Le président : Avez-vous eu l'occasion d'examiner les relations entre l'ACFTA et Transports Canada?
M. Kasurak : Nous n'avons pas fait rapport là-dessus dans ce chapitre, mais, comme je l'ai dit, nous travaillons à d'autres rapports.
Le sénateur Munson : Madame la vérificatrice générale, j'ai une question fondamentale pour commencer. Est-ce que le Canada en a pour son argent du ministère de la Défense nationale et de nos forces armées?
Mme Fraser : Il incombe à un comité parlementaire de se prononcer là-dessus, plutôt qu'au vérificateur général.
Le sénateur Munson : Après vous avoir écoutée, nous allons rendre ce jugement.
Mme Fraser : Nous vous fournissons l'information voulue pour faire cette évaluation. Je ne pense pas qu'il conviendrait que je fasse moi-même cette évaluation, mais je peux dire qu'ils accomplissent évidemment une fonction très importante et nécessaire dans notre pays.
Le sénateur Munson : Dans votre déclaration, vous avez dit qu'en 2000, vous avez vérifié si la Défense nationale avait pris des mesures pour faire suite à votre recommandation de 1998 et que vous avez constaté certaines améliorations encourageantes. Cela ne m'apparaît pas un appui enthousiaste.
Mme Fraser : Ils ont bel et bien donné suite à certaines recommandations que nous avions formulées et ils ont commencé à apporter des améliorations, mais beaucoup des problèmes que nous constatons encore aujourd'hui, par exemple, dans la gestion de projet et du risque, subsistent. Nous leur avons même recommandé de mettre en place un plan global de gestion assorti d'un échéancier. C'est assez élémentaire quand on veut gérer un grand projet complexe, mais ils n'ont pas mis cela en place. Parmi les éléments de la gestion de projet, citons le fait d'avoir des gens en place qui possèdent une plus grande expertise et de garder ces gens-là en poste pendant de plus longues périodes dans les équipes du projet. Peut-être faudrait-il affecter davantage de ressources à la gestion du projet, au lieu d'avoir une limite globale pour l'ensemble du ministère, peu importent le nombre et la complexité des projets. Il faut encore accorder davantage d'attention à la gestion des projets au sein du ministère.
Le sénateur Munson : Pour que les Canadiens comprennent bien, que veut dire exactement « lacune dans la gestion de projet »? Est-ce que cela veut dire que l'argent n'est pas bien dépensé?
Mme Fraser : Cela pourrait vouloir dire que l'argent n'est pas bien dépensé. Ce sont des projets complexes et de très grande envergure. La mise à niveau des CF-18 est un projet de 2,6 milliards de dollars et on a créé un bureau de gestion du projet pour s'en occuper. Comme on l'a dit tout à l'heure, de nombreuses personnes changent d'affectation après deux ou trois ans. Pour être en mesure de comprendre un projet qui s'étalera sur une décennie ou plus et qui coûtera 2,6 milliards de dollars, il faut rester plus que deux ou trois ans. Il faut une certaine continuité tout au long d'un projet. Il faut compter sur des gens qui comprennent ce qui se passe, ce qui est censé se passer et, si les choses ne se passent pas comme prévu, quelle est la raison du problème.
Nous avons constaté, par exemple, qu'avec certains outils qui sont utilisés, on peut apporter des modifications de telle manière que l'on ne saurait jamais quelle était la date prévue et quelle est la date réelle. On faisait toujours des mises à jour de sorte que l'on ne savait jamais si l'on prenait du retard, dans quelle mesure et quelles en étaient les causes.
Ils doivent utiliser toute l'information et tous les outils disponibles pour s'assurer que les projets sont réalisés à temps et sans dépassement de coûts. Comme nous l'avons dit, on prévoit que les cellules des CF-18 seront bonnes seulement jusqu'en 2017. Si la phase 2 est retardée au-delà de 2009, cela raccourcira d'autant la période pendant laquelle on pourra recouvrer cet investissement. Il est certain qu'il y a possibilité qu'on n'en ait pas pour notre argent si cette période diminue par rapport à ce qui était prévu initialement.
Le sénateur Munson : Le sénateur Meighen a parlé de votre rapport de mars 2004. Dans votre chapitre sur la gestion de la sécurité et du renseignement, vous avez fait observer que la liste de surveillance aux frontières utilisée pour faire un contrôle préalable des demandeurs de visa, du statut de réfugié et des voyageurs qui demandent à entrer au Canada était un fouillis et que l'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC s'étaient engagées à améliorer leurs procédures. Quels progrès ont été réalisés?
Mme Fraser : Encore une fois, nous n'avons pas fait un suivi spécifique, mais M. Kasurak pourra peut-être vous donner des renseignements là-dessus.
M. Kasurak : Bien que nous n'ayons pas examiné l'efficacité des efforts qui ont été déployés, on a effectivement fait des efforts. Le Bureau des passeports et l'Agence canadienne des services frontaliers ont signé un protocole d'entente permettant de transmettre directement à la ligne d'inspection primaire les renseignements sur les passeports perdus et volés. Nous ne pouvons toujours pas dire à quelle fréquence et dans quel délai cette liste est mise à jour, mais l'ancien problème empêchant que les renseignements parviennent à la ligne primaire semble avoir été résolu.
Le Bureau des passeports a assumé la responsabilité qui incombait auparavant à la GRC de l'entrée des données sur les passeports perdus et volés dans le CIPC, ce qui nous apparaît une amélioration sur le plan de la rapidité et de l'intégrité des données. La GRC nous a dit qu'elle se penche actuellement sur le lien automatisé entre Interpol et la liste de surveillance. C'était là un obstacle majeur en fait de perte de temps quand nous avons fait notre vérification, parce que le lien se faisait manuellement.
À l'Agence des services frontaliers du Canada, on nous a dit qu'on a été en mesure de faire des recherches sur tous les noms de voyageurs aériens en comparant avec les données du CIPC pour déceler les mandats en vigueur depuis le printemps 2003. On nous a dit également avoir mené à bien un projet d'assurance de la qualité et, à nos yeux, c'est là l'une des mesures les plus importantes qui s'impose. Ce n'était pas seulement le cloisonnement de l'information et le blocage de l'information entre une agence et une autre qui causaient le problème de cette liste de surveillance, c'était aussi qu'il n'y avait personne pour s'occuper du dossier dans son ensemble. Chaque agence s'occupait de son propre petit domaine. Si l'Agence des services frontaliers a maintenant pris en charge l'assurance de la qualité, cela débouchera automatiquement sur des améliorations parce qu'il n'y aura plus de lacunes, comme cela arrivait auparavant quand quelqu'un ne transmettait pas les renseignements pendant des mois.
Il y a un secteur qui continue de nous préoccuper, compte tenu de la réaction suscitée par notre rapport, et c'est le SCRS. Pendant la vérification, nous avons décelé des blocages au sein du SCRS lorsque leur système de suivi avait perdu un dossier électroniquement et que personne ne s'en était aperçu ou que des agents étaient tellement occupés à des projets urgents que des tâches courantes comme la mise à jour des listes de surveillance s'accumulait sur les bureaux, ce qui causait des retards. La réponse que nous avons reçue du SCRS ne renfermait aucun engagement précis quant à la manière dont on prévoyait remédier à ces problèmes. L'une de nos préoccupations actuellement est de savoir si des changements seront apportés à l'interne.
Bien des mesures ont donc été prises, monsieur le président, mais pour le moment, nous n'avons pas fait de suivi et nous ne pouvons pas vous donner une réponse catégorique à la question de savoir si tout cela a fonctionné, mais il y a eu beaucoup d'activités.
Le sénateur Munson : Nous devons nous fier à vous pour le demander au SCRS.
Le président : Sur le même sujet, avez-vous remarqué s'il y a une différence importante en fait d'efficience entre un poste frontalier aéroportuaire et un poste frontalier terrestre?
M. Kasurak : Monsieur le président, nous n'avons pas étudié cette question.
Le président : C'est une distinction importante. Dans les aéroports, les gens ont presque invariablement des passeports que les agents vérifient électroniquement. Nous avons entendu récemment des témoignages sur la difficulté d'entrer les données dans les postes frontaliers terrestres. Par conséquent, si l'on n'entre pas dans le système le nom de la personne en question, on ne peut pas réagir aux alertes.
Mme Fraser : Nous avons fait du travail sur les postes frontaliers terrestres. C'est quelque chose qui a été mentionné. On lit les plaques d'immatriculation des voitures et le taux d'erreur était d'environ 30 p. 100. Je me trompe peut-être, mais le taux d'erreur était élevé, même avec des lecteurs automatiques. Vous avez raison; cela identifie le véhicule, mais pas les gens à bord du véhicule.
Le président : Le temps qu'il faut pour entrer le renseignement et décider d'envoyer quelqu'un à la ligne secondaire est très bref. De plus, nous avons entendu des anecdotes selon lesquelles lorsque le taux d'inspection est de 100 p. 100 dans certains programmes accélérés, si l'on peut dire, il y a un taux très élevé de non-conformité. Avez-vous eu l'occasion d'examiner cela?
M. Kasurak : Nous n'avons pas examiné cela.
Mme Fraser : Nous n'avons pas examiné cela précisément. Nous avons examiné l'immigration et les douanes. Des vérifications ont été faites en 2003. Nous avons recommandé que l'on fasse des évaluations de la ligne d'inspection primaire, parce que la dernière évaluation date, je crois, de plus de 10 ans et les résultats n'étaient pas particulièrement bons. Nous nous serions attendus à ce que l'on fasse régulièrement des évaluations. Le ministère a donné son accord, mais je dois admettre que j'ignore s'ils l'ont fait. Chose certaine, c'est une question que nous avons soulevée dans cette vérification.
Le président : La même observation s'applique à l'inspection des conteneurs. Notre comité a l'impression qu'il n'y a pas de critères de sensibilité pour le niveau approprié d'inspection. Nous entendons constamment dire que le niveau d'inspection est déterminé par le montant d'argent qu'il leur reste pour effectuer des inspections. Avez-vous des renseignements là-dessus dont vous pourriez faire part au comité?
Mme Fraser : Nous n'avons pas examiné ce point précis. Je vais demander à M. Kasurak de répondre.
M. Kasurak : Nous avons plutôt l'impression que c'est la capacité d'inspection du système qui est un facteur limitatif. Si l'un des terminaux de dépotage est rempli de conteneurs que l'on est en train d'inspecter, ils ne peuvent tout simplement pas en inspecter plus. Oui, dans l'ensemble, ce que vous dites est juste, à savoir qu'il y a des problèmes de capacité systémique qui influent sur le nombre de conteneurs désignés pour subir une inspection plus complète.
Le président : Mais les décisions sont dictées par le coût, pas par le besoin?
M. Kasurak : Oui, par les limites physiques du système, qui sont elles-mêmes déterminées par l'ampleur qu'on lui a donnée initialement.
Le président : Ou par le nombre de personnes qui travaillent dans un port donné.
M. Kasurak : Oui.
Le président : On peut songer à un port où une machine VACIS fonctionne huit heures par jour alors que des véhicules arrivent à ce port 24 heures par jour.
Le sénateur Cordy : Vous ne pourrez peut-être pas répondre à ma question tout de suite. Nous sommes allés visiter des postes frontaliers terrestres et nous avons discuté avec des agents des douanes. Ils nous ont dit qu'à la ligne d'inspection primaire, ils peuvent voir quelqu'un qu'ils pensent indésirable ou qui transporte peut-être des matières indésirables et ils veulent les envoyer à la ligne d'inspection secondaire. Cependant, pour ce faire, ils mettent un papier sur le pare-brise. Comment avertir les gens qui travaillent à la ligne secondaire? Si l'on écrit sur ce papier jaune « terroriste présumé » et qu'on met le tout sur le pare-brise, il est fort improbable que le camionneur aille à la ligne secondaire. Pourtant, il ne semble y avoir aucun moyen de communiquer rapidement entre la ligne d'inspection primaire et la ligne d'inspection secondaire. Avez-vous examiné cela ou êtes-vous au courant de cela?
Mme Fraser : Le seul problème semblable que nous avons relevé dans un de nos rapports est celui de l'inspection frontalière à Windsor. Si quelqu'un a été envoyé pour subir une inspection secondaire, il y a en fait un mille ou plus entre l'inspection principale et la personne doit traverser la ville. Il n'y a pas moyen de s'assurer que quelqu'un qui s'est fait dire de se présenter à l'inspection secondaire s'y rend vraiment. Il y a des problèmes comme ceux-là, et il y a des problèmes de communication entre l'inspection primaire et secondaire, mais nous n'avons fait aucun travail de plus sur cette question précise.
Le sénateur Atkins : Ils envoient parfois quelqu'un avec le véhicule s'ils suspectent vraiment quelque chose.
Mme Fraser : Oui.
Le sénateur Atkins : Nous sommes allés à Windsor la semaine dernière. Je veux poser une question à propos de l'optimisation des fonds, encore une fois au sujet de la sécurité à la frontière. On nous a dit qu'il y a une véritable pénurie de personnel à Windsor, pour prendre cet exemple. On nous a dit qu'il y avait sans doute 80 postes à temps plein qui sont vacants, et qui pour une raison ou pour une autre ne sont pas comblés. En obtenons-nous pour notre argent? Est-ce que l'argent va à ce ministère pour qu'il n'ait pas un prétexte pour ne pas combler ces postes? On nous dit que cela coûte vraiment de l'argent à notre économie et à notre sécurité dans son ensemble.
Mme Fraser : Encore une fois, monsieur le président, c'est aux parlementaires de trancher. Il faudrait une évaluation beaucoup plus approfondie des programmes du gouvernement et des résultats que cela n'est sans doute possible actuellement. Quand nous avons examiné un grand nombre de programmes aux passages frontaliers, une des choses que nous disions c'est que nous n'avons pas fait d'évaluation d'efficacité. Or, c'est essentiel pour répondre à la question de savoir : « Tout cet effort donne-t-il des résultats? »
Vous avez parlé des problèmes de ressources humaines. Dans plusieurs de nos vérifications nous avons relevé des problèmes de gestion des ressources humaines et des pratiques de recrutement et de formation quand s'est posée la question des étudiants en poste là-bas qui ne recevaient pas la formation à laquelle on s'attendrait. Même ceux qui sont en poste depuis longtemps ne recevaient pas le genre de formation régulière, surtout si l'on considère les circonstances nouvelles et différentes, qu'ils ont peut-être reçue lorsqu'ils ont commencé comme agents des douanes. On s'attend à ce qu'ils reçoivent une formation régulière et constante. Cette formation n'était pas là. Le ministère a indiqué à l'époque qu'il ferait davantage dans ce domaine. Nous ne sommes pas retournés voir si cela s'est fait.
Le sénateur Atkins : Sachez que l'on nous a dit aussi qu'il n'y a pas dans les guérites le matériel voulu pour faire une inspection en bonne et due forme. De plus, on nous a dit, en tout cas je pense qu'on nous l'a dit, qu'il y a un fonds de 300 millions de dollars à l'intention des infrastructures. Pensez-vous que l'investissement qu'ils font ces temps-ci, en période intérimaire, avant de prendre une décision au sujet d'un troisième passage, va au bon endroit?
Mme Fraser : Je ne sais pas si je peux vraiment vous répondre. Nous avons examiné en général les dépenses, constaté qu'elles allaient aux secteurs de haute importance, mais je ne suis pas sûre que nous ayons examiné ce fonds en particulier, et c'est une des 32 initiatives, je crois.
M. Kasurak : Il n'y a pas eu d'affectation à cela au moment où nous avons fait la vérification.
Le sénateur Atkins : Comme comité, nous sommes très frustrés qu'il n'y ait pas un plus grand sentiment d'urgence et qu'on ne trouve pas le moyen de construire ce troisième passage.
Il n'y a qu'une chose que je voudrais savoir à propos des CF-18. Comment se fait-il que pour les pièces ils ne s'adressent pas au fabricant? Cela accélèrerait l'exécution des commandes.
Mme Loschiuk : Un des problèmes, je crois, au sujet des CF-18 que nous avons c'est qu'ils sont les versions A et B, les premières. Ils ont été construits au début des années 80. Pour être honnête, dans certains cas, il ne se fait plus de pièces et cela aussi cause des difficultés aux Forces canadiennes quand elles doivent s'assurer de disposer de pièces de rechange jusqu'en 2017 ou au-delà. C'est un des problèmes. Toutefois, étant donné l'âge avancé de l'avion, ces pièces ne répondent plus aux besoins actuels. Il a fallu faire beaucoup pour combler un grand nombre des lacunes et, honnêtement, la seule façon de le faire a été d'obtenir de nouvelles pièces mises à niveau. La technologie a tellement changé depuis que nous avons acheté l'appareil qu'il a en fait fallu obtenir de toutes nouvelles pièces.
Le sénateur Atkins : Le CF-18 moderne est-il différent de celui que nous avons?
Mme Loschiuk : Oui. Il y a aujourd'hui de nombreuses versions du CF-18. Celle que nous finirons par avoir aura de nouveaux ordinateurs de mission, de nouveaux systèmes de navigation, des écrans d'habitacle, des systèmes de gestion d'armes, des radars, des radios et de la protection. Beaucoup de nouveaux dispositifs seront incorporés à l'appareil, ce qui le rendra beaucoup plus à même de répondre aux besoins d'aujourd'hui.
Le président : Merci beaucoup, sénateur Atkins. Nous essaierons de ne pas empiéter sur votre question la prochaine fois.
Le sénateur Banks : Mais, madame Loschiuk, ce n'est pas la première série, n'est-ce pas? Ce sont des appareils A et B. Nous sommes passés par-dessus les versions C et D. Nous allons maintenant avoir E et F mais beaucoup de pays sont déjà à G et H, n'est-ce pas? Nous n'aurons pas la dernière version?
Mme Loschiuk : Il y a des limites à la mise à niveau possible de l'appareil. C'est encore un appareil de version A ou B bourré de nouveau matériel électronique et d'avionique, mais vous avez raison; il ne volera pas aussi bien que les versions E et F ou même G, qui est un tout autre appareil.
Le sénateur Banks : C'est sa dernière chance?
Mme Loschiuk : Oui. Après ceci, il n'y a pas grand-chose d'autre que l'on peut faire avec cet avion.
Le sénateur Banks : Je vais aborder un sujet légèrement différent parce que j'ai une passion pour les vérificateurs.
Mme Fraser : Comme ça me réjouit!
Le sénateur Banks : Je dis cela un peu sourire en coin. Vous êtes évidemment la plus en vue des vérificateurs. Je me demande s'il n'y a pas dans les affaires publiques l'équivalent de la fièvre de la blouse blanche — c'est une question hypothétique que je vais expliquer. Je me demande parfois si l'on n'obtient pas la réaction contraire à celle que l'on souhaite. Si l'on instaure — j'hésite à employer le mot — un climat de crainte issu de la nécessité de protéger ses arrières — pour être poli — aux divers niveaux dont Mme Loschiuk parlait, ne craint-on pas des inefficiences dans le système? J'ai presque frissonné quand j'ai entendu Mme Loschiuk dire avoir constaté que ceux qui donnent les approbations ont besoin de plus d'informations. Non, non, je vous en prie, pas plus d'informations. Cela signifie que ça va prendre encore plus de temps. Comme on l'a entendu, le processus est devenu inefficace à cause du temps qu'il faut pour l'obtenir et c'est ce qui a rendu le processus inefficace. Pensez-vous qu'il y a des chances que le pendule aille dans l'autre direction?
Mme Fraser : Je ne pense pas que le processus soit trop inefficace, et qu'il faille des mois pour obtenir des approbations, pour être honnête. Je vois que certains de mes collègues brûlent d'envie de vous répondre. Comme vous, je pense qu'il faut s'assurer de ne pas étouffer l'innovation et la créativité dans le système par une foison de règles inutiles, mais ce n'est pas le processus en soit qui est inefficace. M. Kasurak et Mme Loschiuk vont vous répondre.
M. Kasurak : Je vais être la voix du passé. J'ai été vérificateur à la Défense de 1988 environ jusqu'à 2001 à peu près. J'aurais dont aimé avoir le pouvoir de faire peur aux vice-chefs d'état-major. Je n'avais pas l'air de les intimider beaucoup. Le vrai problème, ce n'est pas l'information ni son abondance, mais plutôt qu'il y a des choses que la direction ne voulait tout simplement pas savoir; par exemple, les renseignements que nous avons rassemblés au sujet de l'état de préparation du matériel. L'équipement était là; il n'était pas de très bonne qualité ni très bien entretenu mais aurait pu être utilisable mais les gens ne voulaient pas vraiment le savoir, ni le voir noir sur blanc. C'était donc une sorte de manque d'intérêt pour des problèmes qui auraient été très difficiles à résoudre.
Le sénateur Banks : Pourquoi faisaient-ils la sourde oreille?
M. Kasurak : Cela aurait créé un problème alors qu'ils n'avaient pas ce qu'il fallait pour le résoudre ou encore ils auraient dû s'attaquer aux problèmes du « bol de riz en fer » et devoir rediviser le monde, ce qui aurait causé des souffrances dans toute l'organisation. À l'origine des blocages et des retards, il y a quantité d'autres facteurs que la sursaturation d'informations.
Le sénateur Banks : Est-ce que ce n'est pas ça la définition de l'inefficacité? De l'inefficience, en tout cas.
M. Kasurak : Oui.
Mme Loschiuk : Je pense que nous avons constaté — je parle pour après 2001 — que davantage d'information, vous avez raison, n'est pas vraiment la solution. Ce qu'il faut, c'est de l'information de meilleure qualité.
Le sénateur Banks : Y prêter attention?
Mme Loschiuk : Y prêter attention ou donner à la personne l'information qui lui montre les conséquences d'un problème pour qu'elle comprenne que cela va conduire à un dépassement de coûts ou à un retard qui empêchera de réaliser telle ou telle chose. Ce genre d'information serait beaucoup plus utile à la haute direction qui comprendrait ainsi que le projet n'avance pas comme prévu. Or, il n'existe pas d'information permettant à la haute direction d'examiner certains de ces projets pour décider de la suite des événements : arrêter; accorder des moyens supplémentaires; faire marche arrière ou mettre les bouchées doubles.
Récemment, le ministère a apporté des changements. Il admet qu'il a trop de comités qui examinent trop de choses dans le domaine des acquisitions et qu'il y a par conséquent trop de retard. Ces comités ne disposent pas de l'information, ou le projet fait du surplace. Dans certains cas, des gens qui siègent à un comité vont approuver quelque chose mais lorsque les mêmes gens siègent à un autre comité, ils examinent la chose sous un angle différent et ne donnent pas leur approbation. Le ministère reconnaît beaucoup de ces choses et essaie de les corriger.
Le sénateur Banks : Vous avez repéré certains problèmes, dont celui de ceux qui font l'autruche et ne veulent pas voir le danger. Nous savons tous que les vérificateurs, en général, et les vérificateurs généraux, diront peut-être que trop d'argent est dépensé mais arrive-t-il que les vérificateurs disent qu'on a dépensé trop peu ou pas assez rapidement pour atteindre les objectifs?
Je pense à une chose. Du matériel radio de campagne. Quand l'armée canadienne a fini par le recevoir, ça ne pouvait plus servir que comme ancre de bateau parce que ça ne marchait pas et ne marchera jamais. C'était désuet dès sa réception. Tout ça à cause des lenteurs des acquisitions. Autrement dit, on n'a pas dépensé suffisamment et assez vite. Vous arrive-t-il de dire aux gens de dépenser plus et plus vite?
Mme Fraser : Il est délicat pour nous de répondre parce que nous devons respecter le Parlement et c'est lui qui affecte les fonds.
Le sénateurs Banks : Pardon. Vous n'hésitez pas à dire que le ministère a dépensé trop d'argent pour quelque chose alors pourquoi hésiteriez-vous pour des raisons d'économie et d'opportunité à dire qu'il faut dépenser plus et plus vite?
Mme Fraser : Nous l'avons fait dans des cas de pénuries de personnel ou de matériel. Nous avons même dit dans la vérification sur le CF-18 que même si le budget total de la Défense nationale avait été augmenté, les dépenses en capital étaient restées stables et étaient même passées de 19 à 15 p. 100 du budget. Nous donnons des messages mais nous ne pouvons pas dire carrément qu'un ministère devrait dépenser plus et plus vite. Nous avons souvent dit, lors d'audiences même devant le comité, qu'il y a un écart entre ce que l'on attend de la Défense nationale et les fonds qui lui sont alloués. Il y a deux façons de corriger cela, mais cet écart existe et nous le voyons systématiquement dans toutes les vérifications que nous faisons.
Le sénateur Banks : J'aimerais savoir si vous avez un avis au sujet d'un autre écart que nous observons. Par le passé, madame Fraser, vous avez fait allusion au Livre blanc de 1994, par exemple, que nous avons examiné soigneusement et nous sommes en train d'en examiner un autre actuellement. Nous sommes tous d'accord pour penser — vous aussi je crois — que le Livre blanc de 1994 comme expression de la volonté du Parlement et du gouvernement avait dit et vu juste. S'il avait été appliqué, on se serait épargné des inefficiences. On a lésiné. Une volonté et des intentions nettes ont été formulées et des ordres ont été donnés. Par contre, les moyens n'ont pas été mis à disposition, ce qui s'est soldé par des inefficiences et parfois pire encore : des drames. Je suis loin de la vérité?
Mme Fraser : Je vais rappeler un des problèmes que nous avons évoqués dans notre déclaration liminaire : les ressources humaines et le personnel qualifié. Au moment de la vérification, nous avons constaté qu'un grand nombre d'employés approchaient de la retraite. Après eux, il y a une baisse très nette. Même s'il y a de nouvelles recrues, il y a un problème grave à régler : comment la Défense nationale fera-t-elle face à la pénurie de personnel qui se dessine? Beaucoup de ministères sont aux prises avec le même problème, ainsi que de nombreuses entreprises. À l'époque de l'examen des programmes, au moment de ce cycle économique, beaucoup ont tout simplement cessé d'embaucher. Beaucoup de ministères ont fait pareil, si bien qu'il y a un groupe d'employés qui approchent de la retraite et un autre groupe au bas de l'échelle parce que les ministères viennent de recommencer à embaucher. Dans le milieu, par contre, il y a un grand creux de compétences. Beaucoup de ces compétences sont uniques en leur genre et mettent du temps à acquérir.
Oui, je pense que l'examen des programmes a eu un effet considérable sur l'atteinte des objectifs et des attentes de ce ministère, comme de beaucoup d'autres.
Le sénateur Banks : Le gouvernement a annoncé des augmentations dans les forces armées. Le gouvernement finance-t-il suffisamment les programmes pour que ces ressources soient disponibles et que les augmentations soient chose faisable?
Mme Fraser : Je vous répondrai après la vérification que nous comptons faire en 2006 sur le recrutement et le maintien des effectifs. Nous allons examiner l'initiative dans son ensemble et la mesure dans laquelle elle réussit à attirer des gens et à les conserver dans les forces.
Le sénateur Forrestall : J'espère qu'il n'est pas trop tard.
Le sénateur Atkins : Quand vous parlez de l'ensemble des compétences qui vont partir à la retraite, n'est-il pas vrai qu'ils prennent leur retraite puis sont souvent embauchés à nouveau à contrat?
Mme Fraser : Je ne peux pas répondre. Je ne crois pas que nous ayons les données pour confirmer ou infirmer cette théorie. Chose certaine, nous allons examiner ce qu'ils font en matière de recrutement. La question qui se pose est de savoir comment faire face à la pénurie de personnel qui s'annonce.
Le sénateur Cordy : Madame Fraser, une partie du travail de vérification des CF-18 a été faite chez Bombardier. Depuis quelques jours, les médias posent des questions au sujet du financement de Bombardier. Vous les vérificateurs, que pensez-vous de la prime « made-in-Canada » pour les contrats d'équipement militaire, par exemple? Faut-il accepter de payer plus pour des produits de fabrication canadienne? Si c'est le cas, de quel ordre devrait être cette prime?
Mme Fraser : Il s'agit évidemment là d'une décision gouvernementale sur laquelle nous ne pouvons pas nous prononcer. Nous pouvons vérifier si l'acquisition se fait en conformité avec les règles de passation de marchés. On a fait appel à quelques fournisseurs uniques, comme on pourrait s'y attendre, mais cela s'est fait dans les règles. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur une politique gouvernementale comme celle-là.
Le sénateur Cordy : J'étais curieux de voir comment un vérificateur allait répondre à la question.
Le président : Question supplémentaire. Votre travail de vérification permet-il de quantifier cette prime?
Mme Fraser : Je ne pense pas.
Mme Loschiuk : Il est difficile pour nous de déterminer le coût d'un marché par opposition à un autre s'il avait pu être avec une autre compagnie. Il y a quelques années, on a cherché à calculer la chose, mais ç'a été trop difficile. Nous n'avons pas ce genre de renseignements. Ce n'est pas quelque chose que nous avons.
Le sénateur Cordy : Ce matin, un témoin a parlé des terrains de Shearwater en Nouvelle-Écosse. Quand il y a eu compression des forces dans les années 90, on a fait pareil pour la base de Shearwater. Il y a encore une escadre, mais une grande partie des terrains ont été cédés à la Société immobilière du Canada. Je faisais partie de la Commission de l'aménagement du port de Halifax et nous voulions obtenir ces terrains. L'armée était propriétaire des terrains — on a dit ce matin que c'était un site de préparation de forces amphibies — Shearwater serait l'endroit idéal pour cela parce qu'elle a une piste d'atterrissage et de fait, lorsque le G-8 a été tenu à Halifax, tous les dirigeants mondiaux ont atterri à Shearwater. C'était idéal du point de vue de la sécurité puisque c'est un navire qui les a transportés jusqu'au centre-ville de Halifax, alors que lorsque le président Bush est arrivé la semaine dernière, il n'a pas pu y atterrir parce que la piste est en mauvais état et se désagrège.
S'agissant de la Société immobilière du Canada, par exemple, si elle devait — c'est le pire scénario — vendre les terres et si nous avions des logements sur la rive, nous ne pourrions jamais les récupérer. Cela signifierait que les terres qui mènent au port de Halifax, qui mènent à la mer, disparaîtraient.
Avez-vous déjà examiné le cas des terres cédées à la Société immobilière du Canada pour lui suggérer de conserver ces terrains? Il est certainement plus facile de les conserver et de les entretenir que de tout recommencer dans 10 ou 20 ans.
Mme Fraser : Encore une fois, la décision quant à savoir si les terres sont excédentaires... La seule chose que nous puissions faire serait de voir quelle analyse a été faite et si divers facteurs ont été pris en compte. Ce n'est pas quelque chose que nous avons fait.
Le seul point sur lequel nous avons fait des observations — et nous le faisons depuis quatre ou cinq ans — c'est le cas de Downsview à Toronto, où une société a été créée pour aménager un parc. Le terrain est pour l'essentiel toujours détenu par la Défense nationale et il se pose un certain nombre de questions au sujet du fait que le parc n'a pas été expressément approuvé par le Parlement même s'il s'agit d'une dépense considérable, la façon dont le terrain est censé être incorporé au parc de Downsview, la structure du parc et la société. Une partie du terrain a été vendue par le Défense nationale au parc de Downsview au moyen d'un bon ne portant pas intérêt et qui est remboursable dans plusieurs années d'ici. Le terrain a ensuite été vendu et la société finance désormais son activité grâce au produit de cette vente. Nous nous disons que ça ne peut pas durer et que la question doit être réglée. Quatre années de suite nous avons soulevé le problème en disant que le gouvernement doit faire quelque chose. D'abord, s'il doit y avoir un parc, il doit y avoir une approbation expresse du Parlement, à notre avis, et il faut régler la question du parc de Downsview et de son fonctionnement.
C'est le seul cas que nous avons vraiment examiné parce que c'est nous qui faisons la vérification de la Société immobilière du Canada et la question a surgi à cette occasion.
Le sénateur Cordy : Vous ne diriez pas toutefois que nous devons nous débarrasser de ces terrains?
Mme Fraser : Non.
Le président : Madame Fraser, vous et vos collègues ont été d'un grand secours au comité. Nous prisons vos rapports et nous vous sommes reconnaissants de comparaître devant nous et de nous aider dans nos travaux.
Je m'adresse maintenant aux téléspectateurs. Si vous avez des questions ou des observations, veuillez consulter notre site Web à www.sen-sec.ca. Vous y trouverez les délibérations du comité ainsi que l'horaire des réunions. Vous pouvez également communiquer avec le greffier du comité au numéro 1-800-267-7362 pour un complément d'information ou de l'aide pour contacter les membres du comité.
Bonjour. J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. La séance d'aujourd'hui porte sur l'examen de la politique de défense.
Je m'appelle Colin Kenny. Je suis sénateur de l'Ontario et je préside le comité. À ma droite immédiate se trouve le distingué sénateur de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Michael Forrestall. Le sénateur Forrestall a servi les habitants de Dartmouth pendant 37 ans, d'abord comme député de la Chambre des communes puis comme sénateur. À la Chambre, il a été secrétaire parlementaire de plusieurs ministres, y compris le ministre des Transports et celui de l'Expansion régionale et industrielle.
À l'extrême droite de la table se trouve le sénateur Pierre Claude Nolin du Québec; il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet en faveur de la légalisation et de la réglementation du cannabis au Canada. Il est actuellement vice-président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.
À côté du sénateur Nolin se trouve le sénateur Jane Cordy de la Nouvelle-Écosse. Éducatrice accomplie, elle a de longs antécédents de participation à la vie de sa localité, notamment comme vice-présidente de la Commission d'aménagement du port de Halifax-Dartmouth. Elle est aussi présidente de l'Association parlementaire du Canada- OTAN.
À côté du sénateur Cordy se trouve le sénateur Jim Munson de l'Ontario. Le sénateur Munson a été journaliste et directeur des communications du premier ministre Jean Chrétien avant d'être appelé au Sénat en 2003. Deux fois il a été préselectionné pour un prix Gémeaux d'excellence en journalisme.
À ma gauche se trouve le sénateur Tommy Banks de l'Alberta. Il est bien connu des Canadiens pour être l'un de nos musiciens et artistes les plus polyvalents. Sa carrière musicale couvre plus de 50 ans. Il a reçu un prix Juno et a été fait officier de l'Ordre du Canada. Il est aussi président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles ainsi que président du groupe parlementaire libéral de l'Alberta.
À côté du sénateur Banks se trouve le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick. Il a un baccalauréat en génie électrique du Collège militaire royal de Kingston, un baccalauréat en droit de l'Université Queen's et une maîtrise en droit de Osgoode Hall. Avant sa nomination au Sénat en 2001, il a fait une brillante carrière d'avocat. Il est aussi vice- président du Comité sénatorial permanent de la défense nationale et de notre Sous-comité des anciens combattants.
À sa gauche se trouve le sénateur Michael Meighen de l'Ontario. Il est avocat et membre du Barreau du Haut- Canada ainsi que du Barreau du Québec. Il est actuellement président du Sous-comité des anciens combattants. Le sénateur Meighen est aussi membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Notre comité est le premier comité sénatorial permanent chargé d'examiner la sécurité et la défense. Pendant la dernière législature, nous avons produit un certain nombre de rapports, à commencer par « l'État de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense ». Déposé en février 2002, le document a examiné les principaux enjeux de la défense et de la sécurité pour le pays.
Le Sénat a ensuite demandé au comité d'examiner la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Jusqu'à présent, nous avons publié cinq rapports sur divers aspects de la sécurité nationale : D'abord, « La défense de l'Amérique du Nord, une responsabilité canadienne », déposé en septembre 2002; deuxièmement, « Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes, une vue de bas en haut », déposé en novembre 2002; troisièmement, « Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens », déposé en juin 2003; quatrièmement, « Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde », déposé en octobre 2003; cinquièmement, tout récemment, « Les urgences nationales : le Canada, fragile en première ligne », déposé en mars 2004.
Le comité porte maintenant son attention sur un examen de la politique de défense du Canada. Dans l'année qui vient, le comité tiendra des réunions dans toutes les provinces et dialoguera avec les Canadiens pour déterminer ce que sont leurs intérêts nationaux, ce qu'ils perçoivent comme étant les principales menaces pour le Canada et la façon dont ils souhaiteraient que l'État réponde. Le comité cherchera à lancer un débat sur la sécurité nationale au Canada et dégager un consensus dans la population sur la nécessité de disposer de forces armées.
Notre témoin suivant est Mme Amanda Parriag. Mme Parriag est codirectrice de l'édition 2004 du document du Centre de recherche et d'information sur le Canada intitulé Portrait du Canada : une enquête de l'opinion publique canadienne. Elle est aussi consultante principale de Parriag and Associates. Elle a une vaste expérience d'attachée de recherche et de consultante dans tout un vaste éventail de questions sociales et de politique gouvernementale. Elle a reçu son doctorat en psychologie de l'Université Carleton en 2001.
Vous avez la parole.
Mme Amanda Parriag, Centre de recherche et d'information sur le Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureuse d'être ici aujourd'hui au nom du Centre de recherche et d'information sur le Canada, le CRIC. Le CRIC est l'organe de recherche et de communications du Conseil de l'unité canadienne et a pour tâche de suivre et d'analyser l'information publique concernant la fédération.
Aujourd'hui, je vous présente principalement des données tirées de l'enquête Portraits du Canada, terminée en octobre dernier, qui fait ressortir les perceptions des Canadiens quant à la sécurité nationale, la défense et notre relation avec les États-Unis.
Portraits du Canada est une enquête annuelle nationale, menée depuis 1998. Cette enquête fournit des renseignements précis sur un certain nombre de questions touchant l'unité canadienne et nous permet de suivre l'évolution des attitudes et des perceptions. Cette année, Gina Bishop et moi-même avons été les codirectrices de l'enquête.
Tout d'abord, je voudrais souligner certains enjeux d'intérêt national relativement à cette question. Nous avons beau avoir une frontière commune et des liens économiques étroits, une majorité des Canadiens rejettent le précepte selon lequel les Canadiens et les Américains partagent les mêmes valeurs fondamentales. Les Canadiens croient également que les habitants de leur province ont plus en commun avec d'autres Canadiens qu'avec les habitants des États américains limitrophes.
Dans l'ensemble, les Canadiens se disent relativement contents de leur vie, et se sentent peu menacés par les terroristes en cette époque ultérieure au 11 septembre 2001. En raison de cela, peut-être nous devenons, au fil du temps, plus accueillants à l'endroit des immigrants. Par exemple, la proportion des Canadiens qui dit que nous devrions accepter environ le même nombre d'immigrants que nous en acceptons maintenant, est passé de 52 p. 100 en septembre 2003 à 56 p. 100 en juin 2004. Le pourcentage des Canadiens qui disent que nous devrions accepter moins d'immigrants a diminué, passant de 32 p. 100 en septembre 2003 à 23 p. 100 cette année. Le nombre de ceux qui disent que nous devrions accepter plus d'immigrants a augmenté, passant de 12 à 18 p. 100 pendant la même période.
En général, les Canadiens ne craignent pas les attaques terroristes. Une comparaison entre les données recueillies tout de suite après le 11 septembre et celles obtenues en juin 2004 nous révèlent que les Canadiens n'ont pas changé de perception quant à l'affirmation que le Canada sera victime d'un grand attentat terroriste au cours des deux années suivantes. En 2004, 42 p. 100 ont dit qu'il était probable que le Canada soit victime d'un attentat terroriste et une majorité, 56 p. 100, a déclaré que cela était peu probable. C'est ce qui explique peut-être que les Canadiens n'accordent pas la priorité à une augmentation des dépenses militaires. D'après le sondage Portraits du Canada de cette année, cela représente l'un des dossiers les moins importants pour le nouveau gouvernement fédéral.
Quittons un peu la toile de fond pour passer maintenant à plusieurs grandes orientations pour lesquelles les Canadiens s'estiment distincts des Américains. On constate la différence de nos valeurs dans les attitudes des Canadiens et des Américains à l'endroit de l'Organisation des Nations Unies. Les Canadiens, à hauteur de 80 p. 100, sont plus susceptibles que les Étasuniens, à hauteur de 58 p. 100, de reconnaître que l'ONU contribue considérablement à la paix mondiale. Les Canadiens déclarent également plus fermement que les Américains que lorsque l'ONU a besoin de forces de maintien de la paix, leur pays devrait offrir les services de ses soldats.
Nos données montrent bien la différence des valeurs accordées par les deux pays à l'ONU. Cinquante-cinq pour cent des Canadiens se disent opposés à notre participation à l'invasion de l'Irak qu'ont dirigée les Américains. Cette opposition se serait transformée nettement en appui majoritaire, soit 81 p. 100, si les Nations Unies avaient demandé une participation militaire en Irak.
Toujours dans la même sphère, les Canadiens appuyaient plus le recours à des moyens pacifiques plutôt que militaires pour répondre à l'exigence des États-Unis de suppression des armes de destruction massive en Irak. En 2003, face à la proposition qu'il était possible que les États-Unis et leurs alliés forcent le régime irakien à se débarrasser de ses armes de destruction massive par des moyens pacifiques plutôt que par une intervention militaire, 67 p. 100 des Canadiens se sont dits d'accord, et 32 p. 100 en désaccord. De leur côté, les Américains étaient divisés. Quarante-six pour cent d'entre eux ont accepté qu'il était possible de se servir de moyens pacifiques pour obtenir le résultat souhaité, mais 44 p. 100 étaient en désaccord.
La différence entre nos valeurs se maintient quant à la perception qu'ont les Canadiens de notre participation au bouclier antimissile. En octobre dernier, une majorité des Canadiens, 52 p. 100, s'est dit opposée à notre participation au système de défense antimissile des États-Unis. Seulement 46 p. 100 ont appuyé notre participation à ce système.
Au Canada, les Québécois sont ceux qui s'opposent le plus à notre participation à ce système, tandis que les Terre- Neuviens s'y opposent le moins. Notez cependant que le soutien ferme est pratiquement la moitié de l'opposition ferme, où que l'on soit dans le pays. D'après les résultats du sondage, il semble qu'on aura beaucoup de difficulté à convaincre les Canadiens que le bouclier antimissile constitue un dispositif de sécurité utile pour le Canada.
Passons maintenant aux orientations pour lesquelles le Canada et les États-Unis trouvent un terrain d'entente. Le sondage Portraits du Canada de cette année confirme les résultats des années antérieures, une majorité des Canadiens déclarant qu'une politique commune de sécurité des frontières, pour décider de l'identité de ceux qui peuvent ou ne peuvent pas entrer au Canada ou aux États-Unis, est une bonne idée parce que cela va accroître la sécurité des deux pays. Cette année, seulement 36 p. 100 des Canadiens déclarent que c'est une mauvaise idée parce que cela donne aux États-Unis la possibilité d'intervenir dans l'élaboration de notre politique de sécurité des frontières. En fait, dans chaque province et chaque territoire, une majorité des habitants considèrent qu'une politique commune de sécurité des frontières est une bonne idée, cette tendance étant plus marquée à Terre-Neuve et Labrador, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. L'exception est le Yukon, où les opinions sont divisées.
Dans l'ensemble, qu'est-ce que ces données révèlent sur notre relation avec les États-Unis? Pour ce qui est des liens généraux du Canada avec les États-Unis, bien que 41 p. 100 des Canadiens sondés cette année préféreraient que nos liens restent inchangés, 24 p. 100, soit neuf points de plus qu'en 2003, voudraient que nous ayons des liens plus distants tandis que 34 p. 100, soit 10 points de moins qu'en 2003, voudraient qu'il y ait des liens plus étroits avec les États-Unis. Ces résultats pourraient être influencés par beaucoup de choses, mais sont interprétés comme témoignant de la tension des derniers mois dans les relations canado-américaines relativement à des problèmes commerciaux liés à la maladie de la vache folle et au bois d'œuvre.
Enfin, l'an dernier, 42 p. 100 des Canadiens ont déclaré que l'établissement de liens plus étroits avec les États-Unis devait être une des grandes priorités du nouveau premier ministre. Cette année, ce pourcentage tombe, seulement 37 p. 100 des Canadiens déclarant qu'il s'agit d'une haute priorité pour le gouvernement fédéral. Bien qu'en général nous puissions avoir des difficultés relationnelles avec les États-Unis, il semble que la plupart des Canadiens veulent protéger cette relation.
Le Canada a des priorités internationales qui dépassent la seule Amérique du Nord. Cette année, lorsque nous avons posé aux Canadiens des questions au sujet de l'importance de six objectifs différents pour le Canada, 91 p. 100 ont déclaré que participer aux missions de maintien de la paix de l'ONU était très important ou d'une certaine importance. Pour l'échelon suivant, 84 p. 100 considèrent qu'il est important de participer aux efforts visant à réduire la propagation du sida en Afrique, et 81 p. 100 accordent de l'importance à notre participation aux activités de l'OTAN. Il y a également 75 p. 100 des Canadiens qui considèrent importante la participation à la guerre contre le terrorisme et 72 p. 100 qui trouvent importante notre participation à NORAD. Seuls 43 p. 100 des Canadiens considèrent important que le Canada participe à la mise en place du système américain de défense antimissile, ce qui place cet objectif international au plus bas échelon.
Dans leur totalité, ces données montrent que les Canadiens n'appuient pas certains des éléments de politique étrangère des États-Unis. Il semble que la population canadienne refuse d'adopter des politiques américaines qui entrent en contradiction avec ses valeurs. Les Canadiens restent sceptiques quant à la nécessité d'augmenter les dépenses militaires ou de participer au bouclier américain de défense antimissile, mais ils partagent la préoccupation des Américains à l'endroit de la sécurité des frontières. En matière de politique étrangère, nous avons des orientations différentes et distinctes de celles des États-Unis et nous voudrions que ces orientations continuent de représenter les valeurs des Canadiens.
Le sénateur Cordy : Vous avez dit que 91 p. 100 des Canadiens trouvent que nous devrions offrir nos services pour les missions onusiennes de maintien de la paix. Ce matin, nous avons entendu un témoin dire que le maintien de la paix a changé du tout au tout. Dans le temps, les Casques bleus étaient postés à des endroits où la paix régnait déjà. Maintenant, avec les États non viables, les seigneurs de la guerre et tout le reste, il n'y a aucune paix lorsque nos soldats de la paix interviennent. En fait, ils rétablissent la paix au lieu de la maintenir.
Avez-vous demandé aux Canadiens comment ils définissent « soldat de la paix »? Se servent-ils de l'ancienne ou de la nouvelle définition, où sont-ils même conscients que le maintien de la paix a changé au fil des ans?
Mme Parriag : Nous ne nous sommes nous-mêmes pas attardés particulièrement sur les différences entre les définitions. D'autres sondages révèlent que, dans une certaine mesure, les Canadiens ne sont simplement pas conscients du fait que notre rôle peut avoir changé. En fait, lorsque nous avons posé des questions au sujet d'une augmentation des dépenses militaires, seuls 29 p. 100 des Canadiens ont déclaré que cela devait être une grande priorité pour le nouveau gouvernement, alors que 91 p. 100 déclaraient que c'était un objectif international important. Selon nous, cela représente une véritable disjonction dans la réflexion sur les forces armées, le maintien de la paix et, pour pousser plus loin, le rétablissement de la paix. C'est une question que nous devrons examiner plus avant.
Le sénateur Cordy : J'aimerais bien voir les données là-dessus. Selon une maxime, le maintien de la paix n'est pas le travail des soldats mais ils sont les seuls à pouvoir le faire. Seules des forces armées très bien préparées peuvent maintenir efficacement la paix. C'est certainement ce que l'on nous a dit, et c'est ce que je crois.
Vous avez également dit que les Canadiens sont très satisfaits de leur vie et on peu de préoccupations quant à la menace du terrorisme. Je crois que, tout de suite après le 11 septembre, nous, les législateurs, aurions pu adopter pratiquement n'importe quelle mesure législative, qu'elle piétine ou non le droit à la protection des renseignements personnels ou les droits des personnes. Je crois qu'au lendemain du 11 septembre, les Canadiens auraient accepté à peu près n'importe quoi, en raison de leur peur. Est-il exact que vos indicateurs montrent que les Canadiens sont beaucoup moins préoccupés aujourd'hui?
Mme Parriag : En fait, nous avons été surpris par les résultats obtenus. Nous avons les données provenant d'un sondage effectué en octobre 2001 et du même sondage en juin 2004. Nous avons trouvé que les Canadiens n'ont absolument pas changé d'attitude quant à leur crainte d'une attaque terroriste. Quarante-deux pour cent ont dit qu'il était probable que le Canada serait victime d'un attentat terroriste, et 56 p. 100 ont dit que cela était peu probable.
Le sénateur Cordy : C'était à l'autonome 2001?
Mme Parriag : Oui. Un mois après le 11 septembre, les Canadiens ne semblaient pas particulièrement craintifs. Toutefois, ils semblaient accueillir avec bienveillance les initiatives que préconisaient les États-Unis pour leur propre sécurité. Les Canadiens étaient tout à fait prêts à les appuyer, mais nous ne semblons pas avoir trouvé que nous risquions nous-mêmes de faire l'objet d'un attentat terroriste.
Le sénateur Cordy : A-t-on le sentiment que, du fait de la proximité des États-Unis, s'il se produit quelque chose, les États-Unis prendront soin de nous, ou a-t-il fallu lire entre les lignes pour établir notre position à ce sujet?
Mme Parriag : Les Canadiens appuient le fait de faire partie de NORTHCOM. Après le 11 septembre, lorsque nous avons posé des questions au sujet de NORTHCOM, une majorité des Canadiens a déclaré « nous devrions nous y associer pour accroître notre propre sécurité ». Une autre majorité a déclaré « nous devrions nous y associer pour pouvoir intervenir dans l'élaboration de la politique étasunienne de sécurité pour l'Amérique du Nord ». Il semblait y avoir un désir d'accroître notre sécurité, en quelque sorte, associé à une perception selon laquelle les États-Unis feraient le gros du travail. Ils organiseraient tout cela, et nous y adhérerions. Nous n'avons plus posé cette question sur NORTHCOM depuis lors, et je crois donc que le soutien peut avoir diminué mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Par ailleurs, on peut constater que l'appui pour NORAD est au moins à 7 sur 10 cette année. NORAD est en hausse, nous ne sommes pas sûrs quant à NORTHCOM, et la sécurité commune à la frontière constitue encore une autre question.
Le sénateur Cordy : Il semble y avoir des contradictions. Je ne dis pas que c'est la faute des sondeurs. Si ce sont bien là les résultats, les Canadiens ne semblent pas tout à fait sûrs de ce qu'ils veulent. Ils ne veulent pas de dépenses pour les forces armées, mais 91 p. 100 croient que nous devrions nous occuper de maintien de la paix avec l'ONU. Les Canadiens sont 70 p. 100 à croire au NORAD et à NORTHCOM, mais sont nombreux à résister à l'association avec les Américains pour le système de défense antimissiles balistiques, même si ce sont les Américains qui le financent et que le Canada n'a qu'à suivre. Est-ce exact?
Mme Parriag : Nous trouvons effectivement qu'il y a des contradictions. Toutefois, il semble que les contradictions découlent d'orientations pour lesquelles les Canadiens ont des valeurs qui entrent en conflit avec les diverses initiatives. Par exemple, lorsqu'il s'agit de maintien de la paix, cette idée constitue désormais un idéal pour les Canadiens et l'une des caractéristiques qui fait de nous des Canadiens. En fait, l'an dernier, nous avons posé une question sur les choses et les événements qui, selon certains, justifient que nous soyons fiers d'être Canadiens, et 70 p. 100 des répondants ont dit que les activités de maintien de la paix du Canada les rendaient fiers d'être Canadiens. Par conséquent, cela semble avoir atteint une importance qui dépasse de loin l'importance réelle de cette activité.
C'est la sorte d'idéal qui est diamétralement opposé à l'idée de savoir où nous devrions dépenser notre argent. Devrions-nous dépenser notre argent pour acheter tel ou tel matériel pour les forces armées? Eh bien, les Canadiens semblent vraiment établir un monde de différence entre ces deux questions.
Le sénateur Banks : Je voudrais poursuivre exactement sur la lancée du sénateur Cordy. Cela dépend de la façon dont les questions sont exprimées, du contexte et de la mesure dans laquelle les répondants comprennent les questions. Nous avons déjà vu, dans des émissions comiques, des gens qui répondent à des questions en toute confiance et avec aplomb, alors qu'ils n'ont aucune idée de ce dont on parle. On a particulièrement vu cela au sujet d'un certain personnage. Pourriez-vous, s'il vous plaît, défendre vos constatations en tenant compte de cet aspect?
Je vais donner des exemples. Vous avez demandé si les États-Unis et leurs alliés peuvent obliger le gouvernement irakien à se défaire de ses armes de destruction massive en utilisant des moyens pacifiques plutôt que la force militaire. Toutefois, les résolutions exigeant la suppression des armes de destruction massive étaient des résolutions onusiennes. Il y a eu une série de résolutions des Nations Unies qui exigeaient la suppression de ces armes et c'est au sujet de ces résolutions que les États-Unis ont déclaré leur intention de les appliquer que les autres pays le veuillent ou non.
Cela ne pourrait-il pas influer sur la réponse qu'une personne pourrait fournir à cette question?
Mme Parriag : Il est vrai que nous devons faire attention à la façon dont nous libellons ces questions. C'est l'éternel débat auquel se livrent les spécialistes depuis des lustres. Comment poser des questions sans orienter les réponses?
Même si les Canadiens ne connaissent pas les tenants et les aboutissants de NORTHCOM, du NORAD ou de la défense antimissile, on va certainement pouvoir avoir une idée générale de leurs attitudes. Ils ne savent peut-être pas tous des résolutions de l'ONU ni des moyens exacts, militaires ou non, de suppression du régime irakien, mais ils peuvent avoir une certaine attitude à l'endroit de ce qu'il convient à notre pays de faire.
Le sénateur Banks : Si vous demandez à quelqu'un « croyez-vous que nous devrions adhérer à NORTHCOM? », cela signifie a) que nous pouvons adhérer à NORTHCOM, ce qui est faux, et b) que les répondants peuvent avoir une certaine idée de ce qu'est NORTHCOM. Avez-vous établi si les gens à qui vous posez la question en comprenaient bien le sens?
Mme Parriag : Nous proposons toujours l'option de répondre « je ne sais pas ». Il est vrai cependant que les gens tiennent vraiment à fournir une réponse plutôt que de dire qu'ils ne savent pas. Toutefois, nous avons tendance à bien examiner la proportion de réponses « je ne sais pas » et, pour aucune de ces questions n'avons-nous obtenu un pourcentage particulièrement élevé de gens qui disaient ne pas savoir comment répondre.
Le sénateur Banks : Mais cela ne rend-t-il pas vos constatations insignifiantes, puisque le Canada ne peut pas adhérer à NORTHCOM? C'est un organisme créé par les États-Unis, où l'on confie à certaines personnes la responsabilité de s'occuper de diverses régions du monde. Cela n'a rien à voir avec nous, à moins que je n'y comprenne rien.
Le président : Vous comprenez parfaitement.
Le sénateur Banks : Nous ne pouvons pas présenter une demande d'adhésion à NORTHCOM, et on ne nous demandera jamais d'y adhérer. Est-ce donc bien la question que l'on a posée aux Canadiens : « Devrions-nous adhérer à NORTHCOM? » Est-ce cette question-là qu'on a posée?
Mme Parriag : Vous voulez le libellé exact? Je vais vous le trouver. Je vais d'abord vous donnez la question sur NORTHCOM.
Le sénateur Banks : Vous comprenez pourquoi je pose la question?
Mme Parriag : Oui.
Le sénateur Banks : Cela revient à dire « Voulez-vous devenir Viking? » Bien sûr.
Le président : Je croyais que nous étions des Vikings.
Mme Parriag : Ce que nous avons dit c'est que les États-Unis avaient récemment annoncé la création d'une nouvelle structure militaire de commandement appelée NORTHCOM, pour s'occuper de la sécurité de toute l'Amérique du Nord. Nous disions que l'on s'attendait qu'on demande au Canada d'adhérer à NORTHCOM, ce qui signifierait que les forces armées du Canada travailleraient en plus étroite collaboration avec celles des États-Unis. La question était à peu près celle-ci : « Lequel des énoncés suivants au sujet de NORTHCOM se rapproche-t-il le plus de votre propre point de vue? » Ensuite, nous proposions deux séries différentes d'énoncés.
Le sénateur Banks : Vous avez posé la question de façon assez honnête. Je ne sais si l'on nous demandera de participer à NORTHCOM — nous verrons bien — mais pour ce qui est du NORAD, trouvez-vous qu'il y a contradiction entre, d'une part, les réponses que vous avez obtenues au sujet du NORAD, c'est-à-dire une majorité favorable et, d'autre part, les réponses obtenues aux questions sur la défense antimissile balistique, pour lesquelles le résultat était carrément à l'opposé? N'y a-t-il pas disjonction? Est-ce aux mêmes personnes qu'on a posé ces questions?
Mme Parriag : Ce sont les mêmes personnes.
Le sénateur Banks : Comment ces personnes peuvent-elles avoir ces deux opinions?
Mme Parriag : Nous ne pouvons évidemment pas le savoir avec certitude, parce que nous ne leur avons pas demandé pourquoi elles réagissent de telle ou telle façon. Cela dit, après réflexion, il semble qu'il y ait un problème de terminologie. Dans un cas on parle de défense antimissile balistique, dans l'autre on parle de NORAD. La première expression semble très militariste et, en général, les Canadiens ne sont pas très militaristes. Que savent les Canadiens sur les missiles? Il s'agit d'un domaine qui leur est tout à fait étranger. Je crois que c'est un nom malheureux, et que cela est exprimé de telle façon que les gens en éprouvent du dédain.
Le sénateur Banks : C'est une question de marketing. Il suffirait de peindre cela en rose et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Le sénateur Meighen : En ma qualité d'ancien président du conseil de l'unité canadienne, je suis heureux de voir que vous continuez de faire du bon travail. Tout cela est très important. Les sénateurs Cordy et Banks ont vraiment examiné les questions qui m'intéressaient. Je ne pense pas avoir grand-chose d'autre à dire sauf — et vous en avez peut- être déjà parlé — pour savoir depuis combien d'années environ vous menez ces sondages annuels?
Mme Parriag : Les sondages ont commencé en 1998. À l'époque, nous en faisions deux. Il s'agit donc, en fait, du septième sondage.
Le sénateur Meighen : Avez-vous une étude sur vos sondages? Y a-t-il un document qui montre l'évolution des opinions sur les mêmes questions?
Mme Parriag : Absolument. Chaque fois qu'il y a une question que nous avons suivie au fil des ans, nous gardons les résultats de ce pistage.
Le sénateur Meighen : Y a-t-il une question liée au domaine qui nous intéresse et pour laquelle on a connu un changement marqué?
Mme Parriag : J'ai fait allusion très rapidement à l'une d'elles lors de mon exposé. Il s'agit des liens du Canada avec les États-Unis. Nous avons trouvé particulièrement intéressant que, l'an dernier, il y ait eu une véritable poussée en faveur d'un rapprochement avec les États-Unis. Nous avons pensé que cela résultait des relations généralement tumultueuses que nous avons eues l'an dernier avec les États-Unis dans plusieurs dossiers.
Cette année, nous sentons une véritable poussée en faveur du statu quo, mais il y a diminution du nombre de ceux qui voudraient des relations plus étroites et augmentation, 9 et 10 points respectivement, de ceux qui voudraient des relations plus distantes. Cela peut être le résultat d'un certain nombre de problèmes distincts qui sont survenus entre les deux pays au cours de l'année écoulée. Nous allons devoir surveiller tout cela et voir où cela nous amène.
Il est important de souligner qu'une pluralité des Canadiens souhaite que notre relation avec les États-Unis reste inchangée. Toutefois, parmi les minorités qui souhaitent que notre relation soit plus étroite ou plus distante, il y a un certain déplacement de l'opinion. Nous allons continuer de surveiller cela.
Le sénateur Meighen : Le sentiment est-il tributaire des manchettes du jour?
Mme Parriag : La question que nous avons posée était de nature générale. Nous avons seulement demandé aux gens s'ils souhaiteraient un rapprochement avec les États-Unis, plus de distance ou le statu quo. Comme c'est le cas de tout sondage d'opinion publique, le contexte a son influence. Cette année, nous avons procédé à ce sondage les 15 et 16 septembre et les 3 et 4 octobre, selon la région du pays que l'on visait. Divers événements qui se sont produits à l'époque auraient pu influencer la perception de la relation canado-américaine.
Le sénateur Meighen : Vous faites un travail fascinant. J'admire votre résistance au cynisme dans ce domaine. Il y a quelques années de cela, nos divers comités débattaient des avantages d'une monnaie commune ou d'une union monétaire avec les États-Unis. Aujourd'hui, plus un mot à ce sujet. Chose curieuse, le dollar a augmenté de 20 points de base.
Mme Parriag : Nous avons une donnée simple à ce sujet, qui remonte à il y a quelques années de cela, lorsque la majorité des Canadiens ont dit qu'ils ne voulaient pas de monnaie commune avec les États-Unis. Lorsqu'on disait que le dollar américain servirait de monnaie commune, la proportion de ceux qui ne voulaient pas de cette union monétaire augmentait de beaucoup. L'idée d'une monnaie commune ne plaît tout simplement pas aux Canadiens. C'est probablement la raison pour laquelle vous n'en entendez probablement pas parlé ces temps-ci.
Le sénateur Meighen : Vous dites que cette idée ne plaisait pas il y a un an et demi de cela, à l'époque où notre dollar valait 0,63 $ US? Les milieux universitaires devaient bien être les seuls à être ravis de cela.
Mme Parriag : Non, ce sondage avait été fait auprès du grand public en 2003 et comprenait le Nord, où les gens disaient que c'était une mauvaise idée. Notre dollar augmentait en valeur à l'époque.
Le sénateur Meighen : Vous ne pourrez peut-être pas répondre à ma prochaine question. Je crois que vous avez employé l'expression « Les Canadiens ne sont pas militaristes ». Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que ça veut dire que les Canadiens ne s'intéressent pas aux questions militaires ou ne s'intéressent pas à leur armée? Est-ce que ça veut dire qu'ils ne convoitent pas les terres ou les possessions des autres peuples? Qu'est-ce que ça veut dire?
Mme Parriag : D'après les données réunies, nous avons constaté que les Canadiens approuvent les approches multilatérales dans un certain nombre de contentieux, par exemple, l'Irak. Les Canadiens sont très fiers des opérations de maintien de la paix mais ils ne jugent pas nécessairement prioritaires les dépenses militaires. Les données semblent indiquer que les Canadiens sont plus réservés, et quand je dis « plus ou moins militaristes », j'avais en tête la comparaison avec les États-Unis.
Le sénateur Meighen : Constatez-vous de grands changements dans vos sondages au fil des ans?
Mme Parriag : Même après le 11 septembre, quand les passions étaient exacerbées et que nous soutenions les États- Unis, les Canadiens ne tenaient pas à supprimer ou atténuer notre Charte des droits et libertés en faveur d'une sécurité rehaussée. Nous étions seulement un peu plus sévères en matière de politique d'immigration, et nous ne nous sommes pas joints à ceux qui voulaient en découdre.
Le sénateur Meighen : Avez-vous remarqué un changement quelconque dans les jours qui ont suivi l'incident du feu ami en Afghanistan?
Mme Parriag : Je n'ai pas de données à ce sujet pour le moment.
Le sénateur Meighen : En aurez-vous plus tard?
Mme Parriag : Plus tard, ça se peut.
Le sénateur Meighen : Nous vous demanderons alors d'aller voir.
Le sénateur Day : Je trouve ces analyses de sondages toujours fascinantes. On entend des commentaires sur les sondages qu'on a faits précédemment et où l'on concluait que les forces militaires du Canada bénéficiaient d'un soutien inhérent et très fort mais que les autorités politiques ne semblaient pas avoir compris que le public veut qu'on dépense davantage pour les forces armées.
Vous avez dit que les Canadiens sont très favorables aux opérations de maintien de la paix. Peut-on faire un pas de plus dans ce sens et dire que les Canadiens ont tendance à voir l'armée comme étant un élément de leur société?
Mme Parriag : Je ne sais pas si nos données démontrent nécessairement cela.
Le sénateur Day : Avez-vous déjà comparé le soutien à l'armée de manière générale entre le Canada et les États- Unis?
Mme Parriag : Non, nous n'avons pas fait cela.
Le sénateur Day : J'imagine qu'on constaterait probablement un soutien inhérent plus grand à l'armée aux États- Unis qu'au Canada, mais ce n'est qu'une observation. Sans avoir fait le sondage, vous n'avez pas d'autre élément qui vous permettrait de soutenir ou de réfuter cette affirmation?
Mme Parriag : Non.
Le sénateur Day : Votre utilisation du drapeau canadien m'indique que vous êtes une agence canadienne. Est-ce que je me trompe?
Mme Parriag : C'est exact.
Le sénateur Day : Comment obtenez-vous votre financement?
Mme Parriag : Le Conseil de l'unité canadienne est une organisation sans but lucratif et non partisane. Nous vivons des subventions et des dons qui nous proviennent de diverses instances.
Le sénateur Day : Si je voulais vous faire faire un sondage sur un sujet en particulier, est-ce que je pourrais vous en commander un et vous payer pour ça?
Mme Parriag : Non.
Le sénateur Day : Cela ne fait pas partie de votre mandat?
Mme Parriag : Non. Nous faisons des sondages qui portent particulièrement sur la fédération canadienne. Nous avons un programme de recherche, et nous nous y tenons. Une partie de notre mandat tient à la diffusion la plus vaste possible de nos informations. Si vous voulez des informations que nous possédons déjà, nous vous les communiquerons sûrement.
Le sénateur Day : Qui décide des questions que vous allez poser dans un sondage?
Mme Parriag : Dans le cas du sondage Portraits du Canada, nous avions un comité de recherche qui était composé de diverses personnes de l'industrie du sondage, ainsi que des personnes présentent au Centre de recherche et d'information du Canada. Nos gestionnaires régionaux ont également contribué à la facture des questions. Dans une large mesure, nous sommes guidés par les sujets d'actualité — les dossiers émergents qui doivent être analysés ainsi que les questions concernant la fédération que nous devons suivre au fil des ans parce que nous pensons qu'elles demeurent importantes, que la presse en parle ou non, par exemple la réforme du Sénat.
Le sénateur Day : Nous avons été surpris de vous entendre parler du NORTHCOM — le commandement du Nord de la structure militaire des États-Unis. Nous avons pensé que vous vous étiez peut-être trompés et que vous vous vouliez parler de NORAD. Cependant, votre question indiquait clairement que les États-Unis s'apprêtaient à créer une division militaire appelée le Commandement du Nord ou NORTHCOM?
Mme Parriag : Oui.
Le sénateur Day : Cette entité devait être responsable de la défense de l'Amérique du Nord. C'est bien ce que disait le libellé?
Mme Parriag : Les États-Unis ont récemment annoncé la création d'une nouvelle structure de commandement militaire appelée le NORTHCOM, qui verra à la sécurité de toute l'Amérique du Nord.
Le sénateur Day : Si vous appeliez des gens et leur disiez qu'une instance appelée le NORTHCOM était sur le point d'être créée pour voir à la défense de toute l'Amérique du Nord, et que vous leur demandiez si nous devrions en faire partie, quel genre de réponses obtiendriez-vous des gens à votre avis?
Mme Parriag : On pourrait obtenir diverses réponses. Les gens pourraient dire que la sécurité ne les préoccupe pas. D'autres sondages démontrent que les Canadiens ne croient pas au risque d'une attaque terroriste, et cela pourrait vouloir dire que les Canadiens de manière générale n'accepteraient pas de faire partie du NORTHCOM.
Le sénateur Day : Cette question a-t-elle été mise au point en consultation avec un dirigeant politique ou militaire qui saurait vraiment ce que va faire le NORTHCOM.
Mme Parriag : Non. Nous devons poser ces questions au grand public. Nous ne voulons pas leur donner tout un paragraphe d'information, au départ, mais comme vous dites, beaucoup de gens ne savent peut-être pas ce que c'est que le NORTHCOM et nous leur donnons donc peu d'information.
Le sénateur Day : Ma seule autre question, en guise de conclusion, c'est quel part de votre budget est fait de subventions du gouvernement fédéral?
Mme Parriag : Il faudrait vous adresser à Michel Desjardins.
Le sénateur Day : Cette information n'est pas publique?
Mme Parriag : Je l'ignore tout simplement.
Le sénateur Day : Je ne pourrais pas la trouver sur votre site Web?
Mme Parriag : Je ne saurais vous le dire, car j'étais la codirectrice des Portraits du Canada, mais M. Desjardins est au courant de ce que nous faisons et de la procédure suivie. Vous pouvez donc lui poser la question.
Le président : Vous m'avez dit plus tôt qu'il n'y a pas de chiens sur votre site Web.
Mme Parriag : Il n'y en a pas encore.
Le président : C'est pourtant une bonne idée.
Le sénateur Nolin : Nos collègues seront contents d'apprendre qu'avant d'être nommé au Sénat, le sénateur Fraser a été directeur de ce centre.
Mme Parriag : On y est très bien.
Le sénateur Nolin : Je suis du Québec et ma question va porter sur ce qui fait du Québec un endroit différent.
Mme Parriag : Je savais que vous étiez du Québec et j'ai fait un peu de recherche, avant de venir, sur ce qui fait la différence du Québec. À quoi pensez-vous en particulier?
Le sénateur Nolin : Tout d'abord à nos relations avec les États-Unis, qui ont considérablement évolué depuis 15 ou 20 ans. Le Québec a toujours été très proche des États-Unis. À propos de votre question concernant les citoyens du monde, est-ce que cette notion a été définie et pourquoi le Québec est-il si différent du reste du pays sur ce point? Voilà deux sujets qui m'intéressent.
Mme Parriag : Quand nous faisons des sondages nationaux, nous constatons d'une fois à l'autre que les réponses provenant du Québec diffèrent de celles du reste du Canada. Dans nos résultats de sondages, nous avons souvent un ensemble de données pour le Québec, que nous pouvons comparer avec celles du reste du Canada, car les réponses sont souvent différentes.
En ce qui concerne les relations avec les États-Unis, les résultats des sondages sur les valeurs nous ont permis de constater que les valeurs des Québécois diffèrent de celles des Américains. C'est ce qu'indiquent les recherches effectuées par Michael Adams, du Environics Research Group. Il a testé différentes affirmations, notamment « le père est maître chez lui », en demandant au répondant s'il était d'accord ou non. Dans l'ensemble des États-Unis, les réponses positives sont plus nombreuses qu'au Canada. Au Québec, elles sont encore beaucoup moins nombreuses.
On note aussi des divergences en matière de croyances religieuses. Les Américains sont devenus plus conservateurs et plus religieux depuis 30 ans, alors que les Québécois le sont moins. Nous pensons que cette différence dans les valeurs entraîne une différence dans les perceptions. Pour l'essentiel, les Québécois disent ne ressentir aucun point commun avec les Américains.
Le sénateur Nolin : C'est une tendance très récente chez les Québécois, et vous mettez l'accent, évidemment, sur deux domaines spécifiques.
Mme Parriag : C'est exact.
Le sénateur Nolin : J'ai lu récemment un article du Globe and Mail sur ce qui rend le Québec différent. On y disait que les Québécois se trouvent différents des Américains, et que c'est une tendance récente. Il y a 10 ans, ce n'était pas ainsi. Qu'est-ce qui a changé? Les valeurs familiales et religieuses n'ont certainement pas changé en 10 ans. Alors, qu'est-ce qui a changé?
Mme Parriag : Je sais que si nous prenons les 4 ou 5 dernières années, les Québécois semblent moins se préoccuper des questions militaires. Aux États-Unis, on a beaucoup mis l'accent sur les questions militaires et les questions de sécurité. On constate donc une divergence très nette à ce niveau.
Sur la défense antimissile, si on écarte le Québec de l'ensemble des résultats, le Canada accorde un appui majoritaire à la défense antimissile, moins de 50 p. 100 des répondants affirmant qu'ils sont contre. Par conséquent, ce sont les réponses des Québécois qui déterminent la tendance sur cette question. D'après ce que nous avons vu, les Québécois sont d'accord lorsqu'un besoin militaire coïncide avec leurs valeurs; autrement, ils n'accordent pas leur appui sur cette question, contrairement aux Américains.
Le sénateur Nolin : J'aimerais parler maintenant de l'attitude du « citoyen du monde ». Qui a-t-il de curieux dans cette question? Tout d'abord, comment la question était-elle posée?
Mme Parriag : Je vais vous trouver la formulation.
Pour cette question, nous avons demandé : « Êtes-vous fortement en accord, en accord, en désaccord, ou fortement en désaccord... Je sens que je suis davantage un citoyen du monde qu'un citoyen de mon propre pays. »
Le sénateur Nolin : Sans autre explication, et même sur une affirmation très catégorique dont le sens n'est pas davantage expliqué, est-ce qu'on note des différences importantes entre les Québécois et le reste du pays?
Mme Parriag : Oui, absolument.
Le sénateur Nolin : Le Canada par rapport aux États-Unis?
Mme Parriag : Oui.
Le sénateur Nolin : Comment expliquer vous cette différence?
Mme Parriag : La différence entre le Québec et le reste du Canada traduit l'attachement des Québécois pour l'Europe, que les Canadiens n'éprouvent pas nécessairement au même degré. J'ai abordé cette question avec des Québécois jeudi dernier et ils me disaient qu'ils se sentent autant chez eux en Europe qu'au Québec. Il y a donc indiscutablement une affinité à ce niveau.
En ce qui concerne la différence entre le Canada et les États-Unis, 69 p. 100 des Canadiens ne sont pas d'accord pour dire qu'ils se sentent plus citoyen du monde que citoyen de leur propre pays, mais 58 p. 100 des Américains sont en désaccord. Le désaccord est majoritaire dans les deux cas, mais la proportion des Canadiens en désaccord est plus forte.
J'aimerais attirer votre attention, pendant cette explication, sur le fait que 9 p. 100 des Américains ne peuvent pas répondre à cette question.
Le sénateur Nolin : Ils auraient certainement besoin d'explications supplémentaires.
Mme Parriag : Je ne sais pas; je trouve cette particularité intéressante. C'est peut-être une notion plus ou moins étrangère aux États-Unis, malgré l'idéal du « melting pot » et malgré le principe voulant que les États-Unis accueillent des gens venus du monde entier, et cetera. La notion de citoyen du monde leur est peut-être étrangère. Je ne suis pas totalement certaine de ce qui sous-tend cette différence.
Le sénateur Munson : Les gouvernements s'intéressent aux sondages. Je le sais, parce que j'ai travaillé pour le gouvernement pendant quelque temps.
Mme Parriag : Nous sommes heureux de l'apprendre.
Le sénateur Munson : Parfois, ils s'y intéressent trop, et c'est au détriment des mesures efficaces qui pourraient être prises en matière de législation ou d'orientation officielle; si ces mesures risquent de mécontenter la population, les gouvernements vont considérer les sondages et dire : Voilà le résultat des sondages; il n'y aura pas de décision, et le gouvernement s'en tiendra à l'opinion des Canadiens.
Que pensez-vous du rôle des sondeurs, de leurs rapports avec les gouvernements et de la façon dont les gouvernements assurent leur propre gestion? Dans cette ville, on s'empresse de lire les résultats des sondages, et l'orientation officielle est parfois choisie en fonction des plus récents sondages.
Mme Parriag : Les instituts de sondage sont tenus de poser des questions neutres et équitables, précisément pour la raison que vous venez d'évoquer : les gens s'intéressent aux résultats des sondages. Je pense qu'il est normal que le gouvernement s'intéresse aux résultats des sondages, notamment des sondages nationaux qui reflètent le point de vue de l'ensemble des Canadiens sur les questions d'envergure nationale, par opposition aux sondages régionaux. Lorsque la question est nouvelle, le gouvernement doit suivre l'évolution des opinions dans le temps. Par exemple, sur la question de la défense antimissile, on a constaté une polarisation plus forte, au cours des deux dernières années, entre ceux qui y sont fortement opposés et ceux qui y sont fortement favorables. Voilà un élément auquel les gouvernement doivent prêter autant attention qu'au total des opinions favorables ou défavorables, car il indique que l'opinion des Canadiens sur la question présente une certaine persistance; ce n'est pas un embrasement soudain, ni une opinion déterminée par un contexte particulier. Le gouvernement doit faire preuve de responsabilité dans l'analyse des données. Il ne doit pas s'en tenir à l'interprétation des instituts de sondages, il doit considérer des données provenant de sources différentes, en fonction du contexte dans lequel les données ont été recueillies. Par exemple, si l'on avait recueilli des données immédiatement après le 11 septembre, il faudrait faire un suivi dans le temps pour vérifier si les opinions exprimées immédiatement après ont persisté, et si elles n'étaient pas déterminées par l'émotion du moment.
Le sénateur Munson : Ceux qui regardent CPAC s'intéressent parfois à nous. En résumé, quel est le message qui se dégage de vos récents sondages, et auquel le gouvernement devrait prêter attention? Y a-t-il un thème général ou particulier que vous souhaitez mentionner?
Mme Parriag : En ce qui concerne les données dont je vous ai parlé aujourd'hui, les Canadiens appuient les politiques conformes à leurs valeurs. Il est très important que les gouvernements en soient conscients. Dans l'ensemble, nous ne sommes pas craintifs. Nous ne pensons pas que notre pays soit menacé. Nous sommes conscients des États- Unis, et nous aimerions collaborer avec les Américains sur les questions d'intérêt commun. En ce qui concerne la sécurité à la frontière, elle coïncide avec nos valeurs et nous sommes d'accord avec les Américains; mais il y a des mesures auxquelles les Canadiens n'accordent pas leur appui, parce qu'elles entrent en conflit avec leurs valeurs.
Le sénateur Banks : Pour poursuivre la question du sénateur Munson, quel était l'échantillon de ce sondage que vous avez réalisé par l'intermédiaire d'Environics? Deux mille douze personnes?
Mme Parriag : Non, 3 202 personnes.
Le sénateur Banks : En avril 2003?
Mme Parriag : Non, cette année, en septembre et octobre.
Le sénateur Banks : Je suis toujours surpris de voir à quel point un sondage effectué auprès d'un échantillon relativement modeste peut donner des résultats efficaces et précis. Lors des élections, on est généralement fixé après la publication des premiers sondages.
Le président : Dix-neuf fois sur vingt.
Le sénateur Banks : Or, l'Alberta représente 10 à 12 p. 100 de la population canadienne, à quelques décimales près. On a donc posé ces questions à une trentaine d'Albertains, et c'est à partir de leurs réponses qu'on a produit des chiffres spécifiques à l'Alberta. Quand vous effectuez ces sondages, êtes-vous certains que l'échantillon à partir duquel vous extrapolez le point de vue du Québec ou de l'Alberta est suffisant?
Mme Parriag : En réalité, nous avons consulté 300 Albertains pour ce sondage.
Le sénateur Banks : Comment se fait-il que la pondération soit aussi bizarre?
Mme Parriag : C'est une pondération à la baisse.
Le sénateur Banks : Vous avez raison; vous avez dit que l'échantillonnage était de 3 000 personnes. C'est donc 300 pour l'Alberta. Est-ce un échantillon suffisant pour déterminer la tendance de l'opinion?
Mme Parriag : Dans ce sondage, la marge d'erreur est de 1,7 p. 100 19 fois sur 20. Cependant, pour une région plus petite comme l'Alberta, la marge d'erreur augmente. Si l'on veut voir les différences entre les attitudes et les perspectives des Albertains par opposition aux habitants des autres régions, il nous faudrait des différences plus importantes avant qu'on puisse les considérer avec confiance comme statistiquement importantes.
Le sénateur Banks : Pourquoi faut-il qu'il en soit ainsi si les pourcentages albertains sont approximativement les mêmes que ceux du Québec ou de l'Ontario? Est-ce que vous parlez du secteur rural?
Mme Parriag : Non. Excusez-moi.
Le sénateur Banks : Je ne doute pas que vous ayez raison, mais vous avez consulté environ 3 000 Canadiens, dont 10 p. 100 d'Albertains, soit 300 personnes en Alberta. C'est le chiffre exact. Je me suis trompé dans mon calcul. Cet échantillon serait-il moins important statistiquement que l'échantillon des personnes sondées au Québec, qui sont au nombre d'environ 700?
Mme Parriag : Nous avons sondé 1 000 personnes au Québec, car nous souhaitions disposer d'un échantillon plus important, mais vous avez raison de dire qu'il y a eu pondération pour obtenir 700 personnes. Plus l'échantillon est important, plus il fait diminuer la marge d'erreur.
Le sénateur Banks : Indépendamment du fait que ce soit la même proportion de la population?
Mme Parriag : Oui. On peut prendre un échantillon plus important et hors de proportion. Il va simplement faire diminuer la marge d'erreur.
Le président : Disons, pour préciser les choses, qu'afin d'obtenir une lecture aussi exacte à l'échelle de l'Alberta qu'à l'échelle nationale, il faudrait probablement un échantillon de 1 500 ou 2 000 personnes, n'est-ce pas?
Mme Parriag : Oui, exactement. Si l'on voulait faire en Alberta un sondage comportant une marge d'erreur de 1,7 p. 100, on ne pourrait se contenter d'un échantillon de 300 personnes dans le cadre d'un sondage portant strictement sur l'Alberta.
Le président : En fait, nous parlons ici d'une erreur de probabilité beaucoup plus grande dans l'échantillon albertain que ce qui est indiqué dans ce document.
Mme Parriag : Oui.
Le président : C'est le cours de statistiques 101. Mme Parriag l'a suivi, pas nous. Restons-en là.
Le sénateur Banks : Merci.
Le président : Pouvez-vous dire au comité quelles sont les vulnérabilités et les menaces qui perçoivent les Canadiens? Avez-vous fait des recherches à ce sujet?
Mme Parriag : Nous avons travaillé sur les menaces perçues par les Canadiens. Nous avons constaté que les Canadiens ne perçoivent pas nécessairement de menaces en matière de sécurité. Par exemple, nous avons des politiques d'immigration assez souples. La majorité des Canadiens considèrent qu'il ne faut pas, par exemple, refuser les immigrants des pays islamiques, car il pourrait en résulter une menace terroriste.
On constate en revanche des menaces qui ne relèvent pas de la sécurité, par exemple les menaces que pourraient faire peser les États-Unis sur notre identité. Nous avons posé des questions, par exemple, sur l'harmonisation de nos politiques avec celles des États-Unis, en disant qu'il serait sans doute préférable, pour notre économie, d'harmoniser nos politiques d'immigration et nos régimes fiscaux. Dans tous les cas, qu'il s'agisse d'immigration, de fiscalité ou de santé, la majorité des Canadiens ne souhaitent pas l'harmonisation avec les politiques des États-Unis.
Dans un contexte voisin, certains craignent que d'ici 10 ans, le Canada perde sa souveraineté sur l'Arctique au profit des États-Unis, mais dans l'ensemble, les Canadiens ne semblent pas craintifs.
Le président : Et qu'en est-il de la fierté nationale? Avez-vous fait des recherches à ce sujet? Existe-t-il une corrélation entre la fierté nationale et l'attitude vis-à-vis de l'armée?
Mme Parriag : Sur la participation à la Première et à la Seconde Guerre mondiale, 61 p. 100 des Canadiens se disent fiers d'être Canadiens. Sur les opérations canadiennes de maintien de la paix, 70 p. 100 des Canadiens se disent fiers d'être Canadiens. Sur la non-participation du Canada à la guerre en Irak, 49 p. 100 des Canadiens y voient une source de fierté. Quelle était votre question initiale?
Le président : Je vous demandais si vous aviez fait des recherches sur le sentiment de fierté des Canadiens à l'endroit de leur pays, et s'il existe un relation entre la fierté nationale et les dépenses consacrées à la défense et aux forces armées canadiennes. Y a-t-il un rapport entre les deux?
Mme Parriag : Nous constatons que la fierté se manifeste ailleurs que dans le domaine de la défense. Tout d'abord, c'est l'immensité et la beauté du pays; en deuxième lieu, c'est le premier rang accordé au Canada par les Nations Unies, en troisième lieu, c'est l'aide accordée aux passagers des avions américains le 11 septembre. Voilà les trois sujets sur lesquels les Canadiens sont fiers d'être Canadiens l'année dernière. Le maintien de la paix est en bonne position, mais comme nous l'avons vu aujourd'hui, les Canadiens ne se sentent pas nécessairement de liens directs avec le maintien de la paix ou l'institution militaire. La participation aux conflits mondiaux est également un élément important. En ce qui concerne l'armée, les Canadiens sont fiers de ce que nous n'ayons pas participé à la guerre en Irak, et c'est encore plus vrai au Québec.
Le sénateur Meighen : Est-ce que c'était des réponses guidées?
Mme Parriag : Oui, c'était des réponses guidées.
Le président : Avez-vous fait des recherches sur le niveau de financement de l'armée?
Mme Parriag : Que voulez-vous dire?
Le président : Est-ce que les Canadiens estiment que l'armée est bien financée? Pensent-ils qu'il faudrait consacrer plus de ressources aux dépenses militaires?
Mme Parriag : Nous n'avons pas atteint ce niveau de détail. Cette année, en matière de priorité, nous avons demandé s'il fallait augmenter les dépenses militaires.
Le président : Avez-vous posé des questions sur le trop grand nombre de missions attribuées à nos forces armées?
Mme Parriag : Non. Je signale également que nous avons réalisé ce sondage avant l'incident dont Chris Sanders a été victime. Aujourd'hui, les réponses seraient peut-être différentes.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie d'avoir comparu devant nous. L'information que vous nous avez soumise nous sera utile dans la poursuite de notre étude des besoins du Canada en matière de défense. Merci beaucoup de votre présence, qui est fort appréciée.
Je signale aux téléspectateurs que s'ils ont des questions ou des commentaires, ils peuvent consulter notre site Web : www.sen-sec.ca. Ils y trouveront les témoignages ainsi que la confirmation de l'horaire des audiences. Par ailleurs, ils peuvent joindre le greffier du comité en appelant au 1-800-267-7362 pour obtenir des renseignements, de l'aide ou pour prendre contact avec les membres du comité.
La séance se poursuit à huis clos.