Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 8 - Témoignages du 13 décembre 2004
OTTAWA, le lundi 13 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 16 h 41 pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance est ouverte.
Je suis heureux de vous accueillir à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages liés à l'examen de la politique de défense du Canada.
Voici le distingué sénateur Forrestall de la Nouvelle-Écosse. Il a servi la population de Dartmouth pendant 37 ans, tout d'abord en tant que député et ensuite en tant que sénateur. À la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'Opposition officielle pour la défense de 1966 à 1976. Il est aussi membre de notre Sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Norman Atkins vient de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat avec 27 ans d'expérience dans le domaine des communications. Il a été conseiller principal de Robert Stanfield, du premier ministre de l'Ontario William Davis et du premier ministre Brian Mulroney. Il est aussi membre du Sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Joseph Day vient du Nouveau-Brunswick. Il est vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est membre du Barreau du Nouveau- Brunswick, de l'Ontario et du Québec et Fellow du Intellectual Property Institute of Canada. Il est aussi ancien président et directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.
Le sénateur Jane Cordy est de la Nouvelle-Écosse. C'est une éducatrice accomplie qui a abondamment servi sa communauté, notamment en tant que vice-présidente de la Halifax Dartmouth Port Development Commission. Elle est présidente de l'Association parlementaire Canada-OTAN et membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Le sénateur Tommy Banks est de l'Alberta. Il est président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles qui a récemment publié un rapport intitulé Le défi d'une tonne. Il est bien connu au Canada comme animateur et musicien polyvalent. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux olympiques d'hiver de 1988, il est Officier de l'Ordre du Canada et il a été lauréat d'un Prix Juneau.
Le sénateur Pierre Claude Nolin vient du Québec. Il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet invitant à une légalisation et à une réglementation du cannabis au Canada. Il est actuellement vice-président du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Sur le plan international, le sénateur Nolin est actuellement président du Comité des sciences et de la technologie de l'Association parlementaire de l'OTAN.
Notre comité est le premier comité sénatorial permanent dont le mandat est d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat a invité notre comité à se pencher sur la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Nous avons commencé notre examen en 2002 avec trois rapports : « L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, » en février,« La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, » en septembre, et « Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : Une vue de bas en haut, » en novembre.
En 2003, le comité a publié deux rapports : « Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens », en janvier et « Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues aumonde, » en octobre. En 2004, nous avons publié deux autres rapports : « Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne, » en mars, et récemment « Manuel de sécurité du Canada, édition 2005. »
Le comité examine la politique de défense du Canada. Au cours de la prochaine année, il tiendra des audiences dans toutes les provinces et dialoguera avec les Canadiens et Canadiennes pour déterminer en quoi consiste l'intérêt national pour eux, voir quelles sont à leur avis les principales menaces qui pèsent sur le Canada et savoir comment ils souhaiteraient que le gouvernement réponde à ces menaces. Le comité essaiera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de dégager un consensus sur ses besoins militaires.
Notre prochain témoin est M. Martin Rudner. Il est professeur à la Norman Paterson School of International Affairs à l'Université Carleton. Il est le directeur fondateur du Canadian Centre of Intelligence and Security Studies à Carleton. Il a obtenu son doctorat à l'Université de Jérusalem. Il a écrit plus de 70 ouvrages et articles scientifiques sur l'Asie du Sud-Est, le développement international et l'étude de la sécurité et du renseignement.
Monsieur Rudner, bienvenue. Je crois que vous avez une brève déclaration que nous avons hâte d'entendre.
M. Martin Rudner, directeur, Centre for Intelligence and Security Studies, Université Carleton : Je vous remercie, sénateur Kenny ainsi que vos collègues de me faire l'honneur de m'accueillir aujourd'hui..
Durant le temps dont je dispose, j'aimerais discuter des problèmes concernant les capacités de renseignement de défense du Canada et vous proposer ce que j'appelle un programme de renseignement de défense pour le Canada. Je commence par vous rappeler que votre discussion aujourd'hui vise en partie à déterminer si le Canada doit se doter d'une capacité de renseignement à l'étranger. La réponse, c'est qu'il dispose déjà de cette capacité, de deux manières. Il a d'une part le Centre de la sécurité des télécommunications pour les renseignements d'origine électromagnétique et, ce qui est plus important, il dispose d'une capacité de renseignement de défense qui provient essentiellement de l'étranger.
En quoi consiste cette capacité de renseignement à l'étranger?
C'est la capacité de déceler de façon précoce des signes annonciateurs, des crises et des menaces. Les services de renseignement désignent par le terme « fusion » cette mise en commun du renseignement de source humaine, du renseignement d'origine électromagnétique, du renseignement par imagerie, du renseignement de sources ouvertes et de la surveillance générale pour alimenter les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale. Ce renseignement à l'étranger comporte une capacité bien particulière, du moins pour le Canada, en ce qui concerne le renseignement d'ordre scientifique et technologique. Il s'agit de la capacité de détecter la mise au point d'armes de destruction massive et les menaces de prolifération, une capacité de renseignement de défense unique au Canada.
Ce dispositif comporte aussi une très importante composante d'évaluation stratégique, car il s'agit non seulement de recueillir des renseignements, mais d'en tirer quelque chose d'utile, de traduire ces renseignements bruts en informations et en connaissances qui pourront être utilisées par les décideurs, les commandants sur le terrain et même d'autres ministères dans le cadre de leurs responsabilités en matière de défense et de sécurité du Canada. Ce sont donc là les quatre capacités du renseignement.
Ce renseignement à l'étranger est aussi très utile pour le maintien de la paix. Il y a eu une époque où les Forces de maintien de la paix voyaient d'un mauvais oeil la notion de renseignement. On estimait que c'était une source d'information douteuse, mais nos opérations de maintien de la paix à travers le monde nous ont montré que le renseignement était nécessaire pour les opérations autres que les opérations de guerre. Notre dispositif de renseignement pour le maintien de la paix consiste à exercer une surveillance qui nous permet de voir venir les menaces, les adversaires et l'opposition au maintien de la paix. Il comporte aussi des considérations de politique et d'anthropologie culturelle qui nous permettent de faire la différence entre ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous dans des contextes qui ne nous sont pas familiers.
Ce dispositif est aussi utile pour l'aide humanitaire, car il nous permet de connaître les besoins en aide humanitaire et de savoir qui doit apporter cette aide à qui, sans intervenir de façon maladroite dans des conflits internes.
Il nous donne aussi des renseignements très importants pour la protection de nos forces, en nous permettant de détecter les menaces contre les Forces canadiennes en mission de maintien de la paix et de protéger ces forces en enrayant ces menaces.
Troisièmement, notre capacité de renseignement de défense est liée au renseignement de combat traditionnel et à la nécessité d'avoir des renseignements d'ordre stratégique, tactique et opérationnel pour permettre aux Forces canadiennes d'exécuter leurs missions.
Nous avons une architecture de renseignement de toutes sources pour la défense qui repose sur ce que nous appelons dans notre jargon le C4ISR. Le C4ISR est un dispositif informatique de coordination des renseignements obtenus par la communication, la surveillance et la reconnaissance, qui englobe toutes les forces — on utilise l'expression « du capteur au tireur » — pour permettre à nos forces sur le terrain de disposer de toutes les connaissances que peut leur apporter la technologie pour pouvoir exécuter leurs missions.
Toute cette technologie, toutes ces capacités de renseignement de combat doivent être interopérables car les Forces canadiennes travaillent de concert avec leurs alliés, qu'il s'agisse de missions militaires, de missions de soutien à la paix ou d'autres opérations autres que de guerre. Nos dispositifs de renseignement doivent être interopérables et notre architecture doit aussi l'être avec celles de nos alliés aussi bien dans le contexte de l'OTAN que dans celui de l'ONU.
Notre dispositif de renseignement de combat doit aussi inclure une capacité anti-insurrectionnelle et antiterroriste et garantir encore une fois la protection de nos forces. Ce sont là les exigences de renseignement de combat pour le Canada.
Notre programme de renseignement de défense inclut une mission vitale de protection des infrastructures. Il s'agit notamment d'apporter une aide militaire au pouvoir civil en cas d'urgence nationale ou de frappe terroriste contre le Canada. Cette capacité de renseignement doit permettre d'évaluer les menaces, de déterminer les composantes scientifiques et techniques de ces menaces : s'agit-il de menaces nucléaires, radiologiques, chimiques ou biologiques? Ce sont les Forces armées du Canada qui ont la capacité de renseignement nécessaire pour discerner et classer ces menaces.
Quelles sont les perspectives? Très brièvement, car mon temps de parole est limité et j'aimerais garder le plus de temps possible pour la discussion, les perspectives sont axées sur quatre éléments. Il y a tout d'abord les ressources, et je ne vais pas en parler car je crois que le général Gauthier et d'autres hauts fonctionnaires du gouvernement du Canada vont comparaître à votre comité et seront les mieux placés pour vous parler des ressources dont nous avons besoin pour accomplir notre programme de renseignement de défense.
Deuxièmement, il y a la coordination, c'est-à-dire la capacité de coordonner le travail, les constats et les informations du dispositif de renseignement pour la défense avec les autres dispositifs de renseignement du gouvernement du Canada par le biais du Bureau du Conseil privé et du Centre d'évaluation intégrée des menaces, qui sont les mécanismes dont nous disposons pour assurer la parfaite coordination des divers dispositifs de renseignement que nous avons, notamment le renseignement de défense.
Il y a ensuite la question de la formation. Je dois dire que d'après ma propre expérience, les services de renseignement de la défense ont appuyé avec enthousiasme toutes les initiatives des universités et des universitaires pour encourager les études en renseignement au Canada. Les représentants de ces services ont participé activement à des conférences appuyées par des universités, parrainées par l'Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement ainsi que par mon propre centre d'analyse du renseignement. Ces services sont des consommateurs avides de connaissances et contribuent activement au développement des connaissances dans ces domaines.
Malheureusement, il y a aussi des lacunes. Par exemple, nous n'avons pas au Canada d'équivalent du Joint Military Intelligence College aux États-Unis, c'est-à-dire un programme universitaire spécialisé permettant à des étudiants de premier et de deuxième cycles d'approfondir leurs compétences et d'élargir leurs connaissances en matière d'analyse du renseignement.
Nous avons, au Collège militaire royal du Canada, des cours de formation en renseignement militaire et nous avons aussi, à l'École du renseignement militaire des Forces canadiennes, un nouveau cours de renseignement de défense stratégique. Ces cours n'ont toutefois pas l'envergure nécessaire pour répondre aux attentes du programme de renseignement de défense du Canada.
À mon avis, le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes devraient examiner les possibilités et les modalités institutionnelles actuelles pour assurer non seulement une formation professionnelle, mais aussi un perfectionnement professionnel des analystes en particulier pour leur permettre d'exploiter les masses colossales de renseignements que nos dispositifs de cueillette de renseignements nous permettent d'amasser.
Il y a aussi le problème de nos capacités en période de pic. Les Forces canadiennes ne représentent pas grand-chose à l'échelle mondiale. Certains les jugent même sous-financées compte tenu des normes de l'OTAN. Il existe une réserve du renseignement des Forces canadiennes qui permet de faire appel, en cas d'urgence, à des gens formés au niveau de la cueillette. Ce qui nous manque, à mon avis, c'est la capacité d'intensifier nos ressources sur le plan analytique en cas d'urgence.
Un de mes collègues, le professeur David Charters, de l'Université du Nouveau-Brunswick, a proposé de constituer une réserve de Canadiens universitaires et autres prêts à travailler avec les Forces canadiennes au ministère de la Défense nationale en leur fournissant l'appoint de personnel analytique nécessaire en cas de pic de la demande.
Je conclurai en insistant sur la nécessité d'une synchronisation équilibrée entre la collecte et l'analyse. S'il y a une chose que nous ont apprise le 11 septembre et les efforts de lutte antiterroriste qui se poursuivent à travers le monde, c'est que la collecte de renseignements est essentielle, mais qu'elle n'est pertinente que s'il existe une capacité d'analyse permettant de traduire les renseignements recueillis en information et en connaissances; des connaissances bien concrètes permettant au commandement militaire et aux autorités gouvernementales de passer à l'action.
[Français]
Le sénateur Nolin : Dans un article intitulé « The Future of Canada's Defence Intelligence,» vous déclarez que la guerre de l'information asymétrique constitue non seulement une menace pour les infrastructures nationales essentielles mais aussi un défi pour le milieu du renseignement. Pouvez-vous nous donner une meilleure idée de ce que représente ce défi et nous dire ce que vous croyez que le ministère de la Défense nationale doit faire pour dûment relever ce défi?
Comme le ministère de la Défense n'est pas le seul à s'activer dans le domaine du renseignement — d'autres agences gouvernementales le font — comment arrimer tout cela et coordonner tout ce que vous avez mentionné à quelques reprises, selon l'expression, la question de 56 000 $?
[Traduction]
M. Rudner : Je vais vous donner deux exemples de cas où la défense a un rôle crucial à jouer face à des menaces pour nos infrastructures essentielles. Imaginez le scénario cauchemardesque d'un avion détourné au-dessus du Canada par des terroristes qui n'auraient rien à voir avec les pirates de l'air d'autrefois — emmenez-moi à Cuba — mais qui seraient bien des terroristes de l'après-11 septembre, prêts à transformer un avion civil en missile guidé.
Le problème est de déterminer le caractère du détournement. Ce sont peut-être les autorités civiles qui vont signaler le détournement d'avion, mais qui va en établir la nature?
Deuxièmement, quelle est la réaction des Forces canadiennes à un tel détournement? Dans le cas de ce scénario catastrophe, je pense que les services de renseignement de la défense seraient essentiels pour déterminer s'il s'agit d'un détournement traditionnel ou d'un acte de piraterie de ce type plus récent.
Troisièmement, il faudrait que le premier ministre du Canada passe par le ministre de la Défense nationale pour prendre la décision d'intercepter et d'abattre un avion civil transformé en missile guidé. C'est à ce niveau de terrorisme qu'il est essentiel que la défense nationale fonctionne en coordination étroite avec les autres services de renseignement et naturellement avec les dirigeants politiques du pays.
Un autre scénario plus prosaïque et moins cauchemardesque mais non moins mortel concerne nos infrastructures critiques. Nous sommes tous conscients de l'importance de ces infrastructures pour le pays et pour les relations commerciales très importantes que nous avons avec les États-Unis. Environ 90 p. 100 de nos échanges de marchandises se font avec les États-Unis. Environ 90 p. 100 de ce commerce passe par huit ponts et tunnels sur le Saint-Laurent et les voies maritimes connexes. Une attaque contre ces ponts et ces tunnels serait préjudiciable au commerce canadien et risquerait d'entraîner chez notre partenaire commercial une réponse extrêmement néfaste pour l'ensemble de l'économie du Canada.
Le service de renseignement du Canada dispose des compétences techniques nécessaires pour désarmer un dispositif explosif dans un tunnel ou sur un pont. Les services de renseignement de la défense canadienne sont capables de détecter les menaces que peuvent faire poser des explosifs ou d'autres dispositifs sur notre infrastructure. Je ne dis pas que ces services ne devraient pas collaborer avec les autres services de renseignement et organismes d'application de la loi; au contraire, ils doivent le faire et ils le font.
Ce que je dis, c'est que grâce à l'expérience militaire, notamment en matière de renseignement, de science et de technique de défense et d'évaluation stratégique, ces services ont un avantage spécial qui constitue un atout indispensable pour l'ensemble du dispositif de renseignement du Canada, y compris les services d'application de la loi et autres services de renseignement.
Le sénateur Nolin : Les deux exemples que vous venez de nous donner sont d'ordre civil. Comment faudrait-il réorganiser l'infrastructure du gouvernement pour permettre au ministère de devenir le principal moteur de cette analyse?
M. Rudner : Je crois que les interventions civiles et militaires ne doivent pas nécessairement être cloisonnées. Par exemple, la décision d'envoyer des avions canadiens intercepter un aéronef hostile serait...
Le sénateur Nolin : Il ne s'agit pas de savoir quelle serait la réponse ou qui serait responsable de l'organiser. Mais je voudrais reculer un peu par rapport à ce scénario. Qui est responsable de recueillir l'information? Qui est responsable de promouvoir l'option A ou l'option B et de passer en mode réponse? C'est une question sur la coordination.
M. Rudner : Vous devriez peut-être la poser au major général Gauthier.
Je vais faire une comparaison avec le 11 septembre. La commission d'enquête sur le 11 septembre a publié un rapport extrêmement détaillé à ce sujet. Elle a constaté trois paliers de décision et un défaut de coordination. L'annonce du détournement des avions a été transmise d'abord aux compagnies aériennes, puis à la Federal Aviation Authority aux États-Unis. Ce n'est que plus tard que cette information a été transmise au NORAD, l'autorité de défense, et c'était trop tard. Malgré la décision préexistante d'intercepter tout aéronef avant qu'il attaque, l'interception a échoué.
L'une des leçons de cette expérience, c'est qu'il faut qu'il y ait des individus responsables spécialisés au sein de la compagnie aérienne, de l'autorité de l'aviation civile et de l'autorité de la défense. Il faut qu'il y ait une communication latérale impeccable et immédiate.
Je pense, bien que je n'aie pas étudié la question en détail, que les Américains ont appris ces leçons, et les Canadiens aussi.
Le sénateur Nolin : À votre avis, les Américains s'attendent à nous voir évoluer dans cette direction?
M. Rudner : Je crois qu'ils en sont convaincus car un avion détourné au-dessus du Canada constitue une menace directe pour les Canadiens et une responsabilité canadienne.
Le sénateur Banks : J'aimerais enchaîner sur les questions du sénateur Nolin mais en me faisant l'avocat du diable. Je veux vous poser cette question parce que j'ai fait partie d'un comité de parlementaires qui s'est penché sur les questions de renseignement, notamment de renseignement militaire.
Jadis, on savait parfaitement si une armée de terre, de mer ou de l'air étrangère allait nous attaquer. C'est ce que l'on appelle le renseignement militaire. L'espionnage, les réseaux souterrains et l'infiltration, c'était autre chose. Disons que c'était le renseignement civil. Cette distinction n'a plus cours, non?
Tous ces aspects sont si étroitement liés les uns aux autres qu'il faudrait peut-être avoir un seul dispositif de renseignement?
M. Rudner : À mon avis, non. Je vais vous expliquer pourquoi. Il est parfaitement clair que la menace est plurielle et non unique. Il existe une menace terroriste, c'est certain. Je rappelle aux honorables sénateurs que dans son dernier rapport, le Comité britannique du renseignement et de la sécurité a prévenu le public britannique que les autorités se concentraient excessivement sur la menace terroriste et insuffisamment sur les autres menaces contre le Royaume-Uni.
En cette ère de terrorisme, il est effectivement indispensable d'avoir des ressources pour contrer la menace terroriste, mais pas aux dépens des autres menaces. Il faut aussi contrer ces autres menaces.
Ces menaces, ce sont l'espionnage et la prolifération d'armes de destruction massive, et pour les Forces armées les menaces — je ne veux pas utiliser le terme « traditionnelles » puisqu'elles ne sont plus traditionnelles — les menaces classiques visant les Forces canadiennes qui oeuvrent au soutien de la paix ou qui pourraient, qui sait, être actives dans un combat.
L'armée a besoin d'une capacité de renseignement pour ses missions, qu'il s'agisse de missions de combat, de soutien de la paix ou de protection de nos forces. Nous avons aussi besoin de renseignement pour faire face à ces autres menaces. Le renseignement sur la prolifération et le renseignement de défense jouent un rôle très important sur le plan scientifique et technique.
Pour ce qui est du renseignement sur un plan plus général, notamment des alertes précoces, le dispositif de renseignement des Forces canadiennes apporte un avantage unique à notre pays, mais j'aimerais ajouter qu'il n'y a rien de mal à ce que les renseignements se chevauchent dans une certaine mesure. Un des problèmes du renseignement, qu'il s'agisse de la collecte ou de l'évaluation, c'est que le fait de ne pas voir venir une menace peut avoir des conséquences catastrophiques.
La gestion du renseignement consiste en partie à gérer le risque. Pour éviter une défaillance des services de renseignement qui risque d'entraîner une catastrophe, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose de confier la cueillette et l'évaluation à plusieurs organismes, comme l'ont constaté les Israéliens depuis 1973.
Le sénateur Banks : À condition qu'ils se parlent entre eux.
M. Rudner : À condition de communiquer, on réduit les risques qu'une menace passe entre les mailles.
Le sénateur Banks : Dans un autre ordre d'idées, monsieur Rudner, nous avons rencontré le comité britannique dont vous venez de parler et nous avons beaucoup discuté ensemble. Nous nous sommes penchés sur la question de la surveillance exercée par le Parlement sur les services de renseignement, y compris le renseignement militaire, et en avons tiré certaines conclusions. Il y a des gens dans le monde, notamment les Australiens, qui ne sont pas d'accord quand nous disons qu'il faut qu'il y ait une certaine transparence et un certain degré d'ouverture dans ce domaine. En revanche, les Américains sont à l'opposé et donnent au Congrès carte blanche pour poser toutes les questions qu'il veut. Comme vous le savez certainement, le modèle britannique se situe quelque part entre les deux autres.
Si vous étiez le patron du Canada, donneriez-vous au Parlement un pouvoir de supervision du renseignement, et plus précisément quelle cote de sécurité accepteriez-vous ou exigeriez-vous que les parlementaires aient pour ne pas se heurter à la réponse : « Je ne peux pas vous donner cette information »?
M. Rudner : C'est une question très intéressante, sénateur. Permettez-moi de commencer par une petite publicité. Demain, littéralement, nous allons annoncer publiquement la tenue d'une grande conférence internationale à Ottawa, les 18 et 19 mai, sur la supervision et l'examen des services de renseignement, une conférence intitulée « Making National Security Accountable. » D'éminents érudits et praticiens à l'échelle mondiale seront présents. C'est une question à laquelle j'ai énormément réfléchi à l'occasion aussi bien de mes recherches que de mon enseignement ainsi qu'en préparation à cette conférence.
Personnellement, j'estime qu'il est essentiel d'avoir une surveillance parlementaire qui accompagne la surveillance du pouvoir exécutif mais ne la remplace pas. Il existe des pays où cette surveillance s'exerce aux deux niveaux. Je m'explique. Des organisations comme le CSARS et le Comité de surveillance de la sécurité de la Norvège jouent un rôle précieux de surveillance pour le pouvoir exécutif. Leurs membres ont l'autorisation de sécurité voulue. Absolument rien n'est censé leur être caché. C'est très précieux dans l'exercice de la surveillance gouvernementale dans un domaine extrêmement délicat, à savoir les actions à caractère forcément intrusif des services de renseignement.
Un parlement transparent doit aussi avoir ce rôle de surveillance précisément parce que dans des domaines aussi délicats, il importe de préserver la confiance du public en lui montrant que les activités de renseignement sont efficaces et surtout justifiées.
À mon avis, l'efficacité, l'efficience et la pertinence n'impliquent pas nécessairement le secret et ne touchent pas au secret. Nous, les universitaires, nous avons étudié le sujet sous cet angle sans entrer dans le fameux « cercle du secret ».
Ce que je veux dire, c'est que pour le renseignement militaire et les autres domaines de surveillance du renseignement, on peut prendre un double appui. On peut avoir une surveillance du pouvoir exécutif, avec des comités spécialisés qui ont la cote de sécurité nécessaire pour procéder à tous les examens appropriés, et une surveillance parlementaire générale qui ne devrait pas avoir de secrets car elle doit être transparente pour assurer la confiance du public dans l'efficacité, l'efficience et la pertinence des activités de renseignement. Dans une démocratie, le public veut les deux.
Le sénateur Banks : Si les parlementaires qui exercent cette surveillance veulent obtenir certaines informations pour garantir au public que les choses se font de façon correcte, efficace et efficiente, comment peuvent-ils le faire si on les empêche d'avoir accès aux informations qui leur donneront la réponse à leurs questions?
M. Rudner : Ils ont deux sources. Premièrement, ils peuvent s'adresser à ces services eux-mêmes. En Grande- Bretagne, en Norvège et en Belgique, les comités de l'Exécutif sont des comités spécialisés du Parlement qui rendent compte au reste du Parlement de bonne foi.
Au fond, si la population n'a pas confiance dans le Parlement et dans les tribunaux, c'est triste pour la démocratie. À mon avis, dans nos démocraties, nous pouvons faire confiance à notre système juridique et à notre système parlementaire.
Le sénateur Banks : Et au régime exécutif, toujours?
M. Rudner : L'Exécutif relève toujours du droit et de la souveraineté du Parlement. Telle est la nature de la démocratie. Ce n'est pas que je n'aie pas confiance dans l'Exécutif, mais je dis simplement qu'il relève du droit et du Parlement.
Le sénateur Atkins : Au cours des années 90, on a considérablement réduit les investissements en matière de sécurité et de défense, ce qui veut dire qu'on a probablement réduit la formation.
Combien de temps faut-il pour reconstituer le personnel et le remettre à niveau si l'on augmente les investissements?
M. Rudner : On ne peut en aucun cas créer rapidement un agent responsable de la collecte ou de l'analyse des renseignements. Une bonne partie de la formation consiste en une spécialisation extrêmement nuancée. Si vous êtes chargé de la collecte de renseignements de source humaine, ce n'est pas en suivant un programme de maîtrise que vous allez apprendre à contrôler un agent dans un environnement hostile, par exemple dans un village de Bosnie; c'est quelque chose qui nécessite de l'expérience et des connaissances.
Analyser et évaluer des renseignements, ce n'est pas la même chose que rédiger un travail scolaire de fin de trimestre en s'inspirant de sources ouvertes. Il faut savoir se servir de façon nuancée des termes d'une culture face à une autre culture. Cela prend du temps.
Ces compressions ont privé le monde du renseignement de connaissances et de ressources précieuses.
Le sénateur Atkins : J'imagine donc qu'il s'agit d'une formation sur le terrain et universitaire en même temps. Ce n'est pas l'un ou l'autre.
M. Rudner : Il faut les deux. C'est un apprentissage expérientiel, c'est du mentorat. On apprend à le faire auprès de gens qui l'ont fait et qui le font.
Le sénateur Atkins : La Charte a-t-elle un impact sur le renseignement et la sécurité?
M. Rudner : Pour ce qui est du renseignement de la défense en particulier, je ne pense pas que la Charte ait le moindre impact. Les capacités et les besoins du renseignement de la défense du Canada ne concernent pas la Charte, c'est quelque chose qui se passe à l'étranger.
La Charte ne s'occupe pas de la protection des Forces canadiennes et du renseignement pour le maintien de la paix. En ce sens, les services de renseignement de la défense fonctionnent correctement dans le cadre du droit et de la politique du Canada.
Le renseignement de sécurité implique par définition une activité intrusive dans la société canadienne et il est parfaitement clair qu'il fonctionne conformément au droit au Canada. Il y a la Loi de 1984 sur le SCRS et l'Inspecteur général et le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité qui veillent au respect de cette Loi, et il y a aussi au SCRS un dispositif de confirmation des exigences opérationnelles, en l'occurrence le CARC qui est un comité du SCRS chargé de s'assurer que les niveaux de surveillance sont pertinents. Il existe tout un éventail de mécanismes qui garantissent que les services de renseignement de sécurité au Canada agissent de façon légale en respectant l'éthique et la Charte.
Le sénateur Atkins : Est-ce que cela peut empêcher la GRC d'obtenir la divulgation de certaines informations ou l'entraver dans la façon dont elle veut gérer une affaire?
M. Rudner : Je ne crois pas. Il y a une distinction entre renseignement et application de la loi, en fonction des motifs sur lesquels s'appuie une enquête.
Dans le domaine du renseignement, le principe sur lequel on s'appuie est qu'on a des motifs raisonnables de soupçonner quelqu'un de commettre un acte qui constitue une menace contre le Canada. Dans le domaine de l'application de la loi, c'est-à-dire le domaine de la GRC, on s'appuie sur le principe de la cause probable : il faut constater qu'une infraction est commise. Les deux se rejoignent quand on doit prendre des mesures proactives pour enrayer une menace alors que traditionnellement on attend que le crime soit commis pour avoir une cause probable et procéder à des arrestations et des inculpations.
Dans un contexte de terrorisme, il n'est pas question d'attendre que les bombes explosent etque des gens soient tués pour poursuivre les terroristes, mais nous ne voulons pas non plus respecter trois des droits de notre Charte en échange de deux attentats à la bombe seulement l'année prochaine. Nous voulons tous avoir à la fois les droits garantis par la Charte et aucun attentat à la bombe. C'est là que la GRC, le SCRS et les services de renseignement de la défense fonctionnent en collaboration étroite.
Il y a un comité de coordination qui relève du SCRS et qui regroupe tous les services de renseignement du Canada, y compris celui du MDN, pour assurer une intégration parfaite de leurs évaluations respectives.
Le sénateur Atkins : Y a-t-il une séparation entre les divers organismes? Êtes-vous convaincu qu'ils fonctionnent bien ensemble?
Vous avez dit tout à l'heure en réponse à une de nos questions à propos des Américains, et c'est d'ailleurs l'un des constats que nous avons faits au cours de nos voyages, qu'il y avait un grave manque de communication entre certains organismes alors que cette communication aurait pu permettre d'éviter le 11 septembre.
M. Rudner : Vous soulevez une question très intéressante et très complexe à laquelle je crois qu'il n'existe pas de solution. Le problème, c'est que dans notre société nous avons diverses formes de valeurs et qu'il ne s'agit pas simplement d'opposer la Charte d'un côté à la sécurité de l'autre. Ce n'est pas une question de choix. La Charte n'a pas d'objection à la sécurité. La sécurité protège la Charte et réciproquement. Nous avons d'autres valeurs, par exemple le respect de la vie privée.
Souhaitons-nous que des renseignements obtenus parce qu'on avait des motifs raisonnables de soupçonner quelqu'un deviennent un motif probable d'arrestation? La réponse est non.
On veut imposer certaines limites au partage de l'information. Il faut qu'il y ait certaines limites à l'utilisation de renseignements qui risqueraient de compromettre les droits des particuliers, leur situation et leur sentiment de sécurité personnelle.
Comment porte-t-on ces jugements délicats, comment fait-on soigneusement la distinction entre les renseignements qu'on veut partager et ceux que l'on ne veut pas partager?
C'est un des rôles du Centre d'évaluation intégrée des menaces. C'est ce Centre qui va dire qu'il est prêt à partager l'information mais en précisant qu'il s'agit seulement de motifs raisonnables et qu'il se pourrait que les informations en question ne soient pas très fiables. On va donc communiquer les renseignements en précisant qu'ils ne sont pas nécessairement fiables et en recommandant d'attendre qu'ils soient validés.
Nous avons des gens subtils qui comprennent bien ce genre de nuances. Donc, je pense que les renseignements sont partagés de façon efficace, mais que les gens qui les reçoivent les utilisent judicieusement et prennent soin de ne pas les exploiter à mauvais escient. C'est l'équilibre que nous recherchons.
Le sénateur Atkins : Pensez-vous que le financement de la sécurité et du renseignement est insuffisant?
M. Rudner : Ce n'est pas vraiment la question du manque de financement qui me préoccupe. Ce qui m'intéresse, ce sont les normes professionnelles. Je vous parle en tant qu'universitaire.
J'ai rencontré des gens du monde du renseignement qui m'impressionnent beaucoup, mais dans tous les domaines, nous parlons non seulement d'action, mais aussi d'apprentissage. Je voudrais surtout que nos spécialistes de l'analyse et de la collecte du renseignement au Canada aient la même possibilité de perfectionner leurs compétences professionnelles que leurs homologues d'Australie, des États-Unis, du Royaume-Uni, de Norvège ou d'ailleurs.
Je ne voudrais pas que les Canadiens se sentent mal à l'aise parce que nous n'investissons pas assez dans le perfectionnement professionnel de nos spécialistes du renseignement. Quand je regarde le terrain du renseignement au Canada, je vois tomber quelques gouttes de pluie intéressantes ici ou là, mais je ne vois pas suffisamment d'irrigation, si je puis utiliser cette métaphore, pour assurer l'épanouissement du perfectionnement professionnel.
Le sénateur Atkins : Depuis deux ans, on nous dit que nous n'avons peut-être pas suffisamment de spécialistes de la collecte d'information sur le terrain.
M. Rudner : Sénateur, vous posez la grande question : le Canada doit-il avoir un service de renseignement à l'étranger? Si nous avions un service du renseignement à l'étranger, il pourrait s'agir d'antennes du SCRS à l'étranger ou d'un organisme spécialisé fonctionnant à l'étranger et effectivement, nous développerions nos capacités à l'étranger et nous aurions beaucoup plus d'agents chargés de la collecte d'information à l'étranger.
Nous avons néanmoins trois éléments fonctionnels à l'étranger. Nous avons notre capacité de recueil de renseignements d'origine électromagnétique, qui fonctionne à l'échelle mondiale même si elle est centralisée à Ottawa. Nous avons la capacité du SCRS de fonctionner à l'étranger, une capacité modeste mais néanmoins réelle; et nous avons enfin le renseignements de la défense. On a tendance à négliger ce dernier quand on parle de nos activités de renseignement. Le renseignement de la défense est efficace et fonctionne à l'étranger selon des modalités que j'ai mentionnées, des modalités essentielles pour les missions du Canada à l'étranger, notamment pour la protection de nos forces, de nos missions de soutien de la paix et de notre présence militaire à l'étranger.
L'autre question était de savoir si nous devons renforcer cette capacité?
Le sénateur Atkins : Quelle est votre réponse?
M. Rudner : Je pense que nous avons besoin d'une capacité de renseignement à l'étranger et j'aimerais qu'elle soit renforcée. Je comprends qu'on puisse vouloir l'intégrer au service de renseignement existant; cela coûte moins cher non seulement sur le plan financier, mais aussi en termes d'apprentissage. Le SCRS dispose de vastes connaissances dont il pourrait se servir pour développer et renforcer une capacité de renseignement à l'étranger.
Toutefois, je suis bien conscient du fait que la plupart des démocraties du monde se sont dotées de services distincts de renseignement de sécurité et de renseignement à l'étranger, et du fait que cette séparation est importante, ne serait-ce que pour assurer la confiance de la population dans les services de renseignement, précisément parce que c'est un instrument à caractère très intrusif dans les mains du gouvernement.
Le sénateur Atkins : Êtes-vous convaincu que ce nouveau ministère est la bonne façon de régler les problèmes d'intégration de ces organismes et d'élimination des cloisonnements actuels?
M. Rudner : Il est certain que le fait d'avoir un seul ministère avec un ministre de poids est un élément important dans tout régime démocratique pour mobiliser le soutien public et politique aux entreprises de sécurité publique, de protection civile et, plus généralement, de sécurité nationale.
Il est aussi incontestable que quand on réunit des éléments disparates d'un gouvernement, des éléments qui relevaient d'autres ministères, l'amalgame prend du temps. Il ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a des frictions et il faut du temps pour qu'elles disparaissent et que tout fonctionne bien. Nous comprenons tous ce processus.
Je pense que c'est un pas dans la bonne direction. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour que cela fonctionne harmonieusement, j'espère que ce sera rapide car la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale est une des exigences les plus urgentes du Canada.
J'estime qu'il existe déjà des relations très efficaces entre les services opérationnels du monde du renseignement au Canada; les gens et les organisations fonctionnent ensemble, les gens se parlent.
Il y a des domaines où les échanges ne sont pas parfaits, mais ce n'est pas à cause des institutions, c'est parce qu'elles respectent la loi. Si nous voulons que ce genre de choses se réalise, il faut changer nos lois. J'estime que ces lois reflètent les valeurs des Canadiens; c'est pourquoi elles existent et elles sont respectées par les services opérationnels de la communauté.
Le sénateur Atkins : Est-ce que nous nous concentrons trop sur les terroristes et pas assez sur les autres éléments dont vous parlez?
M. Rudner : Encore une fois, sans être de l'intérieur, je ne le pense pas. J'ai certains indices. Comme nous le savons, le SCRS joue un rôle très important dans la lutte antiterroriste. Il a conservé une direction qui s'occupe des menaces du contre-espionnage et il a créé une nouvelle direction pour faire face à la menace de contre-prolifération. Naturellement, il ne divulgue pas ses cibles ou ses méthodes, mais la création de cette direction montre qu'il existe d'autres menaces et que le Service y répond. C'est la même chose au SCC et à la GRC. On constate que les organisations ont mis sur pied des dispositifs institutionnels qui montrent à nos concitoyens que ces organismes font face aux menaces.
Le président : La première question du sénateur Atkins concernait les compressions effectuées au début des années 90, notamment au SCRS, et le fait qu'on constate maintenant un renforcement des ressources à la disposition du SCRS.
Combien de temps va-t-il falloir au SCRS pour retrouver ses capacités s'il a retrouvé son financement?
M. Rudner : Bien franchement, je suis parfaitement incapable de répondre avec précision à cette question. Un agent du SCRS capable de diriger un agent, puisque c'est de cela que nous parlons, de placer quelqu'un au sein d'une organisation adverse dans une situation extrêmement risquée pour obtenir des renseignements par le biais de cet agent, ce n'est pas une compétence qu'on acquiert en cinq ans. C'est quelque chose qu'on met plus de 10 ans à apprendre auprès de quelqu'un qui l'a fait pendant 20 ans.
Le président : C'est ce que nous voulions savoir. Nous voulions vous entendre dire qu'il faudra une bonne décennie pour que l'investissement actuel se rentabilise.
M. Rudner : On dit que le British Security Service et le British Secret Intelligence Service, qu'on appelle parfois le MI5 et le MI6, sont parmi les plus réputés pour le travail qu'ils font avec leurs agents. Ces services ont eux aussi subi des compressions; ils sont eux aussi en face d'expansion massive, avec un doublement de leur taille. Ils ont rappelé leurs anciens agents pour former les nouveaux. Il faudra une dizaine d'années pour rétablir ce genre de compétences.
Le président : Vous avez parlé brièvement d'un service de renseignement externe et vous avez dit que votre choix se portait sur le SCRS.
M. Rudner : Le SCRS est un choix. L'autre serait un organisme distinct.
Le président : Je comprends. Vous avez mentionné les deux et vous avez dit que vous préféreriez le SCRS pour des raisons d'efficacité.
Pouvez-vous nous donner votre argumentation en faveur d'un service relevant des Affaires étrangères?
M. Rudner : Permettez-moi une rectification. Je n'ai pas dit que je préférais personnellement le SCRS. J'ai dit que certains préféreraient le SCRS précisément en raison de son infrastructure existante.
Le président : Pourquoi certains préféreraient-ils l'autre option?
M. Rudner : Dans la plupart des démocraties, on dit que le fait de rassembler les services de renseignement intérieur et de renseignement étranger au sein d'une unique organisation entraîne une concentration excessive de pouvoir intrusif au sein d'une organisation unique.
Le président : Est-ce qu'on ne craint pas aussi un certain dérapage dans les méthodes et les procédures?
M. Rudner : C'est ce qu'on veut dire quand on parle de « pouvoir excessif ». Quand on regarde des démocraties telles que le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, Israël, on constate que tous ces pays ont deux organismes précisément parce qu'ils veulent éviter les fameux « dérapages » ou la contagion de méthode incorrecte d'un domaine à un autre, généralement du secteur étranger au secteur intérieur, mais ce n'est pas le seul domaine de préoccupation. Il y a le problème du partage. Encore une fois, à l'étranger, il y a beaucoup moins d'obstacles au partage qu'à l'intérieur où il existe des lois sur la protection des renseignements personnels et toutes sortes d'autres lois qui limitent la forme, le genre et le niveau des échanges.
Le président : Les Américains évitent le problème mais n'ont pas de partage.
M. Rudner : Il n'y a pas eu de partage là-dedans.
Le sénateur Day : Avons-nous un dispositif coordonné de collecte de renseignements à l'étranger ou au niveau du ministère des Affaires étrangères qui n'est pas axé sur la sécurité?
M. Rudner : Puis-je vous demander ce que vous entendez pas « pas axé sur la sécurité »?
Le sénateur Day : Je crois vous avoir entendu dire que le SCRS avait une capacité à l'étranger en matière de sécurité. C'est essentiellement un organisme de renseignement de sécurité national, mais il a aussi une composante étrangère en matière de sécurité.
M. Rudner : Oui, pour ce qui concerne les menaces contre le Canada.
Le sénateur Day : Affaires étrangères Canada recueille toutes sortes d'information.
Est-ce que ce ministère coordonne les informations qui ne concernent pas la sécurité?
M. Rudner : Oui. Les Affaires étrangères disposent de plusieurs instruments de recueil de renseignements. Il y a évidemment les rapports diplomatiques. Il y a un programme d'entretien avec les Canadiens qui sont allés à l'étranger dans des régions présentant un grand intérêt, si je puis dire. Le ministère participe à l'évaluation des renseignements au niveau du Bureau du Conseil privé. Ses informations sont partagées avec les autres informations à un niveau stratégique élevé. Le ministère fait aussi partie du Centre d'évaluation intégrée des menaces, qui est situé au SCRS mais dispose d'un statut propre. C'est un partage très opérationnel. Effectivement, en ce sens, le MAE transmet des informations et en reçoit du monde du renseignement.
Le sénateur Day : Qui est aux commandes de ce Centre d'évaluation intégrée dont vous venez de nous parler?
M. Rudner : Il est situé au SCRS. Son historique n'a pas encore été écrit, mais je pense que c'était au départ une initiative du SCRS à laquelle d'autres se sont associés. C'est là qu'il est situé, et il fonctionne incontestablement.
Le sénateur Day : Vous avez parlé à un moment donné « d'évaluation intégrée des menaces », et d'après nos notes, il s'agit d'un centre d'évaluation intégrée des menaces terroristes.
M. Rudner : C'est un centre d'évaluation des menaces qui s'occupe principalement du terrorisme. Le titre officiel parle de « menaces », donc les menaces de prolifération et autres menaces pesant sur le Canada font certainement partie de son champ d'action.
Le sénateur Day : Ce centre est-il calqué sur l'organisation américaine d'évaluation intégrée des menaces terroristes?
M. Rudner : C'est une question intéressante. Les deux organisations sont apparues à peu près en même temps, à moins que des historiens me corrigent. Chronologiquement, c'est peut-être le service américain qui est apparu le premier, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il ait été conçu le premier. Il y a une grande différence.
L'organisation américaine est une sorte de piste de danse entre le Federal Bureau of Investigation et la Central Intelligence Agency, et tous les autres sont assis autour de la salle à regarder le menuet. Au Canada, il s'agit beaucoup plus d'un véritable centre d'évaluation intégrée des menaces. Tous les gens assis à la table, pour poursuivre ma métaphore, entrent dans la danse.
Le sénateur Day : Vous avez parlé de David Charters et de son idée de faire appel à des universitaires qui s'y connaissent en matière d'information et d'analyse du renseignement pour constituer une réserve prête à intervenir de temps à autre en période de pic.
Que pensez-vous de cette idée?
M. Rudner : David Charters ne pensait pas seulement à des universitaires, mais aussi à des analystes financiers travaillant dans le monde de la finance et à d'autres personnes travaillant dans le domaine des explosifs ou d'autres domaines encore. En cas d'urgence nationale, on mettrait ces personnes à la disposition des services de renseignement de la défense pour renforcer d'un seul coup sa capacité d'analyse. Cela veut dire qu'il faut former ces gens-là. Il faut les former plusieurs semaines par année à des modes d'analyse du renseignement qui diffèrent de leurs activités dans le domaine universitaire, financier ou autre. Ils ajouteraient à leur propre discipline cette capacité d'analyser des renseignements. En cas d'urgence nationale, on ferait appel à eux.
Il existe un précédent historique. En 1940, quand on a créé Bletchley Hall pour réaliser l'ultra secrète Enigma, on s'est posé la question de savoir qui allait analyser les prises ou les transmissions d'Enigma. Une femme du ministère britannique de la Défense avait passé son temps avant la guerre à dresser une liste de gens experts en affaires internationales dans toutes sortes de milieux du Royaume-Uni, le milieu universitaire, le milieu des mathématiques et celui du renseignement. C'est à partir de cette liste maîtresse que fut effectué le recrutement de personnes qui, comme le déclara Churchill après la guerre, pondirent les oeufs d'or sans jamais caqueter. Ils constituaient une capacité de renfort en période de pic.
Espérons que nous n'aurons jamais à nous occuper d'une guerre, mais nous avons néanmoins besoin aussi de cette surcapacité de pic au Canada.
Le sénateur Day : Nous espérons le rencontrer au Nouveau-Brunswick d'ici un mois environ, et nous creuserons la question avec lui.
J'ai du mal à m'y retrouver dans tous ces aspects du renseignement, la coordination, la collecte, le renseignement opérationnel dont l'armée peut avoir besoin et le renseignement stratégique dont un pays peut avoir besoin, et aussi d'ailleurs l'armée si elle part en mission de maintien de la paix dans un pays. Vous avez parlé du Collège militaire royal et de l'École de renseignement des Forces canadiennes. Qu'est-ce qu'on y enseigne? Est-ce que c'est les mathématiques, la géographie, les langues ou les aspects scientifiques et techniques du fonctionnement du matériel? Comment pouvez- vous dire que nous avons une institution qui enseigne le renseignement?
M. Rudner : Sénateur, la formation se passe à deux niveaux : le praticien et l'analyste. Au Collège militaire royal, il y a une formation au renseignement de base. En tant qu'officier militaire, quelles sont les compétences dont vous avez besoin pour recueillir des renseignements? On prépare des officiers pour les Forces canadiennes. L'École du renseignement militaire des Forces canadiennes intervenait jusqu'ici à un niveau plus élevé. On m'a dit que cette année, elle venait de mettre en place un cours d'analyse stratégique du renseignement de défense.
L'idée était de partir d'une formation de base et de l'élargir à des questions du genre : « Qu'est-ce que le jihad? Quelle est la topographie du terrorisme? Quels sont les problèmes que les Forces canadiennes pourraient rencontrer au Congo ou en Afrique de l'Ouest? »
Pour autant que je sache, et pour des raisons qui les regardent, je crois qu'ils ont choisi de faire appel aux ressources internes de l'École plutôt que d'aller chercher des ressources intellectuelles à l'extérieur, dans d'autres secteurs du gouvernement, dans le monde de l'évaluation ou dans le milieu universitaire. Mon centre leur a dit que nous étions prêts à coopérer. Ils ont choisi de s'en tenir à leurs ressources internes.
Le sénateur Day : Du point de vue militaire, les agents du renseignement devraient-ils ou non porter l'uniforme?
M. Rudner : Dans une perspective militaire, la réponse serait « oui ». Après tout, dans un milieu opérationnel, que ce soit le maintien de la paix ou le combat, un commandant veut recevoir ses renseignements d'une personne en qui il a confiance et qui comprend les notions militaires et de combat. Avec un civil, ça ne marcherait pas.
Au niveau de l'évaluation stratégique, il y a déjà des civils et des militaires qui travaillent ensemble au ministère de la Défense nationale. Ils ont un dialogue utile. Il y a des gens dans la tente et d'autres à l'extérieur, et ils voient la configuration et la disposition de la tente et les pressions qui s'exercent sur elle et la topographie tout autour. On a une conjonction utile de connaissances et de compétences.
Le sénateur Day : Ai-je bien compris que d'après vous l'analyse stratégique du renseignement se ferait probablement ici, alors qu'on formerait un officier à analyser l'information au niveau opérationnel, à Kandahar par exemple?
M. Rudner : Il faut aussi qu'ils comprennent précisément ce que cela signifie du point de vue de l'opération.
Le sénateur Cordy : J'aimerais en revenir à vos commentaires sur les renforts en analystes du renseignement en période de pic.
Est-ce que M. Charters est passé au stade de la planification?
Cela semble raisonnable. La solution des quelques semaines par an n'est peut-être pas la meilleure, car on apprend par la pratique. Je tâtonne un peu ici, mais il faudrait vraiment savoir de quoi il s'agit et comment cela fonctionne.
Je songe au modèle du réserviste militaire, qui a un mentor. Dans cette situation, l'analyste travaillerait au SCRS, à la GRC, au MDN et accumulerait une expérience durant deux jours, un mois ou je ne sais combien.
Est-ce qu'il a élaboré un plan, ou est-ce que vous vous en avez un sur la façon dont cela fonctionnerait?
M. Rudner : Non, sénateur, je n'en ai pas. Je ne crois pas que M. Charters ait rédigé une proposition officielle. Nous en avons simplement discuté et nous avons eu des communications par courriel.
Je crois que vous avez parfaitement raison. Il faudrait certainement qu'il y ait une période de formation et de perfectionnement professionnel plus officielle une fois par an, pendant deux ou trois semaines à la fois, et ensuite des mises en pratique régulières de cette compétence. Le problème sera double : d'une part il faudra que des gens qui ont leur activité privée se libèrent et soient disponibles pour faire ce genre de travail pendant une période prolongée; et deuxièmement, le renseignement de la défense est situé à Ottawa.
Moi qui réside à Ottawa et à l'Université Carleton, je suis ravi de constater que les affaires concernant le gouvernement du Canada se traitent ici à Ottawa. Mais pour être équitable, il faut que cette capacité de renfort soit présente à l'échelle nationale. Ce serait donc un sérieux problème de faire venir des gens du Canada atlantique, des Prairies, de l'ouest du Canada, du Québec et du Nord deux jours de la semaine en grand nombre pour créer cette capacité de réserve de pointe au Quartier général de la Défense nationale. Ce n'est cependant pas un problème insurmontable et je pense qu'avec notre créativité nous pourrions trouver une solution.
Le sénateur Cordy : J'ai l'impression que c'est une idée qui mériterait d'être approfondie.
Le gouvernement se penche-t-il sur cette question ou est-elle encore au simple stade de la discussion?
M. Rudner : À ma connaissance, une communication officieuse a été adressée au service de renseignement de la défense.
Le sénateur Cordy : Quelle est votre analyse?
M. Rudner : Je ne sais pas si cela a débouché sur quelque chose.
Le sénateur Cordy : Je m'intéresse à la collecte et à l'analyse du renseignement pour les Casques bleus. Il est certain que le maintien de la paix a évolué. En fait, il s'agit plus d'imposer la paix que de la maintenir maintenant. Je veux parler ici du problème des États non viables ou en déliquescence.
On constate que divers pays sont en déliquescence et que des pays comme le Canada interviennent. Pensez-vous que ce problème des États en déliquescence va dominer la scène internationale pendant un certain temps?
Avant d'envoyer nos soldats imposer ou maintenir la paix dans un État non viable ou en déliquescence, de quelles informations disposons-nous?
Est-ce que nous communiquons avec des pays voisins ou qui les connaissent bien?
Que faisons-nous exactement avant d'y envoyer nos soldats?
M. Rudner : Je voudrais tout d'abord préciser qu'il y a deux types de problèmes. Certes, il y a les États déstructurés. Il y a aussi la catégorie de ce qu'on pourrait appeler les « États en construction ». Ils sont en voie de construction, ils ne sont pas complètement déstructurés. Je songe à l'autorité palestinienne qui pourrait très bien déboucher sur un État palestinien en 2005-2006. L'Iraq est un autre exemple; la Bosnie est un pays qui lui aussi n'est pas complètement déstructuré et qui se construit. Dans ces cas, il y a des rôles clairs pour des missions de soutien à la paix, de maintien de la paix et d'imposition de la paix. Tout cela nécessite des renseignements.
Le drame, c'est que c'est précisément sur ces pays qu'on a le moins de connaissances dans le monde universitaire, dans les médias et dans le domaine public. Non seulement ces pays sont en manque, mais il y a un manque d'études sur eux dans le monde. La documentation sur l'Afghanistan était maigre avant le 11 septembre. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup sur ce pays maintenant. Concernant le Kosovo, il y a une poignée de livres en anglais sur la Yougoslavie, sans parler du Kosovo. Sur le Soudan, il y a une poignée de livres en anglais.
Nous avons donc d'énormes lacunes dans nos études. Je parle en tant qu'universitaire. Cela se traduit par de profondes lacunes dans les connaissances du monde du renseignement. On dit que 95 p. 100 environ des renseignements utilisés dans ce secteur proviennent de sources ouvertes, c'est-à-dire disponibles à n'importe qui. Si c'est le cas, et il n'y a pas raison d'en douter, cela en dit long sur notre niveau de méconnaissance des Darfour, Afghanistan, Palestine ou Sierra Leone de ce monde.
Du point de vue du renseignement de la défense, nous avons tendance à aborder ces missions dans un climat de crise et d'urgence. Il se produit quelque chose d'effroyable et les Canadiens s'attendent à ce que le Canada se précipite pour intervenir sans se préoccuper de savoir si nos Forces canadiennes ont les renseignements nécessaires pour leurs besoins opérationnels.
Là encore, ces renforts en période de pic dont nous parlions permettraient à l'armée ou au service des renseignements de la défense de puiser dans toutes les ressources privées, publiques et universitaires du pays. Nous pourrions faire appel à des gens qui connaissent les tribus, la structure sociale et les institutions religieuses de ces pays.
Nos Forces canadiennes qui interviendraient ainsi dans des pays mal connus auraient l'avantage de pouvoir s'appuyer sur toutes les connaissances accumulées dans notre société.
Le sénateur Cordy : Il faut absolument que nos Casques bleus puissent intervenir dans de bonnes conditions de sécurité.
Le président : Monsieur Rudner, votre témoignage aujourd'hui nous a été utile. Nous vous sommes reconnaissants de l'aide que vous nous apportez pour notre étude. Nous aimerions bien vous réinviter. Tous mes voeux vous accompagnent pour votre prochaine conférence sur la surveillance des services de renseignement. Je suis sûr que ce sera un succès et nous avons hâte d'en avoir des nouvelles. Certains d'entre nous seront d'ailleurs là.
Notre témoin suivant est le major-général Michel Gauthier. Il s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1973 comme cadet au Collège militaire royal de Kingston où il a obtenu un baccalauréat en génie civil. En novembre 2002, le major-général Gauthier a été promu à son grade actuel et nommé J2/Directeur général du Renseignement au Quartier général de la Défense nationale.
En 1993, il a reçu la Croix du service méritoire en reconnaissance de sa performance dans l'opération Harmonie. Étant donné sa réputation de parachutiste, je suis déçu qu'il ne porte pas d'insigne illustrant cette réputation. Major général Gauthier, je vous souhaite la bienvenue sur le ton de la plaisanterie, mais sérieusement, vous êtes le bienvenu. Je crois que vous avez une brève déclaration à nous faire.
Le major général Michel J.C.M. Gauthier, CDM, CD, J2/Directeur général du Renseignement, Défense nationale : Honorables sénateurs, on m'a invité à vous présenter un aperçu du renseignement de la défense. Comme ce n'est pas un sujet que la plupart des membres du comité connaissent parfaitement, je me propose de vous expliquer un peu ce que représente le renseignement de la défense en termes de processus d'organisation et de capacités. Je vous parlerai ensuite brièvement des relations avec les collègues du monde du renseignement au gouvernement du Canada et avec nos partenaires internationaux. Je conclurai par un aperçu des efforts actuels pour adapter la fonction de renseignement de la défense aux besoins futurs des Forces canadiennes au MDN.
Cet exposé devrait me prendre environ 15 minutes, monsieur le président, si vous êtes d'accord. Si je répète des choses que M. Rudner vient de vous dire, n'hésitez pas à me dire d'accélérer ou de passer au sujet suivant.
Comme vous le comprenez bien, le renseignement sert à plusieurs choses dans un contexte de défense nationale. Dans le contexte des opérations tactiques, le renseignement militaire informe sur le contexte physique de l'opération et vise à permettre aux commandants d'évaluer les dispositions et capacités de l'adversaire et, ce qui est plus important, de se faire une idée des initiatives, des centres de gravité et des vulnérabilités probables de cet ennemi.
À un niveau plus stratégique, le renseignement de la défense aide le chef d'État-major et finalement le gouvernement à prendre des décisions sur les opérations actuelles et futures des Forces canadiennes. Il fournit aussi des avertissements stratégiques sur les questions de sécurité visant les intérêts nationaux du Canada. Il apporte des évaluations et des avertissements concernant la protection des forces, et il appuie la politique de défense et les intérêts stratégiques. Il fournit aussi des renseignements à l'appui de partenariats et d'ententes internationaux. J'y reviendrai un peu plus tard.
Dans notre enseignement, nous présentons le processus du renseignement comme un cycle continu comportant quatre étapes qui doivent chacune être gérées systématiquement. À l'étape de la directive, et je vous renvoie ici à l'acétate 3, on détermine les besoins en renseignement en consultation avec les commandants ou autres clients. On planifie l'effort de collecte et on affecte des tâches ou des demandes aux organismes de collecte ou de protection.
À l'étape de la collecte, les sources sont exploitées par les spécialistes de la collecte et les données et informations recueillies sont transmises à l'unité de traitement appropriée. Le traitement est l'élément essentiel. Il s'agit à la fois du traitement des données par les spécialistes et du regroupement de ces données avec d'autres données pour une analyse subséquente qui permettra d'obtenir un produit de renseignement toutes sources.
Enfin, un processus efficace de dissémination permet de remettre le bon produit au bon décideur au bon moment et dans le bon format. Cela peut se faire de diverses façons : un breffage, la remise de documents sur papier ou, plus souvent, la publication des produits sur des sites Web sécurisés pour permettre à toutes les parties intéressées sur le plan intérieur et international, au sein et à l'extérieur des Forces canadiennes, d'en prendre connaissance simultanément.
Grâce à la technologie de l'information actuelle, les rapports diffusés au niveau tactique — par exemple par nos forces à Kaboul — peuvent être visualisés presque instantanément par les commandants pertinents et les autres analystes en Afghanistan, ici à Ottawa et dans les rangs de nos partenaires, et vice versa. Cette situation a des répercussions dramatiques sur les cycles de prise de décisions, et c'est un aspect fondamental de ce que l'on appelle la révolution dans les affaires militaires.
Vous comprenez aussi que, comme le montre le graphique, le cycle du renseignement est un processus circulaire où l'information obtenue débouche sur de nouvelles questions qui entraînent un effort de collecte plus poussé et une nouvelle étape de traitement et de diffusion plus ciblés.
La quatrième acétate a pour but de vous montrer que le cycle du renseignement est loin d'être linéaire. La fonction de renseignement fait appel à un vaste éventail de capteurs et de sources d'information. Le défi consiste à se servir du cycle du renseignement pour synchroniser les efforts et intégrer les données des capteurs et du personnel déployé. Il faut pour cela élaborer des plans détaillés pour nous assurer d'avoir accès aux capteurs, aux bandes passantes et à la technologie de l'information nécessaires pour transformer un flux énorme de données et d'éléments d'information en connaissances sur un problème, une capacité ou une zone de mission particuliers.
Cet acétate sert aussi à vous montrer les dimensions interservices, interagences et internationales de ce contexte d'information. Il existe une vaste gamme de sources d'information dont une fraction seulement relève d'un commandant particulier ou sont contrôlées par un commandant particulier. Ce qui est fondamental, c'est l'intégration et l'exploitation efficaces. C'est de cela qu'il s'agit quand on parle d'opérations s'appuyant sur un réseau.
On peut aussi examiner ce processus sous l'angle des diverses disciplines du renseignement, comme le montre l'acétate 5. Une vision pluridisciplinaire ou toutes sources d'un problème permet de lever les ambiguïtés des données, de combler les lacunes dans notre compréhension d'une situation particulière et d'établir une assurance de qualité des données utilisées pour procéder à une évaluation. Permettez-moi de vous expliquer rapidement quelques-unes de ces disciplines et de vous présenter en même temps leurs liens avec les unités et capacités existantes.
Le renseignement d'imagerie, ou IMINT, consiste à exploiter de façon systématique et collectivement des capteurs photographiques manuels, aéroportés ou basés dans l'espace qui peuvent capter des activités dans un spectre électromagnétique visible ou non visible. L'analyse de l'imagerie est effectuée par une de mes unités, le Centre d'imagerie interarmées des Forces canadiennes, situé ici à Ottawa. C'est le seul centre d'analyse d'imagerie au gouvernement du Canada, et donc il dessert aussi d'autres ministères.
Les services d'information géospatiale sont fournis par le Service de cartographie, situé lui aussi à Ottawa. Cette unité déploie des équipes de soutien géomatique auprès des forces en action et fournit des données et produits géographiques, topographiques et hydrographiques aux FC et au ministère.
Le renseignement transmissions, ou SIGINT, est un terme générique utilisé pour décrire le renseignement des communications, qui comprend la collecte et l'exploitation des données transmises sur le spectre électromagnétique et le renseignement électronique, qui inclut la détection, les données à référence géographique et l'exploitation des émissions des capteurs électroniques tels que les radars.
Le Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes fournit un soutien SIGINT déployable aux Forces canadiennes en opération et travaille en collaboration étroite avec le Centre de la sécurité des télécommunications qui assure un soutien plus général aux FC et au MDN.
Le renseignement humain, ou HUMINT, désigne le renseignement obtenu de sources humaines par des moyens furtifs ou non. Actuellement, les FC ont une capacité HUMINT relativement limitée. Le programme des attachés des CF contribue à la collecte humaine non secrète, et nous déployons maintenant des équipes HUMINT tactiques dans le cadre de toutes nos grandes opérations. Dans le contexte des nouvelles menaces et missions des FC, cette capacité devient de plus en plus importante.
La contre-ingérence, comme son nom l'indique, vise à contrer les efforts de collecte, d'exploitation et de ciblage de nos ennemis contre notre personnel et nos installations. C'est une autre de mes unités, l'Unité nationale de contre- ingérence des Forces canadiennes, qui effectue ce travail.
Le renseignement acoustique, les données météorologiques, le renseignement de situation, le renseignement mesure et signature et le renseignement médical et environnemental s'appuient à des degrés divers sur des données recueillies par des sources de renseignement techniques et humaines pour accroître notre compréhension des problèmes et des menaces émergents. Le message clé de ce graphique, c'est que ce n'est qu'à condition de réussir à bien intégrer les données fournies par chacune de ces disciplines qu'on peut avoir un aperçu complet ou une connaissance globale de la situation. C'est ce que nous appelons la « fusion ».
La fusion des données a deux dimensions, d'une par le regroupement des données et d'autre part l'interprétation de l'information. Le regroupement des informations peut s'effectuer en grande partie de façon automatique, alors que l'interprétation d'événements et de problèmes complexes nécessite une analyse humaine. C'est cette analyse toutes sources qui est au coeur du processus de renseignements.
Il y a des tensions naturelles entre les sources de recherche à caractère unique et la composante analytique toutes sources, notamment en raison de la concurrence dans l'attribution des ressources.
Dans la foulée de la controverse sur les armes de destruction massive en Iraq, les États-Unis et le Royaume-Uni ont établi qu'il y avait eu des ratés dans l'échange d'information entre organismes de renseignement, car ces organismes de renseignement avaient trop tendance à fournir des données brutes directement aux décideurs politiques sans s'appuyer une analyse correctement synchronisée de toutes les sources. Il y a là des leçons à tirer pour le Canada aussi.
L'acétate 6 présente une perspective plus verticale du renseignement de défense, du niveau stratégique global au niveau tactique. Elle montre que la nature des efforts de renseignement et des produits associés varie d'un palier de commandement à un autre. Cela étant, comme on vous l'a déjà dit, l'ère de l'information a entraîné une compression et un chevauchement considérables entre les paliers stratégique, opérationnel et tactique. Les éléments du niveau stratégique contribuent de plus en plus à la prise de décisions tactiques et à l'inverse, les actions tactiques sont parfois influencées directement par des considérations stratégiques.
Ce graphique sert aussi à montrer que les personnels et unités du renseignement font partie intégrante de la chaîne de commandement. Par exemple, comme vous le savez pour la plupart, au niveau opérationnel, la marine a des centres de fusion pour appuyer les opérations maritimes sur chaque côte. Les escadres et escadrons de l'armée de l'air ont leur propre section de renseignement organique et l'armée dispose de capacités analogues.
L'acétate 7 donne un aperçu d'ensemble de mon organisation au niveau national. Les divers agents de collecte et unités de source unique dont j'ai parlé tout à l'heure sont groupés au sein de la Division des capacités du renseignement, et des éléments de ces unités sont déployés sur les théâtres opérationnels en fonction de besoins spécifiques. La Division de la production du renseignement inclut des analystes experts dans certains domaines géographiques, fonctionnels ou scientifiques. Beaucoup d'entre eux ont des diplômes supérieurs. L'analyse toutes sources, les évaluations stratégiques et les produits opérationnels sont fournis par les analystes du renseignement de cette division qui travaillent normalement en collaboration avec d'autres partenaires nationaux et internationaux.
Nous avons aussi ancré au coeur du Centre de commandement de la Défense nationale un dispositif de surveillance permanente du renseignement et divers analystes du renseignement opérationnel qui contribuent à ces processus. La capacité de renseignement nationale s'étend aux théâtres d'opérations sur lesquels nous déployons des centres de renseignement nationaux ou conjoints. On y trouve un ensemble de capacités de collecte, de fusion et d'analyse destinées à appuyer les commandants déployés. Dans le contexte opérationnel de l'après-11 septembre, la diversité des menaces visant certaines missions nous a amenés à nous doter de capacités considérablement renforcées qui ont été extrêmement utiles aux unités que nous avons déployées lors d'opérations récentes.
La Défense nationale, avec la composante de renseignement, est à la fois un gros consommateur et un gros producteur de renseignements dans le monde canadien du renseignement. L'activité de renseignement repose sur le partage ou l'échange d'informations, ce qui signifie que la coopération et la collaboration avec des organismes analogues est vitale. C'est pourquoi j'ai des représentants présents au sein de pratiquement tous les services de renseignement du gouvernement du Canada, en tant qu'officiers de liaison ou en détachement, et l'une de mes premières priorités est de faire partie intégrante de ce monde du renseignement. Cette tâche est facilitée par un réseau gouvernemental sécurisé qui permet aux divers organismes de s'échanger assez librement des produits finis. Je me ferai un plaisir de vous fournir plus de détails sur cette coopération durant la période des questions.
Au plan international, nous avons un certain nombre d'ententes de coopération bilatérale et multilatérale dont les détails sont classifiés. Au premier plan, il y a notre relation bilatérale avec les États-Unis et nos relations multilatérales avec nos alliés les plus proches. Il existe des systèmes d'information pour appuyer toutes ces relations. Étant donné les intérêts mondiaux du Canada et la portée mondiale des déploiements des Forces canadiennes, je peux vous dire que ces ententes sont vitales pour nous au niveau de la prise de décisions stratégiques et de la gestion du risque ainsi que pour assurer la protection de nos forces.
J'aimerais conclure en vous donnant un bref aperçu des efforts constants et assez considérables que nous faisons pour adapter la fonction du renseignement de la défense aux exigences d'un contexte de sécurité en évolution très rapide.
À l'automne 2002, le chef d'état-major de la Défense et le sous-ministre ont ordonné le lancement d'une vaste révision ministérielle de la fonction de renseignement au sein des FC et du MDN. Cette révision a été effectuée sur une période de 18 mois par des experts du MDN et de l'extérieur conformément au mandat exposé dans l'acétate 9.
La révision du renseignement de la défense a été un exercice de grande envergure et a permis de présenter au niveau ministériel tout un ensemble de recommandations. Le CEMD et le SM ont publié des autorisations et des orientations détaillées en réponse à ces recommandations tout récemment, le mois dernier. Comme cette révision présente un tableau assez détaillé des méthodes et capacités de renseignement des FC, le rapport final est classifié.
Les grandes mesures découlant de cette révision, qui servira de tremplin à la transformation de la fonction de renseignement, figurent à l'acétate 10 et sont les suivantes : avant tout, établir un cadre cohérent de gouvernance énonçant clairement les pouvoirs et les responsabilités et s'appuyant sur une base de politique clairement énoncée; réaligner l'organisation du renseignement de défense et investir dans l'équipe de gestion pour fournir un cadre efficace de gestion de la fonction et développer des procédures et des moyens, soutenus par une équipe de gestion, afin de gérer efficacement le processus du renseignement. Dans ce but, une nouvelle structure organisationnelle a été mise en place et des ressources sont affectées à ces changements; et enfin, lancer des études en soutien aux investissements à long terme ayant pour but d'améliorer et d'équilibrer les capacités clés des capteurs et de l'analyse.
Suivant les orientations du ministère, ces mesures ont été mises en place progressivement. Les mesures à court terme sont présentées à l'acétate 11. Dans ce contexte de cadre cohérent de gouvernance et d'imputabilité, je serai bientôt désigné chef du Renseignement de la Défense et j'aurai clairement la responsabilité de superviser les activités de renseignement au MDN et au sein des Forces canadiennes.
Mon organisation a été récemment restructurée et sera renforcée pour avoir une capacité plus solide de gestion du processus de renseignement au sein des forces, consolider la surveillance au niveau de la politique, gérer les programmes d'interopérabilité avec les alliés et les organismes canadiens et définir les exigences futures. Nous procédons actuellement au recrutement de divers nouveaux analystes stratégiques.
Parallèlement à ces initiatives, il a été décidé d'approfondir les études sur un certain nombre de secteurs clés de capacité, comme le montre l'acétate 12. Les capacités en renseignement humain et de contre-ingérence prennent de plus en plus d'importance sur les théâtres d'opérations où les insurgés et les terroristes ont remplacé les ennemis militaires traditionnels. Le renseignement de mesure et signature est une nouvelle discipline très prometteuse de cueillette technique. Compte tenu de l'échelle de plus en plus vaste des déploiements des Forces canadiennes à travers le monde et de la complexité croissante des menaces, notamment la prolifération d'armes de destruction massive et les menaces de cyber-attaque, notre besoin d'analystes toutes sources s'est considérable accru et nous devons déterminer la meilleure façon de le satisfaire.
Tout ceci montre que, dans le contexte de l'après-11 septembre, le renseignement est devenu un outil critique, et les capacités connexes vont se développer dans toutes sortes de domaines. Tout cela va par conséquent entraîner un défi considérable au niveau de la formation des professionnels militaires et civils du renseignement au sein des Forces canadiennes et du ministère. Encore une fois, nous avons défini ici la nécessité d'élaborer une stratégie complète pour faire face à ce défi, bien que cette stratégie elle-même ne soit pas encore mise au point.
Enfin, vous comprenez tous que la technologie de l'information a des répercussions dramatiques sur le commandement et le contrôle ainsi que sur les fonctions de surveillance et de reconnaissance du renseignement. Un grand nombre de projets capitaux à divers stades de développement regroupés sous le titre de Campagne C4ISR vont influer pour le mieux sur les capacités de renseignement et de nombreuses autres capacités.
Je me contenterai de dire en conclusion que la fonction de renseignement est un des aspects les plus pertinents sur le plan dynamique et opérationnel de la capacité de défense de nos jours. Le contexte de sécurité évolue rapidement et nous nous efforçons de faire évoluer la fonction de renseignement de défense pour relever les défis de demain. Nous avons déjà fait beaucoup de chemin, mais il en reste beaucoup à faire pour établir des bases solides pour notre avenir.
[Français]
Monsieur le président, ceci termine ma présentation. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous adresser la parole. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Bienvenue, général et merci d'être venu nous rencontrer. Qu'est-ce que c'est que ce C4ISR? Nous avons une règle ici : si vous utilisez un acronyme sans expliquer ce qu'il signifie, vous devez verser une amende dans notre cagnotte ici.
Le mgén Gauthier : Le C4ISR, cela veut dire commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance, le tout regroupé pour aider les commandants à prendre leurs décisions. C'est beaucoup plus facile d'utiliser l'acronyme.
Le sénateur Banks : Le renseignement a toujours été important. Les espions ont toujours été importants. Mais tout cela a beaucoup changé. Il est bien difficile de nos jours de faire clairement la distinction comme autrefois entre le renseignement militaire et les autres formes de renseignement. Est-ce que nous nous adaptons bien? Est-ce que vous vous adaptez bien? Est-ce que les forces s'adaptent bien?
Le précédent témoin, M. Rudner, nous a mentionné des exemples de menaces quasi symétriques. Vous avez parlé de commencer par déterminer qui est votre adversaire, mais s'il ne s'agit pas d'un militaire, mais de quelqu'un qui veut faire passer une bombe sale dans une valise, où intervient le renseignement militaire?
Le mgén Gauthier : Je suis parfaitement d'accord avec votre judicieuse interprétation, sénateur, et c'est pourquoi j'ai conclu mon exposé en disant que le renseignement était un des secteurs les plus dynamiques de la défense de nos jours.
D'un point de vue strictement militaire, comme vous le dites, l'époque des menaces militaires bien définies est révolue. En fait, les cibles intéressantes du point de vue du renseignement de sécurité ont aussi de bonne chance d'être intéressantes du point de vue du renseignement criminel ou du renseignement étranger.
Le sénateur Banks : Il existe quand même encore un renseignement militaire traditionnel, car si vous commandez des Casques bleus sur le terrain, vous avez besoin de savoir ce qu'il y a de l'autre côté de la colline.
Le mgén Gauthier : De l'autre côté de la colline il y a peut-être une bombe humaine ou un terroriste qui ne porte pas l'uniforme. C'est là que les choses ont changé radicalement.
Du point de vue militaire, nous devons élargir considérablement notre domaine d'action de base. En plus de nous concentrer sur les bombardiers stratégiques, les sous-marins et les grandes formations militaires auxquels nous étions confrontés durant la guerre froide, nous devons nous concentrer de plus en plus sur des menaces individuelles, par exemple des terroristes et des réseaux de terroristes, ce que nous appelons maintenant « les méchants ».
Or, nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas faire face à ce défi tout seuls. L'une de mes grandes priorités est de collaborer avec d'autres services, que ce soit le SCRS, le SCC ou d'autres organismes du renseignement afin qu'ils comprennent nos besoins et que nous comprenions les leurs, et que nous puissions travailler ensemble.
Le sénateur Banks : C'est très bien et c'est certainement vrai, mais nous sommes tous humains. Nous comprenons bien qu'il y a toujours, même dans le meilleur des cas, des problèmes de chasse gardée. Certains interlocuteurs vont vous dire : « C'est mon information ou mon espion », « C'est mon information pour aujourd'hui, et je tiens à la conserver parce que je veux que tout le mérite m'en revienne ».
Où en sommes-nous sur cette question de l'échange? Je parle seulement des services de renseignement au Canada. Est-ce que cela fonctionne?
Le mgén Gauthier : Je pense que cela fonctionne bien mais en même temps je crois qu'on peut faire mieux.
Par exemple, les services de renseignement du Canada se sont réunis pour coopérer étroitement dans leur soutien à notre déploiement en Afghanistan au cours des derniers 18 mois. Le SCRS, le SCC et d'autres organismes ont dit que leur priorité absolue était de nous appuyer dans ces opérations.
Quiconque sort un produit, quel qu'il soit, dans le monde du renseignement, a tendance naturellement à vouloir le communiquer immédiatement à un vaste éventail de clients. Je vous ai dit dans mes remarques liminaires que cela présentait parfois certains inconvénients. Il est clair que dans l'éventail de toutes les capacités dont je dispose, nous insistons bien sur le fait qu'il faut regrouper les diverses capacités de cueillette pour obtenir un produit toutes sources qui donnera aux décideurs la vision la plus complète possible de la situation.
Le sénateur Banks : Nous avons eu jadis une place de choix à la table internationale, durant les années qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale. Nous n'avions pas beaucoup d'espions, mais nous sommes devenus experts en traitement des informations et des données recueillies. D'après diverses personnes, nos capacités dans ce domaine ne sont plus à la hauteur. On nous invite donc moins à siéger aux tables internationales car certains estiment que s'ils mettent quelque chose sur la table, il faut que nous ayons quelque chose à y mettre aussi en contrepartie.
Est-ce que nous sommes encore capables de mettre quelque chose sur la table quand nous rencontrons nos partenaires internationaux?
Le mgén Gauthier : Oui. Pour commencer, nous y sommes, à cette table. Nous y sommes les bienvenus, et nous y apportons ce que nous pouvons en fonction des ressources que nous avons.
Le sénateur Banks : Est-ce que la sécurité des communications entre nos forces sur le champ de bataille fait partie de votre domaine d'intérêt?
Sinon, je ne vous poserai pas la question.
Le mgén Gauthier : Non.
Le président : Général, pourriez-vous donner au comité une idée de la participation du MDN au Centre d'évaluation intégrée du terrorisme récemment créé et de la nature des produits qu'il réalise?
Le mgén Gauthier : Tout d'abord, je crois que le titre exact est le Centre d'évaluation intégrée des menaces, même s'il s'agit essentiellement de la menace terroriste. Ce Centre existe depuis deux ou trois mois. Il en est vraiment à ses débuts.
Nous avions lancé précédemment le CIESN, qui est devenu quelque chose de beaucoup plus solide grâce au vaste appui de tout le monde du renseignement du Canada. Il ne tourne pas encore à 25 p. 100 de sa capacité.
Il y a un plan en place pour doter le Centre d'évaluation intégrée des menaces d'analystes de l'ensemble du secteur. Ce plan va se réaliser au cours des 12 ou 14 prochains mois. Le MDN envisage d'être un des principaux piliers du Centre.
En vertu du plan, je dois fournir sept personnes à ce centre. Pour vous donner une idée de la situation actuelle, la seconde de ces personnes est sur le point d'arriver au CEIM.
Pour répondre à votre question sur leurs produits par rapport à nos besoins, plus ces gens-là vont être capables de sortir des produits, plus notre appétit et l'appétit collectif du gouvernement du Canada pour ces produits va croître.
Le président : Je n'ai pas très bien compris de quels produits il s'agissait.
Le mgén Gauthier : Comme le dit bien le titre, l'activité essentielle de ce centre, ce sont les évaluations des menaces, des évaluations qui peuvent être effectuées à l'appui d'un événement particulier, même d'un événement international, ou qui peuvent être le résultat de circonstances particulières lorsqu'il faut changer la situation ou faire une évaluation dans l'optique canadienne, ou encore elles peuvent résulter de menaces contre la sécurité du Canada ou les intérêts du Canada à l'étranger.
Le président : Avec ce nouveau centre, est-ce que le MDN aura moins besoin à l'avenir de faire ses propres évaluations?
Le mgén Gauthier : Non, pas pour les évaluations de la menace que nous faisons, car le Centre d'évaluation intégrée des menaces s'occupera principalement de menaces liées au terrorisme alors que nous nous concentrons sur un éventail de menaces beaucoup plus vaste. Toutefois, l'élément terrorisme occupe une place importante dans les évaluations de menaces et si quelqu'un d'autre peut s'en occuper, cela allégera la charge de notre organisation.
Le sénateur Atkins : Bienvenue, général.
Vous avez des fonctions qui font de vous plutôt un sociologue qu'un ingénieur.
Pouvez-vous m'expliquer votre structure hiérarchico-fonctionnelle?
Est-ce que vous relevez d'une seule personne ou de plusieurs?
Le mgén Gauthier : Oui. Je fais rapport quotidiennement dans le cadre de mes nouvelles responsabilités de chef du Renseignement de la défense et je peux vous remettre la liste de ces responsabilités si vous le souhaitez.
Je relève du CEMD et du SM pour les conseils en renseignement stratégique. Au quotidien, je travaille par le biais du sous-chef des Opérations des Forces canadiennes. De cette manière, je dois me concentrer sur l'appui aux opérations des Forces canadiennes.
Le sénateur Atkins : Quand vous transmettez des renseignements, comment pouvez-vous être sûr qu'ils atteignent les objectifs recherchés?
Le mgén Gauthier : Je ne suis pas trop sûr de la réponse, sénateur. Mon travail et celui de nos analystes consiste à recueillir et à filtrer les données, à en faire une analyse aussi rigoureuse et impartiale que possible et à transmettre cette évaluation, qu'il s'agisse de renseignements, de menaces ou de considérations stratégiques. Nous réalisons toute une gamme de produits que nous transmettons au décideur qui les a demandés ou, dans certains cas, à plusieurs décideurs. Ce qu'ils en font ensuite, c'est leur responsabilité. Je n'ai pas de contrôle là-dessus, mon travail consiste simplement à m'assurer que l'évaluation en question est effectuée correctement, et aussi, ce qui est tout aussi important, à m'assurer que le produit est transmis au client particulier, qu'il s'agisse du ministre, du chef, du sous-ministre, du SMA, du SCEMD ou de toute autre personne qui peut en avoir besoin.
Le sénateur Atkins : Comment vous protégez-vous contre les erreurs humaines?
Le mgén Gauthier : Je crois que la réponse se trouve dans notre démarche toutes sources. Nous essayons de ne pas nous en tenir à une communication interceptée ou à un rapport de renseignement humain. Nous essayons de confirmer l'information, de la vérifier et de la valider etc. avant de prononcer une jugement final.
Au niveau analytique, suivant la question, ce n'est pas un seul analyste qui rend sa conclusion, c'est un analyste qui coopère avec plusieurs autres analystes à l'intérieur et à l'extérieur du MDN. La plupart du temps, des pairs ou des supérieurs ont la possibilité de faire leur propre examen. Notre processus est assez systématique et comporte toutes sortes de contrôles et de mesures de protection.
Le sénateur Atkins : Vous dites que vous augmentez le nombre d'analystes. S'agit-il de civils ou de militaires?
Le mgén Gauthier : C'est une bonne question car je ne me suis pas exprimé très clairement à ce sujet dans mon exposé. Compte tenu de la pression sur la composante militaire de la force, nous essayons d'accroître la proportion d'analystes civils au niveau stratégique au QGDN. L'inconvénient, c'est qu'ils n'ont pas nécessairement tout le bagage militaire souhaitable. L'avantage en revanche dans certains cas, c'est qu'ils peuvent avoir une connaissance plus pointue d'un domaine particulier, que ce soit la guerre chimique ou biologique ou ce genre de choses, et qu'ils présentent plus de garanties de stabilité que les militaires qui doivent être déployés dans des opérations etc. Nous essayons donc délibérément d'accroître le pourcentage d'analystes civils dans notre organisation du renseignement stratégique.
Le sénateur Atkins : Êtes-vous satisfait du financement dont vous disposez?
Le mgén Gauthier : Oui. Nous avons prévu une progression dans le cadre de la révision du renseignement de la défense. À chaque étape, je dois demander les crédits liés à tel ou tel aspect de l'étude. Nous avons déjà franchi la première étape et j'ai reçu tout ce que j'avais demandé. Au cours de la prochaine étape, je soumettrai ma proposition finale exposant les besoins détaillés en ressources, vers la fin de cette semaine. Je suis à peu près sûr d'obtenir ce que je vais demander. Je n'ai reçu aucune indication contraire. J'ai des supérieurs hiérarchiques qui sont conscients de l'importance de la fonction de renseignement de la défense et qui nous ont appuyés sans réserve jusqu'à présent.
Le sénateur Atkins : C'est un domaine hautement prioritaire.
Le mgén Gauthier : C'est exact.
Le président : Major-général Gauthier, pourriez-vous nous expliquer comment on détermine les besoins du MDN en renseignement?
Le mgén Gauthier : Pourriez-vous être plus précis?
Le président : Au début de l'exercice, on comprend que vous voudriez avoir un peu de ceci, un peu de cela, et un peu d'autre chose encore.
Comment déterminez-vous de quoi vous allez avoir besoin au courant de l'année?
Comment planifiez-vous?
Comment déterminez-vous quels seront vos besoins et comment établissez-vous votre budget et vos plans en conséquence?
Le mgén Gauthier : Vous parlez de capacité de renseignement par opposition à la production de renseignement.
Vous parlez de production de renseignements?
Le président : Ce qui compte en bout de ligne, c'est ce que vous produisez, et vous avez besoin des capacités nécessaires pour produire. J'imagine que vous commencez par mettre en place ces capacités et que le produit en découle.
Le mgén Gauthier : Nous avons un cycle annuel d'établissement des priorités du ministère et des Forces canadiennes dans le cadre des priorités de renseignement du gouvernement du Canada. Vers ce moment-ci de l'année, avec une intensification de l'effort en janvier-février, nous contactons notre clientèle, que ce soit le secteur opérationnel, le sous- chef d'état-major de la Défense et ses subalternes, les responsables des politiques, les responsables du matériel, et cetera, pour avoir leurs suggestions. À partir de cela, nous établissons une liste de priorités assez générale.
À côté de cela, de façon quasi permanente, nous avons un dispositif de gestion de la recherche, de la coordination et des besoins en renseignement, le CCIRM. C'est un processus assez mécanique de transmission de demandes ou de besoins particuliers en renseignement. Tout ceci pour vous dire que, du point de vue stratégique, il existe un processus annuel en vertu duquel les décideurs de haut niveau du gouvernement du Canada sont tenus à un ensemble de priorités. Nos analystes et nos capacités sont alignés sur ces priorités car nos ressources n'augmentent ou ne diminuent pas beaucoup d'une année sur l'autre. En gros, nous devons nous organiser avec les capacités analytiques dont nous disposons.
Nous faisons de notre mieux pour aligner nos capacités, et plus précisément nos capacités analytiques, sur les priorités énoncées. Ensuite, selon les crises qui peuvent se présenter au fil de l'année, par exemple un déploiement à l'improviste en Haïti ou en Côte d'Ivoire, nous pouvons être amenés à nous adapter au pied levé à la situation.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le président : Oui, merci.
Avez-vous des responsabilités en matière de renseignement intérieur ou est-ce que vous vous en tenez uniquement au soutien des opérations militaires à l'étranger?
Le mgén Gauthier : Nos services de renseignement intérieur sont axés sur la sécurité du personnel et des installations des Forces canadiennes au Canada. À part cela, il peut arriver qu'on nous demande d'appuyer un autre service gouvernemental lors d'une manifestation particulière, par exemple le Sommet du G-8 à Kananaskis. Dans ce cas, nous pouvons collaborer avec d'autres ministères pour que nos services de renseignement fonctionnent bien dans le cadre de cette opération.
Mais comme l'essentiel des activités des Forces canadiennes se passent à l'étranger, c'est à l'étranger que se réalise l'essentiel de notre effort de renseignement.
Le président : Pour vos opérations sur le territoire national, par exemple en Ontario, existe-t-il un organisme ou un dispositif de supervision chargé de contrôler vos activités, comme c'est le cas pour le SCRS avec le CSARS ou pour l'organisme de télécommunications avec le juge?
Le mgén Gauthier : Sur le plan intérieur, je pense qu'on pourrait penser à notre unité intitulée Unité nationale de contre-ingérence, qui travaille en collaboration avec les autres organismes nationaux de renseignement à contrer les menaces visant la sécurité du personnel des Forces canadiennes, notamment le contre-espionnage.
Pour ce qui est des enquêtes au Canada, la surveillance est assurée par un comité de surveillance de la contre- ingérence que je préside, avec une représentation de l'extérieur de l'organisation militaire. Nous avons un représentant du SCEMD, un du SCRS et un de notre personnel consultatif juridique. Il existe donc un organisme de supervision. Jusqu'à présent, il a répondu à nos besoins.
Le président : Vous estimez que c'est suffisant?
Vous pensez que ce dispositif est suffisant pour superviser vos opérations?
Le mgén Gauthier : Ce n'est pas moi qui dirige ces opérations au quotidien. Elles sont menées par une unité au sein de la chaîne de commandement et je suis séparé du commandement de cette unité dans la chaîne de commandement. Sachant que j'ai plusieurs conseillers pour les enquêtes qui sont menées, je suis satisfait du niveau de surveillance que nous avons actuellement.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je voudrais soulever trois points avec vous. Dans un premier temps, je présume que vous avez suivi avec intérêt l'examen entrepris par le Congrès américain suite aux événements du 11 septembre 2001 et que vous avez lu le rapport qu'il a rendu public un peu plus tôt cette année. Est-ce que vous en avez tiré des leçons? Si oui, dois-je conclure que les différents processus de révision auxquels vous avez fait référence dans votre présentation sont fortement influencés par les conclusions de cette enquête?
Le mgen Gauthier : Je dirais jusqu'à un certain point. L'étude qui a été faite aux États-Unis portait sur l'ensemble de la communauté du renseignement aux États-Unis. Une grande partie des recommandations avaient trait à l'ensemble et à la coordination entre les diverses agences qui composent la communauté. À mon avis, les sujets les plus importants sont l'analyse « toute source » avant d'en venir à des conclusions et le partage de l'information et du renseignement entre les diverses agences. On en était certainement conscient.
Le sénateur Nolin : Si une situation similaire se présente au Canada, est-ce que nous sommes capables de réagir adéquatement sans faire les erreurs commises par les Américains?
Le mgén Gauthier : C'est une question hypothétique.
Le sénateur Nolin : Je comprends, mais je vous la pose parce que nous allons aussi écrire un rapport très hypothétique sur ce qu'est, de façon optimale, le meilleur ministère de la Défense qu'un gouvernement devrait avoir. C'est pour cela que nous vous posons des questions hypothétiques.
Le mgén Gauthier : Je ne sais pas vraiment comment répondre à la question. On vient tout juste de compléter une étude sur le renseignement de la défense. On essaie de mettre en place les capacités et les processus pour pouvoir gérer la production du renseignement efficacement, de façon à répondre aux besoins des commandants et de ceux qui prennent des décisions.
Le sénateur Nolin : Dans votre présentation, à la 11e diapositive, vous parlez d'interopérabilité avec d'autres organisations gouvernementales ainsi qu'avec nos alliés. Je suis resté un peu sur ma faim quand vous avez répondu à mes collègues sur le décloisonnement qu'il doit y avoir entre les diverses agences fédérales. Je suis encore plus sur ma faim lorsque nous constatons qu'on vit dans une fédération où il y a aussi des agences provinciales qui font partie de la communauté canadienne du renseignement, sans compter les agences municipales. Comment satisfaire les Canadiens qui nos écoutent en leur disant que nous avons une communauté du renseignement qui a appris des leçons de ce qui s'était passé au Sud, qu'elle en a pris bonne notes et qu'elle a corrigé le tir. Je suis resté sur mon appétit par vos réponses et j'aimerais être capable de minimiser cette anxiété.
Le mgén Gauthier : Je peux surtout vous parler du renseignement de la défense. Je me vois comme faisant partie d'une équipe du gouvernement du Canada. C'est un message que je répète constamment à mon équipe interne. Notre devoir est de consulter, partager et travailler avec nos confrères de toutes les autres agences du renseignement. Maintenant, est-ce qu'au niveau du gouvernement toutes les mesures sont en place pour assurer la coopération et la coordination à travers la communauté? C'est une question qu'il faudrait poser aux agences centrales.
Le sénateur Nolin : Le sénateur Atkins vous a posé des questions sur l'origine civile ou militaire des analystes que vous aimeriez avoir. Le témoin qui vous a précédé nous a parlé de la qualité de la formation des analystes au Canada, comparativement à ce qui se passe aux États-Unis. Est-ce que les analystes que vous allez engager sont suffisamment formés? Devez-vous améliorer leur niveau de formation? Quel type de recommandation pouvons-nous en comité, puiser et faire nôtre à ce sujet?
Le mgén Gauthier : Premièrement, si on se compare à nos collègues américains, l'échelle du travail dans le contexte de la défense américaine est...
Le sénateur Nolin : Incommensurable.
Le mgén Gauthier : Exactement. C'est beaucoup de spécialisations. Chez nous, on n'a pas la profondeur pour pouvoir spécialiser. Nos analystes sont beaucoup plus polyvalents.
Le sénateur Nolin : Ce sont des généralistes?
Le mgén Gauthier : Oui, des généralistes mais pas dans un sens négatif.
Le sénateur Nolin : Pas du tout!
Le mgén Gauthier : Cela ne prend pas des réponses d'une quinzaine d'individus différents pour faire une analyse. Chez nous, c'est fait par un individu. Normalement, le résultat est très bien apprécié. Dans ce sens, je pense qu'on se compare très bien avec nos alliés.
Personnellement, je ne suis pas satisfait du niveau de développement, d'entraînement, d'instruction que nous offrons à nos analystes, surtout dans le contexte de l'évolution de la menace et de l'environnement de sécurité. C'est un des points importants de la revue du renseignement de la défense sur lequel il faut investir davantage, autant du côté des analystes militaires que des analystes civiles.
Le sénateur Nolin : Vous pourriez qualifier ma dernière question d'hypothétique également, mais je vous la pose quand même. Un des arguments politiques que les dirigeants américains ont soulevés sur la qualité et l'efficacité de la mise en œuvre de leur nouvelle procédure de protection contre le terroriste est qu'il n'y a pas eu d'attaques terroristes depuis le 11 septembre 2001. Lorsque nous grattons l'information, nous découvrons que s'il n'y en a pas eu, c'est parce qu'il y a au moins deux événements majeurs qui auraient pu se produire aux États-Unis et qui ont été neutralisés, non pas par les Américains mais par les Français. Je présume que je ne vous annonce rien de nouveau. Est-ce que nous aurions pu, les Canadiens, être ces Français et empêcher que de tels événements se produisent?
Le mgén Gauthier : Ce n'est pas vraiment mon domaine. Il faudrait plutôt poser la question au directeur du SCRS qui est responsable des menaces contre le Canada.
Le sénateur Nolin : Votre domaine, c'est vraiment la protection des actifs militaires canadiens?
Le mgén Gauthier : Et la défense dans un contexte militaire.
Le sénateur Nolin : Dites-moi au moins que votre responsabilité est de prévenir ou tenter de découvrir des intentions illégitimes contre le Canada, pas uniquement les actifs militaires canadiens.
Mgén Gauthier : Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Le sénateur Nolin : Dites-moi au moins que votre responsabilité est de tenter de prévenir toute intention malveillante contre le Canada lui-même.
Le mgén Gauthier : Évidemment, c'est un intérêt, mais ce n'est pas mon mandat. Les menaces terroristes contre le Canada ne font pas partie de mon mandat dans le renseignement de la défense. C'est le domaine de M. Judd maintenant.
Le sénateur Nolin : Je reviens sur le mot « interopérabilité ». De toute évidence, nous en avons un énorme besoin. J'espère qu'il y a un endroit où il y a un creuset où toutes ces informations se retrouvent quotidiennement pour s'assurer que mon pays est sécuritaire.
Le mgén Gauthier : Oui. Je suis intéressé. Évidemment, dans la mesure où nous recevons des informations qui portent sur la sécurité des Canadiens au Canada et ailleurs. Qu'on reçoive cette information de nos alliés ou de qui que ce soit, je peux vous assurer qu'on travaille de très près avec nos partenaires pour leur donner cette information.
[Traduction]
Le sénateur Forrestall : Je crois que nous essayons tous de formuler la description d'une nouvelle politique de défense qui, espérons-le, garantira mieux notre sécurité que la précédente.
Les informations que vous recevez et que vous analysez, et à partir desquelles vous réalisez un produit, sont diffusées à l'extérieur du MDN et, si c'est le cas, à qui sont-elles communiquées?
Le mgén Gauthier : Elles sont manifestement communiquées en fonction du principe du besoin de savoir. Elles peuvent être communiquées au sein du gouvernement au niveau fédéral ou à des alliés qu'elles peuvent intéresser.
Le sénateur Forrestall : Ah bon? Vous en communiquez aux alliés.
Quelle est la fréquence des contacts avec les services militaires américains? Combien de contacts par jour?
Le mgén Gauthier : Tous les jours.
Le sénateur Forrestall : Combien de contacts?
Le mgén Gauthier : Je ne peux pas vous donner de chiffre.
Le sénateur Forrestall : Des dizaines, des centaines, des milliers?
Le mgén Gauthier : Certainement plus de 10.
Le sénateur Forrestall : C'est un échange actif dans les deux sens.
Le mgén Gauthier : C'est un réseau. Il y a des centaines de sites Web connectés les uns aux autres. Je ne sais même pas si on peut avoir un suivi complet de tous ces échanges de renseignement.
Le sénateur Forrestall : Je ne vois pas à quoi cela pourrait servir de toute façon.
Ce qui m'intéresse, ce sont les échanges entre les gens qui recueillent des renseignements pour la Défense nationale et, pour rester dans le club, les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni.
Peut-on dire qu'il y a des échanges très actifs de produits entre ces alliés?
Le mgén Gauthier : Il y a un échange d'information très dynamique, un échange réciproque et constructif de produits avec nos alliés les plus proches.
Le sénateur Forrestall : Quand on déploie des Forces canadiennes, il faut comprendre parfaitement la situation à laquelle elles vont être confrontées. Dans des contextes comme l'Afghanistan par exemple, il faut avoir un degré de renseignement très poussé. Les origines du conflit sont liées à des problèmes étatiques, sociaux, culturels, économiques, démographiques et religieux. Il faut donc que le personnel soit parfaitement conscient de ce qu'il va trouver et de la meilleure façon de faire face à la situation.
Sommes-nous en mesure de leur fournir toutes les informations absolument nécessaires pour leur tâche?
Le mgén Gauthier : Je ne peux pas être absolument catégorique.
Le sénateur Forrestall : Y a-t-il des forces et des faiblesses?
Le mgén Gauthier : Oui, car les ressources sont limitées. En outre, comme je l'ai dit, nous devons accroître nos investissements dans la capacité analytique. Nous acceptons un certain risque chaque année dans le cadre de nos priorités car nos analystes s'alignent sur ces priorités. Cela dit, nous avons eu d'assez bons résultats.
À un niveau, il s'agit d'aider les décideurs du gouvernement à déterminer les risques liés au déploiement de nos effectifs à un endroit particulier ou dans une mission particulière. À un autre niveau, il s'agit de fournir à la force déployée le soutien nécessaire pour qu'elle soit parfaitement préparée pour son travail.
Nous faisons cela en partie dans le cadre de nos capacités internes. Si nous devons aller ailleurs, et c'est souvent le cas, nous nous adressons à la source d'expertise la mieux placée pour nous fournir les informations requises.
Le sénateur Forrestall : Il est très important que les troupes que nous envoyons en mission aient une confiance absolue dans les renseignements qu'elles ont pour accomplir leur tâche.
Y a-t-il des cas, par exemple en Indonésie, où nous faisons appel aux Australiens pour affiner nos renseignements?
Le mgén Gauthier : Je préfère ne pas mentionner de pays ou d'alliés particuliers, car cela ne leur plairait peut-être pas, sénateur.
Le sénateur Forrestall : M. Rudner a été très coopératif à cet égard. Je pensais vous donner l'occasion de vous faire mousser un peu.
Le mgén Gauthier : Disons que nous allons chercher les experts là où ils sont. Nous en avons une assez bonne idée à l'échelle mondiale. Nous nous informons pour savoir où sont les experts chez nos alliés et nous maintenons avec eux des contacts assez étroits pour pouvoir leur demander leur aide en cas de besoin.
Le sénateur Forrestall : Vous avez dit que vous étiez satisfait de l'équilibre et de la façon dont vous gérez les choses avec les analystes dont vous disposez.
Pouvons-nous interpréter cela comme une remarque générale sur l'ensemble de vos responsabilités, et est-ce que cela signifie que vous en avez suffisamment et qu'ils sont suffisamment formés pour répondre à vos besoins?
Ce que je veux savoir, c'est si vous avez besoin de plus de ressources.
Si oui, de qui avez-vous besoin et où allez-vous trouver ces gens-là?
Si une grande partie de vos ressources sont concentrées sur un responsable unique du renseignement et que vous perdez cette personne, que faites-vous?
Le mgén Gauthier : Je ne suis pas du genre à dire que j'en ai suffisamment pour faire le travail. L'étude que nous avons entreprise visait à déterminer dans quelle mesure nos capacités de renseignement de défense nous permettent de faire face à l'évolution du contexte.
Si vous vous reportez à l'acétate 12, vous verrez qu'il y a plusieurs domaines dans lesquels je dis que nous manquons de ressources et nous prenons des risques. Nous devons nous occuper de plus près de ces domaines pour mieux définir nos besoins et prendre des décisions sur la répartition des ressources ou la gestion des risques.
Vu la rapidité avec laquelle le contexte de la menace s'est transformé, vu l'ampleur des déploiements à travers le monde au cours de dix dernières années, je ne dirais certainement pas que nous avons toutes les capacités dont nous avons besoin actuellement, bien au contraire.
Le sénateur Forrestall : Pouvez-vous nous donner un exemple de domaine dans lequel vous souhaiteriez avoir des ressources supplémentaires en matière d'analyse, de langues, de compréhension des cultures et de compréhension des communautés locales?
Le mgén Gauthier : Il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous avons des lacunes. Dans le cadre des déploiements, j'ai certains doutes concernant notre capacité HUMINT actuelle d'appui aux opérations à l'étranger, et aussi concernant la fonction de contre-ingérence. Du point de vue de l'analyse stratégique, je ne pense pas à un domaine particulier. C'est plus une question quantitative; comme je vous l'ai dit, il faudrait accroître considérablement les ressources. Il me reste à quantifier et à qualifier complètement ce besoin. C'est pour cela que j'ai dit dans mon exposé que je devais lancer — en fait, nous venons de le faire — une étude pour répondre aux questions que vous venez de poser. Je n'ai pas encore ces réponses.
Le sénateur Forrestall : Apparemment, nos bibliothèques universitaires ne les ont pas non plus. Il y a toujours une exigence de connaissances linguistiques pour vous permettre de vous tenir au courant de tout ce qu'on écrit à travers le monde, parce qu'il y a divers dialectes, etc.
Bonne chance pour la semaine prochaine. Nous devons vous poser ces questions car nous ne verrons jamais ce document.
Le président : Général, quand vous utilisez cette expression HUMINT, vous parlez des gens à l'étranger?
Le mgén Gauthier : Exactement.
Le président : Ça fera 25 cents de plus pour la cagnotte.
Le mgén Gauthier : Déploiements, cueillette furtive ou non de renseignements de sources humaines, renseignement humain.
Le président : Vous vous êtes abstenu de répondre à la question particulière concernant l'Indonésie. Je vais me placer de l'autre côté. Les Australiens ont dit qu'ils se spécialisaient dans un petit coin du monde et que c'était leur contribution aux autres pays, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Ils ont ajouté que ce qui manquait au Canada, c'était un petit coin qui serait sa spécialité.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Le mgén Gauthier : Disons que leur géographie n'est pas la même que la nôtre. Nous avons des Forces canadiennes déployées dans trois pays en Afrique et je pourrais continuer, 17 missions distinctes et 1 400 personnes aujourd'hui, c'est-à-dire un chiffre assez faible pour nous. Ils sont loin d'avoir des déploiements aussi diversifiés.
Sans vouloir critiquer les Australiens, et je respecte tout à fait ce qu'ils font sur le plan militaire et sur le plan du renseignement, je dirais que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de nous limiter à un champ d'action aussi étroit que le leur.
Le président : Votre témoignage nous a été utile, nous apprécions votre expérience et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous faire part de votre point de vue. Nous espérons pouvoir vous inviter de nouveau bientôt.
La séance se poursuit à huis clos.