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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 9 - Témoignages du 31 janvier 2005 - séance du matin


SAINT JOHN, le lundi 31 janvier 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 10 h 30 afin d'examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Je suis heureux de vous accueillir. Au nom du comité, je vous signale que nous sommes enchantés d'être ici à Saint-Jean aujourd'hui. J'aimerais vous accueillir à la première audience que nous tenons dans cette ville sur l'examen de la Défense nationale. Je m'appelle Colin Kenny. J'assure la présidence. Je vous présenterai brièvement les autres membres du comité.

À ma droite, voici le distingué sénateur, Michael Forrestall, de la Nouvelle-Écosse. Il sert la population de Dartmouth depuis 37 ans, tout d'abord en tant que député, puis en tant que sénateur. À la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'opposition officielle pour la Défense de 1966 à 1976. Il est également membre de notre Sous- comité des anciens combattants.

À mon extrême gauche, siège le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario. À son arrivée au Sénat, il avait 27 ans d'expérience dans le domaine des communications. Il a été conseiller principal auprès de Robert Stanfield, du premier ministre William Davis de l'Ontario et du premier ministre, Brian Mulroney. Il est également membre du Sous-comité des anciens combattants.

À ses côtés, voici le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta. Il est président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles qui a récemment publié Le défi d'une tonne. Il est bien connu au Canada comme animateur et musicien polyvalent. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux olympiques d'hiver de 1988. Il est officier de l'Ordre du Canada et il a été lauréat d'un Prix Juno.

À ma droite, voici notre hôte, le sénateur Joe Day, du Nouveau-Brunswick. Il est vice-président du Comité sénatorial permanent des finances et de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est membre du Barreau du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec et Fellow de l'Intellectual Property Institute of Canada. Il a également occupé le poste de président et directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.

À ses côtés, voici le sénateur Pierre Claude Nolin, du Québec. Il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet réclamant la légalisation et la réglementation du cannabis au Canada. Il est actuellement sous-président du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Sur la scène internationale, le sénateur Nolin est vice-président de l'Association et de l'Assemblée des Parlementaires de l'OTAN.

Nous sommes très heureux d'être à Saint-Jean aujourd'hui, une ville qui peut s'enorgueillir d'une fière tradition militaire. Saint-Jean est l'hôte du NCSM Brunswicker, du 31e Bataillon des services, du 3e Régiment d'artillerie de campagne, de la 1re Compagnie du Royal New Brunswick Regiment et du 722e Escadron des communications dont le Sénateur Day est le lieutenant-colonel honoraire. Je devrais vous appeler « mon colonel ».

Des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes de cette région ont servi pendant les deux guerres mondiale et la Guerre de Corée et continué à servir depuis dans des missions de maintien et de consolidation de la paix.

Notre comité est le premier comité sénatorial permanent chargé d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat a invité notre comité à se pencher sur la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Nous avons commencé notre examen en 2002 avec trois rapports : l'État de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février; La Défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, en septembre et Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : Une vue de bas en haut, en novembre.

En 2003, le comité a publié deux autres rapports : le Mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier et Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre.

En 2004, nous avons publié deux autres rapports : Les urgences nationales : Le Canada fragile en première ligne en mars, et récemment, le Manuel de sécurité du Canada, édition 2005.

Le comité est en train d'examiner la politique de défense du Canada. Au cours des prochains mois, il tiendra des audiences dans chacune des provinces et consultera les Canadiennes et les Canadiens pour cerner leur intérêt national et pour les amener à dénoncer les principales menaces qu'ils voient peser sur le Canada et à préciser comment le gouvernement devrait réagir à ces menaces. Le comité tentera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de forger un consensus sur la nécessité d'une force militaire et sur le type d'armée que les Canadiens veulent.

Notre premier témoin aujourd'hui est M. Marc Milner (D. Ph.). Il est président du Département d'histoire de l'Université du Nouveau-Brunswick et directeur du Programme d'études militaires et stratégiques de cette université. Il a obtenu son doctorat à l'Université du Nouveau-Brunswick est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages sur l'histoire navale du Canada ainsi que co-auteur et co-éditeur de plusieurs livres sur l'histoire militaire du Canada et d'un grand nombre d'articles scientifiques. Auparavant, M. Milner était employé à la Direction — Histoire et patrimoine du ministère de la Défense nationale à Ottawa et a il rédigé certaines parties du deuxième volume de l'histoire officielle de l'ARC.

Monsieur Milner, je suis heureux de vous accueillir à ce comité. Il paraît que votre exposé sera bref et nous attendons votre témoignage avec impatience.

M. Marc Milner, directeur, Programme d'études militaires et stratégiques, Université du Nouveau-Brunswick : Merci bien, monsieur le sénateur. Merci à tous de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous ce matin. Ma déclaration sera passablement brève. Il ne s'agit pas d'un texte préparé et fignolé. J'ai quelques idées avec lesquelles plusieurs d'entre vous sont déjà familiarisés.

On m'a demandé de parler de la nature de l'élaboration de la politique de défense du Canada. Ce que je veux vous proposer — il s'agit d'une idée que le programme de l'UNB a lancée l'année dernière pour le Forum sur la sécurité et la défense d'Ottawa, parrainé par le SMA (Pol) —, c'est sans doute une nouvelle façon d'envisager la politique de défense du Canada.

La politique de défense du Canada a toujours été fondée sur le niveau de menace ou sur nos engagements découlant de traités et de nos obligations outre-mer, qu'il s'agisse de l'OTAN, du NORAD ou de l'ONU. C'était, je pense, une position facile à faire valoir, aux yeux des Canadiens, en période de menace. De toute évidence, j'ai appris, au contact des jeunes Canadiens en milieu universitaire, que ceux-ci comprennent parfaitement bien l'utilité des forces armées en présence d'un danger manifeste et imminent. C'est sans doute pendant la guerre froide que cette utilité a été la plus facile à faire admettre.

Comme beaucoup d'entre vous le savent, si on remonte quelque peu le cours de l'histoire canadienne, on peut constater que l'état de préparation de la défense a fluctué en fonction de la menace. C'est un lieu commun dans l'histoire militaire canadienne, que non seulement nous n'étions pas prêts à affronter la dernière guerre, mais encore que nous ne sommes prêts pour aucune guerre. Même si c'est vrai d'un point de vue historique, nous avons, depuis 1945 et bien sûr pendant toute la durée de la Guerre froide, maintenu un niveau passablement impressionnant de préparation, un niveau jamais atteint auparavant depuis la Confédération — sans conteste pendant la première moitié de la période. Généralement, c'est à la menace que les Canadiens réagissent. Nous avons besoin de forces armées parce que nous faisons face à certaines menaces de l'extérieur. Nous avons besoin de forces armées parce que nous nous sommes engagés envers l'OTAN. Nous avons besoin d'une brigade en Europe. Nous avons besoin d'actifs pour la Force navale permanente de l'Atlantique. Nous devons alimenter en aéronefs le groupe aérien central. Les Canadiens en ont, dans une certaine mesures, admis la nécessité.

On a également eu tendance à voir la défense comme une obligation découlant des traités. Nous sommes tenus de fournir des forces à l'OTAN. Nous devons fournir des avions au NORAD. Nous avons l'obligation de fournir des navires à la Force navale permanente de l'Atlantique qui est au service de l'OTAN.

Ce que je voudrais vous proposer, c'est, en quelque sorte, une nouvelle façon de comprendre la nécessité d'un système de défense. M. David Charters et moi-même avons, dans le cadre d'une communication présenté au printemps dernier, abordé la question de la nécessité des actifs stratégiques nationaux. Il faudra voir si nous pouvons utiliser ou non cette stratégie pour faire adhérer les Canadiens à la politique de défense. Ce que nous avons suggéré, c'est que le Canada, qui entretient des relations bien établies avec l'OTAN et ses partenaires de l'Amérique du Nord et de l'Union européenne, doit pouvoir faire état de certains actifs dans ses négociations avec ses partenaires de la société des nations. Cependant, le gouvernement a également, envers le Canada, la responsabilité de fournir, à l'échelle nationale, certaines actifs stratégiques qui permettraient de combattre des inondations ou encore, en supposant qu'une autre tempête s'abatte sur Toronto — Dieu seul sait si cela peut se produire à nouveau —, de faire intervenir l'armée pour déblayer la ville.

Si on laisse de côté ces remarques quelque peu oiseuses, disons qu'il faut disposer à l'échelle nationale de certains actifs stratégiques, et il en a, de toute évidence, déjà été question même si cela n'a sans doute pas été exprimé en ces termes. Nous en avons fait la description suivante : vous pouvez, si vous voulez, partir de principes premiers. Il est indispensable de pouvoir compter sur un système efficace de surveillance du territoire canadien. Qu'on fasse appel à cette fin à des véhicules aériens sans pilote (UAV) ou à des avions Aurora, il est essentiel de s'assurer que la souveraineté du Canada sera préservée et que les côtes canadiennes seront surveillées de manière efficace. Je sais que l'armée tente d'en arriver à une décision sur le nombre de plates-formes requises et sur la nature des futures plates- formes; il est essentiel qu'elle s'y attèle.

Il est clair qu'il faut disposer d'une sorte ou l'autre de transporteur aérien tactique. Cela pourrait se faire au niveau opérationnel et Dieu sait que mes étudiants n'arrêtent pas de me dire que nous devrions acheter un aéronef géant. Je ne suis pas nécessairement de cet avis, mais le gouvernement doit faire l'acquisition d'un modèle quelconque de transporteur aérien tactique à voilure fixe ou rotative, ce qui équivaut probablement à remplacer la flotte des C-130 et à se procurer un hélicoptère de transport lourd afin que les forces basées au pays ou déployées outre-mer aient accès à cet actif national. Ces transporteurs ne sont pas seulement utiles aux opérations outre-mer; ils peuvent également servir à transporter des sacs de sable à Winnipeg à l'appui d'opérations de rétablissement local ou pour contribuer aux actifs stratégiques nationaux pouvant servir à certaines interventions en territoire canadien.

Par conséquent, si on revient à ce genre de principe premier, il faut se demander si nous avons besoin d'une force navale et de quel genre de marine il s'agit. Compte tenu de mon intérêt pour l'histoire navale, j'ai tendance à vous dire que la nécessité d'une force navale est incontestable et que nous devons assurer la surveillance côtière. La marine a toujours joué, pour le gouvernement canadien, un rôle de premier intervenant.

Si on remonte dans le temps jusqu'à la Guerre de Corée, peut-être avant, on constatera que très souvent, la première unité d'actif que le gouvernement a été en mesure de déployer en cas de crise outre-mer était un vaisseau de la taille d'une frégate pouvant intervenir, dans le cas qui nous occupe, en n'importe quel point du globe; le type de vaisseau qui a permis au gouvernement fédéral d'intervenir dans un rayon d'action extraordinaire et qui lui a permis de dire avec panache : « Nous pouvons envoyer des gens là-bas, nous pouvons participer. » Il s'agit là, comme vous le savez sûrement et sans le moindre doute, d'un actif stratégique national qui nous permet de cultiver des amitiés en dehors de nos frontières.

Il faut, de toute évidence, que l'armée puisse être déployée et c'est le rôle de l'examen de la défense de déterminer quelle forme ce déploiement devrait prendre et de quel ordre de grandeur il devrait être. À première vue, la plupart des gens avec qui je voyage fixeront comme cible minimale pour le Canada, une brigade permanente que l'on peut déployer outre-mer, mais il y a là matière à débat. Des groupements tactiques et des équipes de combat, par exemple, ont également leur raison d'être.

À notre avis, tout le débat sur la défense devrait être orienté ainsi : le gouvernement a besoin de certains actifs, de certaines choses qu'il peut utiliser à l'échelle nationale, à ses propres fins internes pour affronter les crises internes, les catastrophes naturelles ou toute autre menace de cette nature. Manifestement, il doit disposer d'actifs dont il peut se prévaloir lorsqu'il négocie avec nos amis et à nos alliés à l'étranger.

Si nous revenons à l'expérience de la Deuxième Guerre mondiale, il est très instructif, à mes yeux, que la politique initiale de Mackenzie King en matière de défense et de politique étrangère ait consisté à se battre le moins possible et à dépenser au maximum pour consolider notre industrie, appuyer nos opérations, élaborer le plan d'entraînement du Commonwealth britannique et organiser des escortes dans l'Atlantique nord afin d'éviter le piège du Front de l'Ouest où sont tombés les Alliés durant la Première Guerre mondiale. Néanmoins, dès 1943, alors que Mackenzie King commençait à tenter de renforcer son influence au sein de l'Alliance, les gens ont commencé à lui demander combien de paires de bottes il avait sur le terrain... Pas combien d'argent il dépensait, mais combien de nos citoyens il était prêt à exposer au danger pour que son plan fonctionne. Je crois fermement que s'il est louable de pouvoir déployer des ONG, envoyer de l'argent, de l'eau fraîche et de la nourriture et autres bonnes choses, lorsque les choses tournent mal, ce qui compte vraiment, c'est le nombre de personnes qu'on est prêt à déployer et à exposer au danger pour améliorer la sécurité quelque part dans le monde, en d'autres termes, ce qu'il faut, c'est une politique de défense.

Permettez-moi de conclure par deux observations générales découlant de mon dernier commentaire. Une des choses qui me préoccupent au sujet du débat qui a cours dans ce pays, est le fait que les enjeux sont souvent ramenés à l'alternative suivante : système de défense ou système de soins de santé? À mes yeux, la défense est une forme élémentaire de soins de santé. Si Roméo Dallaire avait disposé de deux bataillions mécanisés au Ruanda, 800 000 personnes seraient encore en vie. On parle ici de soins de santé de base.

Si vous parlez des gens qui ont été en Afghanistan, ils vous diront que des milliers de personnes sont vivantes aujourd'hui simplement parce qu'il y avait, sur le terrain, d'autres effectifs assurant la stabilité. Vous savez comme moi que l'on peut suivre ce raisonnement dans tous les théâtres où les Forces canadiennes ont été déployées, à l'échelle mondiale, dans les 50 ou 60 dernières années. Il s'agit là d'une forme élémentaire de soins de santé qui peut-être, a une résonance différente et ne vous procure pas un IRM dans votre hôpital local, mais cela rend le monde plus sûr et permet aux soins de santé d'être prodigués de manière efficace dans les endroits où la société civile s'est effondrée.

Le dernier point que je voudrais faire valoir, et peut-être pourrions-nous revenir là-dessus au cours de la discussion, tient au fait que nos forces armées sont si modestes, si discrètes que je les crois fondamentalement coupées de la population canadienne. La plupart des Canadiens ne connaissent personne dans l'armée, ne pourraient pas distinguer un soldat canadien de tout autre soldat et n'ont tout simplement aucune empathie envers les Forces canadiennes. L'armée est perçue comme une créature du gouvernement. Les forces armées ne sont pas à nous, elles lui appartiennent. Je ne suis pas sûr de savoir comment régler ça mais j'ai quelques suggestions.

Le président : Bien, merci beaucoup, monsieur Milner, c'est une conclusion très provocatrice et je suis sûr que les membres du comité aborderont la question avec vous.

Le sénateur Banks : Bien, finissez ce dernier point s'il vous plaît monsieur Milner. Comment résoudre ce problème? Si je pose la question, c'est que je viens d'Edmonton, une ville dotée d'une base militaire d'envergure et Edmonton a vraiment accueilli cette base nordique, la considère comme un maillon utile et essentiel de la collectivité, ce qui, je crois, pourrait représenter le modèle dont vous parliez et auquel peut-être tout le monde devrait aspirer. Comment régler la question si ce modèle n'a pas d'audience ailleurs?

M. Milner : Eh bien, à l'UNB, nous avons publié un document il y a plusieurs années et avons comparu devant un comité auquel nous avons laissé entendre qu'un des moyens d'aplanir cet obstacle — une solution qui n'est guère populaire au sein de l'armée et le général Hillier ne sera sans doute pas heureux d'apprendre, qu'à un moment donné les forces armées, l'armée de terre en particulier, devront en porter la responsabilité — serait de mobiliser à tour de rôle, dans tout le pays, les unités de la milice locale pour les déploiements outre-mer.

En d'autres termes, si vous établissez un calendrier — nous disposons maintenant de neuf bataillons d'infanterie — et décidez qu'un tiers de ces bataillons vont devenir des unités de la milice en rotation active, à un moment donné, le tour du 1er Bataillon du Royal New Brunswick Regiment viendra et celui-ci sera alors opérationnel pendant deux ans. D'après votre plan, le 1er Bataillon du Royal New Brunswick Regiment, grâce à un recrutement local ou à une augmentation de l'effectif — les unités de la réserve s'ajoutent maintenant à l'effectif des forces régulières — augmentera, dans les faits, la taille de la milice. À un moment donné, le Bataillon deviendra opérationnel pendant deux ans et sera chargé de diverses missions, selon les besoins, et il gagnera en popularité dans la collectivité et les médias locaux. Le cas de Fredericton n'est probablement pas un bon exemple parce que nous avons le même genre d'affinité avec l'armée qu'à Edmonton; quoi qu'il en soit, les Canadiens finiraient par avoir un fils, une fille, un oncle ou un ami dans une unité déployée outre-mer, que ce soit en Afghanistan ou dans d'autres lieux de mission, et si vous disposiez d'un plan permettant à ces unités de devenir actives et opérationnelles pendant deux ans outre-mer avant qu'elles ne reviennent au sein de leur collectivité, et si vous organisiez une réception et un défilé en leur honneur, vous créeriez alors un véritable sentiment d'adhésion.

À l'encontre de cette solution, les membres des forces régulières invoquent depuis toujours le fait qu'ils sont extrêmement occupés et qu'ils ont besoin de soldats ayant atteint un haut niveau de professionnalisme parce que ces professionnels accomplissent un bien meilleur travail que des réservistes mal entraînés Par conséquent, il faudrait prévoir une période de formation appropriée pour atteindre le niveau opérationnel requis et il y aurait manifestement une augmentation des effectifs dans certains secteurs clés. Les membres du RCR pourraient être tenus de se joindre temporairement au West Nova Regiment pour participer à une mission outre-mer.

Nous tentons tout simplement de trouver un moyen de créer un genre d'empreinte à l'échelle de la collectivité, de sorte que, par exemple, les unités que vous croisez sur votre route ne proviennent pas toujours d'une région avec laquelle vous n'entretenez aucun rapport. C'est votre unité de milice locale qui, à un moment donné, pourrait être désignée pour une opération donnée.

Le sénateur Banks : Votre réponse a soulevé une foule de questions que bon nombre de mes collègues voudront sans aucun doute explorer davantage avec vous.

Vous avez dit que les gens, en présence d'un danger manifeste et imminent, comprenaient aisément la raison d'être des forces armées — quelqu'un frappe à votre porte à tout rompre. Quand cela ne se produit pas, quand personne ne vous menace directement, que deviennent les intérêts nationaux du Canada? Qu'est-ce qui devrait contribuer à déterminer la nature de nos forces armées, leur raison d'être et leur plan? Quels intérêts nationaux devraient y concourir?

M. Milner : C'est une question que je suis censé poser à mes étudiants. Quels sont les intérêts nationaux du Canada? Sans aucun doute, la souveraineté en est un. Je crois fermement en la surveillance de notre propre territoire; vous pouvez ramener cela à l'importance qu'accordait Pierre Trudeau à la souveraineté. Au risque d'être cynique, à plus d'un titre, les menaces les plus directes et les plus réelles à la souveraineté canadienne émanent de nos amis et non de nos ennemis. Il s'agit là d'une sorte de menace latente. Avons-nous le contrôle de la ceinture maritime nordique? Notre revendication sur l'Arctique est-elle aussi ferme et aussi solide que nous pourrions le souhaiter en vertu du droit international? Disposons-nous d'une présence adéquate là-bas? Pouvons-nous déployer réellement une force dans l'Arctique en cas de crise? Bien sûr, la question suscite certains débats et certaines unités ont été formées au fil des ans comme premiers intervenants en cas de crise dans l'Arctique. Disposons-nous des transporteurs aériens tactiques permettant d'amener nos troupes sur place en cas d'urgence alors qu'un sous-marin propulsé à l'énergie nucléaire patrouille dans les eaux territoriales canadiennes? Ces choses m'inquiètent énormément. J'estime qu'il est dans notre intérêt national de démontrer à la fois une volonté et une capacité de surveiller efficacement notre propre territoire. Je ne suis pas sûr que nos forces armées nous donnent cette capacité.

Extérieurement, nous vivons dans une société de nations et celle-ci a des intérêts qui lui sont propres. Même si nous ne partageons peut-être pas toujours exactement ces intérêts en tout temps — à mes yeux, il était sage de ne pas participer à la guerre en Irak — nous avons le même genre d'intérêts que l'Union européenne et d'autres pays, des enjeux comme la paix, la stabilité, la liberté, la libre circulation et le libre échange des biens et, autant que possible, des gens et des idées. Nous partageons ces intérêts et j'estime que si la communauté avec laquelle nous cheminons a décidé qu'il était important de stabiliser l'Afghanistan, nous avons alors un intérêt à y être présents et nous en avons manifestement fait la preuve.

Je ne vois pas cela comme une fin en soi. Je passe une grande partie de mon temps à enseigner l'histoire militaire du monde occidental, littéralement depuis Platon jusqu'à l'OTAN. À plus d'un point de vue, nous sommes « de retour vers le futur ». Nous sommes revenus à un système étatique pré-westphalien où la perspective d'émergence d'États avortons et de crises autour du monde ne diminue pas et va plutôt croissant. Par conséquent, en raison même du fait que nous sommes une nation commerçante, une nation de migrants et que nous avons de vastes intérêts, je ne vois pas ces intérêts se limiter à assurer notre sécurité dans nos murs.

Par conséquent, nous voulons la paix et la stabilité. C'est un genre de cliché mais j'y adhère parce que je pense que c'est vrai.

Le sénateur Banks : Vous avez utilisé les mots « marine » et « surveillance côtière » dans la même phrase.

M. Milner : Effectivement.

Le sénateur Banks : Nous estimons, ou tout au moins j'estime, moi, que certains de mes collègues pensent que c'est oxymoronique. La marine n'est pas chargée de la reconnaissance côtière, à moins que nous ayons été mal informés. Qui en a la charge?

M. Milner : Bien, c'est une bonne question. Qui s'occupe de la surveillance côtière? Je présume que ce sont les forces aériennes qui s'en occupent grâce aux patrouilles des Aurora, mais je suis loin d'en être sûr. Qui est chargé de la surveillance côtière? Je l'ignore. Est-ce que quelqu'un le sait? La Garde côtière? Non. Les bouées et les balises?

Le sénateur Banks : La Garde côtière contribue à la navigation et aux activités de sécurité qui sont vraiment importantes, mais elle ne s'occupe pas du renseignement de sécurité pour autant que nous sachions..., pour autant que je sache, du moins. La Garde côtière ne s'occupe pas de la surveillance au sens où je crois que vous l'entendiez, au sens de « protection de la souveraineté », n'est-ce pas?

M. Milner : Non, je ne crois que ce soit leur mandat, monsieur.

Le sénateur Banks : Par conséquent, est-ce que quelqu'un veut dire le littoral?

M. Milner : Je ne pense pas.

Le sénateur Forrestall : Pourquoi n'avez-vous pas mentionné la Garde côtière?

M. Milner : Je n'ai pas de réponse simple à cette question. Je suppose que j'ai eu tendance à axer ma recherche et faire porter mon intérêt sur les services armés.

Le sénateur Forrestall : Nous avons les Halifax Rifles et un groupe équivalent ici au Nouveau-Brunswick, mais ils ont besoin de moyens de transport. Je me demandais tout simplement pourquoi vous ne l'avez pas fait.

M. Milner : Bien, j'ai toujours, comme le disait le sénateur pensé à la garde côtière comme à un système de bouées, de balises et d'aides à la navigation. Je sais qu'il y a eu un long débat sur le rôle de la marine et le rôle de la Garde côtière et sur l'existence même d'une garde côtière armée. Nous disposons d'un service armé de protection des pêches, je suppose.

Le sénateur Forrestall : J'y reviendrai plus tard.

Le sénateur Day : Monsieur Milner, je voudrais explorer quelque peu le concept de l'empreinte dans la collectivité. Je pense au temps où nous étions à l'université et où il existait — j'en ai oublié l'acronyme — un programme de formation universitaire qui a été annulé il y a plusieurs années. Percevez-vous l'intérêt au niveau universitaire ou au sein des Forces canadiennes de remettre sur pied quelque chose d'équivalent qui sensibiliserait nos étudiants ou nos diplômés aux forces armées et qui leur permettrait d'approfondir leur connaissance du rôle que jouent les armées dans le monde?

M. Milner : Instinctivement, j'ai tendance à penser qu'un tel programme serait intéressant pour un certain nombre de raisons. Un de ces motifs tient au fait que les étudiants s'inquiètent vraiment pour leurs emplois d'été. Les étudiants sont toujours à la recherche d'emplois. Le salaire minimum est loin d'avoir suivi la courbe d'augmentation des frais universitaires. Par conséquent, je pense qu'il y a là un bassin potentiel de jeunes Canadiens actifs et motivés qui pourraient être attirés par un programme de formation d'officiers de réserve ou par le Corps-école d'officiers canadiens. Nous avons à cet égard, il y a plusieurs années, suggéré que les Forces canadiennes s'efforcent d'éliminer les obstacles qui jalonnent le processus complexe et presque byzantin de l'enrôlement dans l'armée pour en faire de celle-ci une institution plus ouverte et plus accueillante. J'ai des élèves — j'ai reconnu que c'était dans les années 90 et que cela peut n'être plus vrai aujourd'hui — qui ont pris de l'âge en attendant d'entrer dans les forces armées et qui y ont renoncé de guerre lasse et sont partis en Australie ou ailleurs.

L'UNB pourrait bien être un cas unique. Nous avons offert un programme d'histoire militaire moderne sur le campus pendant de nombreuses années. En fait, le programme que je dirige aujourd'hui a été créé au moment de l'élimination du programme COTC (Corps-école d'officiers canadiens). C'était le programme qu'on avait proposé aux universités en remplacement du programme de formation des officiers. Nous occupons des chaires d'histoire militaire, de sorte qu'il est encore possible d'étudier ces matières sur le campus.

J'estime que l'UNB voit d'un bon œil l'idée d'assurer une présence militaire sur le campus. Nous avons souvent des officiers en activité de service dans nos cours de premier cycle ou nos cours du niveau supérieur. Je n'ai jamais, au cours de toutes mes années d'enseignement à l'UNB, trouvé d'étudiants manifestant à l'extérieur de ma salle de classe, parce que j'enseigne l'histoire militaire ou que j'accueille des gens de la base. Je pense que la mise sur pied d'un système permettant d'être membre des forces armées, d'être formé, de servir pendant quelques années, de recevoir un peu d'aide pour payer des frais de scolarité extrêmement élevés et d'avoir accès à un emploi d'été suffisamment lucratif pour payer ces frais pourrait être extrêmement populaire. Néanmoins, lorsque nous avons proposé ce genre de système aux Forces canadiennes, nous avons constaté qu'elles déployaient tellement d'efforts à gérer les problèmes au jour le jour, qu'ils ont eu les réactions suivantes : a) ça va coûter trop cher, et b) nous ne pouvons l'organiser; ce n'est tout simplement pas faisable. J'estime toutefois que l'idée a énormément de mérite.

Le sénateur Day : D'accord. Nous avons appris il y a deux ou trois ans — c'était probablement après le 11 septembre 2001 — que le Quartier général de la Défense nationale avait envoyé une directive enjoignant à ses officiers et ses membres de ne pas porter l'uniforme en public pour éviter de devenir des cibles. En d'autres mots, dissimulons notre identité. Avez-vous des remarques à faire à ce sujet? Êtes-vous au courant de cette situation?

M. Milner : Je n'ai jamais entendu ça à propos du Canada. Je suis au courant de situations équivalentes ailleurs. J'ai voyagé assez souvent en Grande-Bretagne par exemple, où le simple fait de porter un blazer bleu marine avec un écusson sur la poche incite les gens à vous dire de l'enlever et de le porter sur le bras. Curieusement, les seuls soldats que j'aie jamais vus en uniforme en Grande-Bretagne étaient des soldats irlandais revenant d'une mission des Nations Unies outre-mer. Je n'ai jamais vu de soldats britanniques en uniforme.

Il est possible, bien sûr, que ce genre de situation prenne de l'ampleur, mais je pense que le risque est faible et la chose plutôt déplorable.

Je ne crois pas que nos Forces canadiennes devraient se cacher, je pense qu'elles devraient manifester leur présence.

J'ai certes eu des occasions, en dirigeant un séminaire au niveau universitaire, de faire venir devant un groupe d'étudiants qui, pour le moins qu'on puisse en dire, n'étaient pas tous en faveur de l'armée, quelqu'un qui venait de passer des heures à descendre en rappel d'un hélicoptère à la base de Gagetown et qui s'est présenté couvert de boue et en tenue de combat. Les séminaires deviennent vraiment stimulants lorsque les étudiants peuvent discuter, avec un soldat en exercice, des problèmes auxquels celui-ci fait face.

Mes étudiants ont toujours accueilli ce genre d'événement à bras ouverts. Chaque année, à l'UNB, nous nolisons un autobus et amenons 45 étudiants de premier cycle à Gagetown pour assister à la démonstration annuelle de tir ou à tout autre exercice d'entraînement organisé en automne. Je suis frappé par deux types de réaction qui m'apparaissent intéressantes, voire remarquables.

La première réaction — et la plus révélatrice — de ces étudiants, fut la suivante : « Eh, ces gars-là sont vraiment intelligents et articulés; », une observation un peu bizarre puisqu'elle laisse entendre qu'ils s'attendaient plutôt à l'inverse. La bonne compréhension de la perception qu'ont les Canadiens des forces armées vient, partiellement du moins, des heures passées dans l'autobus à écouter des étudiants sortant d'une première rencontre avec des soldats et qui se disaient surpris d'avoir vu des gens normaux. Pourquoi pensaient-ils qu'ils ne l'étaient pas? Cela, je l'ignore.

Autre réaction : les étudiants sont également étonnés du professionnalisme de ces soldats, de leur compétence et de leur savoir-faire. Je n'ai souvenir d'aucun cas, où, après avoir amené un groupe d'étudiants de premier cycle à une démonstration sur la base, ceux-ci ne soient pas rentrés physiquement épuisés, un large sourire aux lèvres, jacassant comme des pies sur ce qu'ils avaient vu et disant combien ils avaient trouvé intéressant et satisfaisant de parler à de vrais soldats accomplissant de vraies tâches. Une situation qui m'incline à croire qu'il subsiste un fond de bonne volonté, mais que l'ignorance est grande. Les élèves n'ont aucun contact régulier avec des soldats, même à Fredericton.

Le sénateur Day : La Défense nationale ne fait rien qui puisse assurer sa promotion à cet égard lorsqu'elle conseille de ne pas porter l'uniforme.

M. Milner : Je pense que vous avez parfaitement raison.

Le sénateur Day : J'ai entendu vos commentaires concernant le rappel de la milice et l'organisation de missions périodiques avec les Forces canadiennes. Avez-vous d'autres idées sur la façon de ne pas rebâtir trop rapidement à une grande armée? Nous espérons être en mesure d'encourager le gouvernement à augmenter lentement l'effectif, mais on nous a dit que cela prendrait beaucoup de temps. Nous n'aborderons pas la question du service obligatoire; par quels autres moyens pourrions-nous donc améliorer notre connaissance des forces armées et du rôle important qu'elles jouent dans notre société?

M. Milner : Bien, je suppose, pour faire une réponse courte, qu'on peut augmenter le rôle de la réserve, y compris en mettant en oeuvre la suggestion que nous avons faite il y a plusieurs années d'organiser le calendrier opérationnel périodique des unités de réserve de sorte qu'elles soient déployées et deviennent vraiment opérationnelles. C'est peut- être une façon d'imprimer une empreinte et de créer un engouement chez les Canadiens; les gens postés outre-mer seraient des gens qu'ils connaissent.

Le sénateur Day : Dans cette ligne, est-ce que vous recommandez une augmentation importante de l'effectif des réservistes?

M. Milner : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une augmentation importante. Je ne connais pas bien l'état actuel de la réserve. Je sais que quelques unités de réserve survivent à peine et que d'autres sont florissantes. Toutefois, si vous vouliez mettre en oeuvre un système de rappel des réservistes par unité, en rotation, vous ne pourriez probablement compter sur plus de 3 000 à 4 000 personnes par année. Il faudrait prévoir certains transferts latéraux, pour qu'entre le moment où on prépare le déploiement d'une unité et celui où on en rappelle une autre à la base, on puisse disposer d'un petit supplément d'effectif. Toutefois, sans être parfaitement au courant, je peux avancer qu'on parle de moins de 10 000 personnes, et peut-être de moins que cela encore.

Admettons-le, notre armée est déjà minuscule. On pourrait mettre la totalité du personnel des armes de combat dans le Centre d'Air Canada et il resterait encore beaucoup de place pour le personnel opérationnel de l'Armée de l'air. La plupart des gens ne comprennent pas cela. Ils ne réalisent pas combien l'effectif des Forces canadiennes est clairsemé. J'estime qu'il faudrait augmenter, à court terme, le nombre de soldats.

Le sénateur Forrestall : Monsieur Milner, je voudrais revenir pendant quelques instants, si je peux me le permettre, sur la question de la défense côtière du Canada. Si on se tourne vers l'avenir, et non vers le passé — parce que Dieu sait que cela a été un véritable guêpier dans le passé — quelle serait, à votre avis, la meilleure façon de s'en acquitter à l'avenir? Les Américains ont été les plus insistants; tellement insistant en fait que cela m'amène à penser que des changements importants seront apportés à notre livre blanc sur la défense. Il y a une foule de points que nous ne pourrons pas traiter sans avoir vu l'examen du forum lui-même et c'est normal.

M. Milner : Oui.

Le sénateur Forrestall : Comment, à votre avis, devrions-nous faire? C'est une tâche énorme que de surveiller les Grands Lacs, les fleuves du Canada, notre littoral.

M. Milner : Oui, absolument. Je sais que les forces armées se sont attelées à faire fonctionner des véhicules téléguidés de reconnaissance aérienne ou autres dispositifs. De toute évidence, le recours accru à des véhicules pilotés à distance est une solution.

J'ai été, au fil des ans, à titre d'historien naval, un partisan discret d'une flotte côtière modeste à l'appui de la marine océanique. J'ai eu tendance à ne pas le clamer dans les cercles de la marine pour ne pas m'attirer les foudres du ciel.

Compte tenu de la façon dont la politique de la défense canadienne fonctionne, la marine prétend que pour le coût d'une flottille de frégates, disons 16 frégates de patrouille, nous pourrions obtenir 18 navires légèrement moins performants qui pourraient accueillir notre réserve et patrouiller au large des côtes du Labrador et si nous les renforçons pour la navigation dans les glaces en été, nous pourrions occasionnellement y envoyer des effectifs, avoir une présence, entraîner des unités de réserve et offrir des emplois aux étudiants universitaires. Les décideurs rétorqueront sur-le-champ que si vous déposez une proposition d'acquisition de 12 ou 15 navires moins performants en remplacement de six frégates d'usage général, le gouvernement achètera six navires moins performants et fermera le dossier. Et il n'y aura pas de discussion possible. L'occasion sera manquée. Étant donné la nature de nos procédures d'approvisionnement, la marine est encouragée à faire des achats de haut de gamme. Compte tenu de ce que j'ai vu, c'est parfaitement compréhensible.

Toutefois, il faut que quelqu'un comble le fossé qui existe entre la marine océanique et côtière et j'ai toujours vu la réserve dans ce rôle. Je ne pense pas que les NDC actuels font l'affaire. Ils sont trop lents et ne sont pas aussi stables ni en aussi bon état de navigabilité qu'ils devraient l'être. Leur endurance n'est pas non plus adéquate. J'estime qu'il existe une plage, entre la marine océanique et côtière, où il est certes possible d'instaurer une forme quelconque de présence navale.

Si je comprends bien, nous comptons réduire le nombre des plates-formes Aurora accessibles à la force aérienne — de 21 à 15, je pense — nous débarrasser de trois des cellules d'aéronefs les plus récentes, ce qui, fondamentalement, équivaut à descendre d'un échelon. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Nous avons eu l'occasion de faire visiter l'escadre aérienne de Greenwood à un groupe d'étudiants l'été dernier, et leur réaction a été la suivante : « Où sont donc passés tous les avions? ». Nous avions atterri à la base aérienne et n'avions vu aucun aéronef. On nous avait pourtant dit qu'il s'agissait de la plus grosse escadre aérienne du Canada et de la base la plus achalandée de la patrouille maritime. Ce n'est qu'une heure environ après notre arrivée et après nous être rendus derrière les hangars que nous avons réussi à voir trois Aurora sur le tarmac, un C-130 et un hélicoptère de sauvetage prêt au décollage.

Je ne sais vraiment pas comment, même avec les Aurora, nous pouvons surveiller un littoral aussi étendu que celui du Canada et nous déployer outre-mer comme nous le faisons, avec 15 aéronefs. Lorsque nous sommes arrivés à la base, nous avons parlé au commandant de l'escadre, il disposait de deux avions opérationnels pour tout le secteur, qui s'étend, je présume, de l'Île d'Ellesmere au Banc Georges, et un de ces avions servait à la formation des pilotes, ce qui ramenait le nombre des aéronefs vraiment opérationnels à un seul.

Il faut toutefois dire, en toute impartialité, que la plus grande partie de cette escadre est actuellement à Halifax pour l'entretien; on tente d'augmenter leur vitesse de croisière et plusieurs autres aéronefs sont en restauration de longue durée. Il n'en reste pas moins que tout le groupe aérien de la marine de la côte Est en était réduit à deux avions. Cela défie tout simplement l'imagination. Nous avons interrogé le commandant au sujet de son avion de recherche et sauvetage et, bien entendu, il a précisé que la plupart de ces modèles, les C-130, avaient été déployés outre-mer, avaient vieilli et étaient largement dépassés. À cette époque, le nouveau EH101 avait des problèmes de rotor de queue, de sorte qu'ils ne disposaient à Greenwood que d'un seul aéronef en état de vol. Les étudiants étaient tout simplement ébahis et ne savaient plus comment réagir. Ils pensaient que nous disposions d'une force aérienne.

Il y a toutes sortes de possibilités, mais elles exigent des investissements, et nous ne l'avons tout simplement pas fait.

Le sénateur Forrestall : L'orientation que nous avons prise pourrait indiquer que c'est la volonté du gouvernement — chose qui se reflétera dans les documents du forum lorsqu'ils seront diffusés — de voir l'armée prendre la vedette et que cela ne changera pas au cours des 10 à 15 prochaines années, point à la ligne. Je pense plutôt, qu'étant donné ce que nous avons fait, cela puisse être devenu une nécessité.

M. Milner : Eh bien, cela peut être nécessaire, monsieur, mais comme vous le savez pertinemment, si vous dressez la liste des choses qui doivent être remplacées...

Le sénateur Forrestall : Je ne voulais pas vous poser directement la question.

M. Milner : Eh bien, le Canada a tendance, malheureusement, à s'engager dans des cycles de dépense erratiques. Dans ce pays, il y a une tendance à dire, un moment donné : « Vous avez eu ce que vous vouliez; ne revenez pas jusqu'à la prochaine génération. Nous espérons que ça va marcher pour vous ». Si on fait cela assez souvent, on finit par créer, comme vous le savez, un déficit cumulatif des acquisitions d'immobilisations. La Force aérienne, d'après ce que je peux voir, est en état de crise. En tant que spécialiste de l'histoire navale, je sais que nos frégates de patrouille ont déjà atteint la moitié de leur cycle de vie opérationnel. Si nous disposions, pardonnez-moi cette remarque, d'un système rationnel de remplacement, nous serions en train d'examiner ce que nous voulons faire de notre marine océanique aujourd'hui et je suis sûr qu'il y a des gens qui y pensent à Ottawa. Néanmoins, le délai de mise en chantier de la frégate canadienne de patrouille a été d'environ 15 ans et nous devrions commencer maintenant si nous voulons disposer d'un plan de remplacement convenable au moment où ces navires atteindront la fin de leur cycle de vie utile. Nous avons tendance, comme vous le savez, à ne pas procéder comme ça.

Quand j'étudiais l'histoire navale, les gens parlaient du temps que cela avait pris pour remplacer l'hélicoptère Sea King; ils ont commencé à y travailler en 1977.

Le sénateur Forrestall : Oui, continuez.

M. Milner : D'accord. À un moment donné, j'ai dit à quelqu'un qui m'interviewait à Halifax que je ne croyais pas voir un seul remplacement de matériel militaire au cours de ma vie. Je pense que si je peux survivre pendant toute la prochaine décennie, je pourrai probablement en voir un. Voilà un comportement typique de la défense canadienne et, sans devenir cynique, on peut dire qu'à certains moments, cela frise la bizarrerie. Est-ce le tour de l'armée d'être au creux de la vague? Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie. Les programmes d'immobilisation de l'armée tendent à être un peu plus modestes. Si vous mettez sur pied une force aérienne, vous ferez face à des dépenses énormes. Nous n'avons acheté une flotte neuve qu'à une seule occasion, sous William Lyon Mackenzie King, dans les années 30. Toutes les autres fois où nous avons tenté de construire ou de créer une force maritime, la grande majorité des gens ont applaudi et la seule façon, à mes yeux, de vendre l'idée de l'acquisition d'une flotte est de s'assurer qu'elle sera construite au Canada et que la manne sera largement distribuée. Je ne suis pas sûr que nous disposions d'une industrie de construction navale qui puisse le faire, de sorte, qu'il faudrait construire cette industrie aussi.

Le sénateur Forrestall : Vous voulez dire que n'êtes pas sûr que nous ayons les gens de métier requis?

M. Milner : Les gens de métier non plus. Le cycle expansion-ralentissement rend extrêmement difficile toute tentative de faire davantage que d'appuyer l'armée à court terme, mais nous aimons nous mettre la tête dans le sable quand il s'agit de la défense.

Le sénateur Forrestall : Ainsi, vous souscririez en général au concept d'une force terrestre, aérienne et maritime prête au combat?

M. Milner : Je pense qu'il s'agit là d'une exigence minimale. J'entends souvent dire, parmi mes collègues en particulier, « Pourquoi ne pouvons-nous pas nous contenter de les former au maintien de la paix? » Je suis sûr que vous savez très bien qu'un des motifs du succès des Canadiens comme intervenant dans le domaine du maintien de la paix tient au fait qu'ils sont tout simplement des soldats qui ont un haut niveau de professionnalisme. Lorsqu'on travaille à l'UNB et qu'on se trouve à proximité de Gagetown, on en vient à voir ces gens relativement souvent. Ils font très bien ce qu'ils doivent faire et je pense que ça facilite l'accomplissement de leurs tâches lorsqu'ils arrivent sur le terrain.

J'ai fait venir un officier pour parler à un groupe d'étudiants. Nous avons abordé la question d'Hiroshima et de Nagasaki, et tout le débat a porté sur la décision de lâcher ou non la bombe; nous avons parlé de la décision de Truman de lâcher la bombe. À ce séminaire, le militaire invité était un colonel qui avait commandé une compagnie en Bosnie et nous avons abordé ce sujet et différentes autres choses. Les étudiants voulaient savoir si les soldats étaient entraînés pour blesser les gens et non les tuer et il a répondu « Pas mes soldats. Ils sont entraînés pour atteindre le cœur de la cible. On ne peut présumer de la réaction de l'autre ». À un moment donné, les étudiants lui ont demandé : « Ainsi, si Harry Truman avait dit qu'il avait le choix entre lâcher une bombe atomique sur le Japon ou faire débarquer l'armée tout en prévoyant de lourdes pertes au sein des troupes américaines, mais en étant conscients de choisir une solution moralement supérieure, qu'est-ce que vous auriez recommandé? Il les a regardés froidement dans les yeux et a répondu « Comment décider du nombre de victimes acceptables? La perte d'un seul homme est inacceptable et si vous pouvez lâcher la bombe, vous la lâchez. »

Il faut réaliser froidement que l'action militaire a ses exigences de base. Il faut disposer de gens qui sont prêts à faire ce qu'il faut et cela précise toute la portée de ces enjeux. Si vous apprenez aux gens à être des soldats du nouvel âge et que vous leur fournissiez un uniforme voyant, ils seront malmenés. Ils n'obtiendront pas le respect dont ils ont besoin là où ils vont. Je crois fermement que si vous avez la capacité de faire les pires choses, tous les autres choix sont accessibles; il se peut que ce ne soit pas particulièrement agréable ou que ce soit carrément hostile.

Le sénateur Forrestall : Reconnaissons qu'en l'absence d'une menace à la bombe, ce que vous suggérez est sans doute la meilleure voie à emprunter et je ne suis pas sûr d'être en désaccord avec vous du tout. Merci bien, professeur.

Le sénateur Nolin : Je veux revenir sur une partie de la réponse que vous avez donnée au sénateur Banks à propos du rôle du Canada sur la scène internationale. Comme vous le savez, notre premier ministre, dans la foulée de l'élection du président Bush pour un deuxième mandat, a récemment beaucoup parlé de la participation du Canada à l'échelle internationale. En outre, vous n'ignorez pas qu'une nouvelle politique étrangère se dessine à Ottawa. Comment voyez- vous l'évolution de cette politique. J'aurai une question de suivi à vous poser à ce sujet.

M. Milner : Eh bien, comme tout professeur, je ferai précéder mes observations d'un préambule. Je vous dirai d'abord que je ne suis pas un spécialiste avant de traiter le sujet de façon relativement détaillée. Nous avons souvent présenté cette question à nos étudiants en opposant grand Canada et petit Canada. Resterons-nous chez nous à morigéner nos amis pour leur mauvaise conduite ou participerons-nous à l'évolution du monde? Participerons-nous à la...

Le sénateur Nolin : Vous voulez dire « assumer un plus grand rôle »?

M. Milner : Oui. Je ne vois pas le Canada se retirer. Je pense que nous continuerons à participer. Je pense que nos intérêts en matière de politique étrangère nous obligent à participer à l'OTAN. Je ne nous vois pas en train de nous exclure de la communauté internationale. Je parie qu'il ressortira de l'examen de notre politique étrangère que nous faisons partie d'un groupe de nations au sein duquel nous avons un intérêt et souhaitons être un participant actif. Je nous vois dans un rôle interventionniste, et c'est la raison pour laquelle j'estime qu'il est important pour le Canada d'avoir des actifs stratégiques dont nous pouvons faire état à la table de négociation afin d'être en mesure de déployer nos forces où et quand c'est nécessaire, ou d'appuyer les ONG ou de faire ce qu'il convient de faire.

Le sénateur Nolin : Par conséquent, plus nous étudions le nouveau mandat de l'OTAN et sortons de nos frontières traditionnelles, plus il convient de privilégier un élargissement du rôle des Forces canadiennes dans le cadre de ces nouveaux mandats. Est-ce bien votre avis?

M. Milner : Je ne suis pas certain que j'utiliserais le terme « élargissement ». Je pense que nous sommes bien davantage...

Le sénateur Nolin : Eh bien, ce n'est pas exactement au-delà des frontières de l'Allemagne.

M. Milner : Non, non. J'ai préconisé naguère des opérations hors zone. Il s'agit d'un rôle prudent pour l'OTAN mais je pense que l'OTAN est pour le Canada, le meilleur « vecteur », en l'absence d'un meilleur terme. Je suis, comme la plupart des Canadiens, et probablement la plupart des universitaires canadiens, très craintif au sujet d'arrangements bilatéraux ou d'arrangements uniques et ponctuels avec les États-Unis. Il est plus facile de traiter avec les Américains lorsqu'ils font partie d'un groupe, comme vous le savez, et je pense que la meilleure façon de procéder est de négocier par l'entremise de l'OTAN ou de l'ONU. Les coalitions ad hoc sous l'égide des Américains m'ont toujours inquiété et m'inquiètent encore.

Le sénateur Nolin : Je veux revenir aux Américains et à la défense de l'Amérique du Nord. Comment voyez-vous notre rôle? Vous avez mentionné la défense par la marine océanique, mais comment voyez-vous l'organisation et l'opérationnalisation de ce genre de défense? Quel serait notre rôle?

M. Milner : Eh bien, nous avons conclu des arrangements dans le cadre de l'OTAN et du Groupe de planification régionale Canada-États-Unis en vue de participer à la défense de l'Amérique du Nord. Je crois fermement que nous devons nous méfier de l'aide étrangère, que nous devons faire valoir la souveraineté et la capacité du Canada pour que, si nous devons demander l'aide de notre puissant voisin du Sud, nous soyons en mesure de préciser clairement comment cette aide devrait être fournie et dans quelles conditions.

Comme Desmond Morton l'a dit il y a quelques années, « La plupart des Canadiens comprennent d'instinct que le Canada est à la fois indéfendable et inattaquable ». La seule menace réelle à notre souveraineté quand on va vraiment au cœur du problème vient, sauf votre respect, de notre amical voisin du Sud. Toutefois, si quelqu'un d'autre nous attaque, nous pourrions simplement ne rien faire et ce voisin défendrait toute l'Amérique du Nord; je ne pense pas, néanmoins, que nous voulions jouer ce genre de rôle passif.

Mes étudiants sont vivement intéressés par toute la question de la défense antimissiles balistiques qui fait l'objet d'un débat d'envergure. Le ministre était ici la semaine dernière et la défense antimissiles balistiques était l'un des enjeux que les étudiants voulaient aborder avec lui. Les Américains iront de l'avant; ils sont en train de réaliser leur plan. Nous avons le choix de participer ou de nous contenter de ne pas mettre de bâtons dans les roues. Ce n'est pas l'alternative la plus heureuse, mais de mon point de vue, il est important de maintenir le NORAD. Il est préférable d'être à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur de la tente. Je pense que notre voie est toute tracée.

Le sénateur Nolin : Puisque nous discutons du continent, abordons la question du Nord. Devrions-nous jouer un rôle important dans la défense du Nord. Bien sûr, ma question évite d'utiliser le mot « souveraineté » en face de nos voisins du Sud.

M. Milner : « La défense du Nord » est sans doute une expression erronée, puisqu'il n'est pas évident qu'une véritable menace pèse sur le Nord.

Le sénateur Nolin : Eh bien, disons des menaces à la souveraineté.

M. Milner : J'ai passé un certain temps, quand j'étais jeune, à travailler dans l'Arctique; j'ai eu la chance d'en faire le tour et j'ai beaucoup apprécié l'expérience. Je ne suis pas complètement convaincu que le fait de colorier la carte du Nord aux couleurs du Canada et d'entourer d'un trait ce territoire ait beaucoup de poids sur la scène internationale. Je pense que ce qui compte, c'est une présence et une démonstration de notre souveraineté et les forces armées sont les mieux placées pour faire ce genre de choses. Il ne faut pas nécessairement un déploiement à grande échelle, mais des opérations de routine et le maintien d'une présence qui attire l'attention du public.

Le sénateur Nolin : Autre que celle des Rangers.

M. Milner : Oui, certainement. Mes étudiants se sont montrés particulièrement enthousiasmes à l'endroit de cette petite île dont les Danois ont revendiqué la souveraineté. Il y a environ un an, ils ont lancé sur le campus un mouvement intitulé « Stop au mouvement impérialiste danois », une initiative qui a retenu brièvement l'attention des médias.

Le sénateur Nolin : Un membre de l'OTAN, soit dit en passant.

M. Milner : Oui, je suis au courant.

Le sénateur Nolin : Juste pour contribuer à la solution.

M. Milner : Toutes les menaces proviennent de nos amis.

Le sénateur Nolin : Certes.

M. Milner : Il y a des années, un article paru dans la Revue canadienne de défense a prétendu que le véritable danger auquel nous faisions face était la menace d'une aide non sollicitée; c'était une manœuvre publicitaire agressive. Après tout, tout ce débat, comme l'a dit un historien, je pense que c'était Barry Hunt, du Collège royal militaire, la plupart des Canadiens ont oublié que le véritable objectif de l'achat de sous-marins nucléaires à la fin des années 80 n'était pas d'arrêter les Russes mais de découvrir où étaient les Américains. Il est toutefois hors de question de faire valoir ce point de vue. Il est extrêmement difficile de faire accepter l'idée que nous avons acheté des sous-marins nucléaires pour que les Américains puissent nous dire où les leurs ne sont pas.

Le sénateur Atkins : Merci, professeur, de votre présence ici. Par curiosité. Que pensaient vos étudiants de la question de la défense antimissiles? Étaient-ils en faveur ou opposés à cette idée?

M. Milner : Il y a deux groupes. Il est probablement juste de dire que les historiens, que l'on pourrait décrire comme des universitaires, comme des réalistes, étaient d'avis que la question de la défense antimissiles balistiques était proche de la description que j'en ai faite — les Américains iront de l'avant. Il ne s'agit pas à ce stade d'une militarisation de l'espace. C'est un remaniement du NORAD et s'ils ont l'intention de le faire, nous devrions y adhérer. Nous devrions participer au processus. Il est probablement juste de dire que les gens qui étudient la politique étrangère, particulièrement les personnes du Département des sciences politiques n'étaient pas très séduits par le concept de défense antimissiles balistiques. Comme groupe, les étudiants de premier cycle étaient divisés en deux camps presque également distribués entre ceux qui acquiescent à l'idée et ceux qui s'y opposent principalement par principe.

Le sénateur Atkins : Est-ce qu'ils comprennent que ce que les Américains demandent est un système de défense radar?

M. Milner : Non, ils ne comprennent guère les tenants et aboutissants du système. Ils ont entendu les médias parler de la militarisation de l'espace, et des systèmes installés dans l'espace, et c'est à ce niveau qu'ils comprennent les enjeux. Comme l'a fait remarquer un de mes collègues, hier, les systèmes de détection dans l'espace ont été utilisés à des fins militaires pendant plus de 40 ans. Le nouveau système n'en serait qu'une variante. Si les Américains ont à un moment donné l'intention d'installer des armements dans l'espace, alors je pense que nous ferons face à une prise de conscience et que nous pouvons fort bien...

Le sénateur Atkins : N'en sommes-nous pas là?

M. Milner : Nous en sommes loin. C'est du moins ma perception, même si les médias ne l'ont jamais admis et si les Américains ne nous ont rien demandé. Ils ne veulent pas de base, pas d'argent ni d'équipement.

Le sénateur Atkins : Ils veulent un système d'avertissement par radar.

M. Milner : Oui, mais pas nécessairement sur le territoire canadien.

Le président : Sur leur territoire?

M. Milner : Oui, sur leur propre territoire, ils veulent donc juste une adhésion de principe. Cela sera-t-il dirigé par NORTHCOM ou par NORAD? Je crois que dans notre intérêt, il serait préférable que NORAD en prenne la direction.

Le sénateur Atkins : Vous êtes un historien?

M. Milner : Oui, monsieur.

Le sénateur Atkins : Étiez-vous plus ou moins d'accord avec le livre blanc de 1994?

M. Milner : Il faudrait que j'étudie la question, parce que je ne suis pas vraiment familiarisé avec chacun des livres blancs. Je m'en excuse. Si vous voulez poursuivre, pouvez-vous préciser si le dernier livre blanc sur la défense abordait la question de la puissance militaire polyvalente. Dans ce sens, je répondrais par l'affirmative.

Le sénateur Atkins : Qui a pris, en réalité, la forme d'une proposition favorable à une force armée conventionnelle?

M. Milner : Oui. On discute énormément du fait que l'armée ne soit pas, si on veut, adaptable et en évolution, et la question a été soulevée à la rencontre du ministre avec les étudiants cette semaine. D'après mon expérience, les forces armées sont dans un état constant d'adaptation et de changement. À moins que l'on décide à un moment donné de se lancer dans une chirurgie radicale, comme le propose le général Hillier, on s'en tient aux compétences générales et évite les extrêmes, de sorte que la décision d'éliminer les blindés était en fin de compte compréhensible. Toutefois, nous éviterons de toute manière ce genre de rajeunissement radicale. Par conséquent, il semble qu'il faille construire des forces armées capables d'un déploiement rapide dans un environnement militaire qui peuvent œuvrer au sein de la coalition.

Le sénateur Atkins : Vous avez fait allusion, dans votre allocution d'ouverture, à nos obligations internationales. Pensez-vous que notre effectif soit trop limité. Voulez-vous commenter cette question?

M. Milner : J'aurais affirmé, dans les années 90, que nous manquions cruellement de personnel. Je pense, qu'étant donné l'effectif de l'armée, en particulier aujourd'hui, nous sommes très certainement à court de personnel. Nous faisons face à une véritable pénurie. Je peux illustrer ma position.

Au fil des ans, nous avons eu des contacts cordiaux avec les gens de la base de Gagetown. La base est située à une distance de 14 kilomètres de l'université, de sorte qu'il y avait un trafic assez considérable entre notre programme militaire et notre programme d'études stratégiques à l'UNB, d'une part, et les gens de la base militaire, d'autre part. Les étudiants sortaient, les officiers et les sous-officiers rentraient. À partir du milieu des années 90, et particulièrement depuis la fin de cette décennie, ce va-et-vient a pratiquement disparu. Si vous vous adressez au personnel de la base, les gens vous diront qu'ils viennent de rentrer d'une mission ou qu'ils sont sur le point de partir en mission ou qu'ils ont été désignés pour un déploiement et se préparent à entreprendre leur formation, ou encore que leur bataillon va partir pour l'entraînement ou qu'ils sont restés loin de chez eux depuis si longtemps qu'ils ne veulent vraiment pas entreprendre quoi que ce soit en dehors de leur journée normale de travail s'ils peuvent s'en dispenser.

Il y a un véritable effet de fatigue, très certainement parmi les gens à qui nous avons affaire à la base et un sentiment que les limites ont été dépassées depuis trop longtemps.

Le sénateur Atkins : Alors vous répondez par l'affirmative?

M. Milner : Ma réponse est oui. Je ne peux pas parler pour la force aérienne. Je connais la marine et je sais qu'elle a un personnel trop réduit qui tente de faire des miracles.

Le sénateur Atkins : C'est au Camp Gagetown que le premier ministre a annoncé l'intention du gouvernement d'augmenter l'effectif des forces armées de 5 000 personnes. Pensez-vous que ce soit suffisant?

M. Milner : C'est un strict minimum. Selon moi, cela remplira seulement les postes vacants dans l'infanterie et les unités d'armes de combat et offrira, à la marine et à la force aérienne, un petit contingent qui leur donnera un peu de jeu, mais ce sera très minime. Je ne peux pas apporter beaucoup de précision à ce sujet, mais je suis d'avis que nous avons presque atteint un stade critique en termes de pénurie de personnel, alors que presque tout le monde est aux prises avec l'administration de l'infrastructure, les bases, le personnel et les approvisionnements et nous pourrions y ajouter la capacité de combat. Nous pourrions recruter des soldats à un coût d'infrastructure minimal, parce que nous avons déjà atteint le stade où les militaires dirigent des bases qui ne comptent que très peu de marins prêts à prendre la mer, ou en d'autres termes, des gens qui peuvent naviguer ou qui peuvent joindre des bataillons d'infanterie. Nous avons probablement de grandes opportunités dans ce seul secteur, sans grandes dépenses d'infrastructure. Néanmoins, je ne suis pas un spécialiste de la question.

Le sénateur Atkins : Êtes-vous au courant que dans notre premier rapport, nous avons recommandé que l'effectif des forces armées soit porté à 75 000 militaires?

M. Milner : Oui, je m'en souviens, monsieur le sénateur.

Le sénateur Atkins : Et également, du fait que les budgets devraient être augmentés, au départ, de quatre milliards de dollars? Voudriez-vous présenter vos observations sur les budgets de l'armée?

M. Milner : Non, non. Je comprends grâce à mes échanges avec des officiers supérieurs, que ces budgets sont inadéquats, mais ils vous diront également que si vous leur donniez un million, 100 millions ou un milliard aujourd'hui, ils ne pourraient probablement pas les dépenser. Les délais pour une foule de ces choses sont très longs. De toute évidence, les budgets doivent être augmentés et le taux d'augmentation devrait être suffisant. Comme Mackenzie King l'a dit en 1939 au début de la guerre, « Nous vous donnerons ce que vous voulez, mais dites-moi ce que vous pouvez vraiment dépenser ».

Le sénateur Atkins : Oui, mais croyez-vous que ce soit vrai?

M. Milner : Je l'ignore.

Le sénateur Atkins : Si nous faisions face à une crise nationale, ne pensez-vous pas que l'on pourrait trouver le moyen de...

M. Milner : De mobilier un plus grand nombre de personnes?

Le sénateur Atkins : Oui.

M. Milner : Oh, sans aucun doute, je pense que nous pourrions. Je pense que les unités militaires, que les forces armées ont suffisamment de cadres.

Le sénateur Atkins : S'agit-il de l'infrastructure?

M. Milner : Notre infrastructure peut être vieillissante dans de nombreux endroits, mais ce qui nous manque dans bon nombre de celles-ci, ce sont des gens — les bâtiments sont vides et il n'y a personne dans les unités. Simplement pour illustrer mon propos, il n'y a pas suffisamment de gens pour équiper tous les navire et remplir les logements des unités d'armes de combat. Par conséquent, une augmentation de 5 000 personnes dans les forces armées est tout à fait minimale. On pourrait en recruter davantage, sans aucun doute.

Je ne peux pas prévoir, à court terme, de crise mondiale qui exigerait une mobilisation comparable à ce à quoi nous avons assisté dans le passé lors des deux guerres mondiales, la guerre de Corée et de la guerre froide. Je ne vois pas cela se produire. Néanmoins nous verrons ce qui se produira à l'occasion de l'émergence de la Chine comme grande puissance.

Le sénateur Atkins : Une dernière question. Pensez-vous qu'ils ont pris la bonne décision en achetant les Sikorsky?

M. Milner : Non. Le plan original pour le remplacement des aéronefs était de se débarrasser d'un certain nombre de cellules d'aéronef, de systèmes d'instruction militaire, de pièces de rechange, de simulateurs pour acheter une seule cellule, un seul moteur et un système de formation unique. À mon sens, les motifs invoqués pour ne pas le faire sont entièrement politiques.

Je pense qu'à l'origine l'idée était saine. Nous disposons maintenant d'un hélicoptère embarqué différent de l'hélicoptère de recherche et sauvetage, de sorte que nous aurons besoin de deux équipes de mécanicien et d'instructeurs, de deux simulateurs et de deux systèmes de maintenance, mais à quel prix? Il paraît que le contrat d'achat des Sikorsky a été négocié dans le cadre de l'acquisition des EH101, mais j'aimerais, compte tenu de toutes ces variables, connaître les coûts généraux des deux programmes, sans oublier que nous avons déjà jeté un milliard de dollars par les fenêtres au cours de la démarche d'acquisition des hélicoptères. Il s'agit là d'une méthode d'approvisionnement typiquement canadienne.

Le sénateur Meighen : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Je suis désolé, je suis arrivé en retard. Je n'ai que deux ou trois questions à vous poser, mais n'hésitez pas à m'interrompre si vous y avez déjà répondu.

J'aimerais enchaîner avec la dernière question du sénateur Atkins. Croyez-vous qu'il soit possible d'estime avec une précision raisonnable les coûts supplémentaires attribuables à l'utilisation de deux hélicoptères distincts pendant une période de dix ans, par exemple?

M. Milner : Hélas, je ne suis ni comptable ni économiste, mais il y a dans les universités et les entreprises de nombreuses personnes qui, j'imagine, font exactement cela tous les jours. Je parie qu'il y a dans une entreprise quelqu'un qui pourrait vous dire ce qu'il en coûterait d'utiliser les deux systèmes.

Le sénateur Meighen : Oui, il vous faudrait sans doute connaître les coûts de remplacement moyens par année.

M. Milner : En effet.

Le sénateur Meighen : Nous aurons cette information très bientôt.

M. Milner : Il me semblait bien sûr logique, dans le plan initial, que pour exploiter deux types d'aéronef au-dessus de l'océan il vaudrait mieux s'en tenir à une seule cellule, à un seul moteur et à un seul système d'entretien. Il suffirait alors de former le personnel à l'utilisation des détecteurs et des senseurs.

Le sénateur Meighen : Je comprends bien que l'on dispose sans doute uniquement de preuves anecdotiques, mais il semble que les politiciens, du moins dans notre pays, soient de plus en plus enclins à suivre plutôt qu'à diriger. Vous pourriez dire que, depuis longtemps, l'inertie dans le dossier de la défense nationale est en parfaite harmonie avec l'opinion publique.

M. Milner : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous avons les forces armées que nous voulons.

Le sénateur Meighen : En effet.

M. Milner : C'est indiscutable.

Le sénateur Meighen : Percevez-vous un changement quelconque?

M. Milner : Non.

Le sénateur Meighen : Même pas depuis l'Afghanistan?

M. Milner : Non.

Le sénateur Meighen : Non?

M. Milner : Non. Je pense que l'appui envers les forces armées est pratiquement inexistant, et mon opinion est peut- être faussée par mes liens avec les militaires, mais ils vous diront que le soutien de la population à leur égard n'est ni très généralisé ni très profond. Dès que quelqu'un demande « Voulez-vous un hélicoptère ou un appareil IRM », la partie est jouée. Les Canadiens choisissent toujours les soins de santé, et c'est tout à fait compréhensible, mais il me semble que les dirigeants, les décideurs du gouvernement, pourraient déclarer qu'il nous faut les deux.

Le sénateur Meighen : Évidemment, pour modifier l'opinion publique, il faudrait sans doute d'abord que s'expriment les personnes qui savent le mieux de quoi elles parlent, et ce sont les militaires, mais ils ne peuvent pas parler librement.

M. Milner : En effet.

Le sénateur Meighen : Notre comité a eu accès à des renseignements très préliminaires venant d'autres compétences — les États-Unis, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, je crois. Dans ces pays, le régime est différent et on s'attend à ce que les militaires se prononcent sur les questions militaires. De fait, on les y encourage même parfois. Êtes-vous au courant de ces différences?

M. Milner : Non, mais j'ai entendu bien des doléances, tant dans les forces armées qu'à l'extérieur, concernant la façon dont l'information est gérée au sein des Forces armées canadiennes. Le consensus général, à l'interne et à l'extérieur, est que si seulement on laissait les soldats, les marins et les aviateurs parler...

Le sénateur Meighen : Et que dire du chef d'état-major de la défense.

M. Milner : Nous pouvons aussi en parler. Toutefois, le simple fait de les laisser s'exprimer vaut beaucoup mieux que d'envoyer un officier des affaires publiques leur indiquer ce qu'ils peuvent dire et ce qu'ils ne peuvent pas dire.

Dans l'ensemble, ce sont des gens très intelligents. Ils ont une solide formation, ils sont généralement instruits. Vous pouvez leur faire confiance et les laisser parler aux journalistes. Si l'un d'entre eux dépasse les bornes, il existe un processus pour intervenir. En règle générale, d'après ce que j'ai pu voir, ce type d'initiative a été interdit parce qu'il fallait filtrer l'information qui émane de l'organisation, ce qui n'a pas toujours donné de très bons résultats.

Le sénateur Meighen : Eh bien, nous voulons aller au fond des choses et voir quelles sont les différences, s'il y en a vraiment, entre nous et nos alliés de l'OTAN. Nous allons tenter d'encourager des discussions plus ouvertes.

Revenons-en à un domaine auquel le sénateur Atkins a fait allusion. C'est seulement en posant une question précise que nous avons découvert que, malgré l'engagement d'augmenter l'effectif de 5 000 militaires et 3 000 miliciens, rien n'avait été fait parce qu'aucun budget n'avait été voté ni alloué à cette fin — rien du tout, pas un cent.

On comprend donc que la population se dise sans doute « Très bien, on a ajouté 5 000 militaires et 3 000 miliciens aux forces armées ». Mais tel n'est pas le cas. Aucune mesure n'a encore été prise, et l'on nous dit qu'il faudra un certain nombre d'années, même si des fonds sont alloués, on ne sait trop quand, pour mener à bien le recrutement et l'instruction.

M. Milner : Eh bien, cela nous ramène à ce que je disais précédemment. Je ne crois pas que vous étiez ici, mais j'ai fait remarquer que certains de mes étudiants se sont lassés d'attendre pour entrer dans les forces armées; ils sont allés ailleurs. Dans un article que j'ai rédigé pour la Revue militaire canadienne, je disais qu'il était sans doute plus facile d'entrer chez les jésuites que dans les Forces armées canadiennes.

Le sénateur Meighen : Je n'ai jamais essayé les jésuites.

M. Milner : Eh bien, moi non plus, mais cela faisait bien sur papier. Certains de mes étudiants, découragés, sont partis pour l'Australie ou ailleurs, ou bien ils sont entrés dans la GRC parce qu'ils ne pouvaient pas s'enrôler dans les forces armées.

Le sénateur Meighen : Vous avez sans doute abordé le rôle de la marine, car je crois savoir que la marine est votre spécialité.

M. Milner : En effet, monsieur.

Le sénateur Meighen : Supposons que vous soyez en faveur d'une mission océanique pour la marine — je l'ignore, je n'étais pas ici. Notre comité a officiellement accordé un certain appui, je crois, au concept d'une la Garde côtière dotée d'un armement. Cette notion présente des avantages et des inconvénients, bien sûr, et nous n'avons encore vraiment rien décidé à cet égard. Toutefois, si la Garde côtière était armée, à votre avis, est-ce que cela soulagerait la marine de certaines tâches qu'elle est maintenant censée assumer ou qu'elle assume?

M. Milner : Eh bien, après notre discussion avec le sénateur Banks, il semble bien que personne ne fasse ce travail. Personne ne semble remplir ce rôle d'application de la loi dans les eaux côtières, cette fonction de défense de la souveraineté. Pour la marine, comme je l'ai mentionné précédemment, cela a toujours suscité des difficultés. Vu la façon dont le système d'approvisionnement de défense fonctionne au Canada, si vous dites « Eh bien, je crois que l'on peut s'en tirer avec moins », le gouvernement vous accordera moins. Si vous souhaitez obtenir six FCP, mais que vous pouvez vous en tirer avec 12 ou 15 gros bâtiments océaniques moins polyvalents pour maintenir l'ordre dans les eaux intérieures, protéger les pêches, assurer une surveillance et une présence et accomplir toutes sortes d'activités utiles, le gouvernement vous donnera probablement six de ces bâtiments. Vous cherchez donc toujours à maximiser vos besoins. J'imagine que selon la théorie, un peu comme pour l'Armée de terre, tant que vous avez toute la gamme des capacités, vous pouvez accepter le minimum. Si vous avez une capacité minimale, c'est la seule que vous ayez. Toutes les forces armées fonctionnent de cette façon, pas seulement celles du Canada. Dans le système canadien, on est en général soucieux d'économie. Si vous laissez entendre que le NDC, un bâtiment plus modeste, pourrait servir de garde-côte, les responsables apporteront quelques modifications au NDC, mais je ne crois pas que cette plate-forme soit particulièrement apte à ce type de mission.

Oui, je pense qu'il y a un écart important entre notre marine en eau profonde, notre marine océanique qui a actuellement une portée mondiale, ce qui est fort remarquable pour un pays comme le nôtre, et notre capacité en eaux côtières.

Le sénateur Meighen : Merci d'avoir répondu deux fois aux questions, monsieur, je vous en suis reconnaissant.

M. Milner : Je vous en prie. La répétition ajoute quelque chose, je crois.

Le président : Monsieur, vous avez mentionné dans votre exposé la possibilité de partager certaines tâches opérationnelles avec des unités de la milice. J'aimerais que vous expliquiez plus en détail aux membres du comité comment cela pourrait se faire, selon vous. Choisissez un exemple — le 3e Bataillon des services ou le 3e Régiment d'artillerie de compagne. Quel est à peu près leur effectif actuel, 100, 120, 150 membres?

M. Milner : Franchement, je l'ignore.

Le président : Très bien, le colonel honoraire a dit quelques mots à ce sujet.

Si vous annonciez que dans deux ans vous serez envoyés en mission outre-mer, combien de membres resteraient à l'unité?

M. Milner : Ou combien préféreraient abandonner le navire? C'est ce que vous voulez dire?

Le président : Combien décideraient qu'ils ont une boutique à gérer, un emploi qu'ils veulent conserver, quelle que soit la raison? Expliquez-nous vos plans pour faire face à la diminution de personnel et pour reconstituer l'effectif et le former.

M. Milner : Eh bien, je pense que vous soulevez une question fondamentale au sujet de l'appel des réservistes. Je vais vous répondre très franchement.

Lorsque David Charters et moi-même avons envisagé cette solution, nous pensions que l'unité locale ferait le gros du travail, si je peux m'exprimer ainsi. Il y aurait, bien sûr, quelques pertes parce que certaines personnes ne peuvent pas être déployées, d'autres ne veulent pas l'être ou ne veulent pas faire de service actif. Alors vous offririez à des réservistes de toute la région la possibilité de venir renforcer cette unité. Si vous planifiez une opération dans deux ans, par exemple, cela signifie que vous devrez probablement commencer d'ici un an à recruter du personnel à temps plein pour cette unité.

Pour le 1 RNBR ou le 3e Bataillon des services, vous iriez puiser dans les effectifs des autres bataillons des services dans la région, dans ceux de la brigade ou des Forces maritimes de l'Atlantique pour renforcer l'effectif, et vous finiriez par constituer un cadre, peut-être avec du personnel ambulant des forces armées qui travaille au sein des unités de la réserve ou qui pourrait être affecté à l'occasion pour compléter ces unités. Il faudrait compter entre un an et 18 mois pour disposer d'un effectif complet ayant suivi l'instruction. J'admets que la notion n'est peut-être pas encore tout à fait mûre, mais nous voulions trouver une façon de donner une certaine publicité à une unité, par exemple le Lincoln and Welland Regiment, le Algonquin ou le South Alberta. Le Globe and Mail pourrait publier une photo du 1er Bataillon du Royal New Brunswick Regiment, en déploiement pour les forces armées, et on appliquerait ensuite un plan quelconque pour qu'il y ait toujours un contact avec les médias locaux et pour ramener l'unité au pays et en démobiliser les membres à la maison mère.

Je reconnais qu'il ne serait vraiment pas facile de gérer cette activité. Je ne veux pas minimiser les difficultés, et c'est probablement la raison pour laquelle, chaque fois que nous mentionnons ce projet à des représentants de l'armée, l'accueil est plutôt réservé.

Le président : Eh bien, je vous félicite de chercher ainsi des moyens de créer des liens avec la collectivité. C'est une question qui intéresse au plus haut point les membres du comité. Cela dit, je me demande si vous ou certains de vos étudiants et collègues avez réfléchi aux aspects pratiques de ce projet et cherché à déterminer s'il faudrait par exemple consacrer trois ans de sa vie à une affectation ou simplement s'engager pour deux ans et si, de fait, un tel plan pourrait être exécuté sur une base régionale. Les régiments que vous avez nommés sont célèbres. Ils ont un passé glorieux. Ils font partie de notre culture et sont sources de fierté. Toutefois, si vous voulez recréer cela, vous n'avez pas droit à l'erreur.

M. Milner : Oui, cela est vrai.

Le président : Il faut réussir, et réussir avec éclat. Le leadership doit venir de l'unité même, et cetera.

M. Milner : Il serait notamment possible — car nous avons parlé d'un programme de formation des officiers canadiens dans les universités — d'intégrer ce plan à un programme qui finance les membres de la communauté universitaire pour suivre l'instruction des réservistes. Après avoir reçu leur diplôme de premier cycle, ces réservistes pourraient être affectés aux opérations pendant deux ans et connaître un peu l'aventure avant de s'intégrer à la population active.

Le président : Très bien. Vous nous menez précisément à ma prochaine question. L'une des grandes frustrations dont les commandants des régiments de la milice nous font part est de n'avoir que pour quatre ans des personnes qui sont des employés extraordinaires. Ces réservistes se présentent une fois par semaine, ils occupent des emplois d'été, ils obtiennent leur diplôme, puis ils partent; ils vont voir ailleurs. Un certain nombre d'officiers de la milice m'ont dit « Nous en sommes au point où nous cherchons des candidats un peu plus âgés, déjà établis dans la collectivité, et qui pourraient nous apporter quelque chose en échange de la formation que nous leur aurons assurée. Les étudiants que nous recrutons ne voient dans le programme qu'un moyen de financer leurs études universitaires, d'avoir un emploi intéressant et agréable. Une fois diplômés, ils nous quittent. »

M. Milner : Eh bien, je dirais — et je comprends les préoccupations de ceux qui cherchent à former des unités et à trouver les sous-officiers supérieurs et les officiers dont ils ont besoin — ce que vous obtenez, à la fin du processus, c'est un noyau de Canadiens qui ont une certaine expérience militaire, qui ont suivi une instruction et qui voient les problèmes avec une certaine sympathie. Ils ont quatre ans d'expérience, puis ils s'en vont, ils se marient, ils font carrière, ils vivent leur vie, mais vous n'avez pas tout perdu. Mes étudiants ne font pas la distinction entre un bataillon, un peloton, une brigade et une division, pas plus que la plupart de mes collègues. On entend parler à la télévision d'un bataillon canadien, et on se demande « Est-ce que c'est gros? Qu'est-ce que cela fait? » L'information de base, au moins, pourrait être diffusée par ce noyau de personnes.

Le président : Pour être justes, il faut dire que la taille de ces unités semble changer assez rapidement dans l'armée par les temps qui courent, et je ne m'étonne pas qu'il règne une certaine confusion.

M. Milner : On pourrait faire valoir qu'il est un peu pénible pour le 3e Bataillon des services de changer de personnel tous les quatre ans. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux accroître le débit, afin que tous ceux qui passent par l'organisation au niveau du premier cycle puissent consacrer un été à découvrir au moins ce que font les forces armées et à mieux connaître leurs problèmes?

Le président : Je ne rejette pas vos idées. Une des préoccupations du comité consiste à trouver des moyens de créer une coalition de soutien dans la collectivité. Votre idée d'affectations opérationnelles périodiques est intéressante et, honnêtement, elle mérite d'être développée. Je crois que le comité serait ravi que vous lui soumettiez un document dans lequel vous expliqueriez comment cela fonctionnerait. L'idée d'inscrire des étudiants de niveau universitaire dans un programme bien conçu, avec peut-être un bref contrat de service pour six ans ou quelque chose de cet ordre, réglerait ce genre de problème. Nous accueillons toujours avec intérêt de telles idées pour mobiliser le soutien populaire envers le genre de force militaire qui nous semble approprié. Et cela m'amène à la dernière question que je voulais vous poser, et là je joue vraiment avec le feu. Vous avez souligné qu'il était important d'acheter canadien. Je sais que vous venez du pays des frégates ou plutôt, devrais-je dire, j'aimerais pouvoir dire qu'il s'agit du pays de toutes les frégates, mais tel n'est pas le cas.

M. Milner : Eh bien, c'est le pays de l'essentiel de la marine canadienne, à l'heure actuelle.

Le président : Cela est vrai, mais notre programme de frégates a été, au bout du compte, très coûteux, toujours pour des raisons politiques. La question qui revient sans cesse est de savoir s'il convient d'utiliser les forces armées pour subventionner les régions ou s'il faut trouver d'autres façons de procéder? Devrions-nous acheter un produit sur le marché au meilleur prix lorsque nous le pouvons, et s'il faut subventionner les régions, le faire directement, avec transparence?

M. Milner : C'est une question difficile. Certaines expériences d'achat local ont été catastrophiques. Je pense au CF- 5, qui est probablement un cas classique pour ceux qui enseignent l'histoire militaire canadienne. Vous vous souvenez sans doute du Freedom Fighter de Northrop, le CF-5, un petit aéronef à court rayon d'action conçu dans les années 60. L'aviation n'en voulait pas vraiment parce qu'elle n'en avait pas l'usage, mais cet aéronef pouvait être construit à Montréal, et nous en avons acheté 125 que nous avons gardés en entrepôt pendant environ 25 ans avant de les donner. C'est probablement le pire des scénarios imaginables. Je ne crois pas qu'il se trouverait quelqu'un pour soutenir que les frégates de patrouille que nous avons construites ne sont pas des bâtiments ultramodernes, de calibre mondial.

Le président : Certainement pas, mais nous ne pourrions pas les vendre à qui que ce soit.

M. Milner : Non.

Le président : C'est un test; si nous avions pu en vendre quelques-unes ailleurs, nous aurions...

M. Milner : Je n'en suis pas certain. La vente de bâtiments de guerre, en particulier, à l'étranger est extrêmement difficile.

Le président : C'est évident.

M. Milner : Le Canada construit généralement de gros bâtiments ultramodernes, entièrement équipés, très complexes. C'est trop pour les besoins de la plupart des marines. Ces bâtiments sont trop gros; leur rayon d'action est peut-être trop vaste; leur armement est plus complexe que ce que les acheteurs cherchent. J'ai suivi certaines des discussions concernant les efforts en vue de vendre les FCP, et c'était fort intéressant. Les Américains n'en achèteront pas parce qu'ils construisent des frégates dotées d'armes antiaériennes, des frégates anti-sous-marins et des frégates sol- sol. Ils ont des utilisations différentes pour des bâtiments de dimensions similaires, alors c'est un peu difficile.

En outre, pour la marine, je ne peux pas imaginer que le gouvernement s'approvisionnerait à l'étranger. Comme l'un de mes contacts dans la marine me le disait, il a fallu plus de temps et plus d'effort pour obtenir du gouvernement qu'il consacre, combien était-ce... 750 millions de dollars à l'achat de quatre sous-marins d'occasion que pour le convaincre de construire la frégate de patrouille canadienne, parce qu'il s'agissait vraiment d'un achat national. Les marines ont toujours eu cette mentalité. J'enseigne surtout l'histoire navale. Vous pouvez remonter jusqu'au début des années 1600, lorsque les pays d'Europe ont commencé à constituer des marines professionnelles permanentes, vous constaterez que la construction se faisait toujours dans le pays. Les seuls qui ont acheté à l'étranger, d'ailleurs à une autre époque, étaient les Hollandais, parce qu'ils avaient beaucoup d'argent et qu'ils pouvaient acheter les navires là où ils les trouvaient.

Toutes les grandes marines — si l'on peut dire que la marine canadienne est une grande marine — ont toujours construit au pays, pour stimuler l'économie locale et parce que les délais de livraison sont si longs et les retombées industrielles des objectifs stratégiques, si importantes que vous voulez tout faire chez vous.

Je devrais ajouter, peut-être avec une pointe de malice, que je rédigerai sans doute un jour un article à ce sujet. La marine canadienne n'a jamais réussi à faire construire des bâtiments à contrat sans qu'il y ait des liens avec un chantier naval quelconque au Québec. Si je devais présenter une recommandation à la marine aujourd'hui, je dirais « Trouvez un chantier naval au Québec et vous aurez l'effet multiplicateur dont vous avez besoin. » Cela remonte à l'époque de Laurier.

Le président : Je vois. De toute évidence, les responsables dans la marine s'en sont rendu compte il y a longtemps, mais je crois que cela demeure difficile. C'est un peu comme de dire « Voici le volet politique, le coût politique à payer si nous voulons aller de l'avant. » À mon avis, le contribuable n'en bénéficie pas à long terme. Si nous avions un programme de construction de navires permanent pour la Garde côtière et la marine, un programme qui tiendrait les chantiers maritimes occupés et qui mettrait un navire en chantier tous les ans ou tous les huit mois, le rythme a peu d'importance, cela serait logique. Toutefois, il me semble que si vous planifiez de recruter un chantier comme la Davie, à Québec, qui n'a pas de personnel et qui ne construit plus rien depuis des années, je pense que vous vous moquez de la collectivité. Vous lui dites « Revenez, faites de la formation, achetez de l'équipement, nous allons vous donner du travail pour cinq ans. Ensuite, vous pourrez retourner chez vous cultiver la terre. » Je pense que c'est un mauvais tour à jouer à la population.

M. Milner : Je suis d'accord. Il serait bon d'avoir une politique nationale de construction de navires qui permettrait au gouvernement de construire sa propre flotte, suivant un certain cycle, mais nous ne prévoyons pas le faire et nous ne l'avons jamais fait.

Le président : Oui, mais si vous recensez ce dont nous avons besoin, vous constaterez que nous n'avons pas suffisamment de travail pour plus d'un chantier naval. Nous ne pouvons donc pas accorder de contrats en régime concurrentiel. La démarche n'est pas logique.

Nous en revenons — et là encore, c'est le thème de toutes mes interventions — aux affectations opérationnelles périodiques de la milice, aux emplois pour les étudiants de l'université, et à l'obligation d'acheter au pays pour mobiliser l'appui de la population. Il me semble que nous n'arrivons pas à vraiment justifier cette option, que les contribuables en ont beaucoup plus pour leur argent si nous achetons des produits du commerce, aux prix les plus intéressants.

M. Milner : Je suis plutôt d'accord avec vous. Très certainement, dans les années 70, lorsque la marine dépérissait, on affirmait que toute la flotte pouvait être remplacée en 18 mois environ si l'on achetait des produits finis en Europe, mais le coût national de cette mesure était énorme. Le dernier programme de construction de bâtiments a effectivement été lancé pendant une récession. Cela est tout à fait particulier dans l'histoire du Canada. En règle générale, nous construisons en période de croissance économique. Ce dernier programme a été mis sur pied pendant une récession et a été utilisé pour le développement économique. C'était remarquable.

L'industrie navale, d'après ce que je constate, est en perte de vitesse depuis cette époque. Nous parlons de ressusciter une industrie dont il ne reste pas grand-chose, à un coût énorme, j'en conviens.

Le sénateur Banks : Monsieur, j'aimerais revenir à votre idée d'utilisation de la milice. En réfléchissant à ce projet, vous avez découvert qu'aucune loi n'exigeait qu'un poste soit protégé. Parlez-nous-en un peu. Devrions-nous adopter une telle loi?

M. Milner : Je crois que nous le devrions, cela va de soi. J'ai suivi ce dossier, et pas simplement pour ce projet en particulier; j'ai participé aux travaux de divers comités. J'ai siégé au comité consultatif du ministre sur les collèges militaires pendant des années et j'ai collaboré aux travaux de bien d'autres organisations, et pendant toute la période au cours de laquelle j'ai travaillé avec les Forces armées canadiennes, cette question revenait toujours. Je pense simplement qu'il faut un certain leadership national. Je reconnais que ce n'est pas une panacée. Il y a des façons de contourner la loi. Les gens sont mis à pied. Toutefois, il faudrait qu'il s'agisse non seulement d'une loi, mais d'un élément de changement culturel.

Le sénateur Banks : Certains soutiennent que si vous êtes membre de la milice, vous n'aurez pas d'emploi de toute façon?

M. Milner : Cela se peut fort bien. Je pense que, évidemment, l'employé et la culture du secteur font toute la différence. Si vous croyez que ce que vous faites est important et que l'unité locale de la milice est une bonne organisation, alors avec un peu de chance la population vous appuiera. Toutefois, il est vraiment difficile de proposer aujourd'hui à un employeur de protéger le poste de quelqu'un pendant trois ans. J'admets que c'est un grave problème et je n'ai pas de solution toute faite à vous proposer.

Le sénateur Banks : Si vous aviez une petite entreprise, vous comprendriez très bien cette préoccupation.

M. Milner : Oui, il vous faudrait accepter que cette personne s'absente, bien sûr. C'est un problème sérieux.

Le sénateur Day : Monsieur Milner, j'aimerais que vous développiez un peu ce que vous m'avez dit pendant notre discussion. Vous avez dit qu'il était peut-être temps que l'armée bénéficie à son tour des largesses du gouvernement. Nous parlions du rôle de l'aviation et de la marine. Il y a eu des discussions pour que les divers éléments cessent d'aller à tour de rôle réclamer leur dû afin d'acheter l'équipement dont ils ont besoin; il faut aller un peu plus loin et décider si les forces armées de l'avenir seront fondées sur l'Armée de terre, appuyée par l'aviation et la marine. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Milner : Eh bien, à mon avis ce serait une grave erreur, mais je ne suis peut-être pas tout à fait objectif parce que j'ai consacré ma vie à l'histoire navale. Les marines ont un immense éventail d'options. Vous pouvez envoyer un bâtiment de guerre dans un pays à titre d'ambassadeur. L'arrivée d'un navire est souvent interprétée comme la manifestation d'intentions pacifiques. Lorsque vous envoyez un bâtiment dans un port, ce bâtiment devient un instrument de souveraineté.

Le sénateur Day : La diplomatie.

M. Milner : La diplomatie, c'est exact. En règle générale, vous n'envoyez pas une escadrille de chasseurs si vous voulez signifier une intention pacifique. Vous ne déployez pas un bataillon d'infanterie pour indiquer que vous venez en paix. Toutefois, vous pouvez envoyer un bâtiment sous grand pavois, les matelots alignés sur le pont, et c'est une démonstration de puissance mais également une manifestation de votre souveraineté dans un port étranger. Cela signifie « Nous voici ». Ce navire est une parcelle du territoire canadien.

Je ne pense pas que le gouvernement souhaite se départir de cette capacité, ni que cela soit souhaitable. Je ne pense pas que le gouvernement doive ou puisse nier la nécessité de maintenir une force aérienne, en particulier pour le transport et les patrouilles de souveraineté et qu'il puisse s'en défaire. Il est peut-être malheureux de se dire que c'est au tour de l'armée, parce que je pense que la marine est sans doute sur le bon pied à court terme, même si elle a besoin de ces nouveaux bâtiments, quel que soit leur nom.

Le sénateur Day : Les navires de ravitaillement?

M. Milner : Oui, les navires de soutien logistique en mer, qui, en principe, devraient appuyer l'armée afin de celle-ci ne se retrouve pas avec l'essentiel de son équipement moderne immobilisé quelque part au large de Terre-Neuve. La force aérienne a besoin d'un peu d'aide. Le budget alloué aux contrats d'immobilisation de l'armée semble relativement modeste si on le compare à celui des actifs et des aéronefs de la marine. L'armée a besoin de personnel, elle a besoin d'un répit; il lui faut intégrer le nouveau système de VBL 3, parce que ce véhicule cause de sérieux problèmes. Je l'ai vu à la base. Quand vous éliminez les chars pour adopter les nouveaux systèmes de combat à haute vitesse sur VBL, le reste de l'armée ne peut plus se déplacer aussi rapidement que le personnel à bord de ces nouveaux VBL 3. L'organisation du champ de bataille moderne devient donc très complexe, sur le plan conceptuel et concrètement. Je pense toutefois que le terme est mal choisi car il existe des besoins urgents, en particulier dans la force aérienne. Il faut vraiment en changer.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Milner. Il est très agréable de venir à Saint John et nous sommes toujours heureux de vous accueillir en tout premier lieu. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir communiqué vos points de vue aujourd'hui. Nous espérons vous revoir.

M. Milner : Je vous en prie. C'est moi qui vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter. Je vous souhaite des délibérations fructueuses. Cette question est épineuse. J'ai consacré toute ma carrière à réfléchir à la façon de convaincre les Canadiens de l'importance des forces armées, et je suis impatient de connaître vos conclusions.

Le président : Notre prochain témoin est M. de Vries. Soyez le bienvenu, monsieur de Vries. Vous êtes un fanfariste à la retraite, et vous avez servi au sein de la Musique du Royal Canadian Regiment; vous nous avez été chaudement recommandé par le vice-président du comité. Vous voulez d'abord nous présenter quelques points de vue, brièvement, et nous sommes impatients de les entendre. Par la suite, nous aurons une brève conversation avec vous.

L'adjudant chef Nicolaas de Vries, (ret.), à titre personnel : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, distingués visiteurs, j'ai préparé un bref exposé. Je m'appelle Nicolaas de Vries. Je suis arrivé ici en 1955 avec un contingent hollandais de 200 musiciens, pour fonder quelque 16 musiques professionnelles dans les forces armées. J'ai été assigné à la Musique du Black Watch, stationné à Halifax, en Nouvelle-Écosse. À une certaine époque, nous étions 20 musiciens hollandais. Des soldats professionnels s'exclamaient parfois « Des Hollandais en kilt! »

Pendant mon affectation à la Musique de l'Artillerie royale canadienne, à Montréal, j'ai obtenu un baccalauréat en musique à l'Université McGill, en 1970. Je veux aussi ajouter que la plupart de nos musiciens étaient toujours actifs sur la scène musicale locale; certains dirigeaient des chorales, d'autres jouaient dans des orchestres locaux ou des orchestres symphoniques, donnaient des cours privés ou enseignaient dans les écoles et les universités. Tous étaient très engagés dans le milieu des arts et de la culture à l'époque. Ils apportaient une contribution consciencieuse.

Je veux surtout souligner que la plus ancienne et la plus prestigieuse musique militaire, la Musique du Royal Canadian Regiment, fondée en 1908, une Musique qui se produisait dans toutes les écoles pour les enfants, pour les élèves, qui était de toutes les grandes cérémonies civiles et militaires et qui participait aux festivals d'été et d'hiver dans la province, a été retirée au Nouveau-Brunswick. Elle a disparu. De fait, il n'y a plus aucun groupe musical professionnel du calibre de la musique militaire dans la province.

Cela a créé un immense vide. Le général qui a pris cette décision a déclaré que tout pouvait se faire avec des cornemuses. J'imagine qu'il suivait ses ordres, lui aussi. Vraiment, je vous le demande, on peut tout faire avec des cornemuses? Si tel est le cas, on peut aussi tout faire avec des flûtes à bec, des musiques de cadet, des ukulélés et des bombardes. Je blague — mais pas tout à fait.

Les gens, et en particulier les soldats, ont besoin de musique. La musique est un réconfort et peut aussi favoriser la paix mondiale. Oui, c'est vrai.

Je veux aussi mentionner que la population du Nouveau-Brunswick, et même du Canada dans son ensemble, connaît mal la musique. Personne ne sait ce qu'est une clé de sol; personne ne sait comment transcrire Joyeux anniversaire ou Ô Canada en notes sur une portée. Rares sont ceux qui connaissent le prénom de Beethoven ou qui savent qui sont Dave Brubeck et Stan Kenton. On ignore ce qu'est le swing, le jazz ou même le blues, et cetera. Tout le monde connaît les BareNaked Ladies, les Grateful Dead, les Crash Test Dummies, Shania Twain et Céline Dion, surtout les jeunes et les élèves, et c'est très bien; mais peut-être pas si bien après tout.

Le système d'éducation musicale est souvent désorganisé, mis de côté, annulé minimisé. Pourtant, la musique est une forme artistique vénérable, grandiose, élevée. On l'adore, on l'utilise pour souligner les naissances et les décès, dans les films, dans les rengaines publicitaires à la télévision, pour le sport, les concerts, les danses, pour chanter, dans les mariages, les dîners, les banquets, les spectacles. La liste est interminable.

Platon, Aristote ont déclaré il y a longtemps que les cieux, l'univers tout entier, débordaient de sons et d'harmonies. Peut-on en douter? Comment se fait-il que la musique ne soit pas une priorité dans les programmes? Les élèves d'aujourd'hui, il me semble, ont droit au hip hop, au rap et au world beat à large dose. Est-ce que cela en fera des dirigeants nationaux et mondiaux inspirés? Est-ce qu'ils voudront la paix? Eh bien, mesdames et messieurs, je crois fermement que la musique, les musiques militaires et le système d'éducation, y compris les universités, peuvent favoriser la paix mondiale. Il suffit d'écouter la 9e symphonie de Beethoven, qui contient en son milieu le plus bel hommage à la paix jamais composé, L'hymne à la joie. De toute façon, il y aura toujours de l'espoir.

En passant, les universités aux États-Unis ont prouvé hors de tout doute que les étudiants en musique et les personnes qui jouent d'un instrument ont un surcroît de capacité de 35 p. 100 en ressources intellectuelles, en perception spatiale et mathématique, en mémoire et en créativité.

Je songe en particulier aux soldats professionnels, qui comptent parmi les citoyens les plus dévoués de notre pays, dans la plus importante base militaire d'Amérique du Nord, en particulier dans la province du Nouveau-Brunswick, et qui n'ont plus les services ni le soutien de la musique pour leurs cérémonies et défilés militaires officiels. Même les officiers, lors de leurs dîners régimentaires historiques, utilisent aujourd'hui des marches régimentaires enregistrées sur bande ou sur CD. À mon avis, c'est une honte.

J'ai deux remarques à ajouter. La première est que l'élimination des musiques a miné la fierté et l'esprit de corps. Les musiques sont un outil de recrutement et un lien entre la collectivité et les forces armées; pour les enfants, ce sont des fenêtres ouvertes sur les forces armées, des sources de fierté nationale. Le Royal 22e a conservé sa musique parce qu'il en paie les frais en puisant dans ses propres fonds, d'après ce que je sais.

Une musique de cinq ou six musiciens, de neuf ou 10, de 20 ou 25, suffit pour les dîners régimentaires, les défilés, les concerts. Le leadership est lié non pas au grade mais à la valeur. La musique est l'âme des forces armées. Elle est leur conscience. Elle stimule le désir d'aider, d'assurer, de secourir ses frères humains, de les sauver et de les protéger. La musique alimente le courage, la fierté du travail bien fait et la fierté personnelle. Elle favorise l'harmonie et la camaraderie dans la famille des forces armées canadiennes et l'amour de Dieu et de la patrie.

Ma deuxième remarque est la suivante : a) le recrutement de jeunes musiciens dans les forces armées canadiennes a été considérablement réduit, et il n'y a plus de moyens pour former ces jeunes musiciens prometteurs; b) en principe, la Musique Stadacona devait prendre la relève au Nouveau-Brunswick. Elle est venue ici trois, quatre ou cinq fois en huit ans. C'est vraiment toute une relève. c) le coût de la musique était autrefois d'un million de dollars par année, aujourd'hui il est de deux à 2,5 millions. Le coût du programme de contrôle des armes à feu, comme vous le savez, a atteint un milliard de dollars.

Merci beaucoup. J'ai terminé mon exposé.

Le président : Merci, monsieur de Vries. Aucun membre du comité ne s'étonnera que le premier à vouloir poser une question soit le sénateur Banks.

Le sénateur Banks : Je n'ai pas de question, je veux simplement dire è l'adjudant que je suis d'accord avec lui. Il a parfaitement raison. Je suis heureux de pouvoir vous dire que la Musique de l'Artillerie royale canadienne a survécu, elle est installée à Edmonton, où j'habite, et elle va très bien. C'est une excellence musique.

Ce que vous dites de la musique dans le système d'éducation est tout à fait vrai, bien sûr, mais vos remarques doivent être adressées à un organisme provincial plutôt qu'au comité, parce qu'en vertu de la Constitution, cela n'est pas de notre ressort.

J'étais maître de cérémonie lors du dernier concert de la Musique du Princess Patricia's Canadian Light Infantry Band. C'était l'une de ces excellentes musiques qui ont été démembrées après 1994. Le public était triste, en particulier parce que depuis la création du régiment, la musique de la police municipale d'Edmonton s'était enrôlée dans le Princess Patricia's et avait formé son premier ensemble; elle était même allée outre-mer avec le régiment.

Je suis d'accord avec vous sur tout ce que vous avez dit. J'aimerais simplement préciser, à l'intention de mes collègues du comité, que les Américains, pour faire une comparaison détestable, utilisent les musiques militaires comme outil de recrutement et de relations publiques, et ce, avec une grande efficacité. Je me demande si vous croyez comme moi que les Forces canadiennes n'ont jamais vraiment exploité ce potentiel. Elles n'ont pas su voir que les musiques et leurs diverses activités — elles ne font pas que rythmer les défilés, mais très certainement aussi de cette façon — sont un outil de relations publiques et de recrutement extrêmement efficace.

M. de Vries : Oui, tout à fait.

Le sénateur Banks : Je vais reprendre cette horrible comparaison dont le témoin précédent a parlé, lorsque l'on demande à la population « Voulez-vous une armée plus forte ou voulez-vous un autre appareil IRM? Nous faut-il un avion à réaction, un hélicoptère ou un tomodensitomètre? » S'il faut choisir entre le renforcement des musiques aux dépens de quelque chose d'autre, en supposant que les budgets de l'armée, de la marine et de la force aérienne soient fixés, que proposez-vous d'éliminer pour financer une musique? Aurons-nous un hélicoptère en moins, une batterie d'artillerie, un navire? Comment procéderions-nous si nous devions faire ce choix? C'est une question horrible, détestable, et qui ne tient pas, mais c'est une question qui est posée.

M. de Vries : C'est une très bonne question. Je n'y ai pas réfléchi, mais j'imagine que je sacrifierais un soldat, un char de combat et un petit bâtiment. Quel que soit le coût, je ferais passer la musique en premier. Pour moi, un régiment de 800 militaires pourrait encore fonctionner avec 750 membres s'il fallait faire ce choix. Toutefois, je ne voudrais pas que l'on réduise quoi que ce soit, il vaudrait mieux avoir un peu plus d'argent pour tout préserver et pouvoir ajouter la musique.

Le sénateur Banks : Vous qui avez de l'expérience, quelle serait la taille idéale pour une musique militaire? Vous avez dit qu'il suffisait de neuf musiciens pour un dîner régimentaire, mais on ne peut pas se contenter de neuf musiciens dans un défilé.

M. de Vries : Non. Autrefois, les musiques comptaient 55 membres. Elles étaient énormes, très imposantes, et nous avons lentement commencé à réduire le nombre de musiciens. Vers la fin, nous n'en avions plus que 29 plus un. Depuis que j'ai pris ma retraite, j'ai participé à bien des activités similaires avec cinq personnes. J'ai fait des défilés, des concerts, même des dîners régimentaires. Nous avons été très applaudis, peut-être parce que nous sommes excellents; je ne suis pas certain. Au dernier dîner régimentaire dans un mess des officiers — bien sûr, ils ont dû me payer un peu pour le faire —, nous avons été très applaudis pour chaque morceau que nous avons joué. J'ai recruté tous les jeunes qui avaient suivi des cours de musique dans le système d'enseignement. J'ai fait ce genre d'activités avec un quatuor et j'ai dirigé moi-même des défilés avec ma clarinette. On me demande « Comment peux-tu faire cela? » Eh bien, cela se fait. Une grosse caisse et une clarinette suffisent pour mener un défilé, et c'en est presque ridicule.

Le sénateur Banks : Cela ne vous satisferait pas pleinement?

M. de Vries : Bien sûr que non. Toutefois, bien des prestations peuvent être faites avec cinq ou sept musiciens. Vous le savez aussi bien que moi. Les grands ensembles peuvent faire tellement. Ils peuvent diriger des parades, jouer dans les soirées dansantes, donner des concerts de jazz — tout est à leur portée.

Le sénateur Banks : Si vous étiez le chef et que vous pouviez créer une musique au Nouveau-Brunswick, est-ce que vous la baseriez à Gagetown?

M. de Vries : Ce serait à Gagetown ou quelque part à Fredericton, et je donnerais la priorité parfois aux militaires et parfois aux civils. Il y a tellement de travail à faire que je pense que cette musique aurait cinq engagements par jour.

Le sénateur Banks : Vous avez parlé de la Musique Stadacona et vous avez dit qu'elle était venue cinq ou six fois en huit ans.

M. de Vries : Elle ne vient pas. On nous avait dit, lorsque la Musique du RCR s'est tue et qu'elle a été retirée de la province, que la Musique Stadacona prendrait la relève. Je ne sais plus trop qui a dit cela, mais je l'ai entendu. En huit ans, j'ai vu cette musique trois, quatre ou cinq fois, et elle n'était venue que parce que les cadets avaient jeté l'ancre pour le Fredericton. La musique était là, j'ai envoyé la main à tous les musiciens, je m'en souviens. Sinon, nous ne les voyons jamais, alors cette promesse de « relève » était un pieux mensonge, et la population ici n'a jamais fait appel à cette musique. Bien sûr, la Musique Stadacona est excellente, mais elle est basée en Nouvelle-Écosse et elle ne veut pas venir ici, au Nouveau-Brunswick, alors nous ne la voyons jamais.

Le sénateur Banks : Lorsque la Musique du RCR était ici, où était-elle stationnée?

M. de Vries : Nous étions stationnés ici même, à la BFC Gagetown. Nous étions logés dans le théâtre de la base. Lorsque la base a été créée, en 1955 — et là je vous révèle un secret —, on m'a montré les plans et il y avait une salle pour la musique qui devait être construite, mais les 3 000 dollars nécessaires, je crois, ont été accordés à Moose Jaw pour construire là-bas une salle de musique, et nous n'avons pas eu de salle. Les musiques qui étaient à Gagetown étaient stationnées au sous-sol et au dernier étage du théâtre. Cela créait de nombreux problèmes et je pourrais vous en parler pendant une heure, mais je ne crois pas que cela vous intéresserait énormément. Finalement, en 1985, nous avons été logés dans l'ancien mess des officiers qui a été transformé en une véritable salle de musique, mais six ou huit ans plus tard le bâtiment a été fermé et de nouveaux quartiers pour les officiers ont été construits.

J'ai cherché ma salle de musique et je me souviens d'avoir demandé « Qu'est-ce qui s'est passé? » La salle avait disparu. Ils l'avaient démolie.

Le sénateur Banks : Merci, adjudant.

Le sénateur Meighen : Monsieur de Vries, je dois vous dire que votre mention des Hollandais en kilt m'a rappelé un beau souvenir. Le 5 juin dernier, à la veille des célébrations du Jour J en France. J'ai rencontré un grand nombre de Hollandais en kilt. Ils jouaient tous de la cornemuse. Ils étaient tous vêtus des uniformes régimentaires canadiens de la Seconde Guerre mondiale, ceux du Seaforths, du Black Watch ou du RCR. Ils défilaient dans des véhicules d'époque de la Seconde Guerre mondiale. Je peux vous dire que ce sont eux qui ont donné toute leur atmosphère aux cérémonies canadiennes en France, les 5 et 6 juin. Bien sûr, leur anglais était si parfait que pendant un bon moment nous avons cru qu'ils étaient tous Canadiens.

Permettez-moi de vous poser une question. Vous avez parlé, si je vous ai bien entendu, d'un coût de deux à 2,5 millions de dollars pour recréer une musique?

M. de Vries : Non, c'est le coût de la musique par année.

Le sénateur Meighen : Par année?

M. de Vries : Oui, c'est le coût total.

Le sénateur Meighen : Quelles dimensions aurait cette musique?

M. de Vries : Ce serait une musique de 29 membres plus un, une musique de 30 musiciens.

Le sénateur Meighen : Très bien. Supposons que, pour reprendre l'analogie du sénateur Banks, vous êtes le roi et vous voulez que cela se fasse, mais vous ne disposez que d'un certain montant d'argent, ce qui est toujours le cas, pourquoi ne pas faire appel aux unités de la milice, qui ont déjà un certain soutien musical, et les renforcer pour fournir le service que nous souhaitons tous?

M. de Vries : J'y ai beaucoup réfléchi, et la milice ne peut pas remplacer une unité de musiciens professionnels disponibles le jour et en soirée, toute l'année. La milice ne vient que lorsque cela fait son affaire ou le soir. Là encore, je ne fais pas de reproche à la milice. Les miliciens sont très bien, mais ils ne peuvent pas remplacer les services fournis pendant la journée, en général, alors les prestations de jour sont hors de question. Tous les miliciens travaillent, ils viennent en fin de semaine. Je ne suis pas particulièrement amateur des musiques de la milice pour diverses raisons, et je ne vais pas commencer à les énumérer ici. Toutefois, la musique de la milice ne peut pas fonctionner comme une musique professionnelle qui vient sur appel et qui peut aller partout au bon moment.

Le sénateur Meighen : Lorsque vous étiez musicien dans les forces régulières, deviez-vous, vous et les gens de votre groupe, assumer des fonctions autres que les fonctions musicales?

M. DeVries : Seulement vers la fin de ma carrière, lorsqu'il a fallu nous entraîner avec des carabines et des masques à gaz. On nous appelait l'unité de défense de la base. Les Russes ne sont jamais venus lorsque j'y étais, alors je n'ai pas été appelé. Je ne devrais sans doute pas parler ainsi, au sujet des Russes. C'était une plaisanterie.

Le sénateur Meighen : Ils ont eu peur de vous.

M. de Vries : Je retire mon commentaire. À la fin, la musique était utilisée comme une force de défense si l'on avait vraiment besoin d'elle, et je ne trouvais rien à redire à cette situation, mais cela ne nous plaisait pas particulièrement.

Le sénateur Meighen : Merci beaucoup, monsieur de Vries.

Le président : Monsieur de Vries, je tiens à vous remercier d'être venu témoigner ici. Vous avez attiré notre attention sur un aspect qu'aucun autre témoin n'a jamais abordé depuis trois ans que nous siégeons au sein du comité. C'est un aspect important, et le comité va y réfléchir. Si vous n'aviez pas pris l'initiative de venir aujourd'hui, je ne suis pas certain que nous aurions pu nous pencher sur cette question. Votre contribution nous est très utile, et nous vous remercions d'être venu. Merci, monsieur.

M. de Vries : Merci beaucoup.

La séance est levée.


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