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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 12 - Témoignages du 14 février 2005


OTTAWA, le lundi 14 février 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour se pencher et faire rapport sur la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte. Je suis heureux de vous accueillir à cette audience du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, le comité entendra des témoignages sur l'examen de la politique canadienne en matière de défense.

Tout d'abord, laissez-moi vous présenter les membres du comité. À ma droite, l'éminent Michael Forrestall, sénateur de la Nouvelle-Écosse. Il représente la circonscription de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député de la Chambre des communes, puis à titre de sénateur. À la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'opposition pour la défense, de 1966 à 1976. Il est aussi membre de notre Sous-comité des Anciens combattants.

À ses côtés se trouve le sénateur Jim Munson, de l'Ontario. Journaliste respecté, il a été directeur des communications pour le premier ministre Chrétien avant d'être appelé à se joindre au Sénat en 2003. Le sénateur Munson a été mis en nomination à deux reprises pour un prix Gemini pour l'excellence de son travail journalistique.

À ma gauche se trouve le sénateur Tommy Banks de l'Alberta. Le sénateur Banks préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui vient de déposer son rapport intitulé « Le défi d'une tonne ». C'est un musicien polyvalent et un animateur bien connu des Canadiens. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux Olympiques d'hiver de 1988. Il est officier de l'Ordre du Canada et lauréat d'un prix Juno.

À ses côtés le sénateur Jane Cordy de la Nouvelle-Écosse. C'est une éducatrice accomplie qui a de nombreuses réalisations à son actif dans la collectivité; elle a entre autres été vice-présidente de la Halifax/Dartmouth Port Development Commission. Elle est présidente de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN et membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Enfin, à ses côtés, le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick. Il est vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, et membre de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est membre du Barreau du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec, ainsi que de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Il a également été président-directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.

Notre comité est le premier comité sénatorial ayant pour mandat d'examiner la sécurité et la défense. Le Sénat nous a chargé d'examiner le besoin d'établir une politique relative à la sécurité nationale. Nous avons commencé notre examen en 2002, et produit trois rapports cette année-là : L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février; La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, en septembre; et Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : vue de bas en haut, en novembre.

En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier; et Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre.

En 2004, nous avons déposé deux rapports supplémentaires : Les urgences nationales : le Canada, fragile en première ligne, en mars; et, tout récemment, le Manuel de sécurité du Canada, Édition 2005.

Notre comité se penche sur la politique canadienne en matière de défense. Au cours des prochains mois, le comité tiendra des audiences dans toutes les provinces, et échangera avec les Canadiens en vue de déterminer quel est leur intérêt national, quelles sont les principales menaces perçues pour le Canada et comment ils aimeraient que le gouvernement réagisse à ces menaces. Le comité tentera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada, et d'établir un consensus quant aux besoins en matière de force militaire, et au type de militaires que veulent les Canadiens.

Notre premier témoin ce matin est M. Dan Ross. Il est sous-ministre adjoint, Gestion de l'information, au ministère de la Défense nationale. Il occupe ce poste depuis février 2004. Auparavant, il était sous-ministre délégué et de la direction des Opérations des Travaux publics et Services gouvernementaux.

De 1999 à 2002, alors brigadier-général au sein des Forces canadiennes, il a été détaché auprès du premier ministre, où il a exercé les fonctions d'adjoint du conseiller diplomatique du premier ministre et directeur des Opérations pour le Sécretariat de la politique étrangère et de la défense du Bureau du Conseil privé. De 1997 à 1999, il était commandant du Secteur de l'ouest de la Force terrestre, à Edmonton. Il est diplômé du Collège de la Défense nationale et du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes. Les membres du comité vous souhaitent la bienvenue, monsieur Ross. Nous croyons savoir que vous avez une brève déclaration à nous présenter.

M. Dan Ross, sous-ministre adjoint (Gestion de l'information), ministère de la Défense nationale : Je tiens à vous remercier de cette occasion de comparaître devant votre important comité sénatorial. J'espère être en mesure de contribuer à vos délibérations.

Le Groupe de gestion de l'information de la Défense nationale est responsable du fonctionnement des systèmes de commandement et de contrôle stratégiques et de gestion de l'information pour le ministère et pour les Forces canadiennes. Je tiens à préciser que ma mission ne comprend pas la prestation des systèmes de commandement, de contrôle, de surveillance ou de reconnaissance tactiques, qui sont normalement la responsabilité du Groupe des matériels, sous la responsabilité de l'Armée, de la Marine et de la Force aérienne, ou du sous-chef. Le groupe englobe deux unités opérationnelles : la Réserve des communications et le Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes.

Je suis le détenteur de l'autorité fonctionnelle pour formuler la doctrine, les politiques et normes en matière de gestion de l'information et de technologie de l'information pour la Défense nationale. Bien que je fournisse et gère des systèmes stratégiques et que j'appuie l'infrastructure dans la région de la capitale nationale, le Groupe de gestion de l'information n'assume ni le contrôle ni la gestion de l'infrastructure de technologie de l'information à l'extérieur d'Ottawa.

Pendant l'année 2003-2004, la Défense nationale a dépensé 845 millions de dollars pour la gestion de l'information et de technologie de l'information non tactiques; de ce montant, environ 55 p. 100 étaient sous la responsabilité de gestion centrale de mon groupe, et le reste était pris en charge par d'autres sous-ministres adjoints ou l'Armée, la Marine ou la Force aérienne.

La Défense nationale a un effectif d'environ 4 000 employés, composé à parts quasi égales de militaires et de civils, employés dans des fonctions de gestion de l'information et de technologie de l'information non tactiques. Ces employés ne sont pas membres d'unités opérationnelles comme le Régiment des transmissions interarmées des Forces canadiennes, les escadrons de transmission de la brigade ou la Réserve des communications. Certains d'entre eux ont peut-être un lien direct avec les systèmes stratégiques nationaux qui soutiennent les opérations.

Mon groupe compte environ 4 000 militaires et civils, dont 2 000 réservistes à temps partiel de la Réserve des communications et 900 employés — même si on l'a établi à 900 personnes, il ne fonctionne pas à pleine capacité — dans le Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes, ou GOIFC. Le GOIFC est un organe opérationnel distinct. Il a deux principales fonctions, soit la prestation de renseignements sur les transmissions à l'état-major interarmées et l'appui à nos commandants à l'étranger qui dirigent les opérations déployées, et l'exploitation d'un Centre des opérations des réseaux qui surveille nos réseaux 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 365 jours par année. Il est relativement nouveau. Il est devenu une unité des Forces canadiennes l'automne dernier.

Notre capacité de défendre nos réseaux est robuste et s'adapte constamment pour faire face aux menaces sophistiquées et qui évoluent rapidement. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Centre de la sécurité des télécommunications sur les renseignements de transmission et sur la défense du réseau informatique.

L'autre organe opérationnel, la Réserve des communications, est une formation distincte des Forces canadiennes composée d'un petit état-major, de cinq groupes organisés sur une base régionale, de l'est à l'ouest, et de 23 unités de la taille d'un escadron situées dans les dix provinces, de St. John's, à Terre-Neuve, jusqu'à Victoria, en Colombie-Britannique.

Mon personnel ici à Ottawa, soit environ un millier d'employés, gère les normes, l'architecture, les politiques et les exigences en matière de gestion de l'information. Nous exploitons tous les gros systèmes de gestion intégrée, les SGI. Nous assurons aussi la réalisation professionnelle de projets portant sur la plupart des nouveaux systèmes de gestion de l'information, et nous exploitons et appuyons tous les réseaux, systèmes radio stratégiques, services de télécommunications classifiés et non classifiés de la Défense nationale, mais — je tiens à préciser — pas les télécommunications locales des bases et escadres. Nous sommes aussi en train de mettre en œuvre un modèle d'entreprise de la gestion de l'information dans toutes les FC et au ministère, qui englobe la transformation de nos systèmes de gestion intégrée pour en assurer la pleine fonctionnalité d'entreprise pour tous les gestionnaires — j'entends par cela qu'ils n'offrent pas actuellement un soutien utile en matière de gestion du personnel à tous les gestionnaires —, en adoptant un système commun de messagerie électronique, de systèmes d'exploitation et des réseaux communs et une base de logiciels commune sur tous les postes de travail.

Voilà un aperçu du Groupe, de notre organisation, de notre mission et de nos responsabilités. C'est une fonction exigeante de soutien de l'une des organisations les plus vastes et les plus diversifiées du gouvernement fédéral. Nous avons de sérieux défis à relever, comme la mise en place d'une technologie pouvant être intégrée à un environnement de l'information complexe, et le maintien de ces systèmes de GI qui ont besoin d'un soutien tous les jours, 24 heures sur 24. Les coûts d'entretien à l'égard de ces systèmes dépassent toujours ceux de la mise en place.

Monsieur le président, j'explorerai volontiers avec vous ces aspects et tout autre domaine pouvant vous intéresser.

Le président : Merci beaucoup, monsieur. Je laisse le sénateur Munson poser la première question.

Le sénateur Munson : Bonjour, monsieur. Pour les Forces armées, les technologies de l'information constituent un défi de taille, et rien ne se déroule jamais sans heurts. Pourriez-vous nous fournir des exemples de bons coups et d'échecs?

M. Ross : Je commencerai par les bons coups. Comme c'est le cas pour toute organisation d'envergure, le ministère a dû faire ses premiers pas, effectuer des investissements et apprendre des choses au sujet de la gestion de l'information et des technologies de l'information, de l'avènement des ordinateurs jusqu'aux jours où on tentait d'investir dans de gros systèmes pour gérer nos besoins en matière de RH, de finances et de matériel. Comme c'est le cas pour toute organisation d'envergure, sans exception, cette évolution a toujours été marquée par un passage de la prise de décisions axée sur un domaine cloisonné à l'examen de ce qui confère un caractère unique à cette chose. Dans certains cas, la démarche a été plutôt fructueuse. Par exemple, nous sommes dotés d'un système financier plutôt bien adapté au besoin de gérer les obligations redditionnelles du ministre devant le Parlement et de rendre compte des dépenses du ministère. Nous avons établi des fonctions similaires dans le cas de nos RH. Du côté opérationnel, des réseaux et des systèmes radio robustes ont été mis en place. J'en arrive maintenant aux aspects qui ne se sont pas si bien déroulés. C'est parce que nous sommes à mi-chemin sur la voie de l'intégration des systèmes. Nous pourrions intégrer les systèmes ou investir dans un seul système de gestion nous permettant de prendre des décisions sur, par exemple, une mission en Afghanistan. Cela nous permettrait de disposer d'informations précises sur les coûts, sur l'emplacement de nos véhicules, sur nos pièces de rechange, et sur la disponibilité des personnes possédant les bonnes compétences, y compris l'information permettant de déterminer si ces personnes sont revenues de leur mission précédente depuis au moins 12 mois. Nous pourrions adopter une perspective globale à l'égard de la mise sur pied d'une force pour une mission donnée.

Pour l'instant, nous devons toujours faire cela en isolement, c'est-à-dire avec peu de systèmes d'information qui communiquent entre eux. On ne peut consigner l'information relative aux pièces de rechange et offrir l'accès à cette information au personnel du sous-chef d'état-major de la Défense ou au commandant de l'armée, de façon à ce qu'ils puissent prendre connaissance de la disponibilité de pièces de rechange pour le Coyote, et, de même, à ce qu'ils puissent déterminer à quel endroit se trouvent des soldats disponibles possédant les compétences nécessaires, de quelle unité ils font partie, et à quel moment ils sont revenus de leur dernière mission. Bref, nous commençons par les mises en œuvre cloisonnées, et nous progressons vers une intégration réelle des systèmes de gestion de l'information qui servent tous les commandants et les gestionnaires de façon uniforme.

Le problème, c'est qu'il est difficile d'intégrer après coup un système à l'égard duquel on a investi beaucoup d'argent. Notre démarche consiste à interrelier certains de ces systèmes afin d'assurer l'intégration réelle et la transmission horizontale de l'information entre ces systèmes, et, finalement, à en arriver à la « fusion », c'est-à-dire à l'achat d'un système complètement intégré. On achète un bon système qui est facile à soutenir. On achèterait seulement les mises à niveau périodiques d'un seul système, et on n'aurait, essentiellement, qu'à consigner les données une seule fois. Il est précis, et il peut être utilisé par quiconque en a besoin, là où on en a besoin.

Le sénateur Munson : Est-ce que les militaires se retrouvent dans la même situation que toute autre organisation, c'est-à-dire qu'ils mettent en place un nouveau système, que tout fonctionne plutôt bien, et que, soudainement, après un an ou deux, le système est désuet?

M. Ross : Je dirais que oui. Nous sommes exactement dans la même situation que de grandes organisations comme PeopleSoft ou SAP, qui offrent de grands systèmes, ou même des TI de base concernant les téléphones cellulaires. On parle d'une durée utile d'environ trois ans. On se retrouve ensuite dans la situation où le fournisseur lance une nouvelle version, et, après un certain temps, il cesse de soutenir les versions antérieures que vous avez achetées. Je ne suis pas certain de la durée utile dans le cas de PeopleSoft, mais on parle normalement d'une période de trois ou quatre ans.

Il faut prévoir des investissements continus pour les mises à niveau, et prévoir et payer les permis d'utilisation quotidienne ainsi que les services de maintenance et de soutien mineurs au quotidien pour ces systèmes, pour veiller à ce que la base de données fonctionne tous les jours. Cela ne peut se faire à rabais. Pour veiller à ce que ces systèmes continuent de fonctionner, il faut acheter ces mises à niveau.

Le sénateur Munson : Une dernière question pour moi : vous dites que ce système est coûteux. Estimez-vous que le budget qui vous est consenti vous permet d'offrir les capacités souhaitées?

M. Ross : Le ministère et les Forces y affectent 845 millions de dollars. À la lumière de mes 12 mois de service ici, j'estime que l'investissement de la défense est suffisant. Je ne recommanderai probablement pas que le ministère investisse davantage dans ce genre de chose. Tirons-nous le maximum de ces 845 millions de dollars? Non, je crois que nous pouvons investir de façon plus intelligente. Nous pouvons passer à des systèmes uniques dotés d'une plate-forme de soutien unique. Nous pouvons probablement utiliser moins de militaires dans le cadre de ces activités auxiliaires liées aux TI, et affecter une partie de ce personnel militaire au soutien opérationnel, ou à des unités de première ligne. Pour le même investissement au cours des quatre ou cinq prochaines années, nous pourrions jouir d'un meilleur service au chapitre de la GI/TI, mais pas à un coût supérieur.

Le sénateur Banks : Monsieur Ross, je suis d'Edmonton, et nous n'avons que de bons souvenirs de votre présence ici. J'espère qu'il en va de même de vos souvenirs de l'Ouest.

Je poursuis exactement là où le sénateur Munson s'est arrêté. Le passage de systèmes verticaux à des systèmes horizontaux est un problème non pas d'argent, mais bien de temps.

Ai-je bien compris? Vous avez besoin de plus de temps pour le faire?

M. Ross : C'est ça. C'est essentiellement un problème lié aux exigences. Je vous donne un exemple : nous avons des centaines de systèmes financiers au ministère, car les commandants de base, les commandants régionaux et les chefs de bataillon doivent gérer leur budget, leur planification budgétaire, et les contrats dans le cadre desquels ils dépensent de l'argent. Ils sont tenus de rendre des comptes, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques. Ces mêmes personnes doivent consigner tous les jours les mêmes renseignements dans le système de gestion financière du ministère. Je signale cela dans les exigences. Si on comprend les besoins en matière de gestion financière d'un chef de bataillon, d'un commandant régional, d'un commandant d'escadre, et on s'assure que le système ministériel répond pleinement à leurs besoins — et il est peu probable que les besoins varient beaucoup d'un endroit à l'autre —, on peut, avec le temps, et avec le même investissement, voire moins, adopter un système unique offrant à tous ces gestionnaires financiers des fonctions efficaces de contrôle financier, de contrôle budgétaire et de planification opérationnelle.

Avec le temps, en gérant les besoins des gens et en nous montrant attentifs aux besoins des unités de campagne, des bases, des escadres et des garnisons, nous espérons pouvoir fournir un soutien intégré à l'égard d'aspects comme la planification et la gestion financières. Le temps est venu de le faire; cela n'exigera pas beaucoup plus d'argent. De toute façon, il en coûterait tout autant d'acheter une autre version du système ministériel actuel. Tant qu'à effectuer ce changement, aussi bien veiller à satisfaire aux exigences de tous nos gestionnaires et dirigeants.

Le sénateur Banks : Dans le domaine où j'évoluais, j'ai constaté que le matériel devenait désuet aussitôt acheté. On se procure le produit le plus récent, et dans le temps qu'il faut pour le mettre sur pied, il a été remplacé par quelque chose de plus efficace et de moins coûteux.

M. Ross : Cela s'applique davantage aux lecteurs de MP3 que les jeunes utilisent, ainsi qu'aux téléphones cellulaires et autres appareils du genre. Cela s'applique peut-être moins aux grands systèmes de GI : ces derniers sont généralement fondés sur un logiciel, de sorte qu'il suffit de modifier le code ou d'en ajouter.

Le président : Dans l'intérêt du public, nous ferions mieux d'éviter d'utiliser des acronymes.

M. Ross : Les systèmes de GI sont des systèmes de gestion de l'information. J'ignore que ce que signifie l'acronyme MP3. Je sais que mon fils en a un.

Le sénateur Banks : Je n'était pas certain, mais je crois avoir compris. Je veux m'assurer que je fais bien la distinction entre ce que vous faites, d'une part, et ce qui se fait sur le terrain, d'autre part. Je crois comprendre que la gestion de l'information et les communications — puisque vous parlez également de communications — prend fin lorsque quelqu'un se rend sur le terrain pour faire quelque chose, qu'il s'agisse d'intervenir à l'occasion d'une tempête de verglas ou de tenter de rétablir la paix à Kaboul. Ai-je bien compris? Vous êtes du côté administratif de tout cela?

M. Ross : Le lien est stratégique. Nous assurons le fonctionnement d'un nombre important de réseaux classifiés, ainsi que celui d'un réseau non classifié vraiment global, auquel sont reliés tous les ordinateurs. Nous nous occupons également des radios haute fréquence à longue portée et des communications à longue portée par satellite qui permettent de communiquer avec un commandant de brigade à Kaboul. Toutefois, les radios tactiques qu'on trouve dans un véhicule Coyote ou dans un véhicule blindé de combat à Kaboul sont la responsabilité de l'Armée, qui les achète directement par l'entremise d'un groupe des matériels.

Le sénateur Banks : N'y a-t-il pas de bonnes raisons de lier directement ces deux choses?

M. Ross : Il y a une bonne raison. Ils doivent être liés. Je tentais de mettre en relief le fait que nombre de nos systèmes nationaux ne sont pas reliés entre eux, ce qui force le commandant local ou le commandant déployé à utiliser plusieurs terminaux pour tenter de transmettre sur divers réseaux son information relative aux RH, aux pièces de rechange, aux munitions et au réapprovisionnement. Les réseaux n'interagissent pas comme ils devraient le faire, ou de la façon dont nous voudrions qu'ils interagissent.

Le sénateur Banks : Cela s'inscrit dans les efforts d'intégration horizontale que vous décrivez.

M. Ross : C'est ce que nous appelons la « gestion intégrée ».

Le sénateur Banks : Vous dites que vous vous chargez de tout ce qui se passe à Ottawa, mais pas ailleurs?

M. Ross : Effectivement.

Le sénateur Banks : Est-ce ce que vous tenterez de faire, ou est-ce la façon dont cela devrait être fait?

M. Ross : Au début des années 90, avant certaines des compressions occasionnées par l'examen des programmes, il y avait une organisation, le Commandement des communications, qui faisait cela, d'un océan à l'autre. L'organisation a été dissoute, et ses responsabilités et budgets ont été confiés à l'Armée, à la Marine et à Force aérienne.

Le sénateur Banks : Pourquoi?

M. Ross : Pour habiliter les commandants locaux, comme moi, lorsque j'étais à Edmonton, à trouver les moyens les plus économiques d'offrir un soutien de base aux bases, aux garnisons ou aux escadres. Dans un grand nombre de cas, la démarche a très bien fonctionné. On n'avait pas le choix, évidemment. L'argent dont on disposait auparavant n'était plus là, de sorte qu'il a fallu recourir à la sous-traitance, mettre un terme à certaines activités, fermer des édifices; on a fermé énormément de bases et de stations.

J'en arrive donc au point que vous soulevez : si on rétablissait cette structure, je ne crois pas pouvoir faire beaucoup mieux que ce que font actuellement les commandants de partout au pays. Est-ce que le secteur privé pourrait faire mieux? Pourrions-nous y parvenir avec moins de personnel militaire dans ces édifices à bureaux et dans l'infrastructure? C'est une question qui devrait être étudiée et envisagée. Nous devons comprendre exactement combien d'argent nous dépensons, et comment nous le dépensons, avant de déterminer quelles options s'offrent à nous. S'ils n'en tenait qu'à moi, je n'envisagerais pas la possibilité de rétablir le Commandement des communications.

Le sénateur Banks : Lorsqu'on achète une pièce d'équipement de série, ou même une pièce qui a été conçue aux fins d'une application commerciale très large — encore une fois, je me fonde non pas sur votre domaine, car j'ignore tout de votre domaine, mais bien sur celui où j'ai évolué —, j'ai constaté que, quand on se dit que le produit qui correspond le plus à nos besoin n'est pas tout à fait adapté, et qu'il faut le modifier pour s'assurer qu'il correspond exactement à nos besoins, on se retrouve toujours avec un produit qui empêche presque toute amélioration subséquente. Lorsqu'on tente de reprogrammer le produit ou de l'assortir d'un nouveau module, l'intégration de ces nouvelles améliorations est difficile. Êtes-vous confronté à un tel problème?

M. Ross : Exactement, c'est un problème important. La plupart des grands systèmes de série offerts dans le commerce ont été conçus par IBM ou PeopleSoft ou une autre société, pour les entreprises. Il faudra donc apporter de légères modifications pour adapter le système à un organisme gouvernemental dont les impératifs de rentabilité sont différents.

Le sénateur Banks : On ne pourrait pas qualifier vos activités de commerciales.

M. Ross : Nos fonctions sont différentes. Si on envisage, par exemple, la gestion des ressources humaines dans le contexte de la défense nationale, le système utilisé serait fondamentalement différent de celui qu'utilisent l'industrie et la fonction publique. Les Forces canadiennes fournissent des promotions au même niveau. On peut promouvoir un lieutenant-colonel au rang de lieutenant-colonel et l'affecter où bon nous semble. Aucun système de RH offert sur le marché ne permet de faire cela. C'est un système totalement différent.

Il faut adapter certaines fonctions à nos besoins, mais faire attention de ne pas aller trop loin. Il y a d'autres fonctions à l'égard desquelles l'adaptation doit se faire de façon beaucoup plus prudente. Au bout du compte, cela correspond tout simplement à une augmentation des coûts. Lorsque vient le temps d'acheter la nouvelle version du logiciel d'un fabricant de renom, il faut reprendre l'adaptation. C'est le codage personnalisé, ainsi que le soutien connexe, qui occasionne des coûts énormes. L'industrie aime le fait qu'on veuille personnaliser, car l'achat de la version originale d'un logiciel est relativement peu coûteux. C'est au moment de la personnalisation que ça devient payant.

Le sénateur Cordy : Monsieur Ross, j'aimerais parler des réservistes et du Groupe de gestion de l'information. Vous dites que le groupe compte 4 000 employés, dont la moitié, environ 2 000, seraient des réservistes. Pourriez-vous fournir des précisions en expliquant au comité le rôle que jouent ces réservistes au sein des Forces canadiennes?

M. Ross : La Réserve des communications et leur commandant relèvent directement de moi-même, et je suis absolument ravi d'avoir ce rôle. C'est l'une des réserves uniques : il y a des réserves de l'Armée, de la Force aérienne et de la Marine, mais également une Réserve des communications.

Le sénateur Cordy : Elle est donc distincte des trois autres?

M. Ross : Oui. Ils portent habituellement l'uniforme distinctif de l'armée, et nous avons conclu une entente de soutien spéciale avec la Force terrestre, mais il s'agit d'une réserve distincte.

Comme je l'ai déjà signalé, elle est composée d'un petit état-major, d'une force régulière et d'une unité des transmissions, commandés par un colonel. Ils relèvent tous de moi. Nous avons récemment mis la dernière main à une restructuration organisationnelle afin d'uniformiser les cinq groupes régionaux et de veiller à ce qu'ils constituent une composante relativement modeste et très efficiente de la force régulière, et soient viables à long terme.

Le sénateur Cordy : Sont-ils tous à Ottawa?

M. Ross : Non, les groupes régionaux sont partout au pays. Les états-majors de ces groupes sont situés à Victoria, Edmonton, Kingston, Montréal et Halifax, sous le commandement de lieutenants-colonels de la Réserve, et les 23 escadrons, dont l'un est toujours de la taille d'une troupe, sont répartis partout au pays, toujours selon une organisation très uniforme, sous le commandement d'un major. Il s'agit d'une organisation de la taille d'une compagnie, 100 personnes, dirigée par un major ayant pour sergent-major d'escadron un adjudant-maître, et les sous-unités sont dirigées par des capitaines. Ils disposent tous d'un équipement relativement uniforme. Il est, pour la plupart d'entre eux, relativement moderne, c'est-à-dire que l'achat remonte à 2000 ou à plus récemment.

J'aimerais commenter brièvement le volume de l'effectif. Tous les groupes jouissent d'un effectif robuste. Certains endroits éprouvent plus de difficultés, comme Sydney, en Nouvelle-Écosse, ou le nord de l'Ontario. Par contre, ils ne sont pas confrontés à une concurrence aussi féroce de la part des unités de réserve de l'Armée. J'avancerais que, de façon générale, ils jouissent tous de capacités solides, en ce qui concerne les ressources humaines. J'ajouterais également que leur approche à l'égard de la formation et de l'augmentation de la force régulière leur a permis de se doter d'un effectif robuste affichant des capacités professionnelles élevées.

Depuis des décennies, la Réserve des communications a délibérément tenté de maximiser les occasions d'affecter à temps plein un réserviste des communications à une unité opérationnelle de la force régulière; il s'agit d'une affectation d'agent fonctionnel non pas à l'état-major, mais bien au régiment des transmissions, d'une affectation à temps plein au sein d'escadrons des transmissions de la brigade, en vue d'un déploiement opérationnel à l'étranger.

Par exemple, la Réserve des communications a déployé 314 personnes en mission à l'étranger au cours des 30 derniers mois, sur un effectif à temps partiel de moins de 2 000 personnes. L'an dernier, elle a fourni 74 000 jours-personnes de soutien aux unités de la force régulière et aux activités opérationnelles. Cette approche, qui consiste à utiliser les budgets pour maximiser la participation réelle au fonctionnement de la force régulière au quotidien, lui a permis de veiller à ce que le niveau de compétence, de formation et d'employabilité demeure très élevé. Par exemple, nous soutenons toujours la moitié des communications dans le cadre de l'OP DANACA, sur le plateau du Golan. C'est une importante organisation de communications de l'ONU, et la Réserve des communications compte toujours pour la moitié de ce personnel, soit de 15 à 20 personnes environ, et nous en assurons le fonctionnement à long terme. Cela permet d'atténuer la pression subie par le régiment des transmissions de Kingston et par les escadrons de la brigade. Nous faisons cela grâce à un budget annuel de 29 millions de dollars.

Le sénateur Cordy : Les personnes qui joignent les rangs de la Réserve des communications arrivent-elles avec un certain bagage de compétences en communications, ou est-ce qu'elles apprennent sur le tas?

M. Ross : La plupart des gens ne possèdent aucune compétence en communications à leur arrivée. Il s'agit, pour la plupart, de diplômés du secondaire ou d'étudiants de niveau universitaire à la recherche d'un emploi d'été ou d'un emploi pendant leurs études. Nombre de ces personnes finissent par travailler dans le domaine des TI par la suite.

Le sénateur Cordy : Qui est responsable de former le personnel des communications dans les réserves et la Force régulière?

M. Ross : Le sous-ministre adjoint, Matériels, le vice-amiral Jarvis, a une école d'électronique et de communications à Kingston qui est le centre d'expertise en matière de formation relative aux communications et aux technologies de l'information. Il est responsable du perfectionnement professionnel et de la formation des membres de la force régulière et des réserves. Chaque été, je tiens, à l'intention de nos réservistes, un stage d'instruction collective d'été sur les compétences militaires de base, à Kingston, en Ontario, et à Shilo, au Manitoba, afin qu'ils puissent acquérir des compétences de base qu'un soldat apprendrait à son arrivée. Ensuite, de façon permanente, les commandants offrent, toute l'année durant, des programmes de formation au cours desquels ils forment collectivement leurs équipes.

Le sénateur Cordy : Vous avez mentionné, plus tôt, que vous formez un certain nombre de réservistes, et que nombre d'entre eux se dénichent un emploi dans l'industrie des technologies de l'information. Je sais que, vers la fin des années 90, on offrait des salaires énormes dans le secteur privé. À quel point est-il difficile de maintenir en poste les réservistes et la force permanente des communications?

M. Ross : Lorsque je visite mes unités — et j'ai visité au moins une fois chacune des 23 unités de partout au pays depuis mon entrée en fonction — , je m'informe toujours du rendement au chapitre du maintien en effectif et du rendement par rapport au bataillon de réserve avec lequel l'unité partage une armée, et la quasi-totalité d'entre elles affichent un rendement supérieur. Elles ne considèrent pas cela comme un problème grave. La majorité de nos escadrons doivent recruter environ 10 personnes par année pour maintenir leur effectif. Environ la moitié de ces gens passeront à la force régulière, alors ce n'est pas une perte. Ces personnes jouissent bien souvent d'une formation très pointue; elles ont bénéficié d'une formation équivalente à celle de la force régulière, et passeront directement au rang de caporal ou de caporal-chef à leur entrée dans la Force régulière, ce qui constitue un atout énorme pour la Branche des communications. Quatre ou cinq autres personnes quitteront pour un emploi dans le secteur civil, ou quitteront les réserves. Certaines unités éprouvent de plus en plus de difficultés à former des officiers ou des sous-officiers supérieurs, mais cela varie d'un endroit à l'autre.

Je dirais que, de façon générale, nous faisons bonne figure au chapitre du maintien en effectif. Toutefois, nous devons travailler d'arrache-pied afin qu'on s'assure de recruter les 10 personnes dont nous avons besoin; il faut déployer beaucoup d'efforts pour maintenir l'effectif.

Le sénateur Cordy : S'ils restent, c'est qu'ils doivent aimer leur emploi.

M. Ross : Je crois qu'ils comprennent qu'il est avantageux de savoir manier une arme — chose que les jeunes hommes de 18 ans aiment faire — , mais qu'il est encore plus avantageux de pouvoir aussi miser sur un poste radio ultramoderne à sauts de fréquence, et sur un poste de commandement pleinement équipé. Ils ont accès à la fois aux outils de pointe et à la formation militaire de base, vont sur le terrain, utilisent des armes à feu et des mitraillettes, et ainsi de suite. C'est un avantage pour nous.

Le sénateur Cordy : J'aimerais maintenant parler d'interopérabilité, en particulier avec nos alliés de l'OTAN. On a déjà mentionné la rapidité avec laquelle les technologies de l'information évoluent. Pourriez-vous nous dire comment nous nous tirons d'affaire à ce chapitre, particulièrement à l'égard des pays de l'OTAN et des États-Unis?

M. Ross : C'est une grande priorité pour les Forces canadiennes. L'un des mes officiers généraux et moi-même représentons le Canada au sein de l'OTAN et d'autres comités et organismes voués à la normalisation, avec les États-Unis, l'Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. Nous prenons cette question très au sérieux. Il faudrait que je réponde à cette question au cas par cas. Notre interopérabilité avec la marine américaine est extrêmement importante et efficace. Cela constitue un défi de taille, en raison du rythme d'évolution de nos alliés et de leurs technologies et systèmes d'information. Cela constitue tout un défi en ce qui concerne la mise à niveau des technologies de l'information sur nos navires. Dans le contexte de l'armée, c'est très efficace. Évidemment, il n'y a pas de liens directs entre leurs systèmes et les nôtres; il y a des difficultés à ce chapitre, mais nous travaillons très efficacement avec nos homologues américains et nos autres alliés dans des endroits comme l'Afghanistan.

Pour ce qui est de la force aérienne, il s'agit largement de NORAD et de connectivité et d'interopérabilité de la défense aérienne régionale, laquelle est, encore, très efficace. Nous avons tendance à utiliser exactement les mêmes systèmes et les mêmes modes de communications.

Ce sera plus éprouvant à l'avenir. Les forces américaines, en particulier, investissent d'énormes sommes d'argent dans les technologies et la gestion de l'information. C'est tout un défi que de garder le rythme de cette évolution et d'assurer à tout le moins l'interopérabilité et la connectivité avec ces nouveaux systèmes lorsqu'ils sont mis en place. Nous devrons seulement travailler dur au cours des prochaines années.

Le sénateur Forrestall : Bienvenue, monsieur Ross. J'aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Cordy. Commençons avec votre capacité d'augmenter les forces permanentes. Au cours des deux dernières années que nous avons passées à examiner divers aspects de l'activité militaire au pays, nous avons entendu des témoignages de partout au pays, des forces terrestres, maritimes et aériennes, concernant les difficultés éprouvées à passer de la réserve aux forces régulières. Êtes-vous pris avec de tels problèmes? Dans l'affirmative, quelle est l'ampleur de ce problème?

M. Ross : Parlez-vous de ce que nous appelons le reclassement de la réserve à la force régulière?

Le sénateur Forrestall : Je parle, de façon très générale, du passage du statut de réserviste au statut de membre permanent des Forces.

M. Ross : Nos réservistes éprouvent parfois les mêmes difficultés, comme c'est le cas pour tout autre réserviste dans les Forces. La capacité du système de recrutement n'est pas aussi robuste qu'au début des années 90. Nous avons de la difficulté à obtenir des examens médicaux et des autorisations de sécurité, qu'il s'agisse d'un civil tout frais sorti de l'université ou d'un réserviste qui passe à la force régulière. Bien sûr, cela signifie que nous courons le risque de perdre cette personne lorsqu'elle reçoit une autre offre d'emploi, parce que nous n'avons pas effectué le travail administratif assez rapidement.

Le sénateur Forrestall : Est-ce que ces retards sont nécessaires? Ce doit être frustrant. Je puis vous assurer que ça l'est pour ces personnes qui veulent un reclassement, dans un sens ou dans l'autre.

En quoi cela influe-t-il, par exemple, sur le renforcement, lequel est, je suppose, l'un de vos principaux rôles? Est-ce que vous les envoyez volontairement, tout simplement? C'est peut-être préférable dans le cas d'un réserviste, car, de cette façon, vous allez le récupérer.

M. Ross : Je préférerais le garder.

Le sénateur Forrestall : Vous préféreriez les garder plutôt que d'avoir à les former de nouveau.

M. Ross : Oui. Dans un monde idéal, nous devrions être en mesure d'éliminer ces retards. Les examens médicaux et les autorisations de sécurité sont probablement plus nécessaires que jamais, mais le personnel modeste dont disposent les organismes de recrutement de partout au pays a beaucoup de mal à assumer la charge de travail que nous leur imposons. Je sais que vous avez parlé de l'expansion des Forces et de leur capacité, ou que vous comptez aborder cette question. Lorsque vient le temps d'apporter rapidement des changements, on est toujours limité par la taille de son appareil. L'appareil est constitué non pas de jeunes soldats, mais bien de sous-officiers ou d'officiers expérimentés, et il faut 10 ou 15 ans pour renouveler tout cela. Notre effectif est passé de 80 000 à moins de 60 000, et nous travaillons d'arrache-pied pour le gonfler de nouveau, mais l'appareil, la machine, n'est pas aussi imposante qu'elle l'était.

Le sénateur Forrestall : Est-ce que le problème s'applique dans l'autre sens?

M. Ross : C'est beaucoup plus facile dans l'autre sens.

Le sénateur Forrestall : De passer de la force régulière à la réserve?

M. Ross : Oui, c'est beaucoup plus facile, car la personne possède déjà une autorisation de sécurité, subit déjà un examen médical annuel, et ainsi de suite. Normalement, il suffit de transférer cette personne au statut de réserviste de Classe A, et on peut faire cela à l'échelon de l'unité. Lorsqu'on va dans l'autre sens, on travaille avec le Quartier général de la Défense nationale, les Ressources humaines et l'ensemble du système, de sorte que c'est beaucoup plus compliqué.

Le sénateur Forrestall : Advenant une poussée soudaine des besoins en effectif, combien d'hommes ou de femmes pourriez-vous mettre sur le terrain en 60 jours?

M. Ross : À l'heure actuelle, nous pouvons mettre sur le terrain un détachement de communication longue portée constitué de quatre ou cinq personnes très compétentes dans chaque escadron, en cinq ou six heures.

Le sénateur Forrestall : Une personne de chaque escadron?

M. Ross : De tous les 23 escadrons, avec un terminal à réaction rapide doté d'une radio HF à longue portée, d'une radio SATCOM à longue portée et de liens vers une radio VHF tactique, en six heures. Lorsque je parcours le pays avec le commandant de la Réserve des communications, il tient régulièrement des exercices d'évacuation d'urgence de ces escadrons en vue de déployer leur détachement à réaction rapide et de montrer qu'ils sont prêts à le faire, et ils le font toujours. Au chapitre de la réaction rapide, ils sont très compétents.

J'estime que, moyennant un préavis de six à 12 mois, la Réserve des communications pourrait affecter une sous-unité de la taille d'un escadron à une mission opérationnelle à l'étranger.

Le sénateur Forrestall : Et pendant combien de temps pourriez-vous soutenir cet effort?

M. Ross : On pourrait effectuer une rotation de six mois et, après une pause de un an, recommencer le tout. Nous affectons continuellement un nombre important de personnes, de façon individuelle. Moyennant un préavis d'environ un an, nous pourrions les regrouper et constituer un quartier général de la brigade et des escadrons de transmission, et faire cela pendant six mois.

Le sénateur Forrestall : Est-ce que vos hommes et vos femmes ont l'occasion de s'entraîner avec les forces régulières?

M. Ross : Ils possèdent la plupart de ces compétences, et nombre d'entre eux se sont entraînés avec l'école des transmissions, à Kingston, ou avec le régiment des transmissions. Il nous faudrait regrouper les compétences collectives à l'échelon de l'escadron, c'est-à-dire une organisation de 200 personnes dotée de tout l'équipement mis à la disposition d'un escadron des transmissions de la brigade. Cette instruction collective durerait environ un an.

Nos escadrons de réserve sont constitués d'environ 100 personnes, et on en rassemble de 50 à 60. On met l'accent sur les compétences à l'échelon du détachement. Il s'agit d'un détachement de cinq ou six personnes qui utilisent un terminal à réaction rapide avec des radios SATCOM et HF à longue portée. Cela n'a rien à voir avec le fait de rassembler 200 personnes et de gérer le commandement et le contrôle pour une brigade ou une formation opérationnelle. Les compétences sont là, mais l'instruction collective n'y est pas.

Le sénateur Forrestall : Puisque vous êtes les premiers arrivés, et comptez probablement parmi les derniers, en raison de votre rôle au chapitre des communications, comment vous défendez-vous sur le terrain? Je veux dire, en situation réelle.

M. Ross : Nous misons sur les compétences de base et les compétences de combat armé que les forces terrestres exigent de tous leurs membres, les mêmes compétences personnelles à l'égard du maniement d'armes.

Le sénateur Forrestall : Vont gens sont-ils formés au même niveau?

M. Ross : Absolument. Cela fait partie du programme de formation annuel que tout commandant d'escadron doit exécuter, dans tous les 23 escadrons.

Le sénateur Forrestall : J'aime toutes ces histoires de matériel à bonds de fréquence, et qu'est-ce qu'on en a, mon vieux. À qui versez-vous des droits de licence? Combien? Pourquoi?

M. Ross : Le matériel à sauts de fréquence? Je dois admettre que je ne possède pas de connaissances détaillées à cet égard. Cela relève du Groupe des matériels, qui se charge d'acquérir le système radio pour l'Armée. Je ne suis pas certain qu'ils acquittent des droits de licence. Je pourrais m'en informer et vous le confirmer.

Le sénateur Forrestall : Je ne sais pas si cela est important, mais il pourrait être important de savoir si vous en payez. Est-ce que cela provient de votre budget ou du budget de quelqu'un d'autre?

M. Ross : Je n'en paie pas.

Le sénateur Forrestall : Vous n'en payez pas?

M. Ross : Je ne paie ni les radios tactiques à sauts de fréquence ni des droits de licence.

Le sénateur Forrestall : C'est une chance. Que pouvons-nous faire d'autre pour vous ce matin? Je blaguais plus tôt, mais êtes-vous sur le point de créer un téléphone cellulaire magique? Je me rappelle que l'OTAN, il y a plusieurs années, avait dépensé beaucoup d'argent à tenter de répondre à de nombreuses questions qui nous auraient permis d'envisager cela. Y a-t-il eu une percée dans le domaine des technologies sans fil?

M. Ross : Je crois que si. La technologie sans fil est un domaine qui en a surpris plus d'un au cours des dix dernières années.

Le sénateur Forrestall : C'est épatant.

M. Ross : La question qui s'impose est la suivante : faut-il acheter des ordinateurs portables à 2 500 $ pour des gens qui ont besoin de consulter leur courriel, ou est-il préférable de leur donner un Blackberry ou un assistant numérique personnel permettant de naviguer sur Internet, de consulter son courriel à distance et d'avoir accès à un téléphone cellulaire tribande? À l'heure actuelle, on peut se procurer ces choses pour moins de 500 $. On peut remplacer l'ordinateur, l'ordinateur portable et le téléphone cellulaire d'une personne aujourd'hui. Cela fonctionne bien. La prochaine étape, bien sûr, consiste à se doter d'une capacité de téléphonie cellulaire cryptographique, et cela s'en vient aussi.

Le sénateur Forrestall : Bonne chance, monsieur. Merci d'être venu.

Le président : Monsieur Ross, pourriez-vous nous fournir des précisions sur votre déclaration selon laquelle, moyennant un préavis de six mois, vous pourriez produire 200 personnes? Avez-vous dit qu'on pouvait les affecter à l'étranger et les déployer pendant six mois?

M. Ross : Certainement. Chaque été, nous fournissons à l'Armée, pour ses stages d'instruction collective destinés aux réserves, un effectif, pouvant aller de grandes troupes jusqu'à des escadrons complets, pour soutenir leurs concentrations de la réserve du secteur, de la réserve terrestre. Par exemple, l'été dernier, nous avons déployé un effectif de presque 200 personnes à Petawawa. Il était statique; il était tactique, mais il ne s'est pas déplacé à plusieurs reprises au cours de la période d'instruction. Il a assumé toutes les fonctions d'une brigade. J'essayais seulement de dire que, moyennant un préavis suffisant, la Réserve des communications pourrait générer un tel effectif, mais seulement une fois au cours d'une période de 18 mois donnée, car l'effectif ne pourrait rester à l'étranger que pendant six mois, et on ne serait pas en mesure de remplacer cette unité pendant au moins 12 mois de plus.

Le président : Mais votre comparaison avec l'instruction estivale n'est pas tout à fait juste, n'est-ce pas? C'est prévisible. Vous planifiez d'avance. Si vous deviez déployer des gens à l'étranger, ce ne serait pas aussi prévisible. Disposez-vous de gens qui sont prêts à quitter leur emploi pour six mois? Peuvent-ils vraiment partir?

M. Ross : Oui, nous en avons. Comme je l'ai déjà dit, nous avons, au cours des 30 derniers mois, affecté 314 personnes à des missions de six mois à l'étranger.

Le président : Mais disposez-vous de 200 personnes qui peuvent partir moyennant un préavis de six mois?

M. Ross : Il faudrait leur donner un préavis de un an et planifier quelles personnes partiraient, de quels escadrons, de quelle région du pays. Il faudrait un major. Il faudrait que certains rangs soient représentés. Avec un préavis de douze mois, nous pourrions constituer un tel effectif de 200 personnes. Mais je le répète : ce ne serait pas durable. Ce serait une mesure ponctuelle, et on mettrait un temps considérable avant de recommencer. Parallèlement, nous n'acheminerions pas de personnes seules. On ne peut faire les deux. On n'affecte pas un nombre important de personnes en tout temps. On regrouperait ces nombreuses personnes afin qu'elles réalisent une mission, en tant qu'organisation collective. Je crois que les réserves terrestres font des...

Le président : Très peu.

M. Ross : Très peu. Notre organisation compte un peu moins de 2 000 personnes. Elle est, en réalité, plutôt modeste. Un effectif de 200 personnes correspond à 10 p. 100 de l'organisation, et c'est pour cette raison qu'il faut un préavis d'environ un an pour mettre sur pied un tel effort d'instruction collective.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Munson : Juste pour donner suite à la question du sénateur Kenny : vous avez parlé du fait d'avoir suffisamment d'argent. Avez-vous suffisamment d'employés à temps plein? Aimeriez-vous en avoir plus?

M. Ross : Je ne dispose pas d'un effectif à temps plein possédant les compétences et l'expérience de gestion — des majors, des lieutenants-colonels — dont nous avons besoin pour assurer l'exécution des projets. Il est plus facile d'aller chercher des gestionnaires de projet dans le civil. Encore une fois, l'offre n'est pas illimitée, et le processus de dotation est lent. Certains des projets que nous devons exécuter pour les Forces exigent un militaire gestionnaire de projet, et il est plutôt difficile d'en trouver un. Je pourrai avoir davantage de postes supposant l'affectation de militaires gestionnaires de projet, mais ce dont je dispose ne pourrait suffire à la tâche. On me donne environ la moitié des militaires gestionnaires de projet dont j'aurais besoin.

Le sénateur Munson : Pour faire votre travail encore mieux, combien de gestionnaires supplémentaires vous faudrait-il?

M. Ross : Il ne m'en faudrait pas beaucoup. Peut-être 50 à 60. Toutefois, il s'agit de personnes très expérimentées — des capitaines, des majors, des lieutenants-colonels —, et il n'y en a tout simplement pas.

Le sénateur Munson : J'ignore s'il est raisonnable de vous poser cette question, mais quelle est la capacité d'interopérabilité avec les autres forces lorsque vous êtes sur le terrain?

M. Ross : J'ai abordé cette question un peu plus tôt, dans une certaine mesure. L'interopérabilité, pour ce qui est de faire le travail au quotidien, est très bonne. Sur le plan purement technique, toutefois, elle n'est pas aussi forte qu'elle devrait l'être. Nous travaillons avec nos alliés en vue d'améliorer cela. La difficulté, bien sûr, tient au fait que nous tentons de trouver des solutions nationales, et que, parfois, même si nous sommes disposés à harmoniser nos solutions avec celles de quelqu'un d'autre, il n'est pas toujours possible de le faire de façon bilatérale. Puisque je ne suis pas directement responsable de cet aspect tactique, je me contenterai de dire qu'elle est efficace parce que nous misons sur des personnes très compétentes et jouissant d'une formation qui veillent à ce que les choses fonctionnent bien au quotidien.

Le sénateur Munson : Nous devons faire face à la réalité; il arrive parfois que les choses tournent mal. J'étais dans le bureau du premier ministre au moment où les lumières se sont éteintes, à l'occasion de la grande panne d'électricité qui a frappé l'Ontario. Franchement, c'était embarrassant, même avec l'alimentation de secours. À l'heure actuelle, dans les Forces armées, est-ce que votre organisation a apporté des changements aux sources d'énergie à la lumière de cette panne? J'espère pour ma part que le CPM l'a fait.

M. Ross : J'ignore ce qui a été fait au CPM, mais oui, nous avons pris des mesures. Nous travaillerons, au cours des trois prochaines années, en vue de veiller à ce que tous nos systèmes clés de commandement et de contrôle disposent au moins d'un approvisionnement de secours à 100 p. 100, de 200 p. 100 dans certains cas. Tout point de panne unique éventuelle liée à un incendie dans une pièce ou à une panne de courant dans un bâtiment sera éliminé. Nous travaillons encore à éliminer certains points de panne unique. De façon générale, ils ne concernent pas notre alimentation en énergie. Tous les problèmes à cet égard ont été résolus.

Le sénateur Munson : Avez-vous parlé d'une alimentation de secours de 200 p. 100 Qu'est-ce que cela signifie?

M. Ross : Supposons que vous êtes branché sur le réseau d'Ontario Hydro. Le premier échelon d'alimentation de secours permettrait d'éclairer le bâtiment et de l'alimenter en électricité, et on assortirait le centre de commandement d'une petite génératrice, de façon à lui offrir une deuxième source d'énergie de secours. Idéalement, on chercherait à assurer le maintien des activités du chef d'état-major de la Défense et d'un édifice au complet, mais si on n'y parvient pas, il faut être en mesure de faire fonctionner un centre de commandement de la Défense nationale ou d'autres installations de relève.

Le sénateur Munson : Pourriez-vous nous décrire brièvement la relation entre l'organisation du chef du renseignement, les communications, la sécurité et vos activités de collecte de renseignements d'origine électromagnétique?

M. Ross : Oui, je serais heureux de le faire. La relation est très étroite. Notre organisation des transmissions, enchâssée dans le Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes, exerce ses activités sous le régime du cadre et du mandat législatifs du Centre de la sécurité des télécommunications. Leurs analystes et nos sous-officiers des transmissions travaillent côte à côte chaque jour sur un grand nombre de tâches diverses. Nous fournissons du soutien au CST, le Centre de la sécurité des télécommunications, et nous sommes très attentifs à ses besoins; et nous donnons suite aux priorités et aux tâches qui nous sont confiées par le personnel de renseignement du groupe J2 qui travaille pour le sous-chef. Une part importante de ce travail concerne directement les commandants déployés en Bosnie et en Afghanistan, et ainsi de suite, mais le personnel du groupe J2 a toujours la possibilité d'établir une priorité différente ou de changer la tâche prioritaire confiée à notre personnel des transmissions. Je crois que la relation est extrêmement bonne.

Il y a certains aspects susceptibles d'amélioration. Il y a une initiative, qu'on appelle le modèle opérationnel du SIGINT, qui améliorera les aspects de cette relation liés aux capacités techniques — déterminer l'ampleur de la prochaine vague d'investissements, déterminer de quelles capacités nous aurons besoin dans deux ou trois ans, et qui sont différentes de nos capacités actuelles — ce qui permettrait peut-être d'assurer une planification de la force future sur deux ou trois ans au lieu de prendre les choses un jour à la fois, et de mieux faire le travail.

Le sénateur Munson : Juste un très bref commentaire : cela ne fait pas partie de l'ordre du jour de ce matin, mais je lisais le document de la Défense nationale, et on dit que les opérations d'information sont guidées par l'impératif militaire consistant à sauver des vies. Puisque nous parlons des aspects technologiques ce matin, je me demande si vous pourriez nous fournir des détails sur l'importance que vous accordez à cet impératif? Nous parlons de sauver la vie des gens. Nous semblons nous attacher au côté technique de la chose, mais je crois que nous oublions à quel point ces technologies sont importantes.

M. Ross : Dans certains ministères, ici à Ottawa, quand je parle à mes collègues, je découvre que la gestion de l'information est associée aux dossiers électroniques. Ce n'est pas le cas à la Défense nationale. À la Défense nationale, on comprend et on reconnaît pleinement le rôle habilitant clé de la gestion de l'information et des technologies de l'information.

Nous n'avons pas affaire à des téléphones et à des télécopieurs. Nos systèmes de commandement et de contrôle sont automatisés, branchés à des réseaux, et un agent d'état-major dans un endroit comme l'Afghanistan peut s'asseoir devant ce poste et accéder à notre réseau global en vue d'obtenir tout type d'information dont il a besoin. Il peut également, au moyen d'une machine similaire, accéder à un système classifié — qui ressemble à l'ordinateur que vous avez à la maison, avec des fenêtres et des menus déroulants — qui lui procurera de l'information sur des organisations et des systèmes d'armes, ou tout autre renseignement dont il a besoin.

Si on envisage un système d'armes déployé, comme le Coyote, et ses capacités technologiques, on apprend qu'il est possible de transmettre en direct des images vidéo au commandant, situé à 15 milles — ce que l'équipage du Coyote voit. La technologie vous permet de faire plus de choses, mais elle vous rend également plus dépendant.

Elle sauve également des vies, je crois. C'est un élément clé de la protection de la Force que de pouvoir assurer une surveillance et étayer ses renseignements. Les renseignements sur les transmissions sont un bon exemple. Avec la prolifération des dispositifs de communication, l'importance de ces renseignements va croissant, car les méchants utilisent la même technologie. Si on n'est pas actif dans ce domaine, et qu'on ne peut manipuler cette technologie à son avantage, on est désavantagé, et le personnel court inutilement un plus grand risque. Je crois que c'est pour nous un atout énorme.

Le président : Monsieur Ross, à quel point êtes-vous convaincu que vos systèmes de communication sont protégés? Comment mettez-vous à l'essai les dispositifs de sécurité? Comment savez-vous qu'ils sont efficaces?

M. Ross : Je dirais que les systèmes sont relativement sûrs. Nous prenons cette question très au sérieux, de concert avec le CST, qui est le centre d'expertise du gouvernement du Canada en matière de sécurité des TI.

Le président : Le Centre de la sécurité.

M. Ross : Le Centre de la sécurité des télécommunications. Il y a environ deux ans, on a créé le Centre d'opérations des réseaux des Forces canadiennes. On l'a créé à une seule fin : disposer d'un endroit à partir duquel nous pourrions contrôler et défendre tous nos réseaux clés — initialement à raison de 8 sur 24, mais, au cours de la dernière année, cela se fait en mode 24/7.

Le président : Que voulez-vous dire par 8 sur 24?

M. Ross : Huit heures par jour; maintenant, c'est 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par année. Au cours des 30 derniers mois, nous avons regroupé dans le même centre d'opérations la capacité de surveiller l'activité sur tous nos réseaux. Nous pouvons doter le centre d'outils électroniques permettant de cerner toute augmentation éventuelle de l'activité — par exemple, une personne qui tente de télécharger des images ou d'accéder sans autorisation à une machine à accès contrôlé. Nombre de ces outils sont offerts sur le marché, comme des pare-feux et certains autres termes du genre que vous avez déjà entendus. Certains de ces outils sont plus poussés que cela, et le Centre de la sécurité des télécommunications nous aide à les acquérir, à les installer et à les utiliser.

Cela ne suffit pas. Les menaces et le raffinement de ces menaces connaissent une croissance et une évolution beaucoup plus rapides que la cadence à laquelle les entreprises peuvent concevoir de nouveaux outils pour repérer les virus. C'est pour nous une grande priorité et une grande préoccupation. Au cours de la prochaine année, nous comptons renforcer la capacité du Centre d'opérations des réseaux des Forces canadiennes d'entreprendre davantage d'activités de défense et de neutralisation — c'est-à-dire contrer un virus ou un ver sur les réseaux classifiés — qu'à l'heure actuelle. Nous devons en faire un vrai centre d'expertise, et nous devons également établir une redondance de moyens et des dispositifs de sécurité, ce que nous faisons également.

Le président : À votre connaissance, votre système a-t-il déjà été infiltré par un pirate informatique?

M. Ross : Évidemment, il y a eu des intrus dans le domaine sans classification. Cela n'est pas du tout difficile à faire, car ce domaine est lié à Internet. Je ne pourrais vous dire, sur cette tribune, si l'intrusion est allée plus loin.

Le président : Je crois que vous venez de nous le dire, monsieur. Vous avez des installations de recherche et développement sur la guerre électronique à Shirley's Bay. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur le sujet?

M. Ross : Le centre de Shirley's Bay est une unité du Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes. C'est le troisième élément. Il s'agit d'une organisation interarmées — c'est-à-dire qu'elle concerne l'Armée, la Marine et la Force aérienne — de guerre électronique. Le centre travaille principalement sur la création de nouvelles capacités et sur la guerre électronique, de concert avec le milieu de la recherche et du développement.

Autrefois, pour l'Armée, la Marine et la Force aérienne, la guerre électronique n'avait rien à voir avec Internet. Il s'agissait, essentiellement, de radios, ou de radars — des appareils qui émettent des signaux électromagnétiques, où il était possible de brouiller le signal de quelqu'un ou de l'écouter en vue d'obtenir des renseignements. C'est ça la guerre électronique. C'est encore un aspect très important pour l'Armée, la Marine et la Force aérienne, car elles sont encore plus dépendantes des radios haute fréquence, des radars et des dispositifs de communications tactiques. L'une de leurs fonctions consiste à comprendre comment ces divers dispositifs sont utilisés par des pays de partout dans le monde. Tout appareil laisse une empreinte électronique. Par conséquent, il faut s'attacher à connaître toutes ces empreintes électroniques, car lorsqu'on se rend dans un endroit comme l'Afghanistan, ou ailleurs, on peut avoir affaire à des gens qui utilisent certains de ces appareils, et il faut pouvoir reconnaître leur empreinte électronique de façon instantanée, ou au moyen de technologies. Le centre effectue un travail important. C'est une très petite organisation qui compte environ 100 personnes. C'est plutôt modeste.

Le président : Quelle est l'incidence de ce travail sur le terrain? Notre comité a rencontré, à Kingston, un groupe évoluant dans le domaine de la guerre électronique. Les membres ne semblaient pas très contents. Ils semblaient démoralisés. Ils étaient très insatisfaits de leur équipement, dont une très faible part était en état de marche. Ils nous ont dit que s'ils pouvaient seulement aller dans un magasin d'électronique avec une carte de crédit, ils pourraient réparer beaucoup d'équipement. Avez-vous quelque chose à dire sur le sujet, monsieur?

M. Ross : Je ne peux fournir d'information exacte sur les capacités actuelles de l'unité de guerre électronique de l'Armée. C'est une unité relevant de l'Armée, et je n'ai aucune responsabilité à l'égard de cette unité. Nos responsabilités, en ce qui concerne notre centre de guerre électronique, consistent à fournir un soutien à ces unités de l'Armée, de la Marine et de la Force aérienne, surtout en ce qui concerne les logiciels et les banques de données. C'est le général Caron qu'il faut interroger en ce qui concerne la décision d'investir ou de ne pas investir dans ce domaine, par rapport à d'autres domaines prioritaires.

Le président : Comment pouvez-vous fournir ce soutien si vous n'êtes pas au fait des capacités des unités, et si vous n'êtes pas au courant, de façon constante, de leurs lacunes?

M. Ross : Nous sommes au courant. Les membres qui travaillent dans notre centre de guerre électronique proviennent normalement de ces trois environnements, et il s'agit normalement d'experts de la guerre électronique dans l'Armée, la Marine ou la Force aérienne, de sorte qu'ils connaissent les capacités actuelles. Ils connaissent les limites, et ils tentent de fournir le meilleur soutien possible en ce qui concerne les analyses et les bases de données.

Je ne peux ni m'ingérer dans les activités des trois environnements ni influer sur leur décision d'effectuer de nouveaux investissements dans leur capacité de guerre électronique. Je peux leur prodiguer des conseils, et leur fournir une aide technique, mais ça s'arrête là.

Le président : Mais vous conviendrez qu'il est absurde d'avoir un groupe de recherche chargé de mettre au point de nouvelles technologies susceptibles de favoriser notre progrès futur, et quand les gens censés faire cela ont de l'équipement qui ne fonctionne pas?

M. Ross : J'en conviens.

Le président : À qui devrions-nous parler pour trouver une solution?

M. Ross : La personne responsable de cela est le commandant des services, c'est-à-dire le chef d'état-major pour la Force aérienne, l'Armée et la Marine. Ils doivent également composer avec des contraintes et des exigences contradictoires à l'égard de nouveaux investissements. Je pourrais peut-être commenter un aspect touchant les opérations de la force terrestre. On comprend de mieux en mieux où il faut accroître la capacité en matière de renseignements tactiques sur les transmissions, et c'est justement le but d'une guerre électronique terrestre. Les renseignements tactiques sur les transmissions et leur importance dans le cadre de missions à l'étranger, comme en Afghanistan, sont très bien reconnus.

L'une des innovations que nous avons, par contre, c'est que j'ai une petite unité tactique de guerre électronique à Kingston, une organisation de la réserve qui se consacre à la guerre électronique. Nous avons soumis une proposition en vue de faire de cette unité un escadron de la force régulière, vouée à la guerre électronique, et de l'intégrer à l'organisation de la force régulière. Nous pourrions vendre une composante de la réserve et une de la force régulière, mais dans le but de mettre en commun la doctrine et la formation et d'examiner collectivement l'équipement qui sera confié à cette organisation combinée.

C'est une valeur ajoutée pour le SIGINT tactique, et cela peut donner de meilleurs résultats qu'à l'heure actuelle.

Le président : Merci.

Le sénateur Banks : Je reviens sur une question que nous avons déjà examinée. Je ne veux pas partir d'ici mal informé. Notre comité a dit beaucoup de choses au sujet de la durabilité des opérations de déploiement dans certains de ses rapports antérieurs, en particulier concernant les opérations très éloignées. Nous avons parlé des guerriers de métier. Nous avons fait cela, et maintenant, nous vous parlons du soutien fondamental essentiel à tout déploiement à l'étranger.

M. Ross : C'est exact.

Le sénateur Banks : Je crois comprendre que — et je veux m'assurer d'avoir bien compris cela — si vous deviez, si un effectif de la taille d'une brigade était déployé en Afghanistan, vous seriez en mesure, moyennant un préavis, de rassembler les 200 personnes nécessaires pour soutenir les communications opérationnelles pendant six mois, mais que cet effectif devrait retourner à la maison pour des raisons liées, évidemment, à la rotation. Cela signifie que si une force d'infanterie était replacée au même endroit, ils se retrouveraient soudainement dépourvus de capacité de communication.

Est-ce que cela veut dire qu'une opération des Forces canadiennes supposant le déploiement à l'étranger d'un effectif de la taille d'une brigade ne serait pas en mesure de durer plus de six mois parce qu'elle n'aurait aucune capacité de communication?

M. Ross : Non. La Réserve des communications affecte régulièrement un nombre important de personnes ou de petits détachements à ces missions à l'étranger. Normalement, le régiment conjoint des transmissions de Kingston, qui compte environ 800 personnes, et les escadrons des transmissions et des communications des brigades de l'Armée, qui comptent de 200 à 250 personnes, contribuent à ce potentiel militaire.

Le sénateur Banks : D'accord. Je vous interromps. Quand vous avez parlé des six mois, vous parliez des capacités de la réserve?

M. Ross : Évidemment, nous pourrions combler une plage dans une longue séquence de rotation, si on nous le demandait, mais seulement une.

Le sénateur Banks : Juste par curiosité, concernant le terme « interopérabilité » : quand la Marine, la Force aérienne ou l'Armée collabore avec les forces d'autres nations, on comprend aisément que les communications soient faciles lorsqu'il s'agit du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, mais je suis curieux d'apprendre ce qui se produit lorsque nous travaillons avec la marine allemande? Quelle langue parlons-nous?

M. Ross : Si c'est dans le contexte de l'OTAN, on parle l'anglais. Les officiers allemands sont toujours bilingues. Ils sont très bons.

Le sénateur Banks : J'ai une dernière question : vous êtes un général à la retraite qui travaille désormais au ministère et vous dites que le commandant de la Réserve — et, je suppose, du personnel à temps plein des communications — relève de vous. Que pensez-vous de l'idée, qui nous a été soumise et que nous avons examinée à plusieurs reprises, de séparer le commandement militaire du ministère de la Défense nationale? Nous avons le côté politique, gouvernemental, administratif d'un côté, et de l'autre, on a la structure de commandement des Forces, dirigée par des généraux. Évidemment, les deux côtés doivent être en mesure de se parler, mais, à l'heure actuelle, les liens sont si complexes et profonds qu'il est difficile — et je crois qu'il est raisonnable de dire, à notre avis — de veiller à ce que l'on dise « la vérité au patron », comme nous l'a rappelé le sénateur Forrestall. Quand nous cernons un problème, et quand nous voyons que ce problème a été résolu dans d'autres pays, nous constatons que les officiers militaires peuvent se présenter devant les politiciens et dire : « Voici ce qui ne va pas, et voici ce dont nous avons besoin pour résoudre le problème. » Au Canada, nous avons conclu que ce n'est pas autant le cas. Je crois qu'il est raisonnable de dire cela. Pourriez-vous seulement commenter, de façon générale, dans la mesure du possible, cette affirmation selon laquelle il faudrait séparer ces deux entités? Je vous pose une question à laquelle vous ne pouvez pas vraiment répondre, je suppose. Mais, si c'est possible, pourriez-vous y répondre?

M. Ross : C'est une question épineuse, et j'ai servi dans les Forces pendant 30 ans et quatre jours. J'ai commencé très jeune. Je dirais qu'au Quartier général de la Défense nationale, il y a des officiers et des bureaucrates qui travaillent ensemble tous les jours. Je déteste le mot « bureaucrate », mais je suppose que j'en suis un. Il y a trois officiers généraux placés sous ma responsabilité directe, ainsi que mon chef d'état-major, deux brigadiers-généraux et le commandant du bureau des communications, qui est colonel, et selon moi, cette relation est très saine. Nous faisons très attention au moment d'exercer les pouvoirs que confèrent la Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux, en ce qui concerne la discipline et autres aspects. Nous sommes très prudents à cet égard. Par exemple, s'il y a un problème de discipline au sein de la Réserve des communications, le colonel travaille avec mon Chef d'état-major, qui est contre-amiral, à l'égard du tribunal militaire et de ce genre de chose. La démarche a été très soigneusement établie et définie.

Votre question générale était difficile pour moi, car je me demandais si vous étiez d'avis qu'un officier général peut se permettre d'être aussi communicatif devant un comité permanent. C'est peut-être une question que vous devriez poser au général Hillier, ou au ministre.

Le sénateur Banks : C'est ce que nous ferons. Merci.

Le sénateur Cordy : Je me demande, lorsque vous planifiez l'achat ou la conception de matériel de TI, qui est vraiment responsable de le faire? Le faites-vous vous-même, ou est-ce que vous travaillez de concert avec les commandants de l'Armée, de la Marine et de la Force aérienne? Qui a le dernier mot sur ce que vous obtenez, et qui dresse la liste des choses que vous aimeriez avoir?

M. Ross : Je n'achète ni ne conçois rien pour le groupe de la GI. Le groupe de la GI est tout simplement une organisation qui dispense des services à tous les autres organismes du ministère de la Défense nationale et des FC. Je tiens compte des besoins et des exigences de l'Armée, de la Marine, de la Force aérienne, des Finances, du groupe des matériels, et ainsi de suite, et je tente de déterminer quels sont leurs besoins en matière de systèmes ou de soutien. Nous assemblons cela collectivement; mon groupe gère ce processus.

Chaque automne, nous élaborons un plan d'investissement qui correspond, en réalité, à un calendrier des investissements sur 15 ans, dans notre portefeuille militaire, administratif et commun. Le portefeuille commun correspond à tous ces éléments d'infrastructure qui soutiennent l'activité militaire; par « administratif » j'entends les ressources humaines, le matériel, les finances et l'infrastructure, essentiellement.

Au printemps de chaque année, nous recommandons des investissements au vice-chef d'état-major de la Défense, qui agit à titre de gestionnaire des ressources et, essentiellement, de gestionnaire des finances pour le ministère de la Défense nationale et les FC. Nous tentons d'orienter rationnellement les investissements liés aux ressources humaines, aux finances, aux radios HF, à la capacité de contrôle de la circulation aérienne dans les escadres de partout au pays, de façon cyclique, mais dans le but de remettre en question la pertinence des décisions ou des investissements sur un horizon technologique prévisible de huit ou neuf ans.

Le sénateur Cordy : De fait, votre rôle consiste à déterminer, à la lumière de consultations auprès des autres groupes, où nous allons et où nous voulons être dans un certain nombre d'années?

M. Ross : À formuler des recommandations.

Le sénateur Cordy : Il y a une nuance, oui.

M. Ross : Par exemple, si nous choisissons d'effectuer un investissement différent à l'égard de PeopleSoft, des RH ou de SAP — SAP est un acronyme allemand pour les finances, j'ignore ce qu'il veut dire — il faudrait que je travaille avec mes collègues, comme les sous-ministres adjoints concernés ou le vice-amiral Jarvis, par exemple, afin qu'on s'entende sur le meilleur investissement à effectuer. Nous effectuerons des travaux pour eux, et nous leur proposerons des stratégies qui sont viables à long terme, au coût minimum, et qui occasionneront le moins d'obligations possible au chapitre de la mise à niveau.

Le sénateur Cordy : Est-ce que vous rencontrez régulièrement les autres sous-ministres adjoints?

M. Ross : Oui. Je les rencontre chaque semaine. Je les rencontre individuellement à plusieurs reprises, en prévision du processus de planification des investissements, chaque automne. C'est une relation très étroite.

Le président : Monsieur Ross, pourriez-vous conclure en décrivant vos priorités pour la prochaine année et pour la prochaine décennie?

M. Ross : Mes priorités en ce qui concerne le soutien du ministère et des Forces touchent plusieurs aspects. D'abord, mieux gérer les besoins et les exigences de l'Armée, de la Marine, de la Force aérienne et des autres sous-ministres adjoints. Cela veut dire adopter une approche intégrée et plus large à l'égard du soutien et du service à la clientèle, et de la satisfaction de leurs besoins; être plus attentif et envisager une solution ou un système donné de façon à ce que l'investissement à l'égard d'un aspect donné procure des avantages pour tous les commandants, et les escadres, les commandants de base et de garnison, et les gestionnaires du Quartier général de la Défense nationale. Il pourrait s'agir d'un système d'infrastructure ou d'un système de télé-apprentissage, c'est-à-dire d'un système électronique d'apprentissage à distance, afin que nous commencions à effectuer de meilleurs investissements, et que nous commencions à acheter automatiquement des produits non pas cloisonnés, qui ne communiquent pas entre eux, mais bien des produits intégrés.

Ensuite — et ce sera un défi énorme pour nous —, il faut prendre les gros systèmes à l'égard desquels nous avons fait des investissements, et les transformer en systèmes intégrés qui soutiennent tous les gestionnaires. C'est un défi de taille, car il faut être à l'écoute de tous les intervenants clés. En finances, par exemple, il faut tenir compte de ce que les gestionnaires attendent vraiment d'un système de gestion de l'information afin de répondre à leurs besoins liés à la planification budgétaire, à la planification des activités et à la gestion budgétaire. Cela nous permet de comprendre et d'intégrer les exigences dès le début, et, ensuite, lorsque nous effectuons un nouvel investissement dans notre système financier, nous en faisons un système « intégré ». Ainsi, chacun peut renoncer à son système local, car il devient redondant. Cela allège le fardeau des bases, des escadres et des garnisons, en ce qui concerne l'exploitation en parallèle des systèmes nationaux et locaux, le paiement des coûts de formation et des droits de licence, et tous les autres aspects connexes. D'une part, on obtient un soutien supérieur d'une base nationale; d'autre part, on allège le fardeau des coûts et des exigences là où c'est vraiment important, c'est-à-dire dans les bases, les escadres et les garnisons, et dans les unités opérationnelles.

Ce qui m'amène, enfin, à une question largement liée à la planification stratégique : l'adoption du plan stratégique d'investissement lié à la GI et aux TI. C'est la première fois que nous faisons cela. Nous n'avions pas de plan d'investissement à long terme régissant l'orientation de la gestion de l'information pour le ministère. Je dois institutionnaliser cette pratique. Je dois l'enchâsser dans la culture et dans la planification courante de nos activités.

À moins de pouvoir prendre du recul à l'égard de quelque chose, au moins cinq ans, et de dire — à l'égard de cette catégorie de capacité, les finances ou le commandement et le contrôle conjoints, nous comptons effectuer dix investissements, par saupoudrage. Est-ce que cela a du sens? Ne pourrions-nous pas effectuer un seul investissement dans le commandement et le contrôle, le bon, un investissement intégré qui nous mène là où nous voulons être dans huit ans? Nous devons institutionnaliser davantage notre planification opérationnelle. Cela nous renvoie au premier point que j'ai soulevé, le fait de mettre l'accent sur le service à la clientèle et d'être à l'écoute des besoins de toutes ces personnes que nous servons dans les Forces et à la Défense nationale.

Le président : Votre cycle de désuétude ne devient-il pas de plus en plus court?

M. Ross : Cela s'applique à des outils technologiques particuliers, mais pas tant aux grands systèmes, qui sont essentiellement des logiciels de codage. Les changements découlent uniquement des grandes sociétés qui offrent ces produits, lancent une nouvelle version, cessent de soutenir l'ancienne version, et nous forcent à mettre le système à niveau, de sorte que nous continuons de payer chaque jour ces droits de licence.

Le sénateur Forrestall : Êtes-vous doté d'une capacité d'archivage? Conservez-vous l'information qui vous permettra d'aller de l'avant et d'atteindre vos buts?

M. Ross : Dans le cas des systèmes de gestion de l'information, oui, nous le faisons. Au cours de l'année, nous avons regroupé tous ces grands systèmes dans une nouvelle division de mon groupe, ce qui nous permet de les examiner collectivement et de les soutenir lorsque nous comprenons où se trouve chaque version du logiciel. L'autre aspect de cette question, la conservation de l'information gouvernementale, n'est pas aussi solide.

Le président : Monsieur Ross, au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir parlé. C'était une séance intéressante et nous vous sommes reconnaissants de nous avoir aidés avec votre témoignage aujourd'hui.

Pour les membres du public qui nous regardent, je vous invite à nous faire part de vos questions et commentaires sur notre site Web, au www.sen-sec.ca. Nous y versons les témoignages ainsi que le calendrier officiel des audiences. Vous pouvez également communiquer avec le greffier du comité, au 1 800 267-7362 pour obtenir de plus amples renseignements ou pour entrer en contact avec les membres du comité.

Le comité suspend ses travaux.

Le comité reprend ses travaux à 14 h .

Le président : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui le vice-amiral Bruce MacLean, commandant de la Marine canadienne et Chef d'état-major de la Force maritime. Le vice-amiral a amorcé sa carrière militaire dans la Marine canadienne en 1970, comme sous-marinier. Il a également servi dans la Royal Navy et dans la Marine australienne. Il a assumé des commandements à divers niveaux de la Marine, notamment à titre de commandant d'un sous-marin et d'un ravitailleur, et des Forces maritimes de l'Atlantique. Il a servi au quartier général de la Défense nationale à divers postes et a été détaché au Bureau du Conseil privé. Avant d'assumer le commandement de la Marine, il a occupé les fonctions de représentant militaire supérieur du Canada auprès de l'OTAN à Bruxelles.

Je vous souhaite la bienvenue devant notre comité. Nous croyons savoir que vous avez une brève déclaration à nous présenter, et nous sommes impatients de vous entendre.

[Français]

Vice-amiral Bruce MacLean, chef d'état-major de la Force maritime, Défense nationale : Je remercie le sénateur Kenny et le comité de m'avoir invité ici aujourd'hui. En déclaration préliminaire, j'aimerais faire quelques brefs commentaires, après lesquels je serai heureux de répondre à vos questions. Je me pencherai essentiellement sur ce que notre marine accomplit présentement, et sur ce qu'elle sera demain, et même dans un futur plus lointain.

[Traduction]

Le mandat de la Marine canadienne a évolué depuis la fin de la Guerre froide : autrefois, elle n'excellait que dans les opérations en haute mer, alors que, maintenant, elle est capable de fonctionner partout dans le monde, seule ou avec ses alliés, en haute mer ou près des côtes. Nous gardons une cadence opérationnelle élevée, au moyen de navires modernes et performants; tout récemment, par exemple, nous avons mené les opérations efficaces dans la mer d'Arabie et dans le golfe Persique, où nous avons affecté quatre groupes opérationnels de 15 navires sur une période de deux ans et demi, dans le cadre de l'opération Apollo du Canada. L'imposante capacité de commandement et de contrôle inhérente à nos navires, ainsi que la doctrine attribuant le commandement en mer à l'échelon du commodore, ont permis à notre marine d'exercer une influence considérable auprès des forces de la coalition pendant cette période, avec jusqu'à 12 marines nationales relevant de notre leadership.

Parallèlement, la Marine a dû assurer une participation et fournir un soutien accrus près du Canada. Nous avons joué un rôle crucial — selon moi — en assurant la coordination, le soutien et le leadership d'une gamme étendue d'opérations, de la surveillance des pêcheries jusqu'au soutien de la lutte antidrogue et des douanes, en passant par la surveillance et le contrôle hauturiers de nos zones océaniques. Pendant les années 90, la Marine a montré le chemin aux Forces canadiennes en dotant ses navires et installations à terre d'un système de commandement et de contrôle, du niveau stratégique au niveau tactique, sur lequel se fondent les systèmes actuellement utilisés et conçus à l'échelle des Forces canadiennes.

La Marine d'aujourd'hui est le résultat de décisions prises il y a 10 ou 20 ans, avant même que la Guerre froide ne prenne fin. On partait du principe qu'il fallait disposer d'une flotte polyvalente et apte au combat, prête à se déployer rapidement n'importe où, et jouissant d'une interopérabilité complète avec les États-Unis et les partenaires de l'OTAN. En effet, même si nous parlons de transformation maintenant, la Marine canadienne a complètement bouleversé sa façon de faire les choses pendant les années 90, pour devenir une force navale moderne et efficace, qui peut se déployer rapidement et qui mise sur ses capacités et son influence, à terre et en mer.

Ce n'est pas un hasard si, en octobre 2001, la Marine n'a mis que dix jours pour dépêcher le premier groupe opérationnel de quatre navires et de 1 000 personnes dans la mer d'Arabie pour une mission de six mois sans tambours ni trompettes, ce qui a eu un impact énorme pour le Canada et la coalition. Nous étions la première Marine arrivée, outre les forces déjà sur place, et nous étions les plus éloignés.

Laissez-moi vous dire quelques mots sur la situation actuelle et la façon dont nous comptons assurer notre réussite future. Dans ce contexte, il y a trois composantes interreliées et englobantes, soit le soutien, la transition et la transformation.

Tout d'abord, le soutien : vu la présence des États-Unis au sud et le caractère disséminé de nombreuses parcelles de notre territoire, le Canada a été en mesure d'orienter une bonne part de ses richesses vers les Canadiens, sauf à l'occasion des deux guerres mondiales du siècle dernier. Aujourd'hui, nous sommes une société moderne et nantie, mais toujours dispersée sur un demi-continent vaste et, bien souvent, froid, avec tout ce que cela suppose. De plus, l'évolution du paysage géopolitique a réduit le confort que nous procure ce tampon de sécurité géographique.

Du point de vue de la sécurité maritime, l'énormité du territoire canadien, de fait, divise nos besoins maritimes en trois secteurs presque mutuellement exclusifs, soit l'est, l'ouest et le nord. Une marine efficace doit être en mesure de réagir rapidement à un événement qui se produit au pays ou à l'étranger. Or, cela n'est possible que si tous les éléments liés au succès maritime sont en place. Cela signifie que l'ensemble de la formation, du soutien, de l'infrastructure, de l'équipement et du commandement sont orientés clairement vers l'activité maritime, sont prêts à réagir à toute situation d'urgence, qu'elle survienne à notre porte — à l'entrée du port — ou à l'autre bout du monde, et le fassent presque immédiatement.

[Français]

Nous avons réalisé, en termes généraux, que nous devions en faire plus, tant au pays qu'à l'étranger et ce, sans perdre de temps. Je m'attends donc à ce que la Marine joue un rôle important dans cette direction.

[Traduction]

Notre Marine mise sur un nombre relativement modeste de bâtiments de combat de surface, de sous-marins, d'hélicoptères et d'avions patrouilleurs, ainsi que sur les installations de commandement, de soutien et de formation nécessaires à terre. Ma priorité absolue est de maximiser l'utilité du matériel dont je dispose. Pour cela, il faut disposer des ressources, tant humaines que financières, nécessaires pour veiller à ce que la flotte et les installations de soutien à terre demeurent modernes et disponibles. Toujours très efficace aujourd'hui, la Marine continuera d'avoir besoin de ressources suffisantes pour maintenir son avantage qualitatif.

Ensuite, il y a la transition : entre aujourd'hui et environ 2015, il n'y aura pas de variation marquée du nombre de bâtiments de combat dont dispose la marine. Par contre, il faudra apporter des changements à leurs capacités si nous voulons maintenir leur utilité au cours des 10 à 20 prochaines années. La force aérienne met à niveau l'Aurora pour accroître sa durabilité et son efficacité opérationnelles. Nous devrons effectuer des investissements considérables à l'égard de nos frégates — je rappelle aux sénateurs que le premier navire, le Halifax, a 15 ans. Ces investissements permettraient d'améliorer la radiodétection et l'autodéfense, et d'offrir une capacité offensive supérieure à celle que nous avons aujourd'hui, et d'assurer l'entretien à long terme des bâtiments. Nous voulons doter la flotte et les installations à terre d'équipements de communications et de surveillance de pointe, en vue de procurer aux Forces canadiennes et aux autres ministères du gouvernement de meilleurs renseignements à l'égard des zones maritimes relevant de notre responsabilité.

À l'heure actuelle, nous ne disposons pas des ressources financières nécessaires pour moderniser les trois destroyers de commandement et de contrôle qui nous restent, mais nous devrons trouver un moyen de maintenir cette capacité cruciale jusqu'à ce qu'on mette ces bâtiments hors service, au cours des 10 prochaines années. Les sous-marins constituent un élément essentiel de notre marine actuelle, et ils pourraient jouer un rôle encore plus grand pour le Canada dans l'avenir, et nous devons investir dans leur modernisation. Il en va de même des navires de défense côtière utilisés par notre Réserve navale.

[Français]

Enfin, il y a l'étape de la transformation. Les principaux éléments de cette phase existent déjà sous la forme de projets ou, à tout le moins, de concepts. Ils tiennent compte des objectifs que la Marine devra se fixer afin de pouvoir répondre aux futures exigences liées à la défense et à la sécurité du Canada au cours des deux prochaines décennies.

[Traduction]

J'entends par cela le navire de soutien interarmées qui remplacera les AOR, c'est-à-dire les pétroliers ravitailleurs d'escadre, de la classe Protecteur, qu'on ne peut plus soutenir et dont le fonctionnement est trop coûteux. Ce bâtiment de combat de classe unique finira par remplacer les destroyers et les frégates, et, enfin, le nouvel hélicoptère de patrouille maritime remplacera le Sea King. Ces nouvelles plates-formes procureront au Canada et à ses alliés une souplesse et une puissance de combat accrues, et favoriseront les opérations interarmées. Ces unités seront dotées de capacités offensives et défensives accrues, ce qui leur permettra d'exercer leurs activités en haute mer ainsi que dans les zones côtières ou littorales, de façon à contribuer, directement ou indirectement, aux opérations à terre, tout en maintenant une meilleure connaissance de la situation.

Au besoin, cette marine transformée, de concert avec d'autres éléments des Forces canadiennes, sera en mesure de transporter, en toute sécurité et assez rapidement, du personnel et du matériel, et de le déployer à terre, efficacement et de façon sécuritaire, veillant à ce que les Forces canadiennes jouissent d'une capacité accrue d'influencer sur les événements, à partir de la mer. Cette transformation supposera l'introduction de nouveaux concepts, d'une doctrine novatrice relative à l'armement en équipage, d'une modularité accrue des blocs de systèmes pour nos navires, de méthodes de construction perfectionnées, et de nouveaux matériaux. La marine canadienne ainsi que d'autres grandes marines occidentales explorent activement de telles idées.

Mais par-dessus tout, il faut rapidement affecter des ressources à cette seconde transformation d'après-guerre de la marine. Comme je l'ai déjà mentionné, la marine dont nous disposons actuellement découle de décisions prises il y a 20 ans. C'est la même chose aujourd'hui. Nous devons accroître considérablement le nombre de personnes et d'idées, en particulier le nombre de personnes qui mèneront cette transformation à terme, au sein tant du gouvernement que de l'industrie.

Évidemment, la mise en œuvre d'un tel plan exige un leadership fort et efficace; un leadership à la fois visionnaire et habilitant. Mais, d'abord et avant tout, il faut un engagement et des ressources.

[Français]

J'ai fait un survol très rapide de plusieurs éléments et je suis persuadé que d'ici la fin de la session, vous voudrez que l'on développe davantage certains de ces éléments.

[Traduction]

Sur ce, sénateurs, je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. La première question sera posée par le sénateur Forrestall.

Le sénateur Forrestall : Soyez le bienvenu, vice-amiral MacLean. Je suis heureux de vous revoir, monsieur. Comme vous l'avez peut-être appris en conversant avec notre président, plus tôt, notre Comité espère, dans le cadre de son examen actuel de la politique en matière de défense — son principal objectif — , obtenir de l'information sur la capacité de la marine d'assumer les fonctions qui lui sont confiées à l'heure actuelle. Je crois que vous avez parlé de la marine d'aujourd'hui, de la marine de demain, et de la marine d'après-demain. C'est à cette fin que j'aimerais vous poser une question au sujet de la marine d'aujourd'hui. Vous nous en avez parlé un peu. Peut-être pourriez-vous nous fournir des détails sur les capacités actuelles, la durée actuelle. J'ai été plutôt surpris d'apprendre — même si je n'aurais pas dû l'être — que le Halifax a déjà 15 ans. Quand a-t-on bâti le dernier?

Vam MacLean : Autour de 1996 ou 1997, si je me souviens bien.

Le sénateur Forrestall : Environ huit ans, donc. Et qu'en est-il des Tribal?

Vam MacLean : Ils sont considérablement plus vieux. Ils remontent à la période qui s'étend de 1970 à 1972. Au début des années 90, on a lancé une initiative de taille, le MNCT, ou Projet de modernisation des navires de classe Tribal, qui a coûté environ 1,5 milliard de dollars.

Le sénateur Forrestall : Est-ce qu'ils ont tous été visés par ce programme?

Vam MacLean : Oui, tous les quatre.

Le sénateur Forrestall : Et de combien d'années a-t-on prolongé leur vie, selon vous?

Vam MacLean : Nous tenterons de bien prendre soin de ces navires, le plus longtemps possible. Nous nous attendons à une certaine dégradation qualitative, mais, fondamentalement, ces navires et ce qu'ils représentent sont essentiels au succès de la marine. Ils offrent une imposante capacité de commandement et de contrôle. Ils offrent une imposante capacité de défense de la zone aérienne. Un point auquel peu de gens songent, c'est que ces navires offrent aussi ce que je qualifierais de quantité significative. Autrement dit, si vous ne disposez que d'un nombre relativement modeste de bâtiments sur la côte est et la côte ouest, comme l'a déclaré un jour un grand ponte, la qualité l'emporte toujours sur la quantité, à condition d'en avoir suffisamment, et j'ai tendance à souscrire à ce point de vue. Il faut faire très attention, car, à trop vouloir investir dans la qualité, on pourrait se retrouver avec seulement un ou deux navires. Il ne faut pas perdre de vue que notre pays est énorme, et que nous avons les deux côtes, est et ouest, ainsi que l'Arctique. On ne peut être qu'à un endroit à la fois, de sorte que, même si on investit dans la qualité d'une unité donnée, il faut tout de même penser à la quantité.

Le sénateur Forrestall : Avons-nous besoin d'un bâtiment plus lourd pour l'Arctique?

Vam MacLean : Il ne fait aucun doute que notre flotte actuelle n'est pas apte à naviguer dans l'Arctique pendant toute l'année. Nous investirons dans le navire de soutien interarmées, capacité qui permettra à ces navires de composer avec la glace nouvellement formée. C'est un pas important dans la bonne direction. Il n'y a pas de doute là-dessus : à l'heure actuelle, notre marine, du moins en ce qui concerne les bâtiments de surface, ne jouit pas d'une capacité totale à l'égard de l'Arctique, car elle ne peut circuler qu'en été. Encore une fois, cela reflète le besoin de faire ce que nous avons à faire avec les ressources globales dont nous disposons, et de gérer les risques. Bien sûr, si vous investissez dans cela, et que vous bâtissez un navire, ou que vous vous dotez d'une capacité, cet investissement doit durer 20, 30, ou parfois même 40 ans, alors c'est un investissement à très long terme.

Le sénateur Forrestall : Certes. Pourriez-vous, pendant un instant, nous parler de votre effectif, dans la force régulière et dans la réserve? Vous pourriez peut-être nous donner une idée de votre situation actuelle. J'accepte votre argument, et je vous invite à formuler des prévisions et des chiffres à cet égard, si vous le pouvez.

Vam MacLean : Dans l'ensemble, nous faisons plutôt bonne figure à cet égard. Il y a actuellement une pénurie d'officiers du groupe MAR SS, c'est-à-dire les gens qui conduisent les bateaux. Nous affichons un manque à gagner d'environ 7 p. 100 sur le niveau que nous aimerions avoir dans la marine. Notre plus grande préoccupation concerne probablement les métiers techniques. Ce sont ces gens, les techniciens en électronique, qui sont très en demande au sein de la société canadienne dans son ensemble. Nous devons faire concurrence à d'autres industries pour mettre le grappin sur ces gens prometteurs. À vrai dire, tous les gens dont nous avons besoin au sein de la marine, de l'armée ou de la force aérienne sont spécialisés et très en demande, aujourd'hui comme jamais. Pour transformer les Forces canadiennes, il faut également avoir accès aux catégories de personnes qui favoriseront cette transformation.

La marine a toujours dû composer avec une caractéristique propre : nous partons en mer à bord de sous-marins et de navires. Même dans le contexte de la guerre froide, des années 90 et après, les marins de notre flotte seront en mer pour 100, 150 ou 200 jours par année, chaque année, tant qu'ils en feront partie. Cela ne varie pas. Dans notre société moderne, cela constitue d'emblée un désavantage. Vraiment, qu'un marin parte pour Cap Chebucto, le détroit de Juan de Fuca ou la mer d'Arabie, il sait que ce sera pour longtemps. Parfois, l'opération semble avoir moins d'importance que la durée de la période passée en mer, alors c'est un problème pour nous.

Dans l'ensemble, nous affichons un manque à gagner de 2 p. 100 par rapport à nos niveaux préférentiels de dotation, mais comme je l'ai souligné, ce n'est pas uniforme. Ce n'est pas 2 p. 100 pour tous les métiers et toutes les classifications d'officier. Cela varie d'une catégorie à l'autre, et, à l'heure actuelle, les pénuries les plus marquées concernent les officiers marins et les métiers techniques.

Toutefois, nous avons réalisé des progrès au cours des dernières années. Nous faisons meilleure figure aujourd'hui que l'année dernière ou l'année d'avant, mais le manque à gagner que nous affichons à l'égard de certains métiers techniques — jusqu'à 20 p. 100 — sont inquiétants, et nous devons continuer de trouver des moyens de combler les écarts.

Le sénateur Forrestall : On nous a dit que la marine compte sept ou huit des neuf métiers connaissant la plus forte croissance. À la lumière de cela, est-ce que vous vous attendez à reprendre plus rapidement le terrain perdu?

Vam MacLean : Ce sera difficile, je ne vous le cache pas. Nous avons fait des progrès au cours des deux dernières années, comme je l'ai déjà dit. La situation actuelle occasionne des tensions au sein de certaines catégories et de certains métiers, car la marine continuera d'aller en mer, et cela suppose que certaines de ces personnes passent plus de temps en mer que je ne le voudrais. Néanmoins, dans l'ensemble, le moral est généralement bon au sein des deux commandements côtiers, est et ouest.

Le sénateur Forrestall : Une dernière question : est-ce que les deux sous-marins que nous avons actuellement sont capables d'aller en mer au besoin ou sont déjà en mission?

Vam MacLean : Quand nous aurons rétabli la confiance à l'intérieur et à l'extérieur, nous pourrons utiliser de nouveau ces sous-marins. Comme vous le savez, nous avons reformé la commission d'enquête en vue d'examiner certains enjeux particuliers. J'espère, certes, que, dans un très proche avenir, lorsque j'aurai reçu le rapport et que je l'aurai remis au chef d'état-major de la Défense, nous serons en position de remettre ces sous-marins en service.

Le sénateur Forrestall : Je vous souhaite bonne chance. Je suis de ceux qui croient que vous méritiez mieux, mais c'est un bâtiment très performant.

Le président : Amiral, juste pour clarifier votre commentaire sur les destroyers, comptez-vous lancer un autre projet de MNCT, ou allez-vous plutôt adapter une frégate pour qu'elle joue ce rôle?

Vam MacLean : Non. Pour l'instant, nous envisageons la possibilité de remplacer cette capacité par un bâtiment de combat de classe unique, vers la fin de la prochaine décennie, ce qui signifie que nous allons maintenir cette capacité en investissant de façon ponctuelle, pour veiller à ce que ces navires demeurent performants et qualitativement utiles en mer.

Le plus gros risque lié à une telle stratégie concerne la coque et les aspects liés à la sécurité, et nous devons veiller à ce que ces bâtiments partent en mer de façon très sécuritaire et compétente. C'est ce que nous envisageons pour l'instant. La capacité d'exécuter un programme comparable à celui qui vise la frégate canadienne de patrouille, qui fait l'objet d'une modernisation de mi-vie, n'est pas vraiment là, du moins, pas pour l'instant. Et n'oubliez pas que, en ce qui concerne le projet de MNCT, nous avons déjà fait cela au début des années 90, et qu'il s'agit maintenant de déterminer si nous pourrons maintenir ce navire pendant une autre décennie environ, pour lui permettre enfin de céder sa place après la modernisation de la FCP. C'est la stratégie actuelle.

Le président : Vous essayez sérieusement de dire à notre Comité que vous aurez un remplacement dans dix ans? Nous savons tous deux que cela ne se produit tout simplement jamais.

Vam MacLean : Nous aimerions certainement obtenir un nouveau navire vers la fin de la prochaine décennie, c'est-à-dire vers 2018, 2019.

Le président : Ainsi, vous parlez non pas de 10 ans, mais bien de 15 ou 20 ans?

Vam MacLean : Pour une période de deux, trois ou quatre ans, nous devrons peut-être transférer la capacité de commandement et de contrôle à la frégate canadienne de patrouille nouvellement modernisée. Il n'est pas nécessairement déraisonnable, selon moi, de pouvoir assurer la transition vers le nouveau programme. Toutefois, ce que j'essaie de dire, c'est qu'il ne serait pas idéal pour nous de prendre ces trois destroyers de commandement et de contrôle et, essentiellement, de les amarrer au quai, alors nous continuons de les utiliser.

Le président : Je comprends, mais aucune commande n'a été placée en vue d'un remplacement. Le gouvernement ne s'est pas engagé à les remplacer.

Vam MacLean : Il n'y a aucun engagement gouvernemental pour le remplacement des navires visés par le projet de MNCT, chose que nous savions déjà il y a deux ans, à l'époque de l'initiative de remplacement des matériels de défense aérienne, ou CADRE. Seule la FCP fait l'objet d'une modernisation de mi-vie. La seule façon de composer avec la situation consistera à prolonger la vie de ce navire, à le garder en service le plus longtemps possible à titre de destroyer de commandement et de contrôle, à le laisser vieillir élégamment — grâce à des investissements judicieux —, et à ensuite assurer la transition vers la nouvelle flotte. En prenant de telles mesures parallèlement à la modernisation de la FCP, qui sera également en place au milieu de la prochaine décennie, c'est-à-dire vers 2015-2016, nous aurons peut-être l'occasion d'assurer une conversion assez raisonnable. Ce n'est pas la solution idéale, mais c'est comme ça que nous gérons la situation à l'heure actuelle.

Le président : Je suis un peu dérouté quand vous parlez d'« élégance » et de « conversion ». J'ai de la difficulté à les associer à des navires de guerre.

Si j'ai bien compris, vous dites que les destroyers ne dureront pas jusqu'à l'arrivée des navires de remplacement, et que dans le cadre de la modernisation de mi-vie de certaines frégates, vous allez les doter de certaines capacités propres aux destroyers?

Vam MacLean : Je crois que vous avez bien compris. Nous utiliserons ces destroyers tant et aussi longtemps qu'il sera judicieux de le faire. C'est là que la modernisation de mi-vie de la FCP entre en jeu. Cela va manifestement accroître la capacité relative de ces FCP, mais, tel que nous l'envisageons aujourd'hui, les FCP ne sont d'aucune façon...

Le président : J'aimerais seulement signaler aux membres du public que l'acronyme « FCP » désigne les frégates canadiennes de patrouille.

Vam MacLean : Certainement. Tel que nous envisageons les choses aujourd'hui, la frégate canadienne de patrouille ne peut d'aucune façon offrir l'espace dont nous aurions besoin pour accueillir la capacité de commandement et de contrôle que nous offrent actuellement les destroyers.

Le président : Et quelle était cette « conversion » dont vous parliez plus tôt?

Vam MacLean : Nous allons convertir la plus grande part possible de cette capacité de commandement et de contrôle, et nous utiliserons la frégate canadienne de patrouille, la version modernisée, pour faire la transition vers le nouveau bâtiment de classe unique qui arriverait vers la fin de la deuxième décennie.

Le président : Et quel est ce bâtiment de classe unique que vous espérez obtenir? Est-ce un hybride, quelque chose qui se situe entre la frégate et le destroyer?

Vam MacLean : Il s'agirait d'un bâtiment de classe unique, mais il pourrait très bien s'assortir de divers modules. Par exemple, il pourrait être axé davantage sur le commandement et le contrôle, ou compter certains éléments destinés davantage à la défense de zone. Il pourrait être doté d'une capacité plus polyvalente, tout comme notre frégate canadienne de patrouille actuelle. Il pourrait combiner toutes ces choses.

Nous devons tirer avantage d'une modularité accrue, et installer les systèmes dans 12 à 15 navires, de façon à ne pas devoir nous débattre avec le même ensemble de systèmes chaque fois que nous allons en mer. Nous devons nous attacher à cette question. Vu les coûts liés aux équipages et à l'équipement, nous devons nous assurer que c'est une bonne idée, et nous n'en sommes tout simplement pas là encore.

En 2018-2020, la frégate canadienne de patrouille comptera quelque 30 années de service, et nous serons prêts à faire la transition vers une nouvelle flotte. C'est à ce moment-là que nous devrons regrouper de nouveau le commandement et le contrôle, la défense de zone et toutes les capacités polyvalentes de frégate que nous avons actuellement dans notre flotte.

Le sénateur Cordy : J'aimerais donner suite à deux des questions du sénateur Forrestall. La première concerne l'avenir des sous-marins. Après l'horrible accident qui a frappé le NCSM Chicoutimi, certains articles parus dans les journaux de Halifax font valoir que la marine de 2005 n'a peut-être pas besoin de sous-marins. Aujourd'hui, vous avez parlé du besoin pressant de sous-marins. Pourriez-vous nous fournir des détails là-dessus?

Vam MacLean : Nous constituons une force navale performante et de petite taille. J'aimerais en tout temps maximiser les options qui s'offrent au gouvernement. Or, le sous-marin a le pouvoir de faire quelque chose qu'aucun autre bâtiment de la flotte canadienne ne peut faire, c'est-à-dire couler n'importe quel bâtiment, du petit navire de pêche jusqu'au porte-avions. Pour un pays de la taille du Canada, c'est une forme d'influence d'une importance fondamentale. On ne sait jamais exactement quelles menaces nous guettent dans le monde d'aujourd'hui.

Quand j'ai terminé mon cours de commandant au Royaume-Uni, vers la fin de 1981, la Guerre froide était à son paroxysme. L'Union soviétique constituait la seule menace, et, pour un sous-marinier, c'était vraiment la menace d'un sous-marin soviétique. Comment aurais-je pu prévoir que, six mois plus tard, parmi les autres nouveaux commandants d'autres pays, un de mes amis se retrouverait dans un sous-marin britannique dans l'Atlantique Sud, en train de couler le Belgrano lors d'une guerre contre l'Argentine. Et ce n'était que six mois plus tard. Les choses changent vraiment vite.

Les sous-marins sont essentiels, car ce sont les seuls bâtiments capables d'intercepter tout bâtiment dans vos zones d'intérêt et de contrôle. Si vous voulez renoncer aux sous-marins, vous renoncez également à cette capacité.

Le sénateur Cordy : Le sénateur Forrestall a également parlé des pénuries de personnel, en particulier dans certains des métiers techniques. Des représentants de l'armée nous ont dit qu'il y avait des pénuries dans certains métiers, et qu'on éprouvait de grandes difficultés à former ceux qui étaient recrutés : c'est un cercle vicieux. Ils recrutent de nouveaux candidats, mais, en raison des pénuries, les personnes dûment formées sont trop occupées pour former les nouveaux. Êtes-vous confrontés à la même situation dans la Marine?

Vam MacLean : Ce n'est pas aussi marqué chez nous. Depuis 1939, la Marine canadienne a toujours assuré une présence en mer, et nos activités n'ont pas tellement changé. Que ce soit au plus fort de la Guerre froide, à chercher des sous-marins tout près de l'entrée du port de Halifax, ou pendant l'une des deux guerres du Golfe, la Marine a toujours été en mer, et elle s'y est toujours rendue rapidement. Par conséquent, d'une certaine façon, peu de choses ont changé. Ce n'est pas comme si nous étions en attente, ici ou en Europe. Nous devions donc disposer de la capacité de formation, du soutien et de l'infrastructure nécessaires. Nous avons besoin de toutes ces choses et nous les avons depuis 1939, et nous les utilisons de façon optimale depuis.

Il y a un concept très différent qui distingue la façon dont l'Armée, la Marine et la Force aérienne fonctionnent. Dans ce contexte, nos écoles navales, nos installations de formation et notre soutien logistique ont toujours été en place, et c'est crucial. Une marine qui ne part pas en mer ce soir, si on le lui demande, n'est pas à la hauteur du Canada.

Le sénateur Cordy : Depuis le 11 septembre, on parle non pas tant de la défense du Canada et de la défense des États-Unis, que de la défense de l'Amérique du Nord. En effet, le monde est devenu si petit que nous devrions envisager la chose de cette façon.

Nous entendons beaucoup parler de NORAD et de la façon dont les forces aériennes canadiennes et américaines se sont réunies en vue de se préparer à défendre l'Amérique du Nord. Quel rôle la Marine joue-t-elle? Votre rôle gagnera-t-il de l'importance, ou a-t-il gagné de l'importance au chapitre de la défense de l'Amérique du Nord?

Vam MacLean : C'est une excellente question à l'égard de notre situation actuelle. Au niveau tactique, c'est-à-dire ce qui se passe sur la côte est et sur la côte ouest à l'heure actuelle, il y a beaucoup de discussions et d'interopérabilité avec les forces américaines, qu'il s'agisse de la Garde côtière américaine ou de la U.S. Navy, et il y en a toujours eu. Nous avons toujours détenu d'importantes quantités de renseignements sur ce qui se passe dans les zones de responsabilité, mais cela s'est accru depuis la fin des années 90 et, bien sûr, depuis 2001.

Il est crucial que nous comprenions le plus de choses possible au sujet de tout bâtiment ou navire qui se trouve dans nos zones d'intérêt. Tous les jours, sur les côtes est et ouest, il peut s'agir de 2 000 à 3 000 bâtiments. Ils ne vont pas toujours au Canada; ils peuvent être seulement de passage. Ce nombre comprend les bateaux de pêche et les navires marchands. Cela constitue un travail de taille : déterminer qui est le capitaine, la nature de la marchandise à bord, où le navire a été, où il s'en va, et tout ce que cela suppose.

Aujourd'hui, grâce à l'organe interministériel, nous nous attaquons à ce problème comme nous ne l'avions jamais fait auparavant. Il y a l'organe canadien, et il y a l'organe américain. Ils sont tous deux en développement pour l'instant, et ils devront établir une collaboration accrue. J'ai déjà dit aux commandants d'escadre des côtes est et ouest de s'efforcer de collaborer avec leurs homologues américains, afin que, au niveau tactique, au moins, les activités soient uniformes dans nos zones d'opération et dans les zones d'opération américaines.

Nous avons toujours bien travaillé avec les forces navales des États-Unis. Nous avons, sur la côte ouest, un navire qui partira pour le Golfe ce printemps; ce navire travaillera avec les forces américaines, et c'est quelque chose que nous faisons régulièrement. Réunir des navires en mer, cela n'a rien d'exceptionnel. Nous le faisons constamment. Le côté tactique n'est pas compliqué. Là où ça se corse, c'est lorsque vient le temps de convenir d'une stratégie : quel type de structure voulons-nous mettre en place? Voulons-nous adopter un modèle inspiré de NORAD, ou préfère-t-on quelque chose d'un peu plus officieux? Nous n'avons pas arrêté tous les détails à cet égard.

Pendant ce temps, avec d'autres ministères du gouvernement canadien et en assurant la liaison avec les États-Unis, nous vaquons à nos occupations.

Le sénateur Cordy : Y a-t-il des membres de la Marine qui communiquent régulièrement avec les Forces navales des États-Unis?

Vam MacLean : Oui. Tous les jours. Comme vous le savez bien, nous établissons actuellement des centres d'opération de sécurité maritime sur les côtes est et ouest. Cela aura lieu en trois étapes. Il y a l'organe intérimaire, qui est ponctuel. Nous voulons maintenant regrouper les divers ministères canadiens qui doivent faire partie de cette organisation à l'avenir, qu'il s'agisse des Douanes, de l'Agence des services frontaliers, du ministère des Pêches, de la Garde côtière ou de Transports Canada. Nous avons déjà des membres officiels — davantage sur la côte est que sur la côte ouest pour l'instant —, et nous établissons des liens.

Toutefois, il y a des limites à ce que l'initiative peut nous procurer. La prochaine étape est l'établissement d'une capacité opérationnelle initiale qui nous permettra de commencer à affecter des quantités considérables de ressources et de gens, et à donner un caractère plus officiel à ce que nous faisons. Nous mettrons encore quelques années avant d'y parvenir. Environ deux ans après cela, nous serons dotés d'une organisation uniforme et pleinement opérationnelle. Cela prendra du temps. Je suis heureux de dire que les travaux sont en cours, mais ce n'est pas terminé. C'est ce que nous avons à faire.

Le sénateur Cordy : J'aimerais juste avoir une précision : quand vous parliez des éléments favorisant votre succès futur et que vous parliez de transport, l'un des éléments était la transformation, et vous avez mentionné l'adoption d'une doctrine novatrice à l'égard de l'armement en équipage. Pourriez-vous m'expliquer ce que cela veut dire, s'il vous plaît?

Vam MacLean : Les coût est probablement l'aspect le plus fondamental pour les marines de l'avenir, pas seulement la Marine canadienne, mais toutes les marines. Et les coûts sont énormes. Quand nous avons lancé le projet de MNCT et le programme de FCP pendant les années 80 et le début des années 90, il s'agissait essentiellement d'un programme de 11 milliards de dollars pour 16 bâtiments. Si on se tourne vers l'avenir, on constate que le prix du prochain bâtiment de surface, en dollars de l'époque, sera considérablement supérieur à 11 ou 12 milliards de dollars. Il s'agit donc d'une activité très capitalistique. Ce que nous devons faire, donc, c'est de rendre la marine plus abordable.

Cela ne concerne pas seulement la Marine canadienne. Au milieu des années 80, les Forces navales américaines possédaient presque 600 bâtiments. Elles en comptent 295 aujourd'hui. La Marine royale britannique, lorsqu'elle s'est rendue aux Malouines avait 50 frégates. Elle n'en compte que plus que 25 aujourd'hui. Au cours de la campagne de 1982 aux Malouines, quatre bâtiments du Royame-Uni ont coulé, et huit autres ont été gravement endommagés. C'est douze bâtiments. C'est beaucoup, alors nous devons trouver un moyen d'investir dans la qualité tout en maintenant la quantité. C'est très important, dans le contexte canadien. Nous disposons d'un nombre relativement modeste de bâtiments sur chaque côte, et nous ne pouvons pas nous permettre, de façon générale, de regrouper toutes ces forces côtières au même endroit. C'était possible dans le cas de la mer d'Arabie et de la guerre du Golfe, car les deux côtes sont essentiellement à la même distance de ces endroits. Il est très important de comprendre à quel point cela est coûteux.

Par conséquent, nous devons réduire le nombre de personnes sur les navires. Nous devons innover davantage. Nous pourrions peut-être affecter le navire à l'étranger et veiller à ce qu'il y reste, et trouver des moyens de renouveler l'équipage constamment, comme on le ferait avec l'équipage d'un aéronef. Plus l'effectif est réduit, plus c'est facile à faire. Nous devons investir dans la modularité, de façon à utiliser une seule forme de coque, comme je l'ai mentionné lorsque j'ai parlé du navire de classe unique, mais ce que nous aménageons dans cette coque pourrait être plutôt différent. C'est comme ça qu'on commence à réaliser des économies.

La bonne nouvelle, c'est que, une fois qu'on est doté d'une marine, elle est relativement peu coûteuse, en ce qui concerne les coûts supplémentaires, alors si on veut déployer cette escadre de quatre navires dans la mer d'Arabie, elle emporte avec elle ses installations logistiques. Elle peut partir pour six mois, et le coût, toutes choses étant relatives, n'est pas trop élevé. Toutefois, le capital engagé est considérable. C'est de loin le plus gros obstacle à surmonter en vue d'assurer le succès de la marine au cours des 20 prochaines années.

Le président : Amiral, nous avons examiné votre évaluation des impacts pour 2004. Avons-nous bien lu, y a-t-il un manque à gagner de 142 millions de dollars entre ce que l'on vous demande et le budget que l'on vous consent?

Vam MacLean : C'est ce qu'ils ont déclaré, et je peux certainement vous dire que si nous devions dresser la liste des choses que nous aimerions faire, nous serions encore plus à court d'argent. Je n'ai connaissance d'aucune organisation du secteur privé ou du secteur public où, strictement du point de vue de la gestion, on consent toujours des ressources limitées. C'est la réalité. Pour la plupart des organisations, la demande sera toujours supérieure à l'offre. J'ai deux points à soulever : premièrement, je veux veiller à ce tout le monde comprenne l'ampleur du manque à gagner, et, deuxièmement, laissez-moi aussi vous dire comment je compte gérer ce manque à gagner de façon optimale afin de préserver l'efficacité de la Marine. C'est une arme à double tranchant.

Le président : Ce ne sont pas des choses que vous avez demandé à faire. Ce sont des choses que le gouvernement vous a demandé de faire. Si je comprends bien votre évaluation des impacts, vous dites que le gouvernement vous a demandé de faire certaines choses, mais qu'il ne vous a pas versé les 142 millions de dollars nécessaires pour faire ces choses. Vous ajoutez que la situation était identique au cours de l'exercice précédent. Ai-je bien compris votre rapport?

Vam MacLean : Je ne sais pas de quel rapport vous parlez. S'agit-il du rapport de 2003-2004?

Le président : Non, c'est le rapport de 2004-2005.

Vam MacLean : Je crois que c'est exact. Toutefois, vous devez également envisager cela en contexte. Par exemple, nous avons 2,2 milliards de dollars pour l'infrastructure. Nous aimerions, essentiellement, avoir la possibilité d'investir environ 2 p. 100 par année dans cette infrastructure. Nous n'avons pas été en mesure de faire cela, de sorte que cela contribue à ce manque à gagner de 140 millions de dollars. Ainsi, même si cela ne veut pas nécessairement dire que votre infrastructure sera sans valeur demain ou qu'elle vous mettra à risque, cela veut effectivement dire que, avec le temps, vous devrez essentiellement refinancer cette infrastructure. Vous me paierez aujourd'hui ou plus tard, mais vous me paierez. Cela ne veut pas nécessairement dire que c'est la fin du monde parce que nous n'avons pas ces 140 millions de dollars, mais il importe que vous soyez au courant, et je suis conscient de cela.

Le président : Dans un même rapport, vous parlez de vos capacités de rendement opérationnelles, et chaque classe de navire est aux prises avec des problèmes importants. Classe Halifax : cadence opérationnelle élevée, entretien insuffisant; classe Victoria : besoins d'expertise technique, retards imprévus ayant occasionné des coûts de F et E; classe Iroquois : le Huron est amarré, il y a des problèmes au chapitre de la cadence opérationnelle et de l'entretien insuffisant, à l'égard des ravitailleurs. On n'a fait état d'aucune classe de navire qui n'est pas aux prises avec des problèmes considérables. C'est ça?

Vam MacLean : C'est toujours un défi, et, certes, chaque fois que la demande est supérieure à l'offre, il faut faire des choix. Tout ce que vous avez dit est absolument vrai. Toutes nos escadres ont des problèmes. Nous éprouvons des difficultés, dans nos installations d'entretien, à recruter des gens compétents pour que la Marine fonctionne bien demain, et de fait, après-demain, mais nous allons gérer cette situation, au mieux de nos capacités.

Le président : Je ne remets pas en question vos capacités. Ce que j'essaie d'établir, c'est que les demandes du gouvernement ne correspondent pas au financement que celui-ci vous donne. C'est bien ce que dit votre étude d'impact.

Vam MacLean : C'est bien ce qui était écrit dans notre étude d'impact.

Le sénateur Munson : Bonjour, amiral. Dans la vie, tout le monde fait des souhaits. On a appris à la une des journaux, aujourd'hui, que le Canada avait besoin d'un navire de guerre pour répondre au souhait d'un grand général. Avez-vous le même rêve que ce général — désirez-vous que l'on mette en œuvre un programme de navire de soutien interarmées?

Vam MacLean : Nous n'avons pas encore défini de façon précise ce que serait un programme de navire de soutien interarmées. Ce qui est absolument certain, c'est que l'armée d'hier, qui n'était pas de toute évidence une marine de haute mer, s'est radicalement transformée depuis dix ans. Aujourd'hui, les forces navales de tous les pays, pas seulement la Marine canadienne, s'occupent beaucoup plus des zones littorales. Un navire de soutien interarmées sera pour le Canada un élément qui lui permettra d'augmenter sa zone d'influence près des littoraux. On essayera par contre de lui imposer plusieurs fonctions en même temps, et il pourrait par exemple assumer les fonctions de nos navires de ravitaillement actuels, qui transportent le carburant et les fournitures.

À ce sujet, permettez-moi une digression. Fait intéressant, le Canada a été l'un des premiers pays, dans les années 60, à réunir dans un seul navire des ravitaillement en munitions, en carburant et en fournitures. Dans les années 60, c'était une innovation.

De toute évidence, ce que nous essayons de faire avec ce navire de soutien interarmées, c'est de doter ce navire de trois capacités différentes, grâce aux mêmes techniques innovatrices; on y intégrerait en partie le transport stratégique pour les véhicules, le commandement et le contrôle, pour toutes les plages, pas le type de commandement et de contrôle en mer comme dans nos navires, mais pour fournir un point de départ à partir duquel on peut arriver à terre. On pourrait le faire à partir de ce navire, et, du point de vue des marins, avoir les mêmes capacités que celles dont nous disposons aujourd'hui dans nos navires de ravitaillement : carburant, fournitures et munitions. C'est une grosse commande. Cela coûte déjà cher dans trois navires, mais c'est probablement la façon la plus rentable de faire les choses.

Le sénateur Munson : Vous êtes donc d'accord avec le général Hillier; mais, pouvons-nous nous le permettre?

Vam. MacLean : Je suis d'accord avec lui dans la mesure où il existe aujourd'hui un programme que l'on appelle le navire de soutien interarmées. Cela aidera certainement les Forces canadiennes à passer de la haute mer régime au littoral.

Le sénateur Munson : Que voulez-vous dire? De quel régime parlez-vous?

Vam MacLean : Le littoral, près des côtes. De toute évidence, pendant la période de la guerre froide, on s'attendait généralement à ce que les armées engagent le combat ou mènent leur bataille en haute mer. Mais nous avons tiré des leçons des États déchus ou en difficulté; de plus en plus, la marine et les forces armées doivent se rapprocher des côtes pour donner accès à l'ensemble de leurs capacités. Qu'il s'agisse de la Royal Navy ou des Marines des États-Unis, qui ont aidé le Sierra Leone il y a quelques années, ou des forces de la Coalition attaquant l'Irak, nous constatons que les forces militaires — l'armée de terre, les forces navales et aériennes — se réunissent non plus en mer mais sur les côtes, et je crois qu'il en sera ainsi encore longtemps. C'est bien sûr au gouvernement de décider si le Canada doit suivre la tendance, et dans quelle mesure, et il faudra certainement tenir compte de l'examen de la politique sur la défense.

Le sénateur Munson : Quelle sera la situation de la marine si, dans six ans, nous n'avons pas mis sur pied ce type de programme?

Vam MacLean : Si l'on tient compte strictement de l'optique de la marine — je parle du navire de soutien interarmées — en tant qu'officier de la marine, ce que je veux, c'est que l'on remplace les pétroliers ravitailleurs d'escadre avec lesquels nous travaillons aujourd'hui. C'est ainsi, à mon avis, que l'on assurerait l'avenir des groupes opérationnels navals canadiens en mer.

Mais nous ne savons pas par quels moyens les Forces canadiennes et le gouvernement du Canada nous donneront la possibilité d'exercer notre influence, en mer ou près des côtes. C'est une autre question. C'est la raison pour laquelle nous avons créé ce projet, qu'on appelle le projet de navire de soutien interarmées, qui nous doterait d'une certaine capacité, dans le domaine du transport stratégique, et de capacités supplémentaires en ce qui concerne le commandement et le contrôle, sans nuire aux très importantes exigences que la marine d'aujourd'hui doit respecter en ce qui concerne les pétroliers ravitailleurs d'escadre.

Le président : Nous avons établi que vous considérez que le système subit différentes pressions. Pourquoi donc devrions-nous examiner une solution unique et innovatrice pour les nouveaux navires? Pourquoi devrions-nous inventer quelque chose, quelque chose qui n'existe dans aucun autre pays, et qui coûtera assurément très cher? Pourquoi ne pas profiter du temps consacré à la recherche et au développement par d'autres personnes, pourquoi n'achetons-nous pas leurs produits?

Vam MacLean : Vous posez là une bonne question; mais je dois ajouter qu'il est temps de remplacer nos pétroliers ravitailleurs d'escadre. À mon avis, cette première étape est absolument nécessaire. Les navires dont nous disposons, aujourd'hui, sont plus que des ravitailleurs, par exemple. C'est plus compliqué que cela. Ces navires transportent des munitions et du carburant; ils offrent aussi de modestes services hospitaliers. Bien sûr, ils ont été construits dans les années 60, et c'est pourquoi, si nous avons l'intention de mettre en place une plate-forme améliorée et plus rentable, nous devons améliorer les pétroliers ravitailleurs (Protecteur ou Preserver).

Quoi qu'il en soit, si on décide de construire un bâtiment neuf, aujourd'hui l'acier est relativement peu coûteux, et l'air l'est encore moins. En conséquence, nous voulons plus d'espace. L'espace n'a pas une grande incidence sur le coût total. Mais si, à un moment ou à un autre, on décide qu'il est réellement nécessaire d'avoir des capacités de transport stratégique ou d'intervention sur terre, nous aurions besoin d'au moins deux sortes de navires différents, avec toutes les complications que cela suppose.

Lorsque nos analystes ont examiné les options, ils ont déterminé qu'il s'agissait probablement de la manière la plus rentable de fournir à la marine ce dont elle a besoin pour travailler — mais aussi dans l'optique des Forces canadiennes, si nous désirons en faire plus, il ne faut pas oublier que l'acier et l'air coûtent relativement peu. Quand on a construit les frégates de patrouille canadienne, l'acier, la coque et la machinerie accaparaient la moitié des coûts; l'autre moitié était destinée aux systèmes de combat mais cette proportion n'est plus la même. Aujourd'hui, l'acier et la machinerie monopolisent environ 30 p. 100 des coûts; 70 p. 100 vont aux systèmes de combat.

Ces navires sont par leur nature passablement différents d'une frégate. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas complexes, mais, tout étant relatif, ils ne le sont pas autant que le concept des navires de soutien interarmées que nous envisageons aujourd'hui. Les navires de soutien interarmées constituent probablement une bonne solution rentable, selon nos plans, si l'on veut intégrer les capacités de commandement et de contrôle stratégiques et le ravitaillement en pétrole.

J'aimerais cependant ajouter un commentaire. Au bout du compte, un navire ne peut faire qu'une chose à la fois. Cela signifie qu'on ne retiendra peut-être pas 100 p. 100 des éléments de solution et qu'il faudra probablement se contenter de 80 à 90 p. 100 des éléments. C'est quand même une bonne chose, mais nous devrons gérer avec prudence et nous devrons bien peser nos décisions dans les années qui viennent.

Le sénateur Munson : Selon votre étude d'impact, c'est vraiment la grande priorité. Est-ce vraiment ce que vous voulez?

Vam MacLean : Nous devons envisager la situation en différentes étapes. Nous nous préparons déjà pour le projet de navire de soutien interarmées, mais en même temps, nous nous préparons pour la mise à niveau des frégates de patrouille canadienne, qui a besoin de plusieurs équipements importants — de nouveaux radars, un nouveau système de commandement et de contrôle, de meilleurs contrôles pour les machines. Quand on parle des navires eux-mêmes, des frégates de patrouille canadienne, on parle de deux cycles de vie. Le cycle de vie de la coque, qui, à notre avis, peut durer 30 ans, et le cycle de vie des systèmes de combat, qui commencent à s'user après environ 15 ans. Nous en sommes déjà là, quant aux systèmes de combat, et nous devons en tenir compte. On peut mettre en œuvre quelques projets indépendants, ajouter quelques équipements pour le commandement et le contrôle, ou des machines — même avec tout cela, en 2011 ou en 2017, environ, il faudra remettre à niveau la frégate. C'est-à-dire le NSI, la frégate. Il reste encore en jeu les hélicoptères et la mise à niveau des aéronefs de patrouille maritime.

Je suis incapable de dire ce qui pour moi est la priorité dans tout cela. Je dois faire un tour d'horizon complet, et m'assurer que j'investis comme il faut, que le moment est bien choisi, et que j'ai évalué toutes les possibilités. Sinon, à un moment donné, nous ne disposerons pas de toutes les capacités dont nous avons besoin là et où nous en aurons besoin exactement.

Le sénateur Munson : Et qu'en est-il de cette bonne vieille Garde côtière? Notre Comité a publié en 2003 un rapport où l'on décrivait la plus longue frontière non défendue du monde, en proposant d'armer les garde-côtes. De toute évidence, vous n'êtes pas d'accord avec cette proposition.

Vam MacLean : En réalité, je n'ai pas d'opinion. Cette question relève du gouvernement et la Garde côtière.

Le sénateur Banks : Pourriez-vous répéter ce que vous venez de dire à propos de la Garde côtière?

Vam MacLean : Que cette décision relève en réalité du gouvernement et de la Garde côtière.

Le sénateur Banks : Lorsque vous dites que la marine est responsable des côtes, et qu'elle doit pouvoir venir tout près du rivage, pensez-vous que la marine doit défendre les côtes du Canada — je ne parle pas de la troisième, qui est impraticable en hiver, mais des deux autres — , pensez-vous que c'est une responsabilité de la marine?

Nous disons, dans notre rapport, corrigez-moi si nous faisons erreur, que les NDC, par exemple, ne peuvent assumer cette fonction très efficacement; et qu'ils ne l'assument d'ailleurs pas; ils servent à l'entraînement des officiers de la réserve.

Vam MacLean : La marine a de grandes responsabilités en ce qui concerne la sécurité des abords des côtes, jusqu'en mer. C'est une de nos responsabilités — nous n'en démordrons pas. Cela n'empêche pas que d'autres ministères s'occupent de certains aspects du régime maritime. Lorsque nous pensons à la réglementation, à savoir à quel moment les navires doivent signaler leur entrée dans nos ports, à quel moment ils sont interdits, quand on parle de toute la question des pêches et de la protection des ressources halieutiques, de la zone économique — le régime maritime touche à bien des facettes, y compris aux douanes. Cependant, quand il est question de sécurité et de défense, nous sommes tout à fait responsables. Si on parle des services policiers — maintien de la paix, douanes —, nous sommes bien sûr prêts à laisser toute la place aux autres ministères concernés.

Nous allons voir que tous ces ministères devront collaborer de plus en plus, à tous les aspects du régime. Ça se fait déjà, bien sûr. Par exemple, lorsque nous partons faire la surveillance des pêches près des Grands Bancs, nous prenons à bord un agent responsable de la surveillance des pêches. Nous ne sommes pas l'organisme responsable de cette surveillance, qui relève plutôt du ministère des Pêches et Océans. Cependant, nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas de coupure apparente. Je crois que c'est la clé : l'absence de coupure.

Le président : Le sénateur Banks vous a posé une question à propos des bâtiments de la patrouille côtière. Nous avons entendu le témoignage de l'amiral Buck, selon qui les vaisseaux sont larges, et peu adaptés aux manœuvres dans les eaux intérieures.

Vam MacLean : Ils sont très utiles quand il s'agit d'assurer une présence et ils peuvent aller dans les eaux intérieures. Leur défaut, c'est qu'ils ne peuvent intervenir, par exemple, dans les Grands Bancs, l'hiver. Ils n'ont tout simplement pas la capacité nécessaire pour les manœuvres en mer. Quand vous manœuvrez ces navires, surtout l'hiver, vous devez être très attentif. Sur ce point, l'amiral Buck a raison. Les bâtiments de la défense côtière ne peuvent assumer ces fonctions. L'hiver, nous devons nous servir des frégates ou des destroyers, pour ces tâches.

Le sénateur Banks : Vous avez raison. Je crois que nous avons déjà parlé des coupures. Nous avons remarqué qu'il y a beaucoup de coupures. À l'heure actuelle, bien des responsabilités relatives à la surveillance, aux patrouilles et à l'examen de nos côtes ne sont assumées par personne. Nous avons suggéré, comme vient de le rappeler le sénateur Munson, que nous pourrions peut-être pour combler cette lacune utiliser la Garde côtière. Je sais qu'elle n'a aucun lien avec la marine, mais je voulais savoir de quelle manière la marine envisage la défense côtière dans son ensemble, pas seulement en ce qui concerne la sécurité et la défense, qui relèvent du mandat de notre Comité. De toute façon, ces deux aspects sont assez bien intégrés, aujourd'hui, plus qu'ils ne l'étaient en 1939, pour reprendre votre exemple. Cette asymétrie signifie que nous devons chercher des navires qui n'ont pas l'air de navires de guerre, mais qui sont dotés des capacités des navires de guerre. C'est à ce genre de patrouille que je pense.

Vam MacLean : Vous avez raison. Je crois qu'il faut aussi répondre à des besoins à long terme. Nous pourrions par exemple investir dans un navire de patrouille océanique, un peu plus important que les navires de défense côtière de la marine, mais qui n'aurait pas nécessairement tous les équipements de combat des frégates ou des destroyers. On peut certainement faire tout ce qu'il faut avec une frégate ou un destroyer, de nos jours. La question est la suivante : pourrait-on faire la même chose à moindre coût avec un autre type de vaisseau? On pourrait la poser d'une autre façon : si les frégates et les destroyers étaient déployés dans une autre région, pourrait-on affecter ce patrouilleur océanique à d'autres fonctions? La réponse est oui, c'est possible. Du point de vue strictement naval, c'est une possibilité qui devrait intéresser l'ensemble du gouvernement; il ne faut pas l'envisager strictement ou exclusivement dans l'optique de la marine.

Le sénateur Banks : Je vais revenir encore une fois sur la question du sénateur Munson en disant que les navires de soutien interarmées sont nécessaires si nous voulons entretenir une flotte quelconque, puisqu'il faut approvisionner en carburant et en munitions tous ces navires. Hier, le général Hillier parlait d'un grand vaisseau, mais d'un type différent, d'un vaisseau de guerre qui pourrait déployer, jusque sur les côtes, des capacités de combat supérieures à celles des navires de soutien interarmées, selon votre description, lesquels seraient moins efficaces à cet égard. On parle de transporter de 1 200 à 1 500 hommes, plutôt que 200, et des hélicoptères de transport lourd. Avez-vous fait des plans? Ce type de navire en fait-il partie? Que pensez-vous de façon générale de tout cela — qui ressemble presque, je crois, aux Royal Marines?

Vam MacLean : En effet. Si je ne me trompe pas, les navires amphibies des Américains eux-mêmes transportent 700 ou 800 soldats. Je ne connais pas de navire capable de transporter 1 500 soldats, sauf peut-être les transporteurs amphibies de la taille des bâtiments de classe WASP, qui font environ 40 000 tonnes. Même avec seulement 500 ou 600 soldats, les appareils amphibies possèdent des capacités uniques. Ils ne disposent pas de capacité de transport stratégique. Ils servent surtout au cantonnement des troupes et aux hélicoptères; ce sont en outre des navires à un seul coffre, ils peuvent donc transporter des troupes au sol, même lorsqu'ils sont attaqués. Ce sont d'importantes capacités, mais elles sont très différentes, si l'on se replace dans le contexte général, des projets concernant un navire de soutien interarmées.

Il existe néanmoins des points communs, en ce qui nous concerne, quand on pense à l'objectif d'amener les Forces canadiennes, dans l'ensemble, à intervenir un peu plus près des côtes et du littoral. Dans quelle mesure exactement, c'est ce qu'il reste à régler. On n'a pas à trancher tout de suite, on peut y aller graduellement. Je crois qu'il faut encore éclairer ce point. Je n'en ai pas parlé spécifiquement avec le général Hillier, mais je crois qu'il faudra étudier la question au cours des prochaines semaines.

Le sénateur Banks : J'imagine que ce projet s'ajoute à celui des navires de soutien interarmées, qu'il ne le remplace pas, n'est-ce pas? Il ne s'agit pas du tout des mêmes fonctions.

Vam MacLean : Les deux projets présentent des éléments communs, mais pour la Marine canadienne, le navire amphibie ne pourrait assumer le ravitaillement dont nous avons besoin. Il s'agit de deux types de coque différents, et les coûts connexes ne sont pas non plus les mêmes.

Le projet de navire de soutien interarmées offre certainement des possibilités. Je dirais que nous avons établi un plan très équilibré en ce qui concerne ce que nous désirons obtenir pour ce navire. On peut le modifier jusqu'à un certain point, mais pas au point de le doter par exemple d'une coque entièrement différente et de lui attribuer des fonctions tout à fait différentes.

Le sénateur Banks : Parlons maintenant un peu de l'utilisation des navires. Lorsque nous avons visité les bases maritimes, nous avons vu, et on nous a confirmé verbalement, que nos navires ne pouvaient être utilisés pour l'entraînement, la patrouille ou d'autres objectifs, aussi longtemps qu'on aimerait le faire ou qu'on s'y serait attendu ou encore qu'on croirait prudent de le faire, compte tenu des diverses circonstances. Est-ce que c'est à cause des contraintes qui découlent du déficit de 142 millions de dollars dont vous parliez?

Vam MacLean : Tout à fait. C'est toujours difficile d'utiliser les navires pour l'entraînement en mer pendant la durée maximale dont nous croyons avoir besoin. On peut régler le problème par d'autres moyens, cependant. Nous sommes beaucoup mieux équipés maintenant, côté simulation, qu'avant l'arrivée des frégates de patrouille ou la mise en œuvre du MNCT. Nous nous en servons beaucoup. Nous avons une plus grande capacité informatique, sur terre, et nous pouvons relier les navires et nos installations sur terre de façon que les équipes de commandement puissent s'exercer et que leurs résultats soient beaucoup plus fidèles à la réalité qu'autrefois. Il n'est plus nécessaire de mettre autant de navires à la mer qu'autrefois pour que l'équipe puisse terminer son entraînement.

Je crois que vous avez tout à fait raison : nous devons donner aux marins qui sont en mer une expérience plus solide. Autrement dit, nous devons former le marin, puis lui assurer un entraînement sur un navire; ensuite, il faut que les navires s'entraînent avec les autres appareils : d'autres navires, des sous-marins et des aéronefs. C'est comme un orchestre. Tous les joueurs peuvent être des virtuoses, chacun de leur côté, mais ils peuvent aussi tous sonner faux lorsqu'on les réunira pour la première fois. Cela doit faire partie des exercices, et cela doit se faire de façon coordonnée; la coordination est un élément vital. Nous devons aussi tenir compte de l'état du navire, par rapport à son programme. Il peut avoir fait l'objet de travaux de radoub ou il peut n'avoir été jamais en meilleur état. Nous faisons de notre mieux pour que chaque marin à bord consacre la bonne quantité de temps à chaque activité.

Le sénateur Banks : À ce sujet, justement. Un navire canadien exécutait des exercices avec quelques-uns de nos alliés et a dû couper court parce qu'il n'arrivait plus à assumer les coûts du carburant — est-ce une histoire tirée de l'Apocalypse?

Vam MacLean : Ça ne se peut pas. Ça ne peut pas nous arriver.

Le sénateur Banks : On m'a corrigé, l'incident impliquait la Garde côtière. À votre avis, serait-il souhaitable que la Garde côtière et la Marine communiquent l'une avec l'autre en toute sécurité?

Vam MacLean : Nous le ferons. À coup sûr, d'ici quelques années, nous aurons grandement amélioré ces capacités. Si nous pouvons compter sur des centres des opérations de sécurité maritime et si nous désirons réduire les coupures, nous devons savoir, chaque fois qu'un bateau quitte Rotterdam en direction de Halifax, exactement tout ce qui se passe pendant son voyage, à partir du moment où le capitaine du port de Rotterdam reçoit ses documents jusqu'au moment où il arrive à Halifax. Cela veut aussi dire que tous les navires du gouvernement du Canada auront en mer tout l'équipement dont ils ont besoin pour savoir exactement ce qui se passe. C'est essentiel. Nous ne sommes pas encore entièrement opérationnels à ce chapitre, mais nous devons l'être, et nous y travaillons.

Le sénateur Banks : J'ai une dernière question qui fait suite à la question posée un peu plus tôt par le sénateur Kenny. Elle concerne le fait que nous allons inévitablement perdre nos destroyers et toutes les capacités de commandement qu'ils sont les seuls à posséder. Vous avez dit qu'elles ne pourraient être toutes intégrées dans une frégate. Vous avez parlé d'une nouvelle classe de navire, dont certains de nos membres ont entendu parler, mais pas moi; il s'agit de la catégorie unique. La Norvège ou la Suède construit ce type de navire depuis quelque temps déjà. Il s'agit semble-t-il d'une construction modulaire. On construit une coque, et on met dedans ce qu'on veut.

Cela dit, pourriez-vous m'expliquer le processus d'approvisionnement du point de vue de la Marine? Qu'est-ce qui est le plus important pour vous, être le plus rentable possible en achetant une coque qui répondra aux exigences, de la Suède ou de la Norvège ou d'ailleurs, ou veiller à ce que cette partie du navire soit fabriquée au Canada, dans les chantiers navals canadiens?

Vam MacLean : Me permettez-vous d'offrir plusieurs réponses?

Le sénateur Banks : Je vous en prie.

Vam MacLean : Sous l'angle strict de la Marine, peu importe la provenance du navire, dans la mesure où il est doté de capacités maximales. Le gouvernement du Canada défendrait peut-être une autre opinion, si l'on envisage d'aménager dans une nouvelle coque les capacités actuelles en ce qui concerne en particulier le commandement et le contrôle, il faut être bien conscient des défis, si nous décidons de le faire faire à l'étranger. Si nous disposons de capacités solides et souples, par exemple à Montréal, principal fournisseur des systèmes de combat de la frégate, puis-je garantir, du point de vue de la sécurité du Canada, que nous pourrons tout faire ensemble? Je crois que nous le pouvons. Je crois qu'il est très possible, dans le contexte actuel, que la prochaine classe de navire soit assemblée au Canada. Peut-être que certaines pièces viendront d'autres pays. Je crois qu'aujourd'hui tout est possible.

Du point de vue de la Marine, ce sont les capacités qui retiennent mon attention. Du point de vue du Canada, je crois qu'il serait très utile de vérifier l'engagement de l'industrie canadienne, parce que je ne veux pas, pendant la durée de vie du navire, devoir aller à l'étranger chaque fois qu'il y a un problème important.

Rappelons à ce sujet que les systèmes de commandement et de contrôle peuvent avoir des répercussions sur la sécurité. Rappelez-vous ce que j'ai dit tantôt sur les navires modernes : 70 p. 100 des coûts sont affectés aux systèmes de combat et 30 p. 100 à l'acier. Quand on parle de construction navale, aujourd'hui, on pense à l'acier, non pas aux systèmes de combat ou à l'intégration des éléments; c'est pourtant le principal. D'ici à ce que ce navire soit construit, nous aurons vraiment le choix du marché. Nous ne devons écarter aucune possibilité.

Le sénateur Banks : Est-ce qu'on peut le faire en 15 ou 18 ans? Peut-on en faire les plans et le construire?

Vam MacLean : Nous le pouvons, mais laissez-moi quand même vous dire que nous aurons de la difficulté à atteindre les objectifs. C'est un véritable défi.

Le sénateur Banks : Combien coûtera-t-il?

Vam MacLean : Honnêtement, je l'ignore. On peut établir pour commencer le coût de la frégate canadienne de patrouille, qui est manifestement amorti, au même titre que l'infrastructure, le soutien logistique intégré et le navire proprement dit. On arrive à 800 ou 900 millions de dollars par navire — en dollars de 1990.

Le sénateur Banks : On peut donc dire un milliard de dollars par navire?

Vam MacLean : Dans ces eaux-là, au moins.

Le président : Si j'ai bien entendu, quand vous avez répondu au sénateur Munson, vous avez dit que vous envisagiez tous ces projets sur le même pied, le navire de soutien, la modernisation des navires de classe Halifax et les autres projets. Avez-vous dit aussi que vous n'aviez pas établi de liste de priorités?

Vam MacLean : Ce sont tous des projets prioritaires. Pour conserver l'éventail de nos capacités, nous devons investir dans chacun des éléments. Il ne faut pas se retrouver par exemple avec une frégate incapable d'appuyer un navire de soutien interarmées. Tous les éléments doivent être des maillons d'une même chaîne. Bien sûr, je pourrais affirmer, demain, que le navire de soutien interarmées est une priorité absolue et que nous y travaillerons pour les cinq prochains mois, après quoi je peux dire que le projet de mise à niveau des radars, pour lequel nous devons compter sur le Conseil du Trésor, est devenu l'élément essentiel. C'est vraiment un casse-tête. Il faut s'assurer que toutes les pièces s'imbriqueront les unes dans les autres au moment exact où nous en aurons besoin.

Le président : J'ai peut-être tout simplement mal compris votre étude d'impact de 2004. On trouve dans ce document ce qui me semble une liste bien claire des priorités. Le navire de soutien interarmées figure au point a, et le bâtiment de combat de surface de classe unique au dernier point, le point h.

Vam MacLean : Tous ces projets sont importants.

Le président : C'est bien écrit que vous allez vous occuper de la mise en œuvre des projets en respectant leur importance relative. À mon avis, cela signifie que vous allez commencer par le projet a, pour finir le projet h.

Vam MacLean : Je crois que c'est comme tout le reste; je tenais compte aussi de l'ordre chronologique de ces événements. J'aurais peut-être dû réfléchir à cela quand j'ai dressé la liste, mais il est évident que tous ces éléments sont importants. Si nous voulons que la Marine de l'avenir soit une bonne marine, tous ces éléments sont importants.

Le président : Je tiens compte du rythme des opérations et de tout ce que le gouvernement demande à la Marine lorsque je prends connaissance de vos commentaires sur les défis et les pressions. Vous y dites notamment, et j'aimerais que vous commentiez lorsque j'aurai fini, que le report et l'annulation de plusieurs grands projets forcera la Marine à utiliser ses équipements plus longtemps que prévu, et que la situation aura d'inévitables conséquences. Vous parlez entre autres du montant des fonds réservés à l'approvisionnement national, déjà maigres, de la possibilité qu'on ne puisse plus prendre en charge l'équipement en place sans oublier les problèmes de sécurité connexes qui pourraient découler d'un usage continu. Vous dites que sans financement supplémentaire, vous ne serez pas en mesure de continuer à assurer le même niveau de capacité. Selon vous, les radars des navires de classe Halifax ou Iroquois constituent déjà un grave problème de prise en charge.

Qu'essayez-vous de nous dire ici, monsieur?

Vam MacLean : C'est comme avec votre automobile. Vous pouvez décider d'investir dans votre automobile plutôt que d'en changer. Vous pourrez vous en servir, bien sûr, mais, chaque fois que vous prendrez la route, vous serez un peu moins sûr d'arriver à destination. Du point de vue militaire, ce qu'il est plus important de souligner, c'est qu'il ne faut pas investir dans des équipements obsolètes. Nous aurons toujours une Marine, et ces choix se présenteront toujours. Je ferai de mon mieux pour les gérer, avec les ressources qu'on me donne.

Le président : Le travail que vous faites avec vos collaborateurs mérite un grand respect de notre part. La façon dont vous vous en tirez est à notre avis remarquable. Je vais vous poser une autre question. Un nouveau budget sera présenté au cours du mois. Supposons un instant que l'on augmente votre budget de façon substantielle; les problèmes dont vous faites état dans votre étude d'impact continueront d'empirer, avant que la situation ne commence à s'améliorer. Est-ce bien cela?

Vam MacLean : La durabilité, c'est-à-dire conserver notre armée en état de fonctionnement optimum, c'est un problème. Cela n'est pas seulement une question de ressources financières, c'est aussi une question de ressources humaines. Nous aurons besoin de temps pour poursuivre. La dégradation de nos capacités prend un certain temps, mais il faudra aussi du temps pour reprendre le dessus.

Le président : La dégradation se poursuivra et s'accélérera, même si on injecte des sommes importantes demain. La dégradation se poursuivra encore deux ou trois ans, avant qu'on reprenne le contrôle de la situation, et qu'on commence à voir des améliorations.

Vam MacLean : Je peux affirmer devant vous aujourd'hui que la Marine est toujours aussi efficace. Il ne fait aucun doute, cependant, que sans financement adéquat, la détérioration est inévitable. Je ne peux pas vous dire après combien de temps on pourra observer les résultats des mesures, un an, deux ans, trois ans. Entre le moment où on obtient de l'argent et celui où les bonnes personnes utilisent ces ressources, il s'écoule du temps. Il faut du temps pour stabiliser la situation.

Le sénateur Forrestall : On ne peut s'empêcher de se demander pourquoi il faut tant de temps. Puis-je vous poser quelques questions sur les Sea King, la transition, l'acquisition des S-92 et sur les échanges de pilotes? De façon générale, quelle sorte d'appui obtenez-vous de l'aéronavale pour cette transition? Devrez-vous — par choix ou parce que vous ne pourrez faire autrement — utiliser encore longtemps les programmes de simulation des Sea King? Peut-être s'agit-il d'une façon de prolonger le peu d'heures qui leur reste?

Vam MacLean : Du point de vue militaire, on a d'un côté le problème très délicat, quand on parle de guerre anti-sous-marine, du caractère fondamentalement obsolète des Sea King. Il est entendu que nous devons remplacer cet aéronef. Par contre, à l'opposé, les Sea King sont aussi de bons appareils de transport lourd. Nous les utilisons parce qu'ils sont sûrs. C'est un gros hélicoptère, très utile pour toutes sortes d'opérations. Nous nous en sommes servi par exemple en mer d'Arabie, et nous nous en servons près des côtes de Halifax. Nous allons utiliser ces hélicoptères pendant encore cinq ans, jusqu'à l'arrivée des S-92. Voilà la situation que nous devons gérer.

Le sénateur Forrestall : J'aurais aimé qu'on en envoie un dans le Nord, l'été dernier, pour aider pendant le récent déploiement.

Les problèmes qui concernent cet aéronef se répercutent malheureusement sur toute la planification, et doivent constituer pour vous un obstacle. Quand allez-vous abandonner la technologie des Sea King et la mise à jour des habiletés de vol pour adopter les nouveaux aéronefs?

Vam MacLean : Avant même d'en prendre livraison. Nous allons devoir organiser plusieurs essais. Nous devons garantir la sécurité de la frégate canadienne de patrouille. C'est déjà une mesure permanente, à une étape préliminaire, mais quand nous serons en 2007, 2008 ou en 2009, il faudra avoir maîtrisé un certain nombre de ces éléments. Si vous voulez une opinion concernant les pilotes et les aéronefs, j'aimerais que vous posiez vos questions au Chef d'état-major de la Force aérienne.

Le sénateur Forrestall : C'est vraiment un élément important des destroyers.

Vam MacLean : En effet.

Le sénateur Forrestall : Avez-vous élaboré un programme d'urgence pour le cas où une personne comme moi dirait : « Pour l'amour du Ciel, clouez ces appareils au sol avant qu'il y ait des pertes de vie »? J'ai déjà parlé à mots à peine voilés, à cause de la frustration que je ressens, de la possibilité de demander à des autorités civiles de me donner un avis sur la sécurité de cet appareil. Je sais ce qu'on me répondrait, c'est pourquoi je ne leur demande pas. Avez-vous élaboré des plans d'urgence?

Vam MacLean : Oui, nous avons un programme. Aucun vol ne sera effectué dans les Sea King s'ils ne sont pas sûrs : c'est aussi simple que cela. Donc, si on juge, à un moment ou à un autre, qu'ils ne sont pas sûrs, on ne les utilisera pas. Quoi qu'il en soit, les choses étant ce qu'elles sont, et en raison de ce qui nous attend, nous ferons les investissements nécessaires pour que ces aéronefs soient sûrs.

Le sénateur Forrestall : S'il n'est plus possible de les utiliser en toute sécurité, est-il possible de louer un appareil? Je suis sérieux. Je ne fais pas de blague.

Vam MacLean : Vous parlez de sécurité. Nous prenons les mesures nécessaires pour que les vols de cet aéronef soient sûrs. La viabilité opérationnelle de l'aéronef est une autre question; en ma qualité de chef de la marine, c'est la question qui me préoccupe.

Le sénateur Forrestall : L'aéronef n'est pas viable sur le plan opérationnel.

Vam MacLean : En ce qui concerne certaines opérations difficiles qui se déroulent en mer, il ne l'est pas.

Le sénateur Forrestall : Nous avons envoyé un des meilleurs aéronefs que nous avions dans le Nord, et on a constaté rapidement l'existence de cinq ou six problèmes nouveaux, qui auraient chacun justifié qu'on le cloue au sol. Je considère que cet aéronef n'est pas sûr sur le plan opérationnel. Je connais bien plusieurs de ces hommes et de ces femmes. Je les connais depuis qu'ils sont jeunes.

Le général Hillier a parlé d'un super vaisseau de réapprovisionnement, qui semble beaucoup plus imposant que ce que l'on avait cru au départ. Diriez-vous que l'appareil 101 est un hélicoptère de transport moyen ou lourd?

Vam MacLean : Oui. On peut même dire que les Sea King sont des hélicoptères de transport moyen.

Le sénateur Forrestall : Pourriez-vous décrire le Cormorant?

Vam MacLean : Le Cormorant pèse environ 30 000 livres, et le Sea King, environ 20 000. Il est donc évidemment plus lourd, mais il fait quand même partie de la classe des hélicoptères de transport moyen.

Le sénateur Forrestall : Si j'ai bien compris, on peut configurer le Cormorant de façon qu'il puisse embarquer un véhicule roulant et de 25 à 30 soldats complètement armés. Avez-vous évalué cette possibilité?

Vam MacLean : La version navale, le Cyclone, n'est certainement pas assez grande pour ça.

Le président : Sénateur, nous parlions des exigences de l'Armée lorsque le général Hillier a soulevé cette question.

Le sénateur Forrestall : Il a dit que l'appareil serait transporté sur un vaisseau.

Vam MacLean : Il ne s'agira pas d'un hélicoptère maritime. Il s'agira d'un hélicoptère de transport moyen destiné au soutien de l'armée. Ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Forrestall : Vous m'avez compris. Peu importe à qui l'appareil est destiné. Tout ce que je veux, c'est qu'il soit efficace et sûr et facilement gérable sur le plan financier, contrairement au Sea King. Le Cyclone est un appareil inutile. Achetez un appareil efficace et utile. Faites-vous entendre, amiral.

Vam MacLean : Nous achetons le Cyclone, et j'ose espérer qu'il sera utile.

Le sénateur Munson : Quelque chose m'intrigue dans votre étude d'impact. À la page 6, vous dites que le manque de financement aura de graves répercussions. Vous affirmez que la représentation du Canada dans les forums internationaux et à l'OTAN sera réduite au point où la présence de la Marine canadienne, sa participation active, sa crédibilité et, par voie de conséquence, son influence, seront presque nulles. Sous la rubrique « Gouvernance », vous expliquez qu'il sera très difficile de conserver la capacité de soutenir complètement les programmes tels que l'équité en emploi, de respecter adéquatement le principe de la diligence raisonnable et de porter attention aux questions d'environnement et de sécurité. Vous soulignez qu'il vous sera impossible de poursuivre la décontamination de nombreux sites, que vous devrez vous contenter d'en limiter l'accès.

Vous êtes très clair. Sans argent, vous ne pourrez faire votre travail.

Vam MacLean : Si je n'ai pas ce financement, j'essaierai de m'en tirer au meilleur de mes capacités. Nous déclarons que toutes les décisions que je prendrai au meilleur de ma connaissance auront pour but de préserver l'efficacité de la Marine en mer.

Le sénateur Munson : Qu'est-il impossible de faire en ce qui concerne l'équité en emploi?

Vam MacLean : Nous décrivons un certain nombre de mesures de réglementation, qui concernent l'environnement ou l'équité en emploi, qui toutes entraîneront des frais. Quand je prends une décision, j'examine attentivement tout ce que j'ai à faire, et je dépense l'argent de la façon qui, à mon avis, soutient le mieux le positionnement de la Marine. Ça peut donc très facilement vouloir dire que je ferai face à des choix très déchirants, dans certains dossiers, pas seulement en matière d'emploi, mais dans tous les secteurs. On parle aussi de l'environnement. Tout cela coûte de l'argent.

Le sénateur Munson : C'est une déclaration importante.

Le sénateur Day : Amiral, le nouveau chef d'état-major de la Défense nous transmet beaucoup d'information sur les éléments qu'on s'attendrait à trouver dans un nouvel énoncé de politique sur la défense. Tout cela est ressorti la semaine dernière, ou peu avant. Nous croyons aussi savoir que la version précédente a été transmise au ministre de la Défense nationale. Est-ce que vous avez entamez un nouveau cycle de réflexion, d'approbation et de rédaction d'une nouvelle version de la politique sur la défense?

Vam MacLean : Pas en ce qui me concerne; mais vous devriez poser la question au général Hillier.

Le sénateur Day : Toutes les déclarations, tout ce que nous avons entendu, ici, qui se démarque si radicalement de sa vision, qu'on nous a exposée il y a deux semaines, tout cela a été élaboré uniquement par le général Hillier?

Vam MacLean : Je ne crois pas moi non plus que cela soit juste; je crois que, du côté de la Marine, on a travaillé dur et longtemps. Je soutiens fermement les objectifs. Tout ce que j'ai vu, et tous les dossiers auxquels j'ai participé montrent très bien que la Marine se transforme et que, comme je l'ai déjà indiqué, elle sera active non plus seulement en haute mer, mais aussi dans le régime littoral. Ça se passe ainsi depuis déjà un certain temps. C'est conforme à bien des éléments sur lesquels la Marine a déjà insisté et, en fait, qu'elle a mis en œuvre il y a déjà quelques années.

Le sénateur Day : Permettez-moi de rappeler, amiral, qu'il y a deux semaines, quand il a été question de la Marine, on parlait d'un navire de soutien interarmées ou de deux ou trois de ces navires. Aujourd'hui, on lit dans les journaux que le général Hillier aimerait que l'on se dote d'un bâtiment de transport de troupes comme ceux de la classe San Antonio. D'où vient cette nouvelle idée?

Vam MacLean : Si je me rappelle bien, l'article disait aussi que le général Hillier aimerait beaucoup examiner le concept des navires de soutien interarmées pour savoir s'ils possèdent ou non cette capacité. Je ne pense pas que le général ait été à ce point affirmatif; cela fait certainement partie des options, et le navire de soutien interarmées est le premier sur la liste. Voilà où nous en sommes, voilà où nous allons. Si l'on apportait un changement quelconque, un changement important quelconque, il faudrait d'abord en discuter.

Le sénateur Day : Vous n'avez jamais participé à une discussion où il était question d'un transport de troupes d'une capacité de 1 500 soldats?

Vam MacLean : Non, ça ne m'est jamais arrivé.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Day. Amiral, merci de vous être présenté devant nous aujourd'hui. Votre témoignage est précieux pour les membres du comité. Les renseignements que vous nous avez fournis seront très utiles pendant l'examen. J'espère que vous reviendrez parmi nous, lorsque le document sera produit. Nous espérons pouvoir bientôt discuter encore de cette question, mais pour le moment, je vous remercie au nom de l'ensemble du comité pour votre contribution. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu ici aujourd'hui.

La séance est suspendue pendant dix minutes.

La séance reprend.

Le président : Sénateurs, veuillez accueillir le vice-amiral Greg Maddison, sous-chef d'état-major de la Défense. M. Maddison est un officier de carrière des opérations navales qui a assuré le commandement à tous les échelons de l'organisation; il a notamment été Commandant de la Marine. Il a aussi commandé la Force navale permanente de l'Atlantique de l'OTAN en 1993 au moment de l'embargo multinational imposé dans la mer Adriatique aux anciennes républiques yougoslaves de Serbie et du Monténégro. Il a en outre occupé un certain nombre de postes de fonctionnaire supérieur, à Ottawa.

Vam Maddison est diplômé du Collège militaire royal, du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes et du Collège de la Défense nationale de Kingston. Il a été décoré de l'Ordre du mérite militaire en 1984 et de la Croix du service méritoire en 1994. Il a été promu au grade de commandant de l'Ordre du mérite militaire en 1997.

Le comité vous souhaite la bienvenue. Nous sommes très heureux de vous avoir devant nous. Je crois savoir que vous avez une brève déclaration à faire.

Vice-amiral Greg Maddison, sous-chef d'état-major de la Défense, ministère de la Défense nationale : Je vous remercie, monsieur le président, merci de cette agréable présentation.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureux d'avoir l'occasion d'être ici, devant vous, aujourd'hui. En qualité de sous-chef d'état-major de la Défense, j'ai entre autres la responsabilité de planifier et d'exécuter les missions que le gouvernement du Canada confie au chef d'état-major de la Défense. Les commandants de la Marine, de la Force terrestre et de la Force aérienne sont les principaux responsables de l'organisation des troupes qui exécuteront ces missions. J'ai néanmoins la responsabilité directe de l'organisation de certaines forces spéciales, notamment la Force opérationnelle interarmées 2 et le Groupe mixte des opérations. Une fois que les commandants ont formé et équipé leurs troupes, c'est sur moi que retombe, pour le compte du CEMD, la responsabilité de leur service autour du monde et de leurs interventions en cas de crise, ici, au Canada.

[Français]

Comme vous le savez, les Forces canadiennes ont remarquablement bien représenté tous les Canadiens. Nous nous trouvons cependant au centre d'un défi opérationnel majeur. Nous n'avons jamais été aussi occupés depuis la fin de la Guerre froide. Depuis 1990, le nombre des opérations déployées auxquelles nos militaires ont participé a triplé, comparé à la période entre 1945 et 1989.

En même temps, la durée de plusieurs de ces déploiements et le nombre des déploiements simultanés dans divers théâtres dans le monde a augmenté. Cette augmentation du nombre et de la complexité des exigences des missions internationales a été frappante.

[Traduction]

Pendant qu'elles s'efforcent de suivre le rythme rapide des opérations à l'étranger, les Forces canadiennes doivent répondre aux nombreuses demandes qui visent le Canada. Sans compter les missions de routine au Canada et sur le continent, nous avons déployé depuis 1989 dix grandes opérations sur le territoire canadien. Même si elles sont en général de courte durée, ces « pointes opérationnelles » au Canada ont imposé une charge supplémentaire sur nos gens et nos équipements.

Dans l'ensemble, malgré tout, je crois que nos gens ont répondu de façon extraordinaire, en garantissant aux Canadiens qu'ils étaient prêts à répondre aux appels d'aide sans préavis. Je suis convaincu que c'est une conséquence de l'entraînement de très haut niveau que suivent nos soldats et de la qualité du leadership qui s'exerce à tous les échelons des Forces canadiennes.

Quoi qu'il en soit, pour exécuter ces missions, il faut y mettre le prix. Quand on sait que, pendant la plus grande partie de cette période, nous avons dû manœuvrer avec un budget restreint et une structure opérationnelle beaucoup plus légère, on comprend que l'accélération du rythme des opérations a été dure pour nos soldats et qu'elle a eu un effet direct sur leur qualité de vie. Il faut aussi comprendre qu'en plus des répercussions directes sur le personnel, cette situation a eu des répercussions malheureuses sur l'équipement, qui est beaucoup plus utilisé. Ce rythme exige en outre une plus grande productivité de nos écoles et centres d'entraînement. En résumé, les répercussions négatives du rythme des opérations visent non seulement nos gens et notre capacité de remplacement de l'effectif, mais l'ensemble des éléments des Forces canadiennes, y compris l'équipement et l'infrastructure. Elles touchent aussi, par ricochet, notre capacité générale de maintien des opérations.

[Français]

Reconnaissant le besoin de regénération, le gouvernement a récemment accepté le besoin pour les Forces canadiennes de réduire temporairement ses engagements sous la forme d'une « pause opérationnelle ». Les contributions réduites actuelles sont bien équilibrées entre l'armée, la marine et l'aviation. Alors, quelle est la réalité probable à long terme? À quoi devons-nous nous attendre en termes de rythme opérationnel futur?

[Traduction]

En réalité, des forces armées bien entraînées et expérimentés sont rares. J'estime que les turbulences du contexte de la sécurité internationale feront en sorte que l'on continuera de demander à quelques pays, dont le Canada, de fournir les forces modernes et robustes nécessaires à ce type d'opération complexe, et que ces pays continueront de jouer un rôle de leader pour favoriser la sécurité et la stabilité à l'étranger.

Les Forces canadiennes sont l'une des rares armées au monde capables d'exécuter de front et avec une efficacité égale diverses missions opérationnelles, qui vont d'une aide humanitaire aux combats en passant par la stabilisation. À cet égard, l'expérience de notre opération Apollo est instructive. Notre Force aérienne, entre autres missions, a fourni un pont aérien à des fins humanitaires; notre Marine a effectué des opérations de stabilisation dans le golfe Persique et tenté de localiser des terroristes de façon à permettre la stabilisation du commerce maritime; enfin, le groupement tactique du 3-PPCLII menait des opérations de combat contre Al-Qaeda et les Talibans, en Afghanistan : il s'agissait fondamentalement d'une guerre régionale sur trois fronts.

[Français]

Bien que difficiles à prédire, les demandes pour les Forces canadiennes au pays n'iront certainement pas en baisse. En fait, étant donné le nouveau contexte de la sécurité continentale, il n'est pas irréaliste de s'attendre que l'armée sera requise d'augmenter son soutien aux autres ministères et agences gouvernementales dans un effort coordonné pour améliorer la protection des Canadiens, de notre territoire et de nos approches aériennes et maritimes.

[Traduction]

Je me contenterai de dire que la capacité des Forces canadiennes de répondre aux exigences futures dépendra énormément de la capacité du gouvernement d'investir dans nos ressources humaines et nos capacités opérationnelles.

Pour finir, monsieur le président, les Forces canadiennes ont changé la vie de bien des gens, au Canada comme à l'étranger. Je crois en outre que leur rôle est de protéger les Canadiens, leurs intérêts et leurs valeurs, et que ce rôle reste un élément essentiel de notre future politique sur la sécurité nationale. C'est pourquoi je ne crois pas que les exigences imposées à nos militaires, au Canada ou à l'étranger, diminueront; je crois qu'au contraire, elles devraient augmenter.

Cela dit, nos militaires ont été surutilisés ces dernières années. Nous ne devons pas sous-estimer les conséquences du rythme des opérations sur nos ressources humaines, notre équipement et notre infrastructure, ni l'ampleur des mesures qu'il faudra prendre pour relever tous ces défis. En tant que soldats, nous sommes très sensibilisés à votre soutien et au soutien de votre Comité, à ce chapitre, et nous vous en remercions. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, vice-amiral Maddison. C'est nous qui devons vous remercier. L'efficacité des hommes et des femmes qui font partie des Forces canadiennes et la façon dont ils agissent en cas d'adversité nous surprendront toujours.

Le sénateur Banks : Bonjour. C'est un plaisir de vous revoir. J'aimerais unir ma voix à celle du président lorsqu'il exprime son admiration et le grand respect que nous avons pour vous et pour les personnes qui travaillent avec vous pour arriver à faire ce qui nous semble parfois des miracles.

J'ai été heureux de vous entendre parler, dans votre mot d'ouverture, de la pause opérationnelle. Lorsque nous avons intégré à l'un de nos rapports une première recommandation en ce sens, tout le monde a ri de nous; la décision d'imposer une pause opérationnelle a été prise peu après, lorsqu'on a reconnu qu'elle était clairement essentielle. Nous sommes heureux de cette issue.

Je crois que tout le monde comprend que la nature du travail que l'on exige des soldats a radicalement changé ces derniers temps — il n'y a plus de guerres symétriques, du moins pour le moment — et que cette évolution a entraîné une modification de la composition des armées. Pourriez-vous répondre à deux questions? J'aimerais d'abord savoir sur quoi vous fondez vos décisions lorsque vous mettez sur pied une force armée que vous enverrez en mission, au Canada ou à l'étranger? Ces forces ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles proviennent de différentes ressources, et forment un tout. Comment prenez-vous vos décisions? Quels groupes de compétences des Forces canadiennes subissent le plus de pressions à cet égard? Par exemple, la pénurie de personnel est-elle plus importante dans le secteur des communications, et est-ce que ce sont les communications qui subissent le plus de stress dans les zones des opérations? Sinon, de quels groupes s'agit-il?

Voici la deuxième partie de ma question. Pourriez-vous nous parler du processus que vous suivez au moment de déterminer les règles d'engagement pour chacun de ces groupes? Aujourd'hui, dans plusieurs spectacles populaires, on attire l'attention des Canadiens, encore une fois, sur les problèmes relatifs aux règles d'engagement — avez-vous le droit de sauter dans le bateau? Pouvez-vous recourir à une force meurtrière pour protéger la vie de ces personnes?

Lorsque nous collaborons à ce type de mission avec des armées alliées, nos règles d'engagement sont-elles toujours les mêmes que celles de nos alliés? J'espère que vous verrez de quelle façon ces questions sont jusqu'à un certain point liées l'une à l'autre.

Vam Maddison : Sénateur, votre question touche à beaucoup d'aspects différents. Je vais quand même essayer d'y répondre en vous donnant un court exemple. Lorsque nous voyons se dessiner une crise qui concerne l'intérêt national et qu'il est possible que des forces militaires soient déployées, il en est longuement question dans les discussions et les débats des divers ministères, jusqu'au Cabinet du premier ministre et au Bureau du Conseil privé, entre autres.

Une fois que le gouvernement a décidé que les Forces canadiennes pouvaient apporter une contribution très positive à une mission, il détermine les objectifs stratégiques que nous devons respecter. Nous élaborons notre mission en fonction de ces objectifs stratégiques, et nous choisissons les éléments des Forces canadiennes qu'il faut utiliser pour garantir l'optimisation de nos capacités et des compétences de nos ressources humaines dans le but de réaliser ces objectifs stratégiques.

En Afghanistan, par exemple, nous étions de toute évidence en présence d'un État déchu. Dans ce cas, il fallait d'abord et avant tout assurer un niveau de sécurité qui permettrait à la nation de mettre sur pied un gouvernement autochtone, dans un délai donné. Nous savions que nous aurions donc besoin de plusieurs types de composantes, et surtout des composantes terrestres, pour aider les forces de la coalition à faire échec aux terroristes — le groupe al-Qaeda et les Talibans — puis pour soutenir le gouvernement et ses composantes jusqu'au moment où il aurait réussi à élire un président puis, à une autre étape, au printemps, à élire un parlement.

Nous évaluons les différentes composantes : où sont nos capacités? Où sont nos compétences? Quel est le meilleur moyen de réaliser les objectifs stratégiques que nous a donnés le gouvernement? La mise sur pied de ces capacités exige beaucoup de discussions.

Votre question concerne aussi les points de friction sur lesquels nous achoppons lorsque nous devons mettre une force sur pied. Les groupes spécialisés nous posent le plus de problèmes, par exemple le groupe des services de santé — médecins, infirmières, pharmaciens, anesthésistes, et cetera — dont la capacité est assez réduite, pour l'instant, compte tenu de la taille de l'effectif dont on dispose pour assurer les soins de santé et soutenir nos soldats pendant les déploiements.

Il y a ensuite les groupes du génie : en ce qui concerne les techniciens spécialisés en technologies de pointe, la taille de l'effectif et la pénurie à ce chapitre représentent un véritable défi. La situation est la même pour une partie des communications longue portée. Ce sont quelques-uns des secteurs — je parlerai du ciment qui lie tous les éléments d'une opération, qu'elle soit terrestre, aérienne ou maritime — les plus visés par la surcharge de travail, ceux qui nous donnent le plus de fil à retordre.

Vous avez abordé un troisième sujet, celui des règles d'engagement qui sont définies en fonction des objectifs stratégiques du gouvernement et des buts fixés par les forces de la coalition, avec qui le gouvernement a conclu une entente; le chef d'état-major de la Défense — qui me consulte, comme il consulte le juge-avocat général et plusieurs autres personnes — élaborera les règles d'engagement qui seront communiquées à tous nos soldats dans le but de garantir qu'ils réussiront leur mission. La communication des règles d'engagement, qui garantissent que nous pourrons réaliser les objectifs stratégiques, fait partie de nos responsabilités — au bout du compte, c'est le CEMD qui en a la responsabilité. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Banks : Tout à fait. Est-ce que vous devez respecter une certaine orientation politique à ce titre?

Vam Maddison : Pas du tout. C'est le chef d'état-major de la Défense qui a la responsabilité d'établir les règles d'engagement et de donner aux soldats la formation adéquate, de façon que lorsqu'ils se retrouveront dans le théâtre des opérations, ils seront prêts à exécuter leur mission. Ils comprennent les limites et les paramètres qui concernent l'utilisation de la force, ils savent s'ils peuvent ou non utiliser une force meurtrière. Évidemment, les hommes et les femmes des forces terrestres, aériennes ou maritimes connaissent les règles qui concernent la défense légitime, et peuvent les appliquer. Toutefois, quand il s'agit de l'usage de la force, c'est au CEMD, et à lui seul que revient la responsabilité de déterminer les règles d'engagement qui lui permettront de garantir au gouvernement que notre mission sera couronnée de succès.

Le sénateur Banks : Et tout cela, c'est dans le but de respecter la politique du gouvernement du Canada, n'est-ce pas?

Vam Maddison : Exactement. Il existe un lien évident, puisque nous devons respecter à 100 p. 100 les directives du gouvernement.

Lorsque nous collaborons dans le cadre d'une coalition, ce qui est presque toujours le cas, pour les Forces canadiennes, nous nous efforçons d'harmoniser les règles d'engagement de toutes les parties. Nous devons cependant élaborer les règles d'engagement pour le Canada; nos règles seront parfois légèrement différentes. Cela nous donne une certaine latitude. Parfois, nous pourrons en faire plus que les autres membres de la coalition avaient prévu au départ; parfois aussi, nous en ferons moins que ce qu'ils auraient souhaité. La nation est responsable des règles d'engagement, mais si nous pouvons harmoniser les règles d'engagement des différents membres, nous le ferons le plus possible. Au bout du compte, cependant, il revient à notre pays de décider du degré de force que nous voulons que les Canadiens exercent.

Le sénateur Banks : Si vous étiez le commandant d'une force de ce type, et vous l'avez déjà été, et si les différences entre les règles d'engagement étaient importantes, votre capacité de commander ne serait-elle pas moins grande?

Vam Maddison : C'est une question très intéressante. Je vous donnerai un exemple, tiré d'une expérience que j'ai vécue lorsque j'étais dans l'Adriatique. J'avais sous mes ordres 14 nations différentes, qui avaient toutes leurs propres règles d'engagement. Il existait bien sûr un ensemble de règles d'engagement communes à tous les membres de la coalition, mais certaines nations, par exemple, n'avaient pas la permission de monter à bord de navires commerciaux. D'autres nations n'armaient pas leurs équipes d'arraisonnement; la plupart des autres équipes, celle du Canada, notamment, était armée. Un commandant devra tenir compte de toutes ces différences et ces réalités contraires pour mettre en place une structure opérationnelle qui lui permettra de tirer le maximum de ses capacités et d'atténuer le plus possible ses limites.

J'utilisais par exemple les nations qui n'avaient pas le droit d'arraisonner un navire à d'autres tâches, qui ne supposaient pas ce type d'intervention. Je les affectais par exemple à des activités de surveillance. Un commandant digne de ce nom apprend à utiliser ces différences à son avantage, si vous voulez, dans le but de réaliser ses objectifs.

Le sénateur Banks : En résumé, vous faites face à la musique?

Vam Maddison : C'est tout à fait ça.

Le sénateur Day : Amiral, laissez-moi d'abord vous dire que nous savons tous que vous allez prendre votre retraite des Forces canadiennes, un peu plus tard cette année. Vous vous êtes élevé au rang de sous-chef d'état-major de la Défense, et c'est une magnifique réalisation. Nous sommes très fiers de vous et des services que vous nous avez rendus tout au long de ces 33 années. En notre qualité de sénateurs, nous tenons à vous remercier de votre collaboration et de tout le travail accompli en 33 ans. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans vos nouvelles activités.

Vam Maddison : C'est très gentil à vous de le mentionner, merci beaucoup.

Le sénateur Day : Les officiers supérieurs se préoccupent toujours des hommes et des femmes qui servent sous leurs ordres. Pendant votre exposé, vous avez parlé des lourdes conséquences des déploiements fréquents, non pas seulement sur l'équipement, mais aussi sur les hommes et les femmes qui servent dans les Forces canadiennes, et aussi, par ricochet, sur leur famille. Il y a plusieurs années, le présent Comité, avec un comité de la Chambre des communes, ont examiné de près la qualité de vie des membres des Forces armées. Ce travail a débouché sur d'importantes améliorations.

Aujourd'hui, nous entendons dire que les besoins en renouvellement des équipements et en recrutement de nouveau personnel sont si élevés, pour les Forces armées, qu'on se demande si la question de la qualité de vie n'a pas été balayée sous le tapis, ou si on lui accorde la même importance qu'autrefois. Pouvez-vous nous rassurer en disant que ce sujet reste important pour les Forces armées?

Vam Maddison : Tous les membres des Forces canadiennes d'un certain âge se rappelleront que le Comité et un comité de la Chambre des communes ont beaucoup travaillé sur le dossier de la qualité de vie, et que les résultats de ce travail ont été fantastiques. Nous reconnaissons que les membres qui sont arrivés il y a un an ou deux ne s'en souviennent peut-être pas. Mais autour de nous, bon nombre des gens en service savent que vous avez effectué un travail colossal dans ce domaine, et l'apprécient.

Rassurez-vous, sénateur, nous ne perdons jamais cet aspect de vue. Nous ne pourrons réaliser ce que nous voulons réaliser, c'est-à-dire accroître les capacités, maintenir une force pertinente et crédible, si l'effectif a des plaintes à formuler en ce qui concerne la qualité de vie et le soutien offert aux membres et à leur famille. D'ailleurs, le salaire et les indemnités ont fait un bond important. On a aussi déployé beaucoup d'efforts pour améliorer nos locaux, nos logements. Cela prendra un certain temps, mais on y a consacré beaucoup de ressources.

Nous faisons tout ce que nous pouvons faire pour réduire le nombre de déploiements des soldats; nous savons que plusieurs ont participé à de nombreux déploiements au cours des dix dernières années, et que, après un certain temps, les effets secondaires sur leur famille se sont accumulés. Nous reconnaissons aussi qu'en raison de la diversité et de la complexité des opérations auxquelles nous demandons à nos membres de participer, un certain pourcentage d'entre eux présenteront au retour les symptômes d'un certain stress psychologique. On a beaucoup travaillé, d'abord pour comprendre cette affection particulière, ensuite pour mettre sur pied divers centres de soutien des problèmes liés au stress opérationnel et pour mettre en place des mécanismes par lesquels on pourra leur offrir le soutien dont ils ont besoin et qu'ils méritent.

Les personnes qui participent à des grandes opérations de déploiement peuvent maintenant se prévaloir d'un programme de soutien à la réintégration. Elles pourront d'abord évacuer leur stress en passant quelques jours à l'extérieur du pays, après une mission de six mois, puis, de retour au Canada, pourront profiter des mesures de suivi pendant plusieurs mois. Ce programme était la priorité du chef actuel, du chef précédent et du Conseil des Forces armées; c'est toujours notre priorité, parce que nous voulons que la qualité de vie et le soutien que nous offrons à nos soldats entretiennent leur désir de continuer à servir et d'être toujours aussi efficaces dans ce qu'ils font.

Le sénateur Day : Quand je parle de qualité de vie, je parle aussi du réseau de soutien à la famille, que vous avez mis en place.

Vam Maddison : Oui.

Le sénateur Day : Est-ce que le financement qui était affecté au départ à ces projets a été majoré en fonction de l'inflation? Les projets sont-ils restés les mêmes, ont-ils augmenté en importance, s'en est-il ajouté de nouveaux?

Vam Maddison : Ce projet a toujours reçu du financement. Je ne connais pas tous les détails, je ne sais pas s'il a suivi la courbe de l'inflation. Vous aurez peut-être l'occasion d'en parler à l'amiral Jarvis, responsable pour les Forces canadiennes de ce dossier particulier. Je croirais que le financement a été rajusté, mais il pourrait vous répondre avec plus de certitude.

Le sénateur Munson : Parlons maintenant du syndrome de stress post-traumatique. Les gens qui reviennent de missions sont-ils plus nombreux à recevoir un traitement, ou moins nombreux? Quelle est l'ampleur de ce problème?

Vam Maddison : Nous avons eu une estimation de certains des experts des services de santé, du petit groupe des ressources humaines qui travaille pour l'amiral Jarvis. Nous ne pouvons être très spécifiques; ils évaluent que 10 à 15 p. 100 environ de nos soldats se retrouvent dans des situations très complexes, où le risque est présent. Lorsqu'ils sont de retour, ils éprouvent un certain malaise psychologique, et nous pouvons leur fournir un certain soutien adéquat. Dans la plupart des cas, les soldats récupèrent après quelque temps et sont tout à fait prêts à participer à un autre déploiement. Il y a quelques cas plus graves, mais nous sommes prêts à leur fournir les soins dont ils ont besoin. Il arrive que les personnes qui participent à un déploiement en reviennent traumatisées.

Le sénateur Day : J'aurais une autre question sur le même thème. J'aimerais que vous réfléchissiez aux leçons que vous avez retenues, particulièrement pendant votre dernière affectation, au poste de sous-chef d'état-major de la Défense. Pourriez-vous nous renseigner sur les problèmes auxquels vous avez dû faire face ces dernières années, et qui découlent du nombre et de la diversité des missions, comme nous l'avons vu, et comme vous l'avez décrit? Vous avez dû organiser un grand nombre de missions très différentes les unes des autres au chapitre de la région où elles se déroulaient et au chapitre du type d'opérations. Quelles leçons avez-vous tirées des problèmes prévus ou imprévus auxquels vous avez dû faire face?

J'aimerais aussi que vous donniez des détails sur les problèmes relatifs aux systèmes de commandement et de contrôle qui pourraient être une conséquence de cet état de choses.

Vam Maddison : On tire un grand nombre de leçons des nombreuses opérations que nous avons menées ces dernières années; nombre de leçons sont reconfirmées pendant les missions, toutes aussi nombreuses. Je vais donner mon avis sur deux ou trois de celles-ci.

La première concerne le C4ISR, c'est-à-dire commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance. Je vais utiliser une analogie pour vous expliquer ce que je veux dire par là. Compte tenu de mes antécédents professionnels, mon exemple sera tiré des Forces navales. Le commandant en mer d'une force opérationnelle peut utiliser une foule d'appareils différents et toutes sortes d'armes et de systèmes de détection; il peut, en s'appuyant sur les forces et les limites de ces armes et de ces systèmes de détection, former un plan d'opérations qui lui permettra de réaliser sa mission. Cependant, si le commandant et ses commandants subordonnés ne sont pas sensibilisés à la situation et à ce qui se passe en réalité dans leurs zones d'influence 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, ils ne pourront se faire des opérations une même idée. Les commandants subalternes et jusqu'au commandant de la force opérationnelle doivent envisager de la même manière ce qui se passe dans leurs zones d'influence. S'ils ne peuvent communiquer les uns avec les autres, les chances que le commandant réussisse sa mission sont plutôt réduites.

On peut faire mieux en améliorant toute l'architecture de communications et de diffusion des informations de façon que les bonnes personnes puissent prendre les bonnes décisions au bon moment. Ça, c'est au niveau tactique — c'est-à-dire que nos forces sont déployées, à un endroit ou à un autre, mais il y a aussi le niveau opérationnel, c'est-à-dire les personnes qui dirigent les forces, et le niveau stratégique, c'est-à-dire le CEMD et moi-même, au quartier général stratégique. La leçon que nous avons retenue, c'est que nous devons augmenter nos capacités dans ce domaine. Nous en avons pris conscience il y a deux ou trois ans, et nous avons beaucoup travaillé pour réaliser cet objectif — nous avons tellement travaillé que le vérificateur général est venu voir ce que nous faisions, et il le commentera dans quelques mois. C'est un objectif prioritaire et très important pour nous en raison des leçons que nous avons tirées de nos opérations.

Cela relève en partie du domaine du renseignement. Nous avons réellement besoin d'augmenter notre capacité d'analyse pour garantir que nos commandants tactiques et nos commandants opérationnels disposent de tous les renseignements dont ils ont besoin pour prendre les décisions appropriées en faisant courir le moins de risque possible aux troupes en déploiement. Ce dossier reçoit beaucoup d'attention actuellement.

Nous avons appris que certaines améliorations technologiques s'étaient révélées très utiles en nous permettant de réussir nos missions. En Afghanistan, par exemple, les commandants ont pris de bonnes décisions en s'appuyant sur un élément critique, les véhicules aériens sans pilote. Ceux-ci ont fourni des renseignements très utiles aux personnes au sol. On a aussi déployé pour la première fois des radars de contrebatterie, qui nous ont permis de détecter les projectiles lancés dans notre direction, ou par exemple, sur l'un de nos camps. Nous avons donc retenu une leçon très utile puisque nous étions en mesure de rassembler des renseignements et de brosser un tableau général de la situation, qui permettait au commandant de prendre les décisions appropriées. Nous avons aussi tiré des leçons des hélicoptères de transport lourd. Dans ce type d'environnement, nous avions besoin d'hélicoptères plus robustes que ceux que les Forces canadiennes possèdent pour l'instant.

Le sénateur Day : Ce n'est probablement pas une surprise.

Vam Maddison : C'est le type de leçons que nous avons retenues, et nous avons confirmé ces enseignements.

Le sénateur Day : Bien, et vous avez ensuite intégré ces renseignements dans l'entraînement, dans vos brochures opérationnelles et votre documentation future, je présume?

Vam Maddison : Oui, en effet.

Le président : Amiral, nous avons eu de la difficulté à obtenir la liste des déploiements effectués au cours de la dernière décennie. Pour quelle raison est-ce si difficile de l'obtenir de votre ministère?

Vam Maddison : Je n'en ai aucune idée, monsieur le sénateur. Il est possible que certains aspects de ces déploiements soient protégés, mais le déploiement proprement dit ne le serait pas.

Le président : Nous voulions savoir combien de personnes avaient été déployées, et dans quel environnement chaque fois. Nous ne voulons pas de détails, seulement ce nombre.

Vam Maddison : Je n'ai pas eu connaissance de cette demande.

Le président : Vous est-il possible d'accélérer les choses, pour nous?

Vam Maddison : Je verrai ce que je peux faire lorsque je serai de retour, bien sûr.

Le président : Pensez-vous que cela constitue un problème?

Vam Maddison : Je ne pense pas qu'il ait un problème, non.

Le président : On nous a dit que le problème tenait à l'incompatibilité des ordinateurs, et qu'il était impossible de revenir aussi loin en arrière. Ça me semble étrange.

Vam Maddison : Je pourrais peut-être vous aider à ce chapitre.

Le président : Je l'apprécierais. Vous avez parlé des véhicules aériens sans pilote en Afghanistan. On les a remis dans des caisses, et ils sont maintenant au Canada, n'est-ce pas?

Vam Maddison : Ils ne sont plus dans des caisses. On les a mis dans des caisses pour les renvoyer ici, mais ils sont maintenant à Valcartier, sous la responsabilité de l'armée. Nous avons appris autre chose, c'est que la liaison entre le véhicule aérien sans pilote et le poste de contrôle principal au sol présentait des problèmes. Une équipe complète de gens très intelligents essaie en ce moment même de comprendre pourquoi la liaison est interrompue; l'armée essaie de régler un problème, et c'est son défi. Tant que nous n'aurons pas trouvé de solution, nous ne ferons pas voler les appareils, pour d'évidentes raisons de sécurité.

Le président : Les hélicoptères dont vous parlez, est-ce que ce sont les hélicoptères que nous avons vendus à la Hollande il y a quelques années? Est-ce que ce sont des hélicoptères de la même classe?

Vam Maddison : Nous parlons en effet de la capacité des appareils de type Chinook. Je ne veux pas faire la promotion d'un cadre spécifique, mais ce type de chaîne dynamique a la capacité de soulever des poids beaucoup plus lourds que ce que nous pouvons actuellement soulever, et il peut être utilisé à plus haute altitude que les hélicoptères que nous utilisons actuellement.

Le sénateur Day : Vous avez parlé des véhicules aériens sans pilote. C'est bien cela? Vous dites qu'il y a des problèmes de liaison entre ce véhicule et le sol. Est-ce un problème qui concerne le groupe des signaux de communication? C'est à ce problème qu'il s'attaque?

Vam Maddison : Je dois dire pour commencer que je n'en suis pas responsable pour l'instant, et que je ne connais pas en détail la situation. Si j'ai bien compris, le problème concerne la liaison entre le véhicule aérien sans pilote et la station au sol. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un problème insoluble, mais si j'ai bien compris, on a demandé aux personnes compétentes de s'en occuper. On n'a pas encore trouvé de solution, mais je reste confiant, on en trouvera une.

Le sénateur Day : Est-ce un problème de communication tactique? M. Ross, sous-ministre adjoint, Technologies de l'information, est venu nous expliquer le rôle des différents groupes dont se compose son organisation. Il a parlé de la Réserve des communications et du groupe de communications. Est-ce que ses équipes peuvent régler ce type de problème?

Vam Maddison : Non. Le problème concerne la capacité tactique. Il existe toute une gamme de véhicules aériens sans pilote, qui vont des appareils fondamentalement tactiques aux appareils stratégiques. Il existe de très gros appareils télépilotés qui peuvent voler des heures et des heures à de très hautes altitudes pour effectuer une surveillance stratégique; on peut aussi se servir d'appareils télépilotés tactiques, qui peuvent décoller à partir d'un navire, dans des zones tactiques très limitées où un élément terrestre effectue des opérations, ou dans une zone maritime relativement réduite où une force opérationnelle a été déployée, par exemple. Nous avons utilisé les appareils tactiques, non pas les appareils stratégiques. C'est pourquoi il s'agit en réalité d'un problème qui concerne l'armée — et qui exige beaucoup de conseils des Forces aériennes, dois-je ajouter — , mais il ne s'agit pas d'un problème de nature administrative.

Le sénateur Day : C'est là où je voulais en venir; ce sera ma dernière question. Je vois les choses ainsi : vous mettez au point cette nouvelle technologie, une unité de l'armée l'utilise à des fins tactiques, sur le littoral, la Marine s'y intéresse et elle acquiert une expertise, et pendant ce temps, les Forces aériennes s'y intéressent d'encore plus près.

Vam Maddison : Qui coordonne tout cela?

Le sénateur Day : Exactement.

Vam Maddison : C'est moi qui coordonne tout cela. Je préside, puisque cette tâche me revient, ce qu'on appelle le comité de supervision du C4ISR; les véhicules aériens sans pilote constituent un volet important de ces opérations.

Nous avons mis sur pied ce qu'on appelle le bureau du programme interarmées. C'est ce groupe de personnes qui coordonne en réalité toutes les questions qui concernent les véhicules aériens sans pilote et les exigences futures connexes : de quoi avons-nous besoin, pourquoi en avons-nous besoin, comment optimiser nos capacités actuelles, comment nous préparer, l'objectif étant de se doter des bonnes personnes et des compétences adéquates et faire passer la famille des véhicules aériens sans pilote à l'étape suivante. Cette responsabilité, nous le reconnaissons, ne devrait pas être confiée à un seul service, ni à trois ou quatre services différents. Cette responsabilité doit être coordonnée. Je me suis porté volontaire, mais c'est à moi qu'on a donné la responsabilité de coordonner tout cela, à partir d'un point central.

Le sénateur Banks : J'aimerais faire remarquer, monsieur le président, à quel point il est rafraîchissant, quand un de nos membres demande qui est responsable d'un dossier quelconque, d'entendre un témoin répondre, « c'est moi ». C'est très rare.

Amiral, j'ai deux questions. Vous parlez en anglais de « uninhabited vehicle » plutôt que « unmanned vehicle ». Est-ce que c'est pour des motifs de rectitude politique?

Vam Maddison : Nous utilisons indifféremment les deux expressions. Vous parliez de rectitude politique?

Le sénateur Banks : Quelle est la nature des problèmes de communications des véhicules aériens sans pilote? Est-ce que le poste de contrôle au sol a de la difficulté à les manœuvrer, ou est-ce qu'ils ont de la difficulté à transmettre leurs informations au sol?

Vam Maddison : Je ne suis pas sûr à cent pour cent.

Le sénateur Banks : Pourrez-vous nous renseigner à ce sujet?

Vam Maddison : Bien sûr. Je ne suis pas sûr à cent pour cent. Je crois que c'est un problème de contrôle, mais ne tenez pas ma réponse pour une vérité.

Le président : J'aimerais obtenir un peu de silence, s'il vous plait.

Le sénateur Forrestall : Je ne crois pas que notre président voudra qu'on reste silencieux. Je vais aborder plusieurs sujets. Tout d'abord, amiral, j'aimerais unir ma voix à celle du sénateur Day pour exprimer nos profonds regrets que vous n'assumiez pas un autre poste; vous allez prendre une retraite bien méritée.

Je me demande si le choix des hélicoptères Sikorsky ne signifie pas pour nous une suite de difficultés et de problèmes; ça m'inquiète un peu. Je n'ai rien contre le Sikorsky. J'ai vécu à Shearwater pendant presque toute ma jeunesse, et j'y jouais au basket-ball. Des centaines d'hommes et de femmes ont fréquenté cet établissement, pendant longtemps. Je ne suis d'ailleurs ni contre ni pour le Cormorant EH-101. Ce que j'aimerais beaucoup, cependant, c'est un appareil qui réponde aux désirs des officiers professionnels des Forces canadiennes, un appareil qui, selon eux, réponde aux exigences de l'emploi et des tâches qu'on leur a assignées. J'ai l'impression que, dans ce dossier, nous n'avons pas manifesté une volonté à toute épreuve, quand il était question du S-92, de la version navale, ou de la version terrestre du Cyclone, puisque dans tous les cas, évidemment, il s'agit de plans d'aéronefs.

J'aimerais vous parler des capacités de transport. Je ne veux pas comparer ces deux aéronefs en particulier, mais, si j'ai bien compris, la capacité de transport nécessaire, et que l'on a en fait demandée, est de beaucoup supérieure à celle du Sea King et, en ce qui nous concerne, à celle du S-92; elle se compare plutôt à la capacité du EH-101, même si ce n'est pas le seul aéronef qui possède cette capacité de transport.

En ce qui concerne le navire de soutien permanent, on m'a dit, aujourd'hui, qu'il ne s'agirait pas d'un simple navire, qu'il s'agissait d'un navire militaire. Allons-nous revenir à l'époque de Paul Helyer, à une certaine forme d'intégration ou d'unification, ou essayons-nous de déterminer les paramètres d'un vaisseau qui remplacera les deux derniers navires d'approvisionnement qu'il nous reste? Si nous allons dans cette direction, avez-vous dressé des plans, ou allez-vous réfléchir à la manière dont un appareil de transport léger ou lourd pourra être déployé pour soutenir ce navire — j'espère qu'il sera à bord?

Vam Maddison : Un appareil de transport léger ou lourd, vous parlez d'hélicoptères, n'est-ce pas? Je vais vous expliquer une ou deux choses. Sénateur, je crois que je suis le dernier membre en service à avoir signé la description du besoin, pour cet hélicoptère maritime. Puisque je suis l'un des architectes de la description du besoin pour cet appariement, je suis très à l'aise avec la décision, concernant le type d'appareil qui doit remplacer le Sea King, et c'est tout ce que je voulais dire.

Le sénateur Forrestall : Je comprends très bien, monsieur.

Vam Maddison : En second lieu, je vais parler du transport maritime. De toute évidence, la Marine sait depuis quelque temps déjà — quand j'étais CEMD à coup sûr — que nous devrons intégrer à nos exigences non seulement le soutien de nos forces opérationnelles en mer, mais aussi, et cela concerne l'ensemble des Forces canadiennes, la capacité de transporter une force opérationnelle, c'est-à-dire un détachement d'hélicoptères ou d'aéronefs, pour le déploiement, ou de transporter un élément des Forces terrestres et de le débarquer pour qu'il puisse mener des opérations. C'est ainsi qu'est né le concept du navire interarmées. Ce n'est encore pour l'instant qu'un concept, et le gouvernement en a fait l'annonce à la fin de l'année passée. On travaille beaucoup, à l'heure actuelle, pour donner corps à ce concept de navire de soutien interarmées — si j'ai bien compris, sous la direction de la Marine —, pour déterminer en quoi il consistera, quelle sera la taille, de quel type de transport nous avons vraiment besoin. Bien sûr, le nouveau CEMD a indiqué qu'il était tout à fait favorable à ce concept et il veut qu'on l'explore encore plus, pour savoir si la dimension que nous avons envisagée est la bonne, et si le navire sera capable de transporter le nombre de personnes qu'il souhaite. Le projet sera dirigé par la Marine, et il y aura beaucoup à faire pour mettre de la chair autour du concept. Il ne fait aucun doute, cependant, que les Forces armées ont besoin de ce type de capacité.

Le sénateur Forrestall : J'aimerais vérifier que j'ai bien compris votre réponse. Le Cyclone S-92 possède-t-il la capacité que souhaite le général, et peut-il être utile à l'élaboration du concept?

Vam Maddison : Je crois qu'il est trop tôt pour trancher la question. Évidemment, la vision du CEMD — qui est celle qu'un certain nombre d'entre nous partagent depuis quelques années — sera examinée au cours des prochains jours par le présent Comité; nous pourrons peut-être un jour exposer beaucoup plus clairement ce concept, mais pour l'instant nous n'avons pas réponse à toutes vos questions.

Le sénateur Forrestall : C'est bien. Pourrais-je maintenant vous inviter à parler d'un sujet plus actuel? On a évoqué la possibilité que nous aidions les troupes à l'entraînement; seriez-vous en aise d'en discuter quelques minutes? Est-ce que vous seriez prêt à en parler une ou deux minutes?

Vam Maddison : Cela dépend de votre question.

Le sénateur Forrestall : Autrement dit, envoyer des troupes en Irak pour former les forces irakiennes, ou selon les autres scénarios qui auraient été soumis, entre autres le déploiement des Forces canadiennes en Jordanie pour l'entraînement des militaires irakiens, ou en Palestine, pour l'entraînement des forces de sûreté de ce pays. Combien de soldats des Forces canadiennes se trouvent en Irak aujourd'hui?

Vam Maddison : Pour commencer, j'aimerais dire que je trouve encourageant, au Moyen-Orient, de voir que M. Abbas, de l'Autorité palestinienne et M. Sharon, d'Israël, qui se montrent prêts à dialoguer. Nous espérons, évidemment, que cela permettra le retour de la paix dans la région. Nous savons aussi que, le cas échéant, il est fort possible qu'on nous demande de recourir aux militaires dans la région. Nous devons examiner ce type d'éventualités, la planification des Forces armées est prudente, et il est possible que le gouvernement nous adresse cette demande.

Le gouvernement a décidé il y a quelque temps déjà que nous devions poursuivre les programmes d'échange d'officiers et de militaires du rang avec d'autres nations. Quelque 175 de nos militaires participent à ces programmes d'échange; 100 avec les Américains, 50 avec les Britanniques, 25 avec diverses autres nations — l'Australie, la France, entre autres. De temps à autre, les personnes qui participent à ces programmes d'échange avec diverses unités de ces pays participent à un déploiement dans divers théâtres d'opérations. Certains ont été déployés en Irak. Avec l'approbation du gouvernement, certains Canadiens qui font partie des unités d'échange se sont rendus en Irak, et cela fait déjà quelque temps.

Ça se passe à peu près de la même manière avec l'OTAN. Trois cents Canadiens participent à un programme d'échange avec l'OTAN, dans le cadre de différentes affectations. Puisqu'ils sont traités comme des officiers d'échange, une poignée d'officiers de l'OTAN participent aussi à un programme d'échange, en Irak. À l'heure actuelle, une dizaine de Canadiens se trouvent en Irak, dans le cadre d'un programme d'échange.

Le sénateur Forrestall : Pourriez-vous nous dire combien de personnes le gouvernement prévoit envoyer en Afghanistan à la prochaine rotation? Est-ce qu'on pense à une brigade? Est-ce qu'on pense au champ de bataille?

Vam Maddison : Je ne peux donner de réponse définitive pour le moment; il reste plusieurs analyses à effectuer, et beaucoup de travail à faire. Le gouvernement a déclaré qu'il aimerait beaucoup que le Canada prenne en charge, au cours de l'année, une équipe de reconstruction provinciale. Nous avons commencé à faire des plans en ce sens. On n'a pas encore établi de calendrier. En ce qui concerne une expansion future, on examine quelques plans d'urgence, mais nous devons encore longuement discuter avec les Affaires étrangères et un certain nombre d'autres ministères.

Le sénateur Forrestall : Selon certaines rumeurs qui parviennent à nos oreilles, il est possible que le Canada mette bientôt fin à sa participation sur le plateau du Golan. Est-ce en vue d'intervenir ailleurs?

Vam Maddison : En fait, sénateur, pas du tout. Environ 193 personnes participent à la mission sur le plateau du Golan. Il s'agit pour la plupart de spécialistes; j'ai déjà mentionné que certaines spécialités étaient mises à l'épreuve plus que d'autres. Nous sommes dans certaines régions depuis longtemps. Un ou deux pays se sont dits prêts à prendre la place du Canada, si le Canada optait, disons, pour la régénération. Nous prévoyons réduire la taille de notre mission sur le plateau du Golan, cet été, mais il restera environ 40 personnes dont le rôle est essentiel à la bonne marche et à la réussite de la mission. Quoi qu'il en soit, le nombre de participants à la mission sera considérablement réduit — c'était prévu; aucune décision ferme n'a encore été prise parce que les négociations avec le pays qui devrait nous remplacer ne sont pas tout à fait terminées. Il est donc encore trop tôt pour dire de quels pays il s'agit. Quoi qu'il en soit, si tout va bien, l'effectif passera de 190 à environ 40 personnes dès l'été.

Le sénateur Forrestall : Parlons maintenant du Pacifique. Avons-nous des plans d'urgence pour le déploiement de navires de guerre qui pourront soutenir les opérations internationales près des frontières de la Corée du Nord ou intervenir dans la crise du détroit de Taiwan?

Vam Maddison : Non, il n'y a pas de plan.

Le sénateur Forrestall : Est-ce que c'est un projet que l'on a abandonné?

Vam Maddison : Nous avons dressé un certain nombre de plans d'urgence que l'on pourrait peaufiner, si on nous le demandait. Pour répondre à votre question, non, nous n'avons pas de plans relatifs à des opérations près des côtes de la Corée du Nord.

Le sénateur Forrestall : Je vous remercie.

Le président : Amiral, le général Caron, Chef d'état-major de l'Armée de terre, m'a dit qu'à l'heure actuelle, il pouvait soutenir deux groupes; 1 000 soldats à l'étranger, pour une période indéterminée, et en recruter 1 000 autres tous les deux ans. Ces chiffres tiennent compte de l'environnement, c'est-à-dire du fait qu'un soldat participe à une mission à risque élevé pendant six mois, chaque période de 36 mois, et qu'il passe quatre mois à l'extérieur de chez lui. Donc, pour une période de trois ans donnée, dix mois à l'extérieur, dont six en situation difficile, ce qui nous donnerait 2 000 soldats, ce nombre passant à 3 000 tous les deux ans.

Pourriez-vous nous dire quelles sont les capacités des deux autres éléments de la force projetée, et s'il faut prévoir des périodes de déploiement à risque élevé et des périodes de présence au pays de même durée?

Vam Maddison : J'aimerais d'abord des éclaircissements sur ces commentaires; je n'étais pas là, mais j'imagine que la période dont il parlait commence en février 2006?

Le président : Il parlait au présent, mais s'il s'agit de la période qui commence en février 2006, ça ne pose aucun problème.

Vam Maddison : La Marine a elle aussi établi un système de disponibilité opérationnelle hiérarchisée, ce qui signifie qu'un certain nombre de ses navires sont toujours prêts à intervenir rapidement, que l'équipage et les officiers possèdent une formation complète et qu'ils sont prêts à partir au premier avis. Il y a donc sur chaque côte le bâtiment de garde, un navire prêt à intervenir, et un autre navire ainsi qu'un groupe opérationnel d'intervention rapide, qui compte de trois à cinq navires, tout dépendant des opérations. La Marine possède aussi deux ou trois navires uniques, pour les interventions indépendantes, au besoin, et l'une des côtes — j'ignore de quelle côte il s'agit à l'heure actuelle — est responsable de la mise sur pied du groupe opérationnel d'intervention rapide. Je crois que c'est la côte ouest qui a cette responsabilité actuellement, mais je n'en suis pas sûr à 100 p. 100.

Le président : Si j'ai bien suivi, vous venez de décrire la Marine. Au total, quatre navires sont prêts en tout temps. Vous dites que vous pouvez faire cela indéfiniment?

Vam Maddison : Oui, nous le pourrions.

Le président : Qu'en est-il de l'autre membre de l'équation? Pendant combien de temps les marins...

Vam Maddison : Les opérations durent au maximum six mois, qu'il s'agisse d'un déploiement des forces terrestres, maritimes ou aériennes.

Le président : Bien, mais nous entendons souvent dire qu'après un déploiement de six mois, le soldat Untel est revenu chez lui, mais on l'a renvoyé pour telle ou telle mission. Dans une période quelconque de trois ans, combien de temps un marin doit-il s'attendre à être affecté à l'étranger?

Vam Maddison : Je n'ai aucun chiffre précis pour répondre à votre question, les trois commandants en auraient peut-être, mais je pourrais vous donner une réponse générale. Quand un soldat qui a participé à un déploiement de six mois revient au Canada, on fait tout ce qui est possible de faire pour qu'il reste près de chez lui. Nous ne pouvons pas toujours le faire, et c'est pourquoi on soulève la question de la qualité de vie et des problèmes liés à nos capacités actuelles et au manque de souplesse, qui tiennent à la taille de l'effectif actuel des Forces canadiennes — nous aimerions avoir la souplesse nécessaire pour permettre aux soldats de passer plus de temps à la maison après un déploiement.

Il arrive que des soldats qui reviennent au pays doivent, après une période relativement courte — deux ou trois mois —, quitter à nouveau le pays pour suivre toutes sortes de cours de formation supplémentaires, ce qui fait qu'après un an, ils auront été absents de chez eux pour sept ou huit mois ou, après trois ans, pour peut-être 18 mois.

Le président : Essentiellement, engagez-vous, rengagez-vous, et vous ne serez pas chez vous la moitié du temps?

Vam Maddison : Engagez-vous dans la Marine et découvrez le monde.

Le président : Tout est dans la manière de le dire. Qu'en est-il de la Force aérienne, maintenant, amiral?

Vam Maddison : Le rythme des opérations est légèrement différent pour la Force aérienne. Elle participe à des déploiements de six mois, mais ce n'est pas la règle. Pour les opérations de notre base de soutien au Moyen-Orient, par exemple, les soldats étaient déployés pour 59 jours, puis, il y avait une rotation. Cette force a la souplesse nécessaire pour agir ainsi. C'est très utile pour elle, et elle constate que cela donne de très bons résultats. Il lui arrive de déployer un détachement pour six mois, mais ça n'arrive pas très souvent; sûrement pas aussi souvent que dans la Marine ou l'Armée.

Le président : Vous n'avez pas décrit le soutien que la Force aérienne pourrait offrir à l'étranger, pour une période indéfinie.

Vam Maddison : La Force aérienne pourrait soutenir un détachement d'avions de patrouille maritime.

Le président : C'est-à-dire un seul aéronef?

Vam Maddison : En général, deux aéronefs. Elle pourrait aussi soutenir pendant six à douze mois un détachement de Griffon, d'environ six hélicoptères, ou encore un groupe de chasseurs F-18.

Le président : Je voudrais que ce soit clair. Quand vous parlez de l'Armée et de la Marine, vous parlez d'un soutien pour une durée indéfinie. Pour l'Armée, vous parliez de 2 000 soldats, avec des pointes allant jusqu'à 3 000 soldats. Ensuite, vous avez parlé des quatre navires, qui pouvaient être utilisés pour une durée indéfinie. Vous parlez maintenant de la Force aérienne, mais pas d'opérations à durée indéfinie.

Vam Maddison : Oui, quand il s'agit des aéronefs de patrouille maritime.

Le président : Donc, ces deux aéronefs peuvent effectuer des missions de surveillance, et servir pendant une durée indéfinie?

Vam Maddison : C'est cela. Quant aux chasseurs F-18, il y a la question de la modernisation, qui se répercute sur leur capacité d'être utilisés pour des périodes indéfinies. Ils peuvent être utilisés pendant des périodes déterminées, pas plus, si j'ai bien compris ce que m'a dit le CEMFA. Les hélicoptères Griffon, je crois, peuvent aussi être utilisés pour des périodes indéfinies, mais je n'en suis pas sûr à 100 p. 100.

Le président : Nous disons donc, six hélicoptères peuvent être utilisés pendant des périodes indéfinies, et les hélicoptères Griffon, c'est bien ça?

Vam Maddison : C'est ce que je pense.

Le président : Au moment où on se parle, combien de chasseurs F-18 sont disponibles et en combien de temps pourraient-ils intervenir si jamais un avion de ligne survolant le Canada présentait un problème?

Vam Maddison : Nous sommes en mesure de réagir lorsqu'un incident de ce type se présente, sénateur, mais je ne peux pas vous donner de détails, puisqu'ils sont protégés.

Le président : Vous avez la capacité de réagir. Selon les rapports dont nous avons pris connaissance, il y a un aéronef dans l'Ouest, et un autre, dans l'Est, et c'est tout.

Vam Maddison : Je ne peux pas répondre à cette question, sénateur.

Le sénateur Munson : De quel budget dispose le sous-chef d'état-major de la Défense?

Vam Maddison : Le budget s'élève à environ 190 millions de dollars par année, sénateur. Pour les affaires ordinaires du groupe du SCEMD. S'il faut effectuer d'urgence une opération imprévue, le ministère demande au gouvernement un financement supplémentaire, qui est accordé au cas par cas. Quoi qu'il en soit, mon budget annuel est d'environ 190 millions de dollars par année et vise les activités de mon organisme, qui compte environ 2 600 personnes, ce qui ne comprend pas les personnes déployées.

Le sénateur Munson : Puisqu'il est question de budgets, nous avons entendu, avant votre arrivée, l'amiral MacLean qui a fait des commentaires assez sévères sur la situation. Je suis sûr que vous avez entendu ce qu'il a dit. Il a dit que l'insuffisance du financement avait d'importantes répercussions et il a énuméré de nombreux secteurs où les militaires ne peuvent faire leur travail.

Vam Maddison : Je n'étais pas ici quand il a dit cela.

Le sénateur Munson : Il a dit que le manque de financement allait entraîner une réduction de la représentation du Canada dans les forums internationaux et à l'OTAN, jusqu'au point où la présence de la Marine canadienne, sa participation active, sa crédibilité et, par voie de conséquence, son influence, seront presque nulles. En parlant de « gouvernance », il a dit que sa capacité de soutenir complètement des programmes tels que l'équité en emploi et de respecter adéquatement le principe de la diligence raisonnable, en portant attention à l'environnement et à la sécurité, était mise à rude épreuve.

Ces déclarations sont assez sévères. Il a de la difficulté à faire son travail. Avez-vous de la difficulté à faire votre travail quand vous entendez ce type de commentaire?

Vam Maddison : Je ne suis pas le principal moteur de l'armée. Je suis en mesure de bien évaluer les défis importants que doivent relever des commandants de la Marine, de l'Armée et de la Force aérienne. Ils mettent sur pied des groupes opérationnels, les escadres aériennes et les groupements tactiques, et ils ont assuré toute la formation, vérifié l'état de préparation et fourni tout l'équipement nécessaire; moi, j'utilise ces troupes. Je n'ai pas les problèmes qu'ont ces trois personnes aujourd'hui.

Cela dit, j'ai moi aussi des problèmes, et j'en ai déjà parlé quand il a été question du niveau général du C4ISR. Nous devons l'améliorer, le rendre plus solide.

Le sénateur Munson : Que signifie l'acronyme C4ISR?

Vam Maddison : Commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance.

Nous devons être au courant de la situation de façon adéquate des 18 opérations que nous menons à l'heure actuelle dans différentes régions du monde. Nous arrivons à le faire et à bien le faire, mais il arrive que des personnes travaillent de 12 à 16 heures par jour, sept jours par semaine, pour que nous soyons efficaces. J'ai besoin de ressources supplémentaires pour garantir le maintien de cette efficacité, à l'avenir, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Nous avons aussi besoin d'autres équipements, pour le renseignement. Voilà quelques-uns des problèmes de mon groupe; les trois commandants n'ont pas le même type de problème.

Le sénateur Munson : J'ai deux dernières questions sur l'entraînement de la police ou des forces militaires en Irak. On n'a pas encore écarté la possibilité que l'entraînement se déroule en Jordanie ou dans un autre pays. Sommes-nous prêts pour cela? Vous avez dit qu'il vous fallait être prêt pour toutes les éventualités.

Vam Maddison : Je crois que les discussions ne sont pas terminées; je ne peux pas vous donner de réponse définitive. Nous croyons savoir que l'OTAN tente de mettre sur pied un centre d'entraînement, peut-être en Jordanie, et qu'il est possible qu'on demande à ses alliés d'offrir du soutien. Nous croyons aussi que l'on réunira des fonds pour le soutien de l'entraînement, et qu'on demandera aux nations de contribuer financièrement. Il en est question actuellement à l'OTAN, mais le Canada n'a encore pris aucune décision dans ce dossier, si j'ai bien compris.

Le sénateur Munson : Je lis dans votre notice biographique que vous allez prendre votre retraite à la mi-avril. Pourquoi les militaires prennent-ils leur retraite si jeunes? Vos interventions sont si précieuses pendant les débats.

Vam Maddison : Je fais partie de l'armée depuis 37 ans. J'ai vécu toutes sortes de choses et relevé toutes sortes de défis, mais c'était une carrière excitante. J'en suis arrivé au point où, après avoir commandé la Marine pendant quatre ans, agi à titre de sous-chef pendant quatre ans, je ne sais plus trop vers quoi porter mon attention. Je crois donc qu'il est temps pour moi de passer à autre chose et de passer le flambeau à quelqu'un d'un peu plus jeune que moi, croyez-le ou non.

Le sénateur Atkins : J'aimerais reprendre moi aussi le commentaire du sénateur Munson et vous dire que je n'ai jamais entendu à votre sujet que des compliments; vous passez pour un officier hors pair. L'armée vous regrettera.

Vam Maddison : C'est très gentil de votre part. Je vous remercie.

Le sénateur Atkins : Avez-vous dressé votre liste des réparations à faire? Si je vous demande cela, c'est que je me demande si, après votre retraite, vous devrez obligatoirement garder le silence pendant un certain temps, ou si vous pourrez librement vous exprimer sur l'armée, ce que vous ne pouvez probablement pas faire pendant que vous êtes en service.

Vam Maddison : Je crois que vous comprenez, sénateur, que je suis un fonctionnaire. Je porte un uniforme, certes, mais je reste un fonctionnaire. Donc, en ma qualité de fonctionnaire, je suis ici pour vous expliquer les politiques, pas pour prendre parti pour ou contre les politiques du gouvernement. C'est d'ailleurs le rôle de tous ceux qui se présentent devant des comités tels que celui-ci.

Le sénateur Atkins : Lorsque vous aurez pris votre retraite?

Vam Maddison : Lorsque j'aurai pris ma retraite, le 1er avril, je prévois voyager beaucoup, tout simplement pour évacuer la pression et me reposer un peu. Pour la suite, on verra.

Le sénateur Atkins : Avez-vous dressé une liste des réparations à faire?

Vam Maddison : Pourriez-vous préciser votre question? Des réparations dans la maison? Ma douce moitié m'a donné toutes sortes de listes de choses à faire.

Le sénateur Atkins : Avez-vous déjà réfléchi aux moyens d'améliorer la situation des forces armées si on vous en donnait l'occasion?

Vam Maddison : J'y ai réfléchi. Heureusement, nous sommes actuellement en train de régler certaines questions. Mon principal défi, dans mon travail actuel, et en raison de la grande qualité de nos gens et de ce qu'ils sont arrivés à faire pour le Canada au fil des dernières années, est de répondre aux demandes de déploiement de plus en plus nombreuses en sachant que les Forces canadiennes n'ont pas l'effectif nécessaire. L'un de nos principaux défis, c'est que nous n'avons tout simplement pas la capacité et la souplesse nécessaires pour répondre aux nombreuses demandes qui nous viennent de partout.

Le sénateur Atkins : Dans tout cela, il y a un mot que vous n'avez pas prononcé : financement.

Vam Maddison : Nous avons dû fonctionner malgré des budgets limités, depuis quelques années, comme vous le savez.

Cela dit, je dois avouer que nous avons trouvé très encourageants certains commentaires du premier ministre, de notre propre ministre et d'autres intervenants quand il a été question d'une volonté ferme de s'attacher à la structure de la défense, de nous donner des ressources supplémentaires pour que nous puissions faire plusieurs choses — l'ajout de 5 000 et de 3 000 personnes, un pas en avant très positif. On s'en servira à bon escient, si vous me permettez l'expression, puisqu'elles nous permettront plus de souplesse, même s'il faudra quelques années pour les recruter, les former et en faire des membres tout à fait opérationnels.

Ensuite, si on nous donnait plus de ressources, nous améliorerions la base — toutes les choses qui soutiennent notre capacité d'envoyer des membres de la Marine, de l'Armée et de la Force aérienne participer à des opérations — , l'infrastructure. À l'heure actuelle, nous avons toutes sortes de problèmes du côté de l'infrastructure de formation et des mécanismes de soutien — les pièces et les accessoires de rechange. Si nous obtenions le financement nécessaire pour faire tout cela et entamer la modernisation, nous pourrions transformer notre organisation pour conserver la même pertinence et la même crédibilité face à la menace asymétrique que, croyons-nous, nous devrons affronter d'ici cinq ou dix ans.

C'était une partie de ma liste de réparations à faire, et en fait, c'est aussi celle du gouvernement. Certaines déclarations que nous avons entendues sont très encourageantes pour nous. Évidemment, les simples soldats, nos jeunes, s'attendent à obtenir plus de soutien, de votre part, au cours des prochains mois.

Le sénateur Atkins : Lorsqu'on parle d'augmenter l'effectif des militaires de 5 000 personnes en cinq ans, de quelle façon envisagez-vous la progression du recrutement, à partir du premier jour?

Vam Maddison : Je ne sais pas exactement quoi répondre. Je ne suis pas responsable de ce dossier spécifique. Je sais que l'amiral Jarvis sera ici, dans quelques jours, et que c'est sa principale responsabilité — ou l'une d'entre elles.

Pour l'instant, nous analysons les diverses possibilités d'affectation de ces 5 000 personnes. Je crois pouvoir dire sans me tromper que la plupart des recrues soutiendront l'Armée, qui a sans aucun doute subi sa juste part de pression et d'usure ces dernières années. Les recrues n'iront pas toutes à l'Armée. Une partie d'entre elles seront affectées à mon organisme, d'autres soutiendront la Force aérienne et la Marine. Mais on peut certainement dire que la plupart d'entre elles iront à l'Armée.

Le sénateur Atkins : Comment les employés de votre service de renseignements communiquent-ils avec d'autres ministères?

Vam Maddison : Merci de poser cette question; comme vous le savez, évidemment, le chef du Renseignement de la Défense travaille directement sous mes ordres; nous avons étudié la situation de très près, ces deux ou trois dernières années; au bout du compte, l'ensemble du ministère, le chef et le sous-ministre se sont entendus sur le fait qu'il fallait fournir des ressources supplémentaires et de redéfinir nos objectifs conformément au domaine du renseignement de la défense. Pour cela, il faudra entre autres améliorer nos capacités pour garantir que l'établissement de liens avec les autres ministères. C'est ce que nous avons obtenu et amélioré au cours de la dernière année. Nous communiquons maintenant quotidiennement avec le BCP, le SCRS, le CST et le conseiller à la sécurité nationale. Le gouvernement a en outre décidé de mettre sur pied un centre intégré d'évaluation des menaces, dans lequel nous intervenons beaucoup.

Un certain nombre d'officiers de liaison de notre section du renseignement collaborent avec ces différentes organisations, y compris SPPCC, soit Sécurité publique et Protection civile Canada. Cette relation a pris naissance au cours de l'année passée, en raison de la politique sur la sécurité nationale. Je ne crois pas qu'elle soit encore optimale, mais les gens sont sensibilisés à la question, et c'est un dossier que nous soutenons énergiquement. Nous sommes prêts, dans la mesure où nous obtenons le soutien nécessaire, à mettre plus de ressources de ce côté pour garantir que ces liens restent solides.

Le sénateur Atkins : Lorsque ce nouvel organisme sera établi, croyez-vous que les relations et les interactions entre vos responsabilités et celles des autres ministères et du nouveau ministre seront efficaces?

Vam Maddison : Je le crois, sénateur, en effet. Je m'occupe personnellement du renseignement de façon quotidienne; je consacre au moins une ou deux heures par jour aux questions liées au renseignement. Qu'il s'agisse des questions tactiques qui visent le soutien assuré aux personnes se trouvant dans le cadre des opérations, en mer ou à terre, ou, à l'autre extrême, de la collaboration avec la GRC, le SCRS, le CST, et cetera, c'est un point de mire important dans notre ministère.

Le sénateur Atkins : Vous devriez savoir que, lorsque notre Comité s'est rendu à Washington, nous avons parlé aux représentants de différents organismes et du département de la Sécurité intérieure, et qu'on a indiqué qu'il y avait bien des ruptures de communication.

Vam Maddison : Dans notre organisation?

Le sénateur Atkins : Pas dans la nôtre, dans les leurs. Je me demande si cela pourrait se produire ici?

Vam Maddison : Nous avons un avantage important : dans nos organisations, le nombre d'intervenants est beaucoup plus petit, et il est plus facile de créer des liens, contrairement aux grands organismes comme ceux des Américains.

Le sénateur Atkins : J'ai une dernière question sur le rôle de la Réserve. Croyez-vous qu'elle souffre de sous-financement? Quelle place occupera-t-elle dans l'avenir?

Vam Maddison : Quand j'examine les questions de financement, je le fais à grande échelle. Les Forces canadiennes se composent de différents éléments, alors je n'étudie pas la question uniquement dans l'optique de la Réserve. J'adopte un point de vue holistique. Je crois que certains secteurs de l'organisme ont besoin de soutien et d'améliorations.

J'ai pu observer personnellement, dans les quatre années qu'a duré mon mandat, que les réservistes ont participé à nombre de nos missions à l'étranger, et qu'ils l'ont fait avec panache. Je n'ai jamais mis en doute leur efficacité, mais ils ont été extrêmement efficaces. L'an dernier, près de 1 000 réservistes ont participé à diverses missions un peu partout dans le monde, et se sont comportés avec un très grand professionnalisme. Il est impossible de différencier les réservistes et les soldats de la force régulière. Les réservistes faisaient partie de l'équipe, et leur aide a été déterminante.

Nous avons des unités de réserve dans de nombreux endroits du pays, et les réservistes ne peuvent pas toujours suivre l'entraînement dans leur localité. Lorsque nous préparons les unités en vue d'un déploiement, nous fournissons un entraînement intensif, mais on ne peut pas toujours le faire dans leur localité. Les réservistes sont donc éloignés de leur famille pendant quelques mois avant le déploiement; ensuite, ils participent au déploiement puis reviennent. Ils peuvent passer neuf ou dix mois, environ, loin de leur famille. C'est un défi de plus pour eux, mais ce sont des volontaires, et ils acceptent qu'il en soit ainsi. L'Armée étudie d'ailleurs ce dossier et cherche des moyens d'améliorer la situation; c'est un aspect essentiel de la Restructuration de la Réserve de la Force terrestre et de tout le travail qui se fait. Ils ne m'ont jamais laissé tomber.

Le sénateur Banks : Amiral, je suis content de voir qu'il me reste un peu de temps pour une deuxième série de questions. Ainsi, il y aura 8 000 nouveaux soldats?

Vam Maddison : Oui, 5 000 dans la force régulière et 3 000, dans la Réserve.

Le sénateur Banks : En ce qui concerne le renseignement et la question qui a été posée plus tôt, nombre d'entre nous ont fait partie d'un comité qui s'est rendu partout dans le monde pour étudier la question du renseignement, ainsi que des échanges d'information entre les organismes civils et militaires qui travaillent dans le domaine de la sécurité dans son sens le plus large, et nous avons produit un rapport. Avez-vous déjà vu ce rapport?

Vam Maddison : Votre rapport sur le renseignement? Non, je ne l'ai pas vu.

Le sénateur Banks : Il ne s'agit pas d'un rapport du présent comité; il s'agit d'un rapport d'un comité parlementaire spécial.

Le président : Il s'appelle le rapport du comité parlementaire sur la surveillance du renseignement.

Vam Maddison : Je ne l'ai pas vu.

Le sénateur Banks : Amiral, je reviens maintenant à un sujet sur lequel le président vous a déjà posé des questions, les F-18. Il a dit que nous avions entendu dire qu'un de ces appareils pouvait être déployé rapidement dans l'Est et un autre, dans l'Ouest; nous croyons, ou du moins nous croyons savoir, que six appareils ont été mis à niveau, jusqu'ici, et qu'à la fin des travaux, 80 appareils auront été mis à niveau et comporteront de nouveaux équipements.

Vam Maddison : C'est bien ce que j'ai compris.

Le sénateur Banks : Nous commençons à croire qu'il s'agit de plus que d'une simple coïncidence. En effet, chaque fois que nous voulons aller au fond des choses en ce qui concerne les personnes qui se trouvent dans la ligne de mire, pour parler comme vous, et que nous constatons qu'il y a de graves lacunes, ou qu'il est difficile d'obtenir rapidement quelque chose, et que nous en demandons la raison aux responsables, chaque fois, nous obtenons la même réponse : « Je ne peux pas vous le dire. » Je commence à avoir l'impression que lorsque nous posons ces questions et que nous obtenons la réponse « Je ne peux pas vous le dire », c'est comme si on confirmait qu'il y a des lacunes dont personne ne veut parler. Nous ne sommes pas assez nombreux dans une région donnée, il y a des brèches dans l'organisation, dans une autre région, et nous ne voulons pas le dire à personne. C'est pourquoi nous entendons : « Je ne peux pas vous le dire. » Je sais qu'il y a d'autres types de contraintes qui s'ajoutent. S'il y a 80 aéronefs, pourriez-vous nous dire si nous sommes dans l'erreur quand nous disons qu'il y en a un dans l'Ouest et un dans l'Est qui peuvent être utilisés immédiatement? J'ai une deuxième question : si je ne peux pas vous le demander à vous, à qui puis-je le demander?

Vam Maddison : Eh bien, c'est un dilemme. Voici pourquoi. Nous menons actuellement une opération, qui a débuté le 11 septembre, pour garantir notre capacité d'intervention en cas d'incident, Dieu nous en garde, comme ce qui a frappé le World Trade Center de New York. Nous ne voulons pas que « les méchants » sachent quels types d'interventions nous préparons ni quels types d'équipement nous utiliserons. Si je vous disais combien d'aéronefs nous possédons et dans quelle région ils peuvent intervenir, même si j'aimerais le faire, c'est parce que je me méfie non pas de vous, évidemment, mais des personnes qui pourraient utiliser ces informations à leur avantage, et à notre désavantage.

Le sénateur Banks : Mais ces gens nous ont déjà entendu dire que nous avions appris qu'il y en avait un. Voulez-vous le nier, de façon qu'ils pensent autre chose?

Vam Maddison : Laissez-leur croire qu'il y en a un.

Le président : Autrement dit, si vous décrivez une force écrasante capable d'intervenir dans ce cas, ils ne feront aucune tentative.

Vam Maddison : La réponse se situe entre ces deux extrêmes.

Le président : Je vous remercie. Nous terminerons donc sur cet entre-deux. Nous avions réellement espéré, amiral, que nous aurions la chance de vous revoir avant que vous ne preniez votre retraite. Nous espérions pouvoir parler encore avec vous après la parution du document. Mais puisque la date de parution est toujours reportée, il est possible que nous ne nous revoyions pas. C'est pourquoi, en mon nom personnel et au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier très sincèrement de vous être présenté devant nous et d'avoir fourni toutes ces informations. Elles s'ajoutent à notre fonds de connaissances et nous aideront grandement dans notre examen. Merci et beaucoup de bonheur dans vos nouvelles entreprises.

Vam Maddison : Merci beaucoup.

Le président : Notre Comité va maintenant examiner le projet de loi C-6 qui crée le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile en modifiant ou abrogeant certaines lois. Ce projet de loi vise non seulement la création d'un nouveau ministère mais aussi la détermination des pouvoirs, devoirs et fonctions du ministre. Il prévoit aussi des dispositions relatives à la nomination d'un sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

Dans son rapport intitulé Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, publié en octobre 2003, le Comité recommandait la création d'un ministère permanent, dirigé par le vice-premier ministre, qui s'occuperait de la supervision des frontières, des questions relatives à la sécurité nationale, aux catastrophes naturelles et aux catastrophes causées par l'homme ainsi que des frontières. Nous sommes heureux que cette loi arrive sur notre table.

Nous entendrons aujourd'hui, M. Wesley Pue. Il est vice-doyen des études supérieures et de la recherche à la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique, depuis 2003, et est, depuis 1993, titulaire de la Chaire Nemetz en histoire du droit et professeur de droit, à la même université. Il a étudié à Oxford, à l'Université de l'Alberta et à l'école de droit Osgoode Hall, de l'Université York. C'est un expert de l'histoire du droit, de la constitution, du professionnalisme juridique et de l'enseignement du droit. Il a enseigné notamment à l'école de droit Osgoode Hall de Toronto, à l'Université d'Oklahoma City, à l'Université Carleton et à l'Université du Manitoba. M. Pue a publié de nombreux ouvrages et articles de journaux aux États-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne et au Canada.

Monsieur Pue, le comité vous souhaite la bienvenue. Nous croyons savoir que vous avez une courte déclaration à faire, vous avez la parole.

M. Wesley Pue, professeur, Université de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup, sénateur. La façon dont vous me présentez laisse croire que je ne suis pas capable de conserver un emploi. Aucun d'entre vous n'a vécu cette expérience récemment. Je suis honoré de me trouver ici, de me présenter devant votre comité, surtout qu'il s'agit d'un comité sénatorial. J'ai déjà comparu une ou deux fois devant un comité, à l'autre endroit, mais c'est la première fois que je comparais devant le Sénat.

J'ai l'honneur de porter le nom — c'est sûrement un cas unique — d'un sénateur libéral de l'Alberta, Wesley Stambaugh. C'était un ami proche de mon père, et mon beau-père était membre de la cellule 13. Le sénateur libéral Keith Davey est un ami proche de la famille, et j'ai toujours considéré avec très grand respect la présente Chambre.

J'ai pensé faire un court résumé pour présenter le projet de loi C-6, que la plupart d'entre vous connaissent en détail, j'en suis sûr. À mon avis, vous êtes probablement de la même opinion que moi, le projet de loi C-6 est une heureuse initiative, compte tenu du contexte, qui nous oblige à prendre au sérieux les questions de sécurité; ce projet de loi comprend une série de mesures positives.

Je tiens à souligner une erreur. Comme elle me semble assez grave, je me dis que ce doit être un oubli de la part de ceux qui ont rédigé le projet de loi. Je voudrais expliquer l'importance de cette erreur et proposer un moyen tout à fait simple de la corriger.

Le projet de loi C-6 vise à établir le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le nouveau ministère englobe l'ensemble des fonctions et attributions du solliciteur général du Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada, en plus d'assumer, je crois, un rôle de coordination et de préparation qui ne faisait pas nécessairement partie des compétences et pouvoirs précédents. Fait qu'il importe de souligner, et je crois bien qu'il s'agit d'une erreur, le nouveau projet de loi ne prévoit pas explicitement le maintien de la charge de solliciteur général. Il s'agit selon moi d'un oubli, non d'un geste délibéré. Je ne peux vraiment pas croire qu'on aurait voulu abolir la charge de solliciteur général. Ça doit probablement être un oubli qui résulte du fait qu'on a voulu, sans nécessairement bien y arriver, exprimer le tout dans une langue plus moderne. Le cas échéant, c'est bien regrettable, et on devrait remédier à cet oubli avant d'adopter le projet de loi.

L'expression « solliciteur général » a une drôle de résonance, mais ce n'est pas uniquement une façon archaïque de décrire un ministre de la police et de la sécurité. C'est aussi un terme technique, qui désigne une importante charge constitutionnelle établie depuis très longtemps. Cette charge prend toute sa place en temps de crise ou de situations difficiles ou lorsque la Constitution et le pays vont mal, et ce, de façon assez distincte des ministères politiques ordinaires.

Le fait d'adopter ce projet de loi dans sa forme actuelle pourrait avoir des résultats néfastes, soit entre autres modifier sensiblement la Constitution, que ce soit par accident ou de façon indirecte. Dans la pratique constitutionnelle canadienne, le solliciteur général est l'un des deux légistes de l'État. L'autre légiste est le procureur général. Ces termes techniques ont une signification extrêmement importante. Le légiste de l'État a pour principale tâche de servir la cause de la règle de droit, qui se distingue de toute autre fonction, que celle-ci soit politique ou non. Les légistes de l'État doivent faire observer la règle de droit, sans égard à leurs intérêts personnels et à leurs perspectives d'avancement, aux intérêts du parti, ainsi qu'à leur désir personnel de plaire à l'électorat ou à leurs supérieurs dans l'appareil de pouvoir. Le principe selon lequel cette fonction échappe à toute partisanerie est crucial au constitutionnalisme canadien.

Vous constaterez, par exemple, que l'on renvoie à ces deux charges dans les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, et de documents constitutionnels de fond. Ces charges sont tout simplement fondées sur d'importants postulats relatifs à la direction du pays. Leurs pouvoirs réunis, soient ceux assortis au maintien de l'ordre pour l'un et aux poursuites pour l'autre, sont immenses. Le pouvoir de l'État, dans toute sa nature terrible, draconienne et autoritaire, est réparti en deux charges d'une façon tout à fait particulière.

Ces devoirs deviennent encore plus importants dans le contexte de la restructuration ministérielle imposée par le projet de loi C-6. Les pouvoirs des légistes de l'État sont multiples. On les a décrit de diverses façons dans l'histoire et la pratique constitutionnelles du Canada. Assez souvent, on parle de pouvoirs « quasi-judiciaires ». Cet autre terme technique renvoie au fait d'assumer une responsabilité personnelle à titre de légiste de l'État et de ne pas ne pas se laisser diriger par d'autres personnes dans ces domaines, ainsi qu'au fait de ne pas tenir compte de ses besoins personnels et de sa propre situation pour faire la bonne chose. C'est un principe fondamental de la justice et de la règle de droit.

Les organismes de sécurité, qu'il s'agisse de la police, du SCRS ou d'une autre instance, ne devraient jamais en être réduits à faire office d'agents politiques tenus de faire la volonté d'une personne cherchant à satisfaire ses intérêts politiques. Si cela devait arriver, le Canada ne serait plus du tout le même pays. Notre expérience a parfois montré, de façon peu reluisante pour l'histoire canadienne, tout comme l'expérience d'autres pays, que les gouvernements s'exposent au désastre lorsqu'ils franchissent cette ligne, et je suis sûr que de nombreux exemples de pays où les choses ont mal tourné vous viendront facilement à l'esprit, depuis l'Allemagne nazie, il y a longtemps, jusqu'au Zimbabwe, plus récemment.

Il y a 30 ans, Ron Basford, ex-procureur général qui est très récemment décédé, a décrit de façon convaincante et concise, de même que sous tous ses aspects, les devoirs du légiste de l'État. Il précise que le premier principe à appliquer — et je le cite :

[...] c'est qu'il faut exclure toute considération fondée sur des opinions étroites et partisanes ou sur les conséquences politiques, pour moi-même ou pour d'autres, de la divulgation de certains faits. Lorsqu'il doit prendre une décision [...], le procureur général a le droit de demander des renseignements et des conseils à d'autres, mais il ne doit certainement pas obéir aux directives de ses collègues du gouvernement ou du Parlement lui-même. Cela ne veut pas dire que le procureur général ne doit pas rendre compte de ses décisions au Parlement; il doit manifestement le faire.

[...] la position particulière du procureur général à cet égard est clairement établie dans nos usages parlementaires. [...] cette position particulière a été protégée avec soin tant dans la théorie que dans la pratique.

Le solliciteur général est considéré comme le second légiste de l'État, et son rapport au pouvoir est semblable à celui décrit par le procureur général Basford. À mon avis, ce n'est pas un hasard si, au moment d'une restructuration du gouvernement en 1966, on a décidé que la GRC et d'autres organismes ne relevaient plus du ministère de la Justice, ni que le gouvernement d'alors a jugé bon de transférer la responsabilité de ces pouvoirs non pas à un ministre politique, mais au solliciteur général du Canada.

Le premier ministre Pearson, le solliciteur général d'alors, Larry Penne, et le procureur général Pierre Cardin, ont souligné tout le bien-fondé de cette réaffectation particulière. En séparant les fonctions de maintien de l'ordre et autres fonctions connexes des fonctions associées aux poursuites et à la rédaction juridique, le ministère de la Justice a établi une répartition des pouvoirs qu'il jugeait suffisamment équilibrée pour permettre de protéger les libertés canadiennes; en d'autres mots, comme deux têtes valent mieux qu'une, les Canadiens bénéficiaient de deux niveaux de protection avant toute imposition de sanctions au criminel à leur endroit. On alléguait que c'était une répartition plus efficiente des ressources, car le ministre de la Justice avait de toute façon un gros portefeuille à gérer.

Le premier ministre Pearson et ses collègues étaient très versés dans le domaine du constitutionnalisme canadien. Il a été professeur d'histoire et, en fait, un universitaire réputé. Lui et ses collègues étaient tout à fait conscients de l'importance de s'assurer qu'un organisme civil de surveillance de la police et d'autres groupes du genre mènent leurs activités par l'entremise non pas d'une autorité politique, mais d'une charge non partisane. Ils ont donc choisi la charge ancienne de solliciteur général pour cette raison. Ce faisant, il soulignait le caractère quasi-judiciaire de la charge, le désir de laisser les fonctions touchant la police, les prisons et le pardon en dehors des considérations politiques habituelles, et il soulignait le devoir éthique et moral qui incombe au titulaire, à savoir se distinguer complètement des ministres politiques ordinaires dans sa façon d'agir.

On ne saurait nier l'importance des tâches du nouveau ministère proposé. Il importe que les fonctions dont s'assortit cette nouvelle unité soient bien coordonnées, et qu'on améliore la sécurité publique grâce à ce rôle de coordination très important. Par souci de clarté, on pourrait tout simplement apporter une modification afin de désigner le ministre du nouveau ministère à titre de solliciteur général et de préciser qu'il doit assumer cette charge ancienne en respectant les ententes établies, les attentes et les devoirs constitutionnels qui s'y rattachent; à mon avis, cela permettrait de protéger les valeurs du constitutionnalisme issues de la common law, ainsi que de protéger les Canadiens contre toute éventualité.

Je ne crois pas du tout que ce soit l'intention du gouvernement de renier, en présentant son projet de loi, les principes d'impartialité, de justice et de respect de la règle de droit qui définissent la charge d'un solliciteur général, mais ce genre de chose peut arriver par inadvertance, par accident ou par erreur, ou encore à la suite d'une omission de la part du rédacteur qui aurait oublié de préciser un point important. Une simple modification peut nous permettre de résoudre le problème sans que cela ne nuise à l'impulsion ou à l'orientation du projet de loi, et j'estime donc qu'on devrait sans aucun doute effectuer cette modification.

Le sénateur Cools : Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier le témoin de sa contribution, et j'en profite pour lui souhaiter la bienvenue ici et pour souligner l'importance des travaux de notre comité; en effet, nous pouvons facilement affirmer qu'aucune autre institution ni aucun autre groupe n'a probablement autant permis au public de comprendre l'importance du lien qui existe entre la défense et la sécurité nationale. Aucune autre organisation n'a contribué autant dans ce domaine.

Même la composition de votre comité, la façon dont il est constitué, reflète l'importance de ce lien. Comme nous le savons, les événements sur la scène internationale confirment cela.

D'après ce que j'ai compris, le témoin affirme que le solliciteur général assume une charge ancienne et importante qu'il ne faudrait éliminer pour aucune raison. Le témoin soutient aussi, et je crois avec raison, qu'on aurait pu atteindre tous les objectifs du projet de loi et de son application sans éliminer ni abolir la charge de solliciteur général.

À la suite des événements du 11 septembre, les États-Unis ont montré au monde entier l'importance de revoir ces rapports. Le témoin sait-il que, au moment où ils ont établi leur département de la Sécurité intérieure, les États-Unis n'ont rien changé au poste de solliciteur général? En fait, le titulaire actuel est un homme dénommé Olson. Ils ont fusionné tout ce qui devrait l'être, mais ils n'ont pas touché à ces postes sacrés de légistes de l'État. Ils ont réussi à les préserver.

Est-ce que le témoin a constaté cela? Le cas échéant, a-t-il des commentaires à faire?

M. Pue : D'après ce que je comprends, votre question a deux aspects : vous me demandez, d'une part, d'établir un point de comparaison avec la pratique américaine et, d'autre part, d'évaluer l'impact de tout cela pour le Canada.

J'ai beaucoup de respect pour la pratique constitutionnelle des États-Unis. C'est un pays fondé sur des engagements et postulats constitutionnels très semblables aux nôtres, même si, à certains égards, c'est comme s'ils étaient restés figés au XVIIIe siècle pour ensuite suivre leur propre trajectoire. Souvent, les charges portent encore le même titre, et elles renvoient parfois aux mêmes fonctions. Toutefois, je ne suis pas du tout habilité à évaluer le ministère américain du Solliciteur général. Le point que vous soulevez est néanmoins intéressant.

Quant à savoir si on pourrait atteindre tous les objectifs du projet de loi C-6 tout en maintenant en place la charge de légiste de l'État et en préservant ainsi tous les avantages qui s'y rattachent, il me semble que c'est manifestement le cas. En vertu de cette loi, on pourrait très bien établir que le ministre agit également à titre de solliciteur général et préciser explicitement que cette charge s'assortit de l'obligation de faire preuve d'impartialité politique et de ne pas avoir de parti pris. C'est sans aucun doute ce que tout le monde voudrait si l'on réfléchit bien à la question. Je crois que cela exigerait une modification très simple.

Le sénateur Cools : J'ai moi-même été surprise de voir que c'était le cas. J'ai lu attentivement le rapport publié par le Comité en octobre 2003 sous le titre Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde. Je suis heureuse de pouvoir dire que ce rapport ne contient absolument rien qui pourrait permettre ou justifier d'éliminer la charge de solliciteur général. En fait, je dirais même que, à mon avis, les sections du rapport qui portent là-dessus semblent préconiser le renforcement du rôle de solliciteur général.

À la page 129 du rapport, on peut lire ce qui suit :

Il a été proposé qu'un ministère distinct responsable de la sécurité soit créé, qu'un comité parlementaire se charge de la question ou qu'un comité du Cabinet composé de ministres responsables de la défense de nos frontières (comme le ministre de la Défense, le solliciteur général et le ministre du Revenu national) prenne la barre.

Dans ce rapport, il me semble qu'on se montre très respectueux à l'égard de la charge ancienne de solliciteur général, et je dirais même qu'on s'efforce, à mon avis, non seulement de la préserver, mais aussi de la renforcer, puisqu'on définit les différents aspects du rôle qui s'y rattachent.

Permettez-moi de me pencher sur l'article 7 du projet de loi, autre cas étrange. Si on examinait la Gazette du Canada et la nature du serment qu'a prêté le titulaire au moment de l'assermentation du gouvernement de M. Martin le 12 décembre, on se rendrait compte du fait que le ministre a réellement été assermenté à titre de solliciteur général. C'est assez bizarre. À ma connaissance, les paroles ressemblaient à ceci : « le solliciteur général porte maintenant le titre officiel de vice-premier-ministre et ministre de la Sécurité publique ». C'est plutôt curieux.

Dans la mesure où le titulaire a été nommé à la Chambre des communes le 12 décembre 2003, je me demande pourquoi on a jugé nécessaire de préciser dans le projet de loi que le titulaire est réputé avoir été nommé en vertu de la Loi.

Voici ce qu'on lit au paragraphe 7(1) :

Les personnes occupant, à la date d'entrée en vigueur du présent article, les charges de solliciteur général du Canada et de sous-solliciteur général du Canada sont réputées avoir été nommées à cette date ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [...]

Monsieur Pue, vous êtes-vous penché là-dessus? Si le ministre a déjà été nommé, pourquoi aurait-on besoin d'ajouter au projet de loi des dispositions selon lesquelles le titulaire est réputé avoir été nommé en vertu de la Loi? C'est pour le moins suspect et étrange que le titulaire soit réputé avoir été nommé en vertu de la Loi. Qu'en pensez-vous?

M. Pue : Je n'ai pas beaucoup réfléchi à la question. Comme il s'agit de la section intitulée « Dispositions transitoires », j'ai cru que c'était un moyen de s'assurer qu'une personne continue d'assumer certaines fonctions dans le cadre du nouveau poste.

Le sénateur Cools : C'est très curieux. Ce ministère est opérationnel depuis plus d'un an. Je trouve cela très étrange et curieux. À votre avis, qu'en est-il?

M. Pue : Je suis désolé, je ne peux vous aider à ce chapitre.

Le sénateur Cools : Les décrets ou mandats que signe le gouverneur général au nom de Sa Majesté revêtent un caractère très officiel. Je me demande pourquoi le ministre est nommé de nouveau. Je trouve cela très bizarre.

J'aimerais vous faire part d'un autre article du projet de loi qui mériterait réflexion. Je vous soumets cette question en raison du fait que vous avez proposé qu'on corrige le projet de loi. À l'article 34 du projet de loi, à la page 13, on décrit une nouvelle terminologie, qui prévoit l'élimination du terme « solliciteur général ». Je crois que vous avez montré au Comité qu'il ne s'agit pas d'un changement de nom ou d'une nouvelle terminologie. L'article 34 se lit essentiellement comme suit :

... dans toute loi fédérale, [...] « solliciteur général du Canada », « solliciteur général » et « solliciteur général du Canada portant le titre de vice-premier ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » sont remplacés par « ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » [...]

On poursuit sur plusieurs pages en dressant la liste des lois qui seront touchées.

À la lumière de ce que vous avez proposé, qu'est-ce que cela comporterait? Est-ce qu'il faudrait effacer cet article? Il est assez long. Quel impact votre proposition aurait-elle sur cet article? Il porte sur un grand nombre — un très grand nombre — d'articles de lois. Je me demande aussi dans quelle mesure on respecte la Constitution en décrivant tout cela comme un moyen d'obtenir une nouvelle terminologie. Ce n'est pas un simple changement de nom. C'est beaucoup plus fondamental que cela.

M. Pue : À mon avis, on peut envisager cet article sous deux angles. Parmi ceux-ci, mentionnons le fait qu'on établit un nouveau ministère qui ne s'appelle plus « ministère du Solliciteur général », ce qui nous oblige à modifier en conséquence toutes les dispositions où l'on mentionne le « solliciteur général ». Pris sous cet angle, cet article ne modifie aucunement les tâches du ministère.

Ce qui me préoccupe à ce sujet, c'est le risque que cela ait des effets non voulus. Est-ce qu'un tribunal ou un ministère finira par estimer qu'on essaie ici délibérément de transformer le rôle impartial et non partisan du solliciteur général en tout autre chose — c'est-à-dire de faire de lui un ministre régi par des mécanismes ordinaires axés sur la solidarité au Cabinet du premier ministre, qui affiche ses couleurs politiques et qui assure la surveillance massive d'un appareil gouvernemental très intrusif? Tout comme les réformes de 1966 visaient, selon moi, à investir le procureur général et le solliciteur général de grands pouvoirs en raison du fait que ces deux légistes de l'État ont toujours été reconnus pour leur impartialité, il me semble qu'on s'expose ici à des dangers en modifiant le libellé. Je ne crois pas qu'on dévierait de quelque façon de l'objet du projet de loi en conservant la terminologie, les responsabilités et les tâches associées expressément au solliciteur général, au lieu d'adopter une nouvelle terminologie qui pourrait avoir des conséquences néfastes non prévues.

Le sénateur Cools : Connaissez-vous la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique?

M. Pue : Pouvez-vous me rafraîchir la mémoire?

Le sénateur Cools : Au BCP, des gens sont chargés de travailler en ce sens; je crois qu'ils parlent de l'appareil gouvernemental, expression qui renvoie au fait d'organiser les ministères et les secteurs, de revoir complètement les différents aspects des ministères et autres activités du genre, bref une tâche plutôt complexe. En vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, le gouverneur en conseil est habilité à émettre des décrets relatifs aux réorganisations et aux transferts d'attributions entre ministères.

Le gouvernement a émis, en vertu de cette loi, une pléthore de décrets portant là-dessus. Il est très intéressant de voir comment le gouvernement s'y prend. Par exemple, dans le cas de l'Agence des services frontaliers du Canada, il transfère tout au solliciteur général et au ministre, puis il vient ensuite tout bouleverser en éliminant le solliciteur général. Tout cela est très étrange et plutôt bizarre.

Si je ne me trompe pas, je crois que la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique est une loi du Parlement, qui habilite les ministres ou le gouvernement à effectuer toutes sortes de réorganisations. Toutefois, je ne crois pas qu'elle confère au gouvernement le pouvoir de toucher à ce que j'appellerais des questions ou enjeux constitutionnels comme les charges de légistes de l'État.

Permettez-moi de citer les passages pertinents de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique; à l'article 2, sous la rubrique « Remaniements et restructurations », on peut lire ce qui suit :

Le gouverneur en conseil peut procéder :

a) à tout transfert d'attributions, ou de responsabilité à l'égard d'un secteur de l'administration publique, entre ministres ou entre ministères ou secteurs de l'administration publique;

On poursuit à l'alinéa 2b) en ces termes :

[...] au regroupement de deux ministères ou plus sous l'autorité d'un seul ministre et d'un seul sous-ministre.

Je ne crois pas que l'on est habilité à éliminer le solliciteur général en vertu de cette loi. Cette dernière a pour objet l'organisation et la réorganisation des bureaucraties, et les mots clés sont : « un secteur de l'administration publique, entre ministres ou entre ministères ou secteurs de l'administration publique ». En proposant le projet de loi C-6, j'estime que le gouvernement a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de cette loi.

Qu'en pensez-vous? Par exemple — et lorsque j'ai dit cela à la Chambre, certains ont cru que je blaguais —, le premier ministre pourrait-il se faire nommer roi ou président en vertu d'un décret? De toute évidence, cette loi a de très grandes limites sur le plan constitutionnel.

La création du nouveau ministère de la Sécurité publique s'inscrit sans aucun doute dans le cadre des pouvoirs conférés en vertu de cette loi. Le remaniement de certains ministères en vue de cette création est tout à fait légitime. Cela dit, je ne crois pas que la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique confère d'aucune façon que ce soit le pouvoir de toucher à la charge de l'État, ni à celle du gouverneur général ou des agents qui assument ce genre de charge.

Qu'en pensez-vous? Peut-être que l'ancienne terminologie est maintenant trop dépassée.

M. Pue : Il faudrait que j'examine bien cette loi pour bien tout saisir ici. C'est un point intéressant : le solliciteur général n'est pas uniquement un fonctionnaire. Il assume une charge de l'État, et cela renvoie à une partie importante, bien que tout à fait distincte, de notre Constitution.

Le libellé relatif aux attributions m'a frappé, car il est très semblable à celui utilisé à l'article 8 du projet de loi :

Les attributions qui, immédiatement avant l'entrée en vigueur du présent article, étaient conférées, en vertu d'une loi, d'un règlement, d'un décret, d'un arrêté, d'une ordonnance ou d'une règle ou au titre d'un contrat, bail, permis ou autre document, au solliciteur général du Canada [...]

On poursuit avec un article intéressant.

J'ai été immédiatement frappé de voir qu'on ne fait aucunement allusion dans cet article aux conventions constitutionnelles ou à la common law régissant la charge de solliciteur général. Là encore, je suis un peu préoccupé du fait que c'est en raison de sa nature impartiale et non partisane qu'un légiste de l'État peut assumer ces fonctions extrêmement importantes. Toutefois, je ne peux malheureusement pas étudier plus à fond la question du rapport entre la charge qui découle de la prérogative et la réorganisation de la fonction publique. C'est un domaine assez vaste. Je ne me suis pas arrêté là-dessus.

Le sénateur Cools : Vous avez soulevé un bon point au sujet de l'article 8, qui renvoie effectivement de façon assez claire aux attributions conférées au solliciteur général du Canada, et ce, comme on le précise très clairement, « en vertu d'une loi, d'un règlement, d'un décret, d'un arrêté, d'une ordonnance ou d'une règle », mais on ne fait pas allusion à l'application de « la common law », laquelle est justement l'ensemble de droit régissant l'exercice de ces charges. En fait, ces agents font partie du Bureau du gouverneur général.

Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?

Le président : Nous sommes très souples au sein de ce comité, sénateur Cools. Veuillez noter que vous avez utilisé près de 25 minutes.

Le sénateur Cools : Nous devrions laisser la place aux autres sénateurs. J'attendais que vous ...

Le président : Lorsqu'un sénateur veut poser des questions, nous le laissons habituellement faire.

Le sénateur Cools : De toute évidence, je devrais me présenter devant votre Comité plus souvent.

Le président : Vous êtes toujours la bienvenue. Nous sommes heureux de votre participation.

Le sénateur Banks : Ma première question porte sur le point que vient juste de soulever le sénateur Cools, selon qui, si je comprends bien, le gouvernement ne doit pas modifier le nom d'un ministère parce qu'il ne convient pas de le faire en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, puisque cette loi ne l'habilite pas à faire cela. C'est peut-être vrai, mais c'est aussi peut-être la raison pour laquelle le gouvernement, au lieu de tout simplement procéder ainsi, a déposé un projet de loi qui deviendra une loi du Parlement et affirmera la volonté de ce dernier s'il est adopté. Dans ce cas, ne croyez-vous pas que la question concernant le bien-fondé d'une réorganisation par le gouvernement en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique ne se pose même plus, quel que soit son libellé?

M. Pue : La question du bien-fondé s'applique sur trois plans dans ce contexte.

Le sénateur Banks : Qu'est-ce qui est le plus important? Qu'en est-il de la volonté du Parlement?

M. Pue : Dans notre pays, le Parlement est souverain dans les limites de la Constitution canadienne, ce qui veut dire que le Parlement peut faire beaucoup de choses. Il est arrivé, par le passé, que nous n'ayons pas de solliciteur général. Je suppose que lorsque le gouvernement de Sa Majesté ne recommande pas au gouverneur général de nommer une personne au poste, personne ne l'occupe puisque, de toute façon, l'une des conventions de la Constitution repose sur le principe du gouvernement responsable. Voilà donc une question qui se pose au sujet du bien-fondé.

Parmi les autres questions qui se posent à ce sujet, mentionnons l'importance de faire preuve de fidélité envers les conventions constitutionnelles qui se sont révélées très utiles pour notre pays. Le Canada est l'un des pays privilégiés du monde. Il nous a presque toujours permis de jouir de sécurité et de liberté, et la charge de solliciteur général s'inscrit dans le cadre de notre histoire fondée sur la liberté. On ne soulignera jamais assez l'importance de ces acquis.

La question du bien-fondé se pose aussi dans un sens constitutionnel plus large. Il s'agit de savoir non pas si le gouvernement peut faire telle ou telle chose, mais plutôt si cela est sage et suit nos traditions et nos valeurs, et enfin si c'est ce que nous voulons vraiment faire.

La question du bien-fondé se pose sur un troisième plan : le gouvernement devrait-il avoir le droit de présenter un projet de loi qui vise à transformer des charges impartiales et quasi-judiciaires de l'État? La mention « de l'État » fait partie intégrante de notre tradition constitutionnelle, puisque nous ne sommes pas encore devenus une république : l'État au Canada représente l'ensemble des gens, tandis que le gouvernement représente les intérêts du parti au pouvoir.

J'ai eu une conversation avec le doyen George Curtis, qui a été professeur à la Dalhousie Law School, avant qu'il ne déménage pour fonder, en 1945, la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique, laquelle a ouvert ses portes en septembre de la même année à un groupe composé d'anciens combattants. Il a reçu sa formation à Oxford à l'époque de Dicey, et cet homme, maintenant âgé de 98 ans, est toujours très vif d'esprit. Il devrait être sénateur.

Le sénateur Banks : Il ne peut pas. Il a 98 ans.

M. Pue : Je sais, quelle mauvaise application des traditions! Le doyen Curtis m'a rappelé que l'État représente tous les gens et doit donc les servir de façon impartiale, sans égard aux politiques partisanes du jour. C'est ce que l'on entend par une charge de l'État. Il m'a donné l'exemple d'une salle d'audience. Je ne sais pas si les sénateurs ont remarqué à la télé ou sur place que les salles d'audience américaines ont toujours un drapeau du pays bien en vue, ce qui n'est pas le cas des salles d'audience canadiennes. La raison est simple : les salles d'audience canadiennes affichent les armoiries royales, car celles-ci représentent la justice et le droit pour l'ensemble des gens, sans égard aux politiques partisanes, tandis que le drapeau représente l'État politique.

C'est une interprétation très émouvante de notre Constitution. Les gens ont oublié tout ça. Ils s'imaginent que nous sommes une république. Si c'était le cas, nous n'aurions pas établi comme systèmes de freins et de contrepoids les charges de légistes de l'État, mais comme nous ne sommes pas une république, nous avons des traditions qui permettent de protéger nos libertés autrement que les républiques. C'est probablement un jeu risqué que de toucher à un élément clé de notre Constitution sans tout mettre de l'avant pour établir le système complet de freins et de contrepoids propre à une république. Voilà un autre aspect du bien-fondé : l'impact sur l'État.

Le sénateur Banks : Devons-nous en déduire que le solliciteur général des États-Unis ne fait pas preuve d'impartialité?

M. Pue : Je ne fais aucune présomption au sujet du solliciteur général des États-Unis. Je suis désolé. Je ne peux faire ça.

Le sénateur Banks : Vous avez avancé que c'est le fait qu'elle soit maintenue depuis l'instauration de notre système parlementaire qui confère à la charge de solliciteur général une impartialité la rendant imperméable aux influences et aux pressions politiques de tous genres. Je ne crois pas que cet énoncé soit tout à fait vrai. Est-ce que cela signifie que la charge de solliciteur général n'est pas empreinte d'impartialité si elle n'a pas suivi ce parcours?

M. Pue : Les États-Unis ont une drôle de Constitution : ils ont pour ainsi dire coupé la tête de leur roi au moment du Boston Tea Party et de la révolution, mais ils ont conservé tous les documents juridiques tels quels. Ils n'ont rien modifié à la loi. Ils ont laissé en place la common law et bon nombre des structures du gouvernement. Ils ont formé un État de la même manière que des propriétaires terriens anglais l'auraient fait si ces derniers en avaient eu l'occasion sans le monarque despotique qui les dirigeait à l'époque.

Les États-Unis ont apporté des bizarreries intéressantes à notre propre histoire constitutionnelle. Ils ont conservé en partie la même terminologie, comme c'est le cas pour le procureur général et le solliciteur général. Je ne sais pas exactement en quoi consiste leur charge. Je sais en tout cas que le cabinet du procureur général des États-Unis s'est toujours efforcé, même après les événements du 11 septembre, d'observer la tradition et de se comporter comme le bras impartial et non partisan du gouvernement. Tout cela serait remis en question aux États-Unis, en raison de tout ce qui se passe dans le monde. Leurs traditions sont semblables aux nôtres.

Je crois bien que cela me ramène au point final que je voulais présenter en réponse à cette question. Nous avons une histoire et une trajectoire constitutionnelles propres, et notre solliciteur général ne correspond pas exactement à son homologue du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs, mais notre histoire est fondée sur la justice. Nous sommes l'un des plus vieux pays libres et démocratiques au monde. Nous suivons ces traditions depuis longtemps, et, tout comme les États-Unis, nous avons adapté les libertés britanniques fondées sur une histoire millénaire à nos modes de vie et à notre Constitution en devenir.

Le sénateur Banks : Les États-Unis seraient devenus une monarchie si George Washington n'avait pas refusé la couronne qu'on lui offrait. Vous avez évoqué la longue tradition de la common law anglaise. Est-ce que toutes les lois du Parlement doivent s'assortir de dispositions selon lesquelles la common law sera respectée dans le cadre de ces lois? Je ne crois pas que c'est le cas ailleurs, mais ici la common law continue de s'appliquer.

M. Pue : Après avoir examiné le projet de loi C-6, je dirais que de nombreuses interprétations sont possibles, ce qui ne me semble pas très souhaitable. Il est préférable qu'une loi permette une seule interprétation possible de ces choses essentielles.

Parmi les éléments très importants du projet de loi C-6, mentionnons ceux qui concernent la portée, le champ d'application, la taille et les répercussions du nouveau ministère. C'est énorme. Ça a beaucoup de poids. C'est très important. On doit bien faire les choses. On doit bien les faire dans les intérêts de la sécurité publique et de la protection civile, mais on doit aussi bien les faire dans les intérêts de nos traditions et libertés et des valeurs qui en sont issues, choses que nous ne devons pas perdre de vue.

Je suis préoccupé par l'ambiguïté entourant un agent constitutionnel clé, soit le second légiste de l'État, car nous ne savons pas si nous rejetons les traditions en créant un méga-ministère, ou bien si le projet de loi nous permettra quand même de conserver nos traditions. Nous avons perdu la terminologie et la charge anciennes. Après cela, nous risquons de perdre les concepts.

Lorsque je me préparais pour la présente réunion, j'ai été frappé par un passage d'un ouvrage rédigé par M. Edwards, de l'Université de Toronto, pour la Commission MacDonald, qui nous a donné une autre occasion de passer en revue le système de sécurité et de police établi au Canada. M. Edwards souligne que le bien-fondé constitutionnel d'un pays dépend de l'intégrité des personnes qui assument une charge publique : si un solliciteur général ou un procureur général est une personne foncièrement mauvaise, vous aurez beaucoup de difficulté à vous protéger d'elle.

Il ajoute que le Parlement et, dans un sens plus large, le gouvernement doivent faire en sorte que les structures en place permettent d'obtenir des résultats positifs et de réduire les risques de conséquences négatives. À mon avis, la charge de solliciteur général s'inscrit dans le cadre d'une tradition assez positive, malgré ses défauts et ses problèmes, bref une tradition positive sur laquelle s'appuyer.

Le sénateur Banks : Nous sommes préoccupés par la portée, le pouvoir, l'autorité et l'ampleur du ministère établi en vertu du projet de loi, puisque nous en avons en fait recommandé la création. Parmi les raisons pour lesquelles nous avons recommandé le transfert des pouvoirs au vice-premier ministre, mentionnons le fait que nous connaissions bien l'ordre hiérarchique ou l'ordre de priorité au gouvernement, au sein duquel le solliciteur général a toujours été considéré non seulement comme le second légiste, mais aussi, avec tout le respect que je lui dois, comme un élément de moindre priorité.

Nous voulions nous assurer que ces questions, auxquelles tout le monde attache plus que jamais de l'importance, tombent sous la responsabilité d'une personne qui occupe un rang très élevé dans l'ordre de priorité, ce qui devait permettre une meilleure diffusion au sein du Cabinet. Je cherchais ici non pas à poser une question, mais à formuler une affirmation. Je tenais seulement à vous expliquer cela.

Notre pays avait un ministre des Affaires extérieures. Nous désignons désormais ce poste comme ministre des Affaires étrangères, ce qui n'a modifié en rien le degré d'efficacité des personnes qui assument cette charge. Nous avions un ministre de l'Intérieur. Nous avions aussi un ministre de l'Effort de guerre. J'ai toutefois l'impression que vous estimez que la charge proprement dite et le nom qui s'y rattache — nous pourrions l'appeler le Lord Provost et le Lord Chamberlain, ce qui serait plus britannique — sont déterminants, bref que le nom lui-même déterminera en partie la nature de la personne qui détient la charge ou la nature de la charge proprement dite. Pourriez-vous m'expliquer cela, car quelle que soit la manière dont nous désignons cette personne...

M. Pue : Par exemple, ramasseur national d'animaux.

Le sénateur Banks : Oui, et quel que soit leur titre, ces personnes n'en reçoivent pas moins les responsabilités, l'autorité et les pouvoirs associés à cette charge et n'en remplissent pas moins les fonctions requises. N'est-il pas vrai que, comme vous l'avez déjà dit, c'est la moralité de la personne assumant cette charge qui importe réellement? Je n'ai pas vérifié, mais je ne serais pas surpris d'apprendre que ma république a déjà eu des personnes assumant la charge de solliciteur général; le cas échéant, ça n'a probablement fait aucune différence si l'horrible gouvernement qui a pris ensuite le pouvoir a décidé de maintenir cette charge en place. Une personne foncièrement mauvaise est ce qu'elle est. Elle ne changera pas. Vous auriez beau lui apposer une étiquette disant le contraire, ce n'est pas pour cela que vous en feriez une personne foncièrement bonne.

M. Pue : Je ne pense pas que nous tenions tellement à faire un historique détaillé des personnes qui ont récemment assumé la charge de solliciteur général, surtout si on essaie de voir dans quelle mesure elles ont pu rehausser le statut associé à cette charge. C'est bien dommage. Je trouve que c'est vraiment regrettable de voir à quel point cette charge a été mal assumée ces derniers temps. L'agente qui occupe actuellement ce poste rehaussera sans aucun doute le statut, le pouvoir, le privilège, le rang et l'ordre de priorité qui s'y rattachent, quel que soit le titre qu'on lui ait donné.

Le sénateur Banks : C'est justement où nous voulions en venir.

M. Pue : On doit absolument doter ce poste en tenant compte de ces facteurs, au lieu d'essayer seulement de trouver quelqu'un qui offrirait un juste équilibre sur le plan régional ou quelque chose du genre, mais qui se retrouverait en position désavantageuse par rapport à d'autres personnes parce qu'elles ne comprennent pas son travail. C'est un travail très important; le travail du solliciteur général et celui du responsable du nouveau ministère sont tout aussi importants l'un que l'autre. Dans le domaine du droit canadien, nous avons des termes techniques bien précis. Parmi ceux-ci, mentionnons celui de solliciteur général. Celui-ci ne renvoie pas uniquement à un ministre des Affaires étrangères ou à un ministre des Affaires extérieures, ni d'ailleurs à un ramasseur national d'animaux; en fait, c'est un terme technique en droit qui suppose la connaissance de nombreuses conventions constitutionnelles et de l'histoire constitutionnelle, ce qui est une part importante de la Constitution de notre pays, et des décisions de la common law dans diverses affaires au sujet des devoirs de l'État. C'est beaucoup plus qu'un nom rattaché à une fonction bureaucratique parmi tant d'autres fonctions sujettes à des remaniements. Il a une grande signification.

Lorsque M. Pearson et son cabinet ont présenté leurs modifications, le choix du nom était assez réfléchi. Ce n'était pas aléatoire; c'était tout à fait intentionnel, et le nom devait bien représenter la charge qu'il désignerait.

Si nous éliminons ce terme, nous devrions alors nous demander si cela a une signification particulière. J'aime moins, par exemple, le titre de ministre de la Police que celui de solliciteur général, puisque ce dernier établit une distinction entre la police et le pouvoir politique.

Le sénateur Banks : Merci.

Le sénateur Day : M. Pue, je crois que vous avez abordé la plupart des points sur lesquels je voulais vous demander d'élaborer, mais j'aimerais au moins préciser certaines choses. Avant 1966 et avant M. Pearson, il n'y avait donc pas de solliciteur général?

M. Pue : Il y avait un solliciteur général, mais pas de ministère. Le solliciteur général assumait le rôle de second légiste de l'État au ministère de la Justice.

Le sénateur Day : Au moment de cette création, la personne avait déjà assumé cette charge, et Lester Pearson était en situation minoritaire pendant la majeure partie de son mandat, n'est-ce pas?

M. Pue : La personne quittait le ministère de la Justice pour diriger un ministère appelé Solliciteur général, ce qui était tout nouveau à l'époque.

Le sénateur Day : Une personne politique avec le titre de solliciteur général, et c'est Lester Pearson qui lui a donné le titre. En pratique, est-ce qu'on s'attendait à ce que cette personne ne soit pas partisane dans un gouvernement minoritaire et qu'elle ne puisse donc soutenir ce gouvernement minoritaire?

M. Pue : Il y a partisan et partisan. Je n'ai jamais connu de politicien qui n'était pas partisan dans une certaine mesure. Le solliciteur général et le procureur général doivent faire cette distinction, et leur personnel devrait s'assurer qu'ils la connaissent bien; En outre, le commissaire de la GRC devrait pouvoir les rappeler à l'ordre lorsqu'ils ne respectent pas les principes associés à leur charge, et s'assurer qu'ils ne traitent pas certaines choses de façon partisane.

Le sénateur Day : C'est seulement pour certaines choses. Ne devraient-ils pas agir ainsi en tout temps?

M. Pue : Lorsqu'on est en pleine campagne électorale, j'imagine qu'ils se présentent comme des libéraux, mais parfois autrement.

Le sénateur Day : Lorsqu'ils siègent à la Chambre, doivent-ils être non partisans? Est-ce bien ce que vous dites? Doivent-ils être neutres, comme le Président de la Chambre?

M. Pue : Ils sont censés offrir avant tout des conseils juridiques indépendants au gouvernement. C'est précisément le mandat du cabinet du procureur général. Ils sont supposés oublier tout parti pris politique lorsqu'ils traitent de choses touchant les libertés individuelles des gens. Par conséquent, lorsqu'on demande qu'on procède à une enquête policière au sujet, par exemple, d'un ex-premier ministre pour une infraction à la loi, ce devrait être non pas pour des raisons politiques, mais bien pour des raisons juridiques, bref parce qu'il y a eu manifestement une infraction. Lorsqu'on décide de ne pas poursuivre quelqu'un, ce devrait être non pas par solidarité partisane, mais bien pour des motifs juridiques fondés. Les avocats de la Couronne peuvent décider de ne pas intenter de poursuites dans l'intérêt public. Citons en exemple le cas assez fréquent des activités criminelles associées aux conflits de travail. Les gens qui font du piquetage peuvent avoir recours à la violence, aux menaces et au vandalisme. Lorsque le conflit de travail prend fin, la dernière chose qu'il faudrait faire pour favoriser la paix dans l'industrie et la collectivité, se serait justement d'aller de l'avant avec les poursuites amorcées. Assez souvent, les avocats de la Couronne décideront que ce n'est pas dans l'intérêt public d'aller de l'avant avec ces poursuites. Leur décision serait, par exemple, tout à fait légitime si elle se fondait sur le raisonnement suivant : « Nous avons gagné la majorité avec un seul siège de plus, et c'est justement dans ce comté où il y a quelques mauvais éléments; je crois que nous ferions mieux de ne pas exercer trop de pression. » C'est ce genre de jugement personnel, indépendant et non partisan que les avocats de la Couronne doivent poser, dans la pratique, en cas de crise et de situations particulièrement épineuses, non pas selon un point de vue étroit et partisan, mais dans l'intérêt public.

Le sénateur Day : Si on demandait au solliciteur général de soutenir la proposition législative du gouvernement, par exemple le projet de loi C-36, qui porte sur l'importance de trouver un juste équilibre entre la sécurité collective et les libertés individuelles, dites-vous que ce serait pour défendre les libertés individuelles, par opposition aux personnes aspirant à une meilleure sécurité collective?

M. Pue : Je crois qu'il faut assurer un juste équilibre entre la liberté et la sécurité compte tenu des circonstances et du moment. Lorsque vous parlez du projet de loi C-36, voulez-vous dire celui qui est devenu la Loi antiterroriste?

Le sénateur Day : Oui.

M. Pue : Je suppose que les députés qui ont voté en faveur de cela l'ont fait en toute bonne conscience au moment où ils estimaient que la situation était très précaire sur le plan de la sécurité. Ils se sont efforcés de trouver un juste équilibre entre les libertés et droits des Canadiens et d'autres considérations, mais dans ce cas en particulier, je crois qu'on devrait réviser et clarifier les choses qui sont très ambiguës de façon à les rendre moins ambiguës afin d'assurer la protection de tout le monde.

Cela dit, je ne cherche nullement à dire qu'une personne assumant la charge de solliciteur général n'a pas le droit de soutenir un projet de loi de ce genre. Selon la procédure parlementaire, le solliciteur général agit à titre de député et de membre du Cabinet en adoptant des lois qui visent, nous l'espérons, l'intérêt public. Si un ministre estime qu'une loi va tout à fait à l'encontre de ce que représente le Canada dans l'ensemble, alors il ne devrait pas la soutenir.

Le sénateur Day : Je suis d'accord avec vous, à l'instar des autres probablement. J'essayais de comprendre en quoi consistent les tâches particulièrement exigeantes qu'assument, selon vous, ces légistes de l'État. Pour ma part, je considère que tous les ministres du Cabinet sont des ministres de l'État, mais vous semblez leur assigner un rôle plus important.

M. Pue : Non. Le légiste de l'État assume un rôle distinct, et il n'y en a en fait que deux. Les choses sont particulièrement épineuses pour ces ministres. Imaginez qu'une personne de mauvaise foi occupe le poste de ministre de la Police parce que nous n'avons pas de solliciteur général, ni même l'équivalent. Si cette personne n'aime pas les membres du NPD, elle pourrait demander à la police d'enquêter auprès de certaines personnes uniquement en raison de leur appartenance au parti.

Le sénateur Banks : C'est déjà arrivé, et le légiste de l'État n'a rien fait pour arrêter cela.

M. Pue : Vous avez raison, ce qui l'a d'ailleurs amené à évaluer et à revoir ses procédures; Ron Bassford, entre autres, a reformulé la norme d'intégralité qui devrait être associée à ce genre de charges. Le pouvoir connexe, s'il est mal orienté, peut devenir draconien. Il est très important de s'assurer que les pouvoirs de la police, ainsi que ceux de la Commission des libérations conditionnelles et ceux associés aux poursuites judiciaires, et les autres pouvoirs du genre ne sont pas utilisés à des fins partisanes si nous voulons garantir les libertés de chacun.

Le sénateur Day : Je crois qu'on a déjà posé cette question, mais je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre réponse. Êtes-vous opposé à l'idée d'assigner la charge de légiste de l'État — du moins dans certains cas comme celui du solliciteur général — à une personne qui assume aussi des responsabilités dans les domaines de la police, du renseignement et de la sécurité?

M. Pue : À mon avis, les personnes à qui incombent ces responsabilités devraient se considérer non pas comme des partisans politiques, mais plutôt comme des légistes de l'État, et il me semble aussi que ces personnes devraient comprendre en quoi consiste leur charge, c'est-à-dire que, à titre de légistes de l'État, ils ne doivent pas se laisser influencer par l'ingérence politique active de supérieurs ou de collègues, de sorte qu'aucuns de leurs collègues du Cabinet ne puisse leur dire : « Un tel ou une telle me nuit réellement dans mon comté. Pourriez-vous vous faire en sorte que la police intente des poursuites? » ni que le premier ministre ne puisse lui dire : « Si vous voulez obtenir de l'avancement, vous feriez mieux de faire ceci ou cela, car je n'aime pas ces gens. »

C'est ici que le légiste de l'État entre en scène. Il est en dehors de tout ça et n'a pas à faire preuve comme les autres de solidarité envers le Cabinet. Supposons que tous les ministres du Cabinet soient réunis et qu'ils s'entendent pour dire qu'ils auraient tout avantage, dans l'intérêt du parti, à demander qu'une personne fasse l'objet d'une enquête policière et qu'on intente des poursuites contre elle parce qu'elle s'oppose à leur parti, le légiste de l'État devrait dire : « Non, ces choses s'inscrivent dans le cadre quasi-judiciaire rattaché à ma charge, et, même si je fais partie du Cabinet, je ne ferai pas cela. »

Le sénateur Day : Là où nous n'arrivons pas à bien nous comprendre vous et moi, c'est que je n'ai pas une si piètre opinion des autres ministres du Cabinet. Je ne crois pas que ces ministres feraient de telles choses, ce qui voudrait dire que certains ministres du Cabinet sont plus intègres que d'autres. J'ai de la difficulté à concevoir cela, car il me semble que tous les ministres du Cabinet font tous preuve d'une très grande intégrité.

M. Pue : Dans de nombreux cas, on ne tiendrait pas rigueur aux ministres qui agiraient dans leurs propres intérêts partisans. La fonction de ministre, le rôle de partisan et l'engagement idéologique viennent avec le fait de s'identifier à un parti et sont tous des éléments interreliés. Toutefois, l'engagement idéologique d'une personne chargée de la police doit s'appliquer à la règle de droit dans toute son intégrité. C'est là que réside la différence.

Le sénateur Day : Cela ne devrait-il pas s'appliquer aussi au ministre de la Défense nationale?

M. Pue : De nombreux éléments constitutionnels tout aussi importants entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de la Défense nationale.

Le sénateur Munson : J'ai deux questions simples à poser, après toutes ces questions complexes. J'aime que les choses restent simples, et il me semble que votre modification est simple. Avez-vous eu une réaction de la part du gouvernement?

M. Pue : Je n'ai pas pour fonction de conseiller le gouvernement, sauf par votre entremise.

Le sénateur Munson : Vous proposez ici quelque chose. Est-ce la première fois que vous le faites publiquement, ou avez-vous déjà envoyé des lettres au gouvernement?

M. Pue : Non. C'est la première fois que je donne mon avis à ce sujet. Pour être franc, je croyais que c'était déjà un fait accompli il y a un an. Au moment où on avait annoncé la création d'un nouveau ministère, j'ai eu l'impression que tout était déjà réglé et j'ai donc tenu pour acquis que c'était fait.

Le sénateur Munson : Est-ce que vous voulez tout simplement qu'on ajoute la mention « solliciteur général » dans le titre court « Mise en place »?

M. Pue : J'en serais heureux.

Le sénateur Munson : Je pose les questions suivantes au nom des personnes comme moi qui ne sont pas très versées dans le domaine du droit constitutionnel, même si bon nombre d'entre nous ici le sont.

Pour les Canadiens ordinaires qui suivent les débats de notre comité, pourriez-vous préciser en quoi ce que vous proposez est si important pour ces Canadiens? Comment peuvent-ils en saisir toute l'importance dans leur vie?

M. Pue : Je présume que nous voulons tous la sécurité, et cette sécurité est assurée en partie grâce à l'établissement de pouvoirs extraordinaires : les pouvoirs de la police; les pouvoirs des enquêteurs; les pouvoirs des organismes d'espionnage, si vous me permettez l'expression; les pouvoirs auxquels nous, les citoyens, ne voulons pas avoir à faire face. Nous avons besoin de sécurité, car il y a des personnes mal intentionnées autour de nous. En raison de ces personnes, nous devons compter sur des interventions puissantes dans notre société si nous voulons qu'elles soient maîtrisées et ne puissent nous faire de mal.

Le point, c'est non pas que nous ne pouvons pas faire confiance aux ministres, ni qu'ils ne répondent pas en général à des attentes élevées, mais plutôt que, en raison de notre grand respect pour la règle de droit et le constitutionnalisme, nous voulons ériger le mur de protection le plus solide possible en créant des pouvoirs extraordinaires. Le nouveau ministère est énorme et a beaucoup de pouvoirs, mais il doit mener, nous l'espérons, vers un foisonnement intéressant d'idées. On a protégé jusqu'ici nos libertés dans une certaine mesure en préservant l'autonomie des organismes, et voilà maintenant qu'on les regroupe tous.

Pour être franc, je crois que ce sont des gens comme vous qui doivent veiller à ce que les choses ne tournent pas au désastre en temps de crise. À mon avis, le Sénat est très bien placé pour surveiller cela, étant donné que cette institution n'a pas d'intérêts politiques immédiats. Il est également très important que les parlementaires exercent la même vigilance à l'autre endroit.

Dans notre Constitution, la charge de solliciteur général, entre autres, souligne bien l'importance que nous accordons à l'impartialité, à la règle de droit et à l'intégrité dans l'administration de la justice. Ce sont des valeurs fondamentales auxquelles souscrivent tous les Canadiens. À mon avis, il y a une différence entre un ministre de la police et de la sécurité, quel que soit le titre que vous vouliez lui donner, et un solliciteur général.

Le président : Vous avez précisé que le Canada a connu des périodes sans solliciteur général. Pouvez-vous donner des exemples de situations où cela a causé du tort ou des problèmes?

M. Pue : Le Canada est vraiment un pays intéressant qui a connu beaucoup de changements : entre autres, nous sommes passés d'une colonie britannique régie par l'Office des colonies à un pays qui est devenu, en 1981, complètement souverain et indépendant sur la scène internationale. La GRC, par exemple, qui est un élément important du portefeuille, était à l'origine une force de police coloniale. Elle prenait pour modèle la Police royale irlandaise, qui a encore une très mauvaise réputation dans les milieux catholiques de l'Irlande du Nord. L'empire comptait d'autres forces de police semblables. En Australie, on l'a appelée la police autochtone. La GRC ressemblait assez peu, au début, à une force de police. Ses agents se sont acheminés vers l'Ouest vêtus d'uniformes rouges, montés sur des chevaux et armés de lances. C'était une force colonisatrice dans tout le sens positif et négatif du terme.

La transition du Canada depuis un territoire colonial vers une démocratie constitutionnelle à part entière exigeait, entre autres, que l'on oriente le rôle jusque-là militaire de la police vers un rôle civil; en effet, tout au long de son histoire, la GRC a laissé graduellement tomber ses fondements coloniaux pour devenir de plus en plus une police civile. Les choses se sont grandement accélérées à ce chapitre après les années 50.

Il y a eu l'affaire Nicholson, où un commissaire de la GRC a décidé de remettre sa démission en raison de l'ingérence politique active du premier ministre Diefenbaker et de son Cabinet. C'est une tout autre histoire, et je crois que beaucoup de gens n'ont pas vraiment compris ce qui s'est passé.

Le président : Il n'y avait pas de solliciteur général à cette époque?

M. Pue : Oui, il y en avait un à cette époque. Il assumait une fonction de juriste subalterne au ministère de la Justice à la fin du XIXe siècle, puis est devenu membre du Cabinet à l'époque de la Première Guerre mondiale.

Le président : Dans ce cas, pourquoi mentionnez-vous l'affaire Nicholson s'il y avait un solliciteur général? Ma question était la suivante : pouvez-vous faire état de problèmes qui se sont produits durant les périodes où il n'y avait pas de solliciteur général?

M. Pue : Nous parlons d'une époque où les forces de police et de sécurité au Canada étaient tout à fait différentes de maintenant et où il n'y avait pas de solliciteur général. Avant 1966, le solliciteur général n'avait pas de ministère responsable de la GRC. D'après mon analyse de l'affaire Nicholson, on a décidé que la GRC relèverait du solliciteur général au sein d'un nouveau ministère établi en 1966 en réaction aux préoccupations, touchant la police, qui ont mené jusque-là, et à celles de la décennie précédente. En effet, il y a eu un problème de continuité entre les années 50 et les années 60 à ce chapitre. Il semble bien que les choses aient mal tourné à l'époque de Nicholson, mais c'est une longue histoire.

Le président : À votre avis, est-ce que c'est parce que quelqu'un portait ce titre qu'il y a eu les réformes ayant permis de résoudre nos problèmes avec la GRC?

M. Pue : Oui, on n'a eu aucun problème avec la GRC dans les années 70, n'est-ce pas?

Le président : C'était la raison de ma question.

M. Pue : Je ne crois pas qu'il y ait de solution magique. Je ne crois pas que l'expression « solliciteur général » soit une formule magique qui permette de résoudre tous les problèmes. C'est simplement l'une des traditions issues de notre Constitution, qui vise à offrir une certaine protection, mais ce n'est pas une fin en soi.

Le président : Cela dit, est-ce qu'on arriverait au même résultat en précisant dans le projet de loi qu'une personne assumant ce poste doit faire preuve d'impartialité et éviter toute activité partisane?

M. Pue : On pourrait effectivement procéder ainsi, au lieu d'ajouter les mots « solliciteur général ». Ce ne serait pas difficile à rédiger.

Le président : À votre avis, le fait d'inscrire « solliciteur général » reviendrait-il à dire implicitement que la personne doit se comporter différemment des autres membres du Cabinet?

M. Pue : Vous pourriez préciser dans la loi que cela confirme la common law en ce qui a trait à l'exercice de ces pouvoirs. Il y a de nombreuses ramifications. Cela concerne non seulement le solliciteur général, mais aussi les agents de police. L'histoire de la common law est longue. Vous pourriez affirmer et préciser de façon explicite que les tâches associées à cette nouvelle charge doivent être assumées de façon non partisane. Vous pourriez préciser que bon nombre de ces pouvoirs s'inscrivent dans ce qu'on appelait la sphère quasi-judiciaire. Je ne sais pas exactement quel libellé vous devriez utiliser pour décrire cela, car l'évolution du droit administratif a rendu le tout plus complexe. Vous voudriez néanmoins rendre ce sens. Enfin, vous pourriez tout simplement incorporer le terme « solliciteur général » quelque part dans la loi.

Le président : Vous ai-je bien compris, monsieur? Dans votre introduction, laissez-vous bien entendre que l'absence d'un poste de solliciteur général augmenterait le risque que le Canada devienne un pays comme l'Allemagne nazie?

M. Pue : Nous devons nous demander pourquoi nous avons des conventions constitutionnelles et pourquoi nous avons en fait une Constitution. Je crois fermement en la bonne foi des titulaires de charge publique dans notre pays. Je crois fermement que les valeurs auxquelles souscrivent tous les Canadiens sont fondées sur la règle de droit, l'honnêteté et le respect de la Constitution. Nous avons une belle histoire de constitutionnalisme et une bonne Constitution, bien que partiellement rédigée, et les titulaires de charge publique sont compétents.

Je suis préoccupé non pas parce que je crains que sans les mots « solliciteur général » nous ne devenions immédiatement comme l'Allemagne nazie, mais plutôt parce que je suis conscient du poids historique de cette charge, de ce qu'elle a apporté à notre histoire, c'est-à-dire justement le sentiment que nous devons respecter les valeurs qui nous sont chères, soit les valeurs de la règle de droit et de l'impartialité, et le sentiment que même lorsque cette personne est membre du Cabinet, elle n'est pas un ministre comme les autres. Cette personne a des devoirs spéciaux envers le droit.

Le sénateur Atkins : Croyez-vous que le ministre du nouveau portefeuille, qui a tant de pouvoirs et qui assume également le poste de vice-premier ministre, pourrait, au cours d'un conflit, dire au Cabinet : « Non, nous ne pouvons agir ainsi, car nous violerions alors les principes de la démocratie »?

M. Pue : Est-ce que vous me demandez si je crois que ça pourrait se passer comme ça?

Le sénateur Atkins : Oui.

M. Pue : J'espère bien. C'est notre tradition constitutionnelle.

Le sénateur Atkins : Le fait que cette personne est vice-premier ministre et qu'elle est responsable d'un portefeuille qui lui donne des pouvoirs assez grands pose-t-il problème? Estimez-vous que cela puisse poser problème?

M. Pue : En vertu de ce projet de loi, est-ce que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile doit être également vice-premier ministre? Je ne crois pas. À mon avis, c'est accidentel.

Le sénateur Cools : On a corrigé cela dans le projet de loi.

M. Pue : La fonction de « vice-premier ministre » est une innovation constitutionnelle intéressante. Parmi les inconvénients liés au fait de conférer ces pouvoirs à cette charge, mentionnons que cela suppose que cette personne relève de quelqu'un d'autre, alors qu'elle a des fonctions quasi judiciaires et qu'elle est censée exercer un jugement juridique indépendant tout en étant redevable à ses supérieurs dans la chaîne de commandement. Il y a ici une ambiguïté qui me perturbe, mais je ne crois pas qu'elle soit intégrée au projet de loi en tant que telle.

Le sénateur Atkins : Il y a toujours des anomalies dans la structure du gouvernement. Même si on fait confiance au nouveau ministre qui assume cette fonction, on ne sait jamais si le prochain ministre sera ou non quelqu'un en qui nous pouvons avoir confiance; vous avez d'ailleurs fait remarquer qu'un certain nombre de personnes ayant assumé la charge de solliciteur général chez nous au cours de ces dernières années n'ont peut-être pas réussi à ce chapitre.

M. Pue : Nous avons des constitutions et des lois, en fait, pour nous protéger non pas contre les gens qui s'efforcent de faire les choses de bonne foi, mais plutôt contre les risques d'erreur ou les situations où des gens de bonne foi font des choses de mauvaise foi, ou les situations où des gens de mauvaise foi assument cette charge. Par conséquent, une Constitution ou un projet de loi de ce genre vise non pas à nous protéger contre le titulaire maintenant, mais à structurer les choses de façon que nous puissions être le plus possible certains que, dans cinq, 10, 20 ou 30 ans, nous avons établi des structures vraiment adéquates qui mettent en relief des principes importants et confirment les valeurs constitutionnelles qui nous sont chères. C'est le plus que nous puissions faire. Lorsque ce nouveau ministère sera complètement opérationnel, le gros du travail devra être effectué par des gens y occupant divers postes, qui devront en surveiller l'intégrité, se poser des questions pertinentes à propos d'eux-mêmes et, le moment venu, répondre aux questions cruciales qu'on leur posera dans le cadre d'examens parlementaires, devant les tribunaux et par l'entremise de tous les mécanismes habituels de reddition de comptes propres à la démocratie canadienne. Il y aura beaucoup de travail à faire, entre autres pour votre comité, en vue de polir et de perfectionner cette nouvelle entité à mesure qu'elle évoluera, pour en garantir l'efficience et s'assurer que les droits de chacun sont toujours respectés. Il y a beaucoup à faire. Je ne le remets pas en doute.

Le sénateur Atkins : Le « solliciteur général », en un sens, était-il parfois indépendant du gouvernement?

M. Pue : C'est toujours ce qui devrait se passer. C'est la nature même du solliciteur général et du procureur général.

Le sénateur Banks : Ma question, monsieur, porte sur l'omniprésence pour ainsi dire de la common law. Au cours de la dernière législature, nous avons étudié un projet de loi dans lequel on voulait renvoyer directement à la common law. Le ministère de la Justice a soutenu que ce n'était pas nécessaire, car la common law est toujours omniprésente et n'a donc pas besoin d'être mentionnée explicitement dans un projet de loi pour qu'on puisse l'invoquer au besoin et au moment voulu. Êtes-vous de la même opinion?

M. Pue : On tient effectivement pour acquis que, de façon générale, la common law s'applique encore. Puis-je préciser ma pensée?

Le sénateur Banks : Allez-y.

M. Pue : Avec le projet de loi à l'étude, nous devons évaluer non seulement la question de savoir si la common law se poursuit effectivement, mais aussi le fait qu'on semble vouloir abolir officiellement une charge constitutionnelle très ancienne.

Le sénateur Banks : Mais pas la common law.

M. Pue : Pas l'ensemble de la common law, effectivement. Si on abolit la charge, les tribunaux devront répondre à la question suivante lorsqu'ils interprèteront cela par la suite : En abolissant l'expression « solliciteur général », l'assemblée législative visait-elle également à abolir le concept associé à cette expression ou, malgré sa décision de ne plus utiliser cette expression pourtant bien connue, voulait-elle que la charge de solliciteur général soit encore maintenue de façon officieuse? Voilà donc la question que devront se poser les tribunaux.

Le sénateur Forrestall : La charge de vice-premier ministre s'assortit-elle de pouvoirs législatifs?

M. Pue : Je n'ai jamais trop compris en quoi consiste la charge de vice-premier ministre. À ma connaissance, c'est une charge honorifique que le premier ministre Trudeau a conférée pour la première fois au sénateur MacEachen. C'était une charge devant permettre au titulaire d'aider le premier ministre à assurer le contrôle de la Chambre. Je crois que le leader à la Chambre et le vice-premier ministre ont gagné. C'est une institution qui semble évoluer et changer sans qu'on l'ait nécessairement voulu. C'est une forme républicaine, sénateur.

Le sénateur Forrestall : Je cède la parole au sénateur Cools. C'est une question qui la préoccupe.

Le sénateur Cools : Je vais aborder la question du vice-premier ministre en dernier. Je crois que certains membres du Comité ont eu du mal à comprendre que les légistes de l'État ont d'autres pouvoirs que les ministres ordinaires, et qu'une personne peut assumer le poste de légiste de l'État sans être membre du Cabinet, car, depuis des siècles, ces deux postes ont été occupés à tour de rôle par des personnes à l'intérieur et des personnes à l'extérieur du Cabinet. En d'autres mots, un ministre a peut-être un certain nombre de pouvoirs, mais les légistes de l'État ont quant à eux des pouvoirs supplémentaires, et ces pouvoirs sont tous reliés à l'administration de la justice et à la protection des intérêts publics dans le respect de la justice nationale.

Je crois que vous avez fait allusion à l'enquête Dorion, même si vous ne l'avez pas mentionnée directement, enquête qui a d'ailleurs eu un impact intéressant : on a retiré le solliciteur général du ministère de la Justice.

Le président : Je vous demanderais de poser une question au témoin.

Le sénateur Cools : Je m'y apprêtais. Puis-je faire un commentaire?

Le président : Lorsque quelqu'un se déplace de si loin, nous essayons généralement de tirer parti de sa visite.

Le sénateur Cools : C'est ce que je m'efforce de faire. Je voulais élaborer sur ce qu'il a dit. En ce qui a trait à l'enquête Dorion, permettez-moi de citer ici M. Edwards, car vous vous rappellerez qu'un ministre de la Justice a justement été touché par ces questions.

Il n'y a pas eu infraction, comme on l'a laissé entendre, à l'égard de la division des fonctions en raison du fait que le ministre n'a pas consulté les avocats à temps plein au ministère de la Justice. C'est plutôt parce que M. Favreau n'a pas compris qu'il devait assumer certaines fonctions à titre de ministre de la Justice au cours de l'enquête menée par la GRC relativement aux allégations portées et un tout autre rôle à titre de procureur général du Canada lorsqu'il a fallu décider d'autoriser ou non des poursuites au criminel.

En ce qui a trait au regroupement de ces ministères, on est justement confronté à d'énormes pouvoirs — vous dites quasi-judiciaires; je les décrirais plutôt comme des pouvoirs judiciaires lorsqu'il s'agit de poursuites intentées contre un membre du public. C'est une question très importante. Je tenais seulement à vous en faire part.

Le président : C'est un peu comme le jeu Jeopardy, madame le sénateur Cools. Vous devez formuler, au bout du compte, une question.

Le sénateur Cools : Oui, j'y arrive. Il y a quelques minutes, vous avez exprimé certaines préoccupations au sujet du vice-premier ministre. Malheureusement, ce titre n'a aucun fondement constitutionnel. Je parle bien du poste, et non de la personne. Ça n'a rien à voir avec la personne. Le premier ministre détient le pouvoir de premier ministre de Sa Majesté en vertu de son lien avec la Chambre des communes. Le vice-premier ministre n'a pas quant à lui de validité constitutionnelle de ce genre. En outre, si vous lisez certaines des descriptions relatives au vice-premier ministre, vous constaterez que, en fait, ce poste n'a pas de force juridique.

Si je comprends bien, le rapport en question du comité sénatorial visait à accorder davantage la priorité aux questions en jeu en les assignant en partie à des personnes proches du premier ministre. Là où le bât blesse, c'est en ce qui concerne l'abolition des agents. Sir John A. Macdonald était premier ministre, ministre de la Justice et procureur général; c'est donc cette fusion qui nous préoccupe.

Que pensez-vous de la position constitutionnelle du vice-premier ministre?

M. Pue : La fusion des charges de ministre de la Justice et de procureur général me semble représenter un modèle qui pourrait s'appliquer ici. Le ministre de la Sécurité publique et le solliciteur général ainsi que leur charge et les valeurs se rattachant à cette charge sont protégés, voilà tout, sans que cela ne nous empêche d'atteindre les objectifs de la loi. Le vice-premier ministre est une innovation constitutionnelle intéressante. Certains sénateurs ont fait remarquer que c'est comme un vice-président. C'est une forme républicaine de gouvernement annexée au constitutionnalisme s'inspirant de la tradition du Parlement britannique de Westminster; voilà qui n'est pas très heureux.

Le sénateur Cools : Si je comprends bien, vous dites que le gouvernement devrait apporter une correction au projet de loi afin de préserver le poste de solliciteur général et de ministre de la Sécurité publique. Il pourrait s'agir du solliciteur général et du ministre de la Sécurité publique, étant donné que le ministre de la Justice est le ministre de la Justice et le procureur général. Tout cela aurait pu se faire. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on a conclu qu'il fallait éliminer la charge.

J'ai une autre question. J'ai appris qu'on s'est fondé sur le modèle du Québec, car, vers 1988, l'Assemblée du Québec aurait adopté un projet de loi visant essentiellement à remplacer le titre de solliciteur général du Québec par celui de ministre de la Sécurité publique. Ils ont un titre différent. Et cela, malgré un article de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, dans lequel on précise clairement que le Québec doit avoir un solliciteur général. Que pensez-vous de ça?

M. Pue : Ce n'est pas ma place, moi qui suis arrivé de la Colombie-Britannique à bord d'un vol de nuit hier soir, de m'avancer au sujet du constitutionnalisme québécois, qui a d'ailleurs un caractère tout à fait unique, notamment en raison de l'histoire spéciale de notre pays. Je ne peux faire de commentaires à ce sujet.

Je suis sûr que le Parlement n'est pas aussi pointilleux que les facultés, mais je tiens tout de même à préciser qu'il s'agit d'un amendement favorable, comme j'aurais très certainement dû le préciser dès le début. Ce que je propose n'est pas contraire à l'intention du projet de loi.

Le sénateur Cools : J'en conviens. Le gouvernement aurait pu atteindre les mêmes objectifs en matière de sécurité nationale sans toucher à cette charge ancienne. Je sais que ça peut vous paraître incroyable ou inimaginable, mais dans certains territoires où tous les pouvoirs constitutionnels sont tombés, la seule autorité constitutionnelle vers qui on peut se tourner, c'est justement celle rattachée à ces postes : le gouverneur, le procureur général et le solliciteur général.

Je comprends votre point de vue, mais là où le bât blesse, c'est que, partout dans notre pays, les Canadiens et les députés ne connaissent plus le système constitutionnel. Vous avez fait allusion aux commentaires que M. Basford a présentés devant la Chambre des communes au sujet du rôle du procureur général. Il est très intéressant de noter que, lorsque M. Basford a constaté le manque de connaissances en la matière, il a travaillé d'arrache-pied afin de soutenir et de promouvoir les débats en la matière et une meilleure connaissance des rôles indépendants des légistes de l'État. Cet homme est récemment décédé, mais il a laissé sa marque en rappelant aux gens l'importance de ces postes qui visent à administrer la justice d'une façon très particulière.

Le président : Monsieur Pue, je tiens à vous remercier grandement au nom du comité. Merci d'avoir pris un vol de nuit pour vous rendre jusqu'ici et vous présenter devant notre comité. Merci également de nous avoir aidé à examiner ce document législatif important. Enfin, merci du temps que vous nous avez consacré.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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