Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 21 février 2005
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense à qui le projet de loi C-6, Loi constituant le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et modifiant et abrogeant certaines lois a été renvoyé, se réunit aujourd'hui, à 9 h 45 heures, pour procéder à une étude article par article du projet de loi et pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est ouverte. Plaît- il aux honorables sénateurs que le comité passe à l'étude article par article du projet de loi C-6, Loi constituant le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et modifiant et abrogeant certaines lois?
Des voix : D'accord.
Le président : À moins que le comité n'en décide autrement, la pratique veut que l'on reporte l'étude du titre intégral et du titre abrégé qui figure à l'article 1. Plaît-il aux honorables sénateurs de respecter la pratique?
Des voix : Oui.
Le sénateur Forrestall : Attendrons-nous le sénateur Meighen?
Le président : Nous lui avons demandé de venir, sénateur Forrestall, et nous avons déjà le quorum nous autorisant à poursuivre nos travaux.
Le sénateur Forrestall : Très bien, monsieur le président.
Le président : L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 5 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 6 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 7 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 8 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le président : L'article 9 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 10 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 11 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 12 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 13 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 14 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 15 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 16 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 17 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 18 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Forrestall : Je m'abstiens.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : L'article 19 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 20 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 21 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 22 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 23 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 24 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 25 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 26 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 27 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 28 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 29 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 30 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 31 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 32 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 33 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 34 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Pour ce qui est de l'article 34, certains ont dit d'accord et d'autres ont dit non. Pouvez-vous lever la main? Pour? Je vois quatre mains, les sénateurs Losier-Cool, Munson, Day et Banks. Contre? Les sénateurs Forrestall, Meighen et Cools.
L'article 35 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 36 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 37 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : J'ai entendu quelqu'un dire contre. Qui est d'accord? Les sénateurs Losier-Cool, Munson, Day, Banks et Forrestall. Qui est contre?
Le sénateur Cool : Je crois que le sénateur Forrestall s'est trompé. Il s'agit de la disposition qui abroge la Loi du solliciteur général.
Le président : Je reprends donc, chers collègues. Nous en sommes maintenant à l'article 37. L'article 37 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Qui est pour? Les sénateurs Losier-Cool, Munson, Day, Banks. Qui est contre? Les sénateurs Forrestall, Meighen et Cools.
Le sénateur Meighen : Vous pouvez appliquer ce vote à toutes les autres dispositions sur lesquelles vous avez votées avant mon arrivée.
Le président : L'article 38 est-il adopté?
Des voix : Adopté.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens.
Le président : J'ai demandé d'indiquer au registre des votes que vous vous étiez abstenue dans tous les cas, sauf lorsque vous avez décidé de voter contre un article, sénateur Cools.
Le sénateur Cools : Très bien, car je m'abstiens de voter et à l'occasion je vote contre certains articles.
Le président : Je suppose que c'est également votre situation, sénateur Forrestall.
Le sénateur Forrestall : Certainement.
Le président : L'article 1, qui présente le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Je m'abstiens. En fait je m'abstiens de voter sur toutes ces dispositions.
Le président : Je suppose que les honorables sénateurs qui désiraient s'abstenir continueront de s'abstenir.
Le sénateur Forrestall : Je veux dire quelques mots sur la disposition présentant le titre de la mesure législative.
Le président : Sénateur Forrestall, vous avez la parole.
Le sénateur Forrestall : Monsieur le président, chers collègues, pour des raisons que vous connaissez sans aucun doute tous, je ne m'oppose pas vraiment au contenu de ce projet de loi. Mon opposition et en fait mon abstention, sauf en ce qui a trait à deux dispositions, traduisent mon inquiétude quant à l'impact de ce projet de loi qui fait disparaître le ministère du Solliciteur général, l'avocat de la Couronne, de notre gouvernement. C'est pour cette raison uniquement que je me suis abstenu de voter.
Comme le président l'a signalé à plusieurs occasions, nous avons c'est vrai proposé que le ministre responsable occupe ce poste fort important. Je crois qu'il est parfaitement approprié que le Canada ait comme vice-premier ministre, comme membre du conseil des ministres, quelqu'un qui puisse jouer ce rôle. Je voudrais que le ministre, ou la ministre puisse vraiment jouer le rôle que jouait le solliciteur général.
Je ne sais certainement pas ce que l'avenir nous réserve, mais je crois que bientôt nous aurons besoin d'une personne au sein du conseil des ministres qui puisse jouer un rôle très important, celui d'arbitre; ce n'est que de cette façon que nous pourrons avoir au sein du cabinet une personne compétente dont le rôle sera justement de trancher, une personne vers qui les Canadiens et les Canadiennes pourront se tourner pour obtenir de l'aide, peu importe leurs doléances.
C'est pourquoi la perte de cette entité est si regrettable. Voilà un autre pas dans une direction fort dangereuse, soit celle de la disparition de tout signe de la Couronne. Cela est fort regrettable. Cependant, ce n'est pas la raison; la raison est simplement qu'il faudrait que les Canadiens et les Canadiennes soient dans une certaine mesure convaincus de l'indépendance du titulaire de ce poste. Sans avoir un poste équivalent à celui de solliciteur général, il n'y aura à mon avis aucune indépendance. Je ne vois pas comment le ministre de la Couronne responsable de l'application de cette loi pourra faire appel à son simple bon jugement. Ce ministre se contentera simplement de refléter les décisions du gouvernement, qu'elles soient bonnes ou pas, sans qu'il soit possible d'appeler de cette décision.
Nous abandonnons un poste, une entité absolument extraordinaire, pour obtenir très peu en retour. C'est une des dernières chances qui nous est offerte de nous opposer à la disparition de ce poste, et c'est pourquoi je me suis abstenu. Je ne voulais rien avoir à faire avec cette décision. Je ne voulais pas m'opposer au contenu du projet de loi; je voulais simplement signaler que je regrette la disparition du poste de solliciteur général. Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion de participer au débat.
Le sénateur Banks : D'aucuns disent que le titre solliciteur général s'accompagne d'une indépendance spéciale d'un côté et d'une association particulière avec la Couronne de l'autre. Je ne suis pas du tout d'accord.
Les États-Unis ont un solliciteur général qui n'a aucun lien avec l'État. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit qui ressemble à une prérogative royale, dans le cas du solliciteur général, sauf peut-être quelque chose d'ancien.
Ici, nous nous en sommes très bien tirés pendant longtemps sans solliciteur général. Personne n'a jamais dit que nous ayons jamais été au bord de la catastrophe du fait de l'absence d'un solliciteur général. Rien ne semble indiquer que l'existence d'un solliciteur général, et le bureau du solliciteur lui-même, ne nous ait jamais évité de faire des erreurs terribles soit dans les lois que nous avons adoptées soit dans la façon de les appliquer.
Nous avons changé maintes fois le nom des membres du conseil des ministres. Le fait est que, à mon avis, le solliciteur général est membre du conseil des ministres, du gouvernement, tout comme le ministre de l'Intérieur l'était autrefois ou comme l'était aussi le ministre des Affaires extérieures.
Le fait est que la seule référence à ce bureau dans le projet de loi, outre son abolition, c'est lorsque l'on dit que tous les pouvoirs qui revenaient au solliciteur général sont maintenus, et sont maintenus en vertu de cette loi, dans le nouveau bureau qu'elle établit.
Le gouvernement doit pouvoir gouverner; c'est ce qu'il fait en créant ce nouveau bureau.
Les pouvoirs sont maintenus. On n'a jamais eu l'impression que sans solliciteur général, notre pays allait au désastre. Je ne suis pas convaincu que ce soit le nom que l'on donne à ce rôle qui puisse changer quoi que ce soit à son efficacité. C'est plutôt la qualité des personnes qui occupent ce poste qui importe. C'est pourquoi je m'oppose au projet d'amendement.
Le sénateur Cools : J'estime que les arguments du sénateur Banks sont anticonstitutionnels et ne reposent sur aucune preuve.
Je m'oppose à la fois au fond du projet de loi et à ses propos. Chers collègues, je dirais que lorsque le sénateur Banks parle du solliciteur général des États-Unis d'Amérique, il ne semble pas comprendre qu'aux États-Unis, le solliciteur général a exactement le même rapport avec le souverain que le solliciteur général au Canada avec notre souverain qui se trouve être Sa Majesté. Le sénateur Banks semble penser que c'est juste une question de désignation. J'ai dit à maintes reprises, et cela devient fatiguant, qu'on pourrait aussi bien dire que le premier ministre est roi. Pourrions-nous présenter un projet de loi, un décret en conseil, stipulant que c'est juste une question de désignation et que le premier ministre sera roi? Cela se fera peut-être. Qui sait?
J'essaie simplement de dire que le poids de la jurisprudence et le poids de l'histoire ainsi que le poids du droit constitutionnel depuis des siècles vont à l'encontre de la position présentée par le sénateur Banks. J'irais même jusqu'à dire que ce n'est pas une position.
Ce qui est important, c'est que le solliciteur général du Canada n'est pas un ministre ordinaire. Ce poste en referme deux, l'un de ministre et l'autre de conseiller juridique de l'État. Ces postes peuvent être occupés ou non par des membres du conseil des ministres, selon le pays ou le gouvernement concerné et le moment de l'histoire.
Il est important pour nous de comprendre très clairement que le ministre s'est présenté devant nous et n'a donné aucune explication, aucune justification ni aucune preuve précisant pourquoi ce poste était supprimé du point de vue constitutionnel. On n'a cité aucun pouvoir constitutionnel et tout ce que j'ai entendu durant ce témoignage, c'est seulement que l'on pense qu'il devrait en être ainsi, un point c'est tout. Il n'est pas nécessaire d'invoquer un pouvoir constitutionnel parce que nous sommes nous-mêmes les autorités constitutionnelles. Je trouve cela très difficile à avaler.
Je suis très sensible au bon travail que ce comité a fait en révolutionnant la manière que nous avons dans ce pays de voir les questions touchant la sécurité et à la défense. Je vous félicite de ce travail mais je tiens à dire avec force que ce comité n'a absolument rien fait en ce qui concerne la consolidation d'un ministère de la Sécurité publique. Il n'y a absolument rien dans les travaux du comité qui pourrait le moindrement justifier l'abolition du poste de l'avocat de la Couronne, le solliciteur général du Canada. Je veux être certaine qu'on tranche ce lien.
Bon nombre des problèmes et des questions que pose ce projet de loi n'ont pas fait l'objet d'un examen ou d'une discussion. Par exemple, j'aurais souhaité demander au ministre d'examiner l'article 6, et particulièrement le paragraphe (2),
(2) Le ministre peut constituer des comités consultatifs ou autres, et en prévoir la composition, les attributions et le fonctionnement.
J'aurais espéré obtenir une explication de la constitutionalité de ces comités et savoir qui en seraient les membres car je pense que nous savons tous que cet article du projet de loi vise à permettre au ministre de puiser dans le Trésor pour faire des nominations dont personne ne veut nous expliquer la nature.
Je tiens à dire aux fins du compte rendu qu'il y a bien d'autres questions dans ce projet de loi qui n'ont pas vraiment été traitées, dont on n'a pas discuté et pour lesquelles aucune preuve n'a été présentée.
Cela fait peut-être l'affaire de plusieurs membres de ce comité et d'autres personnes. On me dit qu'il y en a qui préfèrent adopter les projets de loi le plus rapidement possible, avec un minimum de discussions. Je n'en suis pas.
Enfin, le ministre et les autres témoins ne nous ont fourni absolument aucune explication ou raison ou motif pour justifier ce changement ni d'indications des répercussions qu'il aura sur les pratiques constitutionnelles de ce pays et sur le fonctionnement du gouvernement. De nombreux membres du comité ont rejeté l'idée que le poste du solliciteur général, comme celui des avocats de la Couronne, est tout à fait unique et spécial. Je dis aux honorables sénateurs qu'aucune preuve ne nous a été présentée à l'égard de ces questions tout comme on ne nous a donné aucune preuve de la nécessité de rejeter ce poste de Sa Majesté.
Le sénateur Meighen : J'aimerais m'associer aux commentaires du sénateur Forrestall et des arguments qu'il a formulés pour expliquer sa façon de voter et auxquels je souscris puisque cette discussion a commencé avant mon arrivée.
Je pense que le sénateur Cools a raison de dire qu'on ne nous a présenté aucun argument pour justifier cette façon de procéder. Personne dans ce comité ne conteste le fait que, en gros, le projet de loi reflète une position que nous préconisons de longue date. Nous avons demandé que ce genre de responsabilité soit confiée au vice-premier ministre et nous nous trouvons saisi d'un projet de loi avec lequel nous sommes essentiellement d'accord mais qui contient également un changement de titre inexplicable, et, à mon avis, inutile. Nous pourrions aussi bien avoir un projet de loi pour réorganiser le Bureau du solliciteur général et l'appeler loi modifiant la Loi sur le solliciteur général, ou quelque chose du genre. Quel besoin avons-nous d'un titre ronflant comme Sécurité publique et Protection civile Canada qui n'a de rival que son prédécesseur, le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile?
Le sénateur Cools a indiqué que la Loi sur le ministère de la Justice précise que le ministre de la Justice est d'office procureur général du Canada. À tout le moins, n'aurions-nous pas pu faire la même chose dans ce projet de loi et mentionner le solliciteur général du Canada? J'ai l'impression qu'on a choisi la solution facile sans beaucoup y réfléchir.
Le sénateur Banks a raison de dire que le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. Nous allons continuer à faire un bon et un moins bon travail de législateurs lorsque nous examinons des projets de loi d'intérêt public. Que l'on parle de Sécurité publique et Protection civile Canada ou du ministère du Solliciteur général, ça ne changera pas. Ce qui va changer, c'est que nous avons rompu les liens avec quelque chose qui nous a bien servis dans le passé. Je n'ai pas entendu de grands cris de protestation de la part du public à l'idée qu'on élimine l'expression solliciteur général. Je trouve cela malheureux et inutile et je suis d'accord avec mes deux collègues sur ces points.
Le sénateur Day : Je respecte les commentaires de mes collègues. Il semble que nous soyons sur le point d'adopter ce projet de loi et il est important de reconnaître le travail que ce comité a fait sous votre direction, monsieur le président.
Nous avons examiné ce que font le solliciteur général et un certain nombre d'autres ministères et nous avons pensé qu'il était important de coordonner un certain nombre d'activités qui concernent la sécurité publique et la protection civile. La Gendarmerie royale du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité et la nouvelle Agence des services frontaliers du Canada, qui s'occupe de questions d'immigration et d'autres questions frontalières, ont tous été rassemblés et c'est notre comité qui a recommandé cette coordination.
Je préfère un titre qui reflète cette nouvelle fonction coordonnée qui établira les priorités de ces différents ministères, agences et services du gouvernement qui ont des responsabilités en matière de sécurité publique et de protection civile. Je pense que c'est le début d'une nouvelle ère en matière de sécurité publique et de protection civile. J'appuie le projet de loi dans sa forme actuelle.
Le sénateur Banks : Je ne serai pas long, mais je dois répondre à certains commentaires.
Il est faux de dire que des membres de ce comité ont rejeté les questions que vous avez soulevées, sénateur Cools, ou celles soulevées par d'autres membres. Je suis d'accord avec le sénateur Day pour dire que le titre doit décrire clairement l'objet du projet de loi, ce que ne ferait pas le titre « Loi du solliciteur général ». Sénateur Cools, je dois vous dire que l'autorité constitutionnelle au Canada c'est le gouvernement canadien.
Le sénateur Cools : Vraiment?
Le sénateur Banks : Oui.
Le sénateur Cools : C'est quelque chose de nouveau.
Le président : Un peu de silence, sénateur Cools, s'il vous plaît.
Le sénateur Banks : S'il y a un pouvoir qui doit s'exercer au Canada, l'entité qui l'exerce, en vertu de la Constitution, est certainement le gouvernement. En ce qui concerne les preuves, je ne peux pas prouver que des preuves n'ont pas été présentées, mais ce que j'ai à dire au sujet de la preuve c'est qu'on ne nous a pas prouvé non plus les inconvénients de ne pas avoir un solliciteur général.
En ce qui concerne les comités consultatifs, sénateur Cools, vous avez soulevé cette question lors du débat en deuxième lecture et j'y ai répondu à ce moment-là. En outre, je vous ai envoyé une liste et, si vous ne l'avez pas reçue, je serai heureux de vous en faire parvenir une autre. C'est loin d'être un précédent. Il y a environ une douzaine de lois créant des ministères qui prévoient la création de comités consultatifs. Ils n'ont aucun statut constitutionnel, mais ils sont légitimes et très utiles. Comme je l'ai mentionné lors de ce débat, j'ai moi-même été membre de tels comités avant d'être nommé au Sénat.
Le sénateur Cools : Ou bien je ne me suis pas expliquée clairement ou l'honorable sénateur m'a mal comprise, mais le pouvoir constitutionnel dans le langage de la gouvernance c'est en général la loi, pas les personnes. En d'autres mots, nous sommes censés être gouvernés par des lois, pas par des personnes. Lorsque l'honorable sénateur dit que l'autorité constitutionnelle c'est le gouvernement, il prouve ce que j'avance, car j'ai dit que le gouvernement n'a pas le pouvoir de faire ce qu'il fait; il s'est simplement contenté d'affirmer en avoir le droit. Vous avez dit que le gouvernement est l'autorité constitutionnelle. Lorsqu'on parle d'autorité constitutionnelle cela veut toujours dire la Constitution en tant que lois, à la fois les éléments qui sont codifiés et ceux qui ne le sont pas. Vous semblez croire que le gouvernement peut créer des lois tout simplement en affirmant ce pouvoir. C'est une nouvelle approche constitutionnelle. Je tiens à ce que ce soit très clair.
Le gouvernement a montré qu'il n'est tenu par aucune loi et qu'il ne se fonde sur aucune loi pour faire ce qu'il fait. Quelqu'un en a décidé, mais ce n'est pas dicté par une loi. Soyons clairs. Si vous voulez le défendre, je vous en prie.
Nous sommes profondément en désaccord. Peut-être qu'à un moment ou un autre le Sénat pourra faire une étude quelconque sur la signification de ces rôles et la relation spéciale qu'ils ont avec le souverain, le Parlement et le conseil des ministres.
Je veux qu'il soit bien clair que les pouvoirs constitutionnels habituellement découlent du droit constitutionnel, que nous ne devrions pas inventer petit à petit.
Les recommandations de ce comité étaient plus sages que vous le pensez peut-être. Lorsque j'ai observé le processus de nomination et d'assermentation le 12 décembre, j'ai été très choquée que l'on nous dise qu'Anne McLellan était assermentée en tant que solliciteur général comme ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre. C'est un regroupement qui me chagrinait profondément. Toutefois, j'ai examiné votre rapport et constaté que vous n'aviez jamais recommandé cela. Vous aviez recommandé de relever le poste de vice-première ministre et de confier ces fonctions à quelqu'un au sommet de la hiérarchie, ce qui ne veut pas dire qu'il faille créer un poste constitutionnel qui regroupe à la fois celui de solliciteur général et celui de ministre de la Sécurité publique, si bien que nous devrions peut- être réexaminer votre rapport.
Notre pays a une constitution. La Constitution se retrouve dans de nombreuses lois. Peut-être devrions-nous poursuivre ce débat au Sénat même.
Une fois encore, pour ceux qui nous regardent, la Constitution ne nous autorise absolument pas à supprimer le poste de solliciteur général. Je peux le prouver par une chaîne de pouvoirs très longue et très large.
Je ne pense pas pouvoir persuader quiconque ici mais je veux qu'il soit clair que le gouvernement n'a pas le loisir, même s'il semble penser qu'il l'a, de tout changer comme il l'entend, de faire tout ce qu'il veut, puis de le présenter au Parlement en disant :« C'est comme ça parce que j'ai dit que ce serait comme ça. » C'est une forme de gouvernance qui n'est ni bonne ni limitée et pour laquelle on peut avoir des objections.
Les dés sont jetés. Je me suis exprimée en votant à l'occasion de l'étude article par article. Il aurait été préférable que nous débattions des différents articles individuellement afin que nos observations puissent porter sur les projets d'article eux-mêmes plutôt que sur le projet en général à la fin. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer.
Je voudrais aussi dire, pour finir, que selon ce qu'on défigure et change ici, c'est plus qu'un nom. C'est la Constitution de notre pays et ce n'est pas le premier projet de loi que je vois présenter par ce gouvernement qui revient à modifier la Constitution.
Comprenons bien que petit à petit, pas à pas, ce gouvernement est en train de démanteler le système constitutionnel de notre pays. Je ne suis pas d'accord et je saisirai certainement toutes les occasions possibles de présenter mes objections. Je ne pense pas que cela arrêtera le gouvernement puisqu'il semble tenir absolument à nous imposer ainsi les vœux d'une toute petite minorité d'avocats. C'est toutefois une honte. La tragédie c'est qu'Ottawa est tellement déconnecté par rapport aux Canadiens ordinaires que les Canadiens ne comprennent même plus ce que l'on dit ici et n'ont même plus les mots pour contester tous ces changements.
Ils se perdent et se laissent emberlificoter continuellement quand les sénateurs ou ministres déclarent que c'est simplement un changement de nom et que cela ne signifie rien. Or, c'est un changement profond. Nous avons diminué le poste de ministre de la Sécurité publique en n'y attachant pas le rôle de solliciteur général. Nous ne nous sommes pas penchés sur tellement de points en étudiant ce projet de loi et nous avons négligé les pouvoirs énormes proposés ici à tous les niveaux. Les pouvoirs proposés pour le ministre sont vastes et disparates et auraient dû être atténués, modifiés, exercés et exécutés aussi sous l'autorité du solliciteur général. J'espère avoir été claire sur ce vaste sujet.
Une grande partie de l'information qui nous a été donnée est simplement erronée. En dehors de M. Wesley Pue, les témoins ne nous ont pas vraiment aidés. Au risque d'être considérée comme un genre de dinosaure qui insiste sur le respect de la Constitution canadienne, si je dois choisir entre le respect d'une loi et le respect d'une personne, je choisirai le respect de la loi et du principe.
Le président : Comme il n'y a personne d'autre, honorables sénateurs, nous revenons à la question : l'article 1, le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Cools : Abstention.
Le sénateur Forrestall : Abstention.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : Adopté.
Le sénateur Forrestall : Abstention.
Le sénateur Cools : Abstention.
Le président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : Adopté.
Le sénateur Cools : Abstention.
Le sénateur Forrestall : Je suis d'accord pour que le projet de loi soit adopté.
Le président : Puis-je demander au greffier de poser la question à chaque membre du comité?
Le greffier : Je vais interroger chaque sénateur.
Le sénateur Kenny : Oui.
Le sénateur Banks : Oui.
Le sénateur Cools : Abstention.
Le sénateur Day : Oui.
Le sénateur Forrestall : Abstention.
Le sénateur Losier-Cool : Oui.
Le sénateur Meighen : Abstention.
Le sénateur Munson : Oui.
Le greffier : Oui, cinq; non, zéro; abstention, trois.
Le président : Le projet de loi est adopté. Dois-je faire rapport du projet de loi à la prochaine séance du Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
Le sénateur Cools : Je pense que nous devrions avoir une discussion avant qu'il ne soit fait rapport du projet de loi à la Chambre. Ne devrions-nous pas débattre de l'opportunité de faire certaines observations dans le rapport qui accompagnera ce projet de loi? Il devrait mentionner certains des graves problèmes constitutionnels qui ont été soulevés.
Le président : Sénateur, le fait est que le projet de loi a été adopté et que le comité a voté qu'il en soit fait rapport au Sénat. Je veux bien demander au comité s'il souhaite faire des observations avant qu'il ne soit fait rapport du projet de loi. Si le comité le souhaite, nous pouvons discuter de telles observations. Les sénateurs le souhaitent-ils?
Le sénateur Forrestall : Y a-t-il une raison pour que le comité ne passe pas sur CPAC ce matin alors qu'il s'agit d'un projet de loi aussi important? J'aimerais que les observations soient mises en annexe.
Le sénateur Munson : Est-ce que les observations n'ont pas déjà été rendues publiques? Il faudrait tout de même que les choses avancent de temps en temps à ce comité.
Le président : Je prends note de vos observations. C'est probablement de ma faute, si le comité n'est pas télévisé.
Le sénateur Forrestall : Y a-t-il une raison?
Le président : Je pensais que ce serait une séance rapide. On aurait pu le faire téléviser, et c'est de ma faute s'il ne l'a pas été.
Le sénateur Forrestall : Cela ne suffit pas. Je ne sais pas comment on pourrait corriger la chose maintenant, mais vous avez pris une décision et c'est bon. J'aurais pensé que cette séance aurait été considérée comme l'une des plus importantes depuis des mois. Certes, les conséquences vont se faire sentir pendant longtemps. Les paramètres de ces quelques articles auront des conséquences évidentes. J'aurais pensé qu'il était utile, étant donné que nous avons accès aux ondes, de rendre les délibérations d'aujourd'hui accessibles à ceux qui auraient voulu les suivre, qui s'intéressent au comité et qui ont fait l'éloge du travail de ce comité sous votre direction. Je discuterai avec vous de la façon dont nous pourrions éviter à l'avenir ce genre d'erreur. Je suis déçu.
Le président : Je le regrette et je serai très heureux d'en discuter avec vous tout de suite ou à un autre moment, sénateur. Je note que vous êtes déçu et je vous prie de m'en excuser.
Le sénateur Cools : Nous en sommes arrivés au point où nous allons discuter du rapport du comité.
Le président : Nous en sommes arrivés au point où nous allons discuter de l'opportunité d'ajouter des observations.
Le sénateur Cools : C'est ce dont je parle, et cela fait partie du rapport du comité.
Le président : La première question à régler est, voulons-nous ou non ajouter des observations? Si le comité le souhaite, nous pourrons discuter de ces observations.
Le sénateur Cools : Le comité en est arrivé au point où il doit discuter du contenu ou de l'absence d'observations dans son rapport?
Le président : On décide du fond après avoir décidé si l'on veut ou non inclure des observations.
Le sénateur Cools : Je pensais que cela dépendrait de la nature des observations.
Le président : Je m'en remets au comité et suivrai savolonté. Les sénateurs souhaitent-ils discuter de l'opportunité d'ajouter des observations? Si l'on décide de mettre des observations, souhaitez-vous que l'on discute de ces observations ou voulez-vous discuter des observations d'abord?
Le sénateur Day : Monsieur le président, à ce sujet, nous avons voté de faire rapport de ce projet de loi au Sénat. Si vous aviez dit : « de faire rapport au Sénat sans observations » ou « sans commentaires », nous ne tiendrions pas ce genre de discussion. Comme nous ne l'avons pas fait, j'estime que lorsque nous ferons rapport du projet de loi, nous devrions le faire sans amendements et sans observations.
Le président : C'est mon intention. Je demande donc si nous devons avoir des observations et je vous écouterai à ce sujet.
Le sénateur Meighen : Je pense que l'on pourrait abréger les choses en demandant aux sénateurs de se prononcer. Avant de savoir quel pourrait être le résultat de la discussion, pourquoi ne pas la court-circuiter en demandant une réponse?
Le président : C'est exactement ce que j'essayais de faire.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Mes commentaires étaient exactement les mêmes que ceux du sénateur Day. Nous venons d'adopter la motion voulant que le rapport soit présenté à la prochaine séance du Sénat. Lorsqu'on a fait cette résolution, si on voulait faire des observations, il aurait fallu les faire. Vous ne pouvez pas présenter le rapport sans connaître la nature des observations et je pense que le rapport a été adopté.
[Traduction]
Le président : Nous allons voter, en commençant par levice-président du comité, sénateur Forrestall.
Le sénateur Forrestall : Au risque de transformer cela en farce, ce que je ne voudrais pas faire, peu m'importe qu'il y ait ou non des amendements. Qui va lire cela?
Le président : Nous parlons d'observations.
Le sénateur Forrestall : Je n'ai pas d'avis à ce sujet.
Le président : Sénateur Banks?
Le sénateur Banks : Il est possible que nous ayons une très longue discussion au Sénat en troisième lecture et que les questions discutées ce matin ainsi que d'autres puissent être soulevées à cette occasion. Comme nous avons déjà décidé que le projet de loi devait être modifié, nous devrions nous en tenir là.
Le sénateur Meighen : C'est très clair. D'après ce que j'ai entendu, nos membres du comité soit ne veulent plus en discuter, soit ne souhaitent pas ajouter d'observations. C'est bien; continuons.
Le sénateur Day : Monsieur le président, je n'ai pas changé d'avis au cours des cinq dernières minutes.
Le sénateur Munson : Mon vote me tient lieu d'observations.
Le président : Sénateur Losier-Cool, vous nous avez déjà bien dit ce que vous en pensiez.
Le sénateur Cools : Nous pourrions éviter certaines de ces difficultés si nous pouvions procéder un peu plus lentement et inviter à un débat sur ces questions au moment voulu. Ce processus particulier n'est pas spécialement difficile. Ce qui est intéressant, c'est que le projet de loi proposé a été adopté si bien que le gouvernement l'a déjà entre les mains, à sa portée, si l'on veut.
Le vrai problème porte sur la question de savoir si vous devriez faire rapport de ce projet de loi cet après-midi. Il est arrivé que le projet de loi soit adopté en comité et que le président n'ait pas l'autorisation de faire rapport du projet de loi si bien qu'il reste en comité sans que l'on en fasse rapport pendant quelque temps.
J'estime que nous aurions dû discuter de tout cela afin que, avant de donner l'autorisation finale de faire rapport au Sénat, nous ayons discuté de ce dont nous faisions rapport. Nous ferions rapport du projet de loi avec certaines observations. Au risque de me répéter, et certains grands maîtres m'ont appris un petit jeu politique, à savoir que dans la victoire, on peut se permettre d'être magnanime.
Aussi, si je comprends bien, le comité n'est pas tellement disposé à ce qu'il soit fait rapport de ce projet de loi avec certaines observations. De toute façon, je devrais saisir l'occasion de déclarer la nature de l'observation qui à mon avis devrait accompagner le rapport de ce projet de loi. S'il n'est pas fait rapport d'une telle observation, c'est attaquer le projet de loi et limiter son efficacité.
Le président : Sénateur Cools, je dois vous rappeler le Règlement. Vous venez de suggérer que vous avez été traitée de façon injuste et inacceptable.
Le sénateur Cools : Je n'ai pas dit ça.
Le président : Vous pouviez interrompre le débat à tout moment alors que nous étudions chacun des articles. Dès qu'un des membres du comité nous a demandé de nous interrompre pour discuter d'un article, nous l'avons fait. Je suis désolé, mais vous aviez la possibilité d'intervenir quand vous le souhaitiez. Nous venons de terminer un vote d'essai au comité, et les membres du comité ont indiqué qu'ils ne souhaitent pas ajouter d'observations.
Nous avons adopté le projet de loi, et nous avons adopté une motion en vue d'en faire rapport au Sénat lors de la prochaine séance de la Chambre haute. Comme le comité a indiqué qu'il ne souhaitait pas ajouter d'observations, je vous suggère d'attendre la troisième lecture du projet de loi pour exprimer les vôtres.
Le sénateur Cools : Je vous remercie, monsieur le président. Je ne parlais pas de mes observations personnelles, mais plutôt de celles du comité.
La séance se poursuit à huis clos.
La séance publique reprend.
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny et je suis président du comité.
Nous entendons aujourd'hui un témoin fort distingué, le professeur Richard Gimblett. Il est historien indépendant et analyste de la politique en matière de défense. En outre, il compte 27 années de service dans la Marine canadienne. Il a servi à bord de navires de différentes classes le long des deux côtes, y compris en qualité d'officier de combat du NCSM Protecteur lors d'opérations menées dans le golfe Persique lors de la guerre de 1991.
Par la suite, le professeur Gimblett a participé à la rédaction du compte rendu officiel de la participation du Canada à la Guerre du golf. Il a également apporté une contribution majeure au document de planification stratégique à long terme pour la Marine canadienne, lequel s'intitule Point de mire : stratégie de la marine pour 2020. Son plus récent ouvrage, qui a été publié en juin 2004, s'intitule Operation Apollo, the Golden Age of the Canadian Navy in the War Against Terrorism. Le professeur Gimblett est chercheur universitaire attaché au Centre d'études en politiques étrangères de l'Université Dalhousie. En outre, il est l'un des professeurs invités au Collège des Forces canadiennes et il est le vice-président de la Société canadienne pour la recherche nautique. Professeur Gimblett, je crois comprendre que vous avez préparé un bref exposé, aussi je vous cède la parole.
M. Richard Gimblett, chargé de recherche, Centre d'études en politiques étrangères, Université Dalhousie : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Vos délibérations ont lieu au moment où nous arrivons à un carrefour déterminant. En effet, un nouveau chef d'état-major de la défense vient d'être nommé et il a une nouvelle vision tout à fait novatrice des Forces canadiennes. En outre, dans deux jours, le gouvernement déposera son budget et nous connaîtrons alors l'ampleur de son engagement en faveur des Forces canadiennes.
Votre comité a déjà fait d'importantes recommandations en matière de défense. La plupart d'entre elles n'ont pas reçu un accueil favorable au départ, mais elles se sont avérées tout à fait indiquées avec le recul. Ainsi, je suis particulièrement ravi d'avoir l'occasion de vous faire part de mes observations alors que vous vous penchez sur l'état général des Forces canadiennes.
J'aimerais aborder plusieurs thèmes dans mes remarques liminaires, mais je vais d'abord traiter des nouveaux concepts opérationnels que le lieutenant-général Hillier a exposés aux médias au cours des quelques semaines qui ont suivi sa récente entrée en fonction. Je suis tout à fait d'accord avec ces concepts dans la mesure où ils préconisent la restructuration des Forces canadiennes en vue d'apporter une contribution plus significative à la stabilité internationale grâce à la capacité de déployer des militaires canadiens qui soient suffisamment nombreux et facilement identifiables, et ce, de façon indépendante dans tous les pays du monde.
Vous avez déjà entendu le témoignage du major général Lewis MacKenzie sur ce sujet. En outre, je vais ai fait parvenir, comme complément d'information, un document que j'ai rédigé avec le major-général MacKenzie, et avec nos collègues John Eggenberger et Ralph Fisher, et qui porte sur l'acquisition de bâtiments de soutien expéditionnaire, d'une capacité de transport aérien stratégique et d'autres capacités qui sont requises pour mettre en pratique ce concept.
Nous avons commencé ce que nous appelons le projet Sea Horse l'année dernière à peu près à cette époque, et nous l'avons présenté au premier ministre et à d'autres à la fin du mois de juin 2004. Le moment était peut-être mal choisi. Nous avions espéré que les élections seraient terminées à ce moment-là, mais nous devions respecter un calendrier de publication qui, de toute évidence, a été dépassé par les événements. Le projet s'est perdu dans la réorganisation. Cependant, je constate avec plaisir qu'on s'y intéresse maintenant.
J'espère que le lieutenant-général Hillier réussira à obtenir les fonds dont il a besoin pour réaliser sa vision. Franchement, j'ai peu confiance que ce sera le cas. J'ai l'impression que le prochain budget suffira à peine à couvrir le déficit avec lequel les Forces canadiennes doivent fonctionner depuis de nombreuses années. Que ce soit 750 millions de dollars ou 1 milliard de dollars, ce ne sera pas suffisant pour recruter, pour couvrir le déficit d'exploitation et permettre la transformation des forces. Mon côté historien réaliste a trop souvent été déçu par le passé lorsqu'on nous disait d'être optimistes et que la condition de la défense canadienne serait redressée.
En tant que mordu de la marine, je crains qu'un tel budget limité mettra l'accent sur la revitalisation de l'armée canadienne. Cette revitalisation est vraiment nécessaire après une décennie de sous-financement et d'opérations ardues, mais avec une augmentation limitée du budget, cela ne peut se faire qu'aux dépens des autres services et cela ne peut mener qu'à des querelles entre les services en raison des ressources limitées, et cela nuira certainement au climat actuel d'intégration dont parle le général Hillier. Sa vision a encouragé le niveau de coopération entre les services le plus honnête et le plus positif que j'aie vu depuis que je m'intéresse aux Forces canadiennes, soit plus de 30 ans.
J'espère que je me trompe. Le lieutenant-général Hillier arrive à un moment unique. Les attentes et la sensibilisation du public ont augmenté en grande partie grâce au bon travail de votre comité et d'autres organisations animées des mêmes idées, et les Forces canadiennes ont désespérément besoin de remplacer tellement de différents types d'équipements qu'il peut littéralement recommencer dans bien des cas. Les navires de soutien expéditionnaire, le transport aérien stratégique, le tir d'appui direct en champs de bataille fermés, la liste est longue et c'est maintenant qu'il faut faire quelque chose. Cependant, le programme d'acquisition a besoin d'un concept viable d'opération pour être cohérent.
Mon deuxième thème découle de cette ligne de pensée,c'est-à-dire que je ne crois pas que l'on comprenne suffisamment les divers rôles importants que la Marine canadienne joue dans notre structure de défense.
Votre comité a déjà parlé du niveau scandaleux de notre défense maritime dans sa publication Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde. Je ne veux rien enlever à ce rapport, mais comme beaucoup d'autres analyses qui sont en cours, il laisse entendre qu'il faudrait séparer la défense du territoire national et les opérations expéditionnaires à l'étranger. À mon avis, c'est là une fausse dichotomie.
Depuis toujours on dit que l'océan ne fait qu'un, et c'est bien vrai. Une fois que les terroristes ou d'autres qui voudraient nous faire du mal montent à bord d'un navire océanique, il est tout aussi facile pour eux de se retrouver sur notre côte qu'il l'est pour nous d'utiliser les océans et de conduire des opérations à l'autre bout du monde.
Ce qui est encore plus important dans notre cas, c'est que la structure et l'emploi de notre marine dépend surtout de notre géographie. Les zones maritimes dont nous sommes responsables sur les trois côtes sont très vastes et représentent un défi qui exige une marine océanique. Les navires conçus pour patrouiller très loin dans la région des Grands Bancs et du golfe d'Alaska, et j'ai patrouillé dans ces deux régions, et aussi dans l'Arctique, par définition, ont des caractéristiques de tenue de mer et d'endurance qui leur permettent d'être déployés à l'autre extrémité du globe.
Bien sûr, nous avons été troublés un peu par des menaces directes par le passé, si bien que lorsque la flotte n'est pas nécessaire pour la défense du territoire, nos gouvernements l'ont souvent déployée à l'étranger et en ont largement bénéficié sur le plan diplomatique et militaire.
Chose plus importante encore, toutefois, la sécurité du Canada et de ses habitants ne commence pas à l'extrémité de la zone économique exclusive de 200 milles. Ce qui accroît notre sécurité, c'est lorsque nos forces font face aux sources d'inquiétude le plus proche de l'endroit d'où elles se trouvent et le plus loin possible de nos côtes.
Nous pourrons en discuter plus à fond au moment des questions, mais la flotte idéale pour la défense du territoire ne serait pas très différente de celle que nous avons utilisée avec succès lors de nos récentes opérations outre-mer. Délaisser notre rôle traditionnel de force expéditionnaire en faveur d'un plus grand rôle en matière de sécurité maritime au pays est loin d'aller à l'encontre des priorités navales du Canada, surtout dans l'espace de combat maritime mondialisé d'aujourd'hui. La vérité toute simple, c'est que la diversité des missions effectuées par notre marine dans la mer d'Oman et dans la guerre mondiale au terrorisme sont à bien des égards identiques à celles qui sont nécessaires pour assurer la sécurité dans nos eaux. Le commandement de formations multinationales a des applications directes pour la coordination mixte interinstitution nationale. L'interdiction du passage de terroristes d'Al-Qaïda en fuite a exigé les mêmes capacités de recherche et de raisonnement nécessaires à la surveillance et à l'interdiction de nos propres côtes. Les opérations de la coalition sur le littoral de l'Asie du Sud-Est ont eu les mêmes effets stabilisateurs que notre présence dans notre propre zone économique exclusive. Le respect que notre marine a acquis dans la conduite d'opérations intensives outre-mer avec la Marine américaine protégera notre intérêt national dans la défense de notre périmètre continental.
Essentiellement, la flotte à haut niveau de préparation, polyvalente, apte au combat et adaptive que nous avons aujourd'hui permet à la marine d'équilibrer rapidement et sans discontinuité nos impératifs intérieurs et étrangers au besoin. Laisser cette marine s'atrophier serait une catastrophe nationale.
Cela m'amène à mon troisième et dernier point, à savoir la situation unique de notre marine comme outil efficace d'intervention de l'État en cas de crise internationale. Malgré toutes les prédictions de catastrophes éminentes faites par moi et d'autres, le fait reste que notre marine est l'une des rares au monde à être vraiment efficace. Soyons honnêtes : il y aura toujours une Marine canadienne. La question est de savoir quelles seront sa configuration et son efficacité si nous ne conservons pas ses capacités actuelles.
J'ai passé le plus gros de mon service en mer dans de vieux vapeurs rouillés dans les années 1980 et 1990. Nous allions quand même en mer et nous nous débrouillions très bien dans les jeux de guerre, en faisant semblant de disposer des systèmes qui équipent aujourd'hui la flotte. Par contre, nous aurions été cuits si la guerre froide s'était soudainement embrasée. Je crois savoir que vous avez demandé à d'autres témoins si la Marine canadienne pouvait occuper certains créneaux. Je ne crois pas que cela soit pratique vu l'éventail de nos intérêts maritimes. J'avancerai toutefois l'idée que notre marine s'est effectivement taillée un créneau, ce dont personne ne s'est aperçu.
J'ai récemment publié une analyse des opérations effectuées par notre marine dans la mer d'Oman ces dernières années. J'espère qu'un grand nombre d'entre vous sont au courant de l'opération Apollo, notre contribution à la guerre mondiale contre le terrorisme. Vous pouvez sans doute réciter avec moi la rengaine — l'opération a été l'engagement soutenu le plus imposant des forces navales canadiennes depuis la guerre de Corée — mais ce degré d'engagement et les capacités spéciales de nos navires aujourd'hui nous ont valu la distinction unique d'exercer le commandement de la flotte de la coalition pendant la plus grande partie des deux années où nous avons été activement engagés là-bas. Essentiellement, pendant que la Marine américaine se concentrait sur des opérations de haut calibre en Afghanistan et en Irak, elle s'est tournée vers nous pour coordonner les mouvements de toutes les autres forces rassemblées dans la région. Au plus fort des opérations en mer d'Oman, c'est un commandant canadien qui était à la tête des navires de guerre provenant d'une dizaine de pays.
Il y a dans ce genre de rôle quelque chose qui exprime l'essence même du Canada. Certains diront que c'était un signe d'intelligence, de concentration, de stratégie, mais les destroyers mis à contribution sont en train de rouiller et on ne leur a pas trouvé de remplaçants. Les navires de ravitaillement qui sont censés remplacer ceux qui desservaient les destroyers là-bas ne seront pas disponibles avant sept ans, dans le scénario le plus optimiste. Nous n'avons même pas les moyens d'entretenir la flottille actuelle de frégates, comme vous l'a dit la semaine dernière le chef d'état-major de la Force maritime.
Si la classe politique ne commence pas à se soucier de notre marine, elle aura perdu une chance importance de la déployer de manière efficace et stratégique quand viendra la prochaine crise internationale, et plusieurs se dessinent à l'horizon. Il est sûr que l'on fera appel à nous. Nous répondrons à l'appel maispèsera-t-on pour quelque chose?
Le président : Merci, monsieur Gimblett, de cet exposé concis et fort utile.
Le sénateur Banks : Merci, monsieur Gimblett, de votre présence ici et de votre déclaration.
Vous avez été un des collaborateurs importants de Point de mire : Stratégie de la Marine pour 2020, que nous avons tous abondamment consulté et qui trace les orientations de la Marine canadienne jusqu'en 2020.
Pensez-vous que le document a eu un effet sur l'orientation de la marine? Qu'avez-vous à dire à propos du fait que le projet Sea Horse n'a pas, si je me souviens bien, été recommandé dans Point de mire : Stratégie de la Marine pour 2020?
M. Gimblett : Je répondrai d'abord à votre deuxième question, sénateur. L'expression « Sea Horse » n'y figure pas parce que nous l'avons créé il y a un an. Toutefois, un grand nombre des concepts que l'expression recouvre se retrouvent dans point de mire. Dans les années 1990, les marines du monde, à commencer par celle des États-Unis, la référence pour ainsi dire, se détournaient de la suprématie de la haute mer, n'essayaient plus d'être une marine océanique, en reconnaissance du fait que nous avions acquis la suprématie des mers pendant la guerre froide. Aucune marine ne rivalise avec celle des États-Unis. Elle a la suprématie des mers et nous en bénéficions du fait de notre appartenance à l'Alliance maritime occidentale qui l'a aidée à obtenir cette suprématie.
Aujourd'hui, les États-Unis se concentrent sur les régions littorales et se servent de leur marine pour aider les autres forces de leur pays à projeter leur puissance à terre. Nous leur avons emboîté le pas, ce qui nous a aidés à façonner le gros des réflexions qui sous-tendent Point de mire. Il ne s'agit pas de naviguer de concert avec les États-Unis dans chaque opération, mais nous avons reconnu que parce que nous avions la suprématie des mers il était temps de porter notre attention ailleurs; forcément, l'Armée et l'Aviation canadiennes vont aussi porter leur attention sur les régions littorales — et c'est ce que l'armée a fait dans les années 1990. De toutes les opérations auxquelles nous avons participé, deux seulement n'étaient pas à proximité de la mer : le Rwanda et l'Afghanistan, quoi que les États-Unis considéraient même l'Afghanistan comme un conflit littoral puisqu'il n'était situé qu'à 1 000 kilomètres dans les terres. Telle est la portée des Marines et de la Marine américaine.
Nous suivrons cette évolution, tout comme les Britanniques, les Australiens et les Hollandais. Les marines australiennes et les hollandaises sont celles avec lesquelles nous avons manœuvré. Les Français, les Allemands, les Italiens et les Espagnols ont eux aussi reporté leur attention sur le littoral, l'idée étant que nous aiderions les différentes armées à protéger leur puissance à terre.
L'autre moitié de l'équation, c'est que la plus grande partie de la population mondiale habite à moins de 200 milles de la côte, si bien que les chances sont grandes que la plupart des opérations, surtout dans le tiers-monde d'Afrique et d'Asie, seront menées sur le littoral. Cette pensée se trouve dans Point de mire : Stratégie de la Marine pour 2020.
La Marine canadienne a-t-elle suivi cela? Point de mire a été publié en août 2001, et apparemment, tout a changéle 11 septembre de cette même année. Je sais pertinemment qu'il n'y a pas grand-monde, dans la marine, qui se soit beaucoup attardé à lire Point de mire jusqu'à ce que nos opérations dans la mer d'Oman se déroulent selon la stratégie proposée dans Point de mire quasiment à l'iota près. D'ailleurs, un membre de nos forces armées, sachant que j'avais participé de près à l'élaboration de Point de mire : Stratégie de la Marine pour 2020 a demandé comment il se faisait que nous savions que c'était ainsi que les choses allaient se dérouler. Sans vous réciter le scénario dans son intégralité, cette stratégie disait que nous nous joindrions aux flottes de la coalition pour manifester une puissance jusqu'aux coins les plus reculés du monde et venir en aide aux opérations à terre, et qu'au bout du compte la Marine canadienne assumerait le commandement des flottes de la coalition, ce qui est exactement ce qui s'est passé.
Le sénateur Banks : Les navires qui, avons-nous appris, vont remplacer les navires de soutien polyvalents, NCSM Protecteur et NCMS Provider, ne sont pas prévus pour s'intégrer dans ce genre de force expéditionnaire dont vous parliez, est-ce que je me trompe?
M. Gimblett : Effectivement, cela s'inscrit dans ce genre de raisonnement, mais ce n'est qu'un essai. Le navire de soutien polyvalent aura toute une série de capacités. D'abord et avant tout, ce sera un navire avitailleur pour les autres bâtiments de la marine. En second lieu, il aura une capacité de transport stratégique pour les corps expéditionnaires de l'Armée de terre.
Le sénateur Banks : Ceux-ci ne seront pas très gros.
M. Gimblett : C'est exact. Les trois navires pourraient transporter 7 500 mètres linéaires de matériel, soit assez pour équiper un bataillon canadien. Je suis de ceux qui prétendent qu'il serait tout à fait exceptionnel que les trois navires puissent être disponibles en même temps pour assurer le déploiement d'un bataillon entier.
Le sénateur Meighen : Comment définissez-vous un bataillon?
M. Gimblett : Un bataillon, c'est 1 000 militaires.
Le sénateur Meighen : Vous voulez dire 800 ou 1 000?
M. Gimblett : Ce que je veux dire, c'est n'importe quel chiffre magique que le gouvernement tire de son chapeau en disant qu'il est prêt à équiper ce contingent. Lorsqu'on compare l'effectif combattant à l'effectif réellement déployé sur le terrain, on voit bien que ce n'est pas grand-chose. Voilà d'ailleurs aussi pourquoi nous avons proposé le projet Sea Horse et pourquoi la marine a proposé ce navire de soutien polyvalent. L'équipage de ces navires pourrait assumer un bon nombre des fonctions administratives, ce qui augmenterait d'autant l'effectif combattant déployable. Par contre, le navire de soutien polyvalent ne pourrait emporter que 200 militaires, ce qui est loin des chiffres qui viennent d'être mentionnés.
Le sénateur Banks : Mais ce navire pourrait transporter certains régiments. Ce que je veux dire, c'est que pour pouvoir concrétiser ce projet Sea Horse dont vous parlez, celui que vous proposez, il faudrait un quatrième bâtiment, un bâtiment qui devrait peut-être être conçu différemment. Lorsqu'on débarque des troupes sur une plage quelque part, on ne tient pas vraiment à ce que le navire de débarquement soit également un bateau-citerne plein de mazout.
M. Gimblett : En effet. Pour rendre justice à ceux qui sont en train de concevoir ce concept, le navire de soutien polyvalent serait utilisé pour débarquer des troupes et du matériel dans un environnement sécurisé qui aurait déjà une tête de pont. Comme vous l'avez très justement dit, avec le projet Sea Horse, les Forces canadiennes seraient surtout déployées dans des environnements non sécurisés. On peut donc supposer qu'il nous reviendrait à nous de sécuriser les plages et, qui plus est, on pourrait supposer également qu'il y aurait une piste d'atterrissage sécurisée pour faire atterrir les avions.
Sénateur Kenny, je sais que vous défendez l'idée d'une capacité de transport aérien stratégique, mais pour en arriver là, vous partez d'une hypothèse. Dans la plupart des cas vraisemblables, surtout là où les Forces canadiennes interviendraient seules, il ne s'agirait pas d'un site sécurisé. Par exemple, nous n'aurions pas pu envoyer l'an dernier pendant plusieurs jours nos deux Hercules en Haïti si les Français n'étaient pas intervenus en premier pour sécuriser la piste d'atterrissage. Dans l'hémisphère nord, il faut bien penser que les Américains préféreraient que ce soit les Canadiens qui aillent faire ce genre de travail plutôt qu'un corps expéditionnaire européen.
Le sénateur Banks : Lorsque vous parlez des Forces canadiennes agissant seules, c'est quelque chose de nouveau parce que jusqu'à présent, nous ne sommes jamais intervenus militairement sans nos alliés.
M. Gimblett : C'est exact, mais cela n'avait jamais été nécessaire non plus. Pendant toute la guerre froide, qui représente l'essentiel de notre expérience militaire, nous sommes allés partout dans le cadre de l'OTAN. Les trois armes avaient chacune leur rôle distinct au sein de l'OTAN, ce qui correspondait parfaitement au concept fondamental des opérations. Tout a changé avec la chute du mur de Berlin, lorsque nous sommes entrés dans ce que d'autres analystes appellent une « ère de stabilisation ». On ne peut pas toujours demander à l'OTAN de prendre la direction des opérations. C'est ce qu'elle a fini par faire en Afghanistan, mais cela ne s'est passé que longtemps après notre propre intervention. En Irak, on hésite un peu à faire intervenir les Forces canadiennes tous azimuts. Soyons francs, les États- Unis ne peuvent pas être partout, même la puissance de l'armée américaine a ses limites. Il y a toutes sortes d'endroits où le Canada aurait intérêt à mener seul une opération sans que les Américains nous aient préparé le terrain.
Le sénateur Banks : Je m'empresse de rectifier : je ne voulais pas dire que les Forces canadiennes n'ont jamais agi sous un commandement canadien indépendant. Par contre, nous ne sommes jamais allés nous-mêmes en guerre dans la mesure où nous l'avons toujours fait aux côtés de nos alliés.
Est-il vraiment logique de concentrer tout l'effectif que nous allons faire débarquer sur un quelconque littoral au bout du monde à bord d'un seul navire, étant donné le préjudice extrême qu'une force asymétrique pourrait nous infliger dans un cas comme celui-là. Nous pourrions perdre tout un bataillon et tout son matériel en perdant un seul navire. Devons-nous vraiment courir ce genre de risque?
M. Gimblett : Oui. C'est un risque que nous avons déjà couru, par exemple, lorsque nous avons envoyé des bataillons à Kaboul, en Afghanistan. Le camp Julian était au beau milieu d'un terrain hostile. Nous avons eu beaucoup de chance d'avoir pu éviter la catastrophe. Nous faisions probablement partie de la toute première armée à avoir pénétré en Afghanistan sans devoir battre en retraite en complète déroute. Tout l'état-major était inquiet à l'idée d'envoyer 1 000 militaires sur le terrain sans avoir une véritable stratégie de repli. Les choses ont bien tourné, mais nous ne pouvons pas garantir que ce sera toujours le cas.
L'idée de tout concentrer à bord d'un seul navire crée un risque, certes, mais ce navire n'ira pas sur place tout seul. Il faudra toujours qu'il soit escorté par un groupe d'appui composé de frégates, de sous-marins et d'avions embarqués. Ce navire ne sera pas tout seul. La Marine canadienne va délaisser la lutteanti-sous-marine en haute mer pour se concentrer plutôt sur la lutte anti-sous-marine dans les zones côtières.
Le président : Pour préciser la question qui est venue compléter celle du sénateur Banks et votre dernier commentaire, ce qu'on craint, c'est une répétition d'un incident comme celui de GTS Katie qui a conduit à l'immobilisation d'une partie très importante du matériel canadien. C'est l'idée même de concentrer sur un seul navire 25 p. 100 de notre potentiel combattant, un navire qui transporte également du carburant d'aviation, des munitions et d'autres explosifs. Le comité a de grosses réserves et craint que cette situation n'ait pas été suffisamment envisagée. Peut-être serait-il logique d'envisager d'autres possibilités qui permettraient de réduire les pertes en cas d'attaque. Nous ne pouvons nous empêcher de penser au USS Cole et à l'efficacité d'une attaque à l'Exocet contre un navire.
M. Gimblett : Les attaques menées contre les navires manquent incroyablement d'efficacité. L'attaque dont a fait l'objet USS Cole a fait seulement, et je dis « seulement » avec toutefois beaucoup de regrets pour ceux qui sont morts, une douzaine de victimes à bord. Les navires, surtout les grosses unités, sont incroyablement résistants.
Le sénateur Stollery : Vous oubliez HMS Sheffield?
M. Gimblett : Non, mais dans ce cas-là, c'était un navire en aluminium et l'incendie avait été tellement intense que les tôles ont brûlé. Depuis lors, on a beaucoup appris sur la façon de construire un bateau de guerre et de limiter les dégâts. En vérité, il en faut beaucoup pour arriver à couler un navire de guerre.
Le sénateur Meighen : Vous parliez avec le sénateur Banks de la question de l'inopérabilité, et surtout avec la Marine américaine, mais également, dans une mesure moindre, avec les marines de nos alliés de l'OTAN. Vous avez également parlé du fait qu'il serait peut-être bon pour le Canada d'avoir un genre de force navale autonome. Et vous avez mentionné l'exemple de Haïti. Dans quelle mesure l'amélioration de l'interopérabilité, surtout avec les États-Unis, nous empêcherait-elle d'agir seuls lorsque les circonstances le justifient, si tant est que ce soit le cas?
M. Gimblett : Ce n'est pas du tout le cas. Au contraire, l'interopérabilité nous rend mieux à même d'agir en autonomie et de prendre le contrôle seuls. Notre marine présente avec la Marine américaine une adéquation sans pareille, bien meilleure qu'avec les marines de nos autres alliés de l'OTAN, la Marine britannique ou même la Marine australienne, qui se sont beaucoup rapprochées de la Marine américaine.
La Marine américaine doit communiquer à notre marine certains codes, certaines procédures et certains matériels parce que les deux marines participent à la défense conjointe de l'Amérique du Nord. Il s'agit là d'une interaction unique en son genre que les Américains n'ont avec aucune autre marine au monde, et qui n'existera d'ailleurs jamais. Les Américains doivent faire les choses avec nous. Certes, ils ne nous donnent cela que jusqu'à un certain point, étant donné qu'ils ont quand même leur responsabilité nationale, mais nous avons accès à leurs codes, à leurs procédures et à leurs matériels, choses que les autres marines n'obtiendront jamais.
C'est cela qui a permis à nos commodores de prendre le commandement des flottes de la coalition en mer d'Oman. C'est parce que nous pouvions communiquer avec la Marine américaine à un très haut niveau que celle-ci nous a demandé d'assurer le commandement de ces autres flottes qui étaient incapables de communiquer de la même façon avec elle. C'est nous qui avons fait office d'intermédiaire en communiquant l'information venant des Américains aux autres marines. Les autres marines ne pouvaient pas contribuer directement aux opérations offensives lancées par la Marine américaine, de sorte que les États-Unis ne demandaient pas mieux que nous confier la transmission de l'information.
D'autres nations ont tendance, un peu comme nous, à envoyer leurs navires de guerre dans les endroits chauds, de sorte qu'on y retrouve généralement toute une armada. Il faut à ce moment-là que quelqu'un assume le commandement général pour des raisons d'efficacité et de sécurité. Nous nous sommes donc ménagés un créneau en assumant le rôle de commandement de toutes ces autres flottes, ce qui correspond parfaitement à notre instinct multilatéral, un instinct que les Américains n'ont pas, pour être parfaitement franc.
Les États-Unis n'apprécient guère la façon dont la Marine canadienne a contribué à l'édification d'une coalition, mais également à la cohésion des coalitions engagées dans la lutte contre le terrorisme. Lorsque l'attention des Américains a été détournée par la situation en Irak, les Américains ont quasiment délaissé tout le reste. Si nous n'avions pas été là, ils n'auraient pas eu toute la série des pavillons dont ils avaient besoin pour poursuivre la guerre contre le terrorisme : l'opération Enduring Freedom plutôt que l'opération Iraqi Freedom. C'est uniquement grâce à nous qu'à ce moment décisif, la coalition est restée soudée contre le terrorisme planétaire.
Le sénateur Meighen : On se demande parfois si les Américains s'en soucient vraiment parce qu'ils pourraient somme toute faire tout eux-mêmes. Parfois, peut-être pour des raisons politiques, il est préférable de faire intervenir d'autres pays.
Tout cela fait partie intégrante de ce fossé technologique qui se creuse de plus en plus. Si les Américains sont arrivés à la conclusion qu'il était préférable pour eux d'agir seuls, c'est comme le vieux principe de la délégation : il faut plus de temps pour apprendre à quelqu'un à faire quelque chose qu'il n'en faut pour le faire soi-même. C'est encore une fois le même cercle vicieux.
M. Gimblett : C'est certain, les Américains sont comme cela, à moins que l'on ne les dissuade. Même notre propre gouvernement n'avait pas compris l'importance du rôle de commandement que notre marine avait assumé dans la mer d'Oman. Si le premier ministre ne peut pas dire au président des États-Unis : « Vous ne pensez pas que nous vous aidons dans certaines opérations offensives qui nous posent problème, à tort ou à raison, mais il n'empêche que nous faisons du bon boulot ailleurs. » J'imagine que ce genre d'argument n'a pas été utilisé parce que notre gouvernement ne l'avait pas compris.
Le sénateur Meighen : Je suis d'accord avec vous, nous n'avons pas réussi à faire comprendre cela. On a beaucoup parlé du fait que nous allions ajouter 5 000 hommes à nos forces régulièreset 3 000 à nos forces de réserve, même si nous avons découvert, il y a peu, que l'argent nécessaire à cette opération de recrutement n'avait pas encore été dégagé, de sorte que rien n'a encore étéfait. Si cela se fait, avez-vous une idée de la façon dontces 5 000 recrues vont être réparties entre les trois armes?
M. Gimblett : J'imagine que la majorité d'entre elles iront à l'armée de terre, ce qui est tout à fait normal. L'armée est obligée, depuis presque dix ans, de fonctionner avec des bataillons et des régiments en situation de sous-effectifs. Au fil des différentes réorganisations, l'organisation est demeurée en l'état, certes, mais chaque unité a perdu une compagnie.
Le sénateur Meighen : Est-ce que la marine aurait besoin d'un complément d'effectifs dans l'un ou l'autre service?
M. Gimblett : Effectivement, la marine aurait besoin de marins, mais pas en très grand nombre à moins que nous ne nous procurions une nouvelle classe de navires. Et même là, on pourrait réussir à faire le plus gros en procédant à une redistribution au sein de la flotte. La marine aurait probablement besoin de 1 000 marins de plus au maximum, mais ce que j'espère, c'est que les forces armées finiront par voir leur effectif grossir davantage à un moment donné.
Là où la marine manque cruellement de monde, c'est dans les corps de métier et dans les spécialités comme l'électronique. Elle n'est d'ailleurs pas toute seule, d'autres armes connaissent également les mêmes pénuries. Ce qu'il faut dire toutefois, c'est que ces 5 000 recrues seront des fantassins et des matelots ordinaires pendant leurs premières années de service.
Le sénateur Meighen : Puisque la marine est votre spécialité, pourriez-vous nous brosser un tableau succinct de nos capacités en matière de sous-marins? Où en est-on avec le programme des sous-marins? Ce programme est-il nécessaire, peut-il être renfloué et peut-on le rendre somme toute utile pour le Canada?
M. Gimblett : J'ai comparu la semaine dernière devant le comité de la Chambre pour parler précisément de cela, et vous pourriez donc en consulter le compte rendu. Pour répondre de façon succincte, l'acquisition de NCSM Victoria a été une bonne décision, et cette unité pourrait devenir opérationnelle avec un minimum d'argent, de temps et de ressources. Je pense que l'achat a été bon, et ces sous-marins nous seront extrêmement précieux dès qu'ils deviendront pleinement opérationnels.
Le sénateur Atkins : Mais comment?
M. Gimblett : Il faut du temps. Cela illustre très bien ce qui se produit lorsqu'une arme perd l'une de ses capacités. C'est pour cette raison que je n'aime pas trop qu'on parle de rôles spécialisés et d'élimination de certaines capacités. En effet, il faut beaucoup de temps pour réacquérir une spécialité dès lors qu'on l'a perdue.
À la fin des années 1990, nous sommes passés à deux doigts de perdre nos sous-marins. Cela fait déjà 10 ans que nous n'avons plus vraiment de sous-marins en service actif. Les quelquessous-mariniers que nous avions au début des années 1990 étaient excellents; c'étaient de très bons professionnels, mais comme tout le monde ils vieillissent, ils obtiennent des promotions, ils prennent du galon et on ne les trouve plus dans les équipages. D'ailleurs, nous avons maintenant un corps de sous-mariniers entièrement nouveau, composé de gens qui ont très peu d'expérience. Les plus anciens qu'on trouve à bord sont bons, certes, mais ils n'ont pas eu la possibilité d'offrir une formation sur le tas pour assurer l'intégration progressive des nouveaux. Avec du temps et de la patience, notre marine pourra transmettre cette expérience aux rangs inférieurs et intégrer les nouveaux, mais on ne peut pas claquer des doigts et espérer que cela se fasse du jour au lendemain.
Le sénateur Atkins : Nous avons quatre sous-marins. S'ils étaient tous opérationnels, que feraient-ils?
M. Gimblett : Je pense que la distribution actuelle —c'est-à-dire deux pour chaque côte — est bonne. Il faudrait qu'ils fassent de la surveillance, des patrouilles côtières, mais aussi qu'ils soient prêts à faire partie d'une flotte d'intervention dont ils seraient un élément essentiel lors de déploiements à l'étranger.
Partout ailleurs dans le monde, il y a un foisonnement de nouvelles technologies dans le domaine des sous-marins. Au Canada, l'acquisition de quatre sous-marins nous plonge dans l'angoisse. Tous les pays du monde dotés d'une marine de guerre se dotent de sous-marins en beaucoup plus grand nombre que nous. Peu importe où nous enverrons nos bâtiments de guerre, ils risqueront de se heurter à des sous-marins hostiles.
La semaine dernière, lorsque j'ai témoigné devant un autre comité, j'ai mentionné quatre cas dont j'étais au courant d'un bateau de guerre canadien qui avait rencontré des sous-marins ennemis pendant l'opération Apollo. Dans un de ces cas, nos bâtiments surveillaient les sous-marins iraniens de la classe Kilo dont la mission était de boucler le détroit d'Hormuz.
Dans un autre cas, un sous-marin inconnu avait été détecté à proximité du groupe aéronaval américain. Les croiseurs et les frégates de la Marine américaine n'avaient pas pu identifier l'écho et ils ont donc appelé la frégate canadienne. NCSM Halifax a réussi à l'identifier très rapidement grâce à son sonar actif et passif, et il a ensuite escorté ce sous-marin en dehors de la zone. Il s'agissait d'un sous-marin pakistanais qui s'était perdu et qui était sorti de son périmètre d'action. Les porte-avions américains ont une telle valeur que les gens commencent très vite à s'énerver lorsqu'ils détectent l'écho d'un sous-marin inconnu.
Le président : Il y a 48 pays qui sont dotés de sous-marins de type diesel-électrique. Nous savons qu'il s'agit d'un vecteur relativement peu coûteux et très déstabilisant ailleurs. Ce qui nous inquiète davantage, c'est le personnel, et les rapports qui nous sont parvenus comme quoi il n'y aura pas suffisamment de sous-mariniers pour constituer l'équipage de ces quatresous-marins au moment où ils seront devenus opérationnels. Nous craignons de ne pas pouvoir récupérer l'expérience et les compétences indispensables, ce qui empêchera ces unités de devenir opérationnelles.
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Gimblett : Je vous dirais principalement que le nombre de sous-mariniers brevetés restera relativement faible tant et aussi longtemps que vous n'aurez pas donné l'argent, le temps et les ressources nécessaires pour accroître l'effectif et, partant, pour donner un équipage suffisant à ces sous-marins.
Le président : En l'occurrence, c'est surtout une question de temps. Nous pouvons trouver de l'argent et des ressources, mais peu importe ce qu'on est prêt à investir dans la chose, il faut quand même plusieurs années pour que quelqu'un puisse acquérir les qualifications nécessaires.
M. Gimblett : Tout à fait, mais a-t-on vraiment le choix?Faut-il nous passer purement et simplement de sous-marins, quitte à recommencer à zéro lorsqu'une nouvelle menace surgira à laquelle il faudra faire front?
Le président : À votre avis, combien faudra-t-il de temps avant que nous puissions compter sur un effectif suffisant desous-mariniers?
M. Gimblett : Je ne suis pas expert en la matière, mais je dirais quatre ou cinq ans.
Le sénateur Forrestall : Voilà une discussion fort intéressante. Je voudrais parler à mon tour d'une classe de bâtiments qui ne sont pas concernés par ce problème de spécialisation mais qui s'occupent plutôt de surveiller nos côtes. Nous nous sommes un peu demandés ce qu'il faudrait faire avec la Garde côtière. On a laissé entendre qu'on pourrait la séparer de son parent, Transports Canada, et la reconfigurer pour qu'elle ne s'occupe que de surveillance côtière.
Le comité a l'habitude de m'entendre dire qu'il ne faut pas aller aussi loin que cela. À Halifax, à St-Jean, et dans toute autre ville canadienne qui se respecte, il y a une unité de réserve. À Halifax, on trouve la plus ancienne unité de réserve du Canada, le Halifax Rifles. On pourrait prendre une unité de la milice, lui donner une formation qui la rendrait opérationnelle au bout d'un an, bien avant qu'on puisse concevoir, construire et mettre en service un bâtiment quel qu'il soit ayant un tirant d'eau de 10 pieds et une coque légèrement renforcée et qui, avec un équipaged'environ 25 hommes ou femmes, pourrait assumer un rôle de patrouille frontalière maritime.
Avez-vous réfléchi à la façon dont nous pourrions assurer la sécurité de nos frontières?
M. Gimblett : Cette idée vaut son pesant d'or. Il faut, certes, mieux protéger notre littoral, mais je serais néanmoins un peu réticent à l'idée de regrouper la Garde côtière et la marine.
Le sénateur Forrestall : Ce n'est pas ce que je disais.Laissez-moi recommencer. Cela est d'une importance capitale et je suis d'accord avec ce que vous allez dire.
Il a été question de doter la Garde côtière de son propre mandat législatif, avec une structure qui serait peut-être semblable à celle de la GRC, de telle sorte qu'elle serait indépendante de toutes les autres instances. Cette nouvelle Garde côtière rendrait des comptes au gouvernement peut-être par l'entremise du ministre de la Défense nationale, et elle aurait sa propre identité à titre de Garde côtière canadienne, elle ne se contenterait pas de contrôler les chenaux, de faire du balisage et d'assumer des services de brise-glace.
M. Gimblett : Oui, une vraie Garde côtière. Ce que vous proposez en réalité, c'est une milice navale, qui serait à mon avis un bon rôle pour une réserve navale élargie. Il y a place pour ce genre de navire, et il pourrait accomplir bon nombre des rôles que nous prévoyons dans nos eaux intérieures et à un coût beaucoup moindre.
Le problème se résume à trouver le bon type de navire et le bon type d'équipage. Un petit navire rapide capable d'entrer dans les petites anses et d'en sortir, c'est très bien par beau temps, mais les patrouilles se feront presque tout le temps en eaux très agitées, ce qui exige un gros navire doté d'une plate-forme stable si on veut qu'il soit efficace.
Vous n'avez qu'à voir les navires de défense côtière que nous avons en ce moment. Ce sont des navires militaires inefficaces, mais nous n'en avons pas fait l'acquisition pour ce rôle; on en a fait l'acquisition pour amorcer la création d'une force de déminage qui aurait été active dans des eaux relativement resserrées.
Il nous faut un plus gros navire. On étudie en ce moment un certain nombre de conceptions de patrouilleurs océaniques qui pourraient jouer d'autres rôles.
L'idée d'acquérir un navire qui aurait un rôle particulier continue de m'inquiéter parce que cela voudrait dire qu'il ne serait pas possible d'acquérir dans un délai raisonnable la nouvelle génération de frégates. Je dis cela parce que si la marine reçoit cet argent, ce sera alors au tour de l'armée de terre ou de l'aviation d'obtenir des crédits pour un projet qui leur est cher.
Il y a un certain nombre de conceptions qu'on pourrait envisager pour la nouvelle génération de frégates qui donneraient à ces navires la vitesse et le faible tirant d'eau qu'il leur faut pour entrer dans les zones côtières. La conception du trimaran et du catamaran permettrait de construire une plate-forme d'hélicoptère de taille raisonnable à l'arrière, ce qui est absolument essentiel pour nos patrouilles. On pourrait mettre des équipages de tailles diverses ainsi que des équipements modulaires sur ce genre de navires.
Le président : Toujours à ce sujet, on se demandons si le fait d'attribuer un rôle policier à ces personnes ne serait pas incompatible avec la fonction de réserve. Nous admettons que pour patrouiller les Grands bancs, il faut un navire de la taille d'une frégate. Le cutter aurait la taille d'une frégate. Ce serait moins coûteux parce que les exigences relatives à l'équipement intérieur ne seraient pas les mêmes, mais le navire aurait la même coque d'acier. Il est évident qu'il faudrait des plates-formes différentes dans les ports et plus près des côtes. Il est essentiellement question d'un service distinct. L'amiral Buck a exprimé des réserves lorsqu'il a témoigné devant notre comité. Il ne les a pas articulées exactement de la même manière que je vais le faire, mais l'idée ne semblait pas l'enthousiasmer. Il craignait que l'on utilise pour cela des fonds qui seraient normalement réservés au remplacement des destroyers ou des frégates.
Si la demande vous venait d'un ministère différent et que le budget de la marine ne serait pas entamé, pensez-vous que ce plan présente des avantages?
M. Gimblett : Absolument, oui. En fait, j'avais tout juste exprimé la même réserve. Si cette exigence empêche le remplacement d'une frégate ou d'un destroyer dans le budget de la marine, je ne serais pas enclin à l'approuver. Si cette exigence se situe dans le cadre de la sécurité générale du Canada et comprend peut-être les fonds voulus dans le budget de notre ministère, dans ce cas absolument oui, ce serait avantageux. Il se pose aussi la question de l'accord Rush- Baggot sur les Grands Lacs.
L'accord Rush-Baggot a été modifié très souvent au fil des ans, officiellement et officieusement. Je crois que les Américains seraient favorables à cette possibilité que vous voulez étudier.
Le président : Faudrait-il modifier l'accord pour y envoyer la Garde côtière?
M. Gimblett : Non.
Le sénateur Forrestall : Je remercie le président d'avoir posé la question supplémentaire. Auriez-vous l'obligeance de rédiger, de concert avec vos collègues de Halifax, la description d'un cutter, qui ferait entre 40 et 50 mètres et à peu près 3 000 tonnes, qui serait assez gros pour tenir la mer pendant quelques semaines dans des eaux qui sont normalement très agitées?
M. Gimblett : Le vice-amiral MacLean a déclaré au comité la semaine dernière que lorsqu'il s'agit des forces navales, la quantité est une qualité en soi. Êtes-vous d'accord? Est-ce que cela s'applique à la marine du Canada?
M. Gimblett : Je trouve intéressant que le vice-amiral MacLean ait cité Joseph Staline, mais je crois qu'il a parfaitement raison. La quantité est une qualité en soi. Le terme que la marine commence à utiliser est « capacité », notion qui recouvre la quantité aussi bien que la qualité.
De toute évidence, on peut employer une douzaine de frégates à plus d'endroits pendant une période plus longue que quatre frégates. Il existe une règle de quatre usages dans les forces militaires : pour chaque type d'équipement ou de personnel que vous avez au nombre de quatre, il y en a toujours un qui est disponible pour les opérations parce que les autres sont en formation, au radoub ou en repos.
Quant on a quelque chose en plusieurs exemplaires, on peut l'employer plus souvent et on a plus de possibilités de l'employer. La qualité de cet équipement se révèle à l'efficacité qu'il démontre lorsqu'on l'emploie. Il vous faut un plus haut degré de qualité pour les navires qu'on déploie à l'autre bout du monde que pour ceux qu'on déploie dans les eaux intérieures parce que, de toute évidence, le degré de menaces est plus faible dans les eaux intérieures. La quantité dans les eaux intérieures n'a pas à être de la même qualité, ce qui rejoint l'idée que propose votre comité pour le rôle que la Garde côtière assumerait.
Le sénateur Forrestall : Vous allez nous pardonner de passer ainsi du coq à l'âne parce que nous manquons de temps, comme d'habitude.
Devons-nous faire un examen sérieux de l'idée des écluses maritimes pour la protection de nos voies de navigation, comme on le pensait à l'époque de la guerre froide?
M. Gimblett : Oui, je le crois, mais ce serait-là une conséquence directe de tout niveau de capacité navale dont l'actuel niveau s'approche. Je le répète, nous faisons partie d'une coalition maritime qui a gagné la liberté de naviguer en mer. Nous avons contribué à en faire une réalité, puis nous avons combattu au cours de la Seconde Guerre mondiale et nous étions prêts à nous battre pendant la guerre froide pour la maintenir. Nous demeurons membres de cette coalition. Nous avons intérêt à préserver la liberté de navigation en haute mer.
Le sénateur Forrestall : Est-ce que cela comprend le Nord?
M. Gimblett : Oui, cela comprend le Nord.
Le sénateur Forrestall : Est-ce que vous ressusciteriez lebrise-glace Polar 8?
M. Gimblett : Les arguments en faveur de sa résurrection dépendent de la position que vous adoptez face aux théories concernant le réchauffement de la planète. J'appartiens à un groupe qui croit que le passage du Nord-Ouest sera navigable un jour, du moins pendant une partie de l'année, au cours de la prochaine décennie. Il est important de savoir quel niveau de présence et d'intervention vous voulez établir dans cette région, mais il s'agit là d'une décision politique.
Le sénateur Forrestall : Nous voulons établir une présence qui soit une entité juridique. Autrement dit, nous voudrions un navire avec un tribunal, un hôpital, une bibliothèque, etc., qui serait sur place en tout temps et qui ne reviendrait à son port d'attache que le temps de nettoyer sa coque.
M. Gimblett : Il y a une capacité qui est sous-estimée dans le nouveau concept du navire de soutien interarmées. Par définition, cette classe de navire serait capable de briser la glace de première année avec sa coque double et sa taille. Ce ne serait pas unbrise-glace, mais il pourrait naviguer dans la glace de l'année. On établirait ainsi une présence du simple fait qu'on aurait une patrouille capable à l'occasion d'organiser des transferts de navires côtiers en passant par le passage du Nord-Ouest au lieu du Canal de Panama. Ce genre d'activité — qui se ferait dans nos eaux — serait plus réalisable que la reconstruction du Polar 8.
Le sénateur Forrestall : Ça coûterait peut-être beaucoup moins cher.
M. Gimblett : Ça coûterait assurément moins cher.
Le sénateur Forrestall : Merci pour votre travail. Vos documents ont été d'une très grande utilité pour le comité. Ils sont une lecture obligatoire depuis un peu plus d'un an pour la plupart des membres du comité.
Le sénateur Atkins : Monsieur Gimblett, nous n'avons pas parlé de financement. À votre avis, que faudrait-il faire pour maintenir la marine à flot pour ce qui est de l'entretien et de la mise à niveau de l'équipement actuel, comparativement à ce que vous envisagez pour l'avenir?
M. Gimblett : Monsieur le sénateur, les chiffres précédés du signe de dollars ne sont pas mon fort. Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à une telle question. Je dis à la blague à mes amis que j'ai épousé une comptable pour ne pas avoir à m'occuper de questions d'argent. Je me fierai en l'occurrence aux conseils du vice-amiral MacLean et de l'amiral Buck.
Je sais que la marine a un déficit qui se situe entre les 150 et300 millions de dollars depuis quelques années. J'ai des amis qui commandent des frégates qui doivent rester à quai parce qu'ils ne peuvent pas se rendre à l'installation de maintenance de la flotte, ne serait-ce que pour la maintenance de base. Je ne sais pas dans quelle mesure ce niveau de maintenance est pris en compte dans ce manque à gagner de 150 millions de dollars. La marine a besoin de capacité supplémentaire, et je vous pris de faire confiance aux chiffres de la marine à cet égard.
Le sénateur Atkins : Vous le savez, notre comité a recommandé une injection de 4 milliards de dollars, pour commencer.Avez-vous une opinion sur ce qu'il faut faire pour que les forces militaires deviennent une force viable, responsable et efficace?
M. Gimblett : J'ai lu vos rapports et je crois que votre analyse à propos des 4 milliards de dollars est plus proche du montant qu'il faut que les 750 millions de dollars qui figureront vraisemblablement dans le budget de cette semaine. Mais je ne connais pas le montant précis.
Les Forces canadiennes disent qu'elles ont un déficit d'exploitation de 1,6 milliard de dollars par année. Même la moitié de ce montant améliorerait la situation et empêcherait le déficit d'exploitation de se creuser.
L'installation de maintenance de la flotte sur chaque côte ne peut accueillir que deux navires à la fois. Il y a environ six grands navires de guerre sur chaque côte qui ont constamment besoin de travaux de réfection. La capacité est insuffisante, et elle doit être élargie ou reconfigurée.
Le sénateur Atkins : Vous avez dit que même si le gouvernement amorçait le processus de recrutement des5 000 militaires, la plupart d'entre eux se dirigeraient vers l'armée de terre. On a dit que l'armée grossirait au détriment de la marine et de l'aviation. Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Gimblett : Je crois que ce serait une erreur, et qu'on la commettrait, comme je l'ai dit, sans avoir bien compris les rôles que jouent aussi l'aviation et la marine. Je suis favorable à une expansion de l'ensemble des forces armées à 80 000 hommes, et c'est ce que votre comité a proposé. On serait probablement plus proche du montant ultime qu'il faudra.
Le président : Nous avons proposé un effectif fermede 75 000, ce qui veut probablement dire 90 000 et plus au total.
M. Gimblett : Absolument. Et cela ne pourra pas se faire en quelques années seulement. Ce recrutement devra être graduel. Les Forces canadiennes n'ont pas été capables de former toutes les recrues qu'elles ont accueillies ces dernières années.
Le sénateur Atkins : La marine a-t-elle l'infrastructure voulue pour absorber du personnel supplémentaire?
M. Gimblett : L'infrastructure existe. Il y a des lits vides à bord des navires, mais les navires ne prennent pas tous la mer. C`est le cas actuellement. Il y a donc assez de marins qu'on peut répartir entre les navires qui prennent la mer.
Le sénateur Atkins : À votre avis, quelles sont les menaces les plus sérieuses qu'affronte le Canada en ce moment?
M. Gimblett : Le terrorisme international est une grande menace. Mais je suis d'accord avec ceux qui répondent à cela qu'il faut vraiment mesurer le risque et la menace réelle pour les citoyens canadiens. C'est une menace relativement faible quand on considère le tort que le terrorisme international peut en fait causer aux citoyens Canadiens.
Plusieurs analyses ont été publiées sur les torts que le terrorisme international peut causer à notre système économique. Une bombe radiologique qui éclaterait dans un port américain pourrait causer l'effondrement de nos deux économies. Une telle arme détonnée sous le pont de Détroit aurait un effet catastrophique sur notre économie et l'économie américaine. Notre intérêt nous oblige constamment à nous assurer que ce genre de menace, si minime ou éloignée soit-elle, ne se concrétise pas.
L'autre grande menace est l'instabilité générale du monde. D'autres disent que si nous acquérons une influence considérable en ce moment, c'est parce que nous avons intérêt à aider le reste du monde à adhérer à l'économie mondiale. Cet argument prend généralement le déguisement des valeurs canadiennes, et l'on dit qu'il est important pour notre pays d'aller aider les gens en Afrique et en Asie, pour neutraliser les troubles et l'instabilité dans ces régions. Il est en fait dans notre intérêt de stabiliser ces régions éloignées du monde parce que c'est ainsi que nous allons les intégrer dans l'économie mondiale.
Le sénateur Atkins : Sommes-nous assez vigilants dans la protection de nos ports?
M. Gimblett : Je ne suis pas un expert de la sécurité portuaire, mais je répondrais probablement que non.
Le sénateur Atkins : Sommes-nous assez vigilants dans la protection de nos havres?
M. Gimblett : Il y a très peu de sécurité de ce côté, je dirais donc que c'est loin d'être suffisant.
Le président : Monsieur Gimblett, vous disiez il y a un instant que la menace absolue que les terroristes font peser sur les Canadiens est relativement faible si on la compare cela aux accidents de voiture ou autres de ce genre. De là vous êtes passé des menaces aux intérêts canadiens.
Comment notre comité devrait-il faire connaître les intérêts canadiens, par exemple la stabilité, aux autres Canadiens? Pourriez-vous nous aider à cet égard?
M. Gimblett : J'aimerais bien pouvoir le faire. Si quelqu'un le pouvait, il détiendrait la solution miracle qui règlerait tous nos problèmes. Malheureusement, je ne suis pas meilleur que les autres témoins que vous avez entendus, et je ne peux que vous dire qu'il existe des menaces, qu'elles semblent intangibles, mais que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le risque de les laisser se concrétiser.
Le président : On nous a décerné un prix pour les solutions miracle. Nous sommes même disposés à accorder des mentions honorables. C'est le défi qui attend tous ceux qui font votre métier et le nôtre. Pourquoi ne pas essayer?
M. Gimblett : Je vais vous répondre indirectement en mentionnant un livre très intéressant dont je viens d'achever la lecture. Il s'intitule The Pentagon's New Map : War and Peace in the Twenty-First Century, dont l'auteur est Thomas Barnett, qui a enseigné à l'école de guerre navale des États-Unis et a travaillé au Office of Force Transformation du Pentagone.
Le sénateur Banks : Est-ce qu'il parle de Northcom et des autres stratégies de défense du pays?
M. Gimblett : Seulement indirectement, il ne les nomme pas. Son livre est l'analyse la plus percutante de la situation du monde en ce moment. Comme je l'ai mentionné il y a quelques instants de cela, il dit que le monde est divisé en deux grands camps : le« noyau fonctionnel », dont nous, le Canada et les États-Unis, faisons partie, ainsi que l'économie mondiale fonctionnelle, et de l'autre côté, il y a les autres qui sont déconnectés et qu'il appelle« le trou noir ». Il a cartographié ces divers pays, et le trou noir coïncide justement avec toutes les régions instables où les forces américaines et, par extension nos propres forces, ont été déployées au cours de la dernière décennie. Je vous encourage à lire ce livre. C'est la meilleure analyse qui soit pour la compréhension du monde d'aujourd'hui, et l'auteur fait état de la nécessité d'intégrer le trou non fonctionnel à ce noyau fonctionnel, et c'est ultimement ainsi que nous allons trouver notre propre stabilité.
Le sénateur Banks : Je reviens à votre proposition concernant le Sea Horse, notamment parce qu'elle est intéressante. Elle prévoit quelque chose que le Canada n'a pas fait depuis longtemps, soit le débarquement de troupes en milieu hostile. Est-ce que je peux le faire?
M. Gimblett : Nous ne parlons pas de débarquement sur des plages, et nous constatons qu'il y a beaucoup d'autres situations où les conditions sont plus rigoureuses que celles de l'environnement inoffensif pour lequel le bâtiment de soutien interarmées a été conçu. Il ne servira pas à des débarquements sur des plages fortifiées comme Juno Beach ou Okinawa étant donné qu'il y a peu de situation comparable dans le monde. Cependant, il y a un certain nombre d'endroits où l'opposition qu'on pourrait rencontrer dépasse effectivement ce que peut affronter un bâtiment de soutien interarmées.
Le sénateur Banks : Vous ne pensez pas que nous aurons à débarquer des troupes?
M. Gimblett : Elles auront à affronter une opposition mais à un niveau de violence relativement moindre. Un bon exemple que je pourrais mentionner est celui d'Haïti, où l'aéroport ne pouvait accueillir les avions Hercules canadiens avant que quelqu'un n'en prenne le contrôle. Quelqu'un devait le faire et c'était parce qu'ils avaient débarqué des forces qui étaient prêtes à faire face à ce degré moindre de violence là-bas. L'opposition ou les insurgés d'Haïti qui s'étaient emparés du pouvoir ne disposaient pas de chars lourds ni d'armes lourdes de lutte antiaérienne.
Une situation de ce genre pourrait être assez raisonnablement envisagée par des troupes armées débarquées par des hélicoptères blindés lourds ou par une péniche de débarquement sur une plage non défendue. Ces soldats doivent être prêts à affronter la violence et à se montrer violents quand ils débarquent, et ils doivent être déployés en attirail de combat de sorte que quand ils sont débarqués du navire ils soient prêts à s'engager immédiatement dans les opérations.
Le sénateur Banks : Diriez-vous que les gardiens de la paix canadiens ou autres doivent pouvoir être d'abord des combattants?
M. Gimblett : Certainement.
Le sénateur Banks : Nous venons tout juste d'avoir une discussion sur une question, à propos de noms qui ne signifient rien. Appelleriez-vous les troupes des marines? Lesdésigneriez-vous par l'appellation « royal marines »?
Je sais que vous avez eu bien du mal à dire que nous ne parlons pas d'écarter l'armée pour la remplacer par des marines, mais ces gens sont des marines, n'est-ce pas?
M. Gimblett : Des marines ou des soldats maritimes, mais je dirais qu'ils ne sont pas des marines des États-Unis. Quand vous employez le mot marines, les gens pensent aussitôt aux marines américains débarquant sur des plages, et nous sommes réticents à employer le mot marines justement pour éviter cette évocation. Il vaudrait effectivement mieux parler de royal marines.
Le sénateur Banks : En réalité, les royal marines sont allées à l'étranger et ont ainsi mis fin à un bon nombre de camps d'esclavage. Ils l'ont fait dans des circonstances qui, pour l'époque, correspondraient presque exactement à ce que vous décriviez — c'est-à-dire une opposition, mais une opposition qui était surmontable.
M. Gimblett : Je veux bien les appeler tout simplement des soldats. Le soldat canadien est suffisamment intelligent, et bien formé pour apprendre à vivre sur un navire pendant deux ou trois semaines puis monter à bord d'une péniche de débarquement et en descendre sans problème.
Le sénateur Banks : Comme ils l'ont fait à de nombreuses reprises à des endroits où les soldats canadiens se sont distingués, mais ce seront des soldats maritimes. Étant donné le type d'opération dont vous parlez, ne serait-il pas logique que ces soldats maritimes relèvent du commandement de la marine?
M. Gimblett : Non.
Le sénateur Banks : Y aurait-il un général pour dire je veux que vous alliez à l'arrière du navire?
M. Gimblett : Non, et je pense que c'est pourquoi le général Hillier a raison d'envisager la force intégrée qu'il entend développer. Il prévoit que tous ces gens travailleront ensemble. Un marin pourra commander l'opération générale; il suffit de se rappeler la guerre des Malouines. Le commandant britannique pendant la guerre des Malouines était un marin; l'amiral Woodward avait le commandement général de l'opération. Un officier de la marine royale et un officier de l'armée britannique travaillaient sous ses ordres. Peu importe qui commande l'opération générale dans la mesure où les bonnes personnes possédant la bonne formation sont sur place pour conseiller le commandant général.
J'estime qu'il n'est pas nécessaire que ce soit un commandant de la marine. Vous aurez encore besoin d'un commandant de l'Armée de terre pour diriger les troupes. À savoir si vous le ferez monter à bord en tant que commandant de l'ensemble de la force, c'est une autre question. Je dirais que le commandant de l'ensemble de la force devrait quand même être un officier de marine parce qu'il s'agit d'une opération maritime.
Le sénateur Banks : Veuillez brièvement confirmer le mot« intégration » dans le sens où vous venez de l'utiliser. Cela sème la peur de Paul Hellyer et des uniformes verts dans le cœur des gens. Ce n'est pas ce que vous voulez, n'est-ce pas?
M. Gimblett : Je ne pensais pas à l'intégration au sens où l'entendait Paul Hellyer, je pensais au général Hillier. En fait même si Paul Hellyer était allé au bout de la logique de son propre raisonnement, il parlait en fait de la même chose que le général Hillier : une force combattante travaillant ensemble.
Bien des choses jouaient contre lui. Tout d'abord, le concept des opérations de l'OTAN faisait en sorte qu'on avait nul besoin de forces canadiennes intégrées à l'époque. Il avait aussi des problèmes budgétaires; les fonds alors insuffisants pour mener à bien le projet.
Le sénateur Banks : Pourriez-vous parler brièvement de l'intérêt qu'il y a à examiner le Livre blanc de 1994 en ce qui a trait aux mesures de protection et aux idées que vous préconisez?
M. Gimblett : Je pense que les grandes idées du Livre blanc de 1994 n'étaient pas si mauvaises. On en a tout simplement jamais financé la matérialisation. Le Livre blanc de 1994 préconisait une marine avec des groupes opérationnels sur les deux côtes, et c'était ce que nous avions. Cependant, les fonds n'étaient pas accordés pour les garder au diapason. On reconnaissait que la Force terrestre participerait probablement à davantage d'opérations, ce qui a été le cas. Elle n'était tout simplement pas financée adéquatement pour qu'il y a suffisamment de troupes pour effectuer toutes ces opérations et pour qu'elles disposent de l'équipement suffisant pour le faire.
En tant que document de planification de base, ce n'est pas mauvais. Je vous parierais que si un nouveau Livre blanc paraissait il serait très semblable. En fait, j'ai fait une étude historique de tous les livres blancs sur la défense qui ont été publiés au Canada, et ils reprennent tous les trois mêmes thèmes de base : la défense du Canada, la défense de l'Amérique du Nord et la façon d'assurer la stabilité internationale. Nous modifions simplement les priorités à l'occasion, selon la situation du moment.
Tout nouveau Livre blanc devrait comporter ces trois priorités essentielles. Il se trouve seulement que dans cet univers mondialisé où nous nous trouvons, elles semblent toutes surgir en même temps. Ce qui veut dire qu'on ne peut les prendre et les déplacer d'un endroit à l'autre, qu'il faut être en mesure de respecter ces trois priorités en même temps. Pour moi, cela signifie davantage de gens et plus d'équipement.
Le sénateur Banks : N'est-ce pas un beau lien entre la projection de puissance dont vous parlez d'une part et le concept 3-D dont nous entendons parler?
M. Gimblett : Exactement, je pense que ce sont simplement des façons différentes d'exprimer la même idée. Vous parlez de valeurs ou d'intérêts. On peut discuter du sens de ces mots, mais je pense qu'au fond cela revient au même.
J'ai pensé à quelque chose quand le sénateur Kenny a dit plus tôt qu'il craignait que toutes nos ressources soient accaparées par un seul navire. Je répondrais à cela que si l'on dispose d'une force de 80 000 soldats, on aurait évidemment plus d'un navire. Idéalement, on en aurait au moins trois ou quatre. Encore là, c'est 25 p. 100 en tout pour la capacité d'embarquement d'un navire. On n'aura pas toute l'armée à bord de trois ou quatre navires. Il vous faudra encore le pont aérien stratégique dont vous avez parlé pour transporter des troupes additionnelles une fois le terrain d'aviation maîtrisé.
Ce qu'il a de bien avec un LPD, un ravitailleurhéli-plate-forme, par rapport à un bâtiment de soutien interarmées, c'est qu'un LPD peut transporter, qu'il s'agisse de sa version britannique ou américaine, de 700 à 800 troupes de combat. C'est un bataillon assez important. C'est ce dont on a besoin pour aller établir une présence. Un bataillon de cette importance pourrait se rendre maître de la situation dans la majorité des endroits où on voudrait les déployer.
Le sénateur Meighen : Pour faire suite à cette question du LPD, du ravitailleur héli-plate-forme, le document que vous avez rédigé, avec le général MacKenzie et d' autres, remonte à quand?
M. Gimblett : Il a été publié en juin 2004.
Le sénateur Meighen : S'est-il produit des choses qui vous ont amené à changer d'idée ou à revoir votre position quant au type précis de navire qu'il faut pour constituer ce LPD? Vous avez parlé des catégories de navire San Antonio. Dois-je comprendre qu'à votre avis c'est toujours le meilleur achat que nous puissions faire?
M. Gimblett : Je crois que oui, mais quant au type de navire que nous devrions effectivement acheter il vaudrait mieux laisser le soin de la décision aux autorités des Forces canadiennes qui s'occupent d'acquisitions de matériel. Laissons-les décider.
Le sénateur Meighen : Voilà une idée novatrice.
M. Gimblett : Si vous voulez mon avis, j'opterais pour le San Antonio. En fait, il s'est produit quelque chose qui militerait en faveur de l'acquisition d'un de ces navires d'une façon ou d'une autre. Il ne doit pas nécessairement s'agir d'un achat, mais la Marine américaine vient tout juste de se rendre compte qu'on est en train de construire un trop grand nombre de ces navires. Ils en avaient prévu une douzaine et ils font aussi face à des compressions budgétaires. Cependant, ils ne peuvent se permettre d'équiper que 11 de ces 12 navires. Ils ont encore bien d'autres navires, et ils sont en train de ralentir leur acquisition de nouveaux navires parce que les Forces américaines acheminent des fonds vers l'armée de terre et les marines, qui sont en fait sur le terrain en train de combattre en Irak et ailleurs.
L'occasion qui s'offre, c'est qu'ils ont des navires en construction pour lesquels ils ne peuvent pas fournir d'équipage aussi rapidement qu'ils le voudraient. Ils ralentissent la production. Je crois que le général MacKenzie nous a dit qu'il pouvait appeler son ami Colin Powell et faire en sorte que l'un de ces navires nous parvienne assez facilement. Il m'a dit la même chose de façon plus détaillée. Je suppose qu'il a probablement raison. Ce serait un argument pour; mais encore là, je ne voudrais pas empêcher l'acquisition d'autres navires. De nombreuses très bonnes versions sont disponibles maintenant.
Le sénateur Meighen : Seriez-vous contre la conception et la construction de notre propre navire de ce type?
M. Gimblett : Certainement.
Le sénateur Meighen : Vous préféreriez acheter?
M. Gimblett : Oui et si possible, le faire construire au Canada. Cependant, vouloir concevoir et produire nos propres navires ne ferait qu'ajouter des années au processus, et je pense que nous devons nous préparer à en obtenir un maintenant.
Le président : Je vous remercie beaucoup d'être venu comparaître. Votre témoignage sera très utile au comité.
J'ai constaté que vous aviez d'abord parlé du budget et que vous terminez en parlant du budget. La question occupe beaucoup nos esprits, et nous surveillerons certainement de très près la présentation du budget cette semaine pour voir comment le gouvernement tient compte des arguments qui ont été présentés.
La séance se poursuit à huis clos.
La séance reprend en public.
La séance est ouverte. Je vous souhaite la bienvenu au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Nous accueillons aujourd'hui deux distingués témoins. D'abord M. Albert Legault, qui dirige la Chaire principale de recherche du Canada en relations internationales à l'Université du Québec à Montréal. Dans le cadre du Forum sur la sécurité et la défense, il est membre du département des sciences politiques et du Centre d'études des politiques étrangères et de sécurité. De 1969 à décembre 2001, M. Legault a enseigné à l'Université Laval, où il a dirigé l'Institut québécois des relations internationales de 1997 à 2001. Au nombre de ces récents ouvrages figure une collection qu'il a publiée en 2004 et qui s'intitule Le Canada dans l'orbite américaine.
Nous accueillons aujourd'hui M. Paul Heinbecker, premier directeur du Centre for Global Relations, Government and Policy, de l'Université Wilfrid Laurier à Waterloo, et agrégé supérieur du Independent Research Centre for International Governance Innovation de Waterloo. Ces nominations ont suivi une carrière remarquable aux Affaires étrangères du Canada. De 1989 à 1992, M. Heinbecker a agi à titre de premier conseiller en politique étrangère auprès du premier ministre Brian Mulroney et à titre de secrétaire adjoint au Cabinet en matière de politique étrangère et de défense au Bureau du Conseil privé. En 1992, il a été nommé ambassadeur en Allemagne. En 2000, il a été nommé ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies. Nous vous souhaitons la bienvenue au comité, messieurs. Monsieur Legault, si vous voulez bien commencer.
[Français]
M. Albert Legault, professeur, Université du Québec à Montréal : J'espère que les membres de votre comité n'ont aucune objection à ce que je m'exprime en français.
Le président : Pas du tout.
M. Legault : C'est pour moi un honneur et un privilège d'être ici. Je vous remercie de l'invitation qui m'a été faite. Je tenterai, dans mon bref exposé, de me concentrer sur trois aspects du paradigme des relations canado-américaines.
Tout d'abord, j'aimerais indiquer que trois analyses en particulier ont retenu mon intérêt. La première est ce que j'appelle l'affect, c'est-à-dire la sympathie qu'on éprouve naturellement à l'endroit des États-Unis pour tout ce qui concerne les situations d'urgence. En l'occurrence, on peut penser à l'aide au pouvoir civil ou encore aux événementsdu 11 septembre qui ont forcé le Canada à ouvrir ses frontières aux avions à destination des États-Unis et à accueillir des milliers de passagers au Canada. Cette dimension affective est très importante à comprendre, car elle n'a rien à voir avec l'autre dimension qui est beaucoup plus conceptuelle. Cette dimension affective, nous l'avons définie ailleurs dans un ouvrage comme étant une situation de solidarité organique. Il est important de comprendre cette dimension, car la solidarité organique est définie dans le bref exposé que je vous ai donné comme étant l'ensemble des mesures immédiates ou planifiées que l'on peut mettre en œuvre pour répondre à une situation d'urgence chez autrui. Cette dimension me semble de plus en plus importante dans les relations canado-américaines, car nous faisons partie d'un périmètre de sécurité. Le ministère des Affaires étrangères ne semble pas aimer tellement cette expression puisqu'il emploie plutôt l'expression « frontière intelligente », un terme très différent.
La deuxième dimension est beaucoup plus conceptuelle. Elle est une façon pour le Canada de se démarquer de la politique américaine. L'ambassadeur américain Paul Cellucci, dans une conférence qui se tenait à New York disait, il y a à peine deux semaines, qu'on ne voit pas d'objection à ce que le Canada ait une politique indépendante de celle des États-Unis mais qu'elle doit être complémentaire de celle des États-Unis. Et quelqu'un dans un comité a répondu qu'il serait merveilleux que la réciproque soit vraie, c'est-à-dire que la politique américaine soit complémentaire de la politique canadienne.
Deux écoles de pensée sont très claires au Canada, on en a parlé dans le livre que vous avez cité. On retrouve les continentalistes et les souverainistes. Les souverainistes vont toujours dire non aux États-Unis alors que les continentalistes vont leur dire oui. Ceux qui sont entre les deux diront oui selon les circonstances. En règle générale, le Canada est plutôt continentaliste, mais uniquement lorsqu'il y trouve ses intérêts.
La façon de conceptualiser la politique étrangère du Canada ou sa politique de défense dépend essentiellement de la niche où le Canada peut se trouver, et c'est la difficulté de la conceptualisation canadienne. Le spécialiste bien connu Douglas Bland disait que le Canada n'a jamais eu de politique étrangère ou de défense autonome, que la seule politique qu'il a est celle de l'OTAN.
Depuis la guerre froide, ce problème de définition est de plus en plus difficile, ce qui est un peu normal. Douglas Bland était sans doute ce qu'on pourrait appeler le premier gaulliste de la politique de défense ou de la politique étrangère du Canada. Il posait les questions : Quels sont vos intérêts? Qu'est-ce qu'on doit faire et où doit-on intervenir? Je reviendrai sur ce point plus tard au cours des discussions car le problème est intéressant. Il existe des différences énormes au Canada et la dimension conceptuelle rejoint essentiellement la question d'identité nationale, à savoir comment on peut se définir tout d'abord comme canadien avant de se pencher sur la question américaine.
La troisième analyse est ce que j'appelle la dimension politique. Vous aurez sans doute des discussions beaucoup plus précises dans quelques instants avec mon collègue, M. Heinbecker, qui est un praticien des affaires extérieures. Pour ma part, je m'exprime un peu comme un universitaire, mais nous y reviendront plus tard dans la discussion.
Le problème de difficulté politique, dans le tableau que vous avez devant vous, indique bien qu'il existe toujours des tensions possibles. Une question de volonté politique est une question de budget. Ces tensions existent toujours entre ce que l'on peut faire dans le domaine de la défense et de la politique étrangère et les autres priorités sociales ou socio- économiques du gouvernement. Tout comme la deuxième analyse sur le plan conceptuel, la question est de savoir à quel degré devons-nous nous démarquer de la politique étrangère américaine? De telles tensions peuvent exister dans la deuxième analyse, soit celle de la dimension cognitive. D'autres tensions existent par rapport à la première dimension, qu'on a appelé la sécurité organique, entre la défense proprement dite et la sécurité nationale. Je crois que votre comité en est parfaitement conscient, lorsque vous traitez de sécurité dans les aéroports ou dans les ports maritimes canadiens, vous traitez de sécurité nationale. Lorsqu'on discute du rôle du Canada à l'étranger, on parle de défense ou de politique étrangère.
Voilà donc les trois points que je désirais souligner. En conclusion, je crois que sur le plan international le Canada doit se doter d'une force de transport stratégique et/ou tactique, développer des effets de synergie entre les différents ministères sur les opérations de consolidation de la paix et prévoir une planification intégrée de ses opérations, soit avec l'OTAN, soit avec l'Union européenne, soit avec les « light-minded countries » ou n'importe quelle coalition ad hoc qui pourrait se présenter à l'avenir.
Sur un plan national, je propose que le concept des opérations aériennes et spatiales du NORAD soit élargi au domaine maritime. Ceci fait partie non seulement des frontières intelligentes mais aussi des fonctions de protection « offshore », c'est-à-dire de repousser les frontières aussi loin que possible. Il s'agit donc de réaliser une meilleure intégration entre les opérations spatiales NORAD et les opérations maritimes.
Deuxièmement, je propose que l'on accroisse le degré d'interopérabilité des Forces américaines et canadiennes et que l'on améliore la capacité de survie de nos systèmes de communication et de commandement.
Voilà en deux mots ce que je désirais vous exposer. J'espère ne pas avoir abusé de votre patience.
Le président : Pas le moindre du monde. Merci de votre présentation.
[Traduction]
Monsieur Heinbecker, vous avez la parole.
M. Paul Heinbecker, ancien ambassadeur aux Nations Unies, à titre personnel : J'ai quelques autres points à présenter mais je serai tout aussi bref. Je tiens à vous remercier de m'avoir invité. C'est un honneur et un privilège de me trouver parmi vous.
Je tiens tout d'abord à dire qu'il est absolument nécessaire que la politique étrangère du Canada soit cohérente, et je parle ici de la politique du gouvernement canadien et non du ministère des Affaires étrangères. La politique étrangère est un mélange de politique de défense, de politique en matière d'aide étrangère, de travail diplomatique en matière de sécurité nationale fait par le SCRS, la GRC et d'autres, le ministère de l'Environnement, le ministère des Finances et tous les autres. Le Canada n'est pas un pays suffisamment grand pour se permettre d'avoir plusieurs politiques étrangères. Nous ne pouvons nous permettre qu'une seule politique étrangère. Il doit s'agir d'une politique transversale et non compartimentée et il faut qu'elle soit intégrée et cohérente.
On m'a demandé de mentionner les questions qui vous intéressent. Le débat au sujet des valeurs et des intérêts est un débat stérile et on l'évoque lorsque l'on veut faire valoir qu'ils sont d'une plus grande supériorité sur le plan moral ou qu'ils sont mercantiles. Nous sommes qui nous sommes et nous prenons les décisions que nous prenons en raison de qui nous sommes, en raison de nos valeurs. Je constate que la stratégie américaine en matière de sécurité nationale a débuté par une déclaration des valeurs américaines. Je ne crois pas que ce soit une idée très scandaleuse.
Je crois que nous devons revenir aux premiers principes concernant les Nations Unies. On débat parfois ici de l'opportunité d'allier notre sort à celui des Américains ou d'opter pour le multilatéralisme. La question fondamentale, si vous vous rappelez comment les Nations Unies ont été créées, est très importante. Nous ne devons pas l'oublier. Nous avons commencé par l'industrialisation et la démocratisation de la conduite de la guerre, ce qui a donné lieu à des alliances qui ont entraîné la Première Guerre mondiale et la mort de 10 millions de personnes, suivies de la Seconde Guerre mondiale et la mort de près de 60 millions de personnes. Les réalistes, ceux qui ont remporté la Seconde Guerre mondiale, ceux que Tom Brocaw a qualifié de « greatest generation » (génération fantastique), ont créé la Charte des Nations Unies et l'ont inscrite au Centre du droit international, et ont créé le système de sécurité collective. Ils ont considéré qu'il s'agissait d'une meilleure façon de procéder et personne ne voulait apprendre le nombre de personnes qui mourraient à l'issue d'une Troisième Guerre mondiale, à l'ère des armes de destruction massive.
Les Nations Unies demeurent au centre du droit international et de la coopération multilatérale. Cependant, il faut y apporter des réformes et cette occasion se présentera cet automne aux Nations Unies lorsque se réuniront probablement 100 chefs d'État.
Si je devais décrire la position du Canada en matière de politique étrangère, elle comporterait deux grands points : bilatéralement, nous devons agir comme le meilleur voisin possible envers les États-Unis et en tant que partenaire de la sécurité nord-américaine. Cela signifie que nous devons intégrer tous les aspects qui se rattachent à NORAD, à la surveillance côtière et frontalière, etc. Sur le plan international, nous devons pratiquer une politique étrangère indépendante. Nous devons être d'accord avec les Américains lorsque nous considérons qu'ils ont raison et être en désaccord avec eux lorsque nous considérons qu'ils ont tort, comme nous l'avons fait dans le cas de l'Irak. Bien que l'attitude de Washington à notre égard semble être un peu plus conciliante qu'elle ne l'a été pendant un certain temps, l'attitude passée de la présente administration rend plus difficile et plus coûteuse une coopération plus étroite.
Je songe à la façon dont les États-Unis ont induit en erreur le Conseil de sécurité des Nations Unies à la veille de la guerre en Irak. Je songe à l'homme qui est devenu le procureur général et qui a fourni des conseils sur la façon d'écorner les principes du traité contre la torture et sur la façon de contourner la Convention de Genève. Je songe à la façon dont ce pays administre une forme de goulag de prisonniers à l'étranger. Je songe à l'incroyable politique d'extradition qui permet aux Américains d'envoyer des gens dans des pays comme la Syrie, où ils risquent d'être torturés. À mon avis, il y a une limite à la mesure dans laquelle nous tenons à participer à ce type d'association et à la rapidité avec laquelle nous tenons à tourner la page sur les événements dont nous avons été témoins.
En ce qui concerne les Nations Unies et l'OTAN, je dirais que l'OTAN est en train de devenir une forme de police d'assurance. Cela est évident depuis un certain temps parce que dans une organisation comme l'OTAN vous êtes tenus de demander qui est l'ennemi et où se situe la menace. Cela n'est pas évident dans ce cas-ci à moins que nous voulions considérer que les extrémistes islamistes internationaux constituent une menace. Dans un tel cas, il faut se demander si l'OTAN représente une solution à cette menace. L'OTAN est une forme de police d'assurance résiduelle au cas où les choses tournent mal.
J'aimerais que le Canada participe davantage aux opérations des Nations Unies, si nous sommes en faveur d'une politique en matière de sécurité humaine. Nous avons parrainé le rapport intitulé La responsabilité de protéger, qui se trouve au coeur du processus de réforme des Nations Unies. Pour concrétiser cette mesure dans un contexte canadien, nous devons être en mesure d'avoir les effectifs militaires nécessaires. Il est extrêmement important d'investir dans les forces armées. Je ne suis pas spécialiste d'une arme par rapport à une autre, mais je sais qu'à l'époque où j'étais ambassadeur aux Nations Unies, nous avons dû refuser à plusieurs reprises l'aide que nous demandaient les Nations Unies parce que nous n'en avions pas la capacité.
La promesse d'engager 5 000 soldats supplémentaireset 3 000 réservistes supplémentaires, en partant du principe qu'ils seront munis de l'équipement nécessaire qui leur permettra de se rendre là où ils doivent aller et de faire ce qu'ils doivent faire, est positive.
Un aspect qui se rattache à la politique étrangère est l'aide publique au développement. Le rapport des Nations Unies fait valoir de façon très persuasive qu'à notre époque on ne peut pas dissocier la sécurité du développement. Si vous craignez ce qui peut arriver à des États défaillants, vous avez intérêt à faire en sorte que cette situation ne se produise pas et à commencer à investir dans ces États avant que cette situation ne se produise. Le gouvernement canadien ne pourrait donner une indication plus ferme de son intention à cet égard en s'engageant à offrir une aide publique au développement de 0,7 p. 100 d'ici une date précise. Cette date devrait être 2015, qui marque la fin des étapes de développement vers le millénaire qui ont été établies.
Je terminerai en disant que nous avons besoin d'un service extérieur professionnel. On a beaucoup parlé à Ottawa d'un service extérieur professionnel et on a même désapprouvé une telle idée. Il est impossible de faire son chemin dans le monde sans pouvoir compter sur des professionnels. Il ne devrait pas s'agir d'un monastère aux Affaires étrangères mais lorsque vous avez des gens qui comprennent le monde et qui passent une bonne partie de leur vie dans ce monde, cela leur permet de mieux comprendre la politique et de fournir des conseils stratégiques aux personnes qui ne possèdent pas ce genre d'expérience.
Le sénateur Atkins : C'est réellement un honneur de vous accueillir tous deux ici aujourd'hui. J'aimerais avoir des précisions sur une observation que vous avez faite, monsieur Heinbecker. Vous avez dit qu'il existe une différence entre la politique gouvernementale et la politique étrangère. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précision à ce sujet?
M. Heinbecker : Je voulais dire que le gouvernement du Canada a une politique étrangère. Or, ni le ministère des Affaires étrangères du Canada ni la Défense nationale n'ont de politique étrangère. Parfois les gens perdent de vue le fait que la politique étrangère est celle du gouvernement du Canada; les affaires étrangères donnent des conseils, ce que font aussi d'autres ministères. Les Affaires étrangères représentent la totalité des vues du gouvernement canadien et des mesures qu'il prend pour les concrétiser; il s'agit de la politique étrangère du gouvernement et non de secteurs particuliers du gouvernement.
Le sénateur Atkins : J'imagine que la plupart des Canadiens auraient pensé qu'il s'agit de la même chose.
M. Heinbecker : À Ottawa, c'est un aspect que l'on perd parfois de vue.
Le sénateur Atkins : Vous avez dit que nous avons besoin d'un service extérieur professionnel. Je pense que la plupart des Canadiens croient que nous avons un service extérieur professionnel. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions à ce sujet?
M. Heinbecker : Cette question fait l'objet d'un débat. Certains sont d'avis à Ottawa qu'étant donné que la distinction entre la politique internationale et nationale est devenue plutôt floue, nous n'avons plus besoin d'un service extérieur professionnel et qu'il est possible d'utiliser n'importe quel fonctionnaire de façon interchangeable.
Il faut que les gens qui se consacrent au service extérieur passent une bonne partie de leur vie à l'étranger afin que nous n'ayons pas à transférer une personne qui se trouve à Ottawa à Kaboul pour qu'elle essaie d'y faire du bon travail.
Je ne suis pas en train de dire que les agents du service extérieur sont meilleurs que tous les autres fonctionnaires ou vice versa, mais une certaine expérience s'impose si l'on veut bien faire le travail. Si vous ne veillez pas à faire en sorte que les gens prennent le temps d'apprendre le métier, cela risque d'être un handicap en matière de relations internationales.
Le sénateur Atkins : Avons-nous jamais eu un service extérieur professionnel?
M. Heinbecker : Je dirais que depuis sa création jusqu'à maintenant ce service a fait preuve d'un très grand professionnalisme. Maintenant il fait l'objet d'un certain nombre d'attaques et l'idée selon laquelle des personnes qui font du bon travail pour le MPO seraient tout aussi compétentes pour travailler au Vietnam est une erreur.
Le sénateur Atkins : Monsieur Legault, vous dites que le Canada sait qu'il a besoin d'une politique étrangère qui sert ses intérêts et reflète les ambitions de sa population. Quels sont à votre avis les intérêts et les ambitions des Canadiens? Quelles en sont les incidences en matière de défense et de politique militaire?
M. Legault : Je commencerai par répondre en premier à la deuxième question parce qu'elle est plus facile. Si nous n'avons pas de politique étrangère, il sera très difficile de déterminer comment la société canadienne se rallie à cette politique. Depuis l'étude par l'administration Trudeau de la politique étrangère à la fin des années 1960, nous avons tâché de déterminer précisément en quoi consistent ces intérêts.
Il n'existe qu'une seule question d'intérêt canadien; c'est l'unité canadienne, écouter ce que les gens ont à dire et déterminer comment nous devrions agir dans un milieu étranger. CommeM. Heinbecker l'a dit, le Canada a connu certaines difficultés avec les États-Unis. Quant à savoir si nous tournons la page et entamons une nouvelle relation ou établissons une nouvelle initiative nord-américaine, ce qu'apparemment le gouvernement envisage, cela est discutable.
Ce dont nous avons besoin, c'est d'une politique étrangère qui reflète les vues du gouvernement. Il a beaucoup été question de cet aspect en particulier, surtout au Conseil privé, pour s'assurer que les ministères peuvent dégager une vision commune du rôle que nous devrions jouer dans le monde.
M. Heinbecker vient d'indiquer que la dimension principale se situe au niveau des affaires étrangères, de l'aide directe, de l'aide étrangère et de déterminer la meilleure façon d'intervenir dans le monde auprès des États non viables qui existent aujourd'hui. La situation militaire dans le monde est beaucoup plus instable qu'auparavant. Il y aura beaucoup plus d'États non viables à l'avenir. C'est peut-être un créneau où le Canada devrait intervenir.
Quels sont nos intérêts? John Holmes que, j'en suis sûr, vous avait rencontré ou avez connu, a déclaré il y a 24 ans à l'assemblée américaine que si les Nations Unies n'existaient pas, nous devrions les inventer.
Les intérêts des Canadiens résident dans la règle de droit, la capacité d'intervenir de façon multilatérale, et le respect du droit international parce que c'est là où nous nous débrouillons le mieux. Quant à la possibilité de nous faire entendre à Washington, je ne suis pas très optimiste car même durant la guerre de Corée, lorsque nous consacrions plus de 25 p. 100 de notre budget fédéral à la défense, nous n'avions pas plus d'influence auprès de Washington. L'important est de déterminer comment devenir efficace.
L'important ce n'est pas tant de déterminer s'il faut privilégier les institutions multilatérales ou agir de façon unilatérale comme les Américains ont tendance à le faire, mais plutôt comment nous pouvons améliorer l'efficacité des institutions internationales. C'est un point important pour le ministère des Affaires étrangères du Canada. C'est un point important pour l'avenir du Canada et c'est là où réside notre intérêt national.
Ce sont des questions générales mais vos questions étaient aussi très générales.
Le sénateur Atkins : Tout à fait. À ce sujet, croyez-vous que nous avons eu de l'influence à la suite de notre participation à la mission de l'ONU en Corée?
M. Legault : Nous avons certainement eu de l'influence puisque nous sommes reconnus comme membre de la communauté internationale, mais en Corée, la situation a été perçue différemment. Deux pays ont contribué à l'envoi d'un certain nombre de troupes qui ont joué un rôle très important dans le cadre de l'alliance; la Turquie et le Canada. Nous avons perdu énormément de gens. À l'époque on considérait qu'il s'agissait d'une initiative valable et que nous étions là-bas pour défendre la démocratie.
À mon avis, le gouvernement canadien se prononcera en faveur du maintien de la démocratie dans le monde comme le font les États-Unis, sauf que parfois nous aurons différentes façons d'envisager ces questions. Je crois que nous avons pris la bonne décision en Corée. Cette décision a coûté des vies mais nous étions considérés comme un membre de l'alliance et c'est ce qui comptait à l'époque. Nous sommes toujours membre de l'alliance mais nous sommes un peu plus mûrs qu'il y a 40 ans et nous savons un peu mieux où se situent nos intérêts qu'à l'époque.
Le sénateur Atkins : Monsieur Heinbecker, vous parlez de la réforme des Nations Unies et vous dites que cela se fera en septembre. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet. Vous avez dit qu'à votre avis le Canada devrait jouer un rôle plus important aux Nations Unies. Comment à votre avis cela pourrait-il se faire?
M. Heinbecker : Oui. Les Nations Unies existent depuis 1945 et avec le temps, on a constaté une certaine contradiction avec ses principes les plus fondamentaux. Le préambule de la Charte des Nations Unies dit que l'objectif des Nations Unies est de préserver les générations futures du fléau de la guerre. Les Nations Unies ont en fait accompli du très bon travail. Ce n'est pas le seul organisme responsable mais il a fait du très bon travail. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, on a recensé 50 p. 100 de conflits de moins qu'au cours de la première moitié, et le nombre de pays a quadruplé. Lorsque la Charte des Nations Unies a été adoptée, elle comptait 51 signataires et à la fin du XXe siècle, elle comptait environ 190 membres.
Nous avons été témoins d'un vaste élargissement des Nations Unies et aussi de la réduction des guerres entre États. Depuis la Guerre froide, nous avons également constaté une plus forte proportion de guerres intestines, comme au Congo, au Darfour, au Timor Oriental, au Sierra Leone, au Libéria, en Côte d'Ivoire et ailleurs.
C'est là où intervient le deuxième principe des Nations Unies, à savoir la non ingérence dans les affaires internes des États. L'un des moyens d'empêcher les guerres mondiales, c'est de tâcher de proscrire l'agression. Les Nations Unies ont établi une norme très ferme contre l'agression; un état contre un autre. Au niveau interne, nous avons constaté que les conflits se multiplient et les Nations Unies se sont trouvées mêlées à ces conflits parce que les gens ont dit, « ne restez pas là simplement à ne rien faire, faites quelque chose. Beaucoup de gens meurent ». La Bosnie en est un autre exemple tout comme le Kosovo et dans certains cas les interventions ont eu plus de succès que dans d'autres.
Il existe donc une contradiction entre le fait de préserver les générations futures du fléau de la guerre, et le fait de ne pas s'ingérer dans les affaires internes des États. C'est donc le dilemme fondamental auquel nous faisons face au Darfour, par exemple.
Puis, il y a d'autres nouveaux problèmes importants; la conjonction du terrorisme et des armes de destruction massive. Depuis les événements du 11 septembre, nous nous sommes rendus compte que si les terroristes possédaient l'arme nucléaire, nous ne parlerions plus de 3 000 morts mais plus probablement de trois millions de morts. Nous devons réfléchir aux mesures que nous allons prendre et à la façon dont le monde réagira à ce genre de questions.
La stratégie de sécurité nationale des États-Unis n'est pas unilatérale mais plutôt unilatéraliste. C'est ce qu'on entendait dire à Washington jusqu'à ce que les Américains s'embourbent en Irak et qu'il devienne clair que seul, aucun pays ne serait en mesure d'assurer sa propre sécurité et que même le pays le plus puissant du monde ne peut contrôler le monde entier. Les États-Unis doivent traiter avec des pays comme l'Irak qui en est à sa troisième guerre en 15 ans, et ce, après 12 ans de sanctions de l'ONU et d'inspections des armements.
Tout cela pour dire que le secrétaire général a mis sur piedun groupe d'experts. Ils se sont réunis pour discuter desproblèmes de l'ONU et des solutions éventuelles. Ils ont formulé 101 recommandations. Je présume que c'était délibéré car 101, cela sonne bien. Les États membres de l'ONU examineront ces recommandations en septembre. Voilà pour ce qui est de la réforme des Nations Unies.
En ce qui a trait au rôle du Canada, je crois pouvoir dire que nous avons exercé une influence intellectuelle importante sur l'ONU. Maintenant, aux Nations Unies, le programme de la sécurité humaine est bien réel et légitime. La doctrine de la responsabilité de protéger a pris forme à la suite de la création d'une commission par l'ancien ministre canadien des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, qui a chargé un groupe de gens de se demander pourquoi nous n'avions pas pu faire mieux au Kosovo, au Rwanda et en Bosnie et de recommander des solutions.
On se penche aussi sur d'autres questions telles que les droits de la femme et la protection des femmes en situation de conflit.
Le sénateur Atkins : Et Stephen Lewis?
M. Heinbecker : Oui, Stephen Lewis joue un rôle aussi, plus particulièrement dans le dossier du sida. Nous avons fait preuve d'un certain leadership à cet égard, mais pas de manière aussi positive qu'on l'aurait souhaité, et je ne parle pas de Stephen Lewis, mais de la politique que nous avons suivie. Mais nous avons exercé une certaine influence intellectuelle.
Toutefois, si la sécurité humaine a un sens de même que la responsabilité de protéger, nous devons être en mesure d'envoyer des soldats sur le terrain. On ne peut sauver des innocents au Darfour avec des notes diplomatiques. On doit être prêt à prendre des mesures militaires si cela devient nécessaire. Notre capacité d'agir ainsi est de plus en plus limitée, ce qui influe sur la crédibilité de notre politique étrangère.
Le sénateur Atkins : Dans quelle mesure la réforme de l'ONU est-elle fonction de l'appui des États-Unis?
M. Heinbecker : Il est évident que les États-Unis sont le pays le plus puissant sur la terre et le plus puissant aux Nations Unies. Pratiquement rien ne se fait à l'ONU sans l'appui des États-Unis et, à l'inverse, quand les Américains veulent quelque chose, il est rare qu'ils ne l'obtiennent pas. C'est un fait important. Le soutien des États-Unis est dans l'intérêt de l'ONU. Je n'ai pas encore entendu l'administration américaine critiquer publiquement les recommandations qui ont été formulées par ce groupe d'experts de haut niveau. Je suis certain que, à Washington, on tente de s'entendre sur ce qu'on pense des mini-recommandations, et que certaines d'entre elles plairont aux Américains et d'autres pas.
Concernant l'usage de la force, l'ONU a décidé qu'une nouvelle interprétation n'était pas nécessaire et quel'article 51 suffisait. Le groupe d'experts de haut niveau de l'ONU n'a pu imaginer une situation où un pays seul déciderait d'agir car, aux termes de l'article 51, il n'y a que deux façons de se défendre : la légitime défense préventive ou une décision du conseil.
La légitime défense préventive est acceptée comme telle depuis longtemps, depuis, en fait, l'affaire Caroline dans laquelle les forces britanniques se sont opposées aux forces américaines près de Niagara Falls. Je peux aussi vous donner l'exemple de ce qu'ont fait les Israéliens pendant la guerre de 1967, l'attaque des Israéliens contre les armées arabes qui s'étaient regroupées. Il s'agissait d'une attaque préventive.
Ce qu'on a vu aux États-Unis et ce qu'a recommandé le groupe d'experts de haut niveau de l'ONU à l'encontre de la guerre préventive s'applique au cas où le danger n'est pas imminent. Dans le cas de l'Irak, le danger n'était pas imminent pour les États-Unis mais ils sont intervenus néanmoins. Je ne crois pas que les États-Unis accepteront favorablement cette recommandation. J'ai aussi entendu dire que certaines recommandations sur le désarmement nucléaire figurant dans le rapport de l'ONU ne leur plaisent guère non plus.
En gros, il est dans l'intérêt du Canada que l'ONU soit une organisation efficace et nous devrions l'appuyer. C'est aussi dans l'intérêt des Américains, bien que les gens qui s'inquiètent des hélicoptères noirs et de la possibilité que l'ONU impose les habitants du Kentucky redoutent peut-être que les Nations Unies deviennent plus efficaces. Mais du point de vue de Washington, une organisation des Nations Unies plus efficace serait une bonne chose.
Le sénateur Atkins : Est-ce que toute réforme devrait commencer par le Conseil de sécurité?
M. Heinbecker : Il faudrait plutôt que la réforme se termine avec le Conseil de sécurité. Il est plus important de s'entendre pour changer ce que fait l'ONU plutôt que qui fait quoi pour l'ONU. Cela dit, il s'ensuit une question de légitimité et de représentativité; les pays du tiers monde continuent de croire qu'ils ne sont pas bien représentés et ils veulent avoir voix au chapitre. Les Sud-Africains font valoir que le massacre du Rwanda ne se serait pas produit si l'Afrique avait eu un représentant permanent au Conseil de sécurité, car il aurait plaidé la cause de l'Afrique et n'aurait pas permis qu'on fasse preuve de tant d'inertie et d'insensibilité. J'ignore si c'est vrai ou non, mas il est certain qu'un Conseil de sécurité efficace est dans l'intérêt du Canada. Certaines solutions sont préférables à d'autres et nous devrions faire en sorte qu'il soit possible, un jour, d'obtenir un siège au Conseil de sécurité, et ne pas écarter cette possibilité à tout jamais.
Le sénateur Atkins : Quel rôle ou mission devrait-on confier aux Forces canadiennes?
M. Legault : Pourrais-je revenir à ce dernier point sur la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU? Que cela se fasse au début ou à la fin du processus, je crois que nous devrions envisager le moment où le conseil sera élargi. Je ne crois pas qu'on puisse ajouter aux membres permanents du Conseil de sécurité, car il faudra toujours le consensus des cinq membres permanents, en plus de la ratification des deux tiers des membres,soit 127 signatures. Si la proposition du premier ministre concernant le G20 se concrétise, cela ressemblera beaucoup à ce qu'on envisage pour le Conseil de sécurité à l'avenir. Cela nous donne donc espoir.
En ce qui concerne les missions qu'on pourrait confier aux Forces canadiennes, l'Armée canadienne a pour rôle de protéger notre souveraineté. C'est sa première mission. Au niveau international, nous avons toujours assumé nos responsabilités dans le monde dans le cadre des missions approuvées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Je ne crois pas que les Nations Unies aient entrepris des opérations auxquelles le Canada n'ait pas participé. Il est vrai que depuis quelques années, nous avons préféré intervenir là où les Américains le souhaitaient. Cela ne fait aucun doute. Cela constitue peut-être une monnaie d'échange, mais d'ordinaire ces négociations restent secrètes.
Nous pourrions participer davantage aux organisations régionales, comme l'Organisation des États américains, si elles devenaient plus efficaces. Cependant, elles n'ont pas beaucoup bougé dans ces dossiers. En Haïti, nous connaissons encore des difficultés et la coordination est loin d'être parfaite, que ce soit avec le Brésil ou avec la Chine ou même dans nos efforts en vue d'assurer des services de police à Haïti. Le nombre de pays qui apportent leurs contributions sous toutes sortes de formes est considérable. Je crois que nous devions être de la partie quand d'autres pays sont aussi intéressés et travailler en étroite collaboration avec eux.
Si les pays de taille moyenne assumaient leurs responsabilités, il serait plus facile de composer avec les États-Unis, mais ils ne le font pas. Les pays européens ont tendance à se ranger tous du même côté, bien que les Français nous aient demandé dans le passé d'intervenir en Côte d'Ivoire et en Haïti. Les choses changent, mais il n'en reste pas moins que nous ne devons envisager une participation à des missions que si elles se font conformément à une résolution légitime et dans le bon contexte. Je ne suis pas certain que nous serions plus nombreux au Darfour même si nous avions les capacités nécessaires pour y intervenir. Si au moins nous avons les moyens, nous avons plus d'options. Quand le premier ministre demande quelque chose à son ministère, celui-ci dispose de si peu d'options qu'il est souvent condamné à l'inaction.
Le sénateur Atkins : À votre avis, est-ce que notre souveraineté est bien protégée?
M. Legault : Nous nous en tirons assez bien. Si vous pensez aux projets de loi C-36, C-10 et autres qui ont été adoptés pour la protection de notre souveraineté, nous ne nous en tirons pas trop mal, je crois.
Quand les Américains exercent des pressions sur nous, nous emboîtons le pas. Je me souviens d'une discussion qu'avait eue le ministre de la Défense nationale, M. Gilles Lamontagne, quand j'ai travaillé pour lui et qu'on avait fait l'acquisition de quatre destroyers. Le Cabinet ne voulait en acheter que trois jusqu'à ce que le ministre fasse remarquer que cela signifierait que le quatrième destroyer qui circulerait en eaux canadiennes serait américain. C'est alors qu'on a opté pour l'achat de quatre destroyers. Quand les Américains exercent des pressions, nous sommes habituellement en mesure de livrer la marchandise. Nous protégeons assez bien notre souveraineté, mais nous pourrions le faire mieux. Comme je l'ai dit, en dernière analyse, il s'agit d'argent et des priorités du gouvernement.
Le sénateur Atkins : Vous me rassurez quelque peu.
M. Heinbecker : La politique étrangère a un prix. Si vous me le permettez, je vais vous raconter une blague qui a sa part de vérité. Un diplomate britannique a passé un an à Washington, au Département d'État. Quand il est rentré chez lui, on lui a demandé quelle était la différence entre Washington et Londres. Il a répondu que quand un événement inquiétant se produit dans le monde, à Washington, on se demande : « Que devrions-nous faire? », alors qu'à Londres on se demande : « Que devraient faire les Américains? ». À Ottawa, quand quelque chose d'inquiétant se produit dans le monde, nous nous demandons : « Quedevrions-nous dire à ce sujet? ».
Dans toute notre histoire, nous n'avons jamais été en mesure d'avoir une politique étrangère aussi efficace qu'en ce moment. Ce n'est pas une question d'argent mais de choix. Nous pouvons nous donner les forces armées dont nous avons besoin; nous pouvons verser l'aide au développement qui est nécessaire; nous pouvons nous doter des capacités diplomatiques qu'il faut ou nous pouvons décider que nous ne voulons pas consacrer d'argent à tout cela. Personne ne devrait affirmer que nous n'en avons pas les moyens parce que tel n'est pas le cas. Il suffit simplement que le gouvernement du Canada juge que ce sont des priorités.
Le président : À ce sujet, monsieur Heinbecker, comment expliquez-vous l'absence de volonté politique?
M. Heinbecker : Cela s'explique en partie par les difficultés financières qu'a connues M. Mulroney quand il était au pouvoir. À cette époque, nous avons commencé à nous retrancher et à retirer nos forces d'Europe. La situation financière était devenue intenable et devait être corrigée. Cela a commencé à l'époque de M. Mulroney et s'est poursuivie sous M. Chrétien, même après qu'aient été assainies les finances publiques.
De plus, les Canadiens sont enclins à dire que les Américains s'en occupent et que cela ne nous concerne pas. C'est une position inacceptable de la part d'un pays comme le Canada. Nous avons une responsabilité à assumer dans le monde et nous devrions le faire, nous devrions faire notre part. Cela s'explique aussi par le fait que certains estiment que nous en faisons déjà assez. Beaucoup, au pays, se leurrent à ce sujet. Il y a, au bas de la rue, un monument sur le maintien de la paix; quand je prononçais des discours à titre d'ambassadeur du Canada à l'ONU, je demandais aux Canadiens où se situait la contribution du Canada aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. On me répondait habituellement qu'on l'ignorait. Les gens avaient entendu dire que le Canada ne s'en tirait pas aussi bien qu'auparavant et que le Canada était peut-être maintenant au troisième rang alors que nous sommes en fait au trente- huitième rang. Les gens croient que notre aide au développement est beaucoup plus importante qu'elle ne l'est dans les faits. Quand vous voyez les résultats des sondages montrant que les gens sont satisfaits de notre politique étrangère, vous comprenez qu'il faut mieux informer le public avant de lui demander s'il est satisfait de notre politique étrangère. Ça aussi, c'est un facteur.
Le leadership est un autre aspect. Quand on veut, on trouve l'argent qu'il faut. Toutefois, si l'intérêt n'y est pas ou si on ne s'intéresse que sporadiquement à la politique étrangère, les orientations du gouvernement témoigneront de ce manque d'intérêt.
Le président : J'aurais besoin de deux précisions. Monsieur Heinbecker, vous avez parlé de la nécessité d'avoir un service extérieur professionnel. Vous ne parliez pas de politisation du service extérieur mais plutôt de l'importance d'affecter des fonctionnaires aux postes d'ambassadeur, n'est-ce pas?
M. Heinbecker : C'est exact.
Le président : S'agissant de la politisation du service extérieur ou de la nomination de politiciens, diriez-vous que Washington représente un peu une anomalie, en ce sens que ce poste nécessite quelqu'un de différent?
M. Heinbecker : Je parle à la fois de la politisation et de la bureaucratisation des postes à l'étranger. Ces emplois ne tombent pas du ciel dans les mains de ceux qui sont naturellement doués pour les occuper. Parallèlement, l'expérience professionnelle est extrêmement importante, qu'il s'agisse d'un fonctionnaire du ministère des Pêches, d'un autre ministère ou du régime politique. Tant que l'intégrité du service extérieur est préservée et que la masse critique demeure, il est tout à fait logique d'aller chercher des gens qui ont une expérience, une expertise, des compétences particulières, qu'ils soient politiciens ou fonctionnaires.
Je crains plutôt qu'on en vienne à croire que ces gens sont interchangeables. Si cela se produisait, on se retrouverait sans véritable service extérieur et on se contenterait d'envoyer des représentants à l'étranger venant d'ici et de là. Plus cette tendance s'accentue, moins efficace est notre représentation à l'étranger.
Le poste de Washington doit être occupé par un professionnel. Je suis d'accord avec M. Gotlieb pour dire que c'est le seul poste à avoir toujours été assumé par des professionnels. J'ai la plus grande estime pour celui qui s'apprête à accéder à ces fonctions, mais il n'a pas l'expérience internationale qu'avait par exemple Allan Gotlieb, Michael Kergin, Ed Ritchie ou Marcel Cadieux.
Le président : Est-ce que le général John de Chastelain avait cette expérience?
M. Heinbecker : Il avait acquis une grande expérience internationale au sein du comité militaire de l'OTAN, notamment. Je lui accorderais une exemption ou une équivalence.
Le président : J'aimerais que vous apportiez une dernière précision. Monsieur Heinbecker, vous avez parlé de guerre préventive. Est-ce la même chose qu'une guerre préemptive?
M. Heinbecker : J'ai à côté de moi quelqu'un qui s'y connaît bien mieux que moi. Je tenterai néanmoins de vous expliquer la différence et il pourra compléter ma réponse. Quand il y a danger immédiat et que la seule chose raisonnable pour se défendre est de frapper de façon préemptive, on parle de guerre préemptive. Les Israéliens ont attaqué les Arabes de façon préemptiveen 1967 quand les armées arabes se sont massées à la frontière. Une guerre préventive est celle qu'on mène contre un tyran dont on croit qu'il a des armes de destruction massive et des intentions malveillantes et qu'il pourrait, un jour, s'associer à un autre malfaiteur. C'est ce qu'on appelle une guerre préventive. C'est ce qui s'est produit en Irak, cela n'avait pas été prévu et c'est illégal en vertu du droit international.
Le président : Merci de cette précision.
Le sénateur Meighen : Vous avez déjà répondu à certaines de mes questions, surtout en ce qui a trait à la professionnalisation du service extérieur. Mais je veux m'assurer de vous avoir bien compris, monsieur Heinbecker : vous avez dit qu'on évaluait chaque cas séparément et que ce n'est pas parce qu'on est un diplomate de carrière qu'on a toutes les qualités requises pour un poste en particulier.
Au sein du service extérieur, j'ai l'impression qu'on a gaspillé beaucoup d'efforts. On semble donner des affectations qui ne se fondent sur aucune logique; par exemple, quelqu'un peut avoir deux affectations en Amérique du Sud, apprendre l'espagnol et le parler couramment pour ensuite se retrouver à Kaboul.
Est-ce qu'on tente de développer des expertises régionales ou continentales et cela vous semble-t-il une bonne idée?
M. Heinbecker : Si votre service extérieur est assez grand, vous pouvez vous spécialiser davantage. C'est là le problème. D'abord, il doit y avoir des permutations de manière que les fonctionnaires puissent passer du temps à Ottawa et à l'étranger. Nous essayons de nous spécialiser dans des régions où les langues sont particulièrement difficiles et l'espagnol n'est pas considéré comme l'une des langues difficiles. Ainsi, mon ancien collègue Joseph Caron, qui est l'ambassadeur du Canada en République populaire de Chine, ne parle pas le chinois. Il a toutefois passé toute sa carrière au Japon, parle couramment le japonais et arrive à se débrouiller en chinois. Sa connaissance de la région est excellente.
On peut dire la même chose pour l'arabe. J'ai appris l'allemand, mais le problème, c'est qu'il n'est parlé qu'en Allemagne, en Autriche, dans certaines régions de la Suisse et, peut-être aussi, certaines régions de la Namibie. C'est tout. Parfois, on ne peut pas avoir le degré de spécialisation. Des gens tombent malades, les choses évoluent et il faut trouver quelqu'un qui est disponible.
Je pense que ce qu'on veut, c'est quelqu'un qui a un bon jugement, qui peut donner de sages conseils, qui a de bons talents d'analyste et de communicateur : ce sont les caractéristiques essentielles. Il faudra peut-être intégrer cette personne dans un service où ses compétences linguistiques ne cadrent pas bien, mais il pourra tout de même faire un travail acceptable et quand je dis il, je dis aussi elle puisque, en passant, le recrutement aux Affaires étrangères est à plus de 50 p. 100 féminin.
Le sénateur Meighen : En tant qu'avocat, je ne suis pas étonné. Dans les cabinets d'avocats, on voit la même chose dans le recrutement, ces temps-ci.
[Français]
Professeur Legault, malheureusement, j'ai quitté l'Université Laval quelques années avant votre arrivée. Je n'ai donc pas bénéficié, comme vous le verrez, de votre enseignement.
Si vous le permettez, j'aimerais vous poser une question sur les priorités que vous énoncez en conclusion. Vous dites que sur le plan international, le Canada doit prévoir une planification intégrée de ses opérations. Vous dites aussi, sur le plan national, que nous devons accroître le degré d'interopérabilité de nos forces aux différentes unités de combat américaines.
Voyez-vous une certaine contradiction entre ces propositions? Pouvons-nous faire les deux à la fois? Que va-t-il se produire si les Américains nous demandent de faire une chose alors qu'en même temps nous devons remplir une obligation internationale ailleurs?
M. Legault : C'est ce que j'essayais de préciser dans le petit tableau qui se trouve au document que je vous ai soumis. Il existe des tensions profondes entre la défense nationale et la sécurité nationale. La protection de la souveraineté canadienne, le NORAD et les éléments maritimes sont tous reliés à la sécurité maritime. Tellement de demandes s'exercent pour la protection de la souveraineté canadienne, à la fois sur la défense et sur la sécurité nationale, que plusieurs à Ottawa estiment qu'on ne peut pas remplir les mandats. C'est un peu la question que vous posez. Si on est déjà engagé à l'étranger, est-ce qu'on pourra répondre à des situations d'urgence ou à des situations qui concernent la sécurité nationale?
J'ai posé la même question, il y a 20 ans, au chef d'état-major. On a vu ce qui s'est produit à Oka. Si un tel scénario devait se produire à trois endroits différents au Canada, aurait-on suffisamment de troupes? Le problème est là. C'est la théorie de l'élastique. Nous étirons nos ressources au maximum. Il existe tellement de demandes qui s'exercent sur nos troupes qu'il suffirait de peu pour que l'élastique se casse.
Pour pouvoir intervenir à la fois sur un plan extérieur et sur un plan intérieur, il faut une meilleure coordination, non seulement entre les différents ministères en ce qui a trait à l'action étrangère, mais entre les différents ministères en ce qui concerne l'action intérieure ou la sécurité qu'on appelle en anglais « domestique » ou intérieure. Des problèmes se posent et une décision s'impose. À moins d'une augmentation substantielle des budgets de la défense, le Canada va se heurter à des problèmes, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur.
[Traduction]
Le sénateur Meighen : J'aimerais approfondir les choses avec M. Heinbecker. Je ne crois pas que les Canadiens comprennent bien la relation entre les Nations Unies, nos obligations et engagements à son endroit, et l'efficacité de nos ministères, non plus que le lien entre la politique étrangère et l'efficacité militaire.
Je crois que les Canadiens commencent tout juste à comprendre les subtilités de cette question. Je ne veux faire de reproches à personne, mais il me semble que les gens ne voient pas le lien. Les gens se disent que nous ne pouvons pas nous défendre nous-mêmes et que ça ne doit pas nous déranger puisque les Américains le feront de toute façon, mais ils ne réfléchissent pas davantage.
Vous avez dit avec raison, je crois, que la plupart des Canadiens estiment que pour chaque mission de maintien de la paix des Nations Unies, nous sommes au premier ou au deuxième rang pour ce qui est de la participation. Ils ne savent pas que ce n'est pas le cas.
Avez-vous des suggestions à faire pour qu'on perçoive mieux le lien entre la force militaire et l'efficacité de la politique étrangère? Si on y arrivait, il me semble que cela soutiendrait ce qui demande une amélioration des ressources pour les militaires.
M. Heinbecker : Je peux l'affirmer, mais je ne suis pas convaincu de pouvoir le prouver. Il n'y a à mon esprit aucun doute : la diplomatie sans soutien militaire tourne souvent à vide. Si nous faisons la promotion de la sécurité humaine et de la responsabilité de protéger, nous devons avoir les forces nécessaires pour concrétiser ces idées.
Je pense qu'une partie du problème vient du concept du maintien de la paix. Aux yeux de certains, le maintien de la paix est une activité à moitié civile. Pourtant, de plus en plus, surtout dernièrement, quand on envoie des forces des Nations Unies dans un pays comme la Sierra Leone ou le Libéria, elles arrivent alors qu'un conflit fait rage.
Dans l'ancienne définition du maintien de la paix, on était une force tampon entre les armées de deux nations qui étaient en guerre, mais qui voulaient mettre fin aux hostilités et il fallait éviter que des étincelles raniment le conflit. De nos jours, on met des gens au milieu d'un conflit où il peut y avoir trois parties ennemies; au Congo, à un moment donné, il y en avait 12.
Pour être efficaces, il ne sert à rien d'affirmer vouloir protéger des gens en s'avançant désarmés, comme on le pensait autrement aux Nations Unies. C'est d'ailleurs ce que les Nations Unies ont essayé de nous dire lorsque nous sommes allés en Bosnie, dans les années 90. On disait qu'on n'avait pas besoin de tout le matériel que nous avions préparé. Nous avons insisté pour apporter en Bosnie beaucoup de matériel mais aux Nations Unies, on estimait que ce n'était pas nécessaire, et que nous étions là pour représenter la communauté internationale et sa force morale. Nous avons constaté que des gens comme les Serbes se moquaient royalement de la force morale que nous étions censés représenter, mais qu'ils ne pouvaient faire abstraction des chars d'assaut et du matériel lourd.
C'est une grave méprise au sujet de la nature du maintien de la paix. S'il nous avait fallu aller au Darfour, et ça aurait pu être possible, nous aurions eu le choix de faire preuve de leadership, mais on ne peut le faire que quand on a une capacité militaire. Les diplomates ne peuvent pas sauver qui que ce soit de rebelles comme ceux qu'on voit au Darfour. Il faut des militaires qui peuvent intervenir et empêcher les bandits d'agir. Sans cette capacité, on se paie de mots. La politique étrangère n'est que déclaratoire et intangible, à mon avis.
Le sénateur Meighen : Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Parlant du Darfour, est-ce que la réforme des Nations Unies à laquelle vous avez fait allusion plus tôt comprend un meilleur mécanisme pour prendre des décisions dans une situation comme celle du Darfour ou est-ce que l'OTAN est encore la compagnie d'assurance dont vous parliez?
Par exemple, si les Nations Unies continuaient d'être perçues comme ayant les mains liées et refusaient d'intervenir, est-ce une situation dans laquelle on pourrait faire appel à notre compagnie d'assurance, l'OTAN, pour qu'elle intervienne?
M. Heinbecker : Je ne suis pas convaincu que c'est ce qu'il faudrait faire. Peut-être. C'est ce que nous avons fait au Kosovo, quand les Nations Unies étaient bloquées.
Le problème, c'est que la guerre en Irak a un peu empoisonné le climat. En effet, elle a donné à des pays comme le Soudan, avec ses politiques haineuses, la possibilité de mettre en doute les motivations des intervenants occidentaux.
Je les ai entendu dire : « Les États-Unis s'en prennent simplement à un autre pays musulman; ce n'est rien d'autre. ». « Il y a du pétrole au Soudan et c'est ça qui les motive ». À cause de ce qui s'est produit en Irak, ils peuvent avoir une certaine crédibilité auprès de personnes qui auparavant ne leur en auraient accordé aucune. On peut en dire autant de la responsabilité de protéger. On estime qu'on ne devrait pas pouvoir intervenir pour protéger, comme les États-Unis ont affirmé le faire en Irak. Après le fait, on a créé une raison humanitaire pour l'intervention en Irak. La souveraineté est l'une des rares défenses que peuvent invoquer les pays pauvres lorsqu'ils se sentent bousculés par les anciennes puissances coloniales ou par de nouvelles.
Pour répondre à votre question, on essaiera d'améliorer le processus décisionnel, mais essentiellement, c'est une question de politique : il faut savoir si les gens sont d'accord ou pas avec cette proposition.
La Chine est un pays qui résiste à l'intervention au Soudan et je pense que nous devons faire pression sur la Chine. Elle invoque la souveraineté nationale, mais nous savons qu'elle a des intérêts économiques en jeu. L'Algérie est un autre pays qui résiste à l'intervention. Le problème, c'est que nos arguments ont été sapés par la guerre préventive que les Américains ont choisi de faire en Irak.
[Français]
Le sénateur Meighen : En dernier lieu, professeur Legault, les Canadiens en général, et les Québécois en particulier, semblent être très hésitants, pour ne pas exagérer, à appuyer une augmentation des dépenses militaire. Croyez-vous que cette attitude a changé depuis quelque temps? Croyez-vous à une possibilité de changement? Pensez-vous qu'il s'agit d'un problème des politiciens à exprimer le fondement de telles décisions, d'une façon plus claire, et à faire preuve d'un certain leadership qui manque parfois?
[Traduction]
M. Legault : C'est une question difficile. Je ne pense pas qu'au Québec on soit pour une augmentation des dépenses militaires, pas plus que dans le reste du Canada. D'après le dernier sondage Gallup sur le budget, seulement 27 p. 100 des Canadiens sont en faveur d'une augmentation des dépenses militaires. Leur priorité va plutôt aux programmes sociaux, à l'environnement et à d'autres choses. La situation n'est pas bien différente au Québec, par rapport au reste du Canada.
Vous avez parlé du mythe relatif au maintien de la paix et je pense que vous avez raison. Au Québec, on trouve beaucoup de régiments francophones et on peut présumer que c'est pour cette raison que pendant longtemps on y a cru au maintien de la paix et qu'on l'a perçu comme tel.
Comme M. Heinbecker vient de le dire, le problème, c'est que nous avons eu une force de maintien de la paix observant la guerre en Bosnie et, après l'Accord de Dayton, toute une armée observant la paix. Cela fait une différence, mais il faut être conscient du problème.
Les Québécois ne sont pas anti-Américains, il sont anti-Bush. Ils s'illusionnent car la politique étrangère est une réalité complexe; particulièrement la responsabilité de protéger la population, qui sera à mon avis une partie importante du nouveau livre blanc sur la défense.
Il s'agit peut-être d'un créneau qu'il faudra mieux expliquer. Je pense que la présence de nos militaires en Afghanistan a opéré une transition au Québec. À la surprise générale, nos troupes ont fait de l'excellent travail. Évidemment, quatre de nos aéronefs ont été abattus par les Américains, mais cela n'a pas changé grand-chose à l'idée que les Québécois se font de leurs militaires, qui ont fait un travail remarquable.
Je pense qu'on n'a jamais bien expliqué à la population la notion de « premiers arrivés, premiers partis ». Nous réussissons assez bien à sécuriser les aéroports, en arrivant sur les lieux les premiers et en partant les premiers, et nous avons assez bien expliqué la mission de la GRC et d'autres corps policiers, particulièrement à Haïti.
Les Québécois ont un certain retard dans la compréhension des véritables enjeux, mais si vous leur demandiez d'aller faire la guerre, vous obtiendriez un point de vue assez différent au Québec. Les Québécois détestent la guerre, comme tout le monde, j'imagine. Vous devez faire en sorte que votre politique étrangère soit bien comprise des Québécois, ce qui dépend essentiellement de leurs dirigeants.
Le sénateur Forrestall : Je n'ai rien contre les Québécois. Il est toujours plus agréable de faire l'amour que la guerre.
Je trouve vos observations fort pertinentes. On ne cessejamais d'apprendre. Quand la population d'un pays frôlerales 2 milliards de personnes, ce que je ne verrai pas de mon vivant, pas plus que les personnes dans cette salle, plusieurs centaines de millions de gens viendront au Canada pour s'y établir et prospérer.
Cela arrivera beaucoup plus tôt que ne l'imaginent ceux qui osent envisager cette réalité. Je crois que cela arrivera avant la fin du siècle. Malheureusement, nous ne faisons pas grand-chose pour nous préparer mentalement à nous faire dire que nous devons agir immédiatement, sinon nous subirons certaines conséquences. Nous ne nous préparons pas assez sur le plan de la défense et de notre position à ce chapitre.
Par le passé, nous semblons avoir suivi les structures et les éléments de notre société qui représentaient le pouvoir. Nous semblons avoir accepté que ces éléments étaient les législateurs. Nous n'avons pas toujours eu la possibilité d'obéir à des lois que nous avions nous-mêmes adoptées. Je partage votre idée que notre politique étrangère devrait être représentée essentiellement par des professionnels à l'étranger. Quant à moi, je serais bien resté à la Barbade toute ma vie.
Si nous ne réfléchissons pas bien à cette question, nous n'aurons pas la capacité de nous préparer mentalement au jour où cela n'aura plus aucune importance car quelqu'un d'autre décidera à notre place.
Croyez-vous qu'en commençant à agir dès maintenant, nous puissions nous préparer mentalement à ce qui arrivera inévitablement dans 20 ou 30 ans? Nous vivons les dernières années de notre grande nation.
M. Legault : Oui, et nous payons très peu. Il faudra peut-être commencer par acquérir de l'équipement. Il faut investir dans de l'équipement qui durera 20 ou 30 ans, et ces dépenses d'équipement ont nettement diminué au cours des 20 dernières années, peut-être en raison de l'entêtement d'un chef politique persuadé que nous n'avions pas besoin d'hélicoptères ni de destroyers.
Il faut utiliser le langage qui saura convaincre les gens. Le premier ministre Martin a utilisé l'expression « intervention humanitaire » en Afrique, ce qui n'a pas été souligné, que je sache, où que ce soit au Canada.
Les gens devraient lire ces discours. On utilise un nouveau langage. Même avant le tsunami du 26 décembre dernier, le président de la France, Jacques Chirac, a proposé la création d'une force d'intervention humanitaire internationale au sein de l'ONU. Je suis sûr que les Québécois souscriraient à cette idée. Ils ne sont pas prêts à faire la guerre, mais ils sont prêts à faire régner la justice dans un cadre différent de celui que les États-Unis ont appliqué en Irak, si on peut parler de justice dans ce cas-là.
Il reste que la donne a changé terriblement depuisle 11 septembre, et je ne sais pas si c'est pour le mieux. L'OTAN s'attaque désormais au terrorisme, ce qu'elle ne faisait pas par le passé. L'OTAN était jusqu'ici une organisation Est- Ouest, mais elle deviendra peut-être une organisation Nord-Sud au cours des 20 prochaines années, si l'on songe à l'évolution de l'intégrisme islamique et à ce qui se passe au Moyen-Orient. Il faut trouver le juste équilibre, compte tenu de la concentration exagérée des efforts sur le terrorisme et de toutes les lois qui ont été adoptées.
La situation est tout à fait le contraire de ce qui se passe en Europe. En Europe, les frontières ont disparu. En ce qui concerne les paramètres de sécurité, la périphérie de l'Europe se situe vraiment aux limites du continent européen; tout le monde circule librement à l'intérieur de l'Europe.
Or, nous assistons au scénario inverse au Canada. Nous avons réinventé les frontières, même si, pour certains, il s'agit de« frontières intelligentes ». Est-ce parce que les États-Unis ne font nullement confiance à nos corps policiers ou à notre système d'immigration? Quelles que soient les causes de cet état de chose, les Américains mettent l'accent de façon démesurée sur cette question, ce qui empêche les gens de songer à l'avenir, comme vous le souhaiteriez.
Si nous savons trouver les bons mots, par exemple en parlant d'intervention humanitaire, cela nous aidera peut-être à préparer l'avenir.
Deuxièmement, il faut s'attaquer de front à la question de l'équipement.
M. Heinbecker : Je ne suis pas d'accord avec votre prémisse fondamentale. Sauf erreur, et je ne crois pas me tromper, la population mondiale a atteint un sommet où la croissance démographique a culminé et commence à fléchir. Je ne pense pas que le monde deviendra si surpeuplé que nous devrons faire face à des invasions non désirées.
Il faut se garder de se représenter les Chinois comme des ennemis; il serait plus avisé de considérer la Chine comme un pays avec lequel nous pouvons collaborer. La coopération nous permettra de faire bien plus de choses que la compétition et que la perception des Chinois comme des ennemis inévitables et indésirables.
On entend beaucoup de propos de ce genre à Washington, mais nous devrions nous garder d'émuler les Américains à cet égard parce que nous serions mal avisés de le faire. Les Chinois ont leurs propres problèmes; ils éprouvent les contradictions inhérentes à un système à la fois communiste et capitaliste. Je ne sais pas ce qui en ressortira, mais c'est un facteur dont il faut tenir compte.
La Chine connaît un essor économique colossal, mais jusqu'à maintenant elle a fait preuve de beaucoup de circonspection. Nous ne devrions pas la considérer comme un adversaire actuel ou futur tout simplement à cause de son immensité. Sinon, nous contribuerons à ce que nos craintes se réalisent.
Le sénateur Atkins : Pourquoi les Chinois ne se préoccupent-ils pas davantage de la Corée du Nord?
M. Heinbecker : Je crois que la Corée du Nord les préoccupe, mais personne ne sait comment réagir. Le fait que la Corée du Nord dispose de l'arme nucléaire, ou qu'elle affirme l'avoir déjà ou pouvoir l'obtenir, est sans aucun doute un problème grave.
Sauf erreur, les Nord-Coréens pourraient lancer 400 000 obus d'artillerie contre Séoul en moins d'une heure. Une intervention militaire ne serait pas simple, compte tenu des dirigeants à la tête de ce pays. Cette question préoccupe la Chine. Elle s'inquiète également de voir des pauvres traverser la frontière. Les Chinois ont leurs propres problèmes et souhaiteraient que la Corée du Nord soit dirigée par des dirigeants plus sensés, mais personne ne sait vraiment quoi faire pour y arriver.
Elle participe aux pourparlers des six puissances et se sert de l'influence qu'elle a. La situation n'est pas simple. À l'autre extrémité de la Chine, il y a Taïwan; les déclarations des Japonais et des Américains au sujet de Taïwan font réfléchir les Chinois. Ils doivent jouer sur plusieurs échiquiers à la fois. Il ne fait pas de doute que la question de la Corée du Nord inquiète les Chinois.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Je dois me rendre à seize heures au Comité des droits de la personne où, aujourd'hui, on doit examiner les relations internationales du Canada sur les conventions et le droit des personnes touchant les enfants.
J'aimerais revenir sur deux thèmes dont mes collègues ont parlé déjà : la question du leadership et de la volonté politique. Je voudrais avoir vos commentaires à ce sujet.
Dernièrement, Roméo Dallaire nous a dit que le Canada a créé des leaders et a maintenant la responsabilité d'exercer le leadership dont ces leader sont capables. Comment le Canada pourrait-il contribuer d'une façon significative à la réforme des Nations unies dont on parle — ce rapport qui sera présenté en septembre, sur la question de leadership. Est-ce que le Canada peut le faire?
Ma deuxième question porte sur la volonté politique, dont parlait le sénateur Kenny. Le sénateur Meighen a poursuivi en mentionnant la question du Québec. Est-ce que les Canadiens et les Canadiennes sont suffisamment au courant? C'est un cercle vicieux : si on a de l'information, on va avoir de l'intérêt. On n'a pas d'intérêt parce que peut- être qu'on n'est pas informé sur les conventions que le Canada signe. Comment notre comité pourrait-il faire se rejoindre la défense et le développement? Je sais que c'est une question qui en comporte plusieurs, je vais donc m'arrêter là et revenir par la suite si j'ai besoin de plus de détails.
[Traduction]
M. Heinbecker : J'aurais deux ou trois choses à dire en réponse à votre première question : comment pouvons-nous contribuer sensiblement ou efficacement à la réforme de l'ONU? Premièrement, je vous dirais que nous l'avons déjà fait. Les propositions de réforme de l'ONU s'inspirent des principes et des conclusions du rapport intitulé La responsabilité de protéger, que nous avons nous-mêmes commandé. Nous n'avons pas rédigé ce rapport, bien que nous y ayons contribué, mais nous l'avons commandé et il a maintenant des retombées majeures. Mme Anne-Marie Slaughter, doyenne de la Woodrow Wilson School à Princeton University, a dit que c'était le meilleur document de politique étrangère paru depuis 50 ans. Ce n'est pas rien.
Cela dit, l'étape suivante pour le gouvernement canadien consiste à déterminer quelles parties de la réforme de l'ONU sont les plus importantes à ses yeux, pour ensuite s'organiser et investir les ressources nécessaires pour réaliser ces réformes.
Si vous me permettez de faire rapidement un peu de publicité, j'organise une conférence sur la réforme de l'ONU au début du mois d'avril; nous tâcherons alors de déterminer très précisément ce que les gouvernements peuvent faire pour donner suite à ces recommandations et à celles qui sont issues du Projet de l'ONU pour le millénaire, dirigé par Jeffrey Sachs. Ces recommandations soulignent la nécessité de consacrer beaucoup plus d'argent à l'aide au développement.
Le gouvernement peut faire des priorités de ces questions et se servir de ses diplomates pour faire valoir le bien- fondé de ces propositions. Il y aura d'intenses négociations diplomatiques au cours des six prochains mois, jusqu'à la tenue du sommet à l'automne. Voilà donc ce que nous pouvons faire.
Vous avez évoqué l'importance de susciter la volonté politique; je ne sais pas exactement quoi vous répondre mais je vais quand même essayer. Je dirais tout d'abord qu'il existe au Canada, et particulièrement ici à Ottawa, une culture qui ne mène pas beaucoup plus loin que la période des questions.
Quand j'étais à New York, j'étais désespéré par notre incapacité à communiquer à l'échelle internationale. Je pense que nous avons le même problème à l'intérieur même du Canada.
J'étais à New York lors des attentats du 11 septembre. Je suis allé à d'innombrables services commémoratifs au nom de membres du gouvernement du Canada. Je me souviens d'une cérémonie au Yankee Stadium où l'on a projeté sur un écran géant des cérémonies qui se déroulaient parallèlement à Canberra, à Ankara et à Athènes, entre autres. La Grande-Bretagne a été mentionnée à peu près trois fois, mais il n'y a eu aucune reconnaissance du fait que 100 000 personnes s'étaient réunies sur la colline du Parlement pour exprimer leur solidarité.
Les tristes événements du 11 septembre ont donné lieu à une foule d'anecdotes remarquables. L'une des plus extraordinaires est que le gouvernement du Canada a décidé, dans les 45 minutes qui ont suivi l'écrasement du premier avion sur la première tour, de recevoir tous les vols transatlantiques et transpacifiques à destination des États-Unis qui avaient déjà décollé. C'est tout à fait extraordinaire. Nous avons hébergé les 35 000 passagers de ces quelque 200 avions. Nous ne savions pas à ce moment-là s'il y avait des terroristes à bord de ces avions. Or, les médias américains n'ont jamais publié de reportages sur cet événement. Il a été évoqué dans le numéro du 17 novembre du New York Times pour souligner le départ du correspondant qui avait écrit ce reportage. Tout ce qui intéressait le New York Times, c'était de savoir si les terroristes étaient venus du Canada. Le reportage n'a pas été diffusé à la télévision américaine.
Quand nous avons envoyé des troupes à Kandahar pour combattre aux côtés des Américains, nous n'avons même pas préparé un plan de communication. Quand nous capturions des talibans ou des membres d'al-Qaïda, peu importe de qui il s'agissait, nous commencions par nier l'avoir fait. Nous ne pouvions pas l'avoir fait puisque nous ne faisions pas ce genre de choses.
Sur le plan de notre capacité de communiquer, nous nous situons quelque part entre le Myanmar et le Vietnam. Nous ne communiquons tout simplement pas. Cela s'explique, entre autres, par le fait que l'attention des membres du cabinet de chaque ministre est rivée sur la période des questions. Que va-t-il se passer au cours de la période des questions? Qu'est-ce qui va être diffusé sur Newsworld?
Comment est-il possible que les Canadiens ne sachent pas que nous venons au 35e rang pour ce qui est du maintien de la paix. Je ne comprends pas comment les Canadiens peuvent ignorer ce fait alors qu'ils ont accès à toutes sortes de sources d'information, dont l'Internet, la télévision, la radio et les journaux. Nous pensons encore que nous venons au troisième rang. Je ne m'explique pas cette ignorance, mais vous qui avez de l'expérience politique, vous la comprenez peut-être.
Le sénateur Losier-Cool : Je trouve très pertinentes vos remarques au sujet de la période des questions parce que malheureusement, beaucoup de Canadiens se forment une opinion d'après ce qu'ils ont entendu à la période des questions.
Notre comité examine actuellement la politique de défense du Canada. Que souhaitez-vous que notre comité fasse ressortir au chapitre de la communication en matière de défense?Devrions-nous associer défense et développement et éviter le mot« terrorisme »? Les Canadiens ont peur de ce mot dérivé du mot« terreur ». Il faut peut-être envisager d'utiliser d'autres mots, examiner notre utilisation du langage, comme M. Legault l'a mentionné tout à l'heure.
Le président : J'ai trouvé l'échange entre les deux témoins tout à fait captivant. Ce que nous, les membres de ce comité, trouvons frustrant, c'est que lorsque nous adressons des recommandations au gouvernement, celui-ci y cherche une « solution », ce qui consiste pour lui à faire en sorte qu'on n'en parle plus dans les manchettes ni à la période des questions. Quand il y parvient, il estime que le problème est réglé. Il n'est pas facile de changer cette dynamique. Pourriez-vous nous conseiller à ce sujet?
M. Heinbecker : Ici et maintenant? Je préférerais avoir un peu de temps pour y réfléchir.
M. Legault : Si vous voulez attirer l'attention de la population du pays, vous n'avez qu'à reproduire ce qui s'est fait àTerre-Neuve avec l'entente sur les ressources extracôtières. Nous devrions essayer de dégager un consensus au Canada de manière à faire participer les provinces. Cela attirerait beaucoup plus d'attention et j'en reviens à la question d'intervention humanitaire. Cela s'applique à presque tous les créneaux de politique étrangère et c'est peut-être un moyen d'assumer le leadership et de mieux communiquer.
En faisant participer les provinces, vous ne mobilisez pas seulement un groupe de l'aviation ou de l'armée de terre. Vous mobilisez d'autres secteurs de responsabilité. C'est peut-être plus difficile à gérer. Je ne connais pas l'expérience du ministère des Affaires étrangères avec les provinces. Les rapports ont parfois été cahoteux, mais je pense qu'on peut les améliorer. Cela aidera peut-être le Canada car la politique étrangère est devenue extrêmement complexe.
Le président : Monsieur Legault, je pensais que vous alliez nous suggérer de mettre tous nos drapeaux en berne lors de la parution de notre rapport. De toute évidence, la défense, la politique étrangère et l'aide extérieure sont du ressort fédéral. Nous mettons beaucoup trop l'accent sur le rôle des provinces. Devrions-nous inviter les provinces à examiner les responsabilités du gouvernement fédéral?
M. Legault : Je me suis malheureusement peut-être mal exprimé. Ce que j'essayais d'expliquer, c'est que les provinces participent considérablement au développement, aux opérations policières, à la sécurité, à la lutte contre le terrorisme, et que nous devrions délimiter ce créneau avec la collaboration des provinces, au risque de ne pas obtenir les résultats escomptés.
J'ajouterais que même si nous avons de bonnes capacités, nous ne serons pas nécessairement capables d'aller en mission à un endroit donné. Nous devons avoir des options sans nécessairement être obligés d'aller au Darfour tout simplement parce que nous en avons les capacités. Voilà le problème.
La question du Grand Lac a constitué un incident très particulier du point de vue de la configuration politique. L'ancien ministre de la Défense nationale était directeur de Siocoo en Afrique; l'ambassadeur à Washington était le neveu du premier ministre. Certains, dont le général Roméo Dallaire, ont paniqué et c'est ainsi que l'opération a été montée. Elle a échoué lamentablement parce que nous avons découvert que d'autres pays avaient des visées politiques différentes, et tout l'édifice s'est effondré.
Avoir des capacités, c'est bien, mais il faut aussi avoir des options. Nous devons nous associer avec les personnes les mieux placées par rapport à l'objet de notre intervention, que ce soit en matière d'aide humanitaire ou d'aide sous une autre forme, puis bien exprimer notre message dans l'ensemble du pays, et non pas uniquement à Ottawa pendant la période des questions.Excusez-moi, je ne me suis peut-être pas bien exprimé, mais je pense que le message est clair.
Le président : Oui, le message est clair. Monsieur l'ambassadeur?
M. Heinbecker : J'aimerais répondre également. Je crois déjà avoir abordé publiquement la question. En ce qui concerne la participation des provinces et la politique étrangère, c'est au Canada qu'il faut en parler, et non pas à New York, à Paris, à Vienne ou ailleurs. Autrement dit, si nous voulons une politique étrangère plus conforme aux intérêts et aux capacités des provinces, c'est ici qu'il faut la créer et l'organiser, et non pas à l'Assemblée générale des Nations Unies. J'ai dit récemment qu'il est déjà suffisamment compliqué de faire entendre une voix canadienne au monde, sans parler de lui en faire entendre 11.
Quant à la façon de communiquer dans l'ensemble du pays, si nous avions une constitution comme celle de l'Allemagne, où le Sénat fait partie du gouvernement national et où les députés, élus dans les provinces, siègent au Parlement, on aurait une meilleure intégration. Nous avons un problème à cause de deux entités, Ottawa et les provinces, qui n'ont aucun lien organique entre elles. C'est une difficulté. La superficie du Canada est telle que seuls les messages les plus puissants peuvent se rendre jusqu'aux confins du pays.
Le sénateur Banks : Monsieur l'ambassadeur, j'aimerais parler de l'efficacité ou de l'utilité des Nations Unies. Je suis suffisamment vieux pour me souvenir d'avoir assisté à la création de l'ONU, dans laquelle le Canada avait joué un rôle assez remarquable. Je me souviens de l'espoir et de la confiance en l'avenir qu'elle avait suscités : on était certain de pouvoir empêcher certaines choses de se reproduire, et de réaliser certaines choses qui ne s'étaient jamais produites auparavant. Je dois avouer que ces espoirs ont cédé la place à un certain cynisme dans la province que j'ai l'honneur de représenter, ainsi que dans mon opinion personnelle.
De nos jours, il semble que les mesures qui ont un tant soit peu d'énergie sont prises par des organismes internationaux multilatéraux autres que l'ONU, qui est littéralement devenue un tigre de papier; vous avez vous-même évoqué la croissance exponentielle du nombre des États membres, qui serait à l'origine de sa situation actuelle.
Lorsque l'ONU a été constituée, la majorité de ses États membres étaient considérés comme faisant partie des « bons ». Nous sommes maintenant dans une situation quasi antinomique dans laquelle l'Assemblée générale des Nations Unies a porté la Libye à la présidence de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. C'est carrément grotesque.
L'histoire du Rwanda, avec l'intervention du général Dallaire, qui est désormais devenue un succès en librairie, semble indiquer que face aux situations de détresse, les Nations Unies sont impuissantes ou réticentes à intervenir, quand elles ne sont pas totalement dysfonctionnelles. On dit souvent que l'OTAN et la communauté européenne ont pris en charge les problèmes dont l'ONU s'occupait autrefois.
Pouvez-vous me convaincre et convaincre ceux qui pensent comme moi qu'il est permis d'espérer que l'ONU dispose d'un réel pouvoir?
M. Heinbecker : Oui, je crois que c'est effectivement le cas. Je commencerai en citant Henry Cabot Lodge, qui a dit en 1955 :
Cette organisation sert à nous éviter d'aller en enfer. Elle ne sert pas à nous amener au paradis.
Nous sommes dans une situation où l'ONU est considérée à la fois comme une sorte de club privé et comme une sorte d'entité indépendante. L'ONU n'est pas une entité indépendante; elle agit uniquement selon des ordres de ses membres, dont les cinq plus puissants forment le Conseil de sécurité.
Je reconnais que le Canada a joué un rôle important dans la formation des Nations Unies. Pourtant, malgré le rôle glorieux qu'il a joué dans la formation de l'ONU, on ne trouve aucune référence au Canada dans l'index de l'ouvrage de l'historien américain qui est le fils d'Arthur Schlesinger Jr.
On dit avec un certain romantisme que c'était notre âge d'or. Ce l'était effectivement, mais aux yeux des autres, nous n'avons pas forcément joué le rôle que nous pensons avoir joué.
Le sénateur Banks : Vous avez déjà dit cela dans le New York Times à propos du 11 septembre.
M. Heinbecker : C'est exact.
En ce qui concerne l'espoir et le cynisme suscités par l'ONU considérée en tant que tigre de papier, il est vrai que l'OTAN est intervenue efficacement au Kosovo ainsi qu'en Afghanistan,bien qu'a posteriori. On peut dire, en contrepartie, que l'ONU est intervenue au Timor-Oriental, en Sierra Leone, enÉthiopie-Érythrée, au Congo, en Côte d'Ivoire, au Libéria, et l'on pourrait citer encore bien d'autres pays.
L'OTAN passe beaucoup de temps à réfléchir à son rôle. Il lui a fallu un long débat avant de résoudre le dilemme entre le désir de se retirer d'une région ou d'un conflit et le risque de devenir inutile. L'une des principales difficultés de l'ONU, c'est l'existence du droit de veto, et il n'y aurait pas d'ONU sans ce droit de veto, qui peut être exercé par cinq pays. Les États-Unis l'ont exercé beaucoup plus que les autres. L'Union soviétique avait un score comparable, mais elle n'existe plus.
Le sénateur Banks : Les États-Unis qualifient souvent leur recours au droit de veto comme un rempart contre la tyrannie de la majorité.
M. Heinbecker : Non, c'est un rempart contre tout ce qui pourrait contrarier la politique étrangère américaine.
Le sénateur Banks : C'est la même chose.
M. Heinbecker : On peut interpréter la tyrannie de la majorité de cette façon. Je considère que les vetos américains sont souvent une marque d'égocentrisme.
J'ai été au Conseil de sécurité pendant six mois, et le seul pays que je n'ai pas vu invoquer le droit de veto ni menacer de l'invoquer a été la France. Elle a la bonne réputation de ne pas s'en servir et c'est elle qui a dit à la commission canadienne sur l'intervention que les membres du Conseil de sécurité devraient adopter une ordonnance d'autolimitation en vertu de laquelle le veto ne pourrait être imposé par un membre du Conseil de sécurité que dans l'intérêt de sa propre sécurité nationale, et non pas dans le but de favoriser sa politique étrangère.
Je ne vais pas justifier le fait qu'on ait confié la Commission des droits de l'homme à la Libye. Pour moi, c'est une catastrophe. Plusieurs des recommandations du rapport de haut niveau portent sur les problèmes de ce genre.
Certains préconisent la création d'une organisation des États démocratiques, mais le problème, c'est que les pays dont on voudrait s'occuper risquent de ne pas y être. Je pense qu'il est important de s'efforcer d'y inclure la Chine et certains autres pays. Néanmoins, pour ce qui est de l'extension de la démocratie à l'ONU, la Freedom House qui, à mon sens, n'est pas particulièrement teintée d'idéologie américaine, considère que de 60 à 70 États membres de l'ONU sont des démocraties, qu'il y a autant de semi-démocraties, et une soixantaine de pays, pour respecter les proportions, qui ne sont pas des démocraties. On entend dire que l'ONU est gérée par des tyrans, mais ce n'est pas le cas. Aucun pays n'y exerce une influence comparable à celle des États-Unis. Ce sont les Américains qui en tirent le plus grand profit. Il n'y aura pas de gouvernement mondial. On ne peut espérer qu'une amélioration marginale et progressive du fonctionnement de l'ONU.
J'aimerais dire un mot du programme Pétrole contre nourriture; c'est une chose à laquelle certains ont déjà dû penser. On reproche le programme Pétrole contre nourriture à l'ONU, qui en a assuré le secrétariat, et on formule ces reproches à Washington, pour des motifs politiques. Je peux en apporter la preuve.
Le programme Pétrole contre nourriture a été mis en œuvre pour répondre à la situation qui a découlé des sanctions imposées à l'Irak, qui ont porté fruits, comme on le sait aujourd'hui et comme on le pensait à l'époque. Néanmoins, elles ont aussi coûté très cher au plan humanitaire. On a voulu trouver une solution pour envoyer de la nourriture et des médicaments en Irak, et pour en obtenir paiement, on a permis à l'Irak, qui regorge de pétrole, de vendre du pétrole.
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont examiné tous les contrats qui ont été passés, sans exception, et les États-Unis sont le pays qui s'est opposé au plus grand nombre de contrats. Voilà un premier point.
Deuxièmement, parlons des exportations irakiennes de pétrole. Ces exportations ne faisaient pas partie du programme Pétrole contre nourriture qui, par définition, ne comportait aucune contrebande. Le pétrole n'a pas été exporté à dos d'âne par des sentiers de montagnes. Il a été transporté par camions et par pipelines. Tout cela s'est fait avec la connivence des États-Unis et de tous les autres. C'était un secret de polichinelle, qui n'a fait l'objet d'aucune conspiration.
Les deux pays qui avaient le plus besoin de ce pétrole étaient la Jordanie et la Turquie. Lors de l'invasion de l'Irak en 1991, la Turquie était, après l'Irak et sans doute le Koweït, le pays qui a subi les plus lourdes pertes. Elle était du côté des alliés; elle a participé aux opérations militaires. La Turquie a perdu ses revenus touristiques, son principal marché en Irak et ses approvisionnements en pétrole. De son propre aveu, elle aurait perdu de 30 à 50 milliards de dollars. La communauté internationale aurait dû régulariser la situation, mais elle ne l'a pas fait. Il y avait de toute évidence des gens qui savaient où allait ce pétrole; il arrivait en Turquie par le port de Ceyhan d'où il repartait ensuite, acheté par des gens comme Marc Rich et d'autres, auquel le président Clinton a accordé son pardon, puis il était revendu. Il y a un problème aux Nations Unies. La Commission Volker a fait des constatations concernant Benon Sevan mais elle n'a constaté aucune culpabilité financière personnelle, bien qu'elle ait mentionné un conflit d'intérêts grave et prolongé.
Pour placer les choses en perspective, la Coalition Provisional Authority des États-Unis a perdu à la même époque neuf milliards de dollars en argent irakien alors même que les États-Unis gouvernaient l'Irak. L'ambassadeur Paul L. Bremmer a reçu la médaille d'honneur pour ses états de service et il a expliqué la perte des neuf milliards de dollars en disant qu'il était très difficile d'administrer le pays dans les circonstances. S'il se figure que c'était difficile de son temps, il aurait dû essayer de l'administrer du temps de Saddam Hussein. Or, on ne trouve pratiquement rien à lire sur ce sujet.
Ce que l'on constate, c'est une attaque de la droite américaine contre les Nations Unies pour des motifs politiques; quelle qu'en soit la raison, la droite américaine considère que l'ONU fait obstacle à la politique étrangère américaine et elle s'efforce de rabaisser l'ONU et son secrétaire général.
Si le fils du secrétaire général s'est rendu coupable d'inconduite, on finira par le savoir et je ne sais pas comment la communauté mondiale réagira, selon que le secrétaire général soit impliqué dans l'affaire ou non. S'il n'y est pas impliqué, je suppose qu'on ne l'en tiendra pas responsable.
Certains prétendent que c'est un problème spécifique aux Nations Unies, alors qu'on a vu comment les États-Unis avaient administré en Irak; je pense que c'est bien la preuve qu'il s'agit là d'une opération politique.
Le sénateur Banks : Monsieur Legault, le Canada doit-il continuer à adhérer à l'ONU et à espérer en l'ONU? Est-ce que c'est dans notre intérêt national?
M. Legault : Je considère que l'ONU est incontournable. Voilà le problème. On a tout essayé. Je ne connais aucun organisme multilatéral dont le Canada ne soit pas membre. Il s'agit de savoir lequel est le plus efficace et les Nations Unies, malgré leurs échecs et malgré leurs faiblesses, restent a priori le meilleur endroit où le Canada puisse exercer son influence dans le monde entier, à condition, naturellement, qu'il soit légalement autorisé à le faire.
M. Heinbecker a parlé du rapport Volker. Les réactions des journaux américains au rapport Volker sont très mitigées. Certains se tournent de nouveau vers les Nations Unies et se disent favorables au renforcement de l'organisation, tandis que d'autres persistent à penser que l'ONU est très inefficace. Seul l'avenir nous dira ce qu'il en est. Le problème, évidemment, c'est que l'Irak a empoisonné le climat, comme vous venez de le dire, mais il pourrait y avoir à l'avenir d'autres régions où l'ONU interviendra avec un appui légitime de la communauté mondiale. Il est trop tôt pour se prononcer sur l'avenir de l'ONU, mais je crois qu'elle a un avenir.
Le sénateur Atkins : Monsieur Heinbecker, vous n'avez pas parlé de l'équipe des inspecteurs de l'ONU. Vous étiez à New York à l'époque. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la procédure appliquée par cette équipe.
M. Heinbecker : Est-ce que vous parlez de l'inspection des armements?
Le sénateur Atkins : Oui.
Nous savons parfaitement aujourd'hui que l'inspection des armements et les sanctions ont porté fruits. On a entendu dire que ce n'était qu'une bande d'inspecteurs Clouseau dans un pays grand comme la Californie et qu'ils étaient incapables de trouver ou de faire quoi que ce soit; il y a eu ensuite une période pendant laquelle 1 600 inspecteurs américains ont eu carte blanche pour visiter tout l'Irak, et ils n'ont rien trouvé. Ils n'ont pas davantage été capables d'établir quelque lien que ce soit entre al-Qaïda et le gouvernement irakien, malgré ce que la grande majorité des électeurs américains semblent croire.
Le système d'inspection des armements a fonctionné efficacement et dans un monde rationnel, nous pourrions nous dire qu'il constitue un extraordinaire outil de politique étrangère : l'ONU a cette capacité d'inspection et nous pouvons nous en servir pour envoyer des inspecteurs dans des endroits qui nous inquiètent. C'est même une idée dont Hans Blicks, qui a été inspecteur des armements, s'efforce de faire la promotion. L'ONU a cette capacité d'effectuer des inspections, qui pourrait servir dans d'autres circonstances.
À mon avis, nous avons eu la preuve de la réussite des Nations Unies. Alors que certains persistent à dire que les Nations Unies ne réussissent jamais, elles ont réussi brillamment sur le terrain de l'inspection des armements. Elles ont obtenu des résultats.
Le sénateur Atkins : Cependant, on ne semble pas leur en attribuer le crédit.
M. Heinbecker : Non, parce qu'elles ont été vigoureusement discréditées par l'administration américaine, qui ne voulait pas que les inspecteurs fassent obstacle à la décision déjà prise d'attaquer l'Irak.
Le sénateur Banks : Qui avait raison?
M. Heinbecker : Les inspecteurs avaient raison. À mon avis, cela ne fait aucun doute.
Le sénateur Atkins : Monsieur Legault, vous avez mentionné le nom de John Holmes, une personnalité remarquable, qui a parfaitement servi notre pays pendant son mandat.
M. Legault : C'était un multilatéraliste convaincu et il croyait en ce qu'il faisait.
Le sénateur Meighen : En ce qui concerne l'exercice du droit de veto au Conseil de sécurité, avez-vous effectivement dit que la France avait demandé que ce droit de veto ne puisse s'exercer que dans l'intérêt national de l'État qui l'invoque, et non dans l'intérêt de sa politique étrangère?
M. Heinbecker : En fait, c'est dans l'intérêt de sa sécurité nationale.
Le sénateur Meighen : Quelle différence faites-vous entre les deux?
M. Heinbecker : Cela signifie que les États-Unis peuvent exercer leur droit de veto en cas de menaces contre les États-Unis, mais pas nécessairement en cas de menaces contre l'un de leurs alliés. C'est une différence fondamentale.
Le sénateur Meighen : L'actuel président nous dit que l'Irak menaçait les États-Unis.
M. Heinbecker : Les États-Unis n'ont opposé leur veto à rien; ils essayaient de faire bouger le Conseil de sécurité. C'étaient les autres qui disaient cela. Vous pouvez avancer que la menace qu'agitait la France d'user de son droit de veto n'était pas compatible avec la proposition qu'elle avait faite, à savoir, que l'on n'y a recours que lorsque sa propre sécurité nationale est en jeu.
Cependant, je ne sais pas si j'ai répondu à la question ou non.
Le sénateur Meighen : Eh bien, je crois que si l'on met côte à côte l'intérêt de la sécurité nationale et l'intérêt de la politique étrangère, je peux voir que les deux se rejoignent.
M. Heinbecker : Oui, mais ce qu'elle essaie de dire, c'est qu'il ne faut pas engager les alliés passés, présents ou futurs. Prenons un exemple neutre; les Russes menaçaient d'opposer leur veto à toute action au Kosovo du fait de leur relation particulière avec les Serbes. Cela ne répondait pas à l'intérêt national russe, mais la Russie a quand même agi dans ce sens, et d'autres pourraient vous dire que les États-Unis ont souvent fait cela, et qu'en fait, ils font tout le temps cela pour Israël.
Le sénateur Stollery : Comme on sait, Dean Atchison s'est opposé à l'installation des Nations Unies à New York jusqu'au jour où Rockefeller a fait don du terrain pour les immeubles. Si les États-Unis deviennent aussi hostiles aux Nations Unies, je suis d'accord avec la substance de votre réponse, est-ce que les Nations Unies vont quitter New York comme le souhaitait Dean Atchison au début?
M. Heinbecker : Quelques rares néo-conservateurs américains le souhaitent encore. Je ne sais pas, cela coûterait très cher de déplacer les Nations Unies. Il y a un pays qui les accueillerait tout de suite, et c'est le Canada; il y a des gens à Montréal aussi bien qu'à Toronto qui aimeraient bien que ça arrive. Les Suisses ne feraient aucune objection si les Nations Unies se déplaçaient à Genève, et les Allemands seraient heureux de les accueillir à Bonn, donc on ne manquerait pas de pays candidats. Cependant, je crois qu'il est bon que les Nations Unies soient à New York parce que c'est le centre mondial des communications, et c'est une façon de communiquer avec les Américains qui va plus loin que ce que le gouvernement américain dit. Il y a une valeur intrinsèque à la présence des Nations Unies à New York, et je ne peux pas imaginer de déménagement à moins que la vie devienne très désagréable dans cette ville.
Le sénateur Stollery : Je n'arrive jamais à me souvenir du nom de la mesure qu'on a prise au cours de la guerre de Corée, cette disposition relative au vote majoritaire. Elle porte un nom.
M. Heinbecker : Elle s'intitule « S'unir pour la paix », et il s'agit de la résolution 377.
Le sénateur Stollery : Pourquoi n'utilise-t-on pas cette résolution très souvent?
M. Heinbecker : En ce qui concerne le Kosovo, le Canada siégeait au Conseil de sécurité au moment où l'intervention au Kosovo a eu lieu. Nous occupions la présidence pendant le mois en question, et nous pouvions établir le calendrier des travaux. Mais Lloyd Axworthy s'est rendu à New York à trois reprises. Nous avons sondé nos alliés et nos amis à propos de la résolution S'unir pour la paix, et au bout du compte, nous avons décidé de ne pas y recourir.
Aurions-nous dû le faire? Je crois qu'à son avis, nous aurions probablement dû le faire. Nous ne l'avons pas fait pour deux raisons : premièrement, la Serbie était un pays membre fondateur du mouvement non aligné, et nous ne savions pas quelle était la profondeur de ses appuis au sein de l'Assemblée générale; et, deuxièmement, il y avait le risque qu'on obtienne une décision que nous n'approuvions pas totalement, ou qu'il faille beaucoup de temps pour obtenir la bonne décision, et pendant tout ce temps, des gens se feraient tuer et expulser, et les opérations de nettoyage ethnique se poursuivraient.
Certains pensaient qu'ils avaient le statut juridique voulu pour agir, mais cela n'aurait pas été le cas si la question avait été mise aux voix au Conseil de sécurité et qu'un pays avait opposé son veto. En vertu du règlement, la résolution aurait été rejetée. Il aurait été alors établi clairement que l'intervention était illégale, et certains de nos membres ne voulaient pas faire cela.
Il fallait également prendre en compte les intérêts des membres permanents qui n'aiment pas que l'on contourne le principe du veto. Ils étaient contre en partie pour cette raison. Ils ne voulaient pas voir leur droit de veto affaibli.
En somme, on ne fait pas cela parce que c'est difficile à faire; il est difficile de prédire le résultat, et cela arrive souvent dans des cas urgents, où on ne veut pas prendre le temps de voir comment tout cela va se dérouler.
Le sénateur Stollery : Le recours à la résolution S'unir pour la paix semble être l'un des moyens dont on peut se servir pour contourner le veto parce que les Nations Unies ne pourront jamais agir tant et aussi longtemps que le droit de veto existera.
M. Legault : La résolution S'unir pour la paix n'a fait que reporter une question à l'Assemblée générale. La résolution ne peut pas être utilisée pour établir la paix et la sécurité; on ne peut ainsi que faire une recommandation, à savoir aux États-Unis, ce qui nous ramène au problème que nous avions, ou au secrétaire général des Nations Unies, et c'est ce que nous avons faiten 1956 à l'époque de la crise de Suez où le secrétaire général s'était retrouvé avec deux problèmes juridiques. Le secrétaire général devait décider quoi faire parce qu'il avait besoin du consentement du pays hôte. C'est ainsi qu'est né le concept de l'accord du pays hôte. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu de forces canadiennes en Israël parce qu'ils nous ont dit non. C'est le premier problème juridique.
Le second problème, c'est qu'il faut conclure entre le secrétaire général, sur la foi d'une recommandation, un accord avec le pays hôte et les pays participants qui garantit à chaque pays qu'ils peuvent profiter de la Convention de 1948 sur l'immunité diplomatique. La boucle est bouclée, et cette question n'a pas arrangé les choses.
M. Heinbecker : On a ainsi décidé que les Nations Unies n'agiront jamais efficacement. L'UNICEF a immunisé575 millions d'enfants contre les maladies infantiles. Le Programme alimentaire mondial a nourri 100 millions de personnes l'an dernier. Le haut-commissaire aux réfugiés des Nations Unies a fourni un abri à 22 millions de réfugiés et de personnes déplacées. Le Service de l'action anti-mines a détruit 30,5 millions de mines terrestres et épargné la mutilation à un nombre incalculable de personnes.
Certains disent que les Nations Unies ne pourront jamais agir efficacement, mais le fait est que les Nations Unies abattent un travail énorme dont les gens ne sont pas conscients, et c'est la raison pour laquelle je tenais à le dire publiquement.
Le vice-président : Au nom du comité, nous vous remercions pour votre témoignage. Vos informations nous seront utiles. J'ai la certitude qu'elles nous aideront dans notre examen des besoins du Canada en matière de défense. Merci d'être venus, je vous assure que votre concours est très apprécié.
Le président : Nous recevons aujourd'hui le vice-amiral Greg Jarvis. Il est sous-ministre adjoint aux ressources humaines dans les Forces canadiennes. Il s'est enrôlé en 1971 à titre d'officier responsable de la logistique navale. Il a été nommé contrôleur du commandement maritime en 1992. Il a été promu commodore en 1994 et est devenu directeur général des services financiers au quartier général de la Défense nationale. En 1996, il a été promu contre-amiral et nommé directeur général des finances et contrôleur du ministère de la Défense nationale. En décembre 2000, il a été promu vice-amiral. Avant de prendre ses fonctions de sous-ministre adjoint aux ressources humaines, début 2004, il a été affecté au Conference Board du Canada où il étudiait les meilleures pratiques en gestion des ressources humaines.
Le vice-amiral Jarvis est diplômé du Collège de la Défense nationale de Kingston et du programme pour cadres de l'Université Queens.
Veuillez nous faire votre exposé, s'il vous plaît.
Vice-amiral Greg Jarvis, sous-ministre adjoint (Ressources humaines — Militaires), Défense nationale : Je suis très heureux de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous parler de certains problèmes importants qui se posent en matière de ressources humaines aux Forces canadiennes. Je serai heureux de vous répondre à titre de sous-ministre adjoint responsable des ressources humaines-militaires, mais je tiens à faire d'entrée de jeu quelques observations concernant le groupe des ressources humaines-militaires afin d'expliquer notre rôle, les difficultés qui se posent à nous, et de vous dire ce que nous faisons pour remédier à ces difficultés.
Le groupe des ressources humaines-militaires offre un vaste éventail de programmes, de politiques et de services qui permettent aux Forces canadiennes de remplir leur mission. Mentionnons notamment le recrutement, l'éducation et la formation, la politique relative aux ressources humaines et la planification, la gestion de carrière, la rémunération et les avantages sociaux, les services spirituels, les services de soins de santé, y compris la mise sur pied de services de santé pour les opérations de déploiement, les programmes de qualité de vie, les programmes de soutien au personnel et aux familles, l'histoire et le patrimoine ainsi que le programme de règlement extrajudiciaire de conflits. Les activités relatives aux ressources humaines sont hautement interreliées, et tout changement aux programmes et aux politiques dans un domaine aura invariablement une incidence sur d'autres. En tout et pour tout, le groupe est composé de quelque 12 600 personnes vouées corps et âme à leurs tâches, dont 7 000 sont des militaires, y compris un corps d'étudiants et de recrues de quelque 5 000 personnes.
Comme vous avez entendu mes collègues le dire, nous évoluons dans un environnement de sécurité en pleine évolution. Le rythme opérationnel et personnel continue d'être élevé. Nous devons composer avec de nombreuses difficultés, notamment pour maintenir notre capacité actuelle, pour nous transformer et croître, et pour faire en sorte que les Forces canadiennes continuent d'être pertinentes pour les citoyens canadiens.
Au cours des dernières années, le plan stratégique d'admission ou de recrutement a été conçu pour permettre aux Forces canadiennes de se relever des effets du programme de compression des effectifs survenu dans les années 90, d'atténuer la pression d'un rythme opérationnel très élevé et de réduire l'attrition causée par le départ de la première vague de baby-boomers. Ces dernières années, sur le plan du recrutement, nous avons connu des succès notables, puisque nous avons atteint presque 99 p. 100 de notre cible pour la force régulière. Cela est attribuable à diverses initiatives comme le passage du recrutement juste à temps au recrutement en temps quasi réel.
Nous avons en outre réduit le temps de traitement des dossiers des nouvelles recrues, qui est passé de 60 jours à 35 jours dans le cas des candidats n'ayant pas de problèmes médicaux et ne présentant pas de risques pour la sécurité. De plus, nous avons instauré les tests d'aptitudes électroniques et nous sommes en train d'élaborer des capacités de recrutement électronique pour permettre aux candidats de suivre leur dossier par Internet. Afin d'être plus représentatifs de la société canadienne, nous avons mis au point des initiatives de recrutement favorisant la diversité, si bien que les femmes, les Autochtones et les minorités visibles représentent désormais, plus que jamais, un plus grand pourcentage de notre effectif total, et notre objectif est d'améliorer cette représentation.
En dépit de nos efforts de recrutement qui ont été couronnés de succès, un certain nombre de professions continuent d'êtresous-dotées, notamment la santé, le génie technique et l'aviation. La concurrence que nous livre le secteur privé pour du personnel hautement qualifié continue d'être vive. Nous avons mis au point ou sommes en train de mettre au point diverses initiatives pour améliorer notre recrutement et continuer d'être concurrentiels. Ainsi, nous subventionnons l'éducation, assumons les frais d'inscription et offrons d'autres mesures d'incitation.
Comme vous le savez, le gouvernement a l'intention d'accroître la taille des Forces canadiennes en rehaussant de 5 000 le nombre de militaires réguliers et de 3 000 le nombre de réservistes au cours des cinq ou six prochaines années. Pour gérer cette augmentation, nous devrons nous pencher sur les questions ayant trait à la planification des effectifs à court et à long terme pour faire en sorte que notre système d'instruction puisse répondre aux exigences de l'instruction de base et avancée.
Au cours des dernières années, notre capacité d'instruction a dû s'adapter au flux considérable de nouvelles recrues, et nous devrons continuer de nous adapter à l'avenir. Pour gérer ce flux de recrues, nous avons alloué davantage de ressources à l'instruction afin d'alléger quelque peu les pressions existantes. Pour réduire davantage les pressions, nous avons entrepris des initiatives comme l'instruction par ordinateur et l'apprentissage à distance.
Notre centre d'instruction et d'éducation post-recrutement a mis au point des cours d'instruction et de formation et des affectations innovatrices pour faire en sorte que nous puissions profiter de toute occasion de perfectionner davantage nos effectifs avant même qu'ils ne commencent la première étape de leur formation professionnelle.
Nous sommes également en train de mettre en œuvre un concept de campus dans notre centre de formation de soutien principal à la BFC Borden afin de parvenir à une meilleure intégration des ressources et une optimisation de l'horaire des instructeurs et de l'utilisation des installations.
Une fois le recrutement et l'instruction des membres des Forces canadiennes terminés, un des prochains défis pour nous sera de les maintenir en poste. Dans l'ensemble, l'attrition ne constitue pas un problème pour le moment. En effet, le taux est resté constant au cours des cinq dernières années, se situant en moyenne légèrement au-dessus de 6 p. 100 des forces régulières. Les départs volontaires sont restés inférieurs à 4 p. 100 au cours des trois dernières années, ce qui fait l'envie de bon nombre de nos alliés. Cela étant, l'attrition dans certaines professions, notamment dans les domaines médical et technique, continue d'être préoccupante. Afin de mieux surveiller et gérer l'attrition globale, nous avons conçu et mis en œuvre un processus d'intervention pour maintenir en poste les effectifs qui nous permet de cerner les problèmes entourant l'attrition dans des professions militaires spécifiques.
Une autre source de préoccupation est le fait que nous avons un nombre considérable de personnes qui sont proches du jalon des 20 ans, soit à la fin de ce que nous appelons « l'engagement intermédiaire », où on peut prendre sa retraite en jouissant d'une pension immédiate. Pour atténuer certaines de ces pressions, nous mettrons en œuvre dès le 1er avril de cette année un nouveau programme relatif aux conditions de service. Ce programme changera la durée de l'engagement intermédiaire pour la faire passer de 20 à 25 ans, ce qui nous permettra de conserver l'expertise de nos effectifs, d'obtenir un meilleur rendement sur les investissements que nous avons faits dans l'instruction et l'éducation des effectifs et d'accroître la sécurité d'emploi pour nos membres. Nous nous employons également à préserver l'expérience précieuse de nos membres chevronnés en prolongeant l'âge de la retraite de 55 à 65 ans. À une époque où les carrières sont nombreuses à être de courte durée, nous travaillons à faire des Forces canadiennes un choix attrayant pour ceux qui envisagent une carrière à long terme.
Un des principaux facteurs ayant une incidence sur le maintien en poste de nos effectifs est la qualité de vie que nous sommes en mesure d'offrir à nos membres et à leurs familles. Il s'agit là d'une grande priorité pour les dirigeants des Forces canadiennes. Le Canada est en train de changer, de même que ses valeurs, ses attentes et les besoins de nos membres. C'est pourquoi nous avons consacré efforts et ressources considérables à l'amélioration de la qualité de vie militaire depuis le dépôt en 1998 du rapport du Comité permanent de la défense et des anciens combattants. Sur les 89 recommandations du comité, 66 ont déjà été mises en œuvre et nous continuons de travailler sur les autres.
Des améliorations notables ont été apportées dans de nombreux domaines ayant une incidence sur la qualité de vie des membres des Forces canadiennes et leurs familles : solde et avantages sociaux, besoins des familles, logement et soins aux blessés, pour ne citer que quelques exemples. Je ne vais pas énumérer toutes les améliorations, mais vous trouverez d'autres exemples dans le document remis au comité.
Cela étant, une des difficultés avec lesquelles nous continuons d'être aux prises concerne le temps que nos membres doivent passer loin de chez eux. Les divers déploiements dans le cadre d'opérations internationales et nationales, d'une part, et les activités de formation et de perfectionnement professionnels, d'autre part, augmentent le temps passé loin de chez soi et font accélérer la cadence de chacun. Des travaux de recherche en cours dans ce domaine visent à recenser les diverses incidences sur nos membres et leurs familles des absences, selon leurs durées. Nous savons que passer trop de temps loin de chez soi n'est pas sain, mais être déployé pour une période très courte est également une source de frustration, car nos membres se joignent typiquement à l'armée pour participer à des opérations et voyager. Notre politique actuelle stipule qu'un membre doit passer au moins une année chez lui entre deux grands déploiements et qu'il n'y ait pas de séparation avec la famille pendant les 60 premiers jours suivant le retour d'un déploiement.
Les soins de santé constituent un autre aspect de la qualité de vie sur lequel nous continuons de mettre l'accent. Nos membres doivent pouvoir compter sur les meilleurs soins de santé possible, peu importe où ils exercent leurs fonctions. Comme vous le savez, il incombe aux Forces canadiennes de fournir des soins de santé à ses membres, et s'acquitter de cette responsabilité n'est pas chose facile. En effet, la facture totale des soins de santé à l'échelle du pays augmente considérablement, et nous ne sommes pas à l'abri de cette réalité. De plus, la compétition est vive pour un petit réservoir de professionnels des soins de santé clinique au Canada. Notre rythme opérationnel élevé a augmenté notre dépendance à l'égard de travailleurs de soins de santé civils et de notre force de réserve pour combler les lacunes en matière de prestation de soins de santé professionnels aux opérations de soutien. Nos cliniciens doivent constamment composer avec la nécessité de mettre à jour leurs compétences, mais souvent, les autres obligations militaires et les diverses normes et conditions de reconnaissance professionnelle imposées par les systèmes de soins de santé provinciaux rendent la tâche difficile.
Une des autres difficultés se rapporte aux besoins en soins de santé des familles militaires. En raison des déménagements obligatoires fréquents, ces familles sont constamment à la recherche de nouveaux médecins de famille. Cela s'avère difficile dans les collectivités où se trouvent bon nombre de bases des Forces canadiennes. Bien qu'il ne soit de notre ressort ou de notre capacité de fournir des soins de santé pour les familles de nos membres, nous savons fort bien qu'une famille bien prise en charge améliore le mieux-être et l'efficacité des membres de nos Forces canadiennes.
Il est essentiel que nous fassions en continu un examen de notre régime de rémunération, dans la mesure où nous voulons recruter, motiver et retenir le nombre optimal de soldats, de marins et de personnel aérien dotés du bon éventail de compétences. Je me réjouis d'ailleurs de constater à quel point le gouvernement valorise les contributions et les sacrifices de nos membres.
Depuis 1996, la solde des officiers et des sous-officiers a augmenté de 49 p. 100. Le salaire que nous offrons est en grande partie compétitif, équitable et juste, et il ne constitue plus désormais d'irritants importants, à quelques détails près. Nous examinons également nos allocations, pour nous assurer qu'elles constituent une reconnaissance financière appropriée pour ceux d'entre nos membres qui participent à des opérations d'exception dans des lieux isolés et qui offrent des compétences de nature particulière. Nous examinons également notre politique maîtresse ainsi que nos programmes de soins médicaux et de soins dentaires pour nous assurer qu'ils répondent aux besoins de nos membres.
Nous avons lancé une initiative d'envergure, visant la modernisation de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, afin qu'elle reflète les objectifs évolutifs de la gestion des ressources humaines du ministère et ceux des forces armées et afin que nos membres aient une meilleure prise sur leur planification financière et leurs décisions en matière de retraite. Les nouvelles dispositions rendront le régime de pension actuel comparable à celui de la Gendarmerie royale du Canada et de la fonction publique, et s'appliqueront aussi aux réservistes. Ce régime de pension continuera à reconnaître la nature unique des services militaires en permettant un accès précoce à la pension immédiate.
L'engagement et les investissements consentis par la Défense nationale et les Forces canadiennes dans les ressources humaines du secteur militaire des dernières années nous ont permis de relever bon nombre de nos défis en matière d'effectif. Ils nous ont donné des conditions de planification plus stables et durables, ainsi qu'une marge de manœuvre accrue pour réagir devant certaines des pressions en matière de ressources humaines qui s'exerçaient sur nous. Il nous reste encore beaucoup à faire pour nous préparer à relever les défis futurs et pour que nous puissions nous acquitter des engagements opérationnels.
Le sénateur Meighen : Bienvenue, vice-amiral Jarvis, et merci de votre exposé. Nous avons tous beaucoup de questions à vous poser, mais j'ai le plaisir d'être le premier à le faire. Je voudrais aborder la question du recrutement qui se pose, comme vous pouvez vous l'imaginer, chaque fois que nous visitons des bases.
J'étais ravi de vous entendre dire que vous aviez réduit la durée du recrutement de 60 à 35 jours pour les candidats qui n'ont pas de problèmes médicaux ou de sécurité. Vous avez également introduit d'autres mesures encourageantes.
Je sais bien qu'il faut toujours attendre avant de recevoir une réponse et qu'il y en aura toujours pour se plaindre. Le plus souvent, les gens nous disent qu'on a accepté avec grand plaisir leur candidature, mais qu'ils n'ont plus rien entendu par la suite. Ils se demandent alors si les forces armées veulent encore d'eux.
Les mesures que vous avez introduites permettront-elles de réduire le délai? Pensez-vous que c'est déjà fait?
Vous dites que le délai n'est que de 35 jours pour les candidats sans problèmes médicaux ou de sécurité. Je croyais avoir compris que tous les candidats devaient satisfaire d'abord à un examen médical. D'ailleurs, l'un des problèmes dont on entend parler le plus souvent, c'est la difficulté qu'il y a d'obtenir un rendez-vous auprès d'un médecin. Une fois que vous aurez répondu, j'aborderai la question de la sous-traitance et des services médicaux.
Vam Jarvis : Nous avons enjoint le commandant du groupe de recrutement de lancer un examen complet de nos politiques et procédures de traitement des candidatures. Cette directive a donné lieu à toute une série de mesures que nous espérons pouvoir instaurer à court et à long terme.
Revenons à votre question précise sur les aspects médicaux : si, lors d'un premier rendez-vous, l'adjoint au médecin du centre de recrutement estime qu'il n'est nullement nécessaire pour le candidat d'aller subir un autre examen chez un spécialiste ou encore de faire confirmer un trouble médical déjà présent, nous traiterons la demande d'enrôlement. D'ailleurs, il y a très peu de risques que des problèmes surgissent lorsqu'un médecin militaire examine plus à fond la candidature, dans le cadre de ce que nous appelons la partie 3. C'est le risque que nous assumons. Autrement dit, nous espérons qu'à l'avenir, l'examen médical ne constituera plus un obstacle, puisque l'examen initial sera fait par un adjoint au médecin et qu'il ne faudra plus nécessairement attendre les résultats de l'évaluation par le médecin militaire.
Le sénateur Meighen : Mais si, malgré ces bonnes intentions, vous aviez tort et qu'un problème médical surgit, que feriez-vous?
Vam Jarvis : Si un problème médical surgit et que l'adjoint du médecin n'est pas sûr que le candidat répond aux principes de l'universalité du service auxquels doivent adhérer tous les militaires, le candidat en question devra être vu par un médecin militaire.
Le sénateur Meighen : Et tant que vous n'aurez pas de confirmation, vous n'accepterez pas le candidat?
Vam Jarvis : C'est exact.
Le sénateur Meighen : Et s'il n'y a aucun problème apparent lors du premier examen? Dois-je comprendre que vous les acceptez sous réserve d'une vérification ultérieure?
Vam Jarvis : Oui.
Le sénateur Meighen : Doivent-ils signer une libération?
Vam Jarvis : Les candidats signerons une libération reconnaissant que si quelque information subséquente surgit dans le cadre de la partie 3, la situation aura changé.
Le sénateur Meighen : Beaucoup de gens se sont plaint de la notion de la diversification des modes de prestation de services. Cette notion donne-t-elle de bons résultats à votre avis, et particulièrement dans le secteur médical? Ou reste-t- il encore plusieurs problèmes sérieux à résoudre?
Vam Jarvis : À mon avis, elle donne de très bons résultats. D'ailleurs, je la considère indispensable étant donné la pénurie de professionnels de la santé en uniforme aujourd'hui. Ainsi, nous n'avons actuellement que la moitié des médecins militaires ayant le rang de capitaine en uniforme, c'est-à-dire ceux qui assument la majeure partie de nos engagements opérationnels à l'étranger. Ainsi, si nous ne pouvions sous-traiter les services de professionnels de la santé pour combler nos besoins au pays ou dans les garnisons, nous serions incapables de fournir les soins de santé dont nos membres ont besoin sur le front intérieur.
Le programme me semble donner d'assez bons résultats. Vous savez sans doute que nous avons fait un nouvel appel d'offres et que nous avons maintenant un nouveau fournisseur de services, le groupe Calion. Les premiers commentaires sont très positifs, et les résultats sont bons.
Le sénateur Meighen : Vous dites qu'il vous faudrait deux fois plus de médecins.
Vam Jarvis : Oui, nous avons la moitié de ce qu'il nous faut en uniforme.
Le sénateur Meighen : Que faites-vous pour redresser la situation?
Vam Jarvis : C'est un défi permanent, comme je le disais plus tôt.
Le sénateur Meighen : Est-ce que vous parlez ici d'un métier soumis au stress?
Vam Jarvis : Certainement.
Le sénateur Meighen : Vous pourriez peut-être nous parler de ce métier et des autres métiers soumis au stress.
Vam Jarvis : Il s'agit là de métiers ou d'occupations qui sont à 10 p. 100 ou plus en deçà du niveau de dotation que nous préférerions avoir, c'est-à-dire de l'effectif requis. En ce moment, nous sommes à court de 30 p. 100 d'officiers médicaux, mais nous sommes à 51 p. 100 en deçà du seuil critique pour le rang de capitaine.
Nous essayons d'avoir recours à d'autres modes de prestation de services chaque fois que c'est possible, pour soulager nos membres en uniforme sur le front intérieur. Nous offrons même des primes de recrutement allant jusqu'à 225 000 $ pour attirer des médecins militaires. Comme tous les autres, nous nous évertuons à trouver des gens possédant ces compétences très rares au Canada.
Je suis heureux de vous informer que notre taux d'attrition de médecins diminue. Il y a quelques années à peine, 80 p. 100 de nos médecins nous quittaient après avoir terminé leur service obligatoire. Autrement dit, ils partaient dès qu'ils nous avaient redonné tout le temps pendant lequel nous avions payé leurs études.
Le sénateur Meighen : Les médecins signent-ils un contrat d'engagement différent de celui que signent les soldats?
Vam Jarvis : Bien sûr. Ils sont obligés de servir dans les forces armées puisque nous avons subventionné leurs études.
Le sénateur Meighen : Cela représente combien de temps?
Vam Jarvis : Je pense qu'il s'agit d'une année de service pour chaque année d'études, mais il faudrait que je fasse confirmer cela.
Le sénateur Meighen : Oui, s'il vous plaît.
Vam Jarvis : D'accord. Nous sommes encouragéspar le fait que notre taux d'attrition est maintenant descendu à 40 p. 100. Autrement dit, seulement 40 p. 100 de tous ceux qui ont terminé leur service obligatoire nous quittent désormais, tandisque 60 p. 100 d'entre eux choisissent de rester dans les forces armées, ce qui est excellent.
Le sénateur Meighen : Vous avez dit ce qui suit dans votre exposé :
Bien qu'il ne soit de notre ressort ou de notre capacité de fournir des soins de santé pour les familles de nos membres, nous savons fort bien qu'une famille bien prise en charge améliore le mieux-être et l'efficacité des membres de nos Forces canadiennes.
Voilà une chose que nous avons constatée lors de nos visites dans plusieurs bases. Deux problèmes semblent surgir : d'abord, c'est l'accès des familles de militaires à des spécialistes, et c'est un problème qui se pose malheureusement à la plupart des Canadiens aussi. Néanmoins, c'est peut-être encore plus grave pour les membres des Forces armées, puisque nos bases ne sont souvent pas proches de grands centres urbains et que, par conséquent, il y a encore moins de spécialistes que dans les villes. Le deuxième problème, c'est le nombre de médecins, et je ne parle même pas de spécialistes, qui travaillent dans la langue officielle choisie par le militaire. Que faites-vous pour améliorer ces deux situations?
Vam Jarvis : Voilà de grands sujets de préoccupation pour nous aujourd'hui. Il est vrai que beaucoup de nos familles ont de la difficulté à se trouver un médecin de famille, lorsqu'elles changent de base. Le commandant de la base de Kingston a d'ailleurs installé une clinique médicale au centre de ressources familiales militaires. Dans d'autres bases, comme à Borden et à Gagetown, je crois que l'on a loué ou offert en concession de l'espace dans un bâtiment CANEX pour l'installation de cliniques médicales privées.
Vous comprendrez sans doute que cette situation pose certains problèmes d'ordre juridique, comme celui de la responsabilité, notamment. Nous avons donc formé une équipe qui se penche sur la situation d'un point de vue juridique, afin de cerner les options permettant d'atténuer le problème dans les unités où celui-ci est le plus aigu.
D'après ce que l'on entend dire, l'accès à des soins de santé pour la famille est aujourd'hui le principal déterminant de la qualité de vie dans l'armée. Nous l'avons donc inscrit comme une de nos priorités les plus importantes, et c'est effectivement une priorité très importante pour moi, personnellement, et c'est pourquoi j'ai demandé à mon directeur de la qualité de vie de piloter cette initiative en mon nom.
Le sénateur Meighen : Merci, c'est très encourageant à entendre. Quels sont les autres métiers soumis à des pressions, outre la profession médicale?
Vam Jarvis : Nous avons à relever les mêmes défis qu'ont à relever beaucoup d'entreprises privées, puisque nos métiers de technologies de pointe et nos métiers dans l'ingénierie sont particulièrement soumis à rude épreuve. Je pourrais vous donner la liste complète de tous nos métiers soumis à rude épreuve.
Le sénateur Meighen : J'imagine que la profession d'infirmier/infirmière sera incluse à la liste.
Vam Jarvis : L'effectif infirmier est présentement déficitaire de 25 p. 100. Dans le cas des pharmaciens, c'est 40 p. 100. Beaucoup de métiers sont mis à mal. La grande question pour nous, c'est de savoir lesquels sont en train de remonter la pente et lesquels battent toujours de l'aile.
Je me réjouis de pouvoir vous dire que du côté dessous-officiers, la situation commence à s'améliorer. Nous avons d'ailleurs commencé à offrir des primes pour régler certains des problèmes d'attrition dans certains métiers. En 2001, nous avons recensé 19 métiers qui avaient besoin d'aide. Je suis ravi de vous indiquer que seulement cinq métiers demeurent dans une situation difficile et demeurent critiques, car ils ont besoin d'incitatifs financiers supplémentaires pour que la situation se redresse. Mais nous avons réussi à renverser la vapeur dans la plupart d'entre eux.
Le sénateur Meighen : Ce sont là de bonnes nouvelles. Si toutes les lignes aériennes sont en mode embauche, j'imagine que l'armée de l'air fera elle aussi l'objet de pressions si elle tient à garder ses pilotes; après tout, le contraire peut également être vrai. Et vous faites face alors à un autre problème. Autrement dit, si vous prenez un ancien membre de la force régulière, il sera extrêmement difficile pour ce dernier non pas tant d'être muté à la réserve, mais surtout d'être transféré de la réserve à nouveau dans la force régulière. Pouvez-vous confirmer cela? Et pourquoi le problème est-il si aigu?
Vam Jarvis : Je puis en effet le confirmer, sénateur. Il reste encore beaucoup de défis à relever sur ce front-là. À mon avis, la mutation de la réserve vers la force régulière devrait pouvoir se faire simplement par un affichage d'avis. Il nous reste bien sûr quelques petits problèmes à régler avant de parvenir à cela, mais j'ai émis des directives claires en ce sens, et nous visons à faciliter cette démarche, de même que toutes les étapes nécessaires pour y parvenir. En effet, si un réserviste a satisfait à un examen médical valide il y a moins de cinq ans et qu'il a moins de 37 ans, nous allons accepter son rapport médical et ne l'obligerons pas à passer un autre examen. Cela éliminera les procédures redondantes. Nous essayons également d'automatiser les dossiers de la réserve de façon à pouvoir effectuer une évaluation plus rapide des compétences et des connaissances préalables, pour pouvoir aller chercher les réservistes sans avoir à répéter de l'entraînement inutile.
Nous savons qu'il reste encore plusieurs mesures à prendre avant de pouvoir améliorer notre façon de faire. Cela fait partie de ma liste de priorités, car je suis le premier à admettre que la situation actuelle laisse beaucoup à désirer.
Le sénateur Meighen : Vous avez parlé de l'automatisation, et j'ai l'impression que cela fait partie de vos graves problèmes. Nous avons entendu à plus d'une reprise qu'il fallait jusqu'à six mois pour trouver le dossier d'un individu qui, après avoir été membre de la force régulière et l'avoir quittée, souhaitait joindre à nouveau les rangs de l'armée.
Vam Jarvis : Les dossiers étant tous manuels, ils étaient restés à l'unité locale et avaient dû être récupérés, puis analysés, afin de déterminer quelles compétences offrait l'individu en question.
Mais vous avez raison de dire, sénateur, que l'automatisation nous sera d'une très grande aide, et nous nous y attaquons d'ailleurs.
Le sénateur Meighen : Le comité a visité le Collège militaire royal de Kingston, et nous avions l'impression qu'il fonctionnait à plein régime, et plus encore.
A-t-on déjà songé à réintroduire ce qu'on appelait dans mon temps le CTCU et la Division universitaire d'instruction navale? Je parle ici de programmes permettant à des gens de s'enrôler dans les forces armées au niveau d'officier, en contrepartie d'études universitaires payées par l'armée?
Vam Jarvis : Non, mais nous continuons à faire bon usage de notre programme de formation universitaire pour lessous-officiers, dans le cadre de notre programme régulier de formation des officiers. Au Collège militaire, nous payons les programmes d'études de sous-officiers et de civils.
Vous avez dit que le Collège militaire royal fonctionnait, à votre avis, à plein régime. Nous avons étudié diverses options nous permettant éventuellement d'augmenter le rendement du collège et d'augmenter le pourcentage de notre effectif d'officiers issus de cet établissement. Nous avons songé notamment à envoyer les étudiants de quatrième année habiter hors campus, entre autres mesures. Autrement dit, il y aurait des façons novatrices d'augmenter éventuellement le rendement de cet établissement.
Le sénateur Banks : Je vais continuer un instant dans la même veine que le sénateur Meighen, ne serait-ce que pour vous faire savoir à quel point je suis frustré. Je sais qu'il est injuste de nous en prendre à vous, mais nous entendons des tas de gens affirmer qu'il existe bel et bien un problème, et qu'ils font tout en leur pouvoir pour essayer de l'éliminer. Vous avez parlé dans le cas qui nous occupe de transférabilité; j'ai bien aimé vous entendre dire que la mutation devrait se faire tout simplement par un affichage d'avis, ce qui est très logique. On parle ici de gens qui ont souvent occupé ces emplois dans la réserve ou dans la milice, et qui veulent continuer à occuper le même emploi dans la force régulière. Mais cela semble poser beaucoup d'obstacles.
Nous avons déjà posé la question à votre prédécesseur, le général Couture, qui a répondu comme vous l'avez fait, lorsqu'il a comparu il y a un ou deux ans, ou peut-être même l'année dernière. Vous avez dit que ces dossiers étaient manuels et qu'ils passaient manuellement d'une unité à l'autre, c'est-à-dire de façon non automatisée. C'est peut-être là la réponse. C'est décourageant de voir à quel point il faut du temps pour arriver à ses fins. Pourquoi ne pas faire comme vous l'avez dit? C'est vous le patron : il n'y a qu'à faire ce que vous dites.
Vam Jarvis : Si je le pouvais, sénateur, je le ferais certainement.
Le sénateur Banks : Mais si ce n'est pas en votre pouvoir, qui peut agir?
Vam Jarvis : Je ne pourrais pas agir en ce moment tant que certains problèmes importants ne sont pas réglés. Prenons, par exemple, l'entraînement : certains réservistes qui occupent des métiers et des professions bien définis dans la réserve sont effectivement entraînés de façon à répondre complètement aux normes des Forces canadiennes, parce qu'ils ont déjà été déployés dans telle ou telle opération. Mais ce n'est pas toujours le cas. Il faut donc au départ confirmer les compétences du réserviste de façon qu'il ne lui manque aucun entraînement, aucune expérience ou aucune occasion de parfaire les connaissances qui lui seraient essentielles. Une fois les dossiers automatisés, cela pourra se faire beaucoup plus rapidement.
Je reconnais qu'actuellement, notre moyenne pour une mutation entre catégories de service est d'environ 12 mois. Notre objectif est de réduire cela à 90 jours. Comme je l'ai dit, nous avons un certain nombre d'initiatives visant justement cet objectif. Je serai ravi de revenir vous faire rapport dans six mois de nos progrès accomplis sur ce front.
Je crois que nous sommes sur la bonne voie, mais si l'on examine par exemple les efforts qu'il faudra pour automatiser complètement les dossiers, les problèmes qui se posent dans la simplification du processus médical, la question de l'évaluation des habilités préalables, et la nécessité de s'assurer que nous évaluons correctement les habilités et les connaissances d'une personne afin de ne rien rater de ce que la personne pourrait avoir besoin pour occuper le corps de métier ou la profession dans laquelle elle envisage de faire carrière, tout cela nous prendra pas mal de temps.
Le sénateur Banks : Dans l'intervalle, il faut en fait un an pour faire de telles mutations?
Vam Jarvis : Dans certains cas, cela peut prendre jusqu'à un an pour faire une mutation entre catégories de service, principalement dans le cas d'un réserviste à temps partiel qui cherche à changer de carrière. Il ne faut pas perdre de vue que, parfois, les réservistes souhaitent être mutés dans des catégories de service où il n'y a pas de recrutement à ce moment-là. Cela ajoute au délai.
Le sénateur Banks : Oui, s'il n'y a pas de place, il n'y a pas de place.
Vam Jarvis : Exactement.
Le sénateur Banks : Vous avez parlé d'une nouvelle initiative qui ferait passer de 20 ans à 25 ans le nombre d'années de service nécessaires pour avoir accès à une pleine pension, pour avoir des droits acquis, selon le vocabulaire utilisé de cette industrie. Je suppose que vous voulez dire que cela s'appliquerait aux personnes qui s'enrôleront après le 1er avril et que vous ne changez pas les règles du jeu au milieu de la partie, pour quelqu'un qui se serait enrôlé il y a cinq ans.
Vam Jarvis : C'est juste.
Le sénateur Banks : Merci, je suis content de l'entendre.
Vous avez parlé des soins de santé pour les familles qui sont en poste dans des endroits où l'on n'a pas facilement accès à un médecin. Nous avons vu sur place, comme vous j'en suis sûr, les difficultés que cela suscite. J'espère ardemment que vous donnerez suite à ce dossier.
Pouvez-vous me dire, approximativement, combien représente votre budget des ressources humaines en proportion du budget total du MDN?
Vam Jarvis : Au total?
Le sénateur Banks : En proportion du budget du MDN. Vous avez 7 500 militaires, ce qui représente environ 13 ou 14 p. 100 de l'effectif. La proportion du budget est-elle à peu près la même?
Vam Jarvis : On peut dire sans trop de risque de se tromper que plus de la moitié du budget de la défense est consacrée à des fonctions et des domaines rattachés aux ressources humaines. Vous pouvez avoir l'assurance qu'en tout temps de 50 à 55 p. 100 de l'argent est consacré aux domaines fonctionnels dont je suis hiérarchiquement responsable. Cela comprend tout, depuis la solde jusqu'à l'entraînement individuel et l'éducation.
Le sénateur Banks : Il est certain que l'entraînement est important. Savez-vous quelle proportion de ce montant est consacrée aux frais généraux? C'est-à-dire les 7 500 militaires et les quelque 5 000 autres personnes? Quelle proportion du coût cela représente-t-il?
Vam Jarvis : Nous pourrions aborder cette question, sénateur, de bien des manières. Je pense qu'il est juste de dire que dans toutes forces militaires, du point de vue des gens, il y a des frais généraux d'environ 10 p. 100. Si vous examinez notre effectif, vous verrez que nous avons environ 10 p. 100 de nos militaires qui sont en formation, en formation préalable dans les écoles de recrutement, en tout temps.
Le sénateur Banks : Les 7 500 dont vous avez parlé comprennent les formateurs?
Vam Jarvis : Oui.
Le sénateur Banks : Ce ne sont pas des commis et des administrateurs; cela comprend les formateurs.
Vam Jarvis : Absolument. Et d'après les fonctions que j'ai occupées auparavant dans le monde de la finance, je dois dire que, de façon générale, la fonction des ressources humaines dans les forces armées est relativement maigre ces jours-ci. Nous avons les mêmes contraintes que les autres secteurs budgétaires de la défense.
Le sénateur Banks : Nous avons appris il y a quelquessemaines que l'on a donné au grand public l'impression générale que 8 000 nouvelles personnes seront recrutées dans les forces armées. Cela n'est pas chose faite ni même en cours de réalisation en ce moment.
La recommandation de notre comité allait beaucoup plus loin que cela. Nous avons recommandé dans le passé que les forces armées comptent un effectif réel de 75 000 personnes, ce qui exigerait à mon avis d'avoir un effectif total de plus de 90 000.
Comment votre capacité d'absorption pourra-t-elle réagir si un nombre considérable de ces 8 000 personnes sont enrôlées dans les deux ans suivant l'obtention des crédits nécessaires? Seriez-vous capables de répondre aux besoins, avec l'infrastructure et votre capacité actuelles?
Vam Jarvis : Non, et je ne voudrais pas que cela arrive du point de vue de la planification des forces ni du point de vue de ma production personnelle.
Le sénateur Banks : Du point de vue de la planification, combien d'années faudrait-il à partir du moment de l'annonce qui a été faite il y a plusieurs mois jusqu'au point où nous aurons réellement ces 5 000 militaires permanents et 3 000 réservistes supplémentaires?
Vam Jarvis : Pour le faire de manière ordonnée et coordonnée, sans imposer des contraintes déraisonnables à la capacité du système d'entraînement, il faudrait cinq ou six ans.
Je voudrais donner des précisions là-dessus. Actuellement, nous savons qu'un groupe de recrutement, par exemple, a la capacité en ce moment même, en comptant sur les ressources existantes ou à peine plus, de recruter 1 000 personnes de plus par année. Essentiellement, nous avons une certaine capacité excédentaire qui pourrait s'accommoder d'une augmentation de cet ordre sur cinq ou six ans. Cependant, si l'on examine nos établissements de formation — en mettant de côté les armes de combat où nous savons qu'il y a une certaine latitude en termes d'entraînement à l'heure actuelle, étant donné le répit qui a été accordé dans une certaine mesure par rapport aux opérations —, nos établissements de formation fonctionnent pas mal à pleine capacité. Pour donner une formation complète dans nos corps de métier et groupes professionnels, dont beaucoup exigent de longues périodes de formation, il nous faudrait consentir des investissements considérables et cela voudrait dire retirer des effectifs actifs des instructeurs qualifiés pour renforcer les établissements de formation, au détriment d'exigences opérationnelles peut-être de nature conflictuelle.
Dans le cas de l'école des recrues, nous fonctionnons quasiment à pleine capacité. Même pour pouvoir enrôler 1 000 personnes de plus par année, il nous faudrait probablement établir un cours de recrue par satellite quelque part. Il y a une foule de considérations dont il faut tenir compte, de mon point de vue en tant que planificateur et pour éviter les conséquences en aval dont nous avons été témoins lors de la réduction rapide des effectifs,c'est-à-dire que nous avons eu à un moment donné un trou béant en termes d'expérience et il nous a fallu mettre en place un effort de recrutement pour essayer de combler cet écart tout en essayant en même temps d'inciter les gens à rester actifs plus longtemps par rapport à ce que l'on souhaiterait idéalement si l'on appliquait un profil de carrière parfait, si l'on peut dire, en termes d'années de service.
Il y a donc une foule de facteurs et il faudrait mettre de côté toute contrainte budgétaire potentielle pour mettre cela en œuvre rapidement. Je ne suis pas certain que nous voudrions le faire plus rapidement qu'en cinq ou six ans.
Le sénateur Banks : Reprenez-moi si je me trompe. Les quelque 1 000 personnes que l'appareil de recrutement absorbe actuellement sont en quelque sorte la norme et cela ne tient pas compte des 8 000 personnes de plus, qui devront toutes tôt ou tard suivre un entraînement de base. Les 5 000 nouveauxmilitaires permanents s'ajouteraient à l'enrôlement normal d'environ 1 000 par année qui sert à combler les départs et les retraites. C'est bien cela?
Vam Jarvis : Non, ce que vous décrivez, c'est la situation du groupe de recrutement qui recrute entre 6 000 et 8 000 personnes par année dans la force régulière et la réserve. Il leur faudrait ajouter 1 000 personnes.
Le sénateur Banks : Oui, cela s'ajoute à l'enrôlement normal.
Vam Jarvis : C'est bien cela.
Le sénateur Banks : Vous dites donc qu'au cours des cinq prochaines années, vous pourriez donner, au moins à certains égards, tout au moins l'entraînement de base aux 5 000 personnes supplémentaires?
Vam Jarvis : Nous pourrions les recruter. Nous pourrions former les personnes qui se destinent aux armes de combat. Dans le cas des métiers et des professions de soutien, je ne suis par certain qu'il serait avantageux pour nous d'enrôler d'abord les soldats des armes de combat. Nous pourrions le faire, mais alors nous n'aurions pas le personnel de soutien nécessaire pour les déployer.
Le sénateur Banks : Il faudra cinq ans avant qu'ils soient intégrés au système et que les derniers d'entre eux commencent leur entraînement?
Vam Jarvis : Si nous enrôlons les 1 000 premiers de manière organisée, c'est-à-dire en mêlant judicieusement non seulement les armes de combat, mais aussi les métiers et professions de soutien, ce premier groupe serait évidemment prêt au service avantles 1 000 derniers.
Le sénateur Banks : Pour pouvoir utiliser ces 5 000 personnes comme force susceptible d'être déployée, et c'est bien ce dont on parle à moins que je n'ai absolument rien compris, il nous faudra un groupe de la taille d'une brigade que nous pourrions assigner à cette tâche.
Vam Jarvis : Je dois demander à l'amiral Buck de répondre à cette question car c'est lui qui est responsable de la structure des forces.
Le sénateur Banks : Vous avez dit que le répit vous a permis de relever la capacité de formation plus près du niveau où vous aimeriez qu'elle soit. Nous avons visité le camp Borden et Kingston il y a plusieurs mois et nous avons rencontré bon nombre de recrues qui étaient frustrées par le fait qu'elles avaient été recrutées mais qu'on ne leur donnait aucune formation. Ces gens restaient assis à se tourner les pouces. A-t-on remédié à ce problème?
Vam Jarvis : La situation s'améliore, sénateur. Nous appelons ces gens-là du personnel en attente d'instructions, ou PAI. Les centres d'éducation et de formation postrecrutement que nous avons établis ont beaucoup fait pour nous assurer que ces gens-là se rendent utiles. Pendant qu'ils attendent le début de leurs cours, nous leur inculquons des habilités concrètes; la certification de niveau 2 pour le maniement d'armes, des cours de conduite et d'informatique. Nous leur donnons aussi des affectations. Nous les envoyons un peu partout au pays dans diverses bases et stations pour leur confier des affectations dans leur domaine de compétence pendant qu'ils attendent le début de leur formation.
Pour ceux qui demeurent dans le système en attente de formation, la situation s'est améliorée considérablement et le nombre de PAI diminue énormément.
Par ailleurs, nous sommes passés du recrutement juste-à-temps, c'est-à-dire que nous enrôlions des gens juste avant le début de leurs cours, au recrutement en temps réel, ce qui veut dire que nous recrutons des gens peu importe la date du début du cours parce que nous avions le sentiment que nous perdions des gens pendant qu'ils attendaient la réponse à leur offre d'enrôlement. Nous avons adopté ce que nous appelons « le recrutement quasi temps réel » pour essayer de réduire l'écart. Je suis allé récemment à Gagetown et la situation s'est améliorée considérablement ces derniers mois.
Le sénateur Banks : Avant de céder la parole, monsieur le président, je veux m'assurer que chacun comprenne bien que quand nous utilisons le sigle anglais « PAT », nous ne parlons pas du régiment Patricia, car les membres de ce régiment sont très offusqués par l'utilisation de ce sigle.
Le président : Il faut dire le mot « princesse » pour donner le nom exact de ce régiment.
Le sénateur Day : Je voudrais d'abord une précision au sujet de votre exposé. Il se fait beaucoup d'éducation et de formation dans les forces armées, et à juste titre. Est-ce que tout cela relève de vous?
Vam Jarvis : Pour l'essentiel, l'éducation subventionnée sous toutes ses formes relève de mon domaine de compétence. Dans le contexte de la formation, je suis responsable de la formation de la plupart des corps de métier, c'est-à-dire la formation commune aux trois armes. J'ai un certain nombre d'écoles qui dispensent de la formation aux recrues qui servent dans la force terrestre, la force navale et la force aérienne.
Le sénateur Day : S'il y a de la formation qui est spécifique à la force aérienne ou à la force navale ou à la force terrestre, c'est un groupe différent qui s'en occupe?
Vam Jarvis : Absolument. Tout l'entraînement aux armes de combat relève du général Caron.
Le sénateur Day : La confusion tient peut-être en partie au fait que bien des gens à qui nous avons parlé avaient terminé leur entraînement de base et étaient en attente de formation spécialisée. Si je comprends bien, cela ne relève pas de vous.
Vam Jarvis : C'est exact. Le personnel en attente d'instruction dans les corps d'armée se trouve dans des bases comme Gagetown, qui relèvent du général Caron. Pour l'essentiel, le personnel en attente d'instruction qui relève de moi est formé de personnes qui attendent un quelconque cours pour un métier de soutien.
Le sénateur Day : Quelqu'un qui fait partie d'un groupe professionnel de soutien dans le domaine des communications ou des transmissions relève-t-il de vous?
Vam Jarvis : Oui, l'école de communications et l'école d'électronique relèvent de moi.
Le sénateur Day : Le jeune soldat que nous avons rencontré à Kingston s'occupait de transmission et on lui a donné un emploi de rechange pendant près d'un an; il travaillait dans un bar de l'endroit en attendant le début de sa formation. Il en était là.
Vam Jarvis : C'est la raison même pour laquelle nous avons créé le centre d'éducation et de formation postérieures au recrutement, pour qu'on puisse commencer à donner des affectations utiles à ces gens-là. J'ai vu également des cas de ce genre dans mes déplacements lorsque je suis entré en fonction et j'ai également trouvé cela inacceptable, sénateur.
Le sénateur Day : Je vous félicite pour vos efforts dans le domaine des ressources humaines. C'est extraordinairement important dans les forces armées et nous en sommes convaincus au comité. Très souvent, la plupart des journaux et des médias électroniques mettent plutôt l'accent sur l'équipement, les nouveaux blindés, les navires et avions, mais il est extrêmement important de ne pas perdre de vue ce qui fait les forces armées. Ce sont les personnes dont vous disposez et c'est de ce point de vue que vous avez des défis à relever pour diriger les forces armées.
Je voudrais vous interroger sur la diversification des modes de prestation des services dans les forces armées. Ce programme a été introduit dans différents endroits. J'ai le sentiment, qui est partagé par beaucoup d'entre nous, qu'on a introduit cela comme moyen d'économiser de l'argent dans les années 1990, quand il fallait rogner sur tout et que vous avez été obligés de vous limiter à vos activités de base.
Est-ce que quelqu'un a analysé les divers programmes de diversification des modes de prestation de services qui ont été mis en vigueur afin de déterminer si c'était une bonne idée, si cela fonctionne bien et si cela sert les intérêts supérieurs des forces armées de continuer à faire appel à ces services de l'extérieur plutôt que de le faire à l'interne?
Vam Jarvis : En toute honnêteté, cela relèverait davantage de notre chef du service d'examen, M. Jim Van Adel, dont le personnel s'occupe des dossiers concernant les propositions en matière de prestation de services.
J'ajoute que du point de vue du groupe des ressources humaines, je ne perçois pas la volonté d'économiser comme le principal moteur de la diversification des modes de prestation de services. Le principal motif est de trouver des manières novatrices de combler des besoins réels, de répondre à nos besoins, tout en libérant du même coup un plus grand nombre de personnel en uniforme auquel on pourra confier des tâches se rapprochant davantage du théâtre des opérations. C'est pourquoi, si vous examinez les contraintes et difficultés qui se posent actuellement dans notre groupe médical, le contrat Calian revêt une telle importance pour nous.
Le sénateur Day : À un moment donné, il y avait un hôpital à Kingston. Maintenant, vous dites que vous installez une clinique dans le centre de ressources familiales.
Vam Jarvis : La décision a été prise de fermer nos hôpitaux militaires au début des années 1990 dans le contexte des compressions, et depuis cette époque, nous avons réussi à nous débrouiller dans le contexte des budgets qui nous étaient consentis. Il n'y a aucun doute que notre service médical en a grandement souffert, comme ce fut le cas dans bien d'autres domaines dans les Forces canadiennes à cette époque.
Il est tout à fait clair que dans le cadre de la mesureRX-2000 en cours, il s'agit de rétablir le niveau de soins auquel nos membres ont droit et qu'ils devraient avoir.
Le sénateur Day : Du point de vue des ressources humaines, au sujet des moniteurs de culture physique, considérez- vous qu'il faut les ramener dans les forces armées, pour qu'ils jouent un rôle très précieux auprès des jeunes recrues? Pensez-vous que les orchestres que nous avions au sein des forces armées sont importants pour le moral des troupes? Nous n'aurions pas dû éliminer les nombreux orchestres régimentaires que nous avions.
Vam Jarvis : Je suis le responsable des orchestres. Le directeur de la musique relève de moi et nous avons encore bon nombre d'orchestres au sein des Forces canadiennes. Lorsque je m'occupais de finance, il fallait prendre des décisions difficiles visant l'élimination de certains orchestres mais il fallait respecter les budgets qui nous étaient alloués.
Le sénateur Day : Beaucoup de ces décisions étaient fondées sur des restrictions budgétaires, j'en conviens. Mais du point de vue du personnel, ne pensez-vous pas, puisqu'on revient dans la bonne voie, que l'on doit reconnaître qu'il nous faut non seulement acheter des navires, mais aussi nous occuper de nos troupes?
Parlez-vous de ces questions, lorsque vous songez à améliorer la qualité de vie des effectifs?
Vam Jarvis : Les discussions se rapportant à la qualité de vie concernent surtout les besoins de nos nouvelles recrues, et de notre nouvelle organisation. Les Forces canadiennes sont beaucoup plus âgées qu'auparavant. L'âge moyen des recrues est de 24 ans et l'âge moyen des effectifs est de 37 ans. Les gens qui se joignent aux forces armées ont des familles, ce qui suscite toutes sortes de nouveaux défis, étant donné les attentes et les besoins. Voilà pourquoi les soins de santé familiaux sont si cruciaux dans ce contexte. Pour vous dire si les moniteurs de culture physique sont essentiels pour l'instant, non, ils ne le sont pas. L'organisme de soutien du personnel des Forces canadiennes qui gère les contrats des moniteurs de culture physique a la chance de disposer de bon nombre d'anciens moniteurs de culture physique militaires, mais il y a d'autres préoccupations, actuellement.
Le sénateur Day : Êtes-vous limité par les sommes dont vous disposez, lorsqu'il s'agit de fixer des priorités? Avez- vous des fonds suffisants pour faire le travail qui vous est confié?
Vam Jarvis : J'investirais davantage dans les soins de santé. Ensuite, j'augmenterais le budget consacré aux déplacements de nos membres, afin de répondre aux exigences des Forces canadiennes. Dans ce domaine, les contraintes sont nombreuses.
Je ne voudrais pas laisser entendre que ma position est différente de celle de mes pairs ou de mes collègues de la Défense nationale. Nous subissons tous des pressions et nous n'avons pas autant d'argent ni autant de ressources que nous le souhaiterions. Des décisions difficiles doivent être prises.
Le sénateur Day : J'aimerais terminer en parlant de la diversification des modes de prestation de services. Avez-vous songé à y recourir, pour le recrutement?
Il y a des agences de recrutement partout au pays et vous avez des services médicaux externes auxquels vous recourez, dans chaque localité. Quand quelqu'un se lance dans le recrutement, pourquoi est-ce mal vu pour sa carrière? Pourquoi continuer à demander à des militaires de faire du recrutement, quand on pourrait s'adresser à un autre mode de prestations de services pour cette fonction?
Vam Jarvis : C'est une excellente question. Je vous signale que mon commandant et moi-même avons récemment visité l'Australie. Nous avons étudié plus particulièrement lasous-traitance pour le recrutement, en Australie. Il y a là- bas des centres de recrutement mixtes auxquels une entreprise appelée « Manpower » contribue sa compétence en matière de recrutement civil. Il y a encore une équipe militaire de recrutement dans les grands centres, mais grâce à cette mesure, on a pu réduire de deux tiers environ l'équipe militaire de recrutement. C'est une chose que nous examinerons au cours des prochains mois.
Le sénateur Day : J'ai hâte de connaître le résultat de vos délibérations.
Le sénateur Forrestall : Je suppose qu'il nous faudrait tous aller en Australie, pour trouver d'aussi bonnes solutions.
Quel est l'état actuel du régime de retraite des réservistes? Pourriez-vous nous faire une mise à jour, particulièrement en ce qui se rapporte au moment où ceux qui sont admissibles recevront des prestations?
Vam Jarvis : Comme vous le savez peut-être, toute une équipe y travaille et nous avons deux volets d'activités parallèles. Le premier volet porte sur une solution technique pour mettre en œuvre ce programme dans le cadre du système de rémunération des Forces canadiennes; l'autre volet se rapporte à la rédaction des règlements y afférents. Dans les deux cas, tout va bon train. Notre objectif est de procéder à la mise en œuvre à la fin 2005.
Le sénateur Forrestall : Nous nous attendions à des résultats avant la fin 2004. Pourquoi ce retard d'un an?
Vam Jarvis : Manifestement, ce n'était pas aussi simple que nous l'envisagions. Je ne sais pas si ailleurs, la création de nouveaux régimes de retraite s'est faite plus rapidement, mais je comprends ce que vous dites, sénateur : il y a eu des retards, mais c'est probablement parce que nous étions trop optimistes au départ, en fixant des échéances. Il y a des problèmes techniques entourant la solution temporaire à adopter pour l'établissement de la solde, par opposition à la solution intégrée pour les services de pensions fédérales, censée être en vigueur dans toute l'administration dès 2008. Je suis convaincu que les choses vont bien maintenant et que l'objectif de la fin 2005 est atteignable.
Le sénateur Forrestall : Pour ceux qui sont admissibles, j'espère que vous avez tout à fait raison, parce qu'ils deviennent de plus en plus frustrés en raison du retard et je crois qu'ils ont raison.
Vam Jarvis : Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Forrestall : J'aimerais reparler de cette date, qui aurait été mal fixée au départ. Beaucoup de questions s'y rapportent, comme vous l'avez dit, à cause des délais et d'autres restrictions.
Revenons aux 5 000 membres permanents et aux3 000 réservistes. À leur arrivée, avez-vous songé à la répartition? Je me demande si l'armée recevra 90 p. 100 et la marine 4 p. 100 par exemple. Avez-vous une idée de comment se fera la répartition entre les trois armes?
Vam Jarvis : Je ne peux vous en parler puisque cela relève de l'amiral Buck et de son personnel. Cela n'est pas de mon ressort.
Le sénateur Forrestall : Avez-vous reçu jusqu'ici des instructions sur la planification détaillée?
Vam Jarvis : Nous faisons la planification détaillée et j'ai une équipe dynamique sur l'expansion des forces qui travaille de près avec le vice-chef d'état major, pour nous préparer à la répartition. Nous avons suffisamment d'information actuellement et notre plan se déroule au rythme prévu mais je n'ai pas de ventilation précise pour les trois armes.
Le sénateur Forrestall : J'ai songé à l'intégration de ces hommes et de ces femmes, sur une période relativement courte. La plupart des métiers pourraient recevoir leur formation à l'extérieur. Je songe aux écoles secondaires, qui pourraient encourager de jeunes hommes et de jeunes femmes à recevoir leurs deux premières années de formation pour un métier donné. Je pense au moment où toute la flotte d'autobus scolaire était inutilisable, parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'ouvriers pour vérifier les batteries.
Avez-vous songé à faire la formation à l'extérieur?
Vam Jarvis : Oui, c'est une excellente question. Vous le savez peut-être, nous en faisons déjà un peu. Nous avons des contrats avec bon nombre de collèges communautaires pour la formation des corps de métier. Nous encourageons aussi de plus en plus les gens à recevoir la formation et l'expérience avant l'engagement. Dans nos documents de recrutement, nous décrivons clairement ce que nous recherchons. Ces renseignements sont disséminés de diverses façons. Je pense qu'on pourrait en faire plus, en collaborant avec les établissements d'enseignement civils, puisque nous voulons profiter de la capacité du secteur civil de l'enseignement, dans la mesure du possible.
Récemment, j'ai rencontré mes collègues de Développement social Canada. Nous étudions la reconnaissance professionnelle des occupations militaires pour qu'il soit plus facile pour les membres des forces armées d'avoir une période de transition en tout temps, et d'intégrer un emploi civil après leur départ. C'est un domaine qui d'après moi prendra de l'importance.
Le sénateur Forrestall : Avez-vous pensé à intégrer nos enseignants de métiers dans les cégeps et dans les collèges communautaires, pour qu'ils puissent aider les étudiants dans les derniers mois avant l'accréditation professionnelle?
Vam Jarvis : Nous avons déjà un certain nombre d'enseignants intégrés.
Le sénateur Forrestall : C'est très bien.
Dans certains métiers, les États-Unis ont une énorme surcapacité de formation à cause de leur programme d'acquisition militaire. Maintenant, ils offrent donc beaucoup de places au secteur privé.
Avons-nous pensé à envoyer des recrues aux États-Unis ou au Royaume-Uni pour la formation? Je ne connais pas la situation au Royaume-Uni, mais cette démarche pourrait engendrer500 places de formation pendant une année. Ceci allégerait beaucoup le fardeau de vos enseignants.
Vam Jarvis : À l'heure actuelle, nous faisons déjà une certaine formation avec les alliés, mais pas autant que vous envisagez. Nous n'avons pas étudié cette possibilité de près mais nous devrions probablement le faire. Maintenant que vous avez posé la question, je vous assure que nous allons nous pencher là-dessus.
Le sénateur Forrestall : Je pensais aux métiers de calibrage, les métiers où les techniciens travaillent directement avec les outils.
Le sénateur Atkins : Comment traiteriez-vous la demande de quelqu'un qui a le diabète?
Vam Jarvis : J'accepterais la recommandation du Service de santé. Si je comprends bien, si une personne a le diabète au moment de sa demande, cette personne ne répondrait pas aux exigences médicales d'inscription, en vertu du principe de l'universalité du service. Je pourrais vous donner plus de détail là-dessus par le biais du Service de santé.
Le sénateur Atkins : Que faites-vous si une personne devient diabétique après avoir été recruté?
Vam Jarvis : Nous avons une politique qui essaie d'accommoder un certain pourcentage de nos membres. À l'heure actuelle, nous avons plus de 600 membres qui ne répondent pas aux exigences du principe de l'universalité de service. Nous travaillons avec eux pour atteindre quelques objectifs. S'ils approchent un point clé dans leur carrière, nous les gardons pour qu'ils puissent satisfaire aux exigences de leur pension, et nous travaillons aussi avec le ministère des Anciens combattants. Nous avons un programme d'aide à la transition pour aider leur transition à un emploi civil.
Pour ce qui est de nos normes médicales, nous appliquons le principe de l'universalité de services et nous essayons d'y adhérer. Néanmoins, nous avons aidé un bon pourcentage de nos membres pour qu'ils puissent faire la transition à un emploi civil.
Le sénateur Atkins : Dans les forces armées, il doit y avoir beaucoup de travail qu'un diabétique pourrait faire.
Vam Jarvis : Cela serait tout à fait vrai si la personne en question n'avait pas à être déployée. Mais notre norme est en place pour qu'on s'assure que tous les membres des forces armées sont en état et prêts à être déployés. Notre objectif c'est cela. Si tout le monde n'est pas prêt à être déployé, ceux qui sont en bonne forme physique finissent par soutenir tout le poids.
Nous essayons de faire preuve d'autant de compassion que possible, mais sauf dans les cas où nous avons aidé nos membres, nous ne nous sommes pas éloignés de notre principe de l'universalité de service. Personnellement, je crois fermement que ce principe est fondamental si nous voulons avoir des forces armées efficaces.
Le sénateur Atkins : Est-ce que l'incidence du syndrome de stress post-traumatique augmente?
Vam Jarvis : L'incidence des troubles mentaux augmente dans tous les secteurs. À l'heure actuelle, les troubles mentaux sont la cause de 42 p. 100 des congés de maladie pris par nos membres. Ce phénomène se voit aussi dans beaucoup d'autres sociétés industrialisées de l'Est, et dans d'autres domaines aussi. Il y a beaucoup de pression sur nos membres.
Pour ce qui est du diagnostic, à l'heure actuelle l'incidence de la dépression clinique est plus élevée que l'incidence du syndrome de stress post-traumatique. C'est une de nos préoccupations principales. Nous nous penchons sur la question de près, et le Service de santé étudie cela de près. À l'heure actuelle, la plupart des congés de maladie sont pris pour des raisons de santé mentale. Ces problèmes ont tendance à être causés par le fait que nos membres sont déployés pour de plus longues périodes.Les problèmes musculo-squelettiques ne représentent qu'à peu près 22 p. 100 des congés de maladie.
D'une manière générale, la santé mentale est une préoccupation. Comme je disais, l'incidence des troubles mentaux est à la hausse dans l'ensemble du pays, et nos forces armées ne sont pas à l'abri de cette tendance.
Le sénateur Atkins : Que faites-vous face à des cas d'abus sexuel ou d'harcèlement? Je vous pose la question parce qu'il en était question hier soir à l'émission 60 Minutes.
Vam Jarvis : Notre institution s'est dotée d'une politique rigoureuse à l'égard du harcèlement. Je sais que nous avons fait de grands progrès à cet égard par rapport à où nous en étions il y a cinq ans, et je suis certain que nous aurons fait encore des progrès significatifs d'ici cinq ans. Nous sommes, bien sûr, une grande organisation qui est à la fois complexe et diversifiée. Nous sommes toujours à la recherche des solutions à ce problème qui, néanmoins, demeure, et continuera à demeurer, une question prioritaire.
Le sénateur Atkins : Pourriez-vous nous décrire le processus que vous suivez lorsqu'il y a une plainte?
Vam Jarvis : Je pourrai vous faire parvenir un exemplaire de notre politique, une politique qui est très détaillée. Je serai ravi de faire cela. Il s'agit d'une politique qui est à la fois rigoureuse et précise.
Le sénateur Atkins : Je m'en réjouis.
Le président : Amiral, je vous demanderai de l'envoyer au greffier, s'il vous plaît.
Vam Jarvis : Sans problème.
Le sénateur Atkins : J'aimerais maintenant passer à un autre sujet, à savoir le montant du budget de communication dont vous disposez pour le recrutement.
Vam Jarvis : Si je ne m'abuse, le budget se chiffre entre5 et 6 milliards de dollars par année. Je pourrai vous faire parvenir le chiffre exact, monsieur le sénateur. Je peux vous dire, cependant, qu'il s'agit de notre budget le plus important pour ce qui est des campagnes nationales.
Le sénateur Atkins : S'agit-il d'un budget pour tous les corps d'armée des Forces canadiennes?
Vam Jarvis : Oui, et je suis le responsable du recrutement pour les trois armes.
Le sénateur Atkins : J'ai une question sur le financement de la réserve. Les officiers de la réserve nous disent qu'ils sontsous-financés et que, en conséquence, ils seraient incapables de fournir un effectif complet sur une base régulière. D'après leurs budgets, le maximum disponible serait au moins 75 p. 100.
Envisagez-vous la possibilité de bonifier leurs budgets afin de régler ces problèmes?
Vam Jarvis : Ce serait une question pour les commandants de la réserve de l'armée de terre, de la marine, de la force aérienne, et la réserve des communications parce que ces budgets sont gérés par l'officier responsable de chaque service de la réserve. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question, monsieur le sénateur.
Le sénateur Atkins : Pour ma dernière question, j'aimerais revenir à la question du CTCU au sujet duquel vous avez fait référence aux forces armées.
Vam Jarvis : Vous parlez du programme de formation pour les officiers réguliers?
Le sénateur Atkins : Oui. Ne croyez-vous pas que ce serait une bonne idée d'avoir des agents de recrutement sur tous les campus universitaires? Vous pourriez faire cela sur une base régionale. Étant donné l'endettement des étudiants et leurs frais de scolarité élevés, je crois que les campus universitaires vous offriraient beaucoup de possibilités de recrutement.
Vam Jarvis : J'ignore si on s'est penché sur cette possibilité par le passé, mais nous ne l'avons pas examinée depuis que je suis en fonction. D'après moi, c'est parce que nous atteignons déjà nos objectifs de recrutement par le biais de nos centres actuels, que nous devons maintenir. Tout cela revient sans doute à une question de ressources et de ce qu'il faut faire pour atteindre nos objectifs. Comme je disais dans mon exposé, nous atteignons99 p. 100 de nos objectifs, sauf dans le cas des métiers et professions soumis à un stress. Je ne suis pas convaincu que votre proposition nous aiderait à recruter des gens pour ce genre de postes.
Le sénateur Atkins : Vous parlez du contexte actuel; cependant, si vous visez à accroître le recrutement, ne pensez- vous pas que vous devriez réexaminer cette possibilité? Qui plus est, une telle approche pourrait s'avérer utile pour ce qui est de la promotion des forces armées, par exemple.
Vam Jarvis : En ce moment, il y a environ 2,5 candidats pour chaque poste disponible, et nous rejetons de nombreux candidats même lorsqu'ils répondent à tous nos critères. Il est évident que, si nous ne pouvions pas répondre à nos objectifs, nous chercherions des solutions de rechange hors des sentiers battus. Actuellement, d'après notre planification initiale, je pense que nous pouvons nous débrouiller encore cinq ou six ans avec les ressources et les structures que nous avons aujourd'hui.
Le président : Amiral, j'ai été choqué d'apprendre qu'il faudra cinq ans pour ajouter 5 000 nouveaux militaires aux forces. D'abord, si j'ai bien compris votre réponse, le goulot d'étranglement se situe au niveau des métiers stressants.
Vam Jarvis : Si je peux expliquer un peu, il y a un certain nombre de facteurs qui entrent en jeu ici. La formation dans le cas des métiers de soutien et autres est typiquement plus longue que pour nos spécialistes des armes de combat. Essayer d'intégrer plus rapidement les 5 000 ou 6 000 militaires engendrerait sans doute la même planification forcée que nous avons vue au moment du programme de réduction des forces, mais à l'inverse.
Dans le cas du programme de réduction des forces, nous avons dû faire face à un énorme creux d'expérience qui a nécessité une vague de recrutement et l'intégration très accélérée d'un grand nombre de personnes. Nous avons dû aussi retenir des gens afin d'éliminer ce creux.
En ce qui concerne le système de formation, les gens que nous avons recrutés reviennent maintenant suivre leurformation de compagnon, ce que nous appelons le niveau de qualification 5. Par conséquent, nous devons à la fois nous occuper du perfectionnement de nos militaires déjà recrutés et essayer d'en augmenter le nombre. Ce sont les mêmes formateurs qui sont responsables du niveau de qualification 3, c'est-à-dire la formation initiale de base dans un métier, et le niveau de qualification 5, ainsi que la formation des cadres. Les répercussions de cette situation se font sentir surtout parmi les caporaux-chefs, les sergents et les capitaines. Ce sont eux qui assurent le gros de la formation.
Si nous voulons être sûrs de pouvoir composer avec l'augmentation, tout en poursuivant la formation des militaires actuels, nous devons planifier avec soin notre réponse à ce défi de formation particulier.
Le président : Je comprends cela, amiral. Vous avez aussi expliqué que vous deviez avoir la capacité de déployer les militaires, n'est-ce pas?
Vam Jarvis : Si nous recrutons 1 000 personnes dans le secteur des armes de combat, par exemple, il faut reconnaître que les métiers de soutien sont souvent le facteur limitatif dans les déploiements de nos jours. Nous aurions donc 1 000 militaires formés sans avoir la capacité de les déployer dans le cadre d'une force intégrée.
Le président : Je comprends cela, mais vous avez laissé entendre aussi que la seule façon pour vous d'augmenter la formation dans les métiers stressants serait de retirer des militaires des unités existantes.
Vam Jarvis : Oui.
Le président : Faire cela limiterait la capacité de l'armée canadienne de déployer ses troupes.
Vam Jarvis : C'est exact, sénateur.
Le président : Et alors? S'ils ne sont pas déployés? Où est le problème s'ils ne sont pas déployés?
Vam Jarvis : Je ne peux pas répondre à cette question, sénateur. Nous avons comme objectif de fournir des militaires qui sont capables d'être déployés.
Le président : D'accord, mais nous avons traversé une période où nous ne déployions plus nos troupes parce que les forces ne suffisaient plus à la tâche. Nous manquons d'effectifs. Pourquoi ne pas continuer à éviter les déploiements?
Est-ce qu'on vous a donné un profil de dépenses que vous devez respecter? Est-ce que le gouvernement aurait imposé un profil de dépenses aux Forces canadiennes pour les cinq prochaines années? Est-ce que ce sont des contraintes avec lesquelles vous travaillez?
Vam Jarvis : Je n'ai certainement pas reçu de profil de dépenses jusqu'ici. Je prends l'approche de la production personnelle : comment pourrais-je gérer cette augmentation de manière intégrée pour répondre aux besoins de formation des nouvelles recrues sans compromettre les besoins de formation des militaires actuels.
Le président : D'accord, mais une façon de faire cela, ce serait de déployer moins de militaires au cours des quelques années à venir. Vous pourriez assurer beaucoup de formation en faisant cela, si je vous ai bien compris.
Vam Jarvis : Cela serait certainement vrai pour certains métiers et certaines professions. Cela pourrait réduire le problème de façon importante, tout comme la possibilité de retirer nos troupes déployées des opérations pourrait diminuer le stress.
Le président : Est-ce qu'on a déjà envisagé ce genre de répit?
Vam Jarvis : Il s'agit d'une question qui relève du sous-chef d'état major de la Défense et je n'ai pas participé à un tel débat.
Le président : Selon la politique actuelle, un militaire doit pouvoir se prévaloir d'un séjour d'au moins un an entre les déploiements principaux et ne doit pas être séparé de sa famille pendant les 60 premiers jours suite à son déploiement. Vous êtes présentement en train d'examiner cette question pour déterminer si ces périodes de repos sont adéquates.
Vam Jarvis : C'est exact.
Le président : On a entendu parler d'une proposition qui prévoit qu'un soldat pourrait s'attendre à se trouver dans un théâtre d'opérations pendant six mois, suivis d'un stage pendant lequel il pourrait soit recevoir ou dispenser une formation pendant quatre mois et serait éloigné de sa famille pour un total de 10 mois sur 36. Qu'en est-il de cette proposition et est-ce qu'elle est faisable?
Vam Jarvis : Les recherches ne sont pas terminées. C'est certainement une possibilité, mais je ne sais pas si on veut suivre cette voie.
Auparavant, la tendance était de mettre l'accent sur le rythme des opérations, c'est-à-dire qu'on mettait l'accent uniquement sur les opérations relevant du sous-chef d'état major de la Défense à l'étranger. Mais la réalité, c'est que toutes les absences du foyer familial, que ce soit pour les fins de la formation, les fonctions temporaires ou peu importe, exercent une certaine pression sur la famille. La question que je pose est la suivante : devrions-nous, par exemple, tenir compte de l'envers de la médaille,devrions-nous envisager la possibilité d'offrir un repos de toute opération au prorata?
Peut-être que ce n'est pas une bonne chose d'offrir un an après six mois; il faut peut-être envisager la possibilité d'offrir six mois après deux ans. D'après les recherches, certaines absences plus courtes peuvent, dans certains cas, avoir un impact négatif sur nos troupes. À l'heure actuelle, nous faisons des recherches pour déterminer quel est le juste équilibre. Comme je l'ai dit auparavant, nous savons qu'une absence trop longue peut être très nocive, mais le contraire est vrai aussi.
Le président : Est-ce que vous discutez souvent de cette question avec votre collègue, le commandant de l'armée?
Vam Jarvis : On discute de cette question assez souvent au Conseil des Forces armées.
Le président : Il a témoigné ici il y a trois semaines et il nous a informés que cela est prévu à partir du 1er janvier 2006.
Vam Jarvis : Le commandant de l'armée a dit cela?
Le président : Oui, monsieur, il nous l'a dit de votre propre siège.
Vam Jarvis : Je suis persuadé qu'il aurait dit cela dans le contexte d'une vision en ce qui concerne l'armée. Naturellement, c'est le sous-chef d'état major de la Défense qui est responsable des déploiements internationaux. Cette question figure parmi d'autres options qui font l'objet d'une étude dans le contexte de cet établissement de politique.
Le président : Nous réexaminerons les transcriptions mais il me semblait qu'il tenait des propos fermes. Il parlait de la possibilité de pouvoir déployer deux groupes comprenant 1 000 soldats chacun, de façon indéfinie, et renforcés de 1 000 autres soldats une fois tous les deux ans. La question corrélative était combien de temps doivent les troupes passer en famille, et leur réponse, c'était six mois dans un théâtre d'opérations et quatre mois en formation. On lui a ensuite demandé quand il prévoyait commencer ce roulement et la réponse était à partirdu 1er janvier 2006. Pourriez-vous obtenir des précisions et en aviser le comité?
Vam Jarvis : C'est entendu, monsieur le sénateur.
Le président : Ma prochaine question porte sur la solde des soldats à l'étranger. Nous sommes au courant du système des primes et du congé fiscal octroyé aux soldats qui se trouvent dans un théâtre d'opérations. Il y a également quelque chose de prévu pour les troupes qui doivent subir un niveau de danger 3 et 4.
Il n'y a rien de prévu pour les soldats de niveau 1 qui sont absents pour de longues périodes et, pour ce qui est duniveau 2, on comprend que cela est déterminé cas par cas.
Les gens ont-ils droit à une certaine indemnisation lorsqu'ils sont séparés de leurs familles pendant de longues périodes? Cela n'a rien à voir avec le risque, ou le danger encouru, mais simplement l'impact qu'ont ces séparations sur eux et leurs familles lorsqu'ils sont loin de chez eux pendant très longtemps. Ils ne jouissent pas de leur vie familiale ou encore ils sont confrontés à d'autres formes de stress et à divers problèmes.
Vam Jarvis : L'un des facteurs dont on tient compte lorsqu'on établit la rémunération générale des militaires est l'incommodité de la vie militaire : les déménagements fréquents, les périodes passées loin de chez soi, etc. Il n'y a pas d'indemnité précise qui est versée simplement parce qu'on est loin de chez soi s'il n'y a pas de privations, risques ou autres circonstances atténuantes. Si, par exemple, un militaire part en mission pour un an, nous accorderons à cet individu le statut de restriction imposée, ce qui lui donne droit à une compensation financière pour son loyer et logement, afin qu'il ou elle n'ait pas à déménager toute sa famille.
Le président : Je pense à un camp en particulier où les gens sont affectés pendant six mois en rotation. Ne seriez-vous pas d'accord que le simple fait d'être éloigné de sa famille pendant six mois représente une difficulté d'existence?
Vam Jarvis : C'est effectivement une difficulté d'existence. Si le comité souhaite que l'on étudie un aspect précis de la structure des indemnités, je serai heureux de le faire. Puis-je vous demander à quel camp vous faites allusion, sénateur?
Le président : Je faisais allusion au camp Mirage.
Vam Jarvis : Je serai heureux de me pencher sur cette question. Nous savons que nos gens au camp Mirage sont tous préoccupés par la structure actuelle des indemnités. Pour être franc, toute notre structure d'indemnités fait actuellement l'objet d'un examen. Nous savons qu'elle n'est pas parfaite, et nous sommes actuellement en pourparlers avec des hauts fonctionnaires du Conseil du Trésor et d'autres à ce sujet.
Le président : Cette question ne touche pas uniquement le camp Mirage. C'est un bon exemple, mais il me semble que souvent, ces individus se retrouvent non seulement en poste pendant six mois mais lorsqu'ils reviennent, ils se voient tout de suite dépêchés ailleurs. Au bout du compte, il s'avère qu'ils sont loin de chez eux très longtemps. Je ne pense pas qu'il soit possible de les compenser pour de telles absences.
Cela dit, une certaine compensation monétaire pourraitpeut-être leur faciliter la vie un peu et ce serait là une mesure raisonnable. Avouons que très peu d'emplois exigent qu'on dise au revoir à sa famille qu'on ne reverra pas pendant six mois, et ce de façon régulière.
Vam Jarvis : Ayant moi-même passé jusqu'à un an loin de ma famille en restriction imposée pour fin de formation, je ne peux que confirmer qu'il s'agit d'un problème véritable pour les militaires. À l'heure actuelle, sénateur, le simple fait de se retrouver ailleurs que chez soi ne donne pas droit à une indemnité, outre les allocations générales qui reflètent le fait que dans le contexte des opérations, il faut se rendre dans des zones qui comportent des risques de difficulté d'existence ainsi que d'autres considérations donnant droit à une indemnité pour service à l'étranger. Cependant, je pourrais tenter de répondre à vos préoccupations de façon plus détaillée en temps et lieu.
Le président : Ce que je souhaiterais c'est que les séparations soient incluses dans la définition de difficulté d'existence. Nous connaissons l'incidence des ruptures conjugales et de l'éclatement des familles ainsi que l'incidence du stress. Je ne pense pas que l'on puisse remédier à ce phénomène uniquement par l'argent, mais cela pourrait peut- être donner à ces familles le sentiment que les Forces canadiennes et le peuple canadien comprennent très bien que le fait de travailler loin de ses proches pendant une telle période représente en soi une difficulté d'existence exceptionnelle.
Vam Jarvis : Il existe un conseil consultatif mixte Conseil du Trésor-Forces canadiennes qui se réunit régulièrement pour se pencher sur les questions de ce genre. Je ferai mettre ce point à l'ordre du jour. Je crois qu'il s'agira d'analyser dans quelle mesure on tient compte de telles considérations dans l'établissement de la structure de rémunération globale, mais j'aborderai la question pendant nos rencontres et je serai heureux de vous faire part du fruit de nos discussions.
Le président : Merci. Il me semble qu'il y a un rapport avec la rupture de la famille, que cela fait partie de la maladie ou de la santé en général, et je serais très heureux si vous pouviez nous envoyer une réponse à cette question.
Ma dernière question porte sur la ressemblance entre la composition des forces armées et la composition du Canada. En d'autres mots, j'aimerais savoir jusqu'à quel point la population du Canada a changé au cours des 20 dernières années. Je serais curieux de savoir si vous êtes capable de mesurer la représentativité. Je serais aussi curieux de savoir comment les Forces canadiennes perçoivent l'avenir dans 10 ou 20 ans. Jusqu'à quel point le Canada sera-t-il différent et quel type de gens le forces armées recruteront-elles afin de refléter les changements démographiques du pays?
Vam Jarvis : C'est une excellente question et un sujet qui nous préoccupe beaucoup.
Il est vrai que notre objectif clair à long terme est celui d'avoir des Forces canadiennes qui reflètent vraiment à tous les niveaux le Canada pour lequel elles travaillent. Nous n'y sommes pas encore arrivés. Nous avons des objectifs très clairs que nous poursuivons mais nous ne réussissons pas à attirer suffisamment de minorités visibles et d'Autochtones, notamment. Si nous nous tournons vers demain, nous voyons que d'ici environ 2045 la population canadienne sera majoritairement composée de minorités visibles, et donc nous devons mieux réussir à les attirer et à les garder.
C'est pour cela que j'ai une règle stricte, et j'en ai informé mon commandement du groupe de recrutement, à l'effet que les forces armées ne doivent pas se servir de matériel publicitaire qui ne reflète pas la diversité parce qu'il s'agit de notre avenir. C'est donc une question très importante. Nous avons des objectifs fermes et nous devons réussir beaucoup mieux à puiser dans ces nouveaux bassins de talents au Canada.
Le président : Quels changements voyez-vous à l'avenir?
Vam Jarvis : Je vois l'avenir changer et je crois qu'il change déjà, car au sein de l'institution nous nous penchons déjà sur la diversité. Je copréside le Conseil sur la diversité de la défense avec mon homologue du côté des ressources humaines civiles. Nous avons des groupes consultatifs qui se penchent sur les quatre groupes désignés. Nous discutons des initiatives, des questions importantes et des préoccupations. Nous essayons de faire tout notre possible pour transformer l'institution afin de la rendre davantage réceptive aux diverses cultures car un de nos défis consiste à recruter ces Néo-Canadiens, mais il faut aussi réussir à les garder. Nous reconnaissons que le visage de l'institution doit évoluer à mesure que le pays évolue. Nous sommes résolus à réaliser cet objectif. C'est une priorité personnelle très importante pour moi. Je suis le champion des Autochtones et mon but est d'assurer que le nombre de gens appartenant aux groupes désignés, notamment les minorités visibles et les Autochtones, augmente au sein des forces armées.
Le président : Au nom du comité, j'aimerais vous remercier et j'aimerais que vous sachiez que nous sommes très heureux que vous soyez venu. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements. Vous nous avez aussi promis des renseignements supplémentaires que nous serons heureux de recevoir. Je crois que vos travaux continueront de nous intéresser et probablement nous voudrons que vous reveniez nous voir.
Au nom du comité, merci d'être venu aujourd'hui et de nous avoir donné autant de renseignements. Pour ceux qui nous écoutent, si vous avez des questions ou des commentaires, s'il vous plaît consultez notre site Internet au www.sen- sec.ca. Vous y trouverez également les présentations des témoins ainsi que l'horaire du comité. Vous pouvez aussi communiquer avec le greffier du comité en appelant le 1-800-267-7362 pour obtenir plus de renseignements ou pour communiquer avec les membres du comité.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.