Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 14 - Témoignages du 28 février 2005 - Séance de l'après-midi


VICTORIA, le lundi 28 février 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 13 h 55 pour examiner la politique de sécurité nationale du Canada et en faire rapport.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bon après-midi et bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny et je préside le comité. Nous sommes très heureux d'être ici aujourd'hui.

Le comité entend aujourd'hui des témoignages sur la politique nationale de sécurité. Avant de commencer, je voudrais vous présenter les membres du comité.

Premièrement, à ma droite immédiate se trouve l'éminent sénateur Michael Forrestall de la Nouvelle-Écosse. Le sénateur Forrestall représente la population de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député à la Chambre des communes et ensuite en tant que sénateur. À la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'opposition officielle pour la défense de 1966 à 1976. Il est aussi membre de notre Sous-comité des anciens combattants.

À sa droite se trouve le sénateur Peter Stollery de l'Ontario. Il a été élu une première fois à la Chambre des communes en 1972 et réélu en 1974, 1979 et 1980. Il a été nommé au Sénat en 1981. Le sénateur Stollery est président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et il est également membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

À côté de lui se trouve le sénateur Pierre Claude Nolin.

[Français]

Le sénateur Nolin vient du Québec. Il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet invitant à une législation et à une réglementation du cannabis au Canada. Il est actuellement vice- président du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Sur le plan international, le sénateur Nolin est actuellement président du Comité des sciences et de la technologie de l'Association parlementaire de l'OTAN.

[Traduction]

À ma gauche immédiate se trouve le sénateur Tommy Banks de l'Alberta. Il préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a publié récemment un rapport intitulé Le défi d'une tonne. Il est bien connu des Canadiens comme musicien et artiste de la scène polyvalent. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux olympiques d'hiver de 1988. Il est officier de l'Ordre du Canada et lauréat d'un prix Juno.

Au bout de la table se trouve le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick. Le sénateur Day est vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et aussi de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est membre du Barreau du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec, et membre de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Il est également un ancien président et chef de la direction de la New Brunswick Forest Products Association.

Notre comité est le premier comité sénatorial dont le mandat est d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat a invité notre comité à se pencher sur la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Nous avons commencé notre examen en 2002 avec trois rapports : L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février; La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, en septembre; et Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : Une vue de bas en haut, en novembre. En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier; et Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre. En 2004, nous avons publié deux autres rapports : Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne, en mars; et récemment Le manuel de sécurité du Canada, édition 2005.

Le comité étudie la politique de défense du Canada. Au cours des prochains mois, le comité tiendra des audiences dans toutes les provinces et dialoguera avec les Canadiens pour déterminer en quoi consiste l'intérêt national pour eux, quelles sont à leur avis les principales menaces qui pèsent sur le Canada et comment ils souhaiteraient que le gouvernement réponde à ces menaces.

Le comité essaiera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de dégager un consensus sur les besoins militaires et le type de forces armées que les Canadiens veulent.

Le comité est très heureux d'être ici à Victoria, où se trouve la base des Forces canadiennes d'Esquimalt, qui est la base maritime de la côte ouest du Canada. Nous avons eu une matinée très fructueuse puisque nous avons visité la base et nous avons hâte de poursuivre nos discussions cet après-midi.

Nous avons devant nous comme témoins le contre-amiral Forcier, qui s'est enrôlé dans la Marine canadienne en 1971 et qui est diplômé du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes à Toronto et du Collège de la Défense nationale à Kingston. Il a servi dans le Golfe persique et à Bahrein durant la première guerre du Golfe. De 1994 à 1996, il a été commandant adjoint de la Réserve navale dans la ville de Québec. En 1996, il a pris le commandement du quatrième groupe d'opérations maritimes à Esquimalt. En août 1997, on lui a confié en plus le poste de chef d'état-major de la flotte canadienne du Pacifique. En 1999, il a été promu commodore et investi à titre d'officier de l'Ordre du mérite militaire. Il a été nommé chef d'état-major des opérations conjointes au quartier général de la Défense nationale à Ottawa en septembre 2000. En 2002, il a été nommé conseiller spécial du chef d'état-major de la force maritime et il a assumé le poste de directeur général du personnel et de l'état de préparation maritime. Le contre-amiral Forcier a été promu à son grade actuel en juin 2003.

Il est accompagné du commodore Roger Girouard. Né à Montréal, au Québec, il a commencé son service dans la marine à titre de manoeuvrier de réserve à bord du NCSM Carleton à Ottawa, avant de se joindre à la force régulière à titre d'élève-officier MARS en 1974. Il a occupé un certain nombre de postes de commandement et d'état-major, notamment commandant en second du NCSM Athabaskan pendant la première guerre du Golfe, commandant du NCSM Iroquois et commandant du quatrième groupe d'opérations maritimes, et il a été déployé au Timor oriental à titre de commandant de la force opérationnelle interarmées canadienne baptisée Opération Toucan. Promu commodore en juin 2001, il est allé étudier à plein temps à la Royal Roads University, où il a obtenu une maîtrise ès arts. Le commodore Girouard a été déployé dans le cadre de l'opération APOLLO de janvier à juin 2003. Il a assumé le commandement de la flotte canadienne du Pacifique le 5 septembre 2003.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux, amiral et commodore. Je crois savoir que vous avez tous les deux une brève déclaration à faire. Vous avez la parole, amiral.

[Français]

Le contre-amiral J.Y. Forcier, commandant, Forces maritimes du Pacifique, ministère de la Défense nationale : Monsieur le président, membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, je voudrais, au nom des 5 100 militaires et employés civils des Forces canadiennes du commandement maritime du Pacifique, vous souhaiter la bienvenue à Victoria. Je suis accompagné aujourd'hui du commodore Roger Girouard, commandant de la flotte canadienne du Pacifique, qui prononcera également une brève allocution d'ouverture.

[Traduction]

J'ai comparu devant votre comité le 18 juillet 2001, alors que j'étais chef d'état-major des opérations interarmées et que je relevais du vice-chef d'état-major de la Défense. Aujourd'hui, mon commandant de flotte et moi-même avons le plaisir de vous faire une description des forces maritimes du Pacifique et de vous décrire notre éventail d'opérations.

Esquimalt est le foyer de la force maritime du Canada dans l'Ouest depuis la création de la Marine royale canadienne en 1910. Avant cela, la Marine royale avait une présence ici à Esquimalt dès 1837. Elle a établi le quartier général de ses forces du Pacifique ici en 1859 et une base permanente en 1862.

Nous sommes l'une des deux formations de combat de la marine, mais comme pour toutes les principales formations des Forces canadiennes, notre rôle n'est pas à focalisation unique. Probablement à cause des nombreux changements de structure survenus dans les forces depuis l'unification, j'assume un éventail intéressant de cinq responsabilités : quatre tâches assignées et une autre qui est additionnelle et implicite, et je vais vous décrire brièvement tout cela.

D'abord et avant tout, j'assume la responsabilité, sous l'égide du chef d'état-major de la force maritime, de la mise sur pied d'une force. C'est-à-dire la formation et l'état de préparation des forces navales pour les opérations courantes et d'urgence. Dans le premier cas, c'est habituellement une tâche dévolue au chef d'état-major de la force maritime et, dans le deuxième cas, c'est confié au vice-chef d'état-major de la défense au nom du chef d'état-major de la défense. Alors que mon école navale, mon centre d'entraînement des officiers de marine et mes installations d'entretien maritime préparent les marins et les navires à naviguer en sécurité, et que les bases fournissent un soutien multiformes, le commodore Girouard, qui est mon officier principal chargé des déploiements, commande la flotte et en assure la préparation au combat.

Deuxièmement, j'ai le mandat d'assurer présence et surveillance sur un territoire de 1,7 million de kilomètres carrés qui va un peu au-delà de nos eaux territoriales et de notre zone économique. La planification et la supervision de cette surveillance sont assurées par mon centre de soutien des opérations, appelé ATHENA, et ont été exécutées historiquement par des navires de la marine et des aéronefs des forces. Au cours des dernières décennies, nous avons ajouté l'information provenant des systèmes de gestion du trafic maritime des gardes côtières canadienne et américaine, et récemment, nous avons profité des services aériens effectués sous contrat pour le ministère des Pêches.

Ma troisième mission est la recherche et le sauvetage. À titre de commandant des forces maritimes du Pacifique, je suis désigné commandant de la recherche et du sauvetage pour la région de l'Ouest à la fois pour les cas de détresse maritimes et aériens. Appuyé par un centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage doté d'effectifs provenant de la Garde côtière canadienne et de l'armée de l'air, nous répondons à plus de 2 000 appels d'urgence par année, plus de 10 p. 100 étant identifiés comme des interventions ayant permis de sauver des vies. Le noyau de nos actifs consacrés à la recherche et au sauvetage provient de la Garde côtière canadienne et de l'escadron 442 de recherche et de sauvetage de Comox. Cependant, tous les navires fédéraux qui sont en mer appuient nos efforts de recherche et de sauvetage, de même que d'importantes composantes formées de bénévoles de l'aviation civile et de la garde côtière auxiliaire.

[Français]

Comme quatrième élément de mon mandat, j'ai le plaisir d'être commandant régional chargé de la supervision du programme des cadets en Colombie-Britannique. Le programme touche plus de 6 500 Canadiens répartis entre 123 quarts de cadets de la marine, de l'aviation et de l'armée. Je dois rendre compte au vice-chef d'état-major de la défense, en collaboration avec les ligues de cadets, de l'exécution de cet important et remarquable programme de civisme.

[Traduction]

Le cinquième volet de nos activités est l'établissement et la maintenance de relations militaires dans le Pacifique. Comme le Pacifique n'a pas de forum comparable à l'OTAN, pour nous tenir au courant et maintenir notre influence dans le Pacifique, nous devons participer à une foule de rencontres destinées à renforcer la confiance et travailler avec de nombreuses autres marines dans le cadre d'exercices souvent organisés par le commandement du Pacifique de la marine des États-Unis.

Ayant décrit mes cinq domaines d'activité, je voudrais maintenant consacrer le reste de mon intervention à deux domaines : le dispositif opérationnel et nos relations régionales et avec les États-Unis. Avant l'opération Friction, en 1990, date à laquelle la marine est allée pour la première fois dans le Golfe persique, la côte Ouest semblait reléguée à l'entraînement de nos officiers et de certains de nos marins. Il est vrai que nous naviguions au large pour battre pavillon canadien, mais nous n'avions pas, d'après moi, de plan de surveillance cohérent, pas plus que nous n'avions de navires vraiment capables d'entreprendre des déploiements opérationnels. L'arrivée des frégates de patrouille canadienne en 1993 et des navires de défense côtière en 1996 a changé notre dispositif et notre mode opérationnel. Donner l'entraînement de base en mer est devenu une tâche secondaire, partagée plus également entre les deux côtes, et nous avons mis davantage l'accent sur l'état de préparation pour les patrouilles, la surveillance et la déployabilité. Notre surveillance est fondée sur un plan détaillé et notre flotte a acquis et maintenu des habiletés opérationnelles ainsi que l'interopérabilité avec les États-Unis et d'autres alliés. Le commodore Girouard vous en parlera plus longuement tout à l'heure.

Je vais maintenant aborder nos relations régionales et avec les États-Unis. La nouvelle politique nationale de sécurité a été bien accueillie comme instrument pour ouvrir formellement et maintenir le dialogue avec tous les ministères et les agences qui ont une dimension de sécurité maritime dans leur mandat. Nous nous occupons d'échange d'information et de coopération depuis de nombreuses années. On peut en donner comme exemple notre collaboration étroite avec notre propre ministère des Pêches et avec la Garde côtière, que nous rencontrons régulièrement depuis de nombreuses années; et avec la GRC, qui prête à mon état-major un officier de liaison en détachement permanent depuis environ dix ans. Je rencontre personnellement beaucoup de mes homologues tous les deux mois dans le cadre du Conseil des hauts fonctionnaires fédéraux de la région du Pacifique, et mon officier des opérations préside un groupe de travail régional sur les questions de sécurité maritime.

Nos relations avec les agences maritimes des États-Unis sont excellentes. Nous avons des relations de travail quotidiennes avec la marine et la garde côtière des États-Unis. Nous avons des entretiens formels au niveau de l'état- major au moins une fois par année et il y a fréquemment des visites réciproques d'experts dans le domaine de l'échange des données et de la gestion. Pour vous montrer la profondeur de l'interaction, j`ai un capitaine de la marine qui est agent de liaison auprès du commandant de la flotte du Pacifique, amiral quatre étoiles en poste à Hawaï, et l'officier chargé du calendrier des opérations pour le commandant de la troisième flotte, qui est le principal agent de mise sur pied d'une force dans le Pacifique, est un officier canadien en détachement.

Dans mon poste, je maintiens des contacts personnels avec le commandant de la troisième flotte de la marine des États-Unis et les amiraux de la garde côtière à Seattle et à Juneau, et aussi avec leur grand patron du Pacifique qui est à Alameda, en Californie. Le travail de l'équipe binationale de planification au Colorado a renforcé le dialogue au niveau national et a fourni un soutien à certaines de nos initiatives régionales, mais nous partageons depuis longtemps des éléments d'un tableau opérationnel commun.

Cela dit, je vais céder la parole au commodore Girouard, qui va vous parler des actifs qu'il a à sa disposition, de l'état de préparation de la flotte et de son expérience à titre de commandant tactique chevronné en mer.

Le commodore Roger Girouard, commandant de la Flotte canadienne du Pacifique : Honorables membres du comité, bon après-midi. Comme on vient de vous le dire, je commande la flotte du Pacifique. À ce titre, j'ai l'honneur de diriger et la responsabilité de superviser un large éventail d'actifs de la flotte, comprenant mon navire porte-étendard, un destroyer de la classe Iroquois; cinq frégates de la classe Halifax; un ravitailleur, le Protector; notre seul sous-marin de la classe Victoria; six navires de défense côtière de la classe Kingston; l'unité de plongée sous-marine; deux états-majors restreints, celui de mon quartier général et celui de nos forces côtières; le quatrième groupe de commandement des opérations; un groupe d'entraînement en mer chargé de m'aider à maintenir les habiletés et les normes opérationnelles et de combat, ainsi que divers éléments de la réserve de la marine, notamment des unités de sécurité portuaire, des équipes de plongeurs et des unités de coordination navale et de conseillers maritimes.

En tout, je dirige un effectif d'environ 1 900 réguliers, 350 réservistes et neuf civils, des hommes et des femmes qui servent dans la flotte et qui constituent le fer de lance de la flotte canadienne du Pacifique. Avec ces unités et un budget annuel de 17 millions de dollars, mon travail consiste à fournir des capacités. Je veux dire par là que je suis chargé de mettre sur pied et de maintenir tout un éventail de capacités pour la flotte du Pacifique, pour les Forces canadiennes et pour le Canada. Notre objectif a été d'établir un équilibre entre le développement des forces et l'emploi des forces, de maintenir un état de préparation suffisant dans un climat de rareté des ressources, tout en étant efficaces et déployables au besoin. De même, nous sommes conscients des différents domaines dans lesquels nous pourrions être appelés à intervenir, que ce soit outre-mer, comme on l'a fait durant l'opération APOLLO, plus près de chez nous pour la défense de l'Amérique du Nord, ou bien dans le contexte d'opérations intérieures au Canada, qu'il s'agisse d'une opération de sécurité ou d'une intervention de secours en cas de sinistre.

D'après mon expérience, les habiletés que nous acquérons en nous préparant à d'éventuelles crises ou scénarios de guerre ouverte nous permettent ensuite d'agir de manière efficace et adaptative même dans les situations intérieures les plus complexes, quoique non hostiles, et dans toute situation imaginable. Les capacités de communication et de coordination, le leadership et la cohésion d'équipes exigées par une situation servent invariablement de gage de succès dans l'autre cas.

[Français]

Notre grande priorité pour la flotte depuis 12 mois est le groupe opérationnel de contingence dont nous avons assumé la responsabilité en novembre dernier. Il a fallu aux marins, aux officiers, aux départements, aux aviateurs et à l'état-major, toute une année de préparation et il a fallu développer une grande cohésion entre nous et entre tous les éléments de cette entité multibâtiments qu'est le groupe opérationnel.

Nos efforts ont porté des fruits grâce à une solide capacité de commandement et de contrôle, c'est-à-dire grâce à la bonne fusion des communications, de la détection et de l'intelligence humaine.

[Traduction]

Le fait que nous soyons parvenus au niveau approprié de cohésion du commandement a été illustré par notre participation au grand exercice RIMPAC, c'est-à-dire bordure du Pacifique, de la marine américaine en juillet de l'année dernière. Non seulement le Canada a fourni quatre navires et plusieurs avions pour cet exercice, mais de plus, mon état-major a servi de commandement de combat en mer à une force multinationale de quelque 40 navires de sept pays, assumant la responsabilité directe de la guerre de surface et sous-marine, en plus de la coordination globale de la compilation de l'imagerie et une part importante de la répartition des forces. Ces tâches ont été effectuées à partir du NCSM Algonquin, mon navire porte-étendard, au lieu de suivre les traditions établies depuis plusieurs décennies et d'embarquer le personnel à bord du porte-avion de la marine américaine participant à l'exercice.

Cela dénote notre compétence non seulement dans le domaine international, mais illustre aussi la capacité de l'équipe d'affronter des circonstances complexes dans un contexte intérieur. De même, cela illustre le potentiel de l'indépendance d'un organe de prise de décisions dans n'importe quel forum. Il en résulte un appui plus solide et un impact plus mesurable sur une coalition d'alliés; cela se traduit également par la capacité « d'affirmation nationale » nous permettant soit de diriger un effort régional, soit d'entreprendre une action nationale indépendante; et la capacité de prendre en main les problématiques dans les eaux nationales, le cas échéant.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, je m'occupe de fournir des capacités. Mon rôle est d'offrir des outils, des talents et des capacités qui, à leur tour, présentent un menu d'options à même lesquelles peuvent choisir mon commandant et le gouvernement du Canada.

Le président : Merci beaucoup, commodore.

Le sénateur Day : Contre-amiral, commodore, merci beaucoup pour vos observations et pour nous avoir donné la chance d'aller voir sur place les navires et la base ce matin.

Comme vous le savez, notre comité et un autre comité de la Chambre des communes qui s'occupe en particulier des forces armées et des questions de sécurité sont préoccupés depuis bon nombre d'années par la qualité de la vie de vos troupes. D'après ce que nous avons vu aujourd'hui, il y a eu une amélioration considérable et nous en sommes vraiment contents. Nous avons fait de nombreuses recommandations et beaucoup d'entre elles sont en voie d'être mises en oeuvre.

Il est clair que les gens se plaisent bien ici à Victoria au service de la marine. Il est évident que c'est un endroit où il fait bon vivre, puisque le soleil brille et qu'il fait beau. Je suppose que cela soulève des préoccupations particulières. Je voudrais que vous m'expliquiez comment fonctionne ce mécanisme : un certain nombre de gens ont dit qu'ils touchaient des montants d'argent supplémentaires pendant qu'ils sont en poste ici à cause du coût de la vie, et du coût élevé de leur logement, probablement plus que toute autre chose.

Ils ont dit que ces montants ont été diminués récemment. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour essayer de faire augmenter les salaires de base de tous nos militaires, y compris ceux de la marine. En même temps, est-on vraiment en train de réduire ce rajustement pour le coût de la vie ici? Pouvez-vous m'expliquer comment cela fonctionne?

Le cam Forcier : Certainement. Il n'y a pas de doute que l'attention qui a été consacrée à la qualité de la vie ces dernières années a donné des résultats. Vous dites tout à fait à juste titre que dans un domaine particulier, il subsiste une difficulté. Il s'agit essentiellement du logement. Nous avons maintenant fait suffisamment d'études pour conclure que la qualité de la vie, en termes de conditions de vie, du coût du panier d'épicerie au magasin local, et cetera, que tout n'est pas si mal pour les membres des forces armées peu importe où ils sont en poste. La difficulté, c'est l'immobilier ici en Colombie-Britannique.

Nos membres ont accès à plusieurs logements familiaux, mais ces logements aussi ont maintenant des loyers assez élevés. En fait, le jeune marin moyen qui a une jeune famille et qui a donc besoin d'une maison modeste de 1 000 pieds carrés à deux chambres à coucher, paierait quelque part entre 880 $ et plus de 1 000 $ par mois de loyer.

Cependant, cette situation est quelque peu atténuée par l'indemnité de vie chère en région — c'est cette prime supplémentaire que vous avez mentionnée — laquelle a fluctué au fil des années. À l'heure actuelle, elle se situe à 464 $ par mois en sus de leur salaire. C'est un avantage imposable que nous offrons à nos marins, quels que soient leur grade ou leurs années de service. Si vous travaillez ici dans la flotte du Pacifique, peu importe que vous viviez dans un logement familial ou ailleurs, que vous soyez locataire ou propriétaire, votre chèque de paye comprend un montant supplémentaire de 460 $ par mois, mais c'est imposable.

Nous avons été témoins d'une certaine frustration au fil des années. Par exemple, en octobre 2001, peu après qu'on ait commencé à se pencher sur la qualité de la vie, l'allocation versée à nos marins était d'environ 664 $. Au fil des années, ce montant a été diminué d'environ 200 $, en raison de deux facteurs. Nous avons eu deux augmentations de salaire importantes. La dernière fois, on nous a dit la semaine dernière que nos jeunes marins toucheraient une paie rétroactive de 6,5 p. 100, le tout résultant de deux composantes additionnées, plus une autre augmentation de 1,24 p. 100 à partir du 1er avril de cette année. Ce sont là des facteurs atténuants. Il y a toutefois une difficulté inhérente à ce montant, à savoir qu'il est difficile de faire une comparaison objective entre différentes régions du pays. D'après les indications que nous avons jusqu'à maintenant, il semble que la plus grande partie de l'argent qui a été distribué à l'échelle nationale pour l'indemnité de vie chère en région a été considérée comme faisant partie du salaire de base si une autre région du pays — ce qui est le cas depuis la mise en place de ce processus — peut également soutenir de manière convaincante qu'elle a également besoin d'un complément salarial. Dans le passé, cela a entraîné des réductions correspondantes quelque part ailleurs au pays. C'est la source de frustration de nos marins. Ils ne voient pas de diminution du coût de la vie ici et ils subissent parfois une petite baisse de salaire à cause de la compensation à l'échelle nationale.

Le sénateur Day : Il y a trois ou quatre ans, on estimait qu'il leur fallait 600 $ de plus pour le logement. Le coût du logement n'a pas baissé, mais vous dites qu'étant donné qu'ils ont touché une augmentation de salaire, ils peuvent se permettre d'en payer une plus grande partie à même leur salaire. Cependant, il n'en demeure pas moins qu'il leur reste moins de revenu disponible à la suite de cette augmentation, en comparaison de quelqu'un qui habite à Chicoutimi ou Bagotville ou Gagetown ou ailleurs au Canada.

Le cam Forcier : Absolument.

Le sénateur Day : Il doit y avoir une meilleure formule que cela.

Le cam Forcier : Nous serions ravis de la connaître. Je suis sympathique à la situation de tous mes effectifs. C'est difficile de planifier son avenir, non pas pour le coût de la vie en général, mais pour le logement, quand on a des fluctuations de revenu. Il faut un revenu stable pour le logement.

Le sénateur Day : La formule est-elle contrôlée par les ressources humaines au quartier général de la Défense nationale ou bien contrôlez-vous cela ici même?

Le cam Forcier : La formule est contrôlée par le centre.

Le sénateur Day : Dans ce cas, nous en parlerons au responsable du centre. C'est facile pour nous d'établir des contacts là-bas.

Est-ce que c'est vous ou le commandant de la base qui fixe le loyer des logements familiaux?

Le cam Forcier : Non. La structure de logement actuelle est gérée au nom des Forces canadiennes par l'Agence de logement des Forces canadiennes. Il s'agit d'une agence du ministère. Elle fixe les loyers selon la valeur sur le marché, en faisant évidemment un rajustement. Nous n'avons aucun contrôle local sur les loyers. Ni le commandant de la base ni moi-même n'avons notre mot à dire sur ces loyers.

Le sénateur Day : Est-ce que le quartier général de la Défense nationale contrôle cette agence en ce sens qu'il peut lui dire : « Vous demandez trop cher à Esquimalt? »

Le cam Forcier : Je ne connais pas de façon détaillée les relations exactes entre l'agence et le quartier général ni la manière dont les coûts sont établis. Peut-être le commodore Girouard a-t-il acquis de l'expérience dans ce domaine dans son poste précédent.

Le cmdre Girouard : J'ai déjà travaillé dans le domaine de l'élaboration des politiques. Le but était d'établir l'agence de logement comme entreprise indépendante, comme entité autosuffisante. Il a été prévu que cette agence soit passablement indépendante. Je sais que mes collègues des ressources humaines auront un élément de supervision et qu'il y a certaines discussions, mais en règle générale, on hésite à s'ingérer dans l'établissement des tarifs pratiqués sur le marché, à moins qu'il y ait vraiment quelque chose qui cloche. L'agence est passablement indépendante.

Le sénateur Day : Vous savez que vos marins croient que c'est vous, ici même, dans la flotte du Pacifique, qui établissez le loyer des logements familiaux.

Le cam Forcier : J'espère que ce point de vue n'est pas répandu. Le commodore et moi-même rendons souvent visite aux unités. Nous visitons au moins la moitié des navires et nous avons une assemblée publique pour discuter de ces questions. Il est évident que nous devons faire comprendre cela clairement.

Il y a un point sur lequel je voudrais insister dans toute cette structure, à savoir que nous avons toujours tenté d'offrir un accès équilibré aux logements familiaux; c'est un service que nous offrons à nos soldats qui ont bien sûr l'option de se sevrer, pour ainsi dire, de ce service, puisqu'ils ne sont pas obligés de conserver ce lien avec les forces armées jusqu'à la fin de leur vie. Autrement dit, nous préférons que les gens deviennent propriétaires et s'établissent pas seulement pour la durée de leur carrière, mais aussi pour assurer leur avenir une fois qu'ils auront pris leur retraite des forces. La difficulté ici est que le coût est tellement élevé, mais en dépit de cela, les jeunes marins d'aujourd'hui n'hésitent pas à faire le saut. Au lieu de payer 1 000 $ ou 1 200 $ par mois de loyer, ils participent à l'économie. C'est bien pour un jeune marin de la côte Ouest qui va passer la plus grande partie de sa carrière ici près de chez lui, parce qu'il peut alors établir cette base solide et cet investissement. Malheureusement, une grande partie de nos effectifs en uniforme passent leur temps à migrer d'un bout à l'autre du pays. Ces gens-là sont durement touchés et ils n'osent pas faire le saut.

Je suis venu une fois pour trois ans et je suis resté quatre ans. Je suis maintenant ici depuis deux ans et je vais repartir. Je n'ai pas osé faire le saut dans le marché de l'immobilier parce que je ne savais pas combien de temps je resterais. Je comprends donc leur dilemme.

Le sénateur Day : Je vous remercie de vos observations là-dessus. Ma question suivante s'adresse au commodore Girouard. C'est au sujet de votre budget, dont vous avez dit qu'il s'élève à 17 millions de dollars.

Pour avoir visité Esquimalt et la base, nous savons que l'on prélève des pièces sur un navire pour en réparer un autre qui est plus prioritaire et que le problème des pièces continue de se poser. Est-ce que l'approvisionnement en pièces pour l'exploitation de la flotte est l'une de vos responsabilités dans le cadre de ce budget de 17 millions de dollars?

Le cmdre Girouard : Si vous me le permettez, sénateur, je vais décrire ce que ce montant de 17 millions de dollars englobe et cela répondra à votre question. Le montant de 17 millions dont je parle est ma portion discrétionnaire du budget global de la côte, le budget théorique administré par l'amiral. Les principaux intervenants sont moi-même, la base et l'installation d'entretien de la flotte. Les 17 millions de dollars représentent l'élément exploitation quotidienne des troupes et des navires, mais cela ne comprend pas certains suppléments, par exemple le coût du carburant. Le coût du carburant a tellement fluctué que nous avons pris la décision stratégique de retirer cette dépense de mon budget. C'est l'amiral qui gère cela et qui assume le risque de la hausse du coût du carburant. Bien qu'il puisse paraître minime, ce montant de 17 millions de dollars est un budget théoriquement suffisant au début de l'année. J'obtiens un certain nombre d'injections de capitaux de l'amiral et de la base et de l'installation d'entretien de la flotte pour m'aider à faire mon travail, mais c'est pris à même leur enveloppe budgétaire.

Pour ce qui est des pièces détachées, cela fait essentiellement partie d'un système national régi par le sous-ministre adjoint (matériels). Nous, à la flotte, puisons essentiellement dans cette chaîne d'approvisionnement selon les besoins. Quelle fraction de cela payons-nous? Nous payons parfois le coût du transport ou un coût supplémentaire pour faire venir un technicien avec la pièce. Pour moi, ces coûts sont essentiellement cachés. À l'échelle nationale, il y a des difficultés dans la chaîne d'approvisionnement et dans les stocks de pièces. Cela a parfois incité la flotte à faire cette cannibalisation des pièces dont vous avez parlé.

Le sénateur Day : Je voudrais en parler davantage, mais je suppose que les salaires de tous les marins ne font pas partie de cette somme de 17 millions de dollars.

Le cmdre Girouard : C'est exact, sénateur.

Le sénateur Day : Avez-vous suffisamment de pièces ici à Esquimalt pour répondre à vos divers besoins en fonction de vos mandats, ou bien êtes-vous d'avis que vous pourriez faire du bien meilleur travail si vous aviez davantage de pièces disponibles ici même?

Le cmdre Girouard : Sénateur, vous comprendrez qu'un navire, c'est une machine assez complexe. Ma chaîne d'approvisionnement est suffisante pour me permettre de faire naviguer les navires dont j'ai besoin. Il arrive parfois que nous ayons des difficultés avec le matériel électronique. Par exemple, les circuits imprimés peuvent poser des difficultés et parfois le cycle de remplacement des contractuels peut être très long. À l'occasion, une certaine pièce, par exemple un système d'armement rapproché ou un capteur électronique, peut être en panne sur un navire particulier au moment où il quitte le port. Bien sûr, nous avons des systèmes en double et nous faisons alors face au problème. Le navire prend la mer et il n'est pas vulnérable.

Si je dois déployer un navire particulier outre-mer, par exemple le NCSM Winnipeg qui se prépare à effectuer une opération orchestrée par le sous-chef d'état-major de la défense au printemps, nous planifions le processus de réparation et de révision, ainsi que la préparation de l'équipage, de manière que le navire soit dans un état impeccable au moment de quitter le port. Nous mettons l'accent sur les besoins, en gérant le risque au besoin de manière à atteindre cet état impeccable.

Maintenant, est-ce que chaque navire sous mon commandement dispose d'absolument toutes les pièces? Non. À l'heure actuelle, il faut composer avec cela. C'est une question de gestion et nous y travaillons sans relâche.

Le sénateur Day : Quel est le principal facteur limitatif pour vous : les pièces ou la formation du personnel?

Le cmdre Girouard : À l'heure actuelle, monsieur, il me faudrait dire les deux. Il manque un certain nombre de marins sur la côte en comparaison de l'effectif. J'ai dit qu'il y en avait 1 900 dans la flotte. L'effectif établi est en fait d'environ 2 200. Nous avons un peu de misère à faire en sorte que toutes les couchettes soient occupées à bord de tous les navires. Encore là, nous gérons cette équation de ressources humaines en accordant la priorité à ceux qui doivent être déployés et nous comblons les manques à bord des autres navires au besoin. Nous avons une vague de recrues qui arrive, de jeunes marins et officiers. Mais en termes d'entraînement, ce n'est pas encore tout à fait au point.

Quant aux pièces, il y a l'approvisionnement et les innombrables pièces diverses. Nous gérons cela. Notre autre défi, c'est la capacité de maintenance. C'est-à-dire la capacité pour l'effectif, y compris mes marins et les responsables de l'entretien de la flotte, d'effectuer tous les travaux d'entretien, toutes les réparations que je pourrais demander en une journée donnée.

Là encore, il y a un manque du côté de cette capacité. C'est encore quelque chose que nous gérons au jour le jour de manière collégiale. Cela exige une certaine adaptabilité. Il faut de temps à autre rajuster les programmes des navires, etc. Toute cette équation des ressources, qu'il s'agisse des effectifs, des pièces ou de la capacité de réparation, est une problématique que je suis de très près tous les jours de mon poste de commandant de la flotte.

Le sénateur Day : Je tiens à vous remercier beaucoup de nous avoir fait visiter aujourd'hui le secteur des opérations de surveillance ATHENA. Comme vous le savez, c'était l'une des recommandations formulées par notre comité, à savoir qu'il était important de rassembler tous les éléments d'information épars provenant de diverses sources. Durant le briefing que nous avons eu ce matin, je ne suis pas sûr d'avoir fait la distinction entre « voici ce que nous espérons réaliser à l'avenir » et « voici ce qui se passe réellement en ce moment ». En particulier, l'une des sources d'information était les véhicules sans pilote; une autre était les radars à ondes de surface. Or ni l'un ni l'autre ne sont déployés pour l'instant; c'est dans l'avenir.

Je voudrais savoir précisément si les avions fonctionnant à contrat et les appareils Aurora, qui sont exploités par l'armée de l'air, sont également opérationnels pour ce qui est de recueillir de l'information et de vous la transmettre en ce moment même, ou bien est-ce ce que vous espérez obtenir à l'avenir.

Le cam Forcier : C'est une bonne question. Les services aériens sous contrat et les données provenant des appareils Aurora sont des événements réels en ce moment même. Nous avons bénéficié du contrat que le ministère des Pêches et des Océans a conclu. Nous avons négocié avec eux pour élargir leur contrat de manière à nous fournir environ 1 500 heures de vol pour compléter directement nos besoins, au lieu de patrouiller uniquement les eaux côtières ou à proximité des côtes, comme les Pêches le feraient normalement.

Les Aurora feront davantage de sorties. Ils peuvent traverser tout le Pacifique au besoin. Nous utilisons cette capacité en coordination, pour rester en contact plus longtemps avec certains points précis et assurément pour aller plus loin. Les deux déversent continuellement et automatiquement une série de renseignements dans notre tableau technologique informationnel que vous avez vu ce matin.

Le sénateur Day : Ils ont le même matériel électronique à bord.

Le cam Forcier : Ils ont tous des capteurs à infrarouge, etc. C'est géré à bord de l'avion et déversé sous forme de flux de données dans notre capacité de surveillance.

Le sénateur Day : Vous n'avez besoin de rien de plus pour rendre votre unité de surveillance et de sécurité ATHENA plus efficace?

Le cam Forcier : L'efficacité tient aussi en partie à la quantité. Il est clair que le fait d'avoir d'autres sources de données comme les deux types de capteurs dont nous avons discuté renforcera certainement notre capacité.

Le sénateur Day : Pour ce qui est des capteurs, je comprends, mais ma question était limitée à l'avion sous contrat et à l'avion de l'armée de l'air.

Le cam Forcier : L'avion sous contrat a été très bien reconfiguré pour correspondre à nos besoins et nous fournir les données que nous voulions.

Le vice-président : Je voudrais poser deux ou trois questions, amiral Forcier. Dans votre déclaration, vous dites que l'une de vos responsabilités est d'assurer une présence et une surveillance sur un territoire de 1,7 million de kilomètres carrés. Étant donné le rythme des opérations des trois dernières années, comment cette mission a-t-elle été affectée?

Le cam Forcier : Il est clair que dans le cas de l'opération APOLLO, il nous a fallu accélérer le rythme des opérations de nos navires de défense côtière maritime. On a envisagé que les bateaux de taille moyenne pourraient se charger de plusieurs tâches, notamment l'entraînement et la surveillance. Il est juste de dire — et le commodore pourrait probablement vous donner les chiffres par coeur — qu'en général, nous avons fait plus de 600 journées de sortie en mer par année au large des côtes, cinq navires en moyenne étant normalement affectés à ces patrouilles. Nous avons également dû obtenir davantage de soutien, comme je l'ai dit tout à l'heure au sénateur Day, je veux parler des services aériens à contrat et de notre flotte d'Aurora à Comox. Notre présence de navires de guerre est moins imposante, mais nous avons dû les remplacer par d'autres pour assurer notre présence sur l'eau.

Le vice-président : De manière générale, combien de jours faites-vous de plus aujourd'hui par rapport à la période d'avant le 11 septembre?

Le cam Forcier : Nous avons reçu une légère augmentation du nombre de jours. Comme le commodore l'a expliqué, le carburant est l'une des contraintes en matière de ressources. Pour chaque journée additionnelle que nous faisons en mer, je dois mettre dans la balance le coût proportionnel de l'exploitation du navire, des installations qui doivent préparer le navire et assurer son soutien, comme pour n'importe quelle autre plate-forme complexe. Pour chaque dollar que je donne au commodore pour du temps supplémentaire en mer, je dois donner aux ingénieurs un dollar supplémentaire pour assurer l'entretien des navires.

Nous avons accru d'environ 50 jours les opérations consacrées à la souveraineté — et c'était mon premier effort en ce sens cette année. Nous avons déjà réussi à accomplir cela. Nous avons rétabli les patrouilles exclusives pour les deux types de navires, c'est-à-dire que les navires prennent la mer et patrouillent les eaux côtières. Nous avons élaboré un plan avec nos partenaires des autres ministères gouvernementaux. Je ne sais pas trop jusqu'où nous pourrons aller à l'avenir ou combien je peux me permettre, mais il est certain que l'orientation est claire et que nous voulons renforcer notre présence et notre capacité de surveillance.

Le vice-président : Quelle incidence la réduction du nombre d'heures de vol des Aurora a-t-elle eue sur l'exécution de vos responsabilités dans ce domaine?

Le cam Forcier : Nous avons été en mesure d'en atténuer quelque peu l'incidence. Nous avons deux sources d'argent pour les Aurora. J'ai de l'argent pour les heures de vol, que j'ai tendance à utiliser pour l'entraînement, et pas seulement pour l'entraînement des équipages en question, parce que cela relève en fait de l'armée de l'air, mais pour l'entraînement intégré de notre flotte. Il nous a fallu décider ce qui était prioritaire. Parfois, nous réduisons le soutien direct que le commodore Girouard aimerait obtenir pour l'entraînement et nous mettons davantage l'accent sur les opérations. L'autre composante, bien sûr, c'est que nous nous sommes rendus compte que peu importe ce que nous faisons, la révision des Aurora entraînera leur mise au rancart pendant une certaine période et nous n'aurons pas autant d'heures que nous le voudrions. C'est alors que nous avons eu l'idée d'accroître notre soutien de services aériens à contrat.

Le vice-président : Avez-vous fait des missions de souveraineté dans le Grand Nord au cours de l'année dernière?

Le cam Forcier : Nous avons envoyé des navires très loin, jusqu'à...

Le vice-président : Je voulais dire des missions aériennes.

Le cam Forcier : Nous avons eu quelques missions effectuées par les Aurora, oui, essentiellement dans le cadre des tâches de l'armée de l'air. Je sais que nous avons déployé des Aurora à partir de la côte.

Le vice-président : Ces avions ont-ils été déployés pour exécuter des tâches spécifiques pour votre commandement?

Le cam Forcier : Les sorties étaient expressément consacrées à la surveillance. C'était leur mission principale. Je ne peux pas entrer dans les détails et vous décrire les composantes des missions. Cependant, ils sont allés dans le Nord expressément pour contribuer à la surveillance destinée à assurer la souveraineté.

Le vice-président : N'oubliez pas que nous sommes un pays très gentil. Nous n'avons pas de secrets pour le reste du monde.

Dans votre déclaration, amiral, vous avez dit que vous maintenez des relations militaires dans le Pacifique. Étant donné qu'il n'y a pas dans le Pacifique d'organisation semblable à l'OTAN pour l'Atlantique, pourriez-vous nous en dire plus long sur cette capacité et expliquer au comité comment vous accomplissez cela?

Le cam Forcier : Le commandement maritime a fait une évaluation il y a environ 80 ans et s'est rendu compte qu'à chaque fois que nous nous aventurions dans le Pacifique, nous devions réapprendre les mêmes leçons parce que nous n'avions établi aucune relation durable avec des amis et partenaires. Je suis un enfant de l'OTAN. J'ai passé la plus grande partie de ma carrière en mer sur la côte Est et je comprends intuitivement l'OTAN, comme la plupart des officiers navals. Nous avons étudié l'OTAN. En arrivant ici, à titre de capitaine au début, j'ai vu cette transition alors que l'un des amiraux de l'époque essayait de mieux comprendre le Pacifique. Nous avons pris conscience collectivement que nous avions désespérément besoin de vraiment comprendre la région dans laquelle nous devons fonctionner.

Notre cycle de planification des engagements commence chaque automne, alors que nous faisons venir d'Ottawa les responsables des politiques pour le Pacifique, le commandant de la flotte, mon conseiller sur la politique pour le Pacifique — c'est un professeur d'université qui travaille pour moi à plein temps et me conseille pour tout ce qui concerne le Pacifique — du personnel des Affaires étrangères, etc. Nous faisons un bref survol de toute la problématique du Pacifique. En fonction de cela, nous élaborons un plan en trois volets. L'un est la chance de participer à certaines mesures de renforcement de la confiance.

Le sénateur Stollery : J'ai une question supplémentaire. Je sais que le principal traité en vigueur dans le Pacifique est le traité de défense entre les États-Unis et le Japon. Nous sommes proches des États-Unis nous-mêmes, ils sont juste à côté d'ici. Quelles sont les relations à ce chapitre? C'est vraiment le grand traité dans le Pacifique, n'est-ce pas?

Le cam Forcier : Il n'a pas vraiment d'incidence sur nous dans ce sens. C'est vraiment un collage de relations entre deux pays ou de relations entre un pays et deux autres dans l'ensemble du Pacifique. C'est un extraordinaire amalgame de relations diverses. Les principaux liens que nous avons établis ont été élaborés avec les Affaires étrangères et nos ambassadeurs. À titre d'exemple, j'ai eu la chance de participer à une réunion avec tous nos ambassadeurs dans le Pacifique en octobre dernier à Vancouver. Nous avons eu un dialogue très franc et ils nous ont fait part de leurs points de vue en nous disant comment à leur avis nous pouvions les aider. Nous tenons à avoir un dialogue avec certains pays. Nous participons à l'occasion à de petits exercices, et nous envoyons un effectif restreint outre-mer. Quand nous en avons la chance, comme nous venons de le faire dans le cas de l'exercice dans le Pacifique, nous travaillons côte à côte avec plusieurs pays. Le Japon était là, c'est certain, de même que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Neuf pays formaient le noyau de cet exercice multinational. Il y a un rôle décidément civil et diplomatique. Nous nouons et maintenons des relations et essayons de comprendre les points sensibles du Pacifique. Je lis moi-même presque tous les jours l'évaluation de ce qui se passe dans l'ensemble du Pacifique; c'est pour moi comme une sorte de radar qui peut nous indiquer comment nous, les militaires et la marine, pourrions être utilisés à l'avenir.

Le sénateur Stollery : Le traité de défense américano-japonais est très étroitement ciblé et ne touche pas tellement d'autres pays, si je comprends bien? C'est le grand traité dans le Pacifique.

Le cmdre Girouard : Comme l'amiral l'a dit, il y a beaucoup d'arrangements bilatéraux et régionaux. Probablement que l'un des arrangements les plus complexes est l'ANASE. Cette association est centrée sur le Pacifique occidental. Elle comporte toutefois un élément de défense et de désescalade et c'est une tribune de discussion. Ceux qui sont habitués à l'OTAN aimeraient voir émerger une structure quelconque. Il y a toutefois une structure existante dans le cadre de l'ABCA, dont la genèse remonte à la Deuxième Guerre mondiale. Du point de vue canadien, cette organisation est très utile en termes d'échanges et de coopération à la fois techniques et opérationnels. C'est probablement l'un des atouts qui nous ont amenés à intervenir au Timor oriental.

Le vice-président : Comment dirigez-vous votre unité de plongée sous-marine? En supposant que c'est le principal emplacement ici sur la côte Ouest, comment faites-vous les tâches que l'on exige de vous, disons par exemple dans le port de Vancouver? Avez-vous une équipe sur place?

Le cmdre Girouard : Les éléments de plongée des Forces canadiennes sont très variés, comme vous le savez probablement. Il y a même des plongeurs de combat dans l'armée. Ce n'est pas une entreprise exclusive de la marine, avec deux principaux emplacements maritimes, à savoir les unités de plongeurs de la flotte sur chacune des côtes. C'est une unité indépendante ayant son commandant, une structure de commandement et une capacité opérationnelle et elle est déployable. Elle peut faire des réparations et des plongées de combat, bien que cela exige des préparatifs.

L'unité comporte un solide élément de désamorçage de bombes et d'obus. Quand nous allons outre-mer, par exemple pour APOLLO, l'équipe y va aussi. Si nous avons une tâche de réparation à Vancouver ou à Hawaï, nous pouvons envoyer les plongeurs voulus accompagnés des techniciens compétents. Cela ne veut pas dire que nous avons pour la plongée une capacité très forte égale à celle de l'industrie — il nous arrive dans certains cas de nous tourner vers des entreprises commerciales — mais nous avons une équipe qui a une grande faculté d'adaptation. Nous avons aussi des éléments de réserve comportant des équipes permanentes. Elles relèvent du commandant du quatrième groupe opérationnel. Des forces côtières sont envoyées pour travailler à bord de nos navires de défense côtière ou des destroyers et des frégates. Ces équipes ont une grande faculté d'adaptation.

Le sénateur Banks : Bon après-midi, messieurs. Je vous remercie d'être avec nous et de nous avoir donné l'occasion ce matin de rencontrer de nombreux marins.

Je tiens à dire, comme d'autres l'ont fait avant moi, à quel point nous sommes impressionnés par vos effectifs. Ce sont des gens absolument extraordinaires. L'aspect le plus important des Forces canadiennes, c'est les gens. Les vôtres n'ont rien à envier à quiconque.

Mes questions vont justement porter sur les personnes. Il y a quelques minutes, commodore, vous nous parliez de la gestion de la pénurie de personnel. Le NCSM Winnipeg s'apprête à partir pour le Golfe. Normalement, les frégates ont un effectif d'environ 240, sauf erreur. Nous avons visité des frégates dans le passé et nous avons remarqué que c'est assez transitoire; c'est-à-dire que les marins passent d'un navire à l'autre. Au sujet de cette pénurie dont vous avez parlé, est-ce que le fait que le NCSM Winnipeg va partir doté, je le suppose, d'un effectif complet a eu une incidence quelconque? Dans l'affirmative, dans quelle mesure cela a-t-il influé sur les effectifs des autres frégates de votre flotte?

Le cmdre Girouard : Premièrement, je tiens à vous remercier pour les compliments que vous avez faits à mes hommes et mes femmes. Ils sont la raison pour laquelle je suis en uniforme, et c'est évident.

En nous préparant à un déploiement comme celui-ci, nous mettons beaucoup d'efforts pour réunir une équipe, leur donner un entraînement efficace et assurer la cohésion de cette équipe, parce qu'il faut qu'il y ait un esprit d'équipe à bord d'un navire. C'est ce qui fait qu'un navire comme celui-là est efficace.

Il y a un prix à payer pour tout cela. Comme vous le dites, il y a aussi un prix à payer ailleurs. Pour assurer la stabilité à bord du NCSM Winnipeg, il faut effectivement laisser des trous ailleurs et il faut qu'il y ait rotation à bord d'autres navires qui ne sont pas susceptibles d'aller outre-mer. Nous répartissons l'effort. Nous visons l'excellence pour un navire qui s'apprête à une longue période de travail de huit ou neuf mois. Les rangs à bord vont s'éclaircir et l'effectif va probablement descendre à environ 60 p. 100. Des gens vont partir suivre des cours, obtenir des congés, etc. Ensuite, nous renforçons l'effectif pour le cycle suivant.

Les navires conformes à la norme de préparation — nous en avons deux à l'heure actuelle — fonctionnent au jour le jour avec environ 80 p. 100 de leur effectif prévu. Cela ne veut pas dire qu'il y a des couchettes vides, parce qu'on envoie à bord de jeunes recrues et de jeunes officiers pour qu'ils prennent du galon, pour ainsi dire. Cela veut dire qu'il y a un noyau dur en termes d'équipage. Il y a à bord une solide capacité navigationnelle et c'est une plate-forme sûre, mais je ne m'attends pas à ce que ce navire soit exposé à de grands risques à moins que je prenne le temps de renforcer son effectif. C'est un processus continu. Cela veut dire qu'il faut avoir l'oeil sur le calendrier et voir constamment ce qui s'en vient. Cela veut dire qu'en cas de surprise, comme dans le cas d'APOLLO, il faut compter sur le temps d'escale pour combler les trous, trouver des gens à l'étranger parfois, renforcer le niveau de talent et d'expérience et prévoir des exercices pour assurer la cohésion.

Ce qui est bien dans le Pacifique, c'est qu'il faut environ de quatre à six semaines pour aller n'importe où, ce qui donne le temps de bâtir une solide compagnie apte au combat.

Le cam Forcier : Le commodore a utilisé une terminologie qui peut prêter à confusion. Un navire conforme à la « norme de préparation » doit être capable d'assumer n'importe quelle tâche sur le plan national, mais on ne s'attend pas à ce qu'il puisse aller outre-mer et affronter des situations de combat du jour au lendemain. Les unités en « préparation avancée » doivent être prêtes à prendre la mer à un préavis de dix jours. Dans le cas du NCSM Winnipeg, c'est un navire qui a un effectif complet à 100 p. 100 et qui est prêt au combat. Nous avons une composante qui est toujours prête de cette manière. Ce n'est pas seulement un navire; c'est le groupe opérationnel, comme on vous l'a dit ce matin. Normalement, nous avons jusqu'à quatre navires qui sont dans ce mode. Les autres sont dans le mode correspondant à la norme de préparation. On peut dire que leur effectif est à 80 p. 100 et qu'ils sont prêts à 80 p. 100.

Le sénateur Banks : L'homme ordinaire qu'on rencontre dans le métro au centre-ville d'Edmonton s'imagine que nous avons six frégates.

Le cam Forcier : Cinq frégates et un destroyer.

Le sénateur Banks : Cependant, cet homme ordinaire dans le métro d'Edmonton ne comprend pas que nous ne pourrions pas envoyer cinq navires en mer pour accomplir une mission si quelque chose arrivait demain. Je tiens à m'assurer que les gens comprennent bien cela.

Je suppose que le destroyer est un véhicule de commandement. Si vous envoyez un groupe opérationnel en mer, il vous faut une capacité de commandement. Des cinq frégates, combien, en un moment donné, sont prêtes à aller au combat et à répondre à une urgence internationale? Combien, dans des circonstances normales, ne sont pas disponibles parce qu'elles sont en révision? Combien ne sont pas tout à fait prêtes à partir pour faire quoi que ce soit?

Le cam Forcier : La position que nous avons adoptée pour l'état de préparation est que nous avons toujours l'une des deux côtes qui est le foyer national, le groupe opérationnel en état de préparation avancée prêt à déployer outre- mer. Cette année, c'est la côte Ouest. L'année dernière, c'était la côte Est. Nous avons une rotation de la garde, pour ainsi dire, entre les côtes, pour le déploiement outre-mer. En plus de ce groupe opérationnel, chaque côte maintient un seul navire dans un mode de préparation avancée prêt à un déploiement n'importe où et n'importe quand.

À moins de travaux d'entretien assez approfondis — et l'on peut probablement compter qu'il y ait une frégate, parfois deux dans cette situation — les autres sont prêtes à prendre la mer rapidement pour une mission nationale, ou peut-être avec un préavis de trois mois, si elle se trouve à être en révision, pour la remettre en état et l'envoyer outre- mer.

Il est important que les Canadiens sachent qu'il y a un groupe opérationnel. Qu'ils viennent de l'est ou de l'ouest n'est pas tellement pertinent. Ce groupe peut être déployé d'un seul tenant, avec un commodore et un navire amiral, dans les dix jours. Cette année, il se trouve sur la côte Ouest.

Le sénateur Banks : Alors j'espère que s'il arrive quelque chose, ce sera sur la côte Ouest.

Le cam Forcier : Si vous examinez les points chauds autour du monde, la différence entre la côte Est et la côte Ouest se chiffre à peut-être sept ou huit jours. Ce n'est pas tellement critique.

Le sénateur Banks : Vous me reprendrez si je me trompe, mais j'émets l'hypothèse que ce n'est pas une situation parfaite et que si les centres d'entraînement formaient assez de gens qualifiés, vous seriez dans un meilleur état de préparation, avec davantage de plates-formes et la capacité de réagir plus rapidement. Vous avez dit qu'il vous arrive parfois de prendre des apprentis en formation au sol et de les mettre à bord des navires parce qu'il vous faut des gens pour les faire fonctionner. Si vous avez besoin de quelqu'un qui est capable de faire fonctionner un appareillage et que vous allez chercher cette personne à terre, mais si c'est la seule personne que vous avez et qui soit capable de former d'autres personnes, alors il ne se fait plus de formation. Y a-t-il une pénurie au chapitre de la formation?

Le cam Forcier : La différence est marginale. Quand on parle de rotation de bataillons outre-mer, de rotation une sur trois ou une sur quatre, la réalité est que nous n'avons pas de garnison dans la marine. Nous avons des cycles de fonctionnement et nous avons des navires qui, après un certain nombre d'heures de fonctionnement des moteurs ou des radars, doivent être remplacés, démontés et vérifiés. Notre cycle entretien-opération, que nous avons décrit de manière approximative, ne changera pas tellement. Ce qui changerait, c'est ce que le commodore disait, quant à la nécessité de bâtir une équipe cohérente et de ne pas avoir à déplacer les gens autant d'un endroit à l'autre.

Aucune somme d'argent ne permettrait de faire une différence sensible quant au nombre de navires prêts à déployer outre-mer.

Le sénateur Banks : Pouvez-vous répéter cela?

Le cam Forcier : Aucune somme d'argent ne permettrait d'augmenter le nombre de navires prêts à partir au jour le jour, ou cela ferait peut-être une différence marginale. Peut-être que nous aurions une frégate de plus dans toute la marine qui serait prête plus rapidement, mais il n'en demeure pas moins que les navires doivent passer par cette période de révision où il faut les démonter, remplacer les moteurs, etc. Ce cycle est inévitable. Ce n'est pas une garnison.

Le sénateur Banks : Nous avons entendu ce matin le capitaine Hudock nous dire qu'à l'occasion, un groupe opérationnel peut comprendre un destroyer, deux frégates et un navire de défense côtière, ce qui m'a étonné. Je ne savais pas, mais je l'ai appris depuis, qu'un navire de défense côtière est allé d'ici jusqu'à Hawaï.

Cependant, étant donné qu'ils ont à toutes fins pratiques un fonds plat, ces navires ne sont sûrement pas tellement extraordinaires pour naviguer au milieu de l'océan. Vous n'enverriez pas normalement ce type de navire jusqu'aux Philippines ou à Pearl Harbour, n'est-ce pas?

Le cmdre Girouard : Cela dépend de la tâche que j'aurais à faire là-bas. Le navire de défense côtière est une assez bonne plate-forme en terme de tenue de mer, du point de vue de la sécurité de la coque. Par contre, ce n'est pas toujours confortable pour l'équipage. Ce navire peut traverser le Pacifique. Si la tâche qui l'attendait là-bas était la surveillance côtière ou l'appui à une opération prolongée de secours aux sinistrés quelque part au milieu du Pacifique, ce navire peut s'en charger.

Ce que l'on vous a dit au sujet de cette variété d'actifs, c'est qu'il s'agit vraiment d'une formation intégrée. Voyons quelles sont les tâches que nous pouvons nous attendre à devoir assumer là-bas, et faisons preuve de faculté d'adaptation quant à l'éventail d'actifs qu'on va déployer aux alentours pour accomplir la tâche. Vous entendrez d'ailleurs le chef d'état-major de la défense utiliser un jargon semblable.

Au cours d'un exercice à cette époque-ci l'année dernière, dans un scénario intérieur, mon équipe de commandement du quatrième groupe opérationnel s'est embarquée à bord du Oriole, qui servait de navire de commandement parce que le NCSM Algonquin n'était pas disponible. Le commandant avait une frégate qui était en quelque sorte son lièvre, chargé de la surveillance, et trois navires de défense côtière qui assuraient une présence, avec à leur bord des équipes de plongeurs et tout le reste.

Tout dépend de la tâche à accomplir. Nous essayons de nous éloigner de l'attitude « Je suis prêt pour n'importe quelle opération de lutte anti-sous-marine d'ici jusqu'en Europe et partout ailleurs ». Quelles sont les autres tâches qu'il faut accomplir? Il peut s'agir de guerre anti-sous-marine. Quand je suis allé au Timor oriental, deux sous-marins indonésiens sont venus encadrer les forces qui tentaient de débarquer des effectifs. Cet élément est important pour moi, mais tout le reste de l'éventail l'est également. Mon travail est d'examiner la mission et les menaces et de mettre sur pied l'équipe qui convient, pas seulement du point de vue canadien, mais aussi de concert avec nos alliés ou les autres membres de la coalition. Ce n'est pas simple.

Le sénateur Banks : La flotte a envoyé un contingent assez important dans le Golfe il y a quelques années, et d'après ce qu'on nous a dit au sud de la frontière, cette opération a mis à rude épreuve nos ressources. Nous réagissons tous en cas de crise en redoublant d'efforts. Depuis le retour de cette force, avez-vous fait une pause ou du moins réduit sensiblement les activités opérationnelles ici? Quelles en ont été les conséquences?

Le cmdre Girouard : Nous avons envoyé deux groupes opérationnels, parce que la côte Est en a envoyé un aussi, et par la suite nous en avons envoyé deux autres, même si nous n'avions pas les effectifs voulus. Les deux derniers étaient essentiellement des groupes constitués de manière ponctuelle, incluant le personnel d'état-major. J'ai fait la dernière rotation. La première vague a été énorme, comme l'a été la facture de réparation pour le matériel.

Sur cette côte-ci, nous avons essayé de ralentir le rythme. Les deux derniers déploiements outre-mer étaient constitués d'un seul navire. Le NCSM Calgary a été le dernier. Il est revenu à l'époque de Noël en 2003. De l'été 2003 jusqu'à l'été 2004, certains navires ont bénéficié d'une courte pause.

Le sénateur Banks : Je parle surtout de l'époque où nous avions cinq navires là-bas en même temps. Je parle de ce qui s'est passé après cela. Il a sûrement fallu faire une pause, compte tenu de ce que vous avez dit tout à l'heure quant à la déployabilité des navires en temps normal.

Le cmdre Girouard : Certains membres des forces ont eu une pause; d'autres un peu moins. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il n'a pas été possible de donner une pause à tout le monde en même temps parce qu'il se passait autre chose. La bonne nouvelle, c'est que nous examinons cette équation des ressources, nous savons qui est allé où et quand et nous veillons à ce qu'aucun des marins qui ont fait partie du dernier déploiement repartent pour un grand voyage, disons à bord du NCSM Winnipeg, ou bien pour des exercices multiples comme le RIMPAC de l'année dernière.

Le sénateur Banks : Vous avez dit que ce déploiement très important pour le Canada a été très dur sur le matériel et l'équipement. Est-ce que cela a été dur aussi pour les gens dans la mesure où il y aurait eu des problèmes personnels quand ce groupe est rentré à la maison? Je parle du premier groupe, quand nous avons envoyé cinq bateaux en même temps. Est-ce que cela a eu une incidence sur vos hommes et vos femmes? Je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement.

Le cam Forcier : Pas plus que pour d'autres déploiements. Évidemment, ils s'en allaient dans une région où les tensions étaient beaucoup plus fortes que ce à quoi certains marins étaient habitués. Nous avons maintenu le caractère sacré des rotations. Ils revenaient après six mois et ne repartaient pas pendant au moins un an. Il y a eu quelques rares exceptions et c'était des gens qui tenaient absolument à repartir et qui ont signé une renonciation, attestant qu'on ne leur avait pas tordu le bras.

En même temps, pour revenir à votre premier point, la reconstitution des forces, pas seulement les réparations des navire mais aussi le repos pour les effectifs, tout cela a été fait. Cela a pris fin il y a un an. Pour ma part, en décembre de l'année dernière, nous avions terminé l'exercice de déploiement dans le Golfe et du retour et nous recommençons maintenant à zéro. Il est clair que nous devons faire attention et que nous sommes très conscients de la nécessité de veiller au bien-être de nos hommes et femmes. Collectivement, nous sommes conscients qu'il faut toujours veiller au mieux-être de nos effectifs et s'assurer qu'il n'y a eu aucun cas trop prononcé de stress post-traumatique, etc. Nous avons tous les deux une assez longue expérience dans l'élément opérationnel et il est certain que nous sommes très soucieux du sort de nos équipages.

Nous sommes de retour. Voilà le message. Nous avons fait la guerre. Nous sommes allés dans le Golfe. C'est un chapitre de notre histoire qui est terminé; la page a été tournée avec APOLLO. Nous avons refait le plein d'énergie et nous sommes prêts à servir si l'on fait appel à nous.

Le président : Quand le général Caron, commandant de l'armée, a témoigné devant nous, il a décrit un paradigme que nous avons trouvé intéressant. Il a dit qu'à partir de janvier 2006, il espérait avoir la capacité de maintenir en permanence deux groupes de 1 000 personnes outre-mer avec des pointes à 3 000 une fois tous les deux ans. Le revers de la médaille était que les membres des forces armées étaient envoyés en zone dangereuse pendant une période de six mois et auraient ensuite quatre mois supplémentaires pendant lesquels ils seraient de retour à titre de formateurs ou en formation, pour un total de 10 mois sur 36 éloignés de leur famille.

C'est un lourd fardeau quand on est obligé de passer beaucoup de temps loin de sa famille. Nous sommes conscients que la marine est différente et doit fonctionner différemment, mais à vous deux, vous avez trois étoiles. Vous avez fait le tour de la question. Quel paradigme devrions-nous envisager pour la marine et qui serait acceptable, de manière que nous conserverions la capacité de déployer une force considérable, mais tout en ayant avec nos marins un contrat leur donnant une certaine assurance qu'au cours d'une période donnée — peu importe que ce soit une période de trois ans ou de deux ans ou ce que vous pourrez organiser — ils pourront passer une période raisonnable à la maison pour que leur vie et leur famille demeurent en bon ordre?

Le cam Forcier : Comme vous l'avez dit, l'un de nos défis est que nous fonctionnons dans le cadre de sous-cultures différentes, pour ainsi dire. Bien sûr, ayant travaillé dans des opérations internationales pendant deux ans, je connais bien les trois sous-cultures. Quand nos marins rentrent à la maison, ils ne s'en vont pas en garnison à ne rien faire. Ils font un minimum de formation continue, tout en veillant à la garde et à l'entretien de la garnison.

Quand nos marins rentrent à la maison, ils sont fiers du navire sur lequel ils viennent de servir. L'une de leurs priorités est alors de remettre ce navire en parfait état de service, pour qu'il soit prêt à reprendre la mer. C'est très bien. Cela leur donne un foyer de convergence de leurs énergies et de leurs habiletés. En même temps, on ne peut pas maintenir ces compétences en restant à quai. Si vous rencontrez des marins, ils vous diront qu'environ deux mois après leur retour, après avoir pris leur congé post-déploiement et leurs vacances annuelles qu'ils n'avaient pas eu la chance de prendre, ils commencent à s'impatienter. Ils veulent retourner là-bas. Pas nécessairement de l'autre côté du Pacifique jusqu'au Golfe, mais ils aimeraient assurément retourner travailler là où ils aiment travailler, c'est-à-dire à bord de navires.

Nous devons donc prendre en compte qu'il faut laisser les marins reprendre la mer pour qu'ils conservent leurs compétences pointues, mais il ne faut pas non plus envoyer ces marins mener de longues opérations internationales pendant un certain cycle. Il n'y a rien de pire que d'être retenu à terre, incapable de prendre la mer à bord de son navire ou de montrer de quoi on est capable. La garnison, c'est le navire, c'est une garnison flottante. Nous comprenons bien qu'il faut permettre aux marins de se rapprocher de leur famille pendant un temps, mais je ne pense pas que nous devions décréter artificiellement et catégoriquement : « Non. Vous ne prendrez pas la mer du tout pendant un an », ou bien six mois, parce qu'à ce moment-là, les compétences s'émoussent. C'est comme de dire à un pilote : « Après avoir fait un certain nombre de missions opérationnelles, vous ne pourrez plus piloter parce que vous êtes fatigué ». Un pilote dans une telle situation finirait par perdre son habileté de pilote.

Il y a un élément de sous-culture. Je ne pense pas que vous trouverez quelqu'un parmi nous qui contesterait qu'il faut éviter de renvoyer tout de suite en situation dangereuse ces jeunes hommes et femmes, mais il faut par contre leur permettre de pratiquer leur métier, qui est d'aller en mer, qu'il s'agisse de patrouiller le long des côtes du Canada ou de former d'autres personnes pendant qu'ils sont en mer.

Le président : Je comprends ce que vous dites au sujet des cultures différentes. Nous avons vu aujourd'hui des marins qui étaient heureux comme des rois de reprendre la mer. Que disent leurs conjoints?

Le cam Forcier : Je vais faire une dernière observation, parce que je sais que mon collègue ici brûle de prendre la parole.

En bout de ligne, notre métier n'est pas de former des gens pour qu'ils restent ensuite à la maison. Ils ont un travail à faire. Je ne peux pas imaginer une marine où l'on rentrerait à la maison après un seul déploiement et l'on ne recommencerait pas à travailler avant six mois.

Le président : Non, le général Caron ne dit pas qu'il ne faut pas retourner travailler avant six mois. Il dit simplement que sur 36 mois, un militaire est loin de la maison pendant un total de 10 : six mois en situation dangereuse; six mois en formation ailleurs. Bien sûr, la situation est différente. Ils portent des uniformes verts et leur travail est différent.

Le cam Forcier : C'est difficile à dire. Ce n'est pas comparable. Les marins vont en mer une semaine à la fois. Pendant leur période de réintégration, nous n'envoyons pas le navire en mer pendant des mois. Oui, il y a une absence, mais ce n'est pas le même fardeau.

À part cela, je vous parle en toute franchise : c'est une affaire à régler entre les conjoints. Si le mode de vie est jugé trop étouffant, même en tenant compte du fait que c'est dans la nature du métier de prendre la mer, alors c'est une question dont ils doivent discuter entre eux. Nous allons certainement faire un effort pour faciliter les choses autant que possible et leur permettre d'être à la maison le plus possible, mais en même temps, on ne peut pas laisser s'émousser les compétences acquises ni permettre que les marins s'ennuient. Nous devons les laisser faire leur travail.

Le cmdre Girouard : Si je fais un calcul rapide en partant de la période de trois ans que vous évoquez, j'obtiens probablement 12 ou peut-être même 14 mois pour un marin et un seul déploiement majeur au cours de ces trois années. Pour moi, le temps passé en mer est primordial, et 90 jours en mer, c'est le minimum absolu pour garder mes marins alertes et en vie. Pour une unité de forte capacité, 120 jours en mer ce n'est certainement pas trop. En fait, je voudrais même que ce soit poussé à 150. Je vais demander à mes marins de quitter la maison.

Le président : Tous les 12 mois?

Le cmdre Girouard : Au cours d'une période de 12 mois.

Le président : Cela donne 120 jours tous les 12 mois?

Le cmdre Girouard : Oui, dépendant du cycle. Si j'inclus les réparations du début, je vais essayer d'obtenir 90 jours la première année. J'en voudrai 120 ou 140 la deuxième année. Je dispose alors d'une plate-forme déployable. La moitié de l'année est passée. Si je dois compter le temps d'escale, c'est peut-être un peu plus que cela.

Ce n'est pas simplement une question de culture. Il faut que les habiletés demeurent bien vives. Il faut prendre la mer pour assurer la cohésion de l'équipage. Je suis marié depuis 28 ans, bientôt 30. C'est une vie difficile pour un conjoint. Cela exige de nos jours un conjoint, homme ou femme, doté d'indépendance d'esprit. Même le conjoint le plus courageux aura des jours difficiles. Nous demandons beaucoup à ces familles. Nous essayons très fort de leur donner tout ce que nous pouvons en termes de mécanismes de soutien. Vous avez entendu parler des centres de soutien des familles des forces maritimes. Nous faisons des briefings et nous avons des équipes qui assurent le suivi des familles, pas seulement dans les logements familiaux, mais dans l'ensemble de la collectivité.

Y a-t-il un prix à payer pour ces déploiements? Oui, bien sûr. Cela use la personnalité la mieux trempée quand on fait un certain nombre de missions en un court laps de temps. Toutefois, je ne pense pas que la solution soit de supprimer cette capacité et la fierté qu'éprouve un marin ou un officier de fort calibre. Je pense que la solution, c'est d'inclure les familles, notamment les conjoints, dans ce que nous faisons. Si vous avez déjà assisté au retour au port d'un navire, vous avez pu constater toute la fierté qu'éprouvent les mères et les fils, les maris et les pères.

Est-ce un mode de vie parfait? Non. Y a-t-il des membres de la famille qui sont loin d'être heureux de voir leurs maris, leurs filles, leurs épouses s'en aller? Bien sûr qu'il y en a. Ce sera toujours le cas. En fin de compte, ma tâche consiste à les envoyer là-bas, à leur faire faire le travail et à les ramener à la maison en vie. Pour être certain qu'ils sont capables d'assumer les tâches que nous exigeons d'eux, il me faut des journées en mer.

Le président : Merci, commodore.

[Français]

Le sénateur Nolin : Il faut vous remercier pour tous les efforts que vous avez faits pour nous rendre la vie intéressante ce matin. L'avantage de cette rencontre est qu'elle nous permet de discuter avec les officiers, et avec ceux qui font que cela fonctionne!

Je voudrais revenir à la question du manque de personnel, pas tellement sur le plan du personnel technique, mais plutôt du personnel de soutien. Comment qualifieriez-vous la qualité des services médicaux?

Cam Forcier : Il est difficile de convaincre les gens dans le climat d'aujourd'hui, mais je dirais que la qualité des services médicaux est probablement excellente comparativement à ce qu'on peut trouver à l'extérieur des Forces canadiennes. Nous avons une petite clinique, un ancien hôpital réduit, et parce que nous sommes membres des Forces canadiennes, nous avons un accès prioritaire aux services médicaux de la province.

Malheureusement, nous n'avons pas les mêmes services qu'avant où nous avions nos propres hôpitaux, nos propres chirurgiens, et cetera. Nous avons des services qui sont répartis un peu partout au Canada et ils sont d'abord à la disposition des forces qui se déploient, des opérations internationales. Cependant, si je compare les services dont ma famille bénéficie à ceux de mes voisins à l'extérieur de la base, nous sommes quand même bien servis pour ce qui est de l'accès quotidien.

Le sénateur Nolin : Ma notion de services médicaux est assez large. Je ne pense pas seulement aux médecins que l'on voit parce qu'on a une maladie ponctuelle. Vous avez du personnel, principalement des jeunes, qui attendent parce qu'il y a un manque de formateurs. Ces jeunes sont occupés quelques heures dans la journée et après cela, ils sont mis en disponibilité. L'accès aux substances psychoactives fait partie de la réalité des Forces canadiennes tout comme elle fait partie de la réalité des jeunes ailleurs au Canada. D'ailleurs, le sénateur Kenny, le sénateur Banks et moi-même sommes bien placés pour vous en parler car nous avons examiné la question de très près.

Quelle sorte de services accordez-vous? Vous ne dites pas à vos jeunes qu'après leur travail de deux heures, vous ne voulez pas savoir ce qu'ils font jusqu'au lendemain. Il pourrait arriver que le lendemain, vous ne retrouveriez pas le même jeune que vous aviez vu la veille parce qu'il est affecté par un problème d'alcool ou de drogue. Ma notion de services humanitaires inclut cette problématique. Que faites-vous face à cela?

Cam Forcier : C'est réellement un volet de mon travail qui m'intéresse beaucoup.

Le sénateur Nolin : Je vous enverrai une copie de notre rapport.

Cam Forcier : Excellent. Naturellement, nous avons fait un survol rapide de notre commandement et nous avons essayé de déterminer le plus tôt possible quelles étaient les vulnérabilités. Nous avons regardé tous les dossiers en relation avec la qualité de vie. Malgré quelques exceptions comme par exemple le coût des logis, nous sommes venus à la conclusion que notre défi était d'assurer à nos jeunes une bonne base de soutien à l'intérieur de la flotte.

Mon prédécesseur a créé un comité visant le bien-être de la communauté militaire.

[Traduction]

Nous avons rassemblé tous les experts multidisciplinaires autour de la base — c'est-à-dire les travailleurs sociaux, les médecins et les gens du centre de ressources familiales — en une supra-organisation qui met des ressources à la disposition de nos militaires.

[Français]

Ces gens ont considéré tous les aspects de la vie des jeunes. Par exemple, ils se sont aperçus que leurs heures de loisir ne concordaient pas toujours avec la disponibilité des équipements et des lieux destinés aux activités. Par exemple, nous avons investi de l'argent afin de prolonger les heures d'ouverture du gymnase afin de faciliter l'accès à des clubs de loisir et aux centres communautaires où il y a des disciplines sportives spécifiques.

Nous avons un comité qui travaille à combler ces besoins. Je suis d'accord avec vous que des jeunes qui sortent de l'entraînement de base, surtout ceux qui n'ont pas encore été intégrés dans la flotte et dont le soutien est un navire de 200 quelques personnes, ont besoin d'un peu plus d'attention.

Le sénateur Nolin : Vous êtes conscients que le problème des substances n'est pas pour la personne qui en prend une fois de temps en temps, mais plutôt pour celle qui en fait un usage abusif. Lorsque cette personne s'est entraînée, elle peut être responsable d'une machinerie complexe qui peut tuer. Cela devient notre problème, votre problème, le problème de tout le monde. C'est pour cela que la cure est fort importante et que des petits détails comme celui que vous mentionnez sont fort appropriés. Êtes-vous préoccupés par cette question?

Cam Forcier : Naturellement. Dans la région, nous avons la réputation d'avoir facilement accès, à l'extérieur de la base, aux narcotiques et aux drogues. Nous nous concentrons sur l'éducation, mais également sur des alternatives.

Le sénateur Nolin : Je change de sujet. C'est une question que j'ai posée ce matin et j'aimerais la rendre publique. J'ai été impressionné par votre installation du Centre ATHENA. Le jour où on aura réglé la question de la prise de décision ultime qui sort de cette machinerie complexe fort importante sera un grand jour.

Qu'en est-il du Nord canadien? Est-ce qu'il y a des gens qui se soucient des petits points bleus, rouges et jaunes qui circulent au nord du Canada? Vous êtes tous deux familiers avec l'OTAN et vous savez que c'est une préoccupation de vos collègues européens. Ils sont de plus en plus préoccupés par l'effet environnemental et l'effet économique de l'ouverture du passage au nord de la Russie. Un jour, vous serez interpellés afin d'être un chaînon important de cette prise de conscience. Avez-vous cette préoccupation?

Cam Forcier : Présentement, non. Il y a un poste de commandement à Yellowknife, mais son envergure est telle qu'ils n'ont pas nécessairement la capacité de garder les yeux sur la cible comme on le fait ici. Dans quelques semaines, nous verrons les résultats de la politique de la défense. Cela ne me surprendrait pas que l'on insiste un peu plus là- dessus.

Le sénateur Nolin : Votre dernière phrase me rassure. Ce serait une bonne chose de s'occuper sérieusement de la souveraineté, et ce pas juste des deux côtés, mais aussi du troisième côté?

Cam Forcier : Nous avons eu un dilemme dans les dernières années où nous nous sommes réellement préoccupés de la menace ou de la vulnérabilité. Il y a une troisième dimension : l'intérêt national.

Le sénateur Nolin : C'est exact.

Cam Forcier : Pour cela, il y aura un peu plus de prédominance dans le futur. On me demande souvent pourquoi on n'a pas plus de Forces canadiennes dans le Nord. Je disais toujours qu'il n'y avait pas de menace. Si on a quelques terroristes qui décident de débarquer sur les flots...

Le sénateur Nolin : Bienvenue!

Cam Forcier : ... et de marcher vers Yellowknife, qu'ils aillent de l'avant et nous irons les ramasser plus tard lorsqu'ils seront gelés! En réalité, nous avons un intérêt national. Il y aura un petit réalignement sur l'importance du Nord. Nous verrons la politique.

Le sénateur Nolin : Ce matin, vous avez dit qu'il serait peut-être inopportun de demander à nos voisins du sud de nous aider dans l'identification sous-marine. Nous faisons nos choses, ils font les leurs et nous échangeons l'information. Si nous avions une carte similaire à celle qui s'étend à la grandeur du Pacifique nord, nous serions peut- être surpris de voir ce qu'il y a au nord.

[Traduction]

Le président : Amiral, commodore, ce fut une journée fantastique. Nous vous sommes très reconnaissants à tous les deux d'avoir organisé ce programme à l'intention du comité ce matin. Et nous vous remercions du témoignage que vous nous avez présenté cet après-midi. Il a été d'une grande aide dans notre étude.

Nous avons un message que nous voudrions transmettre aux hommes et aux femmes qui travaillent pour vous ici, et c'est la grande fierté que retirent tous les citoyens canadiens de leur travail. En tant que membres du comité et du Sénat du Canada, nous apprécions au plus haut point le travail que vous-mêmes ainsi que les hommes et les femmes sous vos ordres font pour nous en tant que citoyens canadiens. Ils assurent notre sécurité. Au prix de grands sacrifices, ils déploient tous les efforts possibles pour réaliser cet objectif. Nous leur en sommes très reconnaissants. Nous apprécierions beaucoup que vous transmettiez notre gratitude aux hommes et aux femmes qui servent sous votre commandement.

Je vous remercie beaucoup d'être venus cet après-midi. Merci beaucoup de faire tout ce que vous faites.

Honorables sénateurs, nous accueillons un familier du comité. En fait, on pourrait dire que c'est un bon ami du comité depuis de nombreuses années. Le contre-amiral Ken Summers est un officier de marine et un cadre supérieur à la retraite ayant une longue expérience de l'OTAN et de la politique du Canada en matière de sécurité et de politique.

Sa carrière est parsemée de multiples réalisations. C'est lui qu'on a chargé d'organiser et de préparer tous les aspects du déploiement du groupe operationnel maritime du Canada dans le Golfe persique en 1990; ensuite, il a assumé le commandement, dans le Golfe persique, des quelque 4 000 soldats canadiens qui ont participé à la guerre du Golfe dans la marine, l'aviation et les forces terrestres.

Il a été chef d'état-major auprès du commandement suprême de l'Alliance Atlantique et à ce titre, chargé de toutes les opérations et activités de l'OTAN dans l'Atlantique. Il a été conseiller de l'ambassadeur du Canada aux États-Unis pour toutes les questions militaires d'intérêt mutuel pour nos deux pays. Le contre-amiral Summers a reçu plusieurs citations et médailles d'ordre du mérite du Canada, des États-Unis, du Bahrein, de l'Arabie saoudite et du Koweït.

Contre-amiral Summers, bienvenue au comité. Nous savons que vous avez préparé un certain nombre de documents, dont l'un constitue la base de votre allocution de cet après-midi. Vous avez la parole.

Le contre-amiral (à la retraite) Ken Summers, Naval Officers Association of Vancouver Island : Merci beaucoup, sénateur Kenny. Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Selon la journée, je vous souhaite la bienvenue sur la côte humide, la côte Ouest, la côte de gauche, mais toujours la meilleure côte.

Le président : Je sais que vous êtes un homme courageux, amiral.

Le cam Summers : C'est pour moi un plaisir de renouer connaissance avec un grand nombre d'entre vous. Il y a plusieurs années, le président et moi-même avons effectué une tournée des États-Unis avec le Comité mixte de la défense du Sénat et de la Chambre des communes, dont le point saillant a été un atterrissage et un décollage sur un porte-avion. Je suis sûr que cela a été un événement marquant pour tous les membres du comité. En outre, le président, le sénateur Nolin et moi-même nous rencontrions assez souvent dans les diverses capitales où se réunissait l'OTAN à l'occasion des réunions des parlementaires de l'OTAN. À cette époque j'étais là comme observateur au nom du SACLANT. Quant au sénateur Forrestall, je l'ai rencontré il y a de cela de nombreuses années; je ne vous dirai pas combien. J'étais un officier subalterne à bord de l'Iroquois, qui était à ce moment-là sous le commandement d'un très bon ami à lui, le commodore Doc MacGillivray. Le sénateur devait être un très bon golfeur. Un jour, il m'a emprunté mes bâtons de golf. Il me les a rendus sans une égratignure, mais j'ai trouvé à l'intérieur du sac plusieurs ensembles de balles de golf très coûteuses, ce que j'ai beaucoup apprécié.

Enfin, il est bon de revoir le sénateur Joseph Day. À l'époque où j'avais des cheveux et votre chevelure à vous était plus fournie qu'à l'heure actuelle, nous avons joué au soccer et au badminton intercollégial ensemble au RMC.

Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis navré que l'ambassadeur Gordon Smith n'ait pu être avec nous cet après-midi. En effet, sa connaissance approfondie des relations entre les pays de l'OTAN et des rapports avec les pays déchus et en déclin aurait été des plus précieuse pour nous tous.

Ma déclaration liminaire sera relativement courte. Comme vous l'avez mentionné, j'ai fourni au comité un certain nombre de documents qui, je l'espère, susciteront suffisamment de questions pour stimuler la discussion. En outre, je n'aborderai pas des domaines qui, je le sais, seront couverts beaucoup plus en détail par d'autres conférenciers ici à Victoria et également demain à Vancouver, à moins que vous ne le souhaitiez.

Permettez-moi de saluer les efforts que vous avez déployés depuis cinq ans pour rehausser la visibilité des questions liées à la défense et à la sécurité nationale en général. Votre récent rapport de décembre était tout à fait pertinent à tous égards et devrait servir de point de repère pour de futures enquêtes approfondies et trains de mesures.

Même si les Canadiens sont plutôt indifférents à l'égard des questions de sécurité, le gouvernement a la responsabilité fondamentale de protéger notre mode de vie de toute menace extérieure. De nos jours, il est difficile, pour dire le moins, de définir les menaces. Sont-elles d'ordre physique? Sont-elles idéologiques? Sont-elles écologiques?

À quel moment une chose devient-elle une menace? Est-ce sur notre territoire, dans notre espace aérien international, aux abords de nos côtes ou plus loin que naît et grandit la menace? Je ne crois pas qu'il existe une ligne dans l'océan, dans l'air ou sur la terre qui définisse où commence notre sécurité.

Deux choses sont tout à fait claires dans notre monde post-11 septembre. On s'attend des gouvernements qu'ils soient capables de prendre des décisions beaucoup plus rapidement et qu'ils puissent opter sans délai pour la réponse nationale opportune, qu'elle soit de nature humanitaire, militaire ou civile. Le gouvernement doit être en mesure de réagir de concert avec d'autres nations. Compte tenu de la réaction de notre pays dans la foulée du 11 septembre et de la récente catastrophe du tsunami, j'estime tout simplement que nous devons nous améliorer sensiblement.

Sénateurs, ce dont le Canada a véritablement besoin, c'est d'une politique de sécurité ayant une double dimension, nationale et internationale. Le plus important, c'est que ce soit une politique à long terme, une politique qui transcende le mandat de n'importe quel gouvernement. La sécurité nationale est simplement trop importante pour être politisée. Trop souvent dans le passé, la politique de défense en particulier a été un ballon politique. Nous ne pouvons laisser la sécurité nationale subir le même sort. Il convient de constituer des commissions ou des panels composés d'experts de l'intérieur et de l'extérieur du gouvernement en vue d'élaborer des politiques et de dégager un consensus sur la sécurité pour le Canada. Ces politiques doivent articuler une vision globale à long terme.

À l'échelle nationale, il reste beaucoup à faire, comme vous l'avez conclu dans votre rapport du mois de décembre. L'application de mesures favorisant la sécurité intérieure, les nombreux points vulnérables de la sécurité dans les aéroports, la surveillance des eaux côtières, la fragilité dans les ports et aux points de contrôle transfrontalier sont autant de dossiers qui ne sont pas pilotés avec suffisamment de vigueur. L'accroissement de la capacité militaire et civile exige une meilleure intégration et il faudrait plus de mordant pour que se concrétise la coordination requise des ministères gouvernementaux. Le partage de l'information entre les ministères gouvernementaux et avec les États-Unis doit s'améliorer pour ce qui est des approches aériennes et maritimes ainsi que de notre réaction face à des incidents. Je soupçonne parfois que la cueillette et le partage d'information avec les États-Unis sont de loin supérieurs à ce qu'ils sont entre les ministères gouvernementaux.

Je suis sûr que le contre-amiral Yanow pourra vous en dire plus demain lorsqu'il vous parlera de la sécurité maritime et portuaire.

À l'échelle internationale, le Canada est fier d'être membre des organisations du G7, du G8 et du G20, mais ce ne sont pas uniquement des clubs économiques. Le fait d'en être membre implique que l'on accepte la responsabilité d'exercer un leadership à l'échelle planétaire en réaction à des événements comme des attaques terroristes, des catastrophes humanitaires et des problèmes liés à des États déchus ou en déclin.

Il faut être en mesure d'offrir plusieurs types de réponses, de l'assistance économique à une intervention militaire robuste, en passant par la prestation d'expertise civile. Au niveau supérieur, les Canadiens doivent comprendre que le maintien de la paix est dépassé, et nous ne devrions pas perpétuer ce mythe. L'instauration de la paix et le soutien de la paix, appuyés par l'intervention de forces de combat polyvalentes aériennes, terrestres et maritimes, voilà la réalité d'aujourd'hui. En outre, une capacité commune — et j'insiste sur le thème « commune » —, s'impose : autrement dit, des forces constituées de soldats des trois services caractérisés par la mobilité, la rapidité de déploiement et la capacité de réagir face à tout le spectre des menaces.

La meilleure analogie pour décrire cette capacité commune est celle du cube Rubik. Supposons qu'un côté représente la marine, un autre l'armée et un autre l'aviation — les communications, le transport et le soutien —, pour faire face à une menace donnée, il vous faudra manipuler le cube Rubik jusqu'à obtenir une facette dotée des capacités spécifiquement conçues pour contrer la menace en question; et non pas une réponse de la marine, de l'armée ou de l'aviation. Il faut pouvoir compter sur une combinaison de capacité. Quelle que soit la réponse requise, une capacité pouvant aller jusqu'à la brigade serait appropriée pour le Canada.

Nous attendons toujours les résultats de l'examen de la politique internationale du gouvernement. Au lieu d'un document d'orientation stratégique global axé sur la diplomatie, la défense et le développement, je crois savoir qu'on peut s'attendre à de nombreuses déclarations générales édulcorées sur les trois D. À mon avis, le fond du problème tient au fait que nous ne pouvons formuler une politique étrangère globale avant d'avoir mis de l'ordre dans nos relations avec les États-Unis. Les enjeux liés à la défense sont au coeur de ce problème. Certes, nous avons des désaccords avec les États-Unis, et le bouclier de défense antimissiles en est un exemple de choix, mais ils ne sont pas irréconciliables. Je propose que l'on considère nos liens avec les États-Unis objectivement non seulement dans la perspective nord-sud, mais tout aussi objectivement, dans la perspective sud-nord.

D'ailleurs, j'ai fourni un document sur le sujet qui répond à quatre questions : qu'est-ce que le Canada souhaite obtenir des États-Unis? qu'est-ce que le Canada devrait réussir à obtenir des États-Unis? que pouvons-nous contribuer? que devrions-nous faire à court terme?

Je sais que vous devez vous rendre aux États-Unis sous peu et j'espère que vous aurez le temps d'explorer cette question, que ce soit aujourd'hui ou à un autre moment avant de partir. La semaine dernière, le gouvernement a fait deux annonces importantes : le budget et la décision de ne pas participer au bouclier de défense antimissiles. Cette dernière décision ne manquera pas d'avoir des répercussions sur nos relations avec les États-Unis. À mon avis, ce dossier a été mal géré par le gouvernement qui, en raison de son apathie, s'est peu à peu retrouvé coincé au plan politique. Le gouvernement aurait dû s'engager dans ce débat dès le début. Il ne l'a pas fait et au lieu de cela, les mythes de la militarisation et de la nucléarisation de l'espace propagés par un parti politique ont façonné la perception de la population canadienne. Le gouvernement leur a laissé le champ libre pour répandre ce mythe, et cette perception s'est imposée, même au sein du caucus du gouvernement. J'ai aussi fourni au comité un document sur les enjeux liés au bouclier de défense antimissiles qui fait la part des choses entre les mythes et les faits. Malheureusement, les faits n'ont jamais pris le dessus et la réalité entourant le bouclier de défense antimissiles est bien différente.

La majeure partie du travail du bouclier consiste à recueillir et à partager de l'information et des renseignements, à détecter et à dépister des missiles et des plates-formes potentielles de lancement de missiles ainsi qu'à assurer une contre-offensive grâce à des systèmes terrestres et maritimes, et non avec des armes, nucléaires ou autres, à partir de l'espace. L'impact de l'annonce du Canada ne s'est pas encore fait sentir, mais elle aura assurément des conséquences négatives. Notre participation à NORAD risque de s'en trouver compartimentée et réduite. Selon toute vraisemblance, nous aurons moins accès à la nouvelle technologie et à l'information. Étant donné que les États-Unis voient toutes leurs relations à travers le prisme de la sécurité, comme l'a récemment réitéré l'ambassadeur des États-Unis au Canada, il y aura de subtils rappels dans d'autres dossiers diplomatiques, économiques et commerciaux entre nos deux pays. N'oubliez pas que la grande perdante sera l'industrie canadienne, dont les entreprises de haute technologie, comme CAE, General Dynamics Canada et Telus seront écartées de la R et D associée à cet effort de défense contre les missiles.

On a interprété l'annonce de nouveaux investissements dans les forces armées comme un coup d'éclat pour les militaires, mais était-ce vraiment le cas? La population sait pertinemment que les forces armées manquaient de financement depuis des années et, par conséquent, elles ne pouvaient pas être laissées pour compte dans le budget encore une fois. On a donc annoncé un investissement important de 12,8 milliards de dollars pour les forces armées. Cela semble formidable, mais un examen plus sérieux fait ressortir qu'il n'y a pas tellement de quoi se réjouir. De la somme annoncée dans le budget, plus de 10 milliards seront versés en 2009-2010, 500 et 600 millions de dollars seulement étant réservés pour les deux premières années. Compte tenu du fait que des experts indépendants, y compris vous, avaient réclamé une injection immédiate de fonds à hauteur de deux à quatre milliards de dollars dans la défense, 500 et 600 millions respectivement au cours des premières années, cela laisse énormément à désirer. Pour les forces armées qui doivent composer avec un équipement qui tombe en ruine, des pièces de remplacement inadéquates et trop peu de personnel, attendre encore trois ans est décevant; c'est le moins qu'on puisse dire. On a reconnu l'état lamentable des forces armées et on a manifesté la volonté de remédier à la situation, mais pas avant l'expiration du mandat du présent gouvernement. Le contre-amiral Brodeur comparaîtra devant vous demain, à Vancouver, et il abordera de façon beaucoup plus détaillée l'historique du sous-financement de nos militaires et il proposera une solution.

Je vais maintenant passer au personnel. Les soldats des Forces canadiennes, comme vous avez pu le voir aujourd'hui, sont parmi les meilleurs au monde. Ce sont d'authentiques professionnels et les meilleurs ambassadeurs du Canada. J'ai eu l'honneur et le privilège de les diriger au cours de la guerre du Golfe et j'ai jugé qu'ils avaient représenté notre pays fièrement, en dépit de l'état parfois lamentable de notre équipement. À l'heure actuelle, messieurs, les Forces canadiennes sont très à court de personnel. Il faudra encore cinq ans avant que les 5 000 soldats des forces régulières et les 3 000 réservistes promis entrent en service compte tenu de la durée de la formation nécessaire, de l'état de l'infrastructure de formation et du nombre limité d'entraîneurs disponibles qui sont affectés à des tâches prioritaires.

Les forces armées ont besoin d'environ 75 000 soldats, marins et pilotes pour assumer les tâches que leur confie le gouvernement. Une augmentation concomitante du nombre de réservistes et de miliciens s'impose également.

Compte tenu de nos besoins en matière de sécurité nationale, la réserve et la milice ne devraient pas servir au premier chef de bassin pour augmenter les forces régulières — à l'heure actuelle, elles fournissent 25 p. 100 des forces déployées —, mais plutôt servir de première source d'aide aux autorités civiles. Des capacités comme la protection d'un point vital, les communications, les secours médicaux, l'ingénierie, la sécurité portuaire, les équipes de plongeurs, et cetera, toutes ces tâches devraient être la raison d'être et la marque de commerce de la réserve. Ce sont toutes là des capacités dont on a besoin pour réagir en cas de catastrophe nationale ou d'attaque terroriste.

Honorables sénateurs, l'infrastructure fait aussi problème. Les Forces canadiennes ont tout simplement trop d'infrastructures inutiles et des frais généraux coûteux dans leur budget. Dans le cadre de l'examen des forces militaires qui est présentement en cours, je crois savoir qu'on envisage que les Forces canadiennes de l'avenir soient une organisation commune partageant des quartiers généraux régionaux. Cela devrait inciter le ministère à se départir d'infrastructures inutiles.

L'approche adoptée par les États-Unis relativement aux fermetures de bases pourrait être utile : les forces armées identifient les bases excédentaires par rapport à leurs besoins et autorisent la tenue d'un grand débat entre les personnels visés et leurs représentants politiques, à l'issue duquel le gouvernement décide soit de fermer la base, soit d'en fermer une autre ou d'investir des fonds d'appoint pour permettre à la base de demeurer ouverte. Indépendamment de la méthode utilisée, le Canada doit réduire le nombre de ses bases, même si l'on devait augmenter les ressources en personnel des forces armées.

En dernier lieu, je voudrais commenter notre processus d'acquisition d'immobilisations. C'est dans ce domaine que j'ai travaillé pratiquement tout au long de ma carrière. À mes débuts, la « publication des Forces canadiennes 125 » qui était la bible du processus, n'avait que quelques pouces d'épaisseur. Aujourd'hui, le même document compte plusieurs volumes qui font près d'un pied de hauteur. À mon avis, la politique et le processus actuels sont fondés sur des principes d'aversion du risque qui se traduisent, disons-le sans détour, par une paralysie causée par un excès d'analyse. Dans certains milieux, on considérait que le fait de ne pas dépenser ou de retarder des dépenses de programme était une bonne chose pour le Conseil du Trésor ou le gouvernement. Demain, le vice-amiral Thomas vous éclairera davantage au sujet de ce processus.

Au fil des années, nous avons payé plus cher certains équipements parce que nous les avons construits au Canada, et le meilleur exemple est celui des frégates. Le gouvernement a investi énormément dans la construction d'un chantier naval canadien pour bâtir ces navires. Messieurs, ce sont d'excellents navires. Cependant, ils nous ont coûté de 25 à 33 p. 100 plus cher. Cela aurait peut-être été acceptable si nous avions eu suffisamment de programmes de construction navale pour permettre au chantier de continuer à fonctionner, mais ce n'était pas le cas, et en dépit de cet investissement considérable, le chantier a fermé ses portes. À mon avis, il y a une leçon que nous pouvons tirer de cette erreur et d'expériences analogues : nous devrions toujours acheter notre équipement là où l'on nous en offre le plus possible pour notre argent, quitte à exiger des retombées chez nous, mais maintenir la nécessité de maintenir d'importantes acquisitions et systèmes ici au Canada.

Messieurs, je suis sûr d'avoir dépassé les cinq minutes qui m'étaient imparties. Je m'en excuse, mais il y a tellement d'aspects à couvrir. Je vais m'en tenir là et répondre à vos questions. Merci beaucoup de votre temps.

Le président : Merci beaucoup, contre-amiral Summers.

Le sénateur Forrestall : Je souhaite la bienvenue à un vrai marin. Je me souviens de l'Iroquois pour une raison précise. Pour autant que je sache, c'est le premier navire de guerre canadien qui a réussi à prendre le contrôle — le commandement et le contrôle, la puissance de feu et tout le reste — lors d'un exercice de formation conjoint avec les États-Unis, d'une flotte qui comprenait le USS America.

Le cam Summers : C'est exact.

Le sénateur Forrestall : C'est sans doute l'un des navires de guerre, l'un des porte-avions les plus modernes et sophistiqués de l'heure. Je vous remercie de me rappeler ce souvenir. Permettez-moi d'ajouter une note personnelle à la mémoire du commodore MacGillivray — notre président n'est pas encore au courant de cela, mais si je ne m'abuse, le sénateur Day l'est. Nous sommes sur le point de suivre les traces du Comité sénatorial des anciens combattants du sénateur Phillips qui vient de publier un rapport. Nous espérons hausser encore la barre avec une modeste contribution de notre propre comité qui, je l'espère, sera tout aussi utile. Il sera question d'un examen et d'une nouvelle définition de ce qu'est un ancien combattant.

Je voudrais vous poser trois ou quatre questions.

Quelles devraient être la ou les priorités du gouvernement pour améliorer les relations canado-américaines dans le domaine de la défense? Quels changements devons-nous apporter, et assez rapidement, aux capacités des Forces canadiennes et aux politiques étrangère et de défense?

Le cam Summers : Le plus important serait de transmettre à nos voisins du Sud un signal clair précisant que nous sommes disposés à poser des gestes concrets pour appuyer nos propos, de déclarer sans ambages que nous voulons participer aux affaires continentales et que nous sommes disposés à investir argent et effort à l'appui de notre déclaration.

Communiquer que nous sommes prêts à participer pleinement à la défense du continent est un message important. Nous faisons cela. L'objectif que partagent dans une grande mesure les forces aériennes et navales au sujet des approches vers le Canada doit être intégré. Les Américains veulent intégrer cela dans un portrait composite, et nous pouvons certainement apporter une contribution dans ce domaine particulier. Nous devrions évidemment poursuivre ce que nous avons déjà fait au sein de NORAD, en sus de nos opérations sur les deux côtes, que ce soit sur mer ou dans les airs. Je sais que cela serait bienvenue de leur part.

Nous devrions aussi envisager des augmentations substantielles du financement de la défense. C'est ce que souhaitent les Américains. Il ne suffit pas simplement de dire que nous allons faire quelque chose; ils veulent voir un financement à court terme. Ils veulent que les Forces canadiennes soient financées à un niveau comparable à ce que font certains pays européens, soit à hauteur d'environ 2 p. 100 du PIB. Autrement dit, cela équivaudrait aux quatre milliards dont vous avez parlé, aux trois à quatre milliards de plus que le financement de base actuel consacré à la défense. Cela enverrait un message clair aux États-Unis que nous sommes sérieux au sujet de la défense.

En contrepartie, il y a de nombreux champs d'action que nous pouvons réintégrer. Le Canada a déclaré qu'il souhaite avoir sa place dans le monde, son siège à la table. Si nous prenons des mesures comme celles-là, je suis convaincu que nous aurons ce siège à la table, non seulement pour ce qui est des dossiers de défense continentale, mais de tous les dossiers de sécurité à l'échelle internationale.

J'ai mentionné que les États-Unis voyaient tout à travers le prisme de la sécurité. Je ne saurais trop insister là-dessus. Qu'il s'agisse d'économie, de diplomatie, de commerce ou de quoi que ce soit d'autre, tout passe par la sécurité. Au Canada, le 11 septembre n'est plus qu'un souvenir. Mais si vous allez aux États-Unis et que vous vous entretenez avec des Américains, comme vous le ferez sous peu, vous constaterez que le 11 septembre est très présent dans leur esprit. Cet événement est encore actuel et les Américains craignent qu'une autre attaque survienne. Lorsqu'ils parlent de sécurité, ils ne parlent pas d'un événement passé — le 11 septembre —, ils parlent d'aujourd'hui. Cela influe sur leur façon de penser dans tous les domaines. Avant de pouvoir parler d'économie, de commerce et de diplomatie, il faut s'assurer de parler le même langage. À l'heure actuelle, il faut que ce soit le langage de la sécurité.

Le sénateur Forrestall : Quelle devrait être l'attitude du gouvernement au sujet de NORAD? L'échéance arrive l'an prochain. Selon vous, combien cela coûterait-il? Comment dois-je interpréter, par exemple, l'élargissement de NORAD dans des environnements terrestres et maritimes? Premièrement, pensez-vous que le Canada devrait avaliser prioritairement l'élargissement de NORAD, et dans ces directions, pour pouvoir — et je reprends vos propres termes — pour commencer à atteindre l'objectif? Encore une fois, on se soucie de la sécurité de la frontière.

Le cam Summers : À mon sens, sénateur, c'est plutôt facile à faire. Il s'agit simplement d'ouvrir les valves et les mécanismes qui rendent l'information disponible. Déjà, en vertu d'ententes entre la marine et l'aviation, il y a des échanges quotidiens d'information d'un volet à l'autre. Si l'on prenait ces données et qu'on les fusionnait, que ce soit sous l'égide de NORAD ou du commandement du Nord aux États-Unis, cela ne ferait guère de différence. Il est assez simple de prendre des arrangements pour que l'information soit intégralement dirigée vers un secteur. Je pense que c'est dans notre meilleur intérêt. Nous devrions faire cela. Au cours de l'année qui vient de s'écouler, des équipes ayant engagé des discussions sur le sujet sont convaincues que ce serait à la fois logique et facile à faire. Malheureusement, l'affaire du bouclier antimissiles a assombri tout l'exercice. Partager l'information pour savoir ce qui se passe, c'est un moyen d'assurer notre propre souveraineté. Nous devons savoir ce qui se passe au large des côtes et dans l'espace aérien. La souveraineté nationale du Canada en dépend. Si nous pouvons avoir une meilleure idée de ce qui se passe grâce à nos liens avec les États-Unis, et que ce n'est pas trop compliqué, il faut aller de l'avant. Je ne pense pas que ce soit coûteux non plus.

Le sénateur Nolin : Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation, contre-amiral Summers. Ce matin, nous avons posé des questions au sujet de la responsabilité ultime. Vous connaissez bien l'installation Athena ici, à Esquimalt. Nous ne savons pas qui en est responsable, en bout de ligne, car de nombreux ministères partagent l'information. Compte tenu de la réponse que vous venez de donner à mon collègue à propos d'un élargissement du mandat de NORAD, pensez-vous que les forces armées seraient le candidat de choix pour assumer la responsabilité ultime de ce système de coordination et de renseignement?

Le cam Summers : L'ultime responsabilité de répondre à une menace reviendrait probablement aux forces armées. Au cours du processus menant à cette réponse, le degré de coordination est la chose la plus importante, et non pas qui est responsable. C'est la coordination qui est requise. Dans le contexte d'Athena, de nombreux ministères gouvernementaux obtiennent des renseignements. Certains d'entre eux disposent de renseignements qu'ils ne partagent pas facilement avec d'autres ministères, mais ce type de coordination est fondamental pour que nous puissions exercer notre souveraineté nationale.

L'approche adoptée sur la côte Est, où tous les intervenants sont intégrés dans les mêmes locaux à Halifax, donne de bien meilleurs résultats car en Nouvelle-Écosse, tous les ministères gouvernementaux sont centralisés à Halifax. Sur la côte Ouest, les forces armées sont présentes à Esquimalt ou à Victoria, et la plupart des ministères du gouvernement se trouvent à Vancouver. D'ailleurs, vous entendrez leurs représentants demain matin. Lorsqu'on veut que les décideurs participent à un effort de coordination ministérielle, ils doivent envoyer des gens ici, et ce ne sont pas nécessairement les plus compétents. Il y a une différence ici. Quoi qu'il en soit, l'important, c'est de coordonner intégralement Athena. À mon avis, le ministère de la Défense nationale et les forces armées sont les mieux placés pour le faire. En outre, ils recueillent des renseignements de l'étranger grâce à leurs liens avec leurs homologues militaires.

Le sénateur Nolin : Pourrait-on facilement relier cela à NORAD? Cela aurait-il pour effet d'élargir le mandat?

Le cam Summers : Oui. La marine a des liens, par exemple, avec les États-Unis. Je ne doute pas absolument pas que l'information qui est partagée pourrait être communiquée au NORAD en l'espace d'une seconde si c'est ce qu'on voulait faire.

Le président : Contre-amiral Summers, je voudrais préciser ce point. Quand la question a été soulevée, nous avons demandé qui était aux commandes. En fait, le sénateur Forrestall pose habituellement la question en ces termes : « Qui conduit l'autobus? » En fin de compte, nous pensons qu'une seule et même personne doit être responsable à la fois de Trinity et de Athena. D'après vous, est-ce qu'il faudrait que ce soit une fonction militaire?

Le cam Summers : C'est bien cela.

Le sénateur Forrestall : Il n'y a aucun doute que vous préconisez depuis longtemps des opérations interarmées; c'était même le cas au début du dossier alors qu'on parlait d'intégration; j'y ai réfléchi longtemps, jusqu'à ce que j'entende enfin le mot « unification », et c'est alors que tout est devenu absolument clair. Je ne voulais rien savoir de l'unification, jusqu'à ce que je comprenne enfin exactement ce que cela voulait dire. C'est une longue histoire et je n'entrerai pas dans les détails, mais j'ai quand même l'esprit ouvert au sujet des opérations interarmées, même si cela veut dire qu'il y a plus que deux partenaires en cause; même s'il y en a trois, quatre ou cinq. Cependant, les temps changent; nos défis ne sont plus les mêmes; les responsabilités évoluent. Nous devons utiliser au meilleur escient nos ressources limitées, quoique je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire d'avoir des ressources limitées.

Dans ce contexte, que signifient exactement les opérations interarmées pour les Forces canadiennes? Vous êtes associés depuis très longtemps aux forces armées et vous connaissez beaucoup de gens qui y travaillent; avez-vous une opinion là-dessus? Est-ce que les opérations interarmées sont importantes, et dans l'affirmative, pourquoi? Quel est l'avenir des opérations interarmées dans les Forces canadiennes et, encore plus important, pour ce qui est des Forces canadiennes à titre de représentants du Canada dans le monde?

Le cam Summers : Je vais essayer de répondre à ces 20 questions en vous parlant des opérations interarmées en général.

Le fonctionnement interarmes a été légiféré pour la première fois aux États-Unis avec l'adoption de la loi Goldwater-Nichols. Cette loi a forcé chacune des trois armes à renoncer à leur fief et à commencer à se percevoir et à s'entraîner comme partie d'un tout. Par la suite, le Royaume-Uni s'est engagé dans la même voie. C'est maintenant considéré comme la méthode non seulement la moins coûteuse mais aussi la plus efficiente de déployer une force militaire.

Je reprends encore une fois l'analogie du cube de Rubik. Au Canada, nous ne l'avons pas fait parce que nous avons des fiefs nous aussi. Dans chaque arme, on refusait de renoncer à ses prérogatives sur l'armée, la marine ou l'aviation. C'est vrai, mais je pense que les capacités internes — et il y a tellement de capacités dans chacune des armes — peuvent être combinées au besoin pour répondre à une menace particulière. C'est cette combinaison de capacités — rien de plus, rien de moins — qui permet de créer des économies d'échelle quand on essaie de s'attaquer à un dossier comme celui-là.

Les opérations interarmées ne doivent pas être perçues comme une menace pour l'une ou l'autre des armes. Nous devons être transparents et dire clairement si le commandant est de l'armée, de la marine ou de l'aviation quand nous participons à une opération interarmées. Les services eux-mêmes sont toujours responsables de veiller à entraîner et équiper des effectifs spécialisés. Les marins doivent être de bons marins. Les aviateurs doivent être de bons pilotes et techniciens. C'est la même chose dans l'armée, pour les soldats et les ingénieurs. Par contre, quand on les amène au- delà de cet entraînement spécifique à leur propre arme, ils doivent être capables de se frotter à une réflexion commune, pour qu'ils puissent comprendre les points forts et les points faibles de chacune des armes et être en mesure de les combiner correctement pour trouver la solution juste à une situation donnée. C'est particulièrement vrai au niveau de l'officier. C'est pourquoi il doit y avoir un entraînement conjoint à mesure que l'on monte en grade. Le corps des officiers est aujourd'hui capable de s'intégrer à un état-major interarmées et de déployer la force voulue.

Pour moi, l'aspect interarmées n'est pas menaçant; c'est la voie de l'avenir.

Le sénateur Forrestall : Ce n'est pas l'unification.

Le cam Summers : Non, ce n'est absolument pas l'unification.

Le sénateur Forrestall : Merci beaucoup. Je vous remercie pour vos aimables paroles.

Le président : Je voudrais apporter une précision. Vous avez parlé de 2 p. 100 du PIB. La moyenne des dépenses de l'OTAN est de 1,9 p. 100. Notre comité a recommandé une augmentation de quatre milliards de dollars, ce qui, aujourd'hui, étant donné l'inflation depuis que nous avons formulé cette recommandation, serait 18,5 milliards de dollars; 1,9 p. 100, qui est la moyenne de l'OTAN, donnerait 23,2 milliards de dollars. Est-il juste de dire qu'à votre avis, nous sommes trop timides et nous devrions élargir quelque peu nos horizons et adopter une approche un peu plus énergique en matière de financement des forces armées?

Le cam Summers : Il y a à peu près un an, les gens vous auraient traité de rêveur si vous aviez seulement mentionné ce chiffre de quatre milliards de dollars.

Le président : « Rêveur »est un mot gentil et les gens nous traitaient de pire.

Le cam Summers : Vous avez absolument raison. Les chiffres augmentent. Si je me rappelle bien, les dépenses discrétionnaires du gouvernement s'élèvent cette année à 190 milliards de dollars. Les chiffres recommencent à augmenter. Si le ministère se situe à 13,2 milliards de dollars en ce moment, pour obtenir une hausse sensible, il est clair qu'il faudrait porter son budget autour de 17 ou 18 milliards de dollars; mais il est plus important de voir un financement solide sur un certain nombre d'années permettant de tirer des plans. L'amiral Brodeur soutient qu'il faudrait presque que ce soit légiféré. Cela ne devrait pas dépendre des caprices du gouvernement. La sécurité nationale est trop importante. Si c'était légiféré, vous pourriez compter sur un niveau de financement qui vous permettrait de mettre en place des programmes répondant aux besoins en matière de sécurité nationale.

Le président : Nous aborderons avec l'amiral Brodeur les difficultés des engagements pris par une législature et liant la législature suivante, mais la question que je vous posais était de savoir si nous sommes trop timides. Nous sommes arrivés au chiffre de quatre milliards de dollars en commençant à zéro et en ajoutant ce que le gouvernement exigeait des militaires. Ce serait une approche davantage théologique de dire que le Canada devrait se situer dans la moyenne de l'OTAN, ce qui donnerait 23,2 milliards de dollars. Je me demandais quel chiffre vous aimeriez.

Le cam Summers : En fait, j'examinerais les chiffres de l'OTAN. Je n'ai pas les chiffres réels du PIB sous la main, mais je crois savoir que le niveau de l'OTAN se situe autour de 2,1 ou 2,2 p. 100 du PIB.

Le président : Je crois que la moyenne est de 1,9 p. 100.

Le cam Summers : Quel que soit le niveau, il serait acceptable. Ce serait probablement environ quatre ou cinq milliards de dollars de plus que le budget actuel.

Le président : Non, monsieur, ce serait quatre à cinq milliards de dollars de plus que ce que nous avons recommandé, à savoir 18 milliards de dollars.

Le cam Summers : Je suis sûr que vous rendriez bien des gens heureux si vous recommandiez cela.

Le président : À commencer par M. Goodale.

Le cam Summers : Quand vous verrez les graphiques de l'amiral Brodeur, que je n'ai pas sous la main, vous verrez la comparaison entre le niveau des pays européens de l'OTAN, excluant les États-Unis, et le niveau où nous nous situons. Il soutient que nous devons rétrécir l'écart entre les deux. Peu m'importe que ce soit 1,9 ou bien 2,2, mais nous devons payer beaucoup plus que ce que nous avons fait jusqu'à maintenant, puisque nous nous situons dans la catégorie du Canada et du Luxembourg.

Le président : Nous comprenons votre position.

Le sénateur Stollery : Je voudrais aborder nos relations avec les Américains. C'est évidemment notre relation étrangère la plus importante.

Je vais vous lire un passage tiré du numéro d'hier du Financial Times :

Quand M. Greenspan a dit que le déficit commercial des États-Unis devenait « de moins en moins tenable » en novembre dernier, les marchés financiers ont pris peur. L'indice industriel Dow Jones a chuté de 115 points et le dollar a perdu 0,4 p. 100 contre l'euro sur les marchés des devises étrangères.

Quand un porte-parole de la Banque de Corée a laissé entendre lundi dernier que la Corée voulait s'éloigner graduellement du dollar pour ses réserves de devises, la réaction des marchés a été encore plus prononcée. Mardi, l'indice Dow a plongé de 174 points et le dollar US a perdu 1,4 p. 100 contre l'euro.

Les statistiques ne mentent pas. Les États-Unis doivent attirer à peu près deux milliards de dollars de capitaux par jour pour financer son déficit du compte courant... Au cours des deux dernières années, la dépendance envers les achats officiels d'actifs américains par les banques centrales asiatiques a été énorme...

Les réserves officielles de devises du Japon dépassent maintenant 800 milliards de dollars; la Chine en détient plus de 600 milliards de dollars; Taiwan et la Corée du Sud en ont chacune plus de 200 milliards de dollars. Et Hong Kong et l'Inde ne sont pas très loin derrière... L'Association du marché des obligations des États-Unis estime que les étrangers détiennent 46,8 p. 100 des bons du Trésor américain en 2004, en comparaison de seulement 20 p. 100 en 1990.

J'ai entendu l'ambassadeur américain dire que les Américains perçoivent tout au travers du prisme de la sécurité. Bien sûr, cela a été vrai. Ne commencent-ils pas à voir aussi les choses au travers du prisme des réserves de change? D'après mes calculs, à titre de président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, les États-Unis dépensent 167 millions de dollars par jour en Iraq. Ils sont au seuil d'une catastrophe financière de grande envergure.

À votre avis, quelle incidence cela aura-t-il sur leurs relations avec le reste du monde et, bien sûr, avec le Canada? Plus particulièrement, quelles en seront les conséquences sur leur capacité de financer leurs propres dépenses militaires?

Le cam Summers : Écoutez, sénateur, je ne suis pas expert en sciences économiques, mais vous avez visé juste. Nul besoin d'être un expert pour comprendre les arguments que vous avancez. L'Iraq coûte très cher aux Américains. Ils ne pourront pas supporter cela éternellement. Cela se répercute sur leur économie et les conséquences se feront encore plus durement sentir au cours des prochaines années. Je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles ils insistent tellement fort à l'heure actuelle pour obtenir la participation d'autres pays pour les aider à trouver une solution en Iraq. Cela ne vous étonnera peut-être pas, mais quand vous parlez de déficits commerciaux, du Japon et d'autres pays asiatiques, le plus important déficit commercial des États-Unis est celui avec le Canada, et de très loin. Ceux enregistrés avec le Japon et les autres pays sont minimes en comparaison.

Le sénateur Stollery : C'est à cause de leurs importations d'énergie.

Le cam Summers : Oui, et à cause du commerce intensif entre nos deux pays. En bout de ligne, nous devrions nous en inquiéter, parce que la santé de l'économie américaine influe directement sur la santé de l'économie canadienne.

Le sénateur Stollery : Avez-vous une opinion plus précise sur les conséquences que cela aura quant à leur capacité de financer leurs extraordinaires dépenses militaires? Et je ne veux pas dire seulement en Iraq.

Le président : Sénateur Stollery, le témoin que nous entendons n'est pas un expert financier. Il est un expert militaire. Nul ne conteste la validité des arguments que vous soulevez. Cependant, nous pouvons convoquer devant nous un autre témoin pour discuter de questions financières. Nous avons un mémoire qui traite d'affaires militaires et c'est là- dessus que doit porter l'attention de notre comité.

Le sénateur Stollery : Nous discutons d'une éventuelle augmentation de la contribution militaire du Canada, et je suis d'accord avec cela. J'ose dire, sauf votre respect, que c'est une question de dollars et de sciences économiques.

Merci beaucoup.

Le sénateur Nolin : C'est un plaisir de vous revoir. Retournons à notre vieille histoire d'amour avec l'OTAN. Cela ne vous étonnera peut-être pas, mais la Norvège va insister très fort auprès des alliés pour que l'on modifie le concept stratégique de l'OTAN à cause du passage au nord de la Russie. Le réchauffement planétaire en est probablement la cause. Si la Norvège s'inquiète — et ce n'est d'ailleurs pas seulement la Norvège, mais surtout la Norvège —, c'est parce que la plus grande partie du trafic commercial qui passe au sud passera désormais par le nord parce que cela coûtera beaucoup moins cher. Évidemment, cela pourrait toucher la Norvège. Je le sais de source sûre parce que j'étais là quand le ministre des Affaires étrangères de Norvège a soulevé la question à une conférence l'été dernier. Je sais qu'il a abordé la question auprès de son collègue du Canada.

Ma question porte sur notre présence dans le Nord. Est-il important de mettre davantage l'accent sur notre souveraineté et notre sécurité dans le Nord et, dans l'affirmative, dans quelle mesure, ayant à l'esprit la défense continentale?

Le cam Summers : Il est juste de dire qu'à l'époque où j'étais en uniforme, notre présence dans le Grand Nord était de pure forme. Nous avons créé un commandement du Nord à Yellowknife et il y avait quelques militaires là-bas, mais en réalité, on ne leur donnait pas grand-chose en termes de ressources ou d'équipement et ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'être sur place.

Le sénateur Nolin : Les Danois le savaient. Ils sont venus ici pour nous chatouiller un peu.

Le cam Summers : Absolument. Il est certain que d'autres pays, dont le Danemark, s'intéressent au Nord pour une foule de raisons, militaires et autres. Comme les Esquimaux le diraient, on a aperçu bien souvent des baleines en fer qui nageaient dans le Grand Nord.

Le sénateur Nolin : Nous avons envoyé la nôtre l'été dernier.

Le cam Summers : Oui. Il est juste de dire qu'il y a une prise de conscience que le Nord fait partie de nos exigences en matière de souveraineté. J'ai le sentiment, dans les entretiens que j'ai avec des gens à Ottawa, qu'ils sont sérieux quand ils parlent de notre présence dans le Nord. Ils sont à la recherche de moyens permettant d'exercer réellement cette souveraineté.

On parle de souveraineté maritime ou de souveraineté aérienne, mais trop souvent, on parle seulement de la côte Est et de la côte Ouest, alors qu'on devrait également englober la côte septentrionale. Je pense que les planificateurs envisagent une présence plus solide dans le Grand Nord, de sorte que le pavillon canadien flottera là-haut.

Le sénateur Nolin : Ma réflexion va un peu plus loin. Si les Norvégiens sont prêts à présenter aux chefs d'État l'idée de modifier le concept stratégique de l'OTAN pour y inclure leur passage septentrional, pensez-vous que nous devrions en faire autant pour notre Grand Nord?

Le cam Summers : Nous pourrions essayer. Ce serait intéressant. Je pense que les avocats seraient ravis.

Le sénateur Nolin : Il s'agirait d'exposer nos préoccupations sur le Nord devant les 26 chefs d'État réunis.

Le cam Summers : Vous vous retrouveriez probablement avec une discussion extraordinairement animée, parce que quand il est question du Nord, nous avons nos frontières là-haut; les États-Unis ont leurs frontières; d'autres pays en ont également, et l'on déclenche un conflit territorial pour savoir qui possède quel territoire. Si jamais ils essayent de prendre le concept stratégique, qui est un très bon document — je sais que les Norvégiens veulent le faire et je sais pourquoi — et d'appliquer ce document au Grand Nord canadien, je pense qu'il y aurait des discussions qui dureraient des années pour essayer de tirer au clair les répercussions juridiques de tout cela. C'est déjà assez difficile, en toute franchise, de déterminer la frontière juridique entre le Canada et les États-Unis au débouché du Détroit de Juan de Fuca.

Le sénateur Nolin : C'est bien ce que je dis. Puisqu'ils discutent du Nord et qu'ils essayent de convaincre les alliés de se préoccuper beaucoup plus de la sécurité de l'Europe du Nord, cela nous force à réagir.

Le cam Summers : C'est pour des raisons économiques.

Le sénateur Nolin : C'est pour des raisons économiques, des raisons environnementales et des raisons de sécurité nationale. Cela nous force à en faire autant; peut-être pas à soulever la question à la table, mais tout au moins à faire des efforts de notre côté pour assurer notre souveraineté et notre sécurité dans le Nord. Êtes-vous d'accord avec moi?

Le cam Summers : Je le suis, absolument. Ce serait un bon sujet, et ils le font peut-être déjà, mais quand vous parlez de défense continentale ou de sécurité, vous commencez à aborder des questions environnementales, économiques, et cetera, parce que chacun se rend compte que le passage du nord-ouest sera la grand-route économique de l'avenir. Il nous incombe de mettre en place dès aujourd'hui les mécanismes et les protocoles pour des éventualités comme les catastrophes environnementales.

Le sénateur Nolin : C'est le véritable chemin vers la Chine, depuis 500 ans.

Le sénateur Day : Contre-amiral Summers, je trouve dans votre argumentation très peu de points avec lesquels je suis en désaccord. Je vous en remercie. Ce sera pour nous un document de base très utile.

Je voudrais deux précisions, et il y a aussi plusieurs autres points que vous n'avez pas soulevés et sur lesquels j'aimerais obtenir votre réaction.

Tout d'abord le programme des frégates et les subventions à un chantier naval pour bâtir ces frégates; et une fois que les frégates ont été construites, ce chantier naval a fermé ses portes et l'investissement a été une perte sèche. C'est une observation juste. Vous concluez que nous devrions acheter notre matériel là où nous en aurions le plus pour notre argent et que nous ne devrions pas nous inquiéter d'acheter au Canada. Vous suggérez ici de « exiger des retombées au besoin », mais vous ajoutez ensuite : « Mais maintenir la nécessité de maintenir d'importantes acquisitions et systèmes ici au Canada ». Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire par cette dernière phrase.

Le cam Summers : Pour commencer, les subventions versées au chantier naval ont été considérables, de l'ordre des chiffres que j'ai cités dans mon document. Mais ce n'était toutefois pas seulement des dollars; c'était aussi des gens, des compétences et la capacité de gérer de grands programmes. C'était un actif national. Malheureusement, parce que les programmes de ce genre ne sont pas permanents, on perd cette capacité. Nous avons perdu une capacité en termes de génie, de conception avancée, applicable à des navires de type frégate dernier cri, et bien sûr la capacité de construire et d'assembler tout cela, comme le faisait à ce moment-là le chantier naval Saint John Shipbuilding.

Le président : Je veux préciser que deux chantiers navals y ont participé.

Le sénateur Day : Le maître d'oeuvre était la Saint John Shipbuilding.

Le président : Trois des vaisseaux sont allés ailleurs, ce qui a augmenté considérablement les coûts.

Le cam Summers : C'est également vrai quand on commence à examiner le coût total. Je ne vais pas le faire, mais vous avez absolument raison. Nous avons fait la même chose pour le programme 280, qui a été divisé entre deux chantiers, avec la même surprime qui a été payée, et deux chantiers y ont travaillé au lieu d'un seul. Il est toutefois regrettable que nous ayons perdu cette capacité, pas seulement la capacité industrielle, mais aussi toutes les compétences qui vont avec. C'est le revers de la médaille.

Les Néerlandais ont produit un navire de guerre par année. En termes de planification, ils ont toujours eu un chevauchement des capacités et pouvaient compter en tout temps pouvoir maintenir un effectif et une expertise soutenus. Nous procédons plutôt par à-coup, comme un accordéon. Nous fonçons à toute vapeur et puis nous mettons les freins et nous repartons ensuite de nouveau. Il ne serait probablement pas sage de payer de nouveau cette prime à moins d'être disposé à maintenir la capacité sur une période plus longue. C'est pourquoi je dis que la meilleure approche à l'avenir serait d'acheter là où on peut en avoir le plus pour son argent. Cependant, si vous achetez quelque chose en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, vous devez obtenir toutes les retombées industrielles possibles à ce moment-là pour s'assurer que, même si l'argent s'en va à l'étranger, leur argent est également investi dans notre pays. Je pense qu'il est critique que les grands systèmes ou unités puissent être entretenus entièrement ici au Canada, qu'il s'agisse d'un chantier naval ou d'une industrie de pointe ou quoi que ce soit. L'entretien de l'actif acheté à l'étranger peut être assuré ici même au Canada, ce qui permet de conserver des spécialistes.

Le sénateur Day : Je comprends. Prenons vos observations sur le programme des frégates et appliquons-les au nouveau navire ravitailleur polyvalent qui est envisagé. On entend constamment dire que l'on a proposé encore une nouvelle caractéristique, une nouvelle fonction pour ce navire. Si cela n'arrête pas bientôt, on se retrouvera avec le navire le plus polyvalent, le plus multitâches de toute l'histoire de la navigation. Est-ce une approche logique, ou bien est-ce une autre manière de retarder constamment l'achat d'un autre actif à l'étranger?

Le cam Summers : J'espère que non, mais vous avez raison. Quand on demande quelles sont les tâches que ce navire est censé pouvoir faire, la réponse varie d'un jour à l'autre. Essentiellement, c'était au début destiné à remplacer le navire OAR. Les classes Protector, Preserver et Provider ont atteint le point où ces navires ne sont plus fonctionnels. Ils sont trop vieux et nous devons les remplacer. Nous en avons gardé deux, mais leurs jours sont vraiment comptés. On ne peut pas déployer des forces à l'étranger à moins de pouvoir les ravitailler en carburant, en munitions, en nourriture et en fournitures médicales. C'est ce que faisait le navire AOR. C'est certainement l'une des caractéristiques de ce navire de soutien interarmes dont on parle. De plus, on envisage d'en acquérir suffisamment pour pouvoir transporter une force restreinte n'importe où dans le monde, au Timor oriental ou ailleurs, de sorte qu'on n'aurait pas besoin de louer des avions.

La question qui se pose, c'est qu'il s'agit d'un navire polyvalent, d'un navire ravitailleur interarmées capable de faire cela, mais en réalité, on ne pourrait y embarquer plus qu'un tiers de brigade, si je me rappelle bien. Ainsi, il faudrait les utiliser tous les trois pour transporter une brigade au Timor oriental ou n'importe où, ou bien il faudrait louer ou se procurer quelque chose d'autre. On envisage donc en ce moment, ce qui est logique compte tenu du concept de force interarmées et de la capacité de transporter une brigade, un navire un peu plus gros que ne le serait le navire de soutien interarmées, quelque chose comme un petit amphibie quelconque. On fabrique des navires de ce genre au Royaume- Uni, en France, aux Pays-Bas, aux États-Unis et dans un autre pays d'Europe. Tous ces pays-là possèdent des navires de ce type. C'est cela que nous devrions envisager.

Je crois que nous avons la capacité de design et je vous ai donné un document qui montre que nous pourrions prendre l'un des modèles existants de la bonne taille et l'adapter à nos besoins particuliers. Comme ce serait un design commercial courant, il serait possible de le construire et de l'entretenir au Canada.

La question de savoir lequel conviendrait demeure en suspens. Il y a deux exigences globalement, qui sont parfois vues comme conflictuelles et parfois non. Il faut un remplacement pour le pétrolier ravitailleur d'escadre. Il faut avoir cette capacité quelque part. Et je comprends maintenant qu'il faut un navire capable d'embarquer une force d'une taille importante, jusqu'à une brigade complète, pour l'amener n'importe où dans le monde, avec les capacités de commandement et de contrôle suffisantes pour assurer sa cohésion une fois arrivé à destination, avec le soutien médical et autre dont ce groupe aura besoin. Voilà donc les deux capacités concurrentes.

Le sénateur Day : Pourquoi essayons-nous de combiner ces deux nécessités dans un seul navire? Pourquoi ne pas faire comme vous le dites, essayer d'en avoir le plus pour notre argent sur le marché pour accomplir la tâche que nous devons accomplir? D'après votre expérience, puisque vous avez passé de nombreuses années en uniforme, est-ce dicté par des considérations politiques, ou bien le groupe des acquisitions à la Défense nationale essaye-t-il seulement de transformer tout ce qu'il touche en un couteau de l'armée suisse?

Le cam Summers : La situation change. C'est la meilleure façon de voir les choses. Il y a environ un an, le bâtiment de soutien interarmées était le seul élément envisagé et il avait été approuvé en principe par le gouvernement. Cela m'apparaît très logique. Il avait une capacité très modeste de déploiement de forces quelque part dans le monde. Il fournissait certainement, puisque c'était son rôle principal, la capacité de garder la flotte bien approvisionnée. Le dossier a évolué et, dans le cadre de cette discussion sur les opérations interarmées, vous verrez deux exigences séparées émerger. Il se pourrait bien qu'on se retrouve avec un remplacement du navire AOR pour approvisionner la flotte, et qu'on loue par ailleurs un autre bâtiment qui serait assez grand pour embarquer une force assez nombreuse et la transporter n'importe où dans le monde.

Le sénateur Day : Ce serait comme un navire de la classe San Antonio?

Le cam Summers : Ce serait le plus grand qu'on puisse imaginer. Le San Antonio serait, de mon point de vue, une Rolls Royce. Je pense qu'il existe quelque chose de plus petit que la classe San Antonio. Vous êtes évidemment au courant de la proposition Sea Horse. Je faisais partie du groupe de réflexion là-dessus, aux côtés de gens comme l'excellent général Lewis MacKenzie et d'autres. La logique de tout cela est généralement bien reconnue. Si l'on parle de forces interarmées et de la capacité de fonctionner n'importe où dans le monde, d'aller quelque part et d'être capable de faire quelque chose, il faut un outil de cet ordre. Que ce soit un San Antonio, un navire Albion ou un autre type, cela reste à voir. Je suis sûr que les planificateurs de la défense et d'autres intervenants au QGDN étudient en ce moment même ces options en vue de décider ce qui convient le mieux pour le Canada, mais il est certain que le concept de base est valable et tout ce qui préfigure cette approche interarmées.

Le sénateur Day : Ma dernière question porte sur le concept de diversification des modes de prestation des services dont on entend constamment parler. Pour transporter des troupes par la voie aérienne, est-il logique pour nous de ne pas avoir de capacité de transport aérien au Canada et de s'en procurer sur le marché quand nous en avons besoin? Pourrions-nous faire la même chose pour le transport en mer? Est-il possible de louer un navire pour transporter nos troupes là-bas plutôt que de nous en charger nous-mêmes?

Enfin, dans le cadre de cette même question, vous étiez ici quand le commodore et le vice-amiral ont témoigné. Ils ont dit qu'au lieu d'essayer d'obtenir davantage d'avions Aurora pour la surveillance de la côte Ouest, ils sont très contents d'étendre le rôle de l'appareil loué à contrat pour faire ce travail. Il semble que ce que l'on considérait dans le passé comme des activités faisant partie du noyau de base ne le sont plus. Quel est votre point de vue là-dessus?

Le cam Summers : C'est vrai. Il y a place pour des modes différents de prestation des services. Dans certains cas, c'est utilisé à bon escient; dans d'autres cas, c'est peut-être mal utilisé, à mon avis.

Dans le cas de l'aérotransport, nous faisons voler nos appareils Hercule jusqu'à la corde depuis maintenant de nombreuses années. Vous connaissez beaucoup trop d'exemples de cas où nous ne pouvons pas tout faire pour la seule raison que nous n'avons pas assez d'avions pour assurer l'aérotransport. Il faut les remplacer. Avons-nous besoin d'un aérotransport stratégique à cet égard? Oui, nous en avons besoin. Que ce soit de nouveaux appareils Hercule ou bien des C-17, cela reste à déterminer, mais en bout de ligne, il nous faut un avion de transport stratégique.

Le sénateur Day : C'est-à-dire un système d'aérotransport que nous pouvons contrôler.

Le cam Summers : En effet. On n'aurait pas besoin d'aller voir si les appareils Antonov sont prêts, ou bien si le syndicat des pilotes permettra à ceux-ci de se rendre dans un espace aérien hostile. Sinon, tant pis pour vous. Il nous faut un aérotransport stratégique dirigé, piloté et entretenu par du personnel militaire.

Pour le transport par mer, la situation est identique. Il vous faut le navire, quel qu'il soit, qui pourrait transporter une brigade quelque part. Si vous examinez n'importe lequel des grands conflits, vous constaterez — et ce n'est pas parce que Keith MacDonald est assis derrière moi que j'insiste sur le service aérien — que plus de 90 p. 100 du matériel transporté à l'étranger dans une zone de combat est transporté par mer, et non par air, et il est donc très important d'avoir une capacité mixte de transport par mer et par air.

Vous avez évoqué l'avion patrouilleur. L'observation de l'amiral est absolument juste. Les hélicoptères de la côte Est basés à St. John's, j'oublie le type d'appareil qu'ils possèdent en ce moment, ont fait de l'excellent travail au large des Grands bancs de Terre-Neuve pour signaler les icebergs, les pêcheurs et fournir de l'information directement au centre opérationnel le long de la côte. Et ici aussi; on utilisait un appareil de type King Air. Par ici, les appareils loués à contrat sont très utiles et peuvent dégager les Aurora pour des opérations plus sophistiquées, si l'on peut dire. De plus, comme l'amiral l'a dit, alors qu'on fait la transition pour la mise à jour des Aurora, il y aura une période au cours de laquelle on n'aura pas assez d'Aurora et il faudra compter davantage sur des heures de vol retenues à contrat par des avions civils travaillant pour des ministères.

Le sénateur Day : D'après vous, la nouvelle politique de défense serait-elle centrée essentiellement sur la création d'une force expéditionnaire, les autres activités comme la sécurité nationale étant assurées à un deuxième niveau par des modes différents de prestation des services et d'autres groupes?

Le cam Summers : Non. À mes yeux, cette capacité de corps expéditionnaire pourrait en fin de compte être utilisée à des fins nationales. S'il y a un problème sur la côte septentrionale du Labrador, on pourrait vouloir recourir à cette capacité additionnelle pour envoyer des troupes là-bas. Chose certaine, on pourrait compter sur les atouts d'une capacité expéditionnaire, qu'il s'agisse des effectifs, des navires et de tout le reste à des fins nationales également. Ce n'est pas mutuellement exclusif; et je ne voudrais pas dire non plus que la capacité expéditionnaire est la raison d'être primordiale et que la sécurité nationale est l'inverse. Je dirais en fait qu'il faut commencer par aller vers l'extérieur. Il nous faut davantage de capacité pour la sécurité nationale et pour assurer la souveraineté au large des côtes. La capacité expéditionnaire va certainement renforcer cet aspect. C'est un peu comme ce que Lewis MacKenzie avait l'habitude de dire : il faut un soldat entraîné au combat pour garder la paix. On ne peut pas envoyer là-bas un type qui ne sait pas se battre s'il doit se tenir au garde-à-vous entre deux soldats armés de fusils et leur dire : « Allez, soyez de gentils garçons ». Il faut des forces aptes au combat peu importe quel rôle on veut jouer. La sécurité nationale, les opérations de souveraineté et les capacités expéditionnaires doivent être équilibrées et les mêmes forces peuvent faire les deux.

Le président : J'ai plusieurs questions supplémentaires faisant suite aux points que vous avez abordés avec le sénateur Day. Vous avez parlé des Hercule. Notre comité est allé à Trenton, où nous avons vu 19 de nos 32 Hercule qui étaient hors service le même jour. En moyenne, il y en a 13 ou 14 d'immobilisés en un jour donné, mais le Hercule n'est pas un appareil tactique. On ne peut pas l'employer dans les rôles que vous venez de décrire. De plus, il ne correspond pas aux nouvelles armes que nous avons; si nous voulons y mettre un Stryker, il faut le démonter pour faire l'installation. Je suis un peu perplexe que cet appareil soit sur votre liste, parce qu'il n'a pas le rayon d'action ni la capacité d'emport qu'il nous faut pour transporter du matériel. Quelles sont vos observations là-dessus?

Le cam Summers : S'il est question de mener de nombreuses opérations nationales, alors il faut l'appareil Hercule pour transporter le matériel d'un bout à l'autre du pays. Si Port Alberni est frappé par un tsunami, comme c'est arrivé il y a un certain nombre d'années, il pourrait être nécessaire de transporter beaucoup de matériel sur l'île de Vancouver. Je dis que l'appareil Hercule serait un moyen de transporter cela.

Le président : On pourrait envisager d'autres appareils qui ont le rayon d'action, la taille et la capacité d'atterrir n'importe où comme un Hercule, n'est-ce pas?

Le cam Summers : Oui, mais étant donné les actifs que nous avons en ce moment, il y a un équilibre entre le Hercule et l'action stratégique. Si nous n'avions que des C-17 pour l'aérotransport, nous serions probablement quelque peu limités dans nos destinations possibles et il nous faudrait d'autres appareils pour transporter le tout de la principale tête de pont jusqu'au bon endroit. Il faut maintenir cet équilibre.

Le président : En fait, on nous a fait la démonstration qu'un C-17 peut atterrir n'importe où au Canada où un Hercule peut atterrir. Il y a deux plates-formes qui sont disponibles actuellement. L'une est l'appareil de recherche et de sauvetage à voilure fixe, lequel pourrait certainement être utilisé en partie pour l'aérotransport tactique si l'on en accroissait la taille. Cette combinaison d'appareils vous semble-t-elle acceptable?

Le cam Summers : Je ne savais pas que le C-17 pouvait atterrir dans un espace aussi restreint que le Hercule. C'est très court, mais si c'est le cas, cela change tout. Il est certain que je devrai revoir mes conclusions. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est d'avoir une capacité d'aérotransport suffisante pour les opérations nationales et aussi internationales. Dans mon esprit, que cela consiste en des C-17 ou bien un mélange de C-17 et de Hercule, cela reste à voir.

Le président : Vous avez parlé de chantier naval. Notre comité ne s'intéresse pas seulement à la défense, mais aussi à la sécurité nationale au sens large. Nous avons examiné les besoins et les exigences de la garde côtière. Elle est plus mal lotie que la marine si l'on considère l'âge de ses navires et les problèmes qui l'affligent. Si nous devions avoir une politique rationnelle comme les Néerlandais, nous pourrions probablement mettre à la mer deux nouveaux bateaux par année et nous ne pourrions toujours pas suffire à la demande.

Cela dit, nous n'avons pas la capacité de le faire au Canada. Étant donné la manière dont les gouvernements ont tendance à fonctionner, nous pensons que ce serait faire une mauvaise plaisanterie aux constructeurs de navires que d'équiper un chantier naval, de le faire fonctionner pendant quatre ou cinq ans, pour dire ensuite aux employés que c'est la fin du programme et qu'ils peuvent retourner travailler comme pompistes ou le métier qu'ils faisaient avant de recevoir leur formation.

Pensez-vous qu'un chantier naval est viable au Canada? Dans l'affirmative, comment pourrait-on à votre avis garantir un processus compétitif?

Le cam Summers : Malheureusement, nous avons fait l'expérience d'investir pour construire des navires de pointe comme les frégates, ou encore la classe 280 durant les années 70.

Si l'on envisage un navire aux caractéristiques non militaires, essentiellement un navire commercial qui pourrait servir à des fins militaires, un certain nombre de chantiers navals au Canada pourraient s'en charger, par exemple Halifax Shipyards dans l'Est, le Washington Marine Group ici même, et CS Engineering en amont sur le fleuve. Davie pourrait, pourvu qu'on injecte de l'argent, construire des navires de ce type.

Le président : Chez Davie, on est encore en train de vivre une mauvaise plaisanterie. Combien de fois faut-il fermer le chantier et mettre à pied les travailleurs pendant sept ou huit ans, pour leur demander ensuite de revenir au travail?

Le cam Summers : Il faut une rationalisation dans le secteur des chantiers navals. Nous devrions discuter avec les responsables de la création d'un centre national d'expertise, si l'on peut dire, qui pourrait conserver cette capacité. Je proposerais d'en installer un sur chacune des côtes, capable de construire des navires commerciaux, et de faire construire les navires de tous les ministères par ces chantiers navals.

Le président : Quand nous avions quatre ou cinq chantiers, ils étaient tous de mèche. C'était chacun leur tour d'être le plus bas soumissionnaire et ils faisaient de l'argent quand on ordonnait des changements. Le gouvernement finissait par se faire avoir. C'était essentiellement un moyen de canaliser l'argent du développement régional dans différentes régions du pays par l'entremise des subventions versées pour la construction des navires. Tout cela se faisait au détriment des Forces canadiennes.

Le cam Summers : C'est la même chose pour les bases. J'ai mentionné l'infrastructure et j'ai dit que des bases dont on n'a plus besoin restent ouvertes. C'est pour des raisons de développement régional uniquement.

Le président : Nous sommes violemment d'accord.

Le cam Summers : Nous le sommes.

Le président : Bien. Quant à la classe San Antonio, nous avons examiné ce dossier il y a quelque temps parce que nous pensions que la proposition émanant de l'amiral Buck allait un peu trop loin, dans le sens de ce que le sénateur Day disait tout à l'heure. Nous ne pouvions pas comprendre pourquoi le Canada avait besoin d'un navire qui était unique au monde. Il nous apparaissait logique que si au moins quelques autres pays achetaient ce navire, alors peut- être pourrions-nous l'acheter nous aussi. Quand nous nous sommes penchés sur la classe San Antonio, on nous a dit, premièrement, qu'il serait difficile pour ce navire d'accoster à Halifax; deuxièmement, qu'il n'était pas assez rapide pour suivre la flotte; troisièmement, qu'il ne transportait pas suffisamment de carburant pour ravitailler un groupe opérationnel; quatrièmement, qu'il ne transporterait pas suffisamment de soldats pour le groupe de combat qui était nécessaire. Par conséquent, nous l'avons rayé de la liste, nous sommes retournés à la case départ et nous avons dit qu'il faudrait se procurer deux navires ravitailleurs et quelques transporteurs de troupe, reconnaissant que c'est le mode choisi pour transporter du matériel partout dans le monde de toute manière.

Le cam Summers : Je ne peux pas être en désaccord avec cela. Je sais qu'il y a des gens en uniforme qui disent qu'un navire de la classe San Antonio serait tout simplement trop gros pour entrer dans la cale sèche. Je prends cela avec un grain de sel, parce que je pense qu'il y aurait probablement moyen de s'arranger.

Le principe de base, c'est qu'il faut quelque chose d'assez gros. Quand on a parlé du San Antonio, c'était un exemple. Le seul qu'on puisse prendre, c'est le San Antonio. Il y a plein de modèles qui existent et qui ont des degrés divers de capacité pour ce qui est d'emporter des gens et d'autres ressources, et l'on peut faire son choix.

Si l'on adhère à ce concept, comme j'espère qu'on le fera, d'avoir cette capacité expéditionnaire, et un navire capable d'emporter des troupes et des forces prêtes au combat à l'étranger, alors il faut voir ce qui est disponible, les divers modèles et choisir celui qui nous convient. Ce sera peut-être le San Antonio. Peut-être pas. Ce pourrait être un navire britannique, français ou néerlandais qu'on est en train de mettre au point.

Le président : L'argument contraire qu'on nous sert, c'est que si l'on vient d'acheter des pétroliers et qu'on a ensuite besoin de navires de transport, on se retrouverait avec trop d'éléments disparates et trop de marins et que ce ne sera pas d'un bon rapport coût-efficacité. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Le cam Summers : Je pense que la position contraire serait d'essayer d'avoir un seul navire, comme le sénateur l'a dit, qui pourrait tout faire. Cela n'arrivera pas.

Le président : Ce navire serait conçu à partir de rien.

Le cam Summers : Exactement. Nous aurons probablement besoin de deux navires différents qu'il faudra acheter ou acquérir. Le ravitaillement de la flotte est un besoin propre. Le navire en question a une capacité limitée pour ce qui est de faire quelque chose d'autre que le ravitaillement, et il faut en tenir compte. Cependant, si vous voulez quelque chose de substantiel en termes de capacité expéditionnaire, vous ne pouvez pas faire cela avec un pétrolier, même renforcé. Il faut donc envisager quelque chose d'autre.

Dans mon esprit, il y a deux exigences différentes, et c'est ainsi qu'il faut aborder la question. Il faut évidemment tenir compte des contraintes budgétaires et de tout le reste, mais la réalité est que, si c'est l'orientation que les Forces canadiennes veulent prendre, et je pense que ça devrait être le cas, il faut commencer à reconnaître que nous avons besoin de deux capacités différentes. Si cela veut dire qu'il faut deux navires de types différents, alors soit; c'est ce qu'il nous faut. Et ces deux navires, à mon avis, ne sont pas des navires de la marine. Ce sont en fait des navires des Forces canadiennes. Leur raison d'être est de prendre une brigade ou un groupe s'en rapprochant et de l'amener quelque part, de même que la capacité de commandement et de contrôle, pour lui permettre de fonctionner et de déployer ses activités, tout en fournissant le soutien médical et autre nécessaire pour permettre à cette force de rester sur le terrain pendant un certain temps.

Le président : Êtes-vous en train de nous dire que la meilleure solution serait d'acheter des pétroliers existants, de les insérer dans la marine, d'acheter des navires rouliers de transport et, au besoin, d'installer sur le pont la structure de commandement et de contrôle?

Le cam Summers : C'est l'une des options. Je ne connais pas toutes les options qui existent, mais je dirais que c'en est une qu'il faudrait examiner sérieusement.

Le président : Ma dernière question porte sur les chantiers navals. Le comité est instinctivement mal à l'aise avec l'idée de payer plus cher pour construire un navire chez nous. Cela dit, des gens sérieux nous ont dit que c'est le prix à payer si la marine veut avoir les appuis politiques nécessaires pour acheter davantage de navires. Qu'avez-vous à dire là-dessus?

Le cam Summers : Je ne crois pas que ce devrait être le cas, bien franchement. Ce sont de fausses économies. Je ne peux pas parler au nom de la marine. Je ne fais plus partie de la marine, mais j'ai vu trop d'exemples de cas où cela ne devrait peut-être pas arriver.

Le président : Croyez-vous que, à l'époque où vous étiez dans la marine, vous auriez vu les programmes de construction navale qui ont effectivement eu lieu à cette époque n'eût été des compromis par lesquels la marine s'est trouvée essentiellement à acheter les appuis politiques pour obtenir ces navires en disant : « Ils seront construits dans votre coin de pays »?

Le cam Summers : Si la marine avait eu le dernier mot sur les frégates, par exemple, elles auraient toutes été construites à Saint John, point final. Les navires de la classe 280 auraient tous été construits dans un seul chantier naval et non pas deux, parce que cela a entraîné un coût supplémentaire et des complications.

Le président : Si la marine avait eu le dernier mot, n'auraient-ils pas été construits en Corée à 30 p. 100 de moins?

Le cam Summers : C'est une autre option. C'est l'un des chiffres qu'on avait lancé à l'époque, si je me rappelle bien. Dans le cas de la construction des 280, il y avait un chantier, je pense qu'il était situé en Corée, qui aurait pu les construire pour environ 30 p. 100 de moins qu'au Canada.

Le président : Cela me ramène à ma question : Pensez-vous que le seul moyen pour nous d'obtenir le soutien voulu pour renouveler la flotte, c'est de payer cette surprime, qui est essentiellement une prime de développement régional, au détriment des Forces canadiennes.

Le cam Summers : Non.

Le président : Ne serait-il pas mieux de leur envoyer tout simplement un chèque?

Le cam Summers : De nos jours, la population et le gouvernement ne se laissent plus aveugler par de fausses économies de ce genre, consistant à tenter de maintenir en vie des chantiers navals pour de telles raisons. En réalité, étant donné que l'argent est limité, il faut acheter là où on en obtient le plus pour son argent, que ce soit à l'étranger ou au Canada. Il ne faut pas payer de subsides.

Le président : Nous sommes sur la même longueur d'ondes, mais nous avons sous les yeux les pétroliers ravitailleurs d'escadres dont la date de péremption est passée depuis dix ans.

Le cam Summers : C'est exact.

Le président : Et puis nous avons sous les yeux les destroyers dont la date de péremption est aujourd'hui même.

Le cam Summers : Oui, en effet.

Le président : Nous savons que pour les remplacer, il faudra un processus de 13, 14 ou 15 ans. Les frégates en sont au milieu de leur vie utile. C'est aujourd'hui qu'il faut commencer à planifier leur remplacement. Vous et moi savons qu'aucune planification ne se fait en ce sens. Nous jetons un coup d'oeil aux navires de défense côtière. Ils ne défendent pas la côte et ils ne conviennent pas à la navigation en haute mer. Le moment approche où nous devrons commencer à réfléchir à ce qu'il faudrait acquérir pour les remplacer, et l'on ne tire aucun plan en ce sens.

Nous sommes confrontés à la situation suivante : presque toutes les plates-formes de la marine exigent un investissement considérable et nous ne voyons venir aucune proposition, sinon le concept du couteau de l'armée suisse.

Le cam Summers : En fait, monsieur le président, je dois exprimer mon désaccord. Des plans existent pour certains de ces dossiers. Il y a une idée fausse dont vous devez vous méfier. D'aucuns disent qu'il faut remplacer chaque coque par une coque équivalente : nous avons quatre 280; il faudrait donc les remplacer par quatre autres navires de commandement de la classe 280. C'est la capacité qu'il faut remplacer, pas les navires comme tels. De mon temps, la manière de penser dans la marine, et je pense que c'est encore le cas, était qu'il fallait envisager de remplacer la capacité en aval. On peut comprendre qu'il serait valable de remplacer les frégates et les 280 par un seul et même navire, un seul modèle, si l'on peut dire, peu importe qu'il soit construit au Canada ou ailleurs. Ensuite, il s'agit de prévoir le nombre voulu de navires pour assurer la capacité voulue. Ce programme, à moins que les choses aient changé, est certainement établi et la réflexion est amorcée. Le problème, c'est qu'il faut constamment remettre son exécution à plus tard, étant donné la taille du budget de la défense jusqu'à maintenant. On ne verra probablement rien dans le dossier du remplacement des frégates avant 2012 ou 2015.

Le remplacement de la capacité de commandement des 280 me préoccupe personnellement. Il faut absolument s'occuper d'obtenir cette capacité quand ces navires en seront au point où ils ne pourront plus prendre la mer pendant des périodes prolongées. Là encore, c'est la capacité qui compte, pas le navire lui-même.

Le président : Je comprends votre argumentation et je la trouve valable. Je pense que le comité l'accepte. Le problème, c'est qu'il n'y a aucun engagement; rien ne donne à penser que ces programmes progressent. À défaut de cela, nous pourrions nous retrouver devant toute une série de Sea King au cours de la prochaine décennie.

Le cam Summers : Le programme d'acquisition d'équipement existe sur papier. Il peut débloquer.

Le président : Son financement est-il en vue?

Le cam Summers : L'engagement est à très court terme, comme vous le comprendrez. Il y a une foule de bons plans, mais c'est seulement quand on fait approuver le programme qu'on a de l'argent à dépenser.

Le président : Exactement. Même dans le budget actuel, il n'y a pas d'argent avant cinq ans. C'est un gouvernement minoritaire, et nous savons donc à quel point on peut prendre cela au sérieux.

Le cam Summers : Je dirais aussi qu'étant donné l'extraordinaire augmentation de ce budget, qui était de l'ordre de 500 à 600 millions de dollars et qui a subitement été gonflé de quatre ou cinq milliards de dollars, les responsables vont travailler d'arrache-pied d'ici là pour vraiment mettre en place de grands programmes d'acquisition qui leur permettra de dépenser cet argent.

Le président : À moins que l'on achète des navires qui naviguent déjà.

Le cam Summers : Absolument.

Le président : Merci. J'ai pris trop de temps.

Le sénateur Banks : Vous ne prenez jamais trop de temps, monsieur le président.

Bon après-midi, amiral. Nous sommes des politiciens et non pas des concepteurs. Si j'additionne tout ce qu'on vient de mettre sur la liste au cours de la discussion, d'ici 20 ans, pour la garde côtière et la marine, il nous faudra 50 nouveaux navires. Il nous faut la capacité du Sea Horse. Il nous faut deux sinon même trois JSS. Il nous faut de nouveaux Hercule et un appareil ayant la capacité du C-17 parce que, par exemple, l'équipe d'intervention d'urgence DART a pris 26 envolées de Hercule. Ce n'est tout simplement pas pratique. Si nous voulons avoir le DART ou une quelconque capacité expéditionnaire, il nous faut la capacité de les transporter. Si l'on ajoute 50 nouveaux navires, la capacité du Sea Horse, trois JSS, une vingtaine de nouveaux Hercule et cinq C-17 ou quelque chose de semblable, cela n'arrivera pas. Cela n'arrivera tout simplement pas. J'aimerais bien que cela arrive, mais il ne faut pas rêver en couleur. Nous ne pouvons pas acquérir tout cela d'ici 20 ans parce qu'il n'y a pas assez d'argent, à moins qu'on commence à voler l'argent des soins de santé. On serait toujours perdant.

Est-ce qu'il ne faut pas se décider et faire des choix? Par exemple, pour ce qui est de transporter les forces expéditionnaires, c'est bien beau de dire qu'il nous faut des C-17 ou un appareil semblable pour atterrir aux aéroports, et d'avoir en même temps un Albion, par exemple. Je tiens compte du fait que le Canada n'est jamais allé en guerre seul. Nous n'avons jamais dit tout simplement : « Très bien, nous vous déclarons la guerre ». Nous sommes toujours allés en guerre aux côtés de nos alliés. Ne devrions-nous pas commencer à adopter un esprit pratique, au lieu de dire qu'il nous faut toute cette liste? Cela n'arrivera tout simplement pas. Ne devons-nous pas faire des choix et dire que nous aurons une force expéditionnaire capable d'atterrir à un aéroport dont quelqu'un d'autre se serait emparé pour nous, faute de quoi nous n'aurons pas de force expéditionnaire capable d'atterrir à un aéroport? Nous n'aurons pas de corps expéditionnaire capable d'atterrir sur une côte quelque part et de s'emparer d'un aéroport, mais quelqu'un d'autre va le faire. Ne devons-nous pas prendre le taureau par les cornes et faire des choix? Est-ce que je me trompe au sujet de ma liste d'une cinquantaine de navires? Je ne le pense pas.

Le cam Summers : Vous êtes très perspicace. Je pense que vous avez absolument raison, et c'est là qu'il faudra commencer à sortir des sentiers battus pour trouver des moyens de répondre à ces besoins.

Vous avez mentionné les autres ministères gouvernementaux comme la garde côtière, la Défense, les Pêches, et ainsi de suite. Ils ont besoin d'un grand nombre de navires. Chose certaine, à ce stade-ci de la réflexion, on envisage un navire ordinaire qui serait plus gros qu'un navire de la défense côtière maritime et certainement plus petit qu'une frégate, un navire ordinaire qui, en fait, répondrait aux besoins de plusieurs ministères. Au lieu d'acheter un navire pour les Pêches, un autre pour la garde côtière et un troisième pour la Défense, le gouvernement devrait peut-être envisager de faire l'acquisition d'un navire ordinaire que plusieurs ministères gouvernementaux pourraient utiliser et ainsi faire des économies.

Pour ce qui est de payer la note, vous avez raison. Il n'y a pas assez d'argent dans le monde pour tout faire en l'espace de dix ans. Voilà pourquoi on devrait envisager sérieusement l'option location. Cela pourrait se faire assez facilement. Assurer le ravitaillement en carburant en faisant appel aux Britanniques, par l'entremise du RFA, est une approche semi-civile qui permettrait de ravitailler la flotte. Ce n'est pas ce que je préconiserais, mais c'est une autre option.

Le sénateur Banks : Cela suppose de faire appel à des marins marchands quelconques. Nous n'aimons pas faire cela.

Le cam Summers : Il y a aussi, évidemment, la capacité d'aérotransport. Compte tenu du nombre de nations participant au programme AWAX, on pourrait imaginer un programme conjoint avec les États-Unis ou avec des alliés européens qui assureraient une capacité de transport lourd.

Il y a d'autres solutions que de simplement acheter notre propre matériel. Il faut examiner ces options. Vous avez raison : il y a beaucoup à faire. L'amiral Brodeur vous montrera sûrement demain l'onde de choc provoquée par le manque de fonds. Il ne suffit pas de regarder dix ans en arrière. Il remontera beaucoup plus loin que cela. Je dirais certainement dix ans, à 30 p. 100 de moins, et cela ne tient pas compte de l'inflation. Cette onde de choc gagne de l'ampleur. Prenons votre service. On peut dresser la liste du matériel important dans l'armée, la marine et l'aviation qui est à un stade pratiquement critique à l'heure actuelle et qui devra être remplacé d'ici cinq ans.

Votre argument concernant les sommes susceptibles d'être investies est valable, et il faudra certainement faire preuve de créativité quant au moyen de répondre à ces demandes. Je préconiserais également que l'on établisse des priorités pour ce qui est des rôles et des fonctions nécessaires. Il se peut fort bien que nous ne fassions plus à l'avenir certaines des choses que nous faisons aujourd'hui car elles seront moins prioritaires.

Le sénateur Banks : J'aimerais obtenir votre avis au sujet de l'interopérabilité, pas tellement du point de vue de la capacité, mais de la possibilité qu'elle se concrétise.

Sur la côte Est, la marine canadienne collabore régulièrement avec les forces de l'OTAN. Elle est complètement intégrée aux forces de l'OTAN. Sur la côte Ouest, il n'y a rien de tel. Je ne veux pas dire par là que nous ne collaborons pas avec les Américains — nous le faisons —, mais pas dans un cadre aussi officiel que celui de l'OTAN.

Vous parlez d'élargir NORAD pour y inclure les volets maritime et terrestre. Ce faisant, NORAD ne se heurterait-il pas à l'OTAN, l'une évacuant l'autre? Pouvons-nous nous engager dans les deux en même temps?

Le cam Summers : Étant donné que le Canada fait partie de l'OTAN, nous avons souvent dit ici que le flanc ouest de l'OTAN est en fait la côte Ouest du continent nord-américain; autrement dit, son champ d'intervention va jusque-là. Mais sérieusement, la marine, l'aviation et l'armée travaillent d'arrache-pied pour favoriser l'interopérabilité. Comme vous le savez, le général Hillier a été commandant adjoint d'une division américaine. C'est un cas d'interopérabilité qui n'existait pas dans l'armée il y a dix ans. Il a été le premier à avoir ce type d'affectation. Nous voyons une plus grande interopérabilité entre les services individuels.

Ce type d'interopérabilité — et l'OTAN en est le meilleur exemple — permet à nos troupes d'unir leurs forces rapidement, d'être efficaces et compétentes. La guerre du Golfe, au cours de laquelle j'ai assumé le commandement de nos forces, en a été un exemple patent : des navires venant de tous les coins de la planète ont adopté un mode d'opération commun. Cela a très bien fonctionné.

Le sénateur Banks : Je comprends que ce soit souhaitable. Mais ma question est la suivante : Pouvons-nous nous engager efficacement auprès de NORAD et de l'OTAN en même temps?

Le cam Summers : Absolument.

Le sénateur Banks : Si cela fonctionnait, ce serait formidable.

Le cam Summers : Ce type d'interopérabilité a cours au nord, au sud et par-delà la frontière. Le cmdre Girouard vous dirait que même si cela se passait du côté du Pacifique, essentiellement les mêmes navires étaient là et ils utilisaient une approche commune face au commandement et au contrôle intérimaires des opérations. Il n'y a pas de dichotomie entre notre façon de travailler avec les États-Unis, pour ce qui est de l'échange d'information et des accords internationaux et NORAD. Ce n'est pas un problème.

Le sénateur Banks : Les États-Unis sont évidemment notre premier partenaire en importance.

Vous avez parlé de l'opportunité de participer au bouclier de défense antimissiles et de l'avantage qu'il y aurait de coopérer activement avec les États-Unis dans le domaine de la défense. Encore une fois, nous sommes des politiciens, mais nous ne sommes pas obligés de nous faire élire de sorte que nous pouvons poser les questions que nous voulons et dire ce que nous voulons. Cependant, d'autres politiciens doivent se faire élire, et il est incontestable qu'il existe, pour reprendre votre expression, une vague de résistance à cette idée, peut-être fondée sur une mauvaise information ou des problèmes mythiques. Quoi qu'il en soit, il existe une certaine résistance. Je ne sais pas quelle serait l'issue d'un éventuel sondage. On peut démontrer ce qu'on veut avec un sondage, selon la façon dont les questions sont rédigées, mais s'il s'avérait qu'il existe une réticence évidente de la part des Canadiens à l'idée de participer à un bouclier de défense antimissiles, même s'ils en comprenaient toutes les ramifications, pensez-vous qu'un gouvernement a le devoir d'aller à l'encontre de l'opinion publique? Pour les uns, ce serait une honte et pour les autres, une preuve de leadership.

Le cam Summers : C'est une question profonde. Je comprends les impératifs politiques avec lesquels le gouvernement doit composer compte tenu des perceptions erronées qui ont cours dans la population. Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit, soit qu'il a creusé sa propre tombe en n'essayant pas de convaincre les citoyens canadiens. Peut-être que s'il avait pu disposer de plus de temps pour mener une campagne d'éducation auprès de la population canadienne, comme l'ont fait d'autres gouvernements dans le passé, il aurait pu influencer les chiffres dans un sens ou dans l'autre en ce qui a trait à la défense antimissiles balistique. Malheureusement, les choses sont arrivées à un point critique bien avant que le gouvernement puisse instituer, s'il l'avait voulu, une campagne d'éducation de la population canadienne sur ce que signifie la défense antimissiles balistique. Au sein du parti au pouvoir également, des impératifs politiques sont entrés en jeu. Je pense que nous savons tous pourquoi cette décision a été prise beaucoup trop précipitamment.

Cela dit, le gouvernement ne peut faire marche arrière s'il a déjà fait une déclaration de politique, mais j'estime qu'en aval, lorsqu'on examinera sérieusement la question de la souveraineté canadienne, on se rendra compte de la nécessité et de l'opportunité d'entreprendre des actions ne se limitant pas à une définition très restreinte de la défense antimissiles balistique — avec des armes dans l'espace, etc. Je reviens sur la nécessité de partager l'information. Je réitère que notre réponse doit être fondée sur des systèmes maritimes et terrestres. Il est sans doute valable d'agir ainsi.

Le sénateur Banks : Je veux vous rappeler la crise Bomarc.

Le cam Summers : Non merci.

Par exemple, nous avons parlé du partage de l'information avec NORAD. C'est très facile à faire. Il est bien possible que certaines variantes conçues et présentées comme des systèmes de missiles basés en mer pourraient être très efficaces pour contrer un missile balistique. Si les États-Unis envisagent, comme c'est effectivement le cas, de faire stationner certains de leurs navires armés de ces missiles près des principaux ports et des secteurs densément peuplés où ils pourraient intercepter le missile ennemi, devrions-nous avoir nous aussi de tels missiles à bord de nos navires? Y a-t-il une raison quelconque pour laquelle nous ne devrions pas stationner le NCSM Vancouver à mi-chemin entre Victoria et Vancouver en cas de menace s'ils ont cette capacité? Avec le temps, la question de la souveraineté associée à la défense contre les missiles balistiques sera réexaminée et j'espère qu'elle sera placée dans le contexte approprié.

Le président : La question difficile, c'est que notre comité a le sentiment que les gouvernements, depuis deux décennies, ont donné à la population canadienne la capacité de défense qu'elle veut avoir. Comment faire changer d'avis la population canadienne pour que le gouvernement puisse réagir à des exigences différentes? Nous sillonnons le pays pour tenir des audiences et ce que nous voyons, c'est un Canada qui, essentiellement, ne se sent pas menacé. Il y a un immense océan à l'Est, un autre encore plus immense à l'Ouest, de la neige au Nord; des amis au Sud. Les gens se disent : « Pourquoi devrais-je m'inquiéter? » Faut-il dépendre entièrement des dirigeants politiques pour trouver une solution et dire qu'il y a absence de volonté politique et que nous devrons donc attendre que quelqu'un prenne l'initiative, comme le sénateur Banks le disait, et dise : « Suivez-moi »? Est-ce la solution? Faut-il attendre que la catastrophe se produise, en espérant que ce sera alors la solution? Y a-t-il une autre manière plus rationnelle de susciter dans notre pays une prise de conscience pour que les gens comprennent les risques et les besoins? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous aider à préciser ce qu'il faut faire?

Le cam Summers : Vous avez dit, monsieur le président, que les Canadiens obtiennent les forces armées qu'ils veulent. Je pense que ce n'est pas exact. En fait, la perception des Forces armées canadiennes a toujours été très bonne. À chaque fois qu'on fait un sondage d'opinion, les militaires canadiens obtiennent une cote très favorable. Cette fois-ci, il n'y avait aucun doute dans mon esprit que le gouvernement s'est rendu compte que le public canadien était très conscient que les forces armées étaient rouillées et avaient vraiment besoin d'aide. Le gouvernement ne pouvait plus ne pas en tenir compte. C'était le point de départ.

Le président : Sauf votre respect, contre-amiral Summers, les sondages qui comptent sont ceux où l'on pose la question : S'il vous restait un seul dollar, irait-il aux soins de santé ou à l'éducation ou bien aux militaires. Les militaires perdent à tout coup. Si vous pensez que le gouvernement a répondu dans le dernier budget à un appel à l'aide du public, vous et moi devons lire des budgets différents.

Le cam Summers : Non, vous avez absolument raison. C'est là que se pose le problème de la défense. Si on l'examine en faisant la comparaison avec toutes les autres priorités — les soins de santé, l'éducation —, les militaires viennent effectivement en second. C'est pourquoi j'ai dit que la sécurité du pays est un élément fondamental. C'est l'une des responsabilités primordiales du gouvernement. Nous avons souffert d'une perception fausse, à savoir que la sécurité nationale ou la défense n'est pas un élément obligatoire pour un gouvernement quelconque. C'est pourquoi je soutiens fermement que c'est ce qu'il nous faut dans notre pays. Il faut faire l'éducation du public canadien, mais aussi, les gouvernements ne doivent pas se laisser piéger. Je peux comprendre pourquoi ils injectent de l'argent dans les soins de santé plutôt que dans les forces armées, car la santé touche davantage les gens que les militaires. Cependant, il faut que dans des domaines comme la défense, la sécurité nationale et la diplomatie, on ait davantage le sentiment qu'il existe un plan national de grande envergure auquel on peut se reporter. Ce n'est pas évident dans notre pays. Voilà ce qu'il faut faire.

Le sénateur Banks : C'est ce qu'il nous faut, ou bien une attaque.

Le cam Summers : Oui, et cela revient aux événements du 11 septembre. Nous les avons oubliés. Les Américains n'ont rien oublié, je vous l'ai dit. Je souhaite presque — qu'à Dieu ne plaise — qu'il y ait un tout petit attentat ici, ce qui ferait comprendre aux Canadiens à quel point c'est important.

Le président : Notre comité a déjà dit publiquement que la sécurité nationale et la défense représentent la première obligation du gouvernement. C'est la raison pour laquelle nous avons des gouvernements. On bâtit ensuite les soins de santé et l'éducation sur cette base, sur ces assises.

Cela dit, la plupart des Canadiens ne partagent tout simplement pas ce point de vue. C'est pourquoi nous avons vu les gouvernements s'orienter dans d'autres directions. Nous vous demandons votre aide pour mettre au point un message qui aurait une certaine résonance auprès des Canadiens, qui les amènerait à voir les choses sous un autre angle. Nous pouvons remonter à plusieurs décennies; les deux parties sont en cause. Nous faisons ici un exercice non partisan. Je ne suis pas certain qu'il y ait quelqu'un dans l'auditoire qui sache qui est un libéral et qui est un conservateur.

Le cam Summers : Moi, je le sais.

Le président : Nous avons toutefois un dilemme commun. Votre témoignage n'est pas très différent de ce que nous avons écrit dans nos rapports. Nous sommes tout à fait d'accord avec ce que vous dites, mais nous avons en commun le même défi, à savoir comment énoncer tout cela de manière que les Canadiens soient d'accord avec nous.

Le cam Summers : L'un des problèmes, c'est peut-être que nous n'avons plus d'hommes d'État. J'ai toujours pensé qu'un homme d'État, c'était quelqu'un qui pouvait porter la réflexion à un niveau supérieur, au-delà du mandat du gouvernement, au-delà des prochaines élections et des questions d'actualité et de la lecture des sondages : « Je ferais mieux d'appuyer ceci ou cela, sinon je ne me ferai pas réélire dans ma circonscription ».

Les hommes d'État voient plus haut et plus loin. Les hommes d'État adoptent des points de vue qui ne sont pas nécessairement populaires mais qui sont nécessaires pour le bien-être et l'intérêt supérieur du pays. Peut-être que ce qu'il nous faut, c'est un homme d'État.

Le sénateur Banks : Pourrais-je argumenter avec vous sur ce point?

La dernière fois qu'un politicien, et un bon politicien, a pris la parole au Canada et a déclaré : « Voici ce que nous avons décidé de faire, c'est la chose à faire » — et en rétrospective, c'était effectivement ce qu'il fallait faire — son parti et tous les brillants cerveaux autour de lui ont dit : « Si vous n'en démordez pas, si vous insistez pour faire ce que nous avons déterminé comme étant la chose à faire, nous pouvons vous garantir catégoriquement que vous allez perdre les prochaines élections ». Cette personne a dit : « Je ne suis pas venu ici pour être populaire dans les sondages. Nous sommes venus pour gouverner. Nous avons déterminé ce qu'il fallait faire et c'est exactement ce que nous allons faire. » Il l'a fait et il a perdu les élections suivantes. Cet homme s'appelle Brian Mulroney et il parlait de la TPS. Il avait raison là-dessus et le public l'a mis à la porte. Est-ce le coût de faire ce qui est juste?

Le cam Summers : Je n'ai rien à ajouter. C'est dur d'être un politicien.

Le sénateur Day : J'ai une question beaucoup moins ésotérique et d'une portée très générale. Je voudrais que vous me disiez ce que devrait être, d'après vous, après avoir écouté toute la discussion, le rôle des réserves. Comme vous le dites ici, ces jours-ci, quand nous envoyons des forces expéditionnaires quelque part, 25 p. 100 sont des réservistes. Les réserves continueront-elles de jouer ce rôle? Bien des gens dans la réserve disent qu'ils veulent le même entraînement que les forces régulières, tandis que vous semblez dire que la réserve devrait s'orienter différemment et se préoccuper davantage de sécurité nationale et d'intervention en cas d'urgence. Cela correspond-il au concept qu'adoptent les réservistes qui servent actuellement dans la réserve?

Le cam Summers : J'ignore dans quelle direction la réserve s'oriente. Il y a longtemps que je souscris à ce point de vue. Il est certain qu'après avoir passé beaucoup de temps aux États-Unis et avoir vu comment cela fonctionne là-bas, je suis de cet avis. Nous avons 25 p. 100 de nos réservistes à l'étranger parce que nous n'avons pas assez de soldats à envoyer et il faut donc des renforts pour les forces régulières. Les réservistes font du très bon travail comme renfort, et le problème n'est donc pas là. Je dirais toutefois que la solution est de donner à l'armée et aux autres armes selon les besoins les effectifs voulus pour leur permettre de fonctionner comme il faut, avec un effectif complet, au lieu d'être obligés de se tourner vers la milice et les régiments et les autres établissements de réserve, de les supplier, d'emprunter ou même de voler des effectifs pour pouvoir envoyer un effectif complet à l'étranger. C'est la première moitié de l'argument.

L'autre moitié, et là-dessus j'ai de solides convictions, c'est que quand on parle de sécurité nationale, nous devrions parler des approches maritimes et des approches aériennes. Je m'inquiète de la réaction intérieure quand nous avons des problèmes ici. Si je me rappelle bien, vous rencontrerez demain un certain nombre de représentants de la protection civile aux niveaux municipal, provincial et fédéral. J'espère que c'est bien coordonné, mais j'ai le pressentiment que si quelque chose arrivait, ils se précipiteraient à gauche et à droite pour essayer de trouver de l'aide pour régler le problème. Je crois qu'une milice ou une réserve pourrait avoir des capacités taillées sur mesure pour fournir exactement une telle intervention en cas d'urgence. Les réservistes s'entraîneraient en fait à assurer cette protection vitale, à fournir des médicaments et des services de génie; ce serait en quelque sorte une capacité nationale équivalente au DART dans diverses régions du pays. Peut-être devrions-nous avoir deux ou trois capacités DART dans divers coins du pays. Les réserves navales s'occupent déjà de sécurité portuaire. Cela sera certainement nécessaire si jamais il y a un problème. Dans toutes les divisions de réserves navales, il y a des équipes de plongeurs. Cette capacité pourrait être mise à contribution.

Le plus important, c'est qu'il y a toujours l'exigence de communiquer. En toute déférence pour les autres organisations en cause, d'après mon expérience, les seules personnes capables d'organiser quoi que ce soit en cas de véritable problème, ce sont les militaires, et je soutiens donc que si nous pouvons orienter les réserves dans cette direction, si jamais il y a un problème, on pourrait quasiment faire appel à elles à titre de sous-traitants ou les faire intervenir pour aider le niveau de gouvernement quelconque qui coordonne l'intervention. Voilà le rôle que j'entrevois pour les réserves et la milice.

Le sénateur Day : En plus de ce rôle, les réservistes auraient-ils aussi de l'entraînement leur permettant d'être intégrés à une unité des forces régulières au besoin? Compte tenu de notre concept de la réserve, formée de gens qui ont d'autres emplois et qui s'entraînent seulement un certain nombre de jours par année, comment peut-on attendre d'eux qu'ils fassent tout cela?

Le cam Summers : Ils en sont probablement capables. C'est là que certaines capacités sont directement transférables entre la milice de la réserve et les forces régulières, même si l'on envisage la sécurité nationale du point de vue de la capacité d'intervention internationale et nationale. D'autres ne le sont pas. C'est une question de temps. Peut-être les réserves ne pourront-elles pas servir de renfort aux forces régulières autant que dans le passé. Ce n'est pas du tout une mauvaise chose, parce qu'il y a des exigences plus pressantes. Il est certain qu'en dernière extrémité, s'il y a un véritable problème, il deviendra évident que nous n'avons pas la capacité interne de nous en sortir. C'est alors que les politiciens seront dans le pétrin parce qu'ils auront été incapables de surmonter la crise. On leur demandera : « Qu'avez-vous fait? Qui prenait les décisions? Où est la capacité? Vous êtes censés vous occuper de nous ».

Le sénateur Day : Est-ce que vous abandonneriez le concept de la force totale?

Le cam Summers : J'abandonnerais cette approche.

Le président : Merci, contre-amiral Summers. Nous avons eu une discussion stimulante et utile. Ce sont des questions difficiles, mais nous apprécions grandement la contribution que vous apportez à notre comité. Nous avons hâte de lire vos autres documents et nous espérons pouvoir poursuivre le dialogue avec vous à leur sujet. Nous vous sommes reconnaissants de l'aide que vous avez apporté au comité aujourd'hui pour examiner ces questions épineuses et ardues.

Au nom du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir témoigné devant nous.

La séance se poursuit à huis clos.


Haut de page