Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 14 - Témoignages du 28 février 2005 - Séance du soir
VICTORIA, le lundi 28 février 2005
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 heures pour faire une étude et présenter un rapport sur la politique nationale sur la sécurité pour le Canada (assemblée publique locale).
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny et je suis le président du comité. Le comité est ravi d'être ici, à Victoria, où se trouve la BFC Esquimalt, la base navale de la côte ouest du Canada. Nous avons eu une journée très productive puisque nous avons visité la base et avons rencontré, cet après-midi, un certain nombre de témoins qui ont été d'une aide précieuse au comité.
J'aimerais d'abord vous présenter les membres du comité. Le sénateur Michael Forrestall est un distingué sénateur de la Nouvelle-Écosse. Il est au service de la population de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député, puis en tant que sénateur. Lorsqu'il était à la Chambre des communes, il a été le porte-parole de l'opposition officielle en matière de défense de 1966 à 1976. Il fait également partie du Sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Peter Stollery est originaire de l'Ontario. Il a été élu à la Chambre des communes pour la première fois en 1972, puis réélu en 1974, 1979 et 1980. Il a été nommé au Sénat en 1981. Le sénateur Stollery est le président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
[Français]
À la droite du sénateur Stollery se trouve l'honorable sénateur Pierre Claude Nolin. Il vient du Québec. Il a présidé le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites qui a publié un rapport complet invitant à une légalisation et à une réglementation du cannabis au Canada. Il est actuellement vice-président du Comité sénatorial de la régie interne, des budgets et de l'administration. Sur le plan international, le sénateur Nolin est actuellement président du Comité des sciences et de la technologie de l'Association parlementaire de l'OTAN.
[Traduction]
Le sénateur Tommy Banks est originaire de l'Alberta. Il est le président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a récemment publié un rapport intitulé Le défi d'une tonne. Il s'est fait connaître des Canadiens par ses talents de musicien et d'artiste. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux olympiques d'hiver de 1988. Il a été reçu Officier de l'Ordre du Canada et il a été lauréat d'un prix Juno.
Le sénateur Joseph Day est originaire du Nouveau-Brunswick. Il est le vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et du Sous-comité des anciens combattants. Il est membre des barreaux du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec et membre de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Il a également été président et directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.
Notre comité est le premier comité sénatorial chargé d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat nous a demandé de nous pencher sur la nécessité d'une politique de sécurité nationale.
Nous avons commencé notre étude en 2002 et nous avons alors produit trois rapports : le premier, L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, a été déposé en février; le second, La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, a été déposé en septembre; le troisième, Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes, Une vue de bas en haut, a été déposé en novembre.
En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier, et Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre.
En 2004, nous avons déposé deux autres rapports : Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne, en mars, et plus récemment, Le manuel de sécurité du Canada, édition 2005.
Le comité examine la politique de défense du Canada. Au cours des derniers mois, il a tenu des audiences dans chaque province pour amener les Canadiens à définir ce qu'est l'intérêt national, voir quelles sont, à leur avis, les principales menaces qui pèsent sur le Canada et savoir comment ils aimeraient que le gouvernement réponde à ces menaces. Le comité essaiera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de dégager un consensus sur le type de forces militaires que les Canadiens souhaitent et dont ils ont besoin.
Avant de présenter notre modérateur de ce soir, j'aimerais préciser qu'il s'agit d'une réunion très importante pour nous. Nous sommes ici pour connaître vos points de vue. Le comité a voyagé jusqu'ici pour tâter le pouls des Canadiens, et c'est ce qu'il a hâte de faire. Nous accepterons tous les documents que les gens voudront remettre à notre greffier, Dan Charbonneau, mais le but de notre séance de ce soir est de vous écouter et de savoir comment vous aimeriez que votre pays soit défendu.
Nous avons la chance ce soir d'avoir comme modérateur le contre-amiral Ken Summers, officier supérieur de la marine, à la retraite, qui a acquis une vaste expérience à l'OTAN ainsi qu'en matière de politique de sécurité et de défense du Canada.
Sa carrière est jonchée d'impressionnantes réalisations. Il a été chargé de l'organisation et des préparatifs du déploiement du groupe opérationnel naval du Canada dans le golfe Persique en 1990, et il a par la suite assumé le commandement des quelque 4 000 Canadiens et des navires, avions de chasse et forces terrestres qui ont participé à la guerre du Golfe. Il a été le chef d'état-major auprès du Commandant suprême allié de l'Atlantique responsable de toutes les opérations et activités de l'OTAN dans l'Atlantique, et il a été le conseiller de l'ambassadeur canadien aux États-Unis sur toutes les questions militaires d'intérêt commun aux deux pays. Le contre-amiral Summers a reçu de nombreux titres honorifiques et décorations du Canada, des États-Unis, du Bahreïn, de l'Arabie saoudite et du Koweït.
Contre-amiral Summers, auriez-vous l'obligeance de lire les règles de base pour la séance de ce soir?
Le contre-amiral (à la retraite) Ken Summers, Naval Officers Association of Vancouver Island, président : Merci, sénateur. Merci à tous d'être présents ce soir. Les règles de base sont simples, mais strictes. Il y a deux microphones dans la salle. Si vous souhaitez faire un commentaire, vous devez vous mettre en ligne d'un côté ou de l'autre de la salle. Vous ne poserez pas de questions. Vous ferez une présentation qui ne dépassera pas trois minutes — donc trois minutes au maximum. Notre chronomètre indiquera le temps qui reste. Lorsque la lumière rouge s'allumera, votre temps sera écoulé; je serai alors obligé de vous demander de résumer, ou une question vous sera posée. Un membre du comité vous posera ensuite une question pour vous demander de clarifier vos commentaires. Vous aurez alors une minute et demie, tout au plus, pour répondre.
Le comité demande aux intervenants de s'identifier pour pouvoir produire un compte rendu précis de la séance et assurer un suivi, au besoin. Comme il s'agit d'un comité parlementaire, vous comprendrez qu'un compte rendu exact est nécessaire. À votre arrivée, on vous a remis une fiche d'inscription. Vous êtes prié de remettre votre fiche au greffier lorsque vous vous présenterez au microphone. Si vous n'en avez pas reçu, d'autres sont disponibles à l'arrière de la salle.
La séance est interprétée dans les deux langues officielles. Des écouteurs sont offerts à la table d'inscription.
Le major (à la retraite) Gary Del Villano, à titre personnel : Sur un champ de bataille, c'est le char qui est l'arme la plus importante et la plus puissante. Le Canada vient de terminer la réfection de ses chars de combat principaux au coût de 210 millions de dollars, pour les mettre ensuite dans des entrepôts. Il en a laissé quelques-uns à Gagetown et en Alberta à des fins de démonstration seulement. Il n'y a aucune munition. Les chars sont là tout simplement pour que les gens voient à quoi ressemble un char de l'armée, et il est à espérer que ce ne soit pas du point de vue de l'ennemi.
Nous entretenons un mythe en ce qui a trait au maintien de la paix. Je suis un gardien de la paix. J'ai servi longtemps dans ce rôle, ainsi qu'à l'OTAN. La population canadienne ne doit pas croire que c'est l'alpha et l'oméga des forces militaires. C'est l'une des tâches militaires les plus faciles.
Chose curieuse, on a mis tellement d'importance sur la capacité de transport aérien et les forces d'intervention rapide qu'on en est arrivé à compromettre notre capacité de fonctionner même dans un champ de bataille à intensité moyenne, sans parler d'un champ de bataille à faible intensité. On voudrait croire que nous n'avons pas besoin d'un véhicule de tir d'appui direct. Or, nous en avons besoin.
La solution pour l'armée, c'est le transport maritime. Nous devons être en mesure d'appuyer l'armée par le transport maritime. Tous les chars que nous avions en Allemagne ont été déménagés à Halifax, et nous les avons vus prendre la route l'un après l'autre, entrecoupés de Volkswagen. Ils débarquaient et se déplaçaient rapidement.
Mes recommandations : nous devons décider quels sont nos rôles en matière d'affaires étrangères et de commerce et comment les Forces canadiennes appuient ces rôles. Nous devons décider si nous continuerons de nous en tirer à bon compte sur le dos de nos alliés militaires. Nous devons décider si nous avons besoin d'un véhicule blindé qui offre une bonne protection, une bonne mobilité et une bonne puissance de feu. Nous devons décider si le rôle de transport aérien sera la base exclusive sur laquelle reposera la structure de notre armée et quelles en seront les conséquences pour nous. Le transport maritime, de concert avec notre marine et notre force aérienne, doit être considéré comme un élément essentiel dans la définition de la structure à venir de nos forces. Sans un transport maritime robuste, l'armée ne pourra pas répondre à nos besoins.
Enfin, la tendance à accepter du matériel coûteux, inadéquat et de conception orpheline, parce qu'il est fabriqué au Canada, doit être soupesée au regard de la nécessité opérationnelle, et non des motifs politiques.
Le sénateur Nolin : Bonsoir, monsieur. Vous avez parlé d'intervention rapide. Que pensez-vous de la nouvelle façon de s'engager collectivement dans des opérations de maintien de la paix, en ayant recours à des forces multinationales? Comment voyez-vous notre rôle à ce chapitre? Croyez-vous encore que les chars sont les principaux outils que nous devons fournir à nos forces lorsqu'elles sont appelées à se rendre à l'autre bout du monde pour participer à une mission collective?
Le maj Del Villano : Une mission collective est évidemment extrêmement importante. Le Canada est beaucoup trop vaste et ses ressources, beaucoup trop restreintes. Nous devons travailler de concert avec nos alliés. Nous l'avons très bien fait dans le cadre de l'OTAN et du NORAD. Nous avons très bien soutenu l'ONU. Nous ne le faisons plus tellement. Nous arrivons au 32e rang, même si notre taux de pertes — de décès — est le deuxième au monde. C'est la réalité.
Par ailleurs, quand vous allez sur un champ de bataille, vous devez avoir un véhicule assez puissant pour vous soutenir. Lorsque les Américains ou les Royal Marine Commandos de la Royal Navy s'engagent dans un combat, ils ont ces ressources. Ce n'est pas notre cas, à moins que nous puissions amener sur le terrain un véhicule qui offre la puissance et la protection d'un char.
De nouveaux véhicules sont fabriqués. À l'heure actuelle, sénateur Nolin, nous parlons d'un véhicule qu'on appelle « Stryker ». Nous allons l'installer sur notre excellent véhicule blindé à huit roues. Ce nouveau véhicule sera aussi haut que ce plafond : trop gros pour se cacher et trop petit pour combattre efficacement. En effet, on dit que s'il tire de côté, il se renverse. Il est tellement haut qu'il ne pourra entrer dans un de nos Hercules C-130 sans être démonté en partie.
Nous avons besoin d'un véhicule charnière qui nous conduira à la prochaine génération de chars, qui pèseront moins de 25 tonnes et auront la puissance de tir d'un char de combat principal moderne.
Le président : Merci beaucoup, monsieur.
M. John T. Marsh, à titre personnel : J'aimerais dire aux Canadiens que nous avons 33 000 milles de côtes non protégées. Si j'étais un des chefs talibans, j'arriverais par l'Arctique durant l'été, ou même durant l'hiver puisque que nous n'avons pas de brise-glace non plus. Les deux brise-glace sont des navires désuets qui ont été utilisés principalement par la Garde côtière.
En fait, nous n'avons pas vraiment de garde côtière. Les Américains ont une garde côtière armée. Elle peut arrêter les trafiquants de drogue, les immigrants, etc. Nous ne faisons pas cela. Qu'est-ce que nos forces militaires sont censées faire? Elles sont censées défendre le pays. Que Dieu nous vienne en aide si quelque chose arrive à Winnipeg; nos militaires doivent venir d'aussi loin que de Cold Lake avec des aéronefs, au beau milieu de Noël, ou encore du port d'Esquimalt. Les navires eux-mêmes ne sont pas assez rapides.
Je suis d'accord avec le colonel de l'armée. Rappelez-vous la Deuxième Guerre mondiale. Que transportait mon navire? J'ai vu 15 000 hommes en trois jours et demi débarquer sur les plages de Normandie. Si les Britanniques n'avaient pas eu la sagesse d'envoyer ces bateaux de réserve, nous aurions eu de sérieux ennuis.
De quoi avons-nous besoin? Nous avons besoin essentiellement d'un véhicule à usages multiples. Nous avons besoin d'un porte-avions capable de porter 6 000 hommes. Nous aurions pu retirer 25 000 hommes de ces plages avec des engins de débarquement, etc. Notre force aérienne doit être capable de décoller d'un porte-avions, ce que la plupart des aéronefs que nous avons présentement seraient incapables de faire dans des conditions hostiles.
Qu'en est-il de l'armée? Nous pouvons fournir des hommes et c'est ce que nous avons fait pour la Corée, etc. Nous avons embarqué 15 000 hommes en 18 heures.
Je dis simplement au Canada que nous devons nous réveiller. Si ça arrive une fois tous les 10 ans, s'il vous plaît, pour les 10 prochaines années, donnez-nous le matériel nécessaire pour terminer le travail.
Le sénateur Nolin : J'ai écouté vos propos. Le Canada ne compte que 32 millions d'habitants. Nous avons des choix à faire. J'aimerais revenir à votre premier commentaire au sujet du vaste littoral que nous avons dans le Nord. J'ai abordé cette question avec divers témoins. Que devrions-nous faire dans le Nord? Quel genre d'investissement les Canadiens devraient-ils faire?
M. Marsh : Je suis bien placé pour vous répondre, parce que j'ai été responsable des opérations maritimes dans le Nord, à partir de Yellowknife. Pour dire vrai, nous envoyions la main aux Russes qui arrivaient sur les glaces flottantes. Nous avions un Hercules qui décollait de Yellowknife. Nous leur envoyions la main, et ils nous saluaient à leur tour.
Il y a un malentendu total au sujet du Nord. Nous appartient-il ou non? Les Norvégiens et les Suédois y vont. Tôt ou tard, ils vont s'emparer de Cambridge Bay jusqu'à Alert, sur l'île de Baffin. Il y a des minéraux sur l'île de Baffin. Nous n'avons rien. Nous avons du pétrole. Quatre-vingt puits sont prêts à exploiter dans le Nord, mais nous n'en retirons aucun pétrole.
Quiconque était capable d'adaptation, et c'était le cas des Russes, aurait pu arriver. Les Russes venaient à Yellowknife pour apprendre comment on construisait à cet endroit et ils disaient « Nous faisons cela depuis 30 ans ». C'est un très bon exemple.
Nos forces militaires doivent se déplacer rapidement, sur un très gros bateau à double coque, probablement comme ce que nous avions en Suède durant la Deuxième Guerre mondiale, avec des balles de tennis ou de ping-pong pour que, si une torpille le frappe, le reste de la coque n'est pas touché.
Nous ne faisons rien. Nous n'avons pas de marine marchande. Nous avons un ou deux pétroliers qui partent du Nouveau-Brunswick, avec Irving, mais c'est à peu près tout.
À mon avis, nous avons besoin de beaucoup de soutien.
M. Robert J. Cross, à titre personnel : Merci, monsieur le président, messieurs les membres du comité. Je suis un ancien maire de Victoria et un ancien président de la Chambre de commerce du grand Victoria. J'aimerais vous parler ce soir de l'incidence économique de la marine dans notre ville.
La base des Forces canadiennes Esquimalt est le troisième plus important employeur du district régional de la capitale, avec plus de 4 200 militaires, 2 000 civils et 1 000 réservistes et cadets. À elle seule, la masse salariale du personnel civil dépasse les 100 millions de dollars; les récents travaux de construction totalisent 210 millions de dollars et créent des emplois dans la collectivité. On compte plus de 1 500 bâtiments sur 4 100 hectares dans le sud de l'île et dans les basses terres continentales. Les navires et les visiteurs de l'étranger injectent, en moyenne, plus de 3,9 millions de dollars par année. Je suis certain que vous êtes au courant d'une partie de ces chiffres, mais j'aimerais vous en donner d'autres que vous ne connaissez peut-être pas.
Depuis plusieurs années, le personnel de la BFC Esquimalt constitue le plus important donateur de la campagne United Way of Greater Victoria. Cette année, sa contribution s'élevait à 425 000 $. Qui plus est, le personnel a effectué plus de 400 000 heures de bénévolat dans la communauté, auprès des équipes sportives, des scouts et des guides, des églises et des organismes de bienfaisance. Le personnel donne du sang : les Forces maritimes du Pacifique ont donné 713 unités, soit le don de sang le plus important effectué dans le cadre du programme Life Link.
Cette année, le concours d'élimination des navires, qui a lieu à Noël, a permis de recueillir des dons d'argent et de nourriture d'une valeur de 28 000 $, et 8 300 personnes ont visité l'arsenal CSM. Cette activité est un partenariat entre les entreprises locales et le personnel de la base et témoigne du soutien communautaire et du travail d'équipe de part et d'autre.
N'importe quand, on peut voir nos partenaires des forces armées travailler à l'amélioration de la qualité de vie du Grand Victoria. Ce ne sont-là que quelques exemples de l'importance que revêtent les Forces maritimes du Pacifique au sein de notre communauté. J'espère que vous allez continuer de favoriser la viabilité de la Marine canadienne et son financement pour qu'elle puisse être forte.
Je vous remercie de nous avoir permis de prendre la parole ce soir.
Le sénateur Stollery : C'était un exposé très intéressant. Il faut qu'il y ait des échanges avec des navires provenant d'autres pays, et des navires étrangers doivent venir à Victoria. Est-ce que ceux qui viennent ici en raison de la base militaire constituent une part importante de votre économie?
M. Cross : Au cours des dernières années, avant les événements du 11 septembre, la visite d'un transporteur américain équivalait à la visite d'environ cinq navires de croisière pour l'économie de Victoria. Cela était donc important et ça l'est toujours puisque des navires provenant principalement de pays situés sur la côte du Pacifique viennent accoster dans le port de Victoria. C'est aussi une attraction. Cela crée de l'excitation au sein de la communauté locale. Nous avons observé que les citoyens de Victoria font des pieds et des mains pour accueillir les gens qui viennent les visiter au port.
Le sénateur Stollery : J'ai l'impression que ces visites ont diminué. Vous avez dit que c'était avant le 11 septembre.
M. Cross : C'est ce qui s'est produit après le 11 septembre, mais elles commencent à reprendre. Nous voyons de plus en plus de navires revenir.
M. John Robertson, à titre personnel : Mon épouse, Clare Majors, est un ancien sergent. Elle a été renvoyée des Forces canadiennes grâce à de faux documents médicaux. Les forces armées refusent de lui verser sa pension — des milliers de dollars. Ce sont des sommes qui lui sont dues. Elles ont versé d'autres arriérés, des montants excédant 10 000 $, sans intérêt, au terme d'une longue bataille. Le Cabinet du premier ministre est même au courant de la situation tout comme le ministre des Travaux publics et le ministre de la Défense nationale.
Le système de règlement des griefs des Forces canadiennes ne fonctionne absolument pas. Vous devriez éliminer le Comité des griefs et l'ombudsman. Supprimez-les. Vous gaspillez des millions de dollars. Vous ne réglez rien et vous embêtez probablement de nombreux membres du personnel des Forces canadiennes, que vous ne pouvez vous permettre de perdre. Ce dont vous avez besoin au sein des Forces canadiennes, c'est un inspecteur général. L'armée n'en veut pas, mais c'est nécessaire.
Comment se fait-il que mon épouse ait été renvoyée à l'aide de faux documents? Elle s'est opposée à ce qu'une tierce partie consulte son dossier personnel. Elle n'est pas née de la dernière pluie. Elle a été commis pendant 25 ans — en fait 29 ans et demi parce qu'elle a été réserviste. Son objection a donné lieu à du harcèlement typique, à savoir qu'elle a été rétrogradée et elle a fait l'objet d'une évaluation. On a en fin de compte utilisé de faux documents médicaux pour la renvoyer. Les gens qui ont contribué à son renvoi avaient tous des dizaines d'années d'expérience. C'étaient des médecins, des officiers supérieurs d'expérience. Même des officiers à Ottawa étaient au courant.
Ma solution à court terme est la suivante : j'ai offert d'agir à titre de médiateur auprès du ministre de la Défense nationale lorsqu'il obtiendra un mandat sérieux, s'il en obtient un. Le bavardage ne m'intéresse pas.
Comme solution à long terme, je propose la création d'un poste d'inspecteur général. Le titulaire de ce poste devrait faire rapport au Parlement. Il devrait détenir le mandat de faire enquête, d'assigner à comparaître, de faire prêter serment et de sanctionner. Ce ne devrait pas être un ancien militaire. Il devrait s'agir d'une personne connue et respectée avec une feuille de route impeccable.
En somme, ce type de problème se répètera. Mon épouse a été renvoyée en 2000. Son cas n'a toujours pas été réglé. Le document que je vous ai donné au départ comportait deux belles photographies de moi-même. La situation est beaucoup plus sérieuse maintenant.
La véritable solution pour les militaires, c'est la création d'un poste d'inspecteur général. Le système cause beaucoup de frustrations. Vous perdez des gens que vous ne pouvez vous permettre de perdre. Vous avez besoin d'eux.
Y a-t-il d'autres problèmes? L'éthique? Je ne me suis même pas penché là-dessus. La reddition des comptes? Il n'y en a aucune. Personne n'a de comptes à rendre. La procédure de recours? C'est une farce. Les Forces canadiennes...
M. Summers : Pardonnez-moi, votre temps est écoulé.
Le sénateur Forrestall : J'ai un bref commentaire à formuler. Je n'ai jamais vu cette lettre et je n'ai jamais entendu parler de vous ni de votre épouse. De toute évidence, vous êtes aux prises avec un problème sérieux.
Je suis peut-être dans la position dans laquelle je suis parce que je viens de Dartmouth, sur l'autre côte, très très loin d'ici. Je dois vous dire, et j'aimerais obtenir vos commentaires là-dessus, qu'il ne s'agit pas d'un problème qui concerne un comité sénatorial; c'est un problème que doit traiter l'ombudsman. Ne secouez pas la tête. Laissez-moi m'expliquer aux fins du compte rendu. Il s'agit d'un problème qui concerne l'ombudsman ou une autre autorité, mais pas le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous ne sommes tout simplement pas l'entité à laquelle il faut s'adresser. Je suis désolé de vous dire cela, mais c'est probablement tout ce que je peux vous répondre.
M. Summers : Voulez-vous répondre, monsieur?
M. Robertson : Je suis tout à fait en désaccord avec vous. Vous parlez des capacités des Forces canadiennes. Que se passera-t-il si le moral des forces est au plus bas et que vous n'avez plus de gens d'expérience parce qu'ils ont tous démissionné, car ils n'aimaient pas la façon dont ils étaient traités et le fait qu'on leur donne des réponses évasives à des questions sérieuses? Qu'en est-il des membres de la Force opérationnelle interarmées 2? Ils n'aiment pas ce qui se passe avec leurs documents médicaux. Mon épouse les a informés de la situation il y a quatre ans.
La première fois que j'ai rencontré l'ombudsman, M. André Marin, je lui ai donné une pile de documents. Mon épouse était là, et nous avons bavardé gentiment avec lui. La deuxième fois, je lui ai dit de donner sa démission. J'ai appris qu'il quittera finalement son poste. Il n'est pas un véritable ombudsman. Voulez-vous savoir ce qu'est un véritable ombudsman? Demandez à celui du Manitoba. L'ombudsman que vous avez n'en est pas un. Il n'a que le titre.
Quant au Comité des griefs, c'est une farce. Permettez-moi de rire. Savez-vous ce que les membres du comité ont dit à mon épouse? Ils lui ont dit qu'ils suivaient les principes de la justice naturelle. La justice naturelle? Mon épouse s'est plainte d'une chose qui n'aurait pas dû se produire. Le commissaire à la protection de la vie privée avait mis en faute les Forces canadiennes, et ma femme a perdu son emploi à cause de cela. L'armée a utilisé de faux documents médicaux. C'est une honte.
Le sénateur Forrestall : Monsieur Robertson, il y a toujours deux versions à une histoire. Nous avons entendu la vôtre, mais pas dans les détails. Quoi qu'il en soit, nous ne serons pas en mesure de régler votre problème ce soir. Je vous propose de remettre la question entre les mains de l'ombudsman. Dites-lui que c'est le conseil que vous avez obtenu de la part d'un membre de ce comité.
Le major-général (à la retraite) Brian Vernon, à titre personnel : Chers membres du comité, mesdames et messieurs, je suis un major-général de l'armée à la retraite. J'ai passé 39 années au sein des forces régulières et de réserve de l'infanterie.
Notre premier ministre a déclaré que le Canada allait accroître sa capacité d'intervenir de façon plus énergique à l'étranger. Selon moi, cela implique deux éléments. Premièrement, il faut posséder les forces nécessaires et, deuxièmement, il faut détenir les moyens de les déployer et de les soutenir, parfois dans des régions éloignées du globe.
On a accordé considérablement d'attention à ce deuxième élément. Il y a eu beaucoup de discussions rationnelles à propos de la nécessité de détenir des capacités de transport par mer et par air. Par contre, pour ce qui est du premier élément, on assume que tout est beau, mais ce n'est pas le cas. Je sais, d'après mon expérience, que, depuis 1992, nous créons des unités mixtes composées de membres de l'armée régulière et de réservistes partiellement formés pour accomplir nos tâches opérationnelles. C'est ce type d'unité qui a été envoyée en Yougoslavie. C'était une solution de dernier recours qui était risquée. Depuis, c'est ce que nous faisons et c'est devenu la norme. C'est devenu une mauvaise habitude, si on peut dire, au sein des forces armées.
Aujourd'hui, les neuf bataillons de l'infanterie qui constituent les forces de combat de l'armée sont éviscérés. Un grand nombre de leurs fonctions ont été transférées ailleurs, et ils ont des effectifs grossièrement insuffisants à un point tel que la plupart des unités de campagne disposent d'une force opérationnelle qui est deux fois moins grande que ce qui est nécessaire. Si nous utilisons les termes du hockey, nous pouvons dire que nous disposons d'une équipe composée de deux joueurs d'avant, d'un défenseur, d'un gardien de but qui ne sait pas patiner et d'un entraîneur en congé lié au stress et que l'autocar de l'équipe est en panne.
Par conséquent, cette situation a eu des retombées négatives sur la formation, le moral, la capacité de rétention, l'efficacité et l'état de préparation opérationnelle. On pourrait améliorer rapidement la situation si le ministre de la Défense nationale admettait que le problème existe. Pour l'instant, rien n'indique que c'est le cas.
Dans la plupart des cas où nous devions envoyer des militaires à l'étranger, nous aurions dû le faire rapidement, mais nous avons été moins que rapides, c'est le moindre que l'on puisse dire, lors des 12 dernières opérations. D'autres pays ont des forces d'intervention rapide — la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis, par exemple. Pour être efficaces, nous devrions imiter nos alliés et créer une force de la taille d'un bataillon, qui dispose d'une capacité de combat et qui peut être déployée de façon stratégique à court préavis.
Si nous cherchons un titre à donner à cette force, nous pourrions l'appeler le Premier bataillon canadien de parachutistes et ainsi faire revivre une excellente unité qui a effectué un travail exemplaire lors de la Seconde Guerre mondiale. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Banks : Je suppose que vous avez lu nos rapports. Si ce n'est pas le cas, je vous enjoins de le faire, car nous sommes d'accord sur pratiquement tout ce que vous avez dit. J'attire également votre attention sur les plans exposés par le général Hillier concernant un projet qu'il a appelé « Sea Horse », qui est en fait une force de déploiement rapide. Ce projet a suscité passablement de discussions. Je crois qu'il sera mis de l'avant.
J'ai deux questions à poser. J'imagine que vous n'êtes pas d'accord avec l'intégration des forces de réserve aux forces régulières.
Le mgén Vernon : J'ai œuvré dans les deux. Je ne suis pas en désaccord, mais je dirais qu'il s'agit de pommes et d'oranges, dans une certaine mesure. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un réserviste qui a eu deux semaines d'entraînement produise les mêmes résultats, possède la même forme physique et détienne les mêmes capacités de combat qu'un soldat qui a subi six mois d'entraînement intensif et qui a aussi à son actif un an ou deux d'expérience pratique.
Le sénateur Banks : D'accord. L'entraînement doit être identique.
Au sujet de la capacité d'intervention, le premier ministre a parlé de ce qu'on appelle la responsabilité de protéger — le droit de se rendre dans un autre pays lorsqu'il y a une situation à régler. Cela va carrément à l'encontre de l'article 1 de la Charte des Nations Unies. Êtes-vous en faveur de cela?
Le mgén Vernon : Prenons l'exemple du Rwanda. Une intervention efficace par une force relativement petite aurait pu prévenir ou diminuer les massacres qui ont eu lieu, mais cela aurait été à l'encontre des intérêts du gouvernement rwandais de l'époque, qui était à l'origine des massacres.
Je ne suis pas souvent d'accord avec le premier ministre, mais à ce sujet, je le suis. Cependant, il faudrait un changement d'attitude.
Le sénateur Banks : Tout à fait. C'est une pente dangereuse. Je vous remercie beaucoup.
Mme Dawn Boudreau, à titre personnel : Je suis un officier de la logistique subalterne au sein de l'armée de l'air. Je suis également étudiante à l'Université Royal Roads, où j'effectue une maîtrise des arts en sécurité humaine et en consolidation de la paix. J'aimerais me pencher ce soir sur les menaces qui existent et la façon d'y faire face. C'est ce qu'a demandé plus tôt le président.
J'estime que les conflits internes, comme celui qui a lieu au Soudan, sont les types de conflits et les menaces à la sécurité au sujet desquels il faut absolument intervenir. Nous devons prévenir l'effondrement des États en question.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le sénateur Banks, d'avoir soulevé la question du document intitulé The Responsibility to Protect. Le document qui a été rédigé à ce sujet est extrêmement important. Je tiens à dire très clairement que j'adhère entièrement à cette philosophie. Cependant, j'aimerais dire que la responsabilité de protéger ne se limite pas nécessairement à intervenir en cas de conflit. Nous devons considérer la responsabilité de protéger comme étant également la responsabilité de prévenir. À cet égard, le Canada a largement la possibilité de devenir un chef de file mondial. Nous devons montrer à la communauté internationale que nous sommes disposés à apporter des changements et à consacrer des fonds, mais d'une manière qui ne peut pas être perçue comme étant interventionniste ou impérialiste. Nous pouvons uniquement y arriver en étant proactifs. Nous disposons des outils et de la capacité nécessaires. En ce moment, nous ne le faisons pas, mais nous devons le faire.
Il faut qu'il y ait un changement fondamental de paradigme sur le plan de la définition des menaces à la sécurité. Je vous ai dit que je suis membre des forces armées. Je crois entièrement en la force militaire. Nous devons être en mesure de nous protéger. Lorsque nous sommes en mission à l'étranger, nous devons être en mesure de protéger notre pays. Toutefois, nous devons aussi accepter d'autres idées. Les forces armées, et peut-être bien la société canadienne, vivent une période de changement. Nous devons gérer ce changement pour nous retrouver là où nous le voulons au lieu d'y être amenés par les événements.
Je crois que la sécurité humaine doit être un paradigme. Je crois que notre politique étrangère doit refléter cela. Je crois aussi que le document intitulé The Responsibility to Protect est extrêmement important, incontestable et essentiel.
Le sénateur Day : Je vous remercie pour vos commentaires. De toute évidence, vous avez longuement réfléchi à la question.
Vous parlez des menaces. Les menaces envers qui? Nous agissons en fonction des menaces envers qui? S'agit-il de menaces visant le commerce international du Canada? Agissons-nous unilatéralement pour ensuite chercher des alliés si nous observons une situation dans un pays en particulier qui risque de menacer notre approvisionnement en pétrole, par exemple?
M. Summers : Une seule question, monsieur le sénateur Day.
Le sénateur Day : Désolé, je me suis emballé.
Mme Boudreau : J'aime bien quand les gens s'emballent. Les conflits internes, ce que nous observons de plus en plus, comme celui du Rwanda, qui a été mentionné plus tôt, débordent des frontières et posent des menaces régionales, et cela, par conséquent, déstabilise des régions entières du globe, ce qui a une incidence sur le Canada. Que cela soit immédiatement évident ou non, la mondialisation a contribué à créer un village planétaire; nous avons déjà entendu cette expression. Des maladies comme le SRAS et ce qui peut se produire lorsqu'une vache contracte une maladie montrent bien à quel point nous sommes dépendants les uns des autres.
Nous devons déterminer quel est le nouveau paradigme. Comment faire pour prévenir les conflits? Les conflits au Rwanda et au Soudan ont une incidence sur nous, et nous devons faire face à cela.
Le sénateur Day : Comment? Par l'entremise des Nations Unies? Ou un autre organisme?
Mme Boudreau : Comme je l'ai dit, nous avons la responsabilité de prévenir, monsieur. Nous devons montrer notre engagement avant qu'un conflit ne survienne. Pour ce faire, il faut appuyer les gouvernements. Il existe des indicateurs qui laissent présager que des États risquent de s'effondrer, par exemple. Une fois qu'ils se sont effondrés, nous avons déjà échoué. Nous voulons empêcher l'effondrement. L'Organisation des Nations Unies est l'institution mondiale dont nous disposons en ce moment. Bien qu'elle comporte de nombreuses lacunes, c'est celle que nous avons. Les Nations Unies sont extrêmement importantes.
Le Canada, par l'entremise de sa politique étrangère, a la possibilité d'apporter des changements. Je vous mentionne le nom de Jeffrey Sacks, l'auteur d'une excellente publication parue en janvier 2005 qui nous donne les outils pour atteindre les objectifs du millénaire en matière de développement établis par l'ONU, qui concernent la sécurité humaine et tout ce dont je viens de parler. Nous devons examiner aussi cet ouvrage.
Le sénateur Banks : Pensez-y. Si les bons gars peuvent le faire, les méchants ne le peuvent-ils pas aussi?
M. David Ross, à titre personnel : Je fais partie de la première réserve. J'aimerais vous parler de la restructuration de la réserve des forces terrestres, et plus particulièrement de la nécessité de recruter 3 000 nouveaux membres au sein de la milice.
Le plus grand obstacle à l'embauche de 3 000 nouveaux soldats dans la milice est ironiquement le système de recrutement des Forces canadiennes, qui peut facilement exiger six mois d'attente. Nous sommes en concurrence avec d'autres employeurs auprès de notre public cible, qui se constitue surtout d'étudiants des universités, des cégeps et du secondaire. Un jeune peut s'adresser à McDonald's et être embauché en une semaine. Chez nous, le processus d'embauche prendra le plus clair de l'année. Bien honnêtement, nous perdons ces candidats, et cela nous tue.
À mon avis, le plus simple — ce ne serait peut-être pas si simple, en fait — serait d'autoriser des enrôlements conditionnels, qui nous permettraient d'embaucher des personnes dont la vérification approfondie de la fiabilité ne serait pas terminée, qui n'auraient pas encore passé tous les tests médicaux, comme on l'exige actuellement, mais qui pourraient accéder au manège militaire après avoir signé certains formulaires d'autorisation et qui seraient pris au sein de l'armée pour faire partie du régiment. Si cette personne ne satisfaisait pas aux exigences de la vérification approfondie de la fiabilité en bout de ligne, ce qui est fort peu probable, ou plus probablement qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences médicales, elle serait simplement remerciée. Cela nous permettrait d'avoir des personnes sur le terrain. Nous pourrions commencer à les former et mener certaines activités pendant ce temps, parce que nous sommes en train de mourir.
Le sénateur Nolin : Poussons un peu plus loin votre raisonnement. Êtes-vous d'accord avec le mélange actuel de réguliers et de réservistes? Si vous êtes d'accord avec la formule actuelle, pensez-vous que nous devrions augmenter la formation, les exigences? Je conviens avec vous que nous devons faire preuve d'une plus grande ouverture et être plus rapides, mais à quel coût? Voyez-vous ce qui m'inquiète?
M. Ross : Je pense que je comprends, monsieur le sénateur. En ce moment, nous sommes soumis au même processus de recrutement que les réguliers, c'est juste.
Le sénateur Nolin : Je suis d'accord avec vous là-dessus.
M. Ross : Le problème, c'est qu'il faut accélérer le processus et donner des activités aux réservistes. Quelqu'un qui vise une carrière à long terme est prêt à attendre six mois pour que tout soit fait dans l'ordre. Les centres de recrutement ont actuellement une liste de 20 000 personnes dans leur base de données, qui attendent un poste dans la Force régulière. Le système semble fonctionner assez bien pour la Force régulière, mais il tue les réserves, parce que les candidats ne sont pas prêts à attendre six mois pour obtenir un emploi à temps partiel. Ils en veulent un maintenant. Ceux qui sont en réflexion cherchent un emploi d'été pour maintenant, mais si quelqu'un se présente au manège militaire aujourd'hui, nous serons chanceux s'il est embauché à temps pour l'été.
Mme Jane Brett, à titre personnel : Je vous remercie, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous donner cette occasion. Je voulais m'assurer que vous saviez où vous êtes. Cet endroit est différent d'Ottawa. Ce n'est pas seulement la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Je tiens à souligner que le territoire autochtone sur lequel nous nous trouvons ce soir est celui des Coast Salish, des Songhees et des Esquimalts. Ils sont encore généreux et accueillants malgré le terrorisme qu'ils subissent des occupants de leurs terres depuis 150 ans. Ce sont des gens qui ont beaucoup souffert, un peuple sans défense contre le vol continu de ses ressources. Les Premières nations de la région continuent d'utiliser des moyens pacifiques et légaux de résister à diverses mesures arbitraires et unilatérales. Les entraves à leur souveraineté sont une perspective qui mérite la plus grande attention et le plus grand respect du reste du monde, y compris des autres Canadiens. Je pense que c'est important pour notre survie d'y prêter attention.
Je ne peux pas le faire en trois minutes, donc j'ai préparé un mémoire écrit pour vous, mais je vais en souligner les grandes lignes.
Je fais partie de la Wednesday Night Peace Vigil. Elle a commencé avec le bombardement de l'Afghanistan en octobre 2001, et j'ai été soulagée d'entendre Roméo Dallaire dire il y a quelques semaines que le Canada ne devrait pas y participer. Nous en sommes pourtant déjà à notre quatrième année de participation. J'insiste sur les grandes lacunes dans le processus, l'expropriation du fond marin de Nanoose et je mentionne des noms, dont certains que vous connaîtrez, comme Alphonso Gagliano, Art Eggleton et David Anderson. Je veux que vous y jetiez un coup d'œil, parce que c'est un endroit où les mots Chernobyl, Bhopal et Chicoutimi n'ont aucune signification, où les porte-avions nucléaires qui déversent des traînées de carburant sur des kilomètres dans leur traversée vers Nanoose sont exemptés de toute vérification environnementale, où les dommages des tsunamis sont calculés, mais où les accidents de vaisseaux nucléaires dans les mêmes eaux sont jugés impossibles.
J'aimerais rendre hommage, au nom de nos voisins de Tsawwassen, au pilote, le capitaine Miles Selby, qui est décédé dans l'écrasement des Snowbirds. Les Snowbirds volent au-dessus de nos édifices et non seulement au-dessus de nos rues. Ils volent au-dessus du Parlement, du musée, de cet édifice. Depuis deux ans, on les voit voler au-dessus de la ville alors que ce n'est pas permis. Comment est-ce possible? Comment ces pilotes ont-ils pu se tromper ainsi?
Je pense qu'en appuyant tacitement la politique nucléaire des États-Unis en permettant à des bateaux de passer par nos ports, nous appuyons le plus grand vol de l'histoire : celui du financement nécessaire pour assurer la sécurité humaine en général. Je serais très heureuse que vous lisiez mon mémoire au complet. Je serais également ravie que l'un d'entre vous y réponde. Je vous remercie beaucoup de cette occasion.
Le président : Merci. Nous allons le lire.
Le sénateur Stollery : Je viens de Toronto; je ne suis pas d'Ottawa. Tout ce que je peux vous dire sur Toronto en ce moment, c'est qu'il y neige à plein ciel et qu'il va neiger encore jusqu'à demain, je crois. Je n'ai pas lu ce document, mais je vais le savoir quand je vais le voir.
Y a-t-il un conflit de revendications territoriales autour de Victoria? Je ne sais pas. Je n'étais pas au courant. Pouvez- vous nous en dire un peu plus?
Mme Brett : Oui, je veux bien, parce que je tiens à ce que vous preniez conscience de la différence entre la Colombie- Britannique et le reste du Canada. Ils avaient arrêté de signer des traités lorsqu'ils sont arrivés ici, donc il y a de graves problèmes ici. Les gouvernements fédéral et provincial y font des affaires de la façon la plus fourbe. En ce moment, à deux coins de rue d'ici, le bureau des titres de biens-fonds se fait piller par le gouvernement provincial, qui détruit des documents et empêche les chercheurs des Premières nations d'y avoir accès pour trouver l'information dont ils ont besoin dans le cadre de revendications territoriales.
Il y a une guerre ici depuis 150 ans. Il y en a des survivants. La bonne nouvelle pour nous, c'est que nous vivons dans un petit pays. Nous avons des leçons à tirer de la façon dont ces peuples ont survécu et ont réussi à exercer leur souveraineté. Par respect pour le peuple à qui appartient le territoire sur lequel nous nous trouvons ce soir, j'espère que vous en apprendrez plus à leur sujet. Vous n'avez qu'à m'écrire et je vais vous envoyer des tonnes de renseignements.
Mme Katrina Jean Herriot, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de votre visite à Victoria. Je vais être la candidate officielle du Work Less Party à Victoria. L'une de nos devises, c'est que les travailleurs du monde relaxent. N'est-ce pas merveilleux? Nous essayons actuellement de mettre en œuvre la semaine de travail de 32 heures. Personnellement, je travaille environ quatre jours par semaine. Je souffre de handicap mental, donc c'est tout ce que je peux faire. Les gens qui n'ont pas de handicap mental peuvent peut-être travailler 60 ou 70 heures par semaine, mais c'est beaucoup de travail. Je voulais simplement dire que nous devrions laisser un peu plus de temps à tout un chacun pour se détendre, passer du temps avec sa famille et réfléchir. Nous subirions moins de stress; il y aurait moins de stress sur notre économie et il y aurait moins de stress sur l'environnement.
Je pense que dans l'armée, il devrait y avoir un peu plus de croissance orientée vers l'environnement et qu'on devrait viser davantage la collaboration avec les universités et tout le reste. Si vous voulez que les jeunes entrent dans l'armée, nous devons respecter davantage l'environnement, sinon ils ne seront pas intéressés. Ils aimeraient aussi que l'armée soit davantage axée sur la paix que sur la défense. Nous nous rendons compte que nous allons tous mourir. Nous devons surmonter nos peurs et prendre conscience du fait que nous devons vivre pacifiquement pour que la paix règne. J'y crois fermement.
Quelqu'un m'a fait une suggestion fantastique : nous devrions intensifier notre participation à la force de préservation des cultures de l'ONU, les Casques bleus. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu cette idée, mais je pense qu'elle est excellente. C'est une idée extraordinaire, fantastique.
J'aime aussi l'idée de la prévention. Une jeune femme a parlé avant moi de prévenir les conflits plutôt que d'intervenir après coup. Je pense que c'est une excellente idée aussi.
Les Canadiens sont pour la paix. Nous sommes un pays pacifique. Il y a beaucoup, beaucoup de gens qui vivent ici qui viennent de différents pays, donc s'il y a un conflit quelque part, il y a de bonnes chances que quelqu'un au Canada connaisse une personne touchée par ce conflit. Nous devrions mettre davantage l'accent sur l'éducation et la prévention aussi. Merci.
Le sénateur Banks : Je vous remercie beaucoup d'être venue nous dire ce que vous pensez. Je vais vous présenter à notre président, parce qu'à la fin de la journée, nous aurons travaillé 14 heures, donc j'aimerais bien que vous lui glissiez un mot.
Mme Herriot : C'est absolument ridicule.
Le sénateur Banks : Ce serait une excellente idée que de raccourcir la semaine de travail en général, mais je vais vous poser une question un peu brusque. Vous avez entendu parler de la responsabilité de protection. Il s'agit de maintien de la paix. Comme l'a dit un amiral plus tôt aujourd'hui, le maintien de la paix ne se résume pas au fait qu'un homme sympathique se tienne entre deux belligérants et leur dise : « Allons, les gars, calmez-vous. » Je vais faire une bien mauvaise blague. Parfois, il faut dire « soyez pacifiques ou je vais vous tuer », et il faut être en mesure de le faire.
Mme Herriot : Je le comprends.
Le sénateur Banks : Si on veut avoir des soldats de maintien de la paix, il faut aussi avoir des artisans de la paix, et ils doivent avoir de gros fusils.
Mme Herriot : Je le comprends bien. Je m'entraîne aux arts martiaux depuis sept ans. Je comprends le concept de la défense.
Le sénateur Banks : Je voulais être bien certain que vous le compreniez, et j'en suis bien content. Je n'ai pas de question. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit et j'espère que tout se réalisera. On lit sur votre chandail que les réveille-matin tuent les rêves. Ils tuent tous les miens.
Le président : Même s'il ne vous a pas posé de question, il vous reste 90 secondes, si vous voulez les prendre.
Mme Herriot : Je pense aussi que nous devrions mettre plus l'accent sur le conseil et la consultation, de sorte que chaque personne sache comment conseiller ses compatriotes en temps de guerre. Si une personne se trouve en situation de guerre et que quelqu'un est mort juste là, elle pourrait n'avoir aucune idée de la façon de réagir à la situation, s'énerver et ne pas être capable de faire quoi que ce soit. Que se passe-t-il? Je pense qu'on devrait mettre plus l'accent sur les conseils et la consultation et évaluer le personnel chaque année, s'il a été confronté à la guerre. Je pense que c'est très, très important. Nous ne devrions pas avoir de problèmes liés à des événements stressants en situation de guerre.
Le capitaine honoraire (M) Cedric Steele, à titre personnel : Je suis capitaine honoraire de la Marine à la BFC Esquimalt. Honorables sénateurs, amiral, je vous remercie infiniment de me permettre de comparaître ici ce soir. J'aimerais seulement glisser quelques mots.
Je suis très actif dans le milieu des affaires de Victoria. J'ai été président de la Chambre des commerce, j'ai siégé à des commissions scolaires, à des conseils d'administration d'hôpitaux et ainsi de suite, donc je suis très actif dans ce milieu. Je tiens à vous parler aujourd'hui de la prospérité du Canada et de sa dépendance envers la marine canadienne. Je vous prie d'être patients pendant que je souligne l'importance de notre marine pour le Canada, à mes yeux.
Il a toujours été une grande priorité de notre marine que de préserver la souveraineté de nos eaux, et toute chose susceptible de porter entrave à la liberté de mouvement en mer est une menace contre le Canada. Tous les Canadiens dépendent des océans pour leur bien-être économique, puisque les exportations représentent plus de 40 p. 100 du produit national brut du Canada, qui s'élève à 977 milliards de dollars, et que 20 p. 100 du commerce entre le Canada et les États-Unis, notre principal partenaire commercial, se fait par voie maritime.
La pêche dans les océans canadiens génère plus de quatre milliards de dollars en revenus d'exportations chaque année et nécessite la protection de notre marine. On estime que 50 p. 100 des réserves de pétrole situées sur le territoire canadien se trouvent au large des côtes du Canada. À lui seul, le champ pétrolifère Hibernia continent 750 millions de barils d'huile récupérable et 3,5 billions de pieds cubes de gaz naturel. Ces exploitants ont besoin de notre marine. Quatre-vingt-dix pour cent des exportations canadiennes outre-mer et 70 p. 100 de nos importations sont transportées par voie maritime, et plus 390 millions de tonnes de marchandises passent par nos 546 ports chaque année. Ils sont le point d'entrée au Canada de plus de 100 économies au monde.
La défense de l'Amérique du Nord est l'un des principaux devoirs des Forces canadiennes. Depuis 1940, le Canada et les États-Unis entretiennent la relation de défense et de sécurité la plus étroite au monde entre deux pays. Sans relâcher sa surveillance des bateaux et des engins qui s'approchent de nos océans, notre marine a renforcé la sécurité aux bases navales d'Esquimalt et de Halifax, ainsi qu'ailleurs, par la mise en œuvre et l'application d'un accès contrôlé afin de protéger nos bateaux et notre infrastructure de soutien.
Bien que les États-Unis soient notre proche allié, notre voisin et notre ami, je m'inquiète de l'attitude concurrentielle de certaines industries des États-Unis dans leurs rapports avec le Canada; il semble très clair que si nous ne protégeons pas nos ports, elles vont dire aux gens qui importent des biens d'autres pays que les ports de Boston et de Seattle sont plus sûrs que ceux de Vancouver et de Halifax. Je veux m'assurer que nous ayons des sous-marins en mer, des aéronefs dans le ciel et des bateaux sur l'océan pour protéger la prospérité du Canada.
Le sénateur Day : Nous vous remercions d'être ici aujourd'hui et nous vous remercions de vos observations. J'aimerais vous demander votre point de vue sur la protection de notre ligne côtière. Les décideurs canadiens s'interrogent sur le rôle de la Garde côtière dans l'éventail des activités de protection. Nous sommes d'accord avec vous en ce qui concerne les airs et les autres sources que vous avez nommées, mais pour ce qui est des véhicules flottants, le rôle de la Garde côtière est d'assurer la sécurité et les défense des côtes, tout comme c'est le rôle de la réserve navale. À notre connaissance, les navires de défense côtière comptent essentiellement à leur bord des réservistes. Pensez-vous que nous pourrions augmenter leur nombre?
M. Steele : Oui, je pense que c'est très important. Par exemple, sur nos six navires de défense côtière que vous avez vus aujourd'hui, si je ne me trompe pas, 30 des 32 personnes qui travaillent à bord font partie des réserves navales. Ils ont définitivement un rôle à jouer.
Un peu plus tôt, j'ai entendu Bob Cross mentionner les bateaux qui nous rendent visite. Il y a énormément de bateaux de la Garde côtière des États-Unis qui viennent régulièrement à Victoria. Ils travaillent très, très activement à protéger les côtes. La question reste à déterminer si nous devons élargir notre Garde côtière ou investir plus d'argent dans notre marine canadienne actuelle. Malheureusement, cela dépasse un peu l'étendue de mes connaissances, et je ne peux pas me permettre d'exprimer une opinion à ce sujet, mais je dois dire que pour avoir vu de mes yeux ce que les navires de défense côtière (les NDC) pouvaient faire, je suis incroyablement impressionné par les compétences des réservistes et des membres de la Force régulière qui sont à bord et qui pourraient probablement jouer un rôle accru.
Comme je l'ai déjà indiqué, j'estime qu'il est absolument primordial pour la prospérité future de nos enfants et pour tous les Canadiens de veiller à ce que nos amis américains ne puissent pas profiter du fait que leurs ports seraient plus sécuritaires que les nôtres. Le 7 février, vous avez entendu l'exposé concernant les containers. Si ces containers sont détournés de Halifax et Vancouver vers Seattle et Boston, je crois que ce sera une mauvaise nouvelle pour nous tous.
Le président : Merci, monsieur.
Le vice-amiral (à la retraite) Charles Thomas, à titre personnel : Sénateurs, j'ai travaillé pendant une longue période dans la Marine. Lorsque j'ai démissionné des forces armées, j'étais vice-chef d'état-major de la défense.
C'est toujours avec grand intérêt que j'assiste à ces réunions où je peux entendre des compatriotes bien intentionnés nous dire ce que le Canada devrait faire. Cela me rappelle un film récent où le personnage principal allait sur le terrain pour faire le gros du travail pendant que son entourage se contentait de beaux discours et de brillantes politiques. Le gars qui faisait le sale travail n'avait qu'un seul commentaire. Il disait : « Montrez-moi l'argent ». C'est exactement le problème qu'il nous faut régler. Toutes les propositions qui ont été faites ici ce soir — et bon nombre d'entre elles sont très valables — ne peuvent être financées à même les budgets octroyés par le gouvernement aux Forces canadiennes. Nos forces armées sont privées de ressources depuis 10 ans à un point tel qu'elles se retrouvent dans un état de délabrement avancé; je vous ai d'ailleurs écrit beaucoup de choses à ce sujet.
On pourrait utiliser l'expression « trop peu trop tard » pour décrire les mesures annoncées dans le récent budget. Tout économiste compétent pourrait prendre les sommes retirées du compte de capital des forces armées au cours des 12 dernières années et procéder à une actualisation et à un calcul de la valeur capitalisée future pour démontrer que les sommes qui viennent d'être réinvesties — la plus importante injection de fonds dans la défense au cours des 20 dernières années — ne suffisent pas à compenser les pertes encourues. Nous allons donc continuer à envoyer nos enfants et nos petits-enfants dans des régions inhospitalières de la planète, où ils devront affronter des méchants équipés de meilleurs fusils. Nous allons mettre leur vie en péril et ils rentreront au pays dans des housses mortuaires. Il y a quelque chose qui cloche. Il est de notre devoir moral de régler cette question. Nous avons un choix. Si nous ne voulons pas payer la facture, n'allons plus nulle part. Renonçons à notre siège au Conseil des 7, ou au Conseil des 21, et prenons moins souvent la parole aux Nations Unies. Si nous ne voulons pas payer, nous devrions nous tenir tranquilles et, surtout, ne pas envoyer nos petits-enfants faire un travail pour lequel nous ne sommes pas prêts à leur fournir les outils nécessaires.
Vous êtes la seule instance au Canada qui s'est intéressée à cette question et il convient de vous en féliciter, mais c'est au gouvernement qu'il incombe de s'occuper de la défense. Ce ne sera jamais un thème assez populaire pour faire gagner des points dans les sondages et on ne peut pas élaborer des politiques au moyen de déclarations choc. Le soutien qui n'est pas accompagné des ressources correspondantes n'est pas vraiment un soutien. Une apparition à la télévision pour raconter, au bord des larmes, une conversation avec la veuve d'un membre des forces armées n'a rien à voir avec le soutien non plus. D'un point de vue moral, nous n'agissons pas bien; nous en sommes rendus au point où il nous faut prendre une décision : soit nous investissons les ressources nécessaires, soit nous nous retirons pour éviter de mettre nos jeunes gens dans des situations beaucoup trop périlleuses. Je vous remercie.
Le sénateur Nolin : Monsieur Thomas, je suis bien d'accord avec tout ce que vous avez dit, mais il nous faut nous montrer très persuasifs avec la population. Comme de nombreux témoins et quelques-uns de mes collègues l'ont déjà souligné, si les ressources disponibles sont limitées et s'il faut choisir entre les forces armées, les hôpitaux ou l'éducation, devinez qui sortira perdant. Nous pouvons nous attaquer à ce problème si nous disposons des outils de communication appropriés. À la lumière de votre vaste expérience, pourriez-vous nous dire quels sont les outils dont vous auriez souhaité disposer lorsque vous étiez en poste?
M. Thomas : J'aurai aimé qu'il existe une loi canadienne en vertu de laquelle les membres des forces militaires, ceux- là même qui connaissent la réalité, puissent témoigner sous serment pour répondre aux questions des parlementaires, sans qu'ils ne le fassent sous la surveillance du ministre en devant éviter de dire quoi que ce soit qui va à l'encontre de la position annoncée par le gouvernement, de crainte d'avoir à comparaître devant la Cour martiale. C'est le cas aux États-Unis. Nous avons l'impression que les belles paroles nous permettent de faire passer n'importe quoi. Peu importe si c'est réalisable, pour autant que cela sonne bien. On ne parle pas du Protocole de Kyoto. On parle de la vie de nos compatriotes.
Par ailleurs, je suis désolé mais je ne suis pas de votre avis. Je ne crois pas que nous parviendrons jamais à nous gagner la faveur populaire pour le soutien de la défense par rapport aux soins de santé ou à tout autre besoin public majeur, mais le gouvernement a l'obligation et le devoir de faire ce qui convient pour la défense du Canada, des Canadiens et des intérêts canadiens. C'est simplement une obligation du gouvernement. Si vous n'êtes pas prêts à gouverner, retirez-vous.
Le sénateur Nolin : Tout cela est très bien, mais il faut penser à la population; il faut lui dire ce qui se passe et lui expliquer. On ne peut pas se contenter de déclarer : « C'est bon pour vous et nous allons le faire. » Il faut expliquer les choses et c'est de ce genre d'outils dont je souhaitais que vous nous parliez, mais je pense que vous aviez tout de même une bonne réponse.
M. Thomas : Lorsque je commandais la marine, il y a eu une période de deux ans où je prononçais une allocution à tous les trois jours, dans toutes les régions du pays où on m'invitait. Jamais les gens ne m'ont dit que j'avais tout à fait tort. De temps à autre, certaines personnes n'étaient pas d'accord avec moi, mais ça arrive même à la maison. Il n'y a pas un public au Canada qui n'est pas prêt à nous entendre dire que nous avons besoin d'une marine. Les questions dont nous discutons ici dépassent les simples limites de la marine. Peu importe si on met l'accent sur la marine, l'armée ou quoi que ce soit, il faut donner aux gens les outils nécessaires pour faire leur travail quelle que soit l'option retenue. Sinon, nous n'envoyons personne à l'étranger pour faire ce travail.
M. Thomas C. Heath, à titre personnel : J'ai été directeur général des Services de renseignement, chef adjoint du Renseignement d'état-major et, après ma retraite, j'ai fait une maîtrise en analyse et gestion de conflit à l'Université Royal Roads avec mes collègues ici présents.
Je vais poursuivre dans le sens des commentaires de l'amiral Thomas au sujet de l'opinion publique. Pour ce qui est des forces militaires et des politiques afférentes, les Canadiens sont généralement d'avis que le maintien de la paix est un concept qui est peut-être désuet et dépassé. Le maintien de la paix, chapitre 6 de la Charte, est un phénomène propre à la guerre froide dont il tire son origine. Dans le contexte de l'après-guerre froide, les conflits se déroulent principalement à l'intérieur même d'un pays où il faut intervenir sans l'approbation de toutes les forces belligérantes. Ainsi, si on considère les conflits récents dans lesquels nous avons joué un rôle en Somalie, en Bosnie et en Afghanistan, nous n'avions pas l'approbation de tous les belligérants pour intervenir, comme c'était le cas auparavant. C'est comme cela que les choses devraient se passer à l'avenir. Règle générale, ces conflits se caractérisent par une violence extrême déployée par des citoyens ordinaires à l'encontre de compatriotes différents d'eux et par le déplacement de populations entières, au pays comme à l'étranger. Cette violence semble tirer son origine d'une distorsion de la perception des autres que l'on en vient à considérer comme une menace pour l'intégrité identitaire de son propre groupe. Dans un document sur la Bosnie-Herzégovine, Michael Ignatieff parle de narcissisme pour expliquer ces conflits.
Comme les interventions des forces internationales dans ces conflits n'ont pas été approuvées par toutes les parties en cause, des mandats ont dû être émis en application du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies pour accroître la capacité des forces armées déployées et imposer des règles d'engagement plus strictes. Les premiers exemples de ces types d'engagement, en Bosnie et en Somalie, ont été loin d'être éloquents pour les Nations Unies, je vous prie de me croire. J'ai passé six ans dans les Balkans. Malheureusement, les forces affectées aux missions de maintien ou de rétablissement de la paix par les Nations Unies n'ont pas toutes les mêmes capacités, la même formation et la même discipline, et les résultats obtenus par la structure de commandement peuvent varier grandement. Demandez-le à Roméo Dallaire. Ces mêmes questions d'identité ethnique, religieuse ou culturelle sont au cœur de la majorité des préoccupations internationales actuelles concernant le Moyen-Orient, le Soudan et les Balkans.
La population est très peu sensibilisée à cette question. L'an dernier, le Canada a parrainé une enquête internationale sur les droits de la personne dans les situations de conflit. Le rapport intitulé La responsabilité de protéger remet en question l'inviolabilité de la souveraineté des États en la rendant conditionnelle à la capacité du pays de veiller à ce que les droits de la personne ne soient pas bafoués à l'intérieur de ses frontières pour quelque raison que ce soit. Le gouvernement canadien actuel a exprimé son appui en ce sens.
Certains membres de la communauté internationale proposent que le Canada se spécialise dans des rôles de maintien de la paix, de rétablissement de la paix ou de soutien humanitaire, laissant ainsi le gros du travail sur le terrain aux États-Unis, à la France et à l'Allemagne. Cette possibilité, qui est sans doute attrayante pour notre gouvernement auquel la défense ne rapporte aucun vote, serait très néfaste pour ceux et celles qui doivent payer de leur sang et de leur vie.
Le sénateur Stollery : Vous avez certes soulevé beaucoup de questions très pertinentes et fort importantes. Je suis en fait membre du Comité des affaires étrangères. Nous avons été très actifs pendant les événements en Bosnie et je suis pas mal au courant de quelques-uns de ces dossiers. Je suppose que lorsque vous parliez du chapitre 7, c'était celui de l'OTAN?
M. Heath : La Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) a fonctionné pendant deux ans en application du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies et ce fut un échec monumental. Il a fallu l'intervention de l'OTAN en décembre 1995, lorsque les campagnes de bombardement sont venues ébranler le commandement et le contrôle exercés par les Serbes, pour les ramener de force aux tables de négociation.
Le sénateur Stollery : Personne ne semble savoir pour quelle raison les Serbes se sont retirés, sauf que bien des gens seraient portés à croire que les Russes les ont pris à part pour leur faire comprendre qu'ils seraient mieux de le faire.
Croyez-vous donc que nous devrions intervenir sans l'autorisation des Nations Unies? Devrions-nous attendre l'aval des Nations Unies? Devrions-nous faire partie du système des Nations Unies, ou encore nous intégrer à ce qui est devenu la coalition des pays volontaires?
M. Heath : Je ne pense pas qu'il y ait des réponses simples à ces questions. Tout d'abord, je crois que des forces peu équipées et insuffisamment formées participant à des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix ne seront pas en mesure de réagir dans le contexte actuel où des niveaux de violence de plus en plus élevés peuvent être déployés. Les seules opérations de prévention auxquelles de telles forces légères peuvent participer, comme madame en a parlé tout à l'heure, sont à toutes fins utiles devenues choses impossibles au sein de la communauté internationale parce qu'il est très difficile de s'assurer le soutien de l'opinion publique avant qu'un incident ne se produise pour prendre une décision politique, ce qui fait que les opérations préventives sont très peu fréquentes.
Dans les faits, M. Martin et ses homologues préconisent la responsabilité de protéger et les politiques interventionnistes, et souhaiteraient que des changements soient apportés à la Charte des Nations Unies, mais risquent fort de se heurter à l'article 1 qui établit l'inviolabilité de la souveraineté des États-nations.
Ceci étant dit, je pense qu'il y aura de plus en plus d'interventions unilatérales ou de groupes d'intérêt dans ce genre d'opérations, parce que c'est la seule façon de procéder.
Le contre-amiral (à la retraite) Russell Moore, à titre personnel : Je suis un contre-amiral à la retraite de la marine. J'ai terminé ma carrière en tant que commandant des Forces maritimes du Pacifique, que vous avez visitées aujourd'hui. J'ai quitté en 1998.
On pourrait également dire que ma carrière a baigné dans les relations Canada-États-Unis. J'ai été membre de la Commission permanente mixte de défense. J'ai occupé des postes de gestion à l'OTAN, en Virginie, et j'ai été chef d'état-major responsable des opérations de l'OTAN dans l'Atlantique Nord. Dans le cadre de mes fonctions de direction, j'ai été présent dans le Golfe persique lorsque le Canada participait aux opérations aux côtés des États-Unis et de nos autres alliés.
Je prends la parole pour vous faire part de mes préoccupations concernant la récente décision de ne pas participer à la défense antimissile de l'Amérique du Nord et pour exhorter votre comité à se pencher sur les répercussions de cette décision, car elle aura certes des répercussions.
Je vais vous entretenir de cette situation à la lumière de quelques-uns de mes expériences professionnelles. Vous voyez maintenant comment les principaux médias des États-Unis, et même du Canada, accueillent cette décision qui pourrait avoir des répercussions à bien des points de vue : nos ententes d'échange de renseignements, l'avenir de NORAD — pas à court terme, cette question est réglée, mais à plus long terme — et la possibilité d'étendre NORAD à nos secteurs maritimes; le soutien logistique et technique des opérations des Forces canadiennes à l'échelle nationale comme à l'étranger; l'accès à des postes de commandement, que ce soit pour la planification ou la défense, non seulement en Amérique du Nord, mais partout dans le monde; ou les opérations. Ce n'est qu'une liste partielle, mais l'orientation que nous semblons prendre avec cette décision récente est assortie de nombreuses conséquences et je tiens à encourager fortement votre comité à se pencher sérieusement sur ce dossier. Je vous remercie.
Le sénateur Forrestall : Je vous suis très reconnaissant, amiral, pour vos observations concernant la défense antimissile. Il est bien évident que je suis d'accord avec vous. J'aimerais connaître votre point de vue au sujet d'un argument qui est souvent utilisé et de bien des façons différentes. Certains soutiennent que nous contribuions déjà à la défense antimissile il y a 34 ans lorsque nous avons acquis la capacité de surveiller l'espace aérien et que, d'une manière ou d'une autre, via NORAD principalement, nous sommes demeurés des participants actifs à ce chapitre. Je suis un de ceux qui estimeraient, peut-être en raison de mon expérience qui pourrait être assimilable à la vôtre, car nous ne sommes plus tout jeunes, qu'il serait bon que notre comité se penche sur la question. Quels seraient vos commentaires à ce sujet? Comme nous étions présents, en raison même de l'existence de NORAD, nous participons déjà à ce type d'opérations.
M. Moore : Il est bien certain que nous avons joué un rôle, mais dans l'initiative qui nous intéresse, nos alliés du Sud enclenchent un nouveau degré de défense contre des menaces émergentes et des menaces dont on ne soupçonne même pas encore l'existence. Quel rôle jouera le Canada dans l'avenir de NORAD? Je crois que NORAD, dans sa forme actuelle, fera l'objet de transformations draconiennes, et ce, plus rapidement qu'on ne le croie. Les Canadiens auront- ils encore accès aux postes de direction, aux postes opérationnels au sein de NORAD? Je ne connais pas la réponse à cette question, mais comme le Canada ne participe pas à la défense antimissile sur notre continent, il est très peu probable que les arrangements actuels...
Le sénateur Forrestall : Amiral, je vous demandais si vous croyiez que nous participions déjà dans une certaine mesure à la défense antimissile avec les Américains.
M. Moore : Tout à fait. Nous y participons en vertu des arrangements actuels touchant NORAD et la surveillance aérospatiale.
M. Mike Moran, à titre personnel : J'ai travaillé dans l'infanterie et dans la mécanique navale. Je travaille maintenant dans l'industrie cinématographique comme machiniste et chef électricien. Notre industrie est très active non seulement à Vancouver, mais aussi à Los Angeles, où des Canadiens travaillent et écrivent, mais les forces militaires canadiennes ne sont pas très présentes dans notre culture. Il semble même que notre culture s'intéresse de moins en moins à nos militaires. Nous entendons pourtant parler d'événements comme ceux de la Somalie ad nauseam pendant des mois, et même des années.
Je ne crois pas que nous devrions nous intéresser seulement aux questions liées au budget de la défense et à la sécurité interne. Nous devrions mettre en valeur — dans des ouvrages, à la télévision, à la radio, de toutes les manières possibles — les aspects très positifs de nos forces militaires ainsi que le respect immense dont elles jouissent à l'échelle internationale. Il y a beaucoup d'émissions promilitaires à la télévision, mais il est impossible de trouver un exemple soutenu en ce sens à la télévision canadienne, ou même à la télévision américaine d'ailleurs. On ne parle de nos militaires nulle part. Nous devrions établir une base positive. Nous sommes présents au tout premier plan depuis septembre 1939. Nous avons accompli un travail extraordinaire lors des deux guerres mondiales et de la guerre froide. Nous avons inventé le maintien de la paix. Nous avons laissé notre marque sur toute la planète, grâce à nos militaires.
Il nous faut une émission de télévision ou quelque chose de ce genre pour sensibiliser les Canadiens. Il faut leur dire que la défense est une bonne chose et qu'elle est absolument nécessaire. Nous apportons une contribution valable partout dans le monde. Si vous pouviez vous adresser à la CBC ou à CTV afin qu'une émission soit mise en ondes, ou favoriser la diffusion d'un plus grand nombre de reportages sur les réalisations des Forces canadiennes à l'échelle de la planète, les arguments à l'encontre de la défense commenceraient à s'estomper. Les gens diraient : « Il nous faut des nouveaux camions pour ces gars-là. Nous ne voulons pas de ces vieux hélicoptères », parce qu'ils prendraient conscience de la place que nous occupons dans le monde. Nous ne voulons pas que nos gars perdent la vie dans tous ces endroits étranges.
Je voyage assez souvent à l'étranger. Les militaires américains vouent un respect professionnel aux nôtres. À Ottawa, il semble que nous nous retrouvions toujours perdant lorsque vient le temps d'octroyer les budgets. Nous avons un équipement pitoyable pour des militaires formidables. Nous en sommes tous conscients. La sociologie de la budgétisation fait en sorte que les militaires canadiens n'obtiennent jamais les fonds dont ils ont besoin parce qu'ils ne reçoivent pas toute la publicité à laquelle ils auraient droit. Une solution permanente doit être trouvée.
Je voudrais proposer une idée au comité pour qu'il y réfléchisse très sérieusement : contactez des gens influents dans les médias pour leur dire et leur montrer quel exemple nous sommes dans le monde et pour qu'ils nous fassent de la publicité. Nous pourrions passer dans quelques émissions de télévision et obtenir une couverture beaucoup plus positive dans les bulletins de nouvelles.
Les gens ressassent ce qui s'est passé en Somalie, mais pourquoi ne s'attardent-ils pas sur toutes les choses positives que nous faisons depuis des décennies? Si nous pouvions gagner cette bataille, nous n'aurions plus à discuter pour obtenir de la technologie pour ceci ou des camions pour cela. Si nous arrivions à populariser la culture militaire canadienne — qui est réelle et respectée dans le monde — et à lui redonner une place à la télévision et dans les bulletins de nouvelles d'une manière positive, les problèmes budgétaires et de manque d'équipement commenceraient à disparaître.
M. Summers : Je vous remercie. Vous avez fait ressortir un élément très important.
Le sénateur Banks : Vous avez raison, l'industrie du spectacle peut tout faire.
M. Moran : Je suis très sérieux, même si vous pouvez le prendre à la légère.
Le sénateur Banks : J'ai gagné ma vie dans cette industrie pendant des années, je ne disais pas cela avec désinvolture.
Le président : Vous devez savoir que le sénateur Banks a gagné un prix Juno comme pianiste.
M. Moran : Bien des gens rejettent nos demandes du revers de la main. En outre, nous avons beaucoup d'argent pour le multiculturalisme.
Le sénateur Banks : Il reste que ce n'est pas dans notre nature.
M. Moran : Peu importe, essayons quand même.
Le président : Sénateur Banks, nous faisons les choses à l'envers. Ce monsieur a fait une déclaration, vous avez l'occasion de lui poser une question. Faites-le et laissez-lui le soin de répondre.
Le sénateur Banks : Monsieur a posé une question.
Le président : En effet.
Le sénateur Banks : J'y ai répondu.
Le président : C'est à votre tour de poser une question. C'est comme dans Jeopardy.
Le sénateur Banks : C'est une très mauvaise idée d'utiliser la Première et la Deuxième Guerre mondiale comme exemples de préparation, parce que d'après l'état du pays juste avant ces deux guerres...
M. Moran : Posez-vous une question ou faites-vous une observation?
Le sénateur Banks : J'y viens. Elles sont les meilleurs exemples possibles que le pays n'était pas du tout prêt à aller en guerre.
Vous avez partiellement répondu à la question, mais si vous faites partie de l'industrie cinématographique, vous devez savoir qu'il faudra trouver du financement. D'où l'argent devrait-il venir pour magnifier l'idée du militarisme au Canada?
M. Moran : S'expliquer devant notre propre population n'équivaut pas à idéaliser le militarisme. C'est justement la tangente sociologique que je voulais éviter. L'acteur David James Elliott fait quelque chose de fabuleux dans l'émission JAG. C'est un Canadien. Qu'est-ce qui nous empêche d'en faire autant? Qu'y aurait-il de mal à dire : « Écoutez, nous sommes humains. Nous avons une culture, une histoire. Nos soldats sont prêts à intervenir partout au pays et dans le monde »?
Quand les incendies de forêt ont fait rage à Kelowna, nous n'avions pas assez de gens à envoyer sur place avec des camions, des hélicoptères, des radios et autres. Nous nous privons à l'intérieur du pays pour réussir à aider à l'étranger. C'est tout à fait louable. Cela démontre la profondeur de notre engagement.
Si nous pouvions contacter quelqu'un travaillant aux informations, nous n'aurions pas à investir des millions de dollars. De la façon dont ces choses fonctionnent, une fois qu'elles sont popularisées, l'argent commence à rentrer automatiquement.
C'est bien vu, socialement, d'être désinvolte en ridiculisant le Canada et des gens authentiques comme mon père, mes frères et moi, qui faisions partie de ce monde. En fait, nous avons une longue et belle histoire à raconter. Nous ne sommes pas le meilleur peuple au monde, mais nous avons une grande histoire à raconter, en commençant par celle de Lester Pearson et des missions de maintien de la paix. On peut s'arrêter à n'importe quel moment de l'histoire. Il ne s'agit pas de revenir en arrière pour dire ce qui n'allait pas lors de la guerre de 1914 ni de commencer à penser que si nous disons quelque chose de positif sur nous-mêmes, nous magnifions. Tout cela n'est que mépris sociologique. Opposons-nous aux gens qui prennent ces tangentes. Faisons-les taire et agissons. À chaque fois qu'ils avancent une idée, répondons par un commentaire positif. Allons vers les médias et disons-leur : « Pouvez-vous penser à quelques histoires positives et concrètes, que ce soit celle de l'intervention sur le plateau du Golan ou celle des Canadiens en Serbie, à Chypre et ailleurs? » Que faisons-nous présentement? Qu'a fait l'armée, à l'insu de tous, suite au dernier tsunami? Débarrassons-nous de ce mépris social envers le Canada et son armée.
Le commodore (à la retraite) Jan Drent, à titre individuel : J'ai fait une belle carrière dans la marine canadienne et je détenais le grade de commodore lorsque j'ai pris ma retraite. J'ai trouvé cette soirée très intéressante; plusieurs ont fait des remarques concernant notre rôle possible à l'étranger, et la plupart des gens dans cette salle sont d'avis que le Canada devrait jouer un rôle responsable dans le monde et que, pour ce faire, notre armée doit être compétente et forte.
Je voudrais souligner un aspect de la défense dont on n'a pas beaucoup parlé ce soir : la protection de notre souveraineté et, en particulier, le rôle de nos sous-marins. Je sais que ce sujet n'est pas bien compris du public. Il suscite énormément de scepticisme, lequel se transforme parfois en hostilité, mais il est important de souligner que la souveraineté est l'habileté à exercer une surveillance et à répondre aux évènements. Étant donné que notre pays a un aussi vaste littoral et que nous sommes voisins de l'unique superpuissance, nous devons assumer les responsabilités qui s'y rattachent. La meilleure façon de nous y prendre, aujourd'hui et dans un avenir prévisible, est d'utiliser dans une large mesure les sous-marins.
Je dois bien sûr mentionner que les sous-marins ne sont pas une panacée; on les utilise de concert avec d'autres technologies, mais ils jouent un rôle central.
Le sénateur Day : Il y en a qui croient que les sous-marins ont probablement été achetés parce qu'ils représentaient une belle aubaine pour le gouvernement et que celui-ci, après y avoir réfléchi très longtemps, a décidé d'en faire l'acquisition au lieu de se doter d'une politique selon laquelle les sous-marins, plutôt que les radars à ondes de surface, la surveillance par satellite ou encore les véhicules aériens sans pilote étaient désormais nécessaires à la surveillance de nos côtes. J'aimerais connaître votre avis. Si vous aviez le choix ainsi que l'argent nécessaire, opteriez-vous pour les sous-marins ou pour une des technologies mentionnées?
Le cmdre Drent : C'est une question à laquelle il est impossible de répondre, vous ne croyez pas? Bien sûr, c'est une affaire de priorités, mais je suis d'accord avec vous. Peut-être que les raisons stratégiques n'ont pas été très bien exposées, mais compte tenu de notre situation géographique et de nos besoins en matière de défense, nous devons posséder une capacité sous-marine, sans toutefois que ce soit au détriment de la surveillance par satellite ou des véhicules aériens sans pilote, ou UAV; il faut voir les choses dans leur ensemble et dire : « Nous devons nous doter d'une capacité sous-marine. Quelles ressources pouvons-nous y consacrer et combien devons-nous investir dans les autres technologies? » Il ne s'agit pas de choisir entre les deux.
M. Ross : J'ai déjà parlé devant le comité. Je voudrais exprimer des réserves au sujet de ma réponse au sénateur Nolin à savoir si les normes de recrutement des forces régulières et de réserve devraient être les mêmes. Je crois que oui, sauf que les officiers des forces régulières doivent avoir un diplôme universitaire. En fait, bon nombre des officiers de réserve étudient à l'université en vue de décrocher un diplôme. Les unités de la première réserve seraient grandement déstabilisées si l'obtention du diplôme était préalable à l'enrôlement des réservistes. Dans leur cas, on pourrait faire cette distinction, sinon, les mêmes normes s'appliqueraient.
Le sénateur Nolin : Rappelez-vous que votre véritable objectif est de répondre dans un délai plus court aux demandes d'enrôlement présentées aux forces de réserve. C'est votre but principal.
M. Ross : Oui, monsieur, c'est ce que j'avais en tête lorsque vous m'avez interrogé sur les normes de recrutement.
Le sénateur Day : Monsieur le président, je commençais à croire qu'ici, à Victoria, tous les officiers devaient faire une maîtrise à l'Université Royal Roads.
Le président : Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Le comité est très heureux qu'autant de gens soient venus partager leur point de vue et nous faire part de leurs idées quant à l'orientation à donner à notre examen de la défense. Nous l'apprécions énormément. Nous vous remercions d'avoir pris la peine de venir car nous savons que vous avez un horaire chargé aujourd'hui.
Nous vous avons écoutés attentivement. Ce que vous avez dit a retenu notre intérêt. Nous allons tenter d'insérer vos commentaires dans les témoignages que nous avons reçus et de les mettre dans le contexte des autres assemblées publiques que nous tiendrons. Jusqu'à présent, nous en avons déjà eu quelques-unes dans les Maritimes. Demain, nous serons à Vancouver. Pendant la journée, nous aurons des audiences et durant la soirée, nous tiendrons une assemblée publique. La semaine prochaine, nous suivrons sensiblement le même horaire : lundi à Edmonton; mardi à Calgary; mercredi à Regina et jeudi à Winnipeg.
Nous avons hâte de savoir ce que les gens considèrent important. Nous ferons de notre mieux pour présenter un rapport vers la fin de l'été qui, nous l'espérons, reflétera les points de vue que vous nous avez exposés et qui servira l'intérêt supérieur des Canadiens.
Sur ce, je voudrais vous remercier tous d'être venus ce soir et de nous avoir aidés à accomplir notre travail. Merci beaucoup, amiral Summers, non seulement d'avoir témoigné aujourd'hui, mais aussi d'avoir joué un rôle de modérateur ce soir. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide.
La séance est levée.