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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 15 - Témoignages du 1er mars 2005 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mardi 1er mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 13 h 40 pour se pencher et faire rapport sur la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte. Il s'agit d'une réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny, et je suis président du comité.

Laissez-moi vous présenter les membres du comité. À ma droite se trouve le distingué sénateur de la Nouvelle- Écosse, l'honorable Michael Forrestall. Il a représenté la circonscription de Dartmouth à titre de député à la Chambre des communes, et le fait désormais à titre de sénateur. À la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'opposition pour la défense, de 1966 à 1976. Il est également membre de notre Sous-comité des anciens combattants.

À ses côtés, le sénateur Peter Stollery, de l'Ontario. Il a été élu à la Chambre des communes pour la première fois en 1972, et il a été réélu en 1974, 1979 et 1980. Il a été nommé au Sénaten 1981. Le sénateur Stollery est aussi membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Au bout de la table se trouve le sénateur Jack Austin, de la Colombie-Britannique. Le sénateur Austin a été nommé au Sénat en 1975, après une longue carrière distinguée dans le secteur privé ainsi qu'au gouvernement. Il a été assermenté au Conseil privé, et ensuite nommé ministre d'État en 1981, et a assumé les fonctions de Leader du gouvernement au Sénat en décembre 2003.

À ma gauche, le sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick. Il est vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, et de notre Sous-comité des anciens combattants. Il est membre des barreaux du Nouveau- Brunswick, de l'Ontario et du Québec, et membre de l'Office de la propriété intellectuelle de l'Institut du Canada. Il a également été président et directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.

À l'autre bout de la table se trouve le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta. Le sénateur préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a récemment déposé son rapport intitulé Le défi d'une tonne. C'est un musicien polyvalent et un animateur bien connu des Canadiens. Il a assuré la direction musicale des cérémonies des Jeux Olympiques d'hiver de 1988. Il est officier de l'Ordre du Canada et lauréat d'un prix Juno.

Et voici le sénateur Michael Meighen, qui arrive à l'instant. En plus d'être avocat, le sénateur Meighen est chancelier de l'Université de King's College; il a aussi été président dufestival de Stratford. Il détient des doctorats honorifiques en droit civil de l'Université Mount Allison et de l'Université du Nouveau-Brunswick. À l'heure actuelle, il est président duSous-comité des anciens combattants et membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Notre comité est le premier comité sénatorial ayant pour mandat d'examiner la sécurité et la défense. Le Sénat nous a chargé d'examiner le besoin d'établir une politique relativeà la sécurité nationale. Nous avons commencé notre examen en 2002, et produit trois rapports cette année-là : L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février; La défense de l'Amérique du Nord : Une responsabilité canadienne, en septembre; et Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : Vue de bas en haut, en novembre.

En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens en janvier; et Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre. En 2004, nous avons déposé deux rapports supplémentaires : Les urgences nationales : le Canada, fragile en première ligne, en mars : et, tout récemment, le Manuel de sécurité du Canada, édition 2005.

Nous accueillons aujourd'hui un comité d'experts de la politique en matière de défense, qui se penchera sur les grands enjeux. Nous avons avec nous M. Brian Job. Il s'est joint au département de sciences politiques de l'Université de laColombie-Britannique à titre de professeur, en 1989. Depuis 1992, il est également directeur de l'Institute of International Relations. Son enseignement et ses recherches portent sur le domaine général de la sécurité internationale. Ses travaux s'attachent à l'évolution du contexte de sécurité dans la région Asie-Pacifique, aux conflits nationaux et à la politique canadienne relative aux affaires étrangères et à la défense. Il a publié des ouvrages sur les alliances internationales, sur la théorie internationale, et sur l'application de méthodologies statistiques formelles aux relations internationales.

Nous accueillons également M. Douglas Ross, professeur à l'Université Simon Fraser depuis 1988. Dans le cadre de ses recherches, il s'intéresse tout particulièrement à la politique étrangère canadienne, à la stratégie et au contrôle des armements, aux conflits internationaux et à la résolution de conflits. Il était directeur fondateur du Centre canadien pour le contrôle des armements et le désarmement, en 1983, et il a fait partie du groupe consultatif des orientations nationales des ambassadeurs du Canada pour le désarmement, de 1986 à 1993. Il est actuellement membre du comité de rédaction de l'International Journal. Il a récemment dirigé la rédaction de quatre séries d'articles concernant la sécurité et le contrôle des armements dans le Pacifique-Nord; les stratégies des superpuissances maritimes dans la région du Pacifique et les perspectives de coopération en matière de sécurité dans la région Asie-Pacifique au cours de la prochaine décennie; et les relations canado-russes d'après-guerre froide.

Messieurs, merci beaucoup d'être venus. Nous croyons savoir que vous avez de brèves déclarations à nous présenter. À qui l'honneur?

M. Brian Job, président, Institute des relations internationales, Université de la Colombie-Britannique : Merci, sénateurs. Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant le comité aujourd'hui. J'ai suivi les travaux du comité, l'une des voix les plus actives au pays pour ce qui est d'attirer l'attention nécessaire sur les priorités canadiennes en matière de sécurité et de défense, et je tiens à saluer vos efforts, au nom de mes collègues et des citoyens qui sont préoccupés par cette question.

Lorsqu'on m'a invité, on m'a également informé du fait que les membres du comité cherchaient non pas à obtenir des renseignements précis à l'égard de sujets particuliers, mais bien à discuter de façon générale du contexte canadien actuel en matière de sécurité et de défense. De plus, vu le court préavis, on m'a laissé savoir que le comité ne s'attendait pas à un exposé étoffé; en effet, j'ai cru comprendre qu'on ne tenait pas à ce que je soumette le comité à l'épreuve pénible de m'entendre lire un mémoire.

Cela dit, vous avez déjà entendu une longue description de mes antécédents, mais je crois que ma contribution à votre analyse concernerait probablement les enjeux touchant la sécurité d'Asie, de la région Asie-Pacifique, ainsi que le rôle et les intérêts du Canada dans la région. Je consacre beaucoup de temps aux questions touchant la sécurité en Asie, à l'occasion de réunions d'experts et de chercheurs en Asie et au Canada. À titre de coprésident d'un réseau d'experts, plus précisément le Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique, pour le Canada, j'ai eu le privilège de travailler avec le sénateur Jack Austin, à titre de coprésident, au cours des dernières années.

Enfin, le centre que je dirige à l'Université de laColombie-Britannique fait partie des centres financés par le Forum sur la sécurité et la défense du ministère de la Défense nationale. Je crois savoir que le comité a parlé de ce programme à l'occasion de rencontres antérieures, et je serai heureux de répondre à vos questions éventuelles à cet égard. Aujourd'hui, très brièvement, j'attirerai votre attention sur quatre grands enjeux.

La « sécurité » canadienne est le premier sujet, et je place le mot sécurité entre guillemets parce que je crois que le public canadien ne comprend toujours pas la portée réelle de ses préoccupations et responsabilités en matière de sécurité. Le public ne perçoit pas le terrorisme comme une menace importante, mais on sous-estime les dimensions des considérations de sécurité qui découlent du terrorisme et de l'activité du terrorisme, ainsi que leurs diverses répercussions éventuelles sur le Canada. À l'heure actuelle, on se préoccupe beaucoup de la possibilité de pandémie, laquelle attire, avec raison, l'attention du public. Dans l'ensemble, les Canadiens ne comprennent pas à quel point le fait de se soucier de la sécurité ne correspond pas à financer les forces armées. Beaucoup de gens ignorent le fait que les budgets de sécurité sont essentiellement affectés à des programmes militaires non liés au déploiement, et qu'ils continueront probablement de l'être. Loin de moi l'idée de contester cela : ce que je dis, c'est qu'il faut informer le public et l'amener à comprendre la réalité.

Le deuxième point, qui gagne de l'importance lorsqu'on envisage les quelques années à venir, concerne les institutions mondiales et régionales en matière de sécurité ainsi que le rôle du Canada au sein de ces institutions. Le Canada, par choix et par nécessité, a défini son rôle en matière de sécurité internationale par l'entremise d'institutions multilatérales, en particulier les Nations Unies et l'OTAN. Un réexamen approfondi de ces rôles s'impose, en partie, en raison de la baisse de notre influence sur ces tribunes, et parce que ces institutions et d'autres organismes analogues se définissent de façons qui ne procurent pas nécessairement la même influence au Canada, ou ne lui en laissent aucune. D'une part, on crée des comités au sein desquels il n'y a pas de place pour le Canada. C'est ça qui est préoccupant. Et parlons-en, de l'ONU : elle doit faire l'objet d'une réforme, mais elle continue d'assurer une fonction de légitimation nécessaire. Vous ne devez pas perdre de vue — comme le fait parfois le public canadien — que les initiatives canadiennes en matière de sécurité au cours des dix dernières années ont, pour la plupart, été orchestrées en marge de l'ONU. La Convention sur les mines antipersonnel, la Cour pénale internationale, et les missions en Bosnie, en Irak et en Afghanistan sont autant d'initiatives menées dans le contexte de coalitions de pays volontaires, ou par l'entremise de l'OTAN ou d'autres organes multilatéraux.

Enfin, pour ce qui est du rôle de l'OTAN à cet égard, j'avancerais que l'OTAN traverse une crise d'identité. Quand, par exemple, Gerhard Schroeder, dirigeant allemand, déclare essentiellement que l'OTAN n'est plus dans le coup, et que la tendance est à l'établissement d'une entité chapeautée par l'Union européenne. Cela pose de graves problèmes pour le Canada. Où est notre influence? Quelle sera notre influence dans le contexte européen?

Cela m'amène à mon troisième point, qui concerne l'Asie, et la nécessité de maintenir un engagement que je qualifierais de « pertinent ». L'impératif économique à l'égard de l'Asie est évident. Il en va de même de l'impératif général en matière de sécurité. La stabilité régionale est essentielle à la prospérité économique. Nous avons une multitude de préoccupations classiques en matière de sécurité en Asie, en particulier, à l'heure actuelle, concernant les armes de destruction massive, mais, encore une fois, lorsqu'on envisage la question dans un contexte plus large, les conséquences pour le Canada et la sécurité nationale sont importantes. Il suffit de penser, par exemple, à l'énergie, à la pollution à longue distance, et à des préoccupations plus à court terme — les maladies, le crime transnational et le trafic des stupéfiants.

Essentiellement, si nous envisageons la situation en fonction de critères régionaux, on peut voir que la majorité des menaces à notre sécurité pourraient très bien provenir de l'autre côté du Pacifique. Alors, comment pouvons-nous exercer une influence dans le Pacifique? C'est une considération importante, car des institutions asiatiques, comme l'APEC, organe de coopération Asie-Pacifique, s'interrogent de plus en plus sur leur pertinence et leur rôle qu'elles jouent. Le Forum régional de l'ANASE est important — même s'il ne s'agit que d'un forum de discussion, et nous devons nous demander si nous avons une perspective particulière au sein de ce forum, et quelle est cette perspective. En matière de politique étrangère, Équipe Canada n'est pas dans le coup, et il semble que le premier ministre actuel ait adopté ce point de vue. Nous devons, à l'égard de l'Asie, adopter une perspective et un plan d'action qui vont au-delà des simples initiatives à court terme liées au commerce ou à la fabrication. Je considère les récentes annonces, par exemple, celle concernant la Fondation Asie-Pacifique du Canada, comme un pas important vers la création d'un organe favorisant un dialogue d'expert, une étude et une analyse éclairées à l'égard de l'Asie.

Enfin, mon dernier point concerne l'importance de mousser le débat sur les enjeux en matière de sécurité et de défense. Il est absolument nécessaire d'articuler des priorités qui vont au-delà des paroles creuses. L'Examen des politiques internes, ou EPI, dont les résultats seront apparemment présentés à un moment donné, semblent tendre vers les formules qui avaient été énoncées il y a dix ans. Cela n'intéressera pas le public canadien. Le public canadien se préoccupe des affaires internationales et des enjeux touchant la sécurité, et il y a manifestement un moyen de mobiliser cette attention. La catastrophe du tsunami montre clairement que, de fait, le public canadien est en avance sur son gouvernement à l'égard de certains de ces enjeux, et qu'il exploite des possibilités dont le gouvernement canadien ne se préoccupe pas à l'heure actuelle. On peut voir cela dans la façon dont les dirigeants choisissent de réagir ou de ne pas réagir. Ainsi, je salue les efforts du ministre de la Défense actuelle en vue de tirer avantage des possibilités là-bas; sa réaction reflète la nécessité d'une intervention canadienne.

Nous devons établir d'autres tribunes favorisant le débat public. Je présume que vous avez déjà rencontré des représentants de Canada 25, innovation très intéressante de la part de personnes qui sont beaucoup plus jeunes que moi, et qui, par conséquent, ont peut-être davantage à perdre. J'ai dit que je serais heureux de parler du programme du Forum sur la sécurité et la défense à titre d'organe privilégié pour informer les étudiants et favoriser la tenue d'un débat éclairé sur les campus universitaires. Je garde ce point pour la période de questions.

M. Douglas Ross, professeur, Département des sciences politiques, Université Simon Fraser : Je tiens, à l'instar de M. Job, à vous remercier du travail que vous avez fait. Votre comité, de fait, semble avoir mené la meilleure démarche, la démarche la plus critique et la plus efficace — je parle ici de sécurité nationale et de défense — parmi les organismes à Ottawa qui versent leurs travaux dans le domaine public. La question qui s'impose, bien sûr, est la suivante : pouvez- vous avoir un effet? En toute franchise, je n'en ai pas réellement l'impression. Je doute fort que les 12 milliards de dollars supplémentaires présumés se concrétisent jamais. Il y aura des augmentations négligeables au cours des deux prochaines années, et, après la prochaine élection, ce qui semble être un investissement considérable disparaîtra. Nous sommes dans une crise structurelle permanente lorsqu'il est question des enjeux touchant la sécurité nationale canadienne. Le problème ne disparaîtra pas.

Au cours des 15 dernières années, mes écrits ont toujours témoigné d'une forte préférence pour l'approche fondée sur les alliances. Je suis toujours très en faveur de ce qu'on appelait autrefois une approche coopérative. J'ai toujours fait valoir que la création d'alliances, que la création d'institutions est cruciale; que nous avons joué un très bon rôle au fil des décennies, et que l'OTAN était une organisation importante.

Bien sûr, nous nous sommes marginalisés, depuis le début des années 90, en réduisant notre présence en Europe et nos contacts avec les Européens, qui sont aux prises avec leurs propres problèmes d'importance. Ils sont incapables de nous percevoir comme un intervenant autonome et important, et, puisque nous avons réduit davantage nos forces depuis le début des années 90, ils ont plutôt raison de ne pas nous voir comme tel.

Cela dit, à long terme, il est crucial de ne pas laisser le fossé transatlantique s'élargir, et de ne pas laisser se dégrader les relations entre la France, l'Allemagne et les États-Unis, tendues depuis l'invasion en Irak. Nous devons jouer un rôle de conciliateur et favoriser le renouvellement de l'OTAN, comme nous le pouvons, selon les moyens dont nous disposons. C'est notre partenariat le plus crucial. La communauté atlantique doit être maintenue. Cela s'inscrit dans la grande perspective stratégique.

L'essentiel des commentaires et des quelques diagrammes qui figurent dans mon résumé de cinq pages se résume à ce qui suit : nos ressources sont tellement surutilisées, nos forces militaires sont tellement réduites, et le financement est si inadéquat au chapitre du maintien de l'ordre, du contrôle des frontières et de la porosité des frontières — réalités effroyablement déprimantes que vous avez mises au grand jour, avec force détails — que nous sommes, de fait, incapables de jouer un rôle de conciliation, un rôle efficace, de tendre la main à l'OTAN, autrement que par des voies diplomatiques.

De façon pragmatique, le message clé de ce rapport, c'est que nous sommes tout à fait sur la première ligne. Dans l'un de vos rapports antérieurs, vous dites que le Canada n'est pas au centre de la cible, mais qu'il figure sur la cible. À l'égard d'au moins un scénario en particulier, c'est-à-dire la menace du terrorisme nucléaire, j'avancerais que nous faisons partie du centre de la cible. Cela s'explique tout simplement par le fait que — comme vous le constaterez en lisant le milieu de ces deux ou trois pages — selon moi, c'est l'outil le plus crédible que peuvent utiliser des terroristes rationnels, déterminés, sains d'esprit — à leur façon, de leur point de vue — des terroristes islamiques radicaux motivés par leur foi, s'ils veulent obtenir des résultats. Ils veulent expulser les États-Unis du Moyen-Orient pour de bon. Ils veulent rompre la relation de sécurité entre Israël et les États-Unis. Quel est le meilleur moyen d'y parvenir? La détonation d'une bombe à New York ou à Los Angeles contribuerait-elle à l'avancement de la cause, ou est-ce qu'elle compliquerait la situation, brouillerait les cartes et empêcherait le gouvernement américain de se conformer? Est-ce qu'elle ouvrira la boîte de Pandore de réactions irrationnelles de Washington?

La question que je me pose est la suivante : ne serait-il pas beaucoup plus intelligent — et c'est quelque chose que les Britanniques, les Australiens et nous-mêmes, en particulier, les membres de plus en plus détestés de la sphère anglophone, doivent comprendre — ne serait-il pas plus intelligent, donc, de faire exploser une bombe dans une ville populeuse d'un pays allié, et, bien sûr, d'ensuite de menacer d'en faire sauter plusieurs autres dans des villes américaines à l'avenir? Le principal avantage, bien sûr, c'est qu'il n'y aurait pas de victimes américaines, et qu'il n'y aurait pas d'appels immédiats à la vengeance? C'est peut-être précisément à cela que pensent les terroristes.

Je pense à cela depuis environ cinq ou six ans. J'espérais qu'au cours des cinq ou six dernières années, surtout après les événements du 11 septembre, notre gouvernement serait beaucoup plus attentif, et que des mesures de sécurité publique et de protection civile nous mèneraient assez rapidement vers un resserrement des frontières et la protection de notre sécurité. Je constate que cela n'est pas en train de se produire, et nous avons des preuves que cela ne se produit pas. C'est beaucoup trop lent, et il n'y a pas de sentiment d'urgence. Ils n'obtiennent pas le budget et le personnel dont ils ont besoin. Le SCRS reçoit de l'argent, mais au compte-gouttes, et il faut beaucoup de temps pour former le personnel. Vous connaissez toutes les raisons de cette réaction trop lente. C'est, selon moi, vraiment effrayant et très dangereux. Nous devons, d'une façon ou d'une autre, persuader les gens qui tiennent les rênes du pouvoir que ce n'est pas le temps de faire du sur-place et de nous croire à l'abri parce que nous sommes de gentils Canadiens. De fait, nous ne sommes pas à l'abri. À certains égards, nous sommes malheureusement une cible idéale aux fins d'une stratégie de diplomatie coercitive, tout comme les Britanniques et les Australiens. Il ne faut pas percevoir les groupes terroristes islamistes comme étant incapables de cerner le meilleur moyen d'arriver à leurs fins. Ils sont très contrôlés et hautement disciplinés. Ils sont déterminés à réaliser un objectif stratégique plus large, et ils gagnent la lutte, politiquement.

C'est pourquoi, d'emblée, j'ai parlé de la politique américaine. Même si les États-Unis ont plutôt raison de s'attacher à la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, leurs actions vont tout à fait à l'encontre du but recherché. Leur approche se retourne contre eux, et contre nous. Leurs actions nous font courir un risque direct accru.

Cela signifie que, pour commencer, nous devons doubler ou tripler nos efforts nationaux en vue de colmater les brèches sur les côtes et dans les ports, aller bien au-delà des normes internationales en ce qui concerne la sécurité des conteneurs, la recherche et le contrôle, et les enquêtes. Nous devons faire mieux que les Américains, justement parce que nous pourrions être visés par la première vague d'attaques d'un groupe de terroristes international.

Les relations actuelles avec Washington deviendront plus cahoteuses. J'ai perçu le commentaire de M. Dwight Mason, du Centre for Strategic and International Studies, comme un message assez puissant, de la part d'une personne qui se montre généralement assez sympathique à l'égard du Canada — et le CSIS se montre généralement sympathique à l'égard du Canada —, et comme un indice clair que les choses vont se corser. L'annulation ou le report présumé de la visite de Condoleezza Rice est peut-être un autre signal de difficultés à venir. Malheureusement, tout cela pourrait seulement embrouiller les choses, alors que nous devrions déterminer notre orientation, réfléchir à nos stratégies, afin de composer avec notre crise collective actuelle. Tous ces accrochages ne nous mèneront à rien.

Je crois que le premier ministre Martin a eu raison, à la lumière du contexte politique actuel au Canada, de dire que nous devrions de nouveau refuser poliment. Mais, au bout du compte, le refus n'a pas été servi avec politesse. Le compromis de l'intégration de fait avec NORAD — et cette intégration est bien réelle — cela paraît bien. Toutefois, nous n'allons pas vraiment soutenir l'initiative, mais on entendra tout de même M. Pettigrew et les autres dire que des marchés peuvent être accordés au Canada. On revient à la formule de 1986, mais la présentation était un peu bâclée. On aurait pu mieux gérer les perceptions, l'exécution.

Le contexte actuel n'a rien à voir avec celui de 1986. Ce gouvernement accorde une importance beaucoup plus grande à la défense antimissile. Je suis contre cette idée; je crois que c'estune grave erreur. Stratégiquement, c'est une initiative mal conçue qui occasionne une réaction défavorable et accroît la méfiance de Beijing et de Moscou, ce qui est fâcheux. Cela signifie que la Russie pointe de 2 000 à 3 000 ogives nucléaires de plus contre l'Amérique du Nord que si on avait maintenu le Traité ABM, c'est-à-dire le Traité sur les missiles anti-missiles balistiques et exécuté les traités Start-1 et Start-2. Si je me souviens bien, il y a environ huit, neuf ou dix ans, beaucoup de gens croyaient que l'arsenal russe allait inévitablement tomber à 1 000 ogives nucléaires seulement. Or, la Russie en compte actuellement plus de 5 000. Et ces investissements dans la défense antimissile mèneront également à une grande expansion; un effet de déplacement vers la conception et le déploiement accélérés de technologies de missiles de croisière par les Russes et les Chinois. Les Chinois, pour des raisons politiques, se retiennent de moderniser leurs missiles balistiques intercontinentaux, ou ICBM — avec raison, et j'espère qu'ils continueront de le faire —, mais leur nombre d'ICBM capables d'atteindre l'Amérique du Nord passera probablement de 25 ou 30 à200. Ne serait-ce qu'à des fins de modernisation, cela doit être fait. Leurs missiles sont vieux. Ils doivent être remplacés.

On se retrouvera donc dans un contexte de menace accrue. La situation va donc non pas s'améliorer, mais bien s'exacerber, et on nourrit la méfiance et les soupçons. L'opinion émise par Paul Hellyer dans le courrier du lecteur du Globe and Mail de samedi témoigne du degré de méfiance qui a été généré, non seulement au Canada, mais dans tout l'Occident, et même ailleurs, à l'égard des gens du Project for the New American Century à Washington; on les qualifie de dangereux et d'instables, et on avance qu'il vaudrait mieux ne pas travailler avec eux. Je ne suis pas d'accord. C'est, en réalité, une raison de plus de travailler avec eux. Nous devons maintenir les communications et adopter le rôle du partenaire raisonnable et rationnel dans le cadre d'une initiative conjointe pour gérer notre sécurité coopérative. Merci beaucoup.

Le sénateur Banks : Merci, messieurs, d'être ici. Monsieur Ross, j'espère que nous arriverons à obtenir des résultats, d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà eu de l'influence à l'égard d'au moins une question, celle des aspects non militaires de la sécurité nationale, de façon à ce que tous ces cadres relèvent de la même compétence. Il arrive parfois que les gens nous écoutent, même lorsque cela risque d'occasionner des coûts.

Vous avez affirmé aujourd'hui, et auparavant, que nous devons coopérer avec les États-Unis en matière de défense continentale. Pourriez-vous prendre quelques instants pour nous parler du fait que nous contribuons actuellement à NORAD, que nous contribuons actuellement à l'OTAN, et que nous aimerions actuellement contribuer à l'ONU, et nous dire si cela pourrait avoir un effet, et si vous croyez que cela est susceptible de se reproduire? Est-ce que l'ONU redeviendra utile, est-ce qu'elle redeviendra pertinente, et sera-t-elle un jour assez musclée pour intervenir à l'égard de questions touchant la sécurité? Je suis également intéressé à entendre vos commentaires sur l'incidence des répercussions éventuelles de la responsabilité de protéger sur la question des alliances canadiennes. Je m'excuse de vous poser toutes ces questions en même temps, mais elles concernent nos alliances, et consistent essentiellement à déterminer à qui nous allons tendre la main pour tenter de conclure des marchés. Les Européens se positionnent de façon à constituer une force militaire qui agira comme contrepoids, ce qui, d'une certaine façon, rendra caducs certains aspects de l'OTAN. Est-ce que cela nous pousserait encore plus nécessairement dans les mains,sous le ressort, sous le pouvoir des États-Unis? Et comment pourrions-nous composer avec cela?

M. Ross : Peu de questions, mais toutes très difficiles. L'ONU va passer un très mauvais moment, en raison des enquêtes et de la question de l'argent du programme Pétrole contre nourriture, et cetera. Cela va empoisonner de nombreuses discussions, et ternir l'image de l'ONU pendant longtemps.

Ce serait une bonne idée d'accélérer ce processus, d'une façon ou d'une autre, en misant sur nos activités diplomatiques pour veiller à ce que les personnes appropriées soient punies et qu'une forme d'action en justice permette de remettre de l'ordre dans tout cela. Le plus tôt sera le mieux. L'ONU est capable de poursuivre de nombreuses autres activités qui n'exigent pas nécessairement le concours du Conseil de sécurité. On arrivera probablement à établir un consensus à l'égard d'un grand nombre de missions de maintien et de consolidation de la paix, alors l'ONU peut faire du bon travail.

Conformément à la suggestion très sage que vous avez collectivement formulée, concernant le retrait de nos forces en vue de leur donner un répit de deux ans pour se réorganiser et se perfectionner, je ne vois pas comment nous pourrions élargir les Forces de façon considérable et fournir le personnel nécessaire pour les forces régulières et les réserves sans ramener tout le monde chez soi. Le système d'instruction est défectueux. Tout ce que j'entends des militaires, c'est que le système est défectueux, et qu'il faut ramener des gens compétents en vue d'amorcer le processus d'instruction, de le rebâtir, afin que nous puissions faire davantage qu'intégrer ces 5 000 plus 3 000; il faut en faire beaucoup plus que ça. Nous avons besoin de beaucoup plus que ça, et nous avons besoin du transport aérien tactique nécessaire pour transporter très rapidement les gens partout au pays advenant le genre de situation d'urgence que nous risquons, selon moi, de voir.

Pour revenir à la question des alliances, je suppose que, d'une façon générale, j'estime que nous devrions être introvertis et regarder notre propre situation au cours des cinq à dix prochaines années. Nous sommes confrontés à de très graves problèmes : nous avons relâché notre vigilance ou nous l'avons jamais vraiment accrue parce que nous n'avons jamais vraiment reconnu qu'il y avait une menace. Il faut continuer de tenir des propos constructifs et coopératifs à l'endroit des Européens, mais il faut également dire que nous avons maintenant un plan, que nous allons mettre de l'ordre dans nos affaires, et que nous allons finir par être en mesure de participer aux activités interarmées de projection de force en vue de réaliser des objectifs communs.

Je suis tout à fait contre la vision du général Rick Hillier qui consiste à consacrer beaucoup de ressources à une capacité amphibie, à une capacité de projection de force. C'est une énorme erreur. Je sais pourquoi il fait cela. Cela offre peut-être une meilleure optique, et il est plus probable qu'il puisse y affecter ses 12 milliards de dollars au cours des années 3, 4 et 5, mais cette approche est exactement aux antipodes de ce que nos priorités nationales en matière de sécurité devraient être, ici et maintenant.

En ce qui concerne les mesures d'atténuation des conséquences que vous avez décrites, on ne voit pas beaucoup de progrès : le fait de procurer des fournitures d'urgence et d'affecter le personnel de première intervention à un réseau qui fonctionne, ce sont des choses qui existent et qu'on met en pratique. Les nombreuses suggestions que vous avez formulées — surtout celles du chapitre 8 — mais également des chapitres 2, 3, 6 et 7 du Manuel de sécurité du Canada, correspondent exactement à ce qui doit être fait. Je suis certain que de nombreuses personnes au sein du ministère de la Défense nationale ainsi que de nombreux fonctionnaires seraient d'accord avec vous.

Le sénateur Banks : Ces choses ne sont pas incompatibles. Le SeaHorse, par exemple, l'idée du général Hillier, ainsi que les autres aspects que vous mentionnez, ne sont pas incompatibles. Ne devons-nous pas faire les deux? Pour faire partie du conseil de sécurité, ne devons-nous pas être en mesure, à un moment donné, de déployer des forces quelque part, après les avoir ramenées en vue de les entraîner et de les équiper convenablement?

M. Ross : Nous ne pouvons faire cela à 1,2 p. 100. L'ajout de quatre milliards de dollars supplémentaires au budget de base constitue un bon départ, mais nous devons penser à long terme et monter jusqu'à 1,5 p. 100 du PIB, peut-être même jusqu'à 1,8 p. 100. Or, je ne vois pas de volonté politique de faire cela. Cela exigerait des compressions importantes dans un trop grand nombre d'autres programmes, ou des augmentations d'impôt.

Le sénateur Banks : Si je comprends bien, vous dites que tout ce bataclan militaire, c'est bien beau, et on espère que cela va se produire, mais que le Canada ne se préoccupe toujours pas suffisamment des aspects non militaires touchant la sécurité nationale?

M. Ross : Il convient de dire que les activités liées à la sécurité, comme le contrôle des frontières, la sécurité portuaire, l'immigration, la gestion et le suivi des réfugiés sont des enjeux cruciaux dont nous ne nous préoccupons pas, et que cela nous met en danger direct. Ce n'est plus une question théorique. Il ne faut pas perdre de vue qu'il y a beaucoup de matière fissile en circulation, et qu'elle ne provient pas seulement de sources del'ex-URSS. Bien sûr, les Russes hésitent beaucoup à coopérer, ils hésitent de plus en plus, car ils ne font pas confiance aux Américains. Ils peuvent lire le document relatif à la stratégie de sécurité nationale. Ils ne veulent pas d'une hégémonie militaire américaine permanente. Cela limitera l'ampleur de leur coopération en ce qui concerne la fermeture d'installations de stockage de déchets inadéquates où l'on peut trouver des matières fissiles qui sont protégées par de simples cadenas. Ce genre de situation ne fera pas l'objet de mesures, car ni les Russes, ni les Chinois ne vont coopérer. Il y aura de plus en plus de méfiance, et c'est cela le dilemme. C'est pour ça qu'il y a un risque. Ajoutez à cela le problème du Pakistan, un nouvel État indépendant de fait doté d'au moins 50 armes nucléaires, et peut-être de suffisamment de matières fissiles pour en produire 50 ou 60 de plus, et cela continuera d'augmenter.

Les Américains sont déterminés à faire le ménage en Iran et à en venir à une forme de résolution au moyen d'une intervention constructive, mais cela se révélera extrêmement difficile à faire. De plus, cela va probablement empoisonner la situation encore plus au Pakistan. Le président Pervez Musharraf est incroyablement vulnérable. S'il perd le pouvoir aux mains d'éléments plus radicaux, je soutiens que nous serons pris avec un problème énorme au chapitre du contrôle des matières fissiles.

Je suis poussé davantage par un sentiment d'urgence. Nous devons agir maintenant, ici, sur nos frontières, nous; notre propre sécurité immédiate. Nous ne sommes pas seulement sur la cible : nous faisons peut-être partie du centre de la cible.

Pour ce qui est des armes biologiques, cela est beaucoup moins probable, pour diverses raisons. Pas impossible, mais beaucoup moins probable.

Le sénateur Banks : C'est plus facile à faire si on est un méchant.

M. Ross : Oui. C'était la principale raison pour laquelle je contestais l'invasion de l'Irak par les Américains au moment où ils l'ont fait, car cette invasion était fondée sur des renseignements et des analyses laissant croire que les forces de Saddam détenaient peut-être la variole. Si on croit vraiment cela, on ne procède pas à l'invasion; on attend et on se prépare. Le problème de cette invasion ne tient pas au fait qu'elle était illégale; le problème, c'est qu'elle constituait, stratégiquement, vraiment, un jeu provocateur et dangereux qui mettait en péril leur sécurité et la nôtre, celle du monde entier, parce que personne n'était prêt pour cela.

Le sénateur Banks : Monsieur Job, vous avez parlé du fait que le public ne saisit pas bien la notion de sécurité. N'est- ce pas dans l'ordre des choses? N'allons-nous pas saisir, comprendre la nécessité de ces choses que le jour où quelqu'un nous donnera un coup de poing sur le nez? N'est-ce pas normal?

M. Job : Probablement. Je suppose que c'est l'une des façons d'interpréter la réaction américaine aux événements du 11 septembre, n'est-ce pas? Cela ne s'était jamais produit auparavant sur le territoire américain, et maintenant, cela s'est produit. Je crois que nous devrions avoir l'intelligence d'en tirer des leçons, comme l'a signalé M. Ross. Toutefois, au cours de notre histoire, nous avons toujours vu la pertinence des questions de sécurité, y compris l'importance de participer au maintien de la sécurité à l'étranger, comme, évidemment, en témoigne notre comportement au XXe siècle.

Le public canadien se montre de plus en plus sceptique à l'égard de ce que j'appellerais la détection de menaces à risque élevé et à faible probabilité. C'est un dilemme, en quelque sorte. Les Canadiens prêtent attention lorsque je parle d'une possibilité de pandémie, en raison de la crise du SRAS à Toronto et à Vancouver, et le degré de sensibilisation n'est pas aussi marqué au sein du public américain. Pourquoi? Le SRAS ne s'est jamais rendu là-bas.

Le sénateur Banks : C'est justement ce que je dis. Nous avons connu cette expérience, alors nous comprenons cela.

M. Job : C'est exact. Mais ce n'est pas une raison pour attendre que cela se produise avant de tirer les leçons, non? C'est là que je voulais en venir, je voulais simplement trouver une façon intelligente d'expliquer où nous affectons l'argent destiné à la sécurité, et d'expliquer pourquoi cela est nécessaire. Je suispeut-être un peu moins critique que M. Ross en ce qui concerne les efforts déployés par le Canada jusqu'à maintenant. Je crois que nous avons probablement réalisé de très gros progrès vers l'établissement d'une frontière efficace, compte tenu de ce qu'il y avait à faire et de ce que les États-Unis ont fait de leur côté. De fait, nous avons probablement fait plus que notre part à cette fin.

Je n'ai pas de solution facile à vous proposer. Je crois que nous nous retrouvons devant un dilemme : premièrement, comme je l'ai déjà dit, mettre l'accent sur les événements à risque élevé et à faible probabilité, et ne pas tenir compte des autres; ou, deuxièmement, se laisser embarquer dans une approche fondée sur la menace, définie par les États-Unis. Or, dans le contexte canadien, deux éléments entrent en jeu : le premier, auquel on a fait allusion lorsqu'on parlait de défense antimissile, c'est que si les États-Unis veulent quelque chose, nous devons être sceptiques; l'autre, concerne l'obsession actuelle des Américains pour la sécurité. On a un gouvernement qui, à des fins électorales ou autres, a cherché à nourrir les craintes du public à l'égard de sa sécurité. Je crois que cela va au-delà de ce qui serait considéré comme une réaction rationnelle.

Certains signalent que les résidents de l'Iowa sont plus préoccupés par la menace du terrorisme que ceux de New York. C'est de la pure fabrication. Ce n'est pas réel.

Le sénateur Banks : Si je comprends bien ce que vous affirmez aujourd'hui, dites-vous que nous devrions adopter de nouvelles priorités ou changer notre orientation en ce qui concerne l'ensemble de la région Asie-Pacifique? En particulier, vous avez laissé planer la possibilité d'une menace provenant de cette région plutôt que d'une autre.

M. Job : J'ai dit que je pensais que si on tentait de cerner les menaces pour le public canadien, pour la population civile canadienne, et en particulier la population régionale, dans ce contexte, nous avons déjà parlé des possibilités de maladietrans-Pacifique. Nous devons composer avec le crime transnational, avec le trafic de stupéfiants, avec le trafic de personnes, et tous ces phénomènes ont un impact considérable, comme on peut le constater dans le secteur est du centre-ville, à dix pâtés de maisons d'ici. Si on craint pour le tissu social du Canada, que l'on considère ces questions comme des problèmes de sécurité, et qu'on prenne les mesures qui s'imposent, ce qui suppose une imposante intervention policière et une coopération importante, ces questions deviennent des préoccupations de sécurité assez importantes.

Le sénateur Banks : Je suis heureux de voir unex-Edmontonnien devant le comité.

Monsieur Ross, vous entretenez des liens avec l'industrie de la défense, ou vous en avez déjà eus. C'est une question grossière : est-ce que cela va nous coûter cher de dire, publiquement, que nous ne participons pas à BMD, la défense contre les missiles balistiques?

M. Ross : Cela dépend de la façon dont le message est transmis, et si on fait marche arrière.

Le sénateur Banks : Le message a été transmis.

M. Ross : Il peut être nuancé, et il y aura des communications et des signaux continuels sur cette question pendant un bon bout de temps. Cela n'est d'aucune façon terminé, et Washington exercera des pressions afin qu'on revoie notre position, de la façon la plus constructive possible.

Le sénateur Banks : Il n'en demeure pas moins que, aux yeux d'un grand nombre d'Américains, les terroristes du 11 septembre sont arrivés à bord d'un traversier du Canada. C'était en première page peu après les événements, alors que la rétractation a paru à la page 34, au bas de la huitième colonne. N'est-ce pas ce qui va arriver à toutes les nuances, les explications et les reformulations que nous fournirons? Ce que nous avons dit et qui a fait la manchette, c'est : « Nous ne participons pas. »

M. Ross : J'ignore si la sénatrice Clinton a changé d'avis à cet égard, mais je crois que de nombreux Américains ne nous accordent probablement aucune importance; nous sommes tout simplement dépourvus de pertinence. Tout au plus, on parle de nous comme d'une version édulcorée de l'Amérique dans Les Simpson, mais c'est à peu près tout. Ce sont surtout des professionnels qui veulent des explications. Plus on nous verra comme des resquilleurs — comme on l'a fait dans un éditorial du Wall Street Journal —, plus ils penseront cela, et se montreront impitoyables à notre égard. J'ignore si c'est un prélude à l'adoption de la ligne dure. C'est une préoccupation bien réelle, et le gouvernement canadien se trouvera peut-être dans l'obligation de reformuler son orientation.

Finalement, pour revenir à l'essentiel, NORAD est-il voué à disparaître? Cette question revient constamment à la surface, et je sais qu'un certain nombre de gens des forces aériennes ont dit que si on refuse de prendre part à la défense antimissile, c'est la fin de NORAD. Je ne crois pas à cela. Ils couperaient la branche sur laquelle ils sont assis. Ils ont besoin d'un système de défense aérienne coordonné. Il est inutile d'avoir la meilleure défense antimissile au monde si on n'a qu'un plafond sans murs, car tout commence à entrer par les murs. Il y aura toujours un besoin. Lorsqu'on adopte la voie de la défense stratégique, on doit tout couvrir. C'est déjà beaucoup que de coopérer au chapitre de la défense aérienne, mais nous ne faisons pas grand-chose de ce côté là non plus, pas vrai? Nous ne faisons pas grand-chose à cet égard.

Le sénateur Banks : Et nous prévoyons en faire moins.

M. Ross : Oui, et nous devrions en faire plus. Cela devrait faire partie des mesures de contrôle d'approche vers le territoire canadien, comme l'installation de radars haute fréquence à ondes de surface sur la côte, et l'utilisation d'aérostats dotés de radars permettant de repérer les missiles de croisière. Nous devrions envisager activement l'utilisation d'un ensemble actif de balayage électronique, des radars dont sont actuellement dotés les F-15 en Alaska, qui peuvent repérer les missiles de croisière. Les radars sont très importants, et nous ne possédons aucune capacité qui s'apparente à cela, et nous aurons besoin d'une telle capacité pour composer avec cette menace.

Je dirais que, pour moi, c'est l'un des besoins pressants, mais que ce n'est pas la priorité. Nous devons nous attacher à la question de notre sécurité immédiate; il est vraiment crucial que les militaires contribuent à l'exercice des fonctions de l'autorité civile. Nous devons garder les forces à proximité des villes qui pourraient, de fait, être attaquées, au lieu de les garder dans des endroits éloignés. Nous n'avons pas besoin de garder tous nos CF-18 à Cold Lake et à Bagotville, à une heure ou deux de vol de certaines grandes villes. Cela pourrait poser problème. Je ne veux pas que l'Army National Guard de Washington ou la National Guard du Montana interviennent sur notre territoire, mais c'est dans cette direction que nous allons.

Le sénateur Meighen : Je reviens sur la question du sénateur Banks : est-ce que le fait d'avoir laissé tomber les Américains — du moins, à leurs yeux — au chapitre de la défense et d'autres questions, comme le commerce, va nous coûter cher? Croyez-vous, messieurs, que nous en payons déjà le prix? Est-ce que ces deux éléments sont liés, ou suis-je naïf?

M. Job : Si les deux sont liés? Je vous fournis une réponse typique d'un universitaire : oui et non. Je dirais deux choses : il semble que nos problèmes au chapitre des échanges commerciaux avec les États-Unis découlent du Congrès américain. Dans le contexte actuel, ce n'est que lorsque le président américain est disposé à exercer ou à tenter d'exercer son influence politique limitée auprès du Congrès — ce qui arrive parfois — qu'on peut résoudre certains problèmes concernant les échanges commerciaux. Il s'agit donc de déterminer, à l'égard de choses comme le bois d'œuvre, si on croit que le président George Bush, d'abord et avant tout, s'intéresse à la question, s'il est susceptible d'influencer les intervenants en cause au Congrès, et s'il est disposé à user de cette influence. Si vous répondez aux deux premières questions par l'affirmative, alors, la réponse à la troisième question, sur sa « volonté » de miser sur son influence, je dirais qu'il est peut-être un peu moins disposé à le faire maintenant. C'est comme cela que je répondrais à votre question.

Le sénateur Meighen : Si votre réponse aux deux premières questions est non, cela n'a pas d'importance.

M. Job : Cela n'a pas d'importance, effectivement.

Le sénateur Stollery : Il aurait beau les supplier tout nu en se tenant sur la tête qu'il n'arriverait pas à convaincre le Sénat d'abroger l'amendement Byrd.

M. Job : Oui.

Le président : Monsieur Ross, avez-vous un commentaire à formuler sur ce sujet?

M. Ross : Non, je crois que je vais vous laisser poser vos questions à M. Job, car il doit partir bientôt.

Le président : J'ai quelques questions qui découlent de l'intervention du sénateur Banks. Premièrement, lorsqu'il s'agit de politiques, les Américains ont toujours joué dur, alors pourquoi n'agissons-nous pas de la même façon avec les Américains? Cela me dérange un peu quand j'entends quelqu'un laisser entendre que le Canada devrait jouer dans une ligue différente. Nous avons nos intérêts, et nous devrions les promouvoir. Je vais poser toutes mes questions, et vous pourrez ensuite les commenter. Pourquoi les Américains tenaient-ils tant à ce qu'on participe? Qu'est-ce qu'ils en ont à faire? Franchement, j'ai toujours cru qu'ils nous faisaient un cadeau. J'ai déjà dit que, si j'étais un sénateur américain, je voterais contre la défense contre les missiles balistiques, mais je suis un sénateur canadien. C'est d'une grande évidence, si c'est gratuit.

On a également parlé du SRAS, qui a coûté la vie à au moins une vingtaine de personnes : beaucoup plus de gens meurent sur la route qui sépare Ottawa de Calgary que du SRAS. De la façon dont nous évaluons l'importance de nos vraies menaces, c'est le tabagisme qui occuperait le premier rang, et rien d'autre.

Le commentaire selon lequel il n'y aura pas d'argent : je crains que nous ayons été trop timides lorsque nous avons parlé de quatre milliards de dollars. Pourquoi ne parlons-nous pas de mettre le paquet? Cela correspond à 1,9 p. 100, c'est-à-dire environ 22 ou 23 milliards de dollars par année. Nous affichons huit années consécutives d'excédents budgétaires. Nous affichons un rapport dette-PIB équilibré. L'excédent pour le dernier exercice était de neuf milliards de dollars. On pourrait certainement avancer qu'il serait convenable pour notre comité, ou pour quiconque examine la politique en matière de défense, de faire valoir que la somme de quatre milliards de dollars n'est pas excessive, et que nous devrions vivre à la hauteur de nos moyens. Cela reviendrait à dire : « Nous venons d'examiner cette question, et, finalement, c'est 22 milliards de dollars que nous demandons. » Cela serait comparable à ce qu'on fait en Norvège ou ailleurs, et nous devrions prendre cette voie. Quels sont vos commentaires?

M. Ross : Pour ce qui est de jouer dur, je dirais plutôt qu'ils ont tendance, du moins pour la plupart, ont tendance à prendre des gants avec les Canadiens. Ils ont été très gentils avec nous au fil des ans. Il y a longtemps qu'il n'y a pas eu beaucoup de rudesse de leur part. C'est peut-être une nouvelle tendance qui se dessine, et c'est regrettable. Je n'aime pas entendre parler de l'adoption de mesures de rétorsion approuvées par l'OMC. Cela pourrait vraiment mal tourner. Les mesures de rétorsion approuvées par l'OMC pourraient occasionner de graves problèmes si nous les mettons en œuvre.

Je ne crois pas qu'il soit à notre avantage de jouer dur avec les Américains, et de leur donner l'impression que nous voulons nous montrer plus malins qu'eux et continuer de profiter de la situation.

Le président : Ce n'était peut-être pas la bonne expression, mais vous avez parlé de « jouer dur ». Mon argument est le suivant : les Américains défendent leurs intérêts réels, et ils ne viennent pas nous dire : « Rendez-moi service parce que je suis gentil », ou « parce que je suis votre meilleur ami ». Ils tentent de défendre ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts réels. Le fait de devoir composer avec l'OMC ne sert ni leurs intérêts ni les nôtres. Un sénateur peut chercher à défendre ainsi les intérêts de son État, mais — ce que j'essaie de dire, c'est qu'on entretient ici un mythe selon lequel nous aurions droit à un rabais parce que nous sommes de bons voisins et de bons amis. Ce n'est pas le cas. Je me demande si vous pourriez commenter là-dessus.

M. Ross : Je crois que nous appliquons une politique défensive. Je dirais effectivement que nous resquillons. On a participé à rabais pendant longtemps, et maintenant nous resquillons. L'auteur de l'éditorial du Wall Street Journal n'a pas tort. Je suis généralement d'accord avec cela, et, à vrai dire, nous pouvons continuer de le faire. On pourrait avancer que cela témoigne d'une certaine forme de réalisme cynique de la part des dirigeants à Ottawa, et James Ayers a posé cette question il y a plus de 30 ans. Certains pays procurent la sécurité, d'autres la consomment. Heureusement, nous sommes de la deuxième catégorie, alors profitons-en. Compte tenu de leurs propres inhibitions d'ordre moral, les Américains peuvent jouer dur, mais il y a des limites à ce qu'ils peuvent faire; nous pouvons très bien tirer avantage de la situation.

Je dirais qu'on peut faire cela, et c'est la position du réaliste cynique, mais cela signifie également que nous ne contribuons d'aucune façon à bâtir la communauté mondiale, à établir la coopération en matière de sécurité qui est absolument essentielle au contrôle de certaines choses, comme la dissémination des matières fissiles ou des gens qui savent comment fabriquer des agents biologiques. C'est une autre boîte de Pandore qu'on ouvre à l'heure actuelle, sans assurer un contrôle adéquat. Il faut établir un régime international, et nous devons non pas nous marginaliser et nous abstenir d'y participer, mais bien le soutenir. Nous devons communiquer avec des tiers au lieu de traiter seulement avec les Américains; ainsi, nous pouvons faire valoir que, malgré les apparences, les Américains ne tentent pas d'organiser le monde et de bâtir un nouvel empire américain. Ils sont vraiment terrifiés. S'ils jouent dur avec nous sur la question de la défense antimissile, c'est que au plus profond d'eux-mêmes, ils se croient vraiment en danger. Peut-être pas maintenant, mais le délai d'exécution pour l'établissement d'une défense antimissile efficace est plutôt long, et ils tiennent à ce qu'on participe. Attendez-vous à ce qu'ils nous serrent la vis sur ce point.

Le président : C'est sur le pourquoi que je m'interrogeais, monsieur.

M. Ross : Oui, le pourquoi. On nous a assuré à maintes reprises qu'il n'y aurait pas d'intercepteurs de missiles en territoire canadien dans un avenir prévisible. Ils parlent de radars bande X, bien sûr, à Goose Bay. Ils penseront probablement à en installer ailleurs lorsque la menace gagnera de l'importance. On ne voudrait pas dépenser l'argent et déployer ces radars avant d'en avoir besoin, mais il faut tout de même bâtir l'infrastructure de personnel nécessaire pour les exploiter. Il faut se doter d'un personnel qualifié, et, essentiellement, établir une tradition afin qu'on puisse assurer l'expansion rapide du système lorsque le besoin se fera sentir. Ils veulent notre participation, pas notre acquiescement. Ce n'est pas suffisant.

La situation pourrait changer au moment de l'élection d'un nouveau gouvernement à la Maison Blanche. On pourrait revenir à la façon dont les démocrates abordaient la question, c'est-à-dire avec beaucoup de scepticisme. Nombre d'entre eux demeurent sceptiques et perçoivent tout ceci comme une grave erreur au chapitre de l'affectation des ressources, point de vue que je partage. Malgré tout, les décideurs actuels estiment que ces dépenses sont absolument essentielles à la protection des intérêts vitaux à long terme des États-Unis en matière de sécurité.

Les critiques externes avancent que cela tient de la pensée magique. Premièrement, ces technologies ne fonctionnent pas. Cela est vrai, dans une certaine mesure; on peut facilement les mettre en échec. Les contre-mesures sont peu coûteuses et faciles à mettre en œuvre, et ce que les Américains possèdent à l'heure actuelle ne pourrait tenir tête aux contre-mesures les plus élémentaires, et il est improbable qu'ils puissent leur tenir tête. Ils éprouvent des difficultés techniques importantes, et ils n'arrivent pas à les résoudre. Ils ont touché un satellite, il y a presque vingt ans. Ils ont fait cela. Ils ne cessent de faire la même manœuvre.

Ils ne sont même pas proches de se doter d'une défense antimissile vraiment efficace contre une menace grave, mais ils considèrent qu'une telle défense est essentielle, et qu'ils doivent l'avoir maintenant, car elle fait partie de leur programme de lutte contre la prolifération. On ne peut établir un contexte politique américain favorable à l'invasion de l'Irak, de l'Iran et, enfin, bien sûr, de la Corée du Nord, que si on est doté d'une protection à peu près crédible du territoire national.

Le président : Avec le respect que je vous dois, monsieur, vous nous expliquez le bien-fondé de la défense antimissile, alors que nous voulons savoir pourquoi les Américains tiennent à ce que nous participions? Ils ne nous ont rien demandé, et c'est pour cette raison que l'occasion semble avantageuse pour le Canada, car ils ne nous ont rien demandé.

M. Ross : Je crois que c'est une sorte de cheval de Troie.

Le président : C'est l'effort d'un sénateur pour sauver la circonscription qu'il représentait. Cela n'a rien à voir avec la politique du gouvernement, ou ce que font les Américains. Même l'entreprise qui tentait de le vendre disait que c'était son troisième choix, et que Thulé est un meilleur endroit pour les radars, alors ne nous aventurons pas là. Nous serions intéressés à entendre vos commentaires sur les raisons qui poussent les Américains à vouloir faire participer le Canada.

M. Job : Ils nous veulent, en partie, par souci de légitimation. Ils veulent pouvoir dire que tel nombre de pays sont de leur côté, tout comme au moment de la guerre en Irak, où ils voulaient pouvoir nommer 22 pays — dont certains n'ont contribué qu'une seule troupe — et les alliés comptaient probablement pour 50 p. 100 de leur armée de coalition en Irak. Il y a des endroits où le fait de dire que votre plus proche voisin ne participe pas à la défense antimissile a un certain poids. De plus, les Américains voulaient probablement que nous participions à la défense antimissile parce qu'il s'agit d'une initiative à long terme. La défense antimissile suppose de 15 à 20 ans de travail sans relâche. Les pressions internes à l'égard de la défense antimissile aux États-Unis s'atténueront lorsque le pays connaîtra une longue période sans incident terroriste majeur, et lorsqu'on réalisera des progrès à l'égard de certains pays, comme la Libye. Ils ont déjà reculé à l'égard du budget actuel. Ils ont retranché un milliard de dollars du budget affecté à la défense antimissile pour l'exercice parce qu'ils comprennent, d'une certaine façon, qu'ils n'ont tout simplement pas les moyens de dépenser de l'argent sur une initiative technologique dont l'évolution n'est pas aussi rapide que ne l'avait promis Georges Bush. Ce serait mon argument facile.

Si je peux aborder un autre point lié à vos questions,c'est-à-dire la question des 22 milliards de dollars, un livre a paru, il y a un certain temps, qui s'intitulait While Canada Slept et vous en connaissez le propos. Je ne suis pas d'avis que le Canada dormait. C'est seulement que les chefs politiques du Canada avaient d'autres priorités. L'argent est allé ailleurs. On l'a affecté à d'autres programmes nationaux. Pour obtenir le changement dont vous parliez, les 22 milliards de dollars, vous devez fournir au public canadien une raison de le vouloir. Je crois qu'il y a là un vrai problème, car la majeure partie des questions abordées dans le cadre de vos discussions — et des nôtres — sur la sécurité ne supposent pas une augmentation marquée de la part du budget canadien allant aux forces armées. L'argument que nous cherchons pour justifier l'accroissement de la part du budget consenti aux Forces armées canadiennes — et je le soutiens —, c'est que nous voulons disposer de compétences et de capacités accrues pour ce qui est de déployer les Forces à l'étranger. Vous devez expliquer au public canadien pourquoi nous tenons à ce que nos gens fassent du bon travail à l'étranger, et c'est comme ça que vous obtiendrez l'appui du public.

Le président : Cela nous est très utile. Juste pour terminer, pourriez-vous nous aider à trouver les mots pour convaincre le public qu'il est dans notre intérêt de jouir d'une capacité de projection de force? Faut-il dire aux gens que nous voulons le monde soit stable, et que pour cela, nous avons besoin de soldats aptes au combat pour permettre aux ONG de fournir leur aide? Faut-il leur dire que nous dépêchons des gens à Kaboul pour démanteler des camps d'entraînement terroristes, et qu'il vaut mieux les désorganiser là-bas plutôt que de les voir arriver à nos frontières? Quel langage devrions-nous tenir pour convaincre les Canadiens du fait que ce type d'investissement est dans leur intérêt?

M. Ross : Cela revient à la question du sénateur Banks, à laquelle je n'ai pas répondu, sur la responsabilité de protéger, et sur notre désir de participer activement à cela. En ce qui concerne l'opinion publique canadienne, c'est effectivement un bon moyen de convaincre beaucoup de gens que nous devrions au moins assumer notre rôle parmi les pays les mieux nantis au monde. Nous devrions assumer notre part de ce fardeau. Dans un contexte normal, j'appuierais pleinement une telle démarche, je me dirais que nous faisons quelque chose d'utile. De fait, si nous en faisons davantage et étions en mesure de projeter nos forces plus efficacement, cela atténuerait énormément le mécontentement des Américains à l'égard de notre manque d'ouverture sur des choses comme la défense antimissile.

Le sénateur Meighen : Ne serait-il pas juste d'affirmer que nous en avons fait davantage récemment, et qu'il ne semble y avoir aucun changement dans l'opinion publique? J'ai l'impression que nous avons envoyé plus de gens, et joui d'une publicité plus grande à l'étranger, que depuis des décennies. Nous avons subi des pertes de vie tragiques — avec toute la publicité que cela engendre — et les gens ont ressenti de la fierté, mais cela ne semble pas, si on en croit les sondages d'opinion publique, se traduire par un soutien accru à l'égard d'un accroissement des dépenses sur des questions comme la sécurité et les opérations militaires.

M. Ross : Encore une fois, cela exige que le premier ministre y mette du sien. Il faut que les principaux dirigeants du gouvernement se donnent la peine de prendre la parole et de convaincre les gens. Il faut faire preuve de leadership; il faut afficher le même genre de leadership que Tony Blair tente d'exercer au Royaume-Uni. C'est ce qui doit se produire ici aussi. Il recule à l'heure actuelle, c'est vrai.

Le président : Le défi que doit relever notre comité ne consiste pas à déterminer quelle forme devraient prendre les forces armées. Il ne consiste pas à choisir le bon avion. Il ne consiste pas à déterminer combien d'argent il faut affecter à cela. Le défi que doit relever le comité consiste à dresser une liste d'arguments qui interpelleront le public et l'inciteront à voir la sécurité d'un autre œil. Partout où nous allons, nous demandons aux gens de nous aider avec cette question. C'est une question très difficile. Soit nous n'utilisons pas les bons mots, soit nous ne sommes pas convaincants, soit nos arguments ne sont pas assez concrets. Nous serions des plus reconnaissants si vous pouviez aider le comité à cet égard.

M. Job : Si vous demandez au public canadien ce qu'il veut voir, il veut voir le Canada assurer une présence à l'étranger. Au bout du compte, quel est le rôle du Canada? Le citoyen moyen dit que le Canada est une force au chapitre du maintien de la paix, que nous devrions être à l'étranger. Le fait qu'on ait pratiquement forcé le ministère de la Défense à dépêcher l'équipe d'intervention en cas de catastrophe, DART, au Sri Lanka, illustre ce fait de façon frappante. Nous savions déjà que l'équipe s'y rendrait en retard, et qu'elle n'allait probablement pas changer grand- chose, mais elle devait y aller. Pourquoi? On l'a dépêchée là-bas pour des raisons de politique et d'opinion publique. J'avancerais qu'il est probablement utile, en ce sens, d'attirer l'attention du public sur ces choses. Nous effectuons actuellement tel nombre de déploiements d'envergure — j'utilise ce terme en connaissance de cause — à l'étranger, et nous laissons savoir très clairement au public canadien pourquoi nous sommes là, et pourquoi nous faisons du bon travail. Notre travail en Afghanistan est important. Notre travail dans le golfe du Persique — je ne mâcherai pas mes mots — obtient très peu de reconnaissance de la part du public. Je ne dis pas qu'il a tort, mais c'est la vérité. Si vous cherchez à miser sur l'opinion publique canadienne, Haïti pourrait vous mener beaucoup plus loin. La Bosnie, franchement, a fait son temps, en partie parce qu'on l'a laissée sombrer dans l'oubli. C'est ça, l'argument. Dans le cas de l'Afghanistan, le public canadien sait que nous assurons une présence imposante, et, malgré la distance, il en voit le bien-fondé, tant pour lui que pour le peuple afghan. En partie, le public nous voit faire quelque chose à l'étranger qui est utile aux gens de l'Afghanistan, mais qui est en marge d'une guerre au terrorisme définie par les États-Unis. Je dis « en partie », puisque cette mission en Afghanistan avait l'avantage d'être parrainée par le MDN. L'attitude des militaires canadiens à l'égard des militaires américains, ainsi que l'attitude des gens du gouvernement afghan et d'ailleurs, et des ONG, et ainsi de suite, était raide. L'OTAN est ici pour offrir au peuple afghan un environnement plus sûr, à long terme. Les États-Unis sont dans leur secteur de l'Afghanistan pour faire la guerre au terrorisme, ce qui se traduit par une attitude beaucoup plus dure, où l'on menace les gens avec des armes, et une distinction fondamentale. Ces distinctions, lorsqu'il est strictement question d'arguments politiques en faveur d'une intervention, sont celles qui interpelleront le public.

J'aimerais ajouter une dernière chose au sujet de votre commentaire sur le fait de « jouer dur ». Dans les coulisses américaines, à part la maladresse avec laquelle nous prenons ces décisions — et c'est ça le gros problème avec la défense antimissile à l'heure actuelle —, nos contributions à des opérations comme celles avec qui se déroulent en Afghanistan sont perçues de façon plus positive que nous voudrions bien le croire. Autrement dit, le Pentagone, et d'autres intervenants, perçoivent cela comme une contribution légitime, tangible. Ils n'en parlent pas beaucoup, mais, si vous le leur demandez, ils le reconnaîtront. Ce sont nos opinions et la façon dont nous traitons certaines décisions, par exemple, à l'égard de l'Irak et de la défense antimissile, qui nous mettent dans l'embarras. On pourrait faire valoir qu'il est plus facile de résoudre ces choses que d'obtenir 22 milliards de dollars.

Le président : Que le compte rendu précise que M. Ross a signifié son accord par un hochement de la tête.

M. Ross : Je suis d'accord avec cela. En matière de dépenses liées à la défense, l'opinion publique n'est pas dépourvue de pertinence, mais elle est très secondaire, presque tertiaire. De telles dépenses sont déterminées par les premiers ministres et leur cabinet au moment de prendre des décisions sur le budget. S'ils sont convaincus qu'il faut réagir à certaines priorités, l'argent sera dépensé. Ce n'est que par la suite qu'ils devront tenter de justifier leur décision. Une telle décision est fondée sur l'opinion de l'élite. La plupart des Canadiens ne suivent pas ces enjeux. Ils restent à la maison et se détachent du monde. Vous savez tous que, sociologiquement, il y a cette forme de détachement du reste du monde, ponctuée de poussées humanitaires périodiques — une bonne chose, certes, mais pas durable. Le débat canadien n'a ni orientation ni stratégie. Il est dépouillé de toute forme de doctrine, de toute vision claire d'où nous allons et de ce que nous voulons accomplir.

Certains de nos membres des Forces canadiennes essaient de faire cela. J'ai tout récemment assisté à une conférence, à Winnipeg, au cours de laquelle le général Hillier expliquait sa vision de la nouvelle force au moyen d'une présentation PowerPoint. On y voyait la photo de deux soldats canadiens blindés prenant une plage d'assaut avec des armes semi automatiques; ils ressemblent à des soldats de l'Empire dans La guerre des étoiles, et ce n'est pas vendeur. Cela ne va pas nous aider. Ce n'est pas la bonne façon de procéder. Je comprends le point de vue du général. Il pense aux États non viables, mais je ne crois pas que cela va fonctionner. Les États non viables seront perçus, en quelque sorte, comme un trou noir. Voulons-nous vraiment déployer nos jeunes hommes et nos jeunes femmes dans une situation aussi dangereuse? Que pouvons-nous en tirer, et pouvons-nous changer quelque chose?

Le sénateur Banks : Justement, sur ce point, ne croyez-vous pas que certains Canadiens se demandent ce que nous aurions pu accomplir au Rwanda si nous avions eu le loisir de recourir à un modèle aussi attrayant?

M. Ross : Certainement. Pour cela, il faut du transport aérien. Il faut être en mesure de s'occuper de nos gens sur le terrain, et il faut fournir son propre appui aérien et sa propre puissance de feu à distance, ce qui occasionnerait des coûts considérables. Ce n'est pas le genre d'activités auxquelles les Américains voudront prendre part, car ils ont d'autres priorités. Si nous voulons prendre en charge ce genre de responsabilité, soit protéger les interventions humanitaires et maintenir l'ordre, nous parlons de gros sous. Est-ce que les Canadiens seront derrière nous? Je ne le crois pas. Je crois qu'ils veulent que le Canada fournisse de l'aide alimentaire, qu'il maintienne l'ordre lorsque des populations civiles sont en danger, mais je ne crois pas qu'ils veuillent que le Canada renverse des gouvernements. Ils ne veulent pas plus participer au développement des pays que la plupart des Américains, car c'est un processus épuisant, et à long terme.

Je ne suis pas entièrement convaincu. Je ne suis pas convaincu du fait que nous allons changer quelque chose en Afghanistan, et que cette situation ne va pas s'effriter sous nos pieds, et que nous ne devrons pas sortir nos gens de là. L'Afghanistan gruge les armées étrangères, les troupes étrangères et la présence étrangère, et cela m'inquiète vraiment. Cette situation pourrait se retourner contre nous et saper toute volonté de consentir plus d'argent aux militaires. Ils ne savent pas où ils devraient aller, et ils ne peuvent se faire une idée réaliste de ce qui peut être accompli. Ce genre de question peut être soulevé. J'aimerais voir votre comité produire un rapport détaillé sur l'avancement des opérations en Afghanistan.

Mes collègues du site Web de la Canadian-American Strategic Review sont très contrariés par ce qu'ils perçoivent un désengagement de l'Europe, ainsi que par le fait que les Européens ne sont pas disposés à assumer leur part du fardeau en Afghanistan, qu'ils refusent de jouer un rôle important. Mes collègues en sont rendus au point où ils se demandent si le temps n'est pas venu de repenser notre façon de faire, de quitter l'OTAN. Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, cela révèle une crise grave au sein d'une organisation qui est très importante pour nous, tout comme l'ONU est très importante pour nous. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour corriger la situation, au lieu de dire que nous en avons marre, et que nous partons. Nous devrions peut-être mettre un terme à notre intervention en Afghanistan, ou adopter une nouvelle approche. Je ne m'attends pas à ce qu'un gouvernement unifié accède au pouvoir avant longtemps; peut-être pas au cours de ma vie, en tout cas. C'est ça le problème.

C'est non pas l'opinion publique, mais bien les dirigeants qui prennent des décisions à l'égard du budget. Je suppose que certains de nos parlementaires vont ruer dans les brancards si vous essayez de dire que nous voulons un budget de défense de 22 milliards de dollars sur trois ans. Ce serait toute une bataille, c'est certain. Les arguments pour justifier une fonction d'assurance sont vides, purement théoriques. Je ne crois pas que vous puissiez vendre l'idée de cette façon. Les gouvernements réagissent lorsqu'ils sentent planer une crise. Vous pouvez prendre mon petit document de cinq pages, et dire que je vois là une grande menace dont le gouvernement ne se préoccupe pas; peut-être ne la reconnaissent-ils tout simplement pas, peut-être pensent-ils qu'elle est invraisemblable. Cela devrait générer beaucoup plus d'activités, faire en sorte que nous envisagions sérieusement la lutte contre la prolifération. Les Américains en font la promotion, car elle s'inscrit dans leur grande stratégie, mais la plupart des Canadiens n'en voient pas la légitimité. Il règne un peu partout un sentiment profond selon lesquels les Américains sont maintenant des impérialistes. Tout le monde s'attache à Paul Wolfowitz, Dick Cheney et le Project for the New American Century, ou PNAC, mais ils ne constituent qu'une partie des intervenants du milieu de la sécurité nationale aux États-Unis. Ils ne seront peut-être plus là dans quatre ans; on pourrait avoir affaire à une équipe totalement différente, qui devra composer avec de nombreux problèmes causés par leurs prédécesseurs.

La politique impérialiste n'est pas viable; ni un petit empire, ni un grand empire. Nous vivons dans un monde très différent. Les normes démocratiques sont partout prépondérantes. La démocratie fait deux pas en avant, un pas en arrière, mais elle fait des gains et elle peut faire des bonds importants. Nous devons nous doter d'une stratégie en ce sens parce que nous avons réellement des intérêts en jeu en ce qui concerne la sécurité. Il ne s'agit pas d'une théorie. Il s'agit de faits tangibles, très réels. Nous sommes menacés. Si je dis cela, c'est que moi-même et ma famille vivons dans l'une des trois grandes villes du pays. Le sort de nos villes me préoccupe. Je suis inquiet quand je pense aux conteneurs, dans les ports, qui ne sont pas inspectés de façon appropriée. C'est impossible de le faire, nous n'avons pas assez d'équipement ni assez de personnes formées pour le faire. Il serait trop long de tout déballer, et les autorités portuaires ne voudraient pas le faire, de toute façon; ça ralentirait le commerce. Vous connaissez les problèmes. Les gens n'ont pas compris le message. Ils n'y ont pas suffisamment réfléchi. Je suis moi-même déchiré; peut-être que nous contribuons potentiellement au problème? Et-ce que nous devrions discuter de ces dossiers à huis clos? C'est une partie du problème, mais on peut en parler à huis clos.

Quant à changer l'opinion publique, je me demande si le public canadien ne devient pas de plus en plus sceptique, craintif et irrité à propos des Américains. Mme Carolyn Parish peut parler au nom de nombreux Canadiens qui, non seulement ne font plus confiance aux Américains, mais ne les aiment vraiment pas. C'est probablement depuis toujours un des éléments du régime politique canadien, et c'est heureusement l'opinion d'une minorité, mais nous ne voulons pas qu'elle s'étende. Nous devons les amener, eux aussi, à adopter une approche plus constructive et plus fondée sur la conciliation et la coopération plutôt que de dire, voilà la mission, nous mettons sur pied des coalitions de personnes disposées à agir, vous avez le choix d'y participer ou non. Si vous n'y participez pas, nous vous surveillerons, nous en tiendrons compte. Ce n'est pas de cette façon qu'on construit une collectivité sûre. C'est ainsi que nous devrions envisager la création des collectivités, plutôt que de se soumettre à une structure pyramidale.

Votre comité ne réussira pas vraiment à convaincre le public canadien de la nécessité d'adopter une nouvelle approche plus vigoureuse quand il est question de la défense, ni même une approche plus responsable, ni à trouver de nouvelles façons de le persuader. Je crois qu'il faut, au bout du compte, cibler le gouvernement en place et les partis de l'opposition et essayer de réaliser un consensus sur le fait que nous avons des problèmes, et que nous devons y voir. Nous devrions mettre nos efforts en commun.

Le sénateur Day : Monsieur Job, j'aimerais que vous nous parliez un peu de votre expérience et de votre participation au Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique et à la Fondation Asie-Pacifique du Canada, dont vous avez parlé un peu plus tôt, lorsque le sénateur Austin était présent. Quel sera le rôle du Canada dans les échanges qui concernent l'Asie-Pacifique, si on tient compte du fait que les États-Unis semblent se préoccuper surtout de l'Europe, du Proche-Orient et duMoyen-Orient, et que la Chine est une puissance financière et militaire de plus en plus importante?

M. Job : En 30 secondes, c'est ça? Je vais commencer au même point que vous. Premièrement, l'Asie offre un contraste frappant avec l'Europe en ce qu'il n'y a que peu d'institutions dans cet environnement. Je ferai une analogie. Il y a l'APEC, l'organisation commerciale officielle, et une autre organisation qui s'appelle Conseil de coopération économique du Pacifique, le PECC, un réseau qui représente les intérêts commerciaux de la région. En ce qui concerne la sécurité en Asie, il existe ce qu'on appelle le Forum régional de l'ANASE, un organisme officiel, et, du côté officieux, un organisme analogue, si vous voulez, au PECC, vous avez ce que vous et moi appelons le Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique, le CSCAP. C'est un réseau d'experts, et chaque pays membre a formé un comité membre. C'est dans ce contexte que je coprésidais, avec Jack Austin, le comité du Canada. Prenons par exemple ce comité; il s'agissait d'un groupe d'universitaires et de fonctionnaires siégeant, si vous voulez, à titre individuel, d'experts faisant partie de groupes de réflexion, et de quelques élus, mais pas de représentants de la Chambre des communes. Nous participions aux travaux de ce Conseil en envoyant des experts compétents qui participaient à toutes sortes de réunions des comités de travail sur les enjeux actuels de la sécurité, un peu partout dans la région. Ce qu'il en est résulté : une ou deux choses. Premièrement, il a réalisé un peu la même chose que le PECC, puisqu'il a généré des échanges, ce qui a permis de mieux comprendre les intérêts de chaque nation relativement à différentes questions. Ça a été particulièrement utile, il y a cinq ou dix ans, environ, dans le cas de la Chine. Ça nous a permis de mieux saisir son orientation. Ça nous a permis aussi de faire participer d'autres pays de l'Asie du Sud-Est, qui étaient restés à l'écart, comme le Vietnam. On a parlé de façon générale de leur sécurité, et c'est ainsi qu'on les a amenés à participer aux échanges. À la fin des années 90, on a réussi à y faire participer la Corée du Nord, un résultat particulièrement utile. En fait, des représentants des groupes de réflexion de leur ministère des Affaires étrangères participaient régulièrement aux réunions. Disons-le carrément, c'est ainsi qu'ils ont appris comment leur pays était perçu dans le reste de la région. Ils ont pu aussi présenter leurs points de vue.

Je dirais que, en ce qui concerne la Corée du Nord en particulier, l'utilité relative de son engagement continu, parce qu'elle est toujours engagée, est beaucoup plus mince qu'avant. C'est en partie parce que les participants à cet organisme, à qui nous pouvions parler, n'avaient pas plus que nous d'informations sur les armes nucléaires que posséderait la Corée du Nord. On ne leur dira pas. J'aimerais vous donner une idée des efforts que nous déployons, que déploient les réseaux d'experts, ou des différents groupements pour favoriser une étude intelligente, la poursuite des échanges et la compréhension mutuelle.

Les relations entre les États-Unis et l'Asie, voilà un sujet intéressant. Je crois en effet que, quand nous pensons au Canada en Asie, nous nous demandons comment nous pouvons nous positionner de façon intelligente, compte tenu de la structure de gestion mise en place par les États-Unis en Asie, que l'on considère comme très importante. Il y a eu du changement. Depuis le 11 septembre, à coup sûr, les États-Unis accordent plus d'attention à ce qui se passe sur le continent. Ils voient les choses par rapport à l'Afghanistan, à l'Asie centrale et au Pakistan, fondamentalement. Vous voyez bien où ils construisent des bases, où ils stationnent leurs troupes, où ils dirigent leur attention. Ils se préoccupent maintenant beaucoup plus de l'Asie du Sud-Est. Ils se préoccupent encore de l'Asie du Nord-Est, mais ce qu'ils veulent, c'est que les joueurs de l'Asie du Nord-Est, comme le Japon ou, dans une certaine mesure, la Corée du Sud, interviennent dans différents dossiers. Les États-Unis ont laissé savoir qu'ils allaient se retirer de ces engagements, et le principal dilemme qui reste concerne Taiwan.

En Asie du Sud-Est, les États-Unis suscitent l'intérêt; le public, surtout, considère qu'ils mènent la guerre contre le terrorisme, et que celle-ci a des conséquences négatives plutôt que positives. Il ne faut surtout pas sous-estimer l'impact de la cause palestinienne dans la société musulmane de l'Asie du Sud-Est ni l'impact négatif de ce que les États-Unis ont accompli ou non en Iran. Le rôle du Canada ne doit pas se résumer à celui de clone des États-Unis, quand il est question des politiques. À long terme, nos intérêts sont probablement semblables, mais nous pourrions probablement faire la différence en agissant de façon intelligente dans certains dossiers. Il est peu probable qu'il s'agisse de militaires purs et durs sauf, peut-être, s'ils participent à la formation en matière de sécurité ou à des missions d'observation militaire ou encore, par exemple en cas de catastrophes exigeant une aide à court terme, comme au Timor oriental, ils assureront une faible présence sur le terrain.

À long terme, il faudra mettre en place des relations intelligentes avec les militaires et avec les leaders de ces régions et tenter, surtout dans les sociétés où la population islamique est importante, de favoriser la compréhension mutuelle et d'encourager, si l'on veut, la transition pacifique des gouvernements, et ainsi de suite. Notre dilemme, c'est quoi faire dans le cas de l'Asie du Sud. Nous n'avons pas passé beaucoup de temps dans cette région. L'Inde ne nous a pas adressé la parole depuis 1974, et nous l'intéressons toujours aussi peu. Le Pakistan est un problème épineux. Son gouvernement est instable et, comme M. Ross l'a laissé entendre, il suscite beaucoup d'inquiétudes.

Le Sri Lanka est un joueur important à nos yeux. En grande partie en raison de sa diaspora, mais, généralement, parce qu'il est capable de provoquer l'instabilité et d'attirer l'attention sur cette région. Si le processus de paix fait des progrès, nous pourrions, avec peu de moyens, jouer un rôle là-bas. Il pourrait s'agir encore une fois d'assurer la sécurité des frontières, de surveiller ou de jouer un rôle d'observateur militaire sous une forme quelconque.

Le sénateur Day : Pensez-vous que la Chine pourra jouer un rôle plus important à titre de force stabilisatrice dans larégion? Pensez-vous que nous pourrions collaborer avec elle ou pensez-vous qu'elle représente une menace potentielle?

M. Job : Je vais peut-être vous sembler désinvolte, mais cela n'a pas d'importance. Nous avons encore du travail à faire avec la Chine. Pour toutes sortes de motifs, ce n'est plus un joueur effacé, ni à l'échelle de la région, ni à l'échelle du monde. Nous devrons finir par l'accepter, comme nous avons fini par accepter de traiter avec la Russie, pendant la guerre froide. À cette époque, nous avons eu différents échanges importants pour le Canada, et nous n'avons pas traité avec la Russie comme les États-Unis le faisaient. C'est une comparaison utile. Ce que je veux dire par là, c'est que ce pays nous intéresse, nous avons avec lui des échanges commerciaux importants et, fait plus intéressant encore, si l'on pense même à court terme, les besoins énergétiques de la Chine seront dans un avenir prévisible l'un des principaux facteurs de la demande sur les marchés énergétiques mondiaux. On a déterminé que, dans la province de M. Banks, par exemple, leurs intérêts seront probablement très vifs. En même temps, les États-Unis, dont les besoins énergétiques sont toujours croissants, cherchent un approvisionnement stable et tournent les yeux vers le Nord. Cela nous place dans une situation très particulière, parce que nous devons trouver une manière de gérer les deux situations à l'échelle du continent, mais aussi, en ce qui concerne l'ensemble de la région, de gérer nos activités diplomatiques et notre économie.

Le sénateur Day : Tout cela est fascinant. Vous avez très bien réussi, en quelques minutes seulement, à expliquer une situation très complexe.

J'ai une autre question pour M. Ross, s'il nous reste du temps. Je sais qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. Je ne peux pas dire qu'il s'agit d'une courte question. C'est plutôt, encore une fois, un sujet complexe que vous voudrez prendre le temps d'expliquer. Si quelqu'un, après coup, a d'autres idées à soumettre, n'hésitez pas à communiquer avec nous; ce sont des dossiers importants que nous devons chercher à régler.

Monsieur Ross, je vais maintenant parler de la sécurité nationale. Selon la politique actuelle, le mandat de la Réserve consiste à aider les autorités civiles et à soutenir lesinterventions d'urgence; pourtant, les réservistes doivent toujours participer au concept de la force totale en fournissant parfois jusqu'à 25 p. 100, voire 35 p. 100 des troupes déployées. À la lumière de vos commentaires concernant l'importance de la sécurité nationale et le rôle prépondérant que le Canada pourrait jouer sur le continent nord-américain, pourriez-vous dire quel rôle une politique de défense nationale attribuerait à la Réserve?

M. Ross : J'aimerais revenir à la question que le sénateur Kenny a posée et qui concernait la façon de renforcer le soutien. Je crois qu'une Réserve étendue, bien distribuée sur le territoire et appuyée par les collectivités serait un élément tout à fait précieux, pour commencer. Le problème, c'est que chaque fois que le gouvernement examine la Défense, il ajoute toujours, il me semble : « Nous allons étendre la Réserve. » C'est une proposition qui revient souvent, elle n'est pour ainsi dire jamais suivie de mesures concrètes. Je soupçonne la Force régulière de mettre la main sur le financement en disant qu'il n'y a pas assez d'argent pour répondre à ses priorités, et de se battre bec et ongles pour obtenir plus de financement et de ressources pour elle-même. Il faudra que le système soit suffisamment financé pour que la Force régulière permette à la Réserve de s'étendre sans tuer dans l'œuf ces propositions de réforme. Si nous voulons un effectif plus important, plus de possibilités d'aide immédiate pour les autorités civiles, il me semble que les réservistes bien formés sont une bonne solution. Ça se fait mieux à court terme qu'à long terme, mais il ne faut pas que le quart des réservistes soit déployé pour aider la Force régulière à l'étranger. Ce n'est peut-être pas une bonne idée. Si vous voulez attirer des gens dans la Réserve, il faut dire clairement que le travail se fait de façon volontaire, jamais obligatoire, et qu'il est possible qu'ils soient appelés à effectuer leur service à l'étranger. C'est un problème. C'est une mesure très importante, et cela pourrait être une façon de mieux sensibiliser les collectivités au sujet de la sécurité internationale.

Le président : Excusez-moi, sénateur Day. M. Job doit nous quitter.

M. Job : Merci beaucoup.

Le président : Merci d'être venu, nous apprécions vraiment beaucoup votre contribution. J'aimerais maintenant que l'on poursuive.

Le sénateur Forrestall : Vous laissez entendre, dans le titre de votre document d'aujourd'hui, que vous allez nous entretenir de l'évolution des menaces. Je me demandais si je pouvais savoir pourquoi vous n'avez pas inclus les survivants d'un suicide parmi les menaces qui pourraient viser le Canada. Pourquoi n'en a-t-il pas été question? Je ne veux pas pousser la question plus loin, mais j'aimerais, après que vous aurez répondu à la question, que vous nous disiez si vous connaissez l'origine de cette menace, et de cette menace en particulier.

M. Ross : Vous avez dit survivants ou suicide?

Le sénateur Forrestall : Oui, le suicide, comme dans les attentats-suicides. Je voudrais que l'on oublie où ils sont perpétrés à l'heure actuelle, et je ne veux pas parler de l'Islam ou de quoi que ce soit, ceux qui viennent de la côte Ouest et qui observent l'Asie, pensez-vous qu'il s'agirait peut-être maintenant de l'Indonésie ou d'une faction semblable?

M. Ross : Je ne suis pas cela de près. En ce qui concerne l'étude des conflits internationaux, je dirai ceci : une de mes étudiantes vient de terminer une thèse sur le processus du Traité d'interdiction des mines antipersonnel, elle l'a soutenue hier avec succès. Elle allègue que, tout compte fait, c'est une étape importante dans la voie du droit humanitaire et que, de ce côté, on a vu émerger un nouveau consensus et une nouvelle norme. Pendant l'analyse et l'examen proprement dit, mes collègues du ministère ont soulevé la question qui s'imposait : il y a peut-être des progrès dans ce dossier, mais les attentats-suicides se poursuivent. On fait peut-être des progrès sur un front, mais sur l'autre, il y a tous ces meurtres. Est-ce que cela veut dire que la norme se désintègre sous nos yeux? Les attaques contre les populations civiles vont devenir de plus en plus acceptables, à coup sûr aux yeux des personnes qui se sentent opprimées. Je n'ai pas de statistiques sur le sujet.

Il y a quand même une bonne nouvelle; c'est que le nombre réel de guerres civiles diminue de façon notable depuis une décennie. La diminution semble assez constante. En fait, on respecte davantage le Traité d'interdiction des mines antipersonnel, et même les pays qui refusent de le signer, et en particulier les États-Unis, déclarent qu'ils essaieront d'y recourir moins souvent, de les limiter sur le plan géographique et, finalement, de ne plus en utiliser. C'est un progrès très important, et je suis optimiste quand à la possibilité que l'on puisse clore cet épisode douloureux.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, en particulier, il faudra cependant faire quelque chose dans le dossier Israël- Palestine pour passer à autre chose. Il faut une paix stable à l'échelle internationale, c'est une condition, si l'on veut réduire substantiellement l'animosité qui règne dans le monde islamique et que les organisations terroristes aient de plus en plus de difficulté à recruter des volontaires pour les attentats-suicides. Les jeunes hommes intelligents qui, aujourd'hui, vont en Irak pour se sacrifier ne sont pas des fous. Ils sont convaincus que l'on cause un tort énorme à la population palestinienne et, en fait, à l'ensemble du monde islamique. C'est un symptôme de la situation politique, et il faudra l'envisager en cherchant un compromis raisonnable, évidemment, comme vous le savez, ce sera très difficile à faire. On a convaincu les États-Unis, et c'est en partie à cause des gestes posés par Tony Blair et la diplomatie britannique, que c'était une question vraiment prioritaire. On peut accorder un bon point à la diplomatie britannique, en Irak et pour l'avenir. On peut peut-être se montrer optimiste dans ce dossier. Tout n'est pas entièrement noir.

En fait, quand on parle de l'Irak et de l'Afghanistan, il me semble que l'Irak arrivera plus facilement à la stabilité que l'Afghanistan, compte tenu des anciennes divisions, du niveau de scolarité beaucoup plus élevé et du fait que les Irakiens participent beaucoup plus à l'économie régionale. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

Le sénateur Forrestall : L'argent est aussi utile.

M. Ross : Oui, surtout l'argent.

Le sénateur Stollery : C'était une discussion très intéressante, je suis content d'avoir pu connaître l'opinion de nos témoins.

Monsieur Ross, j'ai pris connaissance d'un document que vous avez écrit, je crois; je l'ai dans mon dossier. On aborde cette question sous un angle légèrement différent. Vous écrivez en effet dans ce document que les principaux représentants et leaders politiques des États-Unis considèrent que, par son étendue géographique, le Canada représente une menace pour la société américaine, parce que sa politique sur les réfugiés est libérale et mal appliquée et que le pays est incapable de contrôler son territoire et ses côtes. Je ne veux pas en faire tout un plat, mais je m'intéresse aussi d'assez près au Mexique. Les patrouilleurs de la frontière américaine prétendent qu'ils interceptent une personne sur trois à la frontière de l'Arizona; ces données ont été publiées en septembre et couvrent 12 mois. En fait, évidemment, ils ne le savent pas. Ils ont intercepté 530 000 personnes à la frontière de l'Arizona, aux États-Unis. Si l'on en croit leurs données, environ un million de personnes auraient traversé cette frontière seulement. Est-ce que cela n'aurait pas des répercussions assez importantes sur leur sécurité, voire sur notre sécurité, parce que certaines de ces personnes pourraient décider de venir au Canada?

M. Ross : En effet, vous avez raison. Bon nombre de représentants du Canada ont dit avec raison, au fil des ans, que les États-Unis ne devraient pas tellement se plaindre de nous, de notre frontière commune ou de nos zones côtières, parce qu'ils ne peuvent s'occuper de leur frontière avec le Mexique. Ils ont évidemment apporté des améliorations; ils ont beaucoup investi dans ce domaine au cours des huit dernières années.

Le sénateur Stollery : Nous parlons de l'année dernière.

M. Ross : Il est beaucoup plus difficile aujourd'hui de traverser la frontière. Ils sont en train d'en faire un nouveau Mur de Berlin. Le volume d'acier, de ciment et de verre qui part des plages de San Diego — cette frontière sera presque impénétrable, et, là où elle ne le sera pas, il n'y aura qu'un désert où il est assez facile de trouver la mort, comme vous le savez. Mais cela ne les empêchera pas de penser, de toute façon, que nous représentons une menace plus grande que les Mexicains. Pourquoi? C'est parce que maintenant, nous avons une population musulmane assez importante.

Le sénateur Stollery : C'est la même chose au Mexique.

M. Ross : Certainement, mais on ne considère pas qu'ils sont susceptibles de traverser la frontière pour venir aux États-Unis. Ils ont probablement raison, et c'est ce qui cause leur angoisse. Tant qu'ils n'auront pas obligé tous les résidents canadiens et les citoyens canadiens à produire des pièces d'identité utilisant les empreintes digitales et des marques anthropométriques, ils n'auront jamais le sentiment d'être en sécurité à nos côtés. C'est une mesure qu'ils appliqueront; nous pouvons essayer de les faire changer d'idée pour diverses raisons. Si nous y arrivons, nous devrons leur fournir d'autres types de garanties. Ce que nous avons fait jusqu'ici, réforme de l'immigration, suivi des réfugiés, c'est loin de les satisfaire ou d'atténuer leurs inquiétudes. Ils continueront à nous montrer du doigt.

Le sénateur Stollery : Je sais que le temps passe, mais il me semble que l'on ne s'entend pas. Une poignée de personnes réussissent à entrer au Canada, et c'est difficile d'entrer ici, disons, par rapport aux millions de personnes qui, comme ils l'avouent eux-mêmes, entrent aux États-Unis. Comme vous le savez, les frontières entre les États-Unis et le Mexique, le Guatemala ou d'autres pays sont assez perméables et elles offrent aux terroristes la chance de se fondre dans d'autres groupes. Je répète que je ne veux pas m'éterniser sur le sujet, mais il y aurait peut-être une question à poser : si les 10 millions de Mexicains qui, selon leurs évaluations, sont entrés illégalement aux États-Unis, étaient restés au Mexique, à quel genre de pression le gouvernement mexicain ferait-il face? Autrement dit, il me semble que c'est un problème assez important, mais ce n'est peut-être pas le plus important aujourd'hui.

Le président : Vous avez résumé cette discussion à la perfection, sénateur Stollery, n'est-ce pas?

Monsieur Ross, c'était très gentil de votre part d'être venu. Nous avons trouvé que votre exposé était stimulant et utile, et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir ici. De toute évidence, nous avons bon nombre de préoccupations communes, et vous nous avez offert une aide précieuse pour nous y retrouver.

Chers collègues, nous accueillons maintenant le vice-amiral à la retraite Charles Thomas, qui a mené une longue et fructueuse carrière dans la Marine canadienne. Il a étudié au Royal Naval Engineering College, au Collège des Forces canadiennes, au Collège de la Défense nationale et il a reçu un MBA de l'Université Dalhousie. Il a joint les rangs de la Marineen 1954, à titre d'officier du génie puis, sur terre, à titre d'officier d'état-major dans le chantier naval. Il a été commandant en second du NCSM Preserver, et il a commandé le NCSM Fraser, le Groupe d'entraînement Pacifique puis la quatrième Escadre d'escorteurs. Il a ensuite été commandant de la Marine et vice-chef d'état-major de la Défense.

Nous accueillons aussi le vice-amiral à la retraite Nigel Brodeur. Il est entré dans la Marine canadienne en 1952, à titre d'aspirant de marine. Il a commandé le destroyer NCSM Terra Nova et la cinquième Escadre de destroyers du Canada, sur la côte Est. Il a été commandant du Centre de la Guerre navale des Forces canadiennes de Halifax. Il a été promu au rang de contre-amiral en 1980 puis directeur général, Doctrine et opérations maritimes.

En 1982, l'amiral Brodeur a été nommé sous-chef des Opérations, du renforcement et du réapprovisionnement sous les ordres du Commandant suprême allié de l'Atlantique de l'OTAN à Norfolk, en Virginie; il a été nommé en même temps chef d'état-major du Commandant en chef Ouest de l'Atlantique.

En 1985, il a été promu au rang de vice-amiral et est revenu à Ottawa, où il a été sous-chef d'état-major de la Défense jusqu'au moment où il a pris sa retraite, en juillet 1987.

Messieurs, le comité vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux que vous soyez ici avec nous. Vous avez donc tous les deux un court exposé à présenter.

Le vice-amiral (à la retraite) Nigel Brodeur, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de nous adresser à vous aujourd'hui. Cela fait de longues années que nous collaborons à quelques occasions. N'eût été des rapports que vous avez présentés, en particulier le rapport de 2005, nombre d'entre nous auraient perdu espoir il y a longtemps. Le travail que vous faites nous tient vraiment à cœur.

Les gouvernements canadiens ne semblent pas toujours saisir toutes les conséquences du fait que, tant qu'ils ne sont pas menacés par une guerre déclarée, les Canadiens restent très hésitants, voire même opposés, à l'idée d'abandonner leurs chers programmes sociaux pour financer la Défense.

C'est pourquoi, quand on promet aux Canadiens de leur donner les programmes qu'ils demandent, c'est un peu comme si on acceptait un désarmement éventuel, puisque cela signifie que les problèmes de la Défense seront réglés en fonction de leur popularité ou de l'opinion publique. Cette situation est absurde.

Je vais lire une citation de votre rapport de 2005 :

« Si les Canadiens avaient exigé que la sécurité nationale reçoive la même attention que celle accordée aux soins de santé ou à la réduction du déficit et de la dette, les forces armées n'auraient jamais fondu au rythme où cela s'est produit dans la dernière décennie du XXe siècle. »

Ceux qui s'opposent aux dépenses militaires ont toujours cherché à convaincre les Canadiens que ces dépenses nuisent à l'économie nationale. Mes recherches montrent que le financement de la Défense est une victime, non pas une cause, des problèmes financiers que connaît le Canada; que cette situation de victime a eu des répercussions négatives sur l'industrie canadienne et sur la réputation et l'influence du Canada à l'échelle internationale; et que la façon dont on finance la Défense nationale depuis trois décennies ne fonctionne plus, et qu'une nouvelle formule est nécessaire.

J'ai demandé que l'on vous distribue les graphiques qui accompagnent mon exposé pour une simple raison, c'est qu'ils offrent un exemple beaucoup plus simple que tout ce que je pourrais dire du sort de la Défense et de son financement.

Ce qu'il faut remarquer, à la Figure 1, c'est que le pourcentage qui correspond aux dépenses de la Défense sur le budget fédéral atteignait 21,9 p. 100 en 1960-1961, mais qu'il a rapidement décliné et n'est plus que de 8 p. 100. Dans les années suivantes, comme le montre la Figure 2, on a permis une augmentation des dépenses de la Défense, mais celles-ci n'ont jamais augmenté de façon suffisante pour prévenir l'usure qui commençait à se produire. En 1987, enfin, le livre blanc de la Défense, plusieurs rapports produits par des comités sénatoriaux et un rapport du Vérificateur général ont tous indiqué que les Forces canadiennes souffraient d'un grave problème de sous-financement. À cette époque, le livre blanc de la Défense, déposé par M. Perrin Beattie, et les améliorations du financement des programmes, envisagées dans ce livre, c'est-à-dire une augmentation de 2 p. 100 par année sur 15 ans du budget fédéral, nous ont laissé entrevoir la possibilité que l'on pourrait mettre un frein à l'usure.

Bien des gens pourraient dire qu'à cette époque on a versé un financement important et généreux, mais en fait, ça n'a pas été le cas. Vous voyez sur la Figure 4 que la diminution du pouvoir d'achat qui s'est produite au fil des ans a été telle qu'il a été inférieur, au cours des 11 dernières années de ce graphique, à son niveau de 1983 et 1984. Ce que cela veut dire, au fond, c'est qu'au cours des années suivantes il n'y a jamais eu assez de fonds pour mettre en œuvre les grands programmes de renouvellement de l'équipement qui devenaient nécessaires.

À la Figure 7, on compare les budgets réels de la défense et les budgets que l'on aurait obtenus si on avait suivi les recommandations du livre blanc de 1987, c'est-à-dire si l'on avait accordé l'augmentation de 2 p. 100 sur 15 ans. Voyez la zone entre la ligne supérieure de la Figure 7 et les colonnes; certains pourraient considérer qu'il s'agit d'une victoire pour les programmes sociaux, mais pour d'autres, c'est une défaite pour l'industrie canadienne et aussi un des principaux facteurs qui explique la réduction de 30 p. 100 de la capacité militaire du Canada et l'importante réduction de son effectif.

La Figure 8 compare les pourcentages du PIB consacrés à la défense par le Canada, l'ensemble des pays européens de l'OTAN et les États-Unis.

L'écart entre les dépenses moyennes en défense du Canada et des membres européens de l'OTAN a sans l'ombre d'un doute eu des répercussions négatives sur l'influence et la réputation du Canada à l'étranger. Les États-Unis, de leur côté, examinent les enjeux d'Amérique du Nord par la lentille de la sécurité nationale, y compris par exemple le commerce bilatéral, l'économie et la diplomatie. Plus les États-Unis auront l'impression que le Canada traîne à faire sa part, moins ils auront tendance à reconnaître les bonnes actions du Canada et moins ils seront prêts à se laisser influencer par les préférences ou les politiques canadiennes.

Tout ce que j'ai appris en faisant ces recherches m'a amené à conclure que la méthode traditionnelle d'attribution du budget de la Défense est terriblement boiteuse, et que les politiciens de tous les partis doivent prendre des mesures pour la corriger, et qu'ils devraient le faire sans attendre un soutien public populaire. Une solution, peut-être même la seule solution, consisterait à ne plus financer la Dépense à partir d'un budget discrétionnaire pour légiférer afin d'adopter une formule fixe.

La Figure 9 présente d'autres options pour le financement de la Défense. Vous voyez ici le budget réel de la Défense du Canada et un autre budget établi en fonction du pourcentage moyen des dépenses par rapport au PIB de l'Europe. Vous verrez un budget qui correspond à 10 p. 100 du budget fédéral total, puis un autre budget établi en fonction des pourcentages utilisés auxÉtats-Unis, qui serait clairement inabordable pour le Canada. Vous verrez qu'on peut raisonnablement comparer les chiffres qui visent les pays européens de l'OTAN et la proportionde 10 p. 100 que je vous recommande, honorables sénateurs.

Le sénateur Banks : Vice-amiral Brodeur, nos copies ne sont pas en couleur. Pourriez-vous nous dire s'il faut lire ces chiffres de gauche à droite?

Le vam Brodeur : Le budget de la Défense du Canada est à gauche. Vous avez ensuite un budget qui correspond à 10 p. 100 du budget fédéral total, ensuite, le budget de l'Europe puis celui des États-Unis.

Le sénateur Banks : Je vous remercie.

Le vam Brodeur : L'approche préférée, que l'on décrit à la Figure 9, consiste à légiférer pour que le budget de la Défense soit fixé à 10 p. 100 du budget fédéral total. On peut voir à la Figure 9A qu'on pourrait ainsi raisonnablement se comparer aux budgets de l'Europe. On répondrait ainsi aux préoccupations de l'OTAN et on respecterait les objectifs stratégiques du gouvernement, qui désire être un joueur sur l'échiquier mondial. De plus, les dépenses de la Défense seraient inférieures à ce que l'on envisageait dans le livre blanc de 1987 et c'est probablement une considération réaliste puisque la guerre froide a pris fin. En outre, c'est une formule souple qui permet de s'adapter rapidement, au cas où la situation financière du Canada changerait, et qui permet aux industries canadiennes de faire des plans en vue de participer aux programmes de biens d'investissement de la Défense. Fait plus important encore, c'est une formule qui serait facile à expliquer aux Canadiens, et qui devrait être acceptée sans problème.

Sur chaque dollar versé en impôts par les Canadiens, le gouvernement fédéral dépense sept cents pour la Défense; ce ne serait sûrement pas trop demander d'utiliser trois cents de plus pour restaurer l'industrie de la Défense du pays, contribuer à la sécurité internationale et retrouver le respect de nos alliés et de nos partenaires commerciaux.

Le vice-amiral (à la retraite) Charles Thomas, à titre personnel : Messieurs les sénateurs, c'est toujours un plaisir pour moi d'accompagner mon ami Nigel, parce qu'il parle toujours deux fois plus longtemps que la période qui nous a été impartie à tous deux, et je peux donc parler très peu.

Je n'ai pas d'observations officielles proprement dites à faire. Les personnes que vous avez entendues ici aujourd'hui m'ont laissé une très bonne impression, elles ont eu raison sur tous les points. Les deux professeurs qui étaient ici un peu plus tôt n'ont oublié que deux choses. La première, c'est l'Arctique, dont il n'a pas été question, et la seconde, c'est l'eau. Si on me permet de donner au gouvernement du Canada un seul conseil en matière de sécurité, ce serait de faire de l'eau une marchandise.

Le sénateur Banks : Nous perdrons, si nous faisons de l'eau une marchandise.

Le vam Thomas : Nous perdrons si nous ne le faisons pas. Si nous en faisons une marchandise, son prix augmentera à mesure qu'elle deviendra plus rare.

Quoi qu'il en soit, je voulais vous entretenir de choses militaires. Nous savons qu'il y a un manque d'équipement et d'argent, et que le pouvoir d'achat diminue. Il ne faut pas oublier que derrière tout cet équipement, il y a des personnes — des personnes fatiguées depuis longtemps, des personnes qui courent des risques qu'elles ne devraient pas courir depuis longtemps. Selon les informations que l'on me transmet, elles sont fatiguées de tout cela, et elles perdent foi en leur leadership. Elles mettent certainement en doute les déclarations sur un avenir meilleur, parce que ce sont des personnes intelligentes et elles savent compter. Les leaders militaires et leur gouvernement vivront certainement des moments très difficiles au cours de la prochaine décennie si les personnes qui les servent, dans les forces armées, perdent foi en leur leadership et ne font plus confiance aux personnes qui ont le pouvoir de les envoyer à la guerre. Une implosion organisationnelle de ce type n'est pas très loin.

C'est pourquoi le travail de votre comité est essentiel. Il vaau-delà des chiffres, au-delà des déficits évidents du budget de la Défense et de la façon dont on dépense ce budget. C'est une partie du tissu de notre nation, et il est en péril. Le gouvernement devrait vérifier où il met les pieds.

Le vice-président : Merci, amiral. C'est très gentil d'y penser.

Le sénateur Meighen : Merci d'être venus, messieurs.

Comme vous l'avez tous remarqué, tous nos rapports font l'unanimité. Tous les membres de notre comité sont sur la même longueur d'onde que vous. Les exposés des professeurs m'ont, moi aussi, beaucoup impressionné aujourd'hui. Je n'ai pas toujours l'impression que les universitaires connaissent bien les réalités du monde politique, mais je crois qu'à plusieurs égards, ils les connaissaient en fait bien.

Le sénateur Kenny a mentionné que notre tâche semble être — et, jusqu'ici, la réponse nous échappe — de faire comprendre au public canadien ce que vous avez dit, ce qu'on dit les professeurs, de lui faire comprendre pourquoi nous croyons certaines choses nécessaires à la préservation du tissu de notre pays.

Plus je vous écoute, plus je suis convaincu que la solution se trouve dans le leadership, qu'il faut que quelqu'un prenne le taureau par les cornes — si l'on croit que c'est un taureau — et explique au public pourquoi le gouvernement prend certaines décisions. Il faut que quelqu'un fasse un pas en avant et prenne ces décisions, à défaut de quoi nous ne réussirons pas. Si nous plions toujours devant les sondages, tout ce que vous avez défendu et tout ce que nous avons suggéré tombera dans l'oubli. Les personnes à qui l'on a confié la responsabilité de prendre des décisions doivent, sur ces questions du moins, être un peu en avance sur la masse.

Vice-amiral Thomas, vous pourriez peut-être me donner quelques explications sur un problème particulier que nous avons eu. Nous avons souvent l'impression que les membres actifs des Forces canadiennes qui se présentent ici à titre de témoins ne donnent pas des réponses franches et complètes. Nous comprenons qu'il y a certains sujets dont ils n'ont vraiment pas à traiter. Ils n'ont pas à formuler une opinion sur les décisions du gouvernement. Toutefois, nous pensons qu'ils nous cachent certaines choses, et cela est toujours frustrant. Ils n'ont pas à nous donner une opinion, mais ils devraient au moins nous donner les faits.

On m'a dit que les contraintes avec lesquelles nos autorités militaires supérieures devaient composer étaient différentes de celles de leurs homologues des États-Unis et du Royaume-Uni. Toutefois, je n'ai pas été capable de savoir exactement en quoi elles étaient différentes. Pourriez-vous, par des anecdotes ou autrement, nous donner un peu plus de renseignements sur le sujet et nous expliquer le problème?

Le vam Thomas : Dans leur fonctionnement, nos officiers doivent tenir compte d'un ensemble de contraintes différentes de celles auxquelles obéissent les Américains, en fait et en droit. En public, nos officiers représentent le ministre, et leurs opinions doivent refléter celles du ministre.

J'ai moi-même été menacé de la Cour martiale. Ce qui est arrivé, c'est que ma cause était plus facilement défendable en droit; on a donc abandonné les poursuites.

Certains ministres veulent que le message passe. Quand je dirigeais la Marine, et jusqu'au milieu de mon affectation au commandement maritime, environ, les ministres étaient M. Beattie et puis M. Bill McKnight. Pendant deux ans, j'ai prononcé un discours, quelque part au pays, tous les trois jours. Certains de mes collègues n'approuvaient pas, mais le cabinet du ministre est resté silencieux. Si le ministre n'est pas du même avis, ces personnes sont en effet réduites au silence.

Aux États-Unis, les officiers qui sont convoqués par des comités du Congrès ou du Sénat le sont en qualité d'expert et s'expriment à titre de professionnel. C'est une différence fondamentale.

Le sénateur Meighen : En théorie et en pratique, donc, un haut gradé de l'armée américaine ne pourrait pas, s'il était au Canada, dire par exemple : « Je crois qu'il faut être fou pour acheter un hélicoptère Sikorsky. Moi, j'aurais acheté un Cormorant. »

Le vam Thomas : Je suis convaincu que c'est vrai. Toutefois, si vous demandez à un officier des États-Unis de dire si le Sikorsky possède bien telle capacité et un autre hélicoptère, telle autre capacité, il vous dira la vérité.

J'ai suivi les audiences de votre comité, et je me demande si cette réticence ne va pas un peu trop loin. Est-ce que les gens ont oublié ce qu'était un niveau de soutien normal parce que cela fait trop longtemps que la pénurie dure? J'ai de la difficulté à croire qu'un commandant de la Force aérienne pourrait affirmer : « Sur les 32 Hercules que nous possédons, de sept à 12 sont en état de voler, c'est correct. » Je peux vous garantir que les gens qui travaillent sur ces Hercules ne pensent pas que cela est correct, et qu'ils se demandent de quelle planète il vient.

À mon avis, l'application des règlements canadiens a fait que nos principaux dirigeants n'ont plus de crédibilité auprès des personnes qui travaillent pour eux et qu'ils sont supposés mener à la guerre. C'est une situation délétère.

D'un autre côté, le rapport annuel présenté par votre dernier témoin, l'autre jour, précisait qu'il devait s'arranger avec 135 millions de dollars en moins. Vous avez entendu dire, hier, qu'ils sont obligés d'utiliser des pièces de rechange d'un autre navire, parce que les stocks nationaux sont trop bas.

J'ai trouvé que ce rapport était explicite, et vos questions montrent clairement que vous avez fait la même constatation. J'aimerais aussi qu'il y ait un changement radical, mais tout revient, comme vous le laissez entendre, au leadership national. Cette absence est regrettable,

Le sénateur Meighen : Vice-amiral Brodeur, je soutiens sans réserve votre objectif. Mais, franchement, je crois que, sur le plan politique, il serait très difficile de convaincre quiconque d'accepter un pourcentage fixe établi par la loi. Que faites-vous des autres dépenses fédérales? Faites-vous la même chose pour les soins de santé, l'éducation postsecondaire et les autres domaines prioritaires?

Je ne crois pas que cela soit possible. Il est clair que notre financement est inacceptable et que nous devons l'augmenter. Si j'ai bien compris vos commentaires, vous considérez que le Livre blanc de 1994 était un bon document, et que, s'il est tombé dans l'oubli, c'est que le financement n'était pas adéquat?

Le vam Brodeur : Je ne parlais pas du Livre blanc de 1994, je parlais du Livre blanc de 1987.

Le sénateur Meighen : Je suis désolé.

Le vam Brodeur : En fait, le financement a bel et bien diminué.

Pour revenir à votre mot d'introduction, le leadership, c'est la solution. Ce ne sera peut-être pas 10 p. 100, mais il faut légiférer, parce que l'on ne réussira pas à changer l'opinion du public en ce qui concerne le financement.

Le sénateur Meighen : Vous n'avez pas besoin de légiférer, bien sûr, pour le faire, mais il faudra quand même que le Conseil prenne un décret. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l'on serait avisé de légiférer, pour que 10 p. 100 du PIB soit consacré à la Défense, de la même manière que l'on légifère pour empêcher les budgets déficitaires. Je crois cependant qu'on serait avisé de faire preuve de leadership pour que les dépenses se rapprochent des niveaux que vous suggérez.

Vice-amiral Brodeur, il existe à Colorado Springs un groupe de planification binational qui fait jusqu'ici du très bon travail, et qui a un net penchant pour la marine À votre avis, est-ce que l'on devrait et est-ce que l'on pourrait étendre le NORAD aux opérations maritimes?

Le vam Brodeur : J'ai vu ce que vous dites à ce sujet dans votre rapport. Pour parler franchement, je ne peux pas donner un avis d'expert sur le sujet. Je n'ai jamais été au NORAD. Je travaillais pour les Commandants suprêmes alliés de l'Atlantique, le SACLANT, quand on mettait sur pied un processus de collaboration très étroite avec le NORAD. Je ne sais pas si on pourrait y arriver, simplement en étendant le NORAD aux domaines dont vous avez parlé, ou s'il faut collaborer étroitement, mais il faudra utiliser l'un ou l'autre mécanisme, c'est nécessaire,

Le sénateur Meighen : Vous connaissez très bien tous les deux la Marine. Je pense qu'on peut sans se tromper affirmer que notre Marine a toujours considéré qu'elle était responsable des eaux océaniques et du principal théâtre des opérations; Pensez-vous que la Marine doit avoir la responsabilité des eaux côtières ou que cette responsabilité devrait plutôt revenir à une Garde côtière canadienne réorganisée, ou peut-être même à une Garde côtière armée?

Le vam Thomas : Les responsabilités de la Marine commencent là où commence l'océan. Je ne savais pas que l'on avait défini des zones en fonction du nombre de brasses qui nous séparent du fond. Nous avons la responsabilité d'assurer la sécurité du gouvernement, point à la ligne.

Nous avons beaucoup parlé, ici, des obstacles qui nous empêchent de nous reprendre en main et de trouver du financement. La Garde côtière n'est qu'un obstacle de plus. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de parler d'armer la Garde côtière. Elle ne peut pas faire ce qu'elle devrait pouvoir faire, et elle manque de financement depuis plus longtemps que la Marine. Ce n'est pas nouveau, c'est un sujet qui est revenu maintes et maintes fois sur le tapis.

Je ne donnerais pas cette responsabilité à la Garde côtière. Elle ne pourrait pas l'assumer, elle n'a pas l'argent nécessaire. Nous devrions plutôt conserver notre Marine et lui faire faire le travail que nous voulons qu'elle fasse.

Le sénateur Meighen : Donc, à partir des zones côtières?

Le vam Thomas : Tout à fait. Et à partir de là, vous l'amenez où vous voulez, quel que soit le motif. Je ne lis pas très bien l'avenir, et je ne connais personne qui en soit capable. Vous devez concevoir un outil le plus souple possible que le gouvernement pourra utiliser en toutes circonstances, peu importe ce que l'avenir nous réserve, et vous devez l'avoir conçu avant qu'il se passe quelque chose, parce qu'il ne sera plus temps de le faire à ce moment-là.

Le sénateur Meighen : Êtes-vous du même avis, vice-amiral Brodeur?

Le vam Brodeur : Oui. La Garde côtière exécute des fonctions que la Marine n'est pas en mesure d'exécuter. Je pense par exemple à l'aide à la navigation, à la délivrance de permis, et à d'autres aspects.

Le sénateur Meighen : Qu'en est-il de la contrebande de stupéfiants?

Le vam Brodeur : C'est vous qui coordonnez ce dossier.

Le vam Thomas : Ce sont aussi nos enfants. S'il y a contrebande de stupéfiants et que vous voulez que nous attrapions les contrebandiers, nous allons le faire.

Le vam Brodeur : L'hypothèse selon laquelle vous réunissez deux hommes qui meurent de faim et qu'ils auront tous les deux assez à manger est une hypothèse erronée. La Garde côtière a un rôle à jouer, elle est loin d'avoir l'équipement nécessaire pour aller en haute mer. Il n'y a d'ailleurs aucune loi en ce sens, comme il y en a aux États-Unis. Notre Garde côtière ne possède pas d'énormes navires garde-côtes. Comme le bon Dieu a béni notre pays en lui donnant deux océans, les deux pires qui soient, l'Atlantique-Nord et le Pacifique-Nord, nos vaisseaux doivent être en mesure de s'éloigner, et ne peuvent pas se contenter de rester dans les eaux côtières.

Si vous devez choisir entre les deux, je serais d'accord avec le vice-amiral Thomas pour dire que vous devez choisir la Marine. Par contre, je crois que nous devrions conserver les deux, nous aurons tous deux bientôt fort à faire pour assumer nos rôles actuels et exécuter nos missions, mais il faudra coordonner très étroitement.

Le sénateur Meighen : Savez-vous si d'autres États garantissent, de la manière dont vous proposez de le faire, qu'un certain pourcentage du PIB soit affecté à la défense nationale?

Le vam Brodeur : Non, mais peut-être qu'ils apprendront à le faire.

Le vice-président : J'ai entendu un jour un commandant de la marine russe qui disait que le budget était équivalent à leurs besoins.

L'Arctique est un sujet qui me préoccupe beaucoup. J'ai défendu avec acharnement la proposition d'assurer la présence permanente du Canada dans l'Arctique en bâtissant le Polar 7 ou le Polar 8 — un vaisseau doté d'un tribunal canadien, d'un détachement de la GRC, d'une bibliothèque et d'équipement pour le diagnostic clinique; un vaisseau dont les Russes, les Danois et toutes les personnes qui voudraient travailler dans l'Arctique à des fins scientifiques ou pacifiques pourraient constater la présence, ce qui ne laisserait aucun doute sur notre souveraineté.

Il en est encore une fois question. Je vois qu'un de nos navires travaille près des côtes du Labrador.

J'aimerais connaître votre opinion sur notre souveraineté dans l'Arctique. Qu'est-ce que nous défendons?

Le vam Thomas : Je crois que lorsque l'on a laissé tomber le livre blanc de M. Beattie, le Canada a aussi laissé tomber toute prétention à la souveraineté dans l'Arctique, à laquelle il était en train de donner forme. Si nous avions des idées de mettre en service ces sous-marins nucléaires, nous pourrions assurer la surveillance de l'Arctique et des côtes avoisinantes, ce qui est nécessaire quand on a ce type de prétention. Je ne crois pas que c'est par hasard que le New York Times ne parle jamais de l'archipel canadien, mais qu'il parle plutôt de l'archipel qui se trouve au nord du Canada.

C'est peut-être à cause de la politique énergétique continentale que l'on ne parle plus de cette question; peut-être que cette politique permettra l'accès aux ressources de l'Arctique, peut-être qu'il faudra les acheter sur les marchés boursiers. Toutefois, je crois que nos prétentions à la souveraineté sont menacées, parce que nous n'avons rien fait depuis 20 ans, et que la situation ne pourra pas s'améliorer rapidement. Nous n'envoyons pas régulièrement des brise- glace en Arctique. Et même si le climat se réchauffait et que le passage du Nord-Ouest était ouvert, il sera quand même fermé à certaines périodes de l'année, et nous ne serons pas capables d'y aller. Il y a depuis longtemps des sous-marins dans l'Arctique, mais ce ne sont pas des sous-marins canadiens.

Un officier naval canadien, qui était le spécialiste des glaces dans le second sous-marin nucléaire des États-Unis, m'a transmis des renseignements sans classification. Il avait emprunté 20 fois le passage du Nord-Ouest. Comme bien des officiers navals de cette époque, il tenait un journal. Quand nous avons mené notre étude sur les sous-marins nucléaires, ce journal a été une mine de renseignements. L'officier était vieux, mais il avait l'esprit vif, et son journal nous raconte cette expérience, heure après heure.

Au fond, c'est surtout une question de leadership; nous n'en avons pas, je ne sais pas pourquoi. Dieu sait quelles richesses inexploitées on pourrait trouver là-bas. Nous connaissons l'existence des puits de pétrole obturés, nous savons qu'il y a du gaz sous l'île Cornwallis, nous savons qu'il y a des diamants. Qui pourrait dire ce qu'il y a d'autre? Tout le monde s'y intéresse, sauf nous, semble-t-il.

Le vice-président : Je ne suis pas tellement sûr de cela. J'ai l'impression qu'il reste peut-être certains documents à publier.

Le vam Thomas : Nous ne nous sommes pas montrés assez fermes. Nous n'avons pas produit l'équipement qui nous permettrait de faire notre travail.

Le sénateur Day : Pourriez-vous nous parler du rôle que l'on devrait réserver, à votre avis, à la Marine canadienne dans la prochaine politique de défense? Nous essayons de dresser un plan directeur. Pourriez-vous nous dire, en adoptant le point de vue de la Marine, quels seraient les principaux dossiers que l'on devrait confier à la Marine en ce qui concerne la sécurité du Canada?

Le vam Brodeur : Je vais demander au vice-amiral Thomas de répondre à cette question. Mais si vous prenez connaissance des livres blancs de la défense, des rapports de votre comité et des rapports du Comité de la défense de la Chambre des communes, en remontant assez loin, vous ne pourrez que conclure que, lorsqu'il est question des rôles, des missions, et de toutes ces belles choses, vous parlez en vain tant que le financement n'est pas fourni et garanti. Ce problème est pour moi plus important que tous les autres.

Le vam Thomas : Lorsque j'étais commandant de la Marine, ce qui m'irritait réellement, c'était que les anciens, qui n'avaient rien fait alors qu'ils étaient responsables, disaient maintenant à l'amiral responsable comment il fallait faire. Ça m'irrite encore aujourd'hui. Les gens qui dirigent la Marine aujourd'hui sont aussi bons qu'il est possible de le devenir. Ils sont au fait des réalités, des menaces et des besoins. On peut se fier à leurs conseils. Il est évident que nous devons remplacer le pétrolier ravitailleur d'escadre et que le navire de remplacement devra avoir les capacités étendues dont nous avons parlé. Il est évident que le prochain bâtiment de combat de surface sera en retard, mais qu'il doit comprendre des systèmes de commandement, de contrôle et de défense aérienne, et qu'il faudra en plus, probablement, y ajouter une frégate. Le concept qu'ils vous ont présenté est tout à fait juste, et je ne crois pas qu'on puisse trouver quelque chose de mieux.

Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'argent pour faire cela. Malgré l'enthousiasme dont on a fait preuve après le budget, ce n'est pas suffisant, parce que nous n'avons toujours pas retrouvé le pouvoir d'achat que nous avions il y a dix ans. À mon avis, il n'y a pas lieu de remettre en question la qualité des conseils que l'on vous donne ou des plans d'avenir que l'on vous soumet maintenant. Le problème, c'est que l'on ne sait pas si les ressources nécessaires à la réalisation de toutes ces bonnes idées seront accessibles.

Le vam Brodeur : Lorsque je travaillais avec levice-amiral Thomas sur la frégate de patrouille canadienne, l'Union soviétique était sur le point d'éclater. On aurait eu le droit de remettre en question les capacités de combat que nous avions dans ces vaisseaux parce que, après tout, les Soviétiques ne représentaient plus une menace.

L'amiral Summers a utilisé les équipements auxquels nous donnait accès ce nouveau programme et les a installés sur les vaisseaux qu'il a positionnés dans le Golfe. S'il y a une leçon en à tirer, c'est que, quelle que soit l'armée que vous mettez sur pied, elle doit être capable de mener des combats modernes. On ne sait jamais de quel côté on nous attaquera, il faut donc disposer de capacités modernes.

Je vous prie de ne jamais oublier cela, messieurs, quelles que soient les recommandations des planificateurs.

Le sénateur Day : J'apprécie vos commentaires, quand vous dites que vous devez avoir de l'argent pour faire ce qu'il y a à faire. Toutefois, nous entendons répéter, par le pouvoir exécutif du gouvernement, qu'il faut un plan avant d'obtenir du financement. Nous essayons de mettre au point un plan que nous saurons défendre, et nous demanderons à des personnes comme vous de nous aider à le mettre au point.

Vice-amiral Thomas, vous avez mentionné que nous devrions pouvoir nous fier aux informations et aux avis donnés par des gens en uniforme. Nous avons parfois l'impression que les conseils qu'ils nous donnent tiennent compte du montant d'argent qu'ils ont à leur disposition; on aimerait au contraire qu'ils nous disent quels seront les besoins du Canada pour l'avenir et qu'ils nous demandent un financement correspondant.

Le vam Thomas : Je vais vous expliquer comment je m'y suis pris lorsque nous avons mis en œuvre le programme des frégates. Nous avons d'abord évalué combien d'argent on pourrait obtenir, à partir de plusieurs sources, et ce qu'on avait déjà en main. Nous avons essayé de déterminer ce qu'il était possible d'acheter, selon différentes combinaisons, selon les différents budgets. Nous avons présenté toutes ces combinaisons aux gens de la recherche opérationnelle, et nous avons simulé des confrontations militaires, d'une combinaison contre l'autre, et nous avons produit ainsi un ensemble de courbes qui nous indiquaient la meilleure combinaison possible selon le budget. Lorsque nous sommes allés défendre notre proposition, à notre ministère d'abord, puis au gouvernement, toute la collectivité des chercheurs nous appuyait; c'est que nous avions fait nos devoirs.

Vous constaterez que les personnes qui vous proposent, pour remplacer les pétroliers ravitailleurs d'escadre, un vaisseau unique qui jouera plusieurs rôles, ont fait leurs devoirs. La question est la suivante : quand et combien?

Si vous disposiez de 50 milliards de dollars pour acheter de l'équipement naval, vous ne demanderiez pas un porte- avion de catégorie Lincoln. Cela ne correspond pas aux tâches et aux rôles que le gouvernement a donnés à la Marine. Il ne faut pas prendre pour point de départ les idées les plus saugrenues de certains amiraux qui veulent une augmentation de salaire. Il doit faire les tâches que lui a données le gouvernement.

Le problème, au Canada, c'est qu'il n'y a jamais eu de débat sur les affaires extérieures ou sur la défense parce que, en toute franchise, le centre a peur de ce type de débat. Si nous pouvions avoir un débat de fond sur la défense, nous pourrions apprendre que de nombreux Canadiens sont résolument du bon côté.

Les gens de l'industrie de la télévision m'ont dit que l'une des stratégies les plus efficaces pour susciter une réponse consisterait à jouer sur le sentiment de fierté des Canadiens; il n'est peut-être pas aussi visible qu'aux États-Unis, mais il existe, il est manifeste et réel.

Le sénateur Day : Cela fait vendre de la bière.

Le vam Thomas : De toute évidence.

Le sénateur Day : Nous avons demandé à un haut gradé de la Marine ce qu'il pensait de la possibilité que la Marine assume les responsabilités qui reviennent maintenant à la Garde côtière, en ce qui concerne les interceptions ou le soutien à la GRC et à Citoyenneté et Immigration Canada pour la défense des côtes. Il était tout à fait contre cette idée. À son avis, la Marine est une force qui s'applique en haute mer, et la défense des côtes devrait revenir à une autre entité.

Je ne sais pas si, honnêtement, son opinion était fondée sur une politique, ou s'il ne se demandait tout simplement pas si on allait lui donner de nouvelles responsabilités, sans le budget correspondant. Nous devrions aller voir de plus près pour connaître la vérité.

Le vam Brodeur : Il y a peut-être une autre raison. Quand vous êtes un militaire, vous êtes le dernier recours d'une nation. Vous devez donc être en mesure d'exécuter les tâches les plus difficiles. Si vous ne le pouvez pas, vous perdrez, au bout du compte. Il pensait certainement que le travail en haute mer, dans les eaux océaniques, comme disent certaines personnes, est le travail le plus difficile.

L'histoire a montré, dans les deux guerres mondiales et la guerre de Corée, que quand notre nation doit envoyer des forces à l'étranger, elle envoie toujours d'abord ses forces navales. Il accepte donc l'inévitable, c'est-à-dire qu'on lui demandera d'exécuter un travail très difficile et que l'équipement permet seulement d'exécuter ce travail très difficile, mais qu'il n'y a plus rien pour faire ce qu'il y a à faire sur le littoral.

Le sénateur Day : Nous devons donc choisir en fonction de l'équipement et du financement accessibles, plutôt qu'en nous appuyant sur une orientation stratégique éclairée.

Le vam Thomas : C'est tout à fait cela. Je ne veux pas contester trop violemment ce que dit mon ami, mais la plupart des officiers de la Marine, depuis la Deuxième Guerre mondiale, sont probablement terrifiés à l'idée que la Garde côtière soit intégrée à la Marine, parce que c'est elle qui obtiendra tout le financement. On a réalisé quatre grandes études sur le sujet, et elles sont d'assez belle facture. Le problème, c'est qu'il n'y a aucun financement correspondant.

Le sénateur Day : M. Ross, que nous venons d'entendre, a dit que la défense de la nation et la défense des côtes étaient des éléments très importants des politiques futures du Canada, et que les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent étaient aussi importants.

Êtes-vous satisfait de la façon dont la Marine a organisé les choses, c'est-à-dire que l'équipage des navires de défense côtière est formé surtout de réservistes, et que c'est leur tâche principale, avec la formation? Est-ce une bonne façon de procéder que de toujours confier ce rôle aux réservistes?

Le vam Thomas : C'est moi qui en ai eu l'idée, alors oui, je crois que c'est une bonne idée.

Le vam Brodeur : Je suis d'accord.

Le vam Thomas : La Réserve et les navires de défense côtière ont pour tâche de cartographier le fond de l'océan, le long des côtes du pays. Alors, quand vous vous posez des questions à propos des mines, il n'y a qu'à examiner les différences physiques. Une mine est à peu près aussi volumineuse qu'une Volkswagen; on doit la remarquer, au fond de l'océan.

Une entreprise de Vancouver produit la technologie nécessaire. La Réserve fait très bien ce travail, et il est pertinent.

Je crois que vos deux témoins précédents parlaient de quelque chose de plus important que le largage de mines. La défense antimissile n'est pas pour moi une priorité. Je n'aime pas la façon dont nous abordons cette question; je crois que l'on s'est montré trop dur, et sans raison. Quoi qu'il en soit, à l'idée que tous ces porte-conteneurs, ou même les navires de tramping puissent transporter des bombes nucléaires de la taille d'une valise, je suis vraiment pris d'épouvante. Je sais que cela existe, et je ne crois pas qu'on exerce un contrôle suffisant.

Il y a un immense aspect de la sécurité qui n'a rien à voir avec les vaisseaux de défense côtière. Vos deux témoins précédents avaient raison.

Le sénateur Day : J'aimerais que vous me parliez des navires de défense côtière, de ce qu'ils pourraient faire en plus de rechercher des mines, par exemple arraisonner des navires ennemis le long de nos côtes, assurer un soutien à la GRC ou encore au ministère de l'Immigration. Ils reçoivent déjà une formation en matière d'arraisonnement, ils ont donc les pouvoirs nécessaires, en plus de chercher des mines.

Le vam Brodeur : C'est sûr; il faut s'y attendre. Leur rôle principal, le rôle pour lequel ils ont été conçus, comme l'a dit le vam Thomas, concerne tous les aspects des contre-mesures qui s'appliquent aux mines. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont rien d'autre à faire, s'ils ne trouvent pas de mine. Ils ont un travail à faire. Ils peuvent servir à la formation. Leur vitesse et leur tenue de mer sont limitées, mais ils peuvent aider d'autres ministères, et l'ont déjà fait sans aucun problème.

Le vam Thomas : Dans le dernier document de la défense, on parlait de doter le Canada de petites frégates rapides. Mais il est impossible de concevoir un vaisseau qui soit petit, capable de se déplacer rapidement, pour nos océans. Vous pouvez lui donner un moteur puissant, mais il ne restera plus de place pour quoi que ce soit d'autre. Si vous bâtissez un navire suffisamment petit, qui fend les vagues, il brisera. Si vous voulez filer le long des Grands Bancs ou le long de la côte est de l'île de Vancouver, vous devez avoir un navire assez imposant. On peut utiliser les navires de défense côtière près des côtes, quand il faut arraisonner un autre navire, ou quoi que ce soit, mais il ne faut pas non plus se leurrer. Il est impossible qu'un petit navire peu coûteux s'éloigne des Grands Bancs ou de Cape Scott. Les ingénieurs maritimes vous diront en détail pourquoi c'est impossible. Si vous voulez évoluer sur nos océans, il faut un navire de taille et de capacité importantes.

Le vice-président : Je suis d'accord. Il n'a pas été conçu pour faire ce dont nous venons de parler. Il a été conçu pour un autre travail, et il l'accomplit de façon extraordinaire.

Le vam Brodeur : On a beaucoup parlé du concept de « nombreux petits bâtiments ». La dernière fois qu'il en a été question, en 1982-1983, j'ai dû défendre le programme des frégates contre ce concept. Ce qu'a dit le vam Thomas est correct. Nous ne devrions pas oublier que, pendant la Seconde Guerre mondiale, nous avons commencé avec une Corvette de 200 pieds. Ensuite, nous avons dû passer à la Corvette allongée et, enfin, à la frégate de la Seconde Guerre mondiale, de 300 pieds, et nous n'étions toujours pas en mesure d'être à la fois rapides et efficaces au combat. Il faut respecter des dimensions minimales, et la frégate de patrouille canadienne nous sert assez bien.

Le vice-président : Quelles sont ses dimensions?

Le vam Thomas : 400 pieds.

Le sénateur Day : Vous parliez de 300 pieds.

Le vam Brodeur : Trois cents pieds, ce n'est pas suffisant. Nous sommes ensuite passés au DDH 205, de 360 pieds. Aujourd'hui, nous sommes à plus de 400 pieds.

Le vam Thomas : J'ai consacré 15 ans de ma vie au programme des frégates de façon plus intense que ne l'aurait souhaité ma famille, mais je n'ai jamais pris la mer sur l'une d'elles. J'ai démissionné environ 10 jours avant qu'elles ne soient livrées. Ça a pris tout ce temps-là.

Le sénateur Day : Neuf des 12 frégates ont été construites dans ma ville natale. L'amiral Summers et moi-même étions là pour le baptême de l'une d'elles.

Le sénateur Stollery : J'ai vu l'une de ces corvettes en 1942. Je n'en revenais pas de leur petite taille. Ces navires étaient minuscules.

Le sénateur Banks : Nous avons tous déjà connu les frustrations liées au fait de recevoir des réponses différentes de la part des personnes qui doivent effectuer le travail et de celles qui sont à Ottawa.

Vous avez été respectivement vice-chef et sous-chefd'état-major de la Défense. Vous avez abordé le droit,vice-amiral Thomas. En tant que parfait amateur, j'estime que le meilleur moyen de résoudre le problème serait de diviser, sur le plan institutionnel et physique, le Quartier général des Forces armées canadiennes de celui de la Défense nationale, et que les officiers supérieurs ne devraient pas faire office de sous-ministres dans la bureaucratie.

Est-ce la solution au problème?

Le vam Brodeur : En 1979, lorsque je suis arrivé au Quartier général à titre de Directeur — Besoins en ressources maritimes, les hauts fonctionnaires civils au ministère avaient tous été dans l'armée. Ils soutenaient cette dernière ardemment et la comprenaient très bien. À l'époque, je n'aurais pas préconisé de séparation, car ces messieurs connaissent non seulement la chanson, mais aussi les paroles. Nous qui avons servi dans les forces navales ou terrestres ne connaissons pas nécessairement les paroles qui vont rallier Ottawa à notre cause, mais ensemble nous pouvons gagner la bataille.

Au fil du temps, les choses ont changé. Je m'en remets au vice-amiral Thomas, car il m'a suivi sur ce chemin.

Le vam Thomas : C'est un grand sujet de débat entre les officiers militaires, et bon nombre d'entre eux ne sont pas d'accord avec moi. Je ne crois pas que le problème réside dans le fait qu'ils servent au même quartier général, ni qu'ils font partie de la même organisation. Je ne crois pas que le gouvernement accepte plus ou moins facilement qu'un officier supérieur critique de façon abjecte sa manière de mener ses affaires devant votre comité, tout simplement parce qu'il assume un rôle purement militaire et ne participe pas à la gestion des Forces armées canadiennes au Quartier général.

En outre, dans cette ville byzantine où nous nous battons pour obtenir les approbations requises auprès du gouvernement, la plupart des officiers militaires seraient complètement démunis sans l'aide des hauts fonctionnaires civils. L'union prendrait fin. Ce n'est pas pour rien que l'émission Yes, Minister est populaire : c'est parce qu'elle dépeint la réalité.

Je ne crois pas qu'il y ait un réel avantage à séparer le Quartier général militaire du Quartier général de la Défense nationale. À mon avis, ce n'est pas le fait qu'ils soient réunis qui pose un problème. Là où le bât blesse, c'est qu'il n'y a pas assez d'argent. C'est la source du problème. Lorsqu'il n'y a pas assez d'argent, ça nous ronge et nous mène à des conflits internes.

Le sénateur Banks : Au cours d'audiences publiques officielles, nous avons demandé à des officiers militaires s'ils estimaient disposer de suffisamment d'argent; ils ont répondu ne pas en avoir besoin de plus, car ils n'arriveraient pas à tout dépenser s'ils en avaient beaucoup plus.

Le vam Thomas : Ils mentent impunément et devraient être licenciés. C'est faux, et toute personne avec un brin d'intelligence le sait bien. S'ils pensent vraiment ce qu'ils disent, ils ne devraient pas faire ce travail. Leurs réponses sont probablement moins directes que cela, mais elles ne devraient pas l'être. Il y a pire, au Canada, que d'être licencié à 54 ans et d'avoir à jouer au golf tous les jours.

Si l'État décide qu'il peut se passer de gens trop honnêtes et trop intelligents, ceux-ci se débrouilleront probablement très bien sans lui, et ce sera non pas eux qui y perdront à ce jeu, mais la nation. D'après mon expérience, la menace du licenciement n'est pas réelle.

Le hic, c'est qu'il doit rester des gens compétents pour diriger l'organisation. On ne peut licencier tous les bons éléments rien que parce qu'ils sont francs.

Le sénateur Banks : Vous parlez d'une loi, et aucun de nous ne voudrait que les officiers militaires supérieurs contreviennent à la loi. Vous ai-je donc mal compris?

Le vam Thomas : Non. Le sous-ministre m'a effectivement averti : « Vous ne devrez rien dire qui puisse être interprété comme une critique à l'endroit de la politique du gouvernement. » Le jour où je n'ai pas respecté cette consigne au cours d'un point de presse de deux heures et demi, le juge-avocat général m'attendait à mon bureau pour m'annoncer que j'allais passer en cour martiale.

Le sénateur Banks : Nous avons déjà fait face à ce genre de situation lorsque nous devions obtenir des réponses. Je dois dire que, à mon avis, les choses se sont beaucoup améliorées depuis un certain temps. Si nous ne pouvons pas poser auxpersonnes concernées les bonnes questions pour bien faire notre travail et qu'elles ne peuvent nous répondre franchement, vers qui devons-nous nous tourner?

Le vam Thomas : Je vous ai soumis un document à ce sujet, monsieur. À mon avis, vous devriez convoquer la dernière personne à avoir occupé le poste tout de suite après sa retraite, lui demander de prêter serment et lui poser toutes les mêmes questions. Cette personne n'aura pas besoin des dossiers. En ayant prêté serment, elle ne sera plus liée par le secret professionnel ou d'autres facteurs contraignants. Seule ombre au tableau : cet expert-conseil risque de ne pas avoir la faveur populaire, mais il me semble que cela importe peu.

Le vam Brodeur : Les documents que je vous ai présentés contenaient des renseignements que vous pouviez soumettre à vos témoins pour leur demander : « Cela est-il exact? Est-ce vrai? » J'espère qu'ils vous ont été utiles.

Le vice-président : Au nom de mes collègues et en mon propre nom, je tiens à vous remercier grandement des exposés et témoignages que vous avez fournis au fil des ans.

Lorsque j'étais député, un ministre de la Défense nationale a traité un grand marin de traître, alors que l'amiral en question n'avait absolument rien fait de mal. Cela a établi un mur que personne ne devait franchir pendant toutes mes années à la Chambre des communes.

Merci encore à vous deux.

C'est avec plaisir que je souhaite la bienvenue au contre-amiral Robert Yanow, retraité, qui a commencé sa carrière navale à bord de dragueurs de mines et de frégates. Il a assumé divers postes de commandement et a servi outre-mer, en Irlande du Nord et sur divers croiseurs et destroyers britanniques et australiens en activité à Singapour. Il est diplômé du Collège d'état-major des Forces canadiennes et du Collège de la Défense nationale à Kingston. Il a été Commandant des Forces maritimes du Pacifique et Commandant, Région du Pacifique, de mai 1984 jusqu'à sa retraite en 1987.

Depuis qu'il a pris sa retraite des Forces armées canadiennes après 36 ans de service, il a consacré beaucoup de temps à l'expansion du Mouvement des cadets de la Marine.

Je vous souhaite la bienvenue. Veuillez commencer.

Le contre-amiral (à la retraite) Robert Yanow, Ligue navale du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner l'occasion de parler au nom de la Ligue navale du Canada. J'étais en uniforme en 1945 et le suis resté jusqu'à ma retraite en 1987. Je n'ai toutefois reçu aucune médaille pour mon service durant la guerre à titre de cadet de la Marine.

L'organisation des cadets de la Marine était vraiment formidable. Elle m'a permis de faire beaucoup de choses que je n'aurais normalement pas pu faire. Elle m'a offert une carrière et une éducation civique canadienne et m'a montré l'importance de la confiance et de la loyauté. C'est un programme hors pair pour les jeunes Canadiens qui devrait recevoir votre soutien. Si vous avez quelques deniers à distribuer, j'espère que vous en ferez profiter cette organisation.

La Ligue navale du Canada s'est présentée pour la première fois devant votre comité en 2003 en la personne du vice- amiral Garnett, qui a souligné l'importance d'établir une politique nationale de sécurité maritime et de renforcer l'interopérabilité entre les divers ministères et organismes chargés d'assurer la sécurité maritime.

Bien sûr, la défense et la sécurité revêtent une plus grande importance depuis les événements du 11 septembre. Je tiens à remercier votre comité de ses excellents rapports relatifs aux affaires maritimes, notamment votre rapport de 2005 intitulé « Manuel de sécurité du Canada », dans lequel vous résumez bien les réactions du gouvernement face aux enjeux que les travaux de votre comité ont permis de cerner.

Nous sommes heureux de voir que le gouvernement a tenu compte de certaines de vos recommandations et les a appliquées, ce que les autres gouvernements n'avaient pas fait. Espérons que cet intérêt ne s'estompe pas, comme cela s'est souvent produit dans le passé.

Dans le contexte de la sécurité maritime, nous nous réjouissons de la mise en place de la politique nationale de sécurité et de l'annonce relative à l'établissement des centres d'opérations de la sécurité maritime sur chaque côte. Selon la Ligue navale, pour assurer une bonne sécurité maritime, il faut savoir exactement ce qui se passe dans toutes les eaux canadiennes, y compris dans l'Arctique. Pour nous, la sécurité maritime se traduit par le commandement et le contrôle complets de nos zones de responsabilité maritimes. L'établissement de centres d'opérations de la sécurité maritime est une première étape cruciale vers la réalisation de cet objectif.

Toutefois, l'utilité de ces centres dépend de l'information qu'ils obtiennent et des outils dont ils disposent pour intervenir au besoin. Nous sommes aussi préoccupés que vous par la capacité de renseignement et de surveillance de notre pays. La mise en place du radar haute fréquence à ondes de surface nous aidera à mieux surveiller nos côtes. Nous ne devons pas néanmoins nous limiter aux zones principales d'approche vers notre pays, car les terroristes savent bien exploiter les points faibles. Nous devons assurer une surveillance radar de tout le territoire maritime si nous voulons vraiment dissuader toute intrusion. Bien sûr, c'est tout un contrat.

En ce qui a trait à la surveillance aérienne, il semble que nous n'ayons pas encore fait beaucoup de progrès en ce qui a trait à l'utilisation de véhicules aériens télépilotés. Même si nous reconnaissons qu'on a tout de même avancé grâce à des projets comme l'expérience de renseignement, de surveillance et de reconnaissance sur le littoral atlantique, nous estimons que le ministère n'a pas reçu suffisamment de ressources ou de pouvoirs pour arriver à tirer parti de la technologie des véhicules aériens télépilotés.

Nous sommes d'accord avec votre recommandation : nous devons effectivement renforcer nos capacités humaines en matière de renseignement. Nous sommes heureux de constater que la réserve navale a présenté en 2004 ses premiers diplômés à titre d'agents du renseignement. Voilà une excellente occasion de renforcer le rôle des réserves navales dans le domaine de la sécurité maritime et portuaire. Comme elles se trouvent près des grands ports canadiens, les unités de réserve devraient selon toute logique agir en cette qualité et faire partie des opérations du cadre de sécurité de nos ports et de nos centres d'opérations de la sécurité maritime.

Nous recommandons au comité d'envisager la possibilité d'intégrer ces ressources humaines du renseignement à la mise en place de radars de surface, d'une surveillance aérienne renforcée — y compris l'utilisation accrue de satellites — et de radiophares répondeurs à bord de navires dans le but de satisfaire à la première exigence : savoir qui utilise nos eaux.

Deuxième critère : exercer un contrôle absolu de nos eaux, ce qui exige des navires. La Ligue navale et d'autres organisations de défense sont préoccupées par le délabrement de nos flottes gouvernementales, de même que par le processus d'approvisionnement dysfonctionnel qui nuit à la bonne gestion du cycle de vie et amène les contribuables canadiens à débourser de plus en plus d'argent pour de moins en moins de capacités. On a constaté que la durée de vie d'un navire de guerre est d'environ 20 ans. Après cela, il entraîne trop de coûts de maintenance et des mises à niveau onéreuses de ses systèmes de propulsion et de ses capteurs. Celles-ci nous donnent faussement l'impression de réaliser des économies, ce qui nous empêche, au bout du compte, de fournir un équipement adéquat aux hommes et aux femmes de notre Marine.

Le gouvernement doit adopter un cycle de planification à long terme, peut-être de 20 ans, pour l'approvisionnement en vaisseaux de nos flottes gouvernementales. Cette démarche garantira le renouvellement continu de notre flotte tout en évitant aux contribuables de mauvaises surprises comme l'affectation de milliards de dollars au remplacement de vieux navires. Elle nous aidera aussi à stabiliser notre industrie de la construction navale et à stopper le cycle d'expansion massive suivie d'un déclin que nos chantiers de construction navale ont connu depuis les six dernières décennies.

Nos quatre destroyers de défense aérienne ont maintenant 30 ans, et seulement trois d'entre eux sont opérationnels. Nos frégates auront bientôt 10 à 15 ans et feront bientôt l'objet d'importantes mises à niveau qui les garderont opérationnelles pendant encore 10 à 15 ans. Notre priorité immédiate : établir une stratégie d'approvisionnement à long terme sensée. En remplaçant les 12 frégates et les quatre destroyers par 16 nouveaux navires de la même catégorie, on réduira les coûts à long terme associés à la gestion des flottes et, de façon importante, les coûts en personnel. Les progrès accomplis dans le domaine de la conception navale nous permettront de mettre à l'eau des navires avec un équipage réduit de plus de moitié. En ayant le plus rapidement possible de nouveaux navires fonctionnels, nous réaliserons des économies et aiderons à réduire les pénuries de personnel qui touchent la Marine.

Nous avons également besoin de patrouilleurs du large ou, comme les désigne la Garde côtière, de patrouilleurs côtiers, lesquels se situent entre les navires moins performants et les frégates et destroyers de pointe. Ces vaisseaux permettront de réduire la forte demande imposée à la Marine pour le soutien d'autres ministères. On pourrait construire ces patrouilleurs côtiers en fonction d'un concept modulaire et d'une charge utile qui serait adaptée à la mission assignée — par exemple, surveillance des pêches, recherche et sauvetage, nettoyage de déversements de pétrole, et application de la loi dans le domaine des douanes et de l'immigration. Lorsqu'il faudra y ajouter des armes, on pourra mettre sur pied une équipe navale chargée de fournir l'expertise et le soutien requis.

Il suffit de jeter un coup d'œil aux besoins de nos flottes gouvernementales pour saisir l'importance d'établir un plan d'approvisionnement à long terme. La tâche d'approvisionnement et de gestion du cycle de vie paraît énorme, et le prix associé au remplacement semble trop élevé. C'est néanmoins le cas seulement si nous emboîtons le pas aux gouvernements précédents en suivant leurs pratiques d'approvisionnement spécial. Le gouvernement trouvera qu'il est beaucoup plus facile de planifier à long terme des dépenses de quelques millions de dollars par année que de justifier un seul gros achat de plusieurs milliards de dollars. Le processus d'approvisionnement repose trop sur la politicaillerie, sans compter qu'il est trop aléatoire et trop dispendieux. Nous n'avons qu'à penser au programme d'hélicoptères pour nous en convaincre.

Dernière question que j'aimerais aborder : les politiques. Nous sommes impatients de connaître les résultats de l'examen interne des politiques du gouvernement et espérons qu'on aura amplement l'occasion d'obtenir la rétroaction du public. Nous avons souligné l'importance d'établir une nouvelle politique de défense fondée sur une nouvelle politique étrangère. Dans notre mémoire de 2003, nous avons souligné ce point en tenant pour acquis que ce serait bientôt fait. Deux ans plus tard, nous attendons toujours l'examen en question.

Cela dit, nous reconnaissons que la politique nationale de sécurité est déjà en place, première étape positive vers la formulation d'une vision stratégique à long terme qui permettra aux planificateurs de la défense d'établir la structure des Forces et l'équipement requis pour répondre aux obligations définies.

Nous sommes préoccupés par l'opinion selon laquelle le Canada n'a besoin que d'une armée, et que la Marine et les forces aériennes, si on décide qu'elles ont leur place, devraient servir uniquement à transporter l'Armée. Nous devons établir une structure des Forces équilibrée, qui permettra aux trois services de travailler ensemble de manière plus efficiente — et ce, si nous voulons répondre à toutes nos préoccupations en matière de sécurité. Il importe de noter que la Marine a toujours été la première à intervenir en cas de crises internationales, et qu'elle seule peut protéger nos territoires maritimes. Nous devrons avoir les mêmes capacités que le groupe de travail canadien en ce qui a trait à nos eaux territoriales si nous voulons circonscrire efficacement, aux côtés des Forces américaines, les menaces pour la sécurité de notre pays aussi bien sur la côte Est que sur la côte Ouest.

La sécurité maritime du Canada continue de préoccuper grandement les États-Unis, ce qui compromet le maintien de frontières ouvertes entre nous et notre plus grand partenaire commercial : comme nous savons à quel point ça coûte cher une frontière fermée ou bloquée, nous pouvons avoir une bonne idée des coûts qu'entraînerait la fermeture de nos principaux ports en raison d'une attaque terroriste.

Nous devons prendre la sécurité portuaire maritime au sérieux. Et comme vous le savez, 85 p. 100 de notre commerce international avec d'autres pays que les États-Unis s'effectue par bateau. Nous devons garder nos eaux libres et garantir la sécurité de nos côtes si nous voulons continuer de participer à l'économie mondiale.

Au cours des 110 ans de notre histoire, les bénévoles de la Ligue navale du Canada ont servi de tout cœur notre pays en travaillant au programme des cadets et au soutien de la Marine et de la marine marchande — surtout en temps de guerre — et en adoptant une approche fondée sur la collaboration et la coopération avec le gouvernement en vue de répondre aux nombreux enjeux maritimes qui risquent de déséquilibrer notre nation.

Nous tenons à vous remercier, honorables sénateurs, de nous donner l'occasion de porter ces points en matière de sécurité à votre attention. Nous tenons aussi à vous remercier de votre très bon travail au nom du public canadien.

Le vice-président : Merci.

Le sénateur Day : Merci beaucoup de vos commentaires. Vous avez abordé très succinctement beaucoup de points importants.

Vous vous êtes penchés sur la question d'une politique d'approvisionnement à long terme. Vous avez précisé qu'on pourrait ainsi éviter les mauvaises surprises qui, comme vous l'avez dit, rendent les politiciens anxieux.

Pourriez-vous élaborer au sujet des moyens à prendre pour éviter ce genre de mauvaises surprises?

Le cam Yanow : Cela n'a pas été fait dans mon temps, mais nous devons intégrer la politique internationale et la politique de défense. Il me semble que, pour l'instant, ces deux politiques sont tout à fait distinctes. La politique de défense suit la politique étrangère. Une fois que nous aurons établi la politique étrangère, nous pourrons déterminer la mission que nous voulons assigner à notre armée. Selon toute logique, on devrait ensuite établir un plan d'approvisionnement, mais pas avant que ces deux politiques ne soient bien coordonnées.

Le sénateur Day : Savez-vous si d'autres pays ont établi des moyens novateurs de financer de nouvelles acquisitions? Nous avons appris que les Américains pourraient avoir un léger surplus de navires de classe San Antonio, de sorte qu'on a entrepris des discussions visant à louer au lieu d'acheter. Je sais que certains aéronefs et navires sont assortis d'un contrat de maintenance.

Êtes-vous au courant de moyens novateurs qu'on aurait utilisés en vue d'éviter les mauvaises surprises, de permettre à la Marine d'obtenir l'équipement et la plate-forme dont elle a besoin sans avoir à tout débourser d'un seul coup, ainsi que d'obtenir tous les gens requis pour leur entretien?

Le cam Yanow : C'est une question complexe. Je connais le programme San Antonio. Je crois qu'ils construisent 12 navires, mais ne peuvent en doter que 11 pour l'instant, de sorte qu'un autre pays pourrait en louer un ou deux.

Toutefois, je ne crois pas qu'il y ait des moyens novateurs de faire cela. Nos forces ne disposent pas des fonds requis pour maintenir leur capacité pendant si longtemps, maintenant que nous sommes arrivés à un stade très critique. Nous avons besoin d'argent pour redevenir opérationnels.

En ce moment, nous ne faisons que réagir aux urgences : nous recollons les morceaux cassés au mieux. Ce n'est pas une bonne façon de faire les choses. Cela nous ramène à la source du problème : notre politique étrangère n'est pas coordonnée avec notre politique de défense.

Je ne crois pas qu'il y ait un moyen de faire cela de façon novatrice tout en conservant trois services qui s'efforcent de coopérer et de coordonner efficacement les opérations.

Le sénateur Day : Nous reconnaissons tous que les fonds sont insuffisants, mais nous essayons de formuler pour l'avenir une politique qui tienne compte du rôle de la Marine sans être uniquement orientée sur le financement passé. Nous devons être assez réalistes, mais nous aimerions déterminer nos besoins sans que tout tourne autour de l'argent.

Je communique régulièrement avec l'unité de réserve dans la région de Saint John, au Nouveau-Brunswick, ma ville natale. Elle a établi un protocole de coopération et d'entente avec la Garde côtière. Les deux parties ont chacune un bâtiment dans la même région. Elles utilisent le même quai et partent souvent ensemble patrouiller non seulement dans les ports, mais aussi le long de la côte.

À votre avis, pourrions-nous assurer la sécurité côtière de cette façon à l'avenir?

Le cam Yanow : On peut sans aucun doute réunir la Marine et la Garde côtière, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Les compétences enseignées aux militaires ne sont pas les mêmes que celles enseignées aux membres de la Garde côtière.Ces derniers temps, nous avons beaucoup puisé dans notre réserve. Nous devons plus souvent y recourir que dans les années 60 et 70, et même qu'au début des années 80, car nous avons très peu de personnel.

Le sénateur Day : Est-ce un problème de recrutement?

Le cam Yanow : Effectivement, mais c'est aussi lié à l'image que nous projetons. Nous nous présentons maintenant à une autre catégorie de gens.

Lorsque je me suis enrôlé dans la Marine, il suffisait pour y entrer d'avoir été à l'école jusqu'à la sixième année, tout au plus la huitième. Si quelqu'un avait fait sa huitième année, on estimait qu'il avait reçu une assez bonne éducation. À l'époque, nous maniions des amarres, des ancres et des câbles. C'était une véritable vocation de marin. En ce temps-là, les navires n'étaient même pas munis de systèmes analogiques.

Il a fallu à la Marine beaucoup de temps pour se doter d'un personnel technique compétent, qui sache utiliser le matériel informatique. Nous avons passé des périodes très difficiles, comme le sénateur Forrestall doit probablement se rappeler. Nous avons augmenté le niveau de scolarité de nos marins, qui devaient désormais étudier jusqu'à la onzième année en mathématiques et en physique pour être en mesure d'utiliser nos capteurs.

Cette transition ne s'est pas faite facilement et a entraîné beaucoup de coûts pour la Marine, et bon nombre de jeunes ont décroché. De nos jours, les jeunes ont tous atteints la onzième ou la douzième année et ont souvent fait des études universitaires en mathématiques et en physique. Ils n'ont pas besoin de faire la file au centre de recrutement pour entrer dans la Marine, l'Armée ou les forces aériennes; les jeunes d'aujourd'hui ont plus d'options que jamais.

Nous devons établir une stratégie pour nous présenter aux jeunes de façon à leur donner le goût de s'enrôler dans la Marine, l'Armée ou les forces aériennes.

Le sénateur Day : Supposons que nous arrivions à recruter suffisamment de membres pour les forces régulières sans avoir à puiser dans la réserve navale, celle-ci pourrait-elle servir à autre chose qu'à alimenter les forces navales régulières? La Garde côtière assume certains rôles de soutien pour d'autres ministères, par exemple le ministère de l'Immigration.

Vous avez parlé de patrouilleurs côtiers. Si vous aviez la bonne plate-forme, envisageriez-vous un tel rôle pour la Marine ou la réserve navale?

Le cam Yanow : La Garde côtière pourrait patrouiller au large. Comme vous le savez, la Garde côtière des États- Unis possède un patrouilleur de haute mer et exerce le pouvoir d'immobiliser les navires, de les arraisonner et de procéder ensuite à des arrestations. Nous devons bien nous préparer pour ce genre d'opération. Si c'est la Marine qui s'en charge, elle doit prendre avec elle un agent de la GRC. S'ils travaillent en collaboration avec le ministère de l'Immigration, ils doivent amener avec eux un agent de l'Immigration. La même chose s'applique à la Garde côtière.

Aux États-Unis, tout ça est en grande partie intégré pour que le tout soit effectué par une force cohésive. Par conséquent, la Marine fait ce qu'elle doit faire, c'est-à-dire répondre aux menaces externes. Nous avons toujours tenu pour acquis qu'elle défend avant tout le Canada et l'Amérique du Nord, et ensuite les autres endroits. Ces trois éléments s'inscrivent dans notre politique de défense, et je dois avouer que je suis tout à fait d'accord avec ça.

Je ne crois pas que nos réservistes soient suffisants pour faire fonctionner les patrouilleurs de haute mer, effectuer les tâches associées aux navires de classe Kingston, c'est-à-dire celles liées au dragage des mines — ce qui représente leur principale fonction — , et aussi alimenter les forces régulières. Ce serait beaucoup trop leur demander.

C'est une très bonne question, envisagée sous un autre angle. Nous n'avons pas bien traité nos réservistes. Vous vous rappelez peut-être la manière dont on a traité les réservistes volontaires durant la Deuxième Guerre mondiale, même s'ils assumaient la plupart des rôles de la Marine canadienne. Mais passons, car c'est une autre histoire.

Je ne crois pas que nos réservistes soient très bien traités. Nous ne leur offrons pas beaucoup d'avantages. Ils ne peuvent servir à titre de réserviste pendant une période prolongée. Ils n'ont pas droit à une pension. Les employeurs ne sont pas tenus de les rétablir au poste qu'ils occupaient avant de partir en mission pendant un mois ou deux pour le Canada. Les Américains ont pris certaines mesures à cet égard.

On a de la difficulté à maintenir les gens dans les forces de réserve, car ils ne veulent pas servir une organisation qui se désintéresse d'eux, et je ne peux les blâmer. Si nous pouvions améliorer leurs modalités de service et leur situation au travail, nous aurions beaucoup plus de réservistes au pays. En outre, ils feraient la promotion des Forces dans toutes nos collectivités. Le message passera mieux s'il vient d'un jeune voisin, au lieu d'un amiral qui présente un exposé.

La question des réservistes est critique. Elle doit être étudiée par des gens qui tiennent vraiment à ces réservistes et veulent leur offrir de bons avantages.

Le sénateur Day : Merci de vos réponses. Chacune soulève un certain nombre de questions qui devront faire l'objet de discussions.

Le sénateur Meighen : Je vous souhaite la bienvenue,contre-amiral Yanow. Je ne crois pas que vous ayez abordé la question, très d'actualité, de l'interopérabilité entre notre Marine et celle des États-Unis. La Marine est le secteur de nos Forces qui est allé le plus loin à ce chapitre.

Selon vous, est-ce vraiment important d'intégrer nos opérations à celles de la Marine américaine? Le cas échéant, dans quelle mesure cela limite-t-il notre capacité de veiller à nos propres intérêts nationaux?

Le cam Yanow : Je répondrai par un exemple personnel. Lorsque je suis arrivé ici en 1984 à titre de Commandant des Forces maritimes du Pacifique, je n'ai pas eu grand-chose à faire pendant les deux premiers mois. Toute l'action se passait sur la côte Est. Tout au long de ma carrière, je n'ai jamais demandé à servir sur la côte Ouest, car toute l'action se passait à Halifax.

À cette époque, M. Beattie était ministre de la Défense nationale. Je suis parti avec mon groupe opérationnel voir le Commandant en chef du Pacifique à Hawaii, mon supérieur en vertu du partenariat pour la défense de l'Amérique du Nord. Je lui ai dit qu'il ne m'avait pas donné suffisamment de tâches ni de soutien dans la région où les Canadiens exercent leurs pouvoirs sous son commandement. Je lui ai fait savoir que j'avais assisté à sa séance d'information au cours de laquelle il avait mentionné tous les pays du Pacifique sauf le Canada.

Nous étions d'assez bons amis, mais il s'est fâché, m'a demandé de m'en aller et de revenir le lendemain matin. Entre temps, il s'est informé et, lorsque je suis revenu le lendemain matin, il m'a dit qu'il me soutiendrait dans mes efforts en vue d'entreprendre une étude sur la défense canadienne dans le Pacifique. Il a reconnu que ce que j'avais dit était vrai. Il a ajouté qu'il mettrait toutes ses ressources à ma disposition, que je pouvais lui poser toute les questions que je voulais et que j'obtiendrais tout l'appui voulu. Il a précisé que, une fois mon étude terminée, il m'accompagnerait partout au Canada ou ailleurs si je le voulais pour m'aider à en présenter les résultats.

Pendant toute ma carrière navale, nous avons travaillé plus étroitement avec les gens de la Marine américaine qu'avec ceux de la Marine britannique. Dès que nous leur demandions quoi que ce soit, ils nous le fournissaient sans problème, en toute gracieuseté. Ils ne m'ont jamais rien demandé en retour. Ils étaient tout simplement heureux de le faire. Ils étaient contents qu'on collabore avec eux.

Lorsque la crise cubaine s'est déclenchée, c'est l'amiral Dyer qui a envoyé les navires dans leur zone de patrouille de guerre, car le premier ministre n'arrivait pas à décider quoi faire.

Nous collaborons étroitement avec la Marine américaine. Ce qui est arrivé dans le cas de la défense anti-missile ne nous aide pas, car cela divise des gens qui ont toujours travaillé de concert.

Vous savez probablement que notre commodore commandait le groupe opérationnel déployé dans le Golfe. En fait, il a assumé des fonctions que les Américains ne permettraient normalement à personne d'autre d'assumer. Nous nous fions aux États-Unis et collaborons étroitement avec eux, et, dans une certaine mesure, ils aiment ça et veulent nous voir à leurs côtés.

Le sénateur Meighen : Est-ce que cela nous empêche dans une certaine mesure de répondre à nos propres besoins?

Le cam Yanow : Pas du tout. Au contraire, lorsque notre Marine doit travailler de concert avec la Marine américaine, cela ne fait que la renforcer.

Le sénateur Meighen : Vous avez participé activement au programme des cadets de la Marine. Je ne crois pas que nous ayons beaucoup discuté du mouvement des cadets — dans l'Armée, la Marine ou les forces aériennes. Le voyez- vous comme un exercice de citoyenneté ou un outil de recrutement, ou encore comme les deux?

Le cam Yanow : Je ne le vois pas du tout comme un outil de recrutement. Nous essayons de former les cadets pour qu'ils acquièrent certaines compétences, que ce soit les communications, la voile, la capacité de faire partie d'un corps de musique ou la cuisine, en plus de leur donner une éducation civique canadienne. Nous essayons de les former et de leur apprendre, une fois qu'ils ont acquis la confiance nécessaire, à commander un petit groupe et à prendre leur vie en main, bref toutes ces choses qu'il faut inculquer aux jeunes pour en faire de bons citoyens canadiens. C'est notre rôle.

Le sénateur Meighen : Est-ce un exercice qui coûte cher? De quel budget tire-t-on les fonds nécessaires?

Le cam Yanow : Ils proviennent du budget militaire du MDN.

Le sénateur Meighen : Est-ce que les coûts sont élevés?

Le cam Yanow : Pas du tout, même si cela a déjà été le cas. À l'époque où j'étais un cadet de la Marine à Saskatoon, notre corps à lui seul comptait 600 cadets, en plus de ceux dans l'Armée et les forces aériennes. Nous avons déjà eu un grand nombre de cadets, et cela entraînait beaucoup de dépenses, entre autres pour les uniformes. Lorsque j'étais un cadet, je suis allé au camp des cadets de la Marine au Lac des Deux-Montagnes, près de Montréal. Certains jeunes sont allés à Cornwallis pour y suivre une formation poussée. Nous avons vu du pays et nous avons rencontré d'autres gens. C'était une expérience merveilleuse.

Le sénateur Meighen : À votre avis, les sous-marins sont-ils essentiels dans une marine moderne? Nous avons acheté dessous-marins au diesel. Dans quelle mesure sont-ils utiles pour les opérations dans le Grand Nord? Ils ne peuvent apparemment pas rester sous la glace aussi longtemps que les sous-marins nucléaires, mais peuvent-ils y rester assez longtemps pour qu'on puisse effectuer une patrouille adéquate?

Le cam Yanow : Je ne crois pas. Les sous-marins au diesel ne sont pas faits pour aller sous la glace. Si nous en modifions la technologie, ce serait possible au moyen de piles longue durée. Toutefois, je ne le recommanderais pas. C'est le rôle d'unsous-marin nucléaire.

Vous avez déjà entendu les vice-amiraux Brodeur et Thomas parler de l'examen de la défense effectué en 1986 en vue de l'achat de 12 sous-marins nucléaires. La question a suscité de vives discussions.

Je dois admettre que, même si je suis un officier des navires de surface, j'étais en faveur de cet achat, car ces véhicules étaient les plus polyvalents qui soient en cas d'offensive ou pour nous permettre de protéger toutes nos eaux de l'Est, de l'Ouest et de l'Arctique. Ces engins étaient vraiment multifonctionnels, à presque tous égards. La diplomatie de la canonnière est délaissée depuis longtemps. Je préférerais de beaucoup lessous-marins aux vaisseaux de surface.

Le sénateur Banks : Merci d'être ici parmi nous. Vous avez parlé de la renaissance des chantiers de construction navale. Nous avons écouté vos arguments, et nous nous attendions à entendre les deux côtés de la médaille, mais il semble qu'il ait près de 11 côtés à cette chose.

Veuillez répondre à l'argument suivant : si nous avions les ressources financières requises, nous devrions essayer d'en avoir plus pour notre argent en achetant le plus de navires possible — peut-être modulaires, soit un navire qui peut faire différentes choses —, dans la mesure où ils sont bien construits et où nous pourrons en assurer la maintenance ici et y installer la technologie dont nous avons besoin; bref, nous devrions acheter tout l'acier que nous pouvons.

Le cam Yanow : Voulez-vous dire que nous devrionsfaire assembler les différentes pièces du navire à l'étranger, ouparlez-vous uniquement des systèmes et des capteurs?

Le sénateur Banks : Je crois qu'il faudrait fabriquer les systèmes ici, ou du moins en assurer la maintenance ici. D'après ce que je comprends, ce serait mieux parce que l'industrie de la construction navale a connu beaucoup de hauts et de bas, et que nous ne devrions pas nous lancer là-dedans de nouveau : ces chantiers ont toujours eu de la difficulté à vendre leurs produits ailleurs que dans l'armée et ne sont donc pas rentables ni autonomes.

Le cam Yanow : C'est vrai. Le seul chantier de construction navale qui est encore viable, si l'on peut dire, c'est celui de Halifax. Nous avons laissé s'effondrer celui que nous avions établi à Saint John. Cette entreprise se spécialisait dans trois secteurs. Elle construisait des remorqueurs et des vaisseaux commerciaux, ainsi que des vaisseaux plus grands pour la Marine, ce secteur étant celui qui n'était pas viable sur le plan économique. Nous avons perdu tout ça; nous avons perdu Sorel; et nous sommes à la veille de perdre Davie. Que nous reste-il? Sur la côte Ouest, nous avons le Washington Marine Group, partenariat canado-américain.

Nous avons vraiment laissé nos chantiers tomber en ruine, ce qui est dommage, car c'est une technologie et une industrie dont nous avons besoin. J'imagine que ce n'est tout simplement pas viable économiquement de les maintenir en place, car on peut faire faire le travail pour moins cher en Corée, au Japon ou, maintenant, en Chine.

La question qui se pose est de savoir combien d'argent nous avons. Notre décision sera-t-elle politique ou militaire? Si c'est une décision politique, je ne pourrais répondre, car il faudrait tenir compte de toutes sortes de facteurs comme l'économie locale. D'un point de vue militaire, tant que nous avons des navires et l'argent pour les payer, leur provenance m'importe peu.

Le sénateur Banks : Vous avez aussi mentionné que le cycle de vie utile d'un navire de guerre, avant qu'il ne coûte trop cher à entretenir, se situe dans les 20 ans en moyenne. Quel âge ont maintenant les destroyers de classe Tribal?

Le cam Yanow : J'ai armé l'Athabaskan en 1972. Les navires de cette catégorie se font plutôt vieux. Il ne nous en reste plus que trois. Nous avons dû laisser aller le Huron, surtout parce que nous n'arrivions pas à trouver les pièces de rechange requises. Nous utilisons des pièces du Huron pour réparer les trois autres navires. Autre problème : les pénuries de personnel.

Le sénateur Stollery : Vous avez dit que la politique de défense et la politique étrangère vont de pair. Les gens se demandent comment on peut avoir une bonne politique de défense sans politique étrangère. J'ai commencé à douter en pensant à la rapidité avec laquelle la politique étrangère peut changer. Qui aurait cru que, en 2001, on ferait sauter le World Trade Center? La liste de choses qui peuvent changer très rapidement est longue.

Pour formuler une politique de défense, nous devons déterminer nos besoins pour 10 à 15 années à l'avance. J'ai commencé à remettre en question la théorie selon laquelle il faut une politique étrangère pour avoir une politique de défense. Je ne vois pas comment on pourrait fonder la politique de défense sur une politique étrangère, car on n'arriverait pas alors à planifier les acquisitions. Il me semble que cela revient à comparer des pommes et des oranges. Qu'en pensez-vous?

Le cam Yanow : Je ne suis pas d'accord, sénateur. Je comprends votre question, et je comprends l'importance de déterminer les approvisionnements de défense à l'avance. Toutefois, les deux documents devraient être actifs. On ne devrait pas les rédiger un jour pour les oublier ensuite jusqu'à la prochaine élection ou pour les 10 prochaines années. Ce sont des documents actifs qui devraient évoluer ensemble.

C'est ce qui aurait déjà pu se faire si nous avions commencé depuis longtemps à utiliser judicieusement notre argent afin de construire le navire dont nous avons besoin. En construisant un peu tous les ans, il faut compter dix ans, mais en procédant ainsi — pour remplacer ce qui doit l'être — , cela nous facilite les choses s'il faut apporter des modifications aux vaisseaux ou aux aéronefs que nous achetons.

Le sénateur Stollery : Je suis d'accord avec vous, mais nous devons penser constamment à l'avenir des frégates, des destroyers et des autres engins de l'Armée et des forces aériennes en raison de l'évolution rapide de la technologie, par exemple. Notre défense et nos forces armées doivent être bien coordonnées. La politique étrangère peut fluctuer autant qu'elle veut, nous n'en aurons cure car nous aurons notre plan. L'idéal, ce serait de planifier chaque année nos acquisitions pour les cinq prochaines années, mais je suis sûr que ce n'est pas seulement le Canada qui éprouve des difficultés à cet égard. Tous les pays ont des problèmes avec leur budget. Notre comité est chargé de déterminer dans quelle mesure les forces armées doivent être renforcées. Je doute que nous devions attendre d'avoir une politique étrangère — laquelle pourrait de toute façon changer dans deux ans — avant de formuler une politique adéquate pour nos forces armées.

Le sénateur Kenny : Le sénateur Stollery se demande s'il est sage pour nous d'avoir une politique de défense fondée sur notre politique étrangère. En fait, il me semble que la politique de défense est plutôt celle qui a empêché l'établissement d'une politique étrangère depuis les dernières décennies, et que c'est plutôt la politique de défense qui détermine notre politique étrangère.

Le cam Yanow : C'est peut-être le cas, mais je ne suis pas sûr que ce soit la politique de défense qui détermine notre politique étrangère, car les éléments de la politique étrangère qui engagent l'armée tiennent à une réaction immédiate du gouvernement, que ce soit en Afghanistan, en Haïti ou ailleurs. Je me demande qui mène qui à cet égard.

Le sénateur Kenny : En fait, c'est un facteur contraignant car sans une bonne force de défense, on ne peut avoir de politique étrangère solide.

Le cam Yanow : Vous avez raison. Elles sont liées.

Le sénateur Kenny : Cela dit, notre comité est assez ouvert depuis un certain temps à l'idée d'établir un plan de construction navale. Nous avons examiné la situation de la flotte de laGarde côtière et de celle de la Marine. D'après votre expérience, croyez-vous vraiment que vous arriverez à convaincre les gouvernements futurs de s'engager à mettre en place un programme permanent — ce que nous tous ici considérons peut-être comme un plan raisonnable —, et qu'ils devraient donc construire un navire ou quelques navires chaque année? La réalité politique n'exige-t-elle pas que vous saisissiez l'occasion quand elle passe? Si un gouvernement est prêt à dépenser de l'argent, et ce, pour des navires, ne devriez-vous pas construire ces navires au plus vite? Croyez-vous qu'on puisse persuader un gouvernement d'en construire seulement un ou deux par année?

Le cam Yanow : Si on dispose de beaucoup d'argent, on peut en construire deux ou trois par année. J'ai dit cela parce que nous n'avons habituellement pas suffisamment d'argent pour construire 12 navires tous les trois ou quatre ans.

Le sénateur Kenny : Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, monsieur. Je n'ai pas bien formulé ma question.

Je voudrais connaître vos observations, en votre qualité d'officier de la Marine, au sujet des politiciens auxquels vous avez dû rendre compte : comment ont-ils eu tendance à dépenser les fonds? Les ont-ils généralement dépensés de façon régulière et graduelle, ou bien ont-ils attendu que vous exerciez plus de pression auprès d'eux avant de vous donner un gros montant d'argent tout en vous demandant de ne plus les déranger avant trente ans?

Le cam Yanow : Nous avons toujours eu beaucoup de difficultés à obtenir des fonds pour la construction de navires et l'achat d'hélicoptères. Comme vous le savez bien, on doit se buter à beaucoup de politicaillerie avant d'obtenir des hélicoptères ou des navires. L'argent vient toujours d'un seul coup, une fois que nous avons réussi à convaincre le gouvernement au pouvoir que c'est une nécessité absolue. Il ne nous reste alors plus qu'à espérer que ce gouvernement reste au pouvoir jusqu'à ce les navires soient presque terminés afin qu'on ne puisse en annuler la construction, comme on l'a d'ailleurs fait dans le cas du programme des hélicoptères.

Le sénateur Kenny : Comme nous savons que les gouvernements changent régulièrement, et que nous aurons de temps en temps des gouvernements minoritaires, est-ce que nous ne rêvons pas en couleur en espérant établir une politique de construction navale raisonnable et uniforme?

Le cam Yanow : Comme nous pouvons rêver en couleur en voulant établir une politique de défense et une politique étrangère raisonnables. Le gouvernement fédéral est responsable de trois choses très importantes. La première : les affaires étrangères, la deuxième : la défense nationale, et la troisième : l'économie. Tout le reste est du ressort des provinces, bien que le gouvernement fédéral doive fournir une certaine rétroaction. Quel que soit le parti au pouvoir, le gouvernement devrait s'engager à maintenir ces trois choses au même niveau.

Le sénateur Kenny : Je ne vous demande pas de me dire ce que vous croyez que ça devrait être, monsieur, je vous demande de me dire ce qui pourrait fonctionner selon vous, mais vous ne me répondez pas. Vous me faites un exposé sur ce qui pourrait se passer dans un monde idéal.

Vous avez de l'expérience dans ce domaine. Vous avez dû aborder les politiciens pour leur demander de vous donner les choses dont vous avez besoin. À la lumière de cette expérience, quelles conclusions pouvez-vous partager avec notre comité? Demandez-vous au gouvernement de promettre qu'il construira deux navires par année pendant les 10 prochaines années, ou bien saisissez-vous l'occasion lorsqu'elle passe?

Le cam Yanow : Je saisis l'occasion lorsqu'elle passe. C'est comme ça que nous obtenons nos programmes.

Le sénateur Kenny : À combien se monte la prime politique que vous devez payer en faisant construire les navires au Canada pour obtenir l'approbation? On a déclaré devant notre comité que la seule façon d'obtenir de nouveaux navires pour la Marine est de payer la prime de 30 p. 100 associée à leur construction au Canada. Êtes-vous d'accord avec ça?

Le cam Yanow : C'est ce qui s'est produit jusqu'à ce jour. Je ne peux vous dire si c'est toujours le cas maintenant.

Le sénateur Kenny : Devrions-nous dire sans détour au gouvernement : « Il ne doit plus y avoir de primes politiques. Si vous voulez qu'ils procèdent au développement régional,envoyez-leur un chèque. Ne faites plus de développement régional sur le dos des militaires. Essayons d'en avoir pour notre argent — et si cela veut dire construire les navires en Corée, alors allons-y »?

Ne croyez-vous pas que si nous faisons cela, le gouvernement pourrait rétorquer : « Nous sommes désolés, mais nous reportons la construction des navires pour cinq autres années, jusqu'à ce que vous reveniez avec une proposition pour leur construction ici »?

Le cam Yanow : J'aime le premier scénario, sénateur Kenny — c'est-à-dire que si nous avons besoin de vaisseaux, nous devrions tout simplement aller les chercher, quel que soit l'endroit où ils sont construits. Il y a une prime politique. Il faudra compter beaucoup de temps avant que nous puissions établir un chantier de construction navale et produire un vaisseau.

Le sénateur Kenny : Croyez-vous pouvoir obtenir le soutien politique qui vous permettrait de dépenser cet argent sans avoir à payer la prime?

Le cam Yanow : J'en doute fort.

Le sénateur Kenny : Ça fait peur. Si suffisamment de gens nous disaient que nous devrions payer la prime — que c'est en fait un prix à payer pour obtenir ce qu'on veut —, nous pourrions devoir battre en retraite et renier ce que nous considérons comme un principe important, soit acheter l'équipement au meilleur prix, et demander au gouvernement d'effectuer le développement régional autrement.

Le cam Yanow : Je ne crois pas que vous devriez battre en retraite. Vous avez été très proactif, comme en témoignent vos rapports. Vous êtes le premier groupe à oser dire les choses comme elles sont au sujet de la sécurité et de la défense. Je ne voudrais pas que vous soyez obligés d'aller à l'encontre de vos principes.

Le sénateur Kenny : Vous venez de me dire que si je veux obtenir la construction d'une nouvelle flotte, il faudrait que je baisse les bras et que j'accepte de payer la prime. Vous aviez l'air de dire tout à l'heure que c'est incontournable.

Le cam Yanow : Je doute fort que nous y arrivions autrement, sauf si nous avions l'appui d'un comité sénatorial très influent qui s'opposerait à cette situation.

Le sénateur Kenny : Si seulement nous étions aussi influents que cela, amiral, mais merci beaucoup.

Le vice-président : Sur cette note, tout en ayant de sérieuses réserves face à notre capacité d'établir un chantier de construction navale, je tiens à vous remercier, vice-amiral Yanow. Comme toujours, vous faites honneur à l'Armée, notamment à la Marine et aux cadets. Nous avons besoin de votre appui. Merci d'être ici.

La séance est levée.


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