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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 17 - Témoignages du 8 mars 2005 - Séance de l'après-midi


CALGARY, le mardi 8 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 12 h 53 pour examiner, pour ensuite en faire rapport sur la politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Je vais d'abord vous présenter les membres du comité. Le sénateur Forrestall est sorti pour quelques instants. Il est le vice-président du comité. Immédiatement à ma droite, voici le sénateur Jim Munson de l'Ontario. À côté de lui, se trouve le sénateur Meighen de l'Ontario, puis le sénateur Pierre-Claude Nolin du Québec, le sénateur Jane Cordy de la Nouvelle-Écosse, et enfin le sénateur Norm Atkins de l'Ontario.

Cet après-midi, nous entendrons deux distingués témoins, il s'agit de M. John Ferris et de M. Stephen Randall.

M. Ferris est professeur d'histoire et membre du Centre for Military and Strategic Studies de l'Université de Calgary. C'est un spécialiste des conflits et des menaces à l'échelle internationale, de la formation de la politique stratégique ainsi que de la valeur et des limites du renseignement pour la prise de décisions.

M. Randall est lui aussi professeur d'histoire à l'Université de Calgary. Il est doyen de la Faculté des sciences sociales. Il est entré à l'Université de Calgary en 1989; c'est un grand spécialiste de la politique étrangère américaine et des relations internationales et de la politique en Amérique Latine. Il est Officier de l'Ordre du Canada et a obtenu l'Ordre de la Grande Croix du mérite du Président de la Colombie. M. Randall a participé à la supervision internationale des élections organisée par les Nations Unies au Nicaragua en 1990, au Cambodge en 1993, à celle chapeautée par l'Organisation des États américains au El Salvador en 1991 et au Venezuela en 1993, ainsi qu'à celle effectuée sous le parrainage du Carter Presidential Centre en Jamaïque en 1997 et au Venezuela en 2004. Il est auteur, coauteur, directeur et codirecteur d'un certain nombre d'ouvrages.

Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Je crois que vous avez chacun préparé une brève déclaration. Qui veut commencer en premier?

Monsieur Ferris, vous avez la parole.

M. John Ferris, Faculté des sciences sociales, Programme des relations internationales, Université de Calgary : Honorables sénateurs, l'approche que nous avons retenue consiste à envisager ce à quoi pourrait ressembler l'avenir pour les forces de défense canadienne et pour la politique canadienne dans quelques années. En partant de l'hypothèse que le budget pour la défense ayant été récemment annoncé sera effectivement honoré durant les cinq prochaines années, et aussi de l'hypothèse que la politique de défense proposée par le général Hillier sera suivie, donc si cette situation se concrétise au cours des cinq prochaines années, l'investissement dans les Forces canadiennes sera suffisant pour que l'on revienne à environ 80 p. 100 du chiffre des dépenses réelles en matière de défense qui existait en 1989, en tenant compte de l'inflation. À mon avis, utiliser l'investissement dans les Forces canadiennes afin de nous doter d'une capacité indépendante devrait être notre première priorité. Toutefois, en supposant que les choses se passent comme prévu, on peut se demander quelles seront les conséquences si nous mettons en place les capacités sans nous être dotés auparavant d'une politique.

À bien des égards, la renaissance de notre force militaire au cours des trois dernières années a été dominée par une sorte de réaction ponctuelle à la pression politique américaine et au sentiment éprouvé par les Canadiens qu'il existe des menaces à nos intérêts contre lesquelles nous devons nous protéger. Aujourd'hui, les Canadiens sont sur le point de développer une capacité d'envergure sans bien savoir pourquoi. À mon avis, nous serions bien avisés de nous poser la question.

Depuis une décennie, notre problème est dans une large mesure un problème d'impuissance. Mais le nouveau problème qui se posera à nous sera celui d'avoir à décider de ce que l'on fera d'une certaine puissance, parce que nous disposerons effectivement d'une certaine puissance à l'avenir. Ma propre interprétation est que, si l'on nous accorde vraiment le budget de défense promis, nous aurons enfin le montant minimum de financement nécessaire pour mettre en place une politique de défense comme celle que nous tentions de suivre en théorie vers le milieu des années 90. Étant donné que nos militaires sont d'un genre inhabituel, ou du moins que notre armée est d'un genre inhabituel, parce qu'elle est construite sur le modèle d'une force expéditionnaire — c'est-à-dire que nous l'avons toujours conçue en fonction de la possibilité d'envoyer nos troupes ailleurs, alors, à bien des égards, les investissements que nous consentons, même s'ils ne sont pas si importants que cela, auront néanmoins une incidence importante sur la capacité de nos militaires de projeter une certaine puissance à l'étranger. À l'échelle mondiale, la capacité que nous serons en mesure de projeter à l'extérieur de nos frontières, telle que définie par nos soldats, sera en fait assez imposante, même si elle sera bien entendu beaucoup plus modeste que celle des Américains, des Britanniques ou des Français. Sans être aussi imposante que ces dernières, le genre de force déployable pour des interventions extérieures dont nous disposerons sera assez appréciable, suivant les critères utilisés à l'échelle mondiale. Nous ne disposerons peut-être que de quelques milliers d'hommes qualifiés par année, mais il se trouve qu'une force constituée de quelques milliers d'hommes et de femmes qualifiés par année correspond plus ou moins à l'effort que les grandes nations européennes sont capables de consentir.

En revanche, si cette force représente beaucoup de puissance par comparaison avec certains pays, elle peut aussi sembler insuffisante par rapport aux situations que nous pourrions être appelés à maîtriser. Si on y réfléchit bien, par exemple, les Américains ont déployé environ 1 000 marines en Haïti; ils les ont maintenus sur place durant de nombreux mois; et cependant, je ne pense pas que nous serions nombreux à affirmer que la politique américaine en Haïti a été particulièrement réussie. En effet, même si le problème en Haïti se définit comme étant d'une échelle relativement petite, il reste qu'il fallait être en mesure de déployer une force d'environ 1 000 hommes pour prétendre y jouer un rôle. Ce qui signifie, en résumé, que nous ne serons vraiment pas en mesure d'intervenir dans plus d'une ou deux crises à la fois dans le monde.

Maintenant, la théorie que le général Hillier a exposée en bien des occasions se définit à peu près comme suit : il définit le rôle du Canada comme celui d'une force d'intervention visant à aider à stabiliser l'ordre mondial. D'une certaine manière, ce qu'il avance s'apparente à la ligne politique des tenants du réalisme dans l'école internationaliste libérale au Canada — dont se réclament les Michael Ignatieff et Arthur Kent. Ce qu'il affirme, finalement, c'est que c'est une bonne chose que le Canada soit capable d'aider à stabiliser le monde en intervenant lors de crises susceptibles de se déclencher en maints endroits, comme au Rwanda et en Haïti, et ailleurs.

Selon le général Hillier, de nombreux États ne sont plus viables ou sont en voie de ne plus l'être et de s'effondrer. Il fait valoir que les militaires canadiens doivent être capables d'empêcher ces États de s'effondrer, parce que si on ne réussit pas à les en empêcher, nous nous retrouverons tous avec un problème. Son argument est que nous devons être capables de participer à ce que les théoriciens de la contre-insurrection appellent une « guerre sur trois blocs » — autrement dit, une situation dans laquelle vous essayez de régler les problèmes politiques, militaires et sociaux simultanément.

Il se pourrait bien que le Canada se retrouve en position d'avoir cette capacité. Évidemment, ce genre de capacité s'insèrerait dans une politique étrangère pearsonnienne; elle s'insèrerait dans le genre de politique avec laquelle de nombreux Canadiens de gauche sont assez à l'aise; mais il y a beaucoup de questions que nous devons aussi nous poser, dans cette éventualité. Est-ce que les Canadiens seront heureux d'intervenir dans d'autres pays? Est-ce que cette politique ressemble davantage à de l'internationalisme libéral qu'à une forme de néo-colonialisme? Est-ce que les Canadiens sont prêts à payer le prix nécessaire en pertes de vie pour ce genre d'intervention? Pouvons-nous réellement nous retrouver en train d'intervenir dans le cadre du processus de construction d'une nation? Allons-nous retrouver dans la situation où nous ferons figure de boy scout dans une guerre sur trois blocs?

Le point que je voudrais surtout soulever et aborder avec vous est celui-ci : nous allons probablement mettre sur pied une force qui aura un certain poids dans le monde. Nous ne serons plus seulement de grands parleurs; nous nous retrouverons en position de réellement faire quelque chose. Et si la situation se concrétise, en quoi consistera réellement ce « quelque chose » que nous souhaitons faire avec nos forces? Quels sont nos intérêts? Comment voulons-nous utiliser notre puissance pour les faire valoir? Sur ce, je cède la parole à Stephen.

M. Stephen J. Randall, doyen, Faculté des sciences sociales, Université de Calgary : Merci beaucoup, John.

Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis né en Ontario, mais j'ai vécu au Québec durant de longues années, et maintenant je vis ici à Calgary.

J'ai structuré mes pensées, dans ce très bref exposé, autour de trois idées ou questions principales. Je sais que le comité s'intéresse tout particulièrement à la question suivante : quelles sont les menaces et les vulnérabilités qui inquiètent ou qui devraient inquiéter les Canadiens à l'heure actuelle? quels sont nos intérêts nationaux? pourquoi avons-nous besoin d'une force militaire?

J'ai l'intention d'aborder brièvement ces sujets, et ensuite je vous parlerai de NORAD et de l'OTAN, et ainsi de suite dans le cadre de mes commentaires.

On s'en doute, les décideurs et les universitaires ont acquis une connaissance beaucoup plus subtile et nuancée de ce que constituent les menaces à la sécurité nationale depuis les vingt dernières années. Et cette affirmation est particulièrement vraie dans le contexte de l'après-guerre froide, alors que la menace de catastrophe nucléaire s'est estompée. Sans disparaître entièrement. Les questions de défense traditionnelles et la menace de guerre classique devraient évidemment continuer d'être des facteurs essentiels dans l'élaboration de toute politique canadienne de défense. Elles doivent être présentes.

Il y a, cependant, un large éventail d'autres facteurs que les universitaires, à tout le moins, considèreraient comme des menaces à la sécurité nationale. Évidemment, ces facteurs comprennent notamment le terrorisme, dont nous devons certainement discuter; la subversion interne, par opposition à une menace externe de terrorisme; les stupéfiants et les activités du crime organisé qui sont associées aux drogues illicites et à leur trafic; l'immigration et les pressions migratoires qui résultent des conflits civils ailleurs dans le monde; la détérioration de l'environnement qui est une menace pour la santé des Canadiens; les catastrophes naturelles — et bien sûr, la situation entourant le tsunami dans le Sud-Est asiatique, un exemple typique; les menaces aux frontières que plus personne ne peut ignorer depuis les attaques du 11 septembre aux États-Unis.

Toutes ces menaces n'exigent pas une réaction militaire directe, mais certaines oui. En ce qui concerne les considérations liées à la défense canadienne, le défi consiste à trouver un équilibre nuancé entre les menaces classiques à la sécurité nationale et certaines interventions, dirons-nous, plus légères et difficiles à déterminer en rapport avec les menaces à la sécurité nationale. C'est véritablement cela qui constitue le défi à relever en ce qui concerne les considérations liées à la défense canadienne. Et il s'agit, de toute évidence, de questions très complexes.

Il doit être très évident à la lumière de ces commentaires que je suis persuadé qu'il est dans l'intérêt national de faire la promotion de la résolution des conflits internationaux, dans la mesure du possible, en favorisant des stratégies de développement économique, social et politique, plutôt qu'une simple intervention militaire. En effet, la promotion d'un ordre mondial stable, pacifique, au sein duquel les conflits civils, la pauvreté, la maladie, l'analphabétisme et l'oppression sont réduits, est clairement dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Cela fait partie de l'intérêt national au sujet duquel vous m'avez posé des questions. Il est aussi évidemment dans l'intérêt de tous les Canadiens que les institutions politiques, économiques et sociales canadiennes soient convenablement défendues au pays contre les menaces de subversion interne ou même contre le terrorisme international. La promotion et la survie de l'État canadien et de notre mode de vie sont, après tout, et en dernière analyse, l'épreuve ultime imposée à toute politique de défense nationale efficace. N'importe quel analyste de la politique étrangère et de défense en arrivera à la conclusion que c'est la protection des valeurs fondamentales de toute société qui est au cœur de toute politique de défense nationale. Elle en constitue véritablement l'essence.

Permettez-moi d'être un peu plus précis sur le rôle des militaires et l'importance des alliances actuelles du Canada sur le plan militaire. Le premier cas est celui de l'OTAN. Nous reconnaissons tous l'existence de certains sujets de préoccupation, pas seulement au Canada mais aussi à l'échelle internationale, des inquiétudes suscitées par la modification de l'ordre mondial et les répercussions sur le rôle joué par l'OTAN durant la période de l'après-guerre froide ainsi que les répercussions sur la modification de la composition de l'OTAN durant cette même période.

Nul doute qu'il faille se poser des questions au sujet de la pertinence et de la valeur, de même qu'au sujet des dangers éventuels liés à la participation canadienne à l'OTAN. Tous ces facteurs ont changé énormément. Comme vous me l'avez demandé vous-mêmes : l'OTAN possède-t-elle la légitimité morale de soutenir des interventions dans le monde? Eh bien, il semble que non. En tout cas, pas la légitimité morale. Possède-t-elle le pouvoir d'intervenir? Oui, elle a ce pouvoir. Mais pouvoir ne rime pas nécessairement avec légitimité morale, peu s'en faut. Il s'agit d'un phénomène tout à fait différent. Ce qui compte, à mon avis, du point de vue canadien, ce n'est pas tellement l'OTAN en soi, mais plutôt la place du multilatéralisme dans le rôle que le Canada entend jouer à l'échelle internationale par rapport à ce qui est, d'après moi, la tendance vers l'unilatéralisme adoptée par les Américains depuis les 25 dernières années, et probablement davantage.

L'actuelle situation en Afghanistan, pour vous donner un exemple, illustre bien le rôle positif que le Canada peut jouer, en collaborant avec la communauté internationale, en tant qu'élément d'une force internationale beaucoup plus imposante. Par conséquent, même si certains problèmes sont associés à une OTAN élargie, ce que nous reconnaissons tous, il reste que le principe de la défense multilatérale que l'OTAN symbolise est un principe extrêmement important et que le Canada doit continuer de faire valoir.

Le Canada, à mon sens, devrait maintenir sa participation. Il devrait le faire en se montrant prudent, en faisant attention à ce que les États membres n'utilisent pas l'OTAN comme plate-forme pour résoudre des conflits qui sont dans une large mesure internes. Nous reconnaissons tous qu'il existe des préoccupations à cet égard. Permettez-moi de vous citer le concept stratégique de l'Alliance de l'OTAN qui a été approuvé en 1999 par les chefs d'État et de gouvernements ayant participé au Conseil de l'Atlantique Nord à Washington. Je pense que cette déclaration traduit extrêmement bien ce sentiment :

Aux dangers de la Guerre froide ont succédé des perspectives plus prometteuses, mais aussi porteuses de défis, ainsi que des opportunités et des risques nouveaux. Une nouvelle Europe à l'intégration accrue se fait jour, et une structure de sécurité euro-atlantique se développe dans laquelle l'OTAN joue un rôle central.

Je pense que cette déclaration est fondamentalement exacte. Il est absolument essentiel pour nous de continuer d'en faire partie. Voulons-nous une alliance qui regroupe l'Europe et les États-Unis sans une participation canadienne? Je pense que ce serait un désastre pour l'intérêt canadien. La déclaration se poursuit :

L'Alliance est au coeur des efforts déployés pour établir de nouvelles formes de coopération et de compréhension mutuelle à travers la région euro-atlantique, et elle s'est engagée en faveur de nouvelles activités essentielles favorisant l'instauration d'une stabilité plus large.

Ce passage en lui-même justifie encore plus la participation du Canada à titre de membre actif, même si c'est pour jouer un rôle prudent, dans le contexte de l'OTAN.

Maintenant, parlons de NORAD. Bien entendu, les spéculations vont bon train et on se demande si la décision récente du gouvernement canadien de ne pas participer avec les Américains au système de défense antimissile balistique compromettra la capacité du Canada de jouer un rôle important au sein de NORAD, ou s'il continuera de jouer un rôle important. En toute sincérité, la possibilité existe de compromettre un certain nombre d'aspects des relations canado-américaines. Nonobstant ce débat plus large, je pense qu'il est clairement dans l'intérêt des Canadiens de voir à ce que la relation de défense bilatérale avec les États-Unis fonctionne, et à ce qu'elle fonctionne bien, peu importe comment on compte s'y prendre.

De toute évidence, NORAD conserve son importance, et cela, même si les principales menaces stratégiques à l'Amérique du Nord ont peu de chances de se traduire par des attaques avec des missiles nucléaires classiques. Est-ce anarchique? Non. Néanmoins, la définition classique du rôle de NORAD durant la période de la guerre froide devra nécessairement évoluer.

Les critiques essuyées par les États-Unis pour avoir exagéré la menace imposée directement à l'Amérique du Nord par les États voyous comme la Corée du Nord ou l'Iran — l'Irak ayant été éliminée de l'équation — ou franchement par d'autres États possédant des armes nucléaires comme l'Afrique du Sud, Israël, le Pakistan ou l'Inde sont largement justifiées. La menace d'une nature classique que représentent ces États pour le continent nord-américain est relativement faible. Ce qui ne signifie pas qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité, mais que cette menace concerne principalement leurs voisins immédiats et régionaux plutôt que les États-Unis et le Canada, et que cette menace concerne aussi la déstabilisation que leur puissance nucléaire représente pour l'ordre mondial.

Maintenant, à savoir si le NORAD ne devrait pas être modifié l'année prochaine, lorsqu'il sera renouvelé, je pense que la réponse est oui. Il faut absolument examiner de très près le rôle précis joué par le NORAD en Amérique du Nord en matière de défense aérienne, défense aérospatiale et c'est encore plus vrai à la lumière de la décision canadienne de ne pas participer au bouclier antimissile. Il est absolument essentiel de trouver un rôle significatif pour le Canada au sein du système de défense de l'Amérique du Nord.

Enfin, pour ce qui est de la puissance militaire canadienne, et pour reprendre dans une certaine mesure ce que John vient de vous dire, la mission canadienne en Afghanistan, pour utiliser cet exemple, est une bonne indication de ce que les Forces canadiennes peuvent faire lorsqu'elles sont qualifiées et bien équipées. Les militaires canadiens doivent posséder la force et la souplesse suffisantes pour pouvoir remplir ce genre de mission de consolidation de la paix, à défaut de pouvoir mener des missions de rétablissement de la paix, un rôle qu'ils ont voulu assumer dans le passé — la vision pearsonnienne à laquelle John a fait allusion tout à l'heure, en mentionnant l'effort de consolidation de la paix dans lequel les militaires canadiens se sont engagés en Afghanistan et s'étaient engagés il y a quelques années de cela dans l'Europe centrale et de l'Est. Par ailleurs, les forces canadiennes doivent posséder la puissance nécessaire pour assurer la défense des frontières et de l'espace aérien du Canada à l'intérieur du continent nord-américain.

Quelle taille devra avoir cette force militaire et de quelle nature précise devra être la technologie requise pour assurer une puissance de défense optimale dans ces secteurs sont des questions que je laisse à ceux qui, comme John, connaissent davantage la technologie que votre serviteur.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Nolin, qui sera le premier à poser des questions, monsieur Ferris, j'aimerais obtenir des éclaircissements sur un point en particulier. Ai-je bien entendu et avez-vous dit que vous trouvez qu'avec le récent budget l'armée dispose d'un financement adéquat?

M. Ferris : Non. En réalité ce que j'ai dit, c'est que si nous passons à travers les cinq prochaines années et que les crédits promis dans le budget sont versés, je pense que l'armée parviendra à maintenir un effectif complet dans les unités qu'elle possède déjà. Et cela signifie par ailleurs qu'elle sera capable à l'aide d'un effectif minimum de donner suite au genre de politique étrangère que nous avions tenté d'adopter durant les années 90. Personnellement, je pense qu'il faudrait que le gouvernement dépense davantage pour y arriver, mais néanmoins les crédits actuels sont suffisants pour nous permettre d'avoir une présence significative. Mais en dehors de cela, le véritable problème est que l'on n'améliore pas vraiment la situation de la Force aérienne ou de la Marine. Nous pouvons d'ores et déjà prévoir que nous éprouverons des problèmes d'obsolescence en bloc d'ici 10 à 20 ans dans ces deux secteurs.

Le président : Eh bien, je pense que certains membres du comité vous diraient que nous connaissons déjà ces problèmes d'obsolescence. Nous avons examiné les incidences du budget sur chacun des trois services, le mois dernier et pour le dernier exercice financier. Si on fait le total pour les trois services, ils enregistrent une déficit de 720 millions $. Si on considère l'ensemble des Forces canadiennes, elle affiche un déficit de l'ordre de 1,2 milliard $. Nous avons constaté l'injection d'un montant de 500 millions $ en argent neuf, mais il faudra compter avec un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars.

Nous avons également constaté que l'on n'a rien prévu pour les dépenses d'immobilisations cette année et l'an prochain. La première hausse significative n'apparaît que la troisième année. Puis, la quatrième et la cinquième année, on semble suggérer qu'il y aura des sommes appréciables en jeu, mais ces sommes sont assujetties à un examen de base, ce qui nous porte à croire que quiconque fait des projets en fonction de sommes prévues au-delà de la première année rêve en couleurs.

M. Ferris : J'aurais tendance à être d'accord avec vous. Si c'est le cas, alors nous nous trouvons dans une situation catastrophique. Pour le moment, j'affirme simplement pour les besoins de l'argumentation que si le gouvernement verse les crédits proposés — et je suis d'accord avec vous que la totalité des dépenses sont prévues lors de la quatrième ou de la cinquième année — nous nous retrouverons dans la situation que je vous ai décrite.

Le président : Alors, je suppose que je m'inquiète au sujet de la prémisse de votre argument. Dites-moi qui dirigera le pays, et pour combien de temps.

M. Ferris : Oh, vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Nolin : Bonjour messieurs. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.

Vous avez déjà répondu en partie à ma première question qui portait sur les intérêts nationaux et les menaces. J'aimerais rester à ce niveau général, et par la suite j'aborderai des sujets plus précis.

On a beaucoup parlé de l'approche des trois D dans le cadre de l'examen de notre politique étrangère : développement, diplomatie et défense. Je m'adresse à vous deux : quel rôle pensez-vous que les Forces canadiennes jouent dans cette approche des trois D de la politique étrangère?

M. Ferris : Qu'entendez-vous par « approche des trois D », afin que je comprenne bien de quoi il est question?

Le sénateur Nolin : Les trois D sont le développement, la diplomatie et la défense.

M. Ferris : Si, effectivement, le gouvernement souhaitait réellement adopter cette approche, ce serait une attitude pleine de bon sens. Parce qu'en vérité, si on n'adopte pas l'approche des trois D, il devient difficile de se doter d'une capacité stratégique d'intervenir partout où il y a des problèmes ou lorsqu'un gouvernement cesse de fonctionner. En ce sens, la défense est absolument essentielle pour faire avancer les choses.

Mon opinion personnelle est que l'on peut faire en sorte d'intégrer l'approche des trois D dans une vision pearsonnienne du rôle du Canada dans le monde. Il faudrait par ailleurs s'assurer que le Canada à titre d'entité indépendante est capable d'exercer une influence bénéfique dans les zones problématiques dans l'intérêt du Canada et de l'ordre mondial. Je dois dire que si on décidait de s'y rallier, cette approche serait une politique étrangère rationnelle. Le problème en ce moment c'est que nous ne pouvons y adhérer. Parce que si l'on ne dispose pas d'un peu plus de ressources sur le plan de la défense, tous ces objectifs demeurent des vœux pieux. Si on veut suivre la ligne de l'argumentation que le gouvernement a mise de l'avant dans son récent budget, alors on pourrait adopter cette approche durant plusieurs années. Dans ce cas, le gouvernement canadien pourrait affirmer en toute légitimité : « Nous sommes de bons citoyens du monde. Nous constatons les problèmes. Nous voulons faire quelque chose pour aider à leur trouver une solution. Et nous possédons les moyens de le faire. » Il pourrait faire ces déclarations plutôt que ce que nous faisons aujourd'hui qui revient à lever les bras au ciel et à se lamenter, « Oh zut, quel dommage que le monde soit si mal fait. »

Le sénateur Nolin : Monsieur Randall?

M. Randall : Pour poursuivre dans la même veine, j'espère que j'ai été clair dans mon exposé et que vous avez compris que je pense que l'approche des trois D est absolument essentielle. J'approuve entièrement les remarques de John Ferris. Dépendant de la région où l'on se trouve, il arrive que la puissance militaire fasse toute la différence entre être crédible ou non. Nous possédons ce qu'il faut pour assumer efficacement les deux autres aspects des trois D, soit la diplomatie et le développement.

Mais la puissance militaire dans le contexte de l'Afghanistan, ou encore dans celui du Kosovo et de la Bosnie- Herzégovine, par exemple, est absolument essentielle, tout comme ce fut le cas au Rwanda, même si d'autres variables en place ont fait en sorte que les résultats n'ont pas été très reluisants, comme nous le savons malheureusement aujourd'hui. L'approche des trois D est conforme à la tradition canadienne dans l'ensemble, en combinaison et en insistant particulièrement sur la diplomatie et le développement; toutefois elle n'est pas crédible à bien des égards sur le plan militaire — et ce n'est pas seulement parce que Paul Cellucci nous le rappelle chaque jour que Dieu fait. Il se trouve que nous ne sommes tout simplement pas crédibles, à bien des égards, sur le plan militaire.

Il y a quelques années, John Hemery, qui était à l'époque le civil le plus haut placé au ministère de la Défense, a présenté quelques exposés à Calgary dans lesquels il articulait une critique très soutenue du pouvoir discret et abordait quelques enjeux liés à la sécurité. Je n'approuve pas la totalité de ses critiques, mais en dernière analyse, il a déclaré que la seule chose qui compte vraiment c'est l'effectif militaire sur le terrain. Autrement dit, on ne peut pas être efficace sur le plan diplomatique, ou en matière de stratégie de développement, si on ne possède pas la puissance nécessaire pour se couvrir.

Même si je trouve déplaisant de l'avouer, il reste que, jusqu'à un certain point, il a absolument raison. Et c'est certainement le cas en Afghanistan. Et c'aurait certainement été le cas, si nous avions été en Irak. Et Dieu merci! nous n'y sommes pas allés. Et ce fut certainement le cas dans le contexte du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine, il y a quelques années.

Le sénateur Nolin : Monsieur Ferris, vous avez écrit en collaboration il y a quelques années un ouvrage intitulé « National Defence, National Interest : Sovereignty, Security, and Canadien Military Capability in the Post 9/11 World ». Cet ouvrage suggère que le Canada doit investir dans le domaine de la puissance militaire en vue d'obtenir un avantage comparé. J'aimerais vous poser une série de questions à ce sujet. Pourquoi? Dans quels secteurs en particulier? Êtes-vous favorable à l'idée que les militaires canadiens adoptent des rôles dans un créneau spécialisé à l'appui des Américains et des autres alliés?

M. Ferris : Curieusement, la proposition qui est mise de l'avant par le général Hillier correspond à ma définition générale, quoique ma définition générale soit suffisamment large pour que de nombreux internationalistes libéraux l'approuvent eux aussi. À mon avis, les Canadiens ont fait la preuve de leur capacité à maîtriser certains types de problèmes politiques par l'usage de la force, ce que peu de forces militaires sont en mesure de réussir. Je ne vois peut- être que les Britanniques et les Australiens qui soient réellement capables de maîtriser ce genre de situation aussi bien que nous.

Ceci étant, c'est bon pour nous d'utiliser un secteur où nous réussissons mieux que les autres, parce que cela nous permet de faire des échanges de bons procédés; aussi, je suis convaincu que ce genre d'approche est intéressant, du moment qu'il est assorti du financement approprié. Parce qu'autrement, ce n'est pas une approche du tout.

Le sénateur Nolin : Dans quels secteurs?

M. Ferris : Je dirais, pour commencer, qu'il faut se doter d'une force terrestre suffisante pour pouvoir la projeter dans un petit pays qui éprouverait un certain traumatisme interne. Si on ne dispose pas d'au moins 1 000 soldats qualifiés, on n'est pas dans la course. Il faut aussi posséder les moyens nécessaires pour assurer la formation des unités au Canada. Il faut aussi mettre en place des structures permettant aux personnes de retrouver une vie normale à leur retour à la maison. Autrement dit, il faut pouvoir compter sur pas mal d'autres ressources pour pouvoir effectuer la rotation des effectifs. Il faut posséder les moyens de transporter les forces sur place, ce qui veut dire se doter d'un système de transport maritime. Le transport par voie aérienne est plus onéreux, mais je pense qu'il est toujours possible de débattre la question. Il faut aussi posséder une forme de puissance de feu à effet létal afin de montrer aux adversaires qu'ils ne peuvent pas tout simplement monter la barre et ouvrir le feu sur vos troupes à titre de moyen de nuire aux objectifs politiques que vous poursuivez, quels qu'ils soient.

Dans ces circonstances, je pense que nous pourrions accomplir des choses, un peu comme les Français le font dans certaines régions d'Afrique, ou comme le font les Britanniques. Nous pourrions alors avoir un certain impact, un impact décent, sur le monde et aussi sur les gens dans une région donnée. En revanche, étant donné les limites de nos ressources — ainsi que les limites de la volonté des Canadiens d'intervenir à l'étranger, je ne pense pas qu'il soit réaliste d'espérer pouvoir jouer un rôle dans les problèmes sur une plus grande échelle.

Autrement dit, mon approche théorique générale est que le général Hillier envisage de faire un usage raisonnablement rationnel des ressources canadiennes limitées.

Le sénateur Nolin : L'ouvrage que vous avez cosigné suggère que la révolution déclenchée par les Américains dans les affaires militaires — essentiellement, l'idée voulant que des changements dans la technologie puissent révolutionner les forces armées, la puissance et la guerre — présente un risque pour le Canada. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

M. Ferris : Les risques qui se posent sont bien réels dans le sens que, si les Américains sont véritablement capables de transformer la signification de la puissance militaire, alors, pour les États de petite et de moyenne importance, cela signifie qu'ils devront soit consentir à augmenter radicalement leurs dépenses militaires, faire concurrence avec les Américains et se doter eux-mêmes des moyens de les concurrencer sur ce nouveau terrain, ou tout simplement abandonner la partie.

La raison pour laquelle c'est important pour nous est que les militaires canadiens entretiennent une force navale et aérienne substantielle depuis les 60 dernières années, une force qui, pour le moment, est toujours capable de parler avec les Américains et de participer avec eux, et c'est ce qui nous donne un statut particulier dans le monde. Mais si les Américains devaient continuer l'escalade de la révolution dans les affaires militaires, ils nous forceraient soit à canaliser nos ressources dans notre propre escalade afin de pouvoir continuer à leur parler sur un pied d'égalité ou alors à perdre cette capacité.

Dans cet ouvrage, je disais qu'historiquement, si on considère la révolution du dreadnought durant la première décennie du XXe siècle — la révolution ou la modernisation du combat naval — certaines des victimes furent accidentelles. En effet, jusqu'à la révolution du dreadnought, beaucoup d'États de petite et de moyenne importance avaient une flotte d'une importance comparable, ce qui faisait une grande différence. Mais après la révolution du dreadnought, ces flottes n'étaient plus dans la course. Elles sont devenues désuètes. Elles ont cessé d'exister sur le plan de la puissance navale. Autrement dit, si les Américains décident de suivre ce mouvement sans réserve, cette décision pourrait présenter des dangers pour nous, et pourrait aussi nous forcer à nous poser une question extrêmement difficile : sommes-nous prêts à augmenter nos dépenses de défense? Si nous ne sommes pas prêts à le faire, dans ce cas, comment allons-nous les utiliser? Avons-nous l'intention de suivre le mouvement de la révolution dans les affaires militaires, la RAM, ou allons-nous maintenir certains moyens de projeter notre puissance à l'étranger? Si nous ne choisissons qu'un seul volet, l'autre va en souffrir. Sincèrement, à moins que nous ne soyons prêts à accroître nos dépenses de défense d'un cran beaucoup plus élevé que le gouvernement n'en a l'intention, je doute que nous ayons quoi que ce soit à gagner avec la RAM.

Le sénateur Nolin : M. Randall, dans votre livre intitulé Canada & The United States : Ambivalent Allies, vous reconnaissez que, même si les relations canado-américaines sont en général coopératives, elles sont aussi conflictuelles, à la fois sur des détails et sur des questions fondamentales. Pourriez-vous nous donner des explications sur ce que vous entendez par cette affirmation?

M. Randall : Oui, mais très brièvement, n'est-ce pas, parce que nous avons consacré quelques centaines de pages à la question. Je pense que la plus récente décision sur le système de défense antimissile illustre bien les systèmes de valeurs divergents de nos deux sociétés.

Le sénateur Nolin : Sur les questions fondamentales?

M. Randall : Je pense qu'il existe des différences fondamentales entre les deux sociétés, notamment dans la manière dont nous abordons les questions liées à la méthode de défense. Comme vous le savez, le Canada a participé à deux guerres mondiales et à la guerre de Corée. Il a démontré sa capacité à s'organiser en vue d'un conflit majeur, et à le faire d'une manière extrêmement crédible; mais notre société est considérablement moins militariste que celle des États- Unis, et cela sous tous les angles possibles. Le fait que l'actuel ambassadeur des États-Unis au Canada doive sans cesse nous rappeler que nous ne sommes pas une société très militariste, que nous devons consacrer beaucoup plus d'argent aux dépenses militaires, si nous voulons faire notre part dans le monde, comme dans le contexte de l'Atlantique Nord et à l'échelle du continent, traduit bien le fait que le Canada a emprunté un chemin très différent au cours des 50 dernières années et plus. Je pense que c'est là la différence fondamentale entre les deux sociétés.

John Ferris a mentionné tout à l'heure, et je pense qu'il a raison à 100 p. 100, qu'à bien des égards le budget de la défense correspond bien aux valeurs des Canadiens. Nous n'avons pas montré, en temps de paix — que ce soit justifié ou pas, c'est une autre question — que nous étions prêts à dépenser ce que l'on considère comme des sommes anormalement élevées pour l'accroissement de notre potentiel militaire.

On entretient aussi beaucoup de doutes au sujet des motivations et de l'orientation qu'a prise la politique militaire et étrangère américaine depuis plusieurs années, et tout particulièrement sous l'actuelle administration Bush. Ce sentiment n'est pas réservé au Canada. Il suffit d'écouter ce que les Européens ont déclaré eux aussi depuis quatre ans au sujet de l'orientation américaine en matière de défense et de politique étrangère.

Je reviens tout juste de la conférence de la Ditchley Foundation qui s'est tenue à Oxfordshire la semaine dernière. Elle a été surtout dominée par les Européens, les Britanniques, les Français et les Allemands. En dépit du fait que l'on se soit incliné respectueusement devant Condaleeza Rice et George Bush lors de leur visite en Europe, et de l'ouverture assez polie à l'égard de l'Europe visant à raviver la relation transatlantique, on note un fort degré de scepticisme dans les pays européens à l'égard de l'orientation prise par les États-Unis en matière de politique étrangère et de défense vis- à-vis le terrorisme international de même qu'en ce qui concerne les questions classiques de défense.

J'ai bien peur de m'être un peu écarté de la question.

Le sénateur Nolin : C'est une remarque intéressante, parce que j'avais l'intention justement d'aborder le sujet.

M. Randall : Oh bon, très bien.

Le sénateur Nolin : Vous avez soulevé la question de l'OTAN, et c'est probablement à ce niveau que nous pouvons jouer un rôle.

M. Randall : La réponse à votre question est que l'accent mis par les Canadiens sur la sécurité humaine, sur le pouvoir discret, sur le maintien et la consolidation de la paix, par opposition à faire la guerre, s'explique, dans une certaine mesure par la nécessité, parce que nous sommes trop faibles pour faire autrement; mais c'est également le reflet des valeurs canadiennes. Il se trouve que ce sont des valeurs que je partage moi aussi.

Le sénateur Nolin : Mais le fait est que nous ne dépensons pas autant que les Américains — et, en passant, pourront- ils maintenir ce rythme de dépenses? Dans certaines sphères, beaucoup entretiennent des doutes quant à leur capacité de maintenir ce train de dépenses, mais je m'éloigne du sujet. Supposons qu'ils feront ce qu'ils ont l'intention de faire, et acceptons l'idée que les Européens les considèrent avec suspicion. Il reste néanmoins que le lendemain, nous serons toujours les voisins de ce grand pays. Alors entrevoyez-vous dans cette situation géographique un rôle positif pour le Canada? Bien entendu, dans l'optique de l'OTAN.

M. Randall : Oui. Je pense avoir dit dans mon exposé que j'ai le sentiment que le rôle que joue le Canada au sein de l'OTAN est extrêmement important et qu'il faut continuer à l'assumer. Nous devons faire partie de la relation euro- transatlantique sur le plan militaire, politique et bien sûr aussi, sur le plan économique, au même titre que nous devons maintenir la relation que nous avons dans le cadre du NORAD.

La suspicion est une chose; la non-collaboration en est une autre. Nous n'avons pas à être d'accord avec les États- Unis sur tout. Et nous ne devrions probablement pas être d'accord sur tout; mais il est vrai que nous entretenons une relation bilatérale extrêmement importante. Je pense aussi qu'il est extrêmement important pour le Canada de maintenir la relation avec l'Europe et, franchement, pour les États-Unis aussi.

Le sénateur Cordy : Seulement pour poursuivre dans cette veine, il est clair que nous avons un conflit, et je suis d'accord avec vous qu'il s'explique en partie par le système de valeurs des Canadiens. La majorité des Canadiens sont ravis que nous ne soyons pas présents en Irak, pour citer un exemple. Et la question du bouclier antimissile est probablement un sujet aussi controversé que possible à aborder avec les Canadiens. Et pourtant, nous avons pris la décision.

D'un côté, nous entretenons des liens étroits avec les Américains. Nous avons des liens géographiques, historiques, économiques, et ainsi de suite. De l'autre, comment allons-nous régler des questions comme celle du bouclier antimissile? De toute évidence, les Américains ne sont pas très heureux de la position que nous avons adoptée à cet égard. Ils n'étaient pas très heureux non plus de notre refus d'aller en Irak. Étant donné que nous sommes des voisins, devons-nous simplement accepter de ne pas être d'accord sur ces questions? Est-ce ainsi que l'on doit voir les choses?

M. Randall : C'est une question difficile, et il n'y a pas de réponse simple à mon avis, mais plutôt plusieurs façons d'y répondre. Premièrement, peu importe ce que nous pouvons faire pour nous aliéner les États-Unis, il faut trouver d'autres moyens de continuer à collaborer. Si nous prenons une décision négative sur le bouclier antimissile, alors nous devons trouver le moyen de collaborer plus efficacement au sein du NORAD avec une version révisée du Commandement. Nous devons trouver le moyen de collaborer efficacement sur les questions de la frontière intelligente, par exemple. Nous devons trouver le moyen de démontrer que, si nous ne sommes pas prêts à collaborer sur le bouclier antimissile, en revanche nous ferons quelque chose pour régler le problème de la défense du périmètre par l'utilisation de forces plus traditionnelles.

Jusqu'à un certain point, en fin de compte, bien entendu, rien ne prouve que le système de défense antimissile balistique fonctionnerait ou encore que la menace réelle viendrait des missiles balistiques. Mais, ça c'est une autre histoire, et il ne sert à rien de relancer ce débat ici.

L'autre point que j'aimerais faire ressortir est que la relation canado-américaine à l'échelle économique est tellement importante pour les deux pays — pour les États-Unis aussi — que même si nous prenons des décisions négatives ayant des conséquences potentiellement négatives, la relation bilatérale quotidienne va se poursuivre, les échanges commerciaux vont continuer, la collaboration dans la fabrication et, éventuellement, dans les secteurs agricoles, va continuer aussi. De toute évidence, certains secteurs de friction vont aussi continuer d'exister, que ce soit dans le bois d'œuvre, l'EBS, les exportations de viande dans les diverses provinces ou un éventail d'autres domaines. C'est tout simplement dans la nature d'une relation bilatérale, à mon avis.

Strictement en ce qui concerne les questions de défense, comme l'a fait remarquer John, nous devons nous trouver dans une situation sur le plan technologique nous permettant de discuter à égalité avec les Américains sur le plan technologique dans le secteur militaire. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette capacité. Nous devons être capables de travailler d'une manière intégrée, et surtout en ce qui concerne la Marine et les Forces aériennes.

John l'a déjà fort bien expliqué. Comment allons-nous corriger la situation? Nous transigeons avec une administration qui a tendance à adopter des approches intransigeantes, et potentiellement très vindicatives à bien des égards, de même que très idéologiques dans ses orientations. Nous devons trouver le moyen de composer avec cela si nous voulons maintenir une relation de travail efficace avec les États-Unis. Notre relation avec les Américains est celle à laquelle ils tiennent le plus, et il faut la maintenir. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons pas prendre de décisions que les Canadiens considèrent comme étant dans l'intérêt national.

Toutefois, la question demeure ouverte, à savoir si la décision ayant été prise était une décision politique reposant sur des valeurs particulières, ou une décision militaire qui se justifiait pleinement au sens militaire. Ce sont deux choses complètement différentes, à ce qu'il me semble. Les opinions sont très partagées à ce sujet, et ces divergences d'opinion ont pu être exprimées très largement.

Le sénateur Cordy : C'est vrai. Absolument. Dans vos premiers commentaires, vous avez touché un mot de notre rôle significatif auprès des États-Unis concernant la défense de l'Amérique du Nord; et vous y êtes revenu dans vos derniers commentaires en réponse à nos questions. Il est clair que nous avons beaucoup entendu parler de la défense de l'Amérique du Nord, et surtout depuis le 11 septembre. Vous avez mentionné notamment que l'on devra collaborer en matière de technologie et sur des questions comme celle de la frontière intelligente. Est-ce là le genre de choses sur lesquelles nous devons travailler pour assumer notre rôle dans la protection ou la défense de l'Amérique du Nord, ou pensez-vous que nous devions aller au-delà?

M. Randall : Ce sont des aspects critiques. Ils ont évidemment rapport à des choses comme le trafic des stupéfiants et les pressions liées à l'immigration clandestine, qui représentent potentiellement une menace à la sécurité nationale sur une échelle très différente de celle des missiles, évidemment. Un bon argument que l'on pourrait faire valoir est celui que les menaces réelles à la sécurité nationale en Amérique du Nord ne viendront pas des missiles; par conséquent, un système de défense antimissile très onéreux sera impuissant contre ces menaces. Par exemple, imaginons qu'un individu se promène avec une bombe dans sa valise. Pour réagir à cette menace, il faut pouvoir compter non seulement sur la défense militaire, mais aussi sur une opération de renseignement très complexe.

M. Ferris est mieux placé que moi pour vous faire des commentaires à ce sujet, mais un système de renseignement fonctionnant en étroite collaboration avec les États-Unis, de même qu'une collaboration très efficace des services de police tout au long de la frontière dans un vaste éventail de domaines sont des moyens dont nous disposons déjà. Je pense que nous avons déjà une bonne relation de travail régulière et efficace avec les États-Unis. On perd souvent cela de vue lorsqu'on aborde des sujets qui se situent à une échelle plus vaste, comme la défense antimissile balistique. Il existe une collaboration régulière sur le plan militaire, policier et du renseignement qui est absolument essentielle pour notre relation bilatérale. Autrement dit, à l'exception des questions économiques pour le moment, elle vise la frontière, la défense du périmètre et le renseignement.

Le sénateur Cordy : Monsieur Ferris, obtenons-nous des renseignements sérieux et rigoureux que nos militaires peuvent utiliser? Et pas seulement nos militaires, je suppose, parce qu'il y a d'autres ministères qui utilisent le renseignement, à part le ministère de la Défense.

M. Ferris : À mon avis, ce type de renseignement concerne beaucoup moins la défense militaire que la sécurité, et de loin. Il est absolument essentiel que le Canada ne soit jamais perçu par les Américains comme une menace à leur sécurité nationale. Et il est absolument essentiel aussi que nous ne fassions rien que nous jugions comme quelque chose de mal seulement dans le but d'apaiser les Américains. C'est à mi-chemin entre ces deux impératifs que nous devons formuler notre propre politique.

Ce que je dirais au sujet des militaires américains, et c'est particulièrement vrai pour le personnel qui est appelé à transiger avec les Forces canadiennes, c'est qu'ils sont bien disposés à l'égard du Canada. Étrangement, le Parti Républicain est moins bien disposé à l'égard du Canada que les militaires américains ne le sont. Et cette attitude s'explique en partie parce que, en ce qui concerne les relations entre nos militaires et les leurs, il arrive souvent que les Canadiens soient en mesure d'offrir une aide utile à leur personnel militaire.

Maintenant, concernant le domaine du renseignement, nous rattrapons le temps perdu. Les difficultés viennent en grande partie des énormes différences d'attitude à l'égard d'un éventail de questions, des différences susceptibles de créer des tensions dans le mode de fonctionnement des services de renseignement ou de sécurité, sans mentionner le fait que nous ne possédons pas des structures entièrement parallèles avec celles des Américains. Le CST ou centre de la sécurité des communications électroniques entretient des liens étroits avec la NSA. Et le SCRS est probablement étroitement lié aussi avec le FBI, même si au sein du système américain le FBI se retrouve en fait plus souvent marginalisé et isolé.

Il y a de grands secteurs pour lesquels nous ne possédons aucune organisation capable de coopérer avec son homologue américaine. La quantité d'information qu'ils nous transmettent dépend dans une certaine mesure de la quantité d'information que nous leur transmettons nous-mêmes. L'une des raisons pour lesquelles la CSA fonctionne est que nous avons été capables de fournir aux Américains des quantités de données importantes et utiles, ce qui signifie que nous avons quelque chose à échanger. Le SCRS ou la GRC ont évidemment des choses à échanger avec leurs homologues américains. Il y a de grands pans du renseignement de sécurité ou du renseignement dans son ensemble pour lesquels les Américains n'ont pas d'homologues à qui s'adresser.

Enfin, sur le plan purement militaire, le Canada est en fait, ou l'était jusqu'à encore tout récemment, dans le cercle étroit des pays étrangers avec lesquels les Américains partagent volontiers leurs renseignements, et à cause de NORAD, je pense que nous étions associés aux Britanniques parce que nous étions dans ce cercle étroit.

Il y a donc de nombreux secteurs où nous avons eu de bons résultats, mais la possibilité de frictions est importante. J'entrevois de sérieux problèmes dans ce domaine, parce que le sentiment d'insécurité des Américains, additionné à notre sentiment des limites jusqu'où nous sommes prêts à aller pour garantir notre sécurité, laisse beaucoup de place à la friction. Nous ne faisons que commencer à en faire l'expérience.

Le sénateur Cordy : Notre comité se penche sur la politique de défense; que devrions-nous dire au sujet de la collecte de renseignements par le gouvernement canadien, et comment pourrions-nous ensuite la généraliser?

M. Ferris : Je pense que ce que nous devons dire c'est que le Canada doit assumer la direction de toute la collecte de renseignement qui s'effectue au pays, et que le Canada lui-même doit diriger ses propres agences de renseignement indépendantes qui répondent aux besoins de l'État canadien. Ce qui signifie que nous devrons sérieusement réfléchir à la possibilité d'élargir nos activités de collecte de renseignement à l'étranger. Cela signifie aussi que nous devons sérieusement examiner l'importance du renseignement en tant que produit et en tant qu'institution dans le centre d'Ottawa. Il y a donc des secteurs où nous devons envisager sérieusement d'opérer des changements, parce que le danger est très simple. Si les Américains ne se sentent pas en sécurité, ils vont se débrouiller tout seuls.

Historiquement, le Canada s'est toujours senti forcé de faire certaines choses pour afin d'éviter que les Américains ne le fassent eux-mêmes. Nous devons affronter des pressions beaucoup plus fortes en matière de renseignement et de sécurité qu'en ce qui concerne la défense antimissile balistique.

Le sénateur Meighen : Je serai très bref. Je retiens de cette conversation que nous pourrions compenser, du moins du point de vue des Américains, pour bon nombre de soi-disant échecs de notre part dans le domaine strictement militaire si nous pouvions nous concentrer sur l'amélioration de notre performance, si vous voulez, dans les questions de frontière et de renseignement et ainsi de suite. J'aurais tendance à abonder dans votre sens. Rien ne rend les Américains plus nerveux que cette frontière. Le simple fait que des conteneurs arrivent à Halifax puis sont transportés par train jusqu'à Chicago, sans que pour ainsi dire personne ne les examine ou les inspecte, même avec des appareils, et cetera, les rend très nerveux. Il me semble que sans investir des sommes faramineuses, nous pourrions leur donner satisfaction à cet égard.

Pour ce qui est de l'aspect strictement militaire des choses, on a abordé un peu plus tôt devant le comité la question de l'écart technologique. Il semble que l'on tenait pour acquis que cet écart existe, et qu'il est là pour durer. Personne n'a les moyens de le combler. Les Américains ont pris trop d'avance sur tout le monde. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

L'un d'entre vous a déclaré qu'il faut que nous soyons capables de parler aux Américains. Je pense que c'était vous, monsieur Ferris. Nous devons être capables de parler aux Américains. Je suppose que vous vouliez dire au sens technologique. Nous ne pouvions pas leur parler si bien que cela, je suppose, durant les opérations au Kosovo avec nos CF-18, même si la situation a été corrigée depuis. Avons-nous les moyens de leur parler sur le plan technologique ou bien existe-t-il un certain niveau à partir duquel il faut tirer la ligne? Nous pouvons leur parler jusqu'à ce que l'on ait atteint un certain niveau, après quoi, ils ne pourront plus s'adresser qu'à eux-mêmes, parce que personne d'autre n'aura les moyens de jouer dans cette ligue. Évidemment, avec leur technologie militaire, il est difficile de voir qui pourrait bien leur tenir tête dans une guerre de type traditionnel.

En Irak, il est clair qu'ils ont gagné la guerre, mais il est aussi clair qu'ils ont un mal de chien à instaurer la paix.

Pouvons-nous mettre sur pied une armée capable de jouer un rôle utile, laissons de côté pour l'instant la question de l'écart, car je sais que vous allez y répondre, mais sommes-nous capables de concevoir une force militaire et avons-nous les moyens d'avoir une force militaire qui puisse participer au genre d'opérations que vous avez mentionnées tout à l'heure, c'est-à-dire intervenir dans des pays non viables et y faire notre travail, et en même temps, peut-être réussir plus facilement à instaurer la paix que nos voisins américains semblent en mesure de le faire.

M. Ferris : Il ne fait aucun doute que les Américains trouvent très difficile leur rôle de maintien de l'ordre, ce que les Britanniques appellent les opérations de police internationale. C'est mon avis, vous en ferez ce que vous voudrez, mais ça n'a rien de bien surprenant.

Le sénateur Meighen : Sauf pour eux?

M. Ferris : Ils ne pensaient pas avoir à livrer ce genre de guerre.

Le sénateur Meighen : Surprise.

M. Ferris : Certainement, si vous lisez ce que les marines ou les officiers américains ou les officiers de l'Armée ayant eu à se frotter à ce genre de conflit écrivaient avant la guerre, vous verriez qu'ils ne considèrent pas qu'il s'agit d'un domaine où les Américains sont efficaces. À mon avis, la révolution dans les affaires militaires a multiplié la puissance des Américains dans les domaines où ils étaient déjà forts, et n'a absolument rien fait pour les aider dans ceux où ils étaient faibles.

Maintenant, pour répondre à deux questions différentes. Premièrement, oui, il n'y a pas de raison pour que nous ne puissions pas avoir une armée qui soit capable de solutionner des problèmes importants et d'obtenir de meilleurs résultats que les Américains. De façon générale, notre armée a obtenu de très bons résultats. À l'instar des Australiens et des Britanniques, nous savons combattre sur le champ de bataille, et nous savons tout aussi bien nous montrer efficaces lors d'opérations de contre-insurrection ou de maintien de la paix, quelle que soit l'ampleur que l'on souhaite donner à ce terme, et nous débrouiller assez bien.

Le gros problème est le suivant : comment parler aux Américains? La véritable question est de savoir jusqu'où iront les Américains. Après leur expérience de la guerre de 2003, le personnel militaire australien et britannique ainsi que les officiers ont écrit très clairement que, de leur point de vue, ils pouvaient à peine se tenir à jour avec les Américains pour ce qui est du commandement, du contrôle, des communications, des ordinateurs et du renseignement. Ils admettaient eux-mêmes que si les Américains continuaient leur escalade sur le plan du matériel, ils finiraient par ne plus être capables de continuer à leur parler techniquement.

C'est mon avis, et vous en ferez ce que vous voudrez mais, comme le sénateur Nolin, je ne suis pas vraiment convaincu que les Américains peuvent poursuivre leur escalade en matière de dépenses militaires. Je pense que nous allons assister à un plafonnement de ces investissements. Et si c'est le cas, cela devrait permettre de relâcher un peu la pression.

Le vrai problème que j'entrevois pour les militaires canadiens d'ici les 10 à 15 prochaines années est le suivant : pour le moment, la Marine et la Force aérienne sont encore capables de parler aux Américains. Et de fait, la Marine peut participer efficacement aux opérations des forces américaines. En revanche, l'équipement qu'on utilise est d'ores et déjà désuet, et il n'y a aucune raison de croire que l'on remplacera cet équipement, qu'il s'agisse des appareils électroniques, des navires ou du matériel, d'ici les 10 à 15 prochaines années. Mais la capacité de continuer à parler avec les Américains est essentielle pour continuer de participer aux opérations avec eux; cela ne fait aucun doute. Tout ce que nous espérons, c'est que les Américains n'entreprennent pas une nouvelle escalade à l'échelle du commandement, du contrôle, des communications et des ordinateurs à un point tel que nous ne puissions plus leur parler, parce que si les Américains décidaient de le faire, nous perdrions cette capacité, à moins que l'on ne procède au renouvellement complet et très coûteux de l'équipement de notre Force aérienne et de notre Marine afin d'être en mesure de poursuivre notre participation aux côtés des Américains.

Le sénateur Meighen : Pas seulement nous, mais tous les autres aussi, je pense.

M. Ferris : Il est possible que les Britanniques soient capables de réaliser ces investissements dans un nombre restreint de services. Je ne sais pas si bien d'autres pays seront en mesure d'emboîter le pas; donc, nous ne sommes certainement pas les seuls.

M. Randall : John, a déjà abordé la dimension strictement technologique de la capacité d'interagir techniquement avec les Américains. J'aimerais faire deux ou trois brefs commentaires à ce sujet.

Sur la question du déficit budgétaire aux États-Unis, vous savez que les opinions divergent à ce sujet chez nos voisins du sud. On a fait le commentaire comme quoi le déficit ne représente que 3 p. 100 du PIB et, comme nous sommes tous des Canadiens, qu'est-ce ça peut bien faire. Mais j'ai entendu d'éminents économistes de Washington avancer cet argument. C'est une considération effrayante, et surtout dans une province qui est aujourd'hui pour ainsi dire libérée de toute dette. Je me demande ce que nous avons fait ces dix dernières années, si ce n'était pas important.

Néanmoins, il y a certains secteurs techniques où le Canada pourrait justifier des investissements beaucoup plus considérables. Comme on nous l'a dit, notre capacité au chapitre du transport aérien des troupes est pathétique. Notre capacité de déplacer nos forces rapidement à l'échelle de la planète n'est pas suffisante pour nous permettre d'assumer le rôle que nous voulons jouer sur la scène internationale; et même une société pacifiste comme la nôtre pourrait améliorer cette capacité.

D'après ce que j'ai appris de la part de membres des Forces canadiennes ayant séjourné en Afghanistan il semble que le Coyote, par exemple, s'est révélé un franc succès. Adopter la même orientation dans d'autres domaines techniques, et à ce chapitre John est beaucoup mieux placé que moi pour vous en parler, voilà ce que nous devrions faire. Certes, nous ne serons jamais capables de concurrencer les Américains sur tous les terrains, et ce serait stupide de vouloir le faire, mais dans certains domaines, il y a de toute évidence des progrès à accomplir.

Au Cambodge en 1993, par exemple, et seulement à titre de comparaison avec les Français, j'ai l'impression que c'est la qualité de l'équipement des troupes françaises qui a fait toute la différence. Parce qu'en effet, leur équipement était de bien meilleure qualité que celui des Forces canadiennes. Les Français avaient à leur disposition des transports de troupes blindés et des armes beaucoup plus lourdes et, à mon avis, les Canadiens étaient très mal équipés pour la tâche à accomplir. On ne peut pas envoyer nos forces intervenir dans des conflits internationaux où elles risquent de se trouver en danger, du moins pas de cette manière. Et la même situation s'est répétée en Europe centrale et de l'Est, il y a dix ans.

Le sénateur Meighen : Je pense que vous savez que l'on nous a mis en garde à maintes reprises contre la tentation de jouer un rôle d'intervention spécialisée parce que, entre autres raisons, nous pourrions choisir le mauvais créneau, et nous retrouver coincés là. J'ai l'impression que vous tournez vous-même autour du pot et que vous essayez de nous trouver un créneau spécialisé. J'ai aussi l'impression que vous déplorez vigoureusement le fait que nous ne disposions pas d'un porte-avions ou de chars ou de chars de combat. De toute évidence, nous ne sommes plus dans la course pour ce qui est de ces équipements. Mais je suppose qu'il y a d'autres avenues à explorer.

Y a-t-il de l'équipement ou des capacités ou même des compétences que nos forces devraient posséder, et je pense en particulier à l'Armée, si nous sommes appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la stabilisation des sociétés et des États non viables? Par exemple, devrions-nous nous consacrer des efforts à l'acquisition de compétences linguistiques? Je tiens pour acquis que les militaires sont aptes au combat. Mais en-dehors de ces compétences, ne devraient-ils pas posséder des aptitudes linguistiques, ou des types particuliers d'équipement? De quelle nature cet équipement et ces compétences devraient-ils être par opposition à ceux de l'armée traditionnelle?

M. Ferris : Les militaires doivent posséder une puissance de feu létale mobile suffisante pour que les soldats canadiens aient toujours l'avantage, si jamais ils sont forcés de faire usage de la force la plus élevée disponible, parce que si vous ne possédez pas cette puissance de feu, vous vous mettez automatiquement dans la position d'inviter l'adversaire à l'escalade. Autrement dit, vous devez posséder l'équivalent d'une bombe nucléaire de faible puissance. Et pour cela, il faut posséder des hélicoptères et probablement aussi des Coyotes. Donc, si vous avez les deux, vous vous en tirerez assez bien.

Maintenant, à part cela, pour ce qui est des compétences non techniques dont vous parlez, il est vrai qu'elles sont absolument fondamentales dans toute mission de maintien de la paix, de construction d'une nation, exigeant d'assurer des fonctions de police internationale et des mesures anti-insurrectionnelles. Il est important de reconnaître que l'on a besoin de ces choses. Et c'est beaucoup plus difficile de s'y préparer que vous ne pourriez le penser, et surtout pour un petit pays comme le nôtre. Lors des missions de police internationale, les Britanniques et les Français avaient déjà en place des agents politiques à la frontière, ou à l'intérieur du système, qui connaissaient déjà, en théorie, les langues locales, les mœurs, et pouvaient intervenir concrètement et servir d'intermédiaires.

En l'absence de cet équivalent, la situation devient très hasardeuse pour les Canadiens. Comment prévoir où l'on sera appelé à intervenir? Aura-t-on besoin d'un interprète espagnol? Aura-t-on besoin d'un interprète dans un dialecte africain ou dans une des innombrables langues qui sont parlées? Je pense qu'il est plus important que le système comprenne la nécessité de disposer de ces ressources humaines pour remplir d'importantes fonctions que pour nous d'essayer de nous y préparer, parce que je ne pense pas qu'il existe des moyens de le faire de façon réaliste, et d'être toujours prêt à intervenir, chaque fois qu'il y aura une crise.

M. Randall : Je pense que John l'a très bien exprimé. La sensibilité culturelle et les compétences culturelles, qu'elles soient d'ordre linguistique ou autre, sont absolument essentielles, mais elles ne sont pas la responsabilité première des militaires. Je pense que nous nous en tirons mieux que bien d'autres pays dans le monde, sur ce plan. Et l'Afghanistan est un très bon exemple, en l'occurrence. Certains événements survenus au Kosovo-Bosnie-Herzégovine l'ont démontré aussi. Je pense que nous obtenons de meilleurs résultats que les Américains pour ce qui est d'assurer une présence après les combats — autrement dit, les opérations de consolidation de la paix. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes personnes qui doivent assumer les deux tâches; mais ça, c'est un autre débat. Ce que vient de dire John est absolument fondamental : c'est-à-dire que le Canada doit posséder une puissance de feu létale mobile par voie aérienne, et par voie terrestre, afin d'atteindre ses objectifs, et qu'il doit posséder en outre l'équipement nécessaire pour les atteindre. La sensibilité, la formation à la sensibilité culturelle, et ainsi de suite, font, à mon avis, partie du contexte, mais elles ne sont pas essentielles.

Le président : Je voudrais seulement obtenir des éclaircissements sur deux ou trois points, monsieur Ferris. Avez- vous dit tout à l'heure que si l'on devait choisir entre la possibilité d'adapter les forces militaires au financement disponible et celle de décrire le genre de forces militaires dont le Canada a besoin, vous préféreriez que l'on choisisse la première?

M. Ferris : Si nous devions adopter la politique de défense que je recommande, elle correspondrait, au minimum, à celle que le gouvernement propose, augmentée d'un financement additionnel de 20 p. 100. Je m'efforcerais de faire de l'armée ce que l'on se propose d'en faire, et de m'assurer ensuite que la Force aérienne et la Marine puissent être maintenues au moins dans la situation relative qui est la leur, actuellement. Autrement dit, je pense que l'investissement minimal qui a été proposé dans l'Armée est suffisant pour nous permettre de répondre aux exigences de la politique étrangère.

En revanche, si le gouvernement n'est pas prêt à augmenter son budget de défense au-delà de ce qu'il a déjà consenti, alors je pense que la meilleure solution est celle avancée par le général Hillier qui consiste à relever l'Armée jusqu'à un niveau tolérable, et à laisser la Force aérienne et la Marine sur leur faim durant encore 15 ou 20 ans en espérant pouvoir intervenir à temps pour les sauver avant qu'elles ne meurent d'inanition. Personnellement, je pense que c'est une très mauvaise politique, et je dirais que le gouvernement doit consentir à augmenter ses dépenses à ce chapitre.

Le président : Bon, je ne suis pas sûr encore d'avoir bien compris votre prémisse, parce qu'avec le financement actuel, l'Armée est incapable de faire ce que l'on attend d'elle. L'Armée et la Marine sont déjà affamées. Sincèrement, vous vous exprimez d'une manière que je n'arrive pas à comprendre.

M. Ferris : Lorsque j'ai commencé à parler, je faisais référence à l'hypothèse que d'ici cinq ans l'Armée obtiendra ce que le gouvernement lui a promis aujourd'hui. Pour ce qui est de la Marine et de la Force aérienne, elles peuvent, sans que ce soit nécessairement ce qu'elles souhaitent faire, continuer d'utiliser leurs aéronefs et leurs navires actuels pour quelques années de plus. Je ne dis pas que ce serait souhaitable. J'affirme simplement qu'elles pourraient, même si ce serait beaucoup demander, les étirer encore de quelques années.

Je ne pense pas que nous soyons en désaccord sur la question précise de savoir si les militaires ont besoin de plus d'argent dès maintenant. La réponse est oui, ils ont besoin de plus d'argent maintenant. Je ne pense pas avoir dit autre chose que cela.

Le président : Eh bien, je m'inscris en faux contre votre suggestion de prolonger la durée utile de ces aéronefs. Les pilotes ne seront pas capables de les faire voler parce qu'ils n'obtiendront pas les heures de vol dont ils ont besoin. On dirait que nous ne vivons pas sur la même planète, lorsque je vous entends décrire la situation de cette manière, parce qu'ils ne reçoivent tout simplement pas le financement dont ils ont besoin. Le financement dont vous parlez est du financement imaginaire qui sera mis à la disposition des militaires dans cinq ans, et c'est la promesse d'un gouvernement minoritaire. Aussi je ne comprends pas que vous puissiez aborder la question devant nous comme s'il s'agissait d'argent réel. Ce n'est tout simplement pas le cas.

M. Ferris : Mon argument consistait à poser la question, à savoir, dans l'hypothèse où le gouvernement réaliserait cet investissement, quelle serait alors la situation. À mon avis, il est important d'essayer d'imaginer quelle pourrait bien être la situation dans l'éventualité où l'on consentirait certains investissements.

Le président : Nous sommes ici pour essayer de faire un examen de la politique de défense. Jusqu'ici, ce gouvernement n'a pris encore aucun engagement sur la date à laquelle il a l'intention de la produire. Ce comité a entendu quatre ministres de la Défense venus lui promettre l'examen de la politique de défense, et pourtant, aucun de l'a produite encore. Nous sommes en train d'étudier un budget qui est considérablement inférieur aux montant indiqués dans les incidences du budget pour le dernier exercice financier. Afin de faire avancer les choses au sein de ce comité, nous sommes à la recherche de suggestions sur les orientations à privilégier.

Il est clair qu'il existe une école de pensée voulant que ce gouvernement ne financera jamais — et même, qu'aucun gouvernement ne financera jamais — les forces militaires canadiennes comme il conviendrait de le faire. Ce n'est pas la façon de faire les choses au Canada. Et il existe une autre école de pensée voulant que, non au contraire, il suffise de continuer à quémander et à insister et à ne pas les lâcher tant qu'un décideur ne viendra pas nous dire, « Voilà, j'ai tout compris; suivez-moi, nous allons nous en sortir ».

M. Randall : Je pense qu'un autre sujet d'inquiétude, sénateur Kenny, si vous me permettez, c'est que même si l'on engageait ces fonds dès aujourd'hui, il faudrait encore attendre durant quatre ou cinq ans pour que le processus d'acquisition soit complété avant de pouvoir mesurer une incidence quelconque.

Le président : Eh bien, c'est justement pour cette raison que je conteste l'affirmation de M. Ferris comme quoi la Force aérienne est capable de continuer. À Cold Lake, nous avons entendu des témoignages comme quoi on se serait déjà engagé dans une spirale de la mort et que les heures de vol insuffisantes, les effectifs des mécaniciens chargés de la réparation des aéronefs et le manque de financement laissent présager le pire. Aussi, je ne comprends pas que vous vous présentiez devant nous pour déclarer qu'ils peuvent continuer de se débrouiller avec des ressources moins qu'insuffisantes durant encore dix ans. Oubliez ça.

Quoi qu'il en soit, pour en revenir à vous, professeur Randall, vous avez dit quelque chose au sujet de la défense antimissile balistique. Vous avez en effet suggéré que la décision a été prise soit en fonction de certaines valeurs ou pour des motifs militaires. À votre avis, sur quelle base cette décision a-t-elle été prise?

M. Randall : Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit. On ne peut que s'interroger sur les motifs ayant conduit à cette décision, à savoir s'il s'agit de motifs d'ordre politique ou militaire. Sur le plan militaire, certains arguments plaident en faveur du bouclier, et d'autres pas. Et sur le plan politique, c'est la même chose, il y a des pour et des contre. C'est tout ce que j'ai dit.

Le président : Je n'ai pas la liasse sous les yeux, monsieur, mais j'ai clairement entendu le mot « valeurs ».

M. Randall : Oui, c'est exact. Et je ne peux que répéter, sénateur Kenny, ce que j'ai déjà dit; et c'est qu'il existe des différences fondamentales entre les valeurs défendues par les Canadiens et les Américains sur les questions de défense et d'ordre militaire. Si vous n'êtes pas d'accord avec cette affirmation, monsieur, libre à vous d'avoir un point de vue différent.

Le président : Non, là n'est pas la question. Je me demandais s'il y avait une troisième option, et si on ne pourrait pas penser que l'on a agi purement et simplement pour une question de survie politique?

M. Randall : Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point. Il ne s'agit pas d'une question de survie politique.

Le président : Donc, selon vous, le gouvernement aurait survécu s'il avait décidé d'aller de l'avant?

M. Randall : Oh, vous voulez dire la survie politique de l'actuel gouvernement plutôt que la survie des Canadiens?

Le président : Oui, c'est ce que l'on entend par survie politique dans notre langue.

M. Randall : Je ne pense pas avoir très envie d'aborder cette question. Le Parti libéral ne pouvait pas compter sur l'appui des députés d'arrière ban. Le Parti conservateur n'était pas prêt à prendre l'initiative sur le sujet. Le Nouveau parti démocratique aurait majoritairement voté contre, et le Bloc québécois aussi. Telle est la réalité politique, monsieur.

Le président : Lequel des trois a été, selon vous, le facteur décisif?

M. Randall : Je pense que les décisions politiques reposent dans une large mesure sur des valeurs. C'est la nature de notre régime politique. Je n'ai rien d'autre à ajouter. Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, même si j'ai l'impression que c'est ce que vous tentez de faire avec moi, mais si vous suggérez que les décisions politiques sont purement cyniques et pragmatiques, et ne reposent pas sur un système de valeurs, je ne suis pas d'accord avec vous.

Le sénateur Nolin : Puis-je ajouter quelque chose?

Le président : Je vous en prie.

Le sénateur Nolin : Pour revenir aux chiffres, vous seriez donc d'accord avec le pourcentage de 2 p. 100 que le secrétaire général de l'OTAN tente vigoureusement d'imposer à tous les membres depuis de nombreuses années; vous seriez d'accord puisque vous parlez vous-même d'ajouter 20 p. 100?

M. Ferris : Si on décidait de mettre en place une échelle constante et d'injecter l'équivalent de 2 p. 100 du budget de base chaque année, le montant pourrait varier en plus et en moins.

Le sénateur Nolin : Non. Le montant de 2 p. 100 est un pourcentage du PIB, donc il suivrait la progression de l'économie.

M. Ferris : Je n'y trouverais rien à redire. Cependant, pour le moment, je serais très heureux de voir que les Forces canadiennes ne sont pas sur le point de s'effondrer, alors que c'est malheureusement la réalité.

Le sénateur Nolin : Donc, tout le monde est d'accord.

M. Ferris : Je ne sais pas très bien pourquoi le sénateur semble déterminé à ne pas comprendre ce que je dis. Je ne suggère aucunement que nous n'avons pas besoin de faire des investissements massifs. Tout ce je dis, c'est que si ces investissements massifs sont réalisés, il serait bien de savoir où cela nous mènerait et ce que nous pourrions en faire. Il serait bien de se demander à quoi ressemble le monde. Pour les besoins de la discussion, je suis tout à fait disposé à supposer que ce gouvernement ou peut-être son successeur seront prêts à suivre cette approche. S'ils ne le font pas, nous allons nous retrouver dans un sérieux pétrin. Nous sommes déjà dans une situation périlleuse.

Le président : Eh bien, nous venons de traverser deux décennies avec des gouvernements qui n'étaient pas prêts à suivre cette approche.

Le sénateur Atkins : Vous avez mentionné le déficit américain, et le fait qu'il suscite actuellement un débat de grande envergure. M. Greenspan a lancé un avertissement l'autre jour. Pensez-vous qu'il a eu raison de sonner l'alerte?

M. Randall : La réponse est tout simplement oui, d'après moi. Je ne suis pas d'accord avec les économistes qui affirment que 3 p. 100 du PIB c'est un problème négligeable, surtout si on considère les répercussions à long terme pour l'économie américaine.

Le sénateur Atkins : Et le dollar américain.

M. Randall : Et le dollar américain par rapport à l'euro et aux autres monnaies internationales. À cet égard, je pense que les États-Unis, et potentiellement le Canada, étant donné la nature de notre relation économique, se préparent à vivre des moments très difficiles tôt ou tard, et surtout si on ne règle pas certaines questions, et pas seulement la question militaire, comme les problèmes de la sécurité du revenu.

Vous devez savoir qu'une analyse économique suggère qu'en reportant l'âge de la retraite de seulement trois ans aux États-Unis on pourrait régler la question des coûts sociaux pour les 75 prochaines années. On constate donc qu'il y a tout un éventail d'enjeux très complexes en cause. Je pense que M. Greenspan a eu tout à fait raison de faire une mise en garde au sujet de l'orientation que prend l'économie américaine et aussi concernant les déficits et la dette. Les États- Unis ne peuvent pas continuer à se fier simplement sur la capacité des autres nations d'acheter leurs produits.

Le sénateur Atkins : J'aimerais revenir sur la décision du gouvernement concernant la défense antimissile balistique, ne pensez-vous pas que le gouvernement a laissé passer une belle occasion d'en arriver à un certain compromis qui pourrait s'insérer dans le type de négociation que vous suggérez comme un nouveau pacte pour le NORAD, et ce genre de choses.

M. Randall : Je serais plutôt d'accord avec vous. À mon humble avis, cette situation n'a pas été bien menée. Et même, je trouve qu'on l'a extrêmement mal menée. Cette décision a été livrée sans faire appel au genre de diplomatie dont les Canadiens sont capables. On a laissé filtrer trop de rumeurs contradictoires dans le public, en laissant sous- entendre qu'il s'agissait de fuites, alors qu'en réalité elles étaient alimentées par de hauts fonctionnaires. On a également constaté le manque de communication entre le Cabinet du premier ministre et le nouvel ambassadeur. Il y a eu toute une série de problèmes. Et on s'est très mal débrouillé pour les régler. Je suis désolé d'avoir à dire cela. Mais ce n'est pas ainsi que l'on maintiendra une relation de travail efficace avec les États-Unis. Peu importe quelle a été la décision finale, elle aurait pu être rendue d'une manière beaucoup plus efficace.

Le sénateur Atkins : Est-ce que les Américains ne sont pas intéressés à établir un système d'alerte radar au Canada?

M. Randall : John, voulez-vous répondre à cette question?

M. Ferris : Les Américains ont besoin d'un réseau quelque part, mais il n'est pas absolument nécessaire qu'il soit basé au Canada. Certains pays ont déjà accepté de participer à la défense antimissile balistique, et le réseau pourrait y être déployé. Je pourrais répondre très simplement à votre question : oui, il aurait été préférable pour le Canada de prendre un engagement politique symbolique à l'égard de la défense antimissile plutôt que de faire ce que l'on a fait, pour la simple raison que les Américains ne nous demandent pas grand-chose en définitive. Il est évident que l'actuelle administration et le Parti républicain accordent beaucoup d'importance à cette question.

L'autre point sur lequel j'aimerais insister, c'est que si on s'efforce de se mettre sur un pied d'égalité avec le système militaire américain, c'est un domaine où nous pouvons le faire. En effet, NORAD et NORTHCOM sont deux commandements américains dotés de ressources limitées et où les ressources canadiennes jouent en fait un rôle important dans la solution des problèmes des Américains. Aussi étrange que cela puisse paraître, si on veut se ménager certains appuis au sein du gouvernement américain, des intervenants qui soient convaincus que le Canada est un joueur utile, c'est bien en participant à la défense continentale. Nous aurions pu réellement faire quelques progrès en procédant de cette manière. Maintenant, même si je ne pense pas que cette décision détruira nos relations, il reste que nous allons tôt ou tard payer le prix fort pour ce qui, au bout du compte, n'aurait été qu'un geste symbolique de faible importance.

Le sénateur Atkins : On aurait donné l'impression de participer à la défense nord-américaine?

M. Ferris : Oui.

Le sénateur Atkins : À la suite de notre décision, le Pentagone a divisé le monde en commandements. Pensez-vous qu'il y ait un danger que les Américains décident de mettre sur pied un commandement américano-canadien?

M. Ferris : Eh bien, NORTHCOM est le commandement américain chargé, si vous voulez, de la défense continentale, donc ce genre de commandement existe déjà. Quant au NORAD, qui fait partie du NORTHCOM, il s'agit d'une organisation à laquelle le Canada continue de participer. Par ailleurs, il y a une autre organisation appelée STRATCOM, qui à certains égards s'intéresse à ce genre de questions.

Même si ce n'est pas une chose que les nationalistes canadiens aiment à reconnaître, il reste que les Américains nous ont bien traités sur les questions de sécurité nationale.

Le sénateur Atkins : Avec prudence.

M. Ferris : Maintenant, ils ne nous ont pas ménagés sur les questions d'ordre économique. Mais il y a bien des domaines où, en fait, nous avons toutes les raisons du monde de leur en vouloir, mais en ce qui concerne les questions de sécurité, on peut dire qu'ils ont fait des efforts afin de ne pas abuser de leur pouvoir. Au sein du NORAD, le Canada possédait beaucoup plus de pouvoir que l'on pourrait s'y attendre en considérant la force relative des deux partenaires. J'ai bien peur que l'on ne force les Américains à trouver une solution unilatérale à des problèmes qui nous concernent, mais pour lesquels nous n'aurons pas notre mot à dire. Dans ces circonstances, il n'y a aucune raison pour qu'ils continuent à nous traiter avec autant de générosité. C'est pourquoi je crains que nous ne trouvions que nous encourageons les Américains à se montrer moins amicaux envers nous.

Si on garde à l'esprit que les Américains ne reconnaissent pas nos revendications concernant le Passage du Nord- Ouest, et aussi la possibilité d'un réchauffement dans l'Arctique, nous nous préparons à un éventuel conflit d'intérêts avec les États-Unis sur des questions de souveraineté, d'environnement et d'ordre économique; et il se pourrait bien que l'on regrette alors de n'avoir pas d'atout caché dans notre manche. Et dans dix ans, nous pourrions bien regretter d'avoir si peu de cartes dans notre jeu.

Le sénateur Atkins : Vous avez mentionné les Républicains et leur attitude. Est-ce que vous faites allusion au contexte du renseignement ou au contexte politique?

M. Ferris : Le Parti républicain. Le Parti démocrate, pour des raisons électoralistes, ne s'oppose pas ouvertement ni constamment à la défense antimissile balistique, mais de toute évidence, il n'est pas très enthousiaste à son sujet. Les militaires américains disposent d'organisations chargées de régler le problème; par conséquent, c'est ce qu'elles s'efforcent de faire. Si vous examinez les investissements réalisés par les Américains dans leurs divers commandements, il faut reconnaître que jusqu'ici le bouclier antimissile n'a pas reçu beaucoup sur le plan des crédits, et ce, même s'il est un facteur important en matière d'investissement et d'armes de pointe.

Néanmoins, en fin de compte, les milieux qui se préoccupent le plus de la défense antimissile balistique aux États- Unis se retrouvent au sein du Parti républicain; et selon nous, il n'est pas très avisé de les affronter, contrairement à nos habitudes.

Le sénateur Atkins : Dans la même veine, je pense que le Parti républicain recrute le maximum d'appuis dans le Sud.

M. Ferris : Plutôt dans l'Ouest.

Le sénateur Atkins : Dans l'Ouest, oui. Ce sont probablement les Américains qui connaissent le moins bien notre pays. Pensez-vous que cela ait une incidence sur l'attitude des Républicains?

M. Ferris : Peut-être. Je dirais que les Démocrates, et aussi surprenant que cela paraisse, les officiers militaires américains et les membres du personnel du Pentagone sont très bien disposés envers les Canadiens et le Canada. J'ai l'impression que vous avez raison de dire que, moins on en sait au sujet du Canada et des Canadiens, et moins on les aime. Malgré cela, toutefois, il ne fait aucun doute que beaucoup d'Américains sont vexés par ce qu'ils interprètent comme l'anti-américanisme snobinard de bon nombre d'intellectuels canadiens.

Je dois dire que j'ai parfois — devrais-je dire, souvent? — vu des universitaires canadiens adopter une attitude condescendante à l'égard des Américains, et cette attitude ne m'a pas rendu fier d'être un Canadien.

M. Randall : Puis-je ajouter quelque chose, sénateur Atkins, très brièvement?

Le sénateur Atkins : Bien sûr.

M. Randall : Je pense que la distinction que John a établie entre les Démocrates et les Républicains est très juste. Je ne pense pas que ce soit strictement lié à des considérations géographiques; toutefois, il existe des différences fondamentales entre les deux partis qui vont bien au-delà des considérations géographiques dans certains cas.

Le sénateur Atkins : Oui. Voici ma dernière question. Il est clair que vous approuvez l'approche et le concept mis de l'avant par le général Hillier. Pensez-vous que lorsque nous en aurons fini de nos discussions, il aura suffisamment de poids pour aller de l'avant avec la mise en oeuvre?

M. Ferris : Je l'ignore. Si on me demandait de faire des pronostics sur ce que sera le budget dans cinq ans, je serais pessimiste, moi aussi. Il ne faut pas oublier que le gouvernement est minoritaire. Il n'a pas de prise sur ce que seront les prochaines influences qu'il devra subir, et les autres non plus.

J'ai l'impression que Hillier a remporté cette manche. Il n'aurait pas été nommé au poste où il se trouve s'il en avait été autrement. On peut avancer des arguments fermes et déterminés au sujet de l'affectation des ressources, des arguments comme quoi, si on est forcé de jeter des passagers en dehors d'un canot de sauvetage, c'est le meilleur moyen de le faire.

Mais le véritable problème, à mon avis, si nous adoptons l'approche mise de l'avant par le général Hillier et si nous expédions des forces dans un autre Rwanda, et s'il arrive que cinq soldats canadiens sont tués, est-ce que les Canadiens vont vouloir y rester? Autrement dit, est-ce que les Canadiens sont prêts à aller jusqu'au bout lorsqu'ils affirment vouloir participer aux efforts afin que le monde devienne un meilleur endroit où vivre? Si cette affirmation comporte un sacrifice réel, je ne sais pas du tout comment les Canadiens vont réagir.

Le sénateur Atkins : Eh bien, même si l'on ne tenait pas compte de la période de cinq ans, et que l'on visait plutôt seulement les deux premières années, la question est de savoir si le montant de 5 millions $ est réaliste en raison de l'examen des dépenses.

M. Ferris : Tout à fait.

Le sénateur Atkins : Il se pourrait donc qu'il se retrouve dans une position de faiblesse.

M. Ferris : Exactement.

Le président : Messieurs, au nom du comité, je vous remercie beaucoup. Vous nous avez aidés à examiner de près un certain nombre de questions. Le comité vous est très reconnaissant d'avoir pris la peine de venir cet après-midi pour témoigner devant nous. Nous l'apprécions beaucoup. Nous apprécions les échanges d'idées. Vous nous avez aidés dans notre tâche, et nous vous en remercions énormément.

M. Randall : Merci, monsieur le président. Nous vous souhaitons bonne chance à tous. C'est une tâche difficile que vous avez entreprise. Nous sommes impatients de prendre connaissance de vos conclusions concernant les deux étapes du rapport sur les questions de défense et sur les grandes questions de sécurité que vous remettrez cette année. Merci.

M. Ferris : Je vous souhaite bonne chance.

Le président : Chers collègues, nos prochains témoins sont d'éminents officiers, venus nous en apprendre un peu plus sur les Réserves dans la région de Calgary.

Le colonel J. D. Gludo est commandant du 41e Groupe-brigade du Canada depuis 2003. En 1987, il est entré dans la Première réserve; il a suivi une formation d'officier de la logistique au sein du 11e bataillon des services, à Victoria. Durant les années passées à Victoria, il a occupé divers postes de commandement et d'état-major, dont celui de commandant de peloton à la BBCLI Battle School de Wainwright pour le cours de commandant de section d'infanterie. En 1998, il a été nommé commandant adjoint du 14e bataillon des services, puis commandant par la suite.

Le colonel Gludo travaille pour IBM Business Consulting, où il est conseiller en gestion spécialisé dans les stratégies technologiques. Il poursuit actuellement des études de maîtrise au Centre for Military and Strategic Studies de l'Université de Calgary.

Nous entendrons également le capitaine de corvette Derek Carroll, commandant du NCSM Tecumseh. Il est entré dans la Réserve navale à titre d'officier à l'instruction en 1978, au NCSM Chippawa, à Winnipeg. Il a par la suite été affecté au NCSM Porte-Saint-Jean, sur lequel il servait comme officier de navigation et commandant en second. Il a également commandé le NCSM Porte Québec ainsi que le NCSM Porte de la Reine.

En janvier 1997, il a été nommé commandant du NCSM Whitehorse. Une année plus tard, il quittait ce poste pour retourner à Calgary. Il a été affecté à son poste actuel en 2003.

Le capitaine de corvette Carroll a été aide de camp honoraire de plusieurs lieutenants-gouverneurs de l'Alberta. Il travaille actuellement à l'Agence du revenu du Canada, à titre d'expert de l'évitement fiscal.

Le lieutenant-colonel F. L. Villiger est commandant du Calgary Highlanders depuis mars 2002, dont il a été membre de 1983 à 1985, année où il a été commissionné à titre d'officier enrôlé directement. Au cours de sa carrière de militaire, il a occupé des postes de capitaine-adjudant, d'officier des opérations, de commandant du détachement d'instruction de l'Alberta et, ultérieurement, de commandant adjoint du Calgary Highlanders.

Dans la société civile, il est directeur de la Juno Beach Academy of Canadian Studies.

Pour sa part, le lieutenant-colonel B. R. Gilkes est commandant du King's Own Calgary Regiment depuis septembre 2004. À ses débuts, il a été commissionné lieutenant de l'Arme blindée. C'était en 1985. Il a été membre de la Force régulière pendant six années, au sein du 8th Canadian Hussars à Lahr, en Allemagne. Il agissait comme chef de troupe de chars et de capitaine de bataille. Il fait partie du King's Own Calgary Regiment depuis 1994. Promu major en 2001, il a été commandant adjoint de son régiment jusqu'à sa nomination à son grade et à son poste actuels.

Au sein de la société civile, le lieutenant-colonel Gilkes est président d'une entreprise de conception et de fabrication de logiciels de simulation de combats terrestres.

Enfin, le major John Lalonde est adjoint à l'A1 Coordination de la Réserve aérienne pour l'Ouest du Canada. Il a obtenu ce titre après 29 années de services dans la Force régulière. Le major Lalonde s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1970, à titre de commis comptable. Il a pris sa retraite de la Force régulière en 1998 et, après un été à bord du NCSM Quadra comme réserviste naval, en 1999, il est retourné au bleu clair de la Réserve aérienne, dont il est toujours membre.

Messieurs, merci beaucoup d'avoir trouvé le temps, malgré des horaires manifestement très chargés, de venir nous rencontrer. Nous l'apprécions énormément.

On me dit que vous avez quelques mots à nous dire pour commencer. Lequel d'entre vous brisera la glace?

Le colonel J.D. Gludo, commandant, 41e Groupe-brigade du Canada, Défense nationale : Monsieur, après des discussions serrées entre nous, j'ai décidé qu'en ma qualité de colonel, j'allais mener les rangs. Si nous parlons tous en même temps, vous ne comprendrez rien, alors nous allons commencer par le représentant du plus vieux service, qui sera suivi par les deux commandants de l'Armée de terre, puis par le représentant de la Force aérienne. Je vais clore la marche.

Le sénateur Forrestall : C'est parfait. Nous sommes ravis de vous voir tous réunis.

Le président : C'est très bien pour nous, colonel; va pour le plus vieux service en premier.

Le capitaine de corvette Derek Carroll, NCSM Tecumseh, Défense nationale : Bonjour, messieurs et mesdames. Mon nom est Derek Carroll. Je suis capitaine de corvette et commandant du NCSM Tecumseh, division de la Réserve navale de Calgary.

C'est à la fois un bonheur et un honneur de m'adresser au comité. J'espère que je pourrai vous aider dans votre importante mission.

Je me suis enrôlé dans la Réserve navale en juillet 1978, au NCSM Chippawa, comme le sénateur l'a mentionné. J'y ai passé le gros de mon temps depuis, soit à Winnipeg, où je fréquentais l'Université du Manitoba, soit à Victoria ou à Halifax.

Je suis officier des opérations maritimes de surface, et je suis titulaire d'un certificat de quart à la passerelle depuis 1982. J'ai agi comme officier de navigation à bord de plusieurs navires-écoles, ma plus longue affectation ayant duré quatre mois environ.

En mai 1985, j'ai déménagé à Calgary pour entreprendre une carrière civile à Revenu Canada, au grand regret je dois dire de mes collègues commandants.

Actuellement, je suis expert principal de l'évitement fiscal — en termes plus simples, je suis vérificateur — au Bureau des services fiscaux de Calgary. Malgré son appellation un peu saugrenue, le travail est on ne peut plus sérieux.

En août 1994, j'ai reçu le titre de commandant de petit navire de guerre, ce qui m'a amené à commander divers navires pour des périodes allant de 2 jours à 2 semaines. Comme il a également été mentionné, j'ai été commandant du NCSM Whitehorse pendant deux ans. Je suis revenu à Calgary en 1999 et j'ai été nommé à mon poste actuel en 2003.

La Réserve navale est à Calgary depuis plus de 80 ans. Au début, une cinquantaine de marins formaient la Calgary Half Company of the Royal Canadian Naval Volunteer Reserve, la RCNVR. Bientôt, l'effectif a grimpé à une centaine de marins puis, dans les années 40, l'unité a été commissionnée et baptisée NCSM Tecumseh. Durant la Seconde Guerre mondiale, plus de 4 000 Canadiens se sont enrôlés dans la Marine, au Tecumseh, et ont servi la nation partout dans le monde.

Je m'en voudrais de ne pas évoquer le nom d'un ancien officier, le lieutenant Robert Hampton Gray, à qui on a remis la Croix de Victoria à titre posthume pour son courage exemplaire devant l'ennemi. Il est le seul marin canadien à avoir été décoré de cette médaille durant cette guerre.

Actuellement, le personnel du NCSM Tecumseh compte environ 165 membres, dont 10 à temps plein et 155 à temps partiel, y compris moi-même. Je dis « environ » parce que ce chiffre varie constamment, au gré des libérations, du recrutement et des transferts. Cette année, je dois dire, le nombre de participants est toujours supérieur à celui de l'an passé, dans une proportion de 10 p. 100 environ.

Les marins sont répartis dans dix groupes professionnels militaires et cinq groupes professionnels d'officier. Ils sont âgés de 16 ans — chez les recrues — à 57 ans et leurs antécédents, de vie, culturels et autres sont très variés. Sur les 165, le tiers environ ont suivi une formation de personnel navigant; un autre tiers du personnel a reçu une formation qui, en temps normal, ne les destinait pas à des fonctions de navigation — je parle des membres de fanfares, de commis et autres métiers du genre. Enfin, le dernier tiers n'a pas reçu l'instruction de base.

Vous l'aurez deviné, le Tecumseh réunit un bassin impressionnant de talents et de compétences en tous genres, à notre disposition en temps de crise. Comme nous sommes une division de la Réserve navale, une DRN, nous n'avons plus la capacité ni la tâche de former des équipes, comme auparavant, mais nous comptons toujours un bassin impressionnant de compétences et de talents individuels. Tous ces gens, sauf circonstance exceptionnelle, sont à la disposition du Chef d'état-major de la Force maritime pour intervenir en situation d'urgences.

Voici un aperçu de la capacité actuelle de mes troupes : j'ai sous mes ordres quatre officiers qualifiés pour commander, dont trois ont déjà commandé un navire de classe Kingston. Une vingtaine d'autres officiers qualifiés représentent divers groupes, de la logistique au renseignement en passant par les opérations maritimes de surface. Environ 80 marins ont suivi une formation les qualifiant pour divers groupes professionnels militaires et d'officier. Tous ont suivi une formation de lutte contre l'incendie à bord et d'atténuation des dommages, des qualifications qui en font des ressources inestimables si jamais Calgary faisait l'objet d'une attaque comme celle du 11 septembre. Je peux aussi compter sur une équipe de plongée complète, dont les dix membres peuvent plonger à 150 pieds de profondeur pour des missions de recherche et de patrouille sous l'eau.

Petit détail technique, s'ils plongent dans un endroit comme Calgary, située à 3 000 pieds d'altitude, les plongeurs ne peuvent descendre plus loin que 50 pieds.

Nous possédons par ailleurs trois canots pneumatiques à coque rigide qui sont fonctionnels, de tailles variables allant jusqu'à six mètres de longueur.

En ma qualité de commandant du Tecumseh, j'ai, à l'instar de mes confrères et consoeurs qui commandent les 24 divisions de la Réserve navale au Canada, la tâche difficile de recruter des marins et, ce qui est encore plus périlleux, de les retenir après leur formation. À cet égard, Calgary se distingue en raison de son économie locale qui, selon moi, génère beaucoup d'emplois au niveau d'entrée. Un certain nombre des membres de notre personnel ont soit été transférés d'autres unités ou, ce qui est encore plus encourageant, reviennent après des années de service à temps plein. Qui plus est, pour des raisons qui m'échappent, nous avons eu le bonheur d'accueillir un nombre assez important de membres désireux de rallier nos rangs après quelque temps dans la RSD, la Réserve supplémentaire disponible. En temps normal, le processus de retour depuis la RSD jusqu'à chez nous prendrait des mois, voire des années, mais nous avons trouvé moyen de leur fournir un emploi rémunéré pendant la période d'attente.

Peut-être voulez-vous en savoir un peu plus au sujet de l'instruction continue ou de maintien des compétences. J'ai dernièrement eu la joie de participer à un atelier de fin de semaine axé sur la révision des exigences de préparation au combat du personnel navigant à l'intérieur de la SGPM de nos unités. Des formations ponctuelles de lutte à l'incendie, d'atténuation des dommages, de pilotage aux instruments et sur l'évolution de l'équipement embarqué nous permettent de tenir à jour les compétences des marins, qui sont toujours prêts à s'embarquer à court préavis.

Les navires de la classe Kingston sont énormément sollicités pour les opérations et l'instruction des GPM, ce qui limite le nombre de places individuelles pour les marins. L'un des moyens à la disposition des unités comme Tecumseh pour aguerrir nos membres à la navigation et resserrer l'esprit d'équipe est d'offrir de l'instruction en équipe à bord des navires de servitude YAG. Les YAG arrivent à la fin de leur vie utile et seront remplacés par des navires de la classe Orca. Tout en sachant que les six navires de la classe Orca sont destinés principalement à l'instruction des officiers pour réduire la demande à l'égard de la classe Kingston, nous espérons qu'ils pourront aussi servir aux activités d'instruction en mer des DRN.

Je le répète, je suis ravi d'être ici et j'espère pouvoir vous être utile dans votre mission.

Le président : Merci beaucoup.

Je dois faire une petite intervention de nature technique. À cause du brouillage dans le système de son, je dois vous demander d'éteindre vos téléphones cellulaires. Ils sont peut-être à l'origine du sifflement émis par certains micros.

Par ailleurs, j'ai un rappel à faire aux témoins : pouvez-vous éviter les acronymes, ou du moins nous en donner la signification si vous persistez à les utiliser? Nous avons mis sur pied un système d'amendes. Je crois que c'est quelque chose comme 25 cents la lettre, et nous versons les profits dans la caisse de secours des sénateurs. Sérieusement, nous vous saurions très reconnaissants, pour le bénéfice du compte rendu et de tous les intéressés, d'utiliser les appellations complètes.

Le lieutenant-colonel F. L. Villiger, Calgary Highlanders, Défense nationale : Bonjour, chers sénateurs. C'est un grand privilège pour moi de témoigner aujourd'hui à titre de commandant du Calgary Highlanders et de membre des Réserves des Forces canadiennes depuis 22 ans.

Le Calgary Highlanders est une unité d'infanterie de réserve, qui compte environ 160 membres, dont entre 60 et 120 se présentent au rassemblement hebdomadaire. Notre mission est de soutenir les Forces canadiennes et l'Armée de terre de l'Ouest — le Secteur de l'Ouest de la Force terrestre. Plus précisément, notre unité assure l'instruction individuelle ou en groupe de l'infanterie débarquée, afin d'augmenter l'effectif de la Force régulière. Nous formons des soldats de l'infanterie dans des domaines de compétence essentiels pour augmenter les troupes de la Force régulière et nous assurer de disposer de suffisamment de réservistes capables de soutenir les opérations intérieures, selon les besoins.

Pour remplir cette mission, notre capacité d'instruction se fonde sur deux éléments de mission, qui comprennent deux compagnies d'infanterie légère soutenue par une compagnie de quartier général. Cette dernière assure le commandement et le contrôle, l'administration de l'unité et la régie des affaires du régiment. L'une des compagnies d'infanterie regroupe les soldats formés qui se préparent à entrer dans l'Armée; la deuxième compagnie d'infanterie offre les cours, le perfectionnement professionnel et le soutien pour la garnison, et les exercices d'entraînement.

Cette année, le budget d'instruction de notre unité et de soutien au régiment dépassait légèrement 660 000 $. C'est suffisant pour payer les 37,5 jours d'instruction requis pour participer au rassemblement.

Notre unité de réserve partage les locaux du manège militaire Mewata, au centre-ville de Calgary, avec deux autres unités de réserve, deux corps de cadets, et des officiers du Quartier général du 41e Groupe-brigade mécanisé du Canada. Cette infrastructure convient pour l'administration de notre unité, les salles de classe et l'entraînement au manège militaire. Pour ce qui est de l'instruction et de l'entraînement exigeant un plus grand terrain, nous utilisons des terres publiques près de Calgary ainsi que le Centre d'instruction du Secteur de l'Ouest, situé au camp Wainwright, en Alberta.

Sur le plan du recrutement, nous sommes aux prises avec les mêmes difficultés que la plupart des unités de réserve, qui sont attribuables aux longs délais de traitement et aux vérifications de sécurité approfondies. Le Calgary Highlanders apprécie la publicité nationale, mais nous sommes d'avis qu'il faudrait cibler plus précisément l'expérience vécue et la réalité de l'instruction des soldats d'infanterie sur le terrain. Au sein du Calgary Highlanders, la situation de la rétention est plus préoccupante que problématique si on compare avec les difficultés qu'éprouve la Force régulière à attirer de nouveaux membres. Il n'en demeure pas moins que nous perdons des soldats parce que le monde civil leur offre plus de possibilités de formation et qu'il faut beaucoup de temps à un soldat pour monter de grade.

Le Calgary Highlanders n'en a pas moins la profonde conviction d'avoir servi le Canada et le Secteur de l'Ouest de la Force terrestre ces dernières années. Nous avons en effet contribué à l'intégration de plus de 200 soldats à divers nouveaux postes de la Force régulière, ou encore de la Classe C et de la Classe B. Ces soldats ont servi dans l'ex- Yougoslavie, quelques-uns sont allés en Afghanistan, d'autres ont participé à des missions de l'ONU en Afrique, ou encore à des opérations intérieures comme l'encadrement du Sommet du G8 et la lutte aux incendies qui ont ravagé la Colombie-Britannique. Cela comprend également de nombreux sous-officiers supérieurs ou subalternes qui travaillent à temps plein au Camp Wainwright.

La Force régulière a peine à recruter de nouveaux membres pour toutes sortes de raisons, qui vont des empêchements familiaux ou professionnels aux mécanismes de protection des emplois, à la concurrence sur le plan des salaires et aux conditions d'admission dans les rangs ou aux cours.

Le Calgary Highlanders entretient depuis toujours de très solides liens avec la collectivité. Cette relation a été fort profitable pour la mise sur pied d'exercices d'entraînement à l'échelon local, pour lesquels nous avons pu compter sur la collaboration de la ville de Calgary, du CP, de la police de Calgary et du groupe d'intervention tactique de la police municipale.

Nous avons également été actifs sur le plan social, en établissant un lien avec le conseil d'administration du Stampede de Calgary, les Flames et les Stampeders de Calgary. Nous accueillons lors de nos dîners réglementaires le chef des services d'incendie, celui de la police, des politiciens locaux et d'influents gens d'affaires de Calgary. Notre appartenance à cette collectivité depuis 1910 nous a convaincus de l'immense bénéfice de notre intégration, autant pour l'unité elle-même que pour les FC.

À maints égards, cette relation a grandement inspiré les traditions de notre unité, nos défilés, l'esprit de corps, la confiance du soldat moderne. Elle a certainement joué un rôle dans notre capacité de rétention des membres. Nous sommes également des membres dynamiques du Conseil de liaison des Forces canadiennes et nous avons souvent été les hôtes principaux de visites de civils.

Le Calgary Highlanders est un régime d'infanterie de grande classe, imprégné d'un grand sens de l'histoire et de sa mission. Nous avons réussi à moderniser notre unité de réserve et nous faisons tout pour servir de notre mieux le Secteur de l'Ouest de la Force terrestre et le Canada.

Merci.

Le président : Merci, monsieur. Qui sera le prochain?

Le lieutenant-colonel B. R. Gilkes, King's Own Calgary Regiment, Défense nationale : Je suis le lieutenant-colonel Bruce Gilkes, commandant du King's Own Calgary Regiment. Merci de votre invitation.

Sur la plan de la capacité d'instruction, pour répondre à votre question, le King's Own se compose de deux sous- unités : une fanfare et un régiment de reconnaissance. Au total, le King's Own Calgary Regiment compte 116 soldats. Nous avons toutefois entrepris une vaste campagne de recrutement, qui devrait nous amener beaucoup de nouveaux membres.

En temps normal, nous organisons deux séances d'instruction de groupe par année dans la région de Calgary, qui attirent entre 20 et 30 candidats chacune. Cette année, c'est un peu différent parce que nous passons du statut de régiment blindé à celui de régiment de reconnaissance. Nous avons donc formé un groupe de 20 instructeurs qui, à leur tour, ont instruit les autres membres du régiment. Ces activités ont remplacé le cadre d'instruction courant.

Nous pourrions reproduire cette méthode si nous avions à instruire un groupe important de recrues, mais sur une base provisoire seulement. Cette approche minerait certainement le moral des instructeurs, et il serait difficile pour eux de rester et de maintenir leur compétence pour l'instruction de groupe.

Pour les activités courantes, je reçois environ 450 000 $ par année, que j'utilise pour la gestion du régiment. Ce budget englobe le salaire des réservistes à temps partiel et le coût de participation aux exercices d'entraînement l'hiver. Les coûts du personnel à temps plein, de l'instruction donnée l'été ainsi que des cours régionaux sont financés par l'organisme central; par ailleurs, l'unité de soutien de secteur de Calgary assume la presque totalité de mes frais d'infrastructure. J'ai suffisamment d'argent pour mener à bien ma tâche et, dans des circonstances exceptionnelles — par exemple, l'arrivée d'un grand nombre de recrues —, je sais que je peux demander des fonds supplémentaires et que je les obtiendrai.

Nos plus grands défis ont trait au recrutement et à la rétention, ce qui est sans doute le lot de tous les régiments de réserve. Il m'incombe d'intéresser de nouveaux venus aux Réserves des Forces canadiennes en général, de faire la présélection et de remplir des papiers. Certaines recrues choisissent l'infanterie, d'autres la Marine, et d'autres encore l'Armée régulière. Pour ma part, je m'occupe de les attirer et de prier pour le mieux.

Les délais sont encore énormes entre le moment où un candidat se montre intéressé et celui où il est enrôlé et payé. À mon avis, un commandant a recueilli suffisamment d'information après quelques jours pour décider d'enrôler un candidat, sous condition. La meilleure façon d'améliorer le processus est d'assouplir les règles d'enrôlement conditionnel.

La priorité absolue du régiment est d'attirer de nouvelles recrues. Une équipe de quatre soldats y ont travaillé à temps plein ces deux derniers mois — techniquement, c'est plutôt un mois et demi —, et leurs méthodes novatrices ont porté fruit. Ils ont rencontré plus de 10 000 Calgariens, des étudiants surtout, parmi lesquels 2 500 ont manifesté leur intérêt pour la Réserve, 400 ont entamé le processus de dépôt de candidature et 50 s'apprêtent à quitter l'usine de saucisses et à intégrer le régime de recrutement des Forces canadiennes.

Ce nombre devrait faire un bond dans les prochaines semaines. Mon objectif est 200 recrues d'ici la fin de mars.

En ce qui concerne la rétention, le problème le plus pressant est d'offrir des cours de qualification aux soldats de niveau intermédiaire — c'est-à-dire du niveau sergent au niveau adjudant-maître. Ces cours sont trop souvent annulés, pour diverses raisons. J'ai bon espoir cependant parce que je sais que les hauts gradés ont bien compris le problème et qu'ils cherchent actuellement des solutions. Je suis tout à fait en faveur de la proposition du commandement du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre de donner l'instruction au cours de l'été. C'est un pas dans la bonne direction pour régler le problème.

Pour ce qui est de notre contribution à la Force régulière, 30 p. 100 environ de nos soldats ont participé à des missions de l'ONU et de l'OTAN, et la grande majorité ont participé à des opérations intérieures de la Force régulière ou à des formations données au Canada.

Nous sommes limités quant au nombre de soldats que nous pouvons fournir à la Force régulière parce que la majorité des réservistes sont des étudiants ou des travailleurs à temps plein. Ils sont donc peu nombreux à se porter volontaires pour participer aux activités. Il existe selon moi des moyens d'augmenter ce taux de participation. Les réservistes qui se portent volontaires pour une opération donnée devraient, très rapidement, signer un contrat qui garantit leur déploiement s'ils satisfont aux exigences opérationnelles et physiques. Notre intention n'est pas de forcer le déploiement de personnes non qualifiées, mais nous voulons être en mesure de leur garantir un emploi. Sans cette garantie, ils prennent de très grands risques sur les plans personnel et financier quand ils se portent volontaires pour une opération.

Par ailleurs, je crois que les soldats seraient plus nombreux à participer à des opérations s'ils pouvaient s'engager en « équipe », avec leurs compagnons, plutôt que sur une base individuelle. Le plan actuel de déploiement des Forces canadiennes propose une piste de solution en ce sens, mais il faudra aller plus loin pour inciter les réservistes à participer en plus grand nombre.

Notre influence sur la collectivité avoisinante me tient particulièrement à coeur. Je participe à divers événements locaux comme les activités de la Chambre de commerce et des études stratégiques dans les universités. Notre unité participe au défilé « droit de cité », ainsi qu'à d'autres défilés et présentations organisés par la collectivité.

Notre relation avec Calgary passe également par nos « athlètes soldats ». Notre équipe de course d'aventure a récemment représenté le Canada à Patagonia, au Chili, où elle a obtenu une deuxième place. Cette épreuve est une course de 650 kilomètres qui comprend du trekking, du cyclisme et du kayak de mer. Nous avons également soutenu des biathlètes et, d'ailleurs, l'un des plus grands espoirs canadiens dans cette discipline est un ancien membre du King's Own Calgary Regiment.

Je m'arrête ici pour l'instant.

Le président : Merci, colonel.

Permettez-moi une brève interruption afin de vous présenter le sénateur Tommy Banks, que vous connaissez tous, j'en suis sûr. C'est l'un des membres les plus dynamiques de notre comité. Il vient de passer la journée à présider son propre comité, Énergie, environnement et ressources naturelles, qui tient également des audiences à Calgary en ce moment. Après la séance d'hier, il nous a rejoint en avion, pour nos audiences publiques à Edmonton, après quoi il a repris l'avion vers Calgary, où il a présidé son comité ce matin, et le voici de nouveau parmi nous cet après-midi.

Le sénateur Banks : Très brièvement, dois-je dire à regret, mais je vous remercie.

Le président : Nous sommes ravis qu'il soit parmi nous. Il est venu parce qu'il connaît l'importance de nos travaux pour l'Alberta, et pour Calgary en particulier. Veuillez continuer vos exposés.

Le sénateur Banks : Merci.

Le major John Lalonde, A1 adjoint — Coordination de la Réserve aérienne pour l'Ouest du Canada, Défense nationale : Monsieur le président, chers sénateurs. Merci de m'avoir invité à m'adresser au comité aujourd'hui. Je crois que vous avez eu quelques occasions récemment de vous renseigner sur la Réserve aérienne auprès de mon homologue du Secteur de l'Est le 1er février 2005, ainsi qu'auprès du Chef d'état-major de la Force aérienne, le 7 février 2005. Par conséquent, mon exposé mettra l'accent sur la contribution de la Réserve aérienne dans le Secteur de l'Ouest en matière de sécurité nationale et d'opérations internationales dans un contexte de force totale.

D'abord, j'ai fait partie des Forces canadiennes ces 34 dernières années, pendant 29 ans en tant que militaire au sein de la Force régulière, 6 mois au sein de la Réserve navale et 5 ans dans la Réserve aérienne. Je suis actuellement réserviste à temps plein, à titre d'A1 adjoint — Coordination de la Réserve aérienne pour l'Ouest du Canada.

Notre bureau, situé à Comox, en Colombie-Britannique, fait partie du Quartier général de la 1re Division aérienne du Canada à Winnipeg, au Manitoba. Notre bureau est chargé d'appuyer les escadrilles de la Réserve aérienne situées à Abbotsford, à Comox et à Victoria en Colombie-Britannique, à Cold Lake en Alberta ainsi qu'à Moose Jaw en Saskatchewan. Il appuie également trois unités à Winnipeg, au Manitoba; et une escadrille éloignée à Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest.

Il existe une autre unité qui fait appel aux réservistes de la Force aérienne dans le secteur géographique. Cependant, il s'agit d'un escadron tactique d'hélicoptères situé à Edmonton, en Alberta, qui relève du coordonnateur de la Réserve aérienne du Quartier général de la 1re Escadre, situé à Kingston en Ontario.

Comme l'a mentionné mon homologue du Secteur de l'Est, la Réserve aérienne possède une seule chaîne de commandement intégrée pour la Force régulière et la Réserve, et elle fait partie intégrante de la Force aérienne totale. En observant le travail réalisé aux escadres ou unités, il serait impossible de faire la distinction entre un réserviste ou un militaire de la Force régulière au sein de l'équipe, car ils travaillent côte à côte et font partie de la même chaîne de commandement. Mon rôle possède donc plutôt un caractère consultatif.

Je vais maintenant parler de sécurité nationale. Puisque la majorité, soit 70 p. 100 environ, des réservistes de la Force aérienne sont d'anciens militaires de la Force régulière, ils contribuent considérablement au rôle en matière de sécurité nationale, en collaboration avec leurs homologues de la Force régulière. Je vais vous donner quelques exemples de ces activités. Tout d'abord, l'escadrille de déploiement à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, appuie le programme de Rangers canadiens dans le Nord. À Victoria en Colombie-Britannique, les réservistes pilotent et entretiennent les hélicoptères Sea King au 443e Escadron d'hélicoptères maritimes, en plus de les préparer en vue des déploiements du détachement d'hélicoptères de la Force aérienne. Ils contribuent en outre aux efforts de recherche et de sauvetage du Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage à cet endroit. À la 19e Escadre Comox, une plus grande proportion participe directement aux efforts de recherche et de sauvetage au 442e Escadron, ainsi qu'aux activités de l'aéronef Aurora au 407e Escadron à l'appui des opérations navales, de la surveillance des pêches et des opérations antidrogues. Il y a également l'appui des 410e, 416e, 417e et 441e Escadrons de chasse à la 4e Escadre Cold Lake, qui est une de nos responsabilités dans le cadre du NORAD.

En ce qui concerne les opérations internationales, les réservistes de la Force aérienne sont déployés individuellement ou ils remplacent des militaires de la Force régulière en déploiement. En 2004, par exemple, 198 réservistes de la Force aérienne ont participé à des déploiements effectués dans le cadre d'opérations internationales, 158 réservistes de la Force aérienne ont participé à des opérations nationales, et 109 ont appuyé la station des Forces canadiennes Alert et offert du personnel supplémentaire à divers centres de formation au Canada.

Il existe un organisme unique dans le Secteur de l'Ouest, c'est-à-dire la 192e Escadrille du génie de l'air à Abbotsford. Il s'agit d'un détachement de la Réserve à la 4e Escadre Cold Lake, en Alberta, qui fonctionne en tant qu'unité autonome. Il est situé dans la collectivité d'Abbotsford, avec laquelle il possède des liens étroits, et collabore avec des organismes communautaires dans le cadre de projets locaux de construction (par exemple, Habitat pour l'Humanité, le Sentier transcanadien, et cetera) pour former ses militaires et assurer le maintien de leurs compétences.

De plus, au moins un de ses militaires est déployé pratiquement tous les mois et, parfois, l'unité entière a été déployée pour appuyer les opérations nationales ou internationales, y compris celles concernant la Bosnie.

En résumé, comme vous le savez déjà, l'intégration de l'effectif, l'embauche de personnel expérimenté au sein de la Réserve aérienne et la formation des réservistes de la Force aérienne selon des qualités requises et des normes identiques à celles des militaires de la Force régulière, permettent un transfert rapide du service à temps partiel au service à temps plein en fonction des besoins opérationnels. Par conséquent, la Force aérienne peut mobiliser ses ressources d'une manière flexible et adéquate, et ce, de façon opportune et là où elles sont nécessaires. De plus, l'adoption d'une approche intégrée en matière de force totale signifie une réduction considérable des coûts relatifs à l'infrastructure et à la formation.

Le président : Merci, major Lalonde. Nous allons maintenant écouter le colonel Gludo.

Le col Gludo : Bonjour. Je me réjouis de m'adresser au comité à titre de commandant du 41e Groupe-brigade du Canada. Je suis non seulement un soldat, mais un réserviste à part entière. Le 41e Groupe-brigade du Canada est l'armée de réserve de l'Alberta, et ses soldats de tous horizons sont répartis partout dans la province.

À titre de commandant du 41e Groupe-brigade du Canada, je rends des comptes directement au commandant du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre. Mon rôle est de préparer ma brigade à lui prêter main forte dans l'accomplissement de sa mission. Nous nous efforçons de contribuer à la formation et à la préservation de forces générales et interarmes prêtes au combat, à l'appui des opérations nationales et à l'étranger, en temps de paix et de guerre, aujourd'hui et demain.

Nous contribuons à la formation de soldats qualifiés et compétents, disposés à quitter le confort de la vie civile pour défendre le Canada et ses intérêts, pour promouvoir la paix et la sécurité à l'étranger. L'instruction et notre détermination nous permettent de déployer une sous-unité efficace, selon les besoins et à brève échéance, pour remplir des missions intérieures.

Le maintien de cette équipe représente un défi de taille. Pour y parvenir, nous menons notre propre « guerre à trois volets », qui consiste à attirer, à former et à retenir des candidats.

Sur le plan de l'attraction, nous devons composer en Alberta avec un taux d'emploi élevé, ou un faible taux de chômage, une population hautement scolarisée et qui gagne bien sa vie. En général, l'intérêt public à l'égard des Forces canadiennes est bien protégé en Alberta, et nous jouissons d'un soutien populaire indéfectible. Au contraire de la Force régulière, il appartient à chacune des unités d'attirer ses propres recrues. Pour réussir à attirer 400 recrues physiquement aptes, nous devons rencontrer environ 88 000 Albertains, ou quelque chose comme 220 citoyens pour une recrue qualifiée.

Pour ce qui est de l'instruction, notre devoir est de la rendre intéressante et attrayante, et ce sont les activités les plus ancrées dans la réalité qui y parviennent le mieux. Les commandants ont la possibilité de créer un environnement d'instruction propre à renforcer et à compléter le bagage de compétences de nos soldats. Il faut leur donner le sentiment de poursuivre un objectif, d'être un élément important d'une équipe et reconnaître leur valeur. Nous avons également travaillé ardemment à établir la capacité et la compétence nécessaire pour donner une instruction formelle à tous ceux qui ont un bon potentiel.

En matière de rétention, nous reconnaissons qu'il est primordial de retenir les soldats après que nous les avons enrôlés et formés. C'est pour moi l'essentiel. Et pour les retenir, il faut leur offrir l'équipement nécessaire, des munitions, de la formation poussée, de l'aventure, reconnaître leurs efforts, créer un esprit d'équipe et favoriser la réconciliation travail-famille. Actuellement, ils ont peu accès à de la formation de qualité. Nos soldats sont intelligents, travaillants et dévoués. Nous devons reconnaître à leur juste valeur les heures qu'ils consacrent à se former. Quand seulement 12 heures d'instruction sur les 48 prévues sont utilisées, ce n'est pas très efficace pour retenir du personnel, qui souvent doit parcourir de longues distances pour participer.

Bien que nous soyons une unité de réserve, le 41e Groupe-brigade du Canada est une unité opérationnelle. Nous faisons partie d'une grande équipe qui soutient la Force en renforçant la capacité des unités à atteindre leurs buts. Notre objectif premier est de former des éléments utiles à l'équipe, tout en continuant de nous impliquer dans les collectivités où nous vivons.

Au cours des 3 dernières années, des soldats du 41e Groupe-brigade du Canada ont participé à 15 opérations et missions de l'ONU, en plus d'apporter un secours significatif aux opérations de lutte aux incendies en Colombie- Britannique.

Le 41e Groupe-brigade du Canada est actuellement en transformation. Nous modifions l'équipement des soldats et la structuration des unités. Les rôles, les missions évoluent, et les réserves sont de plus en plus sollicitées, de plus en plus parties prenantes des opérations. Tous ces facteurs concourent à maintenir notre concentration sur notre rôle opérationnel.

Nous représentons un élément pivot de l'équipe. Nous sommes l'image à laquelle se réfère la collectivité. C'est nous que le public voit quand il pense à l'Armée. La bannière « soldat d'abord » est un mode de vie qui imprègne le partage de notre compétence, de nos croyances et de notre compréhension au monde civil.

Nous sommes des soldats. Nous réussissons parce que nous croyons en ce que nous faisons.

Le président : Merci beaucoup, colonel.

Le sénateur Cordy : Merci à chacun d'être venu nous aider à poursuivre notre examen.

Si on en juge par les sénateurs et le groupe de réservistes présents dans cette salle, il est tentant de conclure que l'Armée est à forte dominante masculine. Je ne peux m'empêcher de vous demander si des femmes proposent leur candidature comme réservistes?

Le captc Carroll : Je vais donner une première réponse à votre question. Le tiers environ de l'équipage de mon navire sont des femmes. Tous les groupes professionnels militaires et d'officier leur sont ouverts. Nous faisons de notre mieux pour attirer les femmes recrues et les former, sans distinction.

Le col Gludo : Très franchement, je n'ai pas de statistique pour le Groupe-brigade. Peut-être est-ce dû au fait que nous ne classons jamais notre effectif sur la base du sexe. Auparavant, j'étais commandant du bataillon des services, chargé du soutien logistique et mécanique du combat, où le tiers du personnel était féminin. C'est le seul cadre de référence sur lequel je peux m'appuyer.

Le lcol Villiger : Sénateur, à mes débuts en 1983, le Calgary Highlander comptait une seule femme, une caporale- chef, et laissez-moi vous dire qu'elle m'a foutu la peur de ma vie quand j'étais soldat. Maintenant que je suis commandant, quand je passe les rangs en revue, j'y vois certainement entre 15 et 20 femmes très talentueuses, qui toutes m'inspirent fierté. Quelques-unes sont caporale-chef et, si vous connaissez un peu l'infanterie, vous savez que c'est le coeur de notre unité, et nous en sommes très fiers. Deux officières très talentueuses font aussi partie de notre unité.

Vous avez raison, sénateur. Une de ces femmes auraient dû être à nos côtés aujourd'hui.

Le sénateur Cordy : Je suis également la seule femme du comité. Je ne vous fais pas la morale.

Le président : Elle vaut à elle seule tous les autres!

Le lcol Gilkes : Au sein du King's Own Calgary Regiment, 10 p. 100 environ du personnel sont des femmes, y compris dans les grades supérieurs. Notre capitaine-adjudant est une femme. Une nouvelle élève-officière vient tout juste de se joindre à nous, et des femmes de tous les grades ont participé à des missions de l'ONU. Nous encourageons les candidatures féminines, qui seront de plus en plus nombreuses espérons-nous.

Le maj Lalonde : La brigadière-générale Patricia Brennan, auparavant conseillère de la Réserve aérienne, vient d'être promue A1. Cette réserviste occupe dorénavant un poste de la Force régulière. Parmi les réservistes, 30 p. 100 environ sont des femmes. La majorité font partie de groupes professionnels de soutien mais, de plus en plus, beaucoup d'entre elles gagnent les rangs des groupes techniques.

Le sénateur Cordy : Merci. Vous avez chacun votre tour parlé de problèmes de rétention et de recrutement, qui ont également été évoqués à Saint John, au Nouveau-Brunswick, à Charlottetown. Nous en avons entendu parler partout où nous sommes passés. Le problème est assurément réel.

Colonel Villiger, vous avez dit que vous appréciez le travail du fédéral sur le plan de la publicité, mais... J'ai manqué la suite du « mais ».

Le lcol Villiger : Oui, sénateur. Je peux élaborer. En apprenant que je venais témoigner, j'ai discuté avec nos membres de certains des thèmes de l'examen. De l'avis de nos recruteurs, pour ce qui est du Calgary Highlanders, chacun d'entre nous travaille de façon isolée — le commandant y a fait allusion — pour attirer de nouvelles recrues.

Selon nous, les annonces publicitaires et les affiches sont trop générales. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil! Ceux qu'on y voit sont des citoyens exemplaires, j'en suis certain, mais les Calgary Highlanders se mouillent, ils se salissent, ils creusent des fossés. Nous trimons vraiment dur. Nos soldats et nos officiers, y compris moi-même, aimeraient qu'on montre le côté moins rose des choses, notre réalité, et quels types de candidats nous intéressent. Ceux qui se présentent sauront vraiment à quoi s'en tenir. Pas question de leurrer les gens : nous aimons les soldats qui travaillent fort.

Le sénateur Cordy : Pensez-vous que les publicités du fédéral sont complètement déconnectées de la réalité et que les candidats peuvent être désillusionnés?

Colonel Gludo, vous avez parlé de moyens pour inciter les gens à rester, en mentionnant notamment le sentiment d'aventure, la qualité de l'instruction, et cetera. Y a-t-il un fossé entre la perception et la réalité de la Réserve, ce qu'on y vit une fois qu'on y est entré?

Le col Gludo : Je ne parlerais pas de fossé. Comme les militaires sont au service du gouvernement, nous sommes une prolongation de ce que le public veut. Selon moi, nous devons concevoir nos propres campagnes publicitaires afin d'attirer le plus grand nombre de candidats possible.

Vous l'avez bien souligné dans votre première question, notre organisation n'est pas tout à fait représentative de l'ensemble de la société. Les unités se fient énormément au bouche à oreille pour le recrutement, un bon moyen pour les personnes intéressées d'avoir l'heure juste. Cependant, nous devons aussi attirer l'attention de tous ceux qui n'ont pas de liens avec nos soldats de façon régulière, et leur dire que nous avons une place pour eux. Les affiches doivent donc être représentatives de la réalité, pour attirer ceux qui ne seraient pas normalement attirés.

Bref, je ne parlerais pas de fossé. Il y a tout simplement différents moyens, à différents niveaux, pour attirer différentes personnes.

Le sénateur Cordy : Il en est de même pour ce qui est de la représentation des différentes ethnies dans les Réserves et dans les Forces armées, n'est-ce pas?

Le col Gludo : C'est exact.

Le sénateur Cordy : Quelques-uns d'entre vous avez fait référence à vos liens avec la collectivité. Aux fins du recrutement, cette présence dans la collectivité est-elle un atout?

Le lcol Gilkes : Je vais répondre avec une analogie. Si on considère que le ministère de la Défense nationale est le grand responsable de la notoriété de la marque dans les campagnes de marketing, nous sommes les gérants de magasin dont le travail est de vendre le produit. Notre clientèle cible étant les étudiants du secondaire et du collégial, je ne crois pas qu'on doive se fier aux campagnes publicitaires nationales pour les attirer. Si je faisais un sondage, je suis certain que c'est ce que la plupart diraient.

Le plus efficace pour nous est d'aller à l'école avec un gros véhicule blindé et de leur montrer toutes sortes de pièces d'équipement — avec l'autorisation de l'école, il va sans dire. C'est ce qui plaît le plus aux étudiants, ce qui les sensibilise et les convainc de se joindre à nous. Leur enthousiasme naît quand ils voient de grands gaillards habillés en kaki avec un gros véhicule blindé et toute sorte d'équipement. Ils ne viennent pas à cause de la campagne nationale. Elle ne fait pas de tort, mais c'est concrètement, en amenant un véhicule blindé à l'école, que le travail de recrutement se fait.

Le sénateur Cordy : Vous les attirez à la porte.

Le col Gludo : Je crois que votre question avait trait aux répercussions de notre travail dans la collectivité, non?

Le sénateur Cordy : Oui.

Le col Gludo : Le lien avec la collectivité est primordial, pour plusieurs raisons. L'un des mandats des réservistes, je crois que c'est la même chose pour la Marine et la Force aérienne, est de donner une image à la collectivité, de faire le relais entre les citoyens et les soldats, ou entre les citoyens et l'appareil militaire.

La collectivité a des attentes par rapport à l'Armée, et l'image qu'elle s'en fait peut être faussée. Tout dépend des films que les gens ont vus. Mais nous avons, pour la plupart, un esprit communautaire. Nous n'aidons pas les collectivités simplement pour faire notre marque, nous le faisons pour leur montrer notre utilité. Tout est lié. Si nous entretenons une communauté d'esprit, nous avons plus de chances de recruter lorsque nous travaillons dans les collectivités. Nous en retirons un sentiment de bien-être parce que c'est notre collectivité, dans laquelle nos enfants grandissent, où nous vivons. Nous voulons donner en retour. Nous tentons de tisser un lier étroit.

Toutes les unités tirent une grande fierté de leur héritage, qui la plupart du temps est étroitement lié à celui de la collectivité dans laquelle elles évoluent. Toutes veulent profiter de toutes les occasions possibles de se montrer sous leur meilleur jour.

Le sénateur Cordy : Les aspirants réservistes sont-ils en majorité des étudiants?

Le captc Carroll : Traditionnellement, ce sont des étudiants, du secondaire, parce que nous recrutons maintenant à partir de 16 ans, et de l'université. Mais ce ne sont pas seulement des étudiants. Des gens plus âgés manifestent leur intérêt à travailler au Tecumseh. L'un de mes officiers supérieurs s'est enrôlé à 35 ans environ. Il avait déjà été dans la Marine quand il était plus jeune, il en était sorti pour faire autre chose, puis il est revenu. Je dois dire cependant qu'il est plus l'exception que la règle.

En réalité, le réserviste naval doit suivre une instruction de base qui dure des mois avant d'être compétent, peu importe le groupe professionnel. Vous imaginez qu'il n'y a pas beaucoup de travailleurs à temps plein qui peuvent trouver ce temps.

Le sénateur Cordy : Quel pourcentage d'étudiants quittent les Réserves une fois qu'ils ont décroché leur diplôme universitaire ou d'un collège communautaire? Je ne vous demande pas le pourcentage exact, mais un ordre de grandeur.

Le captc Carroll : J'ai une piste de réponse. Au cours de sa carrière, le réserviste fait face à deux ou trois moments charnières quant à la décision de rester ou non. La longue attente qui accompagne le processus actuel de recrutement est difficile. Certains se découragent et trouvent un emploi dans un champ de pétrole quelconque. Le deuxième moment difficile arrive le premier ou le deuxième matin de l'instruction de base, quand ils se font réveiller par un gars immense qui leur crie dessus. C'est assez pour se demander ce qu'on fait là!

De toute évidence, l'un des pires moments survient quand ils s'établissent dans leur première carrière civile et qu'ils doivent trouver l'équilibre avec leur carrière militaire. Il faut être habile. Je ne sais pas comment nous enseignons ces compétences dans la Réserve navale, mais elles sont essentielles pour rester un réserviste à long terme.

Tout ce que je peux vous dire est que nous tentons de stimuler l'intérêt. Assez étrangement, les travailleurs à temps partiel ne s'enrôlent pas dans les Réserves pour pousser un crayon. Mon défi est de rendre les choses aussi intéressantes que possible, et particulièrement pour ces gens.

Le sénateur Cordy : Plusieurs d'entre vous ont mentionné les longs délais entre le dépôt de la demande et le moment où la personne devient effectivement réserviste. Entre-temps, certains perdent l'intérêt. Qu'est-ce qu'on fait pour régler le problème? Il me semble qu'un problème de délai de traitement peut être réglé assez facilement.

Le lcol Gilkes : Je peux répondre à cette question. L'équipe de recrutement des Forces canadiennes procède actuellement à divers essais. On a notamment essayé l'enrôlement conditionnel, dès que la personne passe la porte, qui comprend une part de risque. La méthode est concluante.

On a également ciblé les causes des délais de traitement — par exemple, un problème médical. Si une personne a déjà été militaire mais qu'elle a des antécédents médicaux, sa réintégration est beaucoup plus longue. On tente actuellement de remédier à la situation.

On estime que tout candidat irréprochable — sans casier judiciaire, sans problème majeur, qui a tous ses papiers en ordre — devrait être enrôlé dans un délai de trois à six semaines. Ce n'est pas encore le cas, mais les choses s'améliorent.

Le captc Carroll : J'aimerais ajouter un commentaire. Avant de venir témoigner, je me suis entretenu avec l'officière de recrutement de mon unité, l'un de mes agentes de dotation à temps plein. Je voulais avoir son avis sur la situation. Selon elle, la relation entre le Tecumseh et le centre de recrutement local est exceptionnelle. Si le délai d'entrée de trois à six semaines est possible, elle obtient toute leur collaboration, malgré les autres fonctions de recrutement qui leur incombent pour la Force régulière, notamment.

Je ne crois pas que le problème soit local. C'est un problème d'envergure nationale, qui doit être résolu à cette échelle.

Le sénateur Cordy : C'est aussi mon avis.

Sur la question de la rétention des recrues, vous avez notamment mentionné que si vous pouvez leur offrir une instruction de qualité, intéressante, avec tout l'équipement requis, ce serait un atout majeur pour les inciter à rester.

Disposez-vous de l'équipement requis pour l'instruction? En avez-vous suffisamment pour les formations pratiques?

Le lcol Villiger : Dans l'infanterie, ce qui peut influer sur le taux de rétention, les recrues disposent de l'équipement nécessaire pour l'instruction de base. Cependant, quand les recrues arrivent à Calgary, au Calgary Highlanders plus exactement, il faut souvent fournir notre propre équipement, selon le tableau de dotation des compagnies. Pour les exercices d'entraînement, cela nous oblige souvent à emprunter l'équipement nécessaire pour donner la formation plus poussée.

Il est tout à fait possible de bien fonctionner si la dotation est plus rapide, disons six semaines à l'avance. Si l'équipement est disponible, et qu'il n'a pas été réservé par d'autres groupements tactiques — la Force régulière peut avoir besoin du même équipement mais, si nous nous organisons bien, nous pouvons obtenir les outils essentiels pour que l'entraînement soit efficace. Cependant, si nous ne faisons pas une bonne gestion — il faut par exemple tenir compte de la saison —, nous pouvons manquer d'équipement.

Le sénateur Cordy : Et, en cas d'imprévu, vous serez les premiers à passer votre tour. Est-ce que je me trompe?

Le lcol Villiger : Oui. Chaque mercredi soir au manège militaire, c'est un nouveau défi. Il est indéniable que la capacité de rétention est fortement liée à la disponibilité immédiate de l'équipement.

Le col Gludo : Désolé de vous interrompre, sénateur, mais je ne suis pas du tout d'accord avec vous quand vous affirmez que nous sommes les premiers à perdre notre tour. Tout dépend des exigences opérationnelles. Si les besoins sont plus importants dans l'unité du colonel Villiger, il aura la priorité pour l'équipement et il disposera des moyens nécessaires pour l'entretenir.

Le maj Lalonde : Il faut dire par ailleurs que notre régiment blindé — devenu un régiment de reconnaissance — a toujours dû partager l'équipement, une tendance qui gagne l'ensemble des Forces canadiennes actuellement. À cause des besoins en stocks opérationnels, et parce qu'il y a toujours des pièces d'équipement qui se trouvent dans les ateliers pour la remise en état, d'autres dans les centres d'instruction, aucune unité n'a jamais d'équipement complet à sa disposition, surtout si on parle de gros véhicules et autres grosses pièces d'équipement. Ce n'est pas un problème. En faite, nous fonctionnons ainsi depuis des années, sans problème.

Le vrai risque, ou le vrai problème, concerne les opérations d'envergure ou intérieures, pour lesquelles on trouve l'effectif et l'armement suffisants mais pas les camions, les véhicules et l'équipement nécessaires à l'exécution.

Les incendies de forêt en Colombie-Britannique sont un exemple flagrant. Nos troupes étaient plus que suffisantes mais, une fois là-bas, nous avons dû louer des véhicules ou prendre l'autobus pour nos déplacements. C'est une façon de faire, mais nous aurions sans doute été plus efficaces si nous avions utilisé notre propre équipement ou si nous avions pu compter sur plus d'équipement.

Le captc Carroll : De toute évidence, notre situation est différente. La grande partie de notre équipement sert à la navigation. Comme il n'y a pas énormément d'eau salée dans les environs, l'instruction initiale dans les divisions de la Réserve navale se déroule principalement dans les salles de classe, au moyen d'ordinateurs. Nous avons suffisamment d'équipement pour cette partie de l'instruction.

C'est la rétention qui nous pose le plus de problèmes. Comment retenir du personnel qualifié et l'aider à maintenir ses compétences à niveau? Il y a parfois des places sur les navires de la classe Kingston, et nous en profitons. Cependant, comme vous n'êtes pas sans savoir, ces navires ont des missions multiples, de sorte qu'il est parfois difficile d'y embarquer autant de personnes que j'aimerais.

En règle générale, cette organisation relève du niveau régional. L'une de mes unités soeurs dans la région verra à coordonner l'embarquement sur les navires et à affecter les rôles. Je ne vous cacherai pas que j'aimerais avoir plus de places. J'ai déjà adressé des lettres à cet effet à mon Quartier général et j'ai posé d'autres gestes. J'ai donné mon avis sur l'utilisation des navires de la classe Orca dans une optique de maintien des compétences des soldats déjà formés.

Ce serait pour moi une possibilité de plus — elles ne sont vraiment pas nombreuses — pour permettre aux réservistes du Tecumseh d'aller en mer et de réaliser un projet d'équipe.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup. Votre collaboration à tous nous est très précieuse.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, madame Cordy.

Monsieur Forrestall, à vous la parole.

Le sénateur Forrestall : Merci, monsieur le président.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Le tableau de vos trois couleurs d'uniformes est sublime.

Je vais m'adresser en premier lieu au capitaine de corvette Carroll. Si j'ai bien compris, la Réserve navale a changé de rôle, passant du contrôle naval de la navigation commerciale au renseignement. Avez-vous adapté vos programmes d'instruction en conséquence?

Le captc Carroll : À titre de commandant d'une division de la Réserve navale, mon rôle consiste à fournir de l'instruction à divers groupes professionnels d'officier et de militaires. Effectivement, nous avons entamé un processus de conversion.

Tout comme nos unités soeurs, il nous incombe de fournir l'instruction à différents groupes professionnels d'officiers. Récemment, notre mission est passée de celle du contrôle naval de la navigation commerciale au renseignement — ou renseignement naval, je ne me souviens pas de l'appellation exacte de ce groupe professionnel d'officiers. Nous en sommes encore au début de l'instruction des officiers subalternes qui intégreront ce groupe.

Un nouveau programme devrait être mis en route plus tard cette année ou au début de l'année prochaine, pour recycler les officiers du contrôle naval de la navigation commerciale en officiers du renseignement. Le programme est d'envergure nationale, de sorte que nous ne savons pas encore si le Tecumseh sera visé directement. J'imagine qu'une partie de l'instruction sera donnée en classe avec des ordinateurs, quand ce sera nécessaire.

Ce changement de rôle nous a amenés à changer nos façons de faire. Ces dix dernières années, le changement le plus important au sein de la Réserve navale, et encore plus particulièrement dans les divisions de la Réserve navale, est sans doute la transition de l'instruction en équipe, la plus courante il y a dix ans, vers l'instruction personnalisée, sur laquelle nous nous concentrons maintenant.

Le sénateur Forrestall : Comment ce changement de votre orientation et de l'instruction de base influera-t-il sur la capacité de votre unité à retenir ceux de ses membres qui ont des compétences navales plus classiques, ceux qui ont reçu une formation de matelotage, par exemple? Ces compétences ont-elles peu à peu perdu de leur importance au fil des années et de l'évolution des méthodes d'instruction? Recevez-vous du soutien de l'extérieur pour alimenter votre réflexion sur la façon de donner l'instruction en matière de renseignement naval ou de renseignement tout court? Ou vous en remettrez-vous exclusivement à l'ordinateur?

Le captc Carroll : Je vais commencer par votre dernière question, sénateur. L'instruction des officiers du renseignement se donne à l'échelon national, à l'École navale des Forces canadiennes de Québec. Ceux qui suivent ce cours ne vont pas tous jusqu'au diplôme. Je me suis laissé dire que le niveau de difficulté était particulièrement élevé. Mon commandant en second a été parmi les premiers à recevoir son diplôme d'officier du renseignement naval. Il a dû retourner à l'école. C'est un homme d'un certain âge — qui n'a plus l'âge d'aller à l'école.

Pour répondre à vos autres questions, pour ce qui est du Tecumseh, comme je l'ai dit tantôt, nous contribuerons peut-être à l'instruction de conversion de certains officiers déjà qualifiés, mais rien n'est encore arrêté. J'avoue qu'en ce qui concerne le maintien des compétences, c'est un défi. J'ai siégé à un comité en mai, à Québec, où nous avons passé en revue les mesures de maintien des compétences des marins à temps partiel. Nous avons cerné plusieurs ensembles de compétences qui pourraient être enseignées par l'unité ou dans les installations de la Garde côtière, ce qui exigerait des déplacements. Nous avons établi la fréquence souhaitée pour les cours de maintien des compétences.

Bien entendu, nous obtenons beaucoup de soutien de la Garde côtière et du Quartier général de la Réserve navale, qui assurent la coordination des activités de maintien des compétences. Cependant, c'est un immense défi pour nous parce que nous devons assumer le développement des compétences individuelles et non des compétences d'équipe. L'équipage des NDC est complètement différent de celui des anciens navires de brigade, et c'est un défi est de taille.

Le sénateur Forrestall : Avez-vous un officier de liaison qui collabore directement avec les premiers répondants parmi vos troupes?

Le captc Carroll : Non, sénateur.

Le sénateur Forrestall : Avez-vous déjà reçu des demandes à cet égard, ou est-ce que vous laissez à d'autres le soin de s'en occuper?

Le captc Carroll : Jusqu'ici, personne n'a fait cette demande. Le seul ordre que j'ai reçu est de demander l'autorisation au Quartier général, à Québec, avant de prendre un risque opérationnel, ce qui va de soi.

Le sénateur Forrestall : Très bien. Merci beaucoup.

Colonel Villiger, vous nous avez dit que votre unité comptait 160 membres, dont entre 60 et 120 se présentent au rassemblement chaque semaine. Avec votre budget annuel de 660 000 $, pourriez-vous rémunérer et instruire plus de membres si jamais ils décidaient de se présenter en grand nombre?

Le lcol Villiger : Merci de me poser cette question. Non, monsieur, je ne le pourrais pas. Je ne pense même pas avoir 160 carabines à ma disposition. Je devrai vérifier cela aussi. Cependant, je peux vous l'assurer, le Calgary Highlanders et son réseau jouent un rôle prépondérant de soutien au régiment, je peux vous l'assurer.

Par exemple, sept de nos caporaux-chefs ont donné le cours d'instruction régulière à Wainwright. D'autres de nos membres travaillent au Quartier général du Groupe-brigade. Tous sont très utiles.

Le nombre varie de 60 à 120, dépendant des exercices et des activités du mercredi soir. Au cours de la dernière année et demie, la participation aux activités du mercredi tournait toujours autour de ces chiffres.

À votre question à savoir si nous avons pourrions payer 160 personnes, la réponse est non. Ce serait très difficile. Seulement, si les 160 se pointaient, ce serait une bonne nouvelle. Nous aurions un problème, mais un problème très positif.

Le sénateur Forrestall : Est-ce lié à la capacité de payer?

Le lcol Villiger : Je reçois beaucoup d'appui de la part du commandant voisin, et je ne dis pas cela parce qu'il est assis à côté de moi. Sa réponse serait : « Quel beau problème vous avez, Villiger. Inscrivez vos besoins dans un projet de planification à long terme et prenons les moyens de le réaliser. » Je ne pense pas que nous renverrions qui que ce soit, monsieur.

Le sénateur Forrestall : Colonel, seriez-vous content d'avoir un tel problème demain matin?

Le col Gludo : Ce serait une difficulté fort plaisante.

Le sénateur Forrestall : Merci. Je n'en attendais pas moins.

Vous avez évoqué votre lien solide avec la police locale et les secours. Pouvez-vous élaborer au sujet des entraînements conjoints avec ces groupes? En quoi sont-ils bénéfiques? De quelle façon servez-vous la collectivité?

Le lcol Villiger : Sénateur, tout d'abord, je précise que nous devons ces bonnes relations au personnel de l'unité. Par exemple, certains sont des policiers, d'autres sont des employés du CP, et cetera. Ce sont eux qui initient les contacts. C'est le point de départ. Ils nous ont beaucoup aidé pour les exercices réalisés à l'échelon local. Nous avons vu les bénéfices sur le recrutement, parce que nous avons des liens avec la collectivité par l'entremise de nos soldats, de même que sur la capacité de rétention, parce que nos soldats aiment travailler dans un contexte où ils se sentent utiles.

C'est un grand avantage pour le Calgary Highlanders de faire des entraînements au manège militaire de Mewata ou aux environs, ou près de nos installations, si on peut dire. C'est un moyen de garder les réservistes dans la région de Calgary. C'est un plus.

À mes yeux, ces activités sont sources d'apprentissage mutuel pour les civils et les réservistes, dont je peux vous donner un exemple très éloquent. Quand les partisans des Flames de Calgary ont envahi les rues pour le défilé du « Red Mile », les officiers supérieurs du Calgary Highlanders ont été invités à la salle des opérations du service de police pour examiner la marée rouge et le déroulement de l'événement. Nous avons alors eu l'occasion de mieux connaître les membres de l'équipe tactique présents et d'établir de très bons contacts.

Nous étions là à titre d'observateurs mais, au fil de la soirée, mes compétences de directeur d'école ont été mises à profit pour établir des liens avec les équipes de soins, qui avaient besoin de soutien pour ramener les brigades antiémeutes à l'arrière d'un gymnase d'école. J'ai été très étonné du savoir-faire des réservistes.

Nous avons également constaté, en observant leur façon de commander et de contrôler cette grande base d'opérations, et les liens entre les divers secteurs de la police, que leurs compétences en communications étaient moins bonnes que celles des Forces armées. Au cours de cette soirée, nous avons pu leur transmettre notre expertise et leur suggérer des moyens pour améliorer la coordination. En retour, ils nous ont aussi beaucoup appris.

En situation réelle, les liens établis ont contribué à un déroulement beaucoup plus efficace de l'entraînement de corps en trois volets dans la ville. Cette association a été très positive pour les deux parties.

Le sénateur Forrestall : Y a-t-il, dans votre commandement, une section CIMIC pour les missions à l'étranger?

Le lcol Villiger : Non monsieur, le Calgary Highlanders n'a pas de section de coopération civilo-militaire. C'est bien de cela dont vous parlez?

Le sénateur Forrestall : Tout à fait.

Le lcol Villiger : Non, nous n'en avons pas. En revanche, certains de nos officiers suivent une formation dans ce domaine. Actuellement, deux capitaines du Calgary Highlanders sont officiers de coopération civilo-militaire en Bosnie, mais nous n'avons pas de section officielle de coopération civilo-militaire dans notre unité d'infanterie.

Le sénateur Forrestall : Le King's Own.

Le lcol Gilkes : Exactement.

Le sénateur Forrestall : Vous avez évoqué la difficulté d'accès à des cours de qualification pour les sergents du niveau intermédiaire, les adjudants au niveau de superviseur. Quelle est l'incidence sur votre capacité d'instruction avancée?

Le lcol Gilkes : Heureusement, l'âge obligatoire de la retraite a été rehaussé cette année, de sorte que beaucoup de titulaires des postes supérieurs pourront continuer de les occuper. L'écart d'âge est de 25 ans environ entre les cadres supérieurs et les subalternes qui prendront leur place quand ils prendront leur retraite, d'ici quelques années.

C'est peut-être un aspect particulier de mon unité. Je ne connais pas la situation dans les autres unités. Il y a souvent des conflits d'horaires — par exemple, si un cours de six semaines débute en avril, la plupart des réservistes ne sont pas disponibles à cette période. C'est un exemple.

Mais c'est du passé. Je suis certain que les officiers supérieurs ont compris et qu'ils prennent les moyens pour que la coordination soit plus efficace. Si nous nous revoyons dans six mois, j'aurai une meilleure idée des progrès

Le sénateur Forrestall : Vous avez répondu à une autre de mes questions.

Vous êtes présentement en transition pour devenir un régiment de reconnaissance. Est-ce que vous aurez besoin d'autre équipement et, le cas échéant, pensez-vous l'obtenir?

Le lcol Gilkes : La réponse courte est oui, nous devons changer d'équipement. Celui que nous avions pour nos opérations blindées ne convient plus et il a été mis hors service.

Le sénateur Forrestall : Avec quoi travaillez-vous maintenant?

Le lcol Gilkes : Un véhicule blindé Cougar polyvalent, en voie d'être retiré. Sa vie utile prendra fin en 2007. Notre unité n'a jamais possédé ce véhicule — nous l'avons toujours emprunté. C'est un véhicule de brigade.

Auparavant, pour faire notre travail, nous avions une flotte de véhicules Iltis, mal adaptés pour une unité blindée. Ils conviennent mieux pour la reconnaissance. Les Iltis sont aussi mis hors service. Ils seront remplacés par des MilCOTS Silverado, que nous utiliserons provisoirement, pendant une année environ, pour l'instruction aux opérations de reconnaissance, parce que les fourgonnettes ne sont pas des véhicules de reconnaissance. Les Forces sont en processus d'approvisionnement de véhicules G-Wagen de Mercedes, un meilleur choix pour remplacer les anciens. Nous devrions, je crois, en recevoir 16 dans la prochaine année. Ils ont été commandés expressément en vue de la conversion des régiments blindés en régiments de reconnaissance.

Le sénateur Forrestall : Pour compléter dans cette veine, colonel, quand des membres reviennent chez vous pour une période donnée, pour toutes sortes de raison, pouvez-vous les équiper? Avez-vous suffisamment de véhicules? La structure globale de votre commandement vous permet-elle de dire : « Envoyez un tel ici et celui-là là-bas », pour aider? Ou au contraire y a-t-il pénurie en général dans les secteurs névralgiques?

Le lcol Gilkes : Le Groupe-brigade ne garde pas de véhicules supplémentaires. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Centre d'instruction du Secteur de l'Ouest, le CISO, où se trouve la grande partie de l'équipement. Le Secteur de l'Ouest de la Force terrestre relève de son commandement. Le général Beare, que vous avez rencontré hier je crois, est toujours prêt à affirmer qu'il possède tout l'équipement du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre parce qu'il en est le commandant. Ses subalternes, dans l'ensemble, ne remettent jamais cela en question. Cela dit, je suis fermement convaincu que, si j'ai besoin d'équipement supplémentaire et qu'il l'a en stock et que mes besoins vont dans le sens de ses visées opérationnelles, j'aurai cet équipement.

Il est très rare que nous ne puissions pas donner une instruction à cause d'une pénurie d'équipement. Parfois, l'instruction n'est pas aussi complète que nous l'aurions souhaité mais, en même temps, nous ne pouvons jamais savoir à l'avance combien de soldats se présenteront la fin de semaine. Souvent, nous y allons au pif.

Le sénateur Forrestall : Quand vous organisez des séances d'instruction conjointes avec nos amis du Sud, l'équipement est-il un problème? Si oui, est-il facile à résoudre?

Le col Gludo : L'an dernier, notre Groupe-brigade a fait son premier séjour au sud. Nous avons apporté tout notre équipement. À vrai dire, nous avons « vidé » le Centre d'instruction du Secteur de l'Ouest de son équipement, que nous avons transporté jusqu'à Fort Lewis et Yakima. Nous avons reçu beaucoup d'aide pour le transport de notre équipement.

Nous avions suffisamment de véhicules pour tous, ce qui en a fait l'un des plus importants entraînements jamais vus pour notre Groupe-brigade.

Le sénateur Forrestall : Meilleure chance pour l'avenir. Vous aurez certainement l'occasion de découvrir par vous- même la générosité de nos amis du sud en ce qui a trait à l'équipement.

Il me reste quelques brèves questions concernant la Force aérienne. Hier, on nous a affirmé que le budget pour les réservistes de Classe A avait fondu, ce qui joue sur la capacité opérationnelle de l'unité. Quelle en est la cause? Les fonds pour les réservistes de la Force aérienne sont-ils épuisés? En avez-vous fait un usage démesuré?

Le maj Lalonde : Les fonds ne sont pas épuisés, monsieur. Le budget de la Réserve aérienne est d'un peu moins de 70 millions de dollars. Cette situation est due à une utilisation non prévue budget F et E de la Force régulière. Peu à peu, on a octroyé le statut de Classe B, qui désigne les réservistes à temps plein, et on a dû puiser dans les fonds de la Force régulière. Or, la Réserve est essentiellement une force à temps partiel. Nous sommes 90 p. 100 à faire partie de la Classe A, à temps partiel. Il a fallu revenir sur terre. C'est ce qui s'est réellement passé.

Beaucoup de commandants n'ont pas aimé se faire ramener sur terre. Ils avaient pris goût à cet effectif de la Classe B, à temps plein, des manoeuvres au service de l'escadron et autres. Cela cause un dilemme. Notre enveloppe budgétaire suffit si nous travaillons tous à temps partiel.

Le sénateur Forrestall : Est-ce que c'est un robinet qu'on ouvre et qu'on ferme? Il est terrible d'avoir à travailler dans ces conditions.

Le maj Lalonde : Ils avaient trouvé de contourner le problème en convertissant des crédits de fonctionnement et maintenance. Le problème est qu'ils sont destinés aux activités de la Force régulière sur la base. Ils ne sont pas prévus pour payer des réservistes. Cependant, ces dernières années, les commandants ont découvert cette option, et ils en ont fait un usage de plus en plus fréquent — la somme des fonds convertis a atteint 10 millions de dollars l'an dernier. Le commandant s'est insurgé. « Cette pratique doit cesser. Les réservistes ne doivent pas travailler à temps plein. Revenons à ce qui est prévu, des affectations à temps partiel, et la Force régulière règlera elle-même ses problèmes. Elle devra trouver des fonds supplémentaires si elle veut engager des réservistes à temps plein », a-t-il dit.

Le sénateur Forrestall : Ma dernière question sera brève.

Major Lalonde, l'un des rôle accrus prévus pour les Réserves concerne les marins. Est-ce que cela signifie que l'Escadrille du génie de l'air à Abbotsford pourra compter sur du personnel supplémentaire pour ses missions à l'étranger?

Le maj Lalonde : Oui, ils ont participé à la mission à l'étranger mais, encore là, nous revenons à la question du financement.

Le sénateur Forrestall : Du financement, dites-vous?

Le maj Lalonde : Le financement pose problème, c'est évident.

Le sénateur Forrestall : Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Forrestall.

Chers collègues, il nous reste à peine quelques minutes. Nous entendrons tour à tour les questions des sénateurs Munson et Meighen. Monsieur Munson, je vous en prie.

Le sénateur Munson : Par simple curiosité, j'aimerais savoir combien gagnent les réservistes? Quelle est l'échelle de salaire? Est-ce suffisant?

Le col Gludo : Je suis consultant. Je n'ai pas les données.

Le sénateur Munson : Est-ce un salaire attrayant? Vous parlez de recrutement. De nos jours les gens veulent être payés à leur juste valeur.

Le col Gludo : Selon mon expérience personnelle, c'est suffisant pour les étudiants, notamment parce que leurs frais d'études sont remboursés. Au début, selon qu'ils progressent bien ou non, ils restent non pas pour l'argent, mais par loyauté à ce qu'ils font. Puisque leur petit salaire est imposé, c'est plutôt un inconvénient pour eux, mais ils croient en ce qu'ils font.

Au début, la plupart des soldats s'estiment suffisamment payés.

Le sénateur Munson : Nous voulons tous être fiers de nos réalisations. Comment se porte le moral des Réserves actuellement?

Le col Gludo : C'est une question de point de vue.

Le sénateur Munson : Nous voulons des opinions franches.

Le lcol Villiger : Au cours de mes 22 années dans le Calgary Highlanders, j'ai vu des hauts et des bas, du mieux et du pire. J'ai assisté à ses pires moments, après l'aventure de la Somalie et la dispersion du régiment aéroporté. Il a fallu du temps pour que les choses s'améliorent. Quand j'étais commandant de compagnie, la première année, 120 soldats se présentaient au rassemblement, mais leur nombre a rapidement décliné à 35 ou 40.

Les sources d'influence varient. Actuellement, l'économie de la ville est à son meilleur, et on pourrait craindre le pire. C'est tout le contraire. Nos troupes sont enthousiastes, saines d'esprit. J'ai découvert, avec les années, que si nous leur donnons un sentiment d'accomplissement, s'ils sentent qu'ils ont un objectif, nous trouvons toujours des intéressés. Lors des incendies en Colombie-Britannique, malgré la difficulté extrême, les réservistes se sont sentis interpellés, prêts à aider. Malgré l'argent, ils voulaient contribuer. Les jeunes sont ainsi : ils veulent s'impliquer. Et ils ne sont pas les seuls.

La visite de la reine au Calgary Highlanders et au King's Own Calgary Regiment est un autre élément incitatif. Les membres se sentent très fiers de ce qu'ils font. Tous ces éléments réunis jouent un grand rôle de conviction et d'attraction.

Le sénateur Munson : Je ne sais pas trop comment formuler la prochaine question... Vous nous parlez d'énormes difficultés de recrutement, mais on nous promet 3 000 réservistes de plus. Allez-vous atteindre cet objectif? Des hauts placés à Ottawa nous assurent qu'il faudra cinq ans pour les trouver, mais qu'il n'y a pas vraiment de place pour les loger. Je me demande si cet objectif de 3 000 réservistes est sérieux. Et même si vous en trouvez seulement la moitié, les membres actuels des Réserves les plus qualifiés se tourneront vers la Force régulière, beaucoup plus attrayante pour eux. Je crois que vous avez un sérieux problème.

Le col Gludo : Je ne parlerais pas de problème. Quand je m'adresse à mon supérieur, j'essaie de distinguer attraction et recrutement. À tour de rôle, vous nous avez mentionné que vous aviez entendu parler de problèmes de recrutement. Je ne suis pas tout à faire d'accord pour dire que nous avons un problème de recrutement, parce que je n'ai jamais eu à pousser le système jusqu'au point de savoir s'il fonctionne bien. Je sais par contre que tout n'est pas parfait.

Mon objectif est d'attirer des candidats. C'est ce que je dis à mes commandants. J'ai même recruté un officier de dotation à qui j'ai confié cette mission.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, notre ratio, sur le plan statistique, est 220 personnes approchées pour 1 soldat enrôlé. Le calcule est facile : pour en recruter 3 000, si nous parvenons à en attirer autant en Alberta, il faudra rencontrer énormément de personnes. Malheureusement, nous n'avons pas les ressources nécessaires.

Le système de recrutement de l'armée est axé sur l'attraction, mais dans la Force régulière seulement. Il appartient à chaque unité de faire ce travail, et c'est ce que nous tentons de faire.

Bien entendu, des soldats nous quittent pour la Force régulière, mais ils le feraient de toute façon. Ce n'est donc pas négatif du point de vue de notre Groupe-brigade. Ce sera pour nous une occasion d'attirer de plus en plus de nouveaux membres. C'est un mouvement d'attrition naturel, qu'il faut compenser de toute façon.

Vous avez raison cependant quand vous parlez de l'objectif à atteindre. C'est un problème avec lequel nous nous battons depuis quelques années. Il nous manque déjà entre 150 et 200 membres si on tient compte de la taille du Groupe-brigade.

Le sénateur Munson : L'un d'entre vous a utilisé l'image « tout dépend des films que les gens ont vus ». Peut-être devrait-on leur présenter le film « Le réserviste » ou quelque chose du genre, pour bien montrer le travail que vous faites et pour lequel vous ne recevez pas toujours le crédit voulu..

Merci beaucoup.

Le président : Merci, sénateur Munson.

Sénateur Meighen.

Le sénateur Meighen : L'un d'entre vous a fait allusion aux délais de transfert entre la Réserve et la Force régulière, ou entre la Force régulière et la Réserve, à cause de la paperasserie. Est-ce que les choses s'améliorent?

Le captc Carroll : Je vais vous donner un exemple de transfert de ce qu'on appelle la Réserve supplémentaire disponible. Quand des membres de notre effectif, déjà formés, décident de suspendre leurs activités, peu importe la raison, nous essayons de les convaincre de rester comme réservistes à temps partiel. C'est un processus très semblable à celui du recrutement. Je le sais, parce que j'y ai goûté il y a quelques années. C'est très long, aussi long que le recrutement.

Nous avons réussi à obtenir des « affectations temporaires », ce qui nous permet de rayer un membre d'une liste pour l'inscrire à la liste de nos membres actifs. De cette façon, il reste actif dans nos rangs.

Le sénateur Meighen : Il s'agit d'une affectation conditionnelle.

Le captc Carroll : C'est pour six mois environ, le temps qu'il faut au système de recrutement pour prendre le dessus.

Le sénateur Meighen : Il semble cependant que les examens médicaux et autres exigences du genre ralentissent le processus.

Le captc Carroll : L'aspect médical sera toujours un problème, surtout dans le cas des plus âgés. Les exigences sur le plan physique sont fermes et, malheureusement, certains ne les remplissent pas.

Le sénateur Meighen : Mais il semble qu'il soit même difficile d'avoir un rendez-vous.

Le captc Carroll : Oui, c'est vrai.

Le sénateur Meighen : Avez-vous tous les mêmes difficultés?

Le lcol Gilkes : Je peux parler de la situation dans notre organisation. L'examen médical nous posait problème avant. Il fallait six mois. Les personnes allergiques sont très malchanceuses. Un officier qui avait osé dire qu'il était allergique aux arachides a dû attendre trois ans avant d'être enrôlé. Cependant, on a résolu la situation et cette personne est maintenant avec nous.

Le sénateur Meighen : Il a promis de ne jamais manger d'arachides.

Le lcol Gilkes : Il faut comprendre que l'Armée n'a pas le choix d'imposer des conditions d'enrôlement très strictes.

On a aussi parlé d'enrôlement conditionnel, une espèce de dérogation qui nous permet de dire au candidat : « Nous vous enrôlerons à la condition que vous satisfaisiez à toutes les exigences » C'est un outil qui a eu de bons résultats.

J'ai aussi parlé de la vérification des dossiers des anciens soldats qui reviennent, qui ont déjà de l'expérience mais qui ont quitté les Forces pour diverses raisons sans avoir passé par la Réserve supplémentaire disponible. C'est un autre problème. Auparavant, pour ceux qui étaient sortis complètement, il n'était pas si facile de revenir. Je ne sais pas ce qui en est maintenant. La difficulté est d'obtenir l'autorisation de quelqu'un quelque part qui a pouvoir en la matière, et qui parfois est en congé ou absent pour d'autres raisons. Tous ces petits détails sont ennuyeux et prolongent l'attente.

Ce n'est pas un processus en particulier, mais la totalité de la grosse structure bureaucratique qui est lente. J'ai pleine confiance que l'on cherche des solutions à tous ces problèmes.

Le maj Lalonde : Dans la Force aérienne, nous avons ce genre de problème quand nous faisons un transfert de la Réserve à la Force régulière. Il faut fouiller les archives et réunir toutes sortes de documents. C'est frustrant pour ceux qui ont fait partie de la Force régulière et qui veulent un jour y revenir. La difficulté vient de ce que les documents ont été archivés. Mais le problème est en voie d'être réglé. On y travaille.

Le sénateur Meighen : Permettez-moi une petite remarque. Si nous recevions cinq sous chaque fois que nous entendons les mots « mais on y travaille » — je me demande bien à qui ce « on » fait référence —, je vous assure que nous serions tous richissimes. La pire histoire d'horreur que j'ai entendue à cet égard concerne des pilotes de la Force aérienne qui avaient quitté et qui reviennent, ou le contraire, et dont personne ne trouve plus le dossier. Ils ont dû repartir à la case départ. C'est à faire dresser les cheveux sur la tête!

Et voilà que nous nous dites qu'on y travaille. Depuis combien de temps y travaille-t-on? Quand aura-t-on enfin trouvé une solution? Pensez-vous que le problème sera réglé à court terme?

Le maj Lalonde : Je sais que c'est frustrant. Cependant, j'ai été témoin de cas de pilotes qui, avec l'âge, ont des difficultés de vision ou autres. Ils doivent obtenir une exemption qui leur permet de porter des lunettes. Chaque cas apporte des particularités toutes plus décourageantes les unes que les autres. Certains sont d'excellent candidats — des pilotes qui viennent d'Air Canada ou d'autres compagnies —, mais leur condition est telles que les médecins prennent du temps avant d'approuver leur enrôlement.

Le sénateur Meighen : Je vous ai interrompu. Vous alliez ajouter autre chose.

Le maj Lalonde : Je voulais aborder un autre aspect du recrutement : la qualité du dossier. À mes yeux, c'est un message important. Les candidats qui présentent un bon dossier aux Forces sont enrôlés assez rapidement, du moins un bon pourcentage d'entre eux.

Si le comité a l'occasion de s'entretenir avec des représentants du Groupe de recrutement des Forces canadiennes et d'entendre leur version de l'histoire, vous pourriez être rassurés sur l'efficacité du système. Vous seriez certainement intéressés par certains cas de candidats dont le dossier n'est pas impeccable, du point de vue médical ou de la sécurité.

L'autre aspect important est la nécessité d'augmenter le budget du recrutement et de l'instruction. Certains candidats sont disposés à s'enrôler dans les Forces mais, à cause des compressions, l'instruction se donne une fois l'an ou aux deux ans. Si nous avions assez d'argent pour donner le cours plus souvent, nous ne serions pas dans la situation d'engorgement où nous nous trouvons présentement.

Le sénateur Meighen : J'ai une dernière question, sur laquelle je vous propose de voter. Le fait de ne pas savoir, d'un rassemblement à l'autre, combien de membres seront présents pose un problème très évident. Vous ne savez jamais qui participera à un déploiement ou qui se portera volontaire. Cette incertitude cause toutes sortes de problèmes, de nature administrative notamment.

Il y a deux écoles de pensée. La première est l'école américaine — qui a sans doute des partisans ailleurs —, qui préconise d'adopter une loi pour garantir l'emploi des réservistes. L'autre école de pensée est à l'origine de l'incertitude dans laquelle nous nous trouvons. Cette école ne préconise pas la voie législative parce que les effets peuvent être autant bénéfiques que négatifs — les employeurs pourraient tout simplement ne pas embaucher des candidats qui sont réservistes, pour contourner la loi.

Par ailleurs, le Conseil de liaison des FC et d'autres parties font de l'excellent travail, et on constate qu'un nombre sans cesse croissant d'employeurs ayant un grand sens civique sont très fiers des réalisations de leurs employés réservistes et acceptent avec plaisir de leur donner des congés.

Le président : Le vote sera-t-il secret ou à main levée?

Le sénateur Meighen : À main levée. Combien d'entre vous seraient en faveur d'un changement de régime et de l'adoption d'une loi protégeant l'emploi des réservistes? Je vois deux mains et demie.

Le président : Inscrivons deux mains et demie au compte rendu.

Le sénateur Meighen : Ma question était-elle mal formulée?

Le col Gludo : Monsieur, me donnez-vous un droit de réplique?

Le sénateur Meighen : Vous vous êtes abstenu, je crois.

Le col Gludo : Oui. J'ai fait partie du Conseil de liaison des Forces canadiennes.

Le sénateur Meighen : Heureusement pour moi, je l'ai encensé.

Le col Gludo : C'est une organisation extraordinaire. Selon moi, deux pièces de ce casse-tête méritent qu'on s'y attarde. Tout d'abord, on croit à tort que les réservistes travaillent principalement dans le secteur privé. Une étude statistique montrerait plutôt que de 75 à 80 p. 100 d'entre eux travaillent dans la fonction publique ou un organisme qui soutient exclusivement le gouvernement.

Le sénateur Meighen : C'est la poule et l'oeuf?

Le col Gludo : Exactement. Nous avons le contrôle sur les organismes gouvernementaux, où le règlement est appliqué sans problème.

Le sénateur Meighen : Est-ce pour cela que de 75 à 80 p. 100 des réservistes y travaillent?

Le col Gludo : Je ne peux pas dire s'ils choisissent ces emplois parce qu'ils leur permettent de servir dans la Réserve. Je ne le sais pas.

Le sénateur Meighen : C'est une question de hasard.

Le col Gludo : Nous devrions plutôt commencer par déterminer où travaillent nos réservistes. Je n'ai pas de portrait exact de mes 1 400 réservistes, ni de l'endroit où ils travaillent. Tout d'abord, je ne peux pas leur poser cette question.

Le sénateur Meighen : C'est vrai.

Le col Gludo : Comment le saurais-je? Nous devons trouver un moyen de déterminer la provenance de ces soldats, de ces marins ou de ces membres des équipages d'aéronef.

Le deuxième volet est le suivant : les arguments que vous avancez en faveur du modèle américain ne vous rappellent- ils pas les débats autour de la question des congés de maternité? Une fois le système en place, ces arguments ont perdu leur force et on ne les entend plus. Personne n'a de problème. Les arguments voulant que les réservistes ne soient pas embauchés parce que les employeurs contournent la loi protégeant leur emploi... Toutes ces histoires d'horreur et ces arguments sont les mêmes que nous entendions, je m'en souviens très bien, quand il a été question d'octroyer des congés de maternité. Est-ce que la catastrophe annoncée s'est réalisée? Non, et je crois qu'il en sera de même dans le cas des réservistes.

Le captc Carroll : Je veux bien voter en faveur, mais je veux faire une nuance. Tout dépend de l'objectif. Si je prends le cas des réservistes du Tecumseh, est-ce qu'une loi devrait nous permettre d'exiger qu'un employeur civil leur donne automatiquement congé le mercredi soir? Cela me semble exagéré.

D'un autre côté, s'ils sont déployés pour lutter contre des incendies de forêt, des tempête de verglas ou des inondations, alors peut-être faut-il un mécanisme qui nous permette, dans ces circonstances particulières, de dire à un employeur civil : « Nous sommes désolés, mais cette personne est requise ailleurs, pour des raisons de sécurité nationale. »

Le sénateur Meighen : Et qu'en serait-il des déploiements à l'étranger?

Le captc Carroll : Tout dépendrait de la nature du déploiement à l'étranger. Si on parle d'un déploiement en Corée, la loi pourrait peut-être s'appliquer.

Le sénateur Meighen : Je parlais plutôt de la Bosnie.

Le captc Carroll : Nous n'en avons pas eu besoin pour remplir nos engagements là-bas.

Le lcol Gilkes : Il existe une piste de solution dans ces cas, et c'est d'appliquer le régime de plusieurs compagnies pour les congés de maternité : compléter le salaire de l'employé pour une période donnée. Le gouvernement pourrait compléter le salaire du réserviste, ce qui rendrait les opérations de déploiement plus attrayantes pour la grande majorité des personnes plus âgées qui occupent un emploi rémunéré à temps plein. C'est une piste de solution.

Le captc Carroll : J'aimerais ajouter un dernier commentaire. Les Américains ont mis en place un régime favorisant l'embauche des réservistes dans la fonction publique fédérale.

Je connais le processus d'embauche de Revenu Canada, fondé sur un système de points. Des points sont donnés pour les études, les aptitudes linguistiques, les compétences, et cetera. Une loi pourrait ajouter des points pour la participation aux Réserves, pourquoi pas?

Le col Gludo : J'aimerais souligner l'excellent travail du sergent-major de régiment Kent Griffiths. Il est extraordinaire. Il y a quelques mois, il a attiré mon attention sur la question suivante : « Pourquoi la Réserve est-elle la seule organisation fédérale dont les membres ne peuvent participer aux concours internes de dotation des postes dans la fonction publique? »

Le sénateur Meighen : J'ai peine à vous suivre — vous allez trop vite.

Le col Gludo : Quand un candidat postule pour un emploi dans la fonction publique fédérale, certains postes sont comblés à l'interne et d'autres à l'externe. Un policier peut postuler pour un emploi affiché à l'interne, mais les réservistes ne sont pas réputés admissibles à ces concours.

Le sénateur Meighen : Je vois.

Le col Gludo : Je voulais simplement vanter mon sergent-major de régiment.

Le sénateur Meighen : C'est pourquoi les sergents-majors de régiment jouissent d'une telle réputation. Ce sont les pointeurs, toujours à l'affût des problèmes. À moins que vous ayez autre chose à ajouter, j'ai terminé.

Le lcol Villiger : Le sergent-major de régiment du Calgary Highlanders, si vous me le permettez, m'a demandé de vous transmettre son point de vue sur le système des équivalences en cas de transfert de la Réserve à la Force régulière.

Dans le cas du Calgary Highlanders, quand le colonel passe les rangs en revue, il a l'immense honneur de voir des soldats portant fièrement leurs nombreuses médailles, bien que beaucoup soient encore jeunes. Certains iront à Wainwright pour enseigner à temps plein aux soldats de la Force régulière. Pourtant, s'il s'enrôle dans la Force régulière, pour faire partie de la classe C privilégiée des militaires à temps plein, ce caporal-chef ou ce sergent talentueux redevient un simple soldat. À mes yeux, c'est insensé.

Le lcol Gilkes : Il est plus facile de s'enrôler dans l'armée australienne en ligne que d'être transféré dans la Force régulière au Canada. Là-bas, les équivalences sont plus avantageuses, et on les obtient plus rapidement.

Le sénateur Meighen : Cette citation pourrait être reprise.

Le sénateur Munson : Tout à fait.

Le sénateur Meighen : Merci beaucoup.

Le président : Merci, sénateur Meighen.

Messieurs, je vous remercie de votre visite. Vous aurez sans doute remarqué à quel point vous avez captivé notre attention. Nous accordons beaucoup d'importance à la Réserve.

Je vous prie de transmettre à toutes celles et à tous ceux avec qui vous travaillez notre immense sentiment de fierté à leur égard. Nous savons à quel point leur apport est précieux pour assurer la sécurité du pays. Dites-leur à quel point ils sont importants pour nous et quelle valeur ils ont à nos yeux. Nous nous joignons au pays tout entier pour leur transmettre notre sincère appréciation de leur travail.

Ils ne sont pas assez souvent reconnus. Nous profitons de notre visite pour vous demander de leur transmettre notre message.

Merci beaucoup de nous avoir donné autant d'information. Elle nous sera fort utile. Nous nous réjouissons à la perspective de vous revoir de nouveau, très bientôt j'espère.

La séance est levée.


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