Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 17 - Témoignages du 8 mars 2005 - Séance du soir - Assemblée publique
CALGARY, le mardi 8 mars 2005
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 h 30 pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité pour le Canada (séance de discussion ouverte)
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames, messieurs, bonsoir. Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant de commencer, au nom du comité, nous aimerions offrir nos condoléances aux familles des victimes et à la grande famille de la GRC dans la communauté. Nous aimerions leur dire que nos pensées les accompagnent dans ces moments difficiles.
Sur cette triste note, j'aimerais maintenant vous présenter les membres du comité et vous parler brièvement du travail que fait le comité et nous pourrons ensuite écouter vos observations.
Nous sommes ici ce soir non pas pour faire des discours comme nous le faisons habituellement, ni pour dire quoi que ce soit à qui que ce soit, nous sommes ici pour écouter, pour apprendre. Nous aurons des questions à poser aux gens qui interviendront, mais tout d'abord, permettez-moi de présenter les membres du comité.
À ma droite se trouve l'éminent sénateur Michael Forrestall de la Nouvelle-Écosse, qui est au service de la population de Dartmouth depuis 37 ans, d'abord à titre de député à la Chambre des communes, puis comme sénateur. Pendant qu'il se trouvait à la Chambre des communes, il a été porte-parole de l'opposition officielle pour la défense de 1966 à 1976. Il est également membre de notre Sous-comité des anciens combattants.
À côté de lui se trouve le sénateur Jim Munson de l'Ontario, autrefois journaliste écouté et directeur des communications de l'ancien premier ministre Jean Chrétien. Il est arrivé au Sénat en 2003. Le sénateur Munson a été mis en nomination à deux reprises pour un prix Gémeaux d'excellence en journalisme.
À côté de lui se trouve le sénateur Michael Meighen. Le sénateur Meighen est avocat et membre des barreaux du Québec et de l'Ontario. Il est chancelier de l'Université de King's College et ancien président du Festival de Stratford. Il a un doctorat honoraire en droit civil de l'Université Mount Allison et un autre de l'Université du Nouveau- Brunswick. Il est actuellement président de notre Sous-comité des anciens combattants et membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Au bout de la table se trouve le sénateur Nolin.
[Français]
Le sénateur Nolin est du Québec. Il est avocat et un sénateur depuis l993.
Il a présidé le Comité spécial sur les drogues illicites. Il est actuellement le vice-président du Comité sénatorial de la Régie interne des budgets et de l'administration.
Il est sur la scène internationale depuis 1994. Il est délégué du Parlement du Canada auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Le sénateur Nolin est vice-président de cette organisation.
Il agit aussi à titre de rapporteur général de la Commission des sciences et de la technologie.
[Traduction]
À ma gauche se trouve le sénateur Jane Cordy. Le sénateur Cordy est de la Nouvelle-Écosse. C'est une éducatrice accomplie qui a de nombreuses réalisations à son actif dans la collectivité; elle a entre autres été vice-présidente de la Halifax/Dartmouth Port Development Commission. Elle est présidente de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN et membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
À côté d'elle se trouve le sénateur Norman Atkins de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat après une carrière de 27 ans dans le domaine des communications. Il était conseiller principal de l'ancien chef du parti conservateur fédéral Robert Stanfield, de l'ancien premier ministre William Davis de l'Ontario et de l'ancien premier ministre Brian Mulroney. Il est également membre de notre Sous-comité des anciens combattants.
Je m'appelle Colin Kenny et je suis président du comité. Notre comité est le premier comité sénatorial permanent dont le mandat est d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat a demandé à notre comité d'examiner la nécessité d'une politique de sécurité nationale.
Nous avons donc entrepris notre étude en 2002 en publiant trois rapports. Le premier a été publié en février 2002 et s'intitule L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense; le deuxième a été publié en septembre et s'intitule La défense de l'Amérique du Nord : une responsabilité canadienne; et le troisième, publié en novembre, s'intitule Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : une vue de bas en haut. En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier, et Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre.
L'an dernier, soit en 2004, nous avons publié deux autres rapports : Les urgences nationales : le Canada, fragile en première ligne, en mars, et récemment, le Manuel de sécurité du Canada, édition 2005.
Le comité examine maintenant la politique de défense du Canada. Au cours des prochains mois, le comité tiendra des audiences dans toutes les provinces pour consulter les Canadiens afin de déterminer leur intérêt national, ce qu'ils considèrent comme étant les principales menaces pour le Canada et comment ils aimeraient que le gouvernement réagisse à ces menaces. Le comité tentera de générer un débat sur la sécurité nationale au Canada et d'en arriver à un consensus sur les besoins des forces armées et sur le type de forces armées que les Canadiens veulent avoir.
Nous avons la chance ce soir d'avoir comme animateur M. David Bercuson. Il est directeur du Centre for Military and Strategic Studies de l'Université de Calgary. Il a publié une large gamme d'articles dans des revues universitaires et populaires, notamment sur des questions relatives à la politique canadienne moderne, à la politique étrangère et de défense canadienne et à l'histoire militaire canadienne. Il est auteur, co-auteur ou éditeur de plus de 30 livres populaires et universitaires et fait régulièrement des commentaires à la radio et à la télévision. Sa carrière a été récemment reconnue et récompensée par l'un des plus grands honneurs de l'Université de Calgary, un poste de professeur. Il est lieutenant-colonel honoraire du 33e Escadron du génie, une unité d'ingénierie militaire de la Réserve de la Force terrestre des Forces canadiennes. Il est également officier de l'Ordre du Canada et récipiendaire du prix Vimi.
Monsieur le professeur Bercuson, vous êtes l'animateur et je vous cède donc la parole. Pouvez-vous s'il vous plaît expliquer les règles à suivre ce soir?
M. David Bercuson, directeur, Centre for Military and Strategic Studies, Université de Calgary, animateur : Merci, sénateur Kenny. Merci à tous de participer à l'assemblée de ce soir.
Les règles sont les suivantes : Comme vous pouvez le constater, il y a deux micros à l'avant de la salle. Si vous voulez faire une observation, veuillez vous approcher de l'un de ces deux micros. Vous n'êtes pas ici pour poser des questions aux membres du comité. Vous êtes ici pour donner votre point de vue. Vous ferez votre exposé qui ne doit pas dépasser trois minutes. Il y a une horloge ici qui indiquera le temps qu'il vous reste. Lorsque les trois minutes sont écoulées, une lumière s'allume. Dès que votre temps est écoulé, veuillez conclure votre exposé. Nous donnerons ensuite aux membres du comité l'occasion de vous poser une question pour tirer au clair quelque chose que vous avez peut-être dit dans vos commentaires. Vous aurez ensuite une minute et demie pour répondre.
Le comité vous demande de vous identifier de façon à pouvoir produire un compte rendu exact de la soirée et pour faire un suivi avec vous, au besoin.
Comme il s'agit d'un comité parlementaire, il est nécessaire d'avoir un compte rendu exact. Ces cartes sont disponibles à la réception. Je pense que l'on vous en a donné une, ou qu'on vous a invité à en prendre une.
Lorsque vous venez au micro, il y a deux greffiers, une jeune femme ici en blanc et un homme ici qui porte un blazer. Veuillez leur remettre votre carte avant de faire vos observations. Si vous n'avez pas reçu de carte, vous pouvez en obtenir une à la table d'inscription.
La séance est interprétée dans les deux langues officielles et vous pouvez vous procurer des écouteurs au bureau d'inscription.
Merci d'être venus. J'inviterais le premier intervenant à prendre la parole.
M. Garth Pritchard, à titre personnel : Je suis un journaliste, producteur de documentaires. Écoutez, on ne peut pas s'attendre à ce que les gens parlent des Canadiens et de ce qu'ils ont accompli en matière de sécurité quand ils ne le savent pas. Permettez-moi de vous parler un peu de moi : Route 00 en Somalie; j'étais au Kosovo, route 00; en Bosnie pendant deux ans, route 02, route 03, route 05. J'étais à Kandahar route 00 et Kaboul route 00; et je reviens tout juste du Sri Lanka.
Or, mesdames, messieurs, comprenons-nous bien ici. Personne au Canada ne sait ce que les militaires canadiens ont accompli au Sri Lanka. Ottawa les a voués à l'échec. Je suis allé là-bas avec eux. Voici ce qui s'est produit. Il y avait des ministres qui parlaient à la télévision, qui disaient que les mauvaises personnes se trouvaient aux mauvais endroits — si j'ai bien compris, un colosse au pied d'argile. Si j'ai bien compris, ils ont dit par ailleurs que l'équipement désuet ne pouvait pas faire le travail. Quarante jours plus tard, ils étaient revenus. Qui ici dans cette salle sait ce que les Canadiens ont accompli au Sri Lanka? Comment cela a-t-il été fait? Cela a été fait à Ottawa. Cela a été fait au cours de conférences de presse. Cela a été fait lorsque Terry Pedwell, du PC, a écrit un article; on l'a traité de colosse au pied d'argile. Cela a été fait par Steve Thorne, qui devrait mieux savoir ce qu'il a fait. Au bout du compte, ils n'en ont tout simplement pas parlé lorsqu'ils sont entrés au pays. Comment savons-nous cela? Où avons-nous déjà vu cela?
Nous sommes le public le plus mal informé au monde au sujet de notre défense et de notre sécurité. Vous ne vous souvenez que d'une chose ici dans cette salle — grâce à notre bonne étoile le tsunami n'a pas frappé le Canada, mais s'il l'avait fait, ce petit comité se demanderait pourquoi les Canadiens demandent toujours « où est l'aide? ». Comme se le demandent les Sri Lankais aujourd'hui. Vous voudrez peut-être demander, à votre retour à Ottawa, où sont les 80 millions de dollars, car nous n'en avons pas vu un seul cent. Où sont les 40 millions de dollars? Ne parlons même pas des impôts et des gens que vous représentez, les 40 millions de dollars que nos enfants, les écoles et les églises ont donnés. L'Alberta a donné 3 millions de dollars. C'est 40 millions de dollars.
Est-ce que quelqu'un ici voudrait demander au gouvernement du Canada où cet argent est allé, car il n'est pas arrivé au Sri Lanka. Vos Canadiens sont rentrés au pays et vous ont dit que l'argent n'était pas arrivé et personne n'a écouté, parce qu'ils ne le savent pas.
Or, comment cela est-il accompli? Je suis producteur de documentaires. Il y a une caisse noire de 250 millions de dollars, Téléfilm, pour parler aux Canadiens des Canadiens. Je n'en ai jamais vu un sous. L'Office national du film, ils ont tous un petit crochet. Vous savez ce que c'est ce crochet? Si vous filmez ou si vous allez quelque part sans la permission du gouvernement, vous n'obtiendrez pas de financement, de sorte que vous ne pouvez pas dire aux Canadiens ce qui est accompli.
Le sénateur Nolin : Monsieur Pritchard, vous qui êtes cinéaste, je suis convaincu que vous êtes au courant de l'intimité qui existe entre le Pentagone et Hollywood.
M. Pritchard : Oui.
Le sénateur Nolin : Quelle est votre réaction à cela — parfois un manque de respect?
M. Pritchard : Je suis d'accord. Je peux prendre n'importe quel système au monde et acheter la séquence filmée et faire quelque chose comme Michael Moore. En tant que cinéaste qui produit des documentaires, je peux vous donner n'importe quelle situation, je vais écrire le scénario pour vous, ensuite je ferai en sorte que cela se réalise en achetant la séquence filmée. Il y a une différence ici. C'est ce qu'on appelle porter témoignage. Je ne peux pas inventer ce que 200 Canadiens ont accompli au Sri Lanka. Si le gouvernement ne veut pas que je raconte cette histoire, alors les Canadiens ne sauront pas. Or, il n'y a personne ici dans cette salle, militaire ou autre, qui a des antécédents comparables aux miens. Que connaissez-vous de Tora Bora? Les Canadiens étaient là en grand nombre. Au fait, il n'y a pas de cavernes à Tora Bora, n'est-ce pas, monsieur?
Une autre chose qui est vraie, ce sont les 200 000 qui ont été tués au Kosovo. Cela ne s'est pas produit non plus. J'ai fait un documentaire. Nous n'avons pas trouvé 5 050 corps. La GRC devrait savoir cela car c'est elle qui se trouve à La Haye à l'heure actuelle pour dire que cela ne s'est pas produit.
Le sénateur Nolin : Ce n'était pas exactement ma question, mais je vous remercie de votre réponse.
M. Pritchard : J'ai répondu à la question. Je ne suis pas ici pour faire comme à Hollywood. Je n'embauche pas d'acteurs, monsieur.
M. Jean-Pierre Mulago Shamvu, à titre personnel : Je suis candidat au doctorat au Centre for Military and Strategic Studies. Je m'intéresse aux questions de paix et de sécurité en Afrique.
J'ai le privilège d'être ici devant vous ce soir pour vous faire part de mon point de vue sur la sécurité et la défense canadiennes. Au cours des dernières années, la Défense nationale a vu ses budgets rétrécirent à un point où toutes les politiques sont axées sur la réduction des activités.
Aujourd'hui, l'environnement international en matière de sécurité n'est pas du tout favorable à la réduction des dépenses en matière de défense. Le dernier budget du gouvernement, avec la plus grande augmentation des dépenses en défense depuis 20 ans, a démontré que le gouvernement souhaitait renforcer les Forces canadiennes.
Ce soir, je voudrais attirer l'attention sur la menace des États non viables et des États en train de devenir non viables dans le monde, plus particulièrement en Afrique. Depuis la naissance des nouveaux États indépendants en Afrique en 1957, le Canada a été un partenaire clé dans la construction des nations. Ce n'est pas l'endroit ici pour rappeler tout ce qui a été fait, tout ce qui se passe.
Je voulais simplement mentionner le plan d'action pour l'Afrique du G8 annoncé ici à Kananaskis en Alberta en 2002. Suite à cet engagement, le gouvernement a mis sur pied le Fonds canadien pour l'Afrique, avec un budget de 500 millions de dollars. Un des objectifs de ce fonds est de financer les priorités du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique.
Les principaux défis en Afrique sont la paix et la sécurité sans lesquelles aucune autre initiative ne peut aboutir. L'initiative canadienne à Kananaskis était tellement importante que les sommets suivants du G8 avaient le plan africain à leur ordre du jour. Le prochain sommet doit avoir lieu à Gleneagles et le premier ministre britannique Tony Blair travaille actuellement avec les intervenants pour assurer le succès de l'engagement du G8 vis-à-vis de l'Afrique.
Je répète que les gros défis pour l'Afrique sont la paix et la sécurité. Le Canada est très actif sur ce front dans le cadre du « projet de capacité en maintien de la paix », projet dirigé par le Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix. Il vient de recevoir un montant supplémentaire de 20 millions de dollars. Sur la scène internationale, le Canada s'est engagé dans la Brigade d'intervention rapide des Nations Unies qui coopère étroitement avec le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine. Le Canada n'est qu'une puissance intermédiaire mais veut jouer un rôle international.
Quant à la situation internationale actuelle, les États providence et les États bouclier sont une grande menace pour la sécurité nationale et internationale. Le Canada n'atteindra pas son objectif sans une armée solide. Comme nous le savons tous, les militaires sont les premiers sur le terrain, avant les diplomates et même avant les négociants. Les Forces canadiennes doivent être consolidées sur le plan des ressources humaines, des finances et de la logistique.
M. Bercuson : Monsieur, votre temps est écoulé.
Le sénateur Meighen : Je dois dire qu'après l'accord de Kananaskis, j'avais un peu perdu de vue cette promesse de soutien. Vous m'avez appris beaucoup de choses. Vous avez l'air très optimiste quant à ce que nous pouvons faire, probablement avec d'autres pays défendant les mêmes idées, pour aider l'Afrique, étant donné l'ampleur des problèmes qu'il y a là-bas. Est-ce que je vous ai bien interprété?
M. Mulago Shamvu : Oui, mais je suis venu ici simplement pour demander que soient renforcées toutes ces initiatives. Je connais le centre pour le maintien de la paix où j'ai eu le privilège de rencontrer un certain nombre de hauts gradés d'Afrique. Je suis tout à fait convaincu de l'importance du travail que l'on fait là-bas. Il faut néanmoins consolider l'effort parce que, récemment, il y avait une menace financière. Dieu merci, elle vient d'être éliminée mais je vous demande d'insister pour que l'on renforce cette initiative.
Le sénateur Meighen : Ma foi, vous dites quelque chose que nous n'entendons pas très souvent, à savoir que l'aide étrangère va de pair avec la capacité militaire à faire régner l'ordre social.
M. Mulago Shamvu : Exactement, et dans le cas de l'Afrique, étant donné que tous les États sont non viables ou deviennent non viables à cause des insurrections dans l'armée, on ne peut pas se présenter pour faire face à quelqu'un qui est armé si l'on n'est pas armé soi-même.
M. Jeff Gilmour, à titre personnel : Je suis avocat de profession. Je suppose que je ne devrais pas insister là-dessus. J'ai été dans la marine pendant 13 ans, essentiellement sur des destroyers et sur le Bonaventure il y a des années. J'étais un des derniers au Collège de la Défense nationale en 1989-1990. Je travaille maintenant à l'Institut arctique de l'Amérique du Nord, ici à l'Université de Calgary, à l'Association des officiers de marine et au Centre d'études militaires et stratégiques. J'ai un document que je remettrai au greffier et je serai donc bref.
On prévoit qu'après trois ans d'attente, le gouvernement fédéral va bientôt dévoiler sa nouvelle politique de défense. On peut espérer que celle-ci portera sur les domaines suivants : beaucoup d'analystes ont en effet déclaré que notre politique de défense ne correspond pas à notre politique étrangère. Souhaitons donc que cette fois le gouvernement fasse le nécessaire, que les deux politiques soient inexorablement liées.
D'après le budget de la Défense et l'importance de notre armée, le nouveau budget devrait présenter des buts et objectifs réalistes plutôt que, comme par le passé, essayer de répondre à toutes les urgences nationales et internationales et de satisfaire à tous nos engagements sans aucun espoir d'y parvenir. Comme dans toute autre entreprise, le ministère de la Défense doit se donner un plan stratégique pour une période spécifique, décrire ses buts et objectifs. Par le passé, il semblait que le ministère commandait du matériel d'abord puis essayait ensuite de rationaliser ses missions en fonction de ce matériel. La population canadienne a souvent l'impression que la principale raison pour laquelle on achète du matériel militaire, c'est pour renforcer les contrats de défense régionaux partout au pays, sans savoir si le matériel est une priorité du ministère ou si c'est le meilleur matériel pour répondre aux besoins des utilisateurs, à savoir de l'armée.
Dans l'élaboration d'une nouvelle politique de défense, et si l'on veut mettre fin à l'érosion et au déclin de notre armée, il faut considérer les éléments suivants : quel genre d'armée les Canadiens veulent-ils? Voulons-nous qu'elle se limite aux opérations de défense civile, à la lutte contre les incendies et les inondations et au déneigement? Ou sommes- nous prêts à financer et à équiper nos trois armes pour des opérations de guerre ou plutôt, à préparer nos militaires à soutenir des opérations internationales de maintien de la paix aux quatre coins du monde? Voulons-nous que le ministère de la Défense ait pour première priorité de protéger nos côtes contre des menaces éventuelles et/ou en même temps de faire participer notre armée à des missions internationales humanitaires et de maintien de la paix?
Je passe rapidement à cet autre élément qui me semble important : le ministère de la Défense peut-il renforcer plus efficacement notre souveraineté et notre présence dans l'Arctique? En ce moment, nous n'avons pas de navire de guerre qui ait la capacité d'opérer toute l'année dans les eaux de l'Arctique et notre patrouille de souveraineté ne survole que rarement cette région.
Le sénateur Munson : Vous espérez que le gouvernement va adopter une politique cohérente. Quels sont ces objectifs particuliers que vous préconisez et pensez-vous que l'annonce de 5 000 et 3 000 pour ce qui est des effectifs soit un pas dans le sens d'objectifs réalistes; qu'avez-vous réellement pensé du budget?
M. Gilmour : Vous me posez une question double. Quand je parle d'un plan stratégique, j'ai dit que je ne crois que l'on puisse tout faire dans toutes les circonstances même si les livres blancs précédents semblaient le laisser entendre. Si l'on considère la réduction des ressources et le budget, il faut se demander, cette fois-ci, ce qui est raisonnable d'envisager. C'est essentiellement ce que je voulais dire. D'autre part, je répète que la politique étrangère et la politique de défense doivent être reliées et que cela n'a pas toujours été le cas. Le ministère de la Défense en a subi les conséquences. Il a fait un peu à sa tête. C'est pourtant extrêmement important.
M. Oscar Fech, à titre personnel : J'étudie l'histoire du monde et je connais le professeur David Bercuson. Je suis allé souvent à ses réunions et je suis les comités sénatoriaux, je les écoute et je suis aussi les débats à la Chambre des communes. J'ai étudié l'histoire du monde et j'ai voyagé dans plus de 50 pays. Nous faisions partie de la famille des tsars. Ils ont été assassinés. Mes grands-parents ont été assassinés en Russie.
Tout ce que je puis dire, c'est que nous manipulons tout. Le monde entier est manipulé. Pourquoi ne défendons-nous pas nos droits? Nous devons parler avec notre cœur. Nous savons ce à quoi nous croyons tous. Nous ne devrions pas faire la guerre pour des raisons économiques. Pourquoi le faisons-nous? Nous devons apprendre aux peuples à se battre pour la vérité, la justice et l'équité. Alors le monde nous donnera des leçons.
La situation mondiale est catastrophique. L'implosion n'est plus hypothétique, elle est certaine parce que nous avons créé tellement de systèmes à l'intérieur des systèmes que c'est ridicule — tout cela par avidité, pour l'argent et le pouvoir. Regardez-vous vous-mêmes. Je ne veux pas dire vous mais nous. Regardez les enfants qui meurent partout. Le problème de la faim. C'est partout — le 11 septembre est également le produit de la hiérarchie mondiale. C'était comme la tour de Babel. Nous créons de nouvelles ères. Que faisons-nous? Nous avons un esprit. Nous avons une âme. Nous avons un corps. Pourquoi ne nous redressons-nous pas?
Vous, les sénateurs, vous pouvez changer les choses parce que vous êtes l'organe au Canada qui peut mettre en œuvre ces résolutions ou ces règles ou ces lois; le Parlement peut le faire. Il semble que nous jouions au ping-pong avec les trois ordres de gouvernement. C'est ce que faisaient les Romains. Arrêtons la fumisterie. Redressez-vous et considérez vos enfants, vos petits-enfants. J'ai des enfants et des petits-enfants. Je vous l'ai dit, mes parents ont été tués en Russie. Le tsar a été tué. Nous remontons très loin, à l'Empire romain. Je suis le seul de ma famille à parler parce que je crois à la vérité, à la nécessité de se battre pour une vraie justice, l'équité.
J'espère que vous tiendrez compte de ce que j'ai dit et que vous commencerez à apporter ces changements. C'est tout ce que je puis faire. Vous devez faire le reste. J'essaie mais j'ai été harcelé de nombreuses façons différentes parce que je n'ai pas peur de parler, de poser des questions. Je ne devrais pas être harcelé ainsi, on devrait m'aider et non pas essayer de me détruire.
M. Berguson : Monsieur, votre temps est écoulé.
Le sénateur Forrestall : Monsieur, je crois que comme toutes personnes raisonnables, nous essayons de nous instruire et d'agir prudemment en faisant parfois preuve d'une certaine sagesse. Que voudriez-vous que nous fassions en matière de défense, de défense de l'Amérique du Nord, de défense du Canada, de notre souveraineté dans l'Arctique? Comment voulez-vous que nous fassions cela sans nous préparer à nous battre, sans nécessairement chercher à nous battre? Autrement dit, ne devons-nous pas intervenir face à certaines situations?
M. Fech : Absolument, mais nous devons éduquer, enseigner l'amour et non pas la guerre. C'est ce que nous avons cessé de faire. C'est là notre problème. Nous recourons à l'ONU, à la Banque mondiale et au Vatican pour manipuler les populations et c'est mal. Nous devrions nous battre avec nos cœurs. C'est là que cela commence. Sinon, peu importe ce que vous voulez créer, ça ne marchera pas. Vous avez tout à fait raison. Les guerres ont toutes en partie une origine économique et ce ne devrait pas être le cas. On ne devrait faire la guerre que pour protéger l'innocent et non pas le coupable. Les tribunaux devraient en faire autant. L'orientation que nous prenons m'intrigue.
Mme Tiffany Farion, à titre personnel : Je suis étudiante en maîtrise et si je conviens qu'il faut donner plus d'importance à l'armée, il y a un autre enjeu qui me semble tout aussi important. C'est le rôle du Canada en matière de sécurité aéroportuaire. Nous sommes devenus une cible pour les groupes terroristes parce que nous sommes à proximité des États-Unis. Nos relations économiques, militaires et civiles lient nos deux pays plus que tout autre partenariat international.
Ces liens nous rendent de plus en plus vulnérables aux activités terroristes. Comme celles-ci visent à semer la crainte dans un pays, elles tentent à trouver des cibles qui restent assez mal défendues. Les agences de renseignement et de sécurité canadiennes se bercent de l'idée fausse que cela ne peut se produire ici alors que nous savons que l'attaque sur Air India en juin 1985 a produit le même taux de décès que le massacre du 11 septembre. La sécurité aéroportuaire n'intéressait pas la population canadienne parce qu'il n'y avait pas eu d'autres incidents terroristes importants à bord d'avions commerciaux.
Les initiatives annoncées le 11 octobre 2001 par le gouvernement canadien, avec un budget de 2 milliards de dollars sur une période de cinq ans, ne peuvent absolument pas corriger les problèmes. Le rapport de votre comité sénatorial permanent en février 2002 a fait ressortir certains de ces problèmes, et le réexamen du système de laissez-passer, électronique plutôt que le système normal, la vérification des bagages et des voyageurs et l'utilisation de services de sécurité privés continuent à poser des problèmes. On a perdu, volé ou laissé à des employés qui ne travaillent plus dans les aéroports les cartes de sécurité électronique. Ces cartes posent un gros risque parce que ces laissez-passer restent en circulation et peuvent être facilement obtenus par un groupe terroriste. On n'a pas non plus envisagé des moyens réels de contrôle pour les explosifs. Même si l'on a adopté des programmes de sécurité, ils ne sont pas du tout assez efficaces. Les inspections varient d'un aéroport à l'autre, ce qui est très troublant. La formation du personnel aérien et la fermeture des portes de la cabine de pilotage continuent à poser des problèmes parce qu'on n'a pratiquement rien fait d'autre. Plus d'un an après le 11 septembre, la formation du personnel aérien d'Air Canada en matière de sécurité n'avait pas changé. On continuait à appliquer nombre des politiques des années 70.
La Société Radio-Canada a procédé à un examen approfondi le 27 octobre 2003 qui a révélé que nombre de ces initiatives en matière de sécurité qui devaient être prises suite à la publication du rapport de Transports Canada ne l'ont pas encore été. La liste d'initiatives que vous avez présentée n'a toujours pas été menée à bien deux ans plus tard.
Le sénateur Cordy : Peut-être que vous devriez venir avec nous parce que vous avez certainement mentionné beaucoup des questions qui figuraient dans nos rapports. Nous avons notamment signalé qu'il devrait y avoir plus de sécurité dans les aéroports et nous avons visité un certain nombre de grands aéroports au Canada. Qui devrait être responsable de la sécurité aux aéroports? Devrait-ce être la GRC? Avez-vous une idée à ce sujet? Quel est à votre avis le problème le plus pressant dont nous devrions traiter en ce qui concerne la sécurité dans les aéroports?
Mme Farion : Pour répondre à votre première question, la GRC n'a déjà pas suffisamment de personnel ni de moyens financiers mais on a essayé par voie réglementaire et législative de lui confier la responsabilité de la sécurité dans les aéroports. Or, faute de formation appropriée et de personnel, c'est très difficile. Les États-Unis ont permis de recourir à des entreprises de sécurité privées réglementées pendant un minimum de trois ans. Après quoi, si celles-ci satisfont aux exigences, l'aéroport est autorisé à continuer à utiliser l'entreprise en question. Ce serait peut-être une solution. Un des problèmes que je vois est celui des questions de sécurité dans les coulisses. Même si nous avons fait beaucoup apparemment pour calmer la population quant aux questions de sécurité aéroportuaire, c'est ce qui se fait en coulisse qui est beaucoup plus important. Essentiellement, on ferme la porte, mais toutes les fenêtres restent ouvertes.
Le sénateur Cordy : On contrôle les voyageurs, mais pas nécessairement les gens qui sont au sol à s'occuper des bagages?
Mme Farion : C'est exact. Je connais quelqu'un, que vous voyez ici, qui est presque monté à bord avec un couteau à ouverture automatique coincé dans la doublure de son sac et, ça, il y a deux ans. Le contrôle de sécurité n'est absolument pas suffisant.
M. Christoph Wuerscher, à titre personnel : Je suis psychologue. Je n'ai pas d'expérience directe de l'armée mais j'ai une certaine expérience indirecte puisque certains de mes clients sont anciens combattants ou anciens casques bleus. D'autre part, j'ai travaillé avec des gens qui étaient militaires et qui ne savaient pas toujours que j'observais
J'aurais deux choses à dire. Pour ce qui est du genre d'armée que j'aimerais voir, j'aimerais qu'elle soit davantage connue pour la qualité de ses idéaux humanitaires que pour l'état de son matériel. Par exemple, un tel idéal pourrait être de prévenir et d'intervenir de façon active dans des situations de génocide et là où il est nécessaire d'agir rapidement, non pas seulement sur le front militaire, mais également sur le front diplomatique et, comme on l'a déjà dit, en procédant par d'autres moyens. Il nous faut une armée dont à la fois les civils et les soldats puissent être fiers.
Deuxièmement, nous voulons une armée qui se préoccupe autant d'aider les soldats à réintégrer la vie civile que de transformer des civils en soldats. Je ne pense pas que nous puissions être très satisfaits, sur ce plan, mais nous devons arrêter de traiter les hommes et les femmes qui souffrent de maladies liées au stress occasionné par des opérations militaires comme des objets dépourvus de toute valeur.
Le sénateur Atkins : Vous voulez parler du syndrome de stress post-traumatique?
M. Wuerscher : Syndrome de stress post-traumatique, stress opérationnel. Pratiquement tous ceux qui ont été dans un théâtre militaire ont été touchés d'une façon ou d'une autre. Les grandes entreprises reconnaissent que les affectations internationales ont parfois des conséquences néfastes et qu'il est difficile pour leurs employés de se réintégrer dans leur pays. Ce problème est encore amplifié dans l'armée mais il n'existe pas de programme pour essayer de recycler ces soldats, de leur apprendre à redevenir civils. Nous devons faire en sorte que nos soldats puissent rentrer chez eux.
Le sénateur Atkins : Vous proposez quelque chose de tout à fait nouveau en matière de formation, pas simplement pour les militaires mais pour ceux qui quittent le service.
M. Wuerscher : Absolument, et si nous commençons à envisager une armée qui n'aura peut-être pas toutes les capacités voulues pour la guerre des étoiles mais qui travaillera activement dans le domaine du maintien de la paix et de la construction de nations, la formation à la fois pour entrer dans l'armée et pour continuer par la suite pourra probablement être davantage considérée comme un tout.
Le Dr Robert A. F. Burn, à titre personnel : Je suis un médecin de famille, ici, à Calgary. Je ne connais absolument rien à l'armée et mes commentaires sont absolument ceux d'un civil qui répond à la question portant sur le genre d'armée que nous devrions avoir.
Avec ses longues côtes et frontières, le Canada est indéfendable contre toute attaque sérieuse. Notre meilleure défense est d'être considérés comme des gens bien et nous devrions avoir ainsi des missions humanitaires et de maintien de la paix efficaces sous les auspices de l'ONU plutôt que d'essayer de nous défendre comme des pays plus puissants. Notre armée devrait être petite mais professionnelle et bien entraînée. Elle devrait être équipée pour faire face aux crises du monde en développement et elle devrait également être en mesure de faire face aux catastrophes nationales. Elle devrait avoir ses propres moyens de transport aérien et pouvoir être déployée rapidement et avancer rapidement.
C'est un peu ce que nous avons à l'heure actuelle, sauf que nous n'avons pas cette capacité de déploiement. Nous ne pouvons envoyer nos soldats sur place. Notre marine devrait être une patrouille côtière rapide. Elle devrait avoir la force et la rapidité voulues pour faire face aux trafiquants, aux immigrants illégaux et aux pêcheurs illégaux. Elle devrait avoir des bateaux capables d'assurer une patrouille dans les eaux de l'Arctique toute l'année. Des gros bateaux de guerre comme les sous-marins que l'on a récemment achetés sont à mon avis inutiles. Contre quelle menace veut-on les utiliser? La force aérienne devrait être équipée pour des opérations de reconnaissance, de sauvetage, de transport et d'approvisionnement des forces terrestres et je ne vois pas quel rôle réaliste pourrait jouer des avions militaires dans notre pays.
Le sénateur Nolin : Je vous ai entendu mais que faites-vous de la défense de notre continent? Que devons-nous faire face à ce défi? Je suis sûr que vous ne voulez pas que ce soit les Américains qui s'en chargent pour nous.
Le Dr Burn : Je sais qu'essentiellement nous n'avons pas le choix. Il faut être réaliste. Les Américains ont une armée considérablement supérieure. Notre contribution ne sera jamais une contribution directe importante. La seule façon d'aider serait, par exemple, d'assurer une aide humanitaire et de participer au maintien de la paix. En Irak, par exemple, après les bombardements et la guerre éclair, il y a eu un bon moment où nous aurions pu aider mais nous ne l'avons pas fait.
Le sénateur Nolin : Vous dites que les Américains devraient s'occuper du continent et nous de réparer leurs dégâts?
Le Dr Burn : Oui, cela résume assez bien mon point de vue.
M. Ron Barnes, à titre personnel : Je comparais devant vous ce soir à titre de citoyen ordinaire. Je n'ai aucune expérience en matière militaire. Nous vous sommes reconnaissants de cette occasion de nous exprimer.
Mon point de vue est tout d'abord qu'il faut répéter ce que les professeurs nous ont dit ce matin quant à la nécessité de renforcer nos liens avec les États-Unis en matière de défense. Tous les Canadiens ne peuvent que s'inquiéter que le gouvernement canadien ait décidé la semaine dernière de ne pas participer à la défense antimissile et cela inquiète évidemment certaines personnes dans l'administration.
Je pourrais citer le sous-ministre adjoint des Affaires étrangères Jim Wright : c'est dans notre intérêt national et stratégique que de participer aux décisions concernant la défense de l'Amérique du Nord plutôt que de rester de côté. En étant des partenaires crédibles des États-Unis pour la défense du continent, nous sommes assurés d'être consultés dans les décisions qui touchent à l'intérêt national du Canada. Je pense que le comité devrait insister beaucoup sur le rétablissement de bonnes relations avec l'armée américaine en soutenant le programme de défense antimissile balistique.
Je citerai aussi M. Paul Cellucci, ambassadeur des États-Unis : nous défendrons l'Amérique du Nord. Il est dit que ceux qui ont perdu, c'était le peuple canadien parce qu'il ne siégera pas ainsi à la table.
En outre, je crois que dans l'intérêt de la sécurité des Canadiens, ce comité devrait laisser de côté ses considérations politiques et songer à la sécurité continentale. Il ne faut pas oublier que beaucoup de Canadiens vivent à 200 ou 300 kilomètres de notre frontière avec les États-Unis. Il s'agit de notre principal partenaire commercial et nous avons une alliance pacifique qui remonte avant la Confédération. Comme nous l'avons entendu ce matin, un fort pourcentage de notre puissance économique vient de nos relations commerciales avec les Américains.
Pour finir, je suis conscient des défis que doit relever ce comité. Je suis tout à fait favorable à ce que l'on maintienne nos frontières souveraines qui nous ont été données par Dieu. Je tiens à remercier le président et les sénateurs de m'avoir écouté.
Le sénateur Meighen : Vous savez que la décision concernant le bouclier antimissile a été prise. Je suis certain que vous savez qu'il y a des membres du comité qui sont pour et d'autres qui sont contre cette décision, mais celle-ci a été prise par notre gouvernement. Il a toutefois dit « pour le moment », si bien qu'il est possible qu'un jour ou l'autre, on revienne là-dessus si le gouvernement du jour le juge approprié. Vous avez dit qu'à votre avis il s'agissait d'une erreur pour ce qui est de nos relations avec les Américains. Pensez-vous que nous puissions réparer cette erreur en renforçant notre armée et en la déployant dans d'autres secteurs de la défense nord-américaine, comme le mentionnait le docteur il y a un instant?
M. Ron Barnes : Oui, c'est une bonne question. Je pense que l'armée canadienne peut jouer un rôle dans des situations comme en Irak, en particulier dans l'après-guerre. Je crois que le Canada doit venir à la table et avoir des relations bilatérales avec les Américains, qui reconnaîtront que nous avons quelque chose à apporter. Je ne sais pas si ça répond à votre question.
Le sénateur Meighen : Si, tout à fait, merci.
M. John S. Ink, à titre personnel : J'ai été dans l'armée, j'ai piloté un avion de combat durant la guerre froide, la guerre oubliée. J'ai quelques observations rapides à faire.
Je demanderais au comité de faire tout ce qu'il peut pour veiller à ce que l'ajout proposé de 5 000 soldats réguliers et 3 000 réservistes prévoie d'abord une formation de soldats et non pas de travailleurs sociaux.
Deuxièmement, appelons notre armée par son nom : forces armées. Je ne comprends pas pourquoi l'on parle de « Forces canadiennes ». Comme l'intervenant qui m'a précédé, je crains beaucoup le fait que le gouvernement ait récemment rejeté l'entente avec nos alliés et partenaires commerciaux sur la défense antimissile balistique. Comme la majorité des Canadiens, je déplore que depuis 35 ans, tous les partis politiques aient délaissé l'armée et je vous félicite, monsieur, des efforts que vous faites pour rendre à notre pays ses responsabilités légitimes en matière de défense. Je ne comprends absolument pas pourquoi le gouvernement ne vous écoute pas.
Le sénateur Munson : Vous pouvez certainement continuer à en parler, et étant donné votre expérience, vous voudrez peut-être nous dire un peu ce que vous aimeriez voir lorsque vous dites que les 5 000 nouveaux soldats devraient être entraînés comme des soldats. Le gouvernement nous a dit qu'il ne pourrait même pas loger ces hommes et ces femmes avant cinq ans. Ce n'est pas possible. Rien n'est prêt pour les recevoir. Il me semble qu'il va falloir un certain temps pour les entraîner.
M. Ink : Certainement, sénateur, et je demande simplement que l'on vous donne à vous, sénateurs, le temps d'influer sur la formation qu'ils vont recevoir et sur les terrains d'opération où ils seront envoyés.
M. Phil Kube, à titre personnel : J'aimerais aujourd'hui vous livrer un court exposé. J'utilise la version que j'ai en main plutôt que la version longue. Mesdames et messieurs les membres du comité, j'aimerais vous remercier de me donner cette occasion de vous faire part de mes opinions au sujet des Forces armées canadiennes. Je suis économiste et conseiller en matière de réglementation. Je travaille pour l'une des plus importantes sociétés pétrolières et gazières ici à Calgary. Je vous signale que je n'ai aucun entraînement militaire et que je n'ai pas fait d'études formelles en ce qui a trait aux affaires militaires du Canada.
Dans l'avis public concernant les délibérations du comité, il était question de la taille appropriée des Forces armées canadiennes. La taille des forces armées devrait dépendre de la capacité militaire que le gouvernement est en mesure d'acheter quand il consacre aux forces armées un pourcentage de son PIB qui correspond à la moyenne des pays de l'OTAN. À l'heure actuelle, cette moyenne est d'environ 2,1 p. 100 du PIB. Ces 2,1 p. 100 donneraient un budget annuel pour la défense de 24 milliards de dollars comparativement à 13 milliards de dollars ou 14 milliards aujourd'hui. Ces fonds devraient être dépensés de façon efficiente. Dans le passé, le budget de la défense a été utilisé pour financer des projets de création d'emplois artificiels dans diverses régions du pays. Le budget de la défense devrait être utilisé pour donner une véritable capacité militaire au pays et, en dépensant ces fonds de façon efficiente, cette capacité militaire serait maximisée. Si des décisions politiques nécessitent l'affectation de fonds pour la création d'emplois, ou pour subventionner une quelconque entreprise, les fonds devraient être affectés explicitement dans les documents budgétaires et non pas cachés dans le budget d'acquisition de la Défense nationale.
L'avis de convocation de la réunion d'aujourd'hui faisait aussi état de la capacité souhaitée pour les Forces armées canadiennes. D'abord, il doit s'agir d'une force de première ligne apte au combat sur terre, dans les airs et sur mer. Je ne partage pas l'avis de ceux qui disent que le pays devrait plutôt mettre l'accent sur le maintien de la paix exclusivement. J'estime que la contribution des Forces armées canadiennes aux missions de maintien de la paix dans le monde entier a été extrêmement efficace et bien accueillie par la communauté internationale. Il ne suffit pas que le Canada soit en mesure de contribuer à l'OTAN, à NORAD et à d'autres missions autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies de sorte qu'il faut que le Canada dispose d'une capacité plus grande que ce qu'exigent les opérations de maintien de la paix.
Enfin, j'aimerais parler du rôle que les forces armées devraient jouer dans le Canada de l'avenir. Les forces armées sont appelées à jouer plusieurs rôles et le ministère de la Défense nationale ne doit pas être transformé en ministère qui serve de truchement à la création factice d'emplois. Ces rôles incluent la capacité de participer à des missions de guerre de première ligne et supposent des forces considérables sur terre, dans les airs et sur mer, des opérations de maintien de la paix, des missions de recherche et de sauvetage au pays et l'intervention par des forces spécialisées en cas de désastres nationaux où qu'ils surviennent dans le monde, surtout dans les environnements hostiles.
Je comparais aujourd'hui pour appuyer une augmentation considérable du budget de la Défense nationale, dans des limites raisonnables. Cette augmentation ne doit pas être motivée par la fierté ou le patriotisme, mais par nos responsabilités sur la scène internationale.
Le sénateur Forrestall : Croyez-vous que les Forces armées canadiennes et les réserves pourraient jouer un rôle dans le Nord semblable à celui que jouent les Rangers canadiens?
M. Kube : Un rôle dans le Nord de quel genre?
Le sénateur Forrestall : Je pense à la défense de la souveraineté du Canada, plus particulièrement dans le passage du Nord-Ouest, et au débat que suscite l'agrandissement de notre territoire terrestre au fur et à mesure du réchauffement planétaire.
M. Kube : J'estime que c'est un rôle très important et que la taille des forces armées que j'entrevois pour l'avenir permettrait ce genre de capacité sans sacrifier d'autres rôles que pourraient jouer les Forces armées canadiennes. À l'avenir, des enjeux comme le passage du Nord-Ouest — et il se peut fort bien qu'il y en ait d'autres — deviendront de plus en plus importants en raison du réchauffement de la planète et de la possibilité d'accroissement de la circulation dans le passage.
Oui, être en mesure de défendre la souveraineté et d'affirmer le contrôle du Canada — particulièrement le contrôle car qui sait quelles normes pourraient exister dans d'autres pays — dans le Nord est très important.
M. John Melbourne, à titre personnel : Je suis membre de l'Association de la Force aérienne du Canada et j'ai servi dans l'Aviation royale du Canada de 1953 à 1964. À l'époque, le Commandement du transport aérien était inégalé et l'Escadron 426 s'est distingué lors de la guerre de Corée, par exemple. Les temps ont bien changé. Aujourd'hui, nous n'avons pas de capacité de déploiement rapide et nous en avons eu la preuve récemment quand nous avons envoyé outre-mer l'équipe DART où nous avons dû louer un Antonov 124. Nous avons une flotte d'avions Hercules vieillissants qui n'auraient pas suffi à la tâche. Ce vétéran que je suis est très déçu que nous ayons dû louer un avion.
Le sénateur Cordy : Hier, quand nous étions à Edmonton, j'ai demandé à l'un des officiers d'où provenaient leurs véhicules, leurs chars d'assaut, et vous avez très bien décrit la situation qui prévaut aujourd'hui. Je me demande si vous pourriez nous donner davantage de détails sur le genre d'avion de transport que nous devrions avoir et combien il nous en faudrait?
M. Melbourne : Je pense que quatre seraient suffisants. Certains semblent préférer les C-17. Quand j'étais à Tucson en Arizona il y a environ trois semaines, j'ai visité ce qu'on appelle le cimetière des avions; il y avait là quatre Starlifter conservés dans des cocons appartenant à l'aviation américaine tandis que nous ne possédons même pas un gros porteur. Sénateur Cordy, je pense que quatre C-17 feraient très bien l'affaire. Merci.
M. Ray Szeto, à titre personnel : J'ai obtenu récemment ma maîtrise du Centre for Military and Strategic Studies. Mes domaines d'étude étaient la politique de défense du Canada et la planification et la vision stratégiques, ce dont j'aimerais maintenant vous parler.
Récemment, le nouveau chef d'état-major de la défense, le général Rick Hillier, a énoncé sa vision de l'avenir des Forces armées canadiennes qui comporterait un groupe opérationnel feuille d'érable, des bâtiments d'assaut amphibies, une capacité de transport, des forces d'intervention rapide, et cetera. Même si j'applaudis la force de la vision qu'il a énoncée quand il a pris la parole devant un comité pour annoncer ce qu'il souhaite obtenir, en définitive, tout dépend de ce que souhaite faire le gouvernement à long terme et de la vision du premier ministre.
Cela soulève la question de savoir quelle est exactement la stratégie du Canada à l'heure actuelle. Quelle est la vision à long terme du Canada? Cette question prime tous les autres enjeux, y compris le budget, les effectifs et même l'équipement, puisque nos besoins dans chaque secteur découlent de cette stratégie.
Dix ans se sont écoulés depuis la dernière politique de défense et j'estime que nous devons mettre en place une procédure plus régulière pour que nos forces armées ne tirent pas de l'arrière, pour ainsi dire. Nous avons perdu du terrain par rapport à nos alliés européens, notamment la Grande-Bretagne, pour ce qui est de notre capacité d'acquisition et de notre capacité de transport maritime et aérien. Même les États-Unis, la France, l'Allemagne et d'autres encore ont modernisé leur politique de défense en 2000-2001 et l'ont adaptée aux changements intervenus au niveau international. Ainsi, si nous voulons pouvoir nous adapter aux conditions changeantes, j'estime que nous devons mettre l'accent non seulement sur la mise à jour de la politique de défense, mais aussi mettre en place une structure pour que ces révisions se fassent de façon plus fréquente et plus régulière afin que nous sachions exactement quels sont les intérêts nationaux que nous voulons servir et les moyens que nous voulons mettre en œuvre pour ce faire, même s'il faut périodiquement les revoir.
Le sénateur Atkins : Ne pensez-vous pas qu'avant de réorganiser les forces armées, nous devons connaître la teneur de la nouvelle politique étrangère?
M. Szeto : À mon avis, le Cabinet du premier ministre doit dire au pays exactement quelle est sa vision pour les vingt prochaines années. Dans un certain sens, il s'agit davantage d'un document sur la politique internationale que sur la politique étrangère d'une part, et la politique sur la défense nationale, d'autre part. Je pense qu'il faudrait connaître les grandes lignes d'une stratégie intégrée.
Mme Corrie Adolph, à titre personnel : Je suis présidente de l'association Canadians for Military Preparedness. Je n'ai pas fait carrière dans les forces armées. Je ne suis pas du milieu universitaire. Je suis mère de trois fils. J'habite à Calgary, je dirige une entreprise et je me compte parmi ce que je crois être des millions de Canadiens moyens qui sont très préoccupés par l'état de nos forces armées.
J'étais si préoccupée que je fais du lobbying auprès du gouvernement depuis quatre ans pour obtenir qu'il augmente le budget de la défense et revoie notre politique de défense. J'ai consulté les Canadiens — des gens normaux et ordinaires — au sujet de nos Forces armées canadiennes et des défis qu'elles doivent relever, et j'ai constaté qu'ils étaient très préoccupés. Ils ne comprennent pas toujours parfaitement les enjeux, mais quand on leur donne l'occasion de se renseigner et d'obtenir des explications claires, ils sont très préoccupés.
Les Canadiens se soucient tout particulièrement de notre souveraineté. La « souveraineté » s'exerce sur un territoire que nous sommes en mesure de défendre et je pense que la plupart des Canadiens craignent que nous ne soyons pas en mesure de défendre notre frontière septentrionale. Ils sont tous très conscients de la fonte de la calotte glaciaire de l'Arctique et du fait qu'un accroissement de la circulation dans le Nord pourrait causer des accidents et des dommages à l'environnement. Je pense que les Canadiens s'estiment trahis par un gouvernement qui ne s'est pas acquitté de sa responsabilité première, à savoir protéger les citoyens du Canada. Ce n'est pas une question qui intéresse uniquement les hommes et les universitaires. Quand je vais à l'école de mes enfants, je rencontre des mères et des grands-mères et toutes s'inquiètent de l'état de nos forces armées. Je pense que les mères de tout le pays, plus particulièrement, s'inquiètent des difficultés de nos forces armées parce que nous avons des enfants. Nous voulons protéger nos enfants, protéger leur liberté et leur démocratie.
J'ai trois fils. Mon fils de 16 ans s'est joint à la réserve de l'armée immédiatement après les événements du 11 septembre parce qu'il sentait que c'était son devoir de protéger son pays. Je me demande maintenant s'il aura les outils dont il a besoin pour s'acquitter de sa mission. Mon deuxième fils vient de présenter une demande d'admission au Collège militaire royal du Canada. Il veut être pilote : je ressens un pincement au cœur quand je songe aux vieux avions qu'il doit piloter.
J'ai un fils de 11 ans qui veut faire comme ses grands frères et je m'inquiète de l'état dans lequel se trouveront les Forces armées canadiennes quand il aura l'âge de décider lui aussi de servir son pays.
Je suis fière de mes fils et je me réjouis qu'ils souhaitent servir leur pays. Cela m'attriste de penser qu'ils risqueront leur vie en raison du manque de leadership des dirigeants canadiens et de la malveillance de quelqu'un comme Oussama ben Laden.
Le sénateur Nolin : L'actuel secrétaire général de l'OTAN et son prédécesseur ont tous les deux soutenu que les pays membres devaient consacrer à la défense 2 p. 100 de leur PIB. J'imagine que vous appuyez cette proposition. Nous n'atteignons pas ce seuil malgré l'augmentation annoncée la semaine dernière. Appuieriez-vous l'idée de fixer le budget à 2 p. 100 du PIB — et mèneriez-vous la campagne pour faire accepter une telle loi aux Canadiens? Comment doit s'y prendre le gouvernement pour y parvenir?
Mme Adolph : Je crois que les Canadiens l'accepteraient si c'était prévu dans une loi. Je ne crois pas que les Canadiens rejettent l'idée de payer pour assurer leur propre protection. Ils comprennent tous qu'il en coûte quelque chose pour assurer la paix. Je ne sais pas s'il faudrait ou non fixer un pourcentage comme 2 p. 100. Il serait peut-être préférable de lier le budget de la défense à la moyenne des pays de l'OTAN puisque cela pourrait changer et les temps changent et il ne faudrait peut-être pas trop leur lier les mains. Il faudrait peut-être que ce soit 4 p. 100. C'est une idée.
Le sénateur Nolin : Sur les six pays, seulement deux d'entre eux consacrent à la défense plus de 2 p. 100 de leur PIB, ce qui vous donne une idée de l'ampleur du problème.
M. Luc Marchand, à titre personnel : Je suis un ancien membre des forces armées. Je suis le cofondateur d'un mouvement qui préconise cette idée.
Je suis heureux que votre comité ait décidé de se pencher sur cette question immédiatement parce que la Défense nationale est vraiment mal en point.
J'ai un frère qui vient de quitter l'armée. Il était pompier à Moose Jaw, et les conditions d'approvisionnement étaient si lamentables qu'ils ont dû se rendre à un parc à ferrailles de Regina pour trouver certaines pièces. Je ne plaisante pas.
Il y a une autre question très importante. Quand on donne une augmentation de salaire au personnel des forces, il faut veiller à ce que l'argent ne soit pas récupéré par le coût du logement familial. Il faut que les militaires puissent garder cet argent.
Troisièmement, le service du renseignement est un aspect important de notre sécurité nationale. Nous devons travailler avec la CIA et le MI5, et échanger nos bons éléments avec eux. Dans mon temps, il y avait toujours des bagarres.
Par ailleurs, il faut s'occuper du Nord, parce qu'en 1980, j'ai indiqué dans un rapport que si un avion s'écrasait dans le Nord, nous ne serions pas capables de nous rendre sur les lieux de l'accident. Supposons qu'un avion Hercules s'écrasait et que nous avions toutes les difficultés du monde à nous rendre sur les lieux. Nous devons faire le nécessaire pour être prêts et bien organisés. La contrebande et le trafic de drogues sont un autre problème vraiment grave.
Ce qui s'est passé à Whitecourt est un signal d'alarme. Quand j'y étais, c'était un véritable cauchemar, et la GRC essayait de dénoncer le problème.
Le sénateur Meighen : Vous évoquez beaucoup de sujets.
M. Marchand : J'ai tout vu, le combat qui s'est mené au Parlement et celui qui s'est mené au ministère de la Défense nationale. Nous avons des réunions secrètes dans le bunker là-bas; je vous assure que ce serait un véritable cauchemar.
Le sénateur Meighen : Vous et la dame qui vous a précédé avez soulevé des problèmes graves. Vous avez également recommandé que nous investissions plus d'argent pour les activités qui, de l'avis de certains membres du comité, sont essentielles pour protéger notre souveraineté et notre tissu social.
Vous avez évoqué le problème des drogues. Pourquoi cette dame a-t-elle fait du lobbying auprès du gouvernement du Canada? Pourquoi n'y a-t-il pas chez les politiciens, et encore moins dans l'ensemble de la population, un courant d'opinion favorable à l'augmentation des sommes que nous consacrons à la protection de notre pays?
M. Marchand : Je vais vous donner un exemple, monsieur le sénateur. Quand je travaillais pour WestJet, mon frère était pompier à Moose Jaw et je lui ai décrit le problème : il fallait aller dans un parc à ferrailles pour trouver les pièces nécessaires pour réparer leurs camions. Il n'a rien fait. Quand j'ai signalé la situation à mes frères et aux pompiers de Moose Jaw, ils étaient furieux. Ils n'arrivaient pas à le croire. Moi aussi, j'avais peine à le croire. J'ai rédigé un rapport ultrasecret au sujet de la situation dans le Nord à l'intention du Parlement, et il s'est retrouvé à la poubelle. Il y a de cela plus de 25 ans.
Le sénateur Meighen : Ce rapport n'a pas eu de publicité?
M. Marchand : Non.
Le sénateur Meighen : Sans publicité, rien ne se sait. Voilà l'explication.
M. Mike Bakk, à titre personnel : Contrairement à l'intervenant précédent, je suis un civil, un Canadien et le père de trois filles. Que Dieu la bénisse. Je n'ai pas préparé de notes et je n'ai pas l'intention de faire un long exposé. Mon message est assez simple et j'espère pouvoir vous faire comprendre mon point de vue.
Je suis préoccupé par le NORAD et la défense antimissile. Nous savons à présent que les missiles, une fois lancés, traversent l'atmosphère et circulent dans l'espace, où ils se morcèlent et pénètrent de nouveau l'atmosphère pour frapper leurs cibles. C'est ainsi que fonctionnent les nouveaux missiles. Par conséquent, nous devons les neutraliser dès qu'ils quittent l'atmosphère. Comment pouvons-nous le faire? Nous devons les intercepter à partir de navires. Nous devons être en mesure de le faire. Les Canadiens à bord de ces navires devront prendre les décisions car, ne l'oublions pas, ces missiles survoleront vraisemblablement le Canada pour atteindre leurs cibles. Les risques que ces engins aient des défaillances, fonctionnent mal et tombent en territoire canadien sont considérables.
L'histoire nous a montré, particulièrement en Afghanistan, avec les 400 bombes intelligentes, quelle est leur précision. Il faut arriver à les intercepter avant que les missiles quittent l'atmosphère et nous devons pouvoir le faire rapidement et avoir notre mot à dire sur le moment où cela se fera. Pourquoi? Parce que nous sommes Canadiens et que tout ce qui manque sa cible pourrait très bien nous tomber dessus.
Le sénateur Munson : Nous ne semblons pas avoir la technologie nécessaire actuellement. En outre, le Canada a dit non à la défense antimissile, du moins pour cette fois. J'essaie de comprendre ce que vous voulez dire. Nous devrions avoir la technologie pour faire cela, mais où en sommes-nous, lorsqu'il s'agit de protéger notre souveraineté, par suite de cette décision du gouvernement au sujet de la défense antimissile balistique?
M. Bakk : Pour commencer, les Canadiens peuvent construire leur propre matériel. Ils ont la technologie et les connaissances. Nous avons l'argent nécessaire à la construction de nos propres chantiers navals. Nous avons la capacité maintenant. Mais que faire entre-temps? On peut en acheter, puis préparer les plans pour les réparer. Nous ne pouvons pas dépendre des pièces achetées à l'étranger, parce que notre ennemi pourrait les acheter. On pourrait avoir à remplacer des pièces qui n'ont pas normalement à être remplacées, par exemple, un morceau de culasse qui explose. Nous devons donc avoir notre propre inventaire de pièces. Nous devons les construire nous-mêmes, mais en attendant, il faut commencer par en acheter afin d'avoir la responsabilité du matériel, de manière que le gouvernement ait l'appui du public.
Voilà ce dont ont besoin les militaires : de technologie. Il faut se servir des compétences intellectuelles qu'on a.
Mme Kim Warnke, à titre personnel : Je suis ici pour vous parler d'un sondage mené de manière très informelle dans les pubs de Calgary. Vous le voyez, je suis jeune, et je parle plus aux jeunes que ne le font les personnes plus âgées. Quelle que soit leur position par rapport à la décision du gouvernement sur la défense antimissile, les citoyens semblent tous en être arrivés à un consensus selon lequel au cours des dernières décennies, les Canadiens n'en ont pas fait suffisamment en matière d'armement, et qu'ils ne peuvent concurrencer les pays qui y ont consacré toutes leurs ressources.
Beaucoup de gens conviennent qu'il nous faut défendre notre pays et notre souveraineté. Par ailleurs, comme nous en avons fait si peu et que nous sommes si en retard, il faudrait une incroyable quantité de ressources, notamment financières, pour que nous soyons au même niveau que le reste du monde, côté armement. Tout le monde semble convenir, toutefois, qu'il se fait tard et que nous n'avons plus le choix, lorsqu'il s'agit d'agir par nous-mêmes, de manière offensive.
Nous ne semblons pas avoir suffisamment de ressources. Nous n'avons pas de stocks d'armes. Il semble y avoir un consensus selon lequel nous devons nous concentrer sur le maintien de la paix et sur la construction de nations, et notre professeur de psychologie, notre ami qui est au microphone 2, semble le croire aussi. D'après ce consensus, si nous faisons de notre mieux pour être les citoyens canadiens que nous sommes, et que nous nous présentons au monde sachant l'avantage que nous ont conféré des années de multiculturalisme, les gens seront moins susceptibles de vouloir nous attaquer et plus susceptibles de nous aider à défendre notre pays. Nous n'aurons pas à mendier cette aide, puisqu'on verra les Canadiens comme un peuple bon, et c'est ce que veulent les jeunes du Canada : nous voulons être connus comme un peuple bon. Nous avons un bilan très décent, et nous voulons le conserver en nous assurant que nous ne serons pas vus comme un peuple agresseur.
Pour le déploiement de l'équipe DART, nous n'avons pas agi du jour au lendemain, mais nous y avons réfléchi, nous avons tenu compte de toutes les solutions possibles et nous avons offert ce que nous pensions pouvoir offrir. Au bout du compte, nous avons fait beaucoup de bien et pour cela, je félicite le gouvernement.
Peu importe qu'ils estiment que nous aurions dû accepter l'offre des Américains ou qu'au contraire, nous avons bien fait, il semble important pour tous ceux à qui j'ai parlé de reconnaître que nous ne pouvons plus agir par nous-mêmes offensivement et que nous devons nous efforcer d'être l'ami de tout le monde, celui qui prend soin des autres. Réciproquement, on prendra soin de ceux qui se sont occupés de leurs amis.
Le sénateur Forrestall : Je sens que cela vous intéresse beaucoup, puis-je vous demander comment vous en êtes venue à vous intéresser de près à cette question?
Mme Warnke : J'ai commencé à m'intéresser de près aux affaires militaires et à la politique étrangère de nombreux pays quand j'étais en 3e année. En effet, c'est à cette époque que j'ai vu une pièce de théâtre sur la légende des mille grues de papier et sur les bombes nucléaires d'Hiroshima. J'étais bouleversée. J'ai écrit au premier ministre dont j'ai reçu une réponse, où il disait qu'il était content qu'une jeune personne s'intéresse à ces choses.
Sans vouloir vous offenser, il faut dire que vous avez l'avantage de nombreuses années d'expérience mais depuis, j'ai constaté que le gouvernement écoutait de plus en plus les jeunes, même s'il a encore tendance à écouter des gens qui sont dans le système depuis longtemps. C'est certes très précieux, et vous avez une longue expérience que nous n'avons pas, mais il faut dire qu'il est difficile de préserver ses idéaux une fois qu'on est dans un système. Je pense que vous devez écouter les jeunes pour entendre des idées nouvelles puis vous servir de vos connaissances pour analyser ces idées, puisque nous aurons le pays que vous nous donnerez.
M. David Burns, à titre personnel : Je suis de Calgary. Pour commencer, j'aimerais élever la discussion pour qu'on parle d'une vision, d'un but supérieur pour nos militaires. Je pense qu'il faut commencer par énoncer notre vision du pays. Qu'est-ce que notre pays représente et quels sont ses objectifs?
Je pense que les Forces canadiennes doivent se concentrer sur une vision et sur le leadership de notre pays dans le monde. Je pense que partout dans le monde, on voit le Canada comme un leader qui aide les autres peuples, qui est là quand on a besoin de lui. Nous sommes associés au développement et à l'aide à ceux qui en ont besoin. Je pense que c'est l'orientation qu'il faut donner aux Forces canadiennes. Et nous pouvons le faire dans le cadre de fonctions comme celles de l'équipe DART. Nous avons nous-mêmes quelques idées sur la façon dont ce service pourrait être déployé dans le monde, et sur la façon de travailler au développement durable. Nous pourrions équiper les hommes et les femmes des Forces canadiennes avec des moyens techniques et des innovations conçus au Canada, de manière à les aider à aider d'autres pays du monde. Je pense que c'est l'orientation qu'il nous faut choisir. Il nous faut une vision, un but supérieur. Nous devons parler davantage de ce que représente le Canada. Qui sommes-nous, comme nation? Ce n'est pas une question de défense. On agite des épouvantails, on nous parle d'agression. En fait, il s'agit plutôt de faire preuve de leadership et de changer des choses à l'échelle mondiale. C'est là qu'est le rôle du Canada à l'avenir : un intervenant mondial, un citoyen mondial qui défend ses idéaux.
On ne peut s'attendre à ce qu'un pays comme les États-Unis se métamorphose et devienne un pays d'aidants, qui aide d'autres peuples du monde. C'est nous qui avons fait germer cette idée. Lester Pearson en est presque l'auteur. Il y a très longtemps, nous avons fait germer cette idée. Ce n'est pas qu'une question de maintien de la paix. Il s'agit d'aider nos voisins et d'autres citoyens du monde. Nous pouvons le faire avec une force adéquatement équipée. Nous devons collaborer avec le secteur privé au Canada. Nous devons forger des partenariats pour encourager l'innovation, équiper nos militaires pour qu'ils fassent ce qu'ils ont à faire, au Canada et ailleurs dans le monde. Voilà le concept du « fait au Canada ». Il faut y intégrer la politique étrangère. C'est une question d'aide humanitaire. Il s'agit aussi d'utiliser adéquatement nos ressources et de cibler les efforts du pays. Le Canada, c'est ça.
Le sénateur Cordy : Quand on voyage à l'extérieur du Canada, en Europe, on constate que les Canadiens sont respectés et je m'assure toujours de porter une épinglette à l'effigie du drapeau canadien quand j'y vais. Vous avez soulevé des questions intéressantes au sujet de notre vision, à nous les Canadiens, sur le fait que nous devons nous affirmer, pour ce que nous sommes. Vous avez répété qu'il fallait commencer par être bien équipé. Je voudrais savoir ce que vous vouliez dire, exactement.
Deuxièmement, vous avez parlé de matériel fait au Canada. Des témoins précédents ont dit qu'il ne faudrait pas faire du matériel au Canada simplement parce que c'est bon pour l'économie. J'aimerais avoir vos commentaires sur ces deux questions.
M. Burns : Mon entreprise travaille dans la région du sud de l'Alberta au développement de capacités relatives aux technologies et aux innovations en matière de développement durable. Nous travaillons donc à cette vision. Nous rassemblons donc ces idées et nous songeons aux outils dont les forces pourraient avoir besoin. Je parle du matériel, des véhicules, mais aussi de technologies se rapportant à l'eau, à l'énergie, au développement et à la construction de communautés. Quand nos forces se rendent dans une région, elles en assurent la sécurité, elles travaillent avec les victimes de tsunami, par exemple, mais aussi elles travaillent au développement. Nous arrivons avec de l'innovation, du matériel et des idées servant à la reconstruction de ces communautés. C'est ce dont je parle. Je ne parle pas d'armes à feu, ni rien de ce genre. Je parle de matériel qui peut changer les choses à long terme, changer le monde. C'est le matériel qui constitue nos forces. Nous ne sommes pas une nation combattante. C'est le discours qu'il faut tenir. Il faut faire la différence entre la défensive et l'offensive. Il faut parler de changer les choses.
M. Nelson Barnes, à titre personnel : En terminant, je tiens à remercier les sénateurs. J'ai été ici toute la journée et je vois combien de travail fait votre comité pour présenter un rapport au gouvernement. Je remercie les suggestions et le ton employé dans les questions afin de promouvoir une meilleure collaboration avec les États-Unis à la protection et à la défense du continent nord-américain. Même si on nous a dit que la défense antimissile balistique n'est pas retenue pour l'instant, on nous a dit aussi que vous avez travaillé avec quatre ministres de la Défense, déjà. Nous espérons un changement, compte tenu, comme vous l'avez dit, que l'an prochain il faudra traiter de la question de NORAD.
Par ailleurs, on a parlé d'un financement suffisant pour soutenir les trois forces militaires, non pas seulement comme des forces offensives mais comme on l'a entendu plus tôt en deux mots aujourd'hui, comme des forces armées adéquates, qui seront entendues, tant sur le continent nord-américain que dans le monde. Cela nous amène aux autres questions de soutien.
Je tiens encore une fois à vous remercier pour vos efforts et pour tout ce que vous faites pour promouvoir la sécurité et la protection des citoyens canadiens.
Le sénateur Atkins : D'après ce que vous venez de dire, j'en déduis que vous avez été ici toute la journée?
M. Nelson Barnes : Oui, en effet.
Le sénateur Atkins : Qu'est-ce qui vous a le plus impressionné, aujourd'hui?
M. Nelson Barnes : Deux choses, je crois. J'ai pris quelques notes, sans savoir si j'aurais l'occasion de vous parler ce soir. Il y a la nécessité de se préparer à collaborer avec les États-Unis, pour toutes ces questions. On a parlé des questions de sécurité du Nord. On a parlé des questions de terrorisme sur le continent. Nous pourrions faire tant de choses, si nous étions prêts à collaborer avec eux. Cela ne nuira pas à notre souveraineté. Au contraire, elle sera renforcée, si on peut surmonter les aspects négatifs.
Il était aussi avantageux d'entendre à la fois ceux qui ont fait des études universitaires sur le sujet et ceux qui ont travaillé pour les Forces canadiennes. Une chose m'a frappé : on s'est très peu plaint du manque de financement. Ces gens sont prêts à travailler avec ce qu'on leur donne. Il faut leur en donner davantage.
M. Clive Elliott, à titre personnel : Je suis biologiste, écologiste, pilote d'avion, et cetera, et j'ai beaucoup travaillé dans l'Arctique. J'ai contribué à la création du parc national à Aulavik. J'ai entendu parler de cette réunion à la dernière minute et je me suis précipité ici. J'ai constaté il y a des années que le gouvernement canadien encourageait certains chercheurs et projets scientifiques et qu'il les finançait en partie, et cetera, alors qu'il en décourageait fortement d'autres. Dans un cas particulier, on m'a tout simplement ordonné de falsifier un important rapport de recherche lié à l'environnement de l'Arctique; et quand j'ai refusé de le faire, j'ai été renvoyé de l'organisme gouvernemental pour lequel je travaillais. Depuis, j'ai constaté que plusieurs autres chercheurs scientifiques avaient subi le même sort.
Ce que j'essaie de dire, c'est que de nombreux Canadiens sont très nationalistes et souhaitent améliorer leur pays et faire le travail nécessaire pour améliorer la vie dans l'Arctique, et cetera. Essayez de dire à tous les organismes gouvernementaux que quand des gens veulent travailler sur des questions géologiques ou biologiques ou autres là-bas, il faut absolument les encourager car il y a énormément de gens là-bas qui souhaitent préserver l'identité et la présence canadiennes sur ce territoire. Si l'on dissuade les Canadiens de faire quelque chose, et si même on le leur interdit, est-ce que ce n'est pas laisser la porte ouverte à n'importe quoi?
C'est un simple commentaire, mais c'est ce que j'ai constaté et ce que j'ai vécu. Le Nord appartient à tous les Canadiens; par conséquent, encouragez les Canadiens à en profiter au mieux de façon positive.
Le sénateur Nolin : Nous avons entendu plusieurs témoins nous parler du Nord aujourd'hui. Sachant que nous avons des ressources limitées, devrions-nous conclure une entente avec les Américains pour qu'ils s'occupent du Nord?
M. Elliott : Si c'est une entente de coopération, comme le NORAD est censé l'être, si les Américains nous disent qu'ils voient bien que nous ne pouvons pas nous défendre ou même simplement surveiller au nord de notre pays, et qu'ils veulent nous aider, soit. Si nous pouvons trouver avec eux un terrain d'entente pour qu'ils nous aident, soit, mais il ne faut surtout pas leur confier la supervision de tout ce territoire en leur disant que nous ne pouvons rien faire et que c'est donc à eux de s'en occuper sans avoir la moindre idée de ce qu'ils ont l'intention de faire. Comme vous le savez sans doute, ils ont déjà laissé entendre dans le passé qu'ils souhaitaient accéder à certaines de ces régions sans demander l'autorisation du Canada. Ils ont essayé de soutenir que certains des grands détroits entre les îles de l'Arctique étaient en fait des voies navigables internationales. Je suis tout à fait d'accord pour collaborer avec eux à la défense de l'Amérique du Nord. À mon avis, si le premier ministre avait dit que nous allions nous associer au programme de défense antimissile ou tout au moins l'appuyer à certaines conditions qu'il aurait bien précisées, nous aurions deux pieds dans la porte maintenant. Nous participerions à toutes les décisions liées à la défense de l'Amérique du Nord.
M. Bercusson : C'est tout le temps dont vous disposiez, monsieur.
Le président : Mesdames et messieurs, cela conclut notre soirée. Le comité vous est reconnaissant d'avoir pris le temps de venir nous faire part de votre point de vue. L'opinion des intervenants est très constructive et nous constatons que toutes ces personnes ont fait un effort particulier pour venir communiquer avec nous. Nous vous avons tous écoutés attentivement et nous aurons un peu plus tard une transcription de toutes ces délibérations. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir participé à la discussion et montré que vous vous souciez de l'avenir du Canada. Au nom du comité, je vous exprime notre reconnaissance d'être venus.
Professeur Bercusson, merci beaucoup d'être venu. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir bien voulu animer la séance et faire un exposé tout à l'heure. Tout cela a été très utile. Nous avons aussi apprécié votre doigté lors de certaines interventions ce soir.
Encore une fois, merci à tous.
La séance est levée.