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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 18 - Témoignages du 10 mars 2005 - Séance de l'après-midi


WINNIPEG, le jeudi 10 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 14 h 5 pour examiner, pour ensuite faire rapport, la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur J. Michael Forrestall (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour, mesdames et messieurs. Avant d'aller plus loin, les membres du comité, et le sénateur Kenny, notre président, aimeraient transmettre à toutes les personnes éprouvées en ce jour de deuil, leurs très sincères condoléances, les assurer de leurs prières et souhaiter bonne chance à toute la communauté.

Ce matin, nous avons eu le privilège d'aller déposer une couronne sur les lieux de la fondation de la Northwest Mounted Police et de la Gendarmerie royale du Canada, à Regina, pour les victimes membres de la GRC. Qu'ils reposent en paix.

Nous devons également nous occuper d'une question administrative, et le sénateur Atkins voudra peut-être présenter la motion.

Le sénateur Atkins : Je propose que le sénateur Meighen agisse comme président du comité lors de la réunion de ce soir.

Le vice-président : La proposition est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Je m'appelle Mike Forrestall et je suis originaire de la Nouvelle-Écosse. Il s'agit du premier comité permanent désigné par le Sénat du Canada pour examiner les questions de sécurité et de défense.

Je vais présenter les membres du comité. Immédiatement à ma droite, le sénateur Jim Munson de l'Ontario, un journaliste réputé ayant été directeur des communications pour le premier ministre Chrétien avant d'être nommé au Sénat en 2003. Le sénateur Munson a été deux fois en nomination pour des Prix Gémeaux pour l'excellence de son travail journalistique, au pays et un peu partout dans le monde.

À sa droite, le sénateur Meighen, avocat de profession. Il est chancelier de l'Université King's College à Halifax, et ex-président du Festival de Stratford en Ontario. Il est titulaire de doctorats honorifiques en droit civil de Mount Allison University et de l'Université du Nouveau-Brunswick. Présentement, il est président de notre Sous-comité des anciens combattants et membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

À ma gauche, le sénateur Norman Atkins, aussi de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat avec 27 ans d'expérience dans le domaine des communications. Le sénateur Atkins a été conseiller principal de l'ancien chef du Parti conservateur fédéral Robert Stanfield, du premier ministre de l'Ontario William Davis, et du premier ministre Brian Mulroney. Il est aussi un membre actif de notre Sous-comité des anciens combattants.

Comme je l'ai mentionné, notre comité est le premier à qui le Sénat confie le mandat d'examiner la sécurité et la défense.

Le Sénat a demandé en l'occurrence à notre comité d'examiner la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Nous avons amorcé notre travail en 2002 par la publication de trois rapports, L'État de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février, La défense de l'Amérique du Nord : une responsabilité canadienne, en septembre, et Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes : une vue de bas en haut, en novembre.

En 2003, le comité a publié deux rapports, Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier, et Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre.

En 2004, nous avons déposé deux autres rapports, Les urgences nationales : le Canada, fragile en première ligne, en mars; et récemment, Le Manuel de sécurité du Canada, édition 2005.

Notre comité effectue un examen de la politique de défense du Canada. Au cours des prochains mois, nous tiendrons des audiences dans toutes les provinces et nous engagerons le dialogue avec les Canadiens pour dégager leur vision de l'intérêt national et faire ressortir ce qu'ils estiment être les principales menaces à la sécurité du Canada ainsi que la façon dont ils souhaiteraient que leur gouvernement réponde à ces menaces. Le comité tentera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de forger un consensus sur la nécessité et les caractéristiques des forces armées que souhaitent les Canadiens.

Nous sommes heureux d'être à Winnipeg aujourd'hui, et d'y tenir la première d'une série de trois réunions qui devraient se conclure en fin d'après-midi ou au début de la soirée par une séance de discussion ouverte.

Le premier groupe de témoins viendra s'exprimer sur la politique de défense, ou ce que l'on pourrait qualifier de la perspective d'ensemble. Nous accueillons le professeur James Fergusson, directeur du Centre d'études sur la défense et la sécurité, et professeur agrégé au département d'études politiques de l'Université du Manitoba. Il enseigne un éventail de cours dans les domaines des relations internationales, de la politique étrangère et de défense ainsi que des études stratégiques. Il s'intéresse tout particulièrement aux politiques de défense canadiennes ainsi qu'au système de défense antimissile balistique.

Le lieutenant-général, à la retraite, Ray Crabbe, est bien connu pour sa participation à de nombreux groupes d'experts, d'un bout à l'autre du pays. Il est président du Royal Military Institute du Manitoba. Il a joint les Forces canadiennes en 1963, et il a occupé divers postes de commandement, notamment une affectation à Chypres pour les Nations Unies et une autre en Allemagne, pour les Forces canadiennes.

Il a été promu major-général en 1994 et affecté dans l'ancienne République de Yougoslavie au plus fort de la Guerre des Balkans à titre de commandant adjoint de la Force de protection des Nations Unies, et de commandant du contingent canadien.

Il a commandé les forces terrestres dans la région de l'Atlantique, d'août 1995 à août 1997. En septembre 1997, il a été nommé sous-chef d'état-major de la Défense, poste qu'il a occupé jusqu'à sa retraite des Forces canadiennes, en 1998.

Le lieutenant-général Crabbe est diplômé du Collège d'état-major des Forces canadiennes de Kingston, du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes de Toronto, ainsi que de l'Armed Forces Staff College de Norfolk, en Virginie.

Messieurs, merci de vous être déplacés. Je pense que vous avez des déclarations à présenter. Lequel d'entre vous veut commencer?

Le lieutenant-général (à la retraite) Ray Crabbe, Institut militaire royal du Manitoba (IMRM) : Merci beaucoup, monsieur le président, et messieurs les membres du comité.

Premièrement, permettez-moi de vous remercier de m'avoir invité à comparaître au nom du Royal Military Institute du Manitoba. Au nom de tous les membres des Forces canadiennes, et de tous les Canadiens également, je tiens à vous remercier pour le travail extraordinaire que vous avez accompli dans le passé et que vous continuez de réaliser ainsi que pour l'intérêt véritable que vous portez à la sécurité nationale et à la défense.

Nous avons reçu votre document de l'institut militaire, et je vais d'abord vous faire certains commentaires au sujet des principaux points qui y sont soulignés. Depuis que ce document a été présenté au comité, il s'est produit deux importants événements qui risquent d'avoir une incidence sur son contenu, et probablement aussi sur la teneur de nos discussions. Je vais les aborder dans le contexte de notre propre déclaration.

Premièrement, bien entendu, notre gouvernement actuel a présenté son budget, et notamment sa décision d'injecter un montant de 12,8 milliards $ dans le ministère de la Défense nationale au cours des cinq prochaines années. Déchiffrer les budgets du gouvernement et déterminer s'il s'agit d'une augmentation réelle, de crédits recyclés ou de crédits déjà engagés précédemment tient toujours de l'exercice de haute voltige. Toutefois, étant donné les exigences et les priorités qui se bousculent pour obtenir des crédits du gouvernement, le budget nous a donné des raisons d'être optimistes quant à la détermination de ce gouvernement de tenir compte des revendications de la population canadienne concernant ses militaires, et la nécessité de s'attaquer à certains problèmes sérieux en matière de ressources et de capacités qui existent depuis déjà un bon bout de temps.

Les fonds affectés à la défense sont un bon début en vue d'un rétablissement, mais ils ne doivent pas être considérés comme une panacée pour combler tous les déficits et toutes les lacunes graves qui existent dans les Forces canadiennes. Comme il fallait s'y attendre, la majeure partie de ces crédits ne seront pas disponibles avant la quatrième et la cinquième année de la période budgétaire, ce qui rend ces sommes vulnérables à la survie de l'actuel gouvernement minoritaire, et aussi, bien entendu, à d'autres facteurs.

Deuxièmement, l'annonce faite récemment par le gouvernement concernant la défense antimissile balistique, nous a semblé, ainsi qu'à beaucoup de Canadiens, assez troublante et elle démontre, à notre avis, une absence assez évidente d'intérêt réel pour la défense et la sécurité du Canada. Malheureusement, la décision de ne pas participer au bouclier antimissile a reposé sur des impératifs politiques plutôt que sur les besoins du Canada en matière de défense. Et surtout, la participation au bouclier antimissile ne fait d'aucune manière partie d'une politique d'apaisement envers les États-Unis, mais constitue plutôt une nécessité pour la souveraineté et la défense du Canada.

Il vient un temps où des décisions impopulaires et controversées doivent néanmoins être prises dans l'intérêt à long terme de la nation. Ce ne fut malheureusement pas le cas avec la décision relative au bouclier antimissile, comme nous l'avons clairement exprimé dans notre mémoire.

L'essentiel de ce mémoire, monsieur le président, consistait en un plaidoyer en faveur de la nécessité d'une politique de défense complète, claire et sans équivoque et qui plus est, étroitement harmonisée avec la politique étrangère canadienne, parce que les deux sont inextricablement liées dans le contexte du monde perturbé dans lequel nous vivons. Ce n'est que sur cette base que l'on pourra achever la réalisation concrète et réaliste de la structure et de la véritable nature des Forces canadiennes. Il importe de définir les rôles et les priorités des Forces canadiennes au préalable pour pouvoir faire l'acquisition logique et intelligente de systèmes d'armes, de matériels et d'infrastructure et, bien entendu, les structures des forces devront être adaptées aux rôles opérationnels et au rythme de ces opérations, ainsi qu'à la capacité de maintenir ces forces.

En termes simples, il est essentiel de disposer d'une stratégie et d'une politique cohérentes, stables et à long terme pour établir les fondements de la structure et de la nature de toute force militaire. La relative assurance du financement à long terme et les niveaux de ressources permettront à leur tour la mise en place logique et progressive de la structure de la force et des immobilisations tellement essentielles pour les militaires canadiens. Il faut d'abord comprendre parfaitement les rôles et les priorités des militaires, et savoir avec précision ce que le gouvernement attend des Forces canadiennes.

La deuxième question concerne la déployabilité et la durabilité des Forces canadiennes. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, depuis la fin de la guerre froide, les militaires canadiens sont devenus dans une large mesure un corps expéditionnaire, mais sans en posséder les capacités. En effet, ce corps ne peut se déployer rapidement sur le plan tactique parce que nos militaires ne disposent pas des aéronefs ou des navires stratégiques nécessaires pour déployer leurs troupes et leur équipement. Les ayant déployés, ils ne possèdent aucun moyen de les maintenir dans un cadre opérationnel, où que ce soit dans le monde.

Dans le passé, nous avons quémandé et emprunté de nos alliés, et eu recours à des entreprises commerciales. Étant donné la nature critique de ces capacités, il est évident que les Forces canadiennes en ont besoin. À notre avis, ces capacités constituent l'un des éléments les plus fondamentaux des besoins militaires canadiens.

La bonne nouvelle c'est que le nouveau chef de l'état-major, le général Rick Hillier, voit lui aussi ces capacités comme la priorité numéro un pour les forces.

Pour notre institut, il est capital de nous doter d'une force militaire solide, capable, déployable, qualifiée, possédant une puissance létale et en mesure de réagir rapidement lorsque vient le moment de nous acquitter de nos obligations et de nos engagements à l'échelle nationale et internationale. La raison d'être d'une force militaire c'est d'être capable de livrer les combats de la nation, quelle que soit la forme que ces guerres puissent prendre, et où qu'elles aient lieu.

C'est une grande responsabilité pour le gouvernement d'une nation que d'engager ses forces dans des opérations, et en le faisant, d'exposer ses militaires au danger. Cette responsabilité consiste également pour le gouvernement à prendre tous les moyens possibles afin de réduire au minimum ce danger avant de prendre une décision aussi fondamentale. Une force solide, bien équipée, bien structurée et dotée d'un mandat clair par son gouvernement aura toutes les chances de remplir ce mandat.

Monsieur le président, voici qui met un terme à mon exposé. Je suis tout disposé à reprendre plus en détail ce que je viens de vous dire et d'autres sujets abordés dans notre mémoire, ou même d'autres aspects de la défense et de la sécurité nationale de notre nation. Merci.

M. James Fergusson, Centre d'études de la défense et la sécurité, Département d'études politiques, Université du Manitoba : Je suis très heureux d'être ici et d'avoir la possibilité de comparaître devant le comité aujourd'hui. Je serai bref et assez général dans mes commentaires qui porteront principalement sur la relation entre la politique et, bien entendu, les capacités; autrement dit, la relation entre les intérêts du gouvernement, les intérêts nationaux, la sécurité nationale, la défense nationale, et les capacités que l'on retrouve au sein des Forces canadiennes pour faire progresser et défendre ces intérêts.

Nonobstant les récentes décisions qui ont été prises, y compris le budget, qui a pour effet de mettre, à mon avis, les Forces canadiennes dans une situation encore plus difficile, ces décisions nous en apprennent beaucoup sur la détermination réelle de ce gouvernement à l'égard de la défense et sur sa volonté de rétablir la fiabilité et la crédibilité du Canada parmi ses alliés. Dans ce contexte, deux considérations importantes devraient être prises en compte par quiconque veut évaluer l'état de la politique de défense canadienne et des Forces canadiennes.

Premièrement, et c'est peut-être ce qu'il y a de plus important, les décisions prises récemment au sujet de la défense ne concernent pas la situation actuelle, elles portent plutôt sur la nature, la fonction, le rôle, les missions et les capacités des Forces canadiennes dans 10 ou 15 ans. Tous les gouvernements sont assujettis aux contraintes de l'ici et maintenant du cycle électoral. Dans le cas du Canada, ces contraintes renforcent la possibilité que les décisions concernant la défense seront de pure forme et manqueront de substance et d'engagement à long terme. Toutefois, des décisions comme celle qui a été prise récemment concernant les navires de soutien interarmées, peu importe quelle en sera l'issue, les nouvelles idées concernant les hélicoptères de capacité moyenne aptes à transporter des troupes, l'addition d'un effectif de 5 000 soldats ou personnes afin d'être en mesure de faire quelque chose, et d'autres décisions sur le point d'être annoncées dans le cadre de l'examen de la défense vont contribuer à créer les Forces canadiennes de 2015 à 2020, pas celles d'aujourd'hui. Étant donné qu'il est assez vraisemblable que le gouvernement actuel et les administrations futures soient assez peu enclins à financer entièrement les projets d'avenir du chef d'état-major de la Défense, on peut s'attendre à ce que les Forces canadiennes deviennent vraiment dysfonctionnelles. C'est pourquoi il faut absolument éviter d'avoir des visions susceptibles de nous rappeler le Livre Blanc de 1987, et examiner sérieusement la réalité et ce qui est prévisible.

Deuxièmement, la vision actuelle d'un corps expéditionnaire défendue par le chef d'état-major de la Défense, l'armée, et j'ajouterais, pas par l'état-major interarmées, semble représenter une gloire du passé. On reproche depuis longtemps aux militaires et aux gouvernements de se préparer en vue de livrer leur dernier combat. Les visions de corps expéditionnaires semblent correspondre parfaitement à ce modèle, un modèle ayant été suivi en Iraq, en Afghanistan, et dans un éventail d'autres missions au cours de la dernière décennie. Pour le gouvernement, cette vision ne fait que ressasser les mythes de l'âge d'or du Canada tels qu'ils apparaissent dans la lorgnette canadienne, ceux du bon travailleur humanitaire, mis en évidence dans le concept purement canadien de la guerre sur trois blocs, un concept désormais consacré par le Pentagone. En effet, les militaires, sous la direction de l'Armée, souhaitent adopter la structure de forces des années 90 pour l'appliquer en 2020, et le gouvernement veut disposer d'une capacité digne des années 50 pour le monde de 2020. Dans ce monde d'étrange compagnonnage, on part de l'hypothèse que, depuis les dix dernières années, le problème s'explique par un simple manque de ressources ou de capacités. Si le Canada avait pu faire davantage en Somalie, en Bosnie, dans le Timor oriental et en Afghanistan, alors tout irait pour le mieux. Autrement dit, la perte d'influence et de prestige des Canadiens et leur marginalisation au cours des dix dernières années et un peu plus, à l'échelle internationale, s'expliquerait simplement par le manque de ressources. Il suffirait d'en ajouter pour trouver le remède à tous les maux.

Toutefois, il est difficile de voir comment davantage de troupes déployées ou davantage des mêmes capacités pourraient avoir des effets bien différents. Non seulement le monde sera-t-il différent en 2020, mais le Canada a emprunté la voie d'une capacité de créneau spécialisé, ce qui risque de marginaliser la nation encore plus. Peut-être après tout que c'est cela que veulent vraiment les Canadiens, et qu'ils se satisfont de croire ce qu'ils lisent dans leurs propres journaux. Cependant, il ne faudrait pas se surprendre si, dans 15 ans, les Canadiens se demandent pourquoi la nation est devenue encore plus marginale et non pertinente, sauf dans notre esprit.

Non seulement tous les intervenants ont-ils échoué de façon généralisée à se faire une idée précise du Canada et des hypothèses dignes de la guerre froide qui guident toujours la politique canadienne étrangère, de sécurité et de défense, mais l'abîme qui sépare le gouvernement et le ministère des Affaires étrangères, d'un côté, et le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes de l'autre, se creuse de plus en plus. C'est tout simplement que le désir des premiers de faire de la force militaire une option pour manifester la présence canadienne à l'étranger à titre de moyen d'établir l'identité canadienne et son originalité par rapport aux États-Unis, entre en contradiction avec le désir des deuxièmes de faire la démonstration de leur valeur et de leur crédibilité en travaillant en étroite collaboration avec les États-Unis à l'étranger. Cela peut être significatif pour les Forces canadiennes en relation directe avec les Forces armées américaines, mais cela ne se traduit pas par une influence importante auprès des États-Unis et d'autres échelons supérieurs des relations internationales. Pour dire les choses simplement, il se peut que la Marine tire de grands avantages du fait que nous soyons la seule nation à pouvoir être intégrée dans une force opérationnelle sur un porte-avions américain avec la Marine américaine, mais ce privilège ne se traduit pas par une valeur politique à l'échelle des relations de gouvernement à gouvernement, une valeur qui à son tour se traduit en influence, en statut et en pertinence à l'échelle internationale. Dans le même ordre d'idées, la vision du chef d'état-major de la Défense d'un corps expéditionnaire canadien revêt peut-être un certain intérêt pour le Commandement central américain, mais à moins qu'il se produise des changements dans la situation politique, et j'aimerais ajouter, des changements dans la pensée politique, cette vision n'aura pas de répercussions aux échelons supérieurs.

Malgré les dommages que la décision de ne pas donner suite au bouclier antimissile a occasionnés à la crédibilité et à la fiabilité canadienne, le problème fondamental vient du fait que les deux intervenants, le gouvernement et les Forces canadiennes, préfèrent se concentrer à l'étranger pour définir l'environnement dans lequel ils souhaitent investir. Faire le bien à l'étranger correspond au mythe politique canadien et sert les valeurs nationales d'une société isolationniste, repliée sur elle-même et juvénile, et le Canada livre ses combats à l'étranger.

Bien entendu, depuis le 11 septembre, le gouvernement a consacré pas mal de discours et de ressources à la mission de sécurité nationale, et la mise sur pied d'un commandement canadien dans le futur — autant pour l'image que pour la fonction — mérite d'être applaudie. Toutefois, je doute, du moins en ce qui concerne la défense, que la vision du chef d'état-major de la Défense, bénéficiant de l'appui du gouvernement, entraîne l'affectation de nombreuses ressources pour la mission nord-américaine à l'échelle nationale par comparaison avec les missions à l'étranger. Le Canada a-t-il vraiment besoin d'hélicoptères de capacité moyenne aptes à transporter des troupes en Amérique du Nord, sauf pour les missions de sauvetage, alors que la nation en possède déjà? Cependant, une nation de l'envergure du Canada a vraiment besoin d'hélicoptères aptes à faire des transports stratégiques, et pas seulement pour les missions à l'étranger. C'est en effet une capacité utile pour le Canada qu'il serait susceptible d'utiliser lors des missions à l'étranger.

Ce n'est pas seulement le fait de placer la mission Canada/Amérique du Nord en tête des priorités pour les besoins en ressources qui est important et qui aura de plus grandes retombées là où ça compte, c'est aussi la nécessité d'avoir à repenser toute une gamme d'autres facteurs en ce qui concerne l'héritage de la guerre froide, afin de faire preuve de réalisme sur le plan économique. Par exemple, le Canada possède toujours une structure de base axée sur la guerre froide qui est beaucoup trop vaste. Cold Lake et Bagotville avaient peut-être leur raison d'être pour intercepter les bombardiers soviétiques, mais elles ne sont pas d'une grande utilité aujourd'hui, étant donné les menaces aérobies qui représentent une préoccupation directe pour la sécurité nationale canadienne.

L'avenir est un dernier point qui mérite que l'on s'y attarde. Ce sont les capacités nationales qui doivent servir de base pour le type de capacités disponibles pour les missions à l'étranger, plutôt que l'inverse, c'est-à-dire cette idée qui date de l'époque de la guerre froide comme quoi ces capacités nationales peuvent être dérivées des exigences relatives aux missions à l'étranger. Lorsque l'on commence à examiner ces éléments par rapport à la nature des menaces susceptibles d'entraîner l'intervention des Forces canadiennes, l'envergure du Canada et de sa mission de souveraineté nationale, et la nature changeante de la guerre, les exigences canadiennes devraient être établies en fonction du renseignement, de la surveillance, de la réaction rapide et du transport stratégique. Ces éléments font à leur tour partie des nouvelles technologies en émergence dont bon nombre, dans l'avenir, seront installées dans l'espace. Ils font également partie du secteur de la haute technologie et sont toujours très en demande à l'étranger, et même de la part de notre principal allié, au sud. Ce sont, pour utiliser l'expression employée par les Américains, ces « capacités très en demande mais dont la disponibilité est faible » qui amélioreront la pertinence des Canadiens sur la scène internationale. Elles représentent aussi une stratégie pour l'avenir, non seulement pour les Forces canadiennes, mais aussi pour l'économie canadienne et les secteurs de la haute technologie qui assistera à un essaimage additionnel pour la nation. Je ne veux pas suggérer que la Défense du Canada devrait être motivée par des considérations économiques; au contraire, je voudrais suggérer que la Défense du Canada ne devrait pas et ne peut pas faire comme si la dimension économique n'existait pas.

Je peux me tromper en ce qui concerne la vision que l'on s'apprête à communiquer au grand public canadien. Si c'est le cas, mes remarques viendront tout simplement apporter de l'eau au moulin de cette vision. Et si j'ai raison, j'applaudis le chef d'état-major de la Défense et le gouvernement parce qu'au moins ils auront fait un choix pour l'avenir, sans tenir compte des inquiétudes à savoir si les ressources seront suffisantes pour conduire à sa réalisation.

Toutefois, ce serait malheureux, mais entièrement prévisible et facile à expliquer, si cette vision n'était que le reflet de la dernière décennie. Elle viendrait illustrer le fait que rien n'a vraiment changé, et surtout parce que les Canadiens ne sont pas prêts à se regarder dans le miroir. Je me ferai un plaisir de vous fournir de plus amples précisions, si vous le désirez.

Le vice-président : Avant d'inviter le sénateur Meighen à amorcer la période de questions, je vous avais mentionné un peu plus tôt que nous vivons aujourd'hui un deuil national. J'attendais l'arrivée de l'un de nos principaux conseillers d'état-major, un inspecteur de la Gendarmerie royale du Canada, mais il se trouve dans l'incapacité de se présenter.

Puis-je vous demander de vous lever et de prendre un moment pour vous recueillir sur le triste événement.

(Moment de silence)

Le sénateur Meighen : Merci à vous deux pour vos mémoires intéressants et provocateurs. Je ne sais pas par quoi commencer. Peut-être puis-je m'adresser d'abord au professeur Fergusson, seulement pour mettre les choses en contexte. Il me semble que c'est un défi impossible à relever, pour nous autres Canadiens, que de définir pour commencer nos intérêts nationaux, et d'agir ensuite en fonction d'eux. On dirait que l'on éprouve certains problèmes à le faire.

Si j'ai bien compris, vous avez mentionné que vous accordez peu de crédit aux priorités établies dans le passé, telles qu'elles avaient été énoncées dans le Livre Blanc sur la Défense de 1994, et telles qu'elles apparaissent dans les réminiscences des influences de la guerre froide qui devraient être abandonnées aujourd'hui en faveur d'un nouveau rôle. J'aimerais obtenir quelques précisions, parce que je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Je ne pense pas que vous approuviez la vision du général Hillier, peut-être pour des raisons justifiées par les coûts, et je me demande si vous ne pourriez pas répéter, du moins pour ma gouverne personnelle, ce qui, selon vous, devrait servir de principe philosophique à la Défense du Canada au cours des 25 prochaines années?

M. Fergusson : Je ne désapprouve pas toutes les priorités établies dans le Livre Blanc de 1994, le Livre Blanc de 1987, le Livre Blanc de 1971, ou même le Livre Blanc de 1964, et je peux remonter encore plus loin en arrière. Parce qu'en fait, ils se ressemblent beaucoup. Ils ont tous accordé la priorité à la défense du Canada, et ensuite à la défense du Canada au sein de l'Amérique du Nord, et troisièmement, à la défense du Canada sur la scène internationale, ou dans le monde entier.

Il ne s'agit pas d'un problème de priorités. Il s'agit plutôt du problème qui consiste à évaluer les priorités en fonction des secteurs où l'on a réalisé les investissements dans le passé, surtout au cours des dernières dix années, et encore plus important, des secteurs où il semble que l'on veuille les diriger. Je le répète, pour rendre justice au général Hillier, je n'ai pas pris connaissance de cette vision, j'ai dû me contenter de ce que j'ai pu lire dans la presse, et je suis très conscient que les journalistes se trompent souvent, et qu'ils en sautent des bouts. Chaque fois que je mentionne cela, on me répond qu'il existe une importante composante nationale dont on ne parle jamais, mais la seule expression que l'on utilise est celle du commandement canadien.

Durant la guerre froide, il était logique de structurer les Forces canadiennes en fonction de missions portant principalement sur la défense et la sécurité, puisque ces missions se déroulaient effectivement en Europe centrale sur le front central, dans le cadre d'une contribution à l'alliance, et aussi dans le cadre d'une contribution centrale à la sécurité nord-américaine. Le deuxième aspect étant, bien entendu, la menace aérobie en provenance du nord et, subséquemment, la menace des missiles balistiques, il était tout à fait logique d'agir ainsi, et je n'ai rien à redire.

Le problème, bien entendu, a commencé à partir des années 1960 parce que les gouvernements successifs, de toute allégeance politique, étaient de plus en plus réticents à accorder du financement à la défense. Il en est résulté des coupures ponctuelles dont le but était de réunir le maximum de moyens pour venir à bout d'une situation financière difficile.

Ce qui m'amène à mon principal sujet d'inquiétude. Si on examine l'historique des dépenses en matière de défense au Canada, et si on l'examine pendant toute la dernière décennie, ou même durant plusieurs décennies, et si on fait une projection vers le futur, on peut sérieusement s'interroger sur la vision. Je vais m'efforcer de vous exprimer ma pensée le plus simplement du monde, est-ce que ce gouvernement et les gouvernements subséquents accepteront de financer cette vision, quelle que soit la situation économique dans laquelle se trouveront le gouvernement et la nation?

L'expérience du passé nous enseigne qu'à moins d'un cataclysme majeur sur la scène internationale susceptible d'entraîner une guerre systémique, la probabilité est que la réponse est non.

Mon premier argument, avant d'aller plus loin dans l'expression de cette vision, c'est qu'elle sera mise en pratique suivant l'ordre de priorité des projets, et que l'on devra tenir compte d'un éventail de facteurs différents avant de prendre les décisions en matière d'approvisionnement, de structure, et que l'on risque de se retrouver avec des éléments disparates, éparpillés un peu partout.

D'après ce que je comprends, la vision du général Hillier comporte un train de mesures intéressantes. Le problème vient du fait que, si la totalité des mesures ne sont pas mises en œuvre, alors que va-t-il en rester? Eh bien, il va en rester des éléments disparates. À mon avis, c'est une option périlleuse étant donné les réalités que l'on sait. Je ne demande pas mieux que de reconnaître que je suis complètement à côté de la plaque, que le gouvernement est sérieux, que les crédits seront présents le moment venu et que les gouvernements successifs réaliseront à quel point il est important d'investir et de créer ces capacités. Toutefois, la politique ne devrait pas reposer sur des décisions d'investissement. C'est mon principal sujet d'inquiétude.

Le deuxième argument, et il est lié en quelque sorte, c'est qu'une partie de l'imagerie de la guerre froide, comme je l'ai dit, et c'était logique sur le plan stratégique pour le Canada durant la guerre froide, a toujours consisté à définir les besoins et les capacités en fonction de la présence des Forces canadiennes à l'étranger. Après la guerre froide, ce n'est plus le cas, et particulièrement durant cette période d'après le 11 septembre. Nous commençons en effet à regarder les menaces que devra affronter le Canada, celles que nous pouvons définir un peu, si vous voulez. Ces menaces et les capacités dont nous aurons besoin, les ressources qu'il nous faudra pour posséder ces capacités ne sont pas, selon moi, celles qui seront financées dans le cadre de la vision du général Hillier. Nous n'avons pas besoin d'un corps expéditionnaire pour contrer les menaces pour le Canada et l'Amérique du Nord. Nous n'avons pas besoin de navires de soutien interarmées ou NSI pour venir à bout des menaces maritimes pour le Canada et l'Amérique du Nord. Les menaces pour l'Amérique du Nord et pour le Canada, en ce qui concerne les Forces canadiennes, sont majoritairement celles qui font appel à la surveillance complète de nos territoires, de nos approches maritimes, aériennes et spatiales. Ce sont elles qui représentent le potentiel des menaces aérobies, qu'elles se présentent sous la forme d'attaques du type de celles du 11 septembre ou encore qu'elles proviennent de lancements aériens à partir de plates-formes maritimes. Les missiles de croisière sont un important sujet d'inquiétude. Ces missiles sont balistiques et, de plus en plus, ils seront lancés à partir de l'espace. Cette menace n'est pas disparue. Si toutes les indications de prolifération que je constate se vérifient, elles ne feront qu'augmenter au fil du temps. Tous ces éléments nous enseignent que ce sont ces secteurs de surveillance et de reconnaissance, alors qu'un vaste territoire national d'espace aérien est en cause, et exposé à des menaces d'origine maritime, que les Forces canadiennes devraient privilégier.

Une fois les cadres bien établis, nous pouvons examiner la situation et nous demander quelles acquisitions nous pourrions faire en vue de satisfaire à ces priorités et à ces besoins fondamentaux de la nation. Et ensuite, on pourra se demander ce que l'on pourrait prendre avec nous à l'étranger pour apporter une contribution significative aux coalitions dans le monde. Je pense que c'est ainsi que les choses évoluent, et ce que je veux dire c'est que nous existons toujours. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je trouve que rien n'a changé dans la façon de voir les choses au sein des forces; bien au contraire. On assiste à la planification en fonction des capacités, on constate énormément de développements, les choses ont changé. Toute la structure est en train de changer. Je pense seulement que nous allons dans la mauvaise direction.

Le sénateur Meighen : Merci. Ce sont des commentaires très utiles. J'aimerais poursuivre dans cette veine et m'assurer que j'ai bien compris. Peu importe l'enveloppe de financement qui sera mise à notre disposition, faisons notre possible sur le plan de la défense spatiale, maritime et de la région de l'Arctique, et cetera, en Amérique du Nord. Cette approche ne nous empêcherait pas, d'après ce que vous dites — et je ne fais qu'interpréter ce que vous avez dit, dites-moi si je me trompe — sur le plan philosophique, de nous doter d'un corps expéditionnaire dans la mesure où il pourrait s'insérer dans le cadre que nous venons tout juste de décrire. On pourrait faire valoir l'argument que nous nous précipitons dans des endroits autour du monde où nous ne sommes peut-être pas toujours les bienvenus. Partons de l'hypothèse que nous sommes les bienvenus, ou du moins que nos alliés nous recommandent d'y aller, que ce soit ou pas dans l'intérêt du Canada. Il est dans notre intérêt d'intervenir au Rwanda, en Afghanistan, au Darfour ou ailleurs, si on se base sur le principe que nous apportons une contribution importante à la stabilité de l'ordre mondial. Certains sont d'accord, d'autres pas. Nous pourrions refuser, et ne plus y penser.

M. Fergusson : Tout dépend de l'idée que l'on se fait du corps expéditionnaire. Je vais prendre l'exemple du transport stratégique. En effet, le transport stratégique est important pour le Canada. Nous sommes un grand pays. Nous avons été forcés de faire appel aux Américains pour déplacer des génératrices d'un bout à l'autre de ce pays lors de la crise du verglas de Montréal. Le général Crabbe pourrait vous en parler, mais je dirais que notre capacité de transporter les forces de soutien efficacement lors des inondations de Winnipeg a été réduite parce que nous ne possédions pas de moyen de transport stratégique.

Nous pouvons avoir besoin d'un tel type de capacité pour un corps expéditionnaire ou encore pour répondre à nos exigences à l'échelle nationale. Et à mon avis, nous en avons besoin dans cette nation, et nous pouvons décider de la prendre en location ou d'en faire l'acquisition, mais d'une manière ou d'une autre, nous nous dotons ainsi d'une certaine capacité expéditionnaire en même temps. Le problème, lorsque les gens parlent d'un corps expéditionnaire, c'est qu'ils ont l'image du corps expéditionnaire canadien ayant débarqué en Angleterre en 1915, ou encore du corps expéditionnaire canadien ayant débarqué en Grande-Bretagne durant la Deuxième Guerre mondiale, autrement dit, de soldats en partance pour l'étranger. Le deuxième point au sujet de la stabilité de l'ordre mondial, et du débat entourant sa définition, c'est que nous pourrions en débattre jusqu'à la nuit des temps. De nos jours, toutes ces missions sont des initiatives discrétionnaires. C'est le changement fondamental survenu depuis la fin de la guerre froide. Notre décision de nous rendre au Rwanda, en Afghanistan, et dans le Timor oriental et ailleurs dans le monde est laissée à notre discrétion. En revanche, la mission nord-américaine n'est pas d'ordre discrétionnaire. C'est une mission que nous n'avons pas le choix de remplir, et c'est pourquoi je pense que les priorités ont été inversées.

Le sénateur Meighen : Général Crabbe, à votre avis, quelles seront les répercussions militaires éventuelles de la décision du gouvernement concernant le bouclier antimissile? Évidemment, je pense au renouvellement du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, au NORAD, en 2006 et à la possibilité d'un prolongement du NORAD dans un contexte maritime et de l'armée de terre.

Le lgén (retraité) Crabbe : Pour commencer, je ne pense pas qu'il y aura, du point de vue des Forces canadiennes, beaucoup de répercussions à la suite de la décision concernant le bouclier antimissile. Je pense qu'essentiellement la décision aura une incidence sur notre relation avec les États-Unis, et accessoirement, bien sûr, sur le fait que nous ne disposerons pas d'un système de défense antimissile balistique, point final.

Le sénateur Meighen : Mais le système de défense américain sera présent.

Le lgén (retraité) Crabbe : Que les choses soient bien claires, les Américains vont le déployer.

Le sénateur Meighen : À leur guise, et au moment qui leur conviendra.

Le lgén (retraité) Crabbe : Ils vont surmonter les difficultés techniques qu'ils éprouvent en ce moment. Ils ont réussi à envoyer des hommes dans la lune, et ils vont réussir à installer des missiles balistiques dans l'espace. Ceci dit, étant donné que les principales routes suivies par ces missiles vont survoler essentiellement le Canada, les États-Unis vont protéger les États-Unis, que ça nous plaise ou non. Une place autour de la table nous aurait au moins permis d'avoir une certaine influence, peut-être bien ou peut-être pas non plus. Je pense que c'est discutable, mais le simple fait d'avoir une place autour de la table et de faire partie du système de défense antimissile nous aurait au moins permis d'avoir notre mot à dire, tout comme c'est le cas avec le NORAD.

Avec le renouvellement du NORAD, comme vous le savez, toute la question du NORAD et du lien éventuel avec le système de défense antimissile balistique reste assez nébuleuse en ce qui concerne le rôle que jouerait l'United States Space Command, et ainsi de suite. Toutefois, ce n'est qu'un autre défaut dans la cuirasse qui contribue à affaiblir la bonne volonté de notre allié le plus proche. Comme nous ne possédions pas de capacité de transport stratégique, mon personnel a été capable d'appeler des amis au Pentagone et d'obtenir ce transport. Nous avons pu le faire durant les tempêtes de verglas, durant les inondations de la Rivière Rouge, et aussi lorsque nous avons déployé des aéronefs à Aviano, en Italie. Sans cela, nous aurions été incapables de remplir les engagements du gouvernement concernant ces rôles particuliers, à l'époque. Mais cette bonne volonté commence à s'effriter très rapidement, et ce n'est qu'un autre défaut dans la cuirasse.

Le sénateur Meighen : Je suis d'accord avec vous, mais beaucoup ne sont pas du même avis. En vous mettant à la place des Américains, est-ce que cette décision risque d'avoir une incidence négative sur la possibilité du renouvellement du NORAD, et sur un éventuel prolongement du NORAD? On entend beaucoup d'arguments favorables à l'extension du NORAD en vue de couvrir, par exemple, le secteur maritime. Les Américains pourraient dire, si vous n'êtes pas prêts à collaborer avec nous concernant le système de défense antimissile, alors nous devrions peut-être laisser tomber le NORAD aussi.

Le lgén Crabbe : D'après ce que je sais du commandement et contrôle de l'espace aérien au Canada et aux États- Unis, tel qu'il est effectué par le NORAD, ce commandement est complètement intégré et entrelacé de manière inextricable. Il est dans l'intérêt des Américains de maintenir la région canadienne du NORAD en activité et en bon état, pour leur propre bien tout autant que pour celui des Canadiens. Oui, je pense que le NORAD sera renouvelé; cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Mais les paramètres suivant lesquels nous allons fonctionner à l'intérieur du NORAD pourraient bien changer à notre détriment.

Le sénateur Meighen : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Fergusson?

M. Fergusson : Oui, j'en ai plusieurs. Premièrement, en ce qui concerne la position à l'égard de la défense mentionnée par le général Crabbe. L'un des dilemmes toujours associé aux ressources militaires limitées tient à la répartition de ces ressources par rapport aux cibles vulnérables potentielles, et à la prise de décisions concernant cette répartition des ressources. On peut penser, rétrospectivement, à la répartition des systèmes de défense antiaérienne, par exemple, au Royaume-Uni durant la bataille d'Angleterre, et par la suite lors des bombardements de Londres — comment on déplaçait les systèmes de défense antiaérienne et les intercepteurs, et cetera.

Permettez-moi de vous décrire un scénario, qui n'a rien d'agréable, et dont la probabilité est pour ainsi dire nulle, mais qu'il vaut néanmoins la peine de considérer. Dix têtes explosives sont lancées contre les États-Unis, et il y a neuf intercepteurs. Qui va prendre la décision concernant la région qui ne sera pas défendue? Dans le cas du président américain, il se retrouverait dans la situation peu enviable et inacceptable, dans l'éventualité où par exemple, trois de ces cibles se trouveraient être des villes canadiennes, de décider quelles villes devraient être défendues et quelles villes seraient laissées à elles-mêmes. Il appellera le premier ministre, et devra lui dire, je suis désolé mais voici trois villes, vous devez choisir celle qui ne sera pas protégée. C'est tout à fait inacceptable, alors que nous avons la possibilité de nous défendre nous-mêmes, et cela même si la probabilité est de 0,01. C'est tout simplement une abdication fondamentale de nos intérêts souverains.

Maintenant, pour ce qui est du renouvellement et de l'expansion de NORAD. Le bon côté, c'est qu'au Canada on sera mieux disposé à l'égard de l'extension de NORAD désormais, et que bon nombre de personnalités officielles se montreront empressées de démontrer aux Américains qu'en fait nous sommes fiables et crédibles. J'ai bon espoir maintenant. Mais il sera intéressant de voir comment cet arrangement sera structuré exactement par rapport au NORAD, à l'U.S. Northern Command, et au nouveau Commandement canadien. Je ne pense pas qu'il y aura beaucoup de grincements de dents et de discussions concernant la perte de notre souveraineté advenant l'intégration maritime suivie de l'intégration terrestre. Avec le renouvellement du NORAD, et malgré les dommages immédiats imputables à la manière dont la décision a été prise, et ces dommages sont importants, les Américains, dans leur propre contexte, vont continuer à développer leurs capacités de défense antimissile et d'autres technologies stratégiques nouvelles et futures. Et pendant qu'ils vont le faire, ils vont se demander s'il y a une place pour le Canada dans ce domaine, parce que le Canada ne souhaite pas y jouer un rôle. Ce qui pourrait bien se produire, c'est que la mission d'alerte avancée dévolue au NORAD pourrait bien se retrouver dans la moulinette.

Les gens parlent de la mission d'alerte avancée comme s'il s'agissait d'une éventualité pour laquelle nous laisserions les Américains se servir du NORAD. Soyons réalistes. Cette mission repose entièrement sur les installations américaines. Nous ne fournissons rien du tout. Les Américains permettent au NORAD d'agir comme conduit pour cette mission et, dans le contexte des conflits internes entre le Strategic Command, le Northern Command, le Pacific Command, la Missile Defence Agency, le Pentagone, le Département de la Défense et le Congrès, qui sont tous mis à contribution dans cette mission, ils peuvent décider de faire de ces installations ce que bon leur semble. Cela voudrait dire que le NORAD, d'un côté connaîtrait une expansion du côté de la coopération maritime et terrestre. Les Américains savent pertinemment, peu importe à quel point nous les agaçons, qu'il leur est impossible de défendre l'Amérique du Nord sans nous. Ils ne peuvent pas se déplacer géographiquement, et nous non plus. En revanche, le NORAD va s'éloigner du monde aérospatial stratégique. Et lorsque cela va se produire, nous allons transformer le NORAD en un arrangement de type continental seulement, alors que dans le passé, en raison de l'arrangement lui- même, nous avions une fenêtre sur le monde entier. Pour faire les choses correctement, nous devions tout connaître, par exemple, sur les capacités nucléaires soviétiques, et pouvoir suivre la trace des sous-marins soviétiques susceptibles de servir de plateforme de lancement. Nous devions connaître la quantité, les stratégies, et tout un éventail de facteurs. Et en plus de cela, les Américains devaient nous faire part de leurs intentions dans le futur. Voilà une quantité énorme d'information irremplaçable et inestimable pour le gouvernement du Canada. Et c'est ce que nous perdons. Nous nous sommes marginalisés nous-mêmes dans ce sens aussi, et ce n'est certes pas dans l'intérêt du Canada.

Néanmoins, j'aimerais ajouter un dernier point en conclusion : tôt ou tard, les événements du 11 septembre vont s'estomper dans les mémoires. Et c'est alors que les craintes qui prévalaient avant le 11 septembre au sujet du NORAD et de la défense antimissile vont poindre à nouveau. Un membre du Congrès dira, pourquoi finançons-nous ce programme et à quoi nous sert-il? Et de toute façon, quelle importance ont ces gens qui vivent dans le nord pour nous? Ce n'est qu'une question de temps, et nous devons nous tenir prêts à ce que ça arrive.

Le sénateur Meighen : Cette question s'adresse au général Crabbe. Nous n'aurons probablement pas le temps d'entrer dans les détails, mais j'aimerais vous rapporter ce qu'a dit l'un de vos admirateurs et amis, le général Walker, hier soir, et en passant il m'a demandé de vous transmettre ses salutations. Nous abordions le sujet des réserves, et je suis sûr que vous y avez beaucoup réfléchi vous-même. Peut-être que je ne réussirai pas à traduire exactement le point de vue du général Walker, mais je crois avoir compris qu'il disait, faisons de la réserve le reflet fidèle de nos forces. Autrement dit, si nous avons un régiment blindé, alors nous devrons constituer également un régiment blindé de réserve, de sorte que lorsque viendra le moment d'augmenter l'effectif, l'intégration pourra se faire aussi aisément que possible. Si vous étiez le monarque absolu et que vous ayez le pouvoir de repartir à zéro, comment procéderiez-vous pour structurer nos réserves, ou même prévoyez-vous qu'il en existerait?

Le lgén Crabbe : Je n'aurai pas le temps de répondre à cette question complètement parce qu'elle justifierait une réunion à elle seule, mais je serai très franc avec vous. La structure de la Milice du Canada, et je ne peux vous parler en détail que de l'Armée, est un vestige de la Deuxième Guerre mondiale. Les régiments qui existent, existent seulement parce que nos colonels honoraires ont parlé plus fort que les autres. Il n'y a aucune raison fondamentale pour expliquer la structure concurrente de la réserve, de la Milice au Canada, aucune, zéro.

Le sénateur Meighen : Avez-vous dit cela à vos amis les colonels honoraires?

Le lgén Crabbe : Je leur ai répété à maintes occasions, mais ils font la sourde oreille. Je pense que le problème fondamental avec les réserves, et je ne veux pas m'attaquer aux réserves, donc, je pense que ce problème n'a rien à voir avec elles, malheureusement. Car ce problème vient du fait qu'il s'agit d'une organisation sur une base volontaire et que les membres contribuent très peu aux opérations ou à l'efficacité des Forces canadiennes pour cette raison. Tant que le pays ne sera pas prêt à faire quelque chose à ce sujet, autrement dit, à instaurer le service militaire obligatoire, si vous voulez, j'ai bien peur qu'aucune restructuration des réserves ne parvienne à donner des résultats positifs et à accroître la capacité au combat des militaires.

Par comparaison, les réserves américaines et la Garde nationale américaine relèvent du Président des États-Unis qui n'a qu'à émettre un ordre de mobilisation, pour les mettre en branle, sans aucun problème. Mais les choses sont différentes avec la Milice du Canada. En effet, ses membres doivent s'être portés volontaires pour être appelés à servir sur le théâtre d'opérations. Tant que nous n'aurons pas surmonté cet obstacle, j'ai bien peur que toute restructuration des réserves ne soit qu'un coup d'épée dans l'eau, si vous voulez mon avis.

Le sénateur Meighen : Merci.

Le lgén Crabbe : Et j'aimerais bien que ce Walker cesse de dire que je suis son ami.

Le sénateur Meighen : J'aimerais poursuivre sur le sujet, mais je dois céder la parole à un autre sénateur.

Le vice-président : Mon général, cette question mériterait à elle seule que l'on y consacre deux ou trois heures, cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Munson : Étant donné nos positions sur l'Iraq et le bouclier antimissile, que devra faire le Canada pour que les États-Unis le considèrent comme un partenaire?

C'est l'essentiel de la question — toute cette idée comme quoi nous avons pris ces décisions et que maintenant il faut aller de l'avant. Je suppose que, de votre point de vue, il faut faire quelque chose pour réparer les pots cassés, qu'il s'agisse de dommages politiques ou autres.

M. Fergusson : La première chose à faire, si on veut bien entendre les commentaires de l'ambassadeur Paul Cellucci au fil du temps, c'est d'investir sérieusement dans les forces. La deuxième, c'est de démontrer très clairement, et pas seulement en paroles, mais très clairement, que la mission nord-américaine est une mission que le Canada prend au sérieux, et qu'elle ne sera pas tributaire des politiciens en place. Mais pour cela, il faudra que le gouvernement articule beaucoup plus clairement les raisons pour lesquelles il veut faire certaines choses, et pas les autres. Deux dommages sérieux résultent de la décision concernant la défense antimissile, et la manière dont la décision a été prise en est un; il y a un an de cela, si vous posiez la question autour de vous, les chances étaient à 99 contre 1 que le Canada participerait au bouclier. Nous avons fait une volte-face très rapide et nous avons pris tout le monde par surprise. La plupart des gens dans ce pays, y compris ceux qui critiquaient la défense antimissile, ont été surpris, et les plus surpris ont été les Américains eux-mêmes. Ce comportement traduit un manque de cohérence et l'influence des courants politiques, et la réaction à ces courants politiques, qui ont été mal interprétés.

Le deuxième dommage concerne l'articulation de la raison invoquée pour justifier notre décision. Encore aujourd'hui, je n'ai toujours pas compris. Le gouvernement n'a donné aucune explication claire. La déclaration de Pierre Pettigrew devant la Chambre, et les déclarations faites par la suite par Paul Martin n'éclairent d'aucune manière les raisons pour lesquelles le Canada a agi de la sorte. Je pense que déjà on pourrait améliorer les relations si seulement le gouvernement se donnait la peine d'expliquer clairement pourquoi il a pris cette décision, en utilisant des explications rationnelles et raisonnables.

Dans notre monde politique, il importe plus que tout de faire preuve de cohérence, plutôt que du contraire.

Le sénateur Atkins : Vous pouvez tirer vos propres conclusions : notre gouvernement gouverne en fonction des sondages. D'ailleurs, si l'on faisait un sondage aujourd'hui auprès du grand public et si l'on demandait aux Canadiens s'ils sont en faveur du système de défense antimissile balistique, on obtiendrait une réponse négative. Nous avons tenu un certain nombre d'assemblées publiques aux quatre coins du pays, et les seuls qui sont en faveur du bouclier antimissile sont généralement d'anciens militaires ou des personnes ayant des liens avec les militaires. Le reste de la population, à de rares exceptions — affirme seulement être des citoyens canadiens préoccupés — et je pense que le gouvernement a pris la bonne décision.

Le lgén Crabbe : Je ne voudrais pas que l'on prenne cela au sens grossier du terme, mais je ne vois pas d'autre manière de le dire. Je pense que ce que vous entendez à ces occasions, c'est la populace, parce que ces gens ne comprennent rien à la défense antimissile balistique.

Comme je l'ai déjà mentionné dans ma déclaration préliminaire, il y a des moments dans l'histoire d'un pays où les gouvernements sont appelés à prendre des décisions déchirantes, difficiles et controversées dans l'intérêt du pays, et ce, même s'il arrive parfois que la majorité des Canadiens ne sont pas d'accord. La défense antimissile balistique est dans l'intérêt de ce pays, point final.

Le sénateur Atkins : Le problème est un problème de leadership.

Le lgén Crabbe : Vous dites leadership; quant à moi, j'ai un autre nom pour le qualifier.

Le sénateur Munson : Désolé, mais en tant que nation ou en tant que chefs politiques ou chefs de la défense, n'avait- on pas la responsabilité d'expliquer un peu mieux en quoi elle consistait ces derniers temps?

M. Fergusson : J'ajouterais deux choses. La dernière partie de ma réponse à votre question vient tout juste de me venir à l'esprit. Je vais prononcer cette phrase, mais je ne voudrais pas qu'elle soit mal interprétée. Laissons le public en-dehors de cela. La raison pour laquelle je dis cela, c'est que si on avait voulu que le public s'en mêle, alors on peut se demander pourquoi, il y a environ un an, et de fait, durant les dix ans précédant l'année dernière ou à peu près, le grand public canadien était largement en faveur de la défense antimissile. À cette époque, les chiffres se situaient aux alentours de 70 p. 100 dans les sondages répétés de l'opinion publique. Le gouvernement a décidé alors de ne pas bouger. Il a choisi d'attendre maintenant pour le faire. Je pense que cela nous enseigne que ce n'est pas l'opinion publique qui est dysfonctionnelle, parce que ce sont les gouvernements qui décident finalement des combats qu'ils veulent livrer ou pas, peu importe l'opinion publique. J'ignore ce qui a pu se passer dans les officines du Cabinet du premier ministre. Mais d'après ce que je sais, c'est une décision qui a été prise par le Cabinet, parce que c'était une question qui relevait du Cabinet.

Pour en revenir à ce que nous pourrions faire, je pense que la chose la plus importante à faire avec les Américains en ce moment, c'est de nous exprimer sur le rapport du Groupe de planification binational. Si le Canada décidait de se lever et de déclarer qu'il est entièrement d'accord avec les conclusions de ce rapport et qu'il a l'intention de les mettre en œuvre, je suis sûr que cela aurait un impact favorable aux États-Unis. Les Américains demeureraient toujours un peu sceptiques au sujet de notre degré de fiabilité à ce sujet, mais je pense que cela jouerait en notre faveur lors du renouvellement du NORAD. Rappelez-vous que, même si leurs troupes sont surdéployées et disséminées à l'étranger, la mission numéro un des Américains en matière de défense est celle de la mère patrie. En effet, pour les Américains, la défense de la mère patrie n'est pas qu'un discours pompeux.

Le sénateur Munson : C'est cohérent avec le thème que vous défendez. Professeur, vous avez fait une déclaration, en utilisant des paroles assez dures, et j'aimerais savoir ce qu'en pense le général Crabbe : « Faire le bien à l'étranger correspond au mythe politique canadien et sert les valeurs nationales d'une société isolationniste, repliée sur elle-même et juvénile, et le Canada livre ses combats à l'étranger. » Êtes-vous d'accord avec cette affirmation, général?

Le lgén Crabbe : À mon avis, et comme Jim l'a très bien exprimé, la première priorité en matière de défense doit être celle de la mère patrie, c'est-à-dire le Canada lui-même. Dans tous les Livres Blancs qui se sont succédés, c'était toujours la priorité numéro un.

Ceci dit, depuis des années, le Canada a choisi de livrer ses batailles loin du pays, là où l'origine du conflit se trouvait, et je pense qu'il va probablement continuer à le faire dans le futur. D'où ce besoin pour un corps expéditionnaire...

Le sénateur Munson : J'allais enchaîner là-dessus, parce que vous avez vous-même abordé dans votre déclaration comment vous verriez le corps expéditionnaire fonctionner d'une manière plus efficace.

Le lgén Crabbe : Oui, même si ce n'est pas l'opinion que je défends. Je pense que l'institut militaire est, dans un certain sens, favorable à la vision du corps expéditionnaire; d'un corps expéditionnaire doté de la capacité de transport lui permettant de se déplacer stratégiquement du Canada jusque dans les régions perturbées du monde. Ce sont là les ingrédients essentiels. Quelle forme cela prendra, si on disposera ou non d'un moyen de transport aérien ou maritime, c'est quelque chose que le général Hillier devra déterminer.

Le sénateur Munson : Je m'adresse maintenant à vous deux, comment devons-nous aborder les forces militaires d'aujourd'hui? Professeur Fergusson, vous avez dit dans votre déclaration préliminaire, en parlant des décisions relatives à la défense, et aussi du budget qui a pour effet de rendre la situation des Forces canadiennes encore plus difficile, que vous trouviez difficile de croire, et beaucoup pensent comme vous, que les choses pourraient s'améliorer en 2010 ou en 2015. Plus précisément encore, pour le compte rendu, que pensez-vous que nous devrions faire, ou que pourrions-nous faire de plus? Le général Hillier a déclaré le jour même, à la surprise de beaucoup, qu'il aimait ce budget. Il a dit : j'aime ce que je vois. Certains ont déclaré qu'il n'aurait pas dû dire cela, et d'autres au contraire l'ont applaudi. J'essaie seulement d'établir avec précision maintenant ce qu'il est possible de faire avec réalisme pour améliorer nos forces et les rendre plus efficaces?

M. Fergusson : Pour répondre avec précision à votre question, ce que je trouve problématique dans ce budget et aussi la raison pour laquelle je le trouve dangereux, c'est que le gouvernement, si j'ai bien compris les chiffres, a accordé un montant additionnel de 500 millions $ aux Forces canadiennes cette année, et un montant additionnel de 600 millions $ l'année prochaine. Je crois savoir que les Forces canadiennes affichaient l'année dernière un déficit de 1,6 milliard $. C'est un chiffre que j'ai entendu circuler, et ces déficits sont cumulatifs.

Le vice-président : Quel est ce chiffre?

M. Fergusson : J'ai entendu parler d'un montant de 1,6 milliard $ qui correspondrait à des coupures relatives à des éléments ayant une incidence sur leurs activités. J'ignore ce que cela regroupe exactement, mais si c'est le montant du manque à gagner pour assurer les investissements nécessaires seulement pour maintenir ce qui est déjà en place, et c'est comme cela que je comprends les choses — réduction des heures de formation, pénuries de personnel, fonctionnement et entretien, infrastructure, et toutes ces choses qui s'en vont à vau-l'eau — 500 millions $ ne fera pas une bien grande différence. Au contraire, il ne fera qu'accentuer le recul. Il semble que l'on n'ait pas tenu compte de la situation actuelle, alors que l'on se trouve dans une situation budgétaire très favorable. C'est vraiment cela qui me préoccupe. Ces dernières années, alors que le budget était idéal, le gouvernement n'a pas fait grand-chose pour remédier à ces problèmes. Et cela ne me rend pas très optimiste pour l'avenir.

Je suis d'accord avec le général Crabbe et avec tous ceux qui ont affirmé dans le passé que les forces ne pouvaient pas dépenser dès maintenant tous les crédits des exercices ultérieurs. C'est vrai, elles ne pouvaient pas le faire. Je ne suis pas contre sur le plan des achats d'immobilisations, parce que de nombreuses décisions liées à l'examen doivent être prises. Il faudra que l'on procède à une injection plus importante de capitaux ne serait-ce que pour maintenir le statu quo durant plusieurs années. Rappelez-vous que tous les crédits à dépenser durant les exercices ultérieurs serviront à faire des acquisitions qui seront utilisées dans 10 ans à partir de maintenant.

Le sénateur Munson : Les chiffres font les manchettes : 5 000 nouveaux soldats, voilà de quoi faire les grands titres des journaux. Les Canadiens se sentent réconfortés par de telles nouvelles. Et pourtant, il faudra peut-être attendre cinq ans avant de pouvoir incorporer ces soldats dans les effectifs, général, n'est-ce pas? Et on manque d'espace pour les loger. Tous ces soldats sont destinés à l'Armée, mais personne ne sait ce qu'ils vont faire exactement parce que nous n'avons pas pris connaissance des résultats de l'examen de politique.

Le lgén Crabbe : Pour commencer, la notion de la création d'une brigade de maintien de la paix a, Dieu merci! perdu du terrain. C'était une idée stupide et heureusement, elle ne s'est pas concrétisée. Ces 5 000 nouvelles recrues seront intégrées là où on aura besoin d'elles, et probablement dans les unités existantes, et par unités existantes je veux dire la structure actuelle de l'Armée pour une large part, afin d'en arriver à constituer l'effectif autorisé et établi.

Comme je le disais dans mon mémoire, l'effritement des armées est attribuable dans une large mesure au fait que nous étions à court de personnel dans nos unités. Ce sont ces mêmes unités que l'on regroupe, en réunissant trois unités pour en former une seule, avant de l'envoyer sur le théâtre des opérations. N'importe quel militaire vous le dira, c'est la pire chose que l'on puisse faire, et c'est mauvais pour le moral des troupes, pour l'intégrité opérationnelle, et ainsi de suite.

L'ajout de 5 000 soldats est un bon début pour ce qui est de la question des effectifs. Cependant, je reviens sur l'hypothèse de base voulant que le gouvernement doit s'exprimer sur ce qu'il attend exactement de ses militaires avant que l'on puisse commencer à parler de structures, d'effectifs, de systèmes d'armes, et ainsi de suite.

D'après le bref échange que j'ai eu avec lui, je pense que le général Hillier a déjà amorcé le processus en prévision des instructions que le gouvernement se prépare à lui donner. J'ai cru comprendre qu'il avait obtenu le feu vert pour aller de l'avant sur certaines questions.

Pour revenir à votre point précédent, sénateur, s'il y a une personne, de militaire à militaire, en mesure de colmater cette brèche, c'est bien le général Hillier. Il a acquis l'expérience et le type de contacts qu'il faut avec les Américains, en Afghanistan et en Bosnie, mais surtout, et c'est encore plus important, à Fort Hood, au Texas, où il a été stationné durant deux ou trois ans pour y suivre leur programme de préparation en vue des déploiements à l'étranger. Il jouit d'une réputation enviable auprès des Américains, et je pense qu'il est très bien placé pour réparer les pots cassés en établissant un contact de militaire à militaire. Toutefois, comme l'a signalé le professeur Fergusson, c'est l'aspect politique qui risque de nous nuire à la longue.

M. Fergusson : Me permettez-vous d'ajouter quelque chose au sujet des crédits? Je n'ai rien d'un économiste ou d'un financier, mais je regarde ces chiffres comme le ferait un politicologue, et j'attire votre attention sur ce montant de 500 millions $ cette année. Ai-je bien compris, et est-ce que les membres des Forces canadiennes vont obtenir une augmentation salariale de six p. 100 rétroactive à l'année dernière?

Le vice-président : Huit pour cent.

M. Fergusson : Je suis frappé de voir que cette augmentation salariale va engloutir pratiquement tout l'argent. Les forces sont dans une situation difficile depuis plusieurs années maintenant, aussi il me semble que cet argent ne règlera rien. Et tout cela ne me rend pas très optimiste quant à l'engagement. Les exercices ultérieurs, c'est bien beau, mais je suppose que cette réplique chère au cinéma est toujours de mise : « montrez-moi d'abord l'argent ».

Le lgén Crabbe : Le montant de déficit accumulé par les forces année après année, depuis déjà un certain temps, se chiffre à 1,6 milliard $, une somme assez rondelette. Si je remonte dans le temps, à l'époque où je faisais toujours partie des forces, ce déficit n'était pas aussi important, mais il existait déjà. La majeure partie des crédits étaient consacrés aux opérations, de sorte que nous pouvions maintenir le rythme opérationnel que le gouvernement nous fixait, à l'époque, mais c'était bien entendu au détriment des immobilisations. La majeure partie de ce montant de 1,6 milliard $ est destinée aux programmes de remplacement du matériel qui n'ont pas été mis en œuvre parce que l'argent avait été détourné au profit des opérations, des augmentations salariales, et ainsi de suite.

Ce n'est toujours pas la bonne façon de gérer les forces militaires, pour les raisons que j'ai évoquées dans ma déclaration préliminaire, et qui figurent également dans le mémoire présenté par l'institut militaire. Je le répète encore une fois, l'argument que fait valoir le professeur Fergusson est tout à fait juste.

Le vice-président : Pour l'intervention que je me préparais à faire, je ne suis pas sûr si le montant exact est de 1,6 milliard ou de 1,4 milliard $ — tout dépend de ce que l'on veut inclure — mais si l'on tient compte du manque à gagner et du réajustement annuel pour les forces, ce budget est plutôt une entrave, non pas à la planification à long terme, mais à la motivation à se rendre au travail.

L'autre aspect de ce budget qui contribue encore plus à brouiller les pistes, c'est que si l'on voulait ajouter ne serait- ce que 5 000 personnes à l'effectif de la nouvelle armée du général Bruce Jeffries, par exemple, ce qui serait la chose à faire selon moi, il nous faudrait encore 3 000 membres permanents des forces pour soutenir ces 5 000 nouveaux membres. Autrement, nous ne constituons pas un nouvel effectif de 5 000 soldats, nous ne faisons qu'ajouter 5 000 personnes à la liste de paie. Toutefois, sans entrer dans les détails, nous sommes déchirés par ce dilemme qui consiste à nous demander s'il faut faire des commentaires au sujet de ce budget parce que, il y a quelques minutes de cela, quelqu'un parlait de la difficulté pour le public canadien de comprendre ce qui se passe exactement. Mais qui a la responsabilité de conseiller et de diriger? Ce n'est pas seulement le gouvernement canadien. Il est vrai que le gouvernement viendrait probablement en deuxième ou en troisième place sur la liste de ceux qui assument la responsabilité d'exposer les faits et de donner des conseils sur ce qu'il faut faire. Mais il y en a d'autres. Et c'est un vrai défi à relever. Je pense qu'il faut parler des quelque 125 000 civils dans l'ensemble, et du fer de lance de notre effort de reconstitution des effectifs dans les corps de métier dont nous avons besoin, et qui pourrait être assuré par un mélange de réservistes et d'autres employés à temps plein.

Le sénateur Munson : J'aimerais ajouter quelque chose. Je suis vraiment fasciné par la déclaration du professeur Fergusson. Elle me fait beaucoup penser à la défense de la mère patrie d'une certaine manière, même s'il est question de renseignement, de surveillance et ainsi de suite. Je suis curieux de savoir comment on compte changer les mentalités, à la fois chez les militaires et dans l'esprit du public. Comment on envisage la perspective de l'arrivée de nouvelles recrues qui viendront se joindre à une nouvelle force armée qui se concentrera sur la défense de notre pays à l'aide de la haute technologie, et comment ces futurs militaires devraient être fiers de s'acquitter de leur mission de cette manière plutôt que comme dans l'ancien temps, alors qu'il suffisait de marcher au combat. Je pense que cela représente un énorme progrès qui devrait faciliter la tâche du recrutement des militaires. Je trouve cela à la fois fascinant et très positif.

M. Fergusson : Il y a tout un arsenal d'arguments, ou de théories si vous préférez, sur la manière d'inciter une organisation à changer, et essentiellement à se transformer elle-même ainsi que sa façon de voir les choses. D'après les recherches que j'ai faites sur le sujet, et après avoir consulté les travaux réalisés par divers chercheurs universitaires, j'en suis arrivé à la conclusion que la clé du succès est la direction de l'organisation. Plusieurs études, par exemple, qui portaient sur la situation durant la période à la fin de la guerre, présentent des similitudes avec ce qui se passe aujourd'hui, et envisageaient l'adoption de porte-avions et de navires amphibies, ou de lutte amphibie — toutes ces choses que nous tenions pour acquises après la Deuxième Guerre mondiale, et qui représentaient des technologies et des idées complètement révolutionnaires pour l'époque. Plusieurs études portant sur le facteur déterminant de la réussite citaient invariablement la haute direction, la détermination des chefs. C'est l'une des qualités que j'accorde au général Hillier, même si je ne suis pas d'accord avec lui sur l'objectif qu'il poursuit, mais je lui fais confiance. C'est en effet la tâche de la haute direction que d'inspirer confiance dans la réalisation des projets, parce que les officiers subalternes, les militaires du rang considèrent que c'est capital pour leur carrière et leur avenir. Du moment que l'on peut compter sur ce leadership, les organisations peuvent réussir à accomplir des transformations remarquables.

Aussitôt que la rumeur commence à courir que les choses vont piétiner, alors les vieux modèles socialisés de développement professionnel, les vieilles idées socialisées sur le régiment ou l'escadre, ou peu importe, refont surface et l'on retombe dans les mauvais plis, et l'organisation se retrouve au point mort.

La solution passe par la détermination et l'engagement de la haute direction. Je pense que la meilleure preuve de l'engagement de la haute direction est justement d'expliquer clairement la direction à suivre, et que le gouvernement doit montrer qu'il donne son appui. Habituellement, le gouvernement, lorsqu'il est question de la défense, ne se sent pas tellement concerné en fin de compte, du moment qu'il peut, lorsque le besoin s'en fait sentir, prélever des troupes et les expédier quelque part. Dans ces situations, les gouvernements sont satisfaits parce que cela contribue à redorer leur image. Cependant, au bout du compte, le diable est dans les détails, et ce sont précisément les détails qui sont laissés à la discrétion des services et du ministère.

Le lgén Crabbe : Donner des explications aux troupes sur ce qui se passe fait naturellement partie intégrante des responsabilités de la direction, et cette tâche doit être constante. Les militaires, ceux des années antérieures, n'ont jamais excellé dans cette mission. Aucune transformation ou aucun changement radical au sein des forces militaires n'a été bien fait. Je réitère ma mise en garde comme quoi, malgré la haute technologie, la poudre aux yeux et tout ce cinéma à la Buck Rogers, et c'est un peu tout cela que l'on nous sert dans le cadre de la vision du général Hillier, donc, malgré tout cela, il faut encore qu'il y ait des soldats sur le terrain pour gagner les batailles. Il faut éviter de tomber dans le piège qui consiste à prétendre qu'il suffit d'acheter du matériel de haute technologie et que cela va remplacer les soldats. Nous avons encore besoin de soldats pour faire fonctionner, utiliser et entretenir le matériel. Et en réalité, il arrive souvent que l'on ait besoin d'encore plus de personnel, parce que ce matériel est tellement perfectionné qu'il faut davantage de personnel pour en assurer la maintenance. Donc, prudence à cet égard. J'ai déjà entendu dans les cercles gouvernementaux, alors que j'étais encore membre des Forces canadiennes, cette réflexion comme quoi il suffirait de faire l'acquisition d'un tas de matériels de haute technologie pour pouvoir se débarrasser des soldats : à mon avis, c'est une grave erreur. Ce n'est pas comme cela que les choses se passent. Il faut encore qu'il y ait des militaires sur le terrain pour tenir l'arme à la main et décider quoi en faire.

Le sénateur Atkins : Je voudrais simplement apporter la correction suivante et vous dire que l'augmentation que recevront les militaires est de 8,9 p. 100, pour votre information.

Mais en revanche, il est assez affreux de penser que les militaires recevront cette année un montant de 500 millions $, parce qu'il y a un examen des dépenses, et que dans cet examen des dépenses il y a une disposition de récupération qui oscille entre 150 et 200 millions $.

Il nous est arrivé une chose intéressante lors des réunions de ce comité. En effet, nous demandions à des cadres militaires ce qu'ils feraient si on leur accordait une certain montant d'argent, autrement dit, comment le dépenseraient- ils? Vous seriez surpris d'apprendre ce que certains ont répondu à cette question, à savoir, si on vous donnait 500 millions $, arriveriez-vous à le dépenser? Et ils répondaient non. Je vous affirme d'après l'expérience que nous avons acquise d'un bout à l'autre du pays, que je pourrais rapidement trouver le moyen de dépenser ce montant de 500 millions $ durant la première année. Ce ne serait pas un problème.

Ce qui soulève la question suivante : ce budget est-il trop petit, arrive-t-il trop tard, pour commencer? Mon général, quel serait un montant acceptable pour réussir à faire le rattrapage et à remettre les militaires dans la situation où ils se trouvaient à l'époque où ils étaient efficaces et où ils disposaient du personnel et du matériel requis?

Le lgén (retraité) Crabbe : Oui, eh bien, je me suis efforcé d'insister sur le fait que l'on peut difficilement définir la structure militaire, que ce soit sur le plan de la main-d'œuvre, de l'équipement, des systèmes d'armes et de l'infrastructure tant que l'on n'aura pas donné une explication très décisive de ce que seront les rôles des militaires justement.

Si on part du principe que les rôles des militaires, les trois dont nous avons déjà parlé, et toutes les tâches qui y sont rattachées, vont demeurer essentiellement les mêmes, ce qui, à mon avis, est impossible, mais cela mis à part, je peux vous affirmer qu'avec un effectif de 85 000 nous avions du mal à répondre aux engagements. À un certain moment, nous nous sommes retrouvés avec un effectif de 60 000 durant huit ou neuf ans. Le rythme des opérations à cette époque allait dans un sens, et l'effectif dans un autre. C'est ce qui explique qu'aujourd'hui on se retrouve avec des soldats épuisés ou frappés d'incapacité mentale ou physique, parce que, ce que nous avons accompli à l'étranger au nom de ce pays l'a été fait sur le dos des hommes et des femmes qui étaient membres des Forces canadiennes, et non par la grâce de ce gouvernement, je peux vous l'assurer.

Je le répète, on ne pourra déterminer avec précision l'effectif suffisant des forces tant que l'on n'aura pas établi au préalable avec précision en quoi consistera la politique de défense de cette nation. Je dirais qu'avec l'effectif de 85 000, que nous avions auparavant, c'était déjà difficile de joindre les deux bouts. Nous arrivions à nous acquitter des opérations que le gouvernement exigeait des forces militaires à cette époque, et à réaliser tout le reste à l'échelle nationale et internationale, mais il est clair que l'on ne peut y arriver avec un effectif de seulement 60 000 ou 65 000.

Le sénateur Atkins : Avez-vous été surpris de lire dans notre rapport que nous en étions arrivés à une augmentation de 4 milliards $ et à un effectif de 75 000?

Le lgén Crabbe : Non.

Le sénateur Atkins : Vous n'avez pas été surpris?

Le lgén Crabbe : Non, pas du tout.

Le sénateur Atkins : Professeur, vous avez parlé des livres blancs et du concept des forces militaires reposant sur le fait que l'on connaissait très bien l'ennemi. Aujourd'hui, nous n'avons plus de boule de cristal. Lorsque le général Hillier présentera sa capacité opérationnelle interarmées, pensez-vous qu'elle pourra répondre à certaines de vos préoccupations?

M. Fergusson : C'est difficile de bien répondre à cette question. Pour résumer un argument avancé par le général Crabbe et un autre que j'entends sans arrêt, on a toujours besoin de bottes sur le terrain. En 1919, les gens disaient que l'on a toujours besoin de bottes dans les étriers. On n'a plus besoin de bottes dans les étriers de nos jours. Mais en revanche, on a toujours besoin de soldats. Quant à savoir à quoi vont ressembler les soldats en 2015 et en 2020, en raison des progrès considérables de la technologie — comme toute autre nation, le Canada n'a pas vraiment le choix, du moins en ce qui concerne le modèle auquel il doit se conformer. Il ne s'agit pas de la menace proprement dite. On peut se perdre en conjectures au sujet du rétablissement des Russes, de la modernisation stratégique des Chinois, de la croissance linéaire continue de l'Inde jusqu'à devenir une grande puissance dotée d'une capacité nucléaire relativement importante, ou encore au sujet de la structure différente que prendra le monde en 2020. C'est difficile à dire. Et cela ressemble un peu à une devinette. Mais une chose est sûre, dépendant de ce qui va arriver à Al-Qaeda, aux terroristes ainsi qu'aux États non viables du monde, c'est que ce sont les États-Unis, simplement en raison des décisions qu'ils prennent d'investir ou non dans certains secteurs, qui détermineront dans une large mesure comment tous les autres pays, amis ou ennemis, vont réagir.

Je ne suis pas en train de vous dire que nous devons mettre sur pied une force parallèle à celle que les Américains sont en train de créer afin de pouvoir être entièrement compatibles avec eux. D'une manière générale, il est presque impossible de faire autrement que de mettre sur pied une force militaire qui soit compatible avec ce qu'ils ont l'intention de faire, si on veut.

Et ce faisant, j'examine les investissements réalisés par les Américains dans les capacités non létales. J'examine le style de combat des Américains, qui est devenu le style de combat occidental. J'examine ce qu'ils appellent la révolution dans les affaires militaires. Et je constate un phénomène, un phénomène que je considère comme historique, dans le plan du général Hillier, peu importe à quoi il va ressembler en fin de compte — je le répète, je ne l'ai pas vu, donc il se peut que je lui prête des intentions, et que ce soit tout à fait injuste à son égard — alors, si on considère l'avenir de toutes ces choses, les Américains ont été motivés par le désir d'éliminer autant que possible l'être humain du champ de bataille. Nous avons reculé encore et encore afin d'obtenir plus de précision dans l'application de la force à des fins politiques, historiquement. Les États-Unis reculent encore et encore. La définition d'une force apte au combat en 2020 sera très différente de celle d'une force apte au combat aujourd'hui. Nous nous trouvons à l'aube d'un changement radical. Auparavant, je n'approuvais pas ce raisonnement, mais plus j'y pense, et plus je trouve qu'il se justifie.

Nous aurons toujours besoin de soldats, si nous voulons continuer de mener des missions dans les États non viables afin d'y restaurer les sociétés. Toutefois, est-ce bien dans ce type de soldats que l'on veut vraiment investir, au Canada? On ne manque pas de ce type de soldats dans le monde, je veux parler des « bottes sur le terrain ». Mais est-ce réellement dans ce type de soldats que le Canada souhaite investir, des « bottes sur le terrain »? Parce que l'on s'engage alors dans une sorte de piège, et c'est la raison qui explique pourquoi nous sommes un peu piégés par le passé, plutôt que d'essayer de nous projeter dans l'avenir. C'est une véritable gageure que de se projeter dans l'avenir; je l'admets.

Le sénateur Atkins : Cependant, vous voulez avoir des « bottes sur le terrain »?

M. Fergusson : Oui, nous voulons en avoir, mais il n'est pas nécessaire que ce soit les nôtres. Nous pouvons fournir une capacité de combat à des milliers de milles du champ de bataille, à partir d'un État non viable. Nous pouvons faire des choses qui ont plus de valeur ajoutée, qui comportent un avantage sur le plan politique, en fonction des capacités dont nous ferons l'acquisition pour nos missions intérieures et nord-américaines. Nous pouvons faire toutes ces choses sans même mettre nos « bottes sur le terrain ». En effet, mettre les « bottes sur le terrain » est un choix délibéré que nous allons devoir faire. Il faut se poser la question : pourquoi voulons-nous faire ce choix en toute connaissance de cause, plutôt que d'autres choix à l'intérieur d'un cadre matériel limité et fixe?

Le sénateur Atkins : Avez-vous des commentaires, général?

Le lgén Crabbe : Oui. Je ne suis pas d'accord avec M. Fergusson. À mon avis, peu importe la manière de combattre, la lutte consiste toujours à manœuvrer une force en vue de la concentrer de manière à ouvrir le feu contre l'ennemi, à détruire ses armes et son matériel, et à tuer ses soldats, de même qu'à le démoraliser afin de l'inciter à déposer les armes et à cesser le combat. C'est la raison d'être des soldats. C'est la raison pour laquelle on lève des armées. Mais le seul moyen d'y arriver, c'est de vous trouver sur le terrain avec une arme à la main et de faire comprendre à l'ennemi que vous êtes maître du terrain. Le bombardement de précision et toutes ces belles technologie liées à la collecte de l'information et à la dominance des moyens d'information, et ainsi de suite que l'on utilise aujourd'hui sont des outils essentiels pour permettre au soldat de faire exactement ce qu'il a à faire.

Toutefois, au bout du compte, si on se retrouve à faire la guerre, il faut avoir des soldats sur le terrain pour pouvoir se déclarer le vainqueur. Sinon, on n'a rien gagné. Toutes ces belles machines très perfectionnées et toutes ces armes tirées à distance de sécurité qui font partie de cette philosophie consistant à éviter d'avoir des pertes en vies humaines, tout cela est bien beau, mais en fin de compte, il faut pouvoir proclamer son droit de propriété sur le terrain, et ça, il n'y a que les soldats qui puissent le faire.

Le sénateur Atkins : Mon général, vous avez mentionné que le général Hillier entretenait de très bonnes relations avec les militaires américains. Ce fut assez évident lors de son assermentation. Certains officiers supérieurs américains qui sont des amis à lui et avec lesquels il a déjà servi activement s'étaient rendus sur place. Mais j'aimerais me faire l'avocat du diable, pour une minute. Je vais reprendre votre exemple des dix missiles contre les neuf intercepteurs, et vous demander si vous pensez vraiment, même dans l'hypothèse où nous aurions donné notre accord pour le programme de défense antimissile balistique, si notre acceptation aurait eu une incidence réelle sur la manière dont les Américains prennent leurs décisions? Parce que ces décisions comportent deux aspects : le militaire et le politique. Et le politique nous amène à nous demander : pensez-vous vraiment que ça les intéresse?

M. Fergusson : Si l'objectif du Canada avait vraiment été d'accepter la mission de la défense antimissile balistique, ne serait-ce que les intercepteurs au sol situés en Alaska, ce composant attribué en vue du commandement, pour que cette mission soit attribuée au NORAD, alors le processus requis faisant partie de l'accord négocié avec les États-Unis aurait — sinon, pourquoi le ferions-nous et pourquoi les Américains le feraient-ils — obligé les responsables canadiens et américains à s'asseoir ensemble pour décider de l'ordre de priorité du système de défense. Ce processus devrait se faire en commun, parce qu'il est fonction d'un commandement mixte. La raison pour laquelle ces priorités doivent être établies auparavant c'est qu'il ne s'écoule que quelques minutes avant le lancement des premiers intercepteurs. On n'a pas le temps, contrairement au mode de fonctionnement retenu dans le cadre de la riposte nucléaire, qui accordait 30 minutes au président — veuillez m'excuser, après avoir reçu l'avis d'une attaque, il ne disposait que d'environ 15 minutes — pour prendre une décision, et il devait prendre la décision avant que les armes nucléaires stratégiques ne soient lancées. Dans ce cas, on n'a pas vraiment le temps de s'adresser à l'autorité du commandement national.

Lorsque l'on s'assoit avec les Américains pour discuter de ces questions, et c'est toute l'idée de cette démonstration, il faut en arriver à un accord entre les deux parties. Il y a une dimension politique dans ces discussion entre les parties au sujet des priorités — les villes les plus capitales, les villes de 5 millions d'habitants et plus, et telle caractéristique par rapport à telle autre — parce que ces décisions doivent faire l'objet d'une discussion, et que le résultat de ces discussions doit être consigné dans un logiciel opérationnel afin que tout le système fonctionne comme prévu.

Dans l'éventualité où l'on confierait cette mission au NORAD, alors la logique veut que les frontières, du point de vue militaire, en tout cas, disparaissent, et que l'Amérique du Nord devienne une seule et même liste de cibles. En l'absence de ce processus, les frontières sont toujours celles des nations respectives. Les priorités des Américains viendront en premier, puis on pourra penser au Canada après coup, et essayer de voir comment limiter les dégâts.

Lorsque l'on me demande pourquoi les Américains veulent notre collaboration dans ce système, je pense que l'une des raisons fondamentales c'est qu'ils souhaitent que nous participions au processus de décisions, parce que c'est une décision qu'ils ne veulent pas avoir à prendre seuls. Ils ne veulent surtout pas avoir à décider pour nous de ce qui est important ou non, de la même manière qu'ils ne veulent pas avoir à décider pour les alliés européens, les Israéliens ou les Japonais ce qu'il est important de défendre. C'est la raison pour laquelle les Américains suivent ce processus qu'ils ont amorcé, à la recherche d'une coopération. Ce n'est pas par altruisme, c'est tout simplement qu'ils refusent d'avoir à prendre cette décision. Et à mon avis, c'est ce que nous allons perdre.

Le sénateur Atkins : Pour ce qui est de la défense nord-américaine, ils doivent tenir compte de nous dans l'ensemble du système, et ce n'est pas totalement à l'encontre de leurs intérêts, que nous ayons conclu un accord avec eux ou pas, de prendre en considération leur processus de décision.

M. Fergusson : Vous avez raison, c'est dans leur intérêt. Vous avez tous entendu le vieil adage comme quoi les Américains vont nous défendre, que ça nous plaise ou non. Et la réponse a toujours été, bravo!, mais assurons-nous qu'ils nous défendront de la manière qui nous convient plutôt que de les laisser prendre les décisions à cet égard. Ils vont nous consulter. Je suis sûr qu'il y aura quelques discrètes consultations à ce sujet. Toutefois, en fin de compte, si nous ne participons pas à ce système, il n'y a pas de raison pour que les Américains nous tiennent informés, et je ne pense pas qu'ils le feront non plus.

Je vais vous donner le meilleur exemple empirique, l'un des rares. En 1985, lorsque Brian Mulroney a décidé que le Canada ne participerait pas officiellement au programme de recherche de l'Initiative de défense stratégique, mais qu'il a permis aux entreprises canadiennes de le faire, il y a eu des grincements de dents : quelles seraient les conséquences sur la relation canado-américaine? Il ne s'est rien passé finalement, sauf à l'échelon de la relation de militaire à militaire entourant le NORAD et la planification stratégique des Américains. Soudain, même en ce qui concerne le côté aérien de l'équation, et à l'époque le Canada procédait à la modernisation du Système d'alerte du Nord, donc même dans l'esprit des Américains et dans leur planification des modalités de leur initiative, ils excluaient les Canadiens des discussions. Nous n'étions plus autorisés à y participer parce que, essentiellement, nous avions refusé cette initiative.

Je suis convaincu que l'administration n'a pas demandé à quiconque au niveau des services d'agir ainsi. Je ne pense pas que le Secrétaire à la Défense en ait jamais parlé. C'est tout simplement ainsi que les choses devaient évoluer en vertu du principe du « besoin de connaître ». Et c'est ce qui nous attend maintenant.

Le vice-président : Je suis désolé, mais nous avons un autre groupe et une discussion plus tard cet après-midi. Aussi, permettez-moi au nom du comité et du président de vous transmettre nos plus sincères remerciements. Vous nous avez donné matière à penser. Parfois, c'est une bonne chose que de revenir à l'origine de certaines propositions afin de mieux nous situer. Je vous garantis que ce comité écoutera attentivement ce qu'on lui dira, partout où il se rendra au pays, et qu'il s'inspirera de ce que nous considérons comme une position prudente pour rédiger son rapport, après avoir fait de son mieux malgré que nous ne soyons pas des spécialistes en la matière, pour interpréter ce que vous nous avez confié, ainsi que l'enthousiasme avec lequel vous défendez vos positions. Et si cette perspective vous effraie, sachez que nous sommes entourés de personnes très compétentes : capitaines, généraux et chercheurs compris.

Merci d'avoir participé à nos audiences.

Notre prochain témoin est le major-général Charles Bouchard, qui a été membre de la Division aérienne, et s'est joint aux Forces canadiennes en 1974. Il est pilote d'hélicoptère de profession. Il a occupé divers postes de commandement au Canada, en Allemagne et aux États-Unis, et il a été notamment commandant du 444e Escadron tactique d'hélicoptères, à la BFC Lahr, et commandant de la 1re Escadre Kingston. Il a récemment complété une période de service à titre de commandant adjoint de la base aérienne de Tyndall, en Floride, Région américaine du NORAD, et il s'y trouvait lors des attaques du 11 septembre.

Il est diplômé de l'École d'état-major des Forces canadiennes, du Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne, du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes ainsi que du National Strategic Studies Course. Il a assuré le commandement de la 1re Division aérienne canadienne en 2004.

Le colonel Steff Kummel est le commandant de la 17e Escadre Winnipeg depuis juillet 2003. Il s'est joint aux Forces canadiennes en 1979, et a commencé sa carrière en tant que navigateur aérien. Après avoir été promu major en 1991, il a accepté les fonctions de commandant d'escadrille à l'École de navigation aérienne des Forces canadiennes à Winnipeg. En juillet 1997, il a assumé le commandement de l'école. En juillet 2000, le colonel Kummel a accepté le poste de commandant adjoint de l'escadre de la 17e Escadre Winnipeg. En juillet 2003, il a été nommé à son poste actuel et déployé dans le cadre de l'Opération Athena. Il a ensuite assuré le commandement du troisième élément de soutien, le Camp Mirage, jusqu'en décembre 2004.

Messieurs, vous êtes les bienvenus et nous sommes prêts à entendre vos déclarations.

Mon général, voulez-vous commencer?

[Français]

Mgén J.J.C. Bouchard, Commandant, 1ère Division aérienne canadienne, Défense nationale : Monsieur le président, c'est un honneur pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui. C'est avec plaisir que je vais vous donner un aperçu de la 1re Division aérienne du Canada, soit le bras opérationnel de la Force aérienne.

Au cours des prochaines minutes, je vais vous parler des défis auxquels nous sommes confrontés. J'aborderai brièvement les mesures qui sont en cours pour y remédier et pour nous préparer alors que les Forces canadiennes et le ministère traversent une période de transformation.

[Traduction]

À la 1re Division aérienne canadienne, je relève directement du chef d'état-major de la Force aérienne pour ce qui est de la production, de la maintenance et de la direction des capacités de combat et des capacités aériennes polyvalentes afin de répondre aux besoins du Canada partout dans le monde. En tant que commandant de la Région canadienne du NORAD, je dois rendre compte au commandant du NORAD en ce qui concerne le bon emploi efficace de ses ressources dans le cadre de la défense de l'Amérique du Nord, afin de prévenir, détecter et, si nécessaire, détruire les menaces aérobies visant le Canada et l'Amérique du Nord. Ces menaces comprennent notamment les menaces traditionnelles et asymétriques à l'endroit de ce pays. Il est évident que les attaques du 11 septembre ont entraîné des changements importants dans notre manière de voir les choses et d'exercer nos activités au sein du NORAD.

[Français]

En tant que commandant de la région de recherche et de sauvetage de Trenton, je relève du sous-chef d'État-major de la Défense (SCEMD) en ce qui concerne le bon emploi des ressources de recherche et de sauvetage dans une vaste zone qui comprend une partie du Québec, l'Ontario, les provinces des Prairies, le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. En moyenne, il y a environ 2 700 opérations de recherche et de sauvetage par an dans cette région.

En tant que commandant des cadets de la région des Prairies, je relève du VCEMD et je fournis leadership et directives pour le Programme des cadets de la région. Cette région comprend 214 unités et environ 9 000 cadets.

[Traduction]

Ma méthode de commandement de la division aérienne repose sur trois piliers : mener des opérations sûres, efficaces et efficientes, faire le lien avec le futur et prendre soin de notre personnel. Notre tâche principale consiste à fournir un soutien aérien aux Forces canadiennes et aux autres organisations, suivant les instructions. Cette tâche se traduit par l'utilisation des aéronefs en vue de projeter de la puissance, de transporter du personnel et du matériel et de fournir du soutien à l'appui du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance, et tout cela dans le respect de nos ressources financières et autres.

Le vieillissement des flottes, l'insuffisance du financement à l'échelle nationale, le manque de pièces de rechange, la pénurie de techniciens qualifiés, le nombre restreint de membres d'équipage, une infrastructure vétuste et des priorités contradictoires contribuent à restreindre notre capacité de fournir du soutien.

Même si les statistiques pour chaque flotte varient, il reste que le résultat est un taux de disponibilité des aéronefs qui frôle le tiers, alors qu'il devrait être d'environ les deux tiers.

[Français]

Les mesures que nous avons prises pour moderniser certaines de nos flottes sont en cours de réalisation. Nous aurons des CF-18 et des Aurora beaucoup mieux adaptés à leurs missions dans le nouveau contexte de sécurité, que ce soit au Canada ou à l'étranger. Malgré une réduction temporaire de la disponibilité des aéronefs, ces mesures porteront leur fruit à long terme.

En dépit des problèmes que nous avons avec le rotor de queue du Cormorant, ce dernier s'est révélé un excellent appareil pour la recherche et le sauvetage. Enfin, le choix d'un appareil qui prendra la relève du Sea King, le programme de remplacement des avions de recherche et de sauvetage, ainsi que la promesse d'avoir de nouveaux hélicoptères de levage de capacité moyenne, et des avions légers de transport pour le Nord sont autant de bons augures pour le futur.

Toutefois, l'effort de modernisation doit aussi comprendre le renouvellement de notre parc de véhicules spécialisés, qui sont peu nombreux mais dont le coût est élevé, comme les camions de lutte contre le feu, les véhicules ravitailleurs et les engins de déblaiement des aires de trafic dans nos aéroports.

[Traduction]

Pour ce qui est de l'infrastructure, la division aérienne est responsable d'environ 5,2 milliards $ en biens immobiliers dont la majeure partie sont âgés de plus de 50 ans. Le financement annuel régulier est inférieur au niveau recommandé pour effectuer des réfections, des réparations et de la maintenance, ce qui nous force à accumuler du retard qu'il faudra rattraper au cours des années qui viennent.

Vous avez sans doute entendu parler du succès de notre Programme d'entraînement en vol de l'OTAN au Canada. Il y a des pilotes expérimentés pour former les officiers militaires étrangers, ici à Winnipeg. Nous avons également lancé un programme de transformation dynamique visant à s'attaquer au problème de pénurie dans les métiers de techniciens aéronautiques. L'objectif à long terme consiste en une augmentation du nombre de techniciens qualifiés disponibles qui devrait passer de 61 p. 100 à plus de 80 p. 100 du total des effectifs en activité. Nous prenons les bouchées doubles afin de nous préparer pour le futur. Nous sommes activement engagés dans la constitution d'une force expéditionnaire aérienne bénéficiant de l'appui du Projet de capacité de soutien de la Force aérienne. Nous travaillons également à la mise sur pied d'un processus rigoureux de vérification de l'état de préparation du personnel de l'air qui nous permettra de nous assurer que nous sommes en mesure de concrétiser la vision récemment exprimée par le chef d'état-major de la défense et endossée par le chef d'état-major de la Force aérienne.

La constitution de la force expéditionnaire aérienne est axée sur la fourniture de groupes d'aéronefs couvrant toutes les capacités des corps de la division aérienne, qu'il s'agisse de CC-130 Hercules, d'Aurora, de CF-18, d'hélicoptères Sea King ou d'hélicoptères Griffon, capables de se déployer à l'étranger et d'effectuer des opérations prolongées. Cette initiative nécessitera un ratio de quatre personnes pour une pour assurer le soutien des déploiements. Une capacité de soutien solide sera essentielle au succès de cette initiative.

[Français]

M'occuper de notre personnel est le troisième principe que j'applique dans le commandement de la Division, car sans personnel nous ne pouvons pas accomplir notre mission. Je suis constamment émerveillé par l'énergie, l'ingéniosité et la débrouillardise de nos employés. Ils sont la raison de notre réussite.

Conserver notre personnel qualifié est toujours un défi. Ils sont attirés par d'autres employeurs au gré des fluctuations économiques. Beaucoup d'entre eux ont fait de longues études, ont une bonne formation et possèdent de l'expérience dans des métiers où le secteur privé recrute avidement. L'enjeu est de mettre en place des procédés pour reconnaître les efforts de notre personnel et de leur démontrer que nous sommes conscients de leur valeur et leur donner envie de rester pour poursuivre une carrière enrichissante. Bien que la solde ne soit pas toujours le problème, la dernière augmentation a eu pour effet de remonter grandement le moral des hommes et des femmes de la Force aérienne et de leur montrer concrètement que nous étions reconnaissants de leur ardeur et de leur attachement au travail. En outre, nous tenons à reconnaître les efforts de notre personnel autrement que financièrement.

[Traduction]

Nous exigeons beaucoup de notre personnel, et nous exigeons beaucoup de leurs familles aussi. En retour, nous devons nous assurer que l'on prend bien soin d'eux tous. Étant donné la pénurie sérieuse de médecins de famille dans l'ensemble du Canada, il est devenu de plus en plus problématique de garantir l'accès à un médecin aux membres des familles de notre personnel militaire. Le même cycle infernal recommence avec chaque nouvelle affectation. Peu de médecins acceptent de nouveaux patients, et les choix sont très restreints. La nature rigoureuse de la vie militaire requise pour le développement de carrière et le perfectionnement de nos membres sont la source de désagréments pour les membres de leurs familles. Certaines initiatives visant à ouvrir des cliniques de médecine familiale pour les membres des familles des militaires sont en cours, et nous devons continuer de nous pencher sur les moyens de trouver une solution à ce problème.

[Français]

Pour terminer, j'aimerais vous rappeler que le succès des opérations aériennes est le résultat direct des efforts incessants des hommes et des femmes de la division aérienne qui servent avec fierté et qui sont engagés dans la voie de l'excellence.

[Traduction]

Maintenant, monsieur le président, je vais céder la parole au colonel Kummel.

Le colonel Steff J. Kummel, commandant, 17e Escadre Winnipeg, Défense nationale : Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est un privilège pour moi de vous donner un aperçu des engagements, des réussites et des défis qui se présentent à la 17e Escadre Winnipeg. En effet, la 17e Escadre Winnipeg assure le commandement et contrôle ainsi que le soutien logistique et administratif à 114 unités des Forces régulières et de la réserve ainsi que des cadets, de Thunder Bay jusqu'aux frontières de l'Alberta et de la Saskatchewan et vers le nord, jusqu'à Yellowknife. Ce soutien consiste dans une large mesure en expertise sur le plan administratif, technique et financier, de même qu'en matière de gouvernance environnementale et de supervision de la sécurité.

Parmi ces 114 unités, j'exerce le commandement et contrôle direct sur trois escadrons aériens, deux escadrons d'entraînement au vol et trois écoles d'instruction au sol. La 17e Escadre est le sixième employeur en importance au Manitoba et un agent économique majeur dans l'agglomération urbaine de Winnipeg. À la grandeur de la région de la 17e Escadre et dans son secteur de responsabilité, on retrouve environ 2 200 membres des forces régulières, 600 membres des forces de la réserve et 800 civils. En comptant les familles immédiates des membres, on obtient entre 8 000 et 10 000 personnes.

Avec le déménagement du 2e Bataillon, Princess Patricia's Canadian Light Infantry, le 2 PPCLI, à Shilo l'été dernier, la 17e Escadre a entrepris un plan majeur de consolidation ayant pour objectif ultime de libérer tous les bâtiments de l'ancien site de Kapyong et de rapatrier le personnel de soutien de la base dans le site du nord. Dans le cadre de cette consolidation, plusieurs installations nouvelles à la fine pointe de la technologie et valant plusieurs millions de dollars ont été construites et contribueront énormément à améliorer nos capacités opérationnelles et de soutien.

J'exerce également le commandement et contrôle sur de nombreuses unités de vol, telles que le 440e Escadron de transport à Yellowknife, le seul escadron de servitude léger disponible dans le Nord canadien. Ces unités fournissent un soutien aux opérations des Forces canadiennes dans les régions nordiques et aux opérations des rangers et des cadets subalternes à l'aide des quatre aéronefs Twin Otter.

Le 435e Escadron de la 17e Escadre dirige un secteur de responsabilité axé sur la recherche et sauvetage qui couvre le territoire des Prairies et du Nord canadien jusqu'aux zones les plus reculées de l'Arctique. En outre, le 435e Escadron est le seul escadron de ravitaillement tactique à l'appui des chasseurs canadiens, les CF-18. Non seulement jouent-ils ce rôle, mais avec seulement six aéronefs ils assurent également le transport de marchandises pour les missions des FC partout dans le monde.

La 17e Escadre est le siège de l'entraînement et de l'instruction de la Force aérienne. Elle englobe l'École de navigation aérienne des Forces canadiennes, l'ENAFC, qui forme tous les navigateurs aériens et les opérateurs de détecteurs électroniques aéroportés. En raison de la qualité exceptionnelle des diplômés de l'ENAFC, la demande ne cesse d'augmenter à l'échelle internationale pour la formation en navigation aérienne canadienne. À titre d'exemple, l'un de nos navigateurs qui enseigne à huit étudiants étrangers génère des revenus d'environ 2 millions $.

Par ailleurs, je suis responsable de trois écoles de pilotage des Forces canadiennes qui dispensent la formation initiale de tous les pilotes des Forces canadiennes et forment 80 p. 100 des pilotes des Forces canadiennes suivant les normes d'excellence de l'escadre. Ces écoles fonctionnent toujours à plein régime afin de produire des candidats de première qualité pour la force aérienne.

En plus de ces écoles de pilotage, la 17e Escadre comprend également l'École d'études aérospatiales des Forces canadiennes, l'EEAFC et l'École de météorologie des Forces canadiennes, l'EMETFC. L'EEAFC dispense des cours techniques spécialisés et toute l'instruction professionnelle à l'intention des officiers pour la Force aérienne, tandis que l'EMETFC forme tous les techniciens en météorologie pour les Forces canadiennes.

L'École de survie et de médecine de l'air des Forces canadiennes, l'ESMAFC, appartient aussi à la 17e Escadre. Elle est responsable de toute la formation en médecine aéronautique et en haute altitude pour les Forces canadiennes. En plus de ces tâches, l'ESMAFC assure également la formation dans le domaine de la survie, de l'évasion, de la résistance et de la fuite pour le personnel de la Force aérienne qui sera déployé dans le monde entier dans le cadre de missions. L'ESMAFC est également responsable de la formation en recherche et sauvetage au sol et du caisson hyperbare utilisé dans la formation en médecine aéronautique.

Le personnel de la 17e Escadre est profondément engagé dans la collectivité. En effet, le personnel participe activement à d'innombrables œuvres de charité telles que les activités organisées par Centraide et Habitat pour l'humanité. Par ailleurs, nous entretenons des liens de collaboration régulière avec les légions, les armées, les associations d'anciens combattants, les forces policières et cetera. Les antécédents de la 17e Escadre sur le plan du service communautaire sont impressionnants, comme le démontrent les formidables efforts bénévoles de centaines de militaires oeuvrant dans le cadre d'activités à titre d'entraîneur, de mentor, de juge et d'instructeur. Le personnel de la 17e Escadre est profondément intégré à la collectivité environnante.

Avec la plus vaste juridiction de base des Forces canadiennes, des mandats de soutien qui ne cessent de s'élargir, des priorités urgentes concernant la mise sur pied d'une force et des fonctions liées aux opérations de base, la 17e Escadre a été particulièrement éprouvée dans le passé par les coupures budgétaires, les pénuries de personnel et le gel des ressources.

L'escadre apporte également une contribution impressionnante aux missions opérationnelles, puisque de 50 à 100 membres de son personnel sont soit déployés, sur le point de rentrer ou en formation en vue de repartir en tout temps.

Le fait qu'aucune activité de soutien essentielle ou activité opérationnelle ne soit compromise illustre le dévouement et le professionnalisme exceptionnels de tous les membres du personnel faisant partie de l'équipe de la défense. Toutefois, cet engagement impose un lourd tribut qui se traduit par de la frustration et de l'épuisement en milieu de travail.

La consolidation et la construction d'une nouvelle infrastructure, toutefois, ont eu une incidence immédiate et positive sur le moral des troupes parce qu'elles sont la preuve concrète de la volonté de réinvestir dans les Forces canadiennes.

À l'heure actuelle, la 17e Escadre compte près de 600 logements familiaux répartis sur trois sites dans la ville de Winnipeg. Nous prévoyons dans le futur la rationalisation et la recapitalisation de ces logements familiaux et le renforcement de l'esprit communautaire dans le but de favoriser l'entraide tout en construisant un complexe domiciliaire moderne de densité moyenne. Ce complexe accueillera nos propres mécaniciens, des services d'assurance, des coiffeurs et un bureau de poste puisque toutes ces commodités ont un sérieux besoin d'être remplacées, ainsi qu'un nouveau centre de conditionnement physique plus grand.

L'avenir se présente sous un jour extrêmement prometteur pour la 17e Escadre. Avec cette infrastructure renouvelée et les programmes de formation des équipages de classe mondiale, la 17e Escadre est bien placée pour répondre aux besoins futurs en matière de mise sur pied d'une force pour la force aérienne. En tant que seule base aérienne en milieu urbain, la 17e Escadre continue de nouer des relations étroites avec une myriade d'organisations, d'institutions et d'associations afin d'approfondir ses liens avec la collectivité et le soutien qu'elle est en mesure de lui offrir.

Le sénateur Atkins : Lors de nos déplacements, on nous a confié que les heures de vol disponibles pour les pilotes avaient été réduites en raison de restrictions financières. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur. Au fil des années, si on compare le nombre d'heures disponibles aujourd'hui avec celui d'il y a 20 ou 30 ans en arrière, il est clair qu'il a diminué. À l'époque, nous avions suffisamment d'heures pour permettre à chaque pilote d'en faire un minimum, et aussi des heures additionnelles pour offrir des services et du soutien à des clients ou encore à des organisations associées et pertinentes. Avec le temps, toutefois, le nombre d'heures de vol disponibles, et par conséquent, le nombre d'heures attribuées à chaque pilote, a été réduit. Cette réduction est le résultat d'une série d'événements interreliés, et s'explique tout particulièrement par la disponibilité des aéronefs, du nombre d'heures qui peuvent être attribuées aux aéronefs que nous possédons, et aussi par le nombre de techniciens responsables de la création et de la production de ces heures de vol. Le point important à se rappeler est que, même si le nombre d'heures est réduit, il reste que nous avons fixé un nombre minimum d'heures de vol qui, à notre avis, est nécessaire pour permettre la conduite efficace des opérations aériennes en toute sécurité pour chacun de ces pilotes.

Le sénateur Atkins : Quel est ce minimum?

Le mgén Bouchard : Le minimum varie d'un groupe à l'autre. Ainsi, un pilote de CF-18 pourrait devoir effectuer autour de 160 à 180 heures. Un pilote d'hélicoptères pourrait être assujetti à des exigences différentes de celles qui sont imposées à un pilote spécialisé dans la recherche et sauvetage. Donc, le nombre varie en fonction des aéronefs. Le nombre d'heures est établi, en fait, en fonction du nombre de séquences, de manoeuvres et d'événements qui doivent être effectués régulièrement par le pilote. Toutefois, le problème, en fin de compte, ou le défi que nous devons affronter, consiste à trouver le moyen de produire ces heures de vol dont les pilotes ont besoin pour compléter leur programme. Nous avons établi le nombre minimum d'heures pendant lesquelles ces pilotes doivent voler pour continuer de le faire en toute sécurité. C'est un fait, mais en ce moment nous n'avons pas beaucoup plus que ce minimum établi à leur offrir. La raison principale en est que nous sommes incapables de produire ou de mettre sur pied un plus grand nombre d'heures, à cause des autres problèmes que nous affronter.

Le sénateur Atkins : L'une des choses dont nous avons beaucoup entendu parler c'est la question des équipages au sol, le personnel de maintenance. Ma question porte sur deux aspects; la formation de ces équipages, d'un côté, mais aussi le fait que vous semblez connaître une pénurie de personnel compétent pour assurer l'entretien et le service des aéronefs. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Le mgén Bouchard : Certainement, monsieur. Si vous le permettez, je pourrais vous décrire certains de nos problèmes. Évidemment, durant les années 90, nous avons consenti un effort de rationalisation, et dans le cadre de cet exercice, nous avons accepté que cela pourrait inciter certains à prendre une retraite anticipée, et pour ceux qui ont décidé de rester, nous avons continué de fonctionner normalement.

Ceci fait, durant un bon bout de temps, une période de cinq à dix ans, nous avons fait très peu de recrutement parce que nous avions suffisamment de techniciens. Et par ailleurs, nous avions entrepris une restructuration déclenchée par la réduction du nombre de techniciens dont nous avions besoin. Au début, tout allait bien, parce que nous avions suffisamment de techniciens qualifiés et capables de faire leur travail.

Au fur et à mesure que ce groupe de techniciens a commencé à prendre sa retraite, nous nous sommes retrouvés avec un nouveau groupe de techniciens qui avaient besoin de formation, et pas seulement au niveau de base, mais aussi au sein de leur unité et dans la conduite des opérations. En même temps que ces pressions s'installaient, et je suis sûr que vous en avez entendu parler, le rythme des opérations à l'étranger s'est intensifié, ce qui a contribué à drainer les ressources des bases au profit des déploiements à l'étranger, en fonction des besoins. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec un groupe de techniciens relativement jeune, pour ce qui est de l'expérience, des techniciens qui essaient de progresser au-delà de la formation de base, donc de poursuivre leur formation technique et qui constatent que les superviseurs susceptibles de les épauler sont soit déployés à l'étranger ou alors très peu nombreux, parce que nous devons nous assurer aussi que nous pourrons ramener nos aéronefs au pays. Le problème que nous avons en ce moment est celui de la période de quatre à cinq ans pendant lesquels un technicien passe d'apprenti à ouvrier qualifié, et c'est précisément cette période qui nous pose des difficultés. Nous devons trouver une solution.

Nous avons mis en place un plan d'action, et nous avons pour objectif de franchir toutes les étapes du programme, si vous voulez. Donc, si un candidat s'inscrit à la première étape, à l'école de la Base des Forces canadiennes Borden, pour commencer, nous donnons au technicien une certaine base de connaissances, puis nous l'envoyons dans l'unité et une fois dans l'unité, il doit suivre le programme d'apprentissage requis pour atteindre un niveau suffisant pour obtenir une affectation et des qualifications démontrées. Premièrement, nous nous sommes aperçus que nous transférions une bonne partie du fardeau de la formation liée aux qualifications à l'unité de vol ou à l'unité opérationnelle. Nous avons donc décidé d'utiliser l'école pour améliorer la formation de base des candidats. Ils passeront donc plus de temps à l'échelon de base de sorte que les unités opérationnelles de vol n'auront pas à assumer le fardeau que représente cette partie de la formation. Donc, nous allons offrir une formation plus poussée à l'école.

Deuxièmement, en ce qui concerne la formation sur ordinateur, nous avons l'intention d'offrir une meilleure formation en technologie, un meilleur matériel didactique et un matériel plus récent afin d'améliorer l'actualité de leurs qualifications. Plutôt que de dispenser la formation sur une année, nous pourrions allonger cette période jusqu'à 17 mois, 18 mois ou même 19 mois. Ainsi, nous prévoyons alléger le fardeau imposé aux unités opérationnelles. Ce qui ne signifie pas que nous allons réduire le temps consacré à la formation du technicien, mais plutôt que nous allons transférer cette responsabilité de la formation à l'école plutôt que l'imposer à l'unité opérationnelle qui a autre chose à faire. Donc, c'est ce qui concerne l'école.

Quant aux unités elles-mêmes, de la 17e Escadre, qui acceptent ces candidats, on peut affirmer aujourd'hui qu'ils possèdent de meilleures qualifications de base que jamais auparavant. Plutôt que de voir un technicien qui, comme c'est le cas aujourd'hui, attend que l'aéronef tombe en panne pour faire certaines choses, nous avons résolu de nous concentrer sur cette formation plutôt que de l'effectuer en cours d'emploi, au fur et à mesure que les événements se produisent sur la ligne de vol, nous avons pensé offrir cette formation directement à l'élève. Ainsi, plutôt que de voir un tas de jeunes techniciens sous la supervision d'un caporal-chef ou d'un sergent travaillant sur la ligne de vol, peut-être que ces jeunes pourraient concentrer leur énergie sur les équipe de formation ou les organisations de formation au niveau de l'escadre. Donc, plutôt que de se fier sur la formation en cours d'emploi au fur et à mesure que les événements surviennent, nous envisageons d'offrir un programme de formation plus structuré, plus ciblé au niveau de l'escadre, qui a précisé sa participation. Par ailleurs, en plus de ces mesures, pour aider les étudiants à acquérir davantage de connaissances sur leurs propres aéronefs, nous avons décidé d'utiliser d'anciens aéronefs qui ne volent plus, mais qui leur servent de matériel didactique. Nous utilisons notamment un Sea King. Et récemment, nous avons décidé de prendre un aéronef Aurora et de l'utiliser à titre de véhicule de formation pour nos techniciens.

Nous nous sommes efforcés de relâcher un peu la pression sur la ligne de vol opérationnelle en offrant une meilleure formation à l'école, en mettant en place un milieu plus adapté à la formation, ce qui devrait nous permettre de nous concentrer et de réduire la quantité de formation, et en bout de ligne, devrait permettre de produire des techniciens de ligne de vol plus rapidement et plus efficacement. À l'heure actuelle, nous nous situons à quelques points de pourcentage près aux alentours 60 p. 100 de techniciens disponibles — ce qui correspond au total de notre effectif en service, les autres se trouvant en formation. Notre objectif est d'atteindre 80 p. 100, parce que chacune de nos organisations a été conçue pour pouvoir accueillir un certain nombre d'apprentis. Évidemment, elles ne sont pas en mesure de le faire à 100 p. 100, nous le comprenons, mais nous souhaitons ne pas nous trouver au taux actuel de 39 p. 100 ou de 40 p. 100, mais plutôt à celui de 15 à 17 p. 100.

Le sénateur Atkins : Accordez-vous en sous-traitance une partie de vos responsabilités en matière de maintenance?

Le mgén Bouchard : Une partie de la formation, du début à la fin, est donnée en sous-traitance, et l'autre partie est assurée par les militaires. À la Base des Forces canadiennes Borden, à l'École de technologie et du génie aérospatial des Forces canadiennes, nous faisons appel à un effectif mixte d'instructeurs civils et militaires. Dans l'organisation elle- même, on se concentre probablement davantage sur les militaires, donc nous faisons appel à un mélange des deux, monsieur. De toute évidence, certaines flottes doivent assurer un volume considérable de maintenance aussi, et je pense que vous êtes au courant.

Le sénateur Atkins : Que se passe-t-il avec les membres des forces qui prennent leur retraite, est-ce que vous les réengagez sur une base contractuelle?

Le mgén Bouchard : Oui, absolument, nous engageons certains d'entre eux. En fait, si vous vous promenez autour de la BFC Borden, près des hélicoptères Cormorant, et dans les environs de Moosejaw, vous allez constater que pas mal de techniciens ayant été recrutés par ces entreprises sont d'anciens militaires ou des militaires à la retraite. Ce sont des techniciens qui connaissaient bien leur travail, qui souhaitaient mettre un peu plus de stabilité dans leur existence et qui peut-être approchaient l'âge de la retraite; donc, oui monsieur, nous engageons une partie de ces personnes. Cependant, nous le faisons par l'entremise d'une société qui s'occupe elle-même de l'embauche.

Le sénateur Atkins : Dans ce cas, est-ce que ces techniciens reçoivent à la fois leur pension de retraite et le salaire prévu au contrat pour leurs services?

Le mgén Bouchard : D'après ce que j'en sais, leur pension de retraite est complètement indépendante de leur revenu d'emploi en tant que civil, c'est exact, monsieur. Ils reçoivent leur propre pension ou indemnité, et aussi le salaire rattaché au contrat que cette entreprise leur offre.

Le sénateur Atkins : Est-il difficile de conserver ce personnel dans la Force aérienne au fur et à mesure qu'approche l'âge de la retraite?

Le mgén Bouchard : Monsieur, selon moi, nous avons quelques-uns des meilleurs techniciens du monde. Alors c'est sûr qu'ils représentent un atout intéressant pour n'importe quelle entreprise. Ça c'est une chose. Nous avons ces techniciens compétents et capables. Leur ingéniosité est leur marque de commerce. C'est une réaction à l'industrie.

Le sénateur Atkins : Est-ce concurrentiel?

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur, c'est concurrentiel. C'est cyclique, mais c'est concurrentiel aussi. Je tiens à le mentionner parce que j'y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire. De toute évidence, l'annonce récente d'une augmentation salariale a été la bienvenue. Mais ce n'est pas seulement une question de salaire. La reconnaissance joue un rôle important pour ces techniciens. Ils n'agissent pas pour des considérations mercantiles ou pour l'argent. Ils sont plutôt motivés par l'amour de leur travail et de la Force aérienne. Il faut donc faire en sorte que ces personnes obtiennent la reconnaissance publique à laquelle elles ont droit, ainsi que la reconnaissance de nos militaires, de leurs pairs et de leurs supérieurs, mais aussi du grand public. Je sais que vous avez fait beaucoup pour nous aider dans cet effort, et nous l'apprécions. Je veux que ce soit bien clair, que ces gens ne sont pas motivés seulement par l'argent, monsieur. Il s'agit plutôt d'une question de reconnaissance et d'amour de son travail.

Le sénateur Atkins : Combien de femmes pilotes avez-vous?

Le mgén Bouchard : Je ne connais pas les chiffres exacts sur cette question, monsieur. Je vais devoir m'informer et vous revenir là-dessus. Je n'oserais même pas avancer un chiffre sur le nombre de femmes pilotes que nous avons à l'heure actuelle. Mais je vais faire des recherches et vous transmettre la réponse. Nous en avons un certain nombre dans toutes les flottes. Mon adjointe administrative, qui m'accompagne aujourd'hui, en est une soit dit en passant.

Le sénateur Atkins : Elle souriait lorsque j'ai posé la question.

Le mgén Bouchard : Oui, il y a des femmes dans tous les groupes, monsieur. Que ce soit dans le transport, la Marine, les hélicoptères tactiques et les chasseurs.

Le sénateur Atkins : Pourriez-vous nous parler des changements apportés dans la Force aérienne en vue de s'adapter au nouveau contexte de la menace?

Le mgén Bouchard : C'est une menace qui est importante, et lorsque je considère ma tâche en l'occurrence, elle consiste à fournir une puissance aérienne, finalement. Dans le cadre de mes attributions, nous devons conserver notre pertinence : pertinence en fonction de la menace, pertinence en fonction des attentes de notre gouvernement, tout en demeurant fidèles à nous-mêmes. Lorsque je considère les changements, je constate que nous nous adaptons. La période suivant les attaques du 11 septembre nous a incités à le faire. Elle nous a fait passer de l'ancien scénario de l'Europe centrale à un scénario où, même au pays, nous pourrions être forcés de faire appel à la force pour empêcher que se reproduise une catastrophe semblable à celle qui a frappé l'État de New York ce jour-là, ou qui aurait pu se produire n'importe où ailleurs dans le monde.

L'autre élément dont il faut tenir compte, c'est que la menace internationale est passée de ce modèle bipolaire associé au Traité de Varsovie, si on veut, dans un environnement marqué par l'OTAN à une menace plus décentralisée, où la menace vise plutôt la stabilité de l'ordre mondial, dans les États non viables et ceux en passe de le devenir. Il suffit de penser à l'exemple des Balkans et à d'autres nombreuses crises où nous sommes intervenus, et qui mettaient en cause des États non viables ou sur le point de le devenir. Haïti en est un autre exemple.

Nous devons nous adapter à cela aussi. Nous devons faire en sorte de nous préparer pour ce genre de menace en cours de route. Pour cela, il faut modifier quelque peu notre façon habituelle de faire les choses, mais c'est une perspective à laquelle il faut se préparer. On ne peut pas rester là, les bras ballants. Il faut changer. Il est clair que la menace est passée de ce scénario à haut niveau de l'Europe Centrale à un scénario plus décentralisé et à plus faible échelle, un scénario pour lequel il est évident que nous avons besoin de certaines capacités — dans certains cas, les mêmes, et dans d'autres, de capacités nouvelles et même parfois additionnelles.

Le sénateur Atkins : Est-ce que vous êtes pilote d'hélicoptère?

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur.

Le sénateur Atkins : Vous avez mentionné les Sea King.

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur.

Le sénateur Atkins : Êtes-vous satisfait de la décision de faire l'acquisition de nouveaux hélicoptères qui feront leur entrée graduellement et, par ailleurs, avez-vous des commentaires à formuler concernant ce qui est requis dans ces hélicoptères?

Le mgén Bouchard : Nous sommes tous très heureux de la décision ayant été prise et nous allons procéder au remplacement graduel du Sea King. Nous applaudissons cette décision. Nous sommes impatients de pouvoir travailler avec le Cyclone, ou le Sikorsky.

Nous avons des équipages, bien entendu, et je suis moi-même pilote d'hélicoptère, mais nous avons aussi des pilotes d'hélicoptères qui possèdent les qualifications nécessaires pour déterminer le type de systèmes dont devraient être équipés ces hélicoptères. Je suis persuadé que l'on nous écoutera lorsque viendra le moment de décider quels sont les besoins concernant ce type d'aéronef, et ces besoins seront satisfaits.

Le vice-président : Sénateur, une autre question, s'il vous plaît.

Le sénateur Atkins : Quelles sont, à votre avis, les capacités de base essentielles de la Force aérienne?

Le mgén Bouchard : L'essence même de la Force aérienne canadienne comporte trois volets. Le premier consiste à projeter de la puissance quand le besoin est. Le deuxième consiste à déplacer le matériel et le personnel là où c'est nécessaire. Et le troisième concerne la reconnaissance, la surveillance et le renseignement.

Ceci dit, permettez-moi d'insister sur certaines capacités. De toute évidence, le CF-18 convient très bien pour ce qui est de la projection de puissance. Il faut évaluer les exigences relatives aux CF-18 afin de continuer à remplir cet objectif en matière de projection de puissance, parce qu'il se pourrait que les anciennes cibles qui étaient des bombardiers soviétique ou russes soient totalement différentes aujourd'hui. Peut-être faudrait-il se concentrer aussi sur les cibles air- air, en plus de voir au soutien de nos forces terrestres dans le cadre de leurs missions; donc, voilà pour ce qui est de la projection de puissance.

Pour ce qui est du transport, il couvre toute la gamme des exigences en matière de mobilité aérienne, qu'il s'agisse du transport stratégique sur de longues distances, du transport des grosses cargaisons sur de longues distances, et du transport de matériel hors-format, en passant par des exigences plus tactiques, qui font appel aux aéronefs CC-130 Hercules. Je crois que vous avez l'intention de vous rendre à Kaboul, vous aurez donc l'occasion de voir par vous- mêmes l'aspect tactique de ces transports aériens. Nous devons aussi répondre à divers besoins au Canada, qu'il s'agisse du transport dans le Nord, des problèmes à l'échelle nationale, ou de la recherche et sauvetage. Je pourrais étendre ces besoins d'assistance ou de mobilité aérienne aux hélicoptères. Ce sont là des capacités fondamentales.

Le troisième volet porte sur le renseignement, la surveillance et la reconnaissance. Nous devons surveiller trois océans, une longue frontière, beaucoup d'eaux côtières et de zones côtières. Il est important d'être en mesure de fournir cette capacité, que ce soit à l'aide d'hélicoptères ou d'aéronefs à voilure fixe, et que ces aéronefs à voilure fixe soient dotés d'un équipage ou, comme peut-être ce sera le cas dans le futur, sans équipage.

Quant je pense à nos capacités fondamentales, je les retrouve notamment dans le CF-18, et je pense à nos capacités en matière de mobilité aérienne, et à nos capacités en matière de surveillance qui sont présentes dans les hélicoptères Sea King, et aussi dans les patrouilles maritimes. De toute évidence, elles ont d'autres rôles aussi, et je les considère également. Je tiens compte aussi du soutien offert par les hélicoptères. Ce sont là, à mon avis, les capacités fondamentales.

J'aimerais ajouter un point, si vous le permettez, monsieur. Mon approche repose sur l'effet produit. S'il est nécessaire de surveiller quelque chose, de l'examiner ou de l'identifier, ce n'est pas parce que cette chose se trouve sur l'océan que seul un Aurora peut s'en occuper. Je pense que nous devrions évaluer tout ce qui doit faire l'objet d'une surveillance et à l'intérieur de quelle période de temps. Il se pourrait bien qu'un pilote de CF-18 puisse faire le travail, ou encore un hélicoptère déployé sur un navire. Nous tâchons d'évaluer la situation en adoptant une approche décloisonnée, en tenant compte du résultat souhaité. Mon travail consiste justement à transformer les capacités en résultats souhaités.

Le sénateur Atkins : Je pense que pour devenir pilote d'hélicoptère, il faut d'abord être un pilote régulier. Est-ce que ça signifie que les pilotes d'hélicoptères sont plus efficaces, plus efficients et plus qualifiés que les pilotes ordinaires? Je vous pose la question parce que je sais que le général Stu McDonald adorerait entendre la réponse.

Le mgén Bouchard : Sénateur, sans aucun doute.

Le sénateur Atkins : Merci.

Le mgén Bouchard : Et, sincèrement, monsieur, j'ai répondu spécialement pour le général McDonald.

Le sénateur Atkins : Bonne réponse.

Le mgén Bouchard : Chacun de ces aéronefs et de ces hélicoptères exige des compétences très particulières, et chacun est très spécial, monsieur, chacun d'eux.

Le sénateur Atkins : Très bien.

Le vice-président : La publicité affirme qu'une sacrée équipe d'hommes et de femmes accomplit un sacré boulot.

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur.

Le sénateur Meighen : Bienvenue, messieurs.

[Français]

Général Bouchard, je vois que vous êtes né à Chicoutimi. C'est donc un vrai bleuet qui nous parle aujourd'hui.

Mgén. Bouchard : Oui, monsieur.

Le sénateur Meighen : Tant mieux.

[Traduction]

Au comité, nous sommes loin d'être des spécialistes, mais nous avons beaucoup entendu parler des unités aériennes expéditionnaires, de la nécessité d'assurer leur capacité de déploiement, de soutien et de durabilité. Puis-je demander à l'un d'entre vous, ou aux deux, de développer un peu ce concept? Par exemple, compte tenu de la puissance actuelle de la Force aérienne, quel effectif peut-elle soutenir à l'étranger sur une base permanente et quelle est sa capacité d'appoint, si elle existe? Vous pouvez me donner des chiffres approximatifs.

Le mgén Bouchard : Comme je suis originaire de Chicoutimi, j'ai un peu de difficulté à aligner ces trois mots. La Force aérienne expéditionnaire, la FAE, est un concept de force rapidement déployable. Certes, la FAE est une flotte d'aéronefs — 6 CF-18, 2 Aurora, 2 Sea King, 6 hélicoptères Griffin et 2 C-130 —, mais l'important est que cette force d'attaque peut être déployée. C'est beaucoup plus qu'un groupe d'aéronefs.

Le sénateur Meighen : C'est un peu comme un forfait?

Le mgén Bouchard : Tout à fait. La Force comprend des pilotes et des techniciens, et la capacité de soutien nécessaire. Dépendant du lieu de déploiement, on pourrait y trouver des membres de la police militaire, des cuisiniers, un commis des postes, des ingénieurs.

Nous possédons cette capacité. Nous avons une force déployable. Nous avons des techniciens et une capacité de soutien, et tous ces éléments sont soutenus par un commandement qui voit à maintenir la cohésion nécessaire.

Toutes ces capacités mises ensemble, qui composent le forfait — de six éléments, ou de deux, selon le cas —, doivent être déployables relativement rapidement, et il faut être en mesure d'en assurer le soutien. C'est le but. Bien évidemment, l'aspect du soutien est assez intéressant. Vous avez posé une question au sujet du soutien et de notre capacité d'appoint. Laissez-moi vous donner un exemple.

Notre flotte d'Hercules C-130, comme vous le savez, se trouve actuellement au Moyen-Orient, à Kaboul, à la disposition du commandant. Avant Noël, c'est le colonel Kummel qui commandait les troupes. La force déployée est soutenue. Elle est à Kaboul depuis un moment déjà, et nous avons été en mesure de fournir le soutien nécessaire. Dans ce cas, l'élément FAE est un forfait de deux éléments, soit un duo de C-130. Ils s'y trouvent de façon prolongée, et nous assurons la rotation des équipes. Nous avons cette capacité actuellement. Plus précisément, cette mission a été confiée à la 8e Escadre Trenton, que vous avez visitée, je crois.

Nous avons envisagé toutes les possibilités, pour déterminer quelle était notre capacité d'appoint. Nous avons pensé aux C-130 de la Force aérienne. Nous savions que le 435e Escadron, ici même à Winnipeg, avait des C-130 disponibles. C'est là que nous avons trouvé notre capacité d'appoint, si vous voulez. Nous avons donc assigné la 8e Escadre Trenton au soutien des opérations au Moyen-Orient, et nous avons également mis sur pied une capacité de recherche, pour parer à la demande à relativement brève échéance. Tout cela n'est pas gratuit, sénateur. Nous ne pouvons pas agir sur tous les fronts en même temps. Si nous avons besoin d'une capacité de recherche ailleurs, elle s'accompagne nécessairement de besoins de ravitaillement en vol, de recherche et de sauvetage. Si je dois déployer des troupes pour une mission de recherche ailleurs, le déploiement se fera pour une période assez limitée, à moins qu'on n'accepte que ces troupes seront absentes pour une longue période, disons entre 90 et 180 jours. Nous devrions dans ce cas prendre les mesures nécessaires pour que d'autres troupes assurent la relève en recherche et sauvetage, en nous accommodant d'une capacité réduite sur le plan du ravitaillement en vol, par exemple.

Toutes les flottes ont cette capacité, mais chacune présente ses propres exigences sur les plans opérationnels et techniques. Chacune offre une capacité d'assistance qui lui est propre.

Pour ce qui est de la question du nombre, monsieur, j'ai un peu plus de difficulté à répondre. Très franchement, nous n'en sommes pas là par rapport à cet élément. Très approximativement, je pourrais dire environ 800 membres. Je dis 800 à cause du ratio 4 pour 1 que nous appliquons pour constituer les équipages : pour 1 membre déployé, 4 restent au pays pour assurer le soutien. Si 800 membres sont déployés, il en faut 4 000 autres pour le soutien. Ce sont donc 800 membres qui partent. Je dois disposer d'un aéronef pour le voyage, d'un aéronef en repos et de deux autres. Nous ne pouvons pas déployer tout le personnel en même temps pour une mission à l'étranger, pour ne pas avoir à le retourner aussitôt après le retour au pays. Il faut également prévoir la capacité nécessaire pour combler les besoins nationaux. Dans le cas de la Force aérienne, les concepts de mise sur pied et d'emploi d'une force sont étroitement liés.

La tâche est ardue, ce qui n'enlève rien à mes collègues de l'Armée. Le fait est que les bataillons d'infanterie ne peuvent pas accomplir certaines tâches au Canada. Quand nous rapatrions nos C-130 ou nos hélicoptères, ils ne sont pas remisés — il reste du travail à faire. Je dois m'occuper des affaires intérieures tout en soutenant les opérations aériennes. J'ai avancé un nombre approximatif qui tient compte de tous ces aspects.

Le sénateur Meighen : Pourriez-vous vous acquitter de toutes vos missions avec un nombre moindre d'appareils? Pourriez-vous en regrouper trois ou quatre sans nuire à la capacité?

Le mgén Bouchard : Mon rôle et ma mission sont d'accomplir le travail à faire dans les cadres qui me sont donnés. L'appréciation des diverses possibilités de restructuration relève de mon chef, le général Ken Pennie, le chef d'état- major de la Force aérienne. Nous avons un certain nombre de missions à remplir, et nous faisons de notre mieux pour donner le soutien nécessaire.

Le sénateur Meighen : Le comité a eu le privilège de visiter l'un de vos hélicoptères Cormorant le mois dernier, à St. John's, Terre-Neuve. Nul besoin de préciser que nous avons été fort impressionnés par le dévouement du personnel. Cependant, ceux que nous avons rencontrés nous ont fait part des contraintes opérationnelles imposées pour ce modèle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'état de la situation? Est-ce que les contraintes seront bientôt levées?

Le mgén Bouchard : Comme vous le savez, nous avons décelé des fissures dans le système du rotor de queue des Cormorant. La première fois que ce problème est apparu — la fissure était assez importante —, nous avons dû faire un examen approfondi de l'appareil. En ma qualité de commandant de division aérienne, il m'incombe de vérifier la navigabilité opérationnelle des aéronefs. Si un aéronef vole au Canada, je suis responsable de sa navigabilité opérationnelle. Quand nous avons constaté, au cours de l'examen, que les fissures étaient assez profondes, nous avons constitué une équipe d'évaluation du risque. Ce processus très rigoureux exige de définir les risques et les méthodes pour les évaluer. Après cet examen, nous avons imposé une première restriction — c'est moi qui l'ai ordonnée — concernant la vitesse maximale en vol, de même que la vitesse ascensionnelle. Nous avons imposé cette restriction à partir de données techniques qui nous indiquent que la fréquence des fissures augmente à plus haute vitesse et à des altitudes plus élevées.

Pour l'instant, le problème est que nous ne connaissons pas l'origine de ces fissures. Je ne sais pas ce qui les provoque, mais nous avons mis beaucoup de techniciens et d'ingénieurs sur la piste. Cela dit, nous avons suivi une démarche rigoureuse, et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait atténuer les risques connus, en réduisant les facteurs augmentant la fréquence des problèmes. C'est ce que nous avons fait. La première restriction a été imposée pour les 30 premiers jours d'opération réelle, parce que le problème est sérieux.

Le sénateur Meighen : Vous avez interrompu la formation?

Le mgén Bouchard : J'ai interrompu la formation les 30 premiers jours, y compris l'entraînement de base et l'entraînement périodique. Pendant un mois, nous avons vérifié toutes les pièces, nous les avons analysées, disséquées, passées aux rayons X. Nous avons fait des tests et encore des tests. Nous avons ensuite cherché des solutions, compte tenu de la fréquence d'apparition des fissures. C'est l'autre partie du problème. Certaines fissures se forment après dix heures, d'autres après 400 heures. Il n'y a pas vraiment de constante. Je ne peux pas ordonner de remplacer telle pièce après 200 heures, parce qu'elles apparaissent selon un schéma assez aléatoire. Nous avons constaté ce caractère aléatoire non seulement pour le nombre d'heures de vol, mais aussi pour la direction des fissures. Nous ne pouvons pas prédire de façon précise et logique qu'une fissure se formera et qu'elle prendra telle direction. C'est une difficulté supplémentaire.

Nous avons ensuite imposé des restrictions au nombre d'heures d'utilisation. En plus de restreindre les modalités d'opération, nous avons ordonné des inspections après deux heures de vol. Cette restriction, approuvée par les autorités techniques, a été imposée parce que nous étions convaincus, et c'est encore le cas, de pouvoir détecter la formation de fissures avant qu'elles n'atteignent un seuil critique. C'est la justification des restrictions, qui font partie des moyens dont je dispose pour atténuer les risques. J'avais le choix entre imposer ces restrictions ou annuler complètement les exercices en vol. C'était le deuxième stade prévu après 30 jours. Nous avons rétabli les entraînements périodiques. C'était à la mi-novembre. En janvier, nous avons rétabli les activités d'entraînement opérationnel de base et autres activités connexes.

Sur le plan technique, c'est le Directeur général - Gestion du programme d'équipement aérospatial qui dirige les échanges, la maintenance de troisième niveau, en atelier et par le fabricant. Notamment, nous avons fait venir des techniciens de Westland Helicopters à Ottawa. Nous avons participé au comité directeur à leurs côtés en décembre dernier, et les discussions se poursuivent. Je dois rencontrer le pilote d'essai de cette société lundi prochain pour discuter avec lui de certains points. Le dialogue se poursuit à ce niveau.

Bref, la situation actuelle est la suivante : des restrictions sont en vigueur, et je ne prévois pas les lever tant que nous n'aurons pas mis le doigt sur la cause exacte, ou du moins envisagé une remise à neuf ou une modification de l'aéronef. Entre-temps, le fabricant travaille à la remise à neuf. Nous pourrions vous donner le détail technique mais, quoi qu'il en soit, c'est une démarche différente de celle de la fabrication et de l'approvisionnement. Nous devrions commencer à recevoir certaines des pièces à compter de l'été prochain, ce qui pourrait nous permettre de lever la restriction. Mais je devrai décider à ce moment. À long terme, il faudra peut-être envisager la modification complète du rotor de queue. Mais je me garde bien de faire des prédictions à cet égard parce que je ne suis pas ingénieur chez le fabricant. De mon côté, je maintiens les restrictions, en attendant les pièces remises à neuf l'été prochain, et je reste en contact avec le fabricant.

Le sénateur Meighen : Des aéronefs Aurora ont été envoyés en mission d'appui dans la région de la Méditerranée à l'automne 2004, si mes renseignements sont exacts, pendant trois mois environ. Pourquoi la mission a-t-elle été interrompue plus rapidement que prévu?

Le mgén Bouchard : Si ma réponse est trop longue, vous allez m'en informer, j'imagine?

Le sénateur Meighen : Ce sera au président de voir. Je suis plutôt de nature bienveillante.

Le mgén Bouchard : Je dois tenir compte de tous les besoins. Notre flotte compte 18 appareils Aurora opérationnels. Deux servent à l'entraînement des pilotes, et ne sont donc pas dotés des programmes électroniques secondaires. C'est l'un des signes que cette flotte vieillissante a besoin de réparations.

Le sénateur Meighen : Je savais bien que vous alliez y arriver.

Le mgén Bouchard : Comme vous le savez, une flotte en temps normal compte un tiers d'appareils sous maintenance et deux tiers disponibles, pour maintenir un taux de disponibilité convenable. C'est suffisant.

Le sénateur Meighen : Est-ce le contraire?

Le mgén Bouchard : Oui, en effet. Actuellement, nous fonctionnons avec cinq, six, peut-être sept aéronefs. En plus — le sénateur m'a demandé comment nous envisageons la modernisation et ce que nous faisons à cet égard —, nous avons décidé, à partir du Programme de modernisation progressive de l'Aurora, le PMPA, d'augmenter les fonctionnalités en ajoutant une instrumentation électro-optique, ou IEO.

Le président suppléant : Général, ces acronymes vont vous coûter cher. Voyez-vous, le public lit les comptes rendus. Faites attention. Nous leur disons de faire payer directement ceux qui utilisent des d'acronymes.

Le mgén Bouchard : Toutes mes excuses. Nous voulions également installer deux systèmes électro-optique sur ce modèle, de sorte qu'un appareil de plus a été retiré pour qu'on puisse y installer le système. Pour conserver notre capacité à remplir nos missions au Canada tout en régénérant la force — ce qui veut dire former de nouveaux pilotes et de nouveaux équipages —, nous avons décidé d'envoyer l'aéronef à l'atelier plutôt que de le garder déployé. Notre capacité de surveillance électro-optique sera donc améliorée d'ici l'an prochain, ce qui est plus tôt que prévu.

Le sénateur Meighen : Vous avez donc dû interrompre la mission plus tôt?

Le mgén Bouchard : La durée prévue était de 60 jours.

Le sénateur Meighen : Vraiment?

Le mgén Bouchard : Vraiment. Notre participation, selon la note d'information et le calendrier que j'ai reçus, était de 60 jours.

Le sénateur Meighen : Vous êtes restés plus de 60 jours?

Le mgén Bouchard : C'était 60 ou 90 jours. Je devrai confirmer, mais je sais que la mission a été répartie en deux moitiés. Greenwood en a fait la moitié et Comox a fait la deuxième. Pour ce qui nous concerne, nous avons remploi notre engagement au complet. Nous n'avons pas coupé court à notre mission.

Le sénateur Meighen : Merci.

Le sénateur Munson : Colonel Kummel, si mon fils de 17 ans tombait sur vos 4 pages, il dirait certainement quelque chose comme : « Papa, tout est parfait. » Je suis certain que ce sont les mots qu'il utiliserait : « Tout est parfait, du début à la fin. » Vous utilisez des mots comme produit exceptionnel, dévouement et professionnalisme exceptionnels, extrêmement positif. Quand vous vous adressez à nous... Nous aimons savoir ce qui va bien, c'est toujours bon à entendre, mais nous cherchons également ce qui va moins bien, les petits détails. Vous nous avez dit, par exemple, que la 17e Escadre avait particulièrement souffert des compressions budgétaires, de la réduction des effectifs et du gel des ressources. Est-ce chose du passé ou en subit-elle encore les conséquences actuellement? Qu'est-ce qui peut être fait pour alléger vos problèmes?

Le col Kummel : Pour ce qui concerne la 17e Escadre, les carences ont trait surtout à l'effectif. Nous y avons déjà fait allusion, les pénuries touchent notamment les secteurs techniques — nous manquons de techniciens. Toutefois, notre programme d'instruction tire profit de certaines de nos opérations pour accélérer les choses autant que faire se peut. Nous avons également des préoccupations concernant l'équipe de défense formée suivant le concept de la force totale, qui prévoit l'affectation de réservistes pour combler certains de nos postes. Il arrive que nous ayons des tâches que le personnel de la Force régulière ne peut faire et que, à cause de restrictions budgétaires ou de l'insuffisance de l'effectif à temps plein ou à temps partiel de la Réserve, nous ayons un problème à trouver des gens compétents.

C'est le genre de situation qui nous oblige à en demander un peu plus à nos effectifs. Certes, ils nous donnent cet effort supplémentaire, ils acceptent de faire des heures supplémentaires. Nous pouvons compter sur leur dévouement. C'est ce qu'on pourrait appeler une capacité d'appoint, mais il est clair qu'on ne pourra pas leur demander de maintenir ce rythme. Il ne faut pas faire une norme du travail supplémentaire les fins de semaine.

La 17e Escadre, j'en ai parlé aussi, a été regroupée avec le secteur sud, ce dont nous nous réjouissons. Cela nous a permis de construire, à titre d'exemple, un nouvel édifice consacré à la logistique. Ces installations à vocation unique nous permettent d'économiser puisque les services de génie électrique et mécanique, de transport et d'approvisionnement sont réunis sous un même toit. Au sud, il y avait trois édifices. Ce sont des investissements très rentables, et je sais que d'autres escadres nous envient beaucoup. C'est l'autre côté de la médaille. Comme je l'ai dit déjà, il y a des signes tangibles de progrès.

Le sénateur Munson : Vous dites que les gens travaillent 365 jours par année. Pouvez-vous mettre des chiffres sur la pénurie de personnel?

Le col Kummel : Tout dépend de la main-d'oeuvre disponible. Je dirais que les taux varient de mois en mois. Tout le monde ne travaille pas 365 jours par année, mais nous aimerions que certains fassent de moins longues semaines. Nous nous efforçons de nous en tenir à des semaines de 40 heures, mais il faut parer aux périodes plus intenses, dont la période d'affectations, notamment, qui nous fait perdre beaucoup de membres qualifiés.

Certains équipages d'aéronefs perdent leur commandant et des copilotes aller en entraînement, de sorte que les autres commandants doivent faire des heures supplémentaires jusqu'à ce que le nouveau personnel puisse prendre la relève. Comme nous arrivons tout juste à assurer le minimum, ce problème s'ajoute aux autres.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de la Réserve. Quel devrait être son rôle à l'avenir, à votre avis?

Le col Kummel : Je crois que nous sommes assez près déjà de cet avenir. Si vous me donniez une enveloppe qui ne m'obligerait pas à restreindre l'embauche, comme c'est le cas en ce moment, nous irions très loin. Je souscris tout à fait au concept de la force totale, qui met la Réserve sur le même pied que nous, dans un même effort. Notre effectif est vieillissant. Quand nos membres prennent leur retraite du service actif ou courant, nous perdons un extraordinaire capital de compétences, qu'il faudra remplacer — les postulants sont déjà en formation — dans les années à venir. Le fait de pouvoir engager des réservistes et de leur donner l'occasion de travailler avec nous est un bénéfice supplémentaire. Certains postes de réservistes peuvent même s'étendre sur deux ou trois ans.

Le sénateur Munson : Tout à l'heure, nous avons écouté le professeur Fergusson. Il a parlé très judicieusement du fait que le champ de bataille se rapprochait de plus en plus de la maison. Il a parlé des nouvelles technologies. J'ai été intéressé d'entendre que nous étions entrés dans une nouvelle ère pour ce qui est des méthodes de guerre, même si on sait bien que les carabines et les bottes seront toujours là. Pour ce qui est de la Force aérienne — vous avez probablement tous les deux le pied déjà bien ancré dans l'âge des technologies de pointe —, comment pourrez-vous améliorer votre capacité à faire face aux nouveaux défis dont M. Fergusson a parlé? Avez-vous entendu son témoignage? Il était truffé de termes comme défense contre les missiles balistiques, radars, et tutti quanti.

Le col Kummel : Je peux résumer brièvement comment nous préparons l'avenir à l'École des études aérospatiales. Les méthodes d'instruction, qu'on pourrait baptiser laboratoire de bataille.net, sont essentiellement axées sur l'information. Nos jeunes officiers sont exposés à cette nouvelle façon d'envisager le combat et à la technologie très tôt dans leur carrière. Ils ont le temps de développer leur vision en trois dimensions puisque la graine est semée très tôt dans un cadre axé sur les forces de coalition. Ils peuvent ensuite appliquer ces concepts aux fonctions qui leur seront confiées dans la zone d'attaque.

Depuis quelques années déjà, nous concevons l'instruction dans cette optique. Nous collaborons avec des centres d'études stratégiques comme celui de l'Université du Manitoba, où travaille M. Fergusson, qui nous aident à aller plus loin en ce sens.

Le mgén Bouchard : C'est un mouvement de fond, vous avez raison. Les progrès touchent les postes de pilotage, parce que les aéronefs rudimentaires à la vapeur ont été remplacés par des systèmes de pilotage informatisés — les aéronefs sont à commande informatisée. Ils touchent aussi les liens entre les technologies : les pilotes d'aéronef commandent et contrôlent ce que j'appellerai une unité appuyée; la Marine et l'Armée sont liées par voie électronique pour mener leurs missions. Par ailleurs, nous utilisons déjà certains systèmes spatiaux comme les satellites de surveillance, de communication, de commande et de contrôle, des technologies qui nous catapultent dans le futur. Essentiellement, le progrès réside dans la capacité de réseautage et la centralisation de l'information, pour que tous puissent avoir accès à un bassin de données unique, de sorte que l'effort collectif soit parfaitement unifié. Ce sont des perspectives tout à fait emballantes, et j'espère que c'est ce que ressentent également nos petits nouveaux.

Le sénateur Munson : J'ai une petite question très terre à terre concernant les pièces de rechange. Au cours de nos voyages d'un océan à l'autre, nous avons entendu toutes sortes d'histoires concernant des aéronefs confinés parce qu'on n'a pas les pièces de rechange pour les réparer. Alors que j'étais reporter pour CTV, en 1995, c'était il y a 10 ans — le temps passe vite—, il m'est déjà arrivé de ne pas reconnaître le pilote quand il est sorti de l'avion ou de l'hélicoptère parce que son uniforme était couvert de cambouis. Cette histoire remonte à dix ans. Les choses se sont- elles améliorées pour des hommes comme lui, en langage civil?

Le mgén Bouchard : Nous manquons de pièces de rechange parce que les budgets nationaux d'approvisionnement sont insuffisants. Je crois que personne ne sera étonné, et nous l'avons répété à quelques reprises, d'entendre que le budget national d'approvisionnement est insuffisant.

Le sénateur Munson : Insuffisant?

Le mgén Bouchard : Nous n'avons pas assez d'argent pour renflouer les stocks. L'autre problème a trait à la disponibilité des pièces. Ce sont de vieux aéronefs — les C-130 ont 40 ans, les Sea King ont 42 ans, et nous avons de plus en plus de difficulté à trouver les pièces. C'est plus grave encore quand nous constatons l'apparition d'un nouveau problème dû à l'âge de l'aéronef.

Par exemple, entre le moment où la pièce est commandée et le moment où on la reçoit, il peut s'écouler entre 1 ou 2 années, comme nous l'avons vécu pour certaines pièces de la flotte de Hercules C-130. Et les coûts sont à l'avenant. Plus un appareil est vieux, plus les bris sont fréquents et plus nous avons besoin de pièces de rechange. Il est donc indéniable que nous avons un problème de pièces de rechange.

Le sénateur Munson : Je sais que les Canadiens adorent les symboles, mais je pose quand même la question : Avons- nous les moyens de garder les Snowbirds?

Le mgén Bouchard : Je suis très fier des Snowbirds, comme tous mes compatriotes. Leur rôle est important, pas seulement du point de vue militaire. Ils représentent une icône pour les Canadiens, ils renforcent notre sentiment d'identité. Chaque fois qu'on se demande si nous avons les moyens d'entretenir les Snowbirds, il faut le faire dans un cadre qui dépasse celui de la Division aérienne. Il faut se demander ce que notre pays veut. Voulons-nous, en tant que nation, conserver les Snowbirds?

Le sénateur Meighen : Le seul aspect que nous n'avons pas abordé est celui du rôle de la Réserve.

Le sénateur Munson : La Réserve aérienne? Nous en avons parlé un peu.

Le sénateur Meighen : Je suis désolé. La question met en cause autant la Force aérienne que les deux autres éléments. Les opinions varient concernant la ligne d'action. D'aucuns pensent qu'il faut retourner à la case départ et revoir l'ensemble de la question, y compris le fait qu'on donne aux réservistes le choix de travailler ou non.

Le mgén Bouchard : C'est une question qui m'intéresse, à cause de mes antécédents. J'ai travaillé trois ans pour la National Guard, et mes patrons aux États-Unis étaient des réservistes. C'était la façon de faire là-bas.

Le sénateur Meighen : Ils sont tenus de se présenter si le président en donne l'ordre?

Le mgén Bouchard : Oui, si le président l'ordonne. Après les événements du 11 septembre, ils ont été appelés en service. Ici, nous devrions considérer les réservistes non seulement comme des remplaçants d'une personne en particulier en cas de maladie ou de congé. Il faut également considérer la totalité des sous-unités ou des unités, en raison de l'esprit de corps et de l'esprit d'équipe qui s'y créent. Ces deux aspects forment un tout à mon avis. Cependant, dans notre façon de voir, il faut trouver l'équilibre entre ces deux rôles.

Nous devons également nous assurer que nos processus, en constante évolution, conviennent également à la Réserve. Elle représente un actif inestimable, à cause de l'expérience de ses membres et de la souplesse accrue qu'elle nous apporte, ce qui ne va pas sans certaines limites. L'exercice a été fait à certains endroits. À bien des endroits, peut- être serait-il plus approprié de raccourcir les périodes de déploiement de six mois, de faire des rotations plus fréquentes. Tout dépend de l'objectif d'une mission, ce qui doit être fait et où, mais la souplesse d'intervention en serait améliorée.

Sur la scène nationale, il est crucial, urgent même, de poursuivre notre collaboration avec la Réserve. Elle joue un rôle fondamental. Les réservistes font partie intégrante de l'équipe. Les membres de notre équipe forment un tout, c'est une globalité, et les réservistes nous donnent la souplesse dont nous avons besoin.

Le sénateur Meighen : À votre avis, quel est l'état de la situation? La Force aérienne a-t-elle fait quelque progrès pour réduire les délais, incroyables dans certains cas, de transfert de la Réserve à la Force régulière, ou vice versa?

Le mgén Bouchard : Ces délais sont en effet décourageants sur le plan personnel. Ils ont pour effet de démotiver les candidats. La Force aérienne s'est efforcée, ou du moins elle a commencé le travail en ce sens, de donner le soutien du programme à tous ceux qui veulent réintégrer la Force régulière ou la Réserve. Je sais par ailleurs que certaines difficultés de réintégration sont dues aux restrictions et aux obstacles inhérents au système de recrutement lui-même. Le sous-ministre adjoint (Ressources humaines — Militaires), le SMA(RH-Mil), cherche actuellement des solutions.

Le sénateur Meighen : Je ne veux pas être trop critique, mais j'ai déjà affirmé dans un autre contexte que, si on nous donnait 5 cents chaque fois qu'on nous dit qu'on s'occupe d'un problème, nous serions très riches. C'est un problème qui dure depuis longtemps. L'essentiel à retenir, comme vous l'avez évoqué, est qu'il existe une procédure de recrutement, un protocole ou appelez-le comme vous voulez, qui ne semble pas adapté aux cas des candidats dont on sait déjà tout, qui ont été formés récemment. Il semble que le système ne permette pas de retrouver et de traiter rapidement leurs dossiers. Je suis quand même content de vous entendre dire que vous vous en occupez.

Le mgén Bouchard : Monsieur, je ne m'en occupe pas personnellement. La Division m'occupe déjà à temps plein.

Le sénateur Meighen : Si vous parvenez à une solution heureuse dans un délai relativement court, je suis certain que tous en bénéficieront.

Le mgén Bouchard : Oui, monsieur.

Le président suppléant : Merci, sénateur. Le sénateur Atkins voudrait faire un bref commentaire.

Le sénateur Atkins : Vous avez certainement eu l'occasion de réfléchir à l'annonce du gouvernement concernant l'ajout de 5 000 recrues d'ici 5 ans. Si vous aviez le choix, en admettant que l'Armée de terre aura probablement la part du lion, combien de ces recrues voudriez-vous pour la Force aérienne?

Le mgén Bouchard : J'admets tout à fait que 3 000 des 5 000 recrues devraient être dirigées vers l'Armée de terre. C'est la bonne décision. L'Armée a besoin de toute l'aide disponible pour soutenir le rythme accéléré de ses opérations. Je crois par ailleurs que nous devons continuer d'appliquer le concept de la force aérienne expéditionnaire pour assurer la viabilité de la Force aérienne.

Avant de donner des chiffres, nous devrons faire un bilan sérieux des pénuries et des carences au sein de notre Force, établir notre effectif actuel et quels sont nos besoins pour constituer une FAE. Il est primordial pour nous de déterminer combien de recrues — sur le nombre évoqué par le sénateur Meighen — nous sont nécessaires pour constituer une force viable, et de faire valoir notre demande une fois que nous aurons fait notre analyse et que nous connaîtrons nos besoins exacts.

Le sénateur Atkins : Si on vous proposait de remplacer les Hercules C-130, quel type d'aéronef choisiriez-vous?

Le mgén Bouchard : Monsieur, répondre à cette question sans vous donner le contexte ne rendrait pas justice au problème global de l'aéromobilité. Comme je l'ai déjà dit, nos besoins en matière d'aéromobilité, qui sont actuellement à l'étude sous la gouverne du chef d'état-major de la Force aérienne, ne concernent pas un seul type d'aéronef, mais plutôt la capacité globale. Nous avons besoin d'aéronefs à long terme pour le transport des personnes et du matériel sur de longues distances, à plus haute vitesse. Nous devons aussi transporter des bagages à l'extérieur sur de longues distances. Nous devons également nous acquitter des opérations tactiques, de même que des opérations de recherche et sauvetage au nord. Ce sont des tâches très différentes, et il serait surprenant qu'un seul appareil puisse les remplir toutes parce que chaque type d'appareil possède des caractéristiques et une nature qui lui sont propres, et que les besoins changent à chaque opération.

Il n'est pas juste d'envisager le problème du remplacement appareil par appareil. Il faut adopter une vision large, et je sais que c'est ce que font mes supérieurs actuellement. Une fois que nous aurons bien cerné nos besoins de transport sur longue distance, nos besoins tactiques et sur de courtes distances, liés à la fois à la flotte d'aéronefs à voilure fixe et à celle des hélicoptères, alors nous pourrons comparer les options qui s'offrent à nous pour remplacer non seulement les C-130, mais d'autres appareils selon nos besoins d'ensemble.

Le sénateur Atkins : Je suis d'accord, mais vous avez dit tout à l'heure que les Hercules ont 40 ans. Tôt ou tard, le gouvernement devra prendre une décision. Pouvez-vous admettre que les Hercules ont donné ce qu'ils avaient à donner?

Le mgén Bouchard : Ils nous ont bien servis et ils continuent de le faire. Quand un aéronef a 40 ans, on peut penser que beaucoup de ses pièces ont été remplacées. Les pièces n'ont pas toutes 40 ans. J'espère que vous comprenez que l'appareil demeure tout à fait sécuritaire. À mon sens, la question n'est pas tant de le remplacer que de savoir s'il continue de satisfaire à nos besoins en matière d'aéromobilité. Il se pourrait bien qu'on en vienne à la conclusion qu'un seul type d'appareil ne suffira pas, ou qu'il n'est pas nécessaire d'être propriétaire des appareils, ou d'un type d'appareil en particulier.

Le sénateur Atkins : Vous avez raison, mais il reste que les appareils de la Force aérienne ont des bris mécaniques de plus en plus fréquents. Combien de temps encore pourra-t-elle endurer cette situation?

Le mgén Bouchard : Pour ma part, je ferai du mieux que je peux avec les ressources qu'on me confie. Mon travail consiste à les maintenir fonctionnels. Je sais que je peux compter sur mes équipes pour maintenir les appareils en état de voler, et c'est ce qui est le plus important : pouvoir compter sur les gens pour faire le travail qu'il y a à faire.

Le sénateur Munson : Monsieur le président, j'ai un commentaire. En juin, nous irons à Kaboul. J'y suis allé à quelques reprises. Les membres du comité apprécieront vraiment le vol allez retour sur Kaboul à bord des avions Hercules.

Le mgén Bouchard : Oui, vous serez agréablement surpris. Comme je suis pilote d'hélicoptère, je suis habitué à voler à basse altitude. Je savais bien que les C-130 pouvaient répondre de cette façon, mais j'ai été tout de même impressionné. Je vous garantis, cher sénateur, que ma foi en ces aéronefs a été confirmée, aussi bien que dans le personnel hautement qualifié qui les pilote.

Le sénateur Munson : J'adore penser que, passé 40 ans, ces aéronefs offrent encore un bon rendement.

Le président suppléant : J'ai un passeport portant l'étampe Air Chance — vous savez pourquoi. N'y a-t-il pas des merveilles en ce monde? Ces aéronefs n'étaient pas conçus pour cette fonction. Dieu a créé des merveilles en ce bas monde, mais pas des avions qui deviennent des oiseaux.

Merci à tous d'être venus. Nous sommes venus à Winnipeg à quelques reprises durant la dernière année, ou les deux dernières années, je ne me souviens plus, et nous reviendrons certainement. Pour reprendre les paroles du sénateur Munson, nous poursuivrons nos travaux jusqu'à ce que nous ayons visité toutes les forces et tous les endroits inscrits à notre calendrier. Nous aurions aimé aller un peu plus au nord. Et nous avons beaucoup d'autres désirs. Nous aurions aimé vous entendre dire que vos aéronefs font 30 patrouilles de souveraineté par année au lieu de ce qu'ils font réellement compte tenu de vos moyens. Mais l'espoir demeure.

Merci de faire, malgré les conditions difficiles, un travail remarquable, de première classe. Nous vous en sommes très reconnaissants, et notre président abonderait certainement dans ce sens s'il était des nôtres. Incidemment, notre président vient d'atteindre un niveau qui se trouve à peine au-dessous de celui des anges. À 18 h aujourd'hui, heure d'Ottawa, notre caisse devait être épuisée. À 17 h 55, heure d'Ottawa, tout juste maintenant, nous avons de l'argent. Il y a toujours de l'espoir.

Le mgén Bouchard : Il y a toujours de l'espoir, monsieur.

Le président suppléant : Merci de me le confirmer.

Avant que je quitte le fauteuil, j'aimerais vous parler de nos assemblées publiques. Nous en avons tenues à la grandeur du pays, à Calgary, à Edmonton, à Regina, à Kingston et à St. John's. Ces assemblées ont été nombreuses, et elles se poursuivent ce soir, ici même. Cette assemblée a été bien annoncée. Nous avons appris comment nous y prendre, notamment en matière de publicité payée. Je souligne particulièrement que dans l'annonce de notre mandat, en plus de notre publicité payée, se trouvait l'annonce de l'assemblée publique et l'avis de convocation — dans le bulletin du Saskatchewan Institute. Nous n'avons rien déboursé pour cette promotion de l'assemblée publique de ce soir. Vous êtes tous invités.

Comme vous le savez, il reste encore un groupe de témoins. Pour ma part, je dois attraper mon vol sur Jakarta. Dieu vous bénisse. Merci à tous.

Le sénateur Michael A. Meighen (le président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Tout d'abord, vous vous dites certainement que nous sommes peu de sénateurs devant vous aujourd'hui, et vous avez raison. La journée a été exceptionnelle et inhabituelle. Bien entendu, certains d'entre nous sont à Edmonton, pour assister au service commémoratif. Notre président est resté à Ottawa pour trouver les fonds qui nous permettront de poursuivre nos travaux après le 31 mars, qui marque le début du nouvel exercice. Vous vous en doutez bien, sans argent, pas de travaux. Et notre président suppléant vient tout juste de nous quitter pour remplir des fonctions officielles à Jakarta.

De ceux qui restent, je vous l'assure, vous remarquerez la qualité sinon la quantité, hormis notre président. À mes côtés, deux sénateurs très distingués. Tout d'abord, à ma gauche, le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario. Le sénateur a derrière lui une longue expérience, dont je vous épargne le détail. Je me contenterai de souligner que M. Atkins et notre autre collègue, Jim Munson, aussi de l'Ontario, ont tous les deux le coeur au Nouveau-Brunswick, et qu'avant leur entrée au Sénat, ils étaient dans les communications. Vous en aurez la preuve au fil de la séance.

Pour l'instant, deux éminents témoins sont arrivés. Ils nous éclaireront sur la question des autorités civiles locales. Nous recevons tout d'abord une femme bien connue ici, l'ancienne mairesse de Winnipeg, Susan Thompson, qui malheureusement devra nous quitter dans 20 minutes parce qu'elle est attendue ailleurs. Je vous propose, si vous le voulez bien, d'écouter en premier l'exposé de Mme Thompson, après quoi nous lui poserons quelques questions. Nous passerons ensuite, je l'espère, aux témoins suivants, qui devraient arriver d'ici là.

Je vous présente également le major Michael Gagne, de Shilo. Puisque nous serions inquiets de vous voir retourner dans des conditions dangereuses, nous vous garderons avec nous un moment, si vous voulez bien.

Va pour les préliminaires. Madame Thompson, nous vous écoutons. Nous sommes impatients d'entendre vos mémoires et vos recommandations.

Mme Susan Thompson, ancienne mairesse de Winnipeg : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, et merci aux membres du comité. Merci de votre invitation. C'est la première fois que je m'adresse à un comité comme le vôtre. C'est une toute nouvelle expérience. De toute évidence, comme j'en ai été mairesse, je ne peux m'empêcher de vous souhaiter la bienvenue dans la merveilleuse ville de Winnipeg. Vous vous trouvez au coeur du continent, au centre de l'univers. Goûtez ce plaisir!

Je vais tout d'abord lire ma déclaration, puis je pourrai répondre à vos questions.

Si j'ai bien saisi, vous attendez de moi aujourd'hui que je vous dise ce que je pense de l'aide prodiguée par les militaires aux autorités civiles pendant l'inondation du siècle, en 1997.

J'étais mairesse à ce moment, et j'ai eu l'honneur de diriger les citoyens de Winnipeg pendant la durée de cette catastrophe potentiellement dangereuse. C'était horrible, tous les Winnipégois et les Manitobains ici présents vous le diront. Le Canada tout entier en fait dira qu'il était affreux de regarder la dévastation laissée à Grand Forks par la crue de la rivière Rouge, qui s'est déversée sur le Manitoba et sur Winnipeg. La rivière voulait sans doute nous rappeler à quel point elle pouvait être dangereuse. Nous en sommes même venus à la baptiser la mer Rouge tellement son volume avait augmenté quand elle a atteint Winnipeg.

Nous étions résolus à ne pas revivre le désastre qui avait frappé Grand Forks, tout en sachant que Winnipeg n'était pas à l'abri de ce danger. Quand la crête de la rivière Rouge a atteint le sud du Manitoba, la province a déclaré l'état d'urgence le 19 avril.

Comme la pointe de crue se dirigeait vers Winnipeg, et comme les prévisions de la province concernant cette pointe de crue changeaient tout le temps, nous savions que la situation s'aggravait de jour en jour. La question n'était plus de savoir s'il y allait avoir des évacuations, mais quand elles auraient lieu et combien de personnes seraient touchées.

Nous voulions nous donner les moyens d'intervenir pour protéger les biens matériels, la santé et la sécurité des résidents de Winnipeg.

Pour votre gouverne, je souligne que nous avions annoncé publiquement que nous nous préparions au pire. Toutes nos stratégies et nos plans visaient le pire scénario possible, avec un objectif zéro perte de vie. Je donne ces précisions pour que vous compreniez bien le pourquoi de nos décisions et de notre démarche.

La Ville de Winnipeg a déclaré l'état d'urgence locale le 22 avril. Le premier ministre du Manitoba a alors demandé le soutien du ministre de la Défense, qui a agréé à sa demande, au titre des dispositions législatives fédérales sur l'assistance aux autorités civiles. Immédiatement après la déclaration de l'état d'urgence locale, nous avons ordonné une première évacuation obligatoire. Les jours qui ont suivi, la tension était à son comble puisque nous attendions les conséquences des mesures prises dans le sud du Manitoba. Par exemple, si la digue de Brunkild avait cédé, les répercussions auraient été catastrophiques pour Winnipeg. Nombre de résidents étaient sur un pied d'alerte, dans l'attente les ordres d'évacuation au jour le jour. Beaucoup plus encore étaient épuisés par leurs efforts incessants pour renforcer les digues et en construire de nouvelles, au gré des nouvelles prévisions.

Le 26 avril, l'inondation dans le sud du Manitoba et à Winnipeg avait dépassé les prévisions originales, et le comité d'urgence de Winnipeg a approuvé une motion visant à demander une assistance militaire pour nous aider à construire et à solidifier les digues. Le 29 avril, 3 000 militaires supplémentaires de la BFC Petawawa ont été déployés à Winnipeg. Les forces supplémentaires comprenaient des unités d'infanterie et des unités blindées, la police militaire, des unités d'artillerie, médicales et d'approvisionnement de la Force terrestre; des hélicoptères de lutte anti-sous-marine, qui peuvent se poser dans l'eau; des plongeurs-démineurs et des unités de petits bateaux du Commandement maritime et, enfin, des unités d'hélicoptères et de transport du Commandement aérien.

Les militaires nous ont notamment prêté main forte pour le suivi de l'avancée des eaux, l'évacuation de la population, le transport par avion de ressources techniques dépêchées de partout au pays, la gestion des mouvements des gens, la lutte au pillage dans les zones évacuées, la construction et le maintien des digues, ainsi que la vérification de leur intégrité.

Les militaires nous ont apporté une aide inestimable. Leur présence était attendue et bienvenue au sein de la population de Winnipeg. Sans leur soutien essentiel, nous n'aurions pu atteindre notre objectif zéro perte de vie. En ma qualité de mairesse à l'époque, j'ai pris plusieurs décisions qui m'apparaissaient cardinales pour assurer un partenariat efficace avec les militaires. D'emblée, je les ai enjoints à se montrer visibles dès leur arrivée à Winnipeg.

Cette demande n'avait rien à voir avec le protocole, les rôles ou les responsabilités. C'était simplement une question de bon sens. Les militaires se trouvaient chez nous à une période que je jugeais particulièrement difficile, et ils avaient abandonné une autre mission pour venir nous aider. Le seul mot qui me vient à l'esprit pour décrire les troupes à leur arrivée à Winnipeg, ou dans la période d'attente de l'ordre de venir à Winnipeg, est qu'elles étaient tendues.

La mission était aride, très contrôlée. Ils voulaient venir s'acquitter de leur mission et partir. Ils ne saisissaient pas bien l'aspect historique. Je ne devrais pas dire cela. À Winnipeg, les gens se souvenaient de l'inondation de 1950. À l'époque, les citoyens avaient développé un immense sentiment de gratitude à l'endroit des militaires qui les avaient épaulés tout au long de la crise. Quand nous avons appris que les militaires arrivaient — quand j'ai appris de mon administration qu'ils arriveraient le soir, je m'y suis formellement opposée. Je savais que la population était épuisée. Nous avions lutté contre l'inondation, avant même qu'elle n'arrive, que les eaux ne tracent leur chemin jusqu'à nous, pendant des mois. Des bénévoles travaillaient sur les digues. Les gens étaient exténués. Par ailleurs, connaissant le souvenir d'une collaboration exceptionnelle avec les militaires qui nous brûlait d'espoir et la situation critique de la rivière, je ne pouvais tolérer que les militaires arrivent dans la nuit. Après des pourparlers, ils ont accepté d'arriver de jour. Cette victoire a marqué le ton, elle a teinté notre relation et elle a confirmé notre assurance de surmonter l'inondation du siècle, avec l'aide des militaires. Ils sont arrivés en plein jour, pas aux heures sombres de la nuit.

Les citoyens ont ressenti un grand soulagement à ce moment précis. Ils trouvaient enfin de l'aide, à un moment où ils étaient émotionnellement et physiquement à bout de souffle. L'arrivée et la visibilité des militaires ont eu un effet apaisant très attendu sur les tensions émotionnelles et psychologiques des citoyens de Winnipeg.

Monsieur le président, vous nous avez dit en ouverture que les sénateurs Munson et Atkins étaient des spécialistes des communications. J'en suis fort heureuse parce que c'est le fondement de mon plaidoyer. Au-delà des règles et des pouvoirs, le plus important demeure la façon dont on communique l'information en situation d'urgence.

Nous avons célébré et honoré les militaires quand ils sont partis. Ils ont défilé dans la ville, passant devant l'hôtel de ville. Nous les avions en effet invités à centraliser le commandement d'une partie de leurs opérations à l'hôtel de ville, où se trouvait également notre centre d'urgence. Il était absolument primordial que les Forces canadiennes travaillent de concert avec la police municipale et nos services d'urgence, qu'elles fassent partie de l'équipe. La présence des militaires à l'hôtel de ville transmettait un message d'unité très éloquent et l'efficacité de toute l'opération s'en est trouvée grandement améliorée. En prenant cette décision, j'ai permis à mon personnel d'avoir un accès privilégié à l'expertise des militaires. Ils sont sans pareils pour prédire et analyser les scénarios de réalisation ou de non-réalisation. Ce fut pour nous une expérience extraordinaire d'observer ce modèle en action et d'y contribuer.

Jamais je n'oublierai le premier breffage auquel j'ai participé. Jamais auparavant je n'avais pris part à un breffage de la 17e Escadre. Ils avaient déroulé une carte du Manitoba tirée d'une image satellite et ils parlaient de la rivière Rouge comme s'il s'agissait d'un front ennemi en progression, même si nous savions tous que l'ennemi était une rivière en crue. Les eaux avaient-elles touché Emerson? Étaient-elles rendues à Morris? Où se dirigeaient-elles? C'est le genre de renseignements dont nous avions cruellement besoin.

Comme vous le savez, un général s'occupait du sud du Manitoba, et le général Hillier était aux commandes à Winnipeg.

On m'a instruite par ailleurs que les militaires participeraient à nos opérations d'urgence, mais pas à mes conférences de presse quotidiennes. Quand j'ai parlé de communications, je faisais surtout référence, bien entendu, aux communications entre les militaires, les citoyens et tous les éléments mis à partie à tous les paliers de gouvernement. On m'avait avisée que les Forces n'interviendraient pas, mais je n'étais pas d'accord. Lorsque le général Hillier a assisté à la première conférence de presse, il était assis dans l'audience. J'ai commencé par lui demander de me rejoindre à la table, où se trouvait une chaise libre. J'étais certaine, une fois encore, que les citoyens voulaient entendre les commentaires des Forces canadiennes. C'était, bien entendu, ce qu'il y avait à faire. Le général Hillier a déclaré, dès son arrivée à l'avant, que les Forces canadiennes étaient ravies de prêter assistance à Winnipeg.

J'ai quelques remarques concernant les leçons apprises et les pistes d'amélioration à envisager. Sur le plan administratif, j'ai constaté une assez bonne compréhension des règles et des responsabilités mais, sur le plan politique, tout était à apprendre, et vite. J'invite les intéressés à profiter de toutes les possibilités qui se présentent pour collaborer aussi étroitement que possible avec autant de personnes que possible à l'échelon politique, avant que les crises n'éclatent.

Les pouvoirs de l'autorité civile et l'incidence de ces pouvoirs, ainsi que les règles et les responsabilités de chacun des partenaires dans ce type d'opérations auraient dû être précisés. Bien que nous ayons appris très vite, il aurait été plus simple que les choses soient établies clairement à l'avance.

Les autorités civiles, sur le plan politique, ont dû apprendre en accéléré ce qu'elles pouvaient attendre des militaires dans une telle situation d'urgence. L'assistance qui nous a été prodiguée en matière de protection civile était professionnelle, efficace, essentielle et inestimable. J'ai beaucoup apprécié le déroulement des breffages des militaires. L'information était précise, structurée et quantifiable. J'ai même par la suite recommandé à l'administration de la municipalité d'adopter le modèle. Les militaires répondent aux questions avant même qu'elles ne soient posées. C'était extrêmement bien fait et, chaque fois que c'était possible, je dépêchais mon personnel pour qu'il puissent entendre les breffages.

J'ai également énormément apprécié les relations nouées tout au long des événements. Le leadership des militaires se transmettait sur un ton personnel, amical et plein de tact aux leaders politiques, à l'administration municipale, aux services sociaux et aux citoyens. Les relations et les amitiés créées avec la population, encore à ce jour, sont restées un souvenir vif et précieux.

En conclusion, je tiens à souligner que la présence et l'assistance des militaires durant l'inondation de 1997 à Winnipeg ont été critiques. L'expertise inouïe des militaires dans de telles situations, où des vies sont en danger, ne doit pas être sous-estimée. C'est grandement apprécié.

Je tiens à vous remercier de la chance que vous me donnez de m'adresser à vous. Je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations. Je suis convaincue que vos recommandations contribueront à améliorer la qualité des services fournis aux Canadiens en temps de crise.

Le sénateur Munson : Vous avez effleuré la question des leçons apprises. À Regina, hier, un officier de la Réserve s'est plaint qu'il fallait jusqu'à une journée et demie de paperasserie avant que quelqu'un puisse partir sur le lieu des incendies en Colombie-Britannique, et de nouveau une journée et demie pour qu'il en reparte. Tout était compliqué. Peut-être ma question vous paraîtra-t-elle naïve, mais je me lance tout de même. Elle concerne les leçons apprises une fois que l'état d'urgence est déclaré. Est-ce que c'est vous, la mairesse, qui avez déclaré l'état d'urgence, ou est-ce une autorité nationale du Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile, le BPIEPC, avec qui je transigeais quand je travaillais au Cabinet du premier ministre, le CPM? Qui déclare l'état d'urgence, et qui devrait le faire?

Mme Thompson : Suivant le protocole établi, c'est la province qui déclare l'état d'urgence, puis la municipalité lui emboîte le pas. Si j'avais déclaré l'état d'urgence moi-même, j'aurais été responsable des frais de 100 millions de dollars déjà engagés. Il n'en était pas question. Vous pourrez me reposer une question à ce sujet, si vous voulez.

Le sénateur Munson : Oubliez cela. Je n'ai pas à vous poser cette question. Vous semblez assez catégorique, dans le bon sens, dans un sens positif.

Mme Thompson : De toute évidence, il y avait un protocole à suivre, une entente de financement, et autres aspects du genre. Ils sont le résultat des expériences passées et de toutes sortes de considérations politiques, mais nous aurions quant à nous déclaré l'état d'urgence bien avant. La tension était à son paroxysme dans tout le Manitoba, et à Winnipeg particulièrement. À titre de mairesse, je ne pouvais pas prendre la responsabilité de déclarer l'état d'urgence tant que la province ne s'était pas avancée, parce que j'aurais reçu la facture. Aurais-je souhaité faire cette déclaration avant? Oui, c'était incontournable, mais je n'avais pas la capacité financière de le faire moi-même. C'était un véritable calvaire de voir tous ces résidents à bout de souffle. Nous aurions eu besoin des militaires au moins dix jours avant qu'ils n'arrivent.

Le sénateur Munson : La structure a-t-elle été simplifiée depuis?

Mme Thompson : Je ne le sais pas.

Le sénateur Munson : Je pense que M. Sanderson aurait quelque chose à dire, mais...

Mme Thompson : S'il a la réponse, c'est bon.

Le président suppléant : Peut-être pourrez-vous nous donner votre réponse plus tard, si vous vous en souvenez.

Le sénateur Munson : Faut-il créer un poste permanent d'officier de liaison entre les Forces et le premier intervenant?

Mme Thompson : C'est toujours mieux en temps de crise, à mon avis, bien entendu. Si vous me le permettez, je vais revenir sur mon opinion — c'est d'ailleurs ce que je suis en train de faire — au sujet de la déclaration de l'état d'urgence. Dans notre cas, ce que nous avons appris de plus important est que les décisions ne doivent pas être trop simplistes, trop protocolaires. J'ai téléphoné au Cabinet du premier ministre, j'ai imploré. J'ai crié à l'aide.

Le sénateur Munson : J'aimerais beaucoup que vous restiez jusqu'à la fin. Nous pourrions débattre de cette question avec les autres. Je sais que vous n'êtes plus mairesse, mais pensez-vous que les protocoles ont été améliorés, que les choses iraient mieux maintenant? Je sais que vous encensez les militaires, mais vous avez utilisé le mot « panique ». Selon vous, les militaires sont-ils arrivés à temps?

Mme Thompson : Sont-ils arrivés à temps? Que voulez-vous dire?

Le sénateur Munson : Auraient-ils dû être appelés avant même que la province ne déclare l'état d'urgence, si le climat en était un de panique?

Mme Thompson : Sans contredit, nous aurions eu besoin de leurs services bien avant. Cependant, peu importe la décision prise, nous avons dû vivre avec et en assumer l'entière responsabilité. Quand les militaires sont arrivés, enfin, ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient. Nous n'aurions pas pu leur en demander plus. J'en reviens aux communications. La décision concernant la tenue de conférences de presse à l'hôtel de ville et à l'échelon provincial a eu des effets positifs insoupçonnés sur la transmission du message. Nous pouvions expliquer ce qui se passait. L'angoisse montait d'un cran chaque fois que le niveau d'eau montait. Sur le plan de la gestion, il était impérieux de diffuser de l'information limpide et concise sur ce qui se passait à chaque palier de gouvernement, dans chaque centre de responsabilité, sans tomber dans la panique.

Comment y arriver? Quel est le comportement responsable? Comment diriger de façon responsable? Comment donne-t-on de l'information véridique, précise, ne laissant aucun jeu aux spéculations et aux rumeurs? Vous n'imaginez pas toutes les rumeurs que j'ai entendues — les portes d'écluse vont s'effondrer, les stations de pompage vont tomber en panne, Brunkild ne résistera pas, le ciel va nous tomber sur la tête!

Vous devez bien comprendre que la guerre se déroulait sur plusieurs fronts. Notre lutte ne visait pas uniquement la rivière Rouge. Nos problèmes n'étaient pas seulement les portes d'écluse et leur capacité ou leur force, ou le fait que notre station de pompage avait été testée pour des niveaux de 19 pieds, alors que les prévisions les mettaient à 24 pieds et demis. En cas de défaillance des stations, 100 000 foyers auraient été inondés par six pieds d'eau d'égout, sans compter celle de la rivière. Tous ces dangers, la digue de Brunkild, et bien d'autres, décuplaient les fronts de lutte, et tous ont fait un travail exceptionnel.

Le sénateur Munson : Je sais que vous avez un horaire serré. Selon vous, à l'heure où nous nous parlons, des mécanismes ont-ils été mis en place pour qu'on puisse intervenir rapidement si pareille situation se reproduisait?

Mme Thompson : Je ne peux pas vous le dire parce que je ne le sais pas. Je sais que nous avons recommandé des améliorations. Je sais que ces améliorations ont été approuvées à l'hôtel de ville. Les autres paliers de gouvernement et les autres parties intéressées ont certainement leur point de vue mais, si mes renseignements sont bons, le Comité de protection civile a fait de Winnipeg un modèle en matière de communications en situation d'urgence.

Le sénateur Atkins : Pensez-vous que la province a trop attendu avant de faire sa demande au gouvernement fédéral?

Mme Thompson : Pas à ma connaissance, pas du tout.

Le sénateur Atkins : Les autorités provinciales subissaient la même pression que vous, non?

Mme Thompson : Oui.

Le sénateur Atkins : Vous vouliez revenir sur l'aspect du financement, qui m'intéresse énormément. Quelles ont été les modalités de financement? Est-ce que le fédéral a ouvert les coffres rapidement une fois que l'évaluation a été faite?

Mme Thompson : La formule originale, selon ma compréhension — je n'ai pas le choix de commencer ainsi parce que je n'ai pas gardé toutes les notes que j'ai prises il y a huit ans... Selon la formule originale en matière d'urgences nationales, une fois l'état d'urgence déclaré, 90 p. 100 des coûts sont payés par le gouvernement fédéral, et les 10 p. 100 qui restent sont répartis entre la province et les municipalités.

À mesure que les eaux progressaient, l'information que je recevais indiquait que l'accord n'était pas parfait relativement à la formule de financement. Quand l'état d'urgence a été déclaré, aucune entente n'avait été conclue relativement à la formule définitive de financement. Selon ce que j'en comprends — des factures courantes ont été payées bien après la fin de la crise—, la ville a jugé que les obligations avaient été remplies. C'est ce que j'en comprends, mais je peux affirmer aujourd'hui qu'il était fort déplaisant d'avoir à se battre pour sauver notre ville après la déclaration de l'état d'urgence, sans savoir ce que serait le montant de la facture finale. Nous avions déjà dépensé 100 millions de dollars.

Le sénateur Atkins : Comment les 10 p. 100 qui revenaient à la province et à la municipalité ont-ils été répartis? Quelle a été la part de la municipalité?

Mme Thompson : Je suis désolée, je ne m'en souviens pas. Je serai ravie toutefois de vous faire transmettre l'information.

Le sénateur Atkins : Vous ne pouvez pas me donner un pourcentage?

Mme Thompson : Je n'ai pas la proportion finale parce que, comme je l'ai dit, les factures viennent bien après. Je pourrai vous obtenir les chiffres, sans problème.

Le sénateur Atkins : Dans ce même ordre d'idées, quelle a été la formule arrêtée pour ce qui est des citoyens touchés?

Mme Thompson : Que voulez-vous dire?

Le sénateur Atkins : Je fais référence à la formule d'indemnisation. Comment les avez-vous aidés?

Mme Thompson : Encore une fois, à mon souvenir, la ville n'avait pas de formule d'indemnisation. Elle avait un pouvoir d'intervention, dont je vais vous donner un exemple concret. Sur l'avenue Kingston et la rue Scotia, des piscines et des terrasses, ou d'autres aménagements du genre, empêchaient l'installation de digues, et il fallait les enlever. Les propriétaires ont dû déposer une demande de remplacement par la suite. Selon ce que j'ai entendu à travers les branches, les citoyens visés ont été très satisfaits, parce que l'indemnité de remplacement était très généreuse.

Le sénateur Atkins : Est-ce que la police et le service d'incendie relevaient de votre autorité?

Mme Thompson : Oui.

Le sénateur Atkins : Comment avez-vous coordonner leurs activités avec celles des militaires?

Mme Thompson : Encore une fois, tout se déroule selon un protocole établi. Le chef adjoint du service d'incendie en poste à ce moment était celui-là même qui avait été chef d'incendie à Ottawa au moment de la tempête de verglas. Je me souviendrai toujours de son appel, quand il m'a dit que l'un des grands atouts de Winnipeg était la fusion, puisqu'il y avait une seule mairesse, un seul chef des pompiers, un seul chef de police, etc. En temps de crise, quand il faut conjuguer avec divers ordres de gouvernement et beaucoup d'autres entités, une structure unique économise beaucoup de temps en discussions au sujet des compétences de chacun. Pendant la tempête de verglas, c'était un cauchemar : il y avait en tout 13 chefs de service d'incendie, 15 chefs de police, 13 maires. Vous pouvez imaginer les discussions au sujet des compétences de chacun!

Pour ce qui est de la coordination entre notre service de police, notre service d'incendie et les services d'urgence, je ne me souviens d'aucune difficulté particulière. Je me souviens de l'esprit d'équipe, du respect des autres, de la coordination. Quand il y avait un pépin et qu'il n'y avait pas de coopération, je le savais de la bouche des citoyens. Je devrais dire de nos citoyens. Pendant ces 30 jours, il y a eu une entente parfaite.

Le sénateur Atkins : Pendant combien de temps les militaires sont-ils restés? Vous ont-ils aidés pour le nettoyage?

Mme Thompson : Je ne me rappelle pas le nombre de jours exacts mais, en gros, c'est quelque chose comme trois semaines. Pour ce qui est du nettoyage, si j'ai bon souvenir, les militaires n'y étaient plus. Ce sont des employés du municipal et du provincial qui ont fait le travail, avec l'appui de bénévoles.

Le sénateur Atkins : J'imagine que la tâche était énorme.

Mme Thompson : Votre remarque est intéressante parce que, en effet, on s'attendait à un travail énorme. En tout, 8 millions de sacs de sable se trouvaient sur le territoire, avec lesquels nous aurions pu former une ligne entre Winnipeg et Vancouver si nous les avions mis bout à bout. Je me souviens de ce jour de novembre où j'ai demandé à mes administrateurs combien de sacs de sable nous avions en stock. Nous en avions 50 000, et je leur ai demandé si on pouvait en commander 100 000 de plus. Puis une autre horrible tempête de neige nous a frappés et, dès décembre 1996, nous savions que l'hiver allait être rude. J'ai eu un de ces regards... Vous savez, un de ces regards que seule une femme peut décoder parfaitement.

En février, je crois, nous en étions à 500 000 sacs de sable et, vers la fin, à 8 millions. On disait que les sacs allaient provoquer l'effondrement des berges. On prédisait toutes sortes de catastrophes, mais quelqu'un a eu la brillante idée d'utiliser des camions équipés de courroies transporteuses. Il nous a fallu une trentaine de jours. C'était incroyablement efficace. Nous avions prévu qu'il nous faudrait deux ans pour régler le problème. C'était tout à fait étonnant et surtout intéressant de constater que le problème n'était pas si énorme.

Le président suppléant : Je dois couper court à cet échange, j'ai bien peur, parce que vous devez quitter maintenant. Je tiens à vous remercier, au nom du comité. Nous apprécions énormément votre visite. En arrivant à votre prochain rendez-vous, n'hésitez pas à préciser que vous êtes en retard à cause de nous. Faites-nous porter l'entière responsabilité. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans vos fonctions de directrice générale de la Fondation de l'Université de Winnipeg. J'espère que tous les participants réunis ici contribueront à votre caisse et qu'ils soutiendront vos efforts.

Mme Thompson : Merci de m'avoir donné la chance de témoigner. L'expérience a été intéressante. Depuis l'inondation, personne ne m'avait jamais demandé de faire un bilan des événements. Vous êtes les premiers et je vous en suis reconnaissante.

Le président suppléant : Chers collègues, nous allons entendre les autres témoins. Je vais tout d'abord vous les présenter. Je commence à gauche : M. Chuck Sanderson a occupé divers postes supérieurs au sein du gouvernement manitobain depuis 1989. En avril 2002, il a été nommé directeur exécutif de l'Organisation des mesures d'urgence du Manitoba, l'OMUM. À ce titre, il a coordonné l'intervention lors de l'inondation dans le sud-ouest du Manitoba en juin 2002; du déraillement de train et de l'évacuation qui a suivi à Ferndale, Manitoba, ainsi que de l'explosion du Gazoduc transcanadien survenu à Brookdale, Manitoba.

À sa droite, le colonel Mike Capstick a rempli de multiples missions opérationnelles et liées à la doctrine au Quartier général du Commandement de la Force terrestre, au QG de la Défense nationale, ainsi qu'au Secteur de l'Ouest de la Force terrestre. À l'étranger, il a notamment commandé un régiment à Chypre et le contingent canadien de la Force de stabilisation de l'OTAN. Il est diplômé du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes et, actuellement, il est Directeur - Gestion de la Réserve terrestre au QGDN. Pendant l'Opération assistance, le colonel Capstick faisait partie du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre.

Le dernier mais non le moindre est le major Michael Gagné, commandant de la compagnie d'administration du 2e Bataillon Princess Patricia's Canadian Light Infantry, à Shilo. Il a servi en Croatie et en Bosnie et il a étudié au Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes, où il a terminé le Cours de commandant d'équipe de combat. Durant les inondations de 1997, le major Gagne était en poste au Bureau de liaison de la Force opérationnelle du Quartier général de la Division mécanisée canadienne-française — je suis convaincu qu'il existe un acronyme pour cela, major Gagne — avec l'Organisation des mesures d'urgence Manitoba et Protection civile Canada.

Je vous fait remarquer, major Gagne, que nous n'avons pu rencontrer votre frère hier, mais on me dit que Drew est pilote d'hélicoptères au 408e Escadron tactique d'hélicoptères à Edmonton, que nous avons visité.

Ce sont les éminents invités que nous recevons ce soir. Nous disposons de trois quarts d'heure ou presque. Chacun de vous, je crois, fera un bref exposé préliminaire. Allez-y selon l'ordre qui vous convient, puis nous passerons aux questions.

Serez-vous le premier, monsieur Sanderson? Nous irons de gauche à droite.

M. Chuck Sanderson, directeur exécutif, Organisation des mesures d'urgence Manitoba : Merci de votre invitation. Mon exposé sera très court, en partie parce que nous avons fait beaucoup de planification préinondation à l'OMUM au cours des dernières semaines et que je n'ai pas eu le temps de me préparer. De plus, comme vous avez pu le constater en lisant mon CV, je n'étais pas directeur de l'OMUM en 1997. J'occupe ce poste depuis 2002 seulement. Tout ce que je sais au sujet de l'inondation de 1997, je l'ai appris à titre de Commissionnaire adjoint aux incendies, car le Bureau du commissaire a participé aux activités de sauvetage nautique dans le périmètre d'inondation. Nous avions un regard d'ensemble des activités associées aux diverses opérations. Le commissaire aux incendies siégeait à divers comités de planification de l'Organisation des mesures d'urgence. Et voilà que maintenant, je suis moi-même directeur de l'OMUM.

J'ai glané beaucoup d'information dans les rapports qui ont suivi l'inondation de 1997. Si j'ai bien saisi l'objet de vos travaux, il s'agit de décrire quelle a été la relation entre les militaires et la province lors de l'inondation de 1997, et ce qu'elle devrait être advenant d'autres inondations.

Tout d'abord, je préciserai que de manière générale, les militaires ont joué un rôle fabuleux en 1997. Et selon ce que j'ai pu constater moi-même depuis 2002, la relation s'est même améliorée. J'affirmerai même que la relation que le Manitoba entretient actuellement avec les militaires est insurpassée.

Je vais tout de même m'attarder à certains des enjeux importants qui reviennent dans tous les rapports sortis après les inondations. Je tiens à préciser que je parlerai de ce que j'ai lu et non de choses que j'ai vécus personnellement. Les problèmes se trouvaient plutôt à l'échelon municipal, pas tant à Winnipeg, comme l'a si éloquemment défendu l'ancienne mairesse, mais dans les municipalités rurales. Je ne sais pas si on peut parler de rupture des communications ou de responsabilités mal définies par rapport aux militaires. Les rapports font état des questions auxquelles il a fallu répondre : Les militaires doivent-ils opérer de façon indépendante ou en collaboration avec les municipalités? Relèvent- ils de la province ou travaillent-ils avec la province, au même niveau? Je ne sais pas ce qu'il en était en réalité, mais je sais que ces thèmes reviennent constamment dans les rapports postérieurs aux inondations de 1997.

L'autre aspect important a trait, semble-t-il, au dialogue entretenu à un certain niveau entre les militaires et les mandarins de la politique du gouvernement provincial. Ce n'est pas tant ces échanges qui causent problème que le fait qu'ils se déroulaient en retrait des activités opérationnelles des administrations provinciales et municipales, ce qui provoquait des frictions. J'ai compris qu'à la longue, cette relation a même fini par causer des tensions entre les politiques et les militaires. Je le répète, je vous fais part de ce que j'ai lu dans les journaux et ailleurs.

À l'heure qu'il est, nous avons des signes que le Manitoba pourrait de nouveau être inondé. Si c'est le cas, nous faisons tout actuellement pour que les leçons tirées des événements de 1997 servent à quelque chose. C'était l'un de mes principaux objectifs. Je veux que chaque partie saisisse bien les rôles et responsabilités qui lui sont dévolus si jamais la situation nous oblige à demander une assistance militaire ce printemps. Incidemment, c'est la province qui doit demander une assistance militaire au ministère de la Défense nationale, par l'entremise de Sécurité publique et Protection civile Canada, SPPCC. C'est la procédure établie, et je pense qu'elle est bien comprise.

Tout récemment, nous avons eu une réunion fantastique avec le major-général Stuart Beare, au cours de laquelle nous avons abordé toutes ces questions. Je puis affirmer que tant les militaires que l'OMU Manitoba sont bien au fait du rôle exact qui incomberait aux militaires en situation d'inondation. Je peux vous donner le détail si vous le désirez, mais je confirme que nous avons une entente sur ce point.

Je vous ai donné un bilan rapide des points névralgiques, à mon avis, et on pourra juger des résultats à l'usage, si la situation se présente. Toutefois, je suis convaincu que si nous avons besoin des militaires, nous saurons où les trouver. Les militaires savent comment nous les trouverons, quel sera leur rôle, comment ils devront le jouer et de qui ils relèveront dans cette éventualité. Je ne devrais pas dire « relever » puisque les militaires ne relèvent de personne. Ils font le travail comme ils ont prévu de le faire, mais ils n'agiront pas sans tenir compte de l'ensemble du plan d'urgence.

Ces questions résument ma compréhension de la relation que nous entretenons actuellement, qui pourrait difficilement être meilleure, selon moi.

J'ai également certains renseignements au sujet des Accords d'aide financière en cas de catastrophe, un programme administré par l'OMU. Si vous le souhaitez, je pourrai vous les transmettre.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Sanderson. Je sais qu'il y aura des questions pour vous, mais permettez-nous de porter les exposés préliminaires au compte rendu avant de passer aux questions. Notre prochain témoin, je crois, sera le colonel Capstick.

Le colonel Mike Capstick, directeur — Stratégie relative au personnel de la force terrestre, Défense nationale : Bonsoir monsieur le président, bonsoir honorables sénateurs. J'aimerais au préalable vous remercier de votre convocation à comparaître. J'essaierai de vous expliquer quelle a été l'intervention des Forces canadiennes et du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre lors des inondations survenues au Manitoba au printemps 1997.

Je crois que vous avez reçu une petite reliure contenant quelques diapositives. Au cours de mon exposé, je vous inviterai à vous y reporter. Je vous éviterai ainsi la lecture de la longue description de notre emploi du temps au jour le jour que j'ai préparée.

Pour vous mettre en contexte, je débuterai par une description de mon rôle dans la planification et l'exécution de l'intervention. J'étais alors G3, ou principal officier d'état-major affecté aux opérations au Quartier général du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre, le SOFT, à Edmonton. Vous avez certainement retenu du témoignage du colonel Jim Ellis au sujet des incendies de forêt que le QG du SOFT dirige toutes les opérations nationales au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Au printemps 1997, le major-général Bruce Jeffries était commandant de zone. Pour ma part, à titre de G3, j'étais l'officier d'état-major affecté aux opérations de planification et de conduite des opérations nationales, ainsi qu'à la constitution et à la préparation des forces en vue des opérations internationales.

Pour les opérations nationales, je disposais d'une équipe réduite mais très professionnelle à Edmonton, et de petits détachements dans chacune des quatre capitales provinciales. Le major Mike Gagne, qui était capitaine à ce moment, a été parachuté ici comme représentant auprès de la province du Manitoba, parce que son prédécesseur nous avait quittés du jour au lendemain. J'imagine qu'il avait senti l'eau que l'eau montait, je ne sais trop.

À cette époque, au printemps 1997, le SOFT était particulièrement occupé par ses missions à l'étranger. En janvier 1997, le groupement tactique du 2e Bataillon Princess Patricia's Canadian Light Infantry, stationné au casernement Kapyong de Winnipeg, était déployé en Bosnie. Nous étions à préparer le groupement tactique Lord Strathcona's Horse (Royal Canadians), qui devait lui succéder en juin. Chacun de ces éléments comptait quelque 1 000 soldats de notre secteur et plusieurs centaines d'autres secteurs de la Force terrestre et groupes des FC.

Toute notre énergie était concentrée sur la préparation de la rotation entre décembre 1996 et l'été de 1997. Pour bien situer le cadre, je souligne que le positionnement des forces dans le secteur n'était pas tout à fait le même qu'aujourd'hui. Le 1er Bataillon PPCLI se trouvait encore à Calgary — il n'avait pas encore déménagé à Edmonton. Le 2e Bataillon PPCLI, comme je viens tout juste de le mentionner, se trouvait encore à Winnipeg, car il a déménagé à Shilo l'été passé seulement.

Il restait 100 soldats environ du Bataillon au casernement Kapyong, qui formaient ce qu'il est convenu d'appeler le groupe arrière.

Pour en revenir aux inondations, ma perspective était celle du Quartier général et de ma fonction personnelle de G3. Nous disposions d'un personnel relativement réduit affecté aux opérations nationales. Cependant, nos méthodes assez énergiques de collecte d'information nous ont permis de commencer le suivi des progrès des inondations aux États- Unis très tôt en saison. Comme l'a précisé l'ancienne mairesse, les chutes de neige ayant été abondantes durant cet hiver, il était assez facile de prévoir que nos territoires seraient inondés.

Mon planificateur principal, le capitaine Rick Brown, parti à la retraite depuis et maintenant planificateur des mesures d'urgences pour l'Alberta, avait mis au point un solide plan d'information. Nous avons commencé à informer le Quartier général de la Défense nationale, le QGDN, de la situation sur une base hebdomadaire au début de mars, peut-être un peu plus tôt. Cette surveillance permanente a vite convaincu le général Jeffries que les Manitobains auraient tôt ou tard besoin d'une assistance militaire. Il a par conséquent autorisé le début de la planification d'état- major, pour que la Force terrestre soit prête à intervenir sur demande.

La planification comprenait notamment une série de réunions avec Protection civile Canada, qui fait maintenant partie de Sécurité publique et Protection civile Canada. Cet organisme est le grand responsable, en cas de catastrophe, de la coordination de l'intervention du fédéral à la demande des provinces. Parallèlement, le major Gagne, alors le capitaine Gagne, maintenait des contacts quotidiens avec l'Organisation des mesures d'urgence Manitoba et d'autres organismes municipaux.

Au début d'avril, nous avons entamé une série de réunions avec ces groupes afin de déterminer quelles étaient les ressources fédérales disponibles ainsi que l'aide requise, le cas échéant, par d'autres ministères fédéraux. Nous avons été étonnés de constater que le Manitoba était très bien servi en matière d'organismes fédéraux, de bureaux et autres représentants du gouvernement.

À cette étape du processus, nous n'avions pas encore d'idée précise sur l'étendue du désastre en cas de réalisation du pire scénario. L'un des arguments les plus convaincants pour tous a été la présentation, lors d'une réunion, de cartes par deux ingénieurs du ministère de la Voirie et du Transport du Manitoba, qu'ils avaient produites eux-mêmes. Ils pouvaient nous dire combien de routes seraient perdues pour chaque pied de crue, ce qui nous donnait une très bonne idée de ce à quoi ressemblerait le lac Manitoba, ou la mer du Manitoba, à la fin des événements.

À mesure que les crues progressaient vers le nord, à partir du centre-sud des États-Unis jusqu'à la rivière Rouge, les préparatifs s'intensifiaient. Nos plans étaient très précis.

J'ai déjà parlé des préparatifs associés aux opérations internationales. Essentiellement, le groupement tactique du Strathcona, regroupant quelque 1 000 soldats, parait aux préparatifs à Wainwright, en Alberta. Les soldats s'apprêtaient à recevoir l'instruction préalable au déploiement en Bosnie. Parallèlement, l'unité de brigade qui restait derrière, le 1 PPCLI, se préparait à des exercices de bataillon à Suffield, en Alberta. Le général Jeffries a alors pris la décision de rapprocher les unités. Il a redirigé les deux activités d'instruction au secteur d'entraînement de Shilo, en prévision d'une demande d'assistance et pour d'autres raisons. Cette décision s'est avérée très judicieuse. Autour du 17 ou du 18 avril, la grande partie de la brigade se trouvait au Manitoba, à Shilo, et un petit groupe du Quartier général de la brigade avait été déployé à Winnipeg.

Tout d'abord, on avait décidé que le commandant de la brigade serait le commandant des militaires sur place, et que le général Jeffries continuerait de commander la force interarmées qui se trouvait encore à Edmonton.

Tandis que nous mettions la dernière main à notre plan, les journaux ont commencé à rapporter que les inondations avaient gagné les secteurs de Grand Forks, du Dakota du Nord, et que des incendies faisaient rage simultanément. C'est ce que montre la troisième diapositive dans le dossier. C'est, selon moi, le point de retournement, le moment où nous avons vraiment saisi la gravité de la situation. Quand je dis « nous », j'entends la population en général, aussi bien à Ottawa que dans l'Ouest du Canada.

Incidemment, le jeune officier qui travaillait pour moi était un immigrant bosniaque. Il fait maintenant partie des Governor General's Foot Guards, à Ottawa. Quand il a vue cette image, il s'est exclamé : « C'est comme à la maison! » Les personnes présentes ont reçu un choc. Personne, pas plus les militaires, ne souhaitaient qu'une ville canadienne subissent le même drame que Fargo.

Le 19 avril, la province a fait sa demande officielle. Nous avons réagi immédiatement en déployant le groupe arrière 2 PPCLI dans la ville de Saint-Adolphe, puis les unités du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada, le GBMC, sont arrivées de Shilo. Le 23 avril, la brigade était pleinement déployée et opérationnelle. La quatrième diapositive donne le calendrier. Je vais sauter le reste de la présentation, en précisant au passage que, en cours de planification avec les autres ministères fédéraux et les provinces, nous avons commencé à compter les bateaux. Il a été déterminé que la GRC avait des bateaux, que nous en avions, que la Réserve autochtone en avait, ainsi que la Garde côtière canadienne, Pêches et Océans Canada, Affaires indiennes et du Nord canadien et bien d'autres organismes provinciaux. Le capitaine Brown, maintenant à la retraite, a eu l'idée lumineuse d'instaurer un contrôle naval des unités déployées dans les territoires enclavés du Manitoba, une tâche qui a été confiée à la Réserve navale d'Esquimalt. Ce fut une très sage décision.

À la troisième semaine d'avril, nous avons réalisé que nous aurions besoin de renfort. Les deux groupements tactiques que nous pouvions fournir ne suffisaient pas à la tâche. Sur ordre du sous-chef d'état-major de la Défense, le SCEMD, à Ottawa, des éléments des deux autres brigades ont commencé à affluer au Manitoba.

C'est pour cette raison que nous avons déployé ce qui est maintenant devenu le Groupe des opérations interarmées. À ce moment, il s'appelait le Quartier général et Régiment de transmissions de la 1re Division du Canada, à Kingston. Ces militaires ont établi la structure de commande et de contrôle, et le général Jeffries est venu d'Edmonton pour diriger le groupe interarmées à Winnipeg.

Vers le début de mai, nos troupes comptaient presque 8 000 soldats, marins, aviateurs, des hommes et des femmes, formant des groupes disciplinés et équipés de systèmes complets de commande et de contrôle, chacun agissant selon une relative autonomie sur le plan logistique. Ces équipes, organisées en équipes interarmées d'assez bonne taille, apportaient aux opérations une vaste fourchette de compétences générales et spécialisées. Nos troupes pouvaient tout faire, du remplissage des sacs de sable à la gestion d'ouvrages de construction assez techniques sur la digue de Brunkild. Toutefois, l'essentiel à retenir est que nos soldats ont travaillé sans relâche, faisant preuve d'une éthique professionnelle inébranlable et d'un sens aigu de leur mission, vitale pour les Manitobains et les Canadiens.

Comme toutes les autres, cette opération a apporté son lot de difficultés. Au début, les parties impliquées ont dû s'éduquer les unes les autres, ce à quoi M. Sanderson a fait allusion je crois, concernant leurs capacités et leurs contraintes respectives. Les chefs agressifs des armes de combat ont appris à leurs dépens qu'il n'est pas toujours judicieux de donner des ordres aux autorités municipales. Les autorités civiles, quand à elles, ont vite appris que, quand elles sont investies d'une mission, les organisations militaires n'ont qu'un objectif, c'est de la mener à terme. Nous avons tous appris très vite qu'il n'y a jamais assez d'agents de liaison, que les contacts et la consultation continus ont raison de la grande majorité des problèmes. C'est ce que nous avons appris de plus important : si nous faisons affaire avec un service d'incendie, un service de police, deux polices montées et un maître de poste, nous affectons à chacun un officier de liaison et nous espérons qu'ils feront de même. C'est le seul moyen de maintenir les communications.

Entre parenthèses, j'ajouterai que tout ce que nous avons appris a servi au groupement tactique du Strathcona quelques mois plus tard, en Bosnie. J'ai commandé ce contingent et je ne compte plus le nombre d'officiers subalternes et de sous-officiers que l'opération liée aux inondations avait été leur meilleure école pour apprendre à transiger avec les autorités civiles et les organismes non gouvernementaux.

Quels ont été les aspects positifs? La structure des opérations nationales a été le pivot de cette opération. Le recours permanent aux détachements des Opérations nationales nous a donné la possibilité de planifier très tôt et d'établir un réseau voué à la mise en oeuvre du plan, en veillant à ce que l'exécution soit conforme.

Quels ont été les aspects négatifs? La principale faille, à mon humble avis, est attribuable à la réticence de multiples organismes à intervenir plus tôt dans la saison, peut-être parce que la frontière entre le Canada et les États-Unis, avant les événements du 11 septembre, était peu perméable à la transmission de communications et d'information. Nous étions obligés de nous fier aux nouvelles et aux services météorologiques pour savoir où en était la crue aux États-Unis. À cela s'est ajoutée l'apparente hésitation des autorités locales à demander l'aide des militaires tant qu'elles n'ont pas été convaincues que l'ampleur des inondations dépassait leur capacité à intervenir. Nous, les membres des Forces canadiennes, avons eu le sentiment d'être arrivés un petit peu en retard.

Cela dit, les FC ont beaucoup appris au sujet des opérations d'assistance. Ces leçons nous ont servi pas plus tard que sept mois après, lors de la tempête de verglas au Québec et dans l'Est de l'Ontario, et de nouveau pour des opérations aussi différentes que la surveillance lors du Sommet du G8 à Kananaskis en 2002 et la lutte contre les incendies en Colombie-Britannique, l'été dernier.

En conclusion, je remercie de nouveau le comité de son invitation et de son écoute. Je tenterai de répondre à vos questions au mieux de mes connaissances. Cependant, je vous préviens tout de suite que ma vision baisse et que mes cheveux grisonnent, et que certains de mes souvenirs sont partis avec le restant.

Le président suppléant : Merci, colonel Capstick. Nous compatissons avec vous pour ce qui est des problèmes de vision et de chevelure. Vous êtes ici en bonne compagnie.

Major Gagné, je sais que vous avez également préparé un exposé. Je l'ai sous les yeux. Si vous pouviez vous faire le plus expéditif possible, nous pourrons passer aux questions.

Le major M.K. Gagné, commandant de la compagnie d'administration, 2e Bataillon Princess Patricia's Canadian Light Infantry, Défense nationale : Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité. Je vais vous donner quelques explications pour mieux vous faire comprendre le rôle que j'ai joué dans l'Opération Assistance des Forces canadiennes au cours des inondations survenues au Manitoba en 1997. J'aimerais souligner que j'ai alors agi comme officier de liaison avec l'Organisation des mesures d'urgence Manitoba et Protection civile Canada. Je savais où étaient déployées les troupes du 1 GBMC et quels étaient les plans, du moins une partie d'entre eux, établis par la force opérationnelle et la province. Je n'ai pas été en contact direct avec la ville de Winnipeg.

En 1997, j'étais capitaine. J'ai été affecté, sur une base temporaire, officier des opérations nationales au Manitoba pour le Secteur de l'Ouest de la Force terrestre. J'ai débarqué à Winnipeg la troisième semaine de mars, où le titulaire précédant du poste m'a rapidement passé le flambeau, après avoir choisi de quitter les Forces canadiennes à la fin du mois. Mon installation officielle à Winnipeg a eu lieu au début d'avril, quelques jours avant le blizzard qui allait gonfler la crue des eaux et aggraver encore le problème.

Le 19 avril, j'avais établi des relations étroites avec l'Organisation des mesures d'urgence Manitoba, l'OMUM, ainsi que les contacts nécessaires avec EPC et d'autres organismes fédéraux.

Le Quartier général du Secteur de l'Ouest de la Force terrestre était au fait de la situation et avait dépêché des officiers d'état-major clés à des réunions tenues à Winnipeg, auxquelles participaient également des représentants de la province et de Protection civile Canada.

Le 19 avril, j'ai aidé l'Organisation des mesures d'urgence à rédiger une demande officielle d'assistance militaire de la province du Manitoba. Le Quartier général du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada avait anticipé la demande et il avait déjà préparé le groupe arrière du 2e Bataillon PPCLI de Winnipeg à intervenir à brève échéance. Je souligne au passage que le personnel de l'OMUM avait fait une demande plutôt réservée, probablement parce qu'il ne connaissait pas bien la capacité exacte des Forces et quelle aide elle pouvait apporter dans le cadre d'une Opération Assistance.

Les Forces canadiennes tirent énormément de fierté de cet événement, parce que les forces aériennes, marines et terrestres ont travaillé de concert, dans un esprit de coalition, avec divers partenaires fédéraux, provinciaux et municipaux pour offrir une intervention adaptée à la situation et définir le protocole d'intervention pendant la phase de rétablissement.

Voilà pour mes remarques. Je serai ravi de répondre à vos questions.

Le sénateur Atkins : Colonel, votre mémoire des événements est impressionnante. Il faut donner tout le crédit qu'il mérite au général Jeffries pour avoir anticipé es événements. La force d'anticipation est l'essence du leadership.

Sur la question des leçons apprises, j'aimerais savoir si, depuis les inondations et autres opérations d'urgence, on a révisé les procédures à suivre? Je pense notamment au BPIEPC, aux échanges mutuels d'information et au déroulement des opérations.

Le col Capstick : Je ne suis plus du côté des opérations dorénavant. Le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile est assez nouveau. Je sais que des instructions permanentes d'opérations ont été établies et que des ententes ont été conclues entre le Bureau et le groupe du Sous-chef d'état-major de la Défense. Cependant, de façon générale, je sais que la loi habilitante et les politiques en matière d'aide au pouvoir civil et d'assistance aux autorités civiles — ce dernier élément étant celui qui nous intéresse aujourd'hui — n'ont pas changé. Les étapes sont restées sensiblement les mêmes. Dans les deux cas, il appartient à la province de demander l'assistance des militaires.

Le sénateur Atkins : Je comprends bien, mais je m'interroge au sujet des leçons apprises. Existe-t-il de nouvelles règles en matière d'opération en cas de catastrophe, de toutes sortes?

M. Sanderson : Je peux seulement ajouter que, à cause de notre relation étroite avec nos partenaires fédéraux de SPPCC, les changements intervenus récemment ont trait à l'adoption par SPPCC d'un Système national d'intervention en cas d'urgence, le SNIU, qui découle du Système national de gestion des urgences, le SNGU. En gros, il s'agit d'une structure accessoire de commandement qui permet au gouvernement fédéral de fournir aux provinces ce dont elles ont besoin, sur demande. Cela n'existait pas auparavant. De toute évidence, cette structure était demandée par les provinces depuis longtemps, elles qui avaient déjà une espèce de système de gestion accessoire. Elles voulaient que le fédéral leur vienne en aide selon un modus operandi établi. Je suis très content de pouvoir affirmer que SPPCC a récemment annoncé la création du SNIU. Il nous reste à nous entraîner avec le fédéral pour nous assurer de l'intégration parfaite de son système avec nos modes d'opération.

Le président suppléant : Vous avez fait allusion à des risques d'inondation cette année. Existe-t-il dans ce secteur un entrepôt avec 1 million de sacs de sable?

M. Sanderson : Oui, un tel entrepôt existe.

Le sénateur Atkins : Savez-vous où il se trouve?

M. Sanderson : Oui, nous connaissons son emplacement exact.

Le sénateur Atkins : Y êtes-vous allé?

M. Sanderson : J'y suis allé, et nous connaissons le nombre exact de sacs de sable en stock. Nous savons de plus qu'ils sont secs. Les sacs ne sont pas pourris. Nous savons où se trouve la machine pour les remplir et où elle est rangée, dans une coquette hutte Quonset. Nous savons où trouver des sacs supplémentaires au besoin. Nous savons enfin que certains des fournisseurs de sacs de sable actifs en 1997 ont fermé boutique, mais qu'il y en a cinq ou six nouveaux. J'ai entendu les nouvelles dans les médias au sujet de la pénurie de sacs de sable. C'est faux. Il n'y a pas pénurie de sacs de sable : il y a pénurie de fournisseurs.

Le président suppléant : De sable.

M. Sanderson : Non, il ne manque pas de sable non plus. Si vous avez une liste périmée de fournisseurs de sacs de sable, qui date de 1997, peut-être vaut-il mieux la vérifier. L'Organisation des mesures d'urgence Manitoba tient sa liste à jour, et nous nous attendons à ce que les municipalités en fassent autant. J'arrive tout juste de notre conférence sur la gestion en cas de catastrophe, tenue tous les 18 mois, et mon allocution portait justement sur les préparatifs provinciaux en vue de la prochaine inondation. Bien entendu, tout cela fait partie des plans d'urgence municipaux.

Le sénateur Atkins : Avant 1997, beaucoup de ces éléments n'étaient pas disponibles, alors que des stocks existent présentement. Je ne pense pas seulement aux sacs de sable, mais à tout le matériel et à l'équipement dont vous pouvez avoir besoin.

M. Sanderson : Il y a abondance de ces choses qui ne demandent qu'à servir, mais il faut une bonne coordination. L'expertise et l'équipement ne font pas défaut. Vous l'avez dit vous-même, quand on fait l'inventaire des ressources disponibles du fédéral et des provinces, on constate que l'actif est assez impressionnant. Mais si on ne sait pas où se trouvent les éléments d'actif et que tout est laissé au hasard, sans coordination, où est leur utilité? C'est l'une des leçons tirées des événements de 1997. Personne n'osera dire que tout est parfait parce qu'il y a toujours place à l'amélioration, mais nous savons beaucoup mieux qu'auparavant comment avoir accès aux ressources. Je me rends compte que je suis un peu présomptueux parce que je n'y étais pas en 1997. Je me reprends : j'ai bonne confiance que nous pourrons trouver les ressources nécessaires de façon beaucoup plus efficace.

Le sénateur Atkins : Je vous ai posé cette question parce que nous l'avons posée à d'autres, dans d'autres domaines, qui nous ont affirmé ne pas savoir où se trouvaient les stocks.

M. Sanderson : Excellente remarque. À titre de directeur de l'OMU, c'est mon travail de le savoir. Les coordonnateurs des plans d'urgence municipaux devraient aussi le savoir. Ils sont de plus en plus nombreux. Avant 1997, ils étaient rares parce qu'on ne voyait pas très bien leur utilité. Je sais qu'ils ont ces renseignements en main. Notre travail est de nous assurer qu'ils recueillent ces renseignements, de les former en ce sens. C'est une amélioration très importante.

Le sénateur Atkins : Il me reste seulement deux questions. La première porte sur les communications. Je voudrais savoir quelles ont été les améliorations apportées, à la lumière des événements de 1997, à l'ensemble du processus. Je fais référence aux communications entre les organismes, mais également aux communications entre les organismes et le public. Mon autre question s'adresse au colonel. Quelles leçons tirées des opérations entourant les inondations avez- vous pu appliquer en Bosnie?

M. Sanderson : Il est assez désolant d'avoir à subir des inondations comme celles de 1997 pour comprendre ce qui apparaît si évident. Il en est ainsi. Quand je suis devenu directeur de l'OMU, c'est en réfléchissant à ce qui s'était passé en 1997 que j'ai acquis la conviction qu'il était capital d'avoir une définition précise des rôles de chacun en situation d'urgence, qu'il fallait établir une procédure d'accès précise aux ressources fédérales et affecter les rôles.

Le sénateur Atkins : Étiez-vous sur la même longueur d'onde?

M. Sanderson : Tout à fait, c'est ce qui est extraordinaire. Tout le monde a appris ses propres leçons, tant du côté du provincial que chez les militaires. Tous veulent être absolument certains que nous sommes à la même page. Cette réunion avec le brigadier-général Beare a eu lieu la semaine dernière seulement. C'était sympathique. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit. Nous parlons tout à fait le même langage.

Le sénateur Atkins : Seriez-vous sur la même longueur d'onde que les Américains?

M. Sanderson : Je ne saurais le dire.

Le sénateur Atkins : Et si c'était nécessaire?

M. Sanderson : Nous y travaillons, à vrai dire. Le Manitoba élabore présentement un accord d'aide mutuelle avec le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et le Minnesota, lequel s'inspire de l'accord d'aide mutuelle conclu dans l'Est du Canada, qu'on appelle communément le Compact, ou Entente internationale sur l'aide pour la gestion des urgences. Peut-être serait-il anticipé de dire que nous sommes sur la même longueur d'onde, mais je sais que nous y parviendrons.

Le sénateur Atkins : Pourriez-vous en dire autant de la relation entre les organismes et la population?

M. Sanderson : Quand vous dites population, qu'entendez-vous au juste?

Le sénateur Atkins : Je fais référence à la relation avec les responsables des communications, les stations de radio et de télévision.

M. Sanderson : Je crois que ces relations se sont nettement améliorées au Manitoba. Nous avons appris des inondations de 1997 et de notre examen de ce qui se faisait ailleurs — nul besoin d'être un génie pour s'en rendre compte — qu'il était essentiel de mettre sur pied une fonction d'alerte. Je suis ravi de constater qu'on a finalement intégré la capacité nationale d'alerte au système d'alerte national pour l'ensemble du Canada. Sachant cela, nous avons approché la Broadcasters Association of Manitoba, avec qui nous avons signé un protocole d'entente. Selon le protocole, l'OMUM pourra transmettre des messages par le biais de l'Association, sans autre intervenant. Les messages seront diffusés tels que nous les avons rédigés, dans les 15 minutes suivant leur réception. Nous sommes ravis. C'est un autre outil très utile, qui s'ajoute à notre arsenal de communications à l'appui de notre intervention d'urgence lors d'événements mettant des vies en danger.

Le sénateur Atkins : Il s'agirait donc d'une procédure coordonnée...

M. Sanderson : Oui, elle sera coordonnée par le service des communications de l'OMUM. Nous enverrons les messages directement à la Broadcasters Association, par télécopieur, qui les diffusera sans modification. Nous avons déjà fait deux essais.

Le sénateur Atkins : C'est une excellente nouvelle.

M. Sanderson : Oui, nous en sommes très heureux.

Le sénateur Atkins : Je n'ai pas entendu la réponse du colonel.

Le président suppléant : Nous sommes limités par le temps. Une dernière question. Allez-y, colonel.

Le col Capstick : Pour répondre à votre deuxième question, je crois que nous avons tiré deux leçons. La première a trait au commandement et au contrôle. Nous avons pu appliquer les connaissances acquises en Bosnie. Les officiers subalternes et les sous-officiers supérieurs ont appris qu'ils pouvaient agir indépendamment de la chaîne de commandement — sans le regard constant d'un supérieur sur leur travail —, et les supérieurs ont appris qu'ils pouvaient faire confiance aux subalternes. La deuxième leçon concerne la façon d'entrer en relation non seulement avec les responsables civils, mais également avec les groupes d'aide et d'autres parties. Si on ne peut donner des ordres aux autorités municipales à Morris, il en sera de même en Bosnie. Ce sont de précieuses leçons.

Le sénateur Atkins : Bonne nouvelle aussi.

Le sénateur Munson : Il semble que tout se soit bien passé, je comprends, mais pouvez-vous nous dire si les Forces canadiennes ont emprunté de l'équipement supplémentaire à d'autres unités du pays? J'ai cru comprendre qu'il y avait eu des problèmes dans ce domaine. Avez-vous été obligés d'emprunter de l'équipement aux Américains et, si oui, comment a-t-il été transporté sur les lieux des opérations?

Le col Capstick : Je ne me souviens pas d'avoir eu à emprunter de l'équipement aux États-Unis, pas plus qu'à d'autres unités des Forces. Les unités de la 2e Brigade et de la 5e Brigade de Valcartier ont apporté leur propre équipement. J'ajouterai cependant que notre structure et notre organisation ne sont pas optimisées pour la lutte contre des inondations et des incendies de forêt. Elles sont optimisées pour les opérations de combat. Ainsi, les bataillons d'infanterie, et surtout les bataillons modernes qui sont équipés de véhicules blindés légers dotés d'une mitrailleuse à chaîne 25 millimètres, les VBL III, ne peuvent pas utiliser ce type d'équipement pour certaines opérations. Leur équipement n'est pas adapté pour ces opérations.

Par conséquent, durant l'opération de 1997, vous auriez cherché longtemps un véhicule utilitaire sport, ou VUS, à louer entre Thunder Bay et Vancouver, parce que nous les avions tous. Vous auriez également cherché longtemps un téléphone cellulaire à louer ou à vendre de Thunder Bay à Vancouver, parce que nous les avions tous également.

Nous avons dû louer cet équipement parce que notre équipement et notre structure est prévue essentiellement pour le combat. Nous menons les autres opérations en sus, si vous voulez.

Le sénateur Munson : Vu la multiplication des catastrophes subies au Canada ces dernières années, avez-vous modifié cette structure? Est-ce que les militaires disposent maintenant d'un équipement un peu plus efficace?

Le col Capstick : Non, monsieur. La politique de base en matière de structuration et d'équipement est axée sur le combat armé. Nous utilisons ce que nous pouvons pour les autres opérations.

Le sénateur Munson : À Ottawa, beaucoup de groupes ont proposé des plans liés aux premiers intervenants, pour la lutte au terrorisme notamment. Je me demande si à Winnipeg et dans les autres centres, les militaires, les travailleurs paramédicaux, les pompiers, les médecins, les policiers — j'englobe tous les corps policiers — font des entraînements comprenant des simulation d'inondation ou d'incendie de forêt.

M. Sanderson : Oui. Pour donner un exemple, l'OMU a, en février 2004, reproduit l'inondation de 1997. Nous avons travaillé de concert avec les municipalités en amont et en aval de la vallée de la rivière Rouge. Nous voulions passé en revue les leçons tirées des événements de 1997. Nous donnons aussi des formations sur des événements nouveaux et inusités.

Le sénateur Munson : Collaborez-vous avec les militaires?

M. Sanderson : Nous collaborons principalement avec SPPCC pour des aspects comme les incidents de nature chimique, biologique, radiologique ou nucléaire, CBRN. Le fédéral a créé le programme CBRN, qui affecte des fonds aux provinces pour l'achat de matériel de lutte, et le Collège de la Protection civile du Canada prodigue la formation.

La demande pour la formation excède largement l'offre du CPCC. Par ailleurs, les provinces et les territoires souhaitent passer aux niveaux suivants de la formation CBRN.

Les services de recherche et de sauvetage en milieu urbain sont interconnectés. Le Manitoba a dorénavant un service de recherche et de sauvetage en milieu urbain, le fédéral a débloqué des fonds, le provincial également, et des formations sont en cours. Toutes sortes de choses intéressantes se passent.

Le sénateur Munson : Ne serait-il pas intéressant de donner une formation conjointe avec les militaires?

M. Sanderson : Votre remarque tombe pile. Justement, le volet militaire de la formation CBRN de haut niveau se donne à Suffield, en Alberta, un établissement militaire. Il s'agit de la formation de très haute voltige, qui se donne en lien avec le CPCC.

Le sénateur Munson : Je pensais surtout à l'aspect structurel, aux liaisons, dans la suite de ma question précédente. Est-ce qu'il faut créer un poste de liaison entre les militaires et le premier intervenant? Une catastrophe naturelle n'attend pas l'autre dans notre pays. Il me semble qu'on pourrait former une équipe opérationnelle globale de 1 000 hommes et femmes représentant les Forces, le Service d'incendie de Winnipeg, le personnel paramédical et la police pour un exercice de deux semaines — ou quelque chose comme ça. Ne serait-ce pas une bonne idée?

M. Sanderson : On a proposé il y a quelques mois d'affecter des réservistes aux municipalités à titre d'officiers de liaison. D'un point de vue général, c'est une merveilleuse idée. Cependant, ils devront se plier au commandement de gestion d'urgence mis en place et aux processus de contrôle en vigueur dans la province. Il faut à tout prix éviter une structure qui permettrait à un officier de liaison de faire sa petite affaire avec la municipalité de Binscarth, au Manitoba — c'est un exemple — sans tenir compte de l'ensemble de la structure de commandement.

Le sénateur Munson : J'aurais une autre petite question. À Regina, nous nous sommes entretenus avec des réservistes. Peut-être cela ne vous concerne-t-il pas, mais je dois quand même vous dire que l'officier de la Réserve était vraiment choqué. Il a parfois fallu jusqu'à une journée et demie pour remplir des papiers avant que des réservistes de l'Alberta et de la Saskatchewan ne soient envoyés en Colombie-Britannique pour lutter contre les incendies de forêt, et une autre journée et demie pour les en sortir. Il fallait toutes sortes de papiers — des dispenses, des papiers d'assurance et autres tracasseries du genre. Je sais que les soldats sont à temps plein ici, mais avez-vous ce problème?

Le col Capstick : Nous avons effectivement eu ce problème pour cette unité en particulier durant cette opération. Le fait est que les papiers en question devraient tous être signés à l'avance, en tout temps. Cependant, comme pour bien d'autres choses, il faut des ressources, et les ressources coûtent cher, en argent, en temps, en soldes de soldat, en soldes de réservistes. Il peut arriver que d'autres priorités prennent le dessus. Personne ne pouvait prévoir qu'on aurait besoin d'autant de réservistes en Colombie-Britannique. Il est difficile de faire des prédictions de cette amplitude.

Je me garde bien de dire qu'on y travaille... Je dirai simplement que nous tentons l'impossible pour simplifier les procédures. Le nerf de la guerre, là encore, est le coût. Si on paye une demi-journée à un réserviste d'une petite ville pour qu'il aille passer un examen médical à Regina, il faut prendre l'argent à quelque part. Et même si on a cet argent, le réserviste, un soldat à temps partiel, a un temps limité à consacrer à la Réserve. Il doit trouver un équilibre entre ses divers engagements. Il consacre sont temps et son énergie à la formation. Je comprends qu'il peut être rageant de remplir des papiers. Je suis probablement plus habitué, étant un soldat à temps plein, à me dépêcher et à attendre. Pourtant, je vous l'assure, c'est beaucoup mieux maintenant qu'en 1992, année où j'ai amené 127 réservistes avec moi à Chypre. Le cauchemar administratif a été grandiose dès le début. Nous avons parcouru un grand bout de chemin, mais il reste encore beaucoup à faire.

Le sénateur Munson : J'ai deux brèves questions, sans aucun lien entre elles. Qu'en est-il de la situation météorologique actuellement? On a dit qu'il fallait nous en remettre aux Américains à cet égard. J'imagine que c'est beaucoup mieux depuis que nous pouvons compter sur des météorologues canadiens, ou sur les nouvelles et l'information. L'autre question est la suivante : Dans les municipalités rurales, les autorités savent-elles qui est responsable maintenant? Elles ne sont pas ici pour l'apprendre, alors est-ce qu'on leur a expliqué clairement de quoi il en retournait?

M. Sanderson : Je suis content que vous posiez la question. C'était justement le thème de l'introduction de mon allocution à la conférence sur la gestion des catastrophes. Je sais qui est responsable et je le leur ai dit. Ce sont les municipalités qui sont aux commandes. Ce sont elles qui assument la gestion et l'intervention en cas d'urgence. La province s'en mêle seulement si la gravité d'un désastre est telle que l'état d'urgence provincial est déclaré. Et quand cette déclaration est faite, elle vise à étendre et à soutenir la capacité d'intervention du municipal. Nous avons mis ces choses au clair, heureusement.

Le sénateur Munson : Et la météo?

M. Sanderson : La météo?

Le sénateur Munson : Le colonel a mentionné à quel point ils avaient été dépendants des nouvelles et des prévisions météorologiques des États-Unis pour savoir où en était la crue des eaux.

Le col Capstick : Je crois que c'est encore la même chose. Nous attendions après les Américains pour les données sur les niveaux d'eau. Il n'y a pas de structure de communication directe entre les deux forces militaires sur le plan tactique. C'est pareil ailleurs. C'est une autre chose avec la U.S. National Guard. Nos homologues de la Force régulière aux États-Unis ne se mêlent pas du tout de ce genre d'opération. C'est contre la loi aux États-Unis, la Posse Comitatus Act. Parce que ce n'est pas une organisation fédérale, il faut transiger avec un nombre infini d'organismes différents de la National Guard. Nous écoutons CNN.

Le sénateur Munson : Major Gagne, vous vouliez ajouter quelque chose?

Le maj Gagne : Je crois que le problème n'était pas tant la dépendance aux Américains concernant les prévisions météorologiques, mais l'incapacité à l'échelon de l'OMU d'obtenir de l'information détaillée sur la crête des eaux — le lieu, le moment, le comportement de la crête. On savait que l'inondation était imminente, mais les gestionnaires chargés de la régularisation des niveaux au gouvernement provincial avaient besoin de données exactes, qu'ils avaient du mal à obtenir. Le problème n'était pas de nature militaire. Le problème était celui de Canadiens essayant de savoir ce qui se passait au juste. On aurait dit que la carte était coupée en deux et qu'un écran nous empêchait de voir de l'autre côté de la frontière.

M. Sanderson : Puis-je ajouter quelque chose? La capacité du Manitoba de faire de telles prévisions n'a pas beaucoup changé. Après 1997, Manitoba Water Stewardship a créé le programme MIKE 11, un modèle de prédiction des niveaux d'eau. Pour l'instant, les prédictions sont fondées sur des données historiques. Il faut passer par cette étape, faire les cartes hydrologiques. Maintenant, le modèle MIKE 11 permet de projeter les mouvements de l'eau. Il reste beaucoup à faire, même si Manitoba Water Stewardship est devenu un leader dans le domaine. La République tchèque lui a même demandé de venir y donner une formation sur ce modèle.

Le président suppléant : J'ai bien peur d'avoir à clore la séance, aussi fascinante soit-elle. J'ai une autre question concernant nos amis du sud. À votre connaissance, outre un partage accru de l'information, ont-ils pris des mesures pour améliorer la gestion des eaux sur leur territoire? Ce sont ces eaux qui nous inondent ici. Je sais qu'ils n'ont pas construit de canal évacuateur. Le cas échéant, je ne sais pas dans quelle direction il irait, mais une chose est certaine : s'il n'y avait pas eu de canal évacuateur à Winnipeg, Dieu seul sait ce qui serait arrivé. En ce qui concerne le lac Devil et les autres éléments en cause, les Américains ont-ils changé quoi que ce soit à leur capacité de régularisation?

M. Sanderson : Je ne vais certainement pas m'aventurer dans ces eaux, si vous m'excusez le mauvais jeu de mots.

Le président suppléant : C'était simplement une idée sur laquelle j'aurais aimé vous voir naviguer.

M. Sanderson : Lisez les journaux manitobains et vous en apprendrez beaucoup au sujet du lac Devil. Ce n'est pas du ressort de l'OMU.

Le président suppléant : Je ne parlais pas du problème avec le lac Devil lui-même.

M. Sanderson : Vous parliez des mesures d'atténuation, pour éviter un autre Fargo?

Le président suppléant : Oui, je parlais d'atténuation.

M. Sanderson : Oui, les Américains ont fait de grands pas.

Le président suppléant : Ils pourront donc conserver plus d'eau chez eux et atténuer les effets sur la province du Manitoba?

M. Sanderson : Tout à fait.

Le président suppléant : Je vous remercie tous les trois. Nous vous sommes reconnaissants pour le temps et l'information que vous nous avez donnés. Votre compte rendu est fort encourageant, notamment parce que vos organismes respectifs sont très compétents, sans mentionner votre compétence personnelle. Vous êtes un modèle pour le reste du Canada. J'aurais aimé en savoir un peu plus au sujet des répercussions sur les opérations militaires à l'étranger. Peut-être certaines de ces leçons auraient-elles pu servir en Iraq? Quoi qu'il en soit, c'est une toute autre question.

La séance est levée.


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