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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 19 - Témoignages du 21 mars 2005


OTTAWA, le lundi 21 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 14 h 35, pour examiner la politique de sécurité nationale du Canada et en faire rapport.

Le sénateur J. Michael Forrestall (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bienvenue. La séance est ouverte. Veuillez excuser le président, qui est pris ailleurs par des obligations inévitables.

Je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Notre comité examinera la politique de défense canadienne au cours des prochains mois.

Le comité tiendra des audiences dans toutes les provinces et dialoguera avec les Canadiens pour déterminer en quoi consiste l'intérêt national pour eux, voir quelles sont à leur avis les principales menaces qui pèsent sur le Canada et savoir comment ils souhaiteraient que le gouvernement réponde à ces menaces.

Le comité essaiera de susciter un débat sur la sécurité nationale au Canada et de dégager un consensus sur ses besoins militaires et sur le type de défense que veulent les Canadiens.

Je vous présenterai maintenant les membres du comité qui sont avec nous : le sénateur Tommy Banks de l'Alberta, président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

À côté du sénateur Banks se trouve le sénateur Stollery, distingué président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, qui a bien voulu venir remplacer notre président aujourd'hui.

À ma droite, il y a le sénateur Meighen, qui est notamment chancelier de l'Université Kings College dans ma région d'origine, Halifax.

À ma gauche, il y a le sénateur Jim Munson de l'Ontario, distingué communicateur, et à sa gauche, le sénateur Norm Atkins, expert chevronné en communications, notamment dans le domaine de la publicité. Bienvenue à tous.

Nos invités aujourd'hui sont M. Ernie Regehr, Canadien émérite, officier de l'Ordre du Canada, professeur adjoint d'études sur la paix et les conflits au Conrad Grebel University College, de l'Université de Waterloo. Il est depuis de nombreuses années l'un des plus éminents et respectés porte-parole du Canada dans les domaines du désarmement international et de la paix. Directeur général et cofondateur du Projet Ploughshares, il a conseillé le gouvernement canadien et des gouvernements étrangers, les Nations Unies, le Conseil mondial des Églises, le Conseil canadien pour la coopération internationale et le Africa Peace Forum.

Bienvenue. J'ajoute que vous avez participé pour la dernière fois à une séance d'un comité sénatorial permanent en 1994, à l'occasion de la tournée pancanadienne qui visait à parler aux Canadiens du contenu du Livre blanc publié cette année-là. Vous revoici onze ans plus tard.

À côté de M. Regehr se trouve M. Ryerson Christie, chercheur et candidat au doctorat au Centre for International and Security Studies de l'Université York. Sa recherche porte sur la sécuritisation de l'identité et son rôle dans le renforcement de la paix, principalement en Asie du Sud-Est et plus particulièrement au Cambodge. En plus de cette recherche, il s'est penché sur la question générale de la sécurité canadienne et de la politique de défense et plus particulièrement sur les questions navales et le rôle de la sécurité humaine dans l'appareil militaire canadien.

Il est actuellement lauréat d'une bourse de doctorat du Consortium canadien sur la sécurité humaine et a déjà été lauréat de la bourse de doctorat du Forum sur la sécurité et la défense. Bienvenue, messieurs.

M. Ernie Regher, directeur général, Projet Ploughshares : C'est un plaisir d'être invité ici pour discuter avec un groupe très distingué comme le vôtre d'un sujet qui nous préoccupe tous de plus en plus. Les notes que j'ai remises afin qu'elles soient distribuées à l'avance portent notamment sur la relation de sécurité entre le Canada et les États-Unis.

J'y fais valoir essentiellement que des voisins de la sécurité nationale et continentale devraient collaborer le plus possible en fonction de leurs propres intérêts et d'évaluations indépendantes des menaces.

Le Canada a la responsabilité particulière de s'assurer que les menaces contre les États-Unis n'ont pas leur origine sur notre territoire, et les États-Unis ont une responsabilité réciproque envers nous.

Dans ma déclaration, j'aimerais insister sur les intérêts et les obligations du Canada en matière de sécurité au-delà de l'Amérique du Nord, autrement dit sur notre contribution à la paix et à la sécurité internationales.

La sécurité du Canada dépend d'un ordre mondial stable et prospère, qui fonctionne sur la base de règles convenues applicables à tout le monde et où les autres reconnaissent et respectent la souveraineté et les droits du Canada. Le Canada a donc intérêt à faire ce qu'il peut pour renforcer et maintenir cet ordre mondial.

En fin de compte, les principaux défis pour le genre d'ordre mondial dont nous avons besoin découlent de l'insécurité chronique des êtres humains dans leurs foyers et leurs collectivités.

Les citoyens de nombreuses régions du monde ressentent l'insécurité de manière immédiate lorsqu'ils ont des besoins fondamentaux inassouvis reliés par exemple à la pauvreté chronique et débilitante, à l'exclusion politique et au déni des droits fondamentaux. La perte de confiance dans les institutions publiques censées servir les intérêts des citoyens est la conséquence d'une désintégration sociale et politique galopante. C'est la faillite de l'État.

Cette insécurité humaine chronique s'accompagne inévitablement d'une escalade de la violence criminelle et politique, qui a des implications nationales, régionales et mondiales. De plus, le stockage et la propagation de l'arme nucléaire et d'autres armes de destruction massive, y compris le danger de détournement de matière nucléaire vers des groupes autres que les États, constituent une menace extraordinaire pour la santé des gens, y compris les Canadiens.

Comment devons-nous réagir face à cette insécurité?

La première priorité consiste à réagir aux manifestations les plus immédiates et fondamentales de l'insécurité par des mesures visant à lutter contre la pauvreté et à promouvoir le développement humain. Cela se fait en encourageant la bonne gouvernance : l'inclusion et la participation politiques, le respect des droits fondamentaux et le rétablissement de la confiance dans les institutions publiques. Vous pouvez appeler cela la démocratie, je suppose.

Deuxièmement, dans des cas exceptionnels mais pourtant assez fréquents, l'insécurité humaine se traduit par des défis militaires, surtout lorsque les solutions économiques et politiques sont laissées de côté pendant trop longtemps. L'accès facile aux instruments de violence, aux armes légères en particulier, doit être éliminé par des mesures de contrôle des armements et de désarmement.

Le Canada doit également pouvoir apporter une contribution crédible au déploiement de forces militaires de la communauté internationale afin de rétablir l'ordre, de protéger la population et d'appuyer la conformité aux règles convenues; il s'agit du volet défense. De même, les mesures de désarmement et de non-prolifération de l'arme nucléaire et des autres armes de destruction massive doivent faire partie de notre contribution à la paix et à la sécurité internationales.

La diplomatie est essentielle pour promouvoir le développement, la démocratie, le désarmement et le règlement pacifique des différends afin que le recours à la force soit conforme au droit international.

Tout cela fait partie des mesures de sécurité.

Comment fixer les priorités parmi ces mesures?

Où devrions-nous concentrer nos ressources?

Dans la conjoncture politique actuelle, il y a des pressions considérables en vue de renforcer le volet défense de notre réaction aux menaces à la paix et à la sécurité internationales. Je vous rappelle que, même si c'est nécessaire au Canada, il est tout aussi important de ne pas négliger les autres éléments essentiels de la sécurité que sont le développement, la bonne gouvernance, le désarmement et la diplomatie. Ce sont tous des moyens de combattre les causes profondes de l'insécurité que ressentent les gens, une insécurité qui provoque des menaces contre l'ordre international.

Nous devons également nous souvenir que lorsqu'on a laissé la défense décliner dans les années 90, le financement de ces autres éléments de la sécurité a décliné proportionnellement encore plus. Le Canada investit évidemment dans tous ces domaines, mais quelle est la répartition appropriée des ressources dans le budget de la sécurité?

Nous avons tenté de nous faire une idée des dépenses fédérales en matière de sécurité. Je crois que vous rendriez un grand service si vous vous posiez la question suivante : Combien consacrons-nous, proportionnellement, à la défense, au développement et à la promotion de la bonne gouvernance, qui contribuent tous à la sécurité internationale?

Nous nous sommes posé la question et j'ai ici un long document, que je serais heureux de remettre au greffier, indiquant la source de nos chiffres. Je suis prêt à le corriger, et je crois que le comité devrait tenter de produire un document semblable.

En 2003-2004, je crois que nous avons consacré environ 1,3 p. 100 du PNB à ce qui peut être considéré comme des contributions à la paix et à la sécurité internationales, soit environ 16 millions de dollars en tout. De ce montant, environ 20 p. 100 a été consacré au développement, soit 0,29 p. 100 du PNB; environ 75 p. 100, à la défense et 5 p. 100 aux autres aspects. Cela donne un ratio d'environ 3,8 entre la défense et l'aide publique au développement.

Pour remplir notre engagement de consacrer 0,7 p. 100 du PNB à l'APD, avec une modeste hausse dans les autres domaines qui porterait le budget total de la sécurité à environ 2,1 p. 100 du PNB, alors nous consacrerions environ 30 p. 100 du budget au développement, 65 p. 100 à la défense, et le reste aux autres aspects. Nous aurions alors un ratio défense/APD d'environ 2, ce qui serait comparable aux ratios des Pays-Bas et des pays scandinaves.

Si nous interprétons bien les dépenses projetées indiquées dans le dernier budget de la défense, les dépenses relatives à l'APD monteront à environ 18 p. 100 du total, et elles ne représenteront que 0,33 p. 100 du PNB en 2010-2011. Le pourcentage pour la défense montera à environ 78 p. 100, d'après Don Macnamara, du Collège militaire royal, ce qui représentera environ 1,6 p. 100 du PNB, et il baissera un peu pour les autres aspects, ce qui donnera un ratio défense/ APD d'environ 4.

Le sénateur Munson : Pouvez-vous nous décrire l'APD?

M. Regehr : APD est l'acronyme pour aide publique au développement. Il s'agit essentiellement du budget de l'ACDI et de certains autres éléments de développement dans les autres ministères.

Il est évident que la défense devra toujours obtenir la plus grande partie du budget de sécurité, à cause de l'ampleur du personnel, du matériel, de la formation et de toutes les ressources qu'elle nécessite.

L'objectif n'est pas un partage égal, mais on peut se demander si les proportions actuelles ou vers lesquelles nous tendons sont les bonnes. Nous devons tenir compte des formes extraordinaires que peut prendre l'insécurité et qui ne découlent pas d'armées menaçantes ou d'une faible défense nationale, mais plutôt de facteurs sociaux, politiques et économiques extrêmement débilitants.

Je pose donc la question : Nos proportions sont-elles les bonnes?

Ma réponse est probablement un secret de polichinelle. Quand notre plan de développement quinquennal n'atteint que 0,33 p. 100 du PNB pour l'aide publique au développement alors que notre objectif officiel est de 0,7 p. 100, je pense que nous ne croyons pas que cela contribue à la sécurité ou alors nous faisons preuve de négligence.

Je conclurai par quelques observations sur les éléments militaires d'une contribution canadienne constructive à la paix et à la sécurité internationales.

Premièrement, le débat sur la spécialisation est plus ou moins terminé. Les Forces canadiennes sont petites et elles ne pourront probablement pas exécuter toute la gamme des tâches militaires. Il y aura donc une spécialisation.

Nous fonctionnerons toujours de concert avec les autres à l'échelle internationale, et nous devons déterminer le type de contribution que nous apporterons et celui que nous ne pourrons pas apporter.

Deuxièmement, les forces armées participent à des opérations de renforcement des nations ou de protection humaine tout autant qu'à de grandes opérations de combat, et l'expérience des Américains et des Canadiens en Iraq le confirme bien.

Troisièmement, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, qui a publié le rapport intitulé La responsabilité de protéger, a fait une recommandation importante. Elle a déclaré que la communauté internationale doit élaborer de nouveaux modèles d'opérations militaires internationales qui seront à mi-chemin entre les opérations classiques de maintien de la paix dans des environnements consensuels et les opérations classiques de combat et de guerre.

Il faut élaborer des modèles militaires pour des opérations entre ces deux extrêmes. Il faut examiner le genre de formation, d'équipement, de règles d'engagement, et cetera qui s'applique aux types d'opérations que nous menons dans des endroits comme l'Afghanistan ou que nous mènerions si nous allions au Darfour, par exemple.

Enfin, l'incapacité de la communauté internationale d'intervenir militairement à l'appui d'une population en péril, dans des endroits comme le Darfour, des régions de la République démocratique du Congo, et cetera, ne dépend finalement pas d'une capacité militaire mondiale insuffisante.

Le principal obstacle à des opérations efficaces de soutien de la paix et de protection humaine est plutôt l'absence de consensus international sur le moment où ces opérations sont nécessaires, sur qui les décide et sur qui les exécute.

La Somalie, par exemple, a besoin de toute urgence d'une intervention directe par des forces de soutien de la paix. La communauté internationale hors de l'Afrique ne répond pas à ce besoin. L'Autorité intergouvernementale pour le développement, l'IGAD, l'organisme régional dans la Corne de l'Afrique, offre d'envoyer des troupes en Somalie, mais elle se heurte à une grande résistance interne à cause de l'impression que les voisins immédiats poursuivront des intérêts particuliers. Il y a donc de la méfiance.

Il y a un besoin urgent de rendre plus cohérente l'intervention internationale lorsque des situations extraordinaires exigent le recours à des forces de sécurité externes.

Le document La responsabilité de protéger est de plus en plus reconnu en théorie, comme en témoigne la déclaration du Secrétaire général Kofi Annan aujourd'hui, mais sa mise en œuvre pratique en est à ses premiers balbutiements. Le défi consiste à passer de la théorie à une action cohérente et légitime.

Le Canada peut faire jouer la diplomatie à cet égard et s'engager à contribuer à toute la gamme des opérations de soutien de la paix dans les sociétés en difficulté où sévit une insécurité humaine extraordinaire. Le Canada peut participer non seulement aux forces de stabilisation, mais aussi au règlement de conflits qui s'éternisent, au rétablissement d'une gouvernance en laquelle la population aura confiance et au désarmement. Le Canada peut lutter contre la pauvreté en créant des débouchés économiques dans ces sociétés en difficulté.

M. Ryerson Christie, chercheur, Centre for International and Security Studies, Université York : Merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je signale d'entrée de jeu que mes recherches ont été subventionnées en partie par le ministère de la Défense nationale et sa bourse du Forum sur la sécurité et la défense. Elles le sont actuellement par une bourse de doctorat du Consortium canadien sur la sécurité humaine, qui est financé par Affaires étrangères Canada.

D'après ce que j'ai compris des discussions avec le personnel du comité, je suis ici pour présenter des solutions de rechange à l'approche traditionnelle de la sécurité. J'expliquerai comment les implications de cette nouvelle façon de penser pourraient influer sur la structure des Forces canadiennes.

Vous avez certainement entendu dire que le Canada doit examiner avec soin ses intérêts pour élaborer sa politique de défense et que nous devons être conscients des menaces pour notre pays ainsi que de nos vulnérabilités. Ce cadre domine notre réflexion sur la sécurité et a inspiré nos politiques de sécurité et de défense. Le problème, à mon avis, c'est ce que ce type de réflexion représente mal ce que nous devons protéger et ce que nous devrions nous efforcer de protéger. Par le passé, on a mis l'accent sur la sécurité de l'État et, dans les relations internationales, sur la stabilisation du système international des États.

Je crois, tout comme David Dewitt, que la politique étrangère et la politique de défense du Canada devraient avoir une vision commune de la sécurité. La sécurité n'est pas quelque chose d'objectif; c'est une position politique et éthique qui énonce qui nous voulons protéger et qui détermine comment assurer cette protection. Nous ne pouvons pas aborder les problèmes de sécurité comme s'il s'agissait de problèmes scientifiques. Ce qui constitue et ne constitue pas un problème de sécurité légitime relève plutôt d'une décision politique et doit donc être débattu.

Au lieu de placer les États au centre de notre réflexion sur la sécurité, nous pourrions plutôt mettre les gens au cœur de notre cadre de sécurité. Nos politiques nationales devraient alors être guidées par le principe que le Canada a la responsabilité de promouvoir et d'assurer la sécurité humaine chez nous et à l'étranger.

Il en découle quelques conséquences profondes sur nos politiques nationales relatives à la sécurité en général et sur notre politique étrangère, notre aide étrangère et notre politique de défense en particulier.

Je limiterai mes observations aux conséquences générales d'une modification du cadre de référence de la sécurité. J'ai indiqué dans une étude quelles seraient les incidences concrètes de l'adoption d'un cadre de la sécurité humaine sur les Forces canadiennes. Si vous le souhaitez, nous pouvons y revenir pendant la période de questions.

Renvoyer l'État en périphérie de la sécurité signifie que nous devrions reléguer le maintien de la souveraineté canadienne plus bas sur la liste de nos priorités pour les Forces canadiennes. Si notre priorité est la sécurité humaine des Canadiens et des citoyens des autres régions du globe, alors le maintien de la souveraineté est un moyen pour parvenir à cette fin et non une fin en soi. Il devait donc être moins important que d'autres questions de sécurité.

J'ajouterais que, contrairement à ce qu'on soutient souvent, les Forces canadiennes ne sont pas le principal outil pour défendre la souveraineté du Canada ou pour protéger la sécurité des Canadiens. Cela ne veut pas dire renoncer à la capacité de défendre le Canada mais plutôt que ce n'est pas la principale source de sécurité du Canada.

Au lieu d'insister sur la défense du Canada ou le maintien de la sécurité internationale, nous devons mettre la promotion de la sécurité humaine au faîte de notre mandat de politique.

Ce n'est pas une position que je préconise en fonction d'une évaluation de l'intérêt du Canada; elle découle plutôt d'engagements moraux. Nous vivons dans un monde interrelié. Nous sommes présents sur toute la planète et notre dynamisme économique et notre niveau de vie sont obtenus en en grande partie aux dépens d'autres régions du monde. Quand on examine la composition démographique du Canada, on s'aperçoit qu'il y a peu de pays aussi multiculturels que le nôtre. Les Canadiens viennent des quatre coins de la planète et ils ont le droit légitime de s'attendre à ce que le gouvernement s'intéresse aux sociétés d'où ils sont originaires. Nous devons répondre aux besoins de sécurité des populations à l'étranger, car nous en avons la responsabilité.

Promouvoir la sécurité humaine à l'étranger n'est pas synonyme d'intervention militaire. La plupart du temps, la source de l'insécurité est la pauvreté, la dégradation de l'environnement, des problèmes de santé et d'autres problèmes politiques. Nous avons une foule de mécanismes à notre disposition pour affronter ces problèmes, et le ministère des Affaires étrangères et l'ACDI devraient jouer un rôle de premier plan dans la plupart d'entre eux.

Mais il arrive que les problèmes de sécurité les plus pressants découlent d'un conflit armé. À cet égard, j'appuie la position traditionnelle du Canada sur la sécurité humaine, selon laquelle les besoins de sécurité des populations ne peuvent être satisfaits durant les périodes de conflit armé ou de risque de conflit. Dans ces circonstances, nous devons être préparés à intervenir et disposer d'une force militaire capable de le faire. Notre premier choix devrait être le multilatéralisme, à cause de sa légitimité, de préférence au sein des Nations Unies et d'autres institutions comme l'OTAN, s'il y a lieu. Mais je ne suis pas d'accord avec M. Regehr. Nous devrions être prêts à agir seuls et capables de le faire avec une capacité limitée, s'il le faut, ce qui ne veut pas dire pour autant que nous avons besoin de forces armées capables de s'engager dans toute la gamme des activités de combat.

Enfin, j'aimerais décrire comment la nature de l'intervention militaire change dans un cadre de sécurité humaine. Les forces armées modernes sont structurées autour de l'idée de se battre contre des forces armées d'États opposés. Les structures, la doctrine et la tactique militaires visent à tuer les soldats du camp opposé aussi efficacement que possible. La culture de l'institution accorde de la valeur au conflit armé et le voit comme le principal rôle de l'organisation.

Notre culture militaire est illustrée par la décoration qui a été remise aux soldats ayant servi en Afghanistan. La croix vient devant les médailles remises pour le service dans les opérations de maintien de la paix et de renforcement de la paix dans des endroits comme la Bosnie. Cela reflète la culture militaire et la perception de la valeur relative des différentes opérations.

Au lieu de forces armées qui mettent le combat au cœur de leur mandat, le cadre de la sécurité humaine placerait la protection des gens au cœur de ce mandat. Cela représenterait une modification profonde de la culture, de la structure et de la doctrine militaires.

Je dirai en terminant que, contrairement à ceux qui soutiennent que la sécurité humaine est une position utopique, le crois qu'elle est tout à fait réaliste et qu'elle reflète les politiques actuelles du gouvernement canadien. Par ailleurs, la mise en place d'une telle politique en matière de sécurité ne signifierait pas que nous cesserions de collaborer avec les États-Unis pour protéger l'Amérique du Nord, ou de lutter contre le terrorisme. Cela ne voudrait pas dire que nous perdrions notre capacité de nous battre, mais le but des combats changerait radicalement. Une telle position n'éroderait pas notre intérêt national mais reconnaîtrait que notre mode de vie au Canada est relié au reste du monde et ne peut en être dissocié.

Le sénateur Banks : Monsieur Christie, vous avez indiqué que nous devrions être capables d'intervenir seuls. Le Canada n'est jamais intervenu seul. Le Canada ne s'est jamais engagé seul dans une opération militaire quelconque, alors ce serait étrange.

Vous avez tous les deux évoqué la nécessité d'une participation canadienne dans les pays où les citoyens sont maltraités. Vous nous avez donné des exemples et nous savons que ce sont des endroits abominables actuellement.

Vous avez également affirmé tous les deux que nous devrions nous efforcer de travailler avec les Nations Unies, quand c'est possible.

Comment pouvez-vous justifier la notion de droit de protéger et l'article 1 de la Charte des Nations Unies?

Comment pouvez-vous justifier une intervention au Darfour, ou au Congo, quand les Nations Unies indiquent clairement que nous ne devrions pas y aller à moins d'y avoir été invités?

Je n'ai pas souvenir qu'une telle invitation ait été faite, mais il y a peut-être eu une invitation pour entrer en Corée, d'une certaine manière.

M. Christie : Je ne suis pas d'accord avec votre première affirmation. Je soutiens qu'envoyer notre équipe DART à l'étranger pour travailler de manière indépendante au Sri Lanka est un exemple de la manière dont nous pouvons agir seuls pour réaliser un mandat de sécurité humaine. Ce n'est pas une mission de combat.

Le sénateur Banks : Je faisais allusion à une opération belliqueuse.

M. Christie : En ce qui concerne la justification du droit de protéger, il y a eu une modification graduelle du sens donné à la souveraineté. La notion de souveraineté a été mise en place, dans le cadre de la paix de Westphalie, pour instaurer la stabilité et la sécurité. Le raisonnement était que, si on reconnaissait la souveraineté, on pourrait parvenir à éliminer les conflits armés. Si l'on considère la souveraineté comme le moyen d'assurer la sécurité des sociétés, alors on ne la voit pas uniquement comme un droit mais aussi comme une responsabilité. Lorsqu'un État est incapable de remplir l'obligation de protéger ses citoyens, alors il a aussi perdu son droit de souveraineté. Il y a quelques exemples de situations de ce genre.

En ce qui concerne le rôle du Canada, État privilégié dans la communauté internationale tout comme d'autres États semblables, je dirais que nous avons la responsabilité d'intervenir pour protéger des gens qui ne peuvent pas être protégés ou qui ne sont pas protégés par leur propre État. Bien souvent, la source de l'insécurité de ces gens est l'État lui-même. Le Soudan, le Rwanda, des exemples historiques comme le Cambodge, nous montrent que c'est arrivé. Je soutiens que, moralement, nous avons la responsabilité d'intervenir s'il le faut.

Le sénateur Banks : Le gouvernement du Soudan pourrait ne pas être d'accord avec ce point de vue.

M. Christie : Absolument, et sans vouloir faire une longue analyse, on pourrait prendre l'exemple du Cambodge, qui est utilisé dans toutes les études sur la souveraineté. Nous devons nous demander s'il aurait été bien de ne pas intervenir tout en sachant ce qui se passait sous le régime de Pol Pot?

Le gouvernement tentait de contrôler l'État; il percevait des impôts, et cetera. Aurions-nous dû fermer les yeux et les laisser faire?

Je ne le pense pas. Ils ne remplissaient pas leur obligation de protéger leurs citoyens.

Le sénateur Banks : L'Assemblée générale des Nations Unies acceptera-t-elle un jour d'abroger ou d'annuler l'article 1 de la Charte?

M. Christie : Je ne crois pas qu'il faille abroger l'article. Je pense qu'il faut plutôt le réinterpréter. Je crois qu'ils l'ont fait. Kofi Annan a employé le terme « révolution » pour décrire la nouvelle vision exprimée dans le document La responsabilité de protéger. Cela illustre et reconnaît la tendance historique au cours de la dernière décennie.

M. Regehr : Un principe fondamental est que les interventions dans les affaires d'un autre État soient collectives. Aucun État n'a le privilège exclusif de décider quand une intervention au Darfour ou ailleurs est nécessaire. Il faut une décision collective, et il faut la prendre aux Nations Unies.

Quand la Tanzanie a envahi l'Ouganda du temps d'Idi Amin Dada, il était impossible que le Conseil de sécurité déclare que cette dictature constituait une menace pour la paix et la sécurité internationales et autorise une invasion. L'OUA ne voulait pas s'en mêler, mais quand la Tanzanie l'a fait, tout le monde s'est réjoui de l'invasion.

Nous devons envisager la possibilité de circonstances extraordinaires où l'on agit d'abord et l'on plaide ensuite la défense de nécessité.

Le sénateur Atkins : Et au Rwanda?

M. Regehr : Au Rwanda, il n'y a pas eu d'intervention; nous n'avons pas plaidé la défense de nécessité. En un sens, la réaction face au Rwanda tentait d'empêcher ce qui est arrivé en Somalie.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a les moyens d'autoriser une intervention légitime pour annuler la souveraineté d'un État. Je pense qu'il faut un changement et qu'il s'agit d'une entreprise diplomatique. La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États a grandement contribué au débat sur la question suivante : quelle est la nature de la responsabilité de la communauté internationale et quand convient-il d'exercer cette responsabilité?

Nous devons prendre des décisions collectives et, à notre grande honte, des situations comme celles du Darfour et du Rwanda se produisent avant que nous le fassions. Si les grandes puissances européennes décidaient de mettre en place une force pour l'envoyer au Darfour, ce serait une répétition de ce qui s'est passé avec la Tanzanie et l'Ouganda. On adopterait après coup une résolution en faveur de l'invasion, tout en assurant la stabilité des citoyens du Darfour.

Mais des situations extraordinaires et évidentes comme celles du Darfour, du Rwanda et de l'Ouganda sont des exceptions.

Le sénateur Banks : Ce sont précisément les arguments qu'ont invoqués les Britanniques lorsqu'ils ont commencé à coloniser l'Afrique de l'Est et l'Afrique centrale. Ils ont dit qu'ils n'avaient pas le choix, parce que ce qui se passait là-bas n'était pas assez bien, et le monde a applaudi.

Il y a une ligne très mince entre le genre d'intervention que vous décrivez et le colonialisme et l'impérialisme. La Russie et l'Allemagne avaient convenu qu'il valait mieux pour tout le monde que la Pologne soit envahie.

M. Regehr : Il y a maintenant des freins et contrepoids institutionnels. Les Britanniques n'ont pas consulté ce qui aurait été l'équivalent de l'OUA à l'époque. Il faut l'engagement des États de la région. C'est pour cette raison que ce n'est pas l'apanage d'un seul État. Il faut que ce soit une entreprise collective, et il faut de la diplomatie, des discussions et un débat international pour élaborer les critères.

Le sénateur Meighen : L'OTAN peut-elle être un regroupement légitime d'États comme l'OUA?

M. Regehr : L'OTAN n'a pas le pouvoir de prendre des décisions relatives à une intervention en Afrique, à moins de prendre une décision en ce sens et ensuite, vu les circonstances exceptionnelles, faire en sorte que le Conseil de sécurité ou la communauté internationale confirme qu'elle a fait la bonne chose. Les États-Unis ont pris l'initiative en Iraq et je ne pense pas qu'ils obtiennent ce genre de validation après coup de leur intervention.

Le sénateur Stollery : Il me semble que ces interventions ont généralement échoué. Prenons l'exemple de la Somalie. Les États-Unis ont été mis à la porte. Il y a une liste. Tout le monde dit : « Nous devrions aller là-bas et sauver ces personnes », et nous sommes tous d'accord, mais quand vient le moment de le faire, il semble que l'expérience ne soit pas reluisante.

M. Regehr : C'est vrai, mais ce n'était pas le point de vue d'un villageois du Darfour ou d'un villageois de l'intérieur de la Somalie lorsque les Américains sont arrivés. L'intervention américaine a sauvé des dizaines de milliers de vie, mais elle a tourné au vinaigre par la suite.

Je ne dispute pas le fait que des opérations semblables ne réussissent pas souvent.

Le sénateur Stollery : Si vous interrogiez les Bagdadis, ils auraient peut-être une vision très différente de la situation. Je connais la Somalie assez bien et je ne comprends pas comment ils ont pu renvoyer chez elle la plus grande puissance militaire au monde.

Le sénateur Banks : Cela peut sembler une question étrange à poser au cofondateur de Ploughshares, mais êtes-vous d'accord que, pour poursuivre la paix, la stabilité et la sécurité humaine, nous avons besoin de forces armées capables et robustes?

M. Regehr : Je pense que c'est le cas dans la plupart des conflits chroniques et longs. Au Soudan ou en République du Congo, il n'y a pas de solution militaire à court terme ni de solution diplomatique à court terme, seulement des solutions à long terme très difficiles. Nous devons tenir compte du point de vue des victimes de ces conflits tout en effectuant notre lent et douloureux travail diplomatique.

Je vis à Waterloo, et quand il y a de la violence dans ma rue, je fais le 911 et j'obtiens une réponse de la personne qui est au bout de la ligne. Au Darfour, il n'y a pas de numéro 911. On a l'impression que la communauté internationale doit assumer une responsabilité. En tant que communauté internationale, nous avons la responsabilité envers les plus vulnérables d'essayer de faire venir chez eux les ressources militaires extraordinaires qui existent.

Nous avons la responsabilité de comprendre et de trouver des moyens d'affecter ces ressources à la protection des plus vulnérables.

Voilà le défi. La communauté internationale n'a pas de solution pour relever ce défi, mais dans sa quête d'une solution, le droit de protéger fait avancer la discussion et fait partie intégrante de la quête.

Le sénateur Banks : Monsieur Christie, vous avez parlé du caractère pratique des moyens de défense en Amérique du Nord. Que pensez-vous de la défense antimissile balistique de l'Amérique du Nord?

M. Christie : Je ne suis pas prêt à prononcer sur cette question.

Le sénateur Banks : Vous avez examiné ces questions pendant un certain temps.

M. Christie : Oui, c'est exact. Je dirais que notre sécurité n'est pas menacée du fait que nous ne participons pas au bouclier antimissile. Si c'est une question de coopération avec les Américains pour les rendre heureux — et je crois que la politique en matière de sécurité nationale vise notamment à nous assurer que les Américains sont convaincus que nous faisons notre part — je pense qu'il y a d'autres moyens de le faire. Je crois fermement à l'importance des normes et des régimes internationaux et je ne crois pas qu'éliminer le traité sur les missiles antibalistiques est une façon efficace de faire avancer les régimes internationaux.

Le sénateur Banks : Monsieur Regehr, vous avez parlé d'un type de forces armées différent, de forces armées qui seraient spécialisées. Nous avons entendu de nombreux arguments pour et contre dans ce débat.

Quel type de forces armées spécialisées devrions-nous avoir?

M. Regehr : C'est une question difficile. Nous devons avoir des forces armées capables de participer à des interventions collectives dans des situations où les populations sont gravement en péril, comme au Darfour, par exemple.

Les stratèges militaires devront définir les détails, mais il faut pouvoir se rendre à ces endroits et pouvoir bouger quand on y est.

Bien souvent, il suffit d'être là pour protéger la population du Darfour contre les milices Janjawid. Il faudrait une présence relativement limitée dans un village pour que les Janjawid n'y viennent pas.

Il faut une infrastructure. C'est une bonne chose que le Canada ait versé 20 millions de dollars à l'Union africaine pour qu'elle se dote d'infrastructures de transport par hélicoptère pour ses forces.

On n'a pas besoin de chars d'assaut, de chasseurs et de bombardiers ni de missiles de défense aérienne pour aller au Darfour.

Le sénateur Banks : On n'en aurait pas besoin si les autres avaient des chars d'assaut et des chasseurs?

M. Regehr : La plupart du temps, ils n'en ont pas.

Le vice-président : Je pense que sept Irlandaises ont accompli plus depuis 48 heures que ce qui avait été accompli depuis des années.

Le sénateur Meighen : Il y a un dilemme entre appuyer le droit international et se précipiter sans invitation au Darfour. Je me demande comment on peut faire la différence entre les deux.

En tant que Canadiens, dans quels contextes et dans quelles organisations devrions-nous concentrer nos efforts?

Nous devrions peut-être faire feu de tout bois pour obtenir le monde que nous voulons et faire adopter cette orientation organisationnelle.

Si l'on se concentre sur les Nations Unies, on vieillira sans avoir changé grand-chose. Si l'on se concentre sur l'OTAN, qui est une organisation représentative, on pourrait peut-être obtenir des résultats plus rapides.

Je suis intéressé par votre évaluation des Nations Unies. Allons-nous dans la bonne direction ou sommes-nous en train de tourner en rond ou de reculer?

M. Regehr : Je ne pense pas que nous ayons d'autre choix que de renforcer ce qui existe aux Nations Unies. C'est l'outil dont nous disposons. On peut peut-être aller à l'OTAN pour demander des ressources une fois qu'un consensus est établi sur la nécessité de la force militaire. L'OTAN n'est pas l'organisme qui prend la décision.

Nous avons besoin d'une série d'étapes établies. Quand la commission des droits de la personne constate des violations graves des droits de la personne, alors la très politique Commission des droits de l'homme ne devrait pas prendre les décisions.

On devrait sentir que lorsque les violations des droits de la personne dépassent un certain seuil, il y aura une enquête. Quand le nombre de décès d'enfants dépasse un certain seuil ou que le nombre de personnes déplacées dans leur pays dépasse un certain seuil, la communauté internationale devrait réagir automatiquement. Il devrait y avoir une série de mesures diplomatiques et d'enquête de plus en plus poussées, face à une crise de plus en plus grave. Cette méthode permet d'obtenir un consensus plus large dans la communauté internationale. Elle pousse la communauté internationale à croire qu'elle assume une partie de la responsabilité.

Je crois que cette méthode nous permettrait de reconnaître plus rapidement les problèmes potentiels et réduirait la nécessité d'une intervention extraordinaire.

Je crois que c'est à ce niveau que l'ONU peut élaborer certaines de ces réactions graduelles, mais inévitables, à l'évolution de la situation.

Le sénateur Meighen : Je ne dis pas le contraire. Je pense qu'il faudra un certain temps, en particulier parce que tout le monde doit s'asseoir et tenter de décider quelles seront ces diverses étapes et comment les définir.

Je reviens au Darfour, pour lequel nous semblons tous du même avis. Supposons que 40 pays membres des Nations Unies pensent que la situation au Darfour justifie une intervention, mais qu'ils ne puissent faire adopter une résolution en ce sens.

Le Canada devrait-il intervenir ou attendre que la majorité soit d'accord?

M. Christie : C'est un grave problème pour lequel je n'ai pas de solution facile.

Le sénateur Meighen : Je ne connais personne qui en ait.

M. Christie : J'aimerais bien en avoir. Ma réussite professionnelle serait assurée. En ce qui concerne la question de savoir sur quelles institutions multilatérales nous devrions concentrer notre attention, il n'y a qu'une seule organisation où la représentation est vraiment généralisée, et c'est l'ONU. Nous ne pouvons pas l'abandonner ou relâcher notre attention.

L'ONU a eu des problèmes de croissance et continuera à en avoir. Kofi Annan a annoncé un plan pour rajeunir l'organisation et ce ne sera pas une sinécure, mais cela ne veut pas dire que nous devrions regarder ailleurs. C'est une organisation dans laquelle nous avons beaucoup investi pendant longtemps et c'est là, je crois, que nous devrions continuer à investir la plus grande partie de notre énergie.

En même temps, nous devons continuer à travailler au sein d'organisations régionales, qui peuvent agir plus rapidement. Nous devons tenter de trouver des solutions locales aux problèmes locaux.

En ce qui concerne la décision sur la manière ou le moment de l'intervention, je pense qu'il faut quelques balises. Il faut un consensus international sur ce qui déclencherait une intervention internationale. Le rapport sur La responsabilité de protéger est un bon point de départ pour la légitimité de l'intervention et l'existence d'un plan politique au sujet de la reconstruction à long terme de l'État.

Nous devons être conscients que 90 p. 100 de la prévention des conflits doit se faire avant que le conflit n'éclate. Perdre cela de vue et tenter d'éteindre les feux après qu'ils se sont déclarés est une bien mauvaise façon d'assurer la sécurité.

Il est malheureux que les militaires doivent intervenir; ce sont les situations d'urgence les plus affreuses et les plus complexes et nous avons beaucoup de mal à nous en sortir.

Il est parfois difficile de mesurer quel effet nous avons sur l'ensemble du tableau. La communauté internationale a condamné le Vietnam quand il a tenté d'éliminer Pol Pot. Mon expérience universitaire avec les Cambodgiens est qu'ils croient tous que, malgré les problèmes qui ont suivi, cette intervention a été utile pour l'État au bout du compte. Nous ne pouvons pas l'oublier.

L'intervention n'a pas pour but de défendre les intérêts canadiens. Elle a pour but d'aider les gens sur le terrain.

Le sénateur Meighen : On pourrait soutenir que le Canada a aussi intérêt à ce qu'il y ait moins d'opprimés ou d'affamés.

M. Christie : Ce devrait être un intérêt canadien. Le problème avec ce mot, c'est qu'il est très lourd de sens en realpolitik et dans toute décision rationnelle sur ce qui est le mieux pour le Canada et non ce qui est le mieux pour ceux que nous voulons aider. C'est pourquoi j'essaie d'éviter de parler d'intérêts.

Le sénateur Atkins : Qui a dit un jour que si l'ONU n'existait pas, il faudrait l'inventer?

L'ONU est-elle devenue un si gros éléphant qu'elle ne peut plus bouger, qu'elle est paralysée?

Il y a tellement d'endroits sur la planète où il faudrait intervenir, mais on a l'impression que cette question n'obtient pas l'attention qu'elle mérite.

M. Christie : Je pense qu'on perd très vite de vue à quel point l'ONU a changé depuis 1990. Le nombre d'interventions, le nombre d'activités entreprises par les Nations Unies depuis la fin de la guerre froide est assez spectaculaire, comparativement aux 30 années précédentes.

Est-ce un éléphant blanc? Non.

Le sénateur Atkins : Je ne dis pas que c'est un éléphant blanc, mais c'est un gros éléphant.

M. Christie : C'est une bureaucratie énorme et complexe. Elle a des problèmes, comme n'importe quelle autre grande organisation. Il suffit de se promener dans les couloirs de l'ONU à New York pour constater rapidement que le fonctionnement quotidien de l'organisation est très complexe et politique.

Le sénateur Atkins : L'ONU peut-elle réparer ce qui ne va pas?

M. Christie : Premièrement, je pense que cela donne une fausse impression de la réalité et semble indiquer que l'organisation est complètement cassée. Elle doit être modifiée plutôt que réparée. Peut-elle être modifiée? Absolument.

Une partie du problème tient au fait que quelques grands États, qui constituent certains des principaux donateurs, ne veulent pas s'en occuper pour le moment. Cette situation entrave l'organisation et reflète moins les Nations Unies que certains participants au sein de l'organisation.

M. Regehr : Nous devons garder en tête cette dernière observation. Il y a à Washington un gouvernement qui a une attitude particulière à l'égard de l'ONU. John Bolton exprimera cette attitude encore plus à l'ONU, mais c'est une présence temporaire, qui passera.

Il y a dix ans, nous avions une vision très différente des Nations Unies. On était très optimiste au début des années 90 au sujet de ce que le Conseil de sécurité pouvait faire grâce à la collaboration.

Il y a maintenant la Chine également, et il y a tout particulièrement l'Afrique, qui a des intérêts particuliers liés à ses besoins d'énergie et à ses relations avec le gouvernement du Soudan; cela aussi, crée de l'obstruction. Les États-Unis collaboreraient probablement dans ce dossier s'il n'y avait pas la Chine.

Tous ces facteurs entrent en jeu et changent avec le temps. À un niveau inférieur, nous devons faire les démarches diplomatiques et les études sur le droit de protéger afin d'élaborer les critères, en prévision du jour où le climat politique sera plus ouvert.

Le sénateur Atkins : Le Secrétaire général a-t-il un poids suffisant dans la structure de l'ONU?

M. Regehr : Je ne connais pas suffisamment les rouages internes du système. Je pense que quand on se met Washington à dos, on a moins de poids qu'on le voudrait.

Le sénateur Meighen : Le ratio défense/APD est-il établi par rapport à l'ensemble des dépenses consacrées à la promotion de la démocratie, au désarmement et à la diplomatie?

M. Regehr : Non, c'est uniquement le rapport entre la défense et l'aide au développement.

Le sénateur Meighen : Que signifie APD?

M. Regehr : APD est l'acronyme utilisé pour désigner l'aide publique au développement.

Le sénateur Meighen : Parlez-nous un peu du développement.

M. Regehr : Le développement fait appel à l'ACDI et porte sur la lutte contre la pauvreté, par exemple.

Le sénateur Meighen : Il peut prendre de nombreuses formes.

M. Regehr : Oui; mais je le considère comme une indication générale des sources d'insécurité et de ce qu'il faut faire pour les éliminer.

Le sénateur Meighen : Vous affirmez que nous avons un ratio d'environ 4, tandis que les pays scandinaves et les Pays-Bas sont à 2. Notre comité s'est souvent exprimé en faveur d'une forte hausse des dépenses militaires et a fait remarquer que les Pays-Bas et de nombreux pays scandinaves investissent beaucoup plus que nous dans leurs forces armées. Je parle de dépenses absolues ou par rapport au PIB.

Si vous augmentez les deux, il n'y aurait pas de contradiction; on pourrait mathématiquement atteindre votre ratio de 2. Mais il faudrait investir beaucoup plus, n'est-ce pas?

M. Regehr : Oui.

Le sénateur Meighen : À la fin de votre exposé, j'ai eu l'impression que vous faisiez un plaidoyer en faveur d'une force militaire qui, tout en étant apte au combat, se trouverait quelque part entre les forces armées telles que nous les connaissons actuellement e, comment dire sans être désobligeant, une force constabulaire.

En gros, est-ce ce que vous préconisez?

Est-ce uniquement à cause du triangle sunnite en Iraq que les Américains font l'objet d'attaques continues et plus violentes, d'attentats suicides et tout le reste?

À quelques exceptions très notables, les Britanniques dans le sud de Iraq sont loin d'éprouver autant de difficultés.

Affirmeriez-vous que les troupes britanniques comprennent l'internationalisme autrement, ont eu une formation différente au sujet des rapports avec la population civile — inspirée peut-être de l'expérience assez directe du Royaume-Uni — ou est-ce simplement le fait que les deux pays se chargent de régions différentes en Iraq?

M. Regehr : Je suppose que c'est lié en grande partie au premier facteur et un peu au second.

Ce que je faisais valoir au sujet d'une certaine capacité entre les extrêmes va dans le droit fil de ce que la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États a fait observer vers la fin de son rapport. Elle a déclaré que l'intervention doit être très méticuleuse, qu'on ne débarque pas simplement avec une force énorme qui détruit l'infrastructure et anéantit la capacité du pays de s'en remettre. On ne peut pas non plus arriver simplement avec des casques bleus et des jumelles. Il faut quelque chose entre les deux. C'est un défi que nous devrons prendre au sérieux.

Je sais qu'on a tendance à dire que le meilleur soldat est le meilleur gardien de la paix, mais je m'interroge sur toutes les implications de cette affirmation. Cela implique qu'il n'y a pas de formation spéciale nécessaire pour le maintien de la paix ou une intervention intermédiaire. Je suppose qu'il y a une formation et une préparation particulières pour ce genre de rôle, afin de comprendre qu'on a une mission différente d'une mission classique de combat.

Le sénateur Munson : Je suis curieux. La politique étrangère et la politique de défense du gouvernement sont-elles sur la bonne voie ou complètement à côté de la plaque?

M. Regehr : Si le gouvernement publiait un document, nous pourrions le savoir. J'ai l'impression que notre politique de défense va dans la bonne direction. Elle insiste sur le renforcement de la nouvelle brigade et des forces sur le terrain. Le Premier ministre a eu des propos très multilatéralistes mais ces déclarations doivent se traduire en mesures plus concrètes.

Le sénateur Munson : Pendant combien de temps devons-nous encore tergiverser?

Vous avez présenté vos documents ici aujourd'hui. Nous parlons de ce que vous dites aujourd'hui. Vous dites que le gouvernement tergiverse et tarde à présenter sa politique.

Est-ce que vous nous dites?

M. Regehr : Elle a été promise il y a longtemps.

Le sénateur Munson : Monsieur Christie, qu'en pensez-vous?

M. Christie : Je suis d'accord avec M. Regehr. Il faut probablement attendre de voir les documents. J'ai eu des conversations avec des fonctionnaires de la Défense nationale et des Affaires étrangères, et il y a eu des rumeurs sur ce qui s'en vient. La rumeur court, mais tant que nous n'avons pas vu les documents, il est difficile de se prononcer.

Mais la direction qui semble se dégager des déclarations publiques est prometteuse.

Le sénateur Munson : En quel sens?

M. Christie : En ce sens qu'on semble vouloir mettre en place des Forces canadiennes restructurées, possédant les capacités humaines, les ressources et l'équipement leur permettant de participer aux types d'activités auxquelles nous participons depuis quelques années et de soutenir ces activités sur le terrain. Cela me paraît prometteur.

Je ne suis pas certain d'être d'accord avec toutes les décisions d'approvisionnement, mais cela importe peu. Nous ne nous entendrons jamais sur tout cela. L'observation au sujet de la logistique est importante. La décision d'envoyer l'équipe DART à l'étranger a aussi été un signe politique très important de notre volonté de rester présents dans ces régions du monde.

Nous devons nous rappeler que ce n'est pas seulement un geste pour sauver des vies ou alléger les souffrances dans le monde, c'est aussi un geste politique qui montre que nous voulons participer et sommes intéressés à ce qui se passe. Un investissement très modeste comme l'équipe DART envoie tous les bons messages et c'est important.

Le sénateur Munson : Ce que vous venez de dire suffit-il pour réchauffer notre amitié avec le gouvernement actuel des États-Unis?

M. Regehr : Si vous faites allusion à la défense antimissile balistique, je ne crois pas que cette décision ait fait beaucoup de tort à notre amitié. De fait, le Canada a donné aux États-Unis l'élément principal qu'ils voulaient. Ils n'ont jamais proposé et ne proposeront jamais non plus que le Canada participe à l'exploitation des intercepteurs de défense antimissile balistique.

Tout au long de ce débat, les États-Unis n'ont jamais exercé de grandes pressions pour obtenir notre appui. Évidemment, ils aiment des déclarations d'appui symboliques, mais le système d'alerte et d'évaluation tactique intégrée du NORAD existait déjà, et c'était un acte de coopération du Canada avec les États-Unis.

Nous avons pu affirmer que nous collaborerions avec eux, mais que ce n'était pas une priorité pour nous. C'est une grande tempête un verre d'eau pour les médias, mais pas ailleurs, je crois.

Le sénateur Munson : Puisqu'il est question des États-Unis, quand une superpuissance réorganise le monde comme l'entend le président Bush, où se situe votre philosophie? N'est-ce pas prêcher dans le désert?

À mon avis, il y a aux États-Unis une nouvelle philosophie qui pourrait durer pendant un certain temps. Je ne pense pas que ce sera temporaire, contrairement à ce que vous croyez. Je suis curieux d'entendre votre point de vue sur là où se situe votre philosophie dans cette réorganisation complètement nouvelle, qu'il s'agisse de l'Organisation mondiale du commerce ou des Nations Unies. Il y a un puissant shérif en ville.

M. Regehr : J'ai passé beaucoup de temps dans le bois, alors je connais bien le territoire. Les dirigeants ont besoin de partisans. Les superpuissances peuvent faire jouer leur poids, et elles ne manquent pas de le faire, et c'est peut-être davantage un souhait qu'une réalité, mais je pense que c'est un phénomène passager. Je ne pense pas qu'on puisse exercer un leadership moral et politique quand presque tout le monde le rejette.

Si des démocraties véritables émergent en Iraq et en Afghanistan et que les dominos tombent et que toute la région emboîte le pas, je serai le premier à leur tirer mon chapeau, mais je ne pense pas que ce soit imminent. Ils devront changer.

La position américaine sur la non-prolifération nucléaire en Iran a changé, pour tenir compte du fait qu'il faut s'aligner sur les Européens. Nous ne pourrons pas progresser tant que nous ne serons pas alignés sur les Européens.

John Bolton avait l'habitude d'être le leader délégué au traité sur la non-prolifération, et si nous imitons sa tactique, nous marginaliserons l'Iran encore plus et pousserons ce pays à poursuivre encore plus énergiquement l'arme nucléaire. Il est reconnu maintenant que nous devons nous rapprocher des Européens. Je pense qu'il y a déjà des changements.

Le sénateur Munson : Pour revenir à la discussion avec le sénateur Banks, vous demandez-vous à propos du processus de paix qui décide et qui applique la décision au bout du compte?

M. Regehr : Le Secrétaire général a des idées sur la manière de changer le Conseil de sécurité. On suppose que les règles au Conseil de sécurité devront changer. Personne ne sait si le droit de veto des cinq membres demeurera.

Le Canada doit promouvoir un sens de la responsabilité collective et une prise des décisions collective dans la communauté internationale afin de l'aider à s'entendre sur les critères de ces moments extraordinaires où nous devons intervenir et annuler la souveraineté d'un État.

Nous ne sommes pas capables de forcer ce consensus mais viendra un moment où la situation politique changera et où la conjoncture politique sera plus mûre pour ce consensus.

M. Christie : Il est parfois facile d'oublier qu'il y a une longue histoire de leadership moral aux États-Unis. Woodrow Wilson, avec ses 14 points, croyait qu'ils avaient un droit moral, une obligation morale, d'intervenir dans le monde. La différence, c'est qu'il y avait un engagement envers le multilatéralisme qui fait défaut actuellement, ou qui fait défaut selon moi. Nous commençons à constater que les États-Unis reconnaissent avoir effectivement besoin du multilatéralisme. Leurs interventions ne sont pas perçues comme légitimes s'ils agissent seuls ou avec une très petite coalition et, dans la mesure du possible, ils doivent agir par l'entremise des Nations Unies.

Je pense qu'il y aura un retour du pendule, même avec le président actuel.

Dans quelle mesure notre préoccupation à l'égard des perceptions américaines devrait-elle influer sur notre politique étrangère?

Mon interprétation est que cela sert les intérêts américains d'avoir des pays qui veulent et qui peuvent agir en donnant une certaine impression de légitimité dans un grand nombre de ces petits bourbiers comme le Rwanda et le Soudan.

On a encore l'impression que des pays comme le Canada et les pays scandinaves n'ont pas les mêmes intérêts de puissance dans ces régions. On a l'impression que nous pouvons agir en nous inquiétant moins de notre présence, parce que nous ne sommes pas aussi puissants que les États-Unis.

D'autres pays ont l'impression que, quand nous intervenons, nous le faisons parce que nous nous soucions vraiment des États que nous essayons d'aider. Je pense que cela aussi sert les intérêts des États-Unis.

Le sénateur Stollery : Dans le document du professeur Regehr, je suis d'accord avec les points cinq et six, parce qu'ils vont ensemble. D'après ce que j'en sais, le Darfour est une triste histoire, qui nous désole et que nous aimerions changer, mais il n'en demeure pas moins que, dans un grand nombre de ces pays où règne une insécurité fondamentale provoquée par la pauvreté, par exemple, les difficultés de la vie quotidienne font de nombreuses victimes. La pauvreté et l'insécurité qui découle de la pauvreté dans ces pays constituent en réalité un défi bien plus grand.

Nous ne semblons même pas pouvoir résoudre ces problèmes, même pas ceux qui paraissent évidents, en envoyant des soldats dans ce but, souvent en vain.

J'avais des questions au sujet du rejet du système de Westphalie. Quand nous nous sommes engagés dans cette voie dans les Balkans, la vie est devenue bien dangereuse.

Il me semble que tout le monde parle de ce qui constitue presque une forme de néocolonialisme. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose. Vous avez déclaré, par exemple, qu'au Darfour, du temps du Soudan anglo-égyptien, il y aurait eu des officiers et des commissaires pour surveiller tout cela et que ce qui arrive maintenant ne serait peut-être pas arrivé. Est-ce ce que vous avez dit?

Avez-vous dit que s'il y avait quelqu'un sur le terrain, le mal arriverait moins facilement?

Est-ce ce que vous dites?

M. Regehr : S'il y avait des gens de l'extérieur sur le terrain — ce que je faisais valoir c'est que l'anarchie règne là-bas, et je ne pense pas qu'il y ait une présence importante pour empêcher ces groupes de maraudeurs d'entrer dans les villages. D'énormes forces de combat ne sont pas nécessaires. En un sens, les villageois ont besoin d'un programme d'accompagnement, d'observateurs et de mesures de ce genre.

Le sénateur Atkins : Juste pour renforcer vos observations, si vous avez vu 60 Minutes hier soir, vous aurez appris qu'ils ont pu acheter des armes librement aux États-Unis et les expédier un peu partout. Ils n'achètent pas des chars d'assaut; ils achètent simplement de petites armes automatiques.

Monsieur Christie, dans votre mémoire, vous déclarez :

Nous vivons dans un monde interrelié. Nous sommes présents sur toute la planète et notre dynamisme économique et notre niveau de vie sont obtenus en en grande partie aux dépens d'autres régions du monde.

Que voulez-vous dire par là?

M. Christie : Nous avons une économie internationale. Nous dépendons de notre engagement, de nos échanges commerciaux dans le monde entier. De nombreuses entreprises rentables qui versent des impôts au Trésor du Canada ont des activités dans un grand nombre des pays dont il est question aujourd'hui. Nous pouvons prendre l'exemple du pétrole de Talisman. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais il semble que le pétrole de Talisman Energy Inc. n'a pas eu des retombées positives sur les Soudanais.

Les régimes commerciaux mondiaux n'ont pas profité à tous ceux que ces régimes prétendent avoir aidé. En Asie du Sud-Est, qui est la région dans laquelle je me spécialise, il y a une classe moyenne grandissante qui réussit exceptionnellement bien, mais il y a aussi une disparité grandissante entre ceux qui réussissent bien et ceux qui réussissent moins bien. La classe inférieure est encore plus démunie maintenant qu'elle ne l'était il y a 10 ou 20 ans. Ce sont des régimes commerciaux qui profitent au Canada. Prétendre que les pays ne peuvent pas subventionner leur agriculture quand nous le faisons nous-mêmes, a des conséquences spectaculaires sur les sociétés dont il est question ici.

Nous ne devrions pas insister pour libéraliser le commerce, mais si nous le faisons, nous devons reconnaître que nous avons l'obligation de combler les écarts. Nous devons continuer de participer et nous avons une responsabilité parce que nous ne vivons pas seuls.

Le sénateur Atkins : Nous ne sommes certainement pas seuls.

L'une des choses que nous avons constatées dans nos assemblées populaires dans l'Ouest est l'inquiétude au sujet du passage du Nord-Ouest, d'où les Américains pourraient finir par arriver.

Allons-nous assez loin et que devrions-nous faire pour apaiser les préoccupations qui commencent à poindre?

M. Christie : Nous devons agir maintenant, avant que la préoccupation ne devienne plus urgente. Le changement climatique semble indiquer que le passage du Nord-Ouest s'ouvrira et deviendra économiquement viable. L'accès au Nord a toutes sortes de conséquences sur la sécurité environnementale.

Dans ce cas, je serais contre la militarisation de la sécurité. Je pense que la Garde côtière est bien mieux placée pour agir là-haut. Premièrement, nous n'avons pas la capacité, à moins que je ne me trompe, nous n'avons pas de navire militaire capable de naviguer là-haut dans les glaces. C'est une excellente occasion de préconiser une solution démilitarisée, parce que tous les problèmes de sécurité du Canada n'ont pas que des solutions militaires.

Le sénateur Atkins : Notre présence est importante.

M. Christie : Oui, mais la présence de qui?

Faut-il envoyer une frégate canadienne dans le Nord ou un navire de la Garde côtière?

Je crois que le message envoyé est très différent, mais qu'en même temps, cela indique notre souveraineté.

Nous devons prendre la question au sérieux et agir. Mais je ne suis pas convaincu que les Forces canadiennes conviennent dans ce domaine.

M. Regehr : Je suis d'accord. Le Canada a une responsabilité à l'égard du passage du Nord-Ouest, peu importe la question de la souveraineté, parce qu'il se trouve dans notre zone économique et dans la limite de 200 milles. Nous avons une responsabilité économique et environnementale dans cette région, tout comme dans nos autres eaux.

Le sénateur Atkins : Si j'ai bien fait mes calculs, votre recommandation correspond presque à la nôtre. Nous avons recommandé une hausse de 4 milliards de dollars du budget et vous avez déclaré qu'un budget pertinent pour les Forces canadiennes serait de 16 à 18 milliards de dollars.

M. Regehr : C'est dans le contexte des dépenses consacrées aux autres éléments de la sécurité. Essentiellement, les manifestations de l'insécurité sont atténuées par les dépenses en matière de développement, de promotion de la démocratie, de promotion du respect des droits de la personne, et tout le reste. Ce qui m'inquiète, c'est que dans les années 90, nos dépenses dans ce secteur d'activité ont décliné plus rapidement que nos dépenses militaires.

Le sénateur Atkins : Pouvons-nous combler l'écart?

M. Regehr : Nous le devons. Je ne serais pas en faveur de fortes hausses des dépenses militaires aux dépens de ces autres aspects de la sécurité. Je pense que la concurrence pour les ressources s'intensifiera au lieu de diminuer. Rebâtir nos villes, la santé et toutes les autres priorités exigeront des ressources des Canadiens, de sorte que la cagnotte ne sera pas illimitée pour la sécurité. La principale question politique, c'est comment nous répartissons les dépenses dans ce budget élargi de la sécurité. Je crains un peu que le climat public soit si fortement en faveur d'une augmentation des dépenses militaires que nous irons dans cette direction et délaisserons les autres aspects de la sécurité qui ont des répercussions plus immédiates sur la sécurité des gens dans les villages et les villes.

Le sénateur Stollery : Je conviens que ces autres aspects sauveront plus de vies que les dépenses militaires, même si je pense aussi que nous avons peut-être laissé toute cette question aller trop loin.

Pensez-vous que la menace d'une intervention militaire est beaucoup plus efficace que l'intervention proprement dite?

M. Regehr : Je pense aux milices Janjawid au Darfour, et je ne suis pas convaincu que cela s'applique là-bas. Je suis convaincu que la menace d'une intervention militaire refroidit les ardeurs de Téhéran.

Le sénateur Stollery : Tellement d'interventions ont été des échecs.

M. Regehr : En effet. Je suis moins certain que cela s'applique à des situations extraordinaires comme le Darfour et le Rwanda.

Je ferai une brève observation sur le lien entre la pauvreté et les armes légères. La combinaison la plus mortelle est l'extrême pauvreté et une population foncièrement mécontente, et l'accès facile à des armes légères et des Kalashnikov dans cette population. C'est la meilleure façon de faire dégénérer la dissidence politique en violence et en conflit armé.

Nous devons nous efforcer de réduire et d'éliminer la pauvreté, mais nous devons également lutter de toute urgence contre la propagation non contrôlée des armes légères dans des régions où règne le mécontentement politique.

Le vice-président : Merci beaucoup, messieurs. Le comité apprécie beaucoup que vous ayez pris le temps de venir témoigner. C'est rafraîchissant pour nous d'avoir cette espèce de cours de procédure.

Sénateurs, notre prochain témoin est le professeur Andrew Cohen, auteur et journaliste bien connu, qui écrit une chronique dans le Ottawa Citizen. Le professeur Cohen donnera son point de vue sur diverses questions relatives aux affaires canadiennes et internationales.

M. Cohen est également professeur adjoint à la Norman Patterson School of International Affairs, qui relève de l'école de journalisme et de communications de l'Université Carleton. Il a été rédacteur en chef et chroniqueur au Financial Post. Il a également été membre du comité de rédaction du Globe and Mail. Il a été correspondant à Washington de 1997 jusqu'à son arrivée à l'école de journalisme et de communications en 2001. Il est l'auteur de While Canada Slept : How We Lost Our Place in the World.

M. Andrew Cohen, professeur adjoint, School of Journalism an Communications, Université Carleton : Je n'ai pas de déclaration préparée, mais j'aimerais faire quelques observations.

C'est un bon moment pour parler de la politique étrangère et la politique de défense du Canada. Nous sommes dans une situation qui n'existait pas il y a quelques années. Nous sommes dans une période de prospérité économique. Nous avons un excédent budgétaire que nous n'avions pas il y a dix ans quand nos dépenses affectées à l'aide, à la diplomatie et à la défense ont été réduites de manière disproportionnée. Nous n'aurions pas pu avoir la conversation d'aujourd'hui à ce moment-là, parce que les Canadiens s'efforçaient d'affecter les dépenses dans d'autres secteurs, qui ne comprenaient pas la défense nationale, la diplomatie et l'aide étrangère.

Nous avons un gouvernement relativement nouveau depuis 15 mois, un gouvernement dirigé par un premier ministre qui, je crois, voit le monde différemment de son prédécesseur. Il veut être engagé et veut que le Canada reprenne sa place dans le monde. Je pense qu'il est déterminé à atteindre cet objectif.

Je pense que l'opinion publique est prête pour un changement. La réaction au tsunami a montré que les Canadiens désirent fortement participer. Je ne pense pas que les Canadiens se réveillent le matin en pensant au Burundi ou au Darfour, mais quand on leur demande, ils sont prêts à agir.

Ces trois facteurs se combinent pour rendre opportunes les discussions sur la politique étrangère et sur la politique de défense nationale. Notre gouvernement est prêt à agir, et nous verrons un énoncé de la politique étrangère d'ici trois semaines.

Le moment est bien choisi pour un examen de la politique. J'espère qu'il aura quelque chose à dire et que le gouvernement profitera de l'occasion et demandera conseil à l'avenir auprès de votre comité et des autres comités qui consultent les Canadiens actuellement.

Comme vous le savez, Affaires étrangères Canada, le ministère de la Défense nationale et l'ACDI ont mené des consultations sur cet énoncé de la politique internationale, mais la population du Canada n'a pas participé à ce processus.

J'espère que vous ferez participer les citoyens, parce qu'ils sont importants dans ce processus. Je m'en tiendrai là et serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Atkins : Merci et bienvenue. Heureux de vous voir.

Comment réagissez-vous au budget?

M. Cohen : Je crois que c'est un bon départ. Je suis heureux de constater que le budget de la défense nationale est accru. Je suis déçu que les dépenses se concentrent fortement dans les deux ou trois dernières années du budget parce que si le gouvernement change ou n'est plus convaincu, la défense nationale pourrait être délaissée. Je préférerais qu'il y ait plus d'argent plus tôt pour la défense nationale.

Malgré les bonnes intentions, et il s'agit en grande partie de rhétorique et de bonnes intentions, le budget de l'aide ne nous amènera qu'à 0,35 p. 100 du PNB, ce qui est seulement la moitié du taux fixé par le premier ministre Pearson et ses collègues en 1969. Nous n'en sommes qu'à la moitié.

Je n'ai pas vu grand-chose pour la diplomatie, et cela m'inquiète. Je pense à la manière dont nous traitons nos diplomates, aux salaires que nous leur donnons; ils sont encore les professionnels les moins bien payés du gouvernement. Sans un engagement envers eux et envers le meilleur service extérieur qui soit, comme nous en avons déjà eu un, nous n'aurons pas le service extérieur dont nous avons besoin pour défendre nos grands idéaux. Le budget était un bon départ, mais cela ne suffit pas.

Le sénateur Atkins : Quand vous parlez du service extérieur, vous faites allusion à des emplois à haut risque, des emplois qui envoient les gens aux quatre coins du monde.

À votre avis, quels sont les principes et les facteurs qui définissent la place du Canada dans le monde?

M. Cohen : Je pense que nous sommes le produit de notre histoire, de notre géographie, de notre prospérité et de notre diversité. Nous pouvons être fiers de notre histoire. Je suis toujours attristé de voir dans mes cours de jeunes Canadiens qui ne connaissent pas notre histoire militaire, sauf le maintien de la paix. J'enseigne à des étudiants des Pays-Bas qui viennent dans le cadre de programmes d'échanges et qui connaissent davantage notre rôle dans la libération de leur pays en 1945 que ne le font nos étudiants canadiens.

Nous avons une histoire d'engagement depuis la Deuxième Guerre mondiale. Militairement, elle remonte beaucoup plus loin en arrière. Mais pendant la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée et ailleurs, nous avons eu une histoire de guerriers et de gardiens de la paix. Nous avons participé à toutes les missions de maintien de la paix du début des années 50 jusqu'à la fin des années 80. Le Canada était autrefois un pays qui fournissait 10 p. 100 des casques bleus du monde; nous étions le leader mondial, mais ce n'est plus le cas.

En 1959, John Kennedy a déclaré que notre ministère des Affaires étrangères était peut-être le meilleur au monde. Le Canada a bâti une grande partie de l'architecture de l'après-guerre. Le Canada a contribué à la création des Nations Unies, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l'Accord général sur les tarifs et le commerce et de l'OTAN. Lester Pearson et Hume Wrong ont été signataires et on leur a demandé à tous les deux d'être le premier Secrétaire général. Par la suite, nous avons participé à d'autres organisations. Nous pensions que cela faisait partie ce notre participation dans le monde.

Enfin, en ce qui concerne notre histoire de l'aide, nous étions à Colombo en 1950, pour le premier programme d'aide du monde. Lester Pearson et d'autres y étaient. C'est devenu notre vocation.

Dans les années 50 et 60, durant l'« âge d'or de la diplomatie canadienne », nous faisions des choses intéressantes. L'impression de contribuer à une mission nationale n'était pas toujours exprimée, mais elle était réelle.

Nous avions, comme l'a déclaré Charles De Gaulle à propos de la France, une idée du Canada. Je regrette que nous nous soyons éloignés de cette idée du Canada avec la dernière génération.

Si nous parlons de la place que nous voulons occuper dans le monde, nous devons commencer par ce sens de l'histoire. Puis, il faut passer à la géographie, au fait de vivre en Amérique du Nord tout en ayant une politique étrangère mondiale.

« Nos valeurs » est une expression éculée de nos jours. Elle remplace « intérêts »; mais nos valeurs de liberté, de libre marché, de pluralisme et de diversité nous sont encore chères.

Évidemment, nos intérêts guident notre politique étrangère et notre politique de défense. Nous vivons en Amérique du Nord et nous devons nous soucier de la défense de notre continent. À notre façon, nous avons projeté modestement une puissance internationale par le maintien de la paix. C'est quelque chose que nous voulons faire. Cela fait partie de notre image, en tant que Canadiens.

Du point de vue de l'histoire, de la géographie, de la diversité et de la prospérité, nous sommes un pays riche et nous devrions agir en conséquence. Être un pays riche, cela veut dire que si l'on est la huitième, la neuvième ou la dixième économie du monde, cela comporte des responsabilités. J'ai l'impression que nous avons rejeté ces responsabilités.

Notre aide est trop faible. Vous êtes des experts sur ce que nous avons fait à nos forces armées. Nous vivons dans un pays où un livre intitulé Who Killed the Canadian Military peut être un succès national de librairie et ne pas vraiment être réfuté.

Ce sont toutes des responsabilités qui découlent de notre passé — intérêts, valeurs, démographie, diversité — et elles définissent qui nous sommes dans le monde.

Le sénateur Atkins : Vous affirmez que nous ne faisons pas notre part.

M. Cohen : Nous ne faisons pas notre part. Dans les trois secteurs, les trois D, la défense, la diplomatie et le développement, nous consacrons 0,28 du PNB. Nous nous étions engagés à trois fois ce taux en 1975-1976; nous étions à 0,53 p. 100 sous Pierre Elliott Trudeau.

Nous sommes un pays qui a ouvert ses bureaux de l'aide étrangère en 1960 et créé l'ACDI en 1969. Pendant un certain temps, nous nous sommes considérés comme un chef de file et un innovateur dans le domaine de l'aide étrangère. Nous ne le pensons plus. Nous ne le sommes plus. Le gouvernement a évolué dans cette direction générale. Nous n'avons plus la responsabilisation ou la transparence dont nous avons besoin, et nous sommes présents dans un trop grand nombre de pays.

Soit dit en passant, je crois comprendre que la ministre de la Coopération internationale donnera demain un discours dans laquelle elle répondra à quelques critiques au sujet de son agence. Elle réduira le nombre de pays. Nous sommes à trop d'endroits, avec trop peu de moyens et dans trop de secteurs, sans objectifs clairs. En ce qui concerne l'aide, nous faisons trop peu.

À mon avis, la diplomatie est floue et elle l'est depuis un certain temps. Ce fier ministère des Affaires étrangères a d'énormes problèmes de recrutement, de maintien de ses effectifs et de bas salaires. On veut maintenant le scinder, ce qui laisse stupéfait presque tout le monde à qui j'en ai parlé en ville. Ils ne peuvent pas comprendre qu'un ministère qui a été fusionné à grand-peine avec le Commerce international en 1981 est à nouveau séparé. Personne ne comprend et personne n'assume la responsabilité de la décision.

Ce ministère a besoin d'aide à l'intérieur, puis il a besoin d'une orientation. En tant que nation, nous devons décider si nous voulons un équilibre dans notre politique étrangère. Devrait-il y avoir un équilibre ou devrions-nous comprendre que nous vivons en Amérique du Nord et appliquer une politique nord-américaine? Devrions-nous nous soucier du reste du monde par l'entremise des organisations multilatérales, comme nous l'avons fait pour faire contrepoids aux États-Unis? Il me semble qu'il devrait y avoir un équilibre.

La défense est plus problématique. Nous ne faisons pas assez, pour toutes les raisons que vous avez entendues et dont nous avons discuté. Nos forces armées sont actuellement incapables d'agir au service de notre diplomatie. Nous aimerions continuer à faire de bonnes choses. Nous aimerions être présents au Darfour. Nous aimerions participer aux missions de maintien de la paix, même si le maintien de la paix est devenu le renforcement de la paix maintenant et que nous faisons du bon travail en Afghanistan. Les discours pleins de bonnes intentions camouflent l'absence de capacités malgré le bon travail que nous avons tenté de faire à certains endroits.

Dans ces trois domaines, je pense que nous ne faisons pas assez pour un pays aussi prospère que le nôtre et un pays de notre envergure. Nous pouvons nous reposer sur nos lauriers. Comme le disait Tom Lehrer il y a de nombreuses années dans sa boutade, à quoi sert d'avoir des lauriers si on ne peut pas se reposer sur eux?

Nous pouvons le faire et nous ferions tout de même davantage que 190 autres pays des Nations Unies. Nous devons nous demander si nous, citoyens d'un pays adulte, conscient et privilégié, nous en faisons assez dans tous ces domaines. Est-ce assez pour un pays qui a nos intérêts, un pays qui tire 45 p. 100 de sa richesse du commerce international? Est-ce assez pour un pays aussi diversifié que le nôtre?

C'est la question que, j'espère, le gouvernement posera aux Canadiens dans son énoncé de politique, et j'espère qu'il y répondra. J'espère que la réponse sera que nous ne faisons pas assez. Ce sera un signal et nous trouverons les ressources pour faire ce que nous pensons nécessaire, en fonction de ce que nous sommes.

Le sénateur Atkins : Si nous ne faisons pas assez, cela veut dire que nous avons besoin de plus d'argent.

Trouverons-nous cet argent par les impôts ou en réorganisant les priorités des dépenses du gouvernement?

Comment devrions-nous aborder ce problème, selon vous?

M. Cohen : J'espère que nous aurions un débat national. Si nous avions eu cette conversation il y a dix ans, vous auriez eu raison de me dire que je vous présentais une liste d'épicerie et que vous n'aviez pas d'argent. À cette époque, nous avions des déficits énormes. Je vous aurais répondu que vous aviez probablement raison. Mais même là, j'aurais espéré avoir une conversation sur ce qui est important pour nous. Nous étions une nation moins riche en 1955 et en 1965, quand nous avons dû consacrer un certain pourcentage de notre richesse nationale aux dépenses militaires, en particulier dans les années 50. Nous avons trouvé l'argent pour le faire.

En 1945, quand nous avons élargi notre service extérieur, certains demandaient que nous investissions davantage dans les programmes sociaux après la guerre. Nous avons jugé nécessaire, en tant que nation, de renforcer le service extérieur, et c'est ce que nous avons fait. Nous avons recruté les meilleurs candidats que nous pouvions trouver et nous avons mis sur pied un service extérieur fantastique.

Nous avons pu trouver des ressources pour faire ce que nous voulions faire. Je ne dis pas qu'il faut augmenter les impôts. Je pense que nous devons fixer des priorités. Nous devons demander aux Canadiens, comme le ferait un pays adulte, s'ils veulent tout cela et s'ils veulent payer pour l'obtenir, s'il y a quelque chose qui leur tient moins à cœur.

Même si cela peut sembler une question hérétique, dépensons-nous trop dans d'autres domaines? Dépensons-nous trop dans la santé, par exemple? Dépensons-nous trop dans les transports ou l'éducation? Ce sont des secteurs clés. Mais y a-t-il des domaines où nous pouvons faire des économies qui nous permettront de faire ce qui est nécessaire? Je ne suis pas convaincu qu'il faille accroître les impôts. Tout dépend des types de projets que nous aimerions réaliser. Je ne prétends pas qu'il faut tout faire, loin de là. Nous ne sommes pas les États-Unis ni la Grande-Bretagne, qui projettent une image de puissance, mais nous sommes un pays du G8 qui a des responsabilités.

De nombreux Canadiens sont assez contents de ce que nous faisons actuellement, et cela m'inquiète. Ils pensent que cela suffit, je crois. Ils pensent que l'image d'Épinal du maintien de la paix suffit, je crois. Nous ne faisons jamais la guerre, parce que ce n'est pas important. Une nation adulte ne peut pas penser ainsi. Nous avons des responsabilités sur notre continent et ailleurs, et si nous voulons jouent le rôle que nous avons déjà joué et celui que nous pouvons jouer, nous devons engager des ressources. Faut-il pour cela augmenter les impôts? J'espère que non. Il y a peut-être certains domaines où nous pourrions établir que c'est nécessaire, par consensus. Avec un excédent de 11 ou 12 milliards de dollars, je ne suis pas convaincu que nous devrions aller dans cette direction.

Nous venons de lancer un nouveau programme de garderies. C'est un choix que nous n'avons pas débattu dans notre pays, je pense. C'était une promesse. Avons-nous davantage besoin de garderies que de forces armées reconstituées? Je dirais que nous avons probablement davantage besoin de forces armées reconstituées, mais nous n'avons pas débattu cette question.

Le sénateur Atkins : Quels changements fondamentaux devront être apportés dans les Forces canadiennes de l'avenir?

M. Cohen : Je serais probablement d'accord, et je dis d'accord parce que je ne suis pas un analyste militaire, avec une force plus légère et plus mobile qui ferait ce que nous décidons clairement qu'elle devrait faire.

Si nous voulons faire partie d'une force d'intervention rapide, si nous voulons participer à une guerre de quartier, si nous voulons participer au maintien de la paix, nous devrons probablement reconfigurer les choses; c'est ce que les experts ne cessent de nous dire. Nous n'aurons peut-être pas besoin de sous-marins, peut-être pas de chasseurs, et peut-être pas d'une partie de l'équipement que nous avons actuellement.

J'ose espérer cependant que la manière de dépenser notre argent dépendrait d'une définition claire de ce que nous voulons faire. Nous devrons être capables de participer à une guerre d'une manière ou d'une autre, mais ce qui est plus probable, à cause de l'opinion publique, c'est que nous participerons probablement à des opérations plus interventionnistes et plus axées sur le renforcement de la paix. Je pense que nous voudrions nous équiper dans cette optique, mais j'espère que nous déciderions d'abord ce que nous voulons faire avant d'acquérir le matériel dont nous avons besoin.

Ce processus semble en cours sous la nouvelle direction des militaires, sous le général Hillier, mais je ne suis pas si convaincu que nous ayons eu cette discussion. Même si je pense que cela semble émerger un peu, j'attends avec intérêt l'examen de la défense et l'énoncé de la politique de défense.

Le sénateur Atkins : Quels sont les intérêts nationaux essentiels du Canada?

M. Cohen : Je pense que nous avons intérêt à défendre, le plus possible, nos frontières, à contribuer aux missions internationales de renforcement de la paix, à lutter contre le terrorisme, à assurer la sécurité de nos ports et de nos aéroports, par exemple.

Le sénateur Atkins : Et le Nord?

M. Cohen : Si vous croyez les prédictions que le Nord sera libre de glace en 2050, peut-être même plus tôt, nous devrons avoir une certaine capacité dans cette région pour défendre notre souveraineté, ce que nous n'avons pas eu à faire depuis un certain temps et peut-être même jamais, à vrai dire.

Une fois de plus, ce sont tous des domaines dans lesquels nous devrons investir. Je ne dis pas que nous avons besoin d'une armée à tout faire. Il n'est peut-être pas nécessaire de tout faire. Nous n'aurons probablement pas un soutien public pour tout. Il y a une pente très abrupte à monter.

Je pense qu'il sera très difficile de convaincre les Canadiens, et la génération actuelle en particulier, qui est beaucoup plus éloignée de certaines des choses que nous avions l'habitude de faire, que nous devrions nous lancer dans le genre de dépenses qui seraient nécessaires pour que nos Forces armées puissent faire ce que nous voudrions qu'elles fassent. Il faudra peut-être faire des choix en conséquence, renoncer à certaines choses et être moins ambitieux.

Le sénateur Atkins : Quand on demande aux Canadiens quels sont les enjeux les plus importants actuellement, d'après eux, ils répondent la santé, l'éducation et l'économie. L'environnement, la défense nationale et d'autres questions viennent tout en bas de la liste, ils figurent à peine sur la liste.

Comment changer l'opinion publique?

M. Cohen : Vous soulevez une question intéressante. Je pense avoir vu les résultats d'un sondage juste avant le dernier budget. La défense nationale venait un peu plus haut dans la liste. Elle se trouvait au quatrième ou au cinquième rang, avec 27 p. 100, mais je me trompe peut-être.

Le sénateur Atkins : Je pensais que c'était plus bas.

M. Cohen : Je me trompe peut-être. Je ne sais pas qui a vu ces résultats. Comment surmonter cela? Je crois que la réponse, c'est la sensibilisation.

Le sénateur Atkins : Diriez-vous que c'est une question de leadership?

M. Cohen : Nous avons besoin d'un premier ministre, d'un Cabinet, de parlementaires et de sénateurs qui parlent de ce que nous avons fait, de ce que nous faisons et de ce que nous pouvons faire. Autrement dit, nous devons réfléchir à nouveau à des questions qui étaient naturelles il y a deux générations et qui faisaient partie des conversations après la Deuxième Guerre mondiale, durant la guerre froide, dans les années 60, quand un lauréat du prix Nobel était notre premier ministre. Jusqu'en 1965, quand nos Forces armées comptaient environ 120 000 soldats, et même plus tard, la question ne se posait pas. Il faut la poser à mes étudiants qui ont grandi depuis.

Il n'y a pas ce que j'appellerais une « culture militaire » au Canada. Nous avons des forces armées et nous avons une histoire, mais je ne suis pas certain que nous ayons une culture militaire comme en ont d'autres nations. Nous avons laissé les gens grandir en pensant que tout est gratuit, que la défense ne coûte rien et que, parce que nous n'avons pas dû investir dans nos Forces armées, nous sommes entièrement protégés.

Le sénateur Atkins : Prenons-nous trop de choses pour acquises?

M. Cohen : Absolument. Je ne voudrais pas paraître pessimiste ni apocalyptique, mais je crains que l'opinion publique ne changera que s'il y a une catastrophe chez nous ou s'il se produit quelque chose comme les attaques du 11 septembre. Je ne dis pas que les Canadiens ne s'entendront pas pour trouver des ressources.

Afin de développer rapidement les Forces armées que nous avions peut-être il y a une génération, nous devrons convaincre le public. Je ne pense pas que ce soit une priorité.

J'étais à un colloque à l'université de Toronto la semaine dernière, notamment avec quelques politiciens, et nous avons pris la parole devant un auditoire d'étudiants. J'ai été étonné de voir à quel point ils sont à l'aise avec notre situation actuelle. Cela m'a étonné, parce que je suis pas convaincu que cela corresponde à la réalité. Je ne suis pas convaincu qu'ils comprennent que nous sommes sous le parapluie nucléaire américain depuis longtemps et que les États-Unis ont essentiellement subventionné notre défense pendant toutes ces années. Je ne suis pas convaincu qu'ils le comprennent.

Viendra un moment où nous devrons assumer une plus grande responsabilité, et je ne veux pas être prophète de malheur. Nous devrons assumer une plus grande responsabilité dans la défense de nos frontières et du continent contre le terrorisme et tout ce qui pourrait arriver.

Le sénateur Atkins : La défense antimissile balistique serait-elle une question de leadership?

M. Cohen : Oui. Si j'étais Américain, je m'y serais opposé, mais en tant que Canadien, je pense que c'était probablement la bonne chose à faire pour un certain nombre de raisons. Autrement dit, il aurait fallu participer. Je regrette la manière dont cela s'est fait. Dans leurs déclarations le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères n'expliquent pas les raisons. Il y a simplement des platitudes et des discours creux sur d'autres priorités, quand, en réalité, ce n'était pas une question de dire oui ou non. Nous pouvions encore faire que ce nous faisions militairement et ce que nous faisions dans le budget, la veille ou le lendemain, mais toute cette décision a été présentée d'une manière qui illustre l'incapacité de nos dirigeants d'être francs avec les Canadiens.

J'ai l'impression que si l'on voulait rester à l'écart et qu'on croyait que c'était la militarisation de l'espace ou si l'on croyait que cela aurait coûté quelque chose ou que nous aurions cédé un territoire ou que cela aurait contribué à une course aux armements, il aurait fallu le dire. On aurait pu dire cela aux Canadiens et faire valoir ce point de vue. Je n'aurais peut-être pas été d'accord et peut-être vous non plus, mais cela aurait contribué à un débat national sur une question importante.

Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. On a esquivé la question. Il n'y a pas eu de débat. Quand on évoque les sondages, on dit que la plupart des Canadiens étaient contre. Très peu de gens ont débattu de la question au Canada, le gouvernement ne l'a pas fait, il avait écarté il y a un an la possibilité de discuter de la question. À mon avis, nous avons raté une belle occasion et je pense que cela a probablement nui à notre image à Washington. Je ne pense pas qu'il y ait un lien. M. Martin ira au ranch du Président et y sera bien accueilli. Ayant vécu à Washington et suivi le Congrès et l'exécutif pendant plusieurs années, je dirais que notre image a été ternie encore plus. Nous ne serons pas considérés comme un allié fiable et nous ne serons pas pris au sérieux.

Le sénateur Atkins : Avez-vous eu l'impression qu'il y a une grande ignorance au sujet du Canada?

M. Cohen : Oui, mais ce n'est pas nouveau. Je ne pense pas qu'il soit radical d'affirmer que la connaissance du Canada n'est pas un point fort des États-Unis.

Le sénateur Atkins : Comment expliquez-vous que nous ayons cette longue frontière et des États tout le long de la frontière et qu'on n'en ait pas parlé davantage dans les médias américains?

M. Cohen : Peut-être dans les États frontaliers. Si l'on vit en Nouvelle-Angleterre, au Vermont ou dans l'État de New York, ou encore au Montana ou dans l'État de Washington, peut-être, mais le pouvoir s'est déplacé aux États-Unis. L'événement majeur aux États-Unis est le déplacement du pouvoir à partir du Nord-Est.

Vous vous rappellerez qu'il y eu une époque où, comme chez les Libéraux, une faction du Parti républicain dans le nord-est des États-Unis, à New York et ailleurs, était progressiste et libérale. Ce n'est plus le cas maintenant. Ces régions sont presque entièrement démocrates. Il y a des États rouges et des États bleus.

À cause du déplacement du pouvoir politique, George Bush connaît le Mexique beaucoup mieux que le Canada. Son père connaissait mieux le Canada. Bill Clinton venait du Sud, comme presque tous les dirigeants des États-Unis, mais il connaissait un peu le Canada. Il est maintenant de plus en plus difficile d'attirer l'attention dans un Congrès qui n'est plus dirigé par des libéraux du Nord-Est susceptibles de partager notre vision du monde, mais par des conservateurs du Sud, qui peuvent être davantage axés sur le Mexique que sur nous.

Il est de plus en plus difficile d'attirer l'attention, et je ne pense pas que nous ayons jamais été au cœur des préoccupations de l'Américain moyen. Il y a eu des moments où nous avons fait des choses qui ont certainement attiré leur attention. Je ne pense pas que le bouclier antimissile ait été un enjeu important pour l'Américain moyen. C'était une question à Washington, mais je ne pense pas que nous nous soyons aidés dans ce dossier.

Le sénateur Atkins : Le renouvellement du NORAD approche. Pensez-vous que le Canada devrait s'efforcer par tous les moyens de parvenir à un accord?

M. Cohen : Oui. Cela se fera l'an prochain, je crois, et il est important de faire tout notre possible pour faire sentir notre présence au NORAD.

Le sénateur Stollery : J'avoue que vous brossez un tableau des années 40 et 1950 qui ne correspond pas à mon souvenir. Je me souviens d'un monde très centré sur l'Europe, dans lequel nous étions un pays important, mais quand je vivais en Afrique dans les années 50, il n'y avait pas de représentation canadienne nulle part. On m'a délivré un passeport britannique parce qu'il n'y avait pas de bureaux consulaires canadiens.

Il me semble que dans un monde très eurocentrique, dans un très petit monde, nous étions un pays important, mais dans le monde plus large qui est le nôtre actuellement, nous sommes invisibles. Je m'en souviens très bien et d'autres doivent s'en souvenir, à moins que je sois le seul ici à approcher les 70 ans. J'ai beaucoup voyagé dans ces pays et je devais avoir un passeport britannique.

Ma question porte sur l'examen de la politique. Dans les années 80, un comité mixte a fait une tournée pancanadienne pour demander aux Canadiens ce qu'ils pensaient de la politique étrangère. C'était sous le gouvernement Mulroney je crois. Nous avons étudié la question pendant un certain temps et je ne me souviens pas trop des résultats. Il me semble que prédire les événements est une entreprise très délicate et périlleuse.

Je ne suis pas un membre régulier du Comité de la défense, mais je préside le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. J'ai toujours eu du mal à prévoir; permettez-moi de vous donner un exemple. Que répondriez-vous à cette question : auriez-vous prédit il y a cinq ans les événements des cinq dernières années?

M. Cohen : Non.

Le sénateur Stollery : Comment un gouvernement se positionne-t-il pour faire face aux événements presque cataclysmiques — le mot n'est pas trop fort pour ceux qui vivaient près du World Trade Center — des cinq dernières années?

M. Cohen : Il doit se donner la plus grande capacité possible dans les outils qu'il emploie pour exprimer son internationalisme. Autrement dit, il s'efforce de se donner les outils militaires qui lui permettent de faire certaines des choses qu'il pense avoir à faire. Évidemment, il ne sait pas ce qui arrivera, mais il se donne une certaine capacité pour pouvoir faire certaines choses, en matière d'aide ou de diplomatie, par exemple. Autrement dit, il est impossible de prédire l'avenir. On ne sait pas qui seront ses ennemis. Il faut arriver à la table avec quelque chose qui reflète un engagement.

Le sénateur Stollery : Envers quoi?

M. Cohen : Envers le monde multilatéral, par exemple, si vous y croyez.

Le sénateur Stollery : Nous y croyons.

M. Cohen : Il continue à promouvoir le rapport La responsabilité de protéger, les bases de l'intervention humanitaire. Il participe au sein d'organisations internationales importantes. Il est novateur. Il continue de recruter les meilleurs candidats, des experts dans leurs domaines. Sa politique d'aide est ciblée, claire et bien financée. Même s'il est impossible de prédire les conflits auxquels il participera, il donne à ses forces armées des capacités au moins dans certains domaines. S'il choisit une force d'intervention rapide, par exemple, il prend les moyens pour se doter d'une telle force. J'ai l'impression que nous ne faisons rien de tout cela actuellement. Vous avez raison; nous ne pouvons pas savoir ce que nous réserve l'avenir.

Le sénateur Stollery : Prenons les Forces armées, par exemple. Le comité travaille très fort pour conseiller le gouvernement sur le genre de forces armées que nous devrions avoir. Il me paraît évident qu'une grande partie de nos Forces armées travaillera avec nos amis américains dans le Pacifique et dans l'Atlantique, afin de protéger nos côtes, par exemple.

Pour ce faire, il faudra acheter certains types de navires et d'avions, par exemple, et leur affecter du personnel qu'il faudra former. Je suppose qu'il y a des délais assez importants avant d'être prêts à patrouiller nos frontières, parce que, de toute évidence, nous devrons toujours collaborer étroitement avec nos voisins américains. Il y aura des hauts et des bas, de petites querelles, je suppose. En gros, c'est ce que nous ferons. Cela ne peut pas attendre, cela ne peut pas attendre pendant que nous tentons de prédire l'avenir. Il y a des choses que nous pouvons prédire, n'est-ce pas? Nous pouvons prédire que les États-Unis seront là et que nous travaillerons avec eux. Mais nous ne pouvons pas prédire des choses comme les affaires étrangères, le multilatéralisme et le développement.

Je conviens avec vous que nous devons poser certaines questions sur le budget de l'aide au développement qui, nous le savons tous, dégringole depuis un certain temps.

Nous pouvons prévoir en gros quelle sera notre relation avec les États-Unis, mais nous ne pouvons pas prévoir les relations entre notre voisin et les autres pays. Les États-Unis ont de nombreux problèmes avec des nations qui ne nous posent pas de problème, et il est difficile pour nous de prévoir leurs problèmes futurs.

Je ne sais pas trop ce qu'un pays devrait faire. Était-ce le premier ministre Pearson qui a dit : « Demandez-moi à la fin de l'année quelle sera notre politique étrangère »?

Il y a une grande vérité dans cette déclaration, n'est-ce pas?

M. Cohen : Tout ce que vous dites est vrai. La tendance des cinq dernières années a été des États défaillants et des conflits au sein des États plutôt qu'entre les États.

Le sénateur Stollery : Cela dure depuis bien plus que cinq ans.

M. Cohen : C'est vrai, mais la guerre froide a contribué à la désintégration, à l'anarchie et au terrorisme dans les États, et il y aura encore des crises humanitaires. Nous devons nous interroger sur nos valeurs, pour employer ce mot controversé.

Le sénateur Stollery : Je ne sais jamais vraiment ce qu'il veut dire.

M. Cohen : Attendez que le gouvernement le trouve. Nous avons maintenant un « ministre des valeurs », qui s'appelle le ministre des Affaires étrangères. Il parle sans cesse de valeurs.

Ne voudriez-vous pas donner aux militaires la capacité d'emport instantané dont ils ont besoin, peu importe le prix, si cela reflète notre volonté nationale ou ce que nous devrions faire?

Ne voudriez-vous pas disposer des gros avions et des navires de ravitaillement qui permettent d'aller là où vous irez mener des opérations de renforcement de la paix?

Voulez-vous que nos Forces canadiennes continuent d'effectuer le genre de travail qu'elles effectuent actuellement en Afghanistan, la guerre de quartier, dans laquelle nous excellons tant?

Voulons-nous être la nation de la bonne gouvernance, la nation qui fait bien ce genre de choses?

Il me semble que ce sera un besoin de plus en plus important dans le monde et que si nous nous équipions en ce sens, nous apporterions une grande contribution internationale. Cela ne veut pas dire que nous ne ferions pas certaines choses avec les États-Unis pour défendre notre continent ou lutter contre le terrorisme. Je pense que ce sont là quelques-unes des prédictions que vous pourriez faire, si vous aviez une boule de cristal. C'est une tendance. Je ne parle plus de maintien de la paix, mais plutôt de renforcement de la paix. Ce n'est pas ce que nous faisions du temps de nos parents, ni même ce dont vous vous souvenez au sujet des années 50 et 60. Je pense que vous pouvez planifier dans cet esprit. Évidemment, nous ne pouvons pas savoir d'où viendra la prochaine menace, mais s'il s'agit d'une tendance et que nous n'avons pas les capacités pour agir, nous serons absents du tableau.

Le sénateur Stollery : Vous parlez de moyens de transport de charges lourdes; ce n'est pas un problème uniquement canadien.

M. Cohen : Presque tout le monde y est confronté, sauf les États-Unis et la Russie.

Le sénateur Stollery : Parce que cela coûte très cher de fabriquer des avions qui ne servent pas très souvent. Vous le savez aussi bien que moi.

Vous avez abordé le débat entre le commerce international et les affaires étrangères. Je ne veux pas me lancer sur ce terrain parce que j'ai probablement entendu les mêmes histoires que vous.

Depuis les années 60, notre commerce international est devenu très important, et pas seulement avec les États-Unis. Comme vous le savez, 13 p. 100 de nos exportations aux États-Unis passent par un oléoduc, un gazoduc ou une ligne de transmission et 26 p. 100 sont liées au Pacte de l'automobile. Ces exportations sont donc assez stables.

Je conviens avec vus que nous avons eu un service extérieur de très haute qualité et je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous affirmez qu'ils sont sous-payés, mais il y a maintenant aussi tous les effectifs qui s'occupent du commerce international.

Il ne s'agit plus simplement d'affaires étrangères ni simplement de diplomatie. Nous avons aussi des intérêts énormes dans le commerce international, et nous avons certains des meilleurs agents du commerce international au monde. Nous sommes qualifiés de durs à cuire quand nous allons aux conférences sur le commerce international.

M. Cohen : Je n'avais jamais entendu cette expression.

Le sénateur Stollery : Je l'ai entendue dans la bouche d'étrangers, pas de Canadiens.

M. Cohen : Cela me donne une nouvelle image de notre peuple.

Le sénateur Stollery : C'est parce que nous avons négocié habilement aux dernières négociations du Groupe de Cairns. Apparemment, nous ne nous laissons pas marcher sur les pieds.

Comment avoir une politique pour faire face à toutes ces inconnues et à tout ce qui est difficile à prévoir?

M. Cohen : Il faut élaborer la politique en fonction de la meilleure évaluation possible de l'évolution mondiale, même si c'est extrêmement difficile.

Le sénateur Stollery : Tellement difficile qu'il y a cinq ans, aucun d'entre nous n'aurait pu prédire ce qui est arrivé.

M. Cohen : Il y a cinq ans, comme vous venez de le dire, il y avait des États en train de se désintégrer et des demandes de renforcement de la paix. Nous étions en Bosnie, alors ce n'est pas tout à fait nouveau.

J'imagine que nous faisons un lien entre nos ressources et notre discours et que nous décidons, en tant que nation, ce que nous voulons faire dans le monde. J'imagine une nation de la bonne gouvernance qui participera à des opérations de renforcement de la paix, élaborera des codes de conduite et formera des policiers dans des endroits comme Haïti, mais qui ne mettra pas nécessairement en place des forces expéditionnaires qui seraient les légionnaires de l'armée américaine ou de l'armée de l'empire ailleurs dans le monde. Je pense que nous ne ferions probablement pas cela.

Je pense que nous commencerons par la défense du continent et les opérations internationales dans le cadre de l'ONU ou de l'OTAN, parce que les alliances internationales sont encore importantes pour nous. Je pense que nous nous équiperons avec du matériel et des moyens que nous n'avons pas actuellement.

Nous avons parlé de transport de charges lourdes et je suis convaincu que vous entendrez des experts vous en parler. Nous devons être souples et avoir un bon service du renseignement, que nous n'avons pas actuellement à l'étranger.

Comme vous le faites remarquer avec justesse, le passé montre qu'il n'y a pas de réponse facile et qu'il faut être souple, agile et très méticuleux pour éviter de s'engager dans des mesures trop coûteuses ou superflues.

Je vois des tendances, et les États en difficulté me semblent être un domaine où nous pourrions probablement faire une différence.

Même si je n'y étais pas, je ne suis pas d'accord avec votre vision du Canada dans le monde dans les années 50 et 60.

Le vice-président : C'est un excellent sujet pour le comité du sénateur Stollery. Le sénateur voudra peut-être lancer une invitation.

Le sénateur Atkins : L'ONU est-elle encore une institution efficace, selon vous?

Peut-elle être réparée et le Canada devrait-il maintenir son engagement majeur envers l'ONU et d'autres organisations?

M. Cohen : Comme vous le savez, nous avons toujours cherché par le passé à faire contrepoids au pouvoir américain au sein des organisations internationales. Cela nous a bien servi et je pense que nous avons réussi, comme l'a dit Henry Kissinger, à vivre en Amérique du Nord mais à avoir une politique étrangère mondiale. Nous y sommes parvenus en grande partie au moyen de notre engagement envers des organisations internationales, qui remonte aux années 40 et 50, quand on a conçu un grand nombre de ces organisations et rédigé la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui, soit dit en passant, a été écrite par un Canadien en 1948.

Je pense que l'ONU est efficace dans certains domaines, ce qu'on ne reconnaît pas assez, mais je pense que nous sommes un peu obsédés par les Nations Unies dans ce pays et que nous avons dit que si les Nations Unies ne sont pas présentes, nous ne le serons pas non plus.

Les Nations Unies ont montré au Rwanda à quel point elles peuvent être inefficaces. Il y a eu d'autres situations où elles se sont montrées très efficaces, notamment pour reconstruire le Cambodge, par exemple, ou comme l'a déclaré Stephen Lewis, pour fournir des solutions salines qui éliminent la dysenterie à très bon marché. L'ONU peut faire des choses formidables, mais elle doit changer.

Le Secrétaire général a annoncé des mesures pour donner suite au rapport de son groupe de haut niveau, afin d'élargir le Conseil de sécurité, ou de tenter de le faire, parce que certains membres pourraient y opposer leur veto. Ils vont modifier la Commission des droits de l'homme et rendre l'ONU plus sensible, plus efficace et plus inventive. Nous avons toujours appuyé cette mesure. Allan Rock consacre beaucoup de temps à ces questions et nous l'appuyons. Je crois que nous devrions continuer d'appuyer M. Rock et Mme Fréchette, une autre Canadienne qui travaille à l'ONU. Elle est l'adjointe de Kofi Annan.

Sans une modification du Conseil de sécurité, sans un réexamen des questions qui sont au cœur de ses principes, l'ONU ne sera pas aussi efficace qu'elle le pourrait.

Nous pouvons jouer un rôle en qualité de membre à part entière, pour provoquer ces changements.

Le sénateur Atkins : Est-ce que vous couvriez l'ONU quand vous étiez journaliste?

M. Cohen : Pas directement, non.

Le sénateur Atkins : L'ONU est-elle un éléphant si gros qu'il a du mal à bouger?

M. Cohen : Absolument. Il suffit de lire le livre du général Dallaire pour voir l'inefficacité tragique de l'ONU quand il a téléphoné pendant la fin de semaine et que personne ne lui a répondu.

Le vice-président : Nous le savions. Nous y étions le vendredi après-midi et la guerre était terminée le lundi matin à 8 heures.

M. Cohen : Par ailleurs, je pense que nous devrions nous méfier de l'idée conservatrice répandue aux États-Unis que l'ONU est irrémédiablement inefficace. Cette idée pousse les États-Unis vers un plus grand unilatéralisme. Le Canada aurait tort de penser ainsi.

L'un de nos éventuels rôles pourrait être celui d'un intermédiaire, parce que, par le passé, nous avons souvent été un intermédiaire entre les Nations Unies et les États-Unis. Nous avons fait de notre mieux pour que les États-Unis ne claquent pas la porte et demeurent un membre viable, en grande partie au moyen de la réforme de l'ONU, je pense.

Le sénateur Atkins : En revanche, l'ONU ne reçoit peut-être pas non plus tout le crédit qu'elle mérite.

M. Cohen : C'est vrai en un sens. Le Cambodge est un exemple. Cela a coûté très cher.

Le sénateur Atkins : L'inspection des armes en Iraq.

M. Cohen : Elle fait de bonnes choses et c'est tout ce qui peut nous consoler pour le moment, en un sens.

Le sénateur Atkins : Comme quelqu'un a dit, si l'ONU n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Le vice-président : Merci. J'aimerais bien que nous ayons une heure de plus pour approfondir certaines de ces questions. J'espérais qu'avec des communicateurs aussi talentueux nous aurions pu explorer un programme de relations publiques permettant tout au moins de commencer à chercher une solution à certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Nous devons prendre des mesures draconiennes. Nous avons besoin d'un Patrick O'Brien pour trouver un héros, une bonne âme sœur, faire preuve d'un peu d'amour et de romantisme et montrer aux Canadiens ce qui se passe dans ce monde distant des relations étrangères, de la défense nationale et de la sécurité.

C'est un sujet fascinant et il est vital que nous l'abordions avec compréhension, mais surtout en toute connaissance de cause. Un très faible pourcentage de la population lit un journal.

Nous vous sommes cependant très reconnaissants d'être venus témoigner.

La séance est levée.


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