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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 22 - Témoignages du 2 juin 2005


MONTRÉAL, le jeudi 2 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 9 heures en vue d'examiner, pour ensuite en faire rapport, la politique nationale sur la sécurité du Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. La séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est ouverte.

Je m'appelle Le colin Kenny, et je suis un sénateur de l'Ontario. Je suis le président de ce comité, qui effectue une étude sur la politique de défense.

Je vais rapidement présenter les membres du comité. À mon extrême gauche se trouve le sénateur Nolin, du Québec. À côté de lui, le sénateur Munson, de l'Ontario. À ma droite, le sénateur Meighen, de l'Ontario, et à côté de lui, le sénateur Atkins, également de l'Ontario.

Nous recevons aujourd'hui deux témoins : M. Paul Taillon, directeur, Revue et liaison militaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, anciennement du Service canadien de sécurité du renseignement. M. Taillon a écrit de nombreux textes portant sur le terrorisme, les opérations de faible intensité et les opérations spéciales. Il est lieutenant-colonel réserviste de l'Armée canadienne et a servi auprès des forces des opérations spéciales britanniques et américaines. C'est un diplômé de la Amphibious Warfare School (École des techniques de guerre amphibie) du United States Marine Corps et du Command and Staff Le college (Le collège de commandement et d'état-major) du USMC. Il étudie actuellement au U.S. Army War Le college, où il devrait terminer ses études en 2006, et il dirige le personnel du Le collège des Forces canadiennes. M. Taillon est professeur adjoint au Le collège militaire royal du Canada et Associate Senior Fellow (stagiaire en études supérieures) à la Joint Special Operations University, JSOU, à Hurlburt Field, en Floride, aux États-Unis.

Comparaît également, avec M. Taillon, M. Rémi Landry, qui est agrégé de recherche du Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale, de l'Université du Québec à Montréal. M. Landry a pris sa retraite des Forces canadiennes en novembre 2002. Il avait alors le grade de lieutenant-colonel, après 34 années de service militaire ininterrompu. Sa carrière a commencé au Royal 22e Régiment, en 1973 et il a occupé divers postes, d'abord en qualité d'officier subalterne puis en qualité d'officier supérieur dans des bataillons d'infanterie motorisée et mécanisée ainsi qu'auprès du Régiment aéroporté du Canada. En 1993, il a été détaché auprès de l'Union européenne en tant que membre d'un comité permanent de la réconciliation, qui faisait partie de la mission de surveillance de l'Union européenne en ancienne Yougoslavie. De 1997 à 2000, il a été directeur adjoint du Project on Policy Advocacy and Facilitation (Programme de défense des politiques et de facilitation) en Haïti.

Depuis qu'il a pris sa retraite, M. Landry est analyste militaire et adjoint de recherche auprès d'un groupe de recherche sur la sécurité internationale. Il rédige actuellement sa thèse doctorale au Département de science politique de l'Université de Montréal.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Monsieur Taillon, à vous la parole.

M. Paul Taillon, directeur, Revue et liaison militaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Le 1er avril 2005, les Forces d'opérations spéciales du Canada, les FOSCAN, ont célébré leur 13e année de service au sein des Forces canadiennes. Ces dernières années ont été des années de grands changements et de défis à relever, où ces forces spéciales ont accru leur réputation nationale et internationale de professionnalisme, comme l'ont récemment prouvé les opérations conjointes et coalisées en Afghanistan. Ces années ont également permis d'acquérir un soutien militaire et politique. En une décennie, les FOSCAN sont passées de l'état d'organisme comptant principalement sur le Régiment canadien aéroporté à la situation d'un organisme comprenant une vaste gamme de volontaires pour le service, y compris des réservistes. Les FOSCAN se sont acquittées de fonctions diverses dans un bon nombre de pays, y compris la Bosnie, le Rwanda, l'Afghanistan et Haïti. En outre, les opérations des FOSCAN portent sur une vaste gamme d'activités, dont les services de protection de personnalités canadiennes, la présence en Bosnie en qualité d'observateurs au sein de la commission mixte, la formation de personnel de la police haïtienne ainsi que la surveillance et les opérations d'intervention directe en Afghanistan.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, le gouvernement canadien a augmenté le budget des FOSCAN de près de 119 millions de dollars, dans le cadre de la participation du Canada à la guerre mondiale contre le terrorisme. L'intention du gouvernement était de doubler la taille de cette unité pour atteindre l'objectif déclaré de 600 membres. Cet objectif présente des difficultés énormes, compte tenu non seulement de la taille des Forces canadiennes, mais également des exigences rigoureuses en matière de sélection des personnes qui aspirent à être actives au sein de ces forces d'opérations spéciales.

Un membre des Forces spéciales doit avoir des qualités très précises. Il doit être hautement motivé, avoir des capacités intellectuelles développées, être en bonne forme physique, faire preuve de stabilité psychologique, être autonome et avoir de la ressource. En outre, cet homme ou cette femme doit pouvoir travailler seul ou en petite équipe et doit avoir une personnalité flegmatique. Cette personne doit avoir le courage qu'Ernest Hemingway a décrit comme étant la « capacité d'agir gracieusement dans des conditions très dures ». Le tact et l'art de la persuasion sont également des caractéristiques critiques pour ceux qui s'occupent de conseiller et de former des militaires étrangers. Les membres des Forces spéciales qui ne connaissent pas bien le milieu socioculturel au sein duquel ils doivent évoluer auront bien peu d'influence auprès des officiers et des sous-officiers étrangers, dont un bon nombre ont déjà eu plus d'expérience pratique. Comme le disait un membre du Service d'aviation spécial : « Vous pouvez conseiller un Afghan rusé sur la façon de préparer une meilleure embuscade, mais n'allez jamais dire qu'il n'a aucune expérience en préparation d'embuscades. La moindre connaissance de l'histoire militaire de l'intervention soviétique de 1979 à 1989 vous persuadera rapidement du contraire ».

De par leur nature même, les opérations spéciales sont des opérations de basse visibilité, axées sur la vitesse, la surprise, l'audace et la perception, de façon à réduire au minimum les risques connexes et à maximiser les résultats. L'emploi de ces tactiques, techniques et procédures, mieux connues sous le nom de TTP, permet aux Forces d'opérations spéciales de s'acquitter de missions dont les forces militaires conventionnelles pourraient s'acquitter également dans bien des cas, avec toutefois une difficulté accrue. Les Forces d'opérations spéciales sont donc l'« instrument de choix ». Au sein des forces de certaines des puissances alliées, celles des États-Unis et de la Grande- Bretagne particulièrement, de nombreux membres des Forces d'opérations spéciales ont une profonde connaissance géographique du terrain et sont donc bien conscients de leur milieu et capables de communiquer dans les langues de la région. Cela permet aux Forces spéciales de nos alliés de s'acclimater rapidement à des environnements exotiques et à entreprendre leurs missions dans de très brefs délais. Les forces des alliés peuvent ainsi facilement employer leur personnel à des opérations de défense intérieure en pays étranger, constituer des équipes de formation mobiles ou agir en qualité de conseillers, non seulement pour aider des amis et des alliés, mais également en se servant de l'aide fournie pour faire avancer le programme de politique étrangère de leurs gouvernements respectifs. Pour les membres des Forces d'opérations spéciales qui s'occupent de ces initiatives, ces programmes de formation accroissent la gamme de leurs compétences et leur permettent d'établir des contacts personnels qui pourront avoir une certaine importance plus tard.

Étant donné que les forces spéciales et que les services du renseignement seront à l'avant-plan de la Guerre mondiale contre le terrorisme, les FOSCAN constituent l'un des deux avantages militaires stratégiques dont dispose le gouvernement canadien. Les FOSCAN ont donc la capacité d'influencer le programme de sécurité internationale du Canada. L'utilisation future des FOSCAN comme outil de formation auprès de pays amis pourrait permettre de dispenser une formation de haute qualité, tout en accroissant l'influence du Canada et en faisant la promotion de ses intérêts à l'étranger. La participation du Canada à des programmes d'aide militaire et d'aide à la défense intérieure de pays étrangers, en collaboration avec nos alliés, permettrait de nous donner plus de prestance à l'échelle internationale, tout en servant d'option utile et attrayante pour les pays qui chercheraient à ne pas obtenir l'assistance de nos cousins britanniques ou américains. Ces fonctions, même si elles peuvent bien être assumées par les forces canadiennes d'infanterie légère, sous réserve de quelques améliorations qu'on y apporterait, pourraient en même temps être considérées comme un affaiblissement des capacités des forces conventionnelles.

Pour répondre à cette exigence future possible, les FOSCAN devront inclure des compétences linguistiques autres que celles des deux langues officielles du Canada : l'arabe, l'espagnol, le chinois et les dialectes afghans sont quelques- unes des langues dont la maîtrise reste nécessaire pour l'avenir prévisible. En outre, le français est particulièrement utile pour les pays francophones d'Afrique et pour Haïti, pays qui pourraient demander de l'aide militaire à l'avenir.

Une façon de résoudre les problèmes du langage et de la sensibilité culturelle serait de détecter et de recruter directement des Canadiens de seconde génération, des divers groupes ethniques au sein des Forces armées du Canada, en vue de les sélectionner ultérieurement et de les affecter au programme de formation des FOSCAN. Le choix de Canadiens de deuxième génération parlant déjà une langue étrangère serait similaire au modèle suédois qui, pour des raisons de sécurité, recrute uniquement des traducteurs suédois de deuxième génération pour les forces postées à l'étranger. Une initiative de ce type permettrait au service de recrutement des FOSCAN de trouver des candidats qui sont non seulement canadiens mais qui sont également nés et qui ont été élevés dans un pays multiethnique, ce qui leur permet de bénéficier de la qualité vitale qu'est la sensibilité et la perception culturelle. En outre, ces personnes auraient bien sûr une compétence linguistique critique. De surcroît, après leur sélection et leur formation, les membres canadiens des Forces spéciales disposant de ce bagage ethnique pourraient avoir la possibilité de se rendre dans la patrie d'origine de leur famille pour prendre connaissance de leur zone éventuelle d'opération et pour évaluer les besoins concernant toute opération ouverte ou secrète dans cette zone. Il serait très utile d'ajouter à la gamme de nos capacités des personnes parlant la langue de la région, sélectionnées et formées en qualité de membres des FOSCAN.

Cette présentation des FOSCAN a pour objet de mettre en relief l'un des nombreux enjeux qui sont susceptibles d'influencer l'évolution des forces d'opérations spéciales du Canada. Il est clair que, contrairement à des alliés comme les pays du Commonwealth et les États-Unis, le Canada ne peut s'appuyer sur une soixantaine d'années d'expérience à ce chapitre. En outre, nos forces classiques sont imprégnées de conformisme. Pourtant, il est essentiel que nous tirions des leçons de notre passé et du passé d'autres pays, et que nous prenions des mesures dynamiques pour acquérir les compétences que possèdent les forces d'opérations spéciales de nos alliés afin de développer et d'élargir nos propres capacités eu égard aux opérations des FOS et à celles des coalitions dont nous faisons partie.

Le milieu canadien des FOS doit envisager les initiatives suivantes : élaborer une structure de forces, y compris des tâches spécialisées, des compétences et de la formation qui s'appliquent à un escadron de la réserve des FOSCAN, doter les forces d'opérations spéciales du Canada d'un éventail de compétences linguistiques et culturelles, encourager les techniques innovantes et les démarches non conformistes, susciter une réflexion souple et novatrice pour répondre aux nouvelles menaces qui pèsent sur notre sécurité, investir dans le volet science et technologie, notamment par l'entremise de l'expertise des universitaires, recourir aux universitaires et aux technologues qui peuvent décupler l'efficacité des forces, promouvoir l'acquisition par les FOSCAN d'une capacité de déploiement rapide et d'adaptabilité régionale et, en dernier lieu, donner une orientation régionale aux forces d'opérations spéciales du Canada.

Nos cousins du Sud ont retenu quatre vérités allant de soi de leur vaste expérience opérationnelle, et les ont exprimées en leur nom. Il s'agit d'aspects fondamentaux des enjeux abordés dans ce document et qui s'appliquent à toutes les forces opérationnelles. Voici ces quatre principes : les êtres humains sont plus importants que le matériel, la qualité est plus importante que la quantité, les forces d'opérations spéciales ne peuvent être produites en série, et on ne peut créer des forces d'opération spéciales rapidement pour répondre à une urgence.

Le président : Monsieur Landry, à vous la parole.

[Français]

Le lieutenant colonel (à la retraite) Rémi Landry, Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale, Université de Montréal : Monsieur le président, merci de votre invitation. Je suis honoré de me retrouver devant tant d'illustres Canadiens, qui ont à cœur la sécurité de notre pays et plus précisément la santé de nos Forces armées. C'est une passion que je partage depuis les 37 dernières années.

Je vous ai remis une copie de mon exposé, qui est pour moi strictement un document de travail. J'essaierai de le couvrir du mieux que je peux, car j'en ai pour plus de six minutes. Étant donné que vous avez déjà couvert mon introduction, j'irai directement dans le vif du sujet.

Mon intervention se veut avant tout une réflexion issue de plusieurs années d'expériences en milieu communautaire. En tant que chercheur, j'apporterai une dimension beaucoup plus structurelle sur un point aussi particulier que celui que mon collègue vient de présenter.

Contrairement à plusieurs de mes collègues et anciens confrères, je ne chercherai pas à commenter le financement du ministère, le besoin d'une meilleure politique de défense ou même le récent énoncé de la politique internationale du Canada et sa section sur la Défense et sa façon de l'appliquer. Mon intervention est tout autre. Elle cherche à mettre en perspective une dimension structurelle qui est souvent laissée aux militaires et qui, selon moi, doit faire l'objet d'une révision complète si on tient à optimiser l'efficacité des ressources accordées et surtout garantir l'efficience de leur utilisation.

À cet effet, les commentaires du chef d'état-major sont rassurants et prometteurs, entre autres, lors de sa rencontre le 19 mai dernier avec les membres du Comité permanent des Communes sur la Défense nationale et les Anciens combattants, où il abordait la présente structure des Forces canadiennes en ces termes.

[Traduction]

Dans le processus de transformation des Forces canadiennes, un deuxième élément s'est imposé comme étant capital : il faut mettre l'accent sur l'ensemble des Forces canadiennes. Comme vous le savez, honorables sénateurs, la fin des années 60 et le début des années 70 ont marqué l'intégration et l'unification des Forces canadiennes. Néanmoins, selon moi, nous n'avons cessé de perpétuer une mentalité, une attitude et une structure distinctes propres à l'armée de terre, à la marine et à l'armée de l'air canadiennes, au lieu de promouvoir une attitude, une mentalité et une structure qui s'appliquent à l'ensemble des Forces canadiennes, ce qui nous permettrait de mener des opérations et de nous acquitter de nos responsabilités au nom des Canadiens.

[Français]

En effet, faut-il rappeler que la structure même du QGDN et son fonctionnement sont à toutes fins pratiques les mêmes que lors de la réunification de 1968 et de son suivi au début des années 70. Une cohabitation, mais à quel prix! Même si certains efforts furent faits pour réduire la taille du QGDN, que dire du nombre croissant des sous-ministres adjoints et de leurs adjoints. En 1976, nous avions l'équivalent de neuf sous-ministres adjoints, dont six militaires. Présentement, en accord avec le site du ministère de la Défense nationale, nous en avons 15, dont six militaires. Que dire aussi de l'immixtion progressive des hauts fonctionnaires à ces postes?Même si depuis 1997, certaines modifications furent apportées, le rapport Dimoff illustre bien les difficultés héritées d'une intégration du ministère de la Défense nationale et du Quartier général des Forces canadiennes à l'époque, qui pour certains ne fut jamais complétée ni révisée depuis sa conception.

J'aimerais tout simplement commenter ou faire état d'une situation du rapport Dimoff qui illustre très bien ma pensée et reflète l'état actuel de la structure au sein des Forces canadiennes.

[Traduction]

La plupart des intervenants estiment que le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes sont confrontés à des problèmes connexes, qui sont le résultat malheureux de deux décisions organisationnelles, soit, d'abord, l'unification des Forces canadiennes à la fin des années 60, ce qui a conduit à la fusion des trois corps d'armée, puis la fusion des quartiers généraux civils et militaires de la Défense nationale après qu'un examen de la gestion de notre défense eut été complété en 1972. L'évolution vers le secteur civil est l'une des conséquences de ces fusions qui ont transformé les structures d'organisation, de commandement et de gestion. Les structures et procédures actuelles du MDN ne prévoient pas suffisamment de mécanismes de reddition de comptes pour les filières militaires ni civiles.

L'organisation actuelle du ministère de la Défense avait pour but d'offrir aux Canadiens les meilleurs services miliaires et les meilleures pratiques en matière d'éthique qui soient. On a conclu que les Canadiens n'avaient bénéficié ni de l'un ni de l'autre et que ces deux éléments avaient subi un recul. Pour ce qui est de la gestion et du commandement des Forces canadiennes, d'aucuns soutiennent qu'avec la structure actuelle du QGDN, il est difficile de déterminer les limites des domaines de compétence du MDN et de ceux des FC. En outre, il est difficile de cerner le rôle du sous- ministre, du sous-ministre adjoint et du chef d'état-major de la Défense. Certains ont affirmé que ce n'était pas l'administration militaire qui avait connu une évolution vers le secteur civil mais que c'était plutôt le rôle du sous- ministre qui était devenu plus militaire. En outre, on a soutenu que le MDN et les FC devaient faire l'objet d'une réorganisation afin que tous les aspects de la reddition de comptes et de la responsabilité opérationnelle des militaires et des civils soient définis de façon claire et transparente.

En outre, il existe un consensus selon lequel le gouvernement devrait déterminer si la scission de la défense en un ministère civil et un ministère militaire est souhaitable ou non. Le ministère civil serait chargé de l'élaboration et de l'exécution de politiques et de stratégies, et le sous-ministre aurait sous ses ordres une équipe suffisamment nombreuse pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions et de fournir aux Forces canadiennes des directives et des conseils solides et dignes de foi. Par ailleurs, comme responsable du volet militaire, le chef d'état-major de la Défense devrait pouvoir fournir au ministre de la Défense, au Conseil des ministres et au premier ministre, des conseils sur les questions militaires, sans ingérence de la part du sous-ministre. Il faudrait confier comme seul mandat au CEMD de mettre en œuvre les politiques et non de les élaborer ni de voir à la gestion quotidienne du ministère. D'aucuns ont proposé que l'on revienne au système du QGFC, en vigueur jusqu'en 1968, qui comprenait un président d'état-major de la Défense ainsi que trois chefs de service. De nombreux intervenants sont restés sceptiques face à la création d'un QGND et d'un QGFC distinct. Néanmoins, tous se sont entendus pour affirmer qu'un examen de la structure et de l'organisation s'imposait.

[Français]

Des Forces canadiennes unifiées? Le quartier général l'est peut-être, mais les Forces canadiennes ne le sont pas pour autant. Il s'ensuit que la nature des divers commandements, maritimes, aériens et terrestres, crée une dynamique d'opposition où l'enjeu est l'attribution des ressources au lieu de poursuivre une politique qui cherche à optimiser l'emploi des ressources pour l'accomplissement des objectifs du gouvernement canadien. Je suis d'avis que les Forces canadiennes unifiées sous un même commandement allégeraient le processus décisionnel, malgré le choc que ce changement générerait au sein de la présente structure militaire. Cette unification faciliterait l'adoption d'une doctrine commune permettant un processus d'acquisition des équipements et des systèmes d'armement intégrés vers la réalisation d'une vision commune, évitant ainsi la dynamique des présents différends que le maintien distinct des trois éléments entretient.

Il faut de plus entrevoir des économies en personnel et sans doute en infrastructures au niveau des nombreux quartiers généraux qui seraient intégrés. Et que dire des avantages institutionnels qui verraient, entre autres, les trois éléments des Forces canadiennes opérer dans un même cadre opérationnel vers l'accomplissement d'objectifs communs.

Cette proposition des forces unifiées origine d'une réalité institutionnelle qui a déjà fait ses preuves. En effet les U.S. Marines, environ 172 000 hommes et femmes, présentent une structure de commandement unifié qui pourrait être adaptée aux besoins canadiens. Je dis bien qui pourrait être adaptée. Je ne fais pas la promotion d'emprunter la structure des U.S. Marines, mais simplement le concept. C'est une structure unifiée malgré la spécialisation doctrinaire. On sait que les Marines américains sont une force expéditionnaire pour les opérations aériennes, terrestres et marines. C'est présentement la seule division qui a cette capacité auprès des forces américaines. Cela n'empêcherait aucunement l'emploi de nos forces.

On compte présentement 62 000 hommes et femmes, dont près de 6 000 sont en entraînement pour l'ensemble des types de conflits du spectre des conflits armés et, le cas nécessitant, cela pourrait constituer les fondements d'un retour vers les trois éléments au cas où la situation l'exigerait. Entre autres, notre emprunt récent à la doctrine des trois Block afin de décrire l'environnement à l'intérieur duquel nos soldats doivent opérer, car notre chef d'état-major actuel, a été emprunté aux Américains. On constate que le futur de nos forces a beaucoup de similarités avec l'emploi que les Américains font de leurs Marines.

J'aimerais conclure mon intervention en ajoutant trois autres facteurs qui viennent renforcer la nécessité de poursuivre la réflexion sur le besoin d'unifier les Forces canadiennes dans le présent contexte national et international. Le premier facteur concerne l'élément de la culture militaire qui nécessite d'être revue. La culture militaire fait habituellement la promotion qu'il faut toujours être prêt pour le pire scénario — du moins, c'est ce qu'on m'a inculqué lors de ma carrière — et c'est aussi la réponse que l'on me donnait pour que je ne sois pas trop radical dans mes propositions de changement.

Personnellement, dans un contexte théorique, c'est effectivement l'attitude à adopter, mais voilà, ce type d'attitude nécessite un niveau de ressources si élevé, qu'il devient tout à fait inapproprié de l'appliquer. En effet, quel est le pire scénario en matière de sécurité nationale et internationale qui pourrait survenir? Une attaque terroriste avec des armes nucléaires, ou biologiques, ou chimiques ou un conflit armé mondial? Quoi d'autre?Il devient donc vite irresponsable de se préparer pour la pire des situations quand on n'en a pas les moyens et que personne ne s'entend pour la définir, d'autant plus qu'il ne représente qu'un risque des plus improbables dans les présentes conditions. Pourquoi chercherions-nous à maintenir à grands coups et de façon inappropriée une structure militaire qui ne serait pleinement efficace que lors d'un conflit majeur ou d'une catastrophe majeure et où on aurait à contrôler les effectifs de plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes? Imaginez une telle structure avec plus ou moins le personnel et les ressources nécessaires requises pour la mettre en application efficacement, en plus qu'elle devrait faire face au quotidien à des situations qui nécessitent un processus décisionnel beaucoup plus simplifié. Imaginez la lourdeur d'un tel système lorsque la présente conjoncture nécessite une structure plus agile et surtout requiert un ratio plus élevé d'opérateurs. C'est l'argument que je soutiens en ce qui concerne la présente structure des Forces canadiennes.

Je partage aussi les vues de plusieurs stratèges militaires et industriels qui avancent que de se préparer pour les scénarios les plus probables permet d'optimiser vos ressources limitées tout en présentant un certain risque. Pour en minimiser les conséquences, vous devez donc institutionnaliser l'évaluation du risque au sein de vos structures tout en vous dotant des outils requis pour garantir une meilleure évaluation de la menace la plus probante.

En conclusion, sur cet aspect, n'est-ce pas déjà ce que fait le gouvernement lorsqu'il applique telle politique au lieu d'une autre? Ce faisant, il répond à la conjoncture la plus probable avec les ressources disponibles et réévalue régulièrement sa position. C'est ce que tout bon général doit faire sur le champ de bataille : évaluer la situation la plus probable et se préparer à y faire face avec les ressources du bord et maintenir son évaluation de la situation de façon à pouvoir régulièrement s'ajuster.

Pourquoi les Forces canadiennes devraient avoir une structure qui leur permettrait de gérer des forces de plusieurs centaines de milliers de troupes? Est-ce réaliste et surtout avons-nous les moyens de le faire? Si les prochains 20 ans sont comme les derniers 20 ans et laissent entrevoir les Forces armées variant de 65 000 à 100 000 troupes, dotons-nous d'une structure qui nous permettra d'optimiser ces ressources. Je pourrai commenter au besoin et donner d'autres exemples sur ces aspects.

Le deuxième facteur que j'aimerais soulever brièvement est déjà bien établi par plusieurs études scientifiques qui confirment les besoins d'une structure appropriée afin de s'ajuster à la présente révolution dans les affaires militaires. On parle beaucoup de révolutions dans les affaires militaires, expression que l'on traduit par RAM. Les études sur le RAM ont déjà démontré que la structure des US Marines possède les caractéristiques institutionnelles les plus aptes à intégrer la nouvelle génération de technologies et qu'elle est la mieux préparée pour maximiser les bénéfices de ce que les scientifiques associent avec la révolution de l'information.

Je pourrais, si le besoin en est, situer plusieurs études qui démontreront que la structure de commandement intégré et unique des Marines est la plus adéquate présentement au niveau des Forces armées pour être en mesure de pleinement intégrer ce que les personnes appellent « la nouvelle révolution dans les affaires militaires ».

Mon dernier facteur, qui vient appuyer le besoin de réévaluer la présente structure, provient du dernier rapport du vérificateur général, lequel met en évidence les besoins énormes en ressources de coordination dont les Forces ne disposent pas afin de répondre aux besoins d'une technologie qui ne cesse de changer et les besoins d'interopérabilité. En effet, il faut s'assurer que l'interopérabilité de tous nos systèmes de commandement — contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance —, communément appelée, selon l'acronyme anglais, C4ISR soit éventuellement mise de l'avant.

Je vais citer un paragraphe du rapport de la vérificatrice générale, Mme Fraser, qui dit :

Comptant plus de 90 projets, l'initiative C4ISR mise en place par la Défense nationale à l'appui du commandement et du contrôle est complexe et coûteuse. D'après notre vérification, le ministère doit assurer une meilleure coordination et voir à appliquer une approche commune pour la conception des systèmes requis. La Défense nationale estime qu'elle aura consacré d'ici 2015, près de 10 milliards de dollars à des projets conçus pour améliorer la manière de recueillir, de traiter et d'utiliser l'information militaire. Le ministère entend ainsi donner à ses commandants une information de meilleure qualité pour la prise de décision enfin qu'ils soient en mesure d'accroître la rapidité et l'efficacité de leur commandement et de leur contrôle dans les opérations interarmées et interalliées.

Le problème de conception origine de la présente structure qui incite les divers commandements — le problème de conception, c'est de la nécessité d'avoir tant de comités de coordination entre les divers éléments, les divers groupes. Cette situation vient du fait que les commandements ont comme tâche de continuellement chercher à mieux se préparer pour évoluer dans leur environnement et en partenariat avec les autres forces militaires. Ce n'est souvent qu'une fois la situation reconnue comme nécessitant une pleine interopérabilité qu'on décide d'uniformiser les protocoles d'opération et les équipements au moyen de comités de coordination entre les divers intervenants qui, par la suite, font rapport à des comités supérieurs dotés de capacité de décision qui, avant de prendre les décisions appropriées, doivent également se rapporter à leur chaîne de commandement qui doit aussi évaluer et adopter des propositions avant que les décisions soient prises par les Forces armées. Une structure unifiée préviendrait un tel mécanisme de réaction, limiterait le nombre de comités et surtout accélérerait la prise de décision.

Je termine sur ce sujet en rappelant que peu importe la politique de défense, peu importe les équipements et les plates-formes qu'on veut donner aux Forces, si la structure n'est pas appropriée, nous ne serons pas en mesure d'optimiser nos ressources ni surtout d'avoir l'assurance que les Forces canadiennes utilisent de façon efficiente les deniers publics.

Le sénateur Nolin : Bonjour, je vous remercie tous les deux d'avoir accepté notre invitation à participer à nos travaux. Colonel Landry, je commencerai avec vous. Vous avez couvert — je lisais rapidement votre texte — plusieurs des questions que nous avions à vous poser. Alors nous essaierons d'explorer les avenues qui n'étaient pas prévues.

Nous avons visité Norfolk. Vous savez que l'OTAN a transformé son commandement à Norfolk et qu'il s'agit d'un commandement stratégique qui vise la transformation. Êtes-vous familier avec ce qui s'y fait?

Le lcol Landry : Oui, j'ai visité l'OTAN il y a 18 mois.

Le sénateur Nolin : Les Danois ont demandé au commandement stratégique de Norfolk d'examiner leurs plans de transformation pour voir si leurs transformations ou leur structure transformée collait à ce que le commandement stratégique à Norfolk envisageait. Cela m'a interpellé. J'ai aimé le fait que les Danois le fassent. Pensez-vous que nous, les Canadiens, devrions faire la même chose que les Danois et soumettre nos plans de transformation à un commandement comme celui de Norfolk ?

Le lcol Landry : La réponse simple est oui. Mais pour être capable de le faire, il faudrait déjà avoir des plans.

Le sénateur Nolin : C'était ma deuxième question.

Le lcol Landry : Je suis très respectueux de la structure que les Forces armées canadiennes présentent et je ne cherche aucunement à critiquer ses éléments. J'ai fait partie, de 95 à 97 de la transformation que vous mentionnez. C'est ce que je faisais pour l'ensemble de la région du Québec. J'étais ce qu'on appelait en jargon militaire le G3 restructuration. Le problème qu'on a relevé c'est qu'à l'intérieur des divers commandements, le renouveau vient d'en bas. C'est ce renouveau, lorsqu'il arrive en haut, qui crée des problèmes. On se rend compte alors qu'on devrait éventuellement uniformiser ce changement. Présentement, on a entre autres trois commandements qui, de par la nature de la bête qu'ils doivent commander, nécessitent de se transformer. Mais cette transformation se fait en vase clos — elle débute en vase clos pour chacun des éléments — alors ce que je propose ou ce à quoi je tiens qu'on soit en mesure de vérifier, c'est que le changement vienne d'en haut, afin qu'on ait une vision qui uniformise ces changements et surtout intègre les trois commandements. On n'a pas les ressources présentement pour avoir une marine qui s'entraîne plus souvent avec les Américains qu'elle ne s'entraîne avec nos propres Forces canadiennes, avec les éléments terriens et aériens. Même chose avec l'air. On devrait être en mesure d'avoir une structure qui nous unifie compte tenu de nos ressources limitées. À partir de ce moment, on serait en mesure éventuellement de pouvoir se doter d'une vision et éventuellement participer à ce genre de choses. On a une armée de 62 000 hommes, un commandement maritime avec un trois étoiles qui commande à peine 9 000 hommes. En plus, parce que finalement nos commandements sont des générateurs de troupes, ce ne sont pas des commandants qui commandent en opération. On génère des troupes pour le SCEMD, qui lui est responsable des opérations. Donc ces trois éléments génèrent des troupes qui sont utilisées par un autre trois étoiles et cet autre trois étoiles a des besoins différents de ces trois commandements.

Dernièrement, à la fin des années 90, il a jugé bon de mettre sur pied un quartier général opérationnel interarmées, car on s'apercevait qu'il y avait tellement de façons de d'opérer entre les divers éléments qu'il fallait harmoniser le tout. On génère, au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, des besoins qui ne seraient pas là si on était déjà intégrés. Vous êtes-vous déjà poser la question, juste pour vous donner un autre exemple qui appuiera ce que je dis, à savoir quels sont les besoins du commandement opérationnel du secteur du Québec? Vous avez rencontré hier le général Côté. Vous avez pu voir la gymnastique qu'il doit faire pour maintenir la base de Saint-Jean qui, à 90 p. 100, répond aux ordres du sous-ministre associé pour la gestion du personnel. Nos écoles nationales sont à Saint-Jean, mais elles sont gérées et administrées par les fondations qui sont données à l'armée et ensuite au secteur du Québec. Imaginez le nombre de ressources qui doivent être dédiés juste pour coordonner ces besoins. C'est la même chose pour Longue- Pointe. À Longue Pointe, se trouve le Dépôt, qui est une ressource du sous-ministre associé (Matériel) principalement. Le secteur du Québec a donc ses fonds, mais ils font l'objet de discussions régulières avec le commandement dans le but d'un effort concerté de coordination. On passe un temps fou avec des ressources incroyables pour savoir ce que les autres font et comment ils le font dans le but d'harmoniser nos politiques. Si on avait une structure plus unifiée, ce serait beaucoup plus facile. Comme vous le savez, il n'y a pas qu'un chef d'état-major. Il y a un commandant de la Marine qui commande la Marine, un commandant de l'Armée qui commande l'Armée, un commandant de l'Air qui commande l'Air, et un DCDS qui commande des troupes en opération, tant nationales qu'internationales.

[Traduction]

Le président : Je m'inquiète. Votre témoignage est très intéressant.

Le lcol Landry : Est-ce que je parle trop vite?

Le président : Un peu, mais les réponses que nous obtenons sont un peu trop longues. Nous recevrons toutes sortes de documents après la séance, alors vous pouvez nous donner des exemples, mais nous ne pouvons pas entendre un aussi long...

Le lcol Landry : Je suis tout à fait désolé. Comme vous le constatez, cette question me passionne toujours.

[Français]

Le sénateur Nolin : Nous n'avons rien contre cela, mais si vous avez de la documentation que vous jugez utile pour nos travaux, n'hésitez pas à nous la faire parvenir, même chose pour vous, Monsieur Taillon. Ne nous limité pas à notre conversation qui ne durera malheureusement qu'une heure et demie.

Vous avez lu le récent document, la nouvelle politique qui a été rendue publique par le premier ministre, car le premier ministre préfaçait le document; de toute évidence vous n'êtes pas satisfait de ce que contient le document.

Le lcol Landry : Une bonne nouvelle pour les Forces, c'est toujours une bonne nouvelle.

Le sénateur Nolin : Vous allez prendre toutes les bonnes nouvelles même si elles sont rarissimes.

Le lcol Landry : Le seul problème, c'est que je crois que le gouvernement n'a pas été en mesure d'écouter les recommandations que cet illustre comité lui a faites. Entre autres, on parlait du fait que, présentement, au niveau de la fiscalité, les Forces canadiennes, pour maintenir ce qu'ils font présentement, ont besoin d'un milliard de dollars. Je m'attendais à ce que les Forces reçoivent cette somme cette année, non pas pour faire de nouvelles choses, mais strictement pour être en mesure de répondre à leurs besoins.

Le sénateur Nolin : Je ne veux pas qu'on mélange deux choses, le financement, le budget s'en est occupé, on a des préoccupations majeures sur le financement des opérations, on l'a dit et on va l'écrire encore, mais sur la question des politiques à long terme, de la structure opérationnelle des Forces canadiennes, le document qui nous a été présenté — et je comprends qu'il ne peut pas couvrir l'ampleur de tous les détails qu'on voudrait y voir et l'avenir va nous dire si cette restructuration est adéquate — mais avec ce que nous avons devant nous, c'est la question que je vous pose, il nous semble, qu'il y a une meilleure rationalisation des opérations des Forces canadiennes. J'aurai des questions pour M. Taillon en ce qui a trait aux opérations des forces spéciales. Mais suite à vos lectures, est-ce un commencement dans la bonne direction?

Le lcol Landry : Oui, mais je continue de croire que ce que le chef d'état-major veut faire lorsqu'il parle entre autres d'intégrer ces commandements régionaux — j'ai assisté à la présentation qu'il a fait la journée même, entre autres à Ottawa, où j'étais assis avec des généraux comme le général Belisle et autres personnes qui ont accueilli favorablement les propos du chef d'état-major mais qui en retrait ont dit : on revient au point de départ, parce que ce qu'on veut mettre de l'avant, ces quartiers généraux intégrés on a connu cela, le problème n'est pas à ce niveau. Le problème continuera de nécessiter énormément de coordination entre les éléments. D'après les premiers mots que je retiens de ce que le chef d'état major a mis de l'avant, je croyais qu'on se dirigeait vers une plus grande intégration. Et se diriger seulement vers l'intégration des quartiers généraux opérationnels, cela continuera de nécessiter énormément de ressources pour coordonner, car les ressources continueront toujours d'appartenir au commandement, c'est comme si on mettait une autre structure en parallèle.

Le sénateur Nolin : En bout de ligne, ce que vous demandez au gouvernement de faire signifierait à plus ou moins long terme l'élimination d'une série de postes, dans le haut de la pyramide, qui finalement ne sont pas utiles à l'efficacité de la structure. Si c'est le problème majeur, vous comprendrez qu'il n'y a pas beaucoup de politiciens, surtout pas de la région d'Ottawa, qui accepteront de s'aventurer dans une politique qui viserait à rationaliser l'opération à la tête de la structure.

Le lcol Landry : Ce que je dis tout simplement, c'est que présentement, on a une structure de commandement qui, selon moi, pourrait facilement commander des Forces armées de plusieurs centaines de milliers d'homme.

Le sénateur Nolin : J'ai compris cela.

Le lcol Landry : L'analogie qui représente le mieux ma façon de penser, c'est si vous avez une équipe d'entretien de Formule 1 pour s'occuper de votre Volkswagen, quelque chose quelque part ne fonctionne pas, cela vous coûtera tellement cher pour entretenir cette structure que vous n'aurez plus d'essence à mettre dans votre voiture.

Le sénateur Nolin : Finalement, vous dites oui à ma question.

Le lcol Landry : C'est ce que je vous dis, par contre, présentement ce n'est pas normal que, sur un ratio de 62 000 hommes de troupes, on ait à peu près seulement 20 000 hommes qui peuvent être déployés. Ce sont toujours ces 20 000 hommes que l'on déploie.

Le sénateur Nolin : Est-ce vraiment 20 000 hommes qu'on peut déployer?

Le lcol Landry : C'est le plus qu'on puisse faire présentement.

Le sénateur Nolin : J'avais l'impression, monsieur le président que c'était moins que cela.

Le lcol Landry : Je dis 20 000 hommes mais il faut comprendre une chose, il n'y a pas juste des opérateurs comme tels qui sont appelés à aller en mission, plusieurs de ces personnes viennent des quartiers généraux. Donc ce que l'on fait c'est alléger les quartiers généraux de divers niveaux en envoyant des officiers dans les missions, et souvent la tâche que ces personnes faisaient sera donné à quelqu'un d'autre. C'est comme si on n'avait pas les ressources pour maintenir la structure, mais que cette structure devait toujours fonctionner à haut rendement. En n'ayant pas nécessairement toutes les ressources nécessaires, ces personnes passent donc leur temps à être en comité, en sous-ministre, à étudier et faire des projets, et c'est cela qui alourdit le processus quand vient le temps de prendre des décisions.

Le sénateur Nolin : Je n'aurais qu'une question. Je laisserai à mes collègues le soin de poser des questions à M. Taillon, mais compte tenu qu'il étudie présentement au niveau du doctorat, je ne peux pas ne pas lui poser la question, parce que vous examinez en ce moment toutes les questions de souveraineté et d'intervention internationale. Cette politique nous préoccupe beaucoup, on a tous en tête la question du Kosovo, le fait que l'OTAN a fonctionné au Kosovo sans aucun mandat des Nations Unies et que de plus en plus, nos populations réclameront qu'on ne s'attarde pas aux arguties internationales — on pourrait demander cela à notre nouveau collègue le général Dallaire — mais plutôt qu'on intervienne pour protéger les sociétés qui sont à la merci de tyrans, d'individus qui n'ont rien à faire des droits individuels des ces populations.

Mais il y a toujours la question des souverainetés qui vient finalement s'ériger devant nous comme étant un peu un dogme presque infranchissable. Comment ajuster ou satisfaire ce besoin que nous avons d'intervenir pour assumer la protection des sociétés civiles et en même temps respecter ce concept de souveraineté?C'est ce que vous êtes en train d'élaborer.

Le lcol Landry : Oui. La réponse pourrait être très longue, si vous voulez je pourrai vous l'écrire, car j'ai déjà plusieurs centaines de pages sur cet aspect. J'ai étudié de très près l'étude que le gouvernement canadien a mise de l'avant lorsque le Canada était membre du Conseil de sécurité sur les interventions. Présentement, il est du mandat du Conseil de sécurité de pouvoir intervenir et de faire fi de cette question de souveraineté. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a, à l'intérieur de son mandat, la responsabilité, et c'est lui seul qui a cette responsabilité, de pouvoir décider qu'une situation à l'intérieur d'un pays est en train de dégénérer ou de créer un problème. Il y a déjà des règles qui existent en ce qui concerne les génocides. À partir du moment où une situation est déclarée génocide, le Conseil de sécurité n'a pas d'autres droits pour intervenir. Ce que je dis dans un premier temps, c'est que l'appareil est déjà en place pour être en mesure d'agir. Je vais prendre l'exemple du Timor oriental. Ce qui est intéressant de constater dans le Timor oriental, c'est que ce n'était pas nécessairement des puissances majeures qui sont directement intervenues pour éventuellement amener et régler le problème, on a vu des puissances moyennes qui ont été en mesure de faire une coalition et puis indirectement de forcer le Conseil de sécurité à intervenir.

Au Timor oriental, c'est l'Australie qui a été le maître d'oeuvre. Au Soudan présentement et le DRC, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de petites puissances en mesure d'intervenir. Je pourrais vous dire, par exemple, que si le Canada assumait son leadership comme il devrait le faire, on a un concept auquel on appartient depuis 97 qui s'appellent Sheer Brigade, dont vous avez peut-être entendu parler, c'est le concept de Special Eye Readiness Brigade auquel le Canada contribue. Présentement, c'est un Canadien qui commande la brigade, dont le siège est au Danemark.

Cette brigade a déjà la capacité d'intervenir rapidement. Le Canada n'a pas toujours ce qu'il faut pour intervenir rapidement, mais avec cette brigade on a déjà mis sur pied une coalition de personnes ou de pays qui ont à cœur les mêmes intérêts pour intervenir rapidement. Cette brigade a fait sa reconnaissance pour le Soudan. Elle sera en mesure d'intervenir très rapidement pour le Canada dans ce type de situation. Mais ce qu'il faut c'est un leadership, un pays qui est en mesure, lorsque les grandes puissances n'y voient pas d'intérêt, lorsque je parle des grandes puissances — les membres permanents du conseil — cela prend une Coalition of the willing, pour assumer et faire pression auprès du Conseil de sécurité pour éventuellement être en mesure de forcer le Conseil de sécurité à agir et à prendre ses responsabilités.

Le sénateur Nolin : Je vous invite à nous écrire. Je comprends que votre thèse ne sera pas à maturité, mais écrivez- nous. C'est une question qui a été soulevée par plusieurs Canadiens que nous avons rencontrés au fil de nos audiences.

Le lcol Landry : Certaines personnes essaient de codifier le moment où l'on devrait intervenir. Selon moi, on ne sera jamais capable, dans la situation actuelle, d'avoir une masse qui sera en mesure d'accepter cela avec les concepts de souveraineté actuels au sein des Nations Unies.

Le sénateur Nolin : Le conseil de l'Atlantique nord, lorsqu'il a décidé d'intervenir au Kosovo, comme par hasard, le Conseil de sécurité, le lendemain, était d'accord avec ce qu'on avait fait.

[Traduction]

Le président : Merci sénateur Nolin. Colonel Landry, des membres de notre personnel communiqueront avec vous, et, de cette façon, nous donnerons suite à votre témoignage. Je crois qu'il est mieux de procéder ainsi que de recueillir toutes les informations aujourd'hui.

Le sénateur Atkins : Ma question s'adresse à M. Taillon. Selon vous, quel rôle les forces d'opérations spéciales devraient-elles jouer dans la nouvelle politique canadienne de défense?

M. Taillon : D'un point de vue stratégique, le Canada dispose de deux atouts : d'abord nos sous-marins et ensuite, nos forces spéciales. Pour ce qui est de la coalition, les forces d'opérations spéciales contribuent à rassurer nos alliés dans une certaine mesure, car ils les considèrent comme étant aussi de premier ordre, surtout en Afghanistan, où les membres des forces spéciales ont fait preuve de beaucoup de bravoure et d'efficacité.

En ce qui nous concerne, et je songe particulièrement aux opérations spéciales et aux tâches élargies qu'on leur confie avec la guerre internationale contre le terrorisme, la prochaine transformation qui nous attend concerne le rôle que seront appelés à jouer nos alliés dans les questions de sécurité nationale, notamment la défense intérieure à l'étranger, les équipes d'entraînement mobiles, par exemple, ou la réaction à des menaces de guerre non conventionnelles.

Je crois que d'autres questions de défense intérieure à l'étranger se poseront et que nous pourrons mettre à profit ces capacités de concert avec nos alliés. Pour l'instant, nos opérations spéciales en sont à leurs premiers balbutiements, je ne devrais peut-être pas utiliser ces termes car la situation a évolué très rapidement, en moins de deux décennies, alors que nos plus proches alliés ont eu 60 ans pour s'adapter. Heureusement, nous comptons dans nos rangs des personnes extrêmement compétentes et visionnaires qui nous permettent d'acquérir ces capacités. Je crois que cela produit un effet de ruissellement vers le haut et vers le bas de sorte que le gouvernement du Canada dispose d'un certain nombre d'options, ce qui est unanimement souhaitable d'un point de vue stratégique, et, en outre, que nous sommes dotés d'excellentes troupes terrestres, comme nous l'avons constaté en Bosnie où nous avons déployé nos militaires comme OCI. Ainsi, aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique, nous disposons d'options qui sont extrêmement importantes, et qui nous permettent d'avoir voix au chapitre dans les opérations spéciales de coalition.

Le sénateur Atkins : Cela suppose-t-il une approche tout à fait nouvelle de la formation et des concepts opérationnels?

M. Taillon : C'est possible. Je soutiens que nos forces évoluent déjà dans cette direction. D'ailleurs, tout récemment, le général Hillier a affirmé qu'essentiellement, une unité d'infanterie légère serait désignée, dans mon document, j'utilise le terme unité de soutien direct aux opérations spéciales, laquelle serait très similaire aux Rangers américains. Si je peux me permettre, notre infanterie légère est tout à fait formidable. Nos militaires sont bien entraînés et s'approchent déjà de ce que je considère comme étant le deuxième niveau, voire même, dans certains cas, des agents spéciaux. Pourvu que nous nous maintenions à ce niveau, nous tirerons très bien notre épingle du jeu à cet égard.

Le sénateur Atkins : Cela m'amène à vous poser la question suivante : êtes-vous optimiste par rapport au nouvel énoncé de politique de défense? Ensuite, quelle est votre opinion du budget à cet égard?

M. Taillon : Je m'excuse mais j'aimerais attendre que ces fonds soient versés avant de me prononcer.

Le sénateur Nolin : Ne vous excusez pas, nous sommes habitués à cette réaction.

M. Taillon : C'est un élément déterminant. Il existe un bon plan pour l'avenir. Je dois admettre que le général Hillier, comme chef d'état major de la Défense, prend des mesures audacieuses. Il a des partisans et des détracteurs. D'un point de vue canadien, il est possible que de tels plans soient trop controversés pour certains groupes et pas assez percutants pour d'autres.

Étant donné la structure organisationnelle actuelle, croyez-vous qu'il pourra atteindre ses objectifs?

M. Taillon : Je l'espère. C'est une initiative audacieuse et novatrice. Selon moi, le Canada a besoin d'initiatives audacieuses et novatrices à cet égard.

Le sénateur Munson : Croyez-vous que l'armée de l'air et la marine soient désavantagées?

M. Taillon : J'ai eu l'occasion de prononcer une conférence. En fait, j'ai été invité à un dîner à deux mess de la marine et j'ai exposé le point de vue de l'armée de terre car, au King's Le college, j'ai étudié l'histoire navale du point de vue de l'armée de terre. Il y a un certain nombre d'années, j'ai étudié au Marine Corp Command and Staff Le college, puis, j'y ai enseigné et j'en suis venu à la conclusion que, très franchement, ce qui nous manquait c'était des LPHA, c'est-à-dire, essentiellement, un navire de commandement qui pourrait transporter des aéronefs de type VISTOL comme le Harrier, peut-être huit, peut-être 14 hélicoptères. Ce navire pourrait accueillir un bataillon bonifié d'infanterie légère. On aurait ainsi une capacité de commandement, une capacité de projection de puissance, des moyens aériens pour composer avec certaines situations dans une zone limitée, et cela aurait très bien pu se combiner avec les forces américaines, britanniques, voire même françaises. Nous aurions pu nous en servir comme force amphibie d'opération de second ordre.

Je suggère à mes collègues de la marine qu'ils envisagent de se débarrasser de certains de leurs destroyers, qui sont à la fois des plates-formes de contrôle et de commandement et aussi de se débarrasser de quelques frégates, mais alors il faudrait conserver deux ou trois de ces navires pour projeter de la puissance et de l'influence et pour jouer un rôle dans les activités de la coalition.

Le président : De cette façon, on ne dispose toujours pas de capacités d'avitaillement. C'est là le problème. Si on essaie de tout rassembler, on se retrouve avec un couteau de l'armée suisse.

M. Taillon : C'est exact, monsieur, mais nous avons des appareils de ravitaillement.

Le président : Plus maintenant.

M. Taillon : Je crois que nous devrons nous pencher sur certaines de ces difficultés, vous avez raison. C'est l'une des options que nous devrions sérieusement envisager.

Le sénateur Atkins : Lors de notre visite à Washington, un colonel de la marine nous a donné une séance d'information. Il me semble que votre concept ressemble à ce qu'ils nous ont suggéré.

M. Taillon : Contrairement à mon collègue, je suis plutôt favorable à la marine pour ce qui est d'un certain nombre de questions. Si nous voulons tirer profit de la politique étrangère du Canada sur le plan stratégique, si nous voulons avoir des capacités de projection de puissance qui soient convenables pour une puissance moyenne, alors nous devons sérieusement étudier ce concept.

Il est possible que l'armée de l'air ne m'apprécie pas parce que cela a pour effet de leur faire perdre quelques F18 pour acquérir des aéronefs de type VISTOL et pour former du personnel qui sera envoyé à bord d'un navire pendant quelque temps. La marine n'accueillera probablement pas favorablement l'idée de perdre ses destroyers mais elle obtiendra un navire de contrôle et de commandement. Du point de vue de l'armée de terre, il est possible qu'on ne se réjouisse pas à l'idée d'être envoyé en mer pour des affectations de quatre mois, mais, à l'heure actuelle, nous sommes confrontés à ces difficultés dans le monde entier.

Selon moi, il est possible que d'ici cinq à dix ans, nous nous retrouvions en Afrique. Nous avons besoin de ces canaux de communication, mais il serait très utile et précieux de disposer d'une capacité qui prendrait la forme d'un bataillon autosuffisant d'infanterie légère qui pourrait fonctionner dans un environnement à demi hostile et qui serait dotée d'une capacité d'hélicoptères, d'une certaine possibilité de ravitaillement, afin de manifester notre puissance pour des opérations de maintien de la paix ou d'établissement de la paix dans le cadre d'opérations menées par une coalition.

Le sénateur Atkins : La deuxième partie de ma question concerne le financement.

M. Taillon : Le financement.

Le sénateur Nolin : Des détails.

Le sénateur Atkins : Le budget vous a-t-il paru encourageant?

M. Taillon : En partie, monsieur. Les militaires ont besoin de cet argent dès maintenant. Je crois que M. Landry est d'accord avec moi sur ce point. Ces mesures ont été reportées à plus tard pendant des années.

Le sénateur Atkins : Je ne veux pas vous interrompre, mais notre comité a entendu de nombreux témoignages selon lesquels même si les militaires disposaient de ces fonds, ils ne sauraient pas comment les dépenser.

M. Taillon : Il faudrait apporter des changements à nos procédures d'approvisionnement, mais je crois que nous comptons dans nos rangs des personnes qui savent élaborer de bons plans et qui sauraient comment dépenser ces fonds.

Le lcol Landry : Puis-je vous donner un exemple des conséquences des pénuries d'argent sur les forces terrestres? Je pourrais aussi vous donner des exemples qui concernent la marine et l'armée de l'air.

À l'heure actuelle, à cause du manque d'argent, les forces terrestres ont décidé de mettre sur pied un cycle de formation de trois ans. Lorsque je faisais partie des forces, la formation se donnait chaque année plutôt qu'à tous les trois ans. Ce changement aura des répercussions sur la chaîne de commandement car à l'heure actuelle les nominations au commandement durent deux ans. Qu'arrivera-t-il au malchanceux qui ne sera pas en mesure de commander ses troupes pendant une opération ou un exercice de formation? Si nous disposions des fonds nécessaires, il serait possible de remédier à cela immédiatement. Il faut demeurer très prudent lorsque le gouvernement ou les forces affirment ne pas savoir comment dépenser ces fonds, tout simplement. Il est clair que cet argent pourrait répondre à certains besoins dès maintenant.

Le sénateur Atkins : Je ne fais que vous répéter ce que nous entendons. Je peux vous dire que notre comité saurait dépenser cet argent très rapidement.

Supposons un instant que le pire scénario n'a pas encore été défini en détail. Quel rôle ou quelle mission les Forces canadiennes devraient-elles se voir attribuer? Je vous invite tous les deux à répondre à cette question.

Le lcol Landry : Cette question du pire scénario relève de l'utopie. Cela n'existe pas. Selon moi, c'est une façon de confronter la réalité, ce qui revient à prendre des risques. Les agents sont formés pour prendre des risques. Dans les Forces canadiennes, il existe une composante du renseignement dont nous nous servons pour analyser des situations. Nous pouvons faire des analyses prospectives et envisager les scénarios les plus probables. Pour les gens qui ont été témoins de nos efforts dans les années 90, il semble évident que nous ne pourrions pas composer avec une troisième guerre mondiale mais que nous serions en mesure de composer avec les situations pour lesquelles nous avons une capacité de réaction rapide. Malgré cela, nous n'avons pas pu faire quoi que ce soit. Désormais, le général Hillier est perçu comme un visionnaire. D'autres l'étaient au début des années 1990, mais la structure en place ne nous a pas permis de mettre en pratique les plans qui avaient été élaborés.

À la fin des années 40, les Canadiens ont décidé que notre sécurité passait par une alliance, alors que le pays n'aurait pas dû emprunter cette voie. Depuis, c'est exactement ce que nous avons fait. Nous présumons toujours que si nous sommes membres d'une alliance et que si nous faisons notre part, alors l'alliance nous protégera. Or, en réalité, ce n'est plus l'Union soviétique qui constitue une menace; celle-ci vient plutôt du monde entier. Nous comprenons maintenant que nous avons tellement investi dans nos alliés que nous n'avons plus les ressources nécessaires pour régler nos propres problèmes.

Si, dès le milieu des années 90, nous nous étions demandés ce dont le Canada avait besoin pour assurer sa sécurité, comme les Australiens l'ont fait, nous aurions pu apporter cette transformation au fil du temps. Ainsi, nous serions peut-être dans la même situation que l'est aujourd'hui l'Australie, c'est-à-dire que ce pays peut exporter sa puissance et exercer une influence, ce qui est impossible pour le Canada.

Le sénateur Atkins : Si le gouvernement du Canada demandait au chef d'état-major de la Défense d'indiquer quelles missions elle pourrait effectuer si le gouvernement apportait sa contribution, que répondrait-il?

M. Taillon : Il serait déplacé que je parle au nom du chef d'état-major de la Défense. Nous avons connu une année de prétendu repos. Au moment le plus fort, il y a trois ans, environ 4 500 personnes étaient déployées dans des régions assez agitées, comme c'était le cas en Bosnie au début des années 90 où c'était la guerre ouverte. On a entendu quelqu'un dire : « Mon Dieu, sergent major, ils lancent des munitions à balle ordinaire ». En effet, c'était un peu traumatisant pour des gens qui arrivaient de la paisible Allemagne et qui soudainement se retrouvaient en plein conflit. Ce fut un choc pour bien des Canadiens.

Quant au maintien de la paix et au rétablissement de la paix, je n'envisage pas qu'il y ait des missions de maintien de la paix trop souvent. Je pense que les missions de rétablissement de la paix se multiplieront et à plusieurs reprises, nous avons dû essuyer le tir ennemi, ce qui peut être plutôt désagréable. Les opérations de coalition seront un gros enjeu pour nous parce que nous choisissons volontiers des missions avec des partenaires, ce qui est le plus souvent le cas. Nous allons toujours maintenir ce genre de mission de façon générale avec nos plus proches alliés, en particulier pour des opérations de l'OTAN ou des Nations Unies.

Quant aux opérations d'envergure, je m'inquiète de la situation nationale. La menace existe effectivement et même s'il me déplaît de le dire, elle vient des extrémistes de droite, de gauche et religieux. Au début des années 80, il y a eu des attaques terroristes, notamment à l'ambassade de Turquie. Cela a été plutôt désagréable pour la GRC, le service de sécurité et le gouvernement. Ce genre d'attaque pourrait se reproduire. La menace chimio-biologique existe. Récemment, au Royaume-Uni, il y a eu un incident avec le ricin et le terrorisme chimio-biologique existe en Europe depuis les années 70, sans oublier qu'il y a eu des incidents dans le métro au Japon. Ce n'est qu'une question de temps. En outre, on a constaté des liens avec al-Qaïda, à partir d'Ottawa, un jeune homme nommé Kawaja ayant été capturé au mois d'avril dernier. Bien des choses sont en ébullition. S'il y avait eu une attaque terroriste, les gens ne se demanderaient pas qui est responsable au premier chef mais ce que fait l'armée.

La population de Nepean est d'environ 100 000 et Santé Canada trouve cette agglomération propice pour des études. Lors d'une opération fictive simulant un désastre, on a dénombré 32 000 morts à la suite d'une attaque chimio- biologique. Je ne suis pas sûr de ces chiffres. Vers qui se tournerait-on dans le cas d'un tel désastre? La police locale? Non, on s'adresserait au MDN où se trouvent les militaires. Il faut prendre ces choses-là au sérieux. Je sais que les militaires, la réserve de la force terrestre et PCCPC se penchent sur cette question, mais il nous faut compter sur le leadership, notamment du gouvernement.

Le sénateur Atkins : Vous avez tous deux une expérience pratique et vous êtes tous deux universitaires. Les dispositions de la Charte sont-elles une entrave à l'entraînement pratique?

M. Taillon : Je ne suis pas avocat, si bien qu'il m'est difficile de vous répondre, monsieur. Il faudrait que je relise la Charte. Dans le passé, quand j'étais dans les forces spéciales britanniques, il nous fallait subir des tests de résistance à l'interrogatoire, ce qui était très déplaisant. On nous présentait des entrailles de moutons et on nous brutalisait. Un tel traitement pourrait être considéré une violation de la Charte. Toutefois, c'était dans un but précis. Si nous avions été capturés, c'est le genre de situations auxquelles nous aurions été confrontés.

Le sénateur Atkins : Je vous pose la question car il semble que cela a une incidence sur le recrutement, l'entraînement et les opérations. Est-ce un facteur important?

M. Landry : Je vais vous donner quelques exemples pour que vous puissiez tirer vos propres conclusions.

Le président : Je pense qu'il vaudrait mieux, sénateur, nous adresser à d'autres témoins pour cela.

Le lcol Landry : Je me bornerai à dire qu'il vous faudrait aller à Saint-Jean pour voir l'âge des recrues. Que faire si nous avons des recrues qui sont des mères seules et qui ont 35 ans? Quel genre de carrière peuvent-elles attendre? Quel genre d'investissement de telles recrues représentent-elles? Allons-nous les garder 20 ans ou 5 ans? La Charte interdit toute discrimination en fonction de l'âge. Si une recrue peut réussir l'épreuve d'entrée, il n'y a pas de problème. Toutefois, de tels cas ont des répercussions sur toute la structure et sur l'entraînement.

Le sénateur Meighen : J'ai l'impression que vous êtes tous à peu près sur la même longueur d'ondes mais je me demande si vous préconisez que les Forces canadiennes s'orientent davantage dans le sens d'une FOI 2 ou qu'elle se transforme suivant le modèle des marines américains ou si vous préconisez une combinaison des deux.

Monsieur Taillon, préconisez-vous que la force opérationnelle interarmées 2 prenne de l'expansion en transformant certaines unités d'infanterie en une force semblable à la FOI 2? Est-ce cela?

M. Taillon : Il se peut que nous souhaitions que nos forces qui ne sont pas des forces d'opérations spéciales le deviennent davantage. Par exemple, la FOI 2 mène des opérations de protection rapprochée, ce qui ne fait pas partie de la mission des FOS. En fait, certaines de nos unités d'infanterie légère — le 22e, le RCR et les Princesses Patricia — sont sans égales dans le monde. Ces unités sont aguerries, en bonne forme physique, bien adaptées et expérimentées. Il vaudrait mieux prendre 10 personnes d'une compagnie d'infanterie légère et les entraîner pour la protection rapprochée. Ainsi, si vous allez à Kaboul, ces gens, qui se seront entraînés pendant quelques jours avant votre visite, pourront être vos gardes. La protection rapprochée n'est pas une fonction des opérations spéciales, mais cette tâche leur est confiée. Prévoyons des unités semblables aux FOS pour cette tâche.

Par ailleurs, il y a des considérations politiques. Par exemple, on sait très bien que les Britanniques envoient les membres de leur Special Air Service, le SAS, entraîner des équipes de garde du corps pour les leaders africains et du Moyen-Orient. Ils sont très compétents en la matière et cela leur donne des atouts politiques sur le théâtre des opérations. En outre, ils gardent l'œil ouvert et ils récoltent des renseignements ici et là pour déterminer qui est qui sur les lieux et ce que chacun fait. Ce genre d'opération au grand jour est mené à bien quotidiennement par les FOS.

Cela dit, nous avons la possibilité de monnayer nos compétences bien davantage que par le passé en donnant de l'ampleur à ces compétences et non pas aux forces spéciales, même si c'est ce que je souhaiterais ardemment. Notre groupe de recrutement est réduit mais il y a moyen de composer avec cette situation. Nous pouvons utiliser des techniques de repérage des talents, comme le directeur des opérations spéciales le faisait pendant la Deuxième Guerre mondiale. Notre histoire est remplie de nombreux exemples. La communauté sino-canadienne a été retenue par l'armée britannique indienne pour des opérations spéciales avec la force 136 dans l'État malais parce qu'elle parlait chinois. C'était au moment du conflit malais-chinois avec les Japonais. Tous ces sino-Canadiens se rendaient compte qu'ils risquaient d'être capturés et maltraités. Les historiens vous diront sans doute que ces unités militaires sont parmi celles qui se sont le plus distinguées au nom du Canada à l'époque.

Le sénateur Meighen : Quand on sait cela, pourquoi semblons-nous avoir tant de mal à recruter chez les groupes minoritaires canadiens?

M. Taillon : Tout d'abord, au sein des minorités, on ne connaît pas les débouchés, et c'est pourquoi je demande qu'on fasse un travail de repérage des talents. Je vais laisser au greffier du comité un document pour que les sénateurs le lisent. Vous y trouverez une série d'options et ce peut être une formation universitaire ou le recrutement des deuxièmes générations. Quand les Suédois sont recrutés, il se trouve que ce sont des Suédois de deuxième génération à qui on confie des missions de renseignements de sécurité ou de traduction. Cela se passe plutôt bien.

Nous avons utilisé des recrutés locaux dans nos déploiements, comme l'ont fait les Britanniques et les Américains, et nous avons découvert qu'ils travaillaient également pour l'ennemi.

Le sénateur Meighen : C'est un problème de communication.

M. Taillon : Oui, mais c'est aussi un problème de sécurité. En Croatie, nous avons envoyé des réservistes canado- croates pour être chauffeurs de nos commandants. Ils pouvaient ainsi confirmer si ce que l'interprète disait était juste. Cela nous a été très utile.

Le président : Toutes les ambassades du Canada à l'étranger éprouvent le même problème avec les recrutés locaux.

Le sénateur Meighen : Cela m'amène à vous poser ma deuxième question avant que je m'adresse au lcol Landry. Je ne me rendais pas compte qu'il y avait des réservistes dans la FOI 2.

M. Taillon : Nous avons fait passer des réservistes par le processus de sélection et ils ont réussi, après quoi nous leur offrons des contrats. Les SAS britanniques comptent 23 membres dont 21 sont des réservistes. Un réserviste qui appartient à une telle organisation peut être déployé. Les Américains ont deux unités de la garde nationale qui sont des forces spéciales. Mon unité de réserve précédente était une force spéciale.

Le président : Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet, sénateur Meighen?

Le sénateur Meighen : Volontiers.

Le président : Vous ne parlez pas d'une unité SAS de réservistes qui aurait son propre manège, etc. Il s'agit plutôt de gens qui sont passés par la réserve et qui font partie d'une unité SAS pour une durée prolongée en vertu d'un contrat, n'est-ce pas?

M. Taillon : Non, monsieur. Les 21 réservistes sont à Londres. C'est une unité SAS qui a un quartier général SAS, et les 23 autres sont ailleurs, en Écosse et au pays de Galles, etc. C'est séparé.

Le sénateur Meighen : Quand on leur demande d'aller en mission, peuvent-ils refuser à cause d'une obligation familiale, par exemple?

M. Taillon : Je suis allé là-bas en novembre et j'ai constaté qu'ils partaient quand on leur en donnait l'ordre.

Le sénateur Meighen : Est-ce que c'est parce qu'ils sont impatients de partir ou parce que la loi l'exige?

M. Taillon : Il n'y a aucune obligation de partir.

Le sénateur Meighen : Est-ce une obligation morale?

M. Taillon : Il y a une obligation morale et une obligation juridique. Le SAS prévient les réservistes quand ils s'enrôlent qu'il leur faudra partir quand l'ordre en sera donné.

Le sénateur Meighen : C'est une difficulté qu'il faudrait surmonter au Canada car les réservistes ont le choix de partir ou non.

M. Taillon : En tant que réserviste, j'ai utilisé mes congés pendant des années.

Le sénateur Meighen : Je sais qu'il y a des réservistes très dévoués mais on nous a dit à plusieurs reprises qu'une des difficultés était de ne pas savoir qui allait répondre à l'appel.

M. Taillon : Tout à fait.

[Français]

Le sénateur Meighen : Il ne manque pas de commentateurs qui sont en faveur du concept que vous énoncez par rapport à l'unification des Forces canadiennes dans un même commandement. En théorie, cela a du bon sens, mais la proposition n'avance pas, pourquoi?Est-ce à cause de la résistance au sein des Forces canadiennes ou est-ce un manque de compréhension de la part des hauts fonctionnaires ou des politiciens ?

Le lcol Landry : C'est un peu tout cela. Il faut arrêter de demander aux militaires ce qu'ils peuvent faire pour le pays, il faut leur dire ce qu'il faut faire. Selon mes études, et cela fait au moins une vingtaine d'années que je travaille sur cet élément, on n'a pas présentement les moyens ni les ressources pour maintenir les trois éléments. Ce que je dis aux personnes, c'est qu'on parle de plus en plus d'optimiser les ressources existantes; à ce moment-là, pourquoi ne pas unifier nos forces. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on ne verra plus des personnes habillées en bleu ou en vert. Ce n'est pas nécessairement la suggestion que je fais. Je parle d'unifier la structure de commandement, de sorte que les initiatives qui sont mises de l'avant puissent être rattachées immédiatement aux priorités qui auront été mises de l'avant par le gouvernement.

Il n'y a pas si longtemps, si vous regardez la façon bureaucratique dont on gérait les programmes d'acquisitions, pour une année on s'entendait sur le fait que c'était la marine qui allait avoir l'apport, une autre année l'aviation, ensuite l'armée de terre. Tout ce que je vous dis, c'est ce qu'il y a un malaise avec cela. Le fait que la marine décide une année de quel type d'équipement ils ont besoin. Dans une perspective nationale, ce n'est peut-être pas la priorité la plus importante. Peut-être que c'est de l'équipement pour l'aviation qu'on devrait avoir. On a donc dès le départ une structure qui au lieu d'harmoniser notre vision, notre façon de faire, crée une dynamique d'opposition au sein des commandements.

Je peux vous dire que juste l'annonce du chef d'état-major comme futur chef a créé définitivement un remue- ménage, car la pratique aurait voulu que ce soit au tour de la marine de l'être. Regardez le nombre de trois étoiles qu'il y avait à Ottawa. On se préparait pour avoir un marin. On laissait le choix au gouvernement, il y avait quatre vice- amiraux, je crois, qui étaient prêts éventuellement à prendre le poste. C'est ce que cela crée. Quand on a moins de ressources, il faut alors s'assurer d'avoir une structure qui réponde à nos besoins. Et le fait de dire qu'on a une structure présentement pour prévenir une autre guerre, ce n'est pas un bon chef d'entreprise qui fait cela. Ce n'est pas un bon général qui fait cela. Il faut prendre des risques.

Le sénateur Meighen : Dernière question. Au sein du NDHQ, il me semble que premièrement, il y a bien trop de monde, deuxièmement, qu'il y a des militaires et des non militaires. Voyez-vous le besoin d'une intégration ou d'une meilleure intégration entre les militaires et les non-militaires ?

Lcol Landry : J'aimerais vous rappeler rapidement ce que le rapport Dimoff disait en 1997. Cela vaut la peine de ressortir ces rapports. Ces personnes disent qu'on a essayé de créer une culture en scindant une culture bureaucratique et une culture militaire. On s'aperçoit que cela ne fonctionne pas tellement bien. J'ai quitté en 2001, et déjà on voit une dichotomie entre la culture du quartier général et celle des opérateurs. Ce n'est pas du tout la même culture. Les personnes regardent en haut et se disent : j'espère que je n'irai jamais en haut. C'est devenu tellement bureaucratisé et politisé qu'on a l'impression que le militaire est là pour servir le gouvernement alors qu'il est là pour servir son pays. Le bureaucrate sert le gouvernement. Je n'ai pas de problème avec cela. Il ne faut pas chercher à faire de nos bureaucrates des militaires et de nos militaires des bureaucrates. Quand je suis entré dans l'armée, c'était pour devenir un militaire, pas un politicien ni un diplomate ni un bureaucrate.

Le sénateur Meighen : Vous décrivez très bien le problème. Pouvez-vous alors me décrire la solution?

Le lcol Landry : Avant de quitter, j'ai rencontré l'ancien chef d'état-major, le général Barril. Je lui ai dit qu'il faudrait que le chef d'état-major ait la capacité de mettre une équipe sur pied formée de militaires, d'anciens militaires et de civils afin d'étudier cette question. Il faut faire attention, comme on dit, de ne pas changer quatre trente sous pour un dollar. Il faut s'assurer que le changement qu'on fera respecte nos besoins. C'est pour cela qu'il faut que le gouvernement sache ce qu'il veut faire avec ses Forces armées. Présentement, il y a un vacuum. Le fait d'émettre un énoncé politique et de dire en même temps qu'on va acheter des Striker, des hélicoptères de transport, cela m'apparaît tout à fait illogique. On ne peut pas décider d'acheter de l'équipement quand on n'a pas encore pleinement établi une politique de dépenses. Qu'est-ce que c'est? On a décidé qu'on n'avait plus besoin de chars d'assaut alors qu'on venait d'investir 17 millions de dollars pour les rénover. Il faut réfléchir, il faut que la réflexion soit dirigée et qu'on arrête de faire des rapports comme le rapport Dimoff pour satisfaire les politiques et après le mettre sur une tablette pour que plus personne ne s'en serve.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je serai bref. Avons-nous les contingents nécessaires aux bons endroits au Canada, étant donné que nos bases sont éparpillées d'un bout à l'autre du pays?

Le lcol Landry : Je pense que nous n'avons tout simplement pas assez d'effectifs. J'ai eu la bonne chance dans ma carrière de servir dans les principales bases du pays. Toutefois, ce n'est plus possible. Tôt ou tard, nous reviendrons peut-être au système de la fin des années 60, du moins pour l'armée de terre, quand nous avions des unités dans l'Ouest, en Ontario, dans les Maritimes et au Québec. Avons-nous des effectifs en nombre suffisant? Je dois dire que non. Devons-nous intensifier notre présence active d'un bout à l'autre du pays? Absolument. Les forces armées, comme toute autre organisation, doivent promouvoir le fait canadien. Nous devons nous en servir mais le gouvernement ne semble plus se soucier des forces armées.

Le sénateur Munson : Comment changer cela?

Le lcol Landry : Il faut du temps pour que les choses changent et nous avons beaucoup de travail préparatoire à faire. Le gouvernement doit rétablir la crédibilité des Forces canadiennes pour qu'elles n'aient pas à refaire le même travail auprès des Canadiens tous les ans. Le gouvernement doit édifier la crédibilité des forces armées et en être fier. Nous ne nous servons pas des forces armées pour promouvoir l'économie dans diverses régions. Il faut que les citoyens soient fiers de leurs forces armées.

À Ottawa et à Montréal, avez-vous remarqué le petit nombre de militaires dans les rues? C'est parce qu'ils ont honte. J'ai travaillé dur pendant ma carrière et j'ai risqué ma vie en Bosnie. Je suis revenu au Canada et j'ai peur de marcher dans la rue en uniforme car les gens me pointent du doigt. Je leur demande s'ils n'étaient pas satisfaits que les militaires apportent leur aide lors de bien des crises, notamment à Oka. Je me demande s'ils étaient satisfaits que les militaires soient présents à Montréal lors des Jeux olympiques d'été. Pourtant, le Canada ne semble pas promouvoir ce sentiment. Le fait d'être dans les forces armées m'a permis d'être un Canadien qui parle français. C'est ce que je suis. Il faut être fier de l'institution qui existe depuis si longtemps et ne pas aller croire que tous les problèmes sont causés par l'armée, la marine et l'aviation. Actuellement, l'agent d'information au quartier général de la Défense nationale n'est même pas militaire, c'est un civil. Quand le général Côté veut répondre à un article qui paraît dans les journaux, il n'a pas le pouvoir de le faire. Il doit préparer une réponse et l'envoyer à Ottawa pour approbation. Au moment où il reçoit l'approbation, il est d'habitude trop tard pour que la réponse soit pertinente.

Les forces militaires devraient nous inspirer une plus grande passion car notre pays a été construit par des gens qui ont donné leur vie à son service. Aujourd'hui, le travail que font nos militaires à l'étranger montrera que les Canadiens peuvent faire changer les choses et ont déjà fait changer les choses, mais pour cela, ils ont besoin de notre appui.

On nous compare maintenant aux soins de santé. Si nous donnons de l'argent pour la santé, nous ne pouvons pas donner d'argent aux militaires. Si nous donnons de l'argent aux militaires, nous ne pourrons pas en donner ailleurs. Mais que se passe-t-il? Ça ne va pas. Les Forces canadiennes appartiennent à la population de ce pays, pas le contraire.

Le sénateur Munson : Prononcez-vous souvent ce discours au Québec?

Le lcol Landry : Chaque fois.

Le sénateur Munson : C'est dommage qu'il n'y ait pas de journalistes ici pour entendre avec quelle passion vous vous exprimez.

Le lcol Landry : L'automne dernier, j'ai été invité à me rendre dans une école primaire où j'ai prononcé un discours sur les Forces canadiennes. L'automne dernier, j'ai été invité au CEGEP de Victoriaville et à l'Université de Trois- Rivières. Un groupe de personnes ne réussissait pas à trouver de conférencier pour les entretenir du système de défense antimissile. J'étais là. Vous auriez dû voir la réaction des gens lorsque je me suis présenté comme lieutenant-colonel des Forces canadiennes. Ils m'ont presque hué. À la fin, la plupart d'entre eux sont venus me dire : « Et bien, nous ne savions pas. Il devrait y avoir plus de gens comme vous qui disent ces choses. ». Mais nous ne le faisons pas. Nous laissons les militaires dans leur base. Nous avons peur que l'un d'entre eux dise quelque chose qui pourrait être répétée dans le bureau du chef d'état-major que nous refusons de les laisser parler.

Je vais vous donner un autre exemple. Je sais que le sénateur Kenny n'aime pas beaucoup les exemples.

Le sénateur Meighen : Tant pis pour lui.

Le président : Je ne vais plus lui donner la parole, sénateur Meighen.

M. Landry : Lorsque nous nous sommes installés à Oka, j'étais commandant adjoint du deuxième bataillon. J'ai été le premier officier à arriver au village de Saint-Benoît et j'ai reçu un ordre direct du commandant de la force terrestre m'interdisant de parler aux médias de crainte que je cause un drame. Eh bien, devinez ce qui est arrivé. Lorsque je suis arrivé à Saint-Benoît, il y avait environ dix journalistes de la presse écrite ainsi que des reporters de la télévision. Que pensez-vous que j'ai fait? J'ai dit la vérité. Je leur ai dit ce que j'avais à dire : rien de plus, rien de moins.

Il y a cette culture dans les forces militaires qui nous empêche de nous exprimer et qui vient des familles à faible ou moyen revenu. Vous seriez surpris de constater que la plupart des jeunes soldats d'aujourd'hui sont plus instruits que leurs officiers et qu'ils aiment passionnément leur pays.

Le sénateur Munson : Vous prêchez des convertis.

Le lcol Landry : Je le sais.

Le sénateur Munson : Vous voulez peut-être dire qu'il y a trop d'officiers à la retraite qui prêchent la même chose que vous, mais pas assez de membres actifs des forces militaires qui en font autant. Il faut qu'il y ait un changement culturel.

Rapidement, au sujet des réservistes : parmi les réservistes, il y a une nouvelle attitude et une ancienne attitude. Devrions-nous pouvoir déployer une unité de réservistes de nos jours?

M. Taillon : Étant donné tout l'appui et l'orientation, il faut attribuer des missions aux réservistes et leur dire qu'on va envoyer une compagnie. Un de mes anciens officiers a amené une compagnie mixte en Bosnie et cela a très bien marché. Le commandant a déclaré que cette unité était la moins professionnelle puisqu'elle était composée de réservistes, mais la plus efficace dans le théâtre des opérations. Il taquinait souvent le commandant en lui disant que sa compagnie détenait plus de diplômes que la brigade tout entière. Cela prouve leur efficacité. Nous avons maintenant des colonels de la réserve qui commandent les S4. Il y a d'autres réservistes qui ont commandé diverses missions des Nations Unies en Afrique. Ils se sont bien acquittés de leur tâche et méritent des félicitations.

Il serait peut-être temps d'envoyer des compagnies et, plus tard, peut-être un bataillon, selon la situation et avec une bonne planification. Nous sommes dans une phase d'évolution. Il s'agit de trouver l'argent, une orientation et un bon leadership. Je suis convaincu, monsieur, que cela pourrait se faire.

Le sénateur Munson : J'aimerais m'en tenir à cela, mais M. Landry fait non de la tête.

Le lcol Landry : Je dois dire que je suis d'accord avec une partie de ce que M. Taillon a dit. Nous devons comprendre que cela fait 25 ans que nous examinons la milice ou la réserve et que nous continuons à les examiner. À chaque fois, les politiciens s'en mêlent et nous recommençons de zéro. Comme vous le savez, la manière dont la milice est organisée lui permet d'exercer une influence politique. Je voulais simplement dire que cela fait 25 ans que nous examinons la milice. Est-ce que nous allons devoir continuer à les examiner encore 25 ans?

Il y a déjà des missions que nous pouvons confier à la milice et qu'elle est capable de remplir. D'après moi, ces tâches sont ici au Canada. En effet, nous pourrions un jour confier des postes de commandement aux miliciens qui ont prouvé leur capacité et leur disponibilité. L'idée de former dès maintenant un bataillon de miliciens pour l'envoyer en Afghanistan demanderait trop de ressources; il serait préférable d'optimiser les ressources que nous avons déjà et d'utiliser les personnes disponibles. C'est ce que nous n'avons pas réussi à faire de manière très intelligente. Nous avons des réservistes qui ont certaines limites. Nous avons des membres des forces régulières qui ont eux aussi leurs limites. Tâchons d'optimiser ces ressources et cessons d'essayer de rendre les réservistes aussi bons que les membres réguliers, et vice versa. C'est comme comparé des pommes et des oranges.

Ce qu'il y a de bien avec la milice c'est qu'elle est présente localement et qu'en général un milicien s'enrôle pour de nombreuses années. Ils font partie de leur localité. Ils connaissent les autorités. Pourquoi alors ne pas mieux les utiliser dans le cadre d'un programme de sécurité nationale? Pourquoi ne pas les utiliser en cas d'urgence pour protéger, fournir l'infrastructure, prendre la direction d'une brigade responsable d'un territoire pour assurer la sécurité nationale? Ce sont des tâches que la milice peut remplir. Cessons de penser qu'un jour nous pourrons les déployer au pied levé dans des endroits où... Je vais vous donner un exemple, puis je m'arrêterai. Savez-vous combien de temps il faut pour former l'équipage d'un VBL, c'est-à-dire le nouveau véhicule blindé utilisé par l'infanterie? Il faut un an pour former un commandant, un artilleur, et un conducteur. Quand nous voyons ces équipages de VBL déployés en Afghanistan, n'oubliez pas qu'il a fallu un an pour les former à travailler en équipes. C'est un gros investissement et plus nous voudrons former la milice, plus nous devrons affecter de troupes régulières à leur encadrement, pour les former et leur apporter le soutien nécessaire. En cas de guerre, ou si nous voyons venir quelque chose, nous aurons toujours le temps de créer cette capacité et de leur confier un rôle plus important ici au Canada.

Je répète sans cesse que ce ne sont pas les miliciens qui seront les premiers à être déployés à l'étranger. Les miliciens devront assurer une protection ici au Canada, ils devront fournir un appui pour la formation des nouvelles recrues qui seront déployées à l'étranger.

En tout cas, je pourrais en parler pendant des heures.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup.

Le président : Merci. Je suis victime du syndrome Meighen — où est-il passé? Comment puis-je l'insulter s'il n'est pas là?

Le sénateur Meighen : Vous disiez quelque chose monsieur le président?

Le président : Je suis victime du syndrome Meighen; toutes les bonnes questions ont été posées, il ne reste que les difficiles.

Le sénateur Meighen : Eh bien posez-les.

Le président : Merci.

Le lcol Landry : Mais j'ai de bons exemples, sénateur.

Le président : Non, pas d'exemples. Je souhaite juste un court échange et faire quelques observations.

La première observation est que vous avez tous les deux effleuré sans l'aborder vraiment une question avec laquelle nous sommes aux prises dans ce comité depuis un certain nombre d'années, soit l'état d'esprit des Canadiens et pourquoi ils réagissent ou ne réagissent pas aux préoccupations de ceux qui s'intéressent aux forces militaires et aux menaces qu'ils constatent.

Monsieur Taillon, je dois vous dire que tous les exemples que vous nous avez donnés sont peut-être absolument vrais, mais qu'ils n'intéressent pas les Canadiens que nous avons rencontrés. Nos citoyens se sentent en sécurité. Nous ne sommes pas au Royaume-Uni où il y a eu des années et des années de terrorisme. Nous ne sommes pas aux États- Unis, qui sont constamment engagés dans une guerre. Notre façon d'agir et notre situation nous posent un défi très différent.

Votre passion, colonel Landry, est très réelle. Elle est importante. On ne peut rien faire sans passion. Notre comité le croit fermement. Cela dit, nous avons eu plusieurs gouvernements qui ont donné aux Canadiens exactement les forces militaires qu'ils semblaient souhaiter. C'est un dilemme intéressant dans une démocratie. Le dilemme est de savoir quand diriger et quand suivre, jusqu'où on peut diriger avant que ceux qui suivent disent : « Non, non, vous allez dans la mauvaise direction et nous allons trouver quelqu'un d'autre pour nous diriger. »

C'est le problème auquel nous faisons face. Nous devons prendre comme point de départ les préoccupations et les intérêts des Canadiens. Il y a beaucoup d'idées très importantes sur le moyen de sensibiliser les Canadiens à la menace et des les amener à voir les forces militaires comme un élément de la solution. On a beaucoup mêlé les pommes et les oranges au cours de la dernière heure et demie, c'est-à-dire ce que les civils devraient et peuvent faire et ce que les militaires devraient faire. Comme les choses changent, il faudrait peut-être confier à des organismes civils des tâches pour lesquelles ils seraient mieux équipés. Nous constatons que les premiers intervenants se développent d'une manière très différente qu'il y a cinq ans seulement.

Je serais curieux de savoir si vous pouvez nous expliquer pourquoi les citoyens ne réagissent pas mieux. Si vous admettez que les politiciens interprètent bien la volonté du public, alors qu'est-ce que les politiciens devraient dire au public pour que celui-ci s'intéresse à d'autres questions concernant les forces militaires et les moyens d'être mieux préparés?

M. Taillon : L'éducation est la chose la plus importante. Il faut savoir que la politique militaire et la politique étrangère vont souvent de pair, avec l'ACDI et avec...

Le président : Sauf votre respect, ce n'est pas le cas. Ce n'est tout simplement pas le cas. Notre politique étrangère change très rapidement alors qu'il faut 15 ans pour préparer de nouvelles plateformes pour la politique militaire.

M. Taillon : C'est vrai.

Le président : Ce sont en fait les militaires qui déterminent la politique étrangère, ce que personne ne veut admettre. Nous avons les forces militaires que nous avons et nous les aurons longtemps. Il suffit d'un seul discours à une réunion du G8 pour que la politique étrangère change et nous mène Dieu sait où.

M. Taillon : Mais alors il faut savoir quelle est notre stratégie en matière de sécurité nationale?

Le président : Dites-nous quelles sont les menaces. L'ennui c'est que le type qui habite à Winnipeg se dit : « Il y a un vaste océan à droite, un vaste océan à gauche, de la neige au Nord et des amis au Sud. Pourquoi m'inquiéter? »

M. Taillon : C'est viable. Ça fait des lustres qu'on procède comme ça au Canada. Le fait est que dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, il est inévitable que les prédateurs, qu'ils opèrent seuls ou au sein d'une organisation, commettent des méfaits sur notre territoire.

Le président : Le problème, c'est qu'on est incapable d'en convaincre les Canadiens. Ce qui veut dire qu'on ne peut mettre en place des préparatifs avant la prochaine catastrophe. Nous avons donc planifié toute une série d'acquisitions et créé diverses politiques, auxquelles on donnera suite précipitamment après la prochaine grande catastrophe. En d'autres termes, ce n'est que quand on sera victimes d'un autre attentat qu'on se décidera d'appliquer les changements que vous demandez, mais ce sera fait hâtivement. Et ensuite on attendra...

M. Taillon : Tout à fait.

Le président : Si c'est effectivement le cas, ce n'est pas une méthode très efficace...

M. Taillon : Ce n'est pas une façon très efficace de gérer le gouvernement. Je trouve que c'est répréhensible. Pour ma part, quand j'enseigne, j'estime qu'il est important de parler des problèmes auxquels font face non seulement le Canada mais également le monde occidental. Comme on l'a déjà souligné, il est essentiel que nous comprenions les fondements de la démocratie canadienne. Que recherche-t-on? Un bon système d'éducation, un système de soins de santé de bonne qualité, des forces armées dignes de ce nom? Nos politiciens jonglent depuis toujours avec ces priorités et la situation ne risque pas de changer de sitôt.

Malheureusement, on risque d'être pris au dépourvu et ça risque de nous coûter très cher. Nous avons notre propre style de vie dans notre petit royaume où on est heureux, mais il ne faut pas oublier que le 11 septembre, pas mal de Canadiens ont été tués, en plus des quelque 80 Britanniques. J'ai critiqué sévèrement les Américains qui prétendent que ce sont les États-Unis qui ont été attaqués. Ce ne sont pas les États-unis, mais bien le monde occidental. Même si c'est New York qui a été visée. Quand on examine la liste des personnes qui ont trouvé la mort ce jour-là, on découvre qu'environ 60 nationalités sont représentées et qu'au moment de l'effondrement des deux tours, les coûts avaient déjà atteint 95 milliards de dollars; 7 milliards en assurances auxquels s'ajoutent la perte de 141 000 emplois, sans compter les coûts connexes qu'on devine de façon régulière chaque fois qu'on va à l'aéroport. Les coûts sont astronomiques.

Je félicite les sénateurs de ce comité d'avoir permis aux Canadiens de prendre connaissance de ces diverses questions. Nous allons maintenant devoir nous intéresser sérieusement à cette situation difficile afin de prendre de vraies décisions, qui auront un impact direct sur nos alliances.

Le président : Les Canadiens vous diront, à juste titre, qu'il est beaucoup plus probable qu je sois tué dans un accident de voiture entre Toronto et Montréal que je sois victime d'un attentat terroriste.

M. Taillon : Tout à fait.

Le président : Donc, vous parlez d'un attentat peu probable mais dont les coûts seraient importants.

M. Taillon : Un attentat peu probable, effectivement, mais si jamais il se concrétisait, les coûts seraient astronomiques.

Le président : Est-il réaliste de penser qu'on peut appliquer l'exemple suédois au Canada? Il n'y a pas beaucoup d'étrangers qui émigrent en Suède, n'est-ce pas? Quand vous parlez des personnes ethniques indigènes de deuxième génération qui pourraient aider les forces armées, de qui parlez-vous au juste et de combien de personnes?

M. Taillon : Je faisais partie de la première brigade MAC en qualité d'officier d'état-major à Pristina. Je devais souvent faire affaire avec les Suédois qui comptaient parmi eux un grand nombre de Yougoslaves de deuxième génération, qui parlaient la langue locale.

Le président : Est-ce que ça se passerait aussi bien s'il fallait produire des Chinois...

Le sénateur Nolin : Au Darfour, ils ont besoin de gens de couleur. C'est ce qu'ils demandent.

Le président : Il n'y a pas beaucoup de Suédois qui sont noirs de peau.

M. Taillon : C'est vrai, mais nous avons un nombre suffisant de Soudanais au Canada pour trouver une solution dans ce cas-là.

Le président : Le problème qui saute aux yeux, c'est comme l'a dit le sénateur Meighen plus tôt, pour une raison ou une autre, les ressortissants de beaucoup de ces communautés n'ont pas envie de devenir policiers ou militaires. En effet, dans leur pays natal, la police et les forces armées sont hostiles. Je voulais revenir sur l'exemple des Chinois dont vous avez parlé, à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale. Pourquoi les Chinois étaient-ils à l'époque plus intéressés par une carrière militaire que maintenant?

M. Taillon : Je pense que c'est parce que les Britanniques ont envoyé des dépisteurs de talent au Canada, qui ont rencontré une à une les personnes intéressées. Ça rejoint la question du mentorat, qui n'est pas notre fort dans les forces armées. C'est quelque chose auquel j'accordais toujours beaucoup d'importance quand j'étais commandant. Je m'assurais de toujours parrainer mes officiers : je dînais avec eux, je leur parlais des forces armées, leur expliquais comment se passaient les choses et pourquoi, ce qu'était le véritable leadership et leur parlais de leur prochain déploiement. Je suivais leur carrière en leur permettant de s'épanouir. Mais de façon générale, les gens sont livrés à eux- mêmes. La génération d'aujourd'hui est différente de celle d'il y a 40 ans, voire 20 ans.

Le président : La nature de la menace a elle aussi complètement changé. À l'époque, la situation était très symétrique. Il était plus facile de dire « Les méchants, ce sont eux ». Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile à définir.

M. Taillon : Les Canadiens de deuxième génération qui ont grandi à Toronto ont maintenant 20 ans et leur famille est au Canada depuis 25 ans. Ces jeunes ont grandi dans un environnement séculaire. Ils ont été éduqués et ont des amis qui viennent de différents milieux culturels, etc. Il faudrait pouvoir leur dire « Voici ce que nous allons faire pour vous, nous allons payer vos études universitaires, etc. » et leur affecter une personne qui pourrait suivre leur cheminement. Ça ressemble dans bien des cas à la formation d'agents.

Le président : Ce qui me mène à ma dernière question, à savoir le recours aux contractuels. À Washington, nous avons rencontré M. Peter Goss qui nous a demandé pourquoi nous ne considérions pas que les contractuels pourraient servir de liaison entre les forces spéciales et le SCRS. Qu'en pensez-vous?

M. Taillon : Je vois la chose d'un autre œil, car j'estime qu'on ne quitte jamais le service du renseignement ou les forces spéciales. Je pense qu'on est agent des forces spéciales et agent du renseignement à vie. Notre système fonctionne très bien, monsieur, comme vous l'avez sans doute déjà constaté. Nous surveillons tout.

Le président : C'est ce que Barry ne cessait de nous dire et ça nous met mal à l'aise.

Pour revenir à la véritable question, est-ce qu'on devrait considérer que c'est un multiplicateur de forces qui mérite de figurer dans nos politiques? Qu'est-ce qui peut mal tourner quand on essaye de contrôler des personnes qui sont en fait des mercenaires?

M. Taillon : Votre question n'est pas évidente. Je dirais que le facteur crucial, c'est la confiance professionnelle. Prenons l'exemple d'une personne qui, après 20 ans de service, quitte les Forces d'opérations spéciales du Canada pour travailler dans le domaine du renseignement pour le compte d'une société reconnue par le gouvernement fédéral et dans le cadre d'opérations ayant reçu l'aval du gouvernement et qui touche 1 500 $ par jour, ce qui est monnaie courante en Irak apparemment. Dans ce cas-là, on ne peut que se dire : « Vos 25 années de services loyaux, votre personnalité, vos compétences, etc. nous incitent à vous faire confiance ». La confiance est le fondement de bien des choses. D'ailleurs, je préfère cette situation-là à ce que font maintenant les organisations d'opérations spéciales, comme Blackwater, qui embauchent des personnes qui n'ont jamais travaillé dans le cadre des forces spéciales. Je sais qu'en Grande-Bretagne il y a des organisations qui, à une certaine époque, étaient des SAS et qui embauchent maintenant des caporaux de commandos de la marine royale en leur donnant le titre d'agent spécial. Comme la demande est forte, on accepte des candidats moins compétents.

Le président : Ce n'est pas tellement la compétence des agents qui me préoccupe, mais plutôt le fait qu'ils risquent de passer à l'ennemi.

M. Taillon : C'est pour ça qu'il faut trier les candidats sur le volet et accorder une très grande importance à la confiance.

Le lcol Landry : Vous avez posé une question sur les menaces. Permettez-moi d'y répondre en deux minutes. Je ne donnerai pas d'exemples.

Aujourd'hui, mon interprétation des menaces diffère du tout au tout de la vôtre. À mon avis, la menace serait plutôt l'incapacité d'un pays comme le Canada de prendre ses propres décisions. Je peux vous affirmer qu'au cours des 10 dernières années nous avons été obligés de participer à des choses contre notre gré, tout simplement parce que nous n'étions pas suffisamment informés. Aujourd'hui, la menace émane du fait que nous sommes maintenant connus comme étant le plus grand pays-parasite du monde. J'estime que les Canadiens devraient être en mesure de décider quand et comment intervenir. C'est quand on n'est pas suffisamment informé qu'on est contraint de faire des choses qu'on préférerait éviter. Par exemple...

Le président : Ne nous donnez pas l'exemple, mais permettez-moi plutôt de répondre, monsieur Landry...

Le lcol Landry : À titre d'exemple, la guerre en Irak; lorsque le Canada a proclamé que nous n'étions pas impliqués dans la guerre en Irak, c'était inadmissible.

Le président : Nous comprenons cela, mais vous vous rapprochez de ce que j'essaie de faire valoir, c'est-à-dire que lorsqu'on soutient « que c'est bon pour le militaire, » que ça ne passera pas la rampe nulle part. Il faut invoquer des arguments selon ce qui va fonctionner pour les Canadiens. Et nous ne l'avons pas fait jusqu'à présent. C'est à ce chapitre que nous avons besoin d'aide : c'est-à-dire, d'établir le bien-fondé de notre argument, à savoir que ce qu'on propose donnera au gouvernement plus de possibilités pour mieux les servir.

Le problème, c'est que bien trop souvent, on revient nous dire, « Je regrette, mais nous ne voulons pas ce service. » Beaucoup trop souvent, on nous dit, « Menace? Eh bien, je suis davantage préoccupé par la menace que les Américains nous poussent parce que je n'aime pas le discours que George Bush tient, ou c'est parce que c'est eux qui sont les méchants dans le dossier de l'ESB ou du bois d'œuvre. » Ça c'est la réalité par laquelle nous sommes contraints. Il nous appartient de trouver les solutions.

Il ne nous reste plus de temps, mais nous serions heureux de connaître votre point de vue sur ce genre de questions. Si nous ne sommes même pas à même de résoudre ce problème-là, peu importent les problèmes de financement ou de nature organisationnelle, de même que tous les autres problèmes qui figurent sur notre liste. Le principal problème, c'est de faire le lien avec les citoyens.

Le lcol Landry : J'abonde tout à fait dans ce sens.

Le président : Nous vous reviendrons tous les deux sur cette question.

Le lcol Landry : Je vous suggèrerais vivement de vous pencher sur ce qu'ont fait les Australiens en matière d'examen de la défense, au milieu des années 90. Ils ont effectué un examen de leur défense, mais pas de la façon dont les Canadiens l'ont fait dernièrement au sein du quartier général de la Défense nationale, où ça s'est fait en coulisses. En Australie, il s'agissait d'un processus public, où on a tenu compte du point de vue de la population.

Le président : Comme on dit, on sait où vous habitez. On reviendra vous parler davantage et le personnel du comité prendra contact avec vous. Au nom du comité, je tiens à vous remercier beaucoup tous les deux. Ce fut une matinée très intéressante. Nous avons bien profité de la discussion. Ça nous a beaucoup aidé dans nos travaux.

À la toute fin, vous m'avez entendu dire qu'on a besoin davantage d'aide mais sous un angle tant soit peu différent car nous croyons ne pas parvenir à établir les liens nécessaires. À notre avis, il s'agit de la question principale, et celle qui est la plus difficile à résoudre.

Au nom du comité, je vous remercie énormément d'être venus. Nous en sommes reconnaissants. Cette séance est suspendue.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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