Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 4 - Témoignages du 30 novembre 2004
OTTAWA, le mardi 30 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 8, dans le but d'examiner de nouvelles questions concernant son mandat et d'en faire rapport.
Le sénateur Ethel Cochrane (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-président e : Sénateurs, même si nous n'avons pas le quorum en raison des nombreux événements qui se déroulent sur la Colline, nous allons ouvrir la séance. J'espère qu'il y aura des membres du comité qui vont se joindre à nous.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants du Réseau canadien de l'eau : Mme Bernadette Conant, directrice exécutive, et M. Mark Servos, directeur scientifique. Je tiens à vous présenter le sénateur Christensen, du Yukon, et le sénateur Milne, de l'Ontario. Je suis le sénateur Cochrane, et je viens de Terre-Neuve. Le sénateur Lavigne vient du Québec.
Il est important que l'on entende le point de vue d'intervenants clés comme le Réseau canadien de l'eau, dans le cadre de notre étude sur l'eau. Monsieur Servos, avez-vous une déclaration à faire?
M. Mark Servos, directeur scientifique, Réseau canadien de l'eau : Oui.
La vice-présidente : Et vous, madame Conant?
Mme Bernadette Conant, directrice exécutive, Réseau canadien de l'eau : Je vais répondre questions, si besoin est
M. Servos : J'aimerais remercier le comité de nous avoir invité à comparaître devant lui. Je vous félicite de l'intérêt que vous portez au dossier de l'eau, un enjeu d'une importance capitale pour les Canadiens. L'eau touche à tous les aspects de notre vie quotidienne; elle influe directement sur notre prospérité économique et notre qualité de vie. Elle constituera l'enjeu de l'heure au cours de la prochaine décennie.
Les conséquences pour les pays en développement sont importantes. En 2003, le Programme mondial pour l'évaluation des ressources en eau a évalué à 1,1 milliard le nombre de personnes dans le monde qui n'avaient pas accès à un approvisionnement en eau amélioré, et à 2,4 milliards le nombre de personnes qui n'avaient pas accès à des services d'assainissement améliorés. Cette situation évitable entraîne, chaque année, environ 5 millions de décès et 2,4 milliards de cas de maladie.
La Commission mondiale de l'eau des Nations Unies a accepté le défi de réduire de moitié, d'ici 2015, le pourcentage de la population qui n'a pas accès à des services d'approvisionnement en eau potable et d'assainissement appropriés et abordables. Cette action représente un défi de taille.
Au Canada, nous sommes privilégiés d'avoir de l'eau douce en abondance. Nous possédons plus de 6 p. 100 des réserves d'eau douce mondiales, mais moins d'un 1 p. 100 de la population mondiale. Il est de notre devoir de bien gérer cette ressource. Or, comme l'ont démontré de récents événements, nous tenons cette ressource pour acquis et faisons face à de grands défis.
La tragédie de Wakerton a permis de mettre en évidence les problèmes que pose l'approvisionnement en eau propre et saine. Bien qu'il y ait eu des changements considérables à la suite de cette tragédie et d'autres événements semblables, comme North Battleford, les Canadiens ne semblent pas attacher beaucoup d'importance aux enjeux liés à la qualité et à l'accessibilité de l'eau.
Une infrastructure vieillissante, les demandes croissantes en eau pour une foule d'usages municipaux, industriels et agricoles, le changement climatique et des ressources décroissantes sont tous des éléments qui vont continuer de présenter des défis au chapitre de la protection de la santé publique, des écosystèmes et de l'économie.
Les modifications qui devront être apportées aux systèmes de traitement existants ou nouveaux ou aux pratiques de gestion pour régler ces problèmes auront un impact sur les dépenses publiques et industrielles à venir. L'entreprise canadienne dépense des millions de dollars chaque année pour des technologies qui visent à prévenir la pollution associée à l'eau. Le renouvellement des installations d'assainissement de l'eau et de traitement des eaux usées au Canada devrait coûter des milliards de dollars. Ces enjeux présentent de nombreux défis, mais ouvrent aussi la voie à de nombreuses possibilités à l'échelle nationale et internationale.
Le Canada assume un rôle de chef de file dans la recherche hydrologique et la gestion de l'eau. Les organismes canadiens, comme l'Institut national de recherche sur les eaux, sont considérés comme des experts en la matière sur le plan international. Nous avons investi beaucoup dans le milieu universitaire, surtout ces dernières années, et nous possédons énormément de talent et d'expertise dans le dossier de l'eau. Les entreprises canadiennes font partie des leaders mondiaux en ce qu'elles offrent des technologies novatrices qui permettent de résoudre les problèmes liés à l'assainissement de l'eau. Des entreprises comme Alcan, Trojan Technologies et Zenon sont des dirigeants mondiaux dans la gestion de l'eau.
Pourquoi n'avons-nous pas réglé tous les problèmes? Comme Mme Johanne Gélinas et M. John Carey vous l'ont déjà expliqué, les enjeux liés à l'eau sont extrêmement complexes. De plus, le cadre de gouvernance au Canada présente un défi particulier.
Il y a 19 ministères qui s'occupent des questions liées à l'eau, seulement au niveau fédéral. Les provinces sont responsables de la plupart des questions concernant l'eau et la santé. Les administrations locales, elles, sont souvent chargées de mettre en œuvre les politiques adoptées, même si elles ne possèdent pas les ressources ou l'expertise nécessaires.
Prenons l'exemple du changement climatique. Bien qu'il s'agisse d'un enjeu strictement d'envergure nationale, plusieurs actions essentielles nécessitent un financement au niveau provincial, les effets, eux, se faisant ressentir au niveau local. Les changements prévus au chapitre de la fréquence et de l'intensité des pluies vont avoir de grandes conséquences sur notre infrastructure urbaine et rurale. Les changements observés dans les volumes d'eau agissent donc de façon directe sur la qualité de celle-ci. Les solutions ne sont pas simples.
Nous possédons très peu de données sur nos ressources en eau et nos écosystèmes. Nous devons acquérir des connaissances de base au sujet de nombreux aspects de ces ressources primordiales. Nous devons aussi, dorénavant, partager notre savoir et notre expertise de façon plus efficace , et ce, afin de pouvoir résoudre les problèmes existants et nouveaux qui sont liés à l'eau.
Le Réseau canadien de l'eau, qui a vu le jour en 2001, fait partie du réseau national de centres d'excellence qui participent à la stratégie d'innovation du Canada. Le Réseau a pour mandat de créer un partenariat national de l'innovation qui favorise l'adoption de pratiques de gestion et d'initiatives respectueuses de l'environnement pour ce qui est des ressources en eau du Canada. Ces mesures doivent, à leur tour, permettre d'assurer la prospérité des Canadiens et d'améliorer leur qualité de vie.
Le Réseau mène à bien sa mission en fournissant des sources de savoir expertes, crédibles et fiables en matière de ressources hydrologiques, en renforçant les capacités scientifiques et humaines en la matière; en créant un réseau qui sert de connecteur et de catalyseur pour exploiter les possibilités, optimiser les ressources et traduire la recherche et les connaissances scientifiques — dans lesquelles nous avons tellement investies — en gestes concrets.
Le Réseau compte sur l'aide d'environ 120 chercheurs et collaborateurs, et sur celle de 200 étudiants répartis dans 31 universités à l'échelle nationale.
Après avoir tenu de nombreuses consultations sur le sujet l'an dernier, le Réseau canadien de l'eau a cerné trois axes prioritaires où des interventions s'imposent : la santé publique, la protection des bassins hydrologiques et des écosystèmes, l'infrastructure durable pour l'assainissement de l'eau. Nous avons des défis de taille à relever dans chacun de ces axes. Vous en trouverez une description détaillée dans le document que nous avons distribué.
Nous devons aller au-delà des approches traditionnelles et trouver des solutions intégrées et innovatrices qui englobent les sciences naturelles, l'ingénierie, la technologie et les sciences sociales. Les principaux défis cernés par le Réseau canadien de l'eau ne représentent qu'une partie seulement des enjeux auxquels font face les responsables de la gestion de l'eau au Canada. L'Association canadienne des eaux potables et usées tient, aujourd'hui, une conférence à laquelle assistent les municipalités et d'autres intervenants et où il sera question de bon nombre de ces défis.
Parmi les principaux enjeux liés à la protection de la santé publique mentionnons l'établissement de priorités pour une eau saine qui tiennent compte de risques concurrents axés sur les preuves. Nous devons, même si nos ressources sont limitées, nous attaquer aux risques les plus importants et les réduire, tout en demeurant concentrés sur nos objectifs. Nous devons améliorer la capacité des collectivités petites et rurales d'assurer un approvisionnement en eau potable et saine, et un système d'assainissement adéquat. Ce sont ces petits systèmes qui sont les plus vulnérables et qui ont le plus de difficulté à s'attaquer aux problèmes.
Nous devons être en mesure de reconnaître rapidement les menaces que constituent les nouvelles maladies hydriques ou celles déjà connues, et y répondre efficacement. Dans la plupart des cas, au moment où nous faisons l'évaluation de la menace, la collectivité y est déjà exposée. Nous avons besoin de systèmes qui nous préviennent rapidement de l'existence de problèmes et qui nous permettent de réagir sans délai afin de protéger la santé publique.
Pour ce qui est de la protection des bassins hydrographiques et des écosystèmes, il faut, entre autres défis, élaborer des stratégies de gestion de l'eau qui s'appliquent à l'ensemble des bassins. La gestion intégrée des bassins hydrographiques constitue, toutefois, un enjeu de taille. L'eau ne respecte pas les frontières et les bassins hydrographiques intéressent souvent les compétences à la fois locales, provinciales et internationales.
Ensuite, il faut concevoir des stratégies qui mettent en équilibre les demandes de l'homme et des écosystèmes en eau. L'eau est essentielle à la consommation humaine. Elle représente un moteur économique crucial pour les industries et les municipalités. La répartition des ressources en eau doit aussi tenir compte de l'importance des écosystèmes et des fonctions non négligeables qu'ils remplissent. Dans plusieurs bassins hydrographiques, l'eau est devenue une ressource rare qui doit être gérée et répartie avec prudence.
Nous devons améliorer notre compréhension des facteurs qui influent sur la qualité de l'eau, et aussi des modèles conceptuels avancés qui servent de base aux décisions. Malheureusement, nous possédons actuellement très peu d'informations sur les ressources en eau et les écosystèmes qui en sont tributaires.
Enfin, nous devons nous doter d'une infrastructure durable pour la gestion de l'eau. Nous devons, entre autres, élaborer un plan de base pour assurer la qualité de l'eau et favoriser l'intégration de l'infrastructure. Nous devons non seulement mettre au point des technologies pour y arriver, mais aussi prévoir la façon dont nous allons exploiter les innovations, les incorporer au plan, et remplacer et moderniser l'infrastructure vieillissante d'une manière durable.
Les coûts de remplacement de l'infrastructure sont énormes. Il frauda mettre l'accent sur le renouvellement de l'infrastructure souterraine et le développement des technologies nouvelles pour remplacer ces systèmes. La reconstruction des infrastructures rurales et à petite échelle nécessitera une attention particulière.
Nous devons mettre au point des techniques innovatrices pour la gestion et le traitement des eaux pluviales et usées, techniques qui nous permettront de faire face aux défis que posent les menaces existantes et nouvelles. Le changement climatique pourrait introduire dans l'environnement de nouveaux agents pathogènes, tandis que les nouvelles technologies pourraient être une source de nouvelles inquiétudes. En effet, ce n'est que depuis peu que les produits pharmaceutiques sont considérés comme des contaminants de l'environnement. Toutefois, les technologies nouvelles, y compris le génie génétique et la nanotechnologie, peuvent engendrer non seulement de nouveaux défis, mais offrir de nouveaux moyens de protéger les ressources en eau du Canada.
Nous devons régler les problèmes environnementaux que pose l'approvisionnement en eau propre et saine pour assurer la prospérité du Canada. Nos investissements actuels dans la science et la gestion de l'eau nous rapportent beaucoup. Toutefois, nous devons faire plus.
Nous n'investissons pas autant que nous devrions le faire dans la R et D pour assurer la prospérité future du Canada. Nous avons besoin de leadership à l'échelle nationale. Nous devons mettre l'accent sur l'importance que revêt l'eau, et sur la nécessité d'élaborer une stratégie nationale pour la gestion de l'eau. Nous devons réunir et exploiter les ressources du gouvernement, de l'industrie et du milieu universitaire, et ce, en vue de définir des objectifs communs. Nous devons vivement encourager l'innovation, tant dans le secteur privé que public. Nous avons la possibilité de faire preuve de leadership à l'échelle nationale dans le domaine de la gestion de l'eau. Nous devons agir. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien faire, espérer que le problème se règle de lui même.
Je compte sur le comité pour qu'il agisse comme catalyseur dans le domaine de la gestion de l'eau, pour que nous puissions relever les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui et qui nous attendent demain.
La vice-présidente : Bon nombre des préoccupations que vous soulevez recoupent celles que nous abordons dans notre plus récent rapport sur le protocole de Kyoto, rapport qui a été rendu public la semaine dernière.
À la page 9 de votre mémoire vous dites que, jusqu'à tout récemment, les produits pharmaceutiques n'étaient pas considérés comme des contaminants de l'environnement. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet du génie génétique et de la nanotechnologie, deux secteurs qui vont constituer de nouveaux défis?
M. Servos : J'essaie tout simplement de vous donner des exemples de dossiers sur lesquels certaines personnes travaillent. Pour ce qui est de la nanotechnologie, les scientifiques sont en train de créer des molécules qui, jusqu'ici, nous étaient inconnues et qui pourraient entrer dans l'environnement. Nous ne savons pas quel sera leur impact, et nous ne connaissons pas non plus la nature de leur toxicologie. Pour ce qui est du génie génétique, les microbes vont subir diverses transformations dans les années à venir. Nous devons examiner de près les conséquences que pourrait avoir l'introduction de ces microbes dans l'environnement, parce qu'ils peuvent causer des dommages.
La vice-présidente : J'aimerais avoir des précisions au sujet de la stratégie nationale.
M. Servos : Vous voulez savoir ce que j'en pense?
La vice-présidente : Oui.
M. Servos : C'est tout un défi. Le mot-clé, ici, est « national ». Nous avons une foule de programmes fédéraux qui sont assortis de mandats précis. Nous avons des gouvernements provinciaux qui, eux, sont chargés d'assurer la gestion de l'eau, et nous avons enfin des responsables dans les stations de traitement d'eau ou les usines d'épuration des eaux usées qui prennent des décisions administratives au jour le jour. Ces éléments sont tous liés entre eux. Comme il y a beaucoup de barrières dans de nombreuses compétences, il est difficile d'atteindre les objectifs visés.
Il nous faut une stratégie nationale qui nous permettra de gérer et de protéger nos ressources en eau. Nous devons non pas nous contenter de définir les mandats des organismes fédéraux, mais élaborer une stratégie pancanadienne qui englobe l'industrie, les gouvernements et les universitaires au sein des organismes non gouvernementaux.
La vice-présidente : Y compris les municipalités.
M. Servos : Les municipalités sont chargées de nous approvisionner en eau potable. Elles représentent un groupe diffus à qui il est difficile de transmettre de l'information, bien qu'elles souhaitent en avoir. Les municipalités veulent faire ce qui s'impose dans le domaine de la gestion de l'eau. Nous avons besoin de mécanismes pour pouvoir transmettre, rapidement, les données scientifiques aux municipalités, afin qu'elles puissent continuer de nous protéger.
Le sénateur Milne : Monsieur Servos, est-ce que la Commission mixte internationale participe aux travaux du Réseau canadien de l'eau? Je suis très inquiète de voir ce qui se passe avec la CMI. Les gouverneurs des États des Grands Lacs ont décidé récemment, et de façon unilatérale, de s'approvisionner en eau à partir des Grands Lacs, sans passer par la CMI.
M. Servos : Vous posez une question intéressante. Je ne pense pas être bien placé pour parler des prélèvements massifs d'eau. Ce dossier intéresse toutefois bon nombre de nos chercheurs. Nous constituons un réseau de scientifiques au sein des universités, et nous collaborons de près avec les scientifiques du gouvernement et de l'industrie en vue de trouver des solutions à ces problèmes.
La question du prélèvement massif d'eau est vraiment intéressante. Nous devons être en mesure de démontrer, en nous appuyant sur des arguments solides et convaincants, les conséquences qu'auront ces détournements sur nos écosystèmes. Je crois comprendre qu'il n'y a pas de réserves d'eau supplémentaires, même si les gens pensent que le Canada dispose de grandes quantités d'eau propre et saine.
Le sénateur Milne : Il n'est question ici que des premiers pouces d'eau qui se trouvent à la surface. C'est tout ce que nous avons.
M. Servos : Oui, et on ne s'en sert pas uniquement pour boire. Les écosystèmes en santé nous apportent beaucoup, c'est-à-dire un environnement propre et de l'eau potable. Si nous ne les protégeons pas, nous n'aurons pas accès à l'eau propre dont nous avons besoin.
Si l'eau est détournée en aval, nous serons confrontés à de nombreux problèmes sur le plan environnemental.
Nous avons un expert, M. Mohammed Dore, à l'Université Brock, qui est économiste et qui travaille sur le dossier du prélèvement massif d'eau. Fait intéressant, notre réseau collabore avec des économistes, des ingénieurs et des biologistes en vue de trouver des solutions à certains de ces problèmes.
Le sénateur Milne : Il y a aussi le fait que nous n'avons accès qu'aux premiers pouces d'eau dans les Grands Lacs. L'eau plus profonde est considérée comme étant de l'eau fossile, du fait qu'elle est statique depuis longtemps.
La ville de Toronto cherche à réduire le nombre de polluants dans l'atmosphère. Elle a commencé à utiliser l'eau très froide située à une plus grande profondeur du lac comme source d'air climatisé. L'air va circuler dans les immeubles du centre-ville pendant les mois les plus chauds. A-t-on examiné les incidences à long terme que ce changement climatique peut avoir sur le lac?
M. Servos : De nombreuses personnes, y compris l'Institut national de recherche sur les eaux, travaillent sur le dossier. M. John Carey, que vous avez entendu, et son institut ont examiné à fond la question du changement climatique. Il y a des installations qui, depuis longtemps, utilisent l'eau dans leur système de climatisation. Nous avons donc beaucoup de données sur les conséquences qu'entraîneraient le retrait de panaches thermiques et autres mesures de ce genre. Les centrales électriques utilisent également l'eau à des fins de climatisation.
L'été, l'eau se réchauffe, mais une barrière se crée, et l'eau plus profonde reste très froide. Si vous allez vous baigner à la plage Burlington après une tempête, vous allez remarquer que l'eau est très froide, même au milieu de l'été, parce que la tempête refroidit l'eau. C'est une ressource que l'on essaie d'exploiter.
Quand nous mettons au point une technologie nouvelle, nous devons nous assurer qu'elle n'endommage pas l'environnement, que nous ne créons pas un problème nouveau qui va en entraîner d'autres qui, à long terme, vont être plus difficiles et coûteux à régler. L'eau doit être considérée comme un moteur économique — une possibilité — de même qu'une ressource que nous devons protéger.
Le sénateur Milne : Ce sont de bonnes questions, mais je n'ai pas beaucoup de réponses.
Le sénateur Christensen : Il y a bien des faits que l'on refuse d'admettre dans ce dossier. On ouvre les robinets et on obtient de l'eau propre. On tire la chasse d'eau et on se débarrasse d'eaux usées. On ne veut pas en savoir plus. Comment pouvons-nous amener les gens à prendre davantage conscience des conséquences qu'entraînent les gestes qu'ils posent tous les jours, peu importe l'endroit, des incidences que ces gestes ont sur l'eau et, partant, sur la population?
Nous avons entendu dire, récemment, que les produits pharmaceutiques étaient en train de contaminer notre réseau d'alimentation en eau. Je ne sais pas pourquoi les gens sont surpris d'entendre une chose pareille. La consommation d'antibiotiques, leur consommation abusive, est devenue aujourd'hui un problème majeur. On prescrit trop d'antibiotiques.
Le sénateur Milne : On en élimine de plus en plus.
Le sénateur Christensen : Une fois que l'on introduit un produit dans l'environnement, celui-ci y reste d'une façon ou d'une autre. Pourquoi les gens commencent-ils seulement maintenant à dire : « Mon Dieu, on en trouve dans l'eau. Comment une telle chose a-t-elle pu se produire? »
M. Servos : Il y a deux questions qu'il faut se poser. D'abord : pourquoi les gens ne font-ils pas plus attention? M. Steve Hrudey — et certains d'entre vous vont assister à la conférence qu'il va donner jeudi matin, dans le cadre du programme des RCE — vient de publier un ouvrage sur l'eau potable. Il analyse plusieurs cas, comme ceux de Walkerton, North Battleford, Milwaukee et Sydney. Il se demande pourquoi nous n'avons pas été en mesure d'empêcher ces catastrophes. Pourquoi sommes-nous si complaisants?
Walkerton a changé. Beaucoup de choses ont changé depuis l'incident de Walkerton : la politique relative aux eaux a été modifiée, des programmes ont été mis sur pied, la formation a été améliorée, ainsi de suite. Toutefois, le simple citoyen ne se rend pas toujours compte de l'importance que revêt l'eau. Nous devons trouver des moyens de faire passer le message.
L'approche adoptée doit comporter un volet non seulement scientifique, mais également social. Nous devons sensibiliser les gens au fait que les gestes qu'ils posent tous les jours ont un impact sur nos ressources en eau. Quand ils lavent leurs voitures, l'eau s'écoule dans des collecteurs d'eaux pluviales. Ils ne se demandent pas où va cette eau par après. Nous devons changer leur façon de voir les choses. Nous devons les amener à prendre conscience de la quantité d'eau qu'ils utilisent, des demandes qui s'exercent sur cette ressource, de la façon dont elle est gérée.
Le sénateur Christensen : Et comment proposez-vous qu'on y arrive, sans faire peur à tout le monde?
M. Servos : Je vis à Waterloo depuis environ un an. Il est difficile de croire que Waterloo, qui est entourée des Grands Lacs, se trouve confrontée à un problème d'eau. Or, Waterloo ne possède qu'une quantité limitée d'eau dans son bassin hydrographique. Elle a commencé à s'intéresser de près à la conservation de l'eau, parce qu'elle va finir par en manquer. Ramener l'eau en amont et la traiter à partir du Lac Érié, par exemple, est une opération qui risque de coûter très cher. Les habitants de Waterloo commencent tranquillement à comprendre qu'ils doivent utiliser des toilettes à débit réduit, laver leurs voitures avec très peu d'eau, et arroser leurs pelouses seulement certains jours.
Un programme continu dans cette collectivité, pendant de nombreuses années, a convaincu les gens de le faire. Le programme ne doit pas lâcher prise.
Ils ont aussi posé des questions sur les produits pharmaceutiques. J'ai une chaire de recherche à l'Université de Waterloo. Il se trouve que c'est mon domaine de recherche, en rapport avec les perturbateurs endocriniens, les produits pharmaceutiques et les nouveaux composés. Comment se fait-il que nous trouvions ces composés? L'une des raisons est que la technologie pour mesurer ce genre de chose n'existe que depuis peu.
Le sénateur Christensen : Non pas pourquoi on les trouve, mais comment n'avons-nous pas pu prévoir qu'ils seraient là, que nous les voyions ou non?
M. Servos : C'est une bonne question. Nous aurions dû le prévoir, mais ils sont en concentrations extrêmement faibles. Les produits pharmaceutiques sont conçus pour avoir une activité biologique spécifique. De très faibles concentrations peuvent avoir des effets sur l'environnement. Ce n'est que récemment, depuis que nous parlons des perturbateurs endocriniens et de composés qui affectent les systèmes hormonaux et les systèmes naturels à de très faibles doses, que nous avons commencé à nous préoccuper des effets de ce genre de composés.
Ce n'est pas comme d'autres composés. Ils n'ont pas tendance à être persistants et à s'accumuler dans les organismes vivants de l'environnement, comme les BCP et les dioxines, mais ils sont constamment imposés à l'environnement par les usines de traitement des eaux usées ou en conséquence d'un emploi agricole. La pseudo exposition à ces composés, qui sont assez solubles à l'eau, se poursuit. Ils tendent à se déplacer assez efficacement dans l'eau. Quand un animal les ingère, ils peuvent avoir des effets particuliers, même à faible concentration.
Nous commençons seulement à nous en préoccuper. Nos approches traditionnelles d'évaluation des risques relativement à ce genre de composés pourraient ne pas être très efficaces parce qu'ils ont un comportement légèrement différent. Lorsque la LCPE a été renouvelée, en 1989, la Loi sur les aliments et drogues a dû y être harmonisée. L'intérêt était vif pour la création de nouveaux règlements mieux appropriés à ces composés. C'est alors que la communauté de la recherche du Canada s'y est intéressée. Elle voulait contribuer à l'élaboration de règlements en essayant de comprendre les composés. Les instruments qui servent à le mesurer sont nouveaux. Ce n'est que depuis cinq ou dix ans qu'on peut mesurer leur présence dans l'environnement.
Le sénateur Christensen : Est-ce que leur incidence sur notre environnement est en hausse?
M. Servos : Je ne pense pas que nous le sachions vraiment. Il est certain qu'ils changent quelque chose. Les modèles d'utilisation changeront. Il y a toujours de nouveaux médicaments et produits cosmétiques. Notre population change, et on essaie constamment d'améliorer les médicaments, de les rendre plus spécifiques, en réponse à certaines préoccupations. Par conséquent, ils continueront de changer. Quant à savoir si leur concentration augmentera, nous ne le savons pas encore.
Le sénateur Christensen : Est-ce qu'on a réfléchi à la possibilité d'imposer une durée de vie limitée à ces médicaments qui sont absorbés et qui pénètrent l'environnement, pour qu'une fois qu'ils ont fait ce qu'ils ont à faire, ils n'aient plus d'effet? Est-ce que ce serait possible?
M. Servos : C'est très difficile. On en parle beaucoup. Il y a eu plusieurs ateliers à l'échelle internationale pour essayer de traiter de certaines de ces questions. C'est un enjeu international. Serait-il possible de concevoir des médicaments qui se désagrégeraient dans l'environnement? La plupart d'entre eux le font. La plupart se désagrègent très rapidement dans les systèmes d'épuration, mais d'autres non, et ils sont très persistants.
Le problème, c'est qu'ils sont très importants pour la santé humaine. Il y a des gens qui ne peuvent se passer de certains de ces médicaments. Même si leur concentration dans l'environnement est faible, nous effectuons tout de même des études pour déterminer s'il y a des niveaux de concentration qui pourraient réellement être inquiétantes. Nous ne faisons que commencer à comprendre les effets des produits pharmaceutiques et cosmétiques sur l'environnement. Ce sera difficile.
Le sénateur Christensen : Changeons de sujet. J'aimerais parler de nos plus petites collectivités et des coûts du traitement de l'eau et des eaux usées. Je pense que nous devrions reconnaître entre ces deux aspects des liens beaucoup plus étroits que nous le faisons. Au bout du compte, nous devons étudier la question du traitement de l'eau dans son ensemble, que les eaux usées entrent ou sortent, parce que tout revient à nous, d'une façon ou d'une autre. Dans les plus petites collectivités du Nord, dont je viens, les coûts sont un problème d'envergure. Nous avons 30 000 personnes au total dans tout le territoire. La plus grande collectivité compte, peut-être, 20 000 personnes, mais d'autres n'en ont guère plus d'un millier. Les coûts du traitement des eaux usées et de l'épuration de l'eau sont prohibitifs, et pourtant, on ne peut pas s'en passer.
Il est aussi difficile de protéger les bassins hydrographiques. Lorsque Whitehorse installait une usine d'épuration, l'une des grandes préoccupations était la protection du bassin hydrographique. Nous faisons partie du réseau d'un grand lac, et il y a beaucoup de chalets au-dessus de nous. C'est le seul cours d'eau où les aéronefs qui desservent la collectivité peuvent amerrir. Ils amérissent sur la prise d'eau, et ils laissent derrière eux des combustibles toxiques. L'eau claire coûte très cher à nos collectivités. Est-ce que les connaissances scientifiques permettront de réduire ces coûts tout en protégeant encore nos réseaux hydrographiques?
M. Servos : C'est un grand défi. Divers groupes désignent constamment les communautés isolées et modestes comme celles qui présentent le défi réel pour l'avenir. C'est un processus coûteux, mais il est aussi essentiel de protéger ces ressources et ces gens.
Le problème, ce n'est pas seulement de construire des structures, mais aussi d'avoir des gens formés, capables d'entretenir ces systèmes, pour qu'ils fonctionnent correctement une fois l'investissement fait. Dans une petite communauté, il est difficile d'avoir l'expertise de façon régulière pour que lorsqu'il arrive quelque chose, on sache que c'est arrivé et qu'on sache comment y réagir.
Il ne faut que quelques heures avant qu'une collectivité soit exposée. Ce sera un défi énorme. C'est un défi technique, mais aussi une question de gouvernance sociale. Ce sera très difficile.
Nous devons protéger la source. Nous parlons de protéger les multiples barrières de l'eau potable, mais c'est la source qu'il faut protéger. Si on ne commence pas par la contaminer, elle reste salubre. Il faut avoir des systèmes de traitement qui la protègent. Ensuite, il nous faut des systèmes de surveillance pour que, lorsque survient une erreur, ou quelque chose d'inhabituel, comme ce qui est arrivé à Walkerton, le système puisse réagir efficacement et protéger la population. Sans ces diverses barrières, on ne peut pas protéger les gens.
Dans les petites collectivités, c'est un défi scientifique, technique et social de taille que de mettre tous ces éléments en place et les y maintenir.
Le sénateur Christensen : Nous nous sommes attaqués là à un sujet très vaste. Pour bien faire le travail, nous devrons focaliser nos démarches. Auriez-vous des suggestions de ce sur quoi nous devrions nous concentrer pour commencer, relativement à cette question particulière? Nous pourrions aller dans tous les sens.
M. Servos : En tant que réseau de l'eau, le même genre de défi s'est posé à nous. C'est très difficile. Nous ne pouvons pas décréter que l'eau est trop compliquée et renoncer à nous pencher sur le sujet.
J'ai quelques idées à proposer au comité et au Sénat. Ce comité pourrait prendre la tête des efforts pour augmenter l'importance, le profil et la priorité de l'eau dans le programme national. Il nous faut nous assurer que les gens comprennent la valeur réelle de l'eau et combien elle est importante à notre quotidien et à l'avenir de nos enfants, et pas rien qu'au plan de la santé, mais aussi de l'écosystème et de l'économie. L'eau est extrêmement importante pour notre économie. S'il faut investir des sommes phénoménales dans son traitement, cela aura des conséquences phénoménales sur les dépenses publiques.
Le comité pourrait être un catalyseur en entreprenant l'évaluation de la situation nationale en ce qui concerne l'eau, de notre capacité de recherche et de notre capacité d'agir.
Le comité pourrait se faire le promoteur d'un forum national et d'une stratégie pour assurer l'offre d'une eau salubre et sûre, qui intègre les diverses perspectives des administrations et les divers mandats des gouvernements fédéral et provinciaux, et cetera. Nous devons y engager tous les secteurs. Tout le monde doit contribuer à la réflexion au sujet de l'eau. Nous devons y engager l'industrie, les universités et les gouvernements de tous les niveaux, pas seulement du niveau fédéral, mais tous les gouvernements, jusqu'à l'administration municipale où sont prises les décisions qui influent sur notre quotidien. Nous devrons aussi y engager le public.
Peut-être est-ce idéaliste. Je n'ai pas réduit la tâche, je l'ai plutôt élargie. De certaines façons, nous nous débattons avec l'intégration nationale plus vaste — le tableau d'ensemble. Peut-être le Sénat pourrait-il catalyser la discussion et créer le forum où nous pourrons discuter de certains de ces enjeux liés à l'eau.
Le sénateur Christensen : Pourriez-vous vérifier pour moi une statistique que j'ai entendue, mais je ne sais pas si elle est juste? J'ai entendu dire que 90 p. 100 de l'eau de la planète ne peut servir à rien. Sur les 10 p. 100 qui restent, 5 p. 100 de l'eau est prise dans les glaciers et la calotte glaciaire, et cetera. Donc, il ne nous resterait que 5 p. 100 de l'eau qui puisse réellement servir à la croissance et à la vie. Est-ce une statistique juste?
M. Servos : Nous le vérifierons pour vous. Je ne suis pas sûr des chiffres. Je sais qu'une grande partie de l'eau est gelée. N'oublions pas que nous parlons ici d'eau douce.
Le sénateur Christensen : Moi, je parle de l'eau en général.
M. Servos : Nous obtiendrons ce renseignement pour le comité.
Le sénateur Milne : D'après ce que je comprends, vos différents groupes travaillent sur de nombreux projets en même temps. Il pourrait nous être utile d'avoir une liste des divers projets qui sont en cours. Cela pourrait nous donner une idée des témoins que nous pourrions inviter devant le comité. Pourriez-vous aussi faire parvenir cette liste au comité?
M. Servos : Absolument. Nous n'y manquerons pas. Nous avons un site Web tout à fait interactif, avec toutes les adresses, biographies et descriptions des projets. Actuellement, nous sommes en train de préparer d'autres propositions pour notre réseau.
Le vice-président : Quand nous entrerons dans les détails, il se peut que nous fassions appel à vous.
M. Servos : C'est justement ce que nous souhaitons. Nous voudrions être le point de contact qui vous met en rapport avec les gens pertinent.
Le vice-président : Vous avez parlé de Waterloo. Vous nous avez dit que les résidants de là-bas se sont imposés des restrictions pour contrer la pénurie d'eau. Est-ce que la municipalité ou la ville a imposé des restrictions avant que les résidants en prennent l'initiative?
M. Servos : Je pense que c'était la municipalité régionale de Waterloo, qui a été extrêmement proactive dans la gestion de l'eau. Le bassin hydrographique de Grand River est probablement l'un des bassins les mieux gérés et les mieux compris de tout le pays. Cette collectivité comprend l'importance de l'eau. L'eau en a toujours été un élément central. On a entrepris de communiquer avec les gens, de les éduquer, pour leur faire saisir la valeur de l'eau.
Le vice-président : Comment l'administration régionale s'y est-elle prise?
M. Servos : Par plusieurs programmes. Par exemple, on peut apporter sa vieille toilette et la faire remplacer par une toilette à faible débit pour un coût minimal.
Ils ont un merveilleux programme d'éducation. La Grand River Conservation Authority envoie toutes sortes de documents pédagogiques aux écoles et aux journaux, de façon régulière. Elle communique constamment avec les gens pour leur rappeler combien l'eau est précieuse. Et puis elle met en œuvre des mesures de conservation de manière à ne pas avoir à faire d'énormes investissements pour réagir à des problèmes d'eau. Elle s'efforce d'être proactive.
La collectivité a toujours été au sein d'un modeste réseau hydrographique. Il sert pour les égouts, pour les usines et l'eau potable. Si vous la buvez, vous faites attention à ce qui y entre. Ils se sont très bien débrouillés de ce côté-là.
Le vice-président : C'est l'éducation.
M. Servos : Cela revient toujours à l'éducation. Si on peut enseigner aux gens de manière à ce qu'ils comprennent, ils voudront le faire. Ils ne jetteront pas des choses dans les conduits pluviaux. Nous savons que les gens y jetaient des tas de choses tout le temps. Les gens comprennent maintenant que ces collecteurs d'eau pluviale s'écoulent directement dans les rivières et que cela a des conséquences. Ce qui va dans ces collecteurs n'est pas toujours traité. Lors des gros orages, le tout se retrouve dans les rivières, et cela a des conséquences.
Les gens veulent faire ce qu'il faut faire. Nous devons leur apprendre ce que c'est, et les aider à comprendre qu'il est important pour eux qu'ils le fassent. Ainsi, ils comprendront non seulement que c'est plus économique pour eux à long terme, mais que c'est un moyen de protéger aussi l'environnement.
Le vice-président : Depuis combien de temps ce programme existe-t-il?
M. Servos : Depuis de nombreuses années.
Le vice-président : Diriez-vous que c'est 10, 15 ans?
M. Servos : Au moins 10 ans.
Mme Conant : Je pense que c'est au moins 20 ans.
Le vice-président : Madame Conant, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
Mme Conant : Comme je vis depuis plus longtemps dans la région, peut-être que j'en sais plus. J'ai posé la question à notre communauté. J'ai demandé si on pouvait l'attribuer au fait qu'il y a eu un leader dans la municipalité, qui a pu lancer l'initiative. Il faut bien un certain leadership dans la communauté même. Dans ce cas-ci, c'est que certains membres de l'administration municipale ont pris le taureau par les cornes et se sont montrés déterminés à agir.
Très peu des mesures qui ont été prises sont attribuables à la réglementation, bien qu'il y a ait eu des mesures comme des lois sur l'utilisation de l'eau, qui sont proactives, pour conserver l'eau. Cependant, le résultat est aussi d'ordre éducatif.
Lorsqu'un résidant ne peut arroser sa pelouse que les jours pairs, cela fait avancer le débat. Il y a 20 ans, en passant dans un quartier de cette collectivité, vous auriez remarqué que toutes les pelouses sur votre passage étaient bien vertes. Ce paradis de velours vert était source de beaucoup d'orgueil. Pour donner une mesure de la réaction du public, le mouvement en faveur de l'élimination des pesticides sur les pelouses, par exemple, se serait buté à beaucoup de résistance il y a 20 ans. À la suite d'une grande campagne combinée pour sensibiliser les gens aux effets de ces pesticides, dans mon quartier, vous pourrez maintenant constater que 5 ou 10 p. 100, probablement, de la surface des pelouses est maintenant occupée par des arbustes indigènes, et ce genre de choses. Les gens se sont montrés proactifs. Cependant, il y a eu un changement graduel de l'opinion publique au niveau du quartier.
Une autre chose intéressante est survenue il n'y a pas longtemps, qui n'a pas eu de conséquences pratiques pour la région, d'un point de vue décisionnel. Dernièrement, toutes les rues entourant nos puits ont été identifiées et ainsi, quand vous circulez, vous pouvez voir une grande affiche. Le site Web de la région en a une illustration. L'affiche dit simplement « Drinking Water Protection Area, 5 Kilometres », zone de protection de l'eau potable, 5 kilomètres. Un ami à moi qui travaille dans la région m'a dit que l'affiche vise à sensibiliser le public. Quand on passe dans une rue en voiture, on est maintenant conscient du fait qu'on est au-dessus d'un bassin hydrographique ou près d'un puits. Aucun règlement municipal ne limite l'activité liée à ces affiches. Elles sont-là pour informer le public, et elles ont retenu l'attention des gens.
Cependant, certaines ont été liées à des restrictions. Il y en a qui ont été installées en conséquence de programmes subventionnés, comme celui des toilettes. Cette activité a été combinée à celles de recyclage et de compostage, qui datent de la même époque. Il y a eu une combinaison de petits incitatifs économiques comme des programmes de rabais, une campagne de sensibilisation et, dans une certaine mesure, l'application de la loi. L'élément de l'application a été assez modeste.
Cela se fait depuis une vingtaine d'années. Les gens devraient en être conscients. Il est certain qu'il y a eu une vague de changements dans l'opinion publique.
Le principal facteur a été un catalyseur économique, sous forme d'une décision municipale, pour reconnaître qu'on arrivait à la limite de la capacité de cette ressource et qu'il faudrait puiser dans les Grands Lacs. Ils ont reconnu qu'ils ne pourraient pas creuser un autre puits. La question était de savoir si on allait puiser dans le lac Huron, ou le lac Érié? C'était une grande question. Actuellement, c'est dans le plan de gestion des eaux pour 2020. Tout ce que nous avons fait récemment a pu retarder cette mesure d'une ou deux décennies, mais cela reste l'objectif à long terme de la planification à long terme de la région.
Le sénateur Milne : Le chemin est long, ce sera un pipeline très coûteux.
Mme Conant : C'est vrai, et c'est un facteur dissuasif du point de vue la perception locale.
Le sénateur Christensen : Puisque les produits pharmaceutiques sont votre spécialité, savez-vous s'ils ont des effets quelconques sur le traitement des eaux usées — le traitement aérobique ou anaérobique pour lequel l'action bactériologique est tellement importante — quand les produits pharmaceutiques pénètrent dans le réseau d'égouts?
M. Servos : La plupart du temps, les organismes de la station d'épuration des eaux d'égouts n'y verraient qu'une source de carbone, parce qu'ils sont en très faible concentration. Il s'agit ici de concentrations extrêmement faible dans une communauté diversifiée. Nous pensons que les produits comme les antibiotiques sont loin d'être en concentration assez élevée pour avoir des effets sur le fonctionnement réel de la station d'épuration. À cet égard, plusieurs études ont été faites en Europe.
Le sénateur Christensen : Est-ce que c'est parce qu'ils dissolvent assez rapidement?
M. Servos : Ils se dissolvent rapidement. Il y a des répercussions, et il y a la résistance aux antibiotiques, qui est aussi un élément de préoccupation. Est-ce qu'un produit pharmaceutique qui pénètre l'environnement peut être un vecteur? Actuellement, peu de données portent à croire que ce soit possible, d'après l'écologie des microbes, mais l'incertitude demeure. On ne peut jamais dire avec une certitude absolue qu'il n'y a aucun effet ou que cela n'arrivera pas.
Pour ce qui est de la résistance aux antibiotiques, le principal élément de préoccupation est l'emploi des antibiotiques sur les animaux. Actuellement, nous pensons qu'il y a peu de risques d'effets. Si la résistance aux antibiotiques va jusqu'aux bactéries, il faut qu'il puisse y avoir transmission, déplacement de ce qu'ils appellent les plasmides, ce sont des fractions d'ADN, et qu'ils puissent pénétrer différents organismes, pour se traduire en résistance. C'est très complexe.
Il y a un vaste programme scientifique en Europe, dont le Réseau canadien de l'eau est partenaire. Ils étudient le moyen d'évaluer la présence de produits pharmaceutiques dans l'environnement, dans le but de formuler des directives. En étant partenaire d'un vaste programme en Europe, peut-être pourrons-nous mieux comprendre certains des enjeux que nous avons ici, au Canada. Ils ont bien plus de problèmes liés à l'utilisation de l'eau. C'est un problème beaucoup plus intense, pour eux.
Le vice-président : Je voudrais vous poser des questions sur une politique formelle relative à l'eau, qui a été promulguée en 1987. Existe-t-il maintenant un cadre de politique? Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure il a été efficace? Où en sommes-nous, maintenant, en ce qui concerne la politique relative à l'eau? Où allons-nous?
M. Servos : Je pense que c'est Mme Moore, qui était ici la semaine dernière, qui travaille sur l'aspect des politiques. La politique existe depuis près de 20 ans maintenant. Elle a été promulguée en 1987. Le moment est venu pour nous d'examiner certains de ces aspects, parce qu'il se passe tellement de choses relativement à l'eau, dans les diverses administrations. Nos perceptions au sujet de l'eau ont beaucoup changé depuis cinq ou sept ans, en partie à cause de ce qui est arrivé à Walkerton, et d'autres tragédies, mais aussi à cause de notre vision des bassins hydrographiques et des écosystèmes, et du prix que nous leur donnons. Peut-être est-il temps que nous envisagions une stratégie encore, et une politique relative à l'eau, d'une perspective nationale — encore une fois, pas seulement d'un point de vue fédéral, mais national, qui englobe toutes les composantes de la société.
Le vice-président : Actuellement, aucun mouvement n'a été lancé pour améliorer cette politique relative à l'eau, alors nous continuerons avec la politique de 1987. C'est bien ce que vous dites?
M. Servos : Diverses administrations ont pris d'importantes mesures pour s'attaquer aux problèmes de l'eau, avec détermination. Les gouvernements des provinces ont pris d'importantes mesures pour avoir, dans les municipalités, des politiques relatives à l'eau qui soient harmonisées aux nouveaux règlements qui leur sont imposés. Le gouvernement fédéral s'efforce de coordonner 19 ministères dont les responsabilités touchent, d'une façon ou de l'autre, à l'eau. Je ne dirais pas que rien ne se fait et que la politique stagne. Elle évolue. L'enjeu est tellement énorme et complexe, que le problème est de savoir comment l'intégrer de manière à avoir une vision nationale qui relie tout ensemble afin que le gars qui travaille à la station d'épuration comprenne ce qui se passe à tous les niveaux, et les répercussions possibles. C'est une question à laquelle il est difficile de répondre.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Servos et madame Conant. Vous avez dit que vous nous donnerez les noms des divers ministères qui s'intéressent à ces questions particulières. Il se peut que nous fassions appel à leur expertise. Il est encourageant de voir que nous pouvons tous travailler ensemble.
M. Servos : Certainement. Le Réseau a été créé d'abord et avant tout parce que nous voulons tous collaborer.
La séance est levée.