Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 6 - Témoignages du 3 février 2005


OTTAWA, le jeudi 3 février 2005

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour étudier les nouvelles questions concernant son mandat et en faire rapport.

Le sénateur Ethel Cochrane (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : La séance est ouverte. Premièrement, j'aimerais vous dire bonjour et vous souhaiter une bonne et heureuse année.

Nous accueillons ce matin Pierre Sadik. Avant de dire un mot sur notre invité, j'aimerais présenter nos membres.

Il y a le sénateur Milne, de l'Ontario, le sénateur Adams, du Nunavut et l'honorable John Buchanan, de la Nouvelle- Écosse.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sadik. J'ai en mains une courte notice biographique que j'aimerais vous lire. M. Sadik travaille dans le domaine de l'environnement depuis trois ans. Il s'est joint à la Coalition du budget vert en décembre 2002, à titre de responsable du programmes. Il s'occupe de la coordination et de l'orientation stratégique de cette coalition de 21 des principaux groupes canadiens dans le domaine de la conservation et de l'environnement. Auparavant, il avait pratiqué le droit du travail pendant 10 ans à Toronto. Il possède un baccalauréat en droit de l'Université d'Ottawa.

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Je crois comprendre que vous ferez une déclaration préliminaire. Nous l'avons déjà reçue. Je vous cède donc la parole.

M. Pierre Sadik, responsable du programmes, Coalition du budget vert : Je m'écarterai quelque peu du texte que vous avez reçu. Mon exposé durera environ 10 minutes.

Premièrement, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité pour aborder cette question, qui est importante pour tous les Canadiens. Je crois comprendre qu'on m'a demandé de parler des instruments fiscaux d'une façon générale et d'aborder l'attitude el les mesures adoptées par le Canada à ce chapitre.

Il est bien connu qu'il existe plusieurs types de mesures différents pour promouvoir le développement durable. La réglementation, les initiatives volontaires et les instruments fiscaux en sont trois qui viennent immédiatement à l'esprit. Les instruments fiscaux et les mesures fiscales dissuasives, en particulier, sont malheureusement sous-utilisés au Canada, notamment au fédéral. Bien qu'il y ait des raisons historiques à cette sous-utilisation, il n'existe actuellement aucune barrière fondamentale ou systémique à l'emploi efficace de ces instruments au Canada.

De l'avis de nombreux experts, le Canada se retrouve dans une situation désavantagée sur les plans environnemental et économique par rapport aux autres pays développés, du fait qu'il ne profite pas des instruments fiscaux en combinaison avec d'autres mesures pour promouvoir le développement durable. Bon nombre d'autres pays très développés, comme les pays scandinaves, le Royaume-Uni, le Japon, l'Allemagne et la France se servent de manière profitable des instruments fiscaux. Vous trouverez en annexe du mémoire que je vous ai remis un aperçu général des instruments fiscaux mis en œuvre au Canada. En fait, je me suis restreint particulièrement aux instruments fiscaux et à l'utilisation qu'en font les autres pays. La liste comprend deux catégories : les encouragements et les désincitatifs fiscaux. D'après l'OCDE et le Conference Board du Canada, les économies de la plupart des pays figurant sur leur liste et celles des pays qui apparaissent sur la mienne aujourd'hui vont aussi bien voire mieux que la nôtre. Cependant, ce qui est parallèlement le plus important, c'est que le Canada vient malheureusement bien après ces pays en matière de protection de l'environnement, à l'exception peut-être des États-Unis.

Je vous résumerai les aspects les plus importants et les plus pertinents des instruments fiscaux et aborderai les différentes catégories, notamment les encouragements fiscaux, les désincitatifs fiscaux, les subventions directes, la taxation avec remise et les échanges de plafonds.

Les instruments fiscaux peuvent encore être classés en deux grands groupes : les subventions que reçoivent les pollueurs ou les désincitatifs fiscaux qui exigent du pollueur qu'il paie.

Le comité m'a demandé d'aborder principalement les instruments fiscaux. Je vous décrirai donc certaines leurs caractéristiques. Par rapport à la réglementation et aux mesures volontaires visant à protéger l'environnement, les instruments fiscaux présentent certains avantages, notamment que, à la différence des règlements, ils peuvent récompenser les améliorations permanentes en matière d'efficacité. Autrement dit, alors que la plupart des approches réglementaires incitent peu ou pas à dépasser le niveau de rendement prescrit, l'encouragement ou le désincitatif fiscal fournira à la personne ou à l'entreprise une justification financière pour dépasser un tel niveau, étant donné que cette mesure rapportera. Même si la loi oblige les véhicules à consommer pas plus de 8,8 litres aux 100 kilomètres, les gens auront tendance à chercher à obtenir davantage si un encouragement fiscal est accordé pour une consommation de 5,5 litres aux 100 kilomètres. Il n'y a aucune limite à cet égard en ce qui concerne les encouragements fiscaux. Les instruments fiscaux peuvent stimuler le développement d'une nouvelle technologie. Par souci d'équité, la plupart des règlements établissent un niveau qui peut être atteint grâce à la technologie existante, tandis que les instruments fiscaux encourageront les gens à utiliser de nouvelles technologies et à essayer d'économiser encore davantage à l'aide de mesures créatives.

Les instruments fiscaux ont un effet d'entraînement : ils peuvent influencer le comportement d'agents économiques qui ne peuvent pas être visés par les règlements. Ils peuvent rapporter des recettes au gouvernement, ce qui intéresse peut-être le ministère des Finances. Les désincitatifs fiscaux imposent une charge ou un droit sur certaines activités non souhaitables. Cette charge ou ce droit peut être versé dans les recettes générales, ce qui procure au gouvernement fédéral davantage d'argent qu'il peut utiliser à bon escient ou lui permet de réduire l'imposition d'activités souhaitables, comme l'emploi, les investissements et les économies.

J'aimerais établir une distinction entre les encouragements fiscaux et les désincitatifs fiscaux parce que les instruments fiscaux et économiques ne sont pas tous égaux initialement. Les désincitatifs fiscaux ont tendance à permettre beaucoup plus d'atteindre l'objectif souhaité, soit respecter une certaine norme environnementale. Comme ils consistent à faire payer le pollueur, ils font augmenter le coût relatif d'une technologie, d'un procédé ou d'un produit très polluant, créant ainsi un incitatif permanent favorisant l'innovation afin d'améliorer la réduction de la pollution ou d'axer la production sur des solutions de rechange qui ont un effet moindre sur l'environnement.

De par sa nature même, la redevance pour pollution exerce un effet direct sur le prix des marchés et touche donc davantage les secteurs ainsi que les régions produisant beaucoup de pollution. Il y a des répercussions disproportionnées sur les secteurs de notre économie et les régions du pays. Les régions industrielles et celles comptant sur l'exploitation des ressources naturelles seront plus durement touchées que celles accueillant les activités intellectuelles ou l'informatique, qui ont une incidence relativement faible sur l'environnement.

Cependant, le coût économique des encouragements fiscaux et les perturbations qu'elles entraînent sont inférieures dans une région ou un secteur donné, si la mesure a été annoncée préalablement, si les entreprises et les particuliers en ont été avisés correctement et si la mise en œuvre est progressive et permanente. Malheureusement, les désincitatifs fiscaux ont un effet négatif disproportionné sur les ménages à faible revenu, pour des raisons qui devraient être assez évidentes. Si les émissions sont imposées plus lourdement, le produit coûtera un peu plus cher à court terme et les consommateurs devront débourser un léger supplément. C'est pourquoi nous recommandons un crédit d'impôt remboursable destiné aux Canadiens à faible revenu pour compenser la légère augmentation du coût de certains produits. Ce crédit d'impôt pourrait être financé sur la taxe imposée sur l'activité non souhaitable.

Il convient de signaler que bon nombre des encouragements fiscaux ont une incidence relativement faible par rapport à d'autres variables économiques auxquelles nous sommes toujours confrontés : la valeur du dollar, les taux d'intérêt et les fluctuations des prix du pétrole brut.

Essentiellement, l'encouragement fiscal consiste en un montant versé aux pollueurs et possède quelques autres caractéristiques importantes qui sont distinctes des désincitatifs fiscaux. Il s'agit d'une subvention qui réduit le coût relatif d'une technologie ou d'un produit moins polluant. Un encouragement fiscal peut cibler les décisions courantes, par exemple une déduction pour amortissement accéléré ou une compétitivité des coûts à long terme par l'intermédiaire du financement de la R et D. Pour être efficace, un encouragement fiscal ou une subvention exige habituellement des dépenses publiques relativement importantes par unité de réduction de la pollution, à cause des profiteurs, c'est-à-dire les entreprises ou les particuliers qui auraient exécuté le changement souhaité, même en l'absence de subventions. Selon une étude canadienne effectuée l'année dernière, la proportion des profiteurs recevant des subventions pour différents produits industriels, résidentiels et commerciaux varierait entre 40 p. 100 et un énorme 82 p. 100. Cette conclusion est quelque peu inquiétante parce que, jusqu'à présent, les subventions ont constitué la pierre angulaire des modestes mesures prises par le Canada au chapitre des instruments fiscaux. C'était là un bref aperçu des instruments fiscaux en général et de la distinction entre ceux-ci et les désincitatifs fiscaux.

J'aimerais maintenant aborder les mesures prises par le Canada en matière d'instruments fiscaux. Je pense que nous devons commencer par le ministère des Finances, car c'est là où sont prises les décisions et sont effectuées les analyses à ce chapitre.

Une partie du blâme pour le dossier désappointant du Canada en matière d'instruments fiscaux — dossier que je fais ressortir explicitement dans mon document en comparant notre situation à celle des autres pays — doit être imputée au ministère des Finances. On réclame de plus en plus que le gouvernement fédéral et le ministère des Finances commencent à recourir sérieusement aux instruments fiscaux. Dans différents documents, les organisations suivantes les ont exhortés à envisager ces solutions, particulièrement les désincitatifs fiscaux. La première de ces organisations qui me vient à l'esprit est cet estimé comité qui, dans son rapport de novembre 2004 intitulé Le Défi d'une tonne : Passons à l'action, encourage fort opportunément le gouvernement à recourir aux instruments fiscaux pour nous aider à atteindre nos objectifs du Protocole de Kyoto et à freiner les changements climatiques. Dans ses délibérations du 14 novembre, le Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes a appuyé très fermement le recours accru par le ministère des Finances aux instruments fiscaux. Dans son rapport de décembre 2004, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a fait de même. Mon organisation, la Coalition du budget vert, préconise depuis des années cette solution. Dans son rapport présenté à la Chambre des communes l'automne dernier, la commissaire à l'environnement et au développement durable recommandait et justifiait, au chapitre 3, le recours aux instruments fiscaux au Canada. Je crois comprendre que la commissaire a comparu devant vous avant Noël.

Dans son rapport au gouvernement du Canada en septembre 2004, le Comité consultatif externe sur la réglementation intelligente a formulé une recommandation en ce sens, tout comme l'a fait le Conseil canadien des chefs d'entreprise. Un rapport intéressant préparé par des fonctionnaires fédéraux a fait l'objet d'une fuite dans les médias au début de la présente année. Le rapport s'intitule : Climate Change — Lessons Learned and Future Directions et précise que nous devrons recourir davantage aux instruments fiscaux pour atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, l'OCDE a blâmé le Canada, au cours des dernières années, pour avoir si peu utilisé les instruments fiscaux.

La Coalition du budget vert traite souvent avec le ministère des Finances. Au fil des ans, nous avons exhorté le ministère à recourir davantage aux instruments fiscaux. Nous avons relevé plusieurs problèmes systémiques qui, au sein du ministère, font obstacle à la mise en œuvre de ce genre de mesures.

Le ministère ne s'est pas acquitté de son mandat en vertu de la Directive du Cabinet sur l'évaluation environnementale des projets de politique et de programme de 1990. Cette directive a été mise à jour en 1999. Dans une large mesure, le ministère n'a pas mené à bien son mandat dans le cadre de sa stratégie de développement durable ou SDD. Chaque ministère doit mettre en œuvre une telle stratégie.

Selon nous, le ministère a procédé à un examen interminable et souvent inefficace des propositions environnementales et fiscales de la part des intervenants, ce qu'un autre comité a qualifié de « roue qui tourne ».

Le ministère compte beaucoup trop, ce qui est suspect, sur le principe de la confidentialité ministérielle pour justifier le manque de transparence des mesures qu'il prend à l'égard de cette importante question que sont les instruments fiscaux. On a même assisté parfois à un transfert des responsabilités entre la prise de décision ministérielle et la prestation des services à cet égard. D'autres intervenants et nous ont l'impression qu'on n'est pas conscient de l'urgence découlant de la dégradation environnementale et des lacunes en matière de développement durable.

Enfin, le mandat et la mission du ministère comportent uniquement des objectifs socio-économiques et des objectifs en matière de sécurité, occultant le développement durable.

En terminant, je souhaiterais formuler quelques recommandations au gouvernement fédéral afin qu'il utilise mieux le régime fiscal et les instruments fiscaux comme un outil de développement durable. L'OCDE a récemment déclaré que le gouvernement du Canada devait annoncer clairement que les subventions et les incitations fiscales sont des instruments dont l'application est limité à une période de transition et que les approches volontaires doivent être complétées par des instruments réglementaires et économiques plus classiques. L'avertissement lancé par l'OCDE tient au constat selon lequel l'environnement et l'économie sont étroitement liés. Les décisions prises dans l'un ou l'autre de ces domaines auront inévitablement un impact durable sur les deux. Comme l'a fait remarquer l'OCDE, bien qu'il n'y ait pas de solution de rechange à la réglementation pour appuyer les mesures de protection environnementale, le Canada doit aussi commencer à accepter l'utilisation de plus en plus courante d'instruments fiscaux.

Selon moi, on ne peut pas recommencer à neuf sans apporter des changements importants au ministère des Finances. Il faut remédier à bon nombre des lacunes que j'ai signalées, voire l'ensemble de celles-ci. Toutefois, comme il arrive souvent, le facteur le plus important sera sans doute une plus grande transparence dans la manière dont le ministère effectue les évaluations environnementales des propositions de mesure fiscale et de politique. Naturellement, cette transparence accrue atténuerait bon nombre des lacunes que j'ai énumérées, apportant un assainissement des processus. De concert avec l'adoption d'une politique ou de mesures fiscales, la divulgation publique des résultats des évaluations environnementales de ce qu'envisage le ministère (évaluation qui doit être exécutée conformément à la directive du cabinet de 1990) répondrait au besoin de transparence et entraînerait toutes les répercussions positives qui l'accompagnent naturellement.

D'après moi, l'exigence d'une divulgation parallèle à la mise en œuvre d'une mesure fiscale (et non pas une communication préalable) devrait permettre adéquatement de s'attaquer à la plupart des préoccupations du ministère qui ne veut pas influencer la prise de décisions des agents économiques, qui pourraient profiter du fait qu'ils ont été mis préalablement au courant de la mesure fiscale.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître et je serai heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Je vous remercie infiniment, monsieur Sadik. Votre exposé a été très instructif, et nous avons pris note de ce que vous avez abordé. Nous aimerions maintenant vous poser quelques questions.

Le sénateur Angus : Je remercie votre organisation et vous du travail remarquable que vous accomplissez. Vous me permettrez de souligner que, malgré ce bon travail, vos recommandations tombent dans l'oreille d'un sourd. Je suis membre du comité depuis relativement peu de temps, mais presque à chaque séance que nous tenons, on nous dit que le ministère des Finances est la bête noire. Tous critiquent très franchement ce ministère important, signalant en détail, comme vous l'avez fait, les lacunes systémiques qui sont évidentes, à moins qu'il ne s'agisse que d'une énorme dissimulation. Je dois admettre que je me demande comment nous pourrions alerter davantage l'opinion publique. Le peu que je connais du monde politique me permet de dire qu'on réussit généralement à faire bouger les choses lorsqu'on étale les problèmes au grand jour.

Vous avez fait allusion à notre rapport, et je voudrais poser ma première question sur ce point. Je me suis joint au comité lorsqu'il rédigeait ce rapport. Nous avons commis une erreur en lui donnant ce titre parce qu'on dirait qu'il s'agit d'une promotion musclée : Défi d'une tonne. Cependant, nous y faisons valoir que ce défi ne donnait pas tellement les résultats escomptés et nous formulons des recommandations à l'intention du gouvernement et du ministère des Finances. Les médias nous ont accordé beaucoup d'attention dernièrement, et nous avons déployé beaucoup d'efforts pour faire parler de nos travaux. On disait que ce défi était une farce monumentale, que la publicité avec Rick Mercer était un gaspillage de l'argent des contribuables et qu'il fallait intervenir.

La rédaction de notre sommaire a fait l'objet de maintes versions : nous voulions qu'il soit remarqué. Nous avons tenu une conférence de presse et avons fait connaître nos recommandations. J'ai l'impression que la frustration qui en a découlé est imputable au fait que tous les médias ont abouti à la conclusion que le gouvernement n'en faisait pas assez, ce qui est, selon moi, pertinent.

Nos recommandations ont-elles visé en plein dans le mille? Elles ont découlé des séances que nous avons tenues.

M. Sakik : Je pense effectivement que vos recommandations visaient essentiellement en plein dans le mille. Je devrais dire que seul, le programme du défi d'une tonne est inefficace, ce que le comité a abordé dans son rapport. Il s'agit d'outils qui sont offerts. Ce qui est proposé essentiellement par le défi d'une tonne, c'est d'encourager les mouvements volontaires dans la bonne orientation et de favoriser un respect volontaire des exigences en fonction de nos besoins. Cependant, ces mesures doivent être parallèles à d'autres initiatives qui ont du mordant, c'est-à-dire des règlements souples et des moyens comme certains des désincitatifs fiscaux dont j'ai parlé aujourd'hui.

Je ferais une analogie avec notre système judiciaire. Nous assurons la loi et l'ordre dans ce pays en nous fiant sur le bon sens moral des Canadiens et des Canadiennes, des mesures volontaires, autrement dit, un régime de pénalités, d'amendes et de peines d'emprisonnement. On ne peut pas maintenir le droit et l'ordre dans ce pays rien qu'avec des mesures volontaires et des peines d'emprisonnement. Il faut employer tous les outils dont on dispose. Actuellement, en ce qui concerne de développement durable, le gouvernement du Canada est réticent à employer tous les outils dont il dispose. Il veut se fier aux mesures volontaires, au Défi d'une tonne. Il veut employer les subsides, mais il ne veut pas recourir à certains des outils qui ont vraiment de l'effet.

Le sénateur Angus : On ne sait pas ce que c'était, mais nous savons ce qu'il ne fait pas. Nous avons été impressionnés, ici. Nous trouvons un allié en la personne du ministre de l'Environnement, le ministre Anderson. Il nous a même fait part de la frustration que lui a procuré le ministère des Finances, mais il me semble que nous vivons une ère de grands espoirs. Nous avons cette date du 16 février, dans le Protocole de Kyoto. C'est elle qu'on vise, les médias nous ont à l'œil. Est-ce que le Canada peut atteindre ses objectifs? Que faisons-nous? Pourquoi le CDM nous place-t-elle en 127e place sur 128 pays, juste après la Corée du Nord? Qu'est-ce qu'il y aura dans le budget? J'ai demandé au leader du gouvernement au Sénat : « Est-ce que ce sera un budget vert? » Il a répondu « Je ne sais pas de quelle couleur sera la couverture. » C'est une attitude que j'exècre. Je me demande si vous pensez comme moi que le moment, maintenant, est opportun pour vraiment monter une campagne de publicité et exercer des pressions.

M. Sadik : Le moment est opportun, à cause de la date du 16 février visée dans le Protocole de Kyoto. Le regard du monde est fixé sur le Canada et sur d'autres pays, aussi, qui ont de la difficulté à s'acquitter des engagements qu'ils ont pris avec le Protocole de Kyoto. Dans ce sens-là, le moment est opportun. Il y a un budget, qui doit bientôt être présenté, et pour cela aussi c'est opportun, manifestement. Il y a — j'en ai parlé et vous le savez — un rapport récent de l'OCDE. Il y a eu, assez récemment, un rapport du Conference Board du Canada. Il y a eu une étude qu'ont faite des gens de deux ou trois grandes universités des États-unis. Elles ont été présentées lors du Forum économique mondial qui a eu lieu à Davos, en Suisse, la semaine dernière, et le Canada s'est rangé parmi les derniers au plan du rendement environnemental.

Le sénateur Angus : Nous avons un pays organisé.

M. Sadik : Nous sommes choyés pour ce qui est de la quantité d'espace vert que nous avons, mais rien que par l'abondance, nous sommes en dixième place, à peu près, comparativement à d'autres pays. Par contre, nous le grugeons plus vite que n'importe qui d'autre.

Le sénateur Angus : Peut-être pourrions-nous faire un autre tour.

La vice-présidente : Ça irait, sénateur.

Le sénateur Adams : La seule chose qui m'a vraiment inquiété, c'est ce que vous répétez sans cesse au sujet des polluants. Je pense qu'au début, quand nous développions le Canada, on ne comprenait pas ce qu'était un polluant, alors nous avons laissé les produits chimiques et toutes sortes de choses pénétrer les rivières et les lacs, et monter dans l'atmosphère. Maintenant, après 40 ou 60 ans, nous comprenons enfin d'où vient la pollution que nous avons de nos jours. Dans la région du Nunavut, nous n'avons pas eu le même développement que dans le sud du Canada. Maintenant, le Nunavut a de la difficulté. Nous ne sommes pour rien dans ce genre de pollution, et pourtant on nous impose maintenant tellement de règlements, pour n'importe quel projet, que ce soit la construction de routes ou d'un port. Il nous est vraiment difficile, maintenant, d'obtenir quoi que ce soit du gouvernement. Avant qu'il donne de l'argent pour ce genre de projet, il faut faire une analyse environnementale. C'est vraiment très difficile pour certaines compagnies qui veulent aller là-bas faire de l'exploitation minière. Même les compagnies locales doivent se plier à cette règle si elles veulent faire quelque chose dans la communauté, ou si elles veulent construire une route hors de la communauté. Maintenant, il y a un autre projet de loi qui va être présenté, à propos des transporteurs maritimes qui polluent l'océan. Certaines choses sont produites, qui ne peuvent pas être recyclées. Même si le gouvernement donne de l'argent pour le recyclage, il y a des choses qui sont amenées dans la communauté et qui ne peuvent pas être recyclées. Comme il faut les expédier vers le Sud pour les recycler, c'est plus coûteux. C'est pourquoi je suis parfois frustré par le comité, ici, parce que je vis dans un autre monde. Nous sommes encore Canadiens, mais nous devons suivre les règlements parce qu'ils sont imposés au reste du Canada. Les règlements touchent aussi nos aliments. Avant, nous n'avions pas perdu nos activités, comme la chasse au phoque et à la baleine, mais maintenant, les droits des animaux ont des répercussions sur nos collectivités. Je crois dans la protection de l'environnement. Je paie des impôts. Je vis là- bas et je paie des taxes sur tout ce que j'achète et qui est recyclable. Ici, à Ottawa, je peux recycler, mais chez moi, tout ce qui est recyclable ne peut pas forcément l'être. Nous devons en envoyer à la décharge. Il doit bien y avoir une solution.

Nous avons quatre ministères avec le même agent entre Transports Canada, Santé Canada, la Garde côtière canadienne, Environnement Canada et le ministère des Pêches et des Océans. Je ne sais plus par combien de ministères nous devons ainsi passer. On fait une espèce d'étude, et maintenant il y a le budget vert. Nous avons tous les mêmes règlements, qui s'appliquent partout au Canada, même en Arctique. C'est très difficile pour nous, parfois. Des municipalités disent qu'elles aimeraient construire une route de tant de kilomètres. Il faut faire une analyse, une étude des poissons qui passent par les ruisseaux. Nous avons un climat froid. Il nous est très difficile, dans notre région, de composer avec n'importe quelle politique qui est émise. Est-ce que vous pouvez répondre à cela?

M. Sadik : Sénateur Adams, je ne sais pas vraiment quoi vous dire. Je ne vais pas tout bonnement vous exposer ici ce que vous et le comité avez déjà décrit — un problème — avec tellement d'éloquence, aujourd'hui. Cela touche aux différences réelles qu'il y a entre les diverses régions du Canada, et aux répercussions différentes que tout ce que nous pouvons proposer ici auront sur différentes régions du Canada, et particulièrement le Nord. Je vais seulement énoncer quelques éléments qui me sont venus à l'esprit pendant que vous parliez. Je ferai remarquer — vous le savez, et nous le savons tous — que le changement climatique a des effets particulièrement radicaux sur le Nord. Littéralement, il coupe l'herbe sous les pieds des gens du Nord, de la terre même où vivent les gens. C'est un cercle vicieux où sont en jeu la pénétration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère et la volonté d'extraire du carbone du sol du Nord. C'est un cycle, et il a quelque chose d'ironique.

Autre chose me vient à l'esprit, et c'est la manière dont l'énergie répartie se prête particulièrement bien au contexte du Nord. Vous avez parlé du coût élevé pour faire venir des marchandises dans le Nord et les renvoyer. Je suis allé à Resolute Bay et je me souviens d'une génératrice au diesel qui fonctionnait sans arrêt. Le Nord est aussi un endroit très venteux et la création de parcs d'éoliennes pour produire un complément à l'électricité générée avec un combustible fossile serait un merveilleux moyen de réduire l'emploi de combustibles fossiles et les coûts du transport de l'énergie jusque-là. Je ne viens pas ici vous dire ce que vous semblez déjà savoir. Ce qu'il faut, c'est qu'on envisage des mesures pour tenter de trouver un juste milieu.

Le sénateur Adams : Je comprends. Je suis heureux que vous parliez du coût de la vie, particulièrement dans le Nord. Au Nunavut seulement, nous avons 26 collectivités. Chacune d'elles a une centrale électrique qui fonctionne 24 heures par jour, 365 jours par année. Pendant ce temps-là, la fumée monte dans l'atmosphère. Stéphane Dion, le ministre de l'Environnement, nous a dit avant Noël que le Nunavut est une priorité, pour l'énergie éolienne, et j'espère qu'ils tiendront leur promesse sur ce plan.

La vice-présidente : Merci, sénateur. Il suffit que vous continuiez d'exercer des pressions.

Le sénateur Milne : Monsieur Sadik, je vous souhaite toute la chance possible dans vos démarches pour amener le ministère des Finances à proposer un cadre formel d'analyse environnementale de ses politiques. Certains d'entre nous tentons déjà depuis une dizaine d'années de les amener à faire une analyse axée sur le sexe, qu'ils ont été mandatés pour faire mais qu'ils ne font toujours pas. C'est un ministère très opaque.

Vous avez parlé de certaines des idées de taxes dissuasives qui ont un effet disproportionné sur les familles à faible revenu. Aussi, le fait que nos plus gros émetteurs de pollution, nos grandes industries polluantes, sont situés dans les régions, disons, de la forêt boréale, où vivent certains des segments les plus pauvres de la population. C'est vraiment un problème, là-bas. Ce n'est pas que les gens, c'est l'endroit. Tout le monde, dans toute la région, serait très mal en point si l'industrie s'écroulait.

Vous avez parlé d'équilibre entre les incitatifs et les mesures de dissuasion. Certaines entreprises pourraient se dire qu'une mesure de dissuasion fiscale est ce qu'il en coûte de faire des affaires, et l'ajouter au prix final de leurs produits. C'est normal, pas de problème. Ce n'est tout simplement pas assez pour m'amener à faire quelque chose, à moins que la mesure de dissuasion soit vraiment plus rigoureuse. Il y a cet effet de juste milieu que le gouvernement devrait trouver, s'il adoptait les mesures de dissuasion fiscale, entre les industries qui l'ajouteraient au prix final du produit et celles qui diraient : « Ce n'est pas assez pour que je fasse quelque chose, je continue comme avant. » Comment le gouvernement pourrait-il trouver une masse critique de mesures incitatives ou dissuasives pour faire une différence sans qu'il en coûte des millions de dollars?

M. Sadik : Les instruments fiscaux ne sont pas une panacée. Ils doivent être combinés à des mesures volontaires, des règlements et tout le spectre des mesures possibles. Les instruments fiscaux, aussi, comme n'importe quelle mesure fiscale, sont relativement complexes et doivent être conçus minutieusement, mais cela ne veut pas dire que nous devrions nous abstenir d'y recourir. Il faut parfois les observer pendant un an pour en cerner les effets; peut-être faudra-t-il légèrement les modifier, les augmenter ou les réduire? D'autres administrations l'ont fait. Il y aura un coût supplémentaire aux produits qui auront des facteurs indésirables. Pour le meilleur et pour le pire, c'est l'objet des mesures de dissuasion fiscale. C'est ainsi qu'elles fonctionnent. Elles font qu'il en coûte plus à l'industrie d'employer certaines matières, et aux consommateurs, au bout de la chaîne d'approvisionnement pour en acheter le produit. Je sais que c'est un principe qui n'est pas tellement populaire, mais c'est quelque chose que, tôt ou tard, on doit finir par comprendre.

Les coûts réels de bien des produits que nous achetons ne sont pas comptés dans les produits. On les appelle les coûts externes; les coûts pour notre santé, pour notre eau, pour notre air et pour nos gens. Il va falloir que nous commencions à les tenir en compte. Il pourrait bien se trouver, au bout du compte, que certains produits coûtent trop cher, dans un sens global. Nous devons apprendre à vivre avec moins de ces produits. Ce n'est pas une notion très populaire, mais c'est quelque chose qu'il va nous falloir comprendre tôt ou tard, en tout cas.

Le sénateur Milne : Je regarde cette analyse que vous avez, à la fin de votre présentation, à l'annexe 1 et qui est, à mon avis, un excellent petit tableau de référence, pour nous. Quelle combinaison de ces pays, ici, à votre avis, constituerait un ensemble de pratiques exemplaires sur lesquelles le Canada pourrait prendre modèle? Laquelle de ces combinaisons d'incitatifs et de mesures dissuasives serait la plus appropriée pour le Canada?

M. Sadik : Le pays qui a souvent été considéré comme un exemple à suivre pour le Canada, c'est la Suède, vous le verrez à la page 3. Ce n'est qu'une liste des incitatifs et dissuasifs fiscaux.

Le sénateur Milne : Pas d'incitatifs.

M. Sadik : C'est vrai, pas les instruments fiscaux en général. La Suède, à la page 3, ne recourt absolument pas aux incitatifs fiscaux. La Suède est souvent comparée au Canada parce que c'est un pays du Nord, comme le nôtre, alors personne ne peut dire « ils n'ont pas besoin d'autant d'électricité que nous, parce que leur climat est beaucoup plus favorable à l'existence humaine ». Ils ont des voisins aux économies très vigoureuses et dynamiques, avec lesquels ils ont des échanges commerciaux et qui leur font concurrence, comme le Canada avec les États-Unis. Il y a, c'est sûr, des différences. Rien que le facteur géographique fait que nous devons voyager plus que les Suédois, et cetera. Néanmoins, la Suède a une industrie forestière comme le Canada.

Le sénateur Milne : Ça ressemble beaucoup au nord de l'Ontario.

M. Sadik : Une industrie forestière tout à fait remarquable, qui régénère constamment ses forêts.

La Suède a pu atteindre un niveau de vie au moins aussi élevé que le nôtre, et avoir une économie plus dynamique que la nôtre, alors la Suède est un bon facteur de comparaison.

Tous les pays qui sont sur cette liste, à l'exception des États-Unis, et peut-être l'Australie, font plus que le Canada pour protéger l'environnement.

Le sénateur Milne : L'Australie ne fait pas grand-chose, quand même. Ils ne recyclent même pas du tout.

M. Sadik : Je n'en sais rien.

Le sénateur Buchanan : Je suis plutôt ravi d'entendre quelqu'un comme vous, parce que j'ai l'impression que vous vivez dans le monde réel.

Pendant 38 ans — 24 années comme député et 14 ici — je pense que j'ai vécu dans le monde réel, le monde politique. Cela me paraît étrange à dire, que le monde politique soit le monde réel, mais en fait, c'est vrai. J'en parle parce que ce que vous venez de dire sur la Suède est intéressant. Je ne le savais pas. Il leur a sûrement fallu beaucoup de temps pour arriver là où ils en sont maintenant.

Il y a quelque chose de bizarre, au sujet de la politique et des gens. Tout le monde se plaint du coût de l'essence : « 80 cents du litre, mais c'est terrible; c'est infernal! » En fait, à bien y penser, c'est une affaire, parce que nous payons maintenant 1,50 $ pour un litre de lait, 1,00 $ du litre d'eau et les prix n'arrêtent pas de grimper. Personne ne semble vraiment s'en plaindre, alors c'est un peu un monde irréel que celui où nous vivons.

Le problème, avec les mesures de dissuasion, dans ce pays, c'est qu'il faut être le politicien le plus courageux que le bon Dieu ait jamais créé pour imposer ce genre de chose. Par exemple, dans la petite province de la Nouvelle-Écosse, nous avons besoin de charbon pour générer l'électricité. On peut dire : « Vous devriez exploiter votre énergie éolienne. » Nous essayons, et en produisons ainsi environ 2 p. 100. Nous avons quatre ou cinq endroits où cela peut se faire.

Vous pouvez dire : « Utilisez l'énergie de l'eau. » Nous n'avons pas vraiment beaucoup d'eau, quelques rivières seulement qui ne produiront que quelques mégawatts d'électricité.

Il ne reste que le charbon, qui en produit environ 65 p. 100; les autres méthodes dont je viens de parler font les 30 et quelque pour cent restants.

Quant au gaz naturel, lorsqu'on arrive à en amener suffisamment jusqu'à nos rives, on doit en envoyer le plus gros aux États-Unis parce que nous ne sommes pas équipés pour le gaz naturel en Nouvelle-Écosse, et ce serait incroyablement cher de le devenir. C'est hors de question pour le moment, alors il nous reste le charbon pour générer l'électricité, et le charbon pour les fins industrielles.

Que faire? On perçoit une taxe sur le charbon, comme on l'a dit ici. Il y a donc une taxe sur le charbon; une taxe sur l'électricité; une taxe sur le gaz naturel; et une taxe sur l'essence. Bien entendu, dans le monde réel, dans lequel je vis, et pour la plupart des gens ici aussi, c'est la vie. Ça ne marchera tout simplement pas.

Vous avez dit que les gens qui ont certains niveaux de revenu devraient avoir droit à un remboursement de taxe pour les aider. On en a parlé au gouvernement à bien des reprises. Je n'ai rien contre les bureaucrates, ici, en passant, mais les remboursements de taxe deviennent un cauchemar bureaucratique. On a calculé le coût d'un programme de remboursement, une fois. L'administration du programme coûtait plus que les remboursements eux-mêmes. Il y en a un en Nouvelle-Écosse actuellement, et je suis sûr qu'il coûtera au gouvernement provincial plus — c'était le cas quand j'étais là-bas — que les remboursements en soi.

Il doit y avoir un moyen de rationaliser ce genre de situation. Si on ne le fait pas, alors, on n'est pas dans le monde réel, parce que les gens n'accepteront pas les nouvelles taxes et les augmentations de prix sur ce qui leur est nécessaire dans le quotidien. C'est l'énigme qui se pose à nous. C'est le gros problème que nous avons au Canada et aux États- Unis. C'est intéressant, au sujet de la Suède. Je ne vois absolument pas comment ils ont pu y arriver là-bas. Peut-être vivent-ils tellement au Nord que cela leur est égal.

Le sénateur Angus : Ils n'ont pas de ministère des Finances.

Le sénateur Buchanan : Qu'avez-vous à nous dire à ce sujet?

M. Sadik : Vous avez certes replacé ce dossier dans son contexte, sénateur Buchanan. Vous avez fait valoir quelques points très importants concernant la réalité politique afférente à certaines des mesures que nous proposons aujourd'hui. Je le répète : ce n'est pas un remède miracle que je propose. Il s'agit de solutions qui doivent être appliquées parallèlement à d'autres outils disponibles.

Prenons l'exemple du charbon. Si nous voulons réduire la quantité de charbon brûlé en Nouvelle-Écosse et tous les problèmes qui y sont associés, certaines options s'offrent à nous. Nous pourrions, par exemple, imposer une taxe raisonnable sur le charbon tout en lançant une campagne intensive de marketing social. On communiquerait alors aux Néo-Écossais les motifs pour lesquels cette taxe est instaurée, les répercussions favorables qu'elle aura sur la situation de la province et sur la santé de ses citoyens, et la façon dont on compte utiliser les millions de dollars qui seront ainsi générés.

Pour ce qui est de l'utilisation des fonds provenant de cette taxe, ils pourraient être recyclés en partie au sein même des grands secteurs industriels qui utilisent du charbon et qui paieront davantage à cette fin. Par exemple, ces fonds pourraient être réservés pour la mise en place d'une technologie éolienne. Si une industrie paie 100 $ l'heure pour brûler du charbon, elle pourrait récupérer la quasi-totalité de cette somme pour autant qu'elle s'en serve afin de mettre en œuvre une technologie éolienne ou tout autre mode de production d'énergie renouvelable. Les industries en question intégreraient ces nouvelles sources énergétiques à leur processus de production, ce qui réduirait d'autant la quantité de charbon nécessaire pour produire de la chaleur — c'est généralement pour cela qu'on l'utilise : pour produire de l'énergie — tout en utilisant d'autres sources d'énergie renouvelable. En bout de ligne, ces secteurs ne subiraient pas de pertes considérables du point de vue économique. C'est une formule de compensation. Les recettes générées sont recyclées dans l'industrie même.

On peut aussi remettre une partie de ces fonds aux utilisateurs finaux, c'est-à-dire aux citoyens de la Nouvelle- Écosse qui devront payer plus cher pour des produits provenant d'entreprises qui auront elles-mêmes à débourser davantage pour utiliser le charbon, ou à ceux qui achètent de l'électricité produite au charbon et qui devront assumer une légère hausse des coûts. Il ne devrait pas être si compliqué de remettre ces sommes aux citoyens à faible revenu sous forme d'un remboursement, comme c'est le cas pour la TPS, si l'on se fie au niveau de revenu indiqué sur les déclarations de revenu annuelles. Il s'agit d'utiliser un seuil bien établi : un remboursement est offert aux gens dont le revenu est inférieur à ce seuil, alors que les autres peuvent se permettre de payer un petit plus pour le luxe d'utiliser de l'énergie produite au charbon. Si je parle de « luxe », c'est parce que le charbon s'attaque aux poumons des Néo- Écossais et déverse du mercure dans les rivières et les lacs de la province.

Le sénateur Buchanan : Je ne suis pas d'accord. Dans une allocution que j'ai prononcée à New York il y a plusieurs années, je me suis permis une petite blague. Je ne croyais pas que les médias étaient présents. On m'a demandé : « Faites-vous encore brûler du charbon de toutes sortes en Nouvelle-Écosse? » J'ai répondu : « Oui. » Ils ont rétorqué : « Qu'en est-il des pluies acides? Qu'en est-il du CO2? » J'ai dit : « On ne s'inquiète pas de ces choses-là en Nouvelle- Écosse parce qu'on envoie tout ça vers Terre-Neuve. » Le Chronicle-Herald de Halifax en a fait sa page frontispice. Je ne savais pas qu'il y avait un journaliste sur place. J'ai dû présenter mes excuses à Brian Peckford.

M. Sadik : Même si cela se rendait jusqu'aux États-Unis, nous ne voulons pas nous débarrasser de nos rebuts là-bas non plus. Il faut recycler davantage. Il vous en coûte un peu plus cher, mais vous récupérez le tout si vous prenez les mesures qui s'imposent pour remplacer ce que vous avez perdu. Ce n'est pas simple; il n'y a pas de solution miracle. Il faut beaucoup de temps, d'efforts et de réflexion pour implanter de telles mesures, mais nous devons commencer dès maintenant.

Le sénateur Buchanan : C'est vous que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient envoyer à la télévision pour expliquer les choses comme vous venez de le faire. J'ai beaucoup de respect pour le Terre-Neuvien Rick Mercer, qui est porte-parole pour le Défi d'une tonne, mais je veux vous parler d'un sondage mené par une station de radio à Halifax. On a demandé à 40 personnes si elles savaient ce qu'était le Défi d'une tonne. La plupart des répondants ont indiqué qu'ils en avaient entendu parler. Des 40 personnes interrogées, 32 ne pouvaient pas dire de quoi il s'agissait. Les huit autres ont dit qu'elles savaient ce que c'était, mais la moitié d'entre elles ne pouvaient pas dire exactement en quoi cela consistait. C'est là qu'est le problème. Nous savons ce que c'est; nous l'avons mis sur pied, n'est-ce pas?

Le sénateur Angus : Pas du tout.

M. Sadik : Vous avez essayé d'y apporter des aménagements.

Le sénateur Angus : J'ai une question que je voulais vous poser tout à l'heure. Si vous aviez à choisir un seul incitatif fiscal en étant assuré qu'il serait intégré au budget de février, quel serait votre choix? Je me suis alors souvenu de quelque chose qu'on m'a dit cette semaine et qui m'inquiète beaucoup. Le gouvernement s'est soudain aperçu que nous avions accumulé un lourd retard et qu'il nous faudrait faire quelque chose d'extraordinaire si nous voulons honorer, ne serait-ce que partiellement, les obligations qui nous incombent en vertu du Protocole de Kyoto. On songe à avoir recours à l'échange de droits d'émission, un concept que je ne connais pas beaucoup, je dois l'avouer, mais qui est manifestement très important. Je constate maintenant dans la documentation disponible que bon nombre de pays sont en mesure de s'acquitter de leurs obligations en achetant ou en vendant ces droits d'émission. Si je comprends bien, en faisant l'acquisition de tels droits — autrement dit, en donnant de l'argent pour protéger l'environnement quelque part en Indonésie — on ne fait rien pour améliorer la situation du Canada pour ce qui est du changement climatique ou du réchauffement de la planète. Croyez-vous que c'est l'avenue que le gouvernement songe à emprunter et estimez-vous que cela est souhaitable? Que pouvez-vous nous dire au sujet de ces droits d'émission?

M. Sadik : Le gouvernement envisage la possibilité d'acquérir des droits d'émission parce qu'il est soumis à des pressions énormes en provenance d'un groupe, celui des grands émetteurs finaux, qui est responsable de plus de 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Il s'agit des producteurs d'électricité et des grandes industries du Canada. Bien évidemment, ces industries jouent un rôle extrêmement important quant au bon fonctionnement de notre économie et à la création d'emplois, notamment. Malheureusement, elles ne semblent pas disposées à s'acquitter de la juste part qui leur revient dans cet effort. Elles ne sont pas prêtes à participer au Défi une tonne de la manière dont les citoyens canadiens sont appelés à le faire par le gouvernement. Le gouvernement examine d'autres options pour le cas où il devrait renoncer à demander aux grands émetteurs finaux de faire leur part pour réduire les émissions. Il songe à faire l'acquisition de droits d'émission sur les marchés internationaux, mais il est également possible d'en acheter à l'intérieur même du Canada. D'un point de vue théorique, l'acquisition de tels droits sur le marché international n'est pas une mauvaise idée en soi parce que c'est la planète dans son ensemble qui souffre des effets des changements climatiques et des émissions de gaz à effet de serre. Notre monde est toutefois divisé en petites sous-unités politiques. Personne n'aime envoyer de l'argent à l'étranger alors que ces fonds pourraient être utilisés au pays pour faire les mêmes choses.

Les échanges internationaux de droits d'émission sonneraient probablement le glas du Protocole de Kyoto parce qu'ils en feraient un traité de parias. Les Canadiens seraient outrés de constater que nous envoyons des milliards de dollars à l'étranger pour réduire les émissions de gaz à effet de serre alors que nous aurions pu conserver ces sommes pour mettre en œuvre les mêmes mesures au pays.

Il serait peut-être bon d'envisager un système national d'échange de droits d'émission. Cela pourrait inciter les intervenants et les entreprises en opération au Canada à faire montre de créativité pour réduire le niveau de leurs émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements pris envers le gouvernement canadien. Toute réduction supplémentaire à ce chapitre pourrait être vendue sous forme de droits d'émission à d'autres secteurs qui n'ont pas été en mesure d'en faire autant. L'argent demeure au Canada et devient un incitatif financier pour amener les gens à faire mieux que les niveaux convenus. Cela pourrait être une solution intéressante pour le Canada.

Le sénateur Angus : Vous ne seriez donc pas favorable à cette formule d'échange de droits d'émission dont le sénateur Austin a parlé, c'est-à-dire que nous commencions à acheter des droits d'émission sur le marché international pour parvenir à atteindre nos objectifs. Cette perspective m'inquiète un peu.

M. Sadik : C'est inquiétant, parce que ce n'est pas nécessaire. Cela créerait tout un tollé, et les Canadiens seraient tout à fait justifiés de réagir vivement. Les Canadiens n'hésitent jamais à donner de l'argent à l'étranger pour aider les gens dans le besoin. Nous avons été très généreux envers les victimes du tsunami. Cependant, il est tout à fait insensé d'envoyer de l'argent à l'étranger pour réduire les émissions de gaz à effet de serre quand nous pouvons le faire ici même et conserver cet argent au Canada.

Le sénateur Angus : Peut-être pourriez-vous nous suggérer une seule mesure à intégrer au budget comme encouragement ou comme contre-incitatif fiscal — les deux options sont envisageables. Je suis d'accord avec le sénateur Buchanan concernant l'art du possible dans cette initiative. On peut toujours dire aux gens de ne pas faire telle ou telle chose, mais ce n'est qu'un aspect de la question.

M. Sadik : Je préfère ne pas vous indiquer une seule mesure qu'on pourrait intégrer au budget parce qu'on a besoin de bien coordonner de nombreux éléments différents pour obtenir les résultats escomptés. Il n'y a pas de solution miracle. Il n'existe pas de solution unique.

Le sénateur Angus : Monsieur ne fait aucun compromis.

La vice-présidente : Puis-je poursuivre dans le même sens? Vous vous rendez compte que le gouvernement a un travail important à faire; cela ne fait aucun doute. Nous devons cibler un tant soit peu nos interventions. Peut-être pourriez-vous y réfléchir un peu, monsieur Sadik. Essayez de penser à une suggestion que nous pourrions faire au gouvernement fédéral pour améliorer la situation. Seriez-vous prêt à faire cela pour nous?

M. Sadik : Certainement. Nous avons formulé un ensemble de 15 recommandations pour le gouvernement fédéral. Nous avons dressé une liste de quatre dossiers prioritaires. Je vous ai déjà indiqué une mesure que le gouvernement doit prendre, et cela ne concerne pas le budget. Il doit instaurer un mécanisme transparent au sein du ministère des Finances aux fins de l'examen des mesures et des instruments fiscaux pour la protection de l'environnement.

La vice-présidente : Cela relève de leur administration.

M. Sadik : Cela relève de l'administration bureaucratique au niveau du ministre et au niveau du ministère, de telle sorte que le comité sénatorial, les comités des Communes, les citoyens canadiens, les groupes d'intérêt et les intervenants puissent déterminer si le gouvernement du Canada et le ministère des Finances prennent vraiment au sérieux les questions liées au développement durable. C'est une situation qui a vexé au plus haut point la commissaire à l'environnement et au développement durable; Johanne Gélinas vous l'a dit elle-même. C'est à elle qu'il incombe d'effectuer une vérification relativement à ce ministère et elle n'a même pas pu le faire.

Pour répondre à votre question concernant le budget, quelques mesures devraient s'y retrouver tôt ou tard parce que de nombreux pays du monde sont déjà allés de l'avant en ce sens. Il faut introduire dès maintenant des contre-incitatifs à la combustion de carburants fossiles, de charbon, de pétrole, de gaz naturel et de diesel. Il faut instaurer une taxe raisonnable en fonction du degré de dommage à l'environnement que cause un carburant fossile donné, parce qu'ils n'ont pas tous été créés égaux. Il convient de mettre en œuvre cette mesure progressivement en l'accompagnant de nombreux avertissements de telle sorte que l'industrie puisse s'adapter.

Une telle taxe produirait deux résultats. Premièrement, les industries visées commenceraient à envisager d'autres modes de production d'énergie en étant avisées de façon appropriée que c'est là une obligation. Deuxièmement, les sommes ainsi obtenues pourraient être réinjectées dans l'économie dans le cadre d'initiatives qui nous siéent, comme la production d'énergie renouvelable, la réduction du taux d'imposition sur les investissements, la diminution des charges sociales pour la main-d'œuvre, la baisse des cotisations à l'assurance-emploi et la réduction des remises d'impôt à l'employeur au titre de la santé. Bon nombre de pays prennent déjà des mesures du genre et obtiennent des résultats très probants. Le Canada fera de même tôt ou tard. Plus vite nous commencerons, moins le processus sera pénible pour nous.

Il est également prioritaire que nous transférions les subventions actuellement versées au secteur des ressources non renouvelables vers d'autres secteurs plus écologiques dont nous souhaiterions appuyer le développement. Dans un rapport publié cette semaine, le Pembina Institute for Appropriate Development indiquait que le gouvernement fédéral à lui seul versait 1,46 milliard de dollars par année en subventions sous forme d'incitatifs fiscaux au secteur du pétrole et du gaz naturel. C'est un secteur qui, ce n'est pas un secret pour personne, génère des bénéfices énormes. Il profite néanmoins d'allégements fiscaux de l'ordre de 1,46 milliard de dollars par année.

Je ne prétends pas que ces allégements fiscaux devraient être éliminés sur-le-champ. Je soutiens qu'ils devraient être retirés progressivement parce que le secteur du pétrole et du gaz naturel n'en a pas besoin. Nous devons appuyer d'autres secteurs pour favoriser notre développement durable à long terme.

Le sénateur Angus : Les subventions me posent un problème. Que dire des subventions accordées à l'industrie automobile sans qu'aucune obligation n'y soit rattachée?

M. Sadik : Il est totalement insensé d'octroyer des subventions sans y adjoindre des obligations.

Le sénateur Angus : Cela n'a aucun sens. Nous leur donnons tout cet argent et nous ne les obligeons pas à favoriser l'utilisation de moteurs hybrides ou de carburant mélangé à l'éthanol, pas plus qu'à restreindre le nombre de véhicules utilitaires. Le stationnement est rempli de véhicules du gouvernement qui polluent l'environnement. C'est aberrant.

M. Sadik : Ce n'est pas le bon exemple à donner.

Le sénateur Angus : Dans le cadre du Défi d'une tonne, il est question des véhicules que l'on laisse fonctionner au ralenti. Hier soir, l'autobus est demeuré en marche pendant trois heures et n'a fait qu'un seul déplacement.

Le sénateur Lavigne : J'ai changé de voiture cette année pour constater que j'avais une taxe à payer si je choisissais une auto qui valait plus de 50 000 $. J'ai donc opté pour une auto de valeur inférieure parce que je ne voulais pas payer cette taxe. Des mesures comme celles-là sont importantes; nous devons nous concentrer sur une intervention et nous assurer de la mener à bonne fin.

J'ai été député pendant 10 ans et lorsque j'avais un dossier à traiter dans ma circonscription, une circonscription pauvre soit dit en passant, je me concentrais sur ce dossier jusqu'à ce qu'il soit réglé.

Il faut que vous compreniez bien l'importance de se concentrer sur une chose à la fois. Au Sénat, je peux proposer une motion ou un projet et y accorder toute mon attention jusqu'à ce que le tout soit réglé. Après cela, je passe à un autre dossier. Je ne veux pas m'intéresser à 15 choses à la fois.

Je pense à la taxe sur les autos de plus de 50 000 $ et aux autres frais qui s'ensuivent. Si j'achète une auto de 55 000 $, j'aurai à payer davantage pour les assurances, pour l'essence et pour tout le reste. C'est une bonne façon de faire comprendre aux gens qu'il faut s'arrêter quelque part un jour.

Tous les sénateurs ici présents doivent vous aider à faire progresser vos propositions de telle sorte que le ministre et le premier ministre comprennent bien à quel point ce dossier est important. Il nous faut donner des exemples concrets comme la taxe sur les autos valant plus de 50 000 $. En outre, si vous faites la conversion du gaz naturel à l'électricité, vous pouvez obtenir une subvention, alors pourquoi ne pas mettre en valeur davantage cette possibilité de manière à mieux protéger l'environnement?

Bien des gens se prétendent défenseurs de l'environnement mais ne le sont pas vraiment. Ce sont des hypocrites parce qu'ils gaspillent l'énergie. Ce que mon collègue sénateur a dit est tout à fait vrai. La voiture d'un ministre demeure en marche pendant une heure et il ne peut pas dire à son chauffeur : « Ne laissez pas le moteur fonctionner. Entrez avec nous si vous voulez vous réchauffer. Il y a de la place pour vous. »

Nous sommes le gouvernement. Nous sommes censés donner l'exemple, mais nous n'agissons pas correctement. Certains disent que je suis le mauvais garnement du Sénat. Ce n'est pas vrai. Je suis simplement un gars qui dit ce qu'il pense.

Le sénateur Buchanan avait raison. Nous vivons dans un monde que nous pourrions rendre meilleur, mais nous ne faisons rien. Nous voulons projeter la meilleure image possible de nous-mêmes. Nous voulons toujours être les premiers en tout. Je ne veux pas être le premier en tout. Je me contenterais bien de la deuxième place.

M. Sadik : C'est presque aussi bien.

Le sénateur Lavigne : Sénateur Buchanan, n'êtes-vous pas d'accord? J'ai été élu à trois reprises dans ma circonscription. Cela s'explique facilement : j'étais près des gens à la base. J'étais au service des gens. C'était mon travail.

Le sénateur Angus : Nous voulons le sénateur Lavigne comme ministre des Finances.

Le sénateur Lavigne : Nous devons nous concentrer sur un objectif et ne jamais le perdre de vue.

M. Sadik : Sénateur, je prends bonne note de votre argument. C'est une critique qu'on entend souvent sur les tribunes de l'environnement et au sein de la Coalition du budget vert en particulier.

La coalition doit prendre en compte le contexte de realpolitik dont le sénateur Buchanan nous a parlé. La coalition est composée de 21 membres de toutes les régions du pays; 21 organisations différentes qui oeuvrent pour la conservation et la protection de l'environnement. Certaines de ces organisations s'intéressent aux changements climatiques alors que d'autres se concentrent sur l'eau, la forêt ou l'air. Malheureusement, elles sont incapables de s'entendre sur un secteur d'intervention prioritaire dont elles pourraient faire la promotion en collaboration avec vous.

Nous avons réussi à réduire notre liste à quatre priorités qui sont énumérées au début de notre rapport. Il y a aussi les onze autres priorités que nous avons placées à la fin. Nous n'avons pas pu en arriver à moins de quatre priorités parce que tous les ministères rivalisent pour faire valoir leurs mesures dans le processus budgétaire; tous les comités s'emploient à mettre leurs dossiers à l'avant-plan et à amener les médias à s'y intéresser.

Le sénateur Buchanan : J'aimerais faire une observation à ce sujet.

Le sénateur Lavigne : Nous disons toujours que l'électricité est une source d'énergie propre.

Le sénateur Milne : L'énergie hydroélectrique, oui.

Le sénateur Lavigne : C'est une source propre, mais lorsque les gens de ce secteur, qu'il s'agisse d'entreprises hydroélectriques ou d'autres intervenants, essaient de réaliser un projet, ils se heurtent presque toujours à de nombreux problèmes. Par exemple, si vous prenez une rivière...

[Français]

Si vous prenez une rivière et que vous voulez y faire un barrage, les poissons peuvent mourir; on peut perdre, par exemple, 50 000 truites. Par contre, il est étrange de voir que de toutes les autres sortes d'énergie qui sont polluantes, qui dérangent énormément, personne ne dit mot au Canada.

[Traduction]

Vous pouvez déplacer bien des choses et personne ne dit rien. C'est de la pollution. Quand il est question de projet électrique, on fait valoir que 1 000 poissons seront perdus dans la rivière visée. Qu'est-ce qui est plus grave, perdre 1 000 truites ou polluer avec des gaz ou des trucs du genre? Qu'est-ce qui est plus grave?

M. Sadik : Si vous demandez qu'on établisse un classement des sources d'énergie propre, il y a de toute évidence matière à discussion. On peut essayer de classer les différentes sources de production d'énergie par ordre de priorité. Je ne suis toutefois pas certain que cela nous permettrait de progresser. Nous pouvons envisager le recours à certaines sources d'énergie qui ne causent à peu près aucun dommage à l'environnement comme l'énergie solaire, éolienne, géothermique ou marémotrice. Si nous nous tournons vers ces sources d'énergie, en réduisant l'utilisation de toutes les autres sources non renouvelables, nous allons dans la bonne direction sans avoir à établir une hiérarchie des différentes sources. Nous pouvons passer d'un groupe ou d'un type de sources énergétiques qui causent des problèmes environnementaux à un degré plus ou moins grand à une autre catégorie ou classe de sources n'ayant pas un impact important sur l'environnement dans le cadre d'un processus lent, prudent et progressif au fil des ans. Je crois que c'est la solution à privilégier.

Le sénateur Lavigne : La réimplantation de poissons dans un autre milieu ne cause pas un grand problème environnemental. Il a été prouvé que vingt ans après la construction d'un barrage, vous pouvez vous retrouver avec deux ou trois fois plus de poissons qu'auparavant; peut-être pas les mêmes poissons, mais du poisson tout de même.

M. Sadik : Mais les barrages hydroélectriques ne causent-ils pas des problèmes lorsqu'ils inondent de vastes territoires? La vie y est détruite et le carbone des arbres et de la faune de ces zones inondées est relâché dans l'atmosphère.

Le sénateur Lavigne : Je suis d'accord également avec votre théorie; ces types d'électricité sont propres.

Le sénateur Buchanan : Un point intéressant qui ressort de toutes ces discussions c'est que lorsque vous essayez de faire quelque chose qui est vraiment bien, vous ne récoltez que très peu d'éloges. Cependant, lorsque vous faites quelque chose que certaines personnes jugent néfaste, elles n'hésitent pas à vous condamner. Lorsque j'ai été élu une première fois en 1967, j'ai été nommé ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et j'ai fait installer les premiers panneaux solaires sur un édifice public dans les provinces de l'Atlantique. Personne n'en a fait aucun cas. Puis, en 1986, nous avons construit la première usine de combustion de charbon sur lit fluidisé au Canada afin d'éliminer le SO2, et David Suzuki m'a traité de dinosaure.

J'ai communiqué avec lui pour qu'il m'explique sa déclaration. Je lui ai dit que nous avions éliminé le SO2. Il m'a demandé ce que nous faisions du CO2. Je ne savais pas de quoi il parlait mais j'ai fait les vérifications nécessaires. J'ai essayé de faire quelque chose que je jugeais avantageux. D'autres organisations ont indiqué que c'était une initiative valable. Ils ont dit que la Nouvelle-Écosse faisait un pas dans la bonne direction pour l'élimination du SO2; fini le temps où on s'en débarrassait sur le dos de Terre-Neuve. C'est une simple observation.

Le sénateur Angus : Il existe de nombreux types de pollution.

M. Sadik : Il existe en effet de nombreux types de pollution, et des petits pas dans la bonne direction se révèlent une très bonne chose.

Le sénateur Milne : Monsieur Sadik, mes sentiments sont partagés. J'aime votre proposition d'appliquer à l'échelle nationale plutôt qu'internationale le système de crédits de carbone, car cela permettrait de réduire les émissions de carbone au Canada et de garder l'argent au pays. D'un autre côté, du point de vue mondial, n'est-il pas moins cher et plus efficace de réduire les émissions d'une tonne en Russie qu'au Canada?

M. Sadik : Votre question comporte en quelque sorte deux parties. En raison de l'effondrement du régime soviétique à la fin des années 80, la Russie a déjà largement dépassé son objectif. Elle peut nous vendre ses crédits puisque le taux des émissions est déjà très bas chez elle. Nous paierons pour obtenir ces crédits, mais la planète ne bénéficiera pas d'une réduction des gaz à effet de serre.

Si nous créons au pays un incitatif visant à encourager les agriculteurs à capturer le carbone ou à planter des arbres, cela s'avérerait avantageux pour les agriculteurs, l'argent demeurerait au Canada et nous aurions davantage d'arbres. C'est beaucoup plus profitable que d'envoyer de l'argent dans un autre pays.

Le sénateur Milne : Pour capturer le carbone dans le champ d'un agriculteur, on peut cultiver du chanvre au lieu de planter des arbres; de cette façon, on récolte davantage de textile en moins de temps.

M. Sadik : C'est exact.

Le sénateur Milne : Ce qui me préoccupe également, ce sont vos propos à l'égard du fait que la mise en place de l'approche qui est suivie par certains autres pays exigerait beaucoup de temps et causerait beaucoup de problèmes. Je crois que c'est ce que vous avez dit.

M. Sadik : Il ne fait aucun doute.

Le sénateur Milne : Quand vous dites cela, je vois davantage de bureaucratie et la création potentielle d'un autre ministère. Je ne crois pas qu'à long terme le gouvernement économiserait de l'argent.

M. Sadik : Nous proposons qu'un secrétariat au développement durable soit créé au sein du Bureau du Conseil privé, précisément un secrétariat central chargé de conseiller et doté d'un certain pouvoir de décision afin de mettre tous les ministères sur la même voie. Je sais que cela ne se produira pas du jour au lendemain, mais c'est une solution de rechange à la création d'un nouveau ministère. Il n'existe pas de solutions faciles, tout comme il n'existe pas non plus de problèmes faciles. Les problèmes sont sérieux et complexes et les solutions seront nécessairement difficiles et complexes également.

Le sénateur Angus : Je veux vous interroger au sujet de l'éthanol. Je crois savoir que l'Union européenne vient tout juste d'adopter une nouvelle loi visant à obliger l'utilisation des carburants mélangés dans les véhicules fabriqués à partir d'une certaine date. D'après ce que je comprends — car je ne suis pas un scientifique — les grandes sociétés pétrolières et gazières doivent mélanger de l'éthanol à leur carburant, ce qui a un effet très bénéfique. En ajoutant une petite quantité d'éthanol, on contribue à réduire de façon considérable les émissions de dioxyde de carbone.

Je ne connais pas les détails, mais, si je ne m'abuse, l'éthanol est un produit dérivé des céréales et d'autres cultures de la sorte que le Canada cultive à grande échelle. L'éthanol est-il une ressource abondante au pays et, si c'est le cas, pourrions-nous adopter une loi semblable à celle mise en œuvre par l'Union européenne? Il me semble que cela entraînerait des bienfaits rapides.

M. Sadik : Toutes les automobiles qui fonctionnent à l'essence actuellement peuvent utiliser un carburant contenant 10 p. 100 d'éthanol sans qu'il soit nécessaire d'apporter des modifications au moteur. Il est maintenant possible d'acheter de l'essence comportant 10 p. 100 d'éthanol dans certaines stations d'essence au Canada. On mélange donc déjà de l'éthanol à l'essence. L'utilisation d'une essence composée à 10 p. 100 d'éthanol permet de réduire très peu les émissions de gaz à effet de serre, car la teneur en éthanol est très faible. Cette petite réduction peut être réalisée en utilisant de l'éthanol cellulosique, qui est fabriqué à partir de l'enveloppe de certaines plantes, comme le panic raide, et de copeaux de bois — ce devrait être idéalement des produits dérivés. Il n'est pas conseillé de cultiver du maïs uniquement pour produire de l'éthanol, parce qu'en cultivant ce qui est essentiellement une denrée de base pour faire de l'éthanol, on produit des gaz à effet de serre lors de la culture, de la fertilisation et de la récolte. Il vaut donc mieux utiliser un produit dérivé d'une plante que l'on cultive déjà.

La société Iogen Corporation, située en périphérie d'Ottawa, emploie une excellente méthode de fabrication de l'éthanol à partir de matières cellulosiques. Cette méthode est commercialisée et elle contribue à réduire dans une petite mesure les émissions de gaz à effet de serre. Elle ne permettra pas de résoudre tous nos problèmes, mais c'est une voie qui mérite d'être suivie.

Le sénateur Angus : Vous ne préconisez donc pas la modification de nos lois en vue de rendre obligatoire l'utilisation de ce type de carburant?

M. Sadik : Non, car les bienfaits sont minimes.

Le sénateur Milne : En agriculture, la culture du maïs engendre beaucoup de déchets. Toutes les tiges et les trognons de maïs peuvent facilement être utilisés pour produire de l'éthanol, tout en continuant d'obtenir les grains que l'on cultive de toute façon.

Je crois que, dans le nord de l'Alberta, on est en train de construire une usine qui utilisera des produits dérivés de l'industrie du bois d'œuvre.

La vice-présidente : Je rappelle aux sénateurs que nous allons visiter la société Iogen.

Monsieur Sadik, lorsque la commissaire à l'environnement a témoigné devant notre comité, elle a déclaré que le Canada se traîne les pieds quand vient le temps d'analyser l'impact du cadre fiscal fédéral sur l'environnement. Est-ce uniquement une question de volonté politique — je veux dire de la part du premier ministre, du ministre de l'Environnement et d'autres hauts fonctionnaires — ou existe-t-il d'autres obstacles de taille au changement, comme l'inertie ou la résistance bureaucratique?

M. Sadik : Dans une large mesure, c'est une question de volonté politique. Si la volonté est là, les fonctionnaires feront le travail. Le ministère des Finances peut le faire et le fera si on lui en donne l'ordre. En théorie, la volonté politique existe parce que, d'après une directive du cabinet, le ministère des Finances doit évaluer toutes ses propositions du point de vue de l'environnement. Cependant, les fonctionnaires ne prennent pas cette directive au sérieux et personne ne les oblige à la prendre au sérieux. Alors je vous dis que oui, c'est une question de volonté politique.

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup de votre honnêteté. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu devant nous. Le dialogue a été fort intéressant et nous allons tenir bien compte de l'information que vous nous avez fournie.

Mesdames et messieurs les sénateurs, comme vous vous en souviendrez, nous avons fait parvenir une lettre au premier ministre pour lui demander que le ministre des Finances devienne un membre permanent du Comité spécial sur le développement durable et l'environnement.

La réponse que j'ai reçue se lit en partie comme suit :

À propos de votre suggestion concernant la participation du ministre des Finances aux travaux du Comité spécial sur le développement durable et l'environnement à titre de membre permanent, je vous signale que le ministre est membre d'office de tous les comités dont il n'est pas déjà membre permanent.

Eh bien, nous savons cela.

De plus, les ministres autres que les membres permanents peuvent au besoin être invités par le président à participer aux audiences du comité spécial.

Le comité spécial joue un rôle important puisqu'il lui incombe d'examiner de façon globale les priorités du gouvernement en matière de développement durable et d'environnement. Même s'il peut, à titre de comité spécial, formuler des recommandations officielles à l'intention du cabinet, toutes les décisions prises concernant ces recommandations demeurent la prérogative du cabinet.

En ce qui a trait à l'idée de créer un ou plusieurs postes de conseillers en développement durable au sein de mon cabinet ou du Bureau du Conseil privé (BCP), il importe de vous signaler que les représentants du BCP appuient actuellement le comité spécial dans son travail. De façon générale, le BCP et mon cabinet veillent à ce que les propositions de politiques soient conformes aux principales priorités du gouvernement, comme l'environnement et le développement durable.

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles a un rôle clé à jouer pour faire progresser le plan d'action pour le développement durable.

La séance est levée.


Haut de page