Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 12 - Témoignages du 19 avril 2005
OTTAWA, le mardi 19 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), se réunit aujourd'hui à 17 h 10 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vois que nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte. C'est une réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles pour examiner le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.
Avant d'entamer les travaux du jour, honorables sénateurs, j'aimerais vous rappeler que nous devrons régler quelques questions d'ordre administratif, comme d'habitude, à la fin de la réunion, et j'aimerais par la même occasion m'assurer que vous avez reçu certaines informations.
Je pense qu'on vous a distribué les lettres du ministre en réponse à certaines questions que je lui avais posées dans ma lettre du 8 mai. J'ai ici, en plus, un feuillet que je viens de demander au sénateur Milne l'autorisation de photocopier, qui à mon avis vous sera utile. Si vous le voulez, je vous en remettrai volontiers une copie. Il n'est pas dans les deux langues, mais c'est une observation utile qu'a fait M. Paul à propos de certaines des questions que nous avons posées.
Comme je l'ai dit, nous examinons le projet de loi C-15. Nous accueillons aujourd'hui des témoins importants et intéressants sur le sujet, le premier étant l'honorable Tom Osborne, ministre de l'Environnement et de la Conservation de Terre-Neuve et Labrador. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur le ministre. Il est accompagné de John Drover, le directeur de la politique et de la planification du ministère de l'Environnement et de la Conservation de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue messieurs.
Je suppose que vous avez certaines choses à nous dire. Je vais vous demander de le faire avec toute la célérité possible, dans la mesure où vous nous dites tout ce que vous avez à nous dire, pour que nous puissions avoir le temps d'un échange par la suite. Monsieur le ministre, je vous laisse la parole.
L'honorable Tom Osborne, ministre de l'Environnement et de la conservation, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion aujourd'hui de comparaître devant votre comité pour vous entretenir d'un sujet extrêmement important. J'ai le privilège, en ma qualité de ministre de la Couronne et de par mes responsabilités et obligations personnelles, de vous présenter nos points de vue sur le projet de loi C-15. J'ai également eu le privilège, en novembre 2004, de m'adresser sur le même sujet au comité permanent des Communes sur l'environnement et le développement durable. Mon but aujourd'hui est tout simplement de vous inciter à faire passer le projet de loi C-15 sans y apporter d'autre amendement.
On vous a bombardé, je le sais, de données et de contradictions et, sans aucun doute, d'opinions intéressées sur ce que le projet de loi C-15 fera et ne fera pas. Je comprends également que vous recherchiez un avis juridique indépendant sur les questions liées aux engagements internationaux. Ce que je veux vous transmettre aujourd'hui, c'est le point de vue de ceux qui, parmi nous, côtoient de très près le problème. Ceux qui, parmi nous, ont pendant des siècles tiré de la mer et de la côte leurs moyens de subsistance, leurs loisirs et leur culture. Ceux qui parmi nous se promènent, en ce moment même, le long de la côte et trouvent des oiseaux morts et agonisants. Nous sommes les témoins directs des conséquences négatives insurmontables d'avoir négligé de protéger l'environnement et les espèces dont nous étions responsables.
Messieurs les sénateurs, il est difficile de comprendre comment une société civilisée et progressive, dont nous nous réclamons, peut continuer à tolérer, chaque année, la destruction égoïste, cruelle et inutile de centaines de milliers d'oiseaux marins en contrepartie d'infimes économies de coûts réalisées par les propriétaires de navires. Bon nombre d'entre nous avons vu les effets des vastes déversements de pétrole, les nappes de pétrole traînant derrière les navires renégats, les plages polluées. Cependant, quand vous voyez de près les conséquences d'une quantité même infime de pétrole sur les oiseaux marins, vous voyez comment elle réduit la capacité isolante de leurs plumes, comment elle les empêche de digérer leur nourriture, comment elle les conduit vers une mort lente et cruelle, vous vous posez des questions. Quand on constate les conséquences du déversement délibéré et criminellement intentionnel du mazout dans l'océan par ceux qui naviguent dans nos eaux, quand on constate l'ampleur de la destruction et l'insignifiance du gain financier, vos responsabilités à titre de législateurs et de personnes humaines deviennent très évidentes.
Dans mon exposé, vous remarquerez que j'ai inclus des photographies prises par mon personnel, qui vous donnent un aperçu du problème. Je suis convaincu que vous avez visité le site Web d'Environnement Canada, sur lequel vous pouvez visionner des vidéos montrant le niveau de destruction de notre côte Atlantique par le déversement délibéré de mazout dans nos océans. Il suffit de voir ces témoignages photographiques pour comprendre l'extrême urgence de faire avancer l'adoption du projet de loi C-15. Les membres de mon personnel m'ont suggéré d'apporter quelques oiseaux de mer enduits de mazout à cette audience, mais je ne veux pas tomber dans la dramatisation à outrance. Je retiens néanmoins leur suggestion, car cela vous permettrait de constater de près et personnellement les conséquences de l'inaction et des retards.
Nous voyons depuis un demi siècle à Terre-Neuve-et-Labrador des rapports sur les oiseaux mazoutés. Le Service canadien de la faune signale qu'entre 1984 et 1999, 62 p. 100 des oiseaux morts trouvés sur les plages de Terre-Neuve étaient des oiseaux mazoutés. J'ai même vu des évaluations plus élevées. Je sais également qu'aux États-Unis, le pourcentage est inférieur à 10 p. 100.
Je ne doute pas que vous sachiez que pour chaque oiseau mazouté trouvé, il y en a dix qu'on n'a pas trouvé. Selon les évaluations, plus de 300 000 oiseaux meurent chaque année au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. Comme je l'ai fait observer lors de mon exposé au Comité permanent de la Chambre des communes sur l'environnement et le développement durable, la mort de 300 000 oiseaux par an correspond à une tragédie de l'ampleur de l'Exxon Valdez ou du Prestige se produisant chaque année, sans exception. Essayez de vous imaginer cela, une tragédie de l'ampleur de celle de l'Exxon Valdez se produisant chaque année sans exception. Quelle catastrophe! Pouvons-nous justifier, voire même trouver une explication logique à ce que nous n'ayons rien fait pour résoudre le problème? Pouvons-nous même évoquer des retombées économiques ou de quelconques intérêts supérieurs? Y a-t-il un besoin essentiel défendable ou un motif de politique valable quelconque pour retarder l'adoption du projet de loi C-15? Sénateurs, je ne le pense pas.
Honorables sénateurs, j'ai examiné l'ordre du jour des délibérations antérieures. Il est décourageant de constater que chaque représentant de l'industrie de la navigation a accordé son soutien sans réserve aux objectifs et buts du projet de loi C-15. Même Environnement Canada a reconnu que l'industrie de la navigation est généralement constituée de personnes respectueuses de l'environnement et que les transporteurs canadiens sont les meilleurs du lot. Cependant, l'industrie reconnaît également qu'elle compte dans ses rangs des navires scélérats peu recommandables, des entreprises sans scrupule et des capitaines irresponsables — 5 p. 100 de ces membres, je crois — qui sont la cause de tous les problèmes. L'industrie offre même son aide pour éliminer les méchants, les pirates, les scélérats et les incompétents. Ce sont de bonnes nouvelles et elles sont de bon augure pour l'avenir.
Cependant, je me pose la question, où était l'industrie de la navigation avant que ne plane sur elle la menace de cette réglementation? Pourquoi l'industrie de la navigation ne s'est-elle pas acharnée contre ces navires délinquants avant aujourd'hui? Comment se fait-il que ces navires continuent d'afficher ce mépris flagrant pour notre environnement côtier et pourquoi choissent-ils de polluer les eaux canadiennes et non les eaux américaines? La réponse à ces questions est simple... Ces navires choisissent de polluer nos eaux avant d'entrer les eaux américaines parce que dans les eaux canadiennes, la surveillance n'est pas aussi serrée que dans les eaux américaines; les amendes imposées sont plus lourdes lorsqu'ils sont pris en flagrant délit du côté américain; les États-Unis sont davantage résolus à prévenir ce type de crime environnemental, même au niveau judiciaire. Alors pourquoi envisageriez-vous d'amender ce projet de loi tel qu'il vous est présenté?
Honorables sénateurs, certaines photographies auxquelles j'ai fait allusion ont été prises dans la réserve écologique et le refuge d'oiseaux de Cape St. Mary's, sur la côte est de Terre-Neuve. C'est un endroit qui est beau, merveilleux et magique, qu'aucun photographe n'a encore su capter adéquatement. J'organiserais avec plaisir une visite de l'endroit si vous avez la chance de venir dans notre belle province. Le refuge est l'une des attractions touristiques les plus populaires de notre province. Chaque année, ce site est visité par des gens de nombreux pays qui viennent voir de près ce qui est maintenant l'un des derniers refuges de la sorte sur la planète.
Imaginez seulement, en tant que touriste, la vue d'oiseaux recouverts de mazout et mourant dans une réserve écologique. La réserve écologique de Cape St. Mary's est une aire de reproduction de nouveaux oiseaux marins, notamment du mergule nain, du guillemot et du moyac eider. Elle est également une aire d'hivernage des huards, des cormorans, des goélands, des rares eiders à tête grise, de la mouette et de bien d'autres oiseaux. Elle abrite les macreuses noires et la plus grande concentration d'arlequins plongeurs, une espèce en voie de disparition, de l'Est canadien. Jusqu'à tout récemment, le canard plongeur figurait sur la liste des espèces en péril et commence maintenant à se rétablir. Malheureusement, ce refuge est situé directement sur la voie des traînées de mazout qui sont rejetées sur nos rives chaque année.
En dépit des efforts consentis par des professionnels et des volontaires courageux et dévoués pour nettoyer les oiseaux mazoutés — et je les félicite de tout coeur pour ces efforts — ceux-ci sont, malheureusement, pour la plupart futiles. Un oiseau mazouté est un oiseau mort.
Honorables sénateurs, quand je me suis présenté devant le comité permanent, certains intervenants de l'industrie de la navigation ont argumenté que les lois actuelles étaient à même d'atteindre les objectifs du projet de loi C-15, que nous devions nous fier aux accords internationaux actuels, que nous devrions laisser l'industrie régler le problème, que nous ne devions pas tenir les capitaines de navire et les officiers mécaniciens en chef criminellement responsables.
Je répondrai simplement à ce genre de prise de position et d'argument que la réglementation actuelle, de toute évidence, ne fonctionne pas. Les accords internationaux ne protègent pas notre écosystème. L'industrie de la navigation n'a pas veillé à ce que ses membres respectent la réglementation. Nous devons rendre les propriétaires, les capitaines et les exploitants responsables de leurs actions si nous voulons que nos lois soient efficaces. Plusieurs membres du comité permanent ont adopté des positions semblables aux miennes.
Le député fédéral Bob Mills, de Red Deer, a indiqué qu'il s'était intéressé pour la première fois à ce problème en 1996 et que « bien peu de choses ont changé », que le déversement continu du mazout dans la mer « en dit long sur l'intégrité de l'industrie de la navigation » et que les capitaines de navire « ne peuvent continuer à se passer la balle et dire que c'est la responsabilité des autres ».
Le député Biron Wilfert de Richmond Hill a déclaré que « plus nous tarderons à agir, plus vaste sera notre problème environnemental ». Personnellement, j'irais plus loin et j'avancerais que nous sommes déjà confrontés à un grave problème environnemental.
Honorables sénateurs, voilà pourquoi je me présente devant vous aujourd'hui. Voilà pourquoi je vous incite vivement à adopter le projet de loi C-15 le plus rapidement possible.
Les représentants d'Environnement Canada vous ont dit qu'en ce qui a trait à la réglementation actuelle, le gouvernement ne détient pas un pouvoir suffisamment grand pour faire appliquer ces lois. Ils ont déclaré que le projet de loi C-15 est dicté par une préoccupation environnementale grave et pressante. Ils ont ajouté que le projet de loi C-15 ne fait qu'apporter des éclaircissements sur les pouvoirs d'application et donne au gouvernement la capacité d'appliquer efficacement les deux lois — la LCOM et la LCPE — dans la zone économique exclusive.
Environnement Canada affirme également que le projet de loi C-15 harmonisera notre structure fine avec celle des États-Unis. Comme vous le savez, de nombreux navires passent par les eaux canadiennes pour se rendre dans les ports américains et bon nombre de navires scélérats trouvent qu'il est plus rentable de déverser leur mazout au Canada, puisque les amendes sont considérablement plus faibles.
Même si ces navires sont appréhendés en eaux canadiennes et déclarés coupables, l'amende moyenne est de 25 000 $. L'amende moyenne aux États-Unis est de un million de dollars. C'est tout simplement une analyse des risques, une analyse des coûts, et c'est un risque que les 5 p. 100 de propriétaires de navires délinquants sont prêts à prendre.
J'aimerais profiter de cette occasion pour féliciter mes collègues d'Environnement Canada de leurs efforts admirables pour faire avancer cette importante loi. Il est tout à fait évident que les ressources d'application de la loi doivent être accrues et que l'élaboration de techniques de surveillance sera utile, mais nous avons, avant toute chose, besoin de renforcer nos lois.
Honorables sénateurs, en ce qui concerne l'industrie de la navigation, dans laquelle œuvrent de nombreux électeurs de ma propre circonscription, compte tenu de son appui apparemment inconditionnel à la nécessité fondamentale d'agir pour prévenir les catastrophes environnementales actuelles de l'emploi de celles de l'Exxon Valdez, je dirais extirpons les fruits véreux, les 5 p. 100, les irresponsables, les incompétents et les criminels qui saccagent l'environnement. Les « bons » n'ont rien à perdre et rien à craindre.
Je souhaiterais ajouter aussi qu'il ne s'agit pas uniquement d'une affaire d'oiseaux. Les oiseaux sont, selon moi, un indicateur. Nous devrions également nous préoccuper des effets cumulatifs biophysiques et économiques des déversements du pétrole sur les poissons, sur les écosystèmes terrestres et marins, sur le tourisme et sur notre capacité permanente de nettoyer les dégâts que les navires délinquants et les propriétaires mécréants laissent sur leur passage, en particulier ceux qui ne sont que de passage dans nos eaux pour des raisons de commodité.
Messieurs les sénateurs, que coûterait-il à l'industrie si elle appliquait la loi proposée? Je répondrai des coûts insignifiants, les coûts liés aux profits et pertes de toute entreprise. Nous n'insisterons jamais assez sur la gravité de la situation et l'urgence d'adopter sans attendre et sans amendement le projet de loi C-15.
Je tiens à vous exprimer encore une fois mes sincères remerciements pour m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mon point de vue et de mes préoccupations sur ce grave problème auquel est confronté le gouvernement de Terre-Neuve et Labrador, mais également nous tous, les résidents du Canada atlantique. J'ai eu plusieurs entretiens avec mes homologues, les ministres de l'Environnement de chacune des autres provinces de l'Atlantique et du Québec. Nous nous sommes rencontrés sur ce thème particulier, à ma demande, à deux occasions. Je puis vous assurer que mes homologues de l'Atlantique m'appuient dans ma démarche auprès du Sénat.
Soyez assurés que la province de Terre-Neuve et Labrador est prête à accorder son appui sans réserve au gouvernement fédéral pour l'adoption du projet de loi C-15, lequel est essentiel pour garantir une meilleure protection de notre milieu marin, et des espèces marines pour le bénéfice des générations actuelles et futures, et également pour le bénéfice des nombreuses personnes qui comptent sur ce milieu pour leur subsistance, entre autres les pêcheurs, les exploitants de bateaux d'excursion, l'industrie touristique pour qui le refuge d'oiseaux est un atout important. Nous devons assurer la protection écologique de vastes régions de notre pays.
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le sénateur Cochrane : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre, et monsieur Drover. Je suis heureux que vous ayez pris le temps de venir nous voir aujourd'hui. Comme je viens moi-même de Terre-Neuve, je connais le sort terrible de nos oiseaux. Le déversement illégal ne peut être justifié. Nous avons laissé faire pendant tellement longtemps, mais le temps est venu d'agir.
À la suite du déversement survenu en mars, des eiders ont été recouverts de mazout et se sont échoués sur la rive. Lorsqu'un oiseau, quel qu'il soit, est recouvert de cette huile, il perd sa capacité de flottaison et se noie s'il n'est pas poussé sur la berge par le vent. C'est un sort horrible.
Est-ce qu'un navire a été accusé de déversement illégal d'huiles usées dans cette affaire? Dans la négative, pourquoi? C'est arrivé en mars, et à ce que je comprends, ce déversement illégal s'est fait tout près de la côte.
Pourriez-vous faire le point sur cet incident?
M. Osborne : Aucune accusation n'a été portée contre un navire. De fait, on n'a pas pu trouver le coupable. Le ministre fédéral de l'Environnement m'a assuré qu'une fois que le projet de loi C-15 sera adopté, il y aura réallocation des ressources et des mesures supplémentaires d'application de la loi seront prises, et il est certain que nous en avons besoin. Avec la capacité de détecter les déversements de pétrole dans l'océan au moyen d'un radar, nous décelons plus souvent ces nappes, mais nous n'en trouvons pas toujours les auteurs. Dans le brouillard et la nuit, il est très difficile de voir les navires qui commettent des infractions dans nos eaux.
J'ai déjà avisé le ministre fédéral qu'une fois que ce projet de loi sera adopté, je m'attendrai à recevoir des ressources supplémentaires pour l'application de la loi. Le ministre fédéral semble très favorablement disposé à cet égard.
Le sénateur Cochrane : Est-ce qu'il a énoncé un montant particulier qu'il fournirait? Nous ne sommes pas encore sûrs qu'il y ait des ressources disponibles.
M. Osborne : Non, il ne l'a pas fait, mais il a néanmoins dit que dans le passé, il est arrivé qu'il manque d'harmonie entre les ministères, et l'un des objectifs du projet de loi C-15, à ce qu'on m'a dit, est de favoriser l'harmonie. Par exemple, en ce qui concerne le Tecam Sea, sur lequel nous avions beaucoup de preuves, si ce projet de loi avait été en place à ce moment-là, le navire n'aurait pas pu s'en tirer. Le projet de loi C-15 aurait donné suffisamment de pouvoir pour porter des accusations probantes contre ce navire.
Le sénateur Cochrane : Par conséquent, des accusations ont été portées contre le bâtiment, mais seule une amende minimale lui a été imposée?
M. Osborne : Je suppose que c'est à cause du manque de coordination qui existait à l'époque. Le projet de loi vise à encadrer les ministères fédéraux, à regrouper les ressources dont ils ont besoin. Le ministre fédéral a parlé, si je ne m'abuse, d'une réaffectation des ressources. D'après mon ministère et mon gouvernement, et d'après les conversations que nous eues avec le gouvernement fédéral, si le projet de loi C-15 avait été en place à l'époque, le Tecam Sea aurait été sanctionné. Nous savons tous qu'il était coupable. Il n'a tout simplement pas été sanctionné.
Le président : Je précise, pour le compte rendu, que le bâtiment n'a pas échappé aux accusations.
M. Osborne : Non.
Le président : Des accusations ont été portées contre lui, sauf qu'elles ont été abandonnées. C'est ce que vous voulez dire quand vous affirmez qu'il n'a pas été sanctionné.
M. Osborne : C'est exact, monsieur le président. Le projet de loi nous permet, entre autres, de prendre des mesures contre des navires au-delà de la limite de 12 miles, c'est-à-dire dans la zone économique exclusive de 200 miles. À l'heure actuelle, nous ne pouvons, contrairement à ce que propose le projet de loi C-15, engager des poursuites contre un navire qui commet une infraction à 50 miles de nos côtes.
Le sénateur Cochrane : Des représentants de l'industrie des transports ont déclaré devant le Comité permanent de l'environnement et développement durable de la Chambre des communes que le projet de loi allait pénaliser la vaste majorité des compagnies de transport qui se comportent en bons exploitants pour régler un problème causé par quelques bâtiments délinquants.
Des propriétaires de navires ont également soutenu que certains obstacles pratiques peuvent contribuer au problème, notamment un manque d'installations d'élimination des huiles usées dans les ports canadiens.
De quelle façon le projet de loi C-15 pénaliserait-t-il les bons exploitants?
M. Osborne : Je ne suis pas avocat. Toutefois, j'ai analysé le projet de loi, et le nouvel article 13 précise, au paragraphe (1.8), ce qui suit :
La personne ou le bâtiment ne peut être déclaré coupable d'une infraction à la présente loi, autre que la contravention aux alinéas 5.2a), c) ou d) ou à l'article 5.3, s'il prouve qu'il a pris toutes les précautions voulues pour prévenir sa perpétration.
Par ailleurs, les agents d'exécution auront le choix de porter ou non des accusations contre le contrevenant. Si le bâtiment affiche, de manière générale, un bon dossier et que la petite quantité de pétrole qu'il a déversé ne cause que peu de dommages à l'environnement ou aucun, ils pourront décider s'il y a lieu ou non de porter des accusations. Leur décision sera ensuite examinée par le procureur général du Canada. La Couronne aura le pouvoir d'engager des poursuites et de déterminer s'il est dans l'intérêt public de le faire. Le tribunal, lui, déterminera la peine à infliger. Toutefois, avant qu'une amende ne puisse être imposée, la Couronne devra prouver hors de tout doute raisonnable qu'une infraction a été commise.
Le sénateur Cochrane : C'est ce que dénoncent les propriétaires de navires. S'ils s'estiment innocents, ils ne devraient pas être obligés de le prouver. C'est l'un des arguments qu'ils ont invoqués.
Le sénateur Milne : Je ne sais pas qui assume les coûts de nettoyage le long des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Est-ce le gouvernement? Les groupes de bénévoles, comme le Sierra Club, que nous allons entendre plus tard dans la journée? Si c'est le gouvernement, combien ont coûté, l'an dernier, les opérations de nettoyage des déversements de pétrole?
M. Osborne : Vous posez une question intéressante, sénateur. Je n'ai malheureusement pas l'information devant moi. Toutefois, de manière générale, il est difficile de nettoyer un déversement de pétrole en raison des conditions météorologiques. Il est impossible de récupérer le pétrole.
Le nettoyage du pétrole qui finit par aboutir sur nos plages relève de la responsabilité de la province.
Nous trouvons, plusieurs fois par année, des milliers et des milliers d'oiseaux mazoutés sur nos plages. Or, les amendes infligées au Canada n'ont rien à voir avec celles imposées aux États-Unis, parce que le système judiciaire au Canada, pour une raison ou pour une autre, ne considère pas ce problème comme étant grave. Les amendes imposées tournent autour de 25 000 $. C'est un risque qu'il vaut la peine de prendre. L'environnement côtier, les personnes qui tirent leur gagne-pain de la mer et les oiseaux sont les grands perdants, pour l'instant.
Le sénateur Milne : Vous prêchez des convertis. Je me demande tout simplement quelle part de son budget Terre-Neuve consacre au nettoyage des zones touristiques. Laissez-vous les oiseaux morts dans l'eau pour qu'ils se désintègrent et disparaissent? Que faites-vous? Vous devez sûrement prévoir des sommes dans votre budget pour couvrir ces coûts.
M. Osborne : Des subventions sont accordées aux bénévoles qui se chargent de recueillir les oiseaux et de nettoyer les lieux.
Le sénateur Milne : Est-ce que ce sont surtout des bénévoles qui font le travail?
M. Osborne : Pour l'instant, oui.
Le sénateur Angus : Monsieur le ministre, bienvenue. Je suis heureux de vous rencontrer. Monsieur Drower, merci d'être venu.
J'ai lu votre exposé et j'ai écouté votre témoignage avec beaucoup d'intérêt. Je suis arrivé en retard, et je m'en excuse. J'assistais à une autre réunion.
Je ne conteste pas ce que vous dites. Nous partageons un objectif commun, soit celui de trouver une solution à ce fléau national. Terre-Neuve n'est pas la seule province à être touchée, bien entendu. On trouve des milieux marins fragiles ailleurs au Canada. Or, les sources de pollution sont nombreuses. Les navires ne sont pas les seuls coupables. Vous le savez fort bien.
En fait, ils ne représentent qu'un faible pourcentage des sources de pollution, d'après les documents que nous avons reçus. Les navires océaniques constituent, apparemment, une source de pollution parmi d'autres. D'après un rapport des Nations Unies, seulement 5 ou 10 p. 100 du pétrole déversé provient des navires.
M. Osborne : C'est faux. Environ 62 p. 100 des oiseaux morts trouvés sur nos plages sont des oiseaux mazoutés, ce qui veut dire qu'environ 38 p. 100 ne le sont pas.
Le sénateur Angus : Le pétrole pourrait provenir d'autres sources. Je ne veux pas me lancer dans un débat là-dessus. Je ne fais que citer le rapport.
Vous dites que les lois sont inadéquates, que le projet de loi C-15 est nécessaire. À votre avis, est-ce que le fait que l'application des lois laisse à désirer contribue également au problème?
M. Osborne : Les lois doivent être appliquées de façon plus rigoureuse. Les amendes imposées doivent également être plus élevées. Tant que nos amendes ne seront pas harmonisées avec celles des États-Unis, les navires vont tout simplement continuer de considérer les eaux canadiennes comme un paradis de la pollution. Ils vont continuer de déverser leurs eaux de cale huileuses dans les eaux canadiennes avant de pénétrer les eaux américaines. La grande majorité des navires qui polluent nos eaux et qui commettent ce crime flagrant contre l'environnement ne s'arrêtent jamais, j'en suis convaincu, dans un port canadien.
Le sénateur Angus : Peut-être. Tout ce que je veux, c'est qu'on règle le problème. Toutefois, je ne veux pas qu'on parte de fausses hypothèses.
Je suis certain que vous connaissez la Loi sur la marine marchande du Canada. L'article 191 nous donne une idée des amendes que prévoit la loi, qui est déjà appliquée au Canada.
L'article dit, et je cite :
Commet une infraction la personne ou le bâtiment qui contrevient à :
Il mentionne l'article 187, rejet d'un polluant, et précise plus loin, sous la rubrique « Peines » :
L'auteur d'une infraction visée au paragraphe (1) encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 1 000 000 de dollars et un emprisonnement maximal de dix-huit mois, ou l'une de ces peines.
La loi existe depuis de nombreuses années. Cette somme ne vous semble-t-elle pas considérable? Pourquoi imposons-nous des amendes peu élevées?
M. Osborne : Je vous renvoie la question. En tant qu'avocat et ancien président de l'Association canadienne de droit maritime, vous savez que ces amendes n'ont jamais été imposées, que les avocats représentant les navires délinquants réussissent à faire en sorte que leurs clients s'en tirent avec des amendes minimales, au pire, qu'ils ne paient aucune amende.
Vous le savez, vous qui êtes un ancien président et un membre à vie de l'Association.
Le sénateur Angus : Membre honoraire à vie. J'ai dû faire quelque chose de bien.
M. Osborne : Vous savez que ces amendes n'ont jamais été imposées.
Le sénateur Angus : Je ne veux pas me disputer avec vous. Ce que nous cherchons avant tout, c'est de connaître les faits afin de pouvoir déterminer si cette loi est bonne ou mauvaise. Vous dites que l'amende moyenne est de 25 000 $. J'ai lu dans les journaux, comme vous l'avez sûrement fait, il n'y a pas plus d'un an de cela, qu'un navire de l'entreprise appartenant au premier ministre ou à sa famille s'est vu infliger l'amende la plus élevée de notre histoire, soit quelque 280 000 $, si ce n'est pas plus.
Nous avons une loi. Je viens de vous lire l'article qui prévoit l'imposition d'amendes. Pendant que je rentrais de Montréal, ce matin, on a porté à mon attention un article qui traite d'une affaire très récente. Je vais vous en faire la lecture. Il est tiré de la revue Canadian Sailings, en date du 14 mars :
Déversement d'une substance huileuse : amende infligée à un bateau de pêche et à son capitaine.
Il est question ici d'un bateau de pêche, non pas d'un grand bâtiment délinquant. Il est prouvé que la majorité des rejets illégaux d'eaux de cale huileuses proviennent de petits navires qui ne sont peut-être pas assujettis à certains de ces autres processus. On dit ici, le lieu d'origine étant Halifax, que :
Un bateau de pêche japonais et son capitaine se sont vus imposer une amende de 60 000 $ par la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse par suite du déversement illégal d'une substance huileuse dans les eaux canadiennes.
Le nom du navire est le Hime Maru no38.
L'amende est beaucoup plus élevée que 25 000 $. Il existe une autre loi qui prévoit des peines allant jusqu'à un million de dollars. Je veux savoir si le problème tient non pas à l'absence de lois sévères, mais à l'absence de ressources, de...
M. Osborne : Non. Le problème, sénateur, sauf votre respect...
Le sénateur Angus : Puis-je poser la question?
M. Osborne : Certainement.
Le sénateur Angus : Contrairement à ce que vous venez de dire, l'affaire du Tecam Sea s'est produite non pas parce que le projet de loi C-15 n'existait pas, mais parce que la Garde côtière relève maintenant du ministère des Pêches et des Océans. Nous sommes en train d'examiner le projet de loi C-3, qui vise à renverser cette décision. Le Comité des pêches et des océans de la Chambre des communes a utilisé le Tecam Sea comme exemple dans son rapport, parce que ce dossier aurait dû être confié à la Garde côtière. Je ne sais pas. Je me demande tout simplement si cette raison n'est pas la bonne.
M. Osborne : Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord.
Le sénateur Angus : Très bien. Vous avez droit à votre opinion.
M. Osborne : Je suis encore une fois obligé de vous dire qu'environ 3 p. 100 des oiseaux morts trouvés sur les côtes américaines sont englués de pétrole. Plus de 60 p. 100 des oiseaux morts trouvés sur les côtes de Terre-Neuve sont mazoutés. Le mazout possède ses propres empreintes. On peut le retracer. Et non, la mort de ces oiseaux est attribuable non pas à d'autres sources, mais aux eaux de cale huileuses.
Si je puis me permettre, nous savons que la mort des oiseaux trouvés sur nos côtes est attribuable, dans la grande majorité des cas, aux eaux de cale huileuses : 62 p. 100 des oiseaux qui sont trouvés morts sont mazoutés. Nous savons qu'il y a littéralement des douzaines de navires qui déversent tous les ans des eaux de cale huileuses au large de nos côtes, chose qui ne se produit pas aux États-Unis.
Les États-Unis appliquent peut-être leurs lois de façon plus rigoureuse. Devons-nous améliorer nos mécanismes d'exécution? Absolument. Toutefois, si aucune infraction n'est commise aux États-Unis, c'est, en grande partie, à cause des amendes : Elles incitent les propriétaires de navires à se demander s'ils sont prêts à courir le risque de se voir infliger des amendes élevées. Ils sont prêts à le faire dans nos eaux parce que les amendes, ici, sont très faibles et peu fréquentes. Les deux cas que vous avez mentionnés constituent les seules exceptions à la règle.
L'amende maximale, au Canada, est de un million de dollars. Encore une fois, en tant que membre honoraire à vie de l'Association canadienne de droit maritime, vous savez, sénateur, sauf votre respect, que la grande majorité des navires s'en tirent à bon compte. Les amendes ne sont pas assez élevées. Récupérer les eaux de cale huileuses déversées dans un port coûte, en moyenne, entre 5 000 et 10 000 dollars. Si le propriétaire d'un navire sait qu'il a peu de chances de se faire prendre et d'être condamné, que l'amende moyenne est de 25 000 dollars, il va analyser les risques et les coûts et finir par déverser le pétrole dans nos eaux et souiller nos écosystèmes marins, parce qu'il estime que le risque vaut la peine d'être pris. Voilà ce qu'il en est.
Le sénateur Angus : C'est là votre opinion, comme vous l'avez dit. Vous voulez savoir si je la partage. Eh bien, sauf votre respect, je pense que, dans ce cas-ci, vous avez tort.
Le terrible mazoutage d'oiseaux qui est survenu récemment dans votre région n'était pas attribuable aux déchets huileux déversés par un navire, mais à l'important déversement qui s'est produit sur l'une des plates-formes pétrolières. Vous le savez fort bien.
M. Osborne : C'est faux. Franchement, il a été déterminé, à partir des empreintes, qu'il s'agissait d'eaux de cale huileuses. Les canards arlequins ont été tués par les rejets d'eaux de cale huileuses. La plate-forme Terra Nova n'y était pour rien. Le déversement qui s'est produit à cet endroit était accidentel. Nous avons analysé les oiseaux morts. Le ministère provincial a suivi la situation de près. Parmi les oiseaux trouvés morts, très peu avaient été victimes du déversement de la plate-forme Terra Nova. Les canards arlequins avaient été tués par les rejets d'eaux de cale huileuses.
Le sénateur Angus : Vous en connaissez la raison. Vous avez bien fait de suivre la situation de près; cela vous a permis de limiter les dégâts. Toutefois, l'incident de Terra Nova témoigne de l'existence d'une autre source de pollution. Un autre déversement s'est produit, comme vous le savez, aux installations de l'île de Sable.
Vous avez utilisé le mot « accidentel ». Tout ce que je dis, c'est que des accidents peuvent se produire. Je ne suis pas non plus d'accord avec ce que vous dites parce que nous avons déjà des lois, des lois qui, à mon avis, sont adéquates. S'il y a eu de la confusion, c'est parce que les agents d'exécution ne savaient pas si c'était le ministère de l'Environnement ou celui des Transports qui...
M. Osborne : Le projet de loi C-15 va, en partie, corriger ce problème.
Le sénateur Angus : Je ne vous ai pas interrompu. Je ne poserai pas d'autres questions.
Le président : Avant d'aller plus loin, monsieur le ministre, je tiens à dire, toujours dans le même ordre d'idées, que la Loi sur la marine marchande du Canada prévoit l'imposition d'une amende maximale de un million de dollars. Le projet de loi C-15 prévoit la même chose. Or, ce n'est pas l'amende maximale prévue en vertu d'une loi du Parlement qui semble poser problème, mais plutôt le recours, par les tribunaux, du pouvoir d'imposer des amendes. Pouvons-nous en discuter pendant quelques instants?
Mis à part la question de savoir si ces deux projets de loi sont tous les deux nécessaires, si nous avons déjà un régime qui prévoit l'imposition d'une amende de un million de dollars, amende qui n'a jamais été perçue, pourquoi mettre en place une autre loi qui prévoit, elle aussi, l'imposition d'une amende de un million de dollars? Qu'est-ce qui nous fait croire que l'amende serait imposée? Pouvez-vous répondre à la question?
M. Osborne : Monsieur le président, merci d'avoir posé la question. Les deux mesures prévoient l'imposition d'une amende maximale de un million de dollars. Le projet de loi C-15 a ceci de différent qu'il imposerait une amende minimale de 500 000 dollars ou de 100 000 dollars, selon l'infraction qui a été commise. Nous savons tous que nous avons besoin de ressources additionnelles pour assurer l'application des lois. Si les propriétaires de navires, surtout de navires délinquants, savent qu'ils risquent de se voir infliger une amende de 500 000 dollars, et même s'ils sont conscients que le Canada ne possède tout simplement pas les mêmes ressources que les États-Unis, cette amende va, à tout le moins, constituer un puissant désincitatif. Les navires délinquants sauraient que, s'ils se faisaient prendre en flagrant délit de déversement et qu'ils déduisaient l'amende imposée, solution qui coûte moins cher que l'élimination légale des eaux de cale huileuses au port, le coût de l'amende serait de beaucoup supérieur à la solution légale.
Le président : L'amende minimale à laquelle vous faites allusion s'applique aux bâtiments jaugeant 5 000 tonnes ou plus, n'est-ce pas?
M. Osborne : Oui.
Le sénateur Christensen : Ce qui préoccupe entre autres les propriétaires de navires, puisque vous avez sans doute lu leur témoignage, c'est que la mise en application du projet de loi C-15 serait assurée par des gardes-chasse et non par des agents de prévention de la pollution, nommés en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, connaissent bien l'industrie du transport maritime. Quel est votre avis là-dessus?
M. Osborne : Vous posez une excellente question, sénateur. Manifestement, bien qu'il existe un sérieux manque de ressources et qu'on ait de la difficulté à assurer le respect des règlements en vigueur, on préférerait tous que cette tâche soit confiée aux agents de Transport Canada ou de la Garde côtière. Toutefois, les gardes-chasse ou les agents de conservation auraient le pouvoir de détenir un navire jusqu'à l'arrivée des autorités compétentes. Ils tiendraient lieu, à tout le moins, de ressources additionnelles.
Le sénateur Christensen : On nous a dit que le projet de loi C-15 n'était pas conforme aux conventions internationales existantes. Est-ce que votre ministère a trouvé des preuves en ce sens dans ses recherches?
M. Osborne : Les fonctionnaires d'Environnement Canada nous ont dit que le projet de loi était conforme aux conventions internationales. Je ne suis pas avocat. Je m'en remettrai aux avis juridiques que votre comité sollicitera sur le sujet.
Le sénateur Christensen : Je me demandais si votre ministère s'était penché là-dessus.
M. Osborne : Non, il ne l'a pas fait. Il a tout simplement demandé aux fonctionnaires d'Environnement Canada s'il y avait violation ou non. Environnement Canada nous a dit qu'il avait consulté le ministère de la Justice et qu'il n'y avait aucun problème de ce côté-là.
Le sénateur Christensen : Les représentants de l'industrie soutiennent que le projet de loi va dissuader les jeunes de faire carrière dans le transport maritime en raison des lourdes amendes qu'ils pourraient se voir infliger et parce qu'ils devront démontrer qu'ils font preuve de diligence raisonnable. Ceux qui ont passé toute leur vie en mer et qui ont accédé aux postes de capitaine ou de mécanicien en chef prétendent que personne ne voudra envisager ce type de carrière à l'avenir. Je viens d'une province maritime. La question m'inquiète. Quel est votre avis là-dessus? Pensez-vous que le projet de loi va avoir un effet dissuasif sur les jeunes?
M. Osborne : Pas du tout. Les lois et les amendes aux États-Unis sont beaucoup plus sévères. Les possibilités d'emploi sont plus nombreuses là-bas que dans ma province. Toutefois, les peines sévères n'empêchent pas les gens aux États-Unis de faire carrière dans le transport maritime. Je ne veux pas minimiser vos préoccupations, mais on pourrait sans doute établir une analogie avec l'excès de vitesse sur l'autoroute et l'amende qui est imposée en cas de condamnation. Il revient au conducteur de démontrer au tribunal qu'il ne faisait pas de la vitesse sur l'autoroute, comme l'a indiqué le policier. Cela ne vous empêche pas de conduire une voiture.
Le sénateur Christensen : J'aimerais poser une autre question au sujet des amendes. D'après les propriétaires de navires, les amendes imposées aux capitaines ou aux mécaniciens trouvés coupables constituent pour eux et leurs familles un lourd fardeau à supporter. Selon moi, l'employé d'une société de transport maritime travaille sous les auspices ou la direction de celle-ci. N'est-ce pas la société, et non l'employé, qui devrait payer les amendes imposées?
M. Osborne : Les capitaines, de même que l'équipage, doivent assumer une certaine part de responsabilité quand ils déversent des eaux de cale huileuses. Sinon, ils ne se sentiraient pas obligés d'agir comme il se doit.
Le sénateur Christensen : Merci.
Le sénateur Buchanan : Monsieur le ministre, merci d'être venu nous rencontrer. Je voudrais vous parler des infractions criminelles du projet de loi, un sujet qui me préoccupe beaucoup. J'ai rencontré des représentants syndicaux qui travaillent comme commandants, capitaines, mécaniciens. Ce qu'ils craignent, c'est que les capitaines ou les mécaniciens soient accusés en cas de premier déversement accidentel. On m'a dit qu'ils le seraient, mais que s'ils sont accusés et qu'ils arrivent à démontrer qu'ils ont fait preuve de diligence raisonnable, que ce n'était pas leur faute, ils seraient acquittés. Cette réponse ne me convient pas, car la personne accusée d'un acte criminel, même si elle est acquittée, se retrouve avec un dossier entaché, non seulement au sein de la compagnie de transport maritime, mais également au sein de toute l'industrie.
Aux États-Unis, quand un déversement accidentel se produit, aucune accusation criminelle n'est portée. Seule une amende est imposée. Une accusation criminelle ne peut être portée que si le déversement des eaux de cale huileuses est intentionnel et délibéré, l'infraction, dans ce cas-là, exigeant la mens rea. D'où la nature criminelle de celle-ci. Toutefois, un capitaine ou un mécanicien ne ferait l'objet d'aucune accusation si le déversement était accidentel. C'est là que se situe la différence. D'après certains, cet aspect-ci du projet de loi C-15 risque de dissuader les jeunes de devenir capitaines, mécaniciens, commandants.
Vous avez dit que les possibilités sont plus grandes aux États-Unis. C'est vrai. Toutefois, n'oubliez pas que les déversements accidentels, aux États-Unis, ne font pas l'objet d'infractions au criminel. Cela fait toute une différence.
M. Osborne : Vous avez raison. Il est vrai que les lois canadiennes et américaines sont différentes.
Le sénateur Buchanan : C'est cet aspect-là qui me déplaît. Comme vous le savez, je viens de la Nouvelle-Écosse.
M. Osborne : Je sais. J'ai suivi votre carrière au fil des ans. C'est un plaisir de vous rencontrer, sénateur.
Le sénateur Buchanan : Le principe qui sous-tend le projet de loi est excellent. Il n'y a aucun doute là-dessus. Il y a deux points qui me préoccupent. D'abord, l'accusation au criminel qui est portée en cas d'accident. Ensuite, le pouvoir qu'ont les gardes-chasse de porter des accusations contre les personnes responsables de déversements. En Nouvelle-Écosse, le garde-chasse arrête les personnes qui chassent illégalement le chevreuil ou qui pêchent en dehors de la saison.
Ces deux points préoccupent un grand nombre de personnes au sein de l'industrie du transport maritime. Dans les provinces de l'Atlantique, et surtout à Halifax, nous comptons beaucoup sur cette industrie. C'est d'ailleurs sur la côte de l'Atlantique que l'on retrouve deux des plus gros terminaux à conteneurs.
Vous avez raison de dire qu'il y a beaucoup d'oiseaux morts au large de Terre-Neuve. Les bâtiments étrangers déversent plus de pétrole au large de Terre-Neuve qu'au large de la Nouvelle-Écosse. Je pense que c'est parce que les couloirs de navigation, à cet endroit, sont situés très près de la côte.
Malheureusement, le projet de loi, bien qu'il cible les bâtiments étrangers, va capter dans ses mailles de nombreux navires de l'industrie canadienne du transport maritime.
Le président : Pas s'ils n'ont rien à se reprocher.
Le sénateur Buchanan : Je parle de déversement accidentels. La charge de la preuve étant inversée, le garde-chasse, s'il trouve 10 gallons de pétrole à côté d'un bâtiment, pourra porter des accusations contre le capitaine.
M. Osborne : Comme l'a dit le président, s'ils n'ont rien à se reprocher, ils n'ont rien à craindre. Le projet de loi prévoit une disposition sur la disculpation.
Le sénateur Buchanan : Ils pourraient faire l'objet d'accusations.
M. Osborne : Oui, mais le garde-chasse qui veut inspecter un bâtiment doit, au préalable, obtenir le consentement du ministre. S'il veut ordonner à un bâtiment de se rendre en un lieu ou s'il veut le détenir, il doit, au préalable, obtenir le consentement du procureur général. Par ailleurs, les inspecteurs auront le choix de porter ou non une accusation. La Couronne pourra déterminer si elle veut aller de l'avant avec l'accusation une fois que l'inspecteur aura pris une décision en ce sens. La Couronne, via le procureur général, aura le pouvoir de décider d'aller de l'avant avec l'accusation, s'il est dans l'intérêt public de le faire, ou de l'abandonner.
Le sénateur Buchanan : Je me trompe peut-être, mais le projet de loi précise que les gardes-chasse peuvent porter une accusation sans obtenir au préalable le consentement du ministre. Ils ont toutefois besoin de ce consentement pour porter une accusation contre un bâtiment étranger.
M. Osborne : Avant de saisir les tribunaux de l'affaire, la Couronne devra décider si elle entend aller de l'avant avec l'accusation.
Le sénateur Buchanan : Vous, qui êtes un politicien très intelligent de Terre-Neuve, accepteriez-vous que le projet de loi soit modifié pour faire en sorte que les capitaines et les mécaniciens ne soient pas accusés au criminel en cas de déversement accidentel?
M. Osborne : S'il a été déterminé que le déversement est accidentel, pourquoi pas? Toutefois, j'accepterais difficilement qu'on modifie le projet de loi pour éliminer l'imposition d'une amende minimale.
Le sénateur Buchanan : Je comprends ce que vous dites. Les gens à qui j'ai parlé s'inquiètent du fait qu'ils vont être considérés comme des criminels, même s'ils sont acquittés, si un déversement accidentel se produit.
M. Osborne : Vous avez raison, surtout s'ils arrivent à démontrer qu'il s'agit bien d'un déversement accidentel — et j'insiste sur le mot « accidentel ».
Le sénateur Buchanan : Si le déversement est délibéré, ils devraient faire l'objet d'accusations.
Le sénateur Spivak : Comment peut-on déverser accidentellement des eaux de cale huileuses? En effectuant une fausse manœuvre? Comment un déversement accidentel peut-il se produire si le navire n'a rien frappé?
M. Osborne : Il est probable, dans le cas d'eaux de cale huileuses, que le déversement soit délibéré. Il existe d'autres pollutions par hydrocarbures qui peuvent être jugées accidentelles. Toutefois, les chances qu'un déversement d'eaux de cale huileuses soit accidentel sont minces.
Le sénateur Spivak : Si je pose la question, c'est parce qu'il est peu probable que des accusations soient portées si le déversement est accidentel. Si le pétrole provenait d'une autre source, on assisterait à un autre type d'enquête. Les déversements accidentels constituent une grande source de préoccupation. Toutefois, dans notre système de droit, les personnes innocentes ne sont pas traduites devant les tribunaux et ne font pas l'objet de poursuites, surtout dans un domaine aussi technique que celui-ci.
M. Osborne : Je suis d'accord avec vous sur ce point, mais je suis également du même avis que le sénateur Buchanan. L'incident de Terra Nova a été jugé accidentel. Il est pratiquement impossible de déverser accidentellement des eaux de cale huileuses.
Pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Buchanan, si l'on peut prouver hors de tout doute raisonnable qu'il s'agit d'un accident, j'accepterais volontiers qu'on apporte une modification au projet de loi. Toutefois, si le déversement est délibéré — comme c'est le cas avec les eaux de cale huileuses — je voudrais qu'on impose aux contrevenants des peines qui les dissuaderaient de recommencer.
Le président : Heureusement, monsieur le ministre, dans l'exemple que vous donnez, le fardeau de la preuve est la diligence raisonnable, non pas la preuve hors de tout doute raisonnable. Dans le cas de la prépondérance des probabilités, le fardeau est moins lourd.
M. Osborne : C'est exact.
Le sénateur Adams : Est-ce que les bâtiments ont le droit de déverser des polluants à l'extérieur de la limite de 200 milles du Canada et des États-Unis?
M. Osborne : Malheureusement, sénateur, le Canada n'exerce aucune compétente au-delà de la limite de 200 milles. Le comité doit déterminer quelle est la meilleure façon de punir les navires délinquants qui polluent nos eaux à l'intérieur de la zone de 200 milles.
Le sénateur Adams : De nombreux pétroliers américains passent par là. Ils doivent savoir que les déversements sont illégaux.
M. Osborne : C'est une zone neutre, une zone où le droit maritime international pourrait sans doute être appliqué.
Le sénateur Adams : Avez-vous un ministère de l'Environnement à Terre-Neuve?
M. Osborne : Oui.
Le sénateur Adams : Est-ce que vous effectuez, à l'instar des groupes environnementalistes, beaucoup d'études sur le sujet?
M. Osborne : Oui.
Le sénateur Adams : Est-ce que vous travaillez parfois avec ces groupes quand un déversement illégal se produit ou que des oiseaux sont mazoutés? Je veux m'assurer que les choses sont claires. Est-ce que ces photos ont été prises par votre gouvernement, par le ministère de l'Environnement?
M. Osborne : Elles ont été prises par mon personnel.
Le sénateur Adams : D'après les groupes environnementalistes, le pétrole tue chaque année 300 000 oiseaux. Est-ce vrai?
M. Osborne : Oui. Ce chiffre a été établi par un médecin qui suit l'évolution de la situation depuis plusieurs années. Il préfère toutefois pécher par excès de prudence. C'est ce qu'on fait quand on ne peut fournir de chiffre précis. On préfère pécher par excès de prudence. Il y a de fortes chances qu'il y en ait plus de 300 000.
Le sénateur Adams : Il y a un mois, le comité a cherché à savoir comment on pouvait établir que 300 000 oiseaux meurent chaque année. Vous n'avez pas d'équipement en mer. La seule façon que vous pouvez arriver à le savoir, c'est en comptant les quelques oiseaux morts qui s'échouent sur les côtes. Comment êtes-vous arrivé au chiffre 300 000?
M. Osborne : Je vous renvoie au rapport d'étude. Si je me souviens bien, des flotteurs ont été placés dans l'eau pour simuler les oiseaux. Tout a été calculé soigneusement. Je pense, toutefois, qu'ils ont compté le nombre de flotteurs qui se sont rendus jusqu'à la côte. L'étude, de même que les chiffres, ont été examinés par des spécialistes. Ces chiffres constituent, selon moi, une estimation prudente.
Le président : Sénateur Adams, cette étude a été remise aux membres du comité. Nous pouvons vous en fournir une autre copie, mais nous avons recueilli des témoignages là-dessus et nous avons reçu le rapport.
Le sénateur Adams : Je veux m'assurer que j'ai bien compris. Concernant les flotteurs, est-ce un appareil ou un canard qui flotte dans l'eau?
Le président : Nous allons vous fournir une autre copie du rapport, parce que tout y est expliqué en détail. C'est le groupe Nature Canada qui nous l'a remis.
M. Osborne : Mon directeur des politiques me dit que la méthode est décrite en détail dans le rapport.
Le sénateur Adams : J'ai du mal à comprendre. Il y a des canards migrateurs dans l'Arctique. Les environnementalistes nous disent qu'un grand nombre d'entre eux meurent. Il affirme — ce sont les Inuits qui sont confrontés au problème — que les canards eiders meurent à cause des déversements de pétrole. Nous vivons à cet endroit. Il nous arrive parfois de chasser, sauf que nous chassons rarement les eiders. Ce que nous faisons surtout, c'est cueillir des oeufs pendant deux mois. Est-ce que ce sont des eiders que l'on trouve le long de la côte de Terre-Neuve?
M. Osborne : Oui. On trouve plusieurs espèces d'oiseaux à cet endroit. Il y a des photos sur le refuge d'oiseaux dans la documentation que je vous ai remise. Par exemple, je crois qu'il y a 300 000 couples de puffins dans ce refuge en particulier qui, d'ailleurs, est situé en plein dans le couloir de navigation. Les eiders ont été touchés par le récent déversement qui s'est produit. Les nappes de pétrole et les oiseaux mazoutés, et il y en avait littéralement des centaines, ont atteint la réserve écologique elle-même. D'autres oiseaux ont été retrouvés à l'extérieur de celle-ci. Des centaines et des centaines de canards englués de pétrole ont été recueillis.
Le sénateur Adams : Cette question nous préoccupe aussi. Nous avons demandé au ministère de l'Environnement, à Ottawa, de renforcer les mesures d'exécution. Le travail s'effectue surtout sur le terrain. Les compagnies de transport maritime utilisent différents types d'hydrocarbures. Parfois, nous ne savons pas quel bâtiment est responsable du déversement parce qu'il n'est plus là. Le projet de loi C-15, une fois adopté, va nous permettre de mieux faire appliquer la loi en mer. Êtes-vous du même avis?
M. Osborne : Oui. En tout cas, je l'espère.
Le sénateur Adams : Vous avez besoin de matériel. Les compagnies de transport maritime affirment qu'elles doivent avoir un échantillon des différents types d'hydrocarbures qu'elles utilisent. Si le navire n'est plus là et que vous n'avez pas d'échantillon, qui allez-vous arrêter?
M. Osborne : On peut prélever un échantillon sur un oiseau mazouté et retracer le type de produit utilisé, tout comme on peut prélever les empreintes digitales ou l'ADN. On peut retracer le mazout utilisé. S'ils prélèvent un échantillon de mazout sur le navire soupçonné de déversement et le comparent à l'échantillon prélevé sur l'oiseau, ils pourront établir avec certitude que le mazout trouvé sur l'oiseau est le même que celui qu'utilise le navire. Chaque type de mazout présente des caractéristiques chimiques qui lui sont propres. On peut très bien les apparier. Je ne sais pas si j'ai répondu à la question.
Le sénateur Adams : D'après les compagnies de transport maritime, le pétrole peut souiller n'importe quoi. Il peut même souiller le bateau d'une personne qui, sans le savoir, va toucher la nappe de pétrole.
M. Osborne : On ne prélèverait pas un échantillon sur la coque. On analyserait, en fait, le mazout qu'utilise le navire.
Le sénateur Cochrane : J'ai une autre question à poser. La semaine dernière, nous avons rencontré sept représentants de la Fédération maritime du Canada. Ils ont dit que s'il y a des déversements illégaux, c'est sans doute parce que nos ports ne sont pas équipés d'installations adéquates qui permettent aux navires de traiter leurs huiles usées.
Qu'en pensez-vous?
M. Osborne : Je sais qu'à St. John's, il y a deux entreprises, dont Crosbie Industrial, qui récupèrent les eaux de cale huileuses des navires. Elles desservent les navires qui mouillent dans le port.
Je suis ministre depuis seulement un an et demi. Notre gouvernement est au pouvoir depuis seulement un an et demi. Toutefois, il est vrai que nos installations d'élimination des huiles usées laissent à désirer. Nous en sommes conscients. Nous savons que nous n'avons pas les mêmes installations ou ressources que d'autres, mais plusieurs ports dans la province sont munis d'installations qui permettent de récupérer les eaux de cale huileuses.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous déjà remarqué s'il y avait des bateaux qui attendaient de faire traiter leurs eaux de cale huileuses, ou vous a-t-on déjà indiqué qu'il y en avait qui attendaient?
M. Osborne : Non.
Le sénateur Cochrane : Vous ne considérez pas cela comme un problème?
M. Osborne : Non. Le projet de loi C-15 va nous permettre de nous doter d'installations, car nous ne pouvons pas obliger un navire en provenance d'Europe, qui se dirige vers les États-unis et qui navigue dans nos eaux, de s'arrêter dans un port. Les navires doivent pouvoir naviguer librement dans nos eaux. Nous ne pouvons pas obliger un navire à s'arrêter dans un port canadien. Toutefois, parmi ceux qui le font, s'il y en a un plusieurs qui veulent avoir accès à des installations pour éliminer légalement leurs eaux de cale huileuses, cela ne peut-être que positif sur le plan économique.
Le sénateur Cochrane : Merci d'être venu.
Le président : Ce serait une bonne chose. Cela permettrait de créer des emplois.
M. Osborne : Absolument.
Le président : Y a-t-il — je ne sais pas si vous connaissez la réponse, monsieur le ministre — des ports à Terre-Neuve et au Labrador qui peuvent accueillir des navires gros porteurs, mais qui ne possèdent pas de telles installations? Y en a-t-il?
M. Osborne : Tous les ports capables d'accueillir des navires gros porteurs sont situés dans des centres économiques qui comptent, aux yeux de Terre-Neuve et du Labrador, une population assez importante. À Edmonton, ces centres seraient sans doute considérés comme petits.
Le président : Il y a très peu de navires qui vont jusqu'à Edmonton.
M. Osborne : Les ports qui, dans notre province, peuvent accueillir les navires gros porteurs auraient accès à des installations capables de traiter les eaux de cale huileuses.
Le président : Sénateurs, nous avons demandé au ministère des Transports de nous indiquer de façon précise les coûts qui se rattachent à ces installations. Nous savons qu'Halifax dispose de telles installations.
Je voudrais vous poser une dernière question, monsieur le ministre. Quand l'entreprise Crosbie récupère une partie des eaux de cale huileuses d'un navire à St. John's, qu'est-ce qu'elle en fait?
M. Osborne : Elle en assure le traitement. Je vais demander à M. Drover de répondre à la question, car il suit le dossier de plus près. Je sais toutefois qu'il existe, à cet égard, un protocole bien établi. Il y a des régions, dans la province, qui utilisent les huiles usées, une fois brûlées, comme combustible.
Le président : À la condition qu'elles soient traitées adéquatement. Nous ne voulons pas créer un autre problème.
M. Osborne : Il est désormais illégal de déverser des hydrocarbures dans les sites d'enfouissement.
M. John Drover, directeur, Politique et planification, ministère de l'Environnement et de la conservation, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : Les entreprises comme Crosbie ont des installations de traitement. Elles utilisent des séparateurs huile/eau, et traitent ensuite l'huile pour éliminer les autres contaminants qui s'y trouvent. C'est le processus qu'elles utilisent habituellement. Comme l'a mentionné le ministre, elles ont uniquement le droit d'en déverser certaines quantités dans les égouts. Les eaux de cale doivent toutefois être traitées.
Il existe un marché, surtout auprès des grandes installations industrielles qui brûlent, par exemple, du mazout C, et qui peuvent également brûler ce type de combustible. Certaines de ces installations traitent les huiles usées qui proviennent des véhicules, par exemple. Côté économique, il y a des entreprises qui sont prêtes à prendre de l'expansion pour assumer ce rôle, si la demande existe. Je sais que le projet de loi ne vise pas à créer une demande, mais si la demande pour de tels services existe, il y a des entreprises qui sont disposées à y répondre.
Le sénateur Hubley : Il y a environ 5 p. 100 des membres de l'industrie du transport maritime qui n'agissent pas de façon responsable, qui n'éliminent pas adéquatement leurs eaux de cale huileuses. Il doit pourtant y avoir des documents, n'est-ce pas, qui permettent de vérifier qu'un navire a déchargé un certain pourcentage ou une certaine quantité de ses eaux de cale huileuses auprès d'une installation? N'existe-t-il pas de tels documents?
M. Osborne : Je crois comprendre qu'ils doivent tenir des dossiers, mais le problème tient en grande partie au fait que les bateaux ne mouillent jamais dans un port canadien. Ils naviguent tout simplement sur nos eaux en provenance d'Europe, vers les États-Unis. Si nous ne concluons pas, avec les ports américains, une entente en vue de partager cette information, d'assurer l'application conjointe des lois et des amendes, il sera très difficile d'effectuer ce genre de vérification.
Le sénateur Hubley : Je me demandais tout simplement si c'était possible. J'ai pensé qu'on pourrait, de cette façon, nous assurer que tous les navires traitent adéquatement leurs eaux de cale huileuses. Merci.
M. Osborne : Je vous en prie.
Le président : Je vous remercie d'être venu nous rencontrer. Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur le ministre?
M. Osborne : Je tenais à dire que c'est un honneur pour moi de comparaître devant vous. Je tiens à remercier tous les sénateurs et tous les membres du personnel qui nous ont écouté aujourd'hui.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous allons maintenant entendre Mme Elizabeth May, du Sierra Club du Canada, de même que Mme Leigh Edgar et Mme Sandy Baumgartner, de la Fédération canadienne de la faune.
Mme Elizabeth May, directrice exécutive, Sierra Club du Canada : Je ne fais pas cela pour plaisanter, compte tenu de l'importance du sujet, mais il nous arrive, parfois, de garder certaines caricatures politiques. J'ai pensé que celle-ci valait la peine d'être partagée. Elle est tout à fait appropriée.
Le président : Est-elle dans les deux langues?
Mme May : Malheureusement, elle n'est qu'en anglais.
Le président : Comme c'est une caricature, nous pouvons peut-être faire une exception à la règle.
Mme May : Je voulais la distribuer en espérant que personne n'attache trop d'importance aux règles.
Je sais que vous avez mon mémoire en main. Je vais sauter l'introduction, car vous connaissez déjà notre organisme. Je vais mettre l'accent sur certains points importants qui concernent le projet de loi C-15. Nous avons contribué activement à l'élaboration de nombreuses mesures législatives qui englobent l'infraction de responsabilité stricte et la défense fondée sur la diligence raisonnable. Je tiens à dire d'emblée que nous appuyons les positions et les points de vue exprimés par le Fonds mondial pour la nature, Nature Canada et le Fonds international pour la protection des animaux. Je vais tenter de ne pas répéter ce qu'ils ont déjà dit. Toutefois, je tiens à préciser, comme l'a fait le ministre Osborne, que nous savons, d'après une étude scientifique que j'ai ici, qu'environ 300 000 oiseaux marins meurent chaque année au large de Terre-Neuve et du Labrador en raison de produits pétroliers déversés en pleine mer. Nous manquons de données fiables dans d'autres domaines. Il y a deux ans, en Nouvelle-Écosse, lors de deux incidents distincts, des oiseaux marins se sont échoués sur les côtes entre le cap Nord et le cap de Sable. On a alors confirmé la mort de 650 oiseaux, causée par des produits pétroliers. Si ces oiseaux se sont échoués sur la côte au lieu de dériver jusqu'au large, c'est à cause de la présence fort inhabituelle de vents du sud-ouest qui ont soufflé pendant une période de 10 jours, poussant les oiseaux vers la côte. Nous n'avons aucun moyen de savoir s'il s'agissait des seuls oiseaux tués par les produits déversés ou des seuls oiseaux que nous ayons pu voir en raison des conditions météorologiques inhabituelles.
Il est probable que les quelque 300 000 oiseaux retrouvés morts au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador chaque année ne représentent qu'une infime partie de l'immense carnage découlant de pratiques de transport on ne peut plus négligente, et du déversements d'huiles usées. J'ai lu les témoignages des diverses compagnies et associations de transport maritime qui ont comparu devant vous, et j'estime qu'il est important de revenir à l'origine du projet de loi C-15. On a parlé, plus tôt, du Tecam Sea. La décision des procureurs de laisser tomber les accusations a soulevé l'indignation publique. La radio et la télévision de la SRC ont présenté un reportage sur cette affaire.
Je me souviens très nettement de ce reportage. Les enquêteurs d'Environnement Canada, dévastés, racontaient comment ils avaient laborieusement réussi à prouver que le 8 septembre 2002, Tecam Sea se trouvait dans la zone d'une nappe d'hydrocarbures d'une superficie de plus de 100 kilomètres au large de Terre-Neuve. Des accusations ont été portées contre le capitaine, le chef mécanicien, les propriétaires et les exploitants du Tecam Sea en vertu de la Loi de 1994 sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) et la Loi sur la marine marchande du Canada.
En avril 2003, les procureurs ont décidé d'abandonner les poursuites. Ils n'ont pas été en mesure d'établir le bien-fondé de celles-ci, bien qu'ils détenaient ce que toute personne sensée aurait considéré comme une preuve : rapports de témoins oculaires, tournages vidéo montrant le Tecam Sea traînant une nappe d'hydrocarbures de 100 kilomètres, analyses chimiques de l'eau océanique, un grave cas de nappe d'hydrocarbures et des dégâts causés à l'environnement. Les Canadiens étaient indignés.
Environnement Canada et Transports Canada ont commencé à chercher des solutions. Le projet de loi C-15 constitue une partie importante de cette solution. Il y a encore beaucoup à faire, mais l'adoption du projet de loi C-15 est extrêmement importante.
Je vous ramène au Tecam Sea parce que les transporteurs qui se sont présentés devant vous se sont montrés persuasifs. Ils ont soulevé les questions relativement à la Charte canadienne des droits et libertés, à la criminalisation de gens d'affaires honnêtes et à l'inutilité des amendes minimales. Ils se sont même interrogés sur la raison pour laquelle ils entendaient « soudainement » parler d'oiseaux marins morts souillés par les hydrocarbures. Leurs témoignages faisaient fi de la réalité qu'on observe dans la vie de tous les jours et du fait qu'il est pratiquement impossible de poursuivre et d'imposer des amendes aux pollueurs qui oeuvrent au large des côtes du Canada.
Avant d'aborder la délicate question de la responsabilité stricte qui prévaut dans ce genre de situations, j'aimerais souligner quelques échappatoires mentionnées par les membres de l'industrie dans leurs témoignages. Dans son témoignage présenté le 22 mars, le capitaine Réjean Lanteigne, vice-président de l'Association des armateurs canadiens, se prononçait contre les amendes minimales. Son argumentation se fondait sur l'affirmation selon laquelle les amendes minimales ne sont pas considérées comme un moyen dissuasif efficace pour ceux qui cultivent illégalement de la marijuana. Il voudrait d'abord que les honorables sénateurs acceptent son affirmation non fondée selon laquelle cette hypothèse est exacte — c'est-à-dire que les amendes minimales ne dissuadent pas ceux qui cultivent de la marijuana — et, ensuite, que la même logique s'applique à l'industrie du transport maritime. Cela est peut-être trop évident pour nécessiter une correction, mais permettez-moi de souligner qu'il n'y a aucune comparaison possible entre les deux cas.
Dans un cas, il s'agit d'une entreprise de transport maritime qui cherche à demeurer rentable dans la poursuite de ses activités légales et dans l'autre, il s'agit d'une bande de criminels qui ne respectent pas la loi et dont le pourcentage de marge bénéficiaire tiré de la vente de drogues illicites est énorme. Le capitaine croit-il vraiment que ces deux cas et que l'effet dissuasif sont identiques? Si oui, parmi les témoins à s'être présentés devant vous, il est le seul qui cherche à criminaliser l'industrie du transport maritime. Si les amendes sont faibles, un propriétaire d'entreprise — qui manque de conscience environnementale, et on sait qu'il y en a — peut décider que l'entretien adéquat, le retour au port pour se défaire des eaux de cales huileuses de manière légale, et cetera sont des démarches trop onéreuses et que le paiement de quelques amendes constitue simplement le prix à payer pour la poursuite de ses activités. Imposer des amendes minimes revient à accorder un permis de pollution.
Dans leurs témoignages, ils ont aussi mentionné si le recrutement de bonnes personnes dans l'industrie du transport maritime était dissuasif ou non et s'il était difficile de recruter des travailleurs. M. Peter Lahay a témoigné devant le comité le 22 mars 2005 au nom de la Fédération internationale des ouvriers du transport. En faisant valoir que cette industrie était une bonne industrie qui attirait les jeunes, que ce type de loi effraierait les gens et que les gens ont le choix étant donné le rapide développement économique de pays comme la Chine, l'Inde et les Philippines, il a dit, « C'était intéressant d'aller travailler en mer pour gagner jusqu'à 1 400 $ américains par mois. » Permettez-moi de dire que ce sont des salaires de misère pour un travail très dur qu'ils ont comparé à un la vie d'un prisonnier risquant la peine de mort. Ils veulent que les gens travaillent pour 1 400 $ américains par mois. Ils ont du mal, aujourd'hui, à recruter des marins chinois à cause la croissance économique en Chine. M. Lahay a dit : « Vous pouvez le constater, les gens ne sont plus attirés par cette profession, notre main-d'oeuvre a été reléguée au second rang ». Si vous voulez faire valoir que vous dirigez une bonne entreprise et que vos employés ne seront pas négligents, alors il prouve tout le contraire. Je trouve cela étonnant.
Deuxièmement, le recours à la responsabilité fixe en matière d'infractions liées à la pollution est courant au Canada, comme l'ont mentionné d'autres témoins. La défense fondée sur la diligence raisonnable n'est pas la négation de la présomption d'innocence, cette dernière est pratiquement sacrée dans ce pays, comme il se doit. Il s'agit d'un principe de droit solidement rattaché à la protection d'un accusé dans une affaire criminelle, qui fait face à une infraction impliquant une intention délictueuse, et disposant d'une norme de preuve très élevée — soit une preuve hors de tout doute raisonnable. Cela ne s'applique pas à infraction de responsabilité s de moindre portée, tout simplement parce que les enjeux sont moins graves. La pollution en mer n'est pas une infraction du même ordre qu'un homicide ou un vol à main armée.
Dans la critique présentée par l'industrie du transport concernant le projet de loi C-15, il y a un élément qui est totalement absent et que je tire encore une fois de la vie de tous les jours : Les procureurs n'entament pas des poursuites pour des futilités. L'amendement prévu dans le projet de loi C-15 n'est pas destiné à poursuivre les pêcheurs qui déversent des quantités d'hydrocarbure de la taille d'une pièce de vingt-cinq cents à la surface de l'eau. Il est plutôt prévu pour les cas comme celui du Tecam Sea. Les ressources des procureurs sont limitées.
Dans les cas où les procureurs choisiront de poursuivre, le défendant devra assumer le fardeau de la preuve, selon la norme moins sévère de la prépondérance des probabilités selon lesquelles toutes les précautions raisonnables ont été prises et des procédures adéquates ont été appliquées. Aucun exploitant honnête n'aura de difficulté à établir cette preuve. Des dossiers bien tenus et un fonctionnement adéquat constitueront des preuves probantes, et probablement suffisantes pour dissuader toute idée de poursuite. C'est précisément pour cette raison que seuls les exploitants négligents seront poursuivis. Je ne crois pas que le gouvernement du Canada, les procureurs et le ministère de la Justice ou tout autre ministère impliqués dans les poursuites et qui surveillent la pollution marine soient intéressés à poursuivre ceux qui ne seront pas condamnés parce qu'ils sont de très bons exploitants.
Pourquoi avons-nous besoin du projet de loi C-15, comme les honorables sénateurs l'ont entendu de la part de témoins précédents, d'autres autorités ont adopté des lois plus sévères pour protéger les eaux côtières contre la pollution. Le régime d'application le plus pertinent pour les Canadiens est celui qui est en vigueur dans les eaux les plus proches, soit celles des États-Unis. En imposant des amendes plus faibles et une quasi-impossibilité de poursuites en vertu des lois actuelles, le Canada a créé un « paradis de la pollution ».
En vertu de l'ALENA, le Canada a commencé à harmoniser ses lois et règlements à ceux des États-Unis. Malheureusement, dans certains cas, cela s'est traduit par une réduction de la protection environnementale. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit plutôt de lois environnementales plus sévères. Nous devons augmenter nos amendes à un niveau comparable à celui des États-Unis.
Le 5 avril, une nouvelle est arrivée de Los Angeles relatant qu'une compagnie maritime, ironiquement appelée Evergreen, a été condamnée à payer une amende de 25 millions de dollars américains pour des infractions en matière de pollution. À cet égard, il est important aussi de noter que les sanctions pénales s'appliquent en vertu du droit américain pour des déversements considérés comme négligents et je ne sais pas quel serait un meilleur mot que « négligent » pour qualifier un accident. C'est de la tautologie.
Si nous n'augmentons pas nos amendes, si nous n'adoptons pas des lois aussi sévères que celles des États-Unis ou du Royaume-Uni, nous ouvrons la porte aux armateurs et aux équipages sans scrupules en les invitant à déverser leurs hydrocarbures ici avant d'entrer dans les eaux américaines. Comme d'autres témoins l'ont affirmé, le fait qu'uniquement 2,5 p. 100 des décès d'oiseaux retrouvés sur les côtes des États-Unis soient causés par des déversements de mazout, alors que de 1984 à 1992, le Service canadien de la faune a établi que 62 p. 100 des oiseaux trouvés morts sur les plages du Canada avaient été souillés par les hydrocarbures constituent une preuve éloquente des conséquences de l'existence de ce paradis de la .pollution dans les eaux canadiennes.
Il faut collaborer avec l'Organisation internationale de police (INTERPOL) afin de trouver et de poursuivre les pollueurs en mer. Il faut doter nos ports de meilleurs équipements pour recueillir les eaux de cales huileuses. C'est aussi une autre possibilité de création d'emplois.
La première étape vers un meilleur régime d'application de la loi est le projet de loi C-15. Je ne saurai trop insister alors que nous sommes dans une situation où nous pouvons perdre ce gouvernement n'importe quand, bien que je ne devrais peut-être pas le dire : je vous prie, Dieu, faites que ce projet de loi soit adopté. Sans lui, nous sommes paralysés et nos oiseaux sont menacés.
Mme Sandy Baumgartner, directrice exécutive, Programmes et communications, Fédération canadienne de la faune : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs. C'est pour nous, un très grand plaisir d'être ici. Je vais vous présenter brièvement la Fédération canadienne de la faune et Mme Edgar soulignera quelques éléments de notre exposé.
La Fédération canadienne de la faune est un organisme de conservation non gouvernemental sans but lucratif. Elle a été fondée il y a plus de 40 ans et compte environ 300 000 membres et partisans à travers le pays.
Le ministre Osborne a dit qu'il s'agissait d'une question maritime, je prétendrais que c'est une question canadienne. Nos programmes sont appliqués d'un océan à l'autre. Par exemple, Éducation-océan est l'un de nos programmes. Notre approche consiste à expliquer aux Canadiens de toutes les régions du pays, que ce soit les Prairies, les territoires, l'Ontario ou le long des côtes, que les océans sont importants pour tous.
Nous recevons des milliers de lettres envoyées par des écoliers et par des Canadiens moyens qui veulent savoir ce qu'ils peuvent faire, à titre personnel pour aider la faune du Canada, même celle qui vit loin de chez eux. Les Canadiens de toutes les régions du pays veulent savoir ce qu'ils peuvent faire pour aider les oiseaux mazoutés. Malheureusement, dans ce cas, nous ne pouvons que leur dire de contacter des politiciens comme vous pour s'assurer que ce projet de loi soit adopté. Il est capital que ces amendements apportés aux lois soient adoptés afin de protéger les oiseaux de mer mentionnés par les précédents présentateurs.
Comme Mme May l'a indiqué, l'industrie peut suggérer qu'elle en souffrira et fera faillite. Nous répondons que si vous êtes un bon entrepreneur qui respecte le règlement approprié, votre entreprise ne devrait pas en souffrir. Nous estimons que c'est simplement une nouvelle phase pour assurer la protection des oiseaux de mer du Canada.
Nous pensons que cette prévention est le remède ultime, et la seule façon d'empêcher que ces oiseaux meurent chaque année et de s'assurer de l'efficacité des moyens de dissuasion, car il est évident que les moyens de dissuasion actuels ne le sont pas. Le problème est toujours là et il n'est pas nouveau. L'industrie le connaît depuis peut-être dix ans, comme nous tous. C'est le meilleur moyen de mettre fin à cette activité.
Mme Leigh Edgard, chercheuse en conservation, Fédération canadienne de la faune : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui au sujet de cette question très importante.
Nous sommes ici pour offrir notre soutien inconditionnel au projet de loi C-15. Ce projet de loi touche pratiquement tout ce que notre organisme de conservation de la faune fait chaque jour en matière de sensibilisation à l'environnement.
Nous croyons que le déversement d'hydrocarbures en mer est tout à fait inutile et constitue une cause évitable de la mortalité de la faune. En fait, nous assistons à la tragédie de l'Exxon Valdez qui se reproduit au ralenti chaque année.
Sur le plan des valeurs et de la législation, des valeurs sur la faune, dans ce cas particulier, sont exprimées dans la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs qui montre que les Canadiens ont certaines valeurs sur la faune. Les valeurs sur le transport maritime sont plus évidentes dans la Loi sur la marine marchande au Canada. Voilà où se situent ces différences, bien qu'il y ait quelques chevauchements en ce qui concerne les polluants en mer. Il faut adopter le projet de loi C-15 à titre d'approche évolutive des valeurs sur la faune. Tout en accomplissant des progrès accomplis au plan des valeurs sur la faune et de la législation, nous devons aussi augmenter les amendes.
La faune canadienne appartient à tous les Canadiens. Elle m'appartient, elle vous appartient, elle appartient à vos enfants, elle appartient à vos petits-enfants. Elle est détenue en fiducie par les gouvernements. Nous recevons des appels de personnes vivant dans des provinces enclavées comme le Manitoba et qui sont vraiment préoccupées par ces questions. Il semble qu'elles ne peuvent rien faire aider à trouver une solution à ces questions qui dépendent entièrement du gouvernement.
Cela touche non seulement les gens qui déversent volontairement des hydrocarbures dans les eaux canadiennes. On nous l'a répété maintes et maintes fois qu'il s'agit d'une minorité de 5 p. 100. Nous croyons que l'industrie du transport est assez propre, mais que sa réputation souffre énormément à cause de ces actes négligents et d'individus qui préfèrent gagner du temps et de l'argent en déversant leurs hydrocarbures de cale quand ils naviguent dans nos eaux. Ce projet de loi cible ces criminels et pas les entrepreneurs honnêtes.
Pourquoi le projet de loi? Nous avons eu des exemples d'erreur et d'échec et ce que nous avons actuellement, ne fonctionne pas. La situation ne s'est pas améliorée. Même avec 950 agents de prévention de la pollution, les navires ne sont ni attrapés ni poursuivis.
Le fait que Transports Canada qui est à la fois un organisme de réglementation et un promoteur de cette industrie en vertu de la Loi sur la marine marchande au Canada pose une sorte de problème. Le ministère veut que cette industrie se développe et nous reconnaissons que le transport maritime est une industrie précieuse et irremplaçable, non seulement pour le Canada, mais aussi pour le monde. Nous n'essayons pas de l'attaquer ou de la dégrader. Nous voulons qu'elle dure.
Nous avons entendu dire que beaucoup de polluants proviennent de la terre ou de diverses sources spécifiques et que nous devrions régler ce problème. Le transport maritime est une source évitable spécifique et les pouvoirs d'application de la loi pourraient être octroyés à Environnement Canada en vertu de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. C'est une différente approche.
Nous avons évidemment besoin d'une plus grande application de la loi à l'intérieur de la zone économique exclusive du Canada. Les pollueurs ne pénètrent pas dans la zone des 12 milles marins pour déverser leurs hydrocarbures; ils seront plus au large.
Comme l'a déclaré Mme May, les amendes sont trop peu importantes et l'application de la loi est trop faible pour dissuader. Je partage totalement son avis pour dire que les eaux canadiennes sont devenues un dépotoir à cause de cela.
Nous pensons qu'une plus grande harmonisation avec les lois américaines sur le plan de l'application de la loi et sur les amendes pour des infractions en matière de pollution pétrolière créera une application de la loi au niveau continental et nous pourrions dire « N'essayez pas de polluer les eaux nord-américaines. »
Le projet de loi ne va pas détruire l'industrie. À ma connaissance, l'expérience américaine n'a fait aucun tort à l'industrie. En fait, le résultat est que seulement 2,5 p. 100 des oiseaux trouvés sur la plage sont mazoutés. Je pense que la comparaison entre 2,5 p. 100 et nos 60 p. 100 est tout à fait explicite au vu de notre application de la loi et nos amendes et leur application de la loi et leurs amendes.
Les progrès technologiques comme, par exemple, le satellite radar et d'autres sources, non pas que nous aurons tous ces moyens pour attraper les pollueurs illégaux, devraient servir à exécuter la loi et montrer qu'il ne s'agit pas seulement d'une petite réprimande — ne faites pas cela aux Canadiens et ne faites pas cela à la faune.
Pour ce qui est de la comparaison entre les accidents et les actes délibérés, il y aura des accidents et l'enquête initiale pourra le déterminer rapidement. Les agents d'application de la loi engageront des poursuites s'ils ont des raisons de croire qu'un crime a été commis. Les journaux de bord et les certifications — ce genre d'éléments —peuvent être utilisés pour prouver que l'acte a été commis de manière responsable.
S'il y a des hydrocarbures, cela prouve qu'il y a quelque chose de louche. Sinon, il n'y en aurait pas sauf en cas d'échouement ou de collision.
Maintenant, pour déterminer s'il s'agit d'un déversement délibéré ou si le navire a un problème mécanique, je crois comprendre que cela entrerait dans le cadre de la Loi sur la marine marchande au Canada. Ces distinctions existent.
Nous souhaiterions que ce projet de loi soit adopté afin que le Service canadien de la faune et Environnement Canada puissent remplir leur mandat qui est de protéger les espèces et de faire observer les engagements internationaux visant à protéger nos oiseaux migrateurs.
Au nom de nos 300 000 membres et partisans de tout le pays, nous vous exhortons d'accepter le projet de loi C-15 tel qu'il est présenté devant vous.
Le président : Merci.
Le sénateur Christensen : Les compagnies maritimes nous ont dit que le ministère ne les a jamais consultées pendant la préparation de ce projet de loi. Il arrive souvent que les organismes touchés par une nouvelle mesure législative soient consultées afin d'y contribuer. Est-ce que l'un de vos organismes a été consulté au sujet de ce projet de loi?
Mme May : Non, nous n'avons pas été explicitement consultés.
Le sénateur Christensen : Vos remarques, madame May, sur l'incident en Nouvelle-Écosse étaient intéressantes. Un grand nombre d'oiseaux échouent sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador. On a fait remarquer qu'ils n'y en avaient peut-être pas autant aux États-unis et que ceux qui arrivaient sur les côtes de la Nouvelle-Écosse étaient poussés par des vents inhabituels.
Pourriez-vous nous dire pourquoi il n'y a pas autant d'oiseaux qui échouent aux États-Unis, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ou sur la côte du Pacifique? Serait-ce parce que personne ne déverse des hydrocarbures ailleurs qu'au large de Terre-Neuve et du Labrador ou est-ce à cause des courants?
Mme May : Je crois que les statistiques du Service canadien de la faune, relatifs à 62 p. 100 d'oiseaux se rapportent aux plages du Canada. À ma connaissance, cette statistique ne se limite pas à Terre-Neuve et au Labrador.
Il est inhabituel de voir des oiseaux mazoutés échouer sur les plages de la Nouvelle-Écosse et on peut se demander pourquoi. Dans le cas des 650 oiseaux morts échoués sur la côte il y a environ deux ans, au mois de mars — à un moment très particulier — il y a certainement des déversements occasionnels d'hydrocarbures résultant d'activités au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. L'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers note souvent que ces incidents sont dus à des plates-formes de forage et, parfois, à des déversements d'hydrocarbures de cale. L'Office n'a pas engagé de poursuites, mais j'ai des contacts avec l'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers et il signale de temps en temps des déversements. Toutefois, le nombre d'oiseaux échouant sur les côtes n'est pas le même.
Je pense que les vents en sont la cause principale, c'est aussi l'avis de la Nova Scotia Bird Society qui a aussi suivi cet incident il y a deux ou trois ans. Il a été rapporté explicitement que les oiseaux échouaient sur les côtes à cause de vents inhabituels.
Je ne sais pas s'il y a autant d'incidents similaires de déversements d'hydrocarbures de cale au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Nous avons, quelquefois, fait référence à l'étude publiée et d'où nous avons relevé le nombre estimé de 300 000 oiseaux. Les auteurs de cette étude, publiée en 2003 dans le Marine Pollution Bulletin, déclarent, en tant que scientifiques, que les eaux au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador semblent être plus polluées par les hydrocarbures que n'importe où dans le monde. Il est important de le mettre dans le contexte et je vais vous lire la phrase :
Le résultat montre que la pollution chronique par les hydrocarbures au large des côtes de Terre-Neuve compte parmi les plus élevés au monde et est restée à un niveau élevé durant les 16 dernières années.
Je pense, et c'est aussi l'avis du Sierra Club du Canada, que les taux élevés de pollution chronique par les hydrocarbures au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador sont dus au laxisme des lois canadiennes et à la difficulté d'engager des poursuites dans les eaux canadiennes. Le projet de loi C-15 traite de ces deux questions.
Le sénateur Christensen : Est-il possible, monsieur le président, d'obtenir des renseignements de la part d'océanographes sur les différents courants sur la côte Ouest et aussi sur la partie inférieure de la côte Est? Il se pourrait que le pétrole soit en fait déversé partout, mais qu'on ne le remarque pas à cause des courants qui le déplacent.
Le président : On nous a dit que sur la côte Ouest, en particulier, c'est parce que les vents soufflent dans la mauvaise direction.
Le sénateur Christensen : Ce sont les courants, apparemment.
Mme Edgar : Si j'ai bien compris les enquêtes sur les oiseaux échoués sur les plages de la côte Est, je crois que cela a commencé en 1984, ont montré que cette situation existe bien. Je crois qu'on commence à voir la même chose sur la côte Ouest. Il faudra quelque temps avant d'évaluer la situation, mais je pense aussi que les courants y sont pour quelque chose. On commence à étudier l'ampleur de ce problème.
Le président : Nous demanderons à nos attachés de recherche de se renseigner.
Le sénateur Christensen : Cela pourrait être intéressant.
J'avais posé des questions à des témoins précédents sur les préoccupations suscitées par la possibilité du manque de formation dont ont besoin les agents de conservation de gibier pour exercer une surveillance, contrairement aux agents de prévention de la pollution qui en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada sont impliqués dans l'industrie du transport maritime et la connaissent. Qu'en pensez-vous?
Mme May : Même si le terme « gardes-chasse » est utilisé, il s'agit d'agents spécialisés qui peuvent engager des poursuites à l'encontre des contrevenants en application de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Il faut aussi souligner qu'il y a possibilité d'intenter des poursuites contre les contrevenants à la Loi sur la marine marchande du Canada, à la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs ou à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Nous estimons que le projet de loi C-15 permettra aux procureurs de savoir avec une plus grande certitude quelle loi s'applique, mais le recours à des gardes-chasse, selon la description qui en est donnée, ne nous inquiète pas du tout. Nous considérons qu'il s'agit de professionnels bien formés et nous avons pleinement confiance en eux.
Le sénateur Christensen : Selon une autre préoccupation soulevée par les représentants de l'industrie du transport, ce projet de loi pourrait dissuader les équipes de sauvetage d'intervenir auprès des navires en détresse en raison des responsabilités qu'elles devraient ensuite assumer. Qu'en pensez-vous?
Mme May : J'estime que la défense basée sur la diligence voulue est très étroitement liée au genre d'industrie en cause. N'importe quel tribunal ou procureur tiendrait compte du fait qu'il s'agit d'une entreprise de sauvetage. C'est peut-être d'ailleurs quelque chose que vous avez déjà entendu. Je ne suis pas ici pour vous donner un cours de droit, mais le degré de diligence varie en fonction des circonstances particulières à un cas. En l'espèce, c'est l'industrie du sauvetage qui intervient pour prévenir la pollution. Le contexte est très différent.
En pareil cas, il suffit d'établir que l'on a atteint le niveau de diligence voulu pour l'activité en question — les opérations de sauvetage — et que les intervenants possèdent les connaissances et les compétences requises, en plus de déterminer si l'opération a eu lieu dans un environnement particulièrement délicat ou vulnérable. Dans un tel environnement, il est en effet d'autant plus important d'intervenir pour freiner la marée noire.
Si une équipe de sauvetage intervient auprès d'un bâtiment déjà en détresse, les risques de dommages ne relèvent pas de son contrôle. La défense basée sur la diligence voulue est fondée sur la prépondérance des probabilités, un critère très judicieux. Comme vous le savez, c'est la Cour suprême qui a établi ce principe dans l'arrêt Sault Ste. Marie en 1978. Cette décision a très bien résisté à l'épreuve du temps. Si j'en avais parlé dans mon mémoire, je l'aurais fait sous la rubrique des échappatoires; c'est un faux-fuyant.
Le sénateur Buchanan : Je trouve qu'il est très difficile de ne pas être d'accord avec Elizabeth May.
Mme May : Très bien. Nous allons en rester là.
Le sénateur Buchanan : C'est probablement la personne la plus persuasive que j'ai rencontrée dans ma vie, si je fais exception de sa mère. Votre mère était probablement encore plus persuasive que vous l'êtes.
Mme May : Et son affection pour vous était même plus forte que celle que je vous porte.
Le sénateur Buchanan : Vous nous avez, de toute évidence, présenté un mémoire fondé sur des recherches pertinentes. C'est sans doute parce que vous avez étudié à mon alma mater, la faculté de droit de l'Université Dalhousie. C'est très important. Vous avez parlé de l'ALENA, l'accord de libre échange que j'ai moi-même signé en 1987. J'en suis très fier.
Mme May : Alors, vous serez favorable à l'imposition d'amendes plus sévères au Canada.
Le sénateur Buchanan : Cela permet de créer des règles plus équitables à bien des égards. Seriez-vous satisfaite si les règles étaient les mêmes au Canada et aux États-Unis pour ce qui est de la marine marchande?
Mme May : Si vous le permettez, sénateur Buchanan, plutôt que de chercher à remanier le projet de loi en se demandant si je serais satisfaite dans telle ou telle éventualité, on devrait plutôt l'adopter rapidement. N'apportez aucun changement, adoptez-le.
Le sénateur Buchanan : L'adoption de ce projet de loi ne nous permettra pas d'être sur la même longueur d'onde que les États-Unis.
Mme May : Je crois que oui, sénateur, et je le dis avec le plus grand respect. Je l'ai fait valoir dans mon exposé, parce que j'avais entendu auparavant le ministre Osborne mentionner que les États-Unis n'intentaient pas de poursuites pour les déversements dus à la négligence ou les accidents, alors que c'est bel et bien le cas. Ce sont également des infractions en vertu...
Le sénateur Buchanan : Ils engagent des poursuites, mais ils ne criminalisent pas ces agissements.
Mme May : Je crois que le terme « criminaliser » est employé un peu à toutes les sauces. Dans une bonne école comme la faculté de droit de l'Université Dalhousie, une infraction réglementaire n'est généralement pas considérée comme étant criminelle. On nous apprend qu'il s'agit d'une infraction aux règlements qui permet une défense basée sur la diligence voulue suivant le principe de la responsabilité stricte. C'est le modèle qui a été retenu pour la plupart des lois environnementales canadiennes et il constitue une norme de preuve appropriée.
Le sénateur Buchanan : Quoi qu'il en soit, le capitaine ou le mécanicien chef n'est pas frappé par le stigmate d'une infraction pénale. Même si on prouve qu'il y a eu diligence raisonnable et qu'on obtient un acquittement, vous savez comment les choses se passent : lorsque vous êtes accusé, bien des gens entendent parler des accusations et du procès, mais ils sont très peu nombreux à se rappeler que vous avez été acquitté. Ils se souviennent seulement que vous avez été accusé.
Mme May : Je ne crois pas qu'il existe de loi au Canada ou aux États-Unis qui puisse éviter cette forme de stigmatisation dans l'imagination populaire. C'est une autre échappatoire pour l'industrie. Si des gens sont accusés et poursuivis par les autorités canadiennes, compte tenu des ressources limitées dont disposent ces dernières, il est fort probable qu'il s'agisse d'une infraction importante qui a causé des dommages à l'environnement. Si les intimés sont en mesure de réfuter ces accusations au moyen d'une défense fondée sur la diligence voulue et de remporter ainsi leur cause, je ne suis pas convaincue qu'on puisse affirmer objectivement qu'il y a stigmatisation.
Le président : Je me dois d'intervenir; des accusations criminelles sont effectivement portées aux États-Unis en vertu de la Clean Water Act pour les cas de déversements dus à la négligence.
Mme May : En effet. Je voulais également mentionner qu'il est intéressant de constater qu'une seule des industries qui a déversé des hydrocarbures dans nos eaux soulève de telles préoccupations. Comme en témoigne la lettre d'appui au projet de loi qui a été versée au dossier par le vice-président pour les opérations de la côte Est de Petro-Canada, laquelle détient 34 p. 100 des parts de Terra Nova, il ne faut pas croire que l'industrie dans son ensemble partage ces préoccupations. De toute évidence, Petro-Canada, fort de sa participation de 34 p. 100 dans Terra Nova, ne se préoccupe pas de ces stigmates hypothétiques qui pourraient découler d'éventuelles accusations que l'entreprise aurait été en mesure de réfuter par la suite.
En toute franchise, je crois qu'il s'agit d'un excellent projet de loi, fruit d'une réflexion pertinente, et qu'il devrait être adopté tel quel. Vous ai-je dit de le faire rapidement?
Le sénateur Buchanan : Oui, et plutôt deux fois qu'une. Vous avez d'ailleurs fait une observation en ce sens qui m'a bien plu : adoptons-le dès maintenant car les élections ne sauraient tarder.
Le président : On pourrait faire un petit pari à ce sujet, sénateur Buchanan. Il y a une lettre quelque part dans votre bureau, sénateur, dans laquelle le vice-président de Petro-Canada signale entre autres que son entreprise opère une installation de nettoyage d'oiseaux dans le cadre de ses activités dans les Maritimes.
Le sénateur Cochrane : Madame May, en vertu des lois canadiennes actuelles, quelle amende maximale peut être imposée pour le déversement illégal d'eaux de cale usées en mer?
Mme May : Je crois que le maximum est d'un million de dollars. Vous avez entendu l'amende moyenne; l'amende peut être plus ou moins élevée, mais c'est plutôt faible.
Le sénateur Cochrane : À combien se chiffre généralement l'amende imposée?
Mme May : La moyenne se situe entre 25 000 $ et 30 000 $. Le sénateur Angus a parlé d'une amende de 60 000 $. Il s'agit d'un montant très faible par rapport aux moyennes enregistrées dans les autres pays industrialisés.
Le président : Permettez-moi d'apporter une précision à ce sujet. Le Parlement n'adopte pas de lois qui dictent directement aux juges le montant des amendes à imposer. La loi déjà en vigueur prévoit une amende maximale d'un million de dollars. Une nouvelle loi est proposée. En quoi pourrait-elle contribuer à augmenter le montant des amendes imposées par les tribunaux?
Mme May : Il est dans notre intérêt, soyons bien honnêtes, de privilégier les amendes. L'exemple du Tecam Sea est éloquent à cet égard : on disposait de preuves très probantes, de beaucoup de détails et même d'une preuve sur vidéo, mais les accusations ont tout de même été abandonnées. Tout le monde était d'accord, de la Garde côtière jusqu'au ministère de l'Environnement, en passant par les Transports et le MPO, mais les avocats du ministère de la Justice ne savaient pas comment ils allaient s'y prendre pour en faire la preuve.
Le président : Pardonnez-moi mon insistance, mais les lois en vertu desquelles les propriétaires du Tecam Sea auraient été accusés renferment des dispositions de responsabilité stricte. Elles n'exigent pas que l'on prouve une intention coupable. Alors, pouvez-vous m'expliquer?
Mme May : Désolée, j'ai cru comprendre qu'il avait été impossible d'établir la preuve en fonction de la responsabilité stricte telle que précisée dans la loi en vigueur parce qu'on n'avait pas pu présenter suffisamment d'arguments pour satisfaire aux critères applicables en vertu des lois antérieures. Le projet de loi C-15 offre les moyens de poursuivre et règle la question des amendes maximales.
Le sénateur Cochrane : Croyez-vous sincèrement que les amendes prévues dans le projet de loi C-15 constitueront un moyen de dissuasion plus efficace à l'encontre du délestage d'eaux de cale huileuses?
Mme May : Je crois effectivement que les amendes plus élevées auront cet effet, en combinaison avec le régime plus efficient et plus efficace pour les poursuites à engager. Elles devraient représenter un facteur de dissuasion contre le déversement illégal. C'est de toute évidence un élément qui n'existe pas actuellement.
Le sénateur Cochrane : Que pensez-vous des dispositions concernant l'amende minimale? Certains ont laissé entendre qu'ils ne devraient pas y avoir d'amendes minimales.
Mme May : Comme je l'ai dit dans mon exposé, le seul argument que j'ai entendu à l'encontre des amendes minimales a été soulevé par l'Association des armateurs canadiens qui les comparaît à celles imposées pour la culture de marijuana. Je ne crois pas que cette argumentation soit fondée. Comme le sénateur Banks vient de le souligner, le Parlement ne peut pas dicter aux juges les amendes à imposer et les mesures à prendre.
Si une amende minimale est prévue, le tribunal doit l'imposer lorsqu'il en arrive à un verdict de culpabilité. Les décisions des tribunaux sont orientées de différentes façons. Ils se doivent d'imposer des amendes plus élevées. Cela a toujours permis d'améliorer la situation, surtout dans le cas des infractions aux règlements concernant la pollution.
Le sénateur Buchanan : Il y a quelques années, un juge provincial de la Nouvelle-Écosse a décidé d'imposer une peine exemplaire à un navire qui avait déversé des eaux de cale huileuses. Je crois que l'amende dépassait largement les 100 000 $, voire même les 200 000 $.
Mme May : Les amendes peuvent aller jusqu'à un million de dollars.
Lorsque je dis que l'amende moyenne se situe entre 25 000 $ et 30 000 $, cela inclut des amendes très réduites et d'autres plus élevées. C'est là tout le principe de la moyenne.
Le sénateur Nancy Ruth : Lorsqu'un navire va de port en port et déverse ses eaux de cale, quel est le rapport entre l'amende généralement imposée et la marge de profit réalisée pour chaque voyage; l'amende correspond à quel pourcentage du profit?
Mme May : C'est une très bonne question. Je ne peux toutefois pas vous donner une réponse précise. J'en ai appris beaucoup au sujet de l'industrie du transport en lisant les témoignages présentés devant votre comité. Lorsque interrogés à ce sujet par certains d'entre vous, les armateurs ont indiqué qu'il leur en coûtait environ 20 000 $ par jour, si je ne m'abuse, lorsqu'ils devaient se rendre dans un port et immobiliser un bâtiment pour le délester de ses eaux de cale. S'ils sont pris à déverser ces eaux usées en mer et si on intente des poursuites, l'amende moyenne se situe entre 25 000 $ et 30 000 $. Il est nettement plus avantageux pour eux de déverser les eaux de cale en mer, en espérant ne pas être pris. Mais même lorsqu'une amende leur est imposée, elle ne représente qu'une faible proportion des coûts qu'ils auraient dû engager pour immobiliser leur bateau et effectuer l'opération suivant les règles. C'est ce que j'ai cru comprendre des témoignages qui vous ont été présentés.
Le sénateur Nancy Ruth : Nous ne connaissons pas les profits, mais uniquement les coûts; c'est bien cela?
Mme May : C'est exact.
Le président : Nous avons d'ailleurs eu à ce sujet un rapport que je me ferai un devoir de vous expédier. Pour vous donner une idée, on nous a dit que le coût moyen pour un navire était d'au moins 50 000 $, sans égard à sa taille. Pour immobiliser pendant une journée un bâtiment qui n'aurait pas eu besoin de l'être par ailleurs, il faut compter environ 50 000 $, ou davantage si le navire est plus gros. L'argument est bien simple : « S'il nous en coûte 50 000 $ pour immobiliser le navire afin de le délester de ses eaux, nous allons les déverser en mer et courir le risque de nous voir imposer une amende de 25 000 $ »; et voilà 25 000 $ dans nos poches. C'est un argument extrême.
Le sénateur Spivak : J'aimerais en revenir à la responsabilité stricte. C'est une question très importante, notamment pour les armateurs. Je veux vous poser une question au sujet d'une note de service que nous avons ici. Nous avons un avocat qui pourra nous aider avec les définitions légales, mais il nous vient de l'industrie du transport.
Le président : Il ne nous vient pas de l'industrie du transport; c'est nous qui l'avons choisi. C'est un spécialiste en droit maritime privé qui a travaillé tant pour le gouvernement que pour l'industrie du transport.
Le sénateur Spivak : Oh, d'accord. Il semble y avoir eu d'autres causes après celles de Wholesale Travel. Les tribunaux ont conclu que le principe de responsabilité stricte était conforme à la Constitution. Dans l'affaire Wholesale Travel, si je comprends bien, cela ne changerait pas grand-chose; ce n'était qu'une infraction mineure. Cependant, dans les cas qui nous intéressent, des peines d'emprisonnement et des amendes très élevées sont prévues.
Avez-vous entendu parler d'autres causes que celles de Wholesale Travel? La responsabilité stricte se justifie par la nécessité d'un fondement probatoire, selon cette note, et selon ce que vous nous avez dit concernant l'affaire Tecam. Les questions liées à la Constitution et aux droits conférés par la Charte ne seraient pas prises en compte, tout comme les coûts dans cette affaire.
Que pensez-vous de la jurisprudence établie? Que pensez-vous du recours à la responsabilité stricte pour fins d'établissement de la preuve dans de si nombreuses causes environnementales?
Mme May : C'est un phénomène très courant dans le cas des infractions réglementaires depuis la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Sault Ste. Marie. Les allégations voulant qu'il s'agisse en quelque sorte d'une procédure inédite, pouvant être inconstitutionnelle ou contrevenir à la Charte, ont été plus nombreuses dans le cas du projet de loi C-15 que pour toute autre loi à ma connaissance. J'en suis un peu déconcertée. Personne n'a soulevé ce problème dans le cas de la Loi sur les espèces en péril. Personne n'a soulevé de préoccupations au sujet de la responsabilité stricte et de la défense basée sur la diligence voulue lorsque nous avons été appelés à témoigner pour l'étude de différentes autres lois devant la Chambre et le Sénat. Le Sierra Club du Canada n'est pas principalement une organisation de droit environnemental. Je sais que des représentants d'une autre organisation dont le nom s'apparente au nôtre comparaissent devant vous. Ils n'ont aucun lien avec nous, mais j'espère qu'ils pourront vous présenter une bonne analyse de ces questions. J'ai dû revoir l'arrêt Sault Ste. Marie et examiner la jurisprudence plus récente. Ce sont les arguments à l'encontre du recours à la responsabilité stricte et à la défense basée sur la diligence voulue qui sont inédits, plutôt que le recours à ces principes par le ministère de la Justice conformément au libellé de ce projet de loi. C'est la façon habituelle de faire les choses et c'est la façon logique de procéder dans le contexte du droit environnemental et des autres dispositions législatives adoptées par le Parlement du Canada relativement aux infractions réglementaires. La défense basée sur la diligence voulue est bien comprise de tous. Elle varie en fonction des circonstances. Ce n'est pas trop demandé d'une personne qui a souvent transgressé les règles qu'elle admette : « Je faisais tout ce que je pouvais; j'ai fait preuve de la diligence voulue. J'ai constaté que mes activités pouvaient poser certains risques et j'avais mis en place les systèmes nécessaires au regard de ces risques. Si dans un cas particulier un problème est survenu, j'avais pris toutes les mesures possibles dans le cadre de mes pratiques commerciales courantes pour éviter cela. »
Il est bien évident qu'une telle argumentation ne peut pas être avancée, comme vous l'avez déjà mentionné, sénateur Spivak, dans les cas où les pompes de cale sont délibérément actionnées pour éviter d'avoir à prendre les procédures appropriées qui seraient plus coûteuses, surtout dans le contexte d'amendes réduites.
Je suis déconcertée. Je ne peux pas vraiment vous dire pourquoi cet argument est soulevé si souvent dans le secteur du transport, d'autant plus que ces intervenants soutiennent former un groupe très sérieux qui semble vouloir que sa main-d'œuvre travaille pour presque rien et ne soit pas assujettie aux normes du travail. Leurs allégations ne manquent pas de m'étonner. Je ne saurais trop quoi dire de leur analyse juridique.
Le sénateur Spivak : Je conviens avec vous que si nous devons adopter ce projet de loi, nous devrions agir rapidement, compte tenu de ce que j'entends et ce que tout le monde doit entendre, j'en suis persuadée. S'il ne tenait qu'à vous, sans parler des amendes, conserveriez-vous les peines d'emprisonnement si vous deviez rédiger ce projet de loi?
Mme May : Sans l'ombre d'un doute.
Le sénateur Spivak : Pouvez-vous me rafraîchir la mémoire? La loi actuelle prévoit-elle déjà des peines d'emprisonnement?
Mme May : Oui, tout à fait. Ces dispositions législatives n'ont jamais été autant remises en question que par l'industrie du transport lorsqu'elle a fait valoir ses arguments devant votre comité.
De toute évidence, les représentants de cette industrie ont pu présenter une argumentation vraiment persuasive. Cependant, il s'agit d'une loi d'application courante au Canada et on n'a jamais considéré qu'on repoussait les limites de ce qui était constitutionnel et de ce qui ne l'était pas.
Le sénateur Spivak : La jurisprudence en matière de responsabilité stricte a été établie au cours des cinq dernières années. Est-ce bien exact?
Mme May : Tout à fait. À la lumière de notre échange, je pourrais certes aviser les témoins qui comparaîtront devant votre comité pour l'étude du droit environnemental de porter des causes plus récentes à votre attention étant donné le nombre de lois qui sont fondées sur la responsabilité stricte. Je suis persuadée que votre personnel de recherche vous a déjà fait part de la situation.
Le sénateur Spivak : Quand recevrons-nous ces témoins?
Mme May : Je l'ignore.
Le président : Nous vous fournirons un calendrier. Madame Baumgartner et madame Edgar, avez-vous quelque chose à ajouter à la discussion en cours?
Mme Baumgartner : Nous ne sommes pas avocates, alors nous ne pouvons pas vraiment discuter des questions juridiques. Mme May se débrouille très bien à ce chapitre.
Mme May : Techniquement, je ne suis pas moi-même avocate; c'est peut-être mieux pour mon image.
Le président : Pour ce qui est de la question du sénateur Spivak, permettez-moi de vous expliquer les raisons pour lesquelles nous avons examiné cet aspect de plus près que nous l'avions fait auparavant.
Dans l'affaire Wholesale Travel, où les juges de la Cour suprême se sont prononcés à cinq contre quatre en faveur de poursuites, sept des neuf juges ont conclu que le concept de responsabilité stricte tel qu'appliqué dans cette affaire contrevenait nettement à la Charte des droits et libertés. Les deux autres juges n'étaient pas de cet avis. Trois des sept juges qui ont déterminé que l'on contrevenait à la Charte ont aussi conclu que l'article 1 de celle-ci, qui permet les contraventions pour excès de vitesse...
Mme May : Dans des limites qui soient raisonnables.
Le président : ... était suffisant pour leur faire changer d'avis en l'espèce, ce qui les a amené à voter en faveur d'une poursuite, même si l'on contrevenait à la Charte. J'essaie de vous donner de plus amples détails sur les arguments avancés de telle sorte que vous puissiez les transmettre aux futurs témoins. Cette décision de cinq contre quatre en faveur des poursuites n'avait pour ainsi dire pas tellement de répercussions, compte tenu qu'il n'était pas question de peines d'emprisonnement ni d'amendes de 100 000 $, encore moins d'un million de dollars. C'était un cas courant de publicité trompeuse dans le domaine du voyage — surprise! C'était la nature des pénalités en cause. Nous nous demandons si dans le cas d'une poursuite pouvant mener à une amende de 500 000 $ ou à une peine d'incarcération de 18 mois, l'un de ces neuf juges ne changerait pas d'avis, ce qui nous donnerait une décision complètement différente.
Mme May : Sénateur Banks, je ne voudrais surtout pas prétendre que mon organisation possède une expertise en droit environnemental, parce que ce n'est pas notre mandat. Nous avons pour mandat de protéger l'environnement et nous considérons que ce projet de loi est une mesure essentielle pour la protection des oiseaux marins. Cependant, si l'on aborde la jurisprudence d'un point de vue pratique, comme je l'ai fait au fil des ans, une décision comme celle-là peut s'expliquer lorsqu'il s'agit d'une infraction aux règles de publicité. Il ne s'agissait pas alors pour le gouvernement du Canada d'adopter une loi conforme à celle régissant les eaux adjacentes aux États-Unis pour répondre à leurs inquiétudes quant à la création d'un paradis de la pollution et en tenant compte du fait que des infractions pénales y sont prévues, assorties d'amendes de 25 millions de dollars. Nous apparaissons plutôt laxistes en comparaison des régimes mis en place par les autres pays pour cette industrie. C'est un fait que les tribunaux prendraient en considération en même temps que la gravité et les conséquences de l'infraction.
Comme je l'ai déjà indiqué, la défense basée sur la diligence voulue peut varier grandement en fonction des circonstances. C'est le principe qui sous-tend la jurisprudence. C'est probablement un facteur, bien que je ne prétende pas être une experte de l'affaire Wholesale Travel. Les détails de chaque cause influent sur le contexte dans lequel les instances judiciaires l'examinent. Je ne pense pas que vous obtiendriez une décision à quatre contre cinq dans un cas comme Tecam Sea. Si des poursuites étaient engagées en vertu du projet de loi C-15, je ne crois pas que les tribunaux soulèveraient ce genre de préoccupations. Les avocats n'aiment pas tellement parier sur les décisions des tribunaux.
Le président : C'est ce que nous espérons également. Nous avons aussi à cœur de protéger l'environnement et nous voulons nous assurer de le faire comme il se doit.
Le sénateur Adams : J'ai demandé à quelques témoins de m'expliquer comment on en était arrivé au total de 300 000 oiseaux morts. Le projet de loi C-15 me pose certaines difficultés. La Fédération canadienne de la faune compte 300 000 membres, ce qui fait qu'on ne manque pas d'effectifs pour mener ces recherches. Il y a environ un mois, j'ai demandé aux gens d'Environnement Canada s'ils étaient au courant de ces évaluations du nombre d'oiseaux tués chaque année par les déversements d'hydrocarbures et personne n'en avait entendu parler. Mais qui donc est au courant? Si vous réussissez à faire le décompte d'autant d'oiseaux chaque année, alors c'est que vous disposez d'un bateau pour suivre la situation et récupérer les oiseaux en mer ou sur la rive. Comment pouvez-vous établir le nombre d'oiseaux tués chaque année? Dans l'Arctique, nous avons des eiders et d'autres oiseaux marins, et nous n'avons jamais trouvé un seul canard mort. Comment fonctionne le système? Est-ce que le ministère a besoin d'une loi pour ce faire?
Mme May : Sénateur Adams, c'est une étude scientifique complexe qui nous a permis de faire le décompte des oiseaux touchés. Le total indiqué est fondé sur une estimation établie à partir d'échantillons. On sait combien d'oiseaux arrivent jusqu'aux côtes; on calcule les conditions environnementales; on tient compte des courants sur les côtes de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador; et on détermine les totaux, en sachant qu'un certain nombre de cadavres se rendent jusqu'à la rive et en connaissant la population en mer. Les chercheurs se sont livrés à un exercice scientifique complexe et rigoureux qu'ils ont soumis à l'examen de pairs pour en arriver à cette évaluation, qui est la meilleure dont nous puissions disposer. La plupart des experts vous diraient qu'il s'agit probablement d'estimations prudentes visant à ne pas présenter le pire des scénarios possibles. Ils ont donc été conservateurs dans leurs estimations. Il est probable que le nombre d'oiseaux morts au large des côtes de Terre-Neuve dépasse les 300 000.
Est-il possible de le prouver? Est-ce que quelqu'un peut se rendre là-bas et récupérer tous les cadavres? Non. La plupart d'entre eux se perdent en mer.
Le président : Madame Edgar ou madame Baumgartner, avez-vous des commentaires?
Mme Edgar : Sénateur Adams, dans l'Arctique, la circulation maritime est moins dense et les voies maritimes sont moins nombreuses que sur la côte Est. Compte tenu du réchauffement de la planète, il faut tout de même tenir compte de l'Arctique dans ce contexte parce qu'il est question d'ouvrir des voies navigables dans le Nord. Le gouvernement devrait se pencher sérieusement sur les impacts avant qu'une telle situation se produise. Je n'ai pas besoin de vous convaincre de la fragilité de l'environnement nordique.
Le sénateur Adams : Nous reverrons les eiders d'ici quelques mois.
Le sénateur Buchanan : Qu'est-ce qu'un eider?
Le président : C'est une variété de canard qui fournit le duvet d'édredon.
Le sénateur Adams : Un sac de couchage doublé de duvet d'eider coûte plus de 500 $.
Les routes maritimes et la voie des airs sont les deux seules façons de transporter les marchandises dans l'Arctique. Il n'y a pas d'autoroutes. Si les compagnies maritimes sont mises à l'amende à chaque fois qu'un bâtiment déverse un litre d'huile, nos coûts vont augmenter.
Nous, les résidents du Nord, payons des taxes au même titre que les autres Canadiens. Nous avons payé très cher pour Petro-Canada et voilà maintenant qu'il appartient à des intérêts privés. En 1980, j'étais directeur au sein du conseil d'administration de Petro-Canada et de Panarctic. À l'époque, le gouvernement en était encore propriétaire. Il a été possible d'en faire l'acquisition parce qu'on s'est servi de l'argent des contribuables.
Le président : Nous avons récupéré ces sommes, sénateur Adams.
Le sénateur Adams : Les 5 milliards de dollars en entier?
Le président : Nous avons réalisé un profit considérable. Le gouvernement du Canada a été très bien remboursé.
Le sénateur Adams : Il nous faut bien prendre conscience des personnes qui sont touchées par les lois que nous adoptons.
Mme May : Nous sommes conscients que bon nombre des collectivités autochtones du Nord dépendent...
Le sénateur Adams : Je parle des Canadiens dans leur ensemble. Les Inuits sont des gens d'affaires. C'est plutôt vous qui recevez de l'argent du gouvernement.
Mme May : Oh, non, nous n'en recevons pas. Si vous vouliez nous financer, nous en serions très heureux, mais ce n'est pas le cas actuellement.
Le sénateur Adams : J'ai entendu dire que quelqu'un avait gagné 15 millions de dollars en une année en faisant du lobbying auprès du gouvernement.
Mme May : Il ne s'agit pas de groupes environnementaux. Je puis vous assurer que nous sommes extrêmement sous-financés; nous n'avons pas droit à un financement de base du gouvernement ni à des fonds de l'industrie.
Le sénateur Adams : J'ai entendu un ministre de la Colombie-Britannique citer votre nom il y a environ un an.
Mme May : Les ministres sont bien libres de parler de moi. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas financés par le gouvernement. Nous n'en tirons pas de glorification particulière. Le fait est simplement que nous sommes financés par nos membres et nos sympathisants, et non par le gouvernement. Nous sommes un groupe de défense de l'intérêt public, et non une organisation de lobbying; nos membres sont préoccupés, comme tous les Canadiens, par le sort des oiseaux marins, surtout sur les côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. Je me suis rendue à Cap St. Mary's. On y retrouve des populations incroyables d'oiseaux marins et ils sont très vulnérables aux hydrocarbures. Il suffit d'une très petite quantité de pétrole pour tuer un oiseau marin.
C'est justement la raison de notre présence ici; toutes ces populations, qu'il s'agisse d'eiders, de guillemots ou de macareux, sont extrêmement vulnérables à la pollution par les hydrocarbures en mer. Le statu quo n'est pas une solution pour les oiseaux marins. Cette situation a aussi des répercussions économiques. Cap St. Mary's est une destination touristique importante, notamment pour les macareux de l'Atlantique. Nous devons protéger nos oiseaux marins.
Le sénateur Buchanan : Pour ce qui est de la mort d'oiseaux marins, la pire catastrophe en Nouvelle-Écosse s'est produite en 1970 lorsque j'étais ministre des Pêches de cette province et que le Arrow s'est échoué dans le détroit de Canso. Je m'en souviendrai toute ma vie. Ce sont littéralement des centaines d'oiseaux qui ont été jetés sur les côtes par la mer. Il n'y avait rien de délibéré, c'était un accident.
Le sénateur Adams : Est-ce que votre organisation obtient des contrats du gouvernement pour effectuer des études sur les mammifères marins comme les baleines ou les phoques?
Mme May : Nous ne disposons pas des structures nécessaires à cette fin.
Le sénateur Adams : Ne seriez-vous pas intéressés à le faire?
Mme May : Nous n'avons pas suffisamment d'argent pour embaucher les chercheurs capables de réaliser ce genre d'études.
Le sénateur Adams : Le gouvernement vous paierait pour effectuer l'étude.
Mme May : C'est une hypothèse intéressante, mais cela n'entre pas dans le mandat du Sierra Club du Canada. Il doit y avoir d'autres organisations qui font ce genre de travail.
Mme Baumgartner : Nous ne sommes pas une organisation scientifique; nous ne faisons pas de recherche. Nous faisons de l'éducation et de la sensibilisation. Cependant, il nous est déjà arrivé de financer des chercheurs pour leur travail, surtout lorsque le gouvernement n'avait pas fourni le financement pour la recherche sur des espèces en particulier. Nous payons alors quelqu'un d'autre pour effectuer le travail de recherche.
Quant à vos questions concernant le financement de l'organisation, nous ne recevons aucun fonds des gouvernements. Nos budgets viennent presque exclusivement de nos 300 000 membres et sympathisants qui nous envoient un chèque de 25 $ de temps à autre. Ce sont des Canadiens moyens qui sont préoccupés par le sort de la faune et qui veulent qu'on fasse quelque chose à cet égard.
Le président : Je tiens à remercier tous nos témoins. Vos interventions ont été d'un très grand intérêt pour nous. Elles nous seront très utiles pour la poursuite de nos délibérations.
Mme May : Merci de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant vous.
La séance se poursuit à huis clos.