Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 12 - Témoignages du 21 avril 2005
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a été saisi du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi de 1994 sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), se réunit aujourd'hui, à 8 h 7, pour en étudier la teneur.
Le sénateur Ethel Cochrane (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : La séance est ouverte. Bonjour à tous. Je suis la vice-présidente du comité. Le président, le sénateur Banks, ne pouvait être des nôtres aujourd'hui étant donné qu'il est aussi membre du comité de la défense et que ce dernier se déplace. Soyez indulgents avec moi, je vais faire de mon mieux.
Je crois que nous allons d'abord entendre ce matin des représentants de la Société de développement économique du Saint-Laurent. Nous accueillons MM. Véronneau et Gagnon. Je vous souhaite à tous la bienvenue et j'espère que tout ira pour le mieux.
D'abord, je dois vous demander comment vous voulez procéder. Préférez-vous présenter chacun un exposé ou n'en faire qu'un seul avant que nous vous posions des questions? Que voulez-vous faire?
M. Guy Véronneau, président, Société de développement économique du Saint-Laurent : Nous préférons donner notre exposé puis répondre à vos questions, si c'est possible.
La vice-présidente : C'est parfait. Monsieur Véronneau, vous avez la parole.
[Français]
M. Véronneau : Madame la vice-présidente, si vous me le permettez, je ferai ma présentation en français. J'aimerais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de nous entendre ce matin. Je m'appelle Guy Véronneau, et je suis président de la Société de développement économique du Saint-Laurent. Je suis aussi coprésident du Conseil maritime et industriel national, avec M. Ranger, le sous-ministre de Transports Canada, et coprésident du Forum de concertation de l'industrie maritime du Québec, avec la ministre Julie Boulet de Transports Québec.
J'ai été président de la Corporation de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent de 1998 à 2003 et président du chantier naval de MIL Davie, à Québec, de 1989 à 1996.
La SODES a été fondée en 1985. Elle regroupe une centaine de membres dont des armateurs, des opérateurs de terminaux, des expéditeurs, des professionnels maritimes. Ses membres se retrouvent également dans les secteurs suivants : ports, municipalités et organisations publiques et parapubliques. Le mandat de la SODES est de promouvoir et protéger les intérêts économiques du Saint-Laurent dans une perspective de développement durable.
L'industrie maritime du Saint-Laurent s'évalue à 100 millions de tonnes par année, ce qui représente environ un quart du trafic canadien, des retombées économiques au Québec de 3,3 milliards de dollars par année et 26 000 emplois. Dans l'ensemble du Canada, nous parlons de retombées économiques globales de 9,1 milliards de dollars, en 2003, et de 93 000 emplois. Également en 2003, plus de 95 p. 100 des produits exportés par le Canada, ailleurs qu'aux Etats-Unis, furent livrés sur des navires, d'où l'importance de cette industrie pour l'économie canadienne.
À prime abord, soulignons que la SODES est d'accord avec les principaux objectifs visés par le projet de loi C-15. La protection de l'environnement est une responsabilité qui doit être partagée entre tous les intervenants socio-économiques, ce qui inclut le secteur maritime.
Il est nécessaire que les infractions découlant de gestes volontaires ou de négligences graves ou répétées soient sévèrement punies par les lois canadiennes. Malheureusement, pour nous, le projet de loi C-15 outrepasse ses objectifs.
Le Canada nous a habitués à des lois et règlements sévères mais justes. Or, ce n'est pas le cas du projet de loi C-15. Le projet de loi s'attaque à toutes les entreprises, à toutes les personnes, qu'elles aient ou non un bilan de délinquance en matière de protection de l'environnement.
Nous avons appris l'existence du projet de loi C-15 seulement à l'étape de l'étude en comité, ici au Sénat. Inutile de dire que nous n'avons pas été consultés. Par la suite, nous avons suivi vos travaux avec beaucoup d'intérêt.
Nous constatons donc que de nombreux aspects ont été soulevés par d'autres intervenants, soit la constitutionnalité, la conformité vis-à-vis les conventions internationales, la duplication avec les règlements déjà existants et le rôle des agents de la faune par rapport aux inspecteurs qualifiés de Transports Canada. Nous ne reprendrons pas ces aspects bien que nous les considérions très importants.
Nous traiterons plutôt de notre situation régionale, des impacts économiques sur les amendes minimales et les assurances, et, finalement le développement durable. Ce sont des aspects que nos membres nous ont soulignés et qui, nous croyons, méritent d'être soulevés devant ce comité.
D'abord, quant à notre situation régionale, de l'aveu même des représentants de Environnement Canada, le projet de loi C-15 vise à régler un problème qui survient sur les façades océaniques canadiennes. Ce problème n'atteint pas et de loin dans notre région le niveau de gravité rencontré sur la côte Atlantique. Voyez plutôt, en 2004, il y a eu 33 cas de déversements de substances nocives dans la région du Saint-Laurent, toutes de faible quantité. Tous ces cas ont fait l'objet d'enquête de la part de Transports Canada en vertu du règlement sur la prévention de la pollution par les navires émanant de la Loi sur la marine marchande.
Des enquêtes se sont conclues par des accusations de négligence et des amendes ont été imposées. Il faut souligner que presque tous ces événements ont eu lieu dans des ports. Leurs effets ont donc pu être circonscrits grâce aux mesures d'intervention en place. En voici quelques exemples, Matane, janvier 2005, déversement de 6 litres, amende de 3 500 $; Rimouski, juillet 2004, deux barils, une amende de 10 000 $; Québec, novembre 2004, 25 gallons, une amende de 15 000 $; Sainte-Anne-de-Bellevue, août 2004, — je crois que c'est une marina — 4 litres de diesel, une amende de 600 $.
À l'usage, il nous semble évident que la Loi sur la marine marchande conjuguée avec le Port State Control répond aux besoins des Canadiens en matière de réglementation et de sanctions des déversements, qu'ils aient lieu ou non dans des aires d'oiseaux migrateurs.
Au cours des dernières années, beaucoup d'efforts de sensibilisation ont été faits auprès des intervenants domestiques et au plan international par l'IMO. Ces actions et l'effet de la loi actuel sont d'ailleurs suffisamment dissuasifs pour que le nombre de cas de déversements diminue d'année en année dans notre région.
Avec le projet de loi C-15, des amendes minimales découlent automatiquement de toute mise en accusation aux procédures sommaires. Par conséquent, tous les navires de plus de 5000 tonneaux de jauge brute ce serait vu imposer des amendes minimales à hauteur de 100 000 $ plutôt que les montants que j'ai mentionnés avec les conséquences qu'on peut imaginer pour les entreprises touchées.
Quant aux autres, quel aurait été le niveau d'amende? Comme dans bien des cas, il s'agit de petites entreprises et il faut se demander qu'est-ce que cela aurait eu comme effet sur elles.
Les assurances régulières Fixed Premiums et croisière-excursion ne couvrent pas le paiement d'amendes et les frais de défense. Elles couvrent les frais de nettoyage après un déversement. Les assurances de type mutuel peuvent couvrir aussi les amendes et les frais de cours. La plupart des compagnies de croisière d'excursion ont des assurances de type standard. Suite au projet de loi C-15, elles voudront se protéger des amendes plus élevées en changeant de type d'assurance, donc beaucoup plus dispendieuses. Je pense que plusieurs n'en auront même pas les moyens.
De plus, les compagnies d'assurance nous disent que devant les coûts énormes des amendes minimales et des amendes en général associées au projet de loi C-15 ainsi que des frais de cour pour s'en prémunir réagiront en augmentant considérablement les franchises ou en éliminant ce type de couverture.
La plupart des navires dans le domaine touristique ont moins de 5000 tonneaux, donc non sujets aux amendes minimales. Mais on craint qu'ils soient sujets à des pénalités très sévères, beaucoup plus qu'avec la loi sur la marine marchande puisque c'est dans l'esprit du projet de loi C-15 d'imposer de fortes amendes, même pour de petits déversements ou même pour des événements accidentels.
En fait, le projet de loi C-15 impose à l'industrie de garantir que ses opérations réduisent les risques d'accident à zéro, ce qui est impossible dans quelque activité humaine que ce soit.
Revenons sur un fait. Nous ne connaissons aucune compagnie qu'elle soit de marchandise ou de croisière qui prendrait la chance de déverser délibérément des produits toxiques dans le fleuve. Sauf de très rares exceptions, les déversements qui surviennent chez nous sont des accidents presque uniquement de très faible quantité.
Dans ce contexte, pourquoi des amendes minimales extrêmes et une criminalisation quasi automatique? Qu'est-ce que le projet de loi C-15 apportera de plus à la conservation du Saint-Laurent? De quoi avons-nous réellement besoin? De ressources pour l'application des lois existantes. La Loi sur la marine marchande offre tous les outils nécessaires à l'atteinte des objectifs visés par le projet de loi C-15. Ce n'est pas le manque de lois et de règlements qui empêche d'appréhender et de mettre à l'amende les contrevenants, c'est le manque de ressources humaines, techniques et financières.
Ce qui fait défaut ce sont les effectifs de la garde-côtière et les moyens de détection traditionnels et électroniques, le nombre de patrouilles et d'officiers aptes et formés pour ce genre de travail. Le Canada gagnerait davantage en respect de l'environnement et en respect de ses partenaires commerciaux s'il se dotait des moyens nécessaires pour appliquer les lois existantes plutôt qu'à les multiplier. C'est tout simplement contre-productif.
Au cours de la dernière décennie dans le Saint-Laurent, nous avons pris un virage de plus en plus environnemental. Par exemple, l'élaboration d'une stratégie de navigation durable dans le cadre de la Phase III de Saint-Laurent Vision 2000, qui comprend notamment un nouveau mode de gestion du dragage et le développement de la collaboration avec les milieux riverains et communautaires, notamment en cas de déversements, et des mesures volontaires pour imposer des limites de vitesse dans le fleuve pour contrer l'érosion des berges.
J'ai avec moi un exemplaire de la stratégie de navigation durable. Malheureusement, nous n'avons qu'une copie. Si le comité veut en prendre connaissance, nous demanderons à Environnement Canada de vous faire parvenir les copies nécessaires.
[Traduction]
Le sénateur Angus : Il serait très utile de les avoir. Madame Hogan, pourriez-vous les demander à Environnement Canada?
La vice-présidente : C'est exactement ce que j'allais dire, monsieur Véronneau. Si vous pouvez en obtenir des copies, faites-les parvenir à la greffière pour nos dossiers et pour qu'elle en distribue aux membres du comité.
[Français]
M. Véronneau : Il y a aussi des règlements développés conjointement par l'industrie et le gouvernement concernant les eaux de lest et les règlements sur les eaux usées et qui devraient être promulgués en 2006. Ce ne sont là que quelques exemples. Au cours des dernières années, l'industrie maritime du Saint-Laurent a travaillé en partenariat avec les ministères à vocation environnementale et les milieux riverains et environnementaux dans une perspective de développement durable.
Le message que nous envoie le projet de loi C-15 est que les armateurs sont délinquants et totalement indifférents à la protection de l'environnement, et que le seul moyen d'en venir à bout est de leur imposer un régime d'une extrême sévérité.
Pour nous, une indication de cette mentalité de délinquance appréhendée se retrouve dans la préparation du projet de loi C-15 qui a été soustraite à toute consultation avec l'industrie.
Les objectifs du projet de loi C-15 sont une négation du développement durable car ils ne sont que punitifs et, de plus, ses effets restent dévastateurs. Après des années passées à transformer nos pratiques, à faire de la sensibilisation, à développer de la concertation, à travailler efficacement avec les groupes riverains et environnementaux, il est très difficile dans notre région de comprendre l'attitude du gouvernement.
Les recommandations que ce comité voudra bien faire pour modifier le projet de loi C-15, sont pour le Saint-Laurent les seules chances d'éviter une situation extrêmement dommageable.
Nos recommandations sont les suivantes : il faut maintenir les amendes maximales mais enlever les amendes minimales, afin d'adapter les sanctions aux circonstances ; il faut reconnaître la présomption d'innocence, faire la distinction entre des infractions accidentelles et volontaires, entre des déversements de grandes quantités et de faibles quantités ; nous devons respecter les normes canadiennes en responsabilité corporative et nous assurer que le projet de loi respecte le contenu et l'esprit des conventions internationales dont le Canada est signataire ; enfin, il serait bon d'insérer une clause qui souligne la préséance de ces conventions.
Nous vous remercions de votre attention et sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Véronneau. Même si le président n'intervient habituellement pas à ce moment-ci de la séance, je voudrais clarifier quelques points avant que nous ne commencions à poser des questions aux témoins, si je puis me permettre.
À la page 4 de la déclaration que vous venez de faire, il est écrit que la Loi sur la marine marchande répond parfaitement aux besoins du gouvernement canadien en matière de réglementation et de sanctions en cas de déversements. Je dois vous dire que le projet de loi C-15 ne remplace pas la Loi sur la marine marchande. On continuera d'invoquer cette mesure législative dans certaines circonstances. Voilà donc le premier élément que je voulais préciser.
À la page suivante, on peut lire que le ministère n'aura pas à prouver la culpabilité d'un intimé. Sachez qu'on nous a dit que le ministère aura au contraire à le faire. Il devra faire preuve de diligence raisonnable à l'égard de la norme de preuve civile en vigueur. Je tenais à rectifier cette affirmation contenue dans votre exposé.
M. Véronneau : Je ne suis pas avocat, nous ne faisons que répondre à certaines observations faites par nos membres. Si la présomption d'innocence est reconnue, une partie du problème s'en trouve résolue, en ce qui nous concerne.
La vice-présidente : Le fardeau de la preuve incombera au ministère. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Angus : Je vous souhaite la bienvenue à Ottawa. Merci d'avoir accepté de comparaître devant notre comité. Vous est-il confortable de répondre à des questions en anglais?
M. Véronneau : Si cela nous pose un problème, nous aurons recours au service d'interprétation simultanée.
[Traduction]
Le sénateur Angus : Je crois comprendre que l'organisation que vous représentez est un regroupement bénévole; ce n'est pas une entreprise. Les membres ne sont pas des armateurs, et vous ne parlez pas au nom de cette industrie. Pouvez-vous expliquer cela plus longuement?
Monsieur Véronneau, je crois aussi que vous êtes bénévole. Vous êtes le président de cette organisation, vous êtes indépendant et à la retraite.
M. Véronneau : Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Angus : Pouvez-vous nous donner plus de détails, s'il vous plaît? Nous éprouvons beaucoup de sympathie pour les retraités. Il nous arrive même de croire ce qu'ils écrivent sur nous, mais pas toujours.
M. Véronneau : Le président de la SODES travaille comme bénévole non rémunéré depuis les débuts de l'organisation. La société est un organisme à but non lucratif dont l'objectif est de promouvoir les intérêts économiques du Saint-Laurent sans perdre de vue, comme je l'ai mentionné, le bien des générations futures. Du coup, l'association compte de nombreux membres. Certains — environ six ou sept, je crois — sont armateurs. Nous couvrons tous les aspects du trafic maritime sur le fleuve.
La compétitivité de l'économie canadienne est l'une des choses qui nous intéresse le plus. C'est pourquoi je travaille depuis un an et demi à la promotion d'un conseil national de l'industrie maritime pour le Canada dont font partie des représentants des transporteurs, des armateurs et d'autres secteurs de l'économie, en commençant par quatre sous-ministres; M. Ranger, de Transports Canada, qui copréside le conseil avec moi. Il y a aussi le sous-ministre du Commerce extérieur — je ne sais pas comment s'appelle ce ministère aujourd'hui; il semble changer constamment de nom; Industrie Canada et, évidemment, Pêches et Océans Canada. J'aimerais que le ministère de l'Environnement se joigne aussi à nous, comme ce fut le cas lors du forum sur la conservation au Québec, où des groupes environnementalistes, des syndicats et différents intervenants de ce secteur économique se sont rassemblés pour discuter des problèmes et essayer de trouver des solutions intelligentes.
Le sénateur Angus : Y a-t-il des groupes environnementalistes parmi les membres de la SODES?
M. Véronneau : Non, la SODES en tant que telle n'en compte aucun.
Le sénateur Angus : Il y a des organismes environnementaux dans la Société de...
M. Véronneau : Il y en avait au forum du Québec.
Le sénateur Angus : Avez-vous indiqué qu'il y a des réserves d'oiseaux sauvages le long du Saint-Laurent? Est-ce exact?
M. Véronneau : Oui. C'est un lieu de passage pour des millions et des millions d'oiseaux.
Le sénateur Angus : Vous êtes au courant de la question qui préoccupe tant le comité. C'est un problème très grave pour le Canada, sur la côte Est, particulièrement à Terre-Neuve et peut-être aussi dans d'autres provinces maritimes. Êtes-vous aux prises avec des problèmes semblables d'oiseaux mazoutés en mer qui viennent échouer sur les rives du Saint-Laurent?
M. Véronneau : Non, pas vraiment. D'après ce que nous avons lu à ce sujet, c'est mille fois pire que ce que nous voyons sur le fleuve. Nous ne parlons pas du tout de la même situation.
Le sénateur Angus : Pouvez-vous nous en dire plus?
M. Véronneau : Pas vraiment. Je ne m'y connais pas assez sur la situation à Terre-Neuve pour la commenter. En toute franchise, ce n'est qu'à la lecture des travaux du comité que j'ai pris connaissance du problème.
Dans notre cas, comme je l'ai mentionné, nous travaillons depuis 10 ans, mais à un rythme plus rapide depuis cinq ans. Nous avons les documents dont j'ai parlé. Nous avons un nombre très important de membres, mais vous avez, entre autres, la Garde côtière, Pêches et Océans Canada, Environnement Canada et le ministère des Ressources naturelles du Québec. Beaucoup de gens travaillent à l'élaboration d'une politique dans une perspective de développement durable.
Le sénateur Angus : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a plusieurs milliers et même millions d'oiseaux dans les secteurs où vous travaillez et leurs environs, mais vous affirmez que vous n'avez pas de problèmes d'oiseaux mazoutés. Y a-t-il beaucoup de transport maritime sur ces eaux, de transport maritime international?
M. Véronneau : Oui. Je n'ai pas les chiffres, mais il y a évidemment des dizaines de milliers de bateaux qui naviguent sur le Saint-Laurent chaque année et certains en hiver.
Le sénateur Angus : Dernière chose, c'est la première fois que j'entends ceci. Vous dites, dans les versions anglaise et française de votre mémoire, si je ne m'abuse, qu'il y a un problème à propos des compagnies d'assurance.
M. Véronneau : Oui.
Le sénateur Angus : Pourriez-vous nous donner davantage de détails à ce sujet, s'il vous plaît?
M. Véronneau : Depuis le 11 septembre 2001, les assurances sont beaucoup plus chères. Ce sont de petites entreprises qui s'occupent d'une grande part de l'activité économique sur le Saint-Laurent. On nous a demandé de nous adresser aux courtiers d'assurances maritimes pour connaître leur opinion au sujet du projet de loi C-15. Ils nous ont dit qu'ils examineraient la mesure législative attentivement. Les primes d'assurance ont considérablement augmenté depuis 2001. Je vous fais part de ce qu'ils nous ont dit : ils voudraient bien sûr une franchise simple plus élevée et hausser éventuellement les primes. En ce qui concerne les risques liés aux embarcations de plaisance pour les petites entreprises, je doute que celles-ci aient les moyens d'absorber une augmentation des primes d'assurance.
La vice-présidente : J'aurais autre chose à ajouter à propos de la question du sénateur Angus et de votre réponse selon laquelle les oiseaux qui fréquentent le fleuve Saint-Laurent ne sont pas victimes des déversements d'eaux de cale souillées de pétrole. Je dois vous dire que sur la côte Est de Terre-Neuve, c'est incontestablement un problème. Les bateaux qui naviguent sur le Saint-Laurent jettent l'ancre dans certains ports, n'est-ce pas?
M. Véronneau : Oui. Ils s'arrêtent dans des ports des Grands Lacs ou du Saint-Laurent.
La vice-présidente : Les navires qui arrivent à Terre-Neuve viennent d'Europe. Ils poursuivent leur route en direction des États-unis en longeant notre littoral et ils profitent qu'ils sont en mer pour y déverser leurs eaux de cale souillées de pétrole.
M. Véronneau : C'est ce que j'ai compris en lisant la documentation. Je ne veux pas faire de commentaires là-dessus parce que, pour commencer, nous ne connaissons pas la nature du problème. Selon moi, nous devrions poursuivre sans relâche les compagnies, les pilotes et les capitaines malveillants.
La vice-présidente : Je suis d'accord. Vous avez tout à fait raison. Je donne la parole au sénateur Buchanan qui vient de Nouvelle-Écosse.
M. Véronneau : Sénateur, nous nous sommes rencontrés il y a longtemps, lorsque nous essayions de développer l'île de Sable.
Le sénateur Buchanan : C'était il y a longtemps. Je voudrais formuler une observation à propos de ce qu'a dit la vice-présidente, un élément sur lequel elle et moi ne partageons pas le même point de vue. Il n'y a aucun doute qu'en vertu de ce projet de loi, les accusations portées contre un capitaine ou un mécanicien seraient de nature criminelle. Comme en témoigne la Charte, la présomption d'innocence est un principe cher aux Canadiens. Dans cette éventualité, la Couronne n'a pas à prouver grand-chose. À l'inverse, la Couronne et le gardien de la réserve ou le responsable de la conservation doivent démontrer qu'il y a eu un déversement, qu'il ait été accidentel, délibéré ou autre. Aussitôt qu'ils peuvent le démontrer, le fardeau de la preuve retombe sur l'accusé qui, avec diligence raisonnable, comme l'a dit la vice-présidente, doit prouver que le déversement était accidentel, non délibéré et sans intention délictueuse. Il aurait à démontrer son innocence au cours d'un procès criminel et non civil. Si l'accusé est acquitté, cela se terminerait là. Toutefois, le capitaine et le mécanicien devraient toujours vivre dans le déshonneur de ces accusations.
Nous devons faire très attention de ne pas confondre ce genre de situation avec la responsabilité civile. Selon le libellé de cette mesure législative, on ne parlerait plus de responsabilité civile, mais d'accusations au pénal. Le fardeau de la preuve serait donc différent. Certes, la Couronne n'aurait pas à faire la preuve hors de tout doute raisonnable de l'accusation, et l'accusé devra faire preuve de diligence, mais ce serait tout de même considéré comme un acte criminel, et le fardeau de la preuve serait déplacé. Êtes-vous du même avis?
M. Véronneau : Comme je l'ai indiqué, je ne suis pas avocat, mais on nous a dit que cela pouvait arriver. Par conséquent, nous nous opposons à cette mesure. Si la situation était différente, nous l'appuierions.
Le sénateur Buchanan : On vous a bien informé.
Le sénateur Christensen : Dans le même ordre d'idées, j'ajouterais que ce serait soit une déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou une condamnation au criminel, selon la gravité du délit.
Le sénateur Angus : Une infraction punissable par procédure sommaire demeure criminelle, mais à un degré moindre.
Le sénateur Christensen : Le but du projet de loi C-15, c'est d'essayer de s'assurer que le fait de déverser du pétrole en mer n'est pas moins coûteux que le fait de payer pour s'en débarrasser légalement dans un port. Si un navire déverse son huile de fond de cale en mer et qu'il se fait prendre, cela lui en coûtera davantage que s'il avait eu recours aux installations portuaires pour s'en débarrasser.
Monsieur Véronneau, vous avez dit que vous aviez de nombreux oiseaux migrateurs dans votre région et que, pourtant, vous ne voyiez pas les résultats des déversements de pétrole. Nous avons eu la même réponse de témoins venant de la côte Ouest également. Cela semble plutôt étrange. Je ne comprends pas pourquoi les navires ne déverseraient du pétrole qu'au large de Terre-Neuve. Par conséquent, j'ai demandé que l'on me donne une carte des courants océaniques et il devient assez évident pourquoi vous ne voyez pas d'oiseaux mazoutés dans ces autres régions. Nos grands courants océaniques se dirigent vers le large partout sauf à Terre-Neuve où les courants se dirigent vers la terre et ramènent les oiseaux sur le rivage. Il pourrait y avoir des déversements de pétrole dans votre région, mais vous n'en verriez pas les résultats à cause de la direction des courants océaniques dans votre région. Les oiseaux peuvent être sérieusement affectés par le pétrole, mais vous n'en verriez pas les signes. C'est la même chose qui arrive dans la région du Pacifique.
Voyez-vous quelque chose dans le projet de loi C-15 qui ne se trouve pas déjà dans d'autres types de loi environnementale? Trouvez-vous dans le projet de loi C-15 des exigences plus strictes que ce que l'on retrouve déjà dans d'autres types de loi environnementale?
M. Véronneau : Je dois vous dire que ce n'est pas que je ne veux pas répondre à votre question, mais que je ne suis pas un spécialiste des questions environnementales. Par conséquent, ma réaction est semblable à celles d'autres Canadiens à qui l'on apprend qu'un projet de loi précise que si vous frappez du pied un bidon de pétrole sur le pont d'un navire et que ce dernier se retrouve à l'eau, vous pourriez avoir un dossier criminel. C'est quelque chose qui ne ressemble pas du tout aux Canadiens et ce n'est pas quelque chose que j'aimerais. Quant aux effets des courants dans le Saint-Laurent, nous avons quelque chose de particulier. En tant que Montréalais, lorsque j'allais à Québec, les gens parlaient toujours de la marée dans la ville de Québec, qui est située à 1 500 milles à l'intérieur des terres. Cependant, c'est vrai; il y a une marée. En tant que constructeur de navires, je peux vous affirmer que nous ne pouvons procéder au lancement d'un certain type de navire avant octobre, parce que nous avons besoin de la marée haute qui caractérise cette époque de l'année. Par conséquent, s'il y avait un certain nombre d'oiseaux touchés, comme vous le dites ici, nous le verrions. Lorsque je parle de « sensibilisation », le fait est qu'aujourd'hui nous avons tellement d'incidents qui sont signalés. Je constate maintenant qu'à vos yeux, 33 incidents, ce n'est pas beaucoup, mais c'est beaucoup pour nous. Cependant, c'est beaucoup mieux que c'était auparavant et cette année, il y en aura encore beaucoup moins. Si nous en avons autant, c'est parce que tout le monde contribue. Cela peut venir d'un avion ou d'un yacht ou des gens sur la rive. Tout ce que nous voyons, c'est une nappe de pétrole sur la rive.
Lorsque j'étais président du chantier maritime, s'il y avait un incident le long d'un quai, les gens du ministère nous tombaient dessus immédiatement. Je ne savais même pas que nous avions eu un déversement de pétrole qu'ils étaient déjà là. C'est une question de sensibiliser les gens et de vouloir protéger une richesse qui est très importante pour nous.
Le sénateur Christensen : Plus de mises en application de ce que nous avons déjà plutôt qu'une nouvelle législation?
M. Véronneau : Pour moi, c'est le gros bon sens. Il s'agit d'une situation très différente. Vous avez des navires qui passent — encore une fois, je ne peux insister davantage sur ce point. Nous ne voulons pas avoir de tas de rouille dans le Saint-Laurent. Je vous le dis franchement, je me demande pourquoi des pays avancés comme le Canada, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne sont aussi complaisants, mais je soulèverais une question qui est débattue depuis de nombreuses années. Nous avons institué le Contrôle par l'État du port et il y a de plus en plus de législations.
À mes yeux, en tant qu'homme d'affaires, je trouve pitoyable d'entasser des choses dans un projet de loi et qu'ensuite, on recommence avec un autre projet de loi parce que quelque chose ne fonctionne pas bien. Nous reconnaissons qu'il y a un problème particulier à Terre-Neuve, et on devrait faire quelque chose à cet égard. En tant que personne réaliste, je crois que si nous ne nous donnons pas les moyens de protéger notre souveraineté, le moyen de protéger notre côte — j'entend des gens dire : « Augmentez l'amende et cela suffira à régler le problème ». Je trouve cela très étrange parce que, dans le cas de l'homicide, nous disons toujours que la peine ultime ne changera pas ce que la personne fera. Peut-être me direz-vous que c'est une émotion. Oui, peut-être que c'est une émotion, mais n'est-ce pas toujours de l'émotion.
Le sénateur Angus : J'aimerais une clarification, monsieur; vous avez utilisé l'expression « tas de rouille ». Pourriez-vous expliquer de quoi il s'agit?
M. Véronneau : C'est ce qu'on appelle des exploitants crapules. Dans le monde maritime, ils existent. Beaucoup de gens jouent sur les immobilisations. Ils achètent un navire et cela ne leur fait absolument rien de ne pas faire un sou. Ce n'est pas le but qu'ils recherchent. Le but, c'est d'attendre que le bon moment arrive, ensuite ils vendent le navire et c'est de cette façon qu'ils font leur argent. Dans l'intervalle, pour ne pas perdre d'argent, ils doivent réduire les dépenses, alors ils embauchent un équipage sans formation et ne font pas l'entretien du navire. Il s'agit d'un petit pourcentage, mais ils existent. Avec le Contrôle par l'État du port, nous avons beaucoup de succès au Canada et nous voyons de moins en moins de ces navires. Sur le Saint-Laurent, nous avions souvent des problèmes comme des marins qui n'avaient pas de chaussures dans les pieds au beau milieu de l'hiver et des choses du genre. C'est une honte. Ce problème a été réglé. Il est difficile de dire « réglé pour toujours » parce qu'il y a toujours une nouvelle approche. Il y a toujours un petit nombre de gens qui font cela et il faut se montrer sévères à leur endroit. Cependant, pour pouvoir se montrer sévères à leur endroit, il faut pouvoir les attraper.
Le sénateur Hubley : Je voulais simplement essayer de mettre le projet de loi C-15 en perspective. Le gouvernement veut pouvoir utiliser ce projet de loi pour faire d'une manière efficace beaucoup de choses que l'on retrouve actuellement dans la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et dans la Loi sur la protection de l'environnement. Cependant, le gouvernement a constaté qu'il n'avait pas les outils pour appliquer ces lois de manière appropriée. Je voulais vous rappeler que la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs — il s'agit d'une des lois que le projet de loi C-15 modifiera — comporte depuis 1948 une réglementation concernant la pollution par le pétrole et les oiseaux. C'est quelque chose qui existe. Même sans le projet de loi C-15, cette loi peut être mise en application dans les eaux territoriales canadiennes, dans la limite des 12 milles. Le projet de loi C-15 aura probablement moins de répercussions dans le fleuve Saint-Laurent qu'il en aura dans ce que nous appelons la zone économique exclusive. Grâce au projet de loi C-15, nous sommes en mesure d'étendre l'application de la loi et en faisant cela, nous allons certainement l'appliquer à la région des Grands Bancs de Terre-Neuve et dans cette région particulière. Je voulais simplement que vous sachiez qu'il y a des règlements en place à l'heure actuelle qui peuvent être utilisés, mais que le projet de loi C-15 viendra renforcer cette situation.
Ma question se rapporte au fait que vous avez dit que vous aviez eu 33 déversements en 2004. La taille du navire entre également en ligne de compte. Connaissez-vous la taille de ces navires? Jaugeaient-ils moins de 5000 tonnes?
M. Véronneau : Non. Sauf dans le dernier cas où il s'agissait, je pense, d'un port de plaisance; mais je n'en suis pas certain. Je ne pense pas qu'il s'agissait d'un navire, mais dans les autres cas, c'étaient des navires de 5 000 tonnes et plus.
Le sénateur Hubley : J'ai une question concernant les amendes. C'est certainement une question sur laquelle l'industrie du transport maritime a attiré notre attention à de nombreuses occasions. Il s'agit d'un problème intéressant du fait que si vous regardez le nombre d'oiseaux qui meurent chaque année à cause du déversement illégal des huiles de fond de cale le long de la côte de Terre-Neuve, 60 p. 100 des oiseaux morts qui ont échoué sur le rivage étaient mazoutés. Il suffit d'une quantité infime de pétrole pour tuer un oiseau. Le long de la côte des États-Unis— et il y a de nombreuses autres raisons pour cela — le pourcentage d'oiseaux morts trouvés dans ces endroits est beaucoup plus faible. J'ai entendu des chiffres variant de 2,5 à 5 p. 100. J'ai entendu 2,5 p. 100 dans les cas où le pétrole était en cause. Il semble, pour une raison quelconque, que le Canada soit touché davantage que les autres régions par les déversements liés au trafic maritime. Nous estimons que le système d'amendes est un élément nécessaire de la solution. Il s'agit uniquement d'amener les amendes au même niveau que celles qu'imposent d'autres pays. Je crois qu'elles sont comparables aux amendes imposées par les États-Unis et certains pays européens. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Véronneau : Regardez la situation qui existe sur la côte de Terre-Neuve et le bon sens vous dira que les navires transitent la nuit et ou bien ils se rendent aux États-Unis ou bien ils en reviennent. C'est la route pour aller en Europe, une situation qui n'existe pas sur la côte Ouest. Il est des plus probable que les navires viennent du Japon et de la Chine directement à Vancouver, mais peut-être que ce n'est pas le cas. Il y a une situation particulière.
Lorsque j'étais président de la Voie maritime du Saint-Laurent, j'étais conscient du fait que nous entendions davantage parler des problèmes de pollution dans les Grands Lacs du côté américain que du côté canadien. Les amendes et la surveillance n'ont pas empêché plus d'Américains que de Canadiens de polluer. Il s'agit d'une situation difficile à analyser.
Je crois fermement que vous devez mettre votre politique en application. C'est pourquoi je suis venu ici, pour vous dire que nous aurons besoin d'une Garde côtière qui a les moyens de mettre la loi en application. Nous n'avons pas la Garde côtière américaine. La Garde côtière américaine est la troisième ou la quatrième marine en importance dans le monde. Évidemment notre marine ne figure pas parmi les 20 premières, alors, notre Garde côtière est loin derrière. Il est nécessaire que nous ayons les moyens de mettre la loi en application. Si nous avons une situation particulière, j'aimerais que la législation traite de cette situation et qu'elle fasse en sorte que nous puissions nous concentrer sur l'application de la loi. Je comprends ce que vous dites, à savoir que la probabilité que quelque chose se fasse dans le Saint-Laurent en vertu du projet de loi C-15 est très éloignée. Peut-être dans trois ou cinq ans, je ne sais pas, mais cela arrivera. Une erreur humaine se produira à un moment donné. Quelqu'un va renverser trois litres d'essence et il se retrouvera ipso facto en prison. Je sais que cela finira par arriver un jour et ce sera un désastre.
Le sénateur Spivak : Monsieur Véronneau, nous sommes conscients que les peines et les amendes dans ce projet de loi sont conformes à celles qui sont stipulées dans la Loi sur la marine marchande du Canada, comme on l'indique dans un mémoire qui nous sera présenté ce matin. Vous n'avez pas souffert indûment des dispositions de cette loi. Il y a d'autres éléments dans ce projet de loi qui viennent renforcer la situation des oiseaux migrateurs. Pourquoi êtes-vous si inquiet de ce projet de loi alors que vous avez vaqué à vos activités en vertu du même genre de règlement sans que vous ayez eu à en subir des conséquences indues?
M. Véronneau : C'est parce que l'amende, pour les trois exemples que je vous ai donnés, s'élèverait à 100 000 $, bien qu'ils ne faisaient intervenir qu'une très petite quantité de carburant. On me dit que le projet de loi ne tient pas compte de la taille du déversement ou du fait qu'il peut s'agir d'une erreur. S'il y a du pétrole, les autorités n'acceptent aucune excuse. C'est comme une contravention pour excès de vitesse. Si vous allez trop vite, vous avez une contravention; il n'y pas d'excuse. Je ne dis pas cela parce que je suis en faveur que l'on puisse fabriquer des excuses, mais plutôt je le dis pour des raisons économiques.
Le sénateur Spivak : Je ne pense pas que ce soit exact. Je ne pense pas que le projet de loi fonctionnera d'une manière aussi péremptoire. Les tribunaux tiennent compte des définitions juridiques appropriées. Chose certaine, pour ce qui est des amendes et de la peine d'emprisonnement, dans ce projet de loi, la durée de l'emprisonnement est réduite de cinq à trois ans. Ce serait pour un acte criminel, mais nous parlons surtout d'infractions de responsabilité stricte.
Le sénateur Buchanan : Nous parlons d'infractions punissables par procédure sommaire.
Le sénateur Spivak : Oui.
Le sénateur Buchanan : Une personne coupable en vertu d'une infraction punissable par procédure sommaire est un criminel.
Le sénateur Spivak : Il y a deux choses différentes ici. Je veux vous signaler que vous craintes ne se matérialiseront pas davantage en vertu du projet de loi C-15 que ce fut le cas en vertu des règlements actuels liés à la Loi sur la marine marchande du Canada.
M. Véronneau : Je vous dirais, sénateur, qu'en tant que citoyen canadien je ne m'attends pas à attendre pour prendre conscience que mes craintes ne seront pas fondées.
Le sénateur Hubley : Peut-être que le sénateur Spivak a expliqué cela, mais la notion de responsabilité stricte n'est pas nouvelle dans le droit canadien. Si un déversement de pétrole se produit, il doit y avoir une enquête de manière que l'on puisse déterminer le profil du pétrole qui a été déversé par le navire particulier. Si l'enquête révèle que le navire est coupable, alors, une accusation est portée. C'est alors que le fardeau de la preuve change. Si le propriétaire du navire peut démontrer qu'il a fait preuve de diligence raisonnable, ce qui peut vouloir dire de nombreuses choses, alors, l'accusation tombe. Le propriétaire du navire a cette possibilité.
Le sénateur Buchanan : Cependant, l'accusation a déjà été portée.
Le sénateur Hubley : Notre témoin a fait une analogie avec une contravention pour excès de vitesse. Nous vivons en fonction des règlements au Canada; et ils sont là pour nous protéger.
Le sénateur Buchanan : Les contraventions pour excès de vitesse ne sont pas de nature criminelle.
Le sénateur Hubley : La diligence raisonnable est une défense, et c'est un point important.
Le sénateur Spivak : C'est exact.
Le sénateur Buchanan : Mais il s'agit tout de même d'une accusation au criminel.
Le sénateur Hubley : C'est parce qu'un acte criminel a été commis.
Le sénateur Buchanan : Les actes criminels sont volontaires, intentionnels et exigent la mens rea.
[Français]
Le sénateur Lavigne : Les déversements que vous avez mentionnés se sont-ils produits dans le fleuve Saint-Laurent?
M. Véronneau : Oui.
Le sénateur Lavigne : Combien de déversements se sont produits?
M. Véronneau : D'après ce document, il s'est produit trois déversements d'importance dans le fleuve Saint-Laurent : près de l'Île d'Anticosti, le Rio Orinoco, en 1990, a déversé 260 tonnes ; en 1988, le Czantoria, près de Saint-Romuald, a déversé entre 100 et 400 tonnes ; le Pointe-Lévy, en 1985, a déversé à Matane 400 tonnes. À ma connaissance, il ne s'est pas produit de déversements importants depuis 1990.
Le sénateur Lavigne : Est-ce que les responsables de ces déversements ont fait le nécessaire pour remettre en état la nature endommagée?
M. Marc Gagnon, directeur général, Société de développement économique du Saint-Laurent : Dans le cas du Czantoria, le déversement s'est produit au quai de la pétrolière Ultramar à Saint-Romuald. Des mesures furent prises immédiatement par certains organismes qui ont la responsabilité de voir à ces situations d'urgence.
Le sénateur Lavigne : Est-ce la compagnie responsable qui défraie ces coûts?
M. Gagnon : Il existe un fonds de prévoyance et d'indemnisation. Toutefois, dans le cas du Czantoria, la compagnie Ultramar a payé les coûts de nettoyage.
Le cas du Rio Orinoco était plus grave, car le navire s'est échoué à l'Île d'Anticosti et on a dû aller le chercher. Par conséquent, il fut plus difficile de récupérer les 200 tonnes déversées, car le dégât s'est produit en pleine nature et non dans un port. Le navire et sa cargaison — je crois qu'il s'agissait d'asphalte — ont pu être récupérés, sauf pour ces 200 tonnes qui furent envoyées à Lévis par le Groupe Desgagnés, qu'on a désigné pour dégager le Rio Orinoco.
Dans le cas de ces trois déversements, le temps d'intervention fut très rapide.
Le sénateur Lavigne : Combien de déversements ou de fautes commises se sont produits dans le Saint-Laurent sans qu'on puisse trouver les responsables?
M. Gagnon : En 2004, les 33 cas ont fait l'objet de poursuites et des amendes furent payées en vertu de la Loi sur la marine marchande. À notre connaissance et selon les données de Transports Canada, aucun autre déversement ne s'est produit. Les exemples cités se réfèrent à de petites quantités. On ne peut dire s'il n'y en a eus d'autres. Toutefois, au fil des ans, le nombre de déversements est en déclin. On rapporte les incidents et les dégâts sont nettoyés immédiatement.
Le sénateur Lavigne : A-t-on toujours pu trouver les responsables?
M. Gagnon : Dans les 33 cas cités, on a trouvé les responsables et des amendes furent imposées. À savoir si d'autres déversements se sont produits, il faudrait poser la question à Transports Canada.
Le sénateur Lavigne : Monsieur Véronneau, tantôt vous avez donné l'exemple de quelqu'un sur un navire qui donne un coup de pied sur un contenant d'huile qui tombe dans l'océan ou dans le fleuve Saint-Laurent et qui pollue les eaux, cela arrive-t-il fréquemment? Cela fait penser aux gens qui vident leur cendrier d'automobile ou jettent d'autres débris un peu partout dans la rue. Les villes sont de plus en plus sales et les gens ne font pas attention à ce qu'ils font. J'espère que vous ne prenez pas cet exemple dans bien des occasions, car je ne pense pas que c'est le meilleur exemple que vous ayez donné. Je voulais simplement faire ce commentaire.
M. Véronneau : C'est déjà arrivé.
[Traduction]
La vice-présidente : À la page 5 de votre mémoire, vous dites que les pénalités introduites par le projet de loi C-15 placent le Canada au sommet des nations pour la sévérité des sanctions.
Je veux simplement vous rappeler que les États-Unis sont signataires de la Convention MARPOL et que les pénalités qu'ils imposent sont beaucoup plus sévères que les pénalités canadiennes. C'est pourquoi nous avons besoin du projet de loi C-15, pour faire en sorte que les navires étrangers ne trouvent plus qu'il est rentable de déverser leurs résidus, leurs huiles de fond de cale qui tuent nos oiseaux, dans nos eaux.
M. Véronneau : Je comprends ce que vous me dites, madame. J'ai simplement une opinion différente. Je sais que les Américains sont plus sévères que nous le sommes et je crois que c'est également la raison pour laquelle les gens sont plus respectueux. Ce dont nous parlons, c'est d'une amende minimale, qui ne tient pas compte de la taille du déversement, du fait que vous l'avez fait intentionnellement, du fait que vous êtes malicieux ou du fait que c'est un accident. Il y a une grande différence. C'est la raison de notre opposition.
Si quelqu'un se fait imposer une amende de 1 ou 2 millions de dollars parce qu'il est venu déverser ses eaux de cale le long de nos côtes, très bien, allez-y, frappez fort. Nous sommes d'accord sur ce point. Le problème, c'est que nous frappons tout le monde, les bons citoyens, les gens qui travaillent fort, les petites entreprises qui ont très peu de moyens. Nous parlons de notre situation sur le Saint-Laurent. Nous ne parlons pas de ce qui arrive le long de la côte Est.
La vice-présidente : Monsieur Véronneau, je suis tellement heureuse de vous voir passionné, parce que vous êtes aussi passionné que je le suis au sujet des oiseaux.
M. Véronneau : Je le suis également au sujet des oiseaux, vous savez. Et j'ai six princesses et je veux qu'elles vivent dans un monde aussi bien que celui dans lequel je suis né.
La vice-présidente : Vous êtes merveilleux.
M. Véronneau : Je pense que je devrais m'arrêter ici, sur cette note positive.
La vice-présidente : Juste une dernière chose. Vous avez dit que vous n'avez pas été consulté lorsque ce projet de loi a été mis de l'avant. Eh bien, je veux simplement vous dire que mardi nous avons entendu le témoignage d'une dame appelée Elizabeth May. Elle est environnementaliste et n'a pas été consultée elle non plus. Je voulais simplement que vous le sachiez.
Nous allons mettre fin à votre témoignage pour passer à un autre. Nous sommes vraiment reconnaissants de votre présence et également de votre bénévolat; je suis tellement heureuse de cela.
Le sénateur Angus : Le sénateur Buchanan m'a demandé de poser une question en son nom. Il a dû se rendre à la réunion Canada-États-Unis.
La vice-présidente : Une toute petite.
Le sénateur Angus : La question était : dans le Saint-Laurent, dans les régions dont vous parlez, je crois comprendre qu'il n'y a pas de grandes pêcheries et qu'il n'y a pas beaucoup de bateaux de pêche dans le Saint-Laurent, des bâtiments plus petits, comme on en trouve au large de la côte et dans les Grands Bancs, est-ce exact?
M. Véronneau : Il y a une industrie de la pêche assez importante dans le Saint-Laurent et dans les Grands Lacs également. Elle n'est peut-être pas aussi grande que celles qu'on trouve sur la côte Est, la pêche en mer, mais il s'agit certainement d'une partie importante de l'économie du fleuve.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Nous donnons maintenant la parole à Canards Illimités Canada. Nous allons entendre M. Barry Turner et M. Mark Gloutney. Voulez-vous commencer, monsieur Turner?
M. Barry Turner, directeur des relations gouvernementales, Canards illimités Canada : Merci, madame la présidente et bonjour honorables sénateurs. Lorsque nous nous sommes levés, M. Gloutney et moi, très tôt ce matin avant le lever du soleil pour comparaître devant le comité, nous avions l'impression d'aller dans une cache pour la chasse au canard.
Je suis le directeur des relations gouvernementales de Canards illimités Canada et je vais vous présenter un bref historique de Canards Illimités. M. Gloutney parlera plus en détail du projet de loi.
Hier, j'étais dans un ascenseur à Ottawa et un inconnu en m'a demandé, en mon épinglette de Canards, si je travaillais pour Canards illimités Canada. J'ai répondu oui. Il a dit que nous étions un modèle d'organisation de conservation au Canada, je ne pouvais qu'être d'accord.
Canards illimités Canada, honorables sénateurs, existe depuis environ 68 ans, depuis 1937. Nous avons des bureaux dans tout le pays et 450 employés. Notre budget annuel dépasse 80 millions de dollars. Nous organisons 700 événements chaque année dans tout le pays pour collecter des fonds qui serviront à financer nos travaux de conservation; 94 000 personnes assistent à ces événements. Nous avons 8 200 bénévoles à travers le pays. Ne dirait-on pas un parti politique?
Le sénateur Christensen : Et un très bon parti politique.
Le sénateur Angus : Le mot clé étant « parti ».
La vice-présidente : Silence, s'il vous plaît.
M. Turner : Je suis désolé, je voulais seulement m'assurer que tout le monde écoutait.
Notre mandat principal, comme la plupart d'entre vous le savent, est de protéger, de restaurer et d'améliorer des millions et des millions d'acres de milieux humides côtiers et des habitats les avoisinant pour le gibier d'eau et d'autres espèces animales — et en fait pour le bénéfice de l'homme. Nos activités s'étendent de la forêt boréale à travers tout le Canada jusqu'aux berges des Grands Lacs et nos deux côtes. Nous offrons de grands programmes de sensibilisation dans tout le pays. En fait, nous avons conclu des ententes avec des milliers de propriétaires terriens pour collaborer avec eux en vue de protéger les milieux humides qui apparaissent sur leurs terres afin que le gibier d'eau et d'autres animaux puissent en profiter.
Vous savez aussi, je suis sûr, que nous avons une organisation soeur aux États-Unis appelée Ducks Unlimited Inc. qui fait un travail similaire.
La raison pour laquelle nous sommes tellement passionnés par ce que nous faisons, c'est parce qu'il ne reste qu'environ 30 p. 100 de milieux humides naturels au Canada. Notre mandat est d'essayer de les protéger et il faut plus de politiques et de lois dans tout le Canada pour nous aider à y arriver.
À cet égard, je vais demander à mon collègue de notre bureau d'Amherst dans l'est du Canada, M. Mark Gloutney, de faire quelques observations scientifiques sur l'effet du projet de loi C-15 sur le gibier d'eau et les oiseaux de rivage.
La vice-présidente : Étant donné que vous êtes originaire de la Nouvelle-Écosse, monsieur Gloutney, je suis certaine qu'il pourra trouver un parent ou quelqu'un qui vous est apparenté.
M. Mark Gloutney, directeur des opérations provinciales, Canards illimités Canada : Mon épouse est originaire de la Nouvelle-Écosse. Je suis originaire de Montréal. J'ai été transplanté...
Mon expérience se situe au niveau de la gestion de nos opérations dans le Canada atlantique et j'ai joué un rôle important dans l'élaboration d'une initiative de recherche quinquennale visant à expliquer l'absence d'eiders sur la côte de Terre-Neuve.
Vous avez tous entendu parler, au cours de vos audiences, de l'effet des hydrocarbures sur les oiseaux de mer. Je n'ai pas l'intention d'y revenir. Mes observations seront plutôt axées sur l'environnement près des côtes et ce qui arrive lorsque les hydrocarbures atteignent la côte. Je vais surtout parler des canards de mer.
Il y a un millénaire que les gens vivent en interaction avec les canards de mer. En 1750, un moine celte qui vivait en ermite a protégé de l'extinction une population locale d'eiders. Cela et certaines autres activités de conservation de la faune lui ont valu d'être sanctifié et de devenir Saint Cuthbert. En Europe, les eiders sont appelés canard Cuthbert. Je ne sous-entends pas que vos délibérations pourraient d'une manière ou une incidence sur l'éventualité de votre sanctification, mais un précédent existe.
Je voudrais dire que la marine marchande et les canards de mer coexistent dans l'environnement. C'est un fait dans nos deux côtes ainsi que dans les Grands Lacs. Il y a un trafic maritime le long de la côte de la Colombie-Britannique et de notre côte de l'est comme il a été dit tout à l'heure.
Les canards de mer sont une espèce intéressante. Quinze espèces vivent en Amérique du Nord. Certaines espèces ont plusieurs races un peu partout sur le continent. Ce groupe d'oiseaux particulier nous préoccupe, car la population de dix de ces espèces est un déclin. L'une d'elles, celle de l'arlequin plongeur de l'est, est inscrit dans la liste fédérale des espèces préoccupantes. Comme son nom l'indique, le canard de mer passe une grande partie de sa vie en mer, soit de six à onze mois.
Je voulais vous montrer une bonne présentation en PowerPoint, mais, à la place, je vais vous laisser imaginer.
L'espèce qui nous préoccupe le plus est celle du canard eider, qui compte plusieurs espèces, et les macreuses et l'Harelde kakawi. Un grand nombre de ces populations ont décliné très rapidement. Par exemple, la population des eiders de la côte est dans les régions de Terre-Neuve-et-Labrador et sur la côte nord du Québec devait probablement s'élevait à 250 000 au début du XIXe siècle. On estime aujourd'hui qu'il y en a 22 0000. Donc il y a un net déclin de cette population. Nous devons agir pour éliminer les facteurs de la mortalité qui frappe ces oiseaux. Le déversement d'hydrocarbures est l'un de ces facteurs. Ces oiseaux sont particulièrement vulnérables aux hydrocarbures pour plusieurs raisons. Le fait qu'ils sont très grégaires durant plusieurs étapes de leur vie en est une. Ils ont tendance à vivre côte à côte en groupes nombreux dans les aires d'hivernage; dans les régions où ils muent; ils ne peuvent pas voler quand leur plumage est remplacé; ils migrent entre leurs aires de reproduction et leurs aires d'hivernage. Une petite quantité d'hydrocarbures ou un petit déversement peut menacer un grand nombre d'oiseaux.
En plus, ces oiseaux vivent près des côtes le long desquelles ils se déplacent à la recherche de nourriture dans des moulières ou au grand large. Quand la nappe d'hydrocarbures atteint le rivage, elle s'immobilise, il y a donc plus de chance que les oiseaux entrent en contact avec les hydrocarbures là qu'au large où les hydrocarbures se déplacent. Donc, quand les hydrocarbures atteignent les côtes, les oiseaux sont en plus grand danger.
Pourquoi ces oiseaux nous préoccupent tant? Parce que leur taux de reproduction est faible. Ils ne peuvent pas reconstituer rapidement leur population si celle-ci a décliné de façon importante. Par exemple, le déversement de l'Exxon Valdez a eu de très graves répercussions sur les canards arlequins de l'Alaska. Nous n'avons toujours pas reconstitué ces populations au niveau qui existait avant le déversement.
Le faible taux de reproduction de ces oiseaux signifie qu'il leur faut plus de temps pour se reproduire que les autres canards. Ils commencent à se reproduire à l'âge de trois ans. Ils ne pondent pas beaucoup d'œufs. Ils se reproduisent tous les deux ans. Ils restent fidèles à leurs aires de reproduction, d'hivernage et de repos. Il est difficile, en cas de diminution d'une population locale, l'établissement de colonies de nouveaux oiseaux dans ces mêmes régions est difficile.
En quoi les canards de mer sont-ils importants pour les Canadiens? J'ai eu le plaisir de voyager le long de ces côtes car je travaille sur la côte est et Terre-Neuve-et-Labrador font partie de mon territoire. Je peux vous dire qu'à Terre-Neuve, l'eider est le canard des canards. Il y a toute une culture liée à cette espèce. Quand les gens voulaient manger, ils se rendaient sur la côte, chassaient un canard eider et le cuisinaient pour le repas du dimanche. Cette tradition a changé et nous l'avons constaté dans les collectivités côtières, mais il y a toujours des liens entre les gens vivant sur nos côtes et cet oiseau. C'est vraiment un symbole de la côte. Sur le plan des loisirs, la chasse de ces oiseaux est très importante. Si vous êtes allés sur la côte de Terre-Neuve quand la chasse est ouverte, vous avez pu voir que les gens de la région ne manquent pas cette occasion.
En outre, il y a de plus en plus de possibilités, de technologie et une meilleure compréhension des méthodes de conservation appropriées pour pouvoir récolter de façon durable le duvet des nids de ces oiseaux. Dans le Saint-Laurent, il y a une importante industrie viable de récolte de duvet sur un certain nombre d'îles.
Ces espèces sont aussi très importantes pour nos Premières nations. Elles font partie de leur récolte de subsistance, partie de leur alimentation, la viande et les œufs, même si les œufs sont moins consommés de nos jours. Nous constatons aussi que la récolte durable de duvet dans les nids des oiseaux suscite un intérêt croissant dans la région est de l'Arctique canadien. En fait, selon le Service canadien de la faune, la récolte du duvet dans la Baie d'Ungava de la région est de l'Arctique a augmenté ces dernières années; environ 5 000 kilogrammes l'année dernière en comparaison à 1 500 en 2000. Cela offre une perspective économique importante pour nos peuples des Premières nations dans cette partie du monde.
On a dit tout à l'heure qu'il y avait très peu d'hydrocarbures dans notre environnement Arctique et c'est une bonne chose. Vous avez aussi entendu dire que ce projet de loi n'a pas d'incidence sur nos collectivités du Nord. Cependant, ces oiseaux quittent ces collectivités du Nord et hivernent sur la côte de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce faisant, ils s'exposent et un lien direct existe à ce niveau. Je suppose que vous avez tous entendu, vers la fin du mois de février ou au début du mois de mars, les médias signalaient un déversement d'hydrocarbures au large de la presqu'île Avalon à Terre-Neuve. C'étaient d'oiseaux de la région est de l'Arctique. Environ 1 300 oiseaux ont été mazoutés à cause de ce déversement. Le problème, c'était que ces oiseaux étaient principalement des oiseaux adultes. Quand des oiseaux ou des canards adultes disparaissent suite à ces accidents, c'est une catastrophe au niveau de la reconstitution des populations d'oiseaux telles qu'elles étaient avant le déversement. On dirait que 1 300 eiders n'est pas un très grand nombre. Mais, permettez-moi de replacer la question dans son contexte. Il s'agit d'environ 1 p. 100 des oiseaux qui ont hiverné sur les côtes de Terre-Neuve et cela représente les victimes d'un seul déversement d'hydrocarbures.
Il y a environ 4 000 couples reproducteurs sur l'île de Terre-Neuve. Si ce déversement avait eu lieu le long de la côte sud de l'île, un tiers des couples reproducteurs eiders de Terre-Neuve auraient été menacés. Donc, le danger est très grand.
Je voudrais aussi parler d'autres espèces comme les arlequins plongeurs qui vivent dans l'est du Canada. Ils sont inscrits dans la liste fédérale des espèces préoccupantes. Il y a environ 2 000 arlequins plongeurs. Cet hiver, il y en avait 242 au large du Cap Sainte-Marie à Terre-Neuve. C'est un pourcentage important de la population mondiale de cet oiseau sur une importante route maritime. Il est évident qu'un accident aurait d'importantes répercussions sur cette population.
Pour résumer, la présence d'hydrocarbures près de nos côtes a des effets très négatifs sur les canards de mer.
Je voudrais parler maintenant des effets du pétrole quand il pénètre dans les milieux humides et les écosystèmes côtiers. Les milieux humides côtiers sont influencés par des marées et incluent des zones dans les herbiers, et cetera. Ces habitats sont importants pour un certain nombre de raisons et ont été menacés durant les 400 dernières années. Dans la Baie de Fundy, 65 p. 100 de nos milieux humides côtiers ont disparu. Dans certaines petites régions locales, cette perte est d'environ 90 p. 100. Les actions des hommes ont eu des répercussions importantes sur ces milieux humides côtiers. Nous sommes très préoccupés par cette perte et le pétrole qui atteint les côtes. C'est important pour le gibier d'eau dont une grande partie vit dans ces régions. C'est également important. Car ces régions offrent des habitats critiques pour de nombreux oiseaux de rivage qui migrent et résident au Canada.
Le pétrole qui atteint les côtes peut avoir des répercussions très importantes sur nos pêches de poissons à nageoires, car les habitats du saumon, du bar rayé et du hareng seront touchés et ces poissons sont importants au plan commercial et récréatif. De plus, beaucoup de nos pêches commerciales de mollusques, comme les moules et les pétoncles ont besoin de milieux côtiers sains pour vivre. L'aquaculture est une industrie de plusieurs milliards de dollars sur les deux côtes du Canada. La pénétration de pétrole dans une ferme d'aquaculture serait un grave problème pour l'industrie.
Nos collectivités côtières dépendent de plus en plus du tourisme culturel, de l'écotourisme et du tourisme en général. Les photos de plages et de rochers pollués par le pétrole et d'oiseaux morts le long de la plage ne favorisent pas le tourisme et peuvent réduire considérablement le potentiel de l'industrie et de nos collectivités côtières.
Compte tenu du risque que les déversements de pétrole représentent pour les populations déjà faibles de canards de mer et de la destruction qu'ils causent dans les habitats côtiers, Canards Illimités Canada appuie le projet de loi C-15 dans sa forme actuelle.
La vice-présidente : Merci, monsieur Gloutney. Nous passons à Mme Venton du Sierra Legal Defence Fund.
M. Turner : Si vous me le permettez, madame la vice-présidente, je voulais rappeler au comité que nous avons envoyé à l'avance au greffier du comité une déclaration d'une page et demie concernant Canards illimités Canada.
La vice-présidente : Oui, nous l'avons, monsieur Turner.
M. Turner : Merci, madame la vice-présidente. J'aurais dû le mentionner au début de la réunion.
La vice-présidente : Madame Venton, je vous en prie.
Mme Margot Venton, avocate, Sierra Legal Defence Fund : Merci de m'avoir donné l'occasion de parler au Comité sénatorial sur l'énergie aujourd'hui. Je m'appelle Margot Venton et je suis avocate chez Sierra Legal Defence Fund à Vancouver.
Je voudrais dire quelques mots sur le Sierra Legal Defence Fund à pour ceux qui ne connaissent peut-être pas notre organisation. Notre organisation est une organisation nationale, sans but lucratif qui a pour objectif le renforcement et la protection des lois qui protègent l'environnement au Canada. Nous oeuvrons principalement dans les litiges, bien que nous ayons participé à l'élaboration, l'interprétation et l'application d'un certain nombre de mesures législatives fédérales. Nous avons comparu devant des comités du Sénat et de la Chambre des communes au sujet de questions liées à l'environnement. De plus, nous avons été impliqués dans un certain nombre de causes types dans lesquelles la constitutionalité et l'application des lois environnementales, en particulier les lois fédérales, ont été portées devant les tribunaux. À mon humble avis, le Sierra Legal Defence Fund connaît très bien un grand nombre des questions soulevées dans les débats du Sénat entourant le projet de loi C-15. J'ai eu l'occasion de lire les témoignages présentés par d'autres témoins et je trouve que les questions sont très intéressantes. Nous avons préparé un exposé de 25 pages qui a été distribué, je crois, aux membres du comité.
La vice-présidente : Oui.
Mme Venton : Notre exposé tente de répondre, autant que possible, à certaines des questions que vous pourriez nous poser aujourd'hui. Avant de résumer l'exposé, je voudrais faire quelques observations importantes sur le projet de loi et son importance telle que perçue par notre organisation et ses partisans. Le Sierra Legal Defence Fund a 20 000 donateurs canadiens dans tout le pays. L'organisation a représentée, à divers moments de son histoire, toutes sortes d'organisations et d'individus appartenant à des horizons différents, de l'écologie au gouvernement, des syndicats au secteur privé.
À notre avis, le but premier du projet de loi C-15 qui propose diverses modifications à la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, est de renforcer la capacité du Canada de protéger les oiseaux migrateurs et le milieu marin dans la zone économique exclusive du Canada des effets de la pollution par les navires.
Il existe actuellement un problème environnemental. Je crois comprendre que le comité sénatorial en a entendu beaucoup parler au plan de la pollution par les navires du milieu marin. Je ne parlerai pas des aspects écologiques ou scientifiques de ce problème, car beaucoup de gens connaissent mieux le sujet. Du point de vue juridique, les problèmes actuels tournent autour de la question des pouvoirs d'exécution et de la clarté de la compétence dans la zone économique exclusive et de l'effet dissuasif des lois canadiennes. Nos présentations seront axées sur ces deux questions.
Nous croyons qu'il y a une incertitude au niveau de l'application par le Canada de la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs dans la zone économique exclusive et de l'application de la LCPE en ce qui concerne la pollution par les navires. Le projet de loi C-15 vise à régler et clarifier ces deux questions particulières de compétence et de pouvoirs exécutifs des lois fédérales. Ce serait une bonne chose pour les oiseaux migrateurs et le milieu marin.
En ce qui concerne l'effet dissuasif, deux défis d'envergure se posent pour le Canada. Le premier est le manque de pouvoir exécutif. Nous avons beaucoup entendu parler du manque de ressources pour appliquer la loi de manière appropriée dans la zone économique exclusive. Nous appuyons toutes les présentations demandant une meilleure application de ce projet de loi et de toutes les lois environnementales au Canada. Ce problème est chronique et systémique dans notre pays. Toutefois, le fait que nos amendes ne soient pas harmonisées à celles de notre pays voisin et qu'elles sont trop basses est aussi un problème. Pris ensemble, ces deux faits aggravent le problème de l'exécution de la loi.
Le projet de loi C-15 tente, en augmentant les amendes, de faire réfléchir deux fois les propriétaires de navires qui se demandent s'ils doivent courir le risque de payer une éventuelle amende s'ils sont attrapés en train de déverser du pétrole dans les eaux Canadiennes. En augmentant les amendes, nous pourrions justement les faire réfléchir deux fois. De plus, en ajoutant des pouvoirs d'exécution avec la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, nous élargirons les pouvoirs d'exécution limités dont dispose aujourd'hui Transports Canada. Un effectif supplémentaire formé pour mener des enquêtes s'assurera que ce genre de pollution ne se produise pas. Ce serait quelque chose de bien pour les oiseaux migrateurs et aussi pour le milieu marin.
À notre avis, le Canada est chargé, à titre de nation développée, de veiller à ce que les navires battant son pavillon soient des champions de la réduction et de l'élimination de la pollution. À titre d'intendant de la côte la plus longue de n'importe quel pays au monde, nous devons faire notre possible pour protéger le milieu marin et assurer une gouvernance responsable des océans. La responsabilité en matière de gouvernance des océans caractérise le Canada à l'échelon international. En ce qui concerne la pollution par les navires, nous devons continuer à être le chef de file mondial en élevant des normes pour assurer que la pollution par les navires est réduite le plus possible. Nous le faisons pour le bien de notre pays, de la planète et des générations futures.
Je voudrais passer à notre mémoire, qui est divisé en deux parties. La première partie traite des effets du projet de loi C-15 sur les libertés et les droits fondamentaux. Nous présentons notre point de vue à cet égard dans les paragraphes 3 à 14 inclusivement. Le paragraphe 14 contient des réponses à des questions spécifiques posées lors de témoignages précédents.
La partie III de notre présentation traite des effets du projet de loi C-15 sur les engagements pris par le Canada en vertu du droit international. Ces présentations se trouvent dans les paragraphes 15 à 58 inclusivement. Le paragraphe 59 traite des enjeux particuliers.
Nous avons résumé notre mémoire, car il devenait très long du fait que nous voulions répondre à un plus grand nombre de questions spécifiques qui avaient été posées. Je passe aux sections du mémoire, en commençant au paragraphe 3 de la première page sous le titre effet du projet de loi C-15 sur les libertés et les droits fondamentaux.
Selon nous, le projet de loi C-15 ne contrevient ni à la Charte canadienne des droits et libertés ni aux autres déclarations de droits fondamentaux. Les gouvernements, dans tout le Commonwealth, font appel à la notion d'infraction de responsabilité stricte pour prévenir la pollution. Il s'agit d'un recours partiellement attribuable à la grande difficulté de prouver qu'une personne physique ou morale a pollué sciemment — a eu l'intention volontaire ou l'intention coupable, qui a été déjà discutée.
La Cour suprême du Canada a reconnu la constitutionnalité des infractions de responsabilité stricte en vertu de la Charte, estimant que toute violation du droit d'être présumé innocent ou d'autres droits fondamentaux se justifie du fait du grand intérêt que trouve la société à poursuivre les contrevenants aux lois qui régissent le bien-être public. Le projet de loi C-15 vise à réduire les dommages causés aux oiseaux migrateurs et à l'environnement et protège ainsi des intérêts publics et sociéto-importants.
En ce qu concerne l'effet du projet de loi C-15 sur les engagements pris par le Canada en vertu du droit international, notre résumé commence à la page 8 de l'exposé par le paragraphe 15. Les obligations du Canada en vertu du droit international s'étendent au-delà des conventions maritimes telles que MARPOL, UNCLOS ou Convention sur le droit de la mer, 1982. Depuis que ces conventions ont été négociées, les préoccupations internationales à l'endroit de la dégradation graduelle et rapide du milieu marin et de sa diversité biologique ont pris de l'ampleur. Le Canada s'est engagé sans réserve envers la communauté internationale à aborder ces problèmes dans des traités tels que la Convention de 1992 sur la diversité biologique et autres accords internationaux. Il en résulte que le droit maritime international doit maintenant être interprété compte tenu des nouvelles obligations internationales en matière d'environnement. Ces obligations fournissent un contexte nouveau qui convient à l'évaluation du projet de loi C-15 et à l'atteinte de ses objectifs de protection des oiseaux migrateurs et du milieu marin.
Les dispositions du projet de loi C-15 qui s'appliquent aux bâtiments canadiens ne vont pas à l'encontre des obligations contractées par le Canada en vertu du droit international. En fait, dans le cadre de conventions internationales comme MARPOL et UNCLOS, le Canada a comme premier devoir de réglementer la pollution attribuable aux bâtiments canadiens quel que soit l'endroit où se trouvent ces bâtiments. Ce règlement doit satisfaire à tout le moins aux normes établies par MARPOL. Ce n'est pas un plafond. Le Canada a le droit et, à titre de nation développée, la responsabilité de dépasser les normes minimales afin de prévenir tout autre dommage au milieu marin.
Les dispositions du projet de loi C-15 qui s'appliquent aux bâtiments étrangers ne contreviennent pas en elles-mêmes avec le droit international. Ce ne serait le cas que si elles étaient appliquées, dans les faits, d'une façon qui excède le champ de compétence du Canada et les pouvoirs d'exécution prévus dans UNCLOS. Le droit international maritime et environnemental est complexe et en rapide évolution. La modification des lois LCOM et LCPE octroierait un pouvoir discrétionnaire considérable au procureur général et au ministre de l'Environnement qui pourraient décider des mesures d'exécution à prendre à l'endroit des bâtiments étrangers. Cette discrétion permettrait à l'État d'exercer son pouvoir à l'endroit des actes polluants perpétrés par les bâtiments étrangers de manière compatible avec les normes évolutives du droit international.
Un point à propos du pouvoir discrétionnaire de poursuivre du procureur général a trait à la fois à la question de savoir si ces dispositions sont compatibles avec le droit international et aux préoccupations mentionnées par les premiers présentateurs pour déterminer si ces dispositions sont fondamentalement injustes ou non, car elles établissent des niveaux minimums d'amende pour certaines catégories de contrevenants. Le pouvoir discrétionnaire de poursuivre au Canada est un élément qui entre en jeu dans l'application de presque toutes les lois réglementaires en vigueur dans ce pays. Ce n'est pas la seule loi au Canada qui propose des amendes minimales pour certaines activités. La tradition du pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans la loi canadienne est solide et plus forte que dans celle de beaucoup d'autres pays. Ce n'est pas un élément positif, mais c'est une réalité. Le fait que les procureurs de la Couronne décident si une poursuite est fondée ou non est pris en compte quand nous évaluons l'applicabilité de presque toutes les lois canadiennes.
Le fait est que le Canada a de très fortes dispositions qui ne sont que rarement appliquées entièrement. Les changements proposés dans le projet de loi concernant les amendes doivent être vus dans la continuité, pas comme une action ponctuelle en réponse à un problème potentiel. Il importe de considérer les infractions minimales comme le point bas d'une continuité qui, en fait, va beaucoup plus loin, jusqu'à une peine de prison obligatoire, qui existe déjà en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. En fait, elles sont réduites dans cette loi.
C'est dans cette continuité qu'entre en jeu le pouvoir discrétionnaire de poursuivre; c'est là que la discrétion en matière de peine entre en jeu. Ce qui importe au Canada, c'est qui décide de ce qui est raisonnable. Contrairement aux États-Unis où il y a plus d'interdit d'entrée de jeu, nous nous fions traditionnellement aux procureurs et aux juges pour qu'ils prennent une décision raisonnable en réponse à une infraction. Cela fait partie de notre système judiciaire et ce n'est certainement pas apparu pour la première fois dans la Loi sur la marine marchande du Canada.
Pour conclure, nous pensons qu'il importe de souligner qu'au cours des dernières décennies, la détérioration rapide du milieu marin et de la biodiversité marine en général suscite une préoccupation croissante au niveau international. Je suis sûre que tout le monde a entendu parler du Rapport de Synthèse sur l'Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire, publié sous l'égide de l'ONU il y a à peine quelques mois, qui signale que les écosystèmes du monde entier, y compris l'écosystème marin, connaissent un niveau de détérioration que l'on n'a jamais vu. Des centaines de scientifiques indépendants travaillent là-dessus.
Pour aborder ces problèmes conformément à ses obligations en vertu du droit international, le Canada a besoin des outils qu'offre le projet de loi C-15. Il permettrait au Canada de prendre toutes les mesures d'exécution en vertu du droit international à l'endroit des navires qui polluent. Il précise quand et comment nous pouvons le faire. Nous pensons que c'est une bonne chose pour les oiseaux migrateurs dans le milieu marin et pour cette raison, nous appuyons l'adoption de ce projet de loi.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous passons aux questions maintenant. Le sénateur Angus commencera. Nous pouvons poser des questions aux trois témoins.
Le sénateur Angus : Merci à tous, c'était très intéressant. Madame Venton, je vois que ce document a demandé beaucoup de travail. Je le lirai avec beaucoup d'attention. Êtes-vous avocate en exercice dans un cabinet? Pourriez-vous nous dire quels sont vos antécédents?
Mme Venton : Je suis avocate à l'emploi du Sierra Legal Defence Fund. Le Sierra Legal est une organisation sans but lucratif, donc techniquement, ce n'est pas un cabinet. J'y travaille depuis sept ans et je suis responsable de notre programme sur les océans sains.
Le sénateur Angus : J'ai l'impression, d'après ce que j'ai lu, que vous avez suivi de très près nos audiences?
Mme Venton : Oui, nous avons lu ce qui a été publié sur le site Web du Sénat. Donc, je connais certaines questions qui ont été posées.
Le sénateur Angus : Ça nous sera très utile. Étant avocat, je connais toutes les blagues sur les avocats, les avis, et cetera. Il y a beaucoup de questions nuancées.
Le seul autre document juridique que j'ai vu, et qui se tienne pour le moment, est celui d'un avocat de Toronto, Alan D. Gold. Il nous a envoyé un document important. Je ne suis pas avocat de droit constitutionnel, donc je ne sais trop que penser à cet égard. Avez-vous lu l'avis que nous a présenté M. Gold?
Mme Venton : Je n'ai pas lu les avis présentés par les divers témoins. J'ai lu leurs témoignages et leurs déclarations préliminaires.
Le sénateur Angus : Je ne crois pas qu'il soit venu témoigner ici.
La vice-présidente : Ce document n'avait pas été rendu public.
Le sénateur Angus : Je l'ai reçu du greffier, je crois.
Le greffier : De la Coalition des groupes maritimes.
Le sénateur Angus : Ne leur avions-nous pas demandé un avis juridique approprié afin de répondre au sénateur Milnes et faire écho à notre intérêt sur la question?
La vice-présidente : Il n'a pas été rendu public, donc le témoin ne pouvait pas le lire.
Le sénateur Angus : Donc, je ne devrais pas vous demander si vous êtes d'accord ou non avec M. Gold.
Mme Venton : Non, je ne l'ai pas vu. Si vous avez une question générale, je serais heureuse d'essayer d'y répondre.
Le sénateur Angus : Je comprends la complexité de ces questions. Je pensais que si vous l'aviez lu, votre avis nous aurait été utile, car vous avez examiné de manière si approfondie d'autres éléments de nos audiences. Je l'ai lu et je l'ai trouvé intéressant. En fait, environ cinq pages de son avis portaient seulement sur son curriculum vitae. Je me demandais si quelqu'un pouvait démonter son raisonnement. Cela nous aurait été utile. Mais je ne vais pas continuer. Ce ne serait juste ni pour vous ni pour nous.
Le sénateur Christensen : J'ai une question pour M. Gloutney. Vous pouvez peut-être apporter des précisions sur ce sujet qui m'intéresse. Des témoins de la côte ouest et de nombreux témoins des côtes sud des Maritimes ont déclaré qu'ils ne voyaient des oiseaux mazoutés que rarement. Ce n'est pas courant. On nous a dit que les courants entraînaient ces oiseaux au large. Est-ce que ces courants en direction du grand large constituent un problème? En cas de déversement d'hydrocarbures au-delà de la limite des douze milles, est-ce qu'un grand nombre d'oiseaux seraient menacés et entraînés vers le large ou bien est-ce que le problème majeur proviendrait du déversement de ces hydrocarbures et de leur arrivée sur les côtes? Est-ce que c'est le même genre de détérioration de l'environnement similaire ou autre chose?
M. Gloutney : Je vous répondrai en deux volets. Le vrai problème, c'est le pétrole qui atteint la côte et à moins d'un kilomètre de la côte, car c'est là que se trouve le plus grand nombre de canards de mer. Cela peut se produire en raison du trafic maritime local, comme dans le détroit de Belle-Isle. C'est une importante voie maritime qui est très étroite. C'est certainement un problème et c'est comme cela qu'une partie de ces hydrocarbures atteignent les côtes. Pour que le pétrole déversé à l'extérieur de la limite des 12 milles atteigne à la côte, il en faudrait une grande quantité. Le temps qui passe et le mouvement des vagues dispersent les nappes de pétrole. La température joue aussi un rôle. Pour que le pétrole atteigne la côte, il faut que le déversement ait été important.
Il y a plus de déversements au large que de déversements qui atteignent les côtes. Selon mes discussions avec Environnement Canada, moins de 10 déversements qui se produisent chaque année au large de Terre-Neuve atteignent la côte. Depuis plusieurs années, seulement un ou deux déversements ont atteint la côte.
Le sénateur Christensen : Quel est l'effet sur les canards de mer des déversements qui n'atteignent pas la côte?
M. Gloutney : Il y aura un effet sur quelques canards de mer qui vivent plus au large, mais pas beaucoup sur les canards de mer. Le canard Harelde Kakawi qui vit au grand large sera menacé. Le pétrole devrait arriver plus près des côtes pour avoir un effet sur les eiders dont j'ai parlé.
Le sénateur Christensen : Les déversements dans des zones où les courants du large pousseraient les nappes plus loin n'auraient probablement pas beaucoup d'effet sur les oiseaux de mer.
M. Gloutney : Sur les canards de mer. Il s'agit d'un groupe différent d'oiseaux. Les témoignages que vous avez entendus tout à l'heure portaient sur l'effet sur les oiseaux de mer et on a mentionné que 300 000 oiseaux de mer étaient touchés par le pétrole chaque année. Ces oiseaux de mer vivent au large. Les canards de mer constituent un groupe d'oiseaux tout à fait différent.
Le sénateur Christensen : Ils font tous partie de la chaîne écologique. Même s'ils peuvent ne pas venir sur les côtes, il se peut que nous ne trouvions pas de petits cadavres, mais il y a quand même un effet important au-delà de la zone de 12 milles? J'essaie de comprendre.
M. Gloutney : L'effet serait beaucoup plus important si le pétrole est à l'intérieur de la zone des 12 milles, car c'est là où vivent la majorité des canards de mer.
Le sénateur Christensen : Le projet de loi C-15 traite plus particulièrement de la zone à l'extérieur des 12 milles. Merci.
Le sénateur Milne : Madame Venton, je vous ai entendu dire que MARPOL ne fixe pas de plafond. C'est ce que j'ai toujours compris malgré certains témoignages que nous avons entendus. Est-ce que UNCLOS fixe un plafond? Vous avez dit que la protection du milieu marin représente l'objectif premier des conventions MARPOL et UNCLOS. Les autres accords environnementaux internationaux signalés ci-dessus exigent du Canada qu'ils utilisent toute la portée des pouvoirs d'intervention que lui confère UNCLOS pour prévenir la pollution du milieu marin. C'est à la page 17, paragraphe 41 de votre mémoire.
Mme Venton : Tout d'abord, il importe de comprendre que les principaux objectifs de la disposition relative à la protection du milieu marin de UNCLOS, et de MARPOL en général, visent l'éventuelle élimination de la pollution marine faite intentionnellement par les navires et la plus grande diminution possible de toutes les autres — nous les qualifierons « de non intentionnelles » — pollution dans le milieu marin. L'objectif de ces accords internationaux est d'éliminer, dans la durée, la contamination de l'environnement par les navires et, dans le cadre de UNCLOS, par d'autres sources. Les dispositions relatives au milieu marin couvrent un domaine plus large et ne se limitent pas aux navires. Nous devons interpréter, et c'est ce que nous faisons toujours dans le contexte du droit international, car les déclarations dans le droit international sont très générales. Elles devraient être interprétées par les pays qui les ont signées dans le contexte spécifique à chacun de ces pays.
MARPOL est quelque peu inhabituel en ce qui concerne le degré de particularité énoncé dans l'accord. C'est assez compliqué. MARPOL énonce des limites spécifiques pour certaines substances et ces limites sont revues régulièrement. UNCLOS, au contraire, ne va pas jusqu'à ce niveau de détail. Il s'agit de déclarations générales sur le droit de la mer au sens large qui doivent être interprétées dans un contexte national. UNCLOS vise une compatibilité avec les principes du droit international, mais il n'y a pas de limites établissant ce que les pays peuvent faire à l'échelon national. Le seul contexte dans lequel UNCLOS établit une sorte de limite, c'est dans la réaffirmation de la particularité en fonction de laquelle les États traitent les navires qui battent leurs propres pavillons et les navires étrangers. Cela entre dans le cadre de l'évolution du droit maritime international.
Les exposés des personnes travaillant dans un port désigné étaient intéressants. À une époque, seul le droit international existait et aucune distinction n'était faite en ce qui concerne les ports ou les États du pavillon. Une évolution s'est faite avec le temps; aujourd'hui, les ports et les États côtiers, et pas seulement les États du pavillon, jouent un plus grand rôle.
UNCLOS cherche un juste équilibre entre le besoin de protéger le milieu marin et le fait de reconnaître que, par tradition, les lois sont supposées être uniformes. À cet effet, il veut seulement préciser que nous devons agir en conformité avec les autres accords internationaux tel que MARPOL. S'il n'y a pas de plafond établi dans MARPOL, alors il n'y en a pas d'établi dans UNCLOS. Voilà, c'était une longue réponse à votre question.
Le sénateur Milne : Pensez-vous que le projet de loi C-15 contrevient à ces accords internationaux?
Mme Venton : Non, pas de la façon dont il est rédigé. Nous le précisons dans notre mémoire qui contient deux parties traitant de la façon dont le projet de loi C-15 devrait être appliqué en ce qui concerne les navires canadiens et les navires étrangers. Je crois comprendre que l'industrie du transport maritime a exprimé quelques préoccupations concernant la façon dont nous traitons les navires canadiens et celle dont nous traitons les navires étrangers. Cette distinction existe partout au monde. Le Canada, en vertu de UNCLOS, a l'obligation de réglementer ses navires où qu'ils soient dans le monde conformément à une norme canadienne compatible avec les lois internationales, qui peut être différente des engagements pris par d'autres pays.
Il y a une différence entre l'injustice supposée au niveau du traitement accordé par un État aux navires battant son pavillon et du traitement accordé aux navires étrangers. Ce fut le cas durant les 20 dernières années. Nous devons traiter les navires étrangers dans notre zone économique exclusive en respectant des lois internationales légèrement différentes. Ce qui explique la façon dont est rédigé le projet de loi — pour éviter tout conflit avec le droit international. Nous pouvons imaginer une application du projet de loi qui serait en conflit avec le droit international. Cependant, il est trop tôt pour supposer qu'il serait appliqué de cette façon. Le droit international évolue constamment dans ce domaine et a évolué beaucoup plus rapidement dans d'autres parties du monde. La norme internationale évoluera constamment au cours des prochaines années. Par conséquent, la façon dont le Canada répondra au moyen du pouvoir discrétionnaire de poursuivre du procureur général et des agents d'exécution de la loi changera au fur et à mesure que notre compréhension du droit international change.
Le sénateur Milne : Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne contrevient à aucun de nos accords internationaux, pourtant, il nous offrira la flexibilité nécessaire pour s'adapter aux conditions changeantes de l'avenir.
Mme Venton : Oui, nous pensons que c'est le cas.
Le sénateur Milne : Vous avez mentionné les affaires R. c. Sault Ste. Marie et R. c. Wholesale Travel Group Inc.. Certains suggèrent que seulement la plus petite des infractions de responsabilité stricte et la plus petite amende résisteront à un examen au regard de la Charte. Qu'en pensez-vous?
Mme Venton : Avec tout le respect que je dois à la personne qui a dit cela, je ne pense pas que ce soit vrai. L'ensemble des infractions et le cadre de toutes ces infractions compliquent encore plus le débat, c'est la raison pour laquelle les gens ne s'y retrouvent plus. Des infractions de responsabilité stricte ont existé depuis des centaines d'années, dans certains cas. Ce sont des infractions réglementaires que nous n'avons pas créées au Canada, elles existaient déjà dans la Loi sur la marine marchande du Canada. La notion selon laquelle il est possible de créer une inversion de la charge de la preuve dans le contexte d'une infraction réglementaire a été débattue à la Cour suprême du Canada. La nécessité d'une amende minimale n'a pas fait l'objet de discussions.
C'est dans le contexte de l'affaire Wholesale Travel qu'apparaît l'ambiguïté. Un grand nombre de dispositions ont été étudiées afin de déterminer s'il était possible de faire de la publicité d'une certaine façon. L'une de ces dispositions mentionnait l'implication. En fait, une peine d'emprisonnement a été infligée dans l'affaire Wholesale Travel et je crois aussi dans l'affaire R. c. Sault St. Marie. Ce n'était pas une peine légère. En fait, la discussion, par la Cour, ne portait pas sur la sévérité de la peine sauf dans le cas de responsabilité absolue.
La distinction faite par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wholesale Travel pour déterminer si une peine ou la flétrissure étaient légères ou insignifiantes n'avait rien à voir avec une infraction de responsabilité stricte ou une infraction criminelle classique exigeant la mens rea. Il s'agissait de savoir s'il y avait un moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. La Cour s'est dit être préoccupée par la peine dans les cas d'infractions de responsabilité absolue. L'excès de vitesse est un exemple par excellence d'infraction de responsabilité limitée, car la raison pour laquelle la vitesse a été dépassée importe peu. On ne tient pas compte du fait que l'individu ait pu essayer de ne pas dépasser la vitesse. Le fait est que la personne a conduit trop vite et que l'excès de vitesse est une infraction de responsabilité absolue. Il n'est pas question de diligence raisonnable dans un cas pareil. Dans ce domaine, la Cour tient compte de la peine et des conséquences de la flétrissure sociale.
Au plan des infractions de responsabilité stricte, les sanctions pénales comprennent depuis très longtemps des peines d'emprisonnement. C'est le cas au Royaume-Uni et aux États-Unis. Dans le monde complexe des lois de nature réglementaire, des peines sévères sont imposées pour des infractions. Par exemple, en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, quiconque enfreint ses dispositions risque une peine d'emprisonnement. Les modifications apportées à la LCPE l'élargiront pour s'appliquer à la pollution par les navires. Quiconque enfreint les dispositions de la LCPE en mer est automatiquement responsable sauf s'il peut prouver une diligence raisonnable. La LCPE a été portée plusieurs fois devant la Cour suprême du Canada. Sa constitutionnalité a été confirmée dans une myriade de contextes.
L'ambiguïté, c'est de savoir s'il s'agit ou non d'une infraction de responsabilité absolue. Sommes-nous en train de priver le citoyen de la possibilité d'expliquer sa responsabilité? Nous disons qu'il n'est pas nécessaire que le contrevenant ait eu l'intention de commettre l'acte, mais qu'il ait été responsable, au sens de la négligence. L'individu devrait avoir pu contrôler ses actions et décider : par exemple, dans le cas d'un accident de travail où les exploitants de l'entreprise ont décidé de ne pas remplacer un matériel de sécurité quelconque à un moment donné. À cause de cette décision, le propriétaire pourrait avoir une responsabilité quelconque, ainsi que le gardien qui a choisi de ne pas être sur place au moment de l'accident. Cette décision entraîne un genre de responsabilité. La personne peut ne pas avoir eu l'intention de nuire aux oiseaux ou à l'environnement, mais une certaine culpabilité est liée à son acte à cause de l'élément de négligence. Il s'agit de responsabilité stricte. Ainsi, le concept du droit de la négligence est transféré dans les infractions réglementaires. Il est prépondérant dans les lois canadiennes telles que les lois sur les aliments, la santé, les règlements médicaux, et cetera.
Pour des raisons très pratiques qui ont fait l'objet de discussions, par la Cour, dans les affaires Wholesale Travel et R. c. Sault Ste-Marie, il est impossible de savoir si un individu a agi de manière responsable dans le cadre d'une infraction exigeant la mens rea. Il n'est tout simplement pas possible d'en être sûr. Cet individu est le seul à savoir ce qu'il a fait. L'efficacité du système en souffrirait si nous changions la norme. Si nous éliminons les concepts de responsabilité stricte dans ce contexte, il y aura de grandes répercussions sur la façon dont nous considérons les infractions réglementaires dans toutes sortes d'affaires au Canada. Il ne s'agit pas seulement de la Loi sur la marine marchande du Canada. Cela pourrait être un problème considérable.
Le sénateur Spivak : J'essaierai d'être brève. Merci pour votre exposé très précis, étant donné que beaucoup de questions soulevées sont difficiles à comprendre pour les personnes qui ne maîtrisent pas le droit. Il est vrai que nous avons deux avocats très compétents ici.
Permettez-moi de vous poser la question suivante : la responsabilité stricte s'appliquera, comme il est écrit à la page 5, lorsqu'on peut prouver qu'une infraction est réglementaire et non criminelle par nature. Il s'agit de responsabilité stricte. Cependant, l'argument présenté ici, surtout s'il y a des peines d'emprisonnement, criminalise des gens. Le deuxième argument, c'est que se passe-t-il si ce n'est qu'un accident et qu'ils sont, malgré tout, passibles de poursuite au criminel?
Pouvez-vous décrire ces distinctions afin que nous réglions cette question? Nous en avons parlé maintes et maintes fois.
Mme Venton : Oui. En ce qui concerne la première question portant sur la criminalisation d'un acte avec ou sans peine d'emprisonnement, la Cour suprême du Canada reconnaît, dans ses discussions entourant les affaires R. c. Sault Ste. Marie et Wholesale Travel et d'autres affaires, c'est que les étiquettes que nous utilisons pour certains types d'infractions sèment la confusion dans le débat. Est-ce vraiment criminel ou non? Est-ce quasi-criminel? C'est très confus.
La notion de délivrance de permis est l'un des termes qu'ils utilisent ou c'est une façon plus traditionnelle de décrire ce genre d'infractions. Lorsque vous travaillez volontairement dans un secteur tel que la marine marchande ou lorsque vous demandez un permis de conduire, vous évoluez dans un secteur pour lequel vous avez un permis ou vous êtes autorisé par la société, par l'intermédiaire du gouvernement, à faire quelque chose pouvant avoir des répercussions sur le public en général. Vos activités ne seraient pas réglementées de la même façon si vous ne travailliez pas volontairement dans ce secteur.
Par exemple, en vertu de la Loi sur les pêches, les poursuites judiciaires sont quelquefois appelées infractions réglementaires et aussi infractions criminelles. Cependant, dans chaque cas, vous vous présenter devant un tribunal criminel. Si vous êtes poursuivis en justice au Canada en vertu de l'article 36 de la Loi sur les pêches, c'est-à-dire le rejet de substances nocives dans des eaux où se pratique la pêche, vous êtes traduits devant un tribunal criminel, comme si vous aviez tué quelqu'un, mais l'infraction est considérée être de nature réglementaire même si vous avez agi personnellement et avez commis un acte qui a eu des conséquences préjudiciables pour les poissons et les habitats de poisson. Il n'y a pas d'intention criminelle dans les poursuites engagées en vertu de la Loi sur les pêches. La question qui se pose : c'est avez-vous fait quelque chose et pouvez-vous prouver que vous avez exercé une diligence raisonnable?
L'absence ou la présence d'un certain type de peines ne définit pas nécessairement si l'acte commis est criminel ou non? Il s'agit d'activité que vous exercez et vous devez considérer ce qui est raisonnable. C'est ce que la Cour a examiné dans l'affaire Wholesale Travel. Il faut considérer ce qui est raisonnable et approprié dans le contexte de l'activité.
La Charte des droits et libertés n'existe pas dans un vide. Elle est toujours interprétée dans le contexte de la situation, surtout au Canada où, contrairement aux États-Unis, il y a un équilibre entre les droits de l'accusé et les intérêts de la société dans l'article 1 de la Charte.
C'est le domaine dans lequel vous travaillez, et dans le contexte de la marine marchande et celui des accidents, vous êtes vraiment dans le domaine de l'activité de réglementation. Il n'y a pas d'ambiguïté. Est-ce que cela répond à votre question concernant des modifications?
Le sénateur Spivak : Je voudrais ajouter une chose. Je comprends ce que vous dites et c'est très clair, mais si une personne est emprisonnée à cause d'une responsabilité stricte, cela veut-il dire qu'elle aura un casier judiciaire?
Mme Venton : Oui, mais elle en a toujours eu. C'est la loi au Canada depuis des années. La Loi sur la marine marchande du Canada a des infractions de responsabilité stricte et les gens sont emprisonnés.
Le sénateur Spivak : C'est donc l'objection fondamentale sous-jacente?
Le sénateur Buchanan : Non, non.
Le sénateur Spivak : Oui, c'est bien cela. Vous l'avez dit plusieurs fois au sujet de la criminalisation des gens. Qu'en est-il des accidents?
Mme Venton : En ce qui concerne les accidents, nous devons définir ce qu'est un accident. Il y a tout un éventail d'accidents, n'est-ce pas? Le mot « accident » signifie, au sens large, tout événement imprévisible. Je comprends que l'industrie du transport maritime veuille faire la distinction entre des accidents et un tort causé intentionnellement. Nous convenons que la pollution et les menaces à l'environnement faites intentionnellement constituent un acte très répréhensible qui devrait entraîner des sanctions plus sévères que celles qu'entraînerait la négligence ou le simple accident. Les dispositions en matière de peine, comme n'importe quelle disposition réglementaire au Canada, le prévoient et le permettent.
Toutefois, pour ce qui est des accidents, il y a des accidents qui, selon la société, par le biais du gouvernement et de la réglementation, devraient être prévus, par exemple, l'Exxon Valdez. Si vous vous enivrez et pilotez un grand bateau, c'est un accident. Vous n'aviez pas eu l'intention de l'échouer et de déverser du pétrole tout le long de côte. Ce n'était pas votre intention. Vous n'êtes pas responsable d'intention criminelle; mais, bon Dieu, vous êtes négligent. Lorsque la compagnie à qui appartenait ce bateau a décidé, alors qu'elle aurait dû probablement le faire, de ne pas utiliser le genre de bateau qui assurerait la meilleure sécurité pour transporter ces hydrocarbures alors que c'était la norme de l'industrie, la compagnie a aussi une part de responsabilité dans cet accident. L'accident était prévisible. Une distinction est faite entre des accidents, cette loi en tient compte et l'incorpore au moyen de la diligence raisonnable. C'est ici qu'intervient la diligence raisonnable.
Si votre navire est doté d'un système qui prévoit les déversements d'hydrocarbures et y réagit, ce système doit être aux normes de l'industrie et fonctionner comme il le devrait, s'il y a des mécanismes de contrôle en place qui sont vérifiés régulièrement, vous n'êtes pas, en vertu du projet de loi C-15, responsable de déversement accidentel. Vous avez agi avec une diligence raisonnable. Vous n'avez pas de problème.
Le sénateur Spivak : C'est très clair, merci. Je comprends. Ce principe est valable dans toutes nos lois — dans un accident de la route, un meurtre, dans une mort — donc, je comprends ce que vous dites.
Le sénateur Buchanan : Je voudrais juste ajouter quelque chose. Si ce que vous dites est exact, alors cela ne me pose pas de problème. Vous dites que si un capitaine ou un mécanicien est poursuivi pour un déversement accidentel alors qu'il n'avait aucune intention de laisser cela se produire, et il a exercé une diligence raisonnable, il sera acquitté; n'est-ce pas une infraction criminelle?
Mme Venton : C'est exact.
Le sénateur Buchanan : N'est-ce pas une infraction criminelle?
Mme Venton : Non, car il n'a pas été déclaré coupable de quoi que ce soit.
Le sénateur Buchanan : Mais il a été d'abord accusé d'infraction criminelle.
Mme Venton : Il aurait été accusé d'infraction criminelle de toute façon.
Le sénateur Buchanan : Non, il ne l'aurait pas été. Avec ce projet de loi, il le sera; sans ce projet de loi, il n'aurait pas été accusé d'avoir commis une infraction criminelle.
Mme Venton : Il faut comprendre que l'élément de l'accident peut entrer en jeu. Vous pouvez être accusé d'avoir commis un acte quelconque et le tribunal ne peut pas prouver que vous l'avez commis. On vous a quand même accusé d'avoir commis une infraction criminelle. Cependant, si vous n'êtes pas reconnu coupable d'infraction criminelle, vous n'aurez pas de casier judiciaire.
Le sénateur Buchanan : Ce que vous dites c'est que n'importe quelle accusation serait liée à une infraction réglementaire? Ce serait comme recevoir une contravention pour excès de vitesse?
Mme Venton : Non.
Le sénateur Buchanan : C'est ce que vous avez dit.
Mme Venton : Monsieur le sénateur, pour être clair, j'ai souligné la distinction entre la contravention pour excès de vitesse et ce genre d'infractions réglementaires. Il y a un ensemble d'infractions réglementaires. L'excès de vitesse est une infraction de responsabilité absolue. C'est la plus sévère dans l'éventail juridique des infractions. Il n'y a pas de défense pour l'excès de vitesse. Vous vous avez dépassé la vitesse. Il y a...
Le sénateur Buchanan : Eh bien, j'ai défendu des gens accusés d'excès de vitesse et les ai lavés de toute accusation.
Mme Venton : Des personnes s'en tirent; mais sous un angle strictement juridique, elles s'en sortent à cause de l'incapacité du procureur à prouver qu'elles avaient dépassé la vitesse.
Le sénateur Buchanan : C'est exact.
Mme Venton : Et non l'incapacité de prouver qu'elles avaient commis l'acte. Ce n'était pas leur intention, n'est-ce pas?
Dans chacun de ces cas, la poursuite devra prouver qu'il y a eu une infraction. Elle devra prouver que le navire A a causé le déversement B. Cela revient dans toute la loi.
Le sénateur Buchanan : Je parle de la préoccupation exprimée par les capitaines, les mécaniciens et les syndicats qui les représentent, c'est-à-dire que le capitaine et/ou le mécanicien ou les deux seraient accusés même s'ils ne savaient pas qu'il y avait eu un déversement.
Mme Venton : Ils sont accusés, car il y a en fait une infraction. Théoriquement, il y a une infraction à la norme. Ils sont accusés à cause d'une infraction à la norme. Ce serait aussi le cas, s'ils étaient à terre et qu'ils exploitaient une usine qui rejetait une matière prohibée par la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, comme DOW Chemical, si la cheminée de l'usine émettait une matière qui dépassait les normes permises au Canada. Les exploitants de cette usine seraient accusés d'avoir commis une infraction. Que se passerait-il s'ils se présentaient au tribunal et qu'on leur demanderait : « Quelle est votre défense? » Si la Couronne pouvait prouver qu'une infraction a été commise. Ils diraient : « Voilà ce que nous avons fait pour éviter que cela se produise. C'est notre diligence raisonnable. » Donc, il se pourrait qu'en examinant leur réponse, la Couronne retire l'accusation sachant qu'elle ne pourrait pas établir le bien fondé d'un argument, ce qui arrive tout le temps.
Le sénateur Buchanan : Pas tout le temps, quelquefois.
Mme Venton : Cela arrive, n'est-ce pas? Je veux dire, la Couronne a la discrétion, et elle l'utilise souvent, de ne pas continuer les poursuites dans beaucoup plus de cas qu'elle ne le devrait, à mon avis, mais elle retire souvent les accusations dans des affaires liées à l'environnement. Donc, la cour doit décider si le défendeur a prouvé qu'il a agi avec diligence raisonnable. Si les capitaines et les exploitants du navire justifient la façon dont ils traitent ces questions et qu'ils disent : Voilà ce qui s'est passé » et que la cour juge que c'est une norme raisonnable, alors ils s'en sortent. C'est ainsi que les entreprises sont réglementées depuis des années à terre au Canada.
Le sénateur Buchanan : Puis-je vous poser une question? Avez-vous lu l'avis de Alan Gold? Avez-vous lu les avis soumis à notre comité...
Le sénateur Milne : Cette question a déjà été posée et on y a répondu.
Mme Venton : Ils n'ont pas été rendus publics.
La vice-présidente : Je dois intervenir. Le document envoyé par Alan Gold n'était pas un document public.
Le sénateur Buchanan : C'est un avis.
La vice-présidente : Les témoins n'ont pas eu accès à ce document.
Le sénateur Buchanan : Avez-vous lu les avis qui nous ont été remis par le conseiller juridique de la Fédération maritime, des capitaines, des mécaniciens et des autres?
Mme Venton : J'ai lu certains de leurs sommaires et j'ai vu leurs présentations.
Le sénateur Buchanan : Ils ne sont pas de votre avis.
Mme Venton : C'est vrai. Des avis juridiques s'opposent tout le temps. Avec tout le respect que je leur dois, je pense que ce qu'ils suggèrent est déphasé par rapport au droit réglementaire au Canada. D'ailleurs, les réponses dans les avis des avocats du gouvernement ayant fait des présentations sur le projet de loi l'expliquent.
Je comprends qu'il y ait toujours des inquiétudes, lors de la proposition d'une nouvelle mesure législative, pour s'assurer que nous ne dépassons pas ce qui est raisonnable dans le cadre de la solution du problème, mais je pense que cette question est devenue un moyen d'établir une nouvelle norme qui dépasse ce qui se passe vraiment ici. Il ne s'agit pas d'une dérogation radicale de la façon dont nous régissons la réglementation de l'environnement à terre. Ce n'est tout simplement pas cela.
Le sénateur Buchanan : Juste une dernière question. Pensez-vous que ce projet de loi ne va contrevenir, en aucune façon, à MARPOL ou aux autres accords internationaux contractés par le Canada?
Mme Venton : Oui et j'aimerais attirer votre attention, monsieur le sénateur, sur la présentation que nous avons de la page 8 à la page 24 inclusivement. Nous essayons, autant que possible, d'examiner quelques objections spécifiques soulevées et de donner les raisons pour lesquelles nous estimons qu'il ne semble pas y avoir de contradictions dans le projet de loi sous sa forme actuelle. Il est possible qu'une contradiction apparaisse à l'avenir, en fonction de sa mise en application, mais il est impossible de prévoir si ce sera le cas ou non.
Le sénateur Buchanan : Je vous suggère de lire peut-être certaines présentations faites par de très compétents conseillers juridiques internationaux.
La vice-présidente : Nous devons mettre fin à cette réunion, car un autre comité doit utiliser la salle. Je termine en vous remerciant, madame Venton, d'être venue. Monsieur Turner et monsieur Gloutney, merci beaucoup. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré.
La séance est levée.