Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 15 - Témoignages du 14 juin 2005
OTTAWA, le mardi 14 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 12 pour examiner de nouvelles questions concernant son mandat et en faire rapport.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
Le président : La séance est ouverte. Nous accueillons aujourd'hui les représentants du ministère des Affaires étrangères et de l'Institut national de recherche sur les eaux, pour aborder le déversement de l'eau du lac Devils dans la rivière Sheyenne et la rivière Rouge ainsi que le bassin hydrologique du lac Winnipeg.
Monsieur Levy, vous avez la parole.
Bruce Levy, directeur, Direction des relations avec les États-Unis, Affaires étrangères Canada : Je vous remercie infiniment. Sénateurs, c'est avec plaisir que je comparais devant vous. D'entrée de jeu, je vais vous désappointer car je vous dirai que je n'ai pas l'intention de faire un long exposé. Vous avez le dossier de présentation, que j'examinerai assez rapidement. J'aimerais que vous insistiez sur la dernière partie, c'est-à-dire sur les efforts que nous avons déployés collectivement.
J'ajouterai que je me trouvais ici même il y a quelques semaines pour m'adresser à des étudiants universitaires et leur demander, au sujet des relations avec les États-Unis, quel était le dossier qui accaparait le plus les négociateurs canadiens et américains ces jours-ci. Personne n'a songé au lac Devils. Pourtant, cela aurait été la bonne réponse.
Les trois derniers mois consacrés à cette question ont été intenses, mais le tout avait débuté auparavant. C'est une question qui nous préoccupe depuis des années, depuis en fait beaucoup trop longtemps. Cependant, avec un peu de chance et des efforts redoublés, nous pourrions parvenir à une solution dans un proche avenir.
Le dossier de présentation est une version abrégée de celui que les fonctionnaires fédéraux ont exposé au Conseil américain sur la qualité de l'environnement, qui est responsable du dossier environnemental pour la Maison-Blanche. Il y a tout de même une bonne nouvelle par rapport à ce dossier : nous avons obtenu la participation de la Maison- Blanche. Voici l'origine d'une grande partie de toute cette question.
Nous commençons par mettre l'accent sur ce qui saute aux yeux : quiconque consulte une carte ou encore vit dans l'un ou l'autre des deux pays ou s'y rend est au courant que la collaboration est essentielle pour aborder les questions bilatérales en matière d'eaux transfrontalières, qui constituent une grande partie de la frontière, soit plus que ce que beaucoup pourraient estimer à première vue.
Naturellement, les Grands Lacs sont l'un des principaux réservoirs d'eau douce au monde. Reconnaissant cette réalité, les dirigeants des deux pays ont signé le Traité des eaux limitrophes et, parallèlement, ils ont créé la Commission mixte internationale. Les deux ont près de 100 ans. Nous leur souhaitons longue vie.
La CMI est devenue un instrument efficace et éprouvé de règlement des différends. Cependant, les manchettes pouvant prêter à confusion, j'ajouterai que ce n'est pas sa seule fonction. En fait, elle doit quotidiennement se pencher sur toutes les questions qui, liées à la gestion des ressources en eau, ne font pas les manchettes mais sont d'une importance incroyable pour nos deux pays. Bon nombre d'entre vous ont probablement traité avec certains organismes qui s'occupent de bassins hydrologiques. Mes collègues ici présents pourraient aborder le tout plus exhaustivement.
Que nous réserve l'avenir? Rien ne nous indique que la question de l'eau, qui est à l'origine de la signature du Traité des eaux limitrophes, sera moins importante. C'est plutôt le contraire. Selon une hypothèse, cette question prendra davantage d'importance pour nos deux pays et il sera de toute évidence nécessaire de se doter d'un mécanisme efficace de règlement des différends.
Les dirigeants des trois pays de l'Amérique du Nord l'ont reconnu lorsqu'ils se sont réunis au Texas, le 23 mars dernier. Ils ont alors intentionnellement évoqué la qualité de l'eau dans le communiqué et, ce qui est plus important, la Commission mixte internationale.
En ce qui concerne le lac Devils, qui est l'objet de la présente séance, le niveau d'eau pose vraiment un problème au Dakota du Nord. Je ne voudrais pas dire le contraire. Nous comprenonsces difficultés puisque le niveau d'eau a augmenté durantles 12 dernières années, ce qui cause vraiment de graves préjudices. Le problème fait l'unanimité, mais la solution est loin de recueillir un consensus, même si elle a été proposée. Il faut une décharge, mais c'est une solution éminemment controversée, non seulement à cause des effets potentiels et du risque.
Par souci de concision, je ferai fréquemment allusion au Canada, ce qui désignera également le Manitoba et tous les intervenants des deux côtés de la frontière, y compris le Minnesota, les très importants ONG et les groupes autochtones.
Il ne s'agit pas simplement d'un différend sur le risque en cause. Si vous pouviez, par enchantement, trouver une solution au problème du risque, nombreux seraient encore ceux qui douteraient sérieusement qu'une décharge constitue même une solution efficace.
Des deux côtés, les désaccords et les débats portent sur toute une gamme de faits. Nous le reconnaissons. Il y a plusieurs faits que personne ne peut vraiment mettre en doute, entre autres que le projet de décharge de l'État n'a pas fait l'objet d'une évaluation environnementale précise. Pour justifier la mise en œuvre de son projet, le Dakota du Nord s'est fondé sur des données qui sont différentes de celles d'un projet fédéral d'il y a quelques années.
Le sénateur Milne : Qu'est-ce qu'un EIE?
M. Levy : C'est un énoncé des incidences environnementales.
Même en se basant sur des données tirées d'un projet différent, le Dakota du Nord a choisi de ne pas tenir compte des conclusions qui n'appuyaient pas sa cause.
Je n'entrerai pas dans les détails concernant le projet de décharge de l'État, même si l'un ou l'autre de mes collègues seraient heureux de répondre à vos questions sur les différents risques et sur les aspects scientifiques du transfert du biote, des répercussions sur la qualité de l'eau et des retombées socioéconomiques.
Voici le point que nous voulons faire valoir étant donné le désaccord évident sur ce qui est en jeu : quelle mesure faut-il prendre en cas de différend dans n'importe quel domaine? Il faut recourir à un arbitre objectif. C'est essentiellement le rôle que nous souhaiterions confier à la CMI.
Le président : Le Canada a-t-il déjà refusé qu'on renvoie d'abord à la CMI le projet de la United States Army Corps of Engineers?
M. Levy : La réponse est non sur le plan technique. Nous ne l'avons jamais refusé. En 2002, nous avons fait valoir que la demande était prématurée, étant donné qu'elle visait un projet différent de celui-ci. Il s'agissait d'un projet fédéral de la United States Army Corps of Engineers.
Notre motif était très simple. Il existait une tradition entre nos pays : la CMI n'était saisie d'un différend que lorsque nous étions convaincus que toutes les procédures internes possibles avaient été utilisées. Dans le cadre de ce projet, on en était encore à l'étape de l'évaluation environnementale et des procédures internes.
Dans un sens, nous disions : « Recourrez à la CMI, mais attendez d'avoir une proposition finale à lui soumettre. » Il semble que les États-Unis espéraient que nous conviendrions de recourir à la CMI afin d'élaborer ou presque le projet pour leur compte et de conclure : « Ce qui est proposé n'est pas très efficace. Voici quelques recommandations. » Entre autres, le Manitoba aurait de la difficulté à accepter cette façon de faire.
Nous avons effectivement répondu : « Non, pas cette fois. Finissez vos évaluations environnementales, puis nous en reparlerons. »
Le sénateur Buchanan : Qui avait formulé la demande?
M. Levy : Le Département d'État pour le compte du gouvernement américain.
Le président : Je veux m'assurer que nous comprenons tous. Nous n'avons pas dit : « Non. » Nous avons plutôt répondu :« Pas maintenant. »
M. Levy : Nous avons indiqué que le tout était prématuré. Même les Américains qui essayaient d'utiliser cela contre nous reconnaissent que c'est ce qui a été répondu explicitement.
Le président : Le projet était alors différent?
M. Levy : C'était un projet fédéral exécuté par le U.S. Army Corps of Engineers.
Le président : C'est celui qui a permis de constater la probabilité de problèmes en aval?
M. Levy : Des mesures d'atténuation ont été proposées,mais elles ne sont pas mises en œuvre parce qu'elles seraientfort coûteuses. Même s'il s'agissait d'un projet fédéral, le Dakota du Nord aurait été tenu d'assumer le tiers des frais, soit 70 ou 80 millions de dollars, voire davantage.
La page 5 décrit ce que beaucoup d'entre vous sauraient déjà d'instinct, c'est-à-dire que le lac Winnipeg est menacé, selon nous. On y indique simplement qu'il s'agit du dixième lac d'eau douce au monde, qu'on y pratique une pêche commerciale et une pêche sportive importantes — par des Autochtones canadiens notamment —, que l'industrie touristique y est florissante et que c'est une source d'eau potable importante. C'est ce qui est susceptible d'être en péril.
Je voudrais aborder maintenant le renvoi devant la CMI. On peut dire sans crainte que le Dakota du Nord et le Manitoba ne s'entendent pas très bien sur cette question, et c'est peut-être une euphémisme. Le dialogue est très difficile. Par conséquent, le Dakota du Nord n'a pas tardé à répliquer que notre demande de renvoi n'était qu'une simple tactique dilatoire.
Le président : C'est exact.
M. Levy : Vous pouvez effectivement le dire. Je pense qu'on y croit profondément et que ce n'est pas uniquement de belles paroles. Sur cette question, les deux parties nourrissent des doutes profonds à propos du renvoi.
Vous entendrez diverses accusations, notamment que nous avons présenté cette demande de renvoi au dernier moment pour retarder les choses, alors que nous avons commencé à poser des questions sur la décharge projetée par l'État dès 1999 et à intervalles réguliers par la suite.
J'ai assisté à des réunions pendant lesquelles les représentants du Département d'État américain nous ont assuré que tout projet de décharge du gouvernement fédéral ou de l'État devrait être conforme au Traité des eaux limitrophes. Grâce à ces assurances, nous espérions que ce projet éventuel serait renvoyé à la CMI.
Au bas de la page, nous abordons la question que vousvenez de poser sur notre soi-disant refus de demander un renvoi en 2002; en outre, un autre point qui figure sur cette page et qui a reçu beaucoup de publicité porte sur le fait que le gouverneur Hoven du Dakota du Nord aime souligner que la CMI a besoin en moyenne de huit ans et demi pour traiter un renvoi. C'est quelque chose qu'il pourrait peut-être pouvoir défendre juridiquement, étant donné qu'un renvoi n'a pas encore été réglé 80 ans après sa présentation. Cependant, des renvois ont été traités en un an, six mois et même moins au cours des dernières années. En fin de compte, la CMI relève des gouvernements, qui lui fixeraient les modalités, y compris le délai qu'ils souhaiteraient pour la décision.
Voici une autre preuve de notre bonne foi : nous avons demandé ce qui suit à la CMI il y a environ deux mois :« Si jamais nous convenions de vous saisir de ce dossier,pourriez-vous le traiter d'ici un an? » L'honorable Herb Gray et son homologue américain étaient alors présents. Ils ont tous les deux répondu par l'affirmative.
Nous en arrivons maintenant aux mesures que nous avons prises pour livrer une bonne lutte afin de défendre nos intérêts.
En gros, nous nous sommes retrouvés dans une impasse il y a environ six mois. Les demandes répétées du ministre des Affaires étrangères afin que la question de la décharge du lac Devils soit renvoyée devant la CMI ont été refusées, mais d'une façon non officielle cependant. On nous a indiqué à titre officieux que c'était parce que personne ne voulait affronter les deux sénateurs du Dakota du Nord qui disposent d'un pouvoir assez imposant. Ils sont prêts à remuer ciel et terre et à bloquer les nominations, ce qu'ils ont fait par le passé sur des dossiers connexes. L'un des deux, voire les deux siègent au comité chargé des nominations, lequel est un organisme assez puissant.
Notre position a reçu beaucoup d'appui aux États-Unis, notamment d'autres sénateurs. Cependant, ils ne sont pas prêts à montrer le même acharnement que sont disposés à afficher les sénateurs approuvant la décharge.
Le département d'État nous a indiqué assez franchement que notre demande de renvoi serait refusée et que nous devrions faire jouer les pressions politiques pour ranimer notre espoir. En gros, c'est le message qui nous a été transmis vers Noël, et nous essayons depuis prendre les mesures qui s'imposent.
En ce qui concerne l'expérience collective que nous avons acquise par rapport au contentieux entre le Canada et lesÉtats-Unis, la page qui traite de la défense de nos intérêts indique qu'une campagne sans précédent est menée. Il y est aussi question de votre lettre récente, je pense, sénateur Banks, sur tous les moyens que nous pouvons prendre : faire jouer toutes les influences, téléphoner à tous les intéressés et faire paraître des articles dans les journaux — ce qu'a fait avec brio l'ambassadeur McKenna dans le New York Times — afin d'augmenter les pressions exercées. Je ne suis peut- être pas un observateur tout à fait objectif, mais je dois dire que cette campagne a été efficace si nous tenons compte du fait que, il y a six mois, le Département d'État disait : « N'y comptez pas! », alors que, aujourd'hui, le Conseil sur la qualité de l'environnement de la Maison-Blanche est entré dans la danse sur l'ordre exprès du président américain. Cela ne garantit aucun résultat, mais nous savons au moins que le dialogue est entamé au niveau pertinent.
Le président : On nous a signalé une proposition pertinente la semaine dernière en nous indiquant qu'il serait peut- être utile de dire au département d'État : « Deux projets miniers imminents seront proposés en Colombie-Britannique et vous avez la décharge du lac Devils. Saisissons la CMI de ces trois projets. »
S'est-on servi de cet argument qui implique une menace très courtoise : si vous voulez qu'on se penche sur les dossiers concernant ce côté-ci de la frontière, vous devez faire de même pour ceux touchant l'autre côté de la frontière?
M. Levy : Nous l'avons effectivement fait, mais d'une façon légèrement différente. Nous avons essayé de faire valoir aux États-Unis, en particulier au sénateur Baucus, notre bon ami du Montana qui est un des plus fervents défenseurs du renvoi à la CMI du projet de Flathead en Colombie-Britannique, et nous avons essayé de le faire valoir, dis-je, sans proférer aucune menace : comment pourrez-vous justifier votre demande de renvoi que la Colombie-Britannique ne prise absolument pas, si vous nous opposez une fin de non-recevoir concernant le lac Devils? »
Je pense que c'est la réponse. J'extrapole peut-être un peu, car il pourrait y avoir, sur le plan politique, des discussions dont je ne suis pas au courant. J'ajouterais cependant que, dans les faits, il serait assez difficile de parvenir à une entente politique dans nos deux pays respectifs.
Le président : Le sénateur Baucus a-t-il répondu?
M. Levy : Le sénateur Baucus a écrit aux autorités américaines pertinentes pour demander un renvoi en ce qui concerne Flathead.
Le président : Qu'en est-il du lac Devils?
M. Levy : Officiellement, je ne suis au courant d'aucune démarche concernant le lac Devils. En ce qui a trait aux projets en Colombie-Britannique, la situation est à quelque peu analogue à celle de 2002. La décharge du lac Devils pourrait démarrer la semaine prochaine ou la semaine suivante. Par contre, le projet concernant Flathead en est encore au stade préliminaire, de nombreuses étapes n'ayant pas encore été franchies en Colombie-Britannique sur le plan environnemental. Vous pourriez très bien obtenir que cette question soit renvoyée, mais le moment n'est peut-être pas tout à fait opportun.
Le sénateur Adams : Vous avez fait allusion au lac Devils et aux négociations entre les États-Unis et le Canada. Les Américains comprennent-ils que nous nous préoccupons des activités de cueillette, de chasse et de pêche des Autochtones? Comment le tout fonctionne-t-il entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la question autochtone?
M. Levy : Je demanderai à mon collègue d'y répondre parce qu'il a participé très activement aux travaux d'un groupe que nous considérons comme un allié des deux côtés de la frontière. Il a déployé beaucoup d'énergie pour débattre de ces questions avec ce groupe ces derniers mois et ces dernières années.
Dans le cadre de notre campagne de défense de nos intérêts, nous avons demandé la collaboration de Phil Fontaine, qui a accepté notre offre. Je demanderai à M. Fawcett de nous donner des détails à cet égard.
M. Peter Fawcett, directeur adjoint, Direction des relations avec les États-Unis, Affaires étrangères Canada : Je dirai d'entrée de jeu que l'Assemblée des Premières Nations a accompagné le premier ministre Doer à Washington le printemps dernier et y a fait un exposé judicieux. Le premier ministre était accompagné d'une délégation composée notamment du ministre des Ressources naturelles de l'Ontario, du ministre de l'Environnement du Québec, de M. Phil Fontaine et du président de la Great Lakes Commission. À Washington, le message qui a été transmis au Département d'État, à la Maison-Blanche, à l'Agence américaine pour la protection de l'environnement et aux autres était très ferme.
De plus, plusieurs ONG locaux au Dakota du Nord s'intéressent vivement à cette question, y compris le Spirit Lake Band et le Red Lake Band. Ils ont donné des renseignements sur les répercussions que subiraient leurs collectivités.
Comme M. Levy l'a souligné, nous avons un groupe pertinent d'organismes qui a fait valoir son opinion sur ce dossier.
Le sénateur Adams : Je ne connais pas tellement le projet du lac Devils. S'agit-il de détourner l'eau en direction des États-Unis? Je m'interroge sur la chasse et la pêche traditionnelles qu'on y pratique. Si un projet est mis en œuvre, les Autochtones auront-ils une garantie? Je veux être sûr du système. Quelles garanties y a-t-il? Quelle est la nature de l'entente intervenue entre les Autochtones du Canada et ceux des États-Unis? Si les Autochtones occupent ce territoire depuis de nombreuses années et y pratiquent la chasse et la pêche comme le font d'autres au lac Devils, quelles seront les répercussions de ce projet sur ces personnes? En quoi consiste exactement le projet dont vous parlez? Dites-vous qu'on vendra l'eau aux États-Unis ou que les États-Unis s'en emparent? Quelle est l'entente entre les États-Unis et les personnes vivant au lac Devils?
M. Fawcett : Je demanderai à M. Carey de préciser les répercussions environnementales sur les eaux en aval.
Il s'agit de dériver l'eau d'un lac stagnant. Le lac Devils n'a aucune décharge naturelle. Aucun relevé du biote n'y a été effectué. C'est la grande incertitude en ce qui nous concerne actuellement. Nous craignons les risques auxquels seraient exposées toutes les collectivités qui vivent en aval, particulièrement au lac Winnipeg, parce que c'est là où s'arrêteront l'eau et le biote étranger. C'est là précisément notre crainte.
M. John H. Carey, directeur général, Institut national de recherche sur les eaux, Environnement Canada : Premièrement, je vous décrirai brièvement le lac Devils. Comme M. Fawcett l'a indiqué, il s'agit d'un plan d'eau stagnante. Il est surélevé par rapport à une grande partie du bassin environnant. Au cours des 10 000 dernières années, il n'y a presque pas eu de décharge.En fait, il n'y a pas eu de décharge naturelle dans la rivière pendant environ 1 000 ans. À différentes occasions au cours de ces 10 000 années, le lac s'est complètement asséché. En fait, c'est arrivé dans les années 1940. Il s'agit d'un bassin hydrologique plutôt important, et l'eau s'écoule dans le lac, alors que celui-ci n'a aucune décharge. Il y a donc évaporation.
Puisque l'eau provient surtout du bassin hydrologique de l'ouest, elle est assez salée dans la partie est du lac. Cette situation nous préoccupe quelque peu, étant donné que, si cette eau devait se décharger, sa qualité ne serait pas conforme aux normes établies, dans la rivière Sheyenne puis dans la rivière Rouge.
De plus, en raison de la salinité du lac, du fait qu'il a déjà été asséché et de l'augmentation du biote lorsque l'eau est revenue, l'écosystème est quelque peu différent du reste du bassin hydrologique. Nous craignons qu'une certaine partie de ce biote pourrait être envahissant s'il atteignait le lac Winnipeg, ce qui porterait préjudice aux intérêts canadiens.
C'est aux Américains qu'il revient de limiter les impacts sur les rivières américaines, mais, conformément au Traité des eaux limitrophes, aucune des deux parties ne peut entreprendre de projets susceptibles de causer un préjudice à l'autre. Ce qui nous inquiète, c'est le préjudice causé aux Canadiens, y compris à la pêche autochtone. Ce serait une autre preuve de préjudice, et les Américains savent très bien que ce serait l'une de nos définitions de préjudice, et ils l'admettent.
Le sénateur Milne : Ce qui m'intéresse, ce sont les rivières qui s'écoulent dans les deux directions. Les seules que je connaisse sont des rivières à marées. Est-ce que le biote du lac Devils, s'il atteint le lac Winnipeg, migre en amont?
M. Carey : Le lac Devils est en amont.
Le sénateur Milne : Il s'écoule dans la rivière Cheyenne et la rivière Rouge pour arriver dans le lac Winnipeg. Ensuite,migre-t-il du lac Winnipeg jusqu'aux Rocheuses?
M. Carey : Certainement, s'il s'agit de poisson. C'est une possibilité, mais nous ne le savons pas vraiment, car cela dépend du biote; il vaut la peine de se rappeler que le bassin de drainage du lac Winnipeg représente la plupart de l'Ouest canadien. C'est l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba. Ce pourrait arriver, mais je ne peux affirmer que ce sera le cas; nous avons le réservoir Tobin, des barrages et d'autres facteurs à prendre en considération.
Le sénateur Milne : Des bateaux circulent sur ces rivières en amont et en aval.
M. Carey : Le potentiel existe. Le problème relatif au biote, c'est que le corps, dans sa déclaration, même s'il est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas de risque, à sa connaissance, a découvert certaines espèces qui, selon lui, étaient potentiellement envahissantes. Il a déclaré qu'aucune étude complète n'avait encore été faite au sujet du biote du lac Devils.
Le sénateur Milne : De qui parlez-vous?
M. Carey : Du U.S. Army Corp of Engineers, ceux qui sont à l'origine du projet initial. Le projet qui avait été proposé initialement ou dont il avait été question était trois fois plus important que l'actuel.
Le sénateur Milne : Monsieur Levy, vous avez parlé des obstacles environnementaux qu'il avait fallu franchir tout au début de la proposition Flathead. N'est-ce pas le même problème ici? Les Américains, avec la proposition du lac Devils, mettent de côté tous ces obstacles environnementaux qu'ils doivent franchir.
M. Levy : C'est exact.
Le sénateur Milne : Nous n'avons pas saisi l'occasion qui nous était offerte pour, au moins, avoir notre mot à dire.
M. Levy : Il y a plusieurs remarques à faire à ce sujet. Vous faites mention de la proposition Flathead. Il n'y a pas d'obstacles pour l'instant qui soient mis de côté. Ils franchissent les obstacles et c'est en fait une partie du problème, en ce qui nous concerne.
Le sénateur Milne : Comme nous sommes Canadiens, nous restons gentils.
M. Levy : Effectivement. Le problème, c'est que j'ai des parents américains.
Le sénateur Milne : Moi aussi.
Le président : Moi aussi.
M. Levy : Si quelqu'un m'avait prédit l'avenir il y a quatre ans et m'avait dit que c'était ce que les États-Unis — ou le Dakota du Nord dans ce cas précis — allaient faire, qui sait? Nous en aurions certainement tenu compte dans la discussion. Toutefois, alors que nous avions cette demande de renvoi pour une autre proposition — même lac, mais proposition différente et questions relatives à la qualité et tailles radicalement différentes — au même moment où ils nous présentaient cette proposition, ils nous disaient de ne pas nous inquiéter au sujet du projet d'État, qui, franchement, semblait assez éloigné à ce moment-là. Ils disaient tous : « Ne vous inquiétez pas; nous vous affirmons que cette proposition va respecter les mêmes normes que le projet fédéral. »
Avons-nous manqué le coche? On pourrait le dire. Toutefois, compte tenu de la situation d'alors, je crois que c'était une réponse raisonnable pour le Canada. Il se peut que certaines nuances se perdent dans le débat, mais nous n'avons pas refusé. Nous avons simplement dit : « Terminez votre processus environnemental pour que nous sachions exactement de quoi il retourne. »
Le sénateur Milne : C'est assez décourageant quand ils disent en fait : « Ne vous inquiétez pas, nous vous garantissons que le projet d'État, s'il est mis de l'avant, se conformera aux mêmes exigences environnementales, » ce qui n'est pas le cas.
M. Levy : C'est décourageant.
Le sénateur Milne : Que font-ils à ce sujet, s'ils disent qu'il doit s'y conformer et que ce n'est pas le cas?
M. Levy : Compte tenu de la situation politique fort délicate relative à ces deux sénateurs, et aussi de l'ambitieux programme national du président, pour lequel il a besoin d'aide, ils choisissent d'accepter, avec plus de confiance que nous ne le ferions, la recherche ou les données présentées par le Dakota du Nord, qui est en faveur de cette décharge.
Le sénateur Milne : Ils présentent des recherches et des données?
M. Levy : Il y en a toujours. Nous prétendons qu'il ne s'agit pas de l'évaluation environnementale essentielle, de base, relative à ce projet en particulier.
Le sénateur Milne : Pour l'instant, mis à part l'envoi de lettres et le fait de contacter des gens, comme nous l'avons fait, monsieur le président, que pouvons-nous faire de plus?
Le président : Nous allons en discuter dans une minute.
Le sénateur Milne : Nous pouvons toujours nous agiter les mains et les bras.
Le président : Effectivement. Nous pourrions réagir violemment et montrer notre mécontentement.
Je vais lire quelques déclarations qui pour l'instant ne sont attribuables à personne, mais qui représentent un point de vue différent. J'aimerais, messieurs, dans quelque ordre que ce soit, que vous y réagissiez. Veuillez prendre des notes, car je ne peux pas distribuer ce document. J'aimerais avoir votre réaction au sujet de plusieurs déclarations, si possible.
Contrairement à de fréquentes déclarations faites par des représentants officiels du Canada, plusieurs études environnementales sur la qualité de l'eau et le biote du lac Devils ont été effectuées par l'État et par des organismes fédéraux américains. Ces études sont du domaine public.
Le lac Devils est un sous-bassin de la rivière Rouge du nord. Il se trouve entièrement dans le bassin de la rivière Rouge, mais aux niveaux d'eau actuels, ne se décharge pas naturellement dans une rivière. Le lac Devils se déverse dans...
Je saute cette partie, car elle est inutile.
Le lac Devils offre des possibilités de pêche de calibre international, attirant des pêcheurs d'Amérique du Nord et du monde entier. C'est également un habitat de premier ordre pour beaucoup d'espèces d'oiseaux migrateurs.
Je vais en lire un autre pour savoir ce que vous en pensez.
Un projet pilote est actuellement en cours relatif à l'utilisation de l'eau du lac Devils pour l'irrigation.
Le sénateur Milne : Ce serait une excellente idée, on pourrait s'en débarrasser de cette façon-là.
Le président : J'ai une autre déclaration que je cherche, qui fait état d'un débit naturel.
Selon des recherches effectuées en 1997, 2003, 2004 et 2005, il existe une connexion naturelle des eaux de surface entre le lac et le bassin de la rivière Rouge. À cet endroit, au coin nord-est du bassin du lac Devils, l'eau s'écoule du bassin du lac Devils dans le bassin de la rivière Pembina-Red à un débit d'environ 15 pieds cubes par seconde.
Par ailleurs, à titre d'information pour les membres ducomité, on prétend dans cette déclaration que 89 p. 100 du bassin de la rivière Rouge se trouve aux États-Unis,47 p. 100 dans le Dakota du Nord, 41 p. 100 au Minnesotaet 1 p. 100 dans le Dakota du Sud, tandis que 11 p. 100 du bassin de la rivière Rouge se trouve au Manitoba. Selon une étude réalisée en 2002, les États-Unis sont responsables d'un apport de 65 p. 100 de l'azote et de 60 p. 100 du phosphore dans la rivière Rouge, qui éventuellement se déversent dans le lac Winnipeg avec le reste des nutriants provenant essentiellement du Manitoba.En d'autres termes, le Canada est responsable d'un apport d'azote 4,5 fois plus élevé et d'un apport de phosphore 5,5 fois plus élevé par mille carré dans la rivière Rouge, compte tenu de ces pourcentages, par rapport aux États-Unis.
M. Levy : Sénateur, mes collègues ont hâte de vous répondre. Je vais dire deux choses en guise d'introduction et ensuite céder la parole à ceux qui sont plus au courant. Premièrement, cela ne vous surprendra pas d'apprendre que nous pourrions vous dire exactement qui sont les auteurs de ces déclarations que nous connaissons très bien.
Le président : Ce n'est pas moi.
M. Levy : Je le comprends. Deuxièmement, et je ne fais pas seulement de beaux discours, lorsqu'on entend certaines de ces déclarations provenant du Dakota du Nord ou des partisans, nous répondons : « Formidable. Par conséquent, vous ne devriez pas vous opposer à en faire part à la CMI pour obtenir une évaluation objective. »
Je vais demander à monsieur Carey s'il veut bien s'attaquer à cette question et ensuite, les autres pourront intervenir.
M. Carey : En ce qui concerne les études sur la qualité de l'eau, si vous voulez parler de chimie, je dirais qu'il existe des études à cet égard qui permettent d'indiquer que les taux peuvent être connus. Je dois dire, toutefois, que le taux de la teneur en sulfate entre l'extrémité est et l'extrémité ouest du lac est au moins cinq fois plus important. C'est la même chose pour le total des solides dissous. Excusez-moi, je me suis trompé. Le taux est plus bas du côté ouest que du côté est. Le débit, l'eau naturelle qui s'écoule du bassin de drainage, vient essentiellement de l'ouest. La teneur en sulfate du côté est est plus que 10 fois plus élevée que l'objectif CMI en matière de qualité de l'eau que nous viserions à la frontière pour la rivière Rouge.
En ce qui concerne les données chimiques toutefois, nous savons qu'une modélisation dépend de l'endroit où l'eau est en fait prélevée. C'est la raison pour laquelle il faut vraiment une proposition de projet particulier. On ne peut pas simplement dire que l'on va prélever de l'eau quelque part dans le lac et faire une demande de renvoi et penser qu'il n'y aura pas de problème. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons attendu une proposition de projet particulier, par opposition à une étude technique, avant d'envisager une demande de renvoi. Nous exigeons habituellement une proposition particulière pour pouvoir faire l'étude d'impact, et il ne s'agit pas de concevoir un projet dans le cadre de la demande de renvoi.
Si vous voulez parler du biote, toutefois, je ne suis pas aussi sûr d'être d'accord. Je ne pense pas que le Army Corps of Engineers, dans sa déclaration d'impact soit d'accord. Il a indiqué qu'il avait vu certaines espèces potentiellement envahissantes, mais aussi qu'aucune étude complète n'avait été réalisée. Par conséquent, tout dépend de ce que vous voulez dire par études sur la qualité de l'eau. Si vous voulez parler de qualité de l'eau, sur le plan chimique, je suis d'accord. Si vous voulez parler d'un écosystème aquatique, d'espèces envahissantes potentielles, je ne crois pas être d'accord.
Le président : Pour notre information, à partir de quelle extrémité du lac la décharge atteindra-t-elle la rivière Cheyenne?
M. Carey : D'après le projet d'État, c'est à partir de l'extrémité ouest.
Le président : Est-ce là que l'on retrouve la teneur en sulfate la moins élevée?
M. Carey : Oui. J'ai déjà indiqué que pour moi, il ne s'agit pas d'un transfert entre bassins hydrographiques au même titre que le transfert entre le Missouri et le bassin de drainage de la baie d'Hudson. À mon avis, un bassin intermittent fait toujours partie du bassin.
Pour ce qui est de la pêche, je n'ai jamais été dans cette région et je ne peux pas dire s'il s'agit d'une activité de calibre international ou non. Je ne connais pas votre définition de pêche de calibre international.
Le président : Ce n'est pas ma définition.
M. Carey : Le lac était complètement à sec dans les années 1940 et il a été empoissonné depuis. Peut-être existe-t-il des définitions différentes de « calibre international ». Je sais que la région essaye de développer la pêche sportive dans le lac et qu'elle attire effectivement des gens.
Je ne peux pas dire s'il existe un projet sérieux d'irrigation. J'ai entendu quelques personnes en parler.
Le président : Pour être parfaitement au clair, êtes-vous en train de dire qu'il ne s'agit pas d'un transfert d'eaux dans un bassin dont les eaux sont tout à fait autres?
M. Carey : Je dis qu'il ne s'agit pas d'un transfert entre bassins hydrographiques. D'après une de nos politiques, nous ne transférons pas d'eau de ce bassin. Je dis que l'eau du lac Devils fait partie du bassin de drainage de la baie d'Hudson. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas de préoccupations au sujet de sa qualité ou du biote, qui nous indiqueraient qu'il faut faire quelque chose avant d'en assurer la décharge. Ce n'est pas du tout ce que cela veut dire. Cela veut dire que je ne préfère pas définir ce projet comme un transfert entre bassins hydrographiques, car cela va à l'encontre de notre politique à cet égard. Je ne recours pas personnellement à un tel argument.
Si le lac Devils se trouvait en Alberta ou dans l'Ouest du Canada en général, on l'appellerait une mare vaseuse. Ce n'est rien d'autre. De l'eau s'y infiltre et aucune eau n'en sort. C'est un lac intérieur dont la taille ne cesse d'augmenter.
Le président : Est-ce une grande mare vaseuse?
M. Fawcett : Oui. C'est à cause du labour des terreshumides qu'il est devenu si grand et c'est ce qui contribue aux inondations. Dans la région du bassin du lac Devils, on évalue à plus de 300 000 acres la superficie des terres labourées. Devinez où s'écoule l'eau? Elle s'écoule dans une plaine inondable très plate. Chaque pouce d'eau qui arrive s'étale sur une distance considérable.
Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons. En général, l'eau du lac Devils ne convient pas à l'irrigation, comme l'a dit M. Carey. Elle est très salée et renferme d'autres contaminants. Elle n'a jamais été utilisée pour l'irrigation.
Dans le bassin supérieur, un projet pilote applicable à 400 acres vise à utiliser cette eau pour l'irrigation, mais cela ne va pas résoudre le problème des crues du lac Devils, car 400 acres n'absorbent pas autant d'eau. En outre, on a besoin d'eau pour l'irrigation lorsque la terre est sèche, non lorsqu'elle est mouillée. Lorsqu'elle est sèche, le lac Devils diminue de taille et lorsqu'elle est mouillée, et que le lac s'étend, on n'a pas besoin d'eau pour l'irrigation. L'irrigation n'est donc pas vraiment ce qui va permettre de régler les crues du lac Devils. Dans tous les cas, il s'agit simplement d'un projet pilote pour voir si une partie de cette eau peut servir à l'irrigation.
Pour ce qui est de l'autre question, le Dakota du Nord a déclaré dans sa stratégie relative à la lutte contre les inondations qu'il tentait de protéger l'infrastructure entourant le lac Devils; nous sommes bien sûr ouverts à cette possibilité. Le gouvernement fédéral aux États-Unis a contribué de 300 000 à 400 000 $ américains pour régler les problèmes d'inondation. Toutefois, c'est cette décharge qui représente la seule solution au problème. Ils n'ont pas essayé de prendre de mesures pour régler ce que nous appelons « la hauteur d'eau du bassin supérieur », pour essayer de ramener l'eau dans les terres humides et dans le bassin supérieur afin de diminuer l'écoulement qui se déverse dans le lac Devils.
M. Carey : Comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas entendu parler du projet d'irrigation. C'est seulement cette semaine que j'ai entendu parler de la connexion naturelle et je n'ai pas eu le temps de m'y attarder encore. Lorsque j'ai posé la question à des membres de notre personnel à ce sujet, ils m'ont dit qu'effectivement les eaux se mêlent à la fin du printemps dans les terres humides, là où se fait l'écoulement. C'est ce dont il est question. C'est dans le bassin à des dénivelés plus élevés, pendant la fonte des neiges et dans les zones humides. C'est tout à fait différent de la situation relative aux eaux salines du lac.
Le président : S'il fait partie du bassin de la baie d'Hudson, on pourrait alors supposer qu'à un moment donné l'eau s'en écoulait pour arriver dans le bassin de la baie d'Hudson. Quand celas'est-il produit la dernière fois?
M. Carey : J'aimerais regarder mes notes, mais, autantque je me souvienne, depuis la dernière glaciation, en d'autres termes, dans les 10 000 dernières années, il y a eu décharge naturelle entre cinq à dix reprises. Je crois qu'il s'agit de cinq, ou peut-être quatre, mais c'est très peu de fois qu'il y a eu une telle décharge naturelle et c'était à des époques de très haut débit. Il faudrait 21 années de pluie de suite pour qu'une telle décharge naturelle se produise. Il faudrait que l'eau s'élève sept pieds de plus et s'étale encore plus. Ce n'est pas un scénario crédible compte tenu du climat actuel. La dernière fois qu'il y a eu décharge naturelle semble remonter à plus de 1 000 ans.
Le président : Messieurs, avant de céder la parole au sénateur Gustafson, pourriez-vous nous fournir plus de réponses?
M. Carey : Le dernier point se rapporte aux charges relatives en nutriants et il est reconnu au Manitoba que le lac pose des problèmes à cet égard. Il existe un plan de gestion des nutriants qu'on tente d'appliquer au lac Winnipeg. On a demandé — et obtenu — la participation du fédéral à des études afin de savoir ce qu'il faudrait faire au Manitoba pour contrôler et diminuer ces nutriants. L'objectif visé consiste à ramener les nutriants du lac Winnipeg aux niveaux de 1970.
C'est pour cela qu'une proposition relative à l'établissement des charges en nutriants aux niveaux actuels à la frontière est prévue afin qu'en vertu d'un accord, les apports le long de la rivière Rouge n'augmentent pas par rapport à ce qu'ils sont actuellement.
Il est clair que la contribution du lac Devils, si la décharge atteint 100 PCS, augmentera les charges au-delà de ce qu'elles sont actuellement et aggraveront encore davantage la situation du système dans le lac Winnipeg. J'ai entendu David Schindler comparer la gravité de ce problème à celui du lac Érié à la fin des années 1970.
Le président : En ce qui concerne les charges en nutriants dans le lac Winnipeg, ils prétendent que notre apport est quatre fois et demie ou cinq fois et demie supérieur par mille carré à celui des États-Unis. Beaucoup de ces arguments réfutent les nôtres. Par exemple, ils réfutent notre argument au sujet de l'irrigation qui ne va pas résoudre le problème, comme vient juste de le direM. Fawcett. Nous avons dit que même le Dakota du Nord ne permettra pas que cette eau soit utilisée pour l'irrigation, mais ils prétendent que « oui. »
Ont-ils raison de dire que nous contribuons proportionnellement beaucoup plus qu'eux aux problèmes du lac Winnipeg?
M. Carey : Je n'ai pas les chiffres, mais je ne le réfuterais pas. Notre apport de nutriants dans le lac Winnipeg est très élevé, et provient de sources non ponctuelles comme l'agriculture, l'épandage du fumier sur les terres et aussi le rejet d'eaux usées des villes, comme la ville de Winnipeg elle-même et peut-être d'autres encore. Nous en sommes effectivement une source importante.
David Whorley, conseiller principal, Coordination relative aux eaux et questions liées aux eaux transfrontalières, Environnement Canada : J'aimerais revenir à la question des transferts entre bassins hydrographiques. Je suis d'accord avec les observations qui ont été faites, mais je voudrais souligner le caractère unique du lac Devils. Il s'agit d'un bassin fermé qui n'est relié à rien. Dans les années 40, il était à sec. C'est ce qui le rend particulier, car les formes de vie qui se retrouvent dans ce lac y ont été amenées.
À certains égards, c'est comme un transfert entre bassins hydrographiques. Je suis d'accord avec M. Carey lorsqu'il dit que ce n'est pas la même catégorie que, par exemple, un transfert entre grands bassins continentaux. Le lac Devils est un cas unique. Il n'a pas débordé en l'espace de 1 000 ans et il ne va pas déborder dans un avenir rapproché. Il était à sec il y a à peine 60 ans.
M. Carey : Même si géographiquement, il se trouve dans le bassin, le genre d'écosystème et l'eau qui s'y trouve sont source de préoccupation, en cas de décharge; il ne faudrait pas le prendre à la légère.
Le sénateur Gustafson : En vous écoutant, il me semble que nous avons donc une « mer Morte ». Aucune eau ne s'en écoule.
Le président : Une mare vaseuse morte.
Le sénateur Gustafson : Lorsque le bassin s'assèche, est-il alcalin? Est-il plein d'alcali?
M. Carey : Je l'imagine, je ne le sais pas. Je n'ai pas vu d'images, mais c'est typique de ce genre de masse d'eau, effectivement.
Le sénateur Gustafson : Sommes-nous en train de demander aux Américains de faire quelque chose d'impossible? Comment allez-vous assainir ce lac? Que leur demandons-nous de faire?
Le président : Vous avez parlé d'amener l'eau dans le bassin supérieur, dans les marécages; comment vous y prendriez-vous, puisque l'eau s'écoule dans le sens de la pente?
M. Carey : Vous voulez savoir ce que nous voulons qu'ils fassent. Parlons plutôt de ce qu'ils comptent faire ou disent vouloir faire.
Le sénateur Gustafson : Vous parlez du Corps of Engineers?
M. Carey : Non, ce n'est pas le même projet. Le U.S. Army Corps of Engineers s'est intéressé aux mesures de protection contre les crues. Il a analysé les conditions en vertu desquelles se ferait le pompage des eaux du lac Devils.
Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, mais je me souviens de trois chiffres en particulier. Depuis 1995, le niveau du lac a augmenté de 25 pieds, ce qui veut dire que sa superficie est passée de 70 à plus de 220 milles carrés. Les 150 milles carrés additionnels qui ont été inondés englobaient des routes et des exploitations agricoles. Certaines villes, comme celle de Devil's Lake, par exemple, ont construit des digues pour se protéger contre les crues. Entre 300 et 400 millions de dollars ont été consacrés à des programmes de protection et de prévention des dégâts causés par les inondations.
Il s'agit, pour eux, d'un problème grave et c'est pour cette raison qu'ils essaient de réduire le niveau des eaux. C'est là-dessus que s'est penché le Corps of Engineers. Il a analysé des scénarios possibles pour l'avenir afin de déterminer si la construction d'une décharge était justifiée sur le plan économique, et défini les conditions en vertu desquelles l'eau serait déchargée dans le système.
Il a indiqué qu'il faudrait prévoir toute une série de mesures d'atténuation avant que les eaux ne soient déchargées. Il faudrait, entre autres, aménager un habitat le long de la rivière qui pourrait être inondée, et il est question ici de la rivière Cheyenne; mettre en place des enrochements de protection, c'est-à-dire des roches qui sont retenues par des grillages, pour protéger les berges contre l'érosion; identifier les zones de frai importantes pour les poissons; construire des canaux de dérivation pour contourner ces zones. Il a recommandé l'adoption de normes de qualité de l'eau, et l'installation de filtres à sable et autres technologies pour empêcher le transfert de biotes. Aucune de ces mesures d'atténuation ne figure dans le projet envisagé actuellement par l'État.
Voulez-vous savoir ce que nous voulons qu'ils fassent? Si nous devions évaluer un projet, nous voudrions qu'il comporte des mesures d'atténuation qui visent à protéger le système. Nous voulons qu'ils soumettent le projet à la CMI pour qu'elle puisse l'examiner et dire quelles mesures de protection doivent être prises.
Le sénateur Gustafson : Vous demandez la tenue d'une étude?
M. Carey : Oui, une étude sur les modalités du projet.
L'État s'est délivré un permis pour construire une décharge.Il a défini les conditions qui devraient être respectées : au nombre de celles-ci figurent des critères de qualité de l'eau, des conditions d'écoulement, des restrictions saisonnières. S'ils sont capablede maintenir une capacité nominale de 100 PCS, et ce, pendant10 ans, de mai à novembre, ils vont parvenir à réduire le niveau des eaux de 17 pouces. Cela équivaut à 1,7 pouce par année pour un lac dont le niveau a augmenté de 25 pieds. Trouvez-vous cela logique?
Le sénateur Gustafson : J'ai vécu l'expérience du projet Rafferty-Alameda. J'étais député à l'époque et le dossier a suscité beaucoup de discussions. La plupart des scénarios envisagés ne se sont jamais produits. On a laissé entendre que le lac serait à sec dans deux ou trois ans; il y a aujourd'hui 51 pieds d'eau à cet endroit.
Je sais que l'on nage dans l'inconnu. Il va falloir attendre de voir ce qui va se passer. Comme je viens du Missouri, je pense que les Américains vont mettre beaucoup de temps à bouger dans ce dossier.
Le président : Nous essayons de les faire bouger depuis déjà un bon moment, sénateur Gustafson.
Le sénateur Buchanan : Je viens moi aussi du Missouri, mais pour une autre raison. En fait, je viens du Cap-Breton, mais je me rends parfaitement compte de la gravité du problème. Le Canada va avoir beaucoup de mal à régler ce différend, et non pas à cause de ce que vous avez dit. Vos commentaires sont valables, mais le dossier est devenu politique, ce qui complique les choses. Il y a un puissant groupe de sénateurs, au Congrès, qui ne partagent pas l'avis du Canada. Ils appuient le Dakota du Nord et, si j'ai bien compris, ils ont été en mesure d'obtenir le soutien d'autres sénateurs américains. Il y ensuite la Maison-Blanche qui, elle, s'inquiète de l'impact qu'auraient les votes des sénateurs sur son administration.
À notre avis, les préoccupations du Canada concernant l'environnement sont tout à fait légitimes. Le Dakota du Nord, lui, est confronté à des problèmes qui, à ses yeux, sont tout aussi légitimes. Le dossier est compliqué par la situation politique, et tout joue contre le Canada, d'après ce que je crois comprendre. Je connais quelques sénateurs américains. Je leur ai parlé de la situation. Les sénateurs de la côte Est ne sont pas tellement intéressés, mais ceux qui viennent du Midwest et des États qui longent la frontière sont influencés par le Dakota du Nord. Par ailleurs, la Cour suprême du Dakota du Nord a statué en faveur du projet. Il y a donc de nombreux défis à relever.
Il est vrai que la Cour suprême a donné raison au gouvernement du Dakota du Nord, n'est-ce pas?
M. Levy : Oui.
Le sénateur Buchanan : Est-ce que la décision a été portée en appel?
M. Levy : La décision a été rendue par la Cour suprême du Dakota du Nord. Il existe un mécanisme d'appel, mais je ne crois pas qu'on y ait eu recours.
Le sénateur Buchanan : On pourrait interjeter appel devant la Cour fédérale.
M. Fawcett : Non. La U.S. Water Act a accordé à l'État du Dakota du Nord le pouvoir de délivrer le permis 402. Une fois cette étape franchie, le dossier s'est retrouvé entre les mains du gouvernement du Dakota du Nord et des tribunaux.
Le sénateur Buchanan : Et cela exclut la Cour fédérale?
M. Fawcett : Oui.
M. Levy :On voit ce genre de chose non seulement dans le Dakota du Nord, mais également dans les autres États qui exercent un contrôle sur les droits relatifs aux eaux. Je dois dire, sénateur, que je me sentais confiant jusqu'à ce que je vous entende résumer, en termes plutôt sombres, notre position. Je tiens à préciser que je ne sais pas combien de sénateurs sont d'accord avec les deux sénateurs du Dakota du Nord. Toutefois, un certain nombre de sénateurs ont été poussés à dire, bien qu'ils n'aiment pas ce qui se passe dans le Dakota du Nord, qu'ils appuient les efforts déployés dans ce dossier.
S'il y a une chose que j'ai apprise, c'est que le point de vue du Canada dans un dossier bilatéral n'intéresse pas vraiment les États-Unis. Ils soutiennent que nous ne payons pas d'impôts et que nous n'avons pas droit de vote pas dans leur pays. Notre intention, dans un dossier qui retient autant d'attention quecelui-ci, est de rassembler tous nos alliés aux États-Unis. Les opinions, dans ce cas-ci, vont diverger. Toutefois, si nous sommes toujours « en vie », malgré les perspectives peu encourageantes, c'est parce que le Minnesota s'intéresse au dossier. Le gouverneur du Minnesota joue un rôle très actif et donne des conférences de presse avec le premier ministre du Manitoba. Il a écrit et téléphoné à la Maison-Blanche, les mêmes personnes avec qui nous faisons affaire à la Maison-Blanche. Le Conseil sur la qualité de l'environnement a rencontré privément une délégation du Minnesota. La façon dont nous nous y prenons m'importe peu : ce qui compte, c'est que nous arrivions à un résultat que nous jugeons satisfaisant.
Le sénateur Buchanan : N'est-il pas vrai que le Canada veut saisir la CMI du dossier, mais qu'il ne peut le faire que si le département d'État américain est d'accord?
M. Levy : Habituellement, ces renvois sont faits conjointement, à la demande du ministère des Affaires étrangères et du département d'État américain.
Le sénateur Buchanan : Il y a deux ou trois ans, le département d'État américain voulait qu'un projet similaire soit renvoyé à la CMI. Toutefois, dans ce cas-ci, il n'est pas prêt à en faire la demande
M. Levy : Quand on dit qu'il n'est pas prêt à en faire la demande, il faut presque établir une distinction entre ce qu'il aimerait faire, et ce qu'il est en mesure de faire dans ce cas-ci.
Le sénateur Buchanan : Vous avez raison.
M. Levy : Ensuite, si le département d'État américain voulait soumettre, il y a quatre ans, l'autre projet à la CMI, c'est parce que la loi l'obligeait à le faire.
Le sénateur Buchanan : Parce qu'il s'agissait d'un projet fédéral.
M. Levy : C'est exact, et aussi parce qu'il faisait intervenir le Traité des eaux limitrophes. Je ne me souviens pas des mots exacts, mais, essentiellement, le projet devait être confirmé par la CMI.
Les braves sénateurs du Dakota du Nord ont lancé une campagne pour faire retirer ce critère de la loi. Le renvoi de dossiers à la CMI n'est plus une exigence. Le gouvernement américain affirme qu'il va respecter ses obligations en vertu du traité, sauf qu'il dispose maintenant d'une plus grande marge de manœuvre pour y arriver. Il n'est pas obligé de s'en remettre à la CMI.
Le sénateur Buchanan : Le renvoi conjoint à la CMI par le Canada et les États-Unis est bloqué par le département d'État américain, qui refuse que le dossier soit renvoyé à la Commission.
M. Levy : C'est exact.
Le sénateur Buchanan : Il le fait pour des raisons politiques.
M. Levy : Absolument.
Le sénateur Buchanan : Voilà pourquoi le problème est si difficile à régler. Quand les politiques s'en mêlent, prenez garde.
Le sénateur Gustafson : Certains politiques américains sont très puissants et difficiles à convaincre.
M. Levy : Ils sont très habiles.
Le sénateur Buchanan : Dans un mois, je vais assister à une réunion des États du Nord-Est, dans le Connecticut. Malheureusement, il se peut que bon nombre d'entre eux n'aient pas entendu parler du projet du lac Devils. Je vais me renseigner une fois sur place.
M. Levy : J'espère que vous vous trompez, parce qu'on a consacré beaucoup d'efforts à ce dossier.
Le sénateur Buchanan : Je les connais tous.
M. Levy : Le premier ministre du Québec s'est rendu récemment à Washington. À l'issue d'une rencontre avec l'Agence des États-Unis pour la protection de l'environnement, son hôte lui a demandé s'il avait d'autres points à soulever. Le premier ministre a parlé du lac Devils. Le premier ministre de l'Ontario et d'autres s'intéressent également à la question. Nous essayons d'informer le plus grand nombre possible de personnes. J'espère qu'on a, à tout le moins, une connaissance superficielle du dossier.
Le sénateur Buchanan : D'accord. Je vais me renseigner.
M. Fawcett : Le sénateur Buchanan a dit, au début, qu'il venait du Missouri.
Le sénateur Buchanan : C'est là que se trouvent les clans.
M. Fawcett : L'État du Missouri est, en fait, un de nos alliés. Le gouverneur du Missouri a indiqué, par écrit, qu'il était en faveur d'un renvoi. Si le Missouri est préoccupé, ce n'est pas à cause de la décharge en soi, parce qu'elle n'a aucun impact sur les activités en aval de la rivière Missouri, mais plutôt parce que, une fois le niveau du lac stabilisé, et il va finir par l'être, si le Dakota du Nord alimente cette décharge, il devra stabiliser le niveau des eaux. Autrement dit, il devra dévier les eaux vers le lac Devils. D'après un plan élaboré en 1987, et dont on a beaucoup parlé ces dernières années, on prévoit aménager une embouchure afin de détourner les eaux du réservoir Garrison, qui est situé en amont de la rivière Missouri, vers le lac Devils dans le but de stabiliser le niveau des eaux. Le Missouri est très inquiet, tout comme nous. Cela nous ramènerait à l'époque où le débat sur le détournement des eaux de Garrison faisait rage. On se retrouverait en fait à détourner les eaux du Missouri, ce qui équivaudrait à un transfert entre bassins.
Par conséquent, nous avons l'appui d'un grand nombre d'intervenants, de divers secteurs en amont, comme la Commission des Grands Lacs et les membres de la délégation des Grands Lacs, les sénateurs Voinovich et DeWine, qui sont également intervenus dans le dossier. Nous bénéficions également de l'appui de l'État de New York.
Le sénateur Buchanan : Et du sénateur Lugar.
M. Fawcett : Oui, de l'Indiana. Le président du comité des relations étrangères nous a également fait part de son soutien.
Le sénateur Milne : Nous n'avons pas de renseignementsprécis sur ce projet. Vont-ils pomper l'eau au-delà de la ligne de partage des eaux ou dans un fossé, ou vont-ils tout simplement creuser un fossé? Vous avez dit que le niveau des eaux avait augmenté de 27 pieds et qu'avec ce projet, il faudra 10 ans pour l'abaisser de 17 pouces. Quelle est la profondeur de ce fossé?
M. Carey : C'est un pipeline.
Le sénateur Milne : Un pipeline? De quelle taille?
M. Fawcett : Il y a plusieurs choses qu'il convient de mentionner. Il y a une station de pompage dans le lac qui pompe l'eau dans le pipeline. L'eau est ensuite déversée dans un canal qui est en train d'être construit. L'eau va également être pompée par delà la ligne de partage des eaux. Il s'agit en fait d'un pipeline et d'un canal ouvert.
Le sénateur Milne : Vous avez dit par delà la ligne de partage des eaux. Vont-il siphonner l'eau au-dessus du niveau du sol?
M. Carey : Quand l'eau monte, elle est pompée via un pipeline, et quand elle descend, elle est déversée dans un fossé.
Le sénateur Milne : Et quelle est la taille du pipeline?
M. Carey : La question est intéressante. Ils sont en train de construire un pipeline qui sera capable de pomper 300 pieds cubes par seconde, ce que prévoyait le projet de base, même s'ils soutiennent que la capacité du pipeline sera de 100 pieds cubes par seconde et qu'ils disposent d'un permis pour cela. Il est effectivement intéressant de voir qu'ils sont en train de construire un pipeline trois fois plus gros que prévu.
Le président : Ils ont eux-mêmes approuvé le projet?
M. Carey : Oui. On me dit que le gouverneur a le pouvoir de décréter l'état d'urgence et de faire fi du permis, si besoin est.
Le sénateur Milne : Si le pipeline fonctionne à plein rendement, à quelle vitesse vont-ils pouvoir abaisser le niveau des eaux?
M. Carey : Ils vont pouvoir le faire trois fois plus rapidement.
Le sénateur Milne : Donc, dans trois ans, le niveau sera abaissé de 17 pouces.
M. Carey : Le niveau sera abaissé de cinq pouces par année.
M. Fawcett : Sénateur, il est important de noter la raison pour laquelle ils ne peuvent atteindre l'objectif de 300 pieds cubes par seconde. Ils enfreindraient les normes de qualité de l'eau en aval de la rivière Cheyenne. Ils ne peuvent, en vertu du permis qu'ils possèdent, dépasser la limite de 100 PCS.
M. Carey : En fait, ils ne peuvent, à notre avis, atteindre l'objectif de 100 PCS et respecter les conditions du permis, qui sont nombreuses. Mentionnons, par exemple, les restrictions saisonnières qui les autorisent à décharger uniquement entre mai et novembre. Le débit de la rivière est de 600 pieds cubes par seconde, ce qui veut dire qu'ils ne peuvent dépasser ce chiffre. À certains moments de l'année, la rivière Cheyenne a tellement d'eau qu'ils ne peuvent atteindre l'objectif de 100 PCS. Par ailleurs, ils sont également assujettis à des critères de qualité de l'eau pour ce qui est du sulfate, par exemple. Le permis précise que la teneur en sulfate de l'eau réceptrice dans la rivière Cheyenne, au point d'insertion, ne peut dépasser 300 milligrammes par litre.
Maintenant, l'objectif de la CMI est de 250. Il n'y a pas grand différence entre les deux, mais ce critère devra être pris en compte au cours des périodes de faible débit dans la rivière Cheyenne. Donc, on se demande s'ils pourront même atteindre l'objectif de 100 pieds cubes par seconde. Il est tout de même étrange qu'ils construisent un pipeline dont la capacité est de 300 pieds cubes par seconde.
Le président : On présume qu'ils vont continuer de se conformer aux conditions du permis qu'ils se sont eux-mêmes délivré.
M. Carey : Oui. Comme je l'ai mentionné, le gouverneur a l'option d'annuler celui-ci.
Le sénateur Gustafson : Où se trouvent les zones humides auxquelles vous faites allusion et qu'ils veulent récupérer? J'ai cru comprendre qu'une plus grande superficie était destinée à l'agriculture. Est-ce qu'elles se trouvent dans la région de Grand Forks?
M. Carey : Je pense qu'elles sont situées un peu plus au nord du bassin.
Le sénateur Gustafson : À l'ouest?
M. Carey : Ils ont aménagé des fossés de drainage pour drainer les terres. C'est un peu plus au nord du bassin.
Le sénateur Gustafson : Ce n'est donc pas dans la vallée de la rivière Rouge.
M. Carey : Non.
Le sénateur Buchanan : Je ne connais absolument pas les détails techniques de ce projet, mais vous dites que le niveau des eaux ne va être abaissé que de 17 pouces en trois ans?
M. Carey : Ce sont les chiffres qu'ils avancent.
Le président : En 10 ans.
Le sénateur Buchanan : Si c'est le cas, combien de temps faudra t-il attendre avant que le lac Winnipeg ne soit touché? Si le niveau baisse de 17 pouces, que l'eau coule ensuite dans le pipeline avant d'être déversée dans la rivière Rouge, il faudra sans doute une éternité avant que l'eau n'atteigne le lac Winnipeg, n'est-ce pas?
M. Carey : Non. L'eau qui est pompée va être déversée dans le lac Winnipeg cette année.
Le sénateur Buchanan : Ils n'en pompent pas de grandes quantités.
M. Carey : Le chiffre de 100 PCS, c'est-à-dire 100 pieds cubes par seconde, représente un débit normal.
Le sénateur Buchanan : Est-ce que le lac est grand ?
M. Carey : Il couvre une superficie de 225 miles carrés.
Le sénateur Buchanan : C'est énorme.
M. Carey : Pour l'instant, oui.
Le sénateur Buchanan : Vous avez dit que dans les années 1940, le lac était à sec.
M. Carey : Oui, et il y a 25 ans, il avait une superficiede 70 miles carrés. C'est leur problème. Le terrain, de leur côté, est très plat. Ils essaient de construire des exploitations agricoles dans une plaine inondable. Ils les construisent quand le lac est à sec. Quand l'eau revient, ils ont des difficultés.
Le président : C'est aussi stupide que de construire des exploitations agricoles dans le triangle Pallisser.
Je pense que nous avons maintenant une meilleure idée de la situation, et je vous en remercie, messieurs.
Nous avons envoyé une lettre très franche à tous les membres du Congrès américain, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir. À votre avis, quelle autre mesure constructive devons-nous prendre?
M. Levy : Compte tenu de ce qui s'est passé au cours des derniers mois, je vous dirais de poursuivre dans la même veine. Si c'est possible, essayez d'avoir des rencontres, des entretiens directs avec les personnes avec qui vous avez établi des contacts au fil des ans, ou téléphonez-leur, envoyez-leur une lettre, un courriel, convoquez une réunion, peu importe, mais contactez-les pour leur dire que, même si cela semble dépasser leurs compétences, ils devront subir les contrecoups de leur décision si des problèmes se posent au niveau des eaux frontalières, et cela englobe même les personnes qui vivent autour des Grands Lacs. Les contrecoups seront énormes.
Pour revenir au commentaire du sénateur Buchanan, qui soutient que la quantité d'eau n'est pas énorme, le problème vient, en partie, du précédent que cela créerait. Si nous commençons à dire qu'on peut aller de l'avant avec un projet qui n'a pas fait l'objet d'une évaluation environnementale en bonne et due forme au motif qu'il présente peu de risques, nous allons nous retrouver sur une pente très glissante. Nous essayons, dans un sens, d'établir une règle. En fait, je ne devrais pas dire que nous essayons d'en établir une. Nous estimons qu'elle a été établie il y a longtemps et que le Dakota du Nord est en train de s'en écarter.
Même si le dossier est devenu politique, ce qui complique les choses, seules les pressions politiques vont maintenant nous permettre de le régler.
Le sénateur Buchanan : Il n'y a aucun doute là-dessus. Aux États-Unis, ce dossier n'oppose pas les démocrates et les républicains. Il y a des gens des deux côtés qui sont pour ou contre le projet. Ce ne sont pas uniquement les républicains qui sont contre, ou les démocrates qui sont pour. D'après ce que j'ai entendu, ce dossier ne fait pas l'objet d'un combat politique partisan.
M. Levy : Le gouverneur du Dakota du Nord est un républicain, et les deux sénateurs sont des démocrates. Le représentant du Congrès est également un démocrate. Notre allié au Minnesota est le sénateur républicain; le gouverneur est également républicain. C'est lui notre principal allié pour l'instant.
Le sénateur Buchanan : Ce qui ne vous arrange guère.
Le président : La quantité d'eau, à moins qu'il ne s'agisse d'un simple filet, est presque sans rapport, n'est-ce pas? Tout ce que vous dites, c'est que, quel que soit le volume d'eau, ce qui importe, c'est ce qu'elle renferme. Je vais me servir de la moule zébrée comme exemple. Il importe peu de savoir dans combien d'eau elle est venue jusqu'ici, mais il y en a maintenant des millions et on en trouve partout. C'est bien cela?
M. Levy : Je suppose que plus le débit d'eau est grand, plus il y a de chances que tout ce qui est indésirable se rende encore plus loin; toutefois, il ne faut pas tant d'eau que cela pour se retrouver avec une moule zébrée. En fait, je suppose que ce qui vous inquiéterait, ce serait l'arrivée de deux moules zébrées.
M. Carey : Simplement pour renchérir, une partie des discussions auxquelles auraient donné lieu un énoncé des incidences environnementales aurait porté sur ce contre quoi il faut se protéger. Si ce lac est vraiment un réservoir faunique et que les oiseaux s'y posent, puis qu'ils repartent et se posent sur la rivière Cheyenne, il y a de bonnes chances qu'en certaines périodes de l'année, ces eaux contiennent, entre autres, des bactéries. Il faudrait en réalité mener une étude pour voir quelles craintes sont réelles. Si le bar d'Amérique a été introduit dans le lac, comme il semble l'avoir été, nous n'en voulons pas dans la rivière Rouge. Nous ne savons pas s'il se reproduit naturellement. Nous n'avons pas de données à ce sujet, en dépit de tous les arguments favorables et défavorables avancés. Toutefois, nous n'en voulons certes pas dans la rivière Rouge. Ce poisson n'est pas natif à ce milieu. Il y a des choses que nous ne voulons absolument pas voir là, du biote comme la moule zébrée qui, si jamais elle s'y installait, envahirait tout.
J'ai appris cette semaine, lors des réunions de la CMI à Kingston, que le nombre d'espèces envahissantes repérées dans les Grands Lacs dépasse plus de 180. La moule zébrée n'en est qu'une. Nous nous sommes fixés comme objectif, dans l'Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, de rétablir l'intégrité biologique des eaux. Qu'est-ce que l'intégrité biologique d'un lac où l'on retrouve 180 espèces non indigènes? Nous ne savons même pas de quoi elle aurait l'air. C'est ce que nous souhaitons empêcher dans le lac Winnipeg.
Le président : Je tiens à souligner que nous n'avons pas dit que la moule zébrée a quoi que ce soit à voir avec le lac Devils ou la rivière Rouge.
Le sénateur Gustafson : J'ai une question qui vient des réunions que nous avons eues avec les Américains. Ils ont deux sources de grande préoccupation. L'une, c'est que le sol est en train d'être bétonné dans les centres urbains. Contrairement à ce que croient les Canadiens, c'est un problème qui les préoccupe vivement, ce qui pourrait être facteur dans le dossier à l'étude.
L'autre source de préoccupation est l'eau, parce que les niveaux d'eau dans les puits situés dans le périmètre irrigué du Sud a baissé. On entend citer différents chiffres, mais il est souvent question d'une baisse de 40 à 50 pieds du niveau d'eau. L'eau les inquiète, tout comme le sol.
Si vous traversez en auto Atlanta, en Georgie, comme je l'ai fait, question de voir par moi-même, vous observerez que les gens quittent la ville et achètent de 10 à 15 acres de terrain à la campagne; ils ont quelques chevaux et construisent une belle maison d'un million de dollars. Beaucoup de sols aux États-Unis sont en train d'être recouverts de béton. Le phénomène est énorme. En fait, le bureau de l'agriculture des États-Unis recommande que le gouvernement s'accapare ces terres au moyen d'un bail de 99 ans et qu'il les conserve comme terres agricoles. Comme je l'ai dit, le phénomène est très étendu.
Cela pourrait bien expliquer tout le raisonnement des Américains.
M. Carey : Je ne commenterai pas la dernière partie de votre intervention, mais je peux vous affirmer, sénateur, que le véritable enjeu est la disponibilité d'eau. L'aquifère que vous avez mentionné où le niveau d'eau aurait baissé de 40 pieds est l'aquifère Ogallala. C'est le plus grand aquifère du continent. La seule explication pour une baisse aussi marquée est la surconsommation. Ceux qui se servent de cette eau pour irriguer en font une consommation excessive et ils auront des problèmes plus tard. C'est pourquoi nous avons besoin d'un mécanisme de règlement des différends et qu'il faut protéger celui qui existe déjà. Il est pas mal utile quand nous y avons recours. C'est l'essentiel à retenir. Nous devons faire en sorte que le Traité des eaux limitrophes est respecté et que nos mécanismes de règlement des différends sont soutenus et utilisés.
Le sénateur Buchanan : Si j'étais à la place d'un élu du Dakota du Nord, puisque les élus de l'État conviennent que ce projet devrait aller de l'avant, que la Cour suprême de l'État les autorise maintenant à le faire, sans possibilité d'appel auprès d'une cour fédérale, et que la voie des poursuites judiciaires est désormais exclue, grâce aussi à l'autorisation d'aller de l'avant, c'est ce que je ferais. Le département d'État, si je puis le décrire ainsi, tergiverse, mais si j'étais le gouverneur de l'État, je mettrais ce projet en branle le plus vite possible. Est-ce ce qu'ils sont en train de faire? Le font- ils à toute vapeur?
M. Levy : Ils ne nous révèlent pas forcement leurs stratégies, mais nous croyons savoir qu'ils sont encore en train de construire la décharge. On n'est pas sur le point d'ouvrir le robinet.
Le sénateur Buchanan : Ils sont sur le point de le faire, cependant.
M. Levy : De terminer la construction, oui, mais ce n'est pas encore fait. Ils ne pourraient pas décider aujourd'hui, par exemple, de l'utiliser. Nous croyons savoir qu'ils n'ont pas encore terminé la construction, mais ils approchent du but. Il y a eu des retards, ironiquement, en raison de la pluie, entre autres.
La date probable, mais elle n'est pas officielle, est le 1er juillet. Ce serait notre cadeau de la Fête du Canada, comme on me l'a décrit.
Le sénateur Buchanan : Dès le 1er juillet, vous croyez qu'ils vont commencer à utiliser la décharge? L'eau coulera?
M. Levy : Elle pourrait couler. Dans la plus pure tradition américaine, je vais invoquer le cinquième amendement pour ne pas vous répondre. Je préférerais ne pas faire de prévisions à ce stade-ci. Je peux vous dire ce qui se passe. Je ne conteste pas ce que vous avez dit au sujet de la situation, soit qu'elle est favorable au Dakota du Nord actuellement pour les raisons que vous avez mentionnées.
Par contre, il existe un gouvernement fédéral des États-Unis qui, nous aimons le croire, s'intéresse aux arguments du Canada dans ce dossier. Je soupçonne qu'il s'intéresse moins aux arguments que nous avançons strictement au sujet de l'environnement et plus à ceux qui portent sur le traité et les précédents, et ainsi de suite. Il subit aussi l'influence, mais je ne peux pas vous dire jusqu'à quel point, des arguments martelés de plus en plus fort par le Minnesota et, peut-être, d'autres États. Il n'est peut-être pas disposé à vraiment tordre des bras comme les sénateurs du Dakota du Nord, mais il est peut-être en train, par d'autres moyens, d'encourager la Maison-Blanche à jouer du muscle pour mettre un frein au projet.
Le sénateur Buchanan : Êtes-vous en train de dire que si, avant que ne coule l'eau, le président des États-Unis ordonne au Département d'État de renvoyer ce différend avec le Canada à la CIM, cela mettrait une fin au projet du Dakota du Nord?
M. Levy : Voilà une bonne question. Je suppose que, s'il s'agissait simplement de directives, ce ne serait peut-être pas le cas. Il faudrait peut-être que le gouvernement fédéral desÉtats-Unis les traîne devant les tribunaux.
Le sénateur Buchanan : C'est ce que j'essayais de dire.
Le président : Pourrait-il le faire?
M. Levy : Bien sûr qu'il le pourrait! Aux États-Unis, on peut poursuivre pour n'importe quoi. Cependant, je doute en réalité que les choses se termineront ainsi.
Le sénateur Buchanan : Si ce n'est pas ce qui se produit, alors nous sommes placés devant un fait accompli.
M. Levy : Comme l'a dit M. Carey, dans le cadre de discussions sur un projet différent il y a quelques années, le département d'État et Colin Powell ont énuméré plusieurs mesures d'atténuation qui, si elles étaient prises, permettraient à la décharge de couler.
On peut aborder toute la gamme des possibilités qui se situent entre ces deux positions officielles : le Dakota du Nord souhaite ouvrir une décharge demain, ou le 1er juillet, et ne veut rien savoir, alors que le Canada souhaite que la décharge ne fonctionne pas du tout jusqu'à ce que la question ait été renvoyée à la CMI. Entre les deux, il pourrait y avoir toute une gamme de mesures intermédiaires. Je ne suis pas un expert de la question, mais il existe plusieurs — plus que plusieurs — mesures qui pourraient être prises.
Le sénateur Buchanan : Êtes-vous en train de dire que le Canada pourrait freiner ce projet d'une manière quelconque?
M. Lévy : Non, probablement pas. Le projet pourrait être stoppé par les États-Unis, qui reconnaîtraient qu'ils ont d'autres intérêts que ceux du Dakota du Nord.
Le sénateur Buchanan : Oui. Le problème, c'est qu'une fois que le projet est en cours de réalisation, une fois que l'eau coule et que le projet est un fait accompli, il devient encore plus difficile pour le gouvernement fédéral, sur le plan politique, d'intervenir et d'y mettre fin. Il aurait dû y mettre fin il y a longtemps. S'il ne l'a pas fait alors, la seule façon dont il pourrait le faire maintenant serait de poursuivre le Dakota du Nord en cour fédérale, une voie qu'il lui répugnait de suivre.
M. Levy : Je n'ai peut-être pas été clair. Les gouvernements ont des moyens de pression qu'ils peuvent utiliser. C'est l'équivalent de se faire dire maintenant par le Département d'État des États-Unis qu'il n'est pas disposé à utiliser son avantage politique pour mettre fin au chantage des deux sénateurs du Dakota du Nord. Cependant, il affirme ne pouvoir rien faire. Naturellement, il pourrait agir, mais il choisit de ne pas le faire. À un certain moment donné, le gouvernement fédéral des États-Unis pourrait décider de négocier en vue de conclure une espèce de marché à cet égard.
Le sénateur Buchanan : C'est de la politique. La Chambre des communes en est un exemple flagrant.
Le président : J'ignore si vous pouvez nous dire ceci, mais vous avez affirmé tout à l'heure que le gouvernement fédéral a délégué ses pouvoirs en matière d'eau aux États?
M. Levy : Oui.
Le président : On ne peut donc pas interjeter appel d'une décision de l'État auprès d'une cour fédérale?
M. Levy : C'est juste.
Le président : Sauf le gouvernement fédéral? Il y a une minute, vous avez dit que le gouvernement fédéral pourrait intenter des poursuites pour y mettre fin s'il décidait de faire jouer son avantage politique. Comment le ferait-il, s'il ne peut pas aller en cour?
M. Levy : Qu'arriverait-il si j'étais le gouverneur du Dakota du Nord et que, d'après les prévisions météorologiques, il n'y aura pas beaucoup d'inondations cette année? Je saurais donc que la décharge qui, nous l'avons déjà établi, ne retira qu'une quantité microscopique d'eau, n'aura pas une grande influence sur lebien-être de ma population cet été.
Je m'empresserais donc de négocier un pacte grâce auquel le gouvernement fédéral me ficherait la paix et j'en profiterais pour me négocier un avantage, quel qu'il soit, et, en fin de compte, j'aurais toujours ma décharge, l'année suivante.
Le président : Vous parlez de négocier, non pas d'aller en cour.
M. Levy : Oui. On négocie en effet un marché.
Le sénateur Gustafson : Il faut comprendre que les Américains vont appuyer le centre. Qu'ils soient de la Californie, de New York ou de Seattle, ils vont appuyer le centre, même s'il s'agit du Dakota du Nord.
M. Fawcett : Quelques facteurs influent sur plusieurs questions soulevées par le sénateur Buchanan. Nous sommes encouragés par le fait que le Conseil sur la qualité de l'environnement de la Maison-Blanche participe maintenant au dossier. En fait, le gouverneur Hoven a déclaré à l'ambassadeur McKenna, lorsqu'ils se sont rencontrés la semaine dernière, que la décharge ne fonctionnera pas jusqu'à ce qu'ait pris fin le processus du Conseil sur la qualité.
Le sénateur Buchanan : Qu'est-ce que c'est?
M. Fawcett : Le Conseil sur la qualité de l'environnement de la Maison-Blanche. Il a entrepris d'examiner le dossier. Il y a eu une autre rencontre, hier, avec le conseil afin de fournir plus de renseignements concernant le dada de M. Carey, soit le biote et ce qui se trouve dans les eaux du lac. Il n'y aura pas de surprise.
En fait, le gouvernement Hoven a également pris l'engagement auprès de l'ambassadeur McKenna d'aviser le Canada s'il envisageait de faire fonctionner la décharge. Nous avons donc obtenu deux engagements du gouverneur tels que communiqués à l'ambassadeur. Il souhaite prouver à la Maison-Blanche que la question est réglée, tant du point de vue du Dakota du Nord aux États-Unis que du point de vue du Manitoba au Canada. Cela m'encourage.
En ce qui concerne les poursuites, il s'est fait beaucoup de travail à ce sujet et au sujet d'autres questions. Notre avocat,qui a participé à l'affaire des permis délivrés aux termes de l'article 402 de la Clean Water Act au sujet de laquelle la Cour suprême du Dakota du Nord s'est prononcée, a affirmé que la cour avait fixé une norme très faible, ce qu'on appelle une norme d'examen fondée sur la retenue. En d'autres mots, ils s'en remettent aux autorités de la santé du Dakota du Nord. S'ils ont fait quoi que ce soit en vue de régler ces problèmes, ils s'en sont remis aux experts, et ils n'ont pas questionné leur jugement. Ils ont pris une décision, et nous nous sommes fiés à eux pour prendre la bonne.
Nous avons aussi eu connus du succès dans le cadre d'autres contestations judiciaires. Un des projets de dérivation Garrison consiste à faire dériver l'eau de Garrison vers la région nord-ouest de Minot, dans le Dakota du Nord. Ce projet nous a inquiétés pendant un certain temps parce qu'il faut équilibrer le niveau des eaux de la dérivation Garrison. Ce projet vise les normes d'eau potable dans la partie nord-ouest de l'État où il y a pénurie. Le problème, c'est que la canalisation détournerait l'eau de la Garrison Diversion jusqu'à Minot et au-delà de la ligne de partage des eaux sans qu'elle soit traitée.
Le Manitoba, appuyé par le gouvernement du Canada, a interjeté appel auprès de la Cour fédérale puisqu'il s'agissait d'un projet fédéral. La cour a essentiellement statué qu'il fallait faire une évaluation environnementale complète avant que le projet puisse aller de l'avant. En fait, elle a stoppé le projet en ce qui concerne toute construction de notre côté de la ligne de partage des eaux jusqu'à ce qu'une meilleure évaluation environnementale ait été faite.
Il existe également deux autres décisions importantes qui ont été rendues et qui, nous l'espérons, auront une influence sur d'autres poursuites, si nous devions comparaître devant les tribunaux américains. Tout d'abord, la cour a dit qu'il appartient au promoteur du projet de prouver qu'il n'y a pas d'effets transfrontaliers — en d'autres mots, qu'il n'y a pas d'effets sur les États en aval. C'est là un point extrêmement important pour nous. Le Manitoba a le droit de comparaître devant les tribunaux américains, un autre élément important de cette décision.
Le sénateur Buchanan : Le Manitoba a le droit de comparaître devant les cours américaines? Êtes-vous en train de dire que le Manitoba pourrait entamer une poursuite devant la Cour suprême du Dakota du Nord pour mettre fin au projet? J'en doute.
M. Fawcett : Le Manitoba a poursuivi le gouvernement fédéral des États-Unis pour ce projet d'approvisionnement en eau de la région nord-ouest.
Le sénateur Buchanan : Il est maintenant question du lac Devils?
M. Fawcett : Dans le dossier du lac Devils, ce sont des ONG locales et le Manitoba qui ont poursuivi le Dakota du Nord.
Le sénateur Buchanan : Ils ont perdu.
M. Fawcett : Oui, c'est un fait, mais j'essaie de dire que les tribunaux rendent certaines décisions, mais qu'ils en rendent parfois d'autres aussi.
Le sénateur Buchanan : Le procès dont il est question a été perdu. C'est le Dakota du Nord qui a eu gain de cause, et il n'y a pas moyen d'interjeter appel.
M. Fawcett : C'est juste.
Le sénateur Buchanan : Voilà qui met fin aux contestations judiciaires.
M. Fawcett : Cela met fin à cette éventuelle poursuite. Il y en a peut-être d'autres, comme il y en a toujours aux États-Unis. J'essaie de faire comprendre qu'il existe des tribunaux qui rendent des décisions différemment. La Cour suprême du Dakota du Nord a statué avec beaucoup de déférence en faveur de l'administration, et la Cour fédérale, elle, a rendu une décision tout à fait différente à l'égard de l'autre projet.
Le sénateur Buchanan : Je comprends ce que vous essayez de dire, mais c'est un peu comme la crise de l'ESB pour laquelle la cour suprême d'un État a rendu une décision dont on a interjeté appel devant une cour fédérale. Ce que vous dites, c'est qu'aux États-Unis, dans le Dakota du Nord, le gouvernement fédéral a cédé ses droits en matière d'eau de sorte qu'il est hors circuit. Le gouvernement fédéral ne peut pas interjeter appel de cette décision de la Cour suprême du Dakota du Nord. Voilà qui clôt le dossier.
M. Fawcett : C'est juste.
M. Levy : Dans ce cas particulier, ce que nous avons dit, c'est que le gouvernement fédéral pourrait, en théorie, entamer une poursuite en raison de ses obligations issues du traité.
Le sénateur Buchanan : C'est juste.
Le président : Un sénateur qui n'est pas membre de notre comité, mais qui s'y connaît en relations avec les États- Unis a laissé entendre que ce serait peut-être une bonne idée pour nous de rédiger une lettre qui, dans les faits et à toutes fins pratiques, serait une pétition, puis de communiquer avec des membres du Congrès qui sont sympathiques à notre cause et de leur demander de la faire signer. Il semble que cela se soit déjà fait avec un certain succès dans le passé dans une épreuve de force afin de convaincre la Maison-Blanche et le département d'État qu'il fallait faire un renvoi. Pourrais-je savoir ce que vous en pensez, candidement?
M. Levy : Pourrais-je ne répondre à cette question que demain? J'aimerais consulter des gens à notre ambassade de Washington qui s'y connaissent beaucoup mieux que moi dans ce genre de choses. Nous pourrions ensuite vous communiquer la réponse, à vous ou à votre personnel.
Le président : Allez-vous en parler à Colin?
M. Levy : Oui, à ce groupe.
Le président : Voilà qui m'épargnera un appel téléphonique. Faites, je vous en prie.
Le sénateur Buchanan : J'ai une dernière question.
Le président : Je parlais de M. Colin Robertson.
M. Levy : Le Secrétariat parlementaire.
Le sénateur Buchanan : Je soupçonne que le temps presse.
M. Levy : C'est vrai. Nous sommes tous d'accord sur ce point.
Le sénateur Buchanan : Ai-je le temps d'en parler avec les gouverneurs d'État, au Connecticut, le 20 juillet?
M. Levy : Ce sera trop tard.
M. Fawcett : Sénateur, je vous encouragerais néanmoins à le faire parce que, comme je l'ai mentionné, il existe d'autres projets. Il y a le projet d'approvisionnement en eau de la vallée de la rivière Rouge et son étude des besoins. Les besoins de la vallée de la rivière Rouge, surtout du côté du Dakota du Nord, mais également du côté du Minnesota, sont en train d'être étudiés par le Bureau of Reclamation. Ils espèrent aller de l'avant avec ce projet. L'option, telle que décrite par les responsables du bassin de la vallée de la rivière Rouge au Dakota du Nord, était à nouveau de faire appel à la dérivation Garrison. Ces dossiers ne sont pas clos. Il va falloir continuer de faire valoir nos préoccupations, du fait qu'ils ne tiennent pas compte des effets transfrontaliers, de souligner l'importance du Traité des eaux limitrophes et, comme l'a mentionné M. Carey, il existe des organismes pour nous aider à régler certains de ces litiges.
Même si la réunion prévue n'arrivera pas à point pour le lac Devils, il y aura certes d'autres projets de dérivation d'eau dans le Dakota du Nord.
M. Carey : J'ajouterais que, si M. Fawcett n'avait pas souligné le projet de Garrison, l'autre option étudiée est une dérivation du lac des Bois, sous l'appellation, je crois, de Red River Water Availability Project. Il existe sept options, y compris plusieurs en rapport avec la dérivation Garrison et celle du lac des Bois.
Le président : Messieurs, je vous remercie beaucoup. Je vous suis très reconnaissant, comme tous les autres membres du comité, d'avoir pris le temps de venir ici avec si peu de préavis. Votre présence nous a été très utile. Si nous avons d'autres questions, comme je suis sûr que ce sera le cas, j'espère que nous pourrons à nouveau faire appel à votre aide. Monsieur Levy, je suis impatient de connaître votre réponse, de savoir s'il y a quoi que ce soit que nous pouvons faire de plus de ce que nous avons déjà fait, qui a été une espèce de réaction instinctive. S'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à communiquer avec nous.
La séance est levée.