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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 19 - Témoignages du 25 octobre 2005


OTTAWA, le mardi 25 octobre 2005

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 18 h 20, pour procéder à l'étude sur de nouvelles questions concernant son mandat.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : C'est un grand honneur pour nous de recevoir aujourd'hui le ministre de l'Environnement, l'honorable Stéphane Dion, ainsi que son secrétaire parlementaire, M. Bryon Wilfert qui, si je ne me trompe, est vice-président du Comité de l'environnement et du développement durable de la Chambre, n'est-ce pas?

L'honorable Bryon Wilfert, C.P., député, secrétaire parlementaire du ministre de l'Environnement : Non, les fonctions de secrétaire parlementaire m'occupent suffisamment.

Le président : Cela ne fait aucun doute. Nous recevons du ministère, M. David Brackett.

Monsieur le ministre, je suis ravi de vous souhaiter encore une fois la bienvenue et nous espérons que vous serez prêt à répondre à certaines questions et à participer à un débat après votre exposé.

[Français]

L'honorable Stéphane Dion, ministre de l'Environnement : Merci beaucoup, je vais parler de façon très brève car j'ai un comité qui commence à 19 heures. Je désire que l'on maximise le temps que nous passerons ensemble.

C'est au sujet de la conférence sur les changements climatiques qui est organisée à tous les ans par les Nations Unies. Le Canada a été invité par plusieurs pays à organiser cette conférence cette année. Nous allons la tenir à Montréal, du 28 novembre au 9 décembre. C'est une conférence très importante.

[Traduction]

Cette conférence est importante puisque c'est la première fois que la Conférence des parties à la convention, la COP, soit la conférence des pays dans le cadre de la convention des Nations Unies en matière de changements climatiques, et les parties au protocole, le MOP, c'est-à-dire les membres du Protocole de Kyoto, se réunissent. On a assisté au début de la mise en œuvre du Protocole de Kyoto en février dernier, lorsque la Russie a remis suffisamment de crédits d'émissions à d'autres pays signataires afin que le Protocole de Kyoto reste en place. Ceci étant dit, faire cohabiter ces deux groupes risque de ne pas être suffisant. En effet, des pays sont signataires du Protocole de Kyoto, tandis que d'autres non. Il faut concilier tout ceci. C'est également une conférence importante, puisque le monde s'inquiète plus que jamais des changements climatiques. Le public a davantage conscience des problèmes et pose des questions aux gouvernements si bien que des accords ont été conclus au cours de l'année. Il n'aurait pas été possible d'avoir le sommet du G8 à Gleneagles ainsi que l'accord sur les changements climatiques, ne serait-ce qu'il y a deux ans à peine. Un consensus se dégage, mais les différences entre pays sur la façon de s'attaquer au problème subsistent toujours. On dénombre trois catégories de pays. Il y a d'une part les pays qui ont un objectif à l'égard du Protocole de Kyoto, comme l'Europe, le Canada, le Japon et la Nouvelle-Zélande. D'autres pays sont signataires du Protocole de Kyoto mais n'ont aucun objectif dans ce sens. Parmi ce groupe figurent la plupart des pays, puisque 156 pays sont membres signataires du protocole. Enfin, il faut parler des pays qui ne sont pas signataires du Protocole de Kyoto, y compris les pays développés, le plus important étant les États-Unis qui représentent 25 p. 100 des émissions.

Nous allons essayer de réunir ces trois groupes dans le but de bâtir un monde plus solide. J'ai fait beaucoup de déplacements avec mes fonctionnaires. M. David Brackett, quel est votre titre?

David Brackett, conseiller spécial, Affaires reliées aux changements climatiques : Je suis conseiller principal, Affaires liées aux changements climatiques.

M. Dion : Il se situe toujours entre deux entités. Nous avons Mme Karen Kraft Sloan, ambassadrice responsable de l'environnement; je crois que vous la connaissez bien, ainsi que l'ambassadeur Jacques Bilodeau, mon ambassadeur responsable des changements climatiques. M. Wilfert travaille également sur ce dossier. Nous avons eu 150 rencontres bilatérales avec près de 50 pays et nous avons une bonne idée de ce qu'il est possible de réaliser. Nous allons travailler fort à Montréal. Je résumerais en disant qu'il nous faut réaliser : la mise en œuvre, l'amélioration et l'innovation.

Pour ce qui est du premier élément, il s'agit de mettre en œuvre la convention plus le Protocole de Kyoto. Dix-neuf décisions doivent permettre la mise en œuvre du protocole. Il faut convaincre 156 pays au sujet des 19 décisions. L'instauration du processus conjoint de mise en œuvre du Protocole de Kyoto représente l'une des décisions, il s'agit du processus permettant à deux pays d'avoir un objectif et de travailler de concert sur des projets conjoints. Ce processus sera important pour atteindre les objectifs respectifs. Il faut également s'assurer du respect; il s'agit du dernier chapitre des règles du Protocole de Kyoto qu'il faudra résoudre à Montréal. Je suis convaincu que cette question peut-être résolue à la satisfaction de toutes les parties, mais nous devons encore travailler là-dessus. Une fois cet accord conclu, le dernier élément politique sera mis en place et le comité chargé de surveiller le respect du protocole sera créé. Voilà pour ce qui en est de la mise en œuvre, qui n'est pas encore faite, car elle exige beaucoup de travail.

L'amélioration du Protocole de Kyoto pour 2006 est le deuxième objectif poursuivi. Nous voulons que certains aspects du protocole fonctionnent bien, ce qui n'est pas nécessairement le cas aujourd'hui. Le Mécanisme de développement des énergies propres est un aspect clé du protocole. Par ce mécanisme, un pays qui a un objectif, par exemple le Canada, essaie d'atteindre une partie de son objectif dans un pays sans objectif, comme par exemple le Mexique. Si nous aidons le Mexique à réduire ses émissions, nous en récupérerons le crédit, ce qui nous aidera à atteindre notre objectif. Le problème, c'est que le Mécanisme de développement des énergies propres est lent et ne permet pas d'absorber toutes les demandes du monde. Il faut qu'il puisse fonctionner et si nous y parvenons, ce sera une superbe réussite, un résultat d'importance. Il nous faut prendre diverses mesures pour améliorer le Mécanisme de développement des énergies propres. Je pourrais sans doute développer davantage le sujet en répondant aux questions. Il faut par ailleurs apprendre à s'adapter. Les changements climatiques présentent deux aspects : l'atténuation des effets et l'adaptation. Nous devons atténuer les effets de l'activité humaine sur le climat. Nous devons nous adapter aux changements climatiques et à toutes les catastrophes naturelles qui les accompagnent; il nous faut apprendre à composer avec les changements climatiques. À cet égard, je peux donner l'exemple du nord du Canada. Lorsque l'on élabore une stratégie pour le Nord, on ne peut pas le faire pour le Nord qui existait il y a 10 ans, car le Nord a évolué. Nous avons convenu que le monde pourrait instaurer une politique d'adaptation et que nous devrions mettre au point le plan d'adaptation à Montréal. Ce plan est un aspect clé de ce que nous devons faire.

Le troisième élément concerne l'innovation. Il est clair qu'il faut faire un travail de préparation au sujet du Protocole de Kyoto. À l'extérieur des pays membres du Protocole de Kyoto existe tout un monde, soit l'Amérique, notre voisin du Sud. Les pays signataires du Protocole de Kyoto qui poursuivent aujourd'hui un objectif ont 35 p. 100 des émissions de gaz du monde à leur actif. En 2012, soit à la fin de la première phase du Protocole de Kyoto, les pays signataires de Kyoto représenteront 25 p. 100 environ des émissions. Le fait que les trois quarts des émissions du monde ne seront pas visés par le Protocole de Kyoto n'est pas une situation idéale. Les Américains ne veulent pas faire partie de ce protocole et il est clair que nous ne les convaincrons pas, pas avant Montréal, à tout le moins.

Il est possible que tous les pays parviennent à une déclaration commune dans le but d'entamer un processus permettant de profiter de l'expérience des uns des autres, de mieux construire un régime international. Ce faisant, nous allons mettre l'accent sur six éléments. D'abord, il faut faire en sorte que les réductions massives d'émissions de gaz à effet de serre ne représenteront pas une politique isolée mais une politique liée à toutes les stratégies environnementales, comme par exemple celle relative à l'eau. L'eau représente le problème le plus important et le plus crucial pour de nombreux pays, car les ressources en eau douce disparaissent. Il faut établir un lien entre tous ces objectifs, ce qui est facile à faire. L'eau fait partie intégrante de l'écosystème, soit des forêts, qui permettent d'éviter d'envoyer du CO2 dans l'atmosphère. Tous ces éléments sont reliés entre eux. Le deuxième élément consiste à lier notre stratégie en matière de changements climatiques aux objectifs de développement économique, comme les Objectifs du millénaire des Nations Unies. C'est facile à faire, puisque le changement climatique et développement économique sont liés à l'efficacité et à la sécurité énergétiques. Pour y parvenir, il faut élaborer un plan comme celui que nous avons au Canada, où il est clair que les changements climatiques doivent permettre à l'économie à devenir non seulement plus propre, mais aussi plus compétitive, puisqu'elle est plus efficace au plan énergétique. Le troisième élément de la déclaration consiste à être plus attentifs à ce que les experts nous disent à nous, les décideurs, sur les moyens d'améliorer la participation de tous les pays; il s'agit donc de favoriser une participation élargie. Les experts nous ont donné des idées sur la façon d'élaborer un système prévoyant davantage d'incitatifs en vue d'une plus grande participation que celle dont nous disposons aujourd'hui. Le quatrième élément porte sur un marché mondial du gaz carbonique. Comment peut-on déterminer un prix du gaz carbonique qui se rapporte à chaque secteur où des initiatives en matière de changements climatiques sont lancées? À l'heure actuelle, nous mettons sur pied un marché du gaz carbonique au Canada. Les Européens ont fait de même cette année. Encore une fois, les idées ne manquent pas quant à la façon de créer un marché mondial du gaz carbonique, mais les liens laissent quelque peu à désirer. Certains États américains veulent également mettre un tel marché sur pied. Il serait formidable d'avoir un tel marché mondial du gaz carbonique.

[Français]

Le cinquième élément consiste à savoir comment provoquer cette révolution technologique qui est tellement essentielle pour réussir : l'hydrogène, la captation du CO2, la séquestration du CO2, le charbon épuré, et cetera, les grandes éoliennes qui se perfectionnent tous les ans. Comment pourrait-on accélérer l'innovation dans le domaine de la technologie et accélérer la diffusion de cette technologie à travers le monde?

Le sixième élément st l'adaptation. J'y reviens toujours : comment bâtir une stratégie d'adaptation des changements climatiques qui serait mondiale? On a encore de la difficulté à la concevoir dans un même pays. Au Canada, on n'a pas encore réussi tout à fait à établir une bonne politique d'adaptation. On va y venir, mais imaginez-vous à l'échelle de la planète à quel point cela devient compliquer. Il faut vraiment y réfléchir sérieusement.

[Traduction]

Par conséquent, je poursuis trois objectifs — la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto; l'amélioration, notamment du Mécanisme de développement des énergies propres, et l'innovation — processus permettant aux pays de s'efforcer de parvenir à un meilleur régime pour l'avenir. Si la conférence de Montréal permet de les réaliser, elle marquera un moment historique. Nous connaîtrons un certain succès et, j'espère que ces trois objectifs seront atteints.

[Français]

Le sénateur Dawson : Je m'aperçois, au fur et à mesure qu'on approche de l'événement, que la population en général ne semble pas au courant de même que les clientèles averties, les médias, les personnes du domaine industriel ou même environnemental de cet événement. Est-ce qu'il y a une phase d'information, une stratégie prévue dans votre travail, d'ici à l'événement, par le biais des médias, par exemple, pour alerter la population? Je comprends que vous avez fait beaucoup de discours et que d'attirer l'attention de la population est extrêmement difficile dans un monde où vous avez beaucoup de compétition. Certains dossiers sont beaucoup plus médiatisés et colorés

M. Dion : Ce sera un événement extrêmement médiatisé, mais comme toujours, les médias vont s'y attaquer après. Quand viendra la conférence, ils vont tous se réveiller en même temps. Quand on parle aux journalistes, ils nous disent tous qu'ils aimeraient faire des reportages sur cette question. Ils répondent toujours : plus tard! Quand ils vont tous s'y mettre, cela va débouler. Le programme « Défi d'une tonne » a fait beaucoup pour informer les gens. Les groupes environnementaux le sont; s'ils ne l'étaient pas, cela me peinerait beaucoup. Équiterre, notamment au Québec et pour l'ensemble du Canada, est le groupe qui a la responsabilité de mobiliser tous les groupes environnementaux pour ses conférences dans le monde. Dans le réseau de l'environnement, notamment du changement climatique, la mobilisation est extrême. Je ne compte pas la quantité de courrier qui s'échange à tous les jours, cela doit être phénoménal.

En ce qui concerne la conférence, il y aura un très grand nombre de rencontres parallèles pour les groupes environnementaux et pour l'industrie. Les entreprises veulent à tout prix faire partie de ce grand événement médiatique. Il y aura pour les Autochtones et le Nord un événement parallèle, ainsi que pour l'Arctique. Les provinces et les territoires ont organisé leur propre conférence avec notre aide. Ce sera la Conférence des leaders, où les dirigeants d'entreprises, les gouverneurs d'États, les ministres de l'Environnement et des Ressources naturelles des provinces pourront tenir une conférence parallèle et les maires des grandes villes. Monsieur Tremblay, avec la Fédération canadienne des municipalités organise une très grande conférence. Ce sera la plus grande conférence jamais organisée au Canada en dehors des événements sportifs.

Je suis d'accord avec vous, le réveil des médias de masse pour rejoindre le grand public se fait tardivement. Mais vous savez que c'est généralement ainsi.

Le sénateur Dawson : Je viens d'un monde des communications où on dit en anglais « you pray for P.R. but you pay for advertising », en ce sens qu'il y a une partie de l'information qu'on doit espérer recevoir comme soutien des médias. Cependant, pour ce qui est des outils que vous contrôlez — je fais attention en ce qui concerne la notion de publicité — des choses méritent d'être mises de l'avant par une information pour laquelle on prie moins mais que l'on contrôle un peu plus. Je comprends qu'au mois de novembre, ce sera Gomery et en décembre, CdP 11. Par le biais des médias, est- ce qu'une campagne du genre, à savoir écrire aux gens sur le site Internet, est quelque chose qui peut aider pour les informer? Si vous avez un site Internet, vous pouvez profiter des médias pour en faire la diffusion pour que les gens soient capables d'avoir accès à l'information.

M. Dion : C'est sûr qu'il y aura un peu de publicité, mais c'est sûr qu'on n'a pas un très gros budget à cet effet. Je peux vous dire que les chambres d'hôtel à Montréal sont introuvables à cette période. Je n'ai pas d'inquiétudes sur la résonance énorme de cette conférence et sur l'inutilité de dépenser de grands budgets publics pour dire aux gens que cela s'en vient parce que quand cela viendra. Ce sera un événement très senti, d'autant que les sondages montrent que l'opinion publique est en avance sur les politiciens en ce qui concerne le changement climatique. J'ai besoin de convaincre mes collègues de tous les partis que le changement climatique n'est pas dans la tête des gens. Il est très frappant que l'opinion publique, surtout après ce qui s'est passé tout au long de l'été, a trop tendance à identifier les problèmes aux changements climatiques. On a déjà eu des orages dans le passé et ce n'est pas le fait des changements climatiques, mais les gens comprennent de plus en plus l'importance de l'enjeu. Cela vient du fait qu'il ne s'agit plus de militants de groupes environnementaux qui portent des boucles d'oreille qui nous le disent. Les plus grandes compagnies d'assurance du monde disent que le changement climatique est le facteur qui risque de nuire le plus aux affaires dans ce siècle. Cela fait réfléchir beaucoup de gens. Les chefs d'entreprise sont impliqués et participeront en grand nombre. Je m'attends à ce que vous ne soyez pas déçus de la résonance de la conférence.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane : On remarque des divergences d'opinion dans le pays à propos des changements climatiques. Certains sont prêts à prendre des mesures et d'autres, pas autant. Ma question porte sur le même sujet. Quel genre de soutien voyez-vous au sein du gouvernement fédéral, tant au Cabinet que dans votre ministère? Un consensus se dégage-t-il sur la façon d'aborder le mieux possible la conférence de Montréal? Quels sont les objectifs?

M. Dion : Les trois objectifs sont ceux que j'ai cités : la mise en oeuvre, l'amélioration et l'innovation, qui sont appuyés par mes collègues. Ils m'aident à préciser ce que nous voulons faire. En février, il a été décidé que la conférence se tiendrait à Montréal. Beaucoup de pays nous l'ont demandé et nous l'avons accepté. À l'époque, je n'aurais pas été en mesure de décrire avec précision ce que je voulais réaliser, car nous n'avions pas mené de consultations au sujet des questions posées. Ce que je transmets au comité aujourd'hui découle de 150 réunions. La semaine dernière, j'ai rencontré à Nairobi, au Kenya, 52 ministres de l'Environnement pour l'Afrique. Je leur ai fait le même exposé que celui de ce soir. J'ai reçu énormément d'appui. Cet objectif est appuyé par l'ensemble du cabinet.

Le sénateur Cochrane : Vraiment?

M. Dion : Oui, il s'agit d'une politique officielle. Je parle au nom du gouvernement et j'ai l'appui inconditionnel du premier ministre.

Le sénateur Cochrane : J'aimerais vous parler du Projet vert lancé en avril 2005. Comment se rattache-t-il à d'autres initiatives fédérales, par exemple le cadre de développement durable et de compétitivité? Quel est le plan principal qui permettra de mettre le Canada sur la voie du développement durable?

M. Dion : En fait, le Projet vert représente toute notre stratégie environnementale. Le Plan du Canada sur les changements climatiques en est un élément important. Tout cela est bien intégré dans la vision de notre premier ministre, qui tient à ce que le Canada soit le champion de la nouvelle révolution industrielle où notre pays représentera ce qu'est l'économie durable.

Nous avons besoin de productivité qui se définit aujourd'hui comme la productivité en matière de ressources. En d'autres termes, pour chaque point de pourcentage PIB supplémentaire, il faut faire en sorte de ne pas diminuer notre capacité de croissance d'ici 10 ou 20 ans. Cela veut dire qu'il ne faut pas utiliser trop d'eau, ni non plus trop de ressources naturelles; il faut viser l'efficacité énergétique, faire du recyclage, du compostage, et cetera.

La stratégie relative aux changements climatiques est un autre incitatif. Le Canada doit rénover 70 p. 100 de ses centrales au charbon au cours des 20 prochaines années. Le secteur privé et le secteur public recevront des centaines de milliards de dollars pour ce faire. À partir du moment où les centrales au charbon sont propres, on est tranquille pour 40 ans. Le Plan sur les changements climatiques est un incitatif supplémentaire qui nous permet de nous assurer que ces nouvelles centrales auront accès à la meilleure technologie disponible pour être les plus propres possible — et pour accélérer l'invention des nouvelles technologies dont nous avons besoin.

Si je prends le charbon comme exemple, c'est parce qu'il représente la façon la plus polluante de produire de l'électricité. Il n'est pas possible que toutes nos provinces ferment leurs centrales au charbon. Si nous avons toujours besoin de charbon, nous devons accélérer l'invention du charbon le plus propre possible. Une fois cela fait, le Plan sur les changements climatiques utilisera les mécanismes du Protocole de Kyoto pour accélérer le transfert à d'autres pays.

Prenons l'exemple de la Chine dont la population est de 1 200 000 000 d'habitants. Pour un tel pays, l'énergie éolienne risque de ne pas être suffisante. Le charbon que ce pays utilise sans bonne technologie est très polluant. C'est terrible pour ce pays ainsi que pour le Japon. Par ailleurs, 20 p. 100 du mercure que nous retrouvons dans nos lacs et rivières, qui proviennent de l'homme, viennent de la Chine — le mercure est quelque chose d'épouvantable. En plus des gaz à effet de serre, nous avons donc ces autres polluants.

Il va falloir avoir recours aux mécanismes de Kyoto pour accélérer le transfert de la technologie, comme celle liée au charbon propre et à la séquestration du CO2 — et s'assurer que la technologie canadienne sera la meilleure. Nous diminuerons ainsi les gaz à effet de serre par mégatonnes et ferons énormément d'argent.

Le sénateur Cochrane : Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment vous évaluez les progrès qui seront réalisés grâce à ce Projet vert? Quels sont les indicateurs de réussite? Comment seront-ils évalués?

M. Dion : Quels sont les principaux indicateurs de réussite du Plan sur les changements climatiques?

Le sénateur Cochrane : Oui.

M. Dion : Le Plan sur les changements climatiques...

Le sénateur Cochrane : Pour le Projet vert.

M. Dion : En ce qui concerne le Projet vert, d'ici la fin de l'année, nous allons avoir de nouvelles capacités nous permettant d'avoir de bons indicateurs quant à la productivité de ressources. Je me ferai un plaisir à ce moment-là de discuter avec votre comité de la façon dont ces nouveaux indicateurs nous aideront à évaluer l'amélioration de la productivité des ressources pour le Canada.

Pour ce qui est du Plan sur les changements climatiques, ce sont les réductions des émissions de gaz à effet de serre qui en représentent le principal indicateur. L'indicateur utilisé dans le monde entier équivaut aux émissions par rapport à une tonne de CO2. Le CO2 est à l'origine de la plupart des émissions de gaz à effet de serre, et les gaz sont classés et calculés par rapport à une tonne de CO2.

Le Canada doit commencer à atteindre son objectif en arrivant à 270 mégatonnes de gaz à effet de serre. En d'autres termes, cela veut dire 270 millions de tonnes de CO2. C'est de loin l'objectif le plus difficile à atteindre pour un pays signataire du Protocole de Kyoto. C'est exigeant, car, comme vous le savez, nos émissions augmentent au lieu de diminuer. Dans les années qui viennent, il faut mettre un terme à cette croissance et commencer à diminuer considérablement les gaz à effet de serre.

C'est possible, si tout le monde y travaille, si la population canadienne a parfaitement conscience de ce qu'il faut faire, si nous prévoyons de bons incitatifs, si nous créons un marché du gaz carbonique, ce que nous allons faire dans les mois à venir, et cetera. C'est ce qui s'impose. Ce faisant, nous parviendrons à une plus grande efficacité énergétique, à une économie plus efficiente.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Je dois vous interrompre pour deux choses. Premièrement, je dois présenter mes excuses aux membres du comité et leur annoncer, tout d'abord, que nous aurons une séance à huis clos tout de suite après la comparution du ministre; deuxièmement, — et veuillez m'en excuser, je ne le savais pas alors que j'aurais dû le savoir —, le ministre doit partir avec M. Wilfert à 19 heures pour une séance du cabinet. Je vais maintenant passer à la liste et demander à chacun de poser une question. Nous ferons un deuxième tour de table si c'est possible.

Monsieur le ministre, je vais communiquer avec vos fonctionnaires pour voir si nous pouvons bientôt nous rencontrer de nouveau, car il est difficile de s'entretenir en l'espace de 45 minutes seulement.

M. Dion : Proposez-vous que chacun pose ses questions et que je réponde à tout le monde à la fin?

Le président : Si cela vous convient, nous allons procéder une question à la fois.

M. Dion : Je vais essayer d'être...

Le président : Il vaut mieux battre le fer tant qu'il est chaud.

Le sénateur Spivak : Votre énergie est contagieuse et je crois que le plan global est bon. Certaines de ces idées circulent depuis si longtemps. C'est Michael Porter, de l'Université Harvard qui, sous le gouvernement Mulroney, a publié une étude indiquant que l'écologie est synonyme de compétitivité. Je ne vais pas vous poser cette question mais plutôt une question plus spécifique : pourquoi n'avons-nous pas un plan d'approvisionnement vert? C'est ce qu'il faudrait avoir et ce serait facile à instaurer, me semble-t-il.

M. Dion : Nous avons quelques politiques en matière d'approvisionnement écologique, mais nous n'avons pas encore établi de stratégie, ce qui sera fait bientôt. Il s'agit d'un engagement que nous avons pris en vertu du Plan du Canada sur les changements climatiques.

Nous avons demandé à la population de relever le Défi d'une tonne. Chaque Canadien rejette en moyenne par année cinq tonnes de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Nous voulons que chacun réduise ses émissions d'une tonne pour les ramener à quatre tonnes par habitant.

Pour sa part, le gouvernement fédéral a fait le pari de diminuer ses émissions d'une mégatonne. Le Canada émet trois mégatonnes de gaz à effet de serre par année. D'ici 2010 à 2012, nous voulons que cette quantité soit réduite à deux mégatonnes. Pour atteindre cet objectif, il nous faut une politique d'approvisionnement écologique très exigeante. Si vous demandez au ministre Scott Brison ou au président du Conseil du Trésor, Reg Alcock, ou aux deux, de venir témoigner devant ce comité, vous verrez à quel point ils sont déterminés à mettre en œuvre cette politique.

Le président : Nous les inviterons. Sénateur Angus?

Le sénateur Angus : Je me réjouis beaucoup de ce que je viens d'entendre ce soir parce que, franchement, je pensais qu'on allait écouter le ministre et l'interroger sur le rapport de la commissionnaire à l'environnement et au développement durable. Celle-ci a témoigné devant nous l'autre jour.

Le ministre a annoncé, quand nous avons ouvert la séance, à 18 h 15 environ, qu'il avait une réunion du Cabinet à 19 heures. Comme il ne reste que trois ou quatre minutes avant la fin, je réserverai mes questions pour un jour où nous aurons plus de temps avec lui, parce que ce serait ridicule de les lui poser maintenant.

De plus, je ne suis pas venu ici pour entendre le compte rendu de la conférence de Montréal. Comme le sénateur Dawson, je crois que recevoir de la publicité gratuite, surtout à la télévision, est une chose très positive. Je vous félicite, monsieur le ministre, non seulement d'avoir profité de cette occasion, mais aussi d'avoir pris en main le dossier de l'approvisionnement écologique. Je vous ai vu arriver au volant d'une Prius l'autre matin. J'aimerais voir tous vos collègues suivre votre exemple.

M. Dion : Je trouve le rapport de la commissaire excellent car il nous aide vraiment à identifier les points à améliorer. Je sais notamment que le ministre Geoff Regan a créé de nouvelles zones océaniques protégées, comme le demandait la commissionnaire, et c'est très bien.

En ce qui concerne la biodiversité, la commissaire s'inquiète du fait que nous n'avons pas d'indicateurs nous permettant de bien évaluer la situation. Je suis d'accord, mais plusieurs de nos leviers sont provinciaux et il serait inutile d'avoir des indicateurs, s'ils ne sont pas nationaux.

C'était précisément le premier point à l'ordre du jour d'une séance qui s'est tenue il y a quelques semaines, après la parution du rapport. J'ai confiance que l'année prochaine, nous serons presque prêts à amorcer le processus qui nous permettra d'établir de bons indicateurs sur la biodiversité au Canada. Ce rapport est d'une aide précieuse.

Le sénateur Angus : Monsieur le ministre, vous serez peut-être surpris de l'apprendre, mais je vous ai défendu l'autre jour. Je sais que vous avez pris les rênes du ministère avec grand enthousiasme et que vous travaillez très fort. Je comprends que cela n'a pas été facile de vous entendre avec tous les ministres de l'Environnement des provinces, compte tenu de la conjoncture assez difficile. La commissaire à l'environnement et au développement durable a dit l'autre jour que vos travaux n'étaient pas d'une grande utilité, qu'il n'y avait pas de plan, et que vos prédécesseurs avaient fait face aux mêmes problèmes que vous, parce que vous n'avez pas le soutien nécessaire pour agir, même si vous avez les outils.

J'aimerais en discuter avec vous. Je crois que vous agissez de bonne foi, mais notre pays a été classé 28e sur 30 par l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE. C'est une mauvaise nouvelle pour le Canada.

M. Dion : Cependant, le jour d'avant, le Conference Board du Canada nous a classés huitièmes. Le message, c'est que nous devons faire beaucoup plus, indépendamment du fait que nous soyons au huitième rang des pays de l'OCDE ou au deuxième — comme certaines études l'indiquent; cela varie selon les indicateurs utilisés. Nous sommes un des meilleurs pays au monde pour ce qui est de la qualité de l'eau. Cependant, nous sommes un des pires pour la consommation d'eau per capita parce que les Canadiens consomment l'eau sans retenue, par comparaison avec les habitants d'autres pays qui en ont peu et qui en font une utilisation bien plus prudente. Tout dépend des indicateurs, mais c'est vrai que nous avons beaucoup de pain sur la planche.

Le sénateur Angus : Je vous remercie de votre intervention, monsieur.

[Français]

Le sénateur Tardif : J'aimerais vous remercier de votre engagement personnel envers le Projet vert et le plan sur les changements climatiques.

Ma question porte sur les universités. Plusieurs d'entre elles — dont certaines dans ma province — ont investi des ressources et une énergie considérables dans la recherche en environnement. D'après vous, est-ce que leurs recherches s'harmonisent avec un plan de développement durable que vous avez mis de l'avant? Croyez-vous qu'il y a suffisamment de financement pour la recherche scientifique dans ce domaine et quel est le rôle des universités?

M. Dion : Oui, cela s'harmonise et non, il n'y a pas assez de financement pour les universités. Il n'y a pas assez de financement pour rien. Nous sommes toujours dans un monde de rareté. Il faut accélérer la recherche en technologie environnementale. Cela doit être une priorité au Canada, sinon nous allons rester en arrière. Je ne suis pas sûr que cela doive être dans une niche identifiée « énergie et technologie environnementale ». Si le Canada développe une stratégie de l'énergie, les énergies renouvelables ne devraient pas se retrouver dans leur coin. Il faut que ce soit une stratégie. C'est la même chose pour les universités. La Fondation canadienne pour l'innovation doit s'assurer qu'il y ait beaucoup de recherche dans le domaine environnemental. Cela m'apparaît essentiel.

Quant au plan lui-même, j'insisterais sur le fait qu'en créant un marché du carbone, nous allons stimuler la recherche pour les solutions, parce qu'il y aura du financement pour ceux qui trouvent des solutions. C'est la meilleure façon de stimuler la recherche. Nous disons aux gens : « Arrivez avec vos projets et si cela baisse des émissions, on vous finance. » Les entreprises, les maires, les gens des communautés vont alors aller chercher les experts.

Le même phénomène existe dans le domaine des sites contaminés. Vous savez que nous voulons décontaminer tous les sites fédéraux d'ici les 10 ou 12 prochaines années. Cela représente un investissement de 3,5 milliards de dollars. C'est bien de décontaminer les sites, mais il faut savoir le faire. Il faut faire appel aux meilleurs experts et ce n'est pas possible si nous ne créons pas un marché pour eux. Le marché va se créer tout de suite. Vous avez des milliers de sites à décontaminer partout au Canada et chacun représente un défi scientifique. Imaginez-vous à quel point, au bout de cet exercice, nous aurons stimulé la recherche?

Pour revenir aux changements climatiques, nous allons créer un fonds de recherche en technologie, c'est-à-dire que les entreprises peuvent atteindre une partie de leur cible en augmentant leur recherche et leur développement dans le domaine des baisses de gaz à effet de serre. Ce faisant, cela va être autant de fonds qui vont aller vers nos chercheurs et nos universités.

[Traduction]

Le président : Nous n'avons abordé qu'une infime partie de ce dont nous voulions vous parler. Ce comité a récemment publié un rapport dans lequel il recommande de mettre le développement durable au cœur des politiques du gouvernement, ce qui nous aiderait à atteindre les buts que nous nous sommes tous fixés. Nous désirons en discuter plus en profondeur avec vous.

De plus, nous voulons vous rapporter des choses que nous avons apprises — en particulier à Paris et à Venise — lors de notre récent voyage en Europe, qui avait pour but de rencontrer des représentants des secteurs de l'environnement et de l'énergie, de l'OCDE et d'autres organismes. Nous aimerions examiner ces sujets de façon plus exhaustive avec vous. Par conséquent, j'accepte l'offre généreuse que vous nous avez faite de revenir témoigner bientôt. Nous vous contacterons pour nous mettre d'accord sur une date.

Le sénateur Cochrane : Ma question concerne un problème important dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle se rapporte à la décision d'Environnement Canada de fermer les services de prévisions météorologiques à Gander. Le transfert de ces services en Nouvelle-Écosse a été néfaste pour Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons subi de nombreuses tempêtes de neige, avec des accumulations pouvant atteindre 50 centimètres, quand on ne prévoyait pas de chutes de neige ou très peu. La situation inverse s'est aussi produite, causant la fermeture d'écoles pour rien. Le service est vraiment inadéquat.

Votre ministère s'occupe-t-il des prévisions inexactes qui nuisent aux gens de la région depuis que le gouvernement fédéral a décidé de fermer le seul centre de prévisions météorologiques de la province? Si oui, quelles mesures entendez- vous prendre pour régler le problème?

M. Dion : Je crois que nous avons besoin d'étudier les impacts de ce changement. Si vous avez des informations à nous donner, je me ferai un plaisir de les examiner.

Le sénateur Cochrane : Merci beaucoup.

Le président : Je vous remercie tous de votre présence parmi nous aujourd'hui. Nous vous reverrons bientôt, j'espère.

La séance se poursuit à huis clos.


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