Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 2 - Témoignages du 3 novembre 2004
OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 20 pour étudier le Budget des dépenses principal déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette troisième séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Comme vous le savez, notre comité a été créé en 1919. À cette époque, il s'appelait le Comité des finances. En 1968, il est devenu le Comité des finances nationales. Quand on me demande ce que notre comité fait, je réponds qu'essentiellement, ce comité s'intéresse principalement aux dépenses du gouvernement, directement ou indirectement, en étudiant les budgets des dépenses ou des projets de loi.
Ce soir, honorables sénateurs, nous avons l'honneur d'accueillir la vérificatrice générale comme témoin devant le comité alors que nous poursuivons l'étude du budget des dépenses du gouvernement. La vérificatrice générale Sheila Fraser a déjà comparu plusieurs fois devant le comité et nous espérons que, ce soir, elle se penchera sur le budget des dépenses du gouvernement et notamment sur des questions comme la reddition de comptes, la transparence et les rapports au Parlement. Après votre exposé, madame Fraser, nous espérons que vous serez d'accord pour répondre aux questions des honorables sénateurs. Vous avez maintenant la parole et je vous souhaite la bienvenue.
Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada : Nous vous remercions de nous donner l'occasion de rencontrer le comité ce soir pour discuter de plusieurs questions liées à la reddition de comptes. Je suis accompagnée de M. Doug Timmins, vérificateur général adjoint, et de M. Tom Wileman, directeur principal, qui s'occupe du dossier de la reddition de comptes.
Ce soir, j'aimerais porter à votre attention diverses questions liées à la reddition de comptes que vous pourriez envisager d'étudier. Les relations redditionnelles évoluent dans le secteur public, ce qui pose des défis pour la gouvernance et l'examen des dépenses publiques par le Parlement.
La dernière fois que j'ai comparu devant le comité au début de 2003, il était déjà clair que la reddition de comptes dans le secteur public changeait. Le gouvernement fournit de plus en plus de programmes et de services au moyen d'ententes avec d'autres gouvernements, le secteur privé et des organisations non gouvernementales. On remarque particulièrement cet état de fait par les fondations financées par le gouvernement.
Depuis, nos rapports sur le Commissariat à la protection de la vie privée, sur le Programme de commandites et sur d'autres aspects de la gouvernance ont soulevé d'importantes questions liées à la reddition de comptes. Nous avons exprimé notre inquiétude au sujet de la défaillance de la gouvernance à deux niveaux : la gestion globale des programmes et la conduite de certains fonctionnaires. Par conséquent, j'aimerais aborder ce soir trois points. Premièrement, il faut améliorer le concept de la reddition de comptes, comme nous l'avons mentionné dans un rapport en 2002. Deuxièmement, j'ai plusieurs commentaires à formuler sur les fondations. Enfin, j'aborderai la question de la reddition de comptes et de l'éthique dans la fonction publique.
[Français]
Le chapitre 9 de notre rapport de décembre 2002 présentait une définition améliorée de la reddition de comptes. Ce concept insiste sur l'importance des moyens employés ainsi que des résultats obtenus dans le respect des valeurs du secteur public. Il fait ressortir les obligations de toutes les parties. Il montre la nécessité d'un examen du rendement par les gestionnaires et le Parlement. Il insiste sur l'importance de la transparence pour la gouvernance. Enfin, il tient compte de la gestion axée sur les résultats, de l'innovation et du partage de la reddition de comptes entre partenaires.
Une reddition de comptes efficace exige que l'on demande des comptes. Les parlementaires doivent être en mesure d'examiner et d'approuver les plans de dépense du gouvernement et ses attentes en matière de rendement, et d'effectuer ensuite un examen critique des résultats des ces dépenses. Pour pouvoir le faire adéquatement, le Parlement a besoin de données intégrées sur les coûts et les résultats attendus.
En mars 2003, mon bureau a transmis aux parlementaires un document intitulé : « L'examen des documents du budget des dépenses par les comités parlementaires », qui constituait une mise à jour d'un document publié en 1998. J'ai suggéré au Parlement qu'il pourrait demander au gouvernement de fournir des plans et des priorités qui soient clairs et d'améliorer la reddition de comptes du gouvernement en effectuant un examen critique de l'information sur le rendement. Le document est conçu pour vous aider à examiner les documents du budget des dépenses. Il décrit le cycle de préparation du budget des dépenses et traite du rôle des ministères, du Secrétariat du Conseil du Trésor et du bureau du vérificateur général. Il indique aussi les aspects que les comités pourraient vouloir étudier.
Dans mon rapport de mars 2004, j'ai mentionné que le Conseil du Trésor et son secrétariat jouent un rôle de premier plan dans l'élaboration du programme de gestion du gouvernement, ce rôle exigeant notamment d'assurer la transparence et la reddition de comptes et de donner le ton depuis le sommet. Cela veut dire maintenir l'intérêt et l'appui des ministres, des hauts fonctionnaires et des parlementaires pour le programme de gestion du gouvernement. Il faut donc notamment améliorer les documents du budget des dépenses.
[Traduction]
Monsieur le président, honorables sénateurs, sur le plan de la reddition de comptes au Parlement, les fondations posent un certain nombre de défis, notamment la communication de rapports crédibles sur les résultats, une surveillance ministérielle efficace et une vérification externe adéquate. Dans notre rapport d'avril 2002, au chapitre 1 intitulé « Soustraire des fonds publics au contrôle du Parlement », nous avons signalé que ces trois exigences de la reddition de comptes n'étaient pas respectées. En 2002, nous avons constaté que l'information communiquée ne permettait pas au Parlement d'examiner la gestion des fondations. De plus, comme ces fondations font l'objet d'une surveillance très limitée, les ministres peuvent difficilement en répondre devant le Parlement. Le gouvernement dispose en outre de moyens limités pour faire le suivi stratégique des fondations ou pour corriger le tir si les choses vont mal ou si la politique publique change.
Je m'inquiète du fait que les fondations ne sont pas soumises à des vérifications de gestion, c'est-à-dire à ce qu'on appelait vérifications de l'optimisation des ressources, dont les résultats seraient communiqués au Parlement. Au 31 mars 2004, le gouvernement avait transféré 9,1 milliards de dollars de fonds publics aux fondations. À mon avis, étant donné l'importance relative de ces paiements de transfert, des vérifications de gestion sont essentielles pour que le Parlement obtienne de l'information et une assurance quant au bien-fondé des paiements, à la conformité aux autorisations, au caractère adéquat des contrôles internes et à la vérification de l'information sur le rendement.
Je crois aussi que le Bureau du vérificateur général, en tant que vérificateur au service du Parlement, devrait être nommé vérificateur externe des fondations, à quelques exceptions près. Dans les plans budgétaires de 2003 et 2004, le gouvernement a annoncé des mesures pour améliorer la reddition de comptes des fondations. Je prévois faire rapport des progrès réalisés par le gouvernement dans mon rapport « Le Point » de février 2006.
Comme par les années précédentes, je soulève des questions au sujet de la comptabilisation des paiements de transfert aux fondations dans mes observations sur les états financiers du gouvernement qui sont présentés dans les Comptes publics 2004. Le gouvernement a comptabilisé ces paiements de transfert comme des charges même si les fonds se trouvent en majeure partie dans les comptes bancaires des fondations et dans des placements portant intérêt. Il y a un lien entre la comptabilisation de ces paiements et la reddition de comptes. Il s'agit d'établir si les fondations sont contrôlées par le gouvernement. Si elles le sont, les paiements de transfert aux fondations ne peuvent être comptabilisés comme des charges, car les fondations feraient partie du périmètre comptable du gouvernement.
Selon les normes de comptabilité établies par le conseil sur la comptabilité dans le secteur public de l'Institut canadien des comptables agréés, des améliorations redditionnelles qui font augmenter le contrôle exercé par le gouvernement peuvent soulever la question de la consolidation au sein du périmètre comptable du gouvernement.
[Français]
Le troisième point que je veux aborder aujourd'hui a trait à la reddition de comptes et à l'éthique dans le secteur public. Le chapitre 2 de notre rapport de novembre 2003 porte sur ces questions. Il présente le suivi d'une étude que nous avons effectuée en 2000 qui recommandait une approche exhaustive de la responsabilité en matière d'éthique faisant appel aux parlementaires, aux ministres et aux dirigeants des entités fédérales.
Le gouvernement a depuis diffusé une série de documents, notamment des guides pour les ministres et les sous- ministres, et un code de valeur et d'éthique de la fonction publique. Nous avons étudié ces documents et nous avons constaté que les auteurs s'étaient efforcés de définir des principes comme la responsabilité, la reddition de comptes et l'obligation de rendre compte.
Cependant, ils n'ont pas décrit comment ces principes seront appliqués. De même, il est prévu dans le code de valeur et d'éthique de la fonction publique que les conflits seront réglés dans l'intérêt public. Mais les auteurs n'ont pas précisé comment déterminer ce qui est dans l'intérêt public. Pour les gestionnaires du secteur public, le défi consiste à intégrer les principes du code dans la prise de décision. En fait, ils doivent donner l'exemple. S'ils ne le font pas, leurs subalternes ne se fieront plus au code.
Je termine ainsi notre aperçu de ces trois points. Il nous fera plaisir, M. le président, de répondre à toutes vos questions.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie pour cet excellent survol de la situation. J'ai deux brèves questions avant de donner la parole aux autres sénateurs.
À la page 2 de votre allocution, vous dites que votre bureau a transmis aux parlementaires un document intitulé « L'examen des documents du budget des dépenses par les comités parlementaires ». Comme vous le savez, je suis nouveau à ce comité, mais j'ai reçu le document et je l'ai parcouru cet après-midi. Une chose m'a frappé à propos de ce document : il est conçu en fait pour l'autre Chambre du Parlement, la Chambre des communes, et non pas le Sénat. On y dit souvent « ce comité », au singulier, c'est-à-dire le comité des Communes, et il y a d'importantes différences entre nos deux comités quant à la manière dont ils fonctionnent. Il m'a semblé qu'il aurait été utile de signaler ces différences dans le rapport. Néanmoins, pour quelqu'un qui est nouveau, comme moi, c'est un document utile, mais je voulais vous le signaler.
Mme Fraser : Merci, sénateur. J'en prends bonne note. Nous pouvons certainement modifier le document pour prendre en compte les particularités des comités du Sénat. Ce serait excellent.
Le président : Le premier témoin que nous avons entendu lorsque nous avons commencé cette étude du budget des dépenses du gouvernement était le président du Conseil du Trésor, M. Reg Alcock. Il avait amené avec lui le nouveau contrôleur général du Canada. Dans son allocution, le président du Conseil du Trésor a dit que le nouveau contrôleur général du Canada :
...jouera un rôle de premier plan pour faire en sorte que les ministères se conforment aux politiques du Conseil du Trésor concernant le contrôle ferme des dépenses et la gestion rigoureuse des fonds publics. Le contrôleur général passera en revue et signera les propositions stratégiques pour s'assurer que les dépenses prévues sont judicieuses. Le rétablissement du Bureau du contrôleur général est un élément clé de nos efforts visant à renforcer la surveillance financière dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental fédéral. L'une des responsabilités les plus importantes de M. St-Jean est de favoriser la mise en place de contrôles financiers plus serrés qui sont essentiels pour garantir une intendance rigoureuse des deniers publics et l'optimisation des ressources.
Il a ensuite expliqué, en répondant à des questions, que le contrôleur général va en fait nommer et congédier les divers contrôleurs généraux dans chaque ministère.
Pourriez-vous, en tant que vérificatrice générale du Canada, nous faire un bref survol de ce nouveau bureau et nous dire comment il a été constitué?
Mme Fraser : Je dois admettre, sénateur, que nous n'avons pas encore étudié le dossier de ce bureau parce qu'il est tellement nouveau. Chose certaine, nous appuyons toute initiative visant à renforcer les contrôles financiers et l'attention qu'on y accorde au gouvernement.
Je sais que la fonction de contrôleur général a toujours existé, mais elle était jumelée à celle de secrétaire du Conseil du Trésor, et on les a maintenant séparées. Cette personne ou cette fonction a toujours assumé la responsabilité de nommer les contrôleurs dans les ministères. Cela n'est pas nouveau. Peut-être que l'on sera plus actif et qu'on cherchera des gens possédant de plus grandes compétences. Certaines attentes ont changé à l'égard du travail des contrôleurs dans les ministères.
Nous publierons en février un rapport sur nos préoccupations en matière de gestion financière, rapport découlant de notre vérification des comptes publics et dans lequel nous nous pencherons sur la question des compétences financières des cadres supérieurs au gouvernement. C'est une question que nous avons déjà soulevée dans le passé en signalant qu'il y en avait en fait très peu. Les gouvernements ont fait savoir qu'ils sont bien conscients de cette préoccupation et qu'ils s'en occupent.
Je ne suis pas convaincue actuellement que le rôle du contrôleur général ait été précisé dans les moindres détails. Je pense qu'il faudra un certain temps avant que cette fonction n'assume pleinement sa capacité et son rôle. Le titulaire occupe son poste depuis juin seulement. Il nous arrive d'être impatients, mais nous devons peut-être lui donner le temps de trouver ses marques. Il a plusieurs défis à relever. Par exemple, il est également responsable de la fonction de vérification interne au Conseil du Trésor et il s'efforce de renforcer les contrôles dans plusieurs dossiers.
Le sénateur Comeau : À l'instar du président, j'ai pris connaissance du document que vous nous avez envoyé sur l'examen des prévisions de dépenses par les comités parlementaires. Je l'ai trouvé extrêmement utile. J'ai hâte d'en lire la version modifiée pour tenir compte du Sénat.
J'attire votre attention sur la page 14. À la rubrique « Politiques et orientation du gouvernement », on aborde quelques questions et l'on demande notamment si les résultats stratégiques des directives et des coûts du programme sont raisonnables.
Plus bas, sur la question des avantages pour les Canadiens, une question m'a frappé : on se demande quels facteurs autres que les activités du programme peuvent influer sur les résultats en question; par exemple, des facteurs économiques et sociaux externes.
Cela m'a ramené à une question que je me pose déjà depuis quelque temps. Les membres du comité sont probablement tannés de m'entendre en parler, mais j'essaie de savoir si le gouvernement, quand il a créé le programme permettant aux Autochtones d'avoir accès aux pêches sur la côte Est du Canada, a fait à un moment donné une quelconque étude d'impact pour vérifier quelles seraient les répercussions de sa décision sur les localités qui dépendent historiquement de ces ressources. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas réussi à amener le moindre ministère à dire que l'on avait évalué l'impact.
Depuis deux ans, d'après les prévisions budgétaires des ministères, on comptait dépenser environ un quart de milliard de dollars pour mettre en oeuvre les programmes établis par le gouvernement. À ma connaissance, aucune étude n'a été faite pour déterminer l'impact de tout cela sur ces localités.
Le gouvernement ne devrait-il pas savoir quelles seront les conséquences sur tous les intéressés, les travailleurs dans les usines de transformation du poisson, les membres d'équipage, et cetera, qui sont touchés par les transferts? Ne faudrait-il pas que le gouvernement sache comment atténuer l'impact pour tous ces gens-là? Cela ne devrait-il pas se faire? Sinon, est-ce que la vérificatrice générale pose des questions de ce genre quand elle examine les budgets des dépenses ministériels? Il s'agit d'une somme d'un quart de milliard de dollars en deux ans.
Mme Fraser : M. Wileman pourrait peut-être m'aider à répondre à cette question, mais je crois savoir que lorsqu'un nouveau programme est mis en place, il est obligatoire d'en évaluer l'impact à long terme et aussi d'en évaluer l'impact réel. On s'attendrait à ce que cela se fasse. Si nous devions faire une vérification, ce sont justement des questions de ce genre que nous poserions. Nous demanderions : « Avez-vous fait tout cela? »
Nous n'avons pas le mandat de faire l'évaluation nous-mêmes. Nous vérifions simplement si le gouvernement l'a fait et nous en faisons rapport si c'est le cas. Je dois admettre que dans beaucoup de nos vérifications, quand nous nous penchons là-dessus, nous en arrivons à la conclusion qu'aucune évaluation n'a été faite. Vous avez raison, on s'attendrait à ce que l'on ait fait une évaluation des conséquences potentielles du programme.
Le sénateur Comeau : Je n'ai pas perdu espoir. L'interprétation que l'on a donnée de la décision des tribunaux sur laquelle le gouvernement a fondé son programme, ainsi que la manière dont on a procédé pour le mettre en oeuvre, tout cela indique que l'on devrait au moins avoir à l'esprit l'impact du programme sur les localités en question. Je vais continuer de revenir à la charge jusqu'à ce que j'obtienne une réponse quelconque. J'espère que vous pourrez donner un coup de pouce.
Vous avez évoqué le code de déontologie des titulaires de charges publiques et la manière dont nous devrions l'examiner. L'un des groupes qui a probablement un meilleur accès à l'information que nous, et même que vous, et que l'on semble pourtant négliger — nous passons beaucoup de temps à examiner notre propre cas et à dire comme notre code de conduite doit être irréprochable — les gens qui sont vraiment au courant, ce sont les adjoints de ministres et tous ceux qui travaillent dans les bureaux des ministres.
Est-ce que quelqu'un a déjà examiné ce dossier? Ces gens-là passent du secteur privé aux bureaux de ministres et inversement. Nous travaillons sous les feux de la rampe, comme vous pouvez le voir. Chaque mot que nous prononçons est transcrit et conservé pour la postérité. Ces gens-là semblent au contraire travailler dans l'ombre et personne ne s'occupe d'eux.
Mme Fraser : Le sénateur a raison. Je crois comprendre que le code ne s'applique pas au personnel des ministres; il s'applique seulement à ceux qui font partie de ce que l'on appelle la fonction publique. C'est probablement une bonne question à soulever.
Le sénateur Comeau : Cela m'amène à poser une deuxième question : ne devrions-nous pas soulever la question et le faire énergiquement?
Mme Fraser : Oui.
Le sénateur Harb : J'ai deux ou trois questions. Dans votre rapport, vous abordez un certain nombre de dossiers, dont l'assurance-emploi. Ce n'est pas nouveau. Vous avez déjà abordé la question un certain nombre de fois dans le passé.
Le gouvernement a pris la décision de procéder à des consultations sur la question, d'en saisir ensuite le Parlement et de créer un quelconque mécanisme par lequel on déterminera quel sera le taux de cotisations.
Néanmoins, quelqu'un a proposé que le gouvernement du Canada prenne le surplus de la caisse de l'AE pour le donner aux employés.
Étant donné ce que vous savez sur les modalités de fonctionnement du gouvernement et du Trésor, c'est-à-dire qu'à chaque fois que l'on perçoit de l'argent du public, que ce soit sous forme de contribution ou d'impôt, l'argent est normalement versé dans le Trésor, pensez-vous qu'une telle proposition est faisable, que le gouvernement peut le faire sans faire adopter une loi expresse en ce sens?
Mme Fraser : Je pourrais peut-être commencer par vous donner le contexte de la question du sénateur. Dans les comptes publics du Canada pour 2004, les états financiers vérifiés de la caisse de l'AE affichent une fois de plus un surplus, au 31 mars 2004, de deux milliards de dollars, et le surplus accumulé atteint maintenant 46 milliards de dollars.
Il faut faire bien attention quand on parle de surplus, parce que le compte de l'AE n'est pas un compte en banque. C'est ce que l'on appelle un compte fictif. La Loi sur l'assurance-emploi prévoit l'obligation de comptabiliser toutes les recettes perçues et toutes les prestations et dépenses payées. C'est essentiellement aux fins de l'établissement des taux et une disposition de la loi stipule que le taux doit être constant tout au long d'un cycle économique et que les recettes doivent essentiellement correspondre aux dépenses et aux prestations versées au cours de ce cycle économique. Ce compte a été créé par la loi essentiellement comme mécanisme servant à fixer les taux.
Tous les revenus sont versés au Trésor et toutes les prestations et les dépenses sont payées à même le Trésor. Il n'y a pas de compte en banque séparé dont le solde serait de 46 milliards de dollars. Il s'agit en fait d'un mécanisme de fixation des taux.
Évidemment, notre principale préoccupation pour l'avenir est que le gouvernement a fait savoir dans des discours du budget qu'il veut fixer le taux de telle manière que le montant des cotisations perçues soit égal aux prestations versées et qu'on se rapproche davantage de l'équilibre dans ce compte d'une année à l'autre. Ce qui nous préoccupe, c'est ce qu'il adviendra de ce surplus accumulé, c'est le fait que l'on a bel et bien perçu en cotisations 46 milliards de dollars de plus que les prestations versées et les dépenses payées.
Nous croyons vraiment qu'il faudra résoudre cette question à l'avenir.
Pour ce qui est de rembourser ce montant, je suppose que, théoriquement, ce serait possible. Sur le plan pratique, je poserais la question de savoir à qui il faut le payer, parce que cet argent a été accumulé au fil de nombreuses années et vient donc de différents employés et différents employeurs. C'est possible d'envisager une telle chose, mais le problème logistique me semble démesuré et il ne faut pas oublier que les 46 milliards de dollars ne sont pas déposés dans un compte en banque.
Le sénateur Harb : L'intention est peut-être louable, mais quiconque formule cette théorie n'y a probablement pas réfléchi à fond ni d'une manière logique. Comme vous venez de le dire, cet argent a été versé au Trésor et ce serait extrêmement complexe si le gouvernement voulait déclarer : « Voilà, j'ai maintenant un surplus de 46 milliards de dollars, ou 48 milliards ou 49 milliards, peu importe, et je veux le retirer et le redistribuer entre les Canadiens, parce qu'en fait, peu importe sous quel angle on voit les choses, c'est de l'argent qui appartient aux Canadiens. »
Mme Fraser : Cela pourrait probablement se faire. Il ne faut pas perdre de vue que des poursuites sont en instance devant les tribunaux car des particuliers prétendent avoir trop cotisé au régime. Il faudra évidemment voir ce qu'il adviendra de cela, mais je ne dirais pas que c'est impossible. Cela pourrait se faire, mais ce serait difficile.
Le président : On pourrait redistribuer les deux milliards de dollars qu'on a actuellement, qui n'est pas encore de l'argent fictif.
Mme Fraser : Les deux milliards de dollars se trouvent dans le surplus de l'année dernière.
Le sénateur Harb : Une dernière question sur l'un de vos rapports qui remonte à 2002, à la page 16, chapitre 9.68. Je vais vous lire ce paragraphe et vous demander si, à votre avis, c'est encore pertinent aujourd'hui.
Afin d'innover, de prendre des risques raisonnables et d'apprendre de leurs erreurs, les gestionnaires ont besoin d'un certain pouvoir discrétionnaire et d'une certaine latitude pour agir. Cependant, l'obligation de rendre compte de règles et de procédures trop nombreuses et inutiles peut étouffer l'innovation et mener à l'inefficience, à l'inefficacité et à la frustration. Certains règlements, règles, lois et lignes directrices — ensemble fondamental de moyens de contrôle — sont indispensables à une administration judicieuse et à une bonne reddition de comptes. À notre avis, les règles administratives fondamentales devraient être peu nombreuses, faciles à comprendre et appliquées uniformément.
Qu'en pensez-vous?
Mme Fraser : Je suis absolument d'accord avec cela. En fait, c'est peut-être encore plus pertinent aujourd'hui qu'à l'époque où nous l'avons écrit. Parfois, quand nous abordons des dossiers qui attirent beaucoup d'attention de la part du public, le pendule va dans l'autre sens et l'on réclame plus de contrôle, moins de risque, certains diraient plus de paperasse, de formalités, et en fait le système s'embourbe et je ne crois pas que ce soit utile à quiconque.
Tout particulièrement dans le cas des vérifications, l'une des conséquences non voulues est le resserrement des contrôles et la multiplication des règles. Bien souvent, les règles existantes sont bonnes. Nous n'avons pas besoin de règles plus nombreuses. Il faut seulement que les gens respectent les règles qui existent. Si les règles étaient plus simples et plus claires, peut-être que cela aiderait dans certains cas.
Il faut aussi reconnaître que dans toute organisation, en particulier dans une organisation aussi grande et complexe que le gouvernement fédéral, il y a inévitablement des choses qui vont de travers. Il faut alors en tirer les leçons et essayer de s'améliorer. Nous devons acquérir une attitude davantage tournée vers l'apprentissage plutôt que la critique.
Le président : Pour faire suite aux questions du sénateur Harb, je voudrais revenir sur le surplus fictif. Est-ce que l'une des options pour le gouvernement serait d'enregistrer un déficit, autrement dit de ne pas percevoir autant d'argent qu'il en a besoin pour financer le programme et d'enregistrer un déficit quelconque, disons un milliard de dollars par année sur de nombreuses années, ou serait-ce une mauvaise pratique comptable?
Mme Fraser : C'est une option qui est à la disposition du gouvernement. Bien sûr, un déficit du programme de l'AE a une incidence sur le résultat global du gouvernement parce que le compte de l'AE est un programme gouvernemental comme tous les autres aux fins de la comptabilité. Si l'on verse plus en prestations qu'on ne perçoit en cotisations, le résultat est bien sûr négatif et il faudrait trouver par ailleurs d'autres revenus pour compenser. C'est évidemment une possibilité.
Le président : Vu sous un autre angle, on pourrait alors dire que l'on rembourse une partie de ce surplus de 46 milliards de dollars.
Mme Fraser : Oui.
Le président : C'est théorique.
Mme Fraser : C'est théorique, oui.
Le sénateur Murray : Le fonds d'assurance-emploi est une fiction juridique, n'est-ce pas, parce que votre prédécesseur nous a dit qu'il ne parapherait pas nos livres à moins que nous intégrions le soi-disant fonds d'AE à ce que l'on appelait alors le Fonds du revenu consolidé?
Mme Fraser : C'est exact.
Le sénateur Murray : Nous l'avons donc fait. Ensuite, nous avons commencé à utiliser l'argent du fonds pas seulement pour verser des prestations aux chômeurs, mais aussi de manière active, pour créer de l'emploi. L'argent a été consacré à la formation et, sauf erreur, à diverses mesures d'emploi communautaire, et cetera.
Le sénateur Cools : Je vous rappelle que certains d'entre nous n'aimaient pas cela.
Le sénateur Murray : Peut-être pas, mais une fois au pouvoir, vous avez grandement élargi cette petite brèche et c'est devenu une ouverture béante.
Le sénateur Cools : Et je m'y suis opposé.
Le sénateur Murray : C'est ce qui s'est passé. Dans l'intervalle, même si le soi-disant fonds fait vraiment partie des comptes nationaux, le gouvernement est toujours tenu de respecter les diverses dispositions de la loi auxquelles vous avez fait allusion pour ce qui est de la fixation des taux et tout le reste. Année après année, il se dérobe à ses obligations en insérant une dérogation dans le projet de loi de mise en oeuvre du budget ou quoi que ce soit.
L'assurance-emploi relève de notre compétence en vertu d'une modification constitutionnelle qui remonte à 1940 ou 1941, je crois. Je me trompe peut-être d'un an ou deux. J'ignore si c'est un facteur, mais pourquoi ne recommandez- vous pas que le gouvernement appelle cela une cotisation sociale et se débarrasse une fois pour toutes des dispositions de la Loi sur l'AE? Vous voulez la reddition de comptes et la transparence, madame la vérificatrice générale. Le plus simple serait d'appeler cela une cotisation sociale.
Le sénateur Cools : Ça l'est.
Le sénateur Murray : C'est une cotisation sociale — et l'on pourrait alors gérer le programme comme n'importe quel autre programme.
Mme Fraser : Je suis en partie d'accord avec vous. Bien des gens ont qualifié cela de cotisation sociale. Je ne suis pas constitutionnaliste ni juriste, mais on m'a dit que le gouvernement fédéral ne peut pas imposer une taxe à un gouvernement provincial. Comment peut-on percevoir des cotisations d'assurance-emploi des gouvernements provinciaux et de leurs employés?
Le sénateur Murray : Nous continuons donc à vivre dans la fiction.
Mme Fraser : L'étude qui est en cours depuis plusieurs années va, espérons-le, exposer ces diverses réalités.
Le sénateur Murray : Je vais laisser cela pour l'instant.
Vous voulez traiter de reddition de comptes et je pense que cela en fait partie, je veux dire la manière dont le gouvernement présence ses comptes et la transparence de ses transactions avec le contribuable. Je vois que vous mentionnez le document du gouvernement qui sert de guide aux ministres et sous-ministres. Je me rappelle vaguement avoir lu cela récemment. Je dois toutefois avouer que je ne crois pas avoir lu le code des valeurs et de l'éthique à l'intention de la fonction publique auquel vous avez fait allusion dans votre allocution. Vous avez ajouté que l'on n'a pas précisé comment ces principes vont s'appliquer et que le code des valeurs et de l'éthique stipule qu'en cas de conflit, c'est l'intérêt public qui doit l'emporter, mais on ne précise pas tellement comment déterminer ce qui est dans l'intérêt public.
Je vous demande de me rassurer et de me dire que vous ne réclamez pas que l'on codifie tout cela dans les plus infimes détails. Les dix commandements nous ont assez bien servis au fil des années et ceux qui ont une conscience digne de ce nom savent ce qu'ils veulent dire. J'espère que vous ne voulez pas dire que nous devrions avoir une codification détaillée remplissant de nombreux classeurs.
Mme Fraser : Non, je suis d'accord avec vous. Cela revient à la discussion de tout à l'heure sur le besoin d'être clair et d'avoir moins de règles. Cependant, le Bureau du Conseil privé a formulé des concepts importants qui doivent être précisés davantage. On parle par exemple de responsabilité et de reddition de comptes. Pour la responsabilité ministérielle, par exemple, c'est le ministre actuel qui doit répondre des actes de son prédécesseur. Qu'est-ce que ça veut dire exactement, qu'il est responsable et qu'il doit prendre des mesures pour remédier à d'éventuels problèmes? Ensuite, vous posez la question : Si quelque chose est arrivé sous le règne d'un ministre précédent, qui a des comptes à rendre? Il semblerait que personne n'ait de comptes à rendre. On jongle avec de tels concepts.
On dit clairement que les sous-ministres n'ont pas de comptes à rendre. Pourtant, on lit dans certains documents que « les sous-ministres doivent rendre compte au Parlement de... ». Il y a là une contradiction.
Il y a des contradictions. Le Bureau du Conseil privé introduit des notions dans tout le discours sur la responsabilité, la reddition de comptes et tout cela n'est peut-être pas très clair et l'on devrait être plus explicite et dire précisément qui doit rendre compte de quoi et quelle est la responsabilité des cadres supérieurs. On dit « dans l'intérêt public »; qu'est- ce que cela veut dire?
On pourrait en donner de nombreux exemples. Il y a toute la question de la formation qui doit être dispensée simultanément, et des discussions. Tout cela n'est pas absolument clair et, à bien des égards, il faut en discuter davantage.
Le sénateur Ringuette : C'est la première fois que je vous rencontre et j'en suis très heureuse.
J'ai jeté un coup d'oeil sur la liste des vérifications que vous devez faire : 70 ministères et organismes du gouvernement fédéral; 40 sociétés d'État; 10 établissements publics; 60 autres entités; et des vérifications spéciales lorsque vous voulez obtenir de plus amples renseignements — des domaines de compétences partagés par plus d'un ministère, des dossiers qui touchent l'ensemble du gouvernement, par exemple les questions relatives au personnel ou aux ordinateurs; les gouvernements du Nunavut, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest; quelque 15 organismes territoriaux; et certaines organisations de l'ONU. C'est toute une liste. Je suis impressionnée. Il faut beaucoup de discipline pour être en mesure d'étudier tous ces dossiers.
Vous nous avez recommandé ce soir d'examiner la question des fondations. Je suppose que vous savez déjà que notre comité sénatorial cherche à en savoir davantage sur les subventions à la recherche et ceux qui en sont responsables.
Il y a des ententes fédérales-provinciales, par exemple les ententes sur la formation de la main-d'oeuvre, qui prévoient que 100 p. 100 de l'argent nécessaire est versé par le fédéral aux provinces. On me dit que dans le libellé de ces ententes, rien n'exige que les gouvernements provinciaux rendent des comptes relativement aux projets qui sont financés, la nature de leurs activités, et cetera.
Je voudrais que vous nous parliez de ce type particulier de vérification et de votre position quant à la reddition de comptes en pareil cas.
Mme Fraser : C'est une question très intéressante que nous avons d'ailleurs commencé à nous poser nous-mêmes. Nous avons publié de nombreux rapports où il est question de reddition de comptes. Nous avons publié plusieurs rapports sur des programmes fédéraux-provinciaux. Nous avons fait par exemple un rapport sur le programme des infrastructures. Nous avons également fait un rapport sur le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le financement global versé dans le cadre du TCSPS.
À bien des égards, le TCSPS est probablement l'équivalent des ententes relatives au marché du travail et celles sur la formation de la main-d'oeuvre provinciale auxquelles vous faites allusion, lorsqu'il y a transfert de fonds du gouvernement fédéral au gouvernement provincial. On n'a alors pas de comptes à rendre au gouvernement fédéral. On s'attendrait à ce qu'il y ait une certaine reddition de comptes.
Bien sûr, le gouvernement provincial doit rendre des comptes à sa propre population, par l'entremise de sa propre assemblée législative; il y a un vérificateur général provincial qui vérifie ces comptes.
La même question se pose pour une bonne part du financement de la santé ces dernières années. Nous avons dit que dans les comptes publics de l'année dernière, il y avait le fonds pour l'équipement médical. Même si l'objet explicite de ce fonds était l'achat d'équipement médical, il n'y avait pas reddition de comptes, aucune obligation que l'argent serve vraiment à acheter de l'équipement médical. Il n'y avait donc aucune reddition de comptes directe.
Si le comité a des suggestions, nous commençons à déblayer le terrain pour voir ce qui serait un régime efficace de reddition de comptes dans une telle relation, parce que le Parlement fédéral devrait avoir de l'information. Quel serait le niveau approprié et comment recevoir ces renseignements sans perturber le système et les relations fédérales- provinciales?
Tout ce que nous pouvons faire, c'est de vérifier le chèque qui part du gouvernement fédéral. Nous n'avons aucun mandat vis-à-vis des provinces.
Nous commençons à travailler davantage avec nos collègues provinciaux.
Nous avons effectué un certain nombre de vérifications concurrentes en collaboration lorsque nous avons étudié le programme de l'infrastructure. Nous avons travaillé avec les vérificateurs généraux de deux provinces pour vérifier ces programmes.
La semaine dernière encore, nous avons publié un rapport sur le saumon qui était contenu dans le rapport du commissaire à l'environnement et au développement durable. Les vérificateurs généraux de Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick ont également publié des rapports le même jour sur le saumon. Nous avons fait une préface conjointe à nos rapports.
Nous commençons à travailler davantage en collaboration. S'il s'agit clairement, si l'on peut dire, d'un transfert du gouvernement fédéral aux provinces sans aucune obligation redditionnelle, alors nous n'avons vraiment pas grand rôle à jouer, sinon d'observer que le paiement est versé.
Cela pose une question intéressante pour nous et nous devrons l'examiner de concert avec nos collègues provinciaux.
Je pourrais mentionner certains problèmes. Dans la santé, par exemple, on a pris récemment l'initiative de publier un rapport sur le rendement portant sur les indicateurs de la santé. Tous les gouvernements — provinciaux, fédéral et territoriaux — publient un rapport sur un ensemble commun d'indicateurs. Tous ces rapports sont vérifiés par les vérificateurs nommés aux termes de la loi. Les premiers sont sortis en 2002. Les prochains paraîtront bientôt.
Peut-être la solution se trouve-t-elle dans ce type de rapport sur le rendement. C'est une question sur laquelle nous devrons nous pencher afin d'en arriver à une proposition.
Le sénateur Ringuette : Je soulève la question parce que depuis six mois, j'ai rencontré des groupes dans différentes provinces pour discuter de l'emploi saisonnier. Il n'y a pas de telles ententes en Ontario. Quant aux ententes pour l'est du Canada, nous avons entendu dire du bien de ce que l'on fait avec l'argent au Québec. Nous avons entendu par contre des rapports extrêmement négatifs sur le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. On nous a dit du bien par contre de ce que le gouvernement provincial de l'Î.-P.-É. fait avec cet argent.
Ces niveaux de satisfaction et de mécontentement m'ont amenée à m'interroger sur ce que nous pouvons faire pour garantir que cet argent fédéral, dont le gouvernement fédéral et nous en tant que parlementaires sommes comptables parce qu'il s'agit de deniers publics fédéraux, est bien investi quand nous n'avons aucun outil au titre de ces ententes pour nous assurer que ce soit le cas.
Vous comprenez peut-être où je veux en venir.
Mme Fraser : Tout à fait.
Nous avons commencé à faire du travail sur certains programmes fédéraux pour les enfants. Bien sûr, une grande partie de cet argent est transféré aux provinces. Nous avons commencé à nous demander comment s'assurer que l'on rende compte de son utilisation au gouvernement fédéral. Nous nous sommes rendus compte que dans le système actuel, il n'existe aucune obligation en ce sens.
Nous devons faire des recherches et demander aux gens ce qui pourrait être fait dans ce domaine.
Le sénateur Ringuette : Dans le passé, avez-vous recommandé au gouvernement fédéral d'inclure des conditions afin de pouvoir suivre l'argent à la trace?
Mme Fraser : Non, nous ne l'avons pas fait.
Il faut se rendre compte que s'il y a des programmes particuliers comme ceux dont on parle, il y a aussi des sommes gigantesques qui sont versées par exemple au titre de la péréquation et du TCSPS. L'objet même de ces programmes-là est de ne pas avoir de comptabilisation stricte.
Le sénateur Murray : C'est dans leur domaine de compétence.
Mme Fraser : Oui.
Le sénateur Murray : Et les gouvernements provinciaux sont comptables devant leurs électeurs. C'est le principe établi. Quand j'étais de l'autre côté de la table au Nouveau-Brunswick — je ne devrais pas intervenir ici —, nous étions parties à des ententes économiques sectorielles au titre desquelles le gouvernement fédéral payait une certaine proportion, je ne me rappelle plus si c'était moitié-moitié ou 70/30 ou quoi que ce soit. Il y avait toute une série d'ententes dans les secteurs de l'agriculture, du tourisme, des forêts, et cetera, aux termes du MEER, comme s'appelait le ministère à l'époque.
Dans tous ces cas, une disposition de l'entente stipulait qu'il fallait évaluer le programme après deux ans. Ce n'était pas difficile de suivre l'argent parce qu'il était versé directement dans les services votés des ministères compétents de la province.
Le président : Quand vous dites évaluer, vous voulez dire une vérification?
Le sénateur Murray : C'était plutôt une évaluation de l'efficacité.
Le président : En l'occurrence, nous parlons de vérification et de la capacité de suivre l'argent à la trace.
Le sénateur Murray : Je ne pense pas que vous serez en mesure de faire cela de la manière détaillée que vous évoquez. Cela n'arrivera tout simplement pas. Le gouvernement devra ou bien utiliser son pouvoir de dépenser en versant directement l'argent aux particuliers, ce qui créera beaucoup de difficultés, ou bien...
Mme Fraser : Il ne conviendrait pas que le vérificateur général fédéral fasse des vérifications dans un secteur provincial. Chaque province a son propre vérificateur créé aux termes de la loi.
Ce qui est important, c'est l'information voulue que les parlementaires fédéraux devraient recevoir sur le succès général de ces programmes. Il est clair que l'on s'est éloigné de la procédure appliquée strictement programme par programme, avec des dispositions stipulant « nous paierons 50 p. 100 de la facture ». On a souhaité donner aux provinces une plus grande souplesse pour qu'elles puissent dépenser les fonds en fonction de leurs besoins. Nous devons en arriver à un nouveau modèle. Nous nous débattons actuellement avec cette problématique.
Le sénateur Stratton : Bonjour, madame Fraser. Comme vous le savez, le ministre Alcock est venu ici la semaine dernière. Il nous a alors parlé des programmes qu'il est en train de réviser et de mettre en place. Ils sont très complexes et prennent beaucoup de temps à réviser et réaménager. Je suis sûr qu'il vous a rencontrée et vous en a parlé.
Mme Fraser : Oui.
Le sénateur Stratton : Pourriez-vous nous dire dans quelles circonstances il est allé vous voir pour vous demander conseil? Quels en ont été les résultats?
Mme Fraser : Nous avons été mis au courant des diverses études en cours. Je crois qu'il y en a 12. Nous avons manifesté un intérêt particulier envers certaines d'entre elles. Par exemple, il y en a une sur la gouvernance et les sociétés d'État. Nous avons remis un mémoire au gouvernement.
Vous ne serez pas étonné d'apprendre que nous sommes en train d'effectuer une vérification sur la gouvernance dans les sociétés d'État, dont les résultats seront publiés en février. Il était opportun que nous ayons été en mesure de faire cela et de faire part au ministre de certaines de nos réflexions et recommandations à cet égard.
Par exemple, nous lui avons aussi donné des renseignements généraux sur la gouvernance en ce qui a trait aux fondations. Je sais que certains de mes collaborateurs ont été consultés au sujet d'autres études. Il y en a une sur les acquisitions et nous avons eu quelques rencontres à ce sujet.
Nous n'avons pas participé activement à toutes ces études. Nous attendons de voir quelles recommandations découleront de ces diverses études.
Le sénateur Stratton : Nos deux rencontres avec le ministre Alcock ont soulevé certaines préoccupations à cause de la grande complexité de cette réorganisation. On se demande si cela ne va pas devenir trop complexe. On est amené à se demander : où allons-nous avec tout cela? Nous faisons cet exercice parce qu'il semble y avoir des problèmes constamment. Il y a par exemple cette somme de 48 milliards de dollars dans le compte de l'AE dont ils ne se sont toujours pas occupés. Ils s'en servent pour afficher des surplus ou pour faire bien paraître leur bilan comptable, essentiellement, sur le dos du contribuable.
Vous avez fait allusion aux 9,1 milliards de dollars dans les fondations pour lesquels on n'a pas de compte à rendre. Le gouvernement n'a aucun moyen d'en rendre compte. Je vais en parler un instant pour qu'on se comprenne bien.
Si je comprends bien, la raison pour laquelle ces 9,1 milliards de dollars ont été donnés à des fondations est que la vérification a lieu dans les fondations elles-mêmes. Tout cela est indépendant du gouvernement. On fait cela pour que les futurs gouvernements ne puissent mettre la main sur cet argent. Est-ce la raison qu'on vous a donnée? Je n'en suis pas absolument certain. C'est la seule conclusion que je puisse tirer pour l'instant.
Mme Fraser : D'après certaines déclarations, le gouvernement semble croire que c'est un mécanisme approprié, que ces initiatives ont besoin d'un financement stable et c'est pourquoi on a accordé dans certains cas un préfinancement pour cinq ou dix ans d'activité du programme. Ils croient que c'est logique et plus efficient ou efficace de créer ces programmes séparément et de les faire gérer par un groupe indépendant.
Notre position ne consiste pas nécessairement à remettre en question la fondation elle-même et évidemment pas l'objectif pour lequel elle a été créée, ni les gens qui en sont responsables, lesquels sont, pour la plupart, des Canadiens remarquables. C'est plutôt qu'il s'agit d'une très importante somme de l'argent des contribuables et qu'il devrait y avoir reddition de comptes au Parlement sur les résultats, la manière dont les fonds sont utilisés et si l'on suit la procédure régulière comme l'on doit s'y attendre quand on dépense l'argent des contribuables. Il doit y avoir une quelconque évaluation du mécanisme, de cette structure. Les fondations existent maintenant depuis six ou sept ans. Quelqu'un devrait examiner la question pour vérifier si ce modèle fonctionne bien ou non et quels en sont les avantages et les inconvénients. Ce n'est pas clair. Il pourrait y avoir des inconvénients et des avantages. Il faut que quelqu'un examine la question et cela n'a pas encore été fait.
Le sénateur Stratton : Le gouvernement semble-t-il vouloir le faire? Avez-vous l'impression que cela va se faire ou que c'est probable?
Mme Fraser : Vous voulez dire une évaluation?
Le sénateur Stratton : Oui.
Mme Fraser : Je n'ai pas entendu dire que l'on faisait quoi que ce soit dans ce dossier.
Le sénateur Stratton : C'est bien ce qu'il me semblait. C'est un peu comme les 48 milliards de dollars dans le compte de l'AE. J'aimerais bien qu'ils arrêtent de faire cela. Que l'on ferme les livres. Qu'on arrête tout cela, je n'aurais aucune objection.
Le dernier point, et j'en reviens à la complexité de tout cela, c'est justement la question de savoir dans quelle mesure cette affaire devient complexe. Cela devient vraiment inquiétant, parce qu'il y a constamment des déraillement, comme le contrôle des armes à feu et d'autres dossiers qui coûtent énormément cher aux contribuables. Par exemple, le surplus de 9,1 milliards de dollars qui est apparu comme un lapin sorti d'un chapeau. D'après les prévisions de divers groupes de réflexion économique, il faut s'attendre à de gros surplus au cours des cinq prochaines années. Je suis certain que le gouvernement est au courant de ces prévisions et je me demande si l'on va mieux comptabiliser, d'après le ministre des Finances, les tenants et aboutissants de tout cet argent. Est-ce que le ministre des Finances vous a demandé conseil à ce sujet?
Mme Fraser : Non.
Le sénateur Stratton : Pas du tout.
Mme Fraser : Non. Les dépenses sont en fait des estimations. Je sais qu'ils ont embauché un économiste pour examiner le système de prévisions et il serait préférable que quelqu'un d'autre que nous se charge de cela.
Le président : Si l'on procède à des changements structurels, c'est en partie à cause du projet de loi C-25 et de la modernisation. L'une des conséquences est la création du Comité d'examen des dépenses. Auparavant, c'était le Conseil du Trésor qui se chargeait de cet examen et le tout a maintenant été confié au Bureau du conseil privé. Après qu'on vous ait posé des questions, avez-vous participé à certains de ces changements? En tant que vérificatrice générale, avez-vous votre mot à dire pour ce qui est de vérifier si tout cela fonctionne bien? Vous a-t-on consultée pour vérifier que de bons principes comptables sont intégrés à ce mécanisme d'examen?
Mme Fraser : Nous avons simplement rencontré le sous-ministre responsable du processus de l'examen des dépenses. Nous avons soulevé certaines préoccupations à ce sujet. C'est très ambitieux. Nous avons aussi soulevé des préoccupations au sujet des divers autres examens en cours, car il y a 12 examens majeurs, tous valables, mais cela exerce beaucoup de pressions sur le système. Nous nous demandons dans quelle mesure tout cela est bien coordonné, car la question des acquisitions se pose bien sûr à la grandeur du gouvernement. Par conséquent, nous nous demandons qui coordonne tout cela. Ce sont des préoccupations que nous avons soulevées d'une manière théorique. Nous n'avons pas vraiment vérifié tout cela. Nous avons également émis une réserve, à savoir que beaucoup de services, comme les évaluations et vérifications internes, qui ne sont pas des services directs au public, sont généralement la cible de coupures quand on fait des compressions généralisées. Beaucoup de ces services sont déjà assez limités au gouvernement et il faut faire attention de ne pas les affaiblir davantage.
Le président : Quand vous dites que l'examen des dépenses est très ambitieux, est-ce parce que l'on risque de sacrifier certaines vérifications internes?
Mme Fraser : C'est une possibilité. Ce n'est pas seulement l'objectif, qui était de 12 milliards de dollars sur cinq ans, par rapport aux dépenses discrétionnaires, qui sont de 45 milliards de dollars par année. On envisage une importante réaffectation de fonds au sein du gouvernement et il faudra pour cela éliminer certains programmes. Il incombe au gouvernement de décider de ce qu'il veut faire et il ne conviendrait pas que nous disions qu'il faut faire ceci ou cela. Il s'agit seulement de s'assurer qu'il soit conscient des conséquences. Nous craignons que l'on affaiblisse la capacité de la fonction publique de réagir adéquatement à tout cela alors même que, parallèlement, on s'efforce de continuer de progresser sur tous les plans.
Le président : Merci.
Le sénateur Cools : Merci, madame Fraser, d'être venue nous voir et merci aussi pour l'excellent travail que vous accomplissez. Monsieur le président, la vérificatrice générale soulève de très importantes questions d'ordre philosophique. Cela prend la forme de réflexions en passant, comme si elle pensait tout haut, mais ce sont des questions très profondes. Je me demande, monsieur le président, si notre comité ne devrait pas se réunir en privé pour essayer de décider comment nous pourrions nous attaquer à certains grands dossiers que l'on évoque au cours de cette réunion-ci. La vérificatrice générale a dit il y a quelques instants qu'il y a de la confusion, que le Bureau du conseil privé crée de la confusion en ce qui a trait à la définition de « responsabilité » et de « reddition de comptes »; les gens utilisent ces deux mots de façon interchangeable, mais il y a la reddition de comptes et puis il y a la responsabilité ministérielle. C'est un concept différent. Il y a beaucoup de confusion sur le plan terminologique et nous avons maintenant dans notre pays une situation où, à mon avis, le premier ministre ou les ministres ne parlent même pas un langage que les Canadiens comprennent quand ils traitent de gouvernance et je me demande même si deux d'entre eux pourraient vous donner une définition de la « responsabilité ministérielle ». C'est un énorme problème. Je le constate dès que j'ouvre des documents qui viennent de différents ministères. Je me demande si nous vivons vraiment dans un système de responsabilité ministérielle et s'il y a vraiment une place pour le Parlement. C'est comme si le Parlement avait été transformé en quelqu'autre système. Je félicite Mme Fraser de réfléchir à ces grandes questions. Je dis cela en guise de commentaire. Mais j'en reviens à cette importante question de l'examen du budget des dépenses par le Parlement, qui s'efforce de recouvrer un semblant de contrôle des deniers publics, et je me rappelle que notre comité a commencé à poser des questions il y a de nombreuses années sur l'explosion des dépenses dans le programme des armes à feu. Notre comité avait de l'avance sur le vérificateur général.
Le sénateur Harb : Non.
Le sénateur Cools : Peut-être que vous posiez des questions. Je sais que vous n'hésitez pas à poser des questions au gouvernement, sénateur Harb. Je sais que vous êtes diligent. Quoi qu'il en soit, presque immédiatement, notre comité a commencé à poser des questions. Ce qui est intéressant, monsieur le président, c'est que notre comité, dans rapport après rapport, s'est interrogé sur l'explosion des dépenses. Or, monsieur le président, pas un seul ministre n'a jamais répondu à l'une ou l'autre de ces questions sur le parquet du Sénat, et pas un seul ministre, en particulier les ministres responsables, n'a jamais fait la moindre déclaration ni comparu devant notre comité pour répondre à nos préoccupations. Je trouve cela remarquable. C'est pourquoi je dis que l'on nous a transformés en une créature d'une autre espèce.
Nous pourrions dépouiller la littérature. M. Rock a témoigné devant de nombreux comités et n'a cessé de nous dire que quiconque laissait entendre que les coûts augmenteraient en flèche était littéralement dans les patates et qu'il ne fallait pas l'écouter; on a englouti un milliard de dollars dans cette aventure — on vient de me dire que c'est presque deux milliards de dollars. N'est-ce pas intéressant que, dans un système de responsabilité ministérielle, pas un seul ministre n'ait démissionné? J'ai toujours eu l'impression que la responsabilité ministérielle signifiait que lorsqu'un ministère commet une bévue ou qu'un programme est mal géré ou qu'il y a mauvaise gestion dans un ministère, le ministre compétent est censé démissionner. J'ignore quand c'était, la dernière fois qu'un ministre a démissionné à cause de la mauvaise administration ou de la mauvaise gestion dans son ministère.
Le président : Je ne crois pas que l'on devrait demander à la vérificatrice générale de commenter cela.
Le sénateur Cools : Je ne lui demande pas de commenter. Je dis que nous devrions prendre l'initiative et nous pencher sur certaines de ces questions. Autrement, nous nous retrouvons dans la situation où nous nous contentons de tenir une petite conversation, comme un groupe de souris.
Le président : Le comité peut le faire au cours d'une séance à huis clos.
Le sénateur Cools : Je dois en faire la suggestion en public; autrement, personne ne le saurait. C'est d'ailleurs une autre question que nous devons examiner, je veux dire les séances à huis clos. Mais c'est hors sujet.
J'en arrive à ma véritable question. Quand on examine ces prévisions de dépenses — et Dieu sait que j'en ai examiné beaucoup —, voici ce qui vient à l'esprit : l'énormité des sommes en dollars, le volume gigantesque des programmes et l'immense difficulté d'obtenir des renseignements, le tout conjugué à la stratégie gouvernementale qui consiste à lésiner sur les ressources accordées aux parlementaires. C'est tout à fait courant. On pose des questions à un ministre et celui- ci a le Trésor à sa disposition. Quant à nous, nous avons dans nos bureaux deux employés à même un budget de 100 000 $ par année — une secrétaire et un recherchiste.
La vérificatrice générale a-t-elle réfléchi à la question de savoir si, dans l'environnement actuel, compte tenu de la manière dont le gouvernement fonctionne, nous pouvons vraiment obtenir que le gouvernement rende compte de ses dépenses? C'est peut-être une question difficile. Si vous la trouvez difficile, je ne vous en voudrai pas. Il dit « ce sont des fictions », mais je siège ici depuis assez longtemps pour ne pas être leurrée si facilement. Je suppose qu'on est naïf quand on fait ses débuts en politique. Quelqu'un a dit qu'on y entre par naïveté et qu'on y reste parce qu'on a honte ou quelque chose du genre. Quand donc allons-nous devoir admettre que nous avons affaire à un gouvernement qui échappe à tout contrôle et que l'on a jeté aux orties le système de responsabilité ministérielle et que l'on ne croit plus à l'obligation de rendre compte des dépenses publiques?
Mme Fraser : Les seules observations que nous avons formulées à cet égard, premièrement, portent sur toute la question de la responsabilité ministérielle ou de la reddition de comptes. À savoir, quel est le sens de l'expression générale « responsabilité des hauts fonctionnaires » et le temps n'est-il pas venu de réexaminer tout cela, compte tenu des récents événements? Peut-être qu'il faudrait en discuter davantage, mais peut-être faudrait-il aussi une application plus pratique de certains concepts. Comment tout cela fonctionne-t-il en pratique?
Sur la question de l'examen des budgets des dépenses, je conviens que c'est très complexe. Il y a beaucoup d'information. Nous avons certainement encouragé le gouvernement à essayer de rendre l'information plus facile à comprendre, de donner davantage de contexte et de description. Je pense que le gouvernement commence à aller dans ce sens. Dans le passé, nous avons dit aux parlementaires qu'il faut être réaliste parce qu'il est probablement très difficile d'essayer d'examiner un ministère tout entier. Peut-être est-il préférable de prendre un programme à la fois et de l'examiner de manière plus approfondie. C'est plus facile à comprendre et l'on peut l'examiner de manière plus précise et plus rigoureuse. Dans le cas des comités du Sénat, vous n'avez évidemment pas le même taux de roulement qu'à l'autre endroit. Après un certain temps, vous en arrivez à une meilleure compréhension du fonctionnement d'un ministère. Voilà nos suggestions.
Le sénateur Cools : Je voudrais ramener à la surface un élément d'histoire ancienne. Le vérificateur général est au service des Communes et il travaille avec le Comité des comptes publics de la Chambre des communes. Le Sénat, par contre, ne peut compter sur de tels services. Autrefois, le Comité des prévisions de dépenses pouvait compter sur l'aide des fonctionnaires du Trésor, comme le vérificateur général venait en aide à la Chambre des communes. Je me dis toujours, monsieur le président, que notre comité devrait examiner la possibilité d'obtenir les services de quelqu'un qui pourrait nous venir en aide.
Le président : À quel genre d'aide songez-vous exactement?
Le sénateur Cools : Je songe au fait que la vérificatrice générale est une femme qui est versée en chiffres. Nous pourrions donc dire qu'il nous faut de l'aide pour les chiffres. Autrement dit, une personne qui pourrait aussi être comptable. Je ne sais pas. Si l'on remonte à l'origine de nos comités parlementaires, la tradition dicte que l'opposition occupe la présidence de notre comité. Cela remonte à l'époque où l'on s'attendait à ce que le président du Comité des comptes publics soit un ancien ministre; c'était il y a longtemps. Je vous dis que nous accueillons devant nous le type du Conseil du Trésor, mais le rôle qu'ils ont maintenant adopté est le rôle du gouvernement, tandis qu'il fut un temps où le Trésor nous envoyait des gens qui travaillaient avec le comité pour procéder à l'examen détaillé, tout comme le vérificateur général travaille avec le Comité des comptes publics de manière assez détaillée. On trouvera peut-être que c'est un petit rappel historique nostalgique, mais nous devrions peut-être examiner comment la Chambre des communes peut compter sur l'aide d'une personne disposant des ressources du vérificateur général.
Le président : Pourrais-je demander à la vérificatrice générale d'expliquer sa fonction de conseillère du comité des Communes?
Mme Fraser : Le rôle a évolué avec le temps parce que nous comparaissons à titre de témoin devant le comité et non plus à titre de conseiller. Au Royaume-Uni, le vérificateur général est davantage un conseiller qu'un témoin. Nous déterminons les vérifications que nous allons faire. Si les comités nous demandent d'examiner certains dossiers, nous acceptons généralement de le faire. Nos rapports sont automatiquement renvoyés au Comité des comptes publics de la Chambre, qui tient alors des audiences sur un certain nombre des vérifications que nous faisons.
Au cours des deux dernières années, des comités de la Chambre nous ont demandé de comparaître devant eux quand ils étudiaient les budgets des dépenses. Nous n'avons jamais joué un rôle de conseiller au sujet des budgets des dépenses. On estime que c'est davantage une question de choix politique et, à moins que nous ayons fait du travail de vérification sur un dossier particulier, il ne conviendrait pas que nous donnions des conseils à ce sujet. Nous avons discuté du genre de questions que les comités devraient poser. Si le comité étudie un ministère dans lequel nous avons récemment vérifié un programme, nous pouvons leur suggérer d'examiner le budget des dépenses ou le rapport sur les plans et priorités de ce programme, tandis que nous pouvons présenter les constatations de notre vérification. Cela les aide à faire leur examen. Nous avons également fait du travail, des vérifications ou des examens portant sur les rapports ministériels sur le rendement, et nous leur avons accordé une note. Certains comités ont également utilisé ces rapports pour essayer d'obtenir des renseignements et de mieux comprendre le dossier. C'est quelque peu indirect, mais la manière dont les comités font appel à nos services est toujours fondée sur notre travail de vérification.
Le président : Je sais que notre comité a le pouvoir d'examiner les dépenses du gouvernement et aussi de recevoir le rapport de la vérificatrice générale. Ce sont les deux mandats précis du comité. Le fait que nous recevions votre rapport signifie que vous pouvez comparaître comme témoin, comme vous le faites en ce moment, et que nous pouvons vous poser des questions, comme nous le faisons, mais il n'est nullement question d'une fonction de conseillère.
Mme Fraser : Nous serions très heureux si le comité souhaitait que nous comparaissions plus régulièrement au moment du dépôt de nos rapports. Je peux assurément discuter avec la présidence d'une telle éventualité, si le comité le souhaite. Nous serions ravis de comparaître devant vous.
Le président : Je vous en remercie.
Le sénateur Cools : À quelle fréquence témoignez-vous devant les comités de la Chambre des communes? Je vous y vois très souvent.
Mme Fraser : Cela varie beaucoup. L'année dernière n'était probablement pas une année typique, étant donné que le Comité des comptes publics était tellement occupé à examiner le dossier des commandites. Ils ont consacré à cette question de nombreuses réunions auxquelles nous avons assisté. L'année précédente, nous avons comparu devant des comités de la Chambre probablement une quarantaine de fois. Nous avons témoigné 29 fois devant le Comité des comptes publics.
Nous y sommes allés régulièrement, deux fois par semaine, quasiment, au sujet des vérifications. Certaines semaines, nous avions quatre séances.
Le sénateur Cools : Monsieur le président, je n'ai pas utilisé le mot « consultatif », mais l'ancien libellé utilisait le mot « assistance ».
Mme Fraser : Je suis certaine que le sénateur Harb peut témoigner du grand nombre de fois que nous avons comparu devant le comité. Nous y avons témoigné fréquemment.
Le sénateur Cools : Le sénateur Harb en était parfois mécontent, du moins à la dernière séance à laquelle j'ai assisté.
Nous devrions nous pencher sur tout ce phénomène. Historiquement, de quelle manière ces comités obtenaient-ils de l'assistance pour étudier les grands dossiers? Nous serait-il possible de ressusciter cette pratique. Je suis contente que la vérificatrice générale ait précisé le nombre exact de fois. J'ignore à quelle fréquence le comité se réunit, mais il me semble qu'elle a comparu pendant une longue période au moins à toutes les deux séances du comité, sinon même à toutes les séances du comité.
Mme Fraser : Normalement, nous serions là à toutes les réunions, sauf lorsqu'ils travaillent à des rapports.
Le sénateur Cools : Précisément. La vérificatrice générale y va souvent. Peut-être devrions-nous jeter un coup d'oeil à la Loi sur le vérificateur général et à l'historique de son élaboration, pour voir comment on en est arrivé là et pourquoi, comme toujours, le Sénat a été laissé pour compte.
Le sénateur Harb : Je ne veux pas passer du temps à répondre à ma collègue le sénateur Cools.
Si l'on examine le mandat du comité, on constate qu'il est responsable, entre autres choses, de deux dossiers : premièrement, les comptes nationaux et le rapport de la vérificatrice générale — et la vérificatrice générale témoigne aujourd'hui même devant le comité — et, deuxièmement, les finances du gouvernement. Si le Sénat souhaite créer un comité séparé pour servir de comité des comptes publics du Sénat, discutons-en. Cependant, pour ce que nous faisons actuellement, en ce qui concerne les besoins du comité en matière de services consultatifs, nous pouvons compter sur des gens compétents à la Bibliothèque du Parlement. Nous avons notre greffier. De temps en temps, si nous avons besoin de faire venir des experts pour nous conseiller, il n'y a aucun problème.
Ce ne serait pas juste que nous placions la vérificatrice générale, qui est censée être une fonctionnaire indépendante du Parlement, dans une situation telle qu'elle doive nous servir de conseillère.
Le sénateur Cools : Je n'ai pas suggéré cela.
Le sénateur Harb : Indirectement, le sénateur Cools a évoqué l'élément historique, et je dirais que le Parlement a évolué, de même d'ailleurs que le Sénat et la démocratie.
Le sénateur Cools : Je n'ai rien dit de tel. J'ai dit que, historiquement, il y avait deux comités qui ont évolué avec le temps. L'un était le Comité des comptes publics et l'autre celui des prévisions budgétaires, et ils pouvaient tous les deux compter sur des fonctionnaires qui leur prêtaient assistance. La vérificatrice générale sait que j'ai étudié le rôle et l'histoire de son bureau assez attentivement et de manière approfondie. Je comprends très bien, sénateur Harb, quel rôle doit jouer la vérificatrice générale. Je ne dis absolument pas que nous devrions essayer de faire des démarches auprès d'elle ou de voler ses services à l'autre endroit, alors ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.
Le président : Nous avons la vérificatrice générale comme témoin. Veuillez lui poser une question.
Le sénateur Harb : Oui. J'ai plusieurs questions à poser à la vérificatrice générale. La première est tirée de son dernier rapport, à la page 230, au sujet des difficultés continues en matière de comptabilité. Vous vous reportez ici aux états financiers sommaires du gouvernement du Canada et vous traitez de gestion financière. Vous allez publier un rapport en février 2005.
Je sais que vous avez joué un rôle dans la création par le gouvernement du Canada du système d'information financière, le SIF. Pouvez-vous dire au comité, et aussi aux Canadiens qui suivent peut-être cette émission en ce moment même, pourquoi il vous a semblé à l'époque que le SIF était une si bonne idée? Parlez-nous en un peu dans le contexte de la reddition de comptes et de la transparence et faites-nous le point sur la disponibilité de ce système dans l'ensemble du gouvernement, c'est-à-dire quels ministères ont introduit le système et lesquels ne l'ont pas fait.
Mme Fraser : La SIF — stratégie d'information financière — comporte plusieurs volets. Je ne vais pas les énumérer tous, mais l'un d'eux était la création de nouveaux systèmes. Ceux-ci ont généralement été mis en place dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental et nous en traiterons un peu dans le chapitre de février.
La principale initiative abordée dans nos observations était l'adoption de ce que nous appelons la comptabilité d'exercice, qui est une méthode comptable très répandue dans le secteur privé mais pas dans le secteur public. Le gouvernement du Canada l'a adoptée il y a deux ans. Essentiellement, les principaux changements par rapport à ce qui se faisait avant consistaient surtout en ce que nous appelons une comptabilité d'exercice modifiée. Avant, c'était essentiellement une comptabilité de caisse. Les recettes fiscales étaient inscrites aux comptes quand elles étaient reçues. Quant aux immobilisations, quand on achetait des immeubles, on les inscrivait comme dépense, de sorte qu'au moment où l'on déboursait l'argent, on n'inscrivait pas la totalité du passif. Le gouvernement a adopté la comptabilité d'exercice en vertu de laquelle, dorénavant, la totalité des immobilisations sont comptabilisées comme actifs. Il a fallu énormément de travail seulement pour en faire l'inventaire et leur attribuer une valeur. Beaucoup d'actifs du gouvernement ont un objet spécial; ce sont des actifs spéciaux comme les actifs militaires. Il n'est pas facile d'obtenir des renseignements là-dessus. C'était l'un des principaux changements. On est aussi passé à la comptabilité d'exercice pour les recettes fiscales. On a posé la question : « À combien s'élèvent les recettes qui vont rentrer? » Ce sont les revenus qui sont générés en une année donnée, et non pas les revenus perçus durant l'année. Prenons l'exemple de l'impôt sur le revenu des particuliers. On fait une estimation du montant total de l'impôt qui sera déclaré par l'ensemble des contribuables dans leur déclaration du mois d'avril, après la fin de l'année.
C'est un système complexe. On a également comptabilisé le passif environnemental, un passif additionnel pour les revendications des Autochtones, une partie de l'inventaire de la Défense nationale. Beaucoup de changements ont été apportés aux états financiers du gouvernement. En fait, nous félicitons le gouvernement pour ce qu'il a accompli. Il a fallu beaucoup de travail. Le Canada est l'un des très rares pays du monde qui a adopté la comptabilité d'exercice et qui a été en mesure d'obtenir une opinion catégoriquement favorable des vérificateurs. Beaucoup de pays qui ont adopté la comptabilité d'exercice ont obtenu une opinion assortie de réserves à cause de la qualité de certains renseignements. Le Canada est vraiment un chef de file mondial dans ce domaine.
Nous sommes convaincus que c'est une méthode comptable de beaucoup préférable parce qu'elle donne un tableau beaucoup plus complet des actifs et du passif du gouvernement. Cela devrait aider à obtenir de meilleurs renseignements sur les coûts. Cela devrait déboucher sur une meilleure gestion. On peut en donner l'exemple des stocks. S'ils n'apparaissent jamais dans les livres, est-ce que les responsables vont vraiment bien les gérer? C'est également vrai pour les immobilisations.
De grands progrès ont été réalisés. On en est toujours au niveau des états financiers sommaires. Dans notre dernier rapport, nous avons dit que les ministères ne l'utilisaient pas autant qu'ils le devraient et que cette pratique ne s'était pas rendue jusqu'à la gestion courante des affaires. Nous allons revenir sur la question en février.
Une autre question que nous devrions aborder est le fait que tout le processus des crédits budgétaires est encore fondé sur la comptabilité de caisse. Nous avons encouragé le gouvernement et formulé des recommandations depuis maintenant six ou sept ans pour que le processus des crédits budgétaires soit aligné sur les rapports comptables, parce que les deux se font essentiellement de deux manières différentes actuellement. On ne s'est pas tellement engagé à examiner la question. Le gouvernement dit qu'il étudie l'affaire. J'espère que l'on pourra résoudre cette question également à l'avenir.
Le sénateur Harb : Ma dernière question porte sur le budget des dépenses pour 2004-2005. Vous étiez fermement en faveur de la surveillance parlementaire du budget des dépenses, même ligne par ligne, au besoin.
À la page 17-3 du budget des dépenses, on traite du ministère du Commerce international. Il y est question des quatre piliers du ministère sur le plan des objectifs : le développement du commerce international, la politique commerciale, la promotion des investissements et les services aux entreprises. Ensuite, dans la ventilation, vous faites le constat que, au chapitre de la promotion des investissements, sur un budget de 168 millions de dollars, le ministère dépense 5,7 millions de dollars.
J'ai présidé le sous-comité sur le commerce et je sais qu'il y a là une très grande frustration. Les responsables estiment qu'il leur est impossible d'atteindre l'objectif de la promotion des investissements avec le peu d'argent qu'on leur accorde. Année après année, ils s'adressent au ministère des Finances et celui-ci trouve le moyen de les museler, s'assure qu'ils n'obtiennent pas l'argent voulu et les renvoie chez eux la queue entre les jambes.
Du point de vue parlementaire, si j'examine les objectifs de ce ministère et l'optimisation des ressources, je dirais que je ne crois pas qu'ils atteignent les objectifs parce qu'ils n'ont pas les fonds nécessaires pour faire la promotion des investissements comme ils doivent le faire.
Ma question est en quelque sorte dans une zone floue. Quelle serait la position du Bureau du vérificateur général quand un ministère n'a pas les ressources financières voulues pour atteindre son objectif? À quel moment le vérificateur général interviendrait-il en disant : « Assez! »?
Je pose la question parce que je sais que nous avons des pourparlers de libre-échange avec Singapour et que le dossier ne peut pas aboutir à cause du manque de personnel. Il y a de 15 à 20 ententes sur la protection des investissements étrangers que l'on ne peut pas compléter faute de personnel. Nous avons également des pourparlers de libre-échange avec les Amériques qui n'aboutissent pas faute de personnel suffisant. C'en est au point où l'administration déclare : « S'il vous plaît, ne prenez plus d'engagements que nous sommes incapables de remplir. Nous n'avons pas assez de personnel pour faire tout cela. »
À partir de quel moment votre bureau intervient-il en déclarant qu'il y a un problème, que les objectifs ne peuvent pas être atteints faute de moyens financiers suffisants?
Mme Fraser : Je ne peux évidemment pas répondre à la question sur le commerce international parce que nous n'avons pas fait de travail dans ce domaine. Je peux donner l'exemple de la Défense nationale, où nous avons fait beaucoup de travail et où nous avons souvent soulevé cette question. Nous avons fait de nombreuses vérifications au fil de nombreuses années et nous avons dit très souvent qu'il y a un écart entre le financement et les attentes du ministère.
Certains ont interprété cela en disant que nous affirmons qu'il leur faut plus d'argent. Ce que nous disons, c'est qu'il y a deux manières de combler un écart. On peut bien sûr injecter plus d'argent. Mais on peut aussi redéfinir les attentes. Quoi qu'il en soit, c'est injuste envers les gens qui travaillent dans ce ministère de continuer à attendre d'eux qu'ils fassent certaines choses si l'on ne leur donne pas les ressources financières suffisantes pour le faire. L'écart doit être refermé et nous l'avons dit publiquement et à l'occasion de nombreuses séances de comité.
Quand nous constatons des problèmes de ce genre, nous les signalons. Nous ne sommes pas partisans d'une augmentation du financement, bien qu'évidemment, dans certains cas, c'est peut-être la seule solution réaliste, mais nous signalons certainement le problème de l'écart entre les attentes et les ressources disponibles.
Le sénateur Comeau : Il y a eu tout à l'heure une discussion au sujet de l'aide que vous pouvez apporter au comité. Je signale par ailleurs que vous pouvez aussi fournir de l'aide à d'autres comités, puisque vous y avez vous-même fait allusion au sujet des études que vous avez faites sur l'agriculture. Vous me reprendrez si je me trompe, mais je crois que c'était directement en réponse à une demande du Comité des pêches du Sénat.
Mme Fraser : C'est exact.
Le sénateur Comeau : Je trouve que nous devrions vanter nos propres mérites de temps à autre, et aussi vanter les mérites de la vérificatrice générale, parce que c'était un excellent rapport.
Mme Fraser : Nous sommes toujours heureux de recevoir des commentaires et des suggestions des comités sénatoriaux et nous sommes toujours heureux de témoigner devant les comités du Sénat. Nous sommes à votre service.
Le sénateur Comeau : Je voudrais revenir aux fondations et à la question de la responsabilité et de l'examen parlementaire que vous avez soulevée. J'essaie de comprendre comment nous pouvons faire notre travail, qui est d'examiner les finances publiques, si l'on crée des fondations pour soustraire l'argent à votre examen. S'agit-il d'une tendance visant à faciliter la tâche à l'exécutif qui veut se soustraire à l'examen?
Dans ce contexte, est-ce que la même chose arriverait à d'autres agents du Parlement comme le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire aux langues officielles? Est-ce ce que l'avenir nous réserve de la part de l'exécutif, à nous ainsi qu'au vérificateur général et aux autres agents du Parlement qui nous donnent un coup de main pour tenter d'accomplir notre tâche?
Mme Fraser : Malheureusement, je ne peux pas vous donner de précisions quant aux autres agents du Parlement et aux fondations, bien que je crois que beaucoup de ces fondations ne sont pas assujetties à la Loi sur l'accès à l'information, par exemple. Je ne crois pas qu'elles soient nécessairement assujetties à la Loi sur les langues officielles. Elles sont probablement assujetties à la Loi sur la protection de la vie privée tout autant que le secteur privé peut l'être. Elles ne sont pas assujetties aux mêmes mécanismes de surveillance et de contrôle qu'un ministère, par exemple, ou même que les conseils subventionnaires. C'est un modèle tout à fait nouveau et c'est pourquoi j'en reviens à la recommandation que nous avons faite. Le gouvernement devrait évaluer les avantages et les inconvénients de ce mécanisme et en faire un examen approfondi.
Je signale au comité qu'à ma connaissance, aucune nouvelle fondation n'a été créée depuis deux ans, quoique l'on continue de donner des fonds aux fondations existantes.
Le sénateur Cools : Je ne pense pas qu'on en verra une autre.
Le président : C'est de l'argent complémentaire.
Mme Fraser : Eh bien, à la fin du dernier exercice, le 31 mars 2004, 400 millions de dollars ont été transférés aux fondations.
Le sénateur Comeau : À l'heure actuelle, rien n'empêche le gouvernement ou l'exécutif d'injecter toujours plus d'argent dans les fondations qui ont été créées, et celles-ci, puisqu'elles n'ont de comptes à rendre à personne, peuvent créer à leur tour leurs propres petites sous-fondations.
Mme Fraser : Elles sont visées par des accords de financement qui renferment en fait beaucoup d'instructions quant à ce qu'elles peuvent faire avec l'argent. Il y a des instructions sur le type de projet qu'elles peuvent lancer, le genre d'activités qu'elles peuvent mener, les instruments dans lesquels elles doivent investir et ce qu'elles doivent faire de tout surplus éventuel. On leur donne beaucoup d'instructions.
Le sénateur Comeau : De la part de l'exécutif?
Mme Fraser : Oui, ce qui est d'ailleurs intéressant parce qu'il y a une nouvelle norme de comptabilité sur les entités contrôlées par le gouvernement, et je soupçonne que nous aurons une discussion passablement animée avec le gouvernement sur certaines de ces fondations, la question étant de savoir si elles sont vraiment indépendantes. Si elles ont été créées au départ dans un cadre aussi serré, sont-elles vraiment indépendantes du gouvernement?
C'est la discussion que nous aurons au cours de la prochaine année et nous en arriverons peut-être à une conclusion différente du gouvernement à propos de certaines fondations.
Le sénateur Comeau : La plupart de ces fondations, sauf erreur, ont été créées par voie législative.
Mme Fraser : Non, en fait, la majorité ont été créées en application de la Loi sur les sociétés commerciales du Canada à titre d'organisations à but non lucratif. Seulement trois ont été créées par des lois.
Le sénateur Comeau : En définitive, toutes ces fondations doivent leur existence à un texte de loi quelconque.
Mme Fraser : Eh bien, trois ont été créées directement par des lois. C'est l'une des recommandations que nous avons faites, à savoir que si ces entités doivent être créées, elles devraient toutes être créées par voie législative. Les autres ont été créées à titre d'organismes à but non lucratif aux termes de la Loi sur les sociétés commerciales du Canada.
Le sénateur Comeau : Comme elles ont été créées en application de cette loi, vous ne pouvez pas intervenir comme vérificatrice?
Mme Fraser : C'est exact. C'est un mécanisme du secteur privé.
Le président : Pourriez-vous préciser les chiffres relativement aux fondations? Il semble que dans le rapport d'avril 2002, on disait que le total transféré aux fondations était d'environ sept milliards de dollars; or vous avez dit aujourd'hui qu'au 31 mars 2004, c'était autour de 9,1 milliards de dollars.
Mme Fraser : C'est exact. Dans les comptes publics de 2004, le financement total des fondations s'élevait à 9,087 milliards de dollars. Celles-ci avaient à leur tour accordé des subventions de trois milliards de dollars et à la fin de mars 2004, il restait donc dans les comptes de ces fondations 7,7 milliards de dollars. Elles avaient pris des engagements s'élevant à une autre somme de deux milliards de dollars. Il restait encore 7,7 milliards de dollars des neuf milliards de dollars dans les comptes en banque et investissements des fondations.
Le sénateur Murray : Le ministre des Travaux publics a dit que lui-même et le gouvernement envisagent sérieusement de vendre les immeubles gouvernementaux et de les louer ensuite. Premièrement, voudriez-vous faire une observation générale sur le principe en cause dans une telle décision, à savoir s'il vaut la peine de le faire du point de vue économique et financier?
Deuxièmement, ce qui m'apparaît plus grave, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'être cynique ou blasé, et j'espère que je ne le suis pas, pour être en mesure d'imaginer une quantité infinie de méfaits, d'abus, de politicailleries et de favoritisme qui pourraient avoir lieu dans l'administration et la mise en oeuvre d'une telle politique.
S'ils sont sérieux, et s'il vous semble bien qu'ils se dirigent effectivement dans cette voie, ne pouvez-vous pas dire : « Montrez-moi les contrats modèles de vente et de location que vous proposez de conclure avec des particuliers et des compagnies du secteur privé, et montrez-moi aussi les garanties que vous entendez mettre en place pour vous assurer que ce processus soit absolument irréprochable », afin que les gens ne se retrouvent pas en fin de compte à reprendre votre phrase mémorable, « bafouer toutes les règles en vigueur »?
Mme Fraser : J'ai deux ou trois choses à dire là-dessus. Premièrement, du point de vue comptable, s'il s'agit de ce que l'on appelle un contrat de location-acquisition, s'il y a cession-bail, si le bail est essentiellement une option de financement et que l'on a jouissance entière de l'immeuble sur toute la durée de sa vie utile, nous consignerions cela comme un actif et une dette.
En fait, bon nombre des immeubles que le gouvernement occupe actuellement sont loués. Je crois que celui dans lequel nous sommes logés, le 240 Sparks, est occupé en vertu d'un contrat de location-acquisition. La comptabilité peut devenir fort complexe en pareil cas et il faudra examiner toute la question de savoir s'il y aura des gains réels.
Le sénateur Murray : Ils envisagent de vendre des immeubles qu'ils possèdent actuellement et de les louer ensuite aux gens à qui ils viennent de les vendre.
Mme Fraser : Il faudra évidemment faire deux transactions, mais ce ne sera pas nécessairement le cas qu'il y ait le moindre gain dans tout cela. Il faudrait examiner toute la transaction et il nous faudrait voir quelle est la valeur de l'immeuble sur toute la durée de sa vie utile et quel est le montant de la dette. La comptabilité de tout cela peut être très complexe.
Le sénateur Murray : Rien ne vous empêche de donner des conseils là-dessus avant que ce ne soit un fait accompli.
Mme Fraser : Non, et je m'attendrais à ce que l'on nous demande nos commentaires.
Le président : On ne vous l'a pas encore demandé.
Mme Fraser : Non, on ne nous l'a pas encore demandé. En fait, d'après ce que j'ai lu dans les journaux, il semblerait qu'il n'y en a peut-être pas autant que l'on avait cru au début.
Le ministère a eu des discussions. Nous avons lu cela dans les journaux, comme tout le monde. Nous n'avons pas eu de discussion sur les pratiques comptables en cause, sur le mécanisme qu'il faudrait mettre en place pour opérer ces transferts, mais il est certain que nous examinerions de très près une transaction d'une telle ampleur.
Le sénateur Murray : Vous en examineriez l'aspect économique et financier.
Mme Fraser : Oui, mais également le processus.
Le président : Madame la vérificatrice générale, je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer et de passer presque deux heures avec le comité ce soir. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous espérons que lorsque nous serons saisis du nouveau budget des dépenses, vous serez de retour pour nous venir en aide. Vous avez fait diverses suggestions que notre comité pourrait vouloir examiner de plus près. Nous pourrions peut-être demander à notre personnel d'avoir des entretiens avec vos collaborateurs pour étudier cela de manière un peu plus approfondie avant notre prochaine rencontre. Merci beaucoup d'être venue.
La séance est levée.