Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 7 mars 2005
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, saisi du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et d'autres lois en conséquence (paiements de péréquation aux provinces et financement des territoires), se réunit ce jour à 15 h 5 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette 16e séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales et vous rappelle que sa raison d'être est de se pencher sur les dépenses gouvernementales, soit directement celles inscrites au budget des dépenses, soit celles décidées indirectement par le biais de projets de loi.
[Français]
Le 22 février dernier, le projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces a été renvoyé à notre comité par le Sénat.
[Traduction]
Sénateurs, je vous rappelle encore une fois que nous serons très occupés ce moi-ci par le Budget supplémentaire des dépenses (B) 2004-2005 et le Budget des dépenses principal de 2005-2006. C'est pourquoi nous nous réunissons aujourd'hui en dehors de notre créneau normal pour recevoir des témoins sur le projet de loi C-24. Une invitation a été adressée à toutes les provinces et tous les territoires qui souhaitaient intervenir sur ce projet de loi. Les gouvernements de la Saskatchewan et de l'Île-du-Prince-Édouard ont accepté notre invitation.
Nos premiers témoins représentent le gouvernement de la Saskatchewan. L'honorable Harry Van Mulligen est né aux Pays-Bas et a immigré au Canada avec ses parents à l'âge de neuf ans. Il a été élu une première fois à l'Assemblée législative de la Saskatchewan en 1986, puis a été réélu en 1991, 1995, 1999 et de nouveau en 2003. Le 21 novembre 2003, Harry Van Mulligen a été nommé ministre des Finances, leader parlementaire du gouvernement et ministre responsable de SaskEnergy. Il a précédemment occupé les portefeuilles de ministre des Services sociaux, ministre responsable de la Condition des personnes handicapées et ministre responsable de la Condition des personnes âgées. Il a également servi l'assemblée législative comme président du Comité des comptes publics et président du Comité des sociétés d'État. Je lui souhaite chaleureusement la bienvenue. Lui et moi avons eu l'occasion de parler longuement de ce comité il y a tout juste une semaine, lorsque je me trouvais en Saskatchewan pour prononcer un discours.
L'honorable Harry Van Mulligen, ministre des Finances, gouvernement de la Saskatchewan : Avant de commencer, j'aimerais porter à votre attention la présence non seulement de mon sous-ministre, M. Ron Styles, qui se trouve à mes côtés, mais aussi celle, derrière moi, de M. Ken Cheveldayoff. M. Cheveldayoff est membre de l'Assemblée législative de la Saskatchewan, représentant la circonscription de Saskatoon Silver Springs. Il est le critique des finances de l'opposition et il se joint à moi aujourd'hui pour bien manifester que les positions que je vais exprimer aujourd'hui ont le soutien des deux côtés de l'Assemblée législative de la Saskatchewan. C'est la raison de sa présence aujourd'hui — non pas que nous ayons besoin de lui, car l'assemblée est en session, mais parce qu'il veut manifester sa solidarité.
Je vous remercie de votre invitation à présenter les vues du gouvernement de la Saskatchewan sur le projet de loi C- 24 et, plus généralement, sur les événements récents qui vont façonner l'avenir du programme de péréquation.
La Saskatchewan est en faveur de l'adoption du projet de loi C-24. Il s'agit d'une mesure importante qui assure un financement provisoire aux provinces en attendant la révision du programme de péréquation. Il importe également que la Sanction royale intervienne avant la fin de l'exercice 2004-2005 afin que les provinces puissent porter ces revenus au compte de l'année en cours. Je m'étendrai ultérieurement sur les répercussions financières du projet de loi C-24 pour la Saskatchewan.
Je veux tout d'abord saisir cette occasion pour faire part au comité des vues de notre province sur le programme de péréquation existant et sur la manière dont il conviendrait de le réformer. Le programme de péréquation canadien a connu quantité de tours et détours depuis sa création en 1957. Il a commencé avec des règles simples, ne prenant en compte que trois sources de revenus provinciaux et fondant l'admissibilité sur deux provinces seulement. Mais, avec chaque renouvellement quinquennal successif, la péréquation est devenue plus compliquée, pour aboutir au programme actuel qui est un labyrinthe complexe de formules, de calculs, d'approximations et d'ajustements que seule une petite poignée d'administrateurs et de spécialistes comprennent pleinement.
Le programme de péréquation manque de transparence, ce qui fait que ce programme fédéral de 10,9 milliards de dollars souffre d'un déficit de confiance dans le public. Le programme actuel n'améliore pas la stabilité des finances provinciales, contrairement à son objectif affiché, et est insensible à l'évolution de la situation financière des provinces. Il est comme une vieille voiture qui a connu de meilleurs jours et qui ne roulera plus jamais comme une neuve en dépit de toutes les réparations et travaux d'entretien.
Comme vous le savez, la péréquation est renouvelée tous les cinq ans. À chaque renouvellement, le programme fait l'objet d'une série d'ajustements. Avec le passage du temps, des couches et des couches d'ajustements se sont superposées, chacun transformant la façon dont le programme de péréquation tente de réaliser le principe fondamental qu'il sous-tend, soit de permettre aux provinces d'assurer des niveaux comparables de services publics avec des niveaux d'imposition comparables.
Nous avons également un programme qui tente de concilier les impératifs politiques et financiers du gouvernement fédéral. Cela a entamé la capacité du programme actuel à mesurer efficacement les disparités financières entre les provinces canadiennes. Cette réalité s'est traduite par une modification majeure du programme de péréquation en 1982, lorsque le gouvernement fédéral a décidé d'englober pleinement dans la formule les revenus provenant des ressources non renouvelables et de passer à une norme de cinq provinces qui excluait l'Alberta, le plus gros producteur d'énergie du pays.
Ces changements ont été introduits principalement dans le but de contrôler le coût de la péréquation pour le gouvernement fédéral et d'assurer que l'Ontario ne soit jamais admissible à en bénéficier. Cependant, ils ont infligé également des dommages collatéraux à la Saskatchewan, car nous avons vu baisser considérablement le rendement net de l'exploitation énergétique, une fois pris en compte l'effet négatif sur la péréquation. Certaines années, cet effet sur la péréquation, qualifié également d'effet de récupération, l'emporte sur les redevances énergétiques perçues par la Saskatchewan, donnant donc lieu à un manque à gagner net pour notre province.
Pour illustrer la situation, le taux de récupération des revenus énergétiques de la Saskatchewan en 1981-1982 était de 30 p. 100, ce qui laissait à notre province 70 p. 100 de ses revenus énergétiques disponibles pour réinvestissement. En 2001-2002, le taux de récupération a été de 103 p. 100. Cela signifie que l'exploitation de l'énergie non renouvelable de la Saskatchewan a eu pour la province un rendement financier négatif.
Une deuxième modification majeure de la péréquation, introduite en 1999, a été la fusion de quatre assiettes fiscales minières en une seule, dans l'intérêt de la simplicité et pour introduire le concept de rente économique dans cette catégorie de revenu. Ce changement a été imposé en dépit des réserves provinciales quant à la qualité des données et à l'opportunité du concept de rente économique, lequel ignore à toutes fins pratiques les redevances minières réellement perçues par les provinces.
Ce changement a eu des résultats très négatifs pour la Saskatchewan. Le secteur minier de la Saskatchewan représente environ 15 p. 100 de toute l'activité minière canadienne, mais le nouveau calcul fédéral de la péréquation minière attribue à la Saskatchewan environ 40 p. 100 de l'assiette fiscale minière canadienne. D'autres provinces, qui ont des secteurs miniers très importants, sont comptabilisées comme n'ayant que peu ou pas d'assiette fiscale minière. Cela engendre un traitement inéquitable et illogique de la Saskatchewan.
En 1985 et 1986, respectivement, le gouvernement fédéral a consenti à Terre-Neuve-et-Labrador et à la Nouvelle- Écosse des accords sur l'énergie extracôtière dans le but d'aider ces provinces à mettre en valeur ces ressources énergétiques. Le gouvernement fédéral les a aidées en outre en instaurant des catégories de revenu distinctes pour les revenus énergétiques extracôtiers dans la formule de péréquation, garantissant qu'elles conserveraient au minimum 30 p. 100 de leurs revenus énergétiques après récupération, et généralement beaucoup plus. La Saskatchewan fait valoir de longue date que les taux de récupération élevés des revenus énergétiques de la Saskatchewan sont injustes. Cependant, ce n'est qu'après la publication récente d'un article du professeur Tom Courchene intitulé « Confiscatory Equalization : The Intriguing Case of Saskatchewan's Vanishing Energy Revenues » que le gouvernement a commencé à réagir aux préoccupations de la Saskatchewan. Le ministre fédéral des Finances, c'est à son crédit, a accordé à la Saskatchewan une certaine compensation pour les taux de récupération excessifs d'exercices antérieurs. En outre, dans le cadre du projet de loi C-24, la Saskatchewan touchera un paiement de péréquation final pour 2004-2005 beaucoup plus élevé que celui qu'auraient produit les données et calculs normaux. Nous en sommes reconnaissants.
Nous sommes en faveur du projet de loi C-24 pour cette raison. Cependant, je tiens également à exprimer une préoccupation au sujet du calcul du paiement de péréquation final 2005-2006. Le paiement auquel la Saskatchewan aura droit l'an prochain sera de 82 millions de dollars, un montant très faible comparé aux années antérieures. C'est le résultat de deux facteurs : la décision fédérale de ne considérer que les paiements des trois dernières années pour déterminer les parts respectives et le maintien de taux de récupération des revenus énergétiques de la Saskatchewan qui avoisinent 100 p. 100. Notre gouvernement craint que si les prix de l'énergie retombent à des niveaux plus traditionnels l'an prochain, nous n'aurons plus de protection par la péréquation. Alors que d'autres provinces admissibles à un paiement pour 2005-2006 peuvent déplorer elles aussi la nature fixe des arrangements pour cet exercice, aucune autre ne court un risque aussi important du fait de la volatilité des cours internationaux et aucune ne commence l'exercice avec un montant de péréquation aussi faible.
Bien que la Saskatchewan apprécie les gestes du ministre Goodale jusqu'à présent, nous sommes inquiets devant le risque que nous courons en 2005-2006. Nous voulons également faire remarquer que le versement d'un paiement forfaitaire à la Saskatchewan en compensation de taux de récupération élevés dans le passé est peu de chose comparé à ce que nos amis de l'Atlantique ont touché au titre de leurs arrangements spéciaux pour l'exploitation d'énergie extracôtière. Une analyse fédérale récente a déterminé que Terre-Neuve-et-Labrador a conservé plus de 100 p. 100 de ses revenus énergétiques extracôtiers au cours de la période 1999-2000 à 2003-2004. Au cours de cette même période, la Saskatchewan a conservé moins de 10 p. 100. Pour exprimer les choses différemment, si nous avions conservé 100 p. 100 de nos revenus énergétiques au cours des dix dernières années lorsque nous étions admissibles à la péréquation, la Saskatchewan aurait touché plus de 4 milliards de dollars de transferts fédéraux supplémentaires.
Nous apprenons aujourd'hui la signature de nouveaux accords sur l'énergie extracôtière qui garantiront que Terre- Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse conserveront 100 p. 100 des revenus de l'énergie extracôtière, ce qui leur rapportera respectivement 2,6 et 1,1 milliard de dollars au cours des huit prochaines années. Ces paiements s'ajouteront aux avantages financiers substantiels en vertu des anciens accords sur l'énergie extracôtière qui sont maintenus. Ces nouveaux accords pourront également être prolongés pour huit années de plus, amplifiant encore les avantages offerts à ces provinces.
Je ne critique pas ces arrangements ou accords. Au contraire, je les salue, car ils reconnaissent que les revenus de ressources non renouvelables sont de durée limitée et doivent être conservés par les propriétaires provinciaux légitimes de ces ressources afin qu'ils puissent renforcer leur économie. Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse ont maintenant une merveilleuse occasion de réinvestir ces revenus ponctuels et parvenir à un niveau d'autosuffisance que n'autoriserait pas autrement le programme de péréquation existant. Notre gouvernement demande la même chose.
Depuis 1982, la plus grande partie du rendement financier provenant de l'extraction de ressources non renouvelables a quitté la province par le biais de la péréquation, alors que nous continuons à subir le coût élevé de la gestion et de la réglementation de ce secteur de notre économie. Nous devons assurer également que nos régimes de redevance et d'imposition soient compétitifs, de manière à encourager la prospection et la mise en valeur des richesses minières de la province. Ce n'est pas un mince défi, face à notre principal concurrent, notre voisin de l'ouest, qui n'est pas touché par les récupérations de péréquation.
Je vous rappelle le taux de récupération de 103 p. 100 que la Saskatchewan a subi en 2001-2002 et nous vous demandons comment la province est censée gérer son secteur énergétique et soutenir la concurrence de l'Alberta, avec son abondance de richesses naturelles. Nous demandons la même chose que Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle- Écosse. Laissez-nous réinvestir dans notre province les revenus de l'exploitation énergétique. Ne les traitez pas comme tous les autres revenus, car il existe une différence fondamentale entre des ressources non renouvelables dont la valeur disparaît à jamais une fois qu'elles sont extraites du sol et d'autres sources de revenus étatiques qui se perpétuent. C'est un principe qui a été entériné dans les nouveaux accords sur l'énergie extracôtière. Il faudrait l'appliquer équitablement à toutes les régions de notre pays.
Le conseil donné par le ministre fédéral des Finances à la Saskatchewan est d'attendre que le groupe d'experts désigné par le gouvernement fédéral se prononce sur le traitement des revenus des richesses naturelles aux fins de la péréquation. Nous interviendrons certes activement auprès de ce groupe et lui expliquerons nos nombreuses doléances à l'égard du programme actuel, mais nous demandons s'il est bien équitable de conclure de nouveaux accords énergétiques avec une région du Canada avant les délibérations du groupe et de dire à une autre région d'attendre celles-ci.
La Saskatchewan considère la péréquation comme un important outil pour remédier aux disparités financières entre les provinces. Cependant, la Saskatchewan considère le programme actuel comme incapable de remplir l'engagement constitutionnel fédéral de faire en sorte que toutes les provinces puissent offrir des niveaux de services publics raisonnablement comparables à des niveaux raisonnablement comparables d'imposition.
Il conviendrait de réformer le programme en deux étapes. Premièrement, la Saskatchewan devrait bénéficier de la même possibilité que le Canada atlantique de conserver l'intégralité de ses revenus de ressources non renouvelables, au moyen de la négociation immédiate d'un accord sur l'énergie de la Saskatchewan. Nous ne voyons absolument aucune raison pour laquelle les revenus énergétiques de différentes provinces seraient traités différemment. On a pu dire que les arrangements spéciaux relatifs à l'énergie extracôtière servent à reconnaître les difficultés financières de ces provinces. J'admets que nos amis de Terre-Neuve-et-Labrador connaissent des problèmes financiers non négligeables et je leur souhaite de parvenir à les surmonter. Cependant, ceux qui souscrivent à ce point de vue devraient comparer la situation économique et financière de notre province avec celle de la Nouvelle-Écosse, particulièrement à la lumière des difficultés que connaît notre agriculture. Si nous sommes moins endettés, cette amélioration récente nous a beaucoup coûté et a exigé un lourd sacrifice de nos citoyens.
D'aucuns disent encore que la mise en valeur de l'énergie extracôtière coûte beaucoup plus cher que celle de l'énergie de l'ouest du Canada. C'est là l'argument rabâché qui valait pour la mise en valeur des gisements pétroliers et gaziers au cours des années 70 et 80, lorsque les forages traditionnels étaient la norme. Aujourd'hui, la prospection et la mise en valeur en Saskatchewan fait appel à des nouvelles techniques d'extraction comme l'injection de gaz carbonique, des méthodes coûteuses que le programme de péréquation actuel a du mal à prendre en compte.
Deuxièmement, il faudrait une étude exhaustive portant et sur le programme de péréquation actuel et sur d'autres façons de remédier aux disparités financières entre provinces canadiennes. Le taux de récupération élevé sur les revenus énergétiques n'est que l'un des nombreux problèmes que notre gouvernement voit dans la méthode du système fiscal représentatif en place depuis presque 50 ans.
Je salue l'engagement du gouvernement fédéral de verser un montant fixe de péréquation de 10,9 milliards de dollars en 2005-2006, avec un facteur de progression de 3,5 p. 100 jusqu'en 2009-2010. Cependant, tout en admettant que c'est là une garantie utile, la conception future du programme de péréquation ne devrait pas être limitée par cette contrainte financière. Il faudrait tout d'abord trouver le meilleur moyen de déterminer les disparités financières interprovinciales puis, sur cette base, le gouvernement fédéral devrait fixer le montant de financement qu'il est prêt à verser pour tenir son engagement constitutionnel. Si le gouvernement fédéral détermine d'abord son engagement financier, et seulement ensuite le moyen de répartir ce montant entre les provinces, on limite la possibilité d'arriver à une juste répartition et on suscite une attitude de chacun pour soi entre les provinces.
Pour conclure, j'estime que le groupe d'experts offre une excellente occasion de réaliser une bonne réforme de la péréquation à condition que ses membres acceptent de mettre en question le statu quo. Je ne serais pas en faveur d'un comité qui s'obnubilerait sur le programme actuel et ignorerait des approches créatives nouvelles. Il faut mettre en place ce groupe le plus vite possible. Les désaccords actuels entre provinces concernant les nominations à ce panel ne devraient pas retarder l'annonce par le gouvernement fédéral des membres qu'il désigne.
Merci. Je me feraiun plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci de cet excellent exposé. Vous avez présenté une argumentation très convaincante et mis en lumière un certain nombre d'éléments frappants.
Une chose que vous n'avez pas évoquée est le fait, cité par un certain nombre d'articles de presse et d'autres écrits, que l'une des raisons pour lesquelles la Saskatchewan est traitée différemment tient à l'existence au Canada de provinces dites nanties, comme l'Alberta et l'Ontario, et de provinces démunies, comme la Nouvelle-Écosse et Terre- Neuve, dans la région atlantique. Or, ces articles disent que la Saskatchewan est maintenant une province nantie. J'aimerais que vous expliquiez aux honorables sénateurs comment vous êtes devenus une province nantie et quels en sont les effets sur la péréquation qui vous est versée.
M. Van Mulligen : Nous sommes une province nantie car nous avons pu remplacer les revenus fédéraux par des revenus de source propre. Nous sommes une province nantie parce que les recettes de nos richesses pétrolières, gazières et autres sont à un niveau tel qu'elles déclenchent l'arrêt des paiements de péréquation. Sur cette base, nous sommes une province nantie. Si cette tendance se poursuit et que les revenus provenant des richesses naturelles restent à un niveau élevé, cela finira par être avantageux pour la Saskatchewan. Mais à court terme, tout ce que nous avons fait a été de remplacer une source de revenu par une autre. Cela ne signifie pas nécessairement que nous soyons sensiblement plus riches. Cela signifie qu'une source de revenu a été remplacée par une autre.
Le président : Donc, le problème réside dans la formule actuelle?
M. Van Mulligen : La question se pose de savoir si les paiements de péréquation doivent être réduits autant qu'ils l'ont été pour la Saskatchewan suite à l'augmentation de nos revenus d'exploitation des ressources. Encore une fois, nous disons qu'il faudrait traiter différemment ces revenus là car les richesses naturelles s'épuisent. Par définition, à l'instant où vous extrayez du pétrole du sol, vous épuisez la ressource. La question qui se pose, si nous substituons simplement nos propres revenus au montant que nous versait Ottawa, que nous aura apporté, en fin de compte, notre patrimoine, notre legs — nos ressources? La population de l'Atlantique se pose la même question que nous.
Le président : Dans votre exposé, vous avez comparé la situation économique et financière du Canada atlantique et de la Nouvelle-Écosse à la vôtre et indiqué que votre endettement est moindre. Quel effet la dette de la Saskatchewan a- t-elle sur la formule?
M. Van Mulligen : Aucun. J'expliquais que les accords de l'Atlantique étaient censément motivés par la situation financière de ces deux provinces, alors que notre situation financière serait meilleure. Je suis certainement d'accord dans le cas de Terre-Neuve-et-Labrador, qui connaît une situation financière difficile, mais je vous invite à regarder de plus près la situation financière d'une province comme la Nouvelle-Écosse il y a dix ans et la nôtre aujourd'hui. Nous, en Saskatchewan, avons pris des décisions difficiles et choisi de réduire notre dette. Cela a imposé des coûts et des sacrifices considérables à la population de la Saskatchewan. Mon collègue qui m'accompagne ne manque pas de nous critiquer à l'assemblée législative pour des niveaux d'imposition qu'il juge excessifs, mais nous les considérons justifiés si nous voulons être en mesure de financer nos programmes et aussi de continuer à rembourser notre dette; c'est cela le sacrifice.
Le sénateur Massicotte : Merci d'être venu à Ottawa pour nous rencontrer. C'est une bonne occasion pour vous de faire notre éducation sur ce projet de loi et d'autres questions connexes. Je comprends votre frustration devant le fait que certaines provinces bénéficient de dispositions particulières concernant l'épuisement des ressources et pas vous. Je ne veux pas entrer dans ce débat sur l'équité et m'en tiendrai plutôt au projet de loi lui-même. Vous dites que pour l'avenir il faudrait probablement exclure les recettes d'exploitation des ressources de la formule de calcul de la capacité de payer, car vous dites que les ressources s'épuisent.
Si l'on pousse l'argument plus loin, vous devez tout de même reconnaître que c'est un avoir. Comment calculeriez- vous sa valeur? Il y a épuisement, mais il y a des revenus ayant une valeur. Tout se déprécie avec le temps. Quel calcul feriez-vous pour tenir compte du facteur dépréciation, en laissant de côté pour l'instant les conditions consenties à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Van Mulligen : Nous prenons pour position que si le gouvernement fédéral estime approprié que ces provinces conservent 100 p. 100 de leurs redevances pétrolières extracôtières, nous devrions être traités de la même façon et conserver 100 p. 100 de nos redevances pétrolières.
L'opportunité d'une formule pour calculer la valeur d'avoirs qui se déprécient est une bonne question. J'espère que le groupe d'experts sur la péréquation s'en saisira et fera des recommandations; autrement dit, s'il n'y aura pas déduction à 100 p. 100 des redevances pétrolières, y a-t-il une autre façon d'établir un montant équitable de revenus de ressources que les provinces peuvent conserver sans que la formule de péréquation ne s'en ressente.
Le sénateur Massicotte : Vous convenez que cet avoir présente une certaine valeur. La question est de savoir si cette valeur doit être chiffrée à 100 p. 100.
L'Institut C.D. Howe a effectué récemment une étude comparative sur l'emploi d'un critère de revenu par opposition à un critère de trésorerie. Avez-vous lu ce rapport? Si oui, que pensez-vous de ses recommandations?
M. Van Mulligen : Je n'ai pas vu cette étude.
Il y a de nombreuses façons d'aborder la péréquation. Notre position est qu'il faut mesurer les disparités entre les provinces et déterminer ce qu'il faut pour les éliminer.
Le sénateur Massicotte : C'est l'objectif du projet de loi.
Certaines provinces parlent beaucoup d'un déséquilibre fiscal, c'est-à-dire du fait que le gouvernement fédéral a une plus grande capacité de générer des recettes que les provinces, proportionnellement à leurs responsabilités respectives. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Van Mulligen : Les provinces ont pour position qu'il existe un déséquilibre fiscal fondamental au Canada. Nous avons commandé une étude sur les principaux domaines de dépenses des gouvernements provinciaux et le rythme d'augmentation de ces dépenses. Comme vous le savez, dans le domaine de la santé, par exemple, les dépenses provinciales ont augmenté à un rythme beaucoup plus rapide que les obligations du gouvernement fédéral.
L'étude a conclu que le déséquilibre entre les provinces et le gouvernement fédéral va continuer à grandir. Je ne puis contester ce raisonnement. Je songe au budget que nous sommes en train de dresser et au rythme d'augmentation des dépenses. Sans dévoiler le contenu de mon budget, je peux vous dire que nous avons du mal à faire face à l'accroissement des besoins que nous constatons dans nos deux grands domaines de responsabilité, la santé et l'éducation. Environ les deux tiers de notre budget vont à la santé et à l'éducation et les besoins dans ces domaines sont énormes. Le budget de la Colombie-Britannique en a fait la démonstration également.
Le sénateur Massicotte : Vous parlez de l'étude du Conference Board of Canada. Il a fait une projection sur les 20 prochaines années et conclu que le gouvernement fédéral aura un excédent et non les provinces. L'étude projette les excédents sur la base d'un ensemble d'hypothèses.
Ce raisonnement comporte une faiblesse, celle d'être fondé sur les assiettes fiscales actuelles. Pendant les années 70 et 80 et au début des années 90, le déséquilibre était dans le sens contraire, les provinces ayant trop d'argent et le gouvernement fédéral pas assez; ce dernier affichait des déficits énormes. Autre problème : si le gouvernement fédéral décide d'aligner ses dépenses militaires ou d'aide à l'étranger sur celles d'autres pays, il n'y aura plus d'excédent. Si nous faisons tout cela, alors l'excédent budgétaire s'évapore. Tout cela est donc ténu. Que répondez-vous à cela?
M. Van Mulligen : La santé est une responsabilité provinciale. Il y a dix ans environ, le gouvernement fédéral contribuait environ 50 p. 100 de tous les coûts de santé au Canada. Aujourd'hui, nonobstant l'accord entre les premiers ministres, il paye moins de la moitié de cela. Dans le domaine de l'éducation postsecondaire également, nous avons assisté à un recul sensible de l'apport du gouvernement fédéral. Or, c'est là aussi une responsabilité croissante pour les provinces.
À mon avis, les disparités dans ces domaines vont continuer à se creuser. Je ne pense pas qu'elles existeraient si le gouvernement fédéral contribuait actuellement 50 p. 100 des dépenses de santé.
Le sénateur Massicotte : Dans son budget actuel, le gouvernement fédéral propose certaines baisses d'impôt dans les prochaines années. Pourquoi les provinces ne percevraient-elles pas cet argent directement auprès des contribuables pour atténuer le déséquilibre fiscal? Il est évident que vos électeurs ne seraient pas ravis, mais pourquoi ne le feriez-vous pas si vous voulez assumer vos responsabilités?
M. Van Mulligen : Nous pensons que c'est la responsabilité du gouvernement fédéral d'assurer l'égalité des chances à toutes les provinces, reconnaissant que différentes provinces ont différentes capacités. Il est donc important d'avoir un programme de péréquation efficace ainsi que des programmes de financement des programmes établis pour toutes les provinces.
Des ajustements peuvent être apportés par le biais du régime d'impôt sur le revenu, mais dans le cas de ma province, étant donné que nous sommes voisins de l'Alberta jouissant de la capacité financière que l'on sait, cela n'irait pas sans difficulté. Le gouvernement fédéral a un rôle important consistant à soutenir les provinces pour assurer ces priorités sociales que tous les Canadiens ont en commun.
Le président : Sénateur Murray, sachez que M. Van Mulligen est bien informé du débat qui s'est déroulé dans notre Chambre sur le projet de loi C-24. Il connaît les questions que vous avez posées et les réponses que vous avez reçues.
Le sénateur Murray : Monsieur le président, le témoin a beaucoup contribué à mon savoir cet après-midi en me remettant une feuille de papier expliquant non seulement ce qu'est du pétrole de troisième rang, mais aussi du pétrole nouveau, du pétrole ancien, du pétrole lourd, du pétrole lourd de troisième rang, du gaz naturel et la vente de concessions publiques.
Je confesse que lorsque je suis intervenu dans le débat en deuxième lecture, je ne savais pas ce qu'est du pétrole de troisième rang. Cependant, je savais que la province se faisait avoir par le gouvernement fédéral à son sujet, et c'était cela la chose importante à savoir et à dire.
Je remercie le témoin de ces renseignements ainsi que d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. M. Van Mulligen a déjà comparu ici sur le sujet de la péréquation. Pardonnez-nous si nous répétons aujourd'hui certaines choses ayant déjà été dites.
J'ai été frappé par votre propos, monsieur Van Mulligen, concernant le groupe d'experts annoncé lors de la réunion des premiers ministres. Ce groupe décidera de la répartition de l'enveloppe de péréquation globale pour les prochaines années, et est censé formuler aussi des recommandations sur un programme de péréquation à plus long terme. Le groupe comportera quatre membres, dont le président, nommé par le gouvernement fédéral, et deux nommés par les provinces. Vous avez dit ici que le désaccord actuel entre les provinces quant aux nominations à ce panel ne devrait pas retarder la désignation par le gouvernement fédéral de ses propres membres.
Vous êtes un politicien d'expérience et connaissez bien les détours des relations financières fédérales-provinciales. Je sais que vous n'êtes pas cynique, mais j'aimerais savoir si vous nourrissez une saine dose de scepticisme quant à ce que peut produire un groupe composé de quatre membres désignés par le gouvernement fédéral et deux désignés par les provinces.
M. Van Mulligen : L'esprit dans lequel le ministre Goodale aborde cette entreprise nous encourage.
Il semble sincèrement convaincu, si j'interprète bien sa pensée, que le programme est trop complexe et défie la compréhension, comme je l'ai moi-même indiqué. Le Conference Board le qualifie d'opaque. Par conséquent, il souhaite une révision de ce programme. En particulier, il demande que le groupe se penche sur les revenus provenant des richesses naturelles et détermine s'il y aurait lieu de les traiter différemment des autres aux fins du calcul de la péréquation.
La création du groupe nous permet d'espérer un regard neuf sur le programme de péréquation et une réflexion sur la façon de répondre aux besoins de toutes les provinces et donc de tous les Canadiens. Nous sommes partisans du groupe.
Le sénateur Murray : Vous voudriez que les quatre membres fédéraux se mettent au travail même en l'absence des membres provinciaux.
M. Van Mulligen : Du fait qu'il existe des provinces bénéficiaires et des provinces non bénéficiaires, que certaines disposent de revenus provenant de ressources et d'autres non, dès qu'elles parlent de péréquation entre elles, elles ont du mal à réaliser l'unanimité. C'est le cas ici. Ma position est que si les provinces ne parviennent pas à s'entendre entre elles sur la désignation de leurs représentants, le groupe devrait se mettre au travail néanmoins.
Il règne également une incertitude au Canada quant à ce que l'avenir nous réserve. Nous devons déjà prévoir certains montants de péréquation pour notre prochain budget. Nous le faisons sur la base du programme existant. Il se pourrait que le groupe préconise des changements. Il ne faudrait pas que ce genre d'incertitude déborde sur un autre exercice encore.
J'espère que ce groupe pourra présenter son rapport au ministre Goodale d'ici la fin novembre, afin que ses recommandations puissent être incorporées non seulement dans ses propres prévisions budgétaires, mais aussi dans celles de toutes les provinces. Je n'aimerais pas voir les choses traîner. Ce ne serait bon pour aucune province.
Le sénateur Murray : J'aimerais cerner le degré de votre mécontentement à l'égard du système actuel. Je vais tenter de le faire de manière directe. Laissant de côté la question d'une norme de cinq provinces ou d'une norme de dix provinces pour le moment, laissant de côté la question de savoir si les ressources non renouvelables devraient faire partie de ce qui est mesuré, la formule de péréquation est essentiellement censée pouvoir mesurer la capacité financière relative sur la base d'un régime fiscal représentatif.
Est-vous disposé à abandonner cela en faveur de quelque système hypothétique — eh bien, pas si hypothétique que cela? Le mandat fédéral du panel fédéral provincial mentionne la possibilité d'une formule macro — PIB, revenus des particuliers, peu importe — ou même d'un système encore plus subjectif où une commission serait chargée chaque année de chiffrer les besoins et de répartir les revenus en conséquence.
La nature du système actuel est de mesurer la capacité fiscale relative selon un régime fiscal représentatif. Voulez- vous conserver cela ou bien l'abandonner?
M. Van Mulligen : Je ne suis pas expert de ces questions. Je m'en remets à la poignée de personnes au Canada qui le sont. Je prends pour position qu'il faudrait peut-être focaliser aussi sur les résultats. On s'est obnubilé jusqu'à présent sur le mécanisme de transfert de la péréquation et peut-être faudrait-il maintenant viser plutôt un résultat clair et compréhensible. Peut-être sera-ce une mesure du revenu disponible des particuliers. Si c'est le cas, alors on pourra effectuer toutes sortes de mesures différentes et différentes disparités fiscales apparaîtront.
J'ai été intrigué par la remarque de M. Courchene voulant que la Saskatchewan s'appauvrisse par rapport aux autres provinces. Comment est-ce possible? Si nous sommes une province nantie, si nous avons nos propres revenus provenant des richesses naturelles — d'autres provinces, comme notre voisin de l'Est, le Manitoba, touchent la péréquation — pourquoi devenons-nous plus pauvres par rapport à d'autres provinces? Peut-être le panel pourrait-il déterminer une mesure fondamentale de la « capacité fiscale ».
Le sénateur Murray : Nous avons reçu ici à plusieurs reprises le professeur Courchene. J'ai lu, comme nous tous je crois, son essai sur la situation de la Saskatchewan. Il ne fait aucun doute que la formule actuelle nous a considérablement désavantagés. J'irais jusqu'à dire qu'elle a engendré une injustice pour vous, manifestement dans le cas des concessions publiques, au titre desquelles vous avez été indemnisés à hauteur de 120 millions de dollars, mais aussi de par la norme des cinq provinces qui fait que vous êtes inclus et l'Alberta est exclu. Nous en avons discuté en deuxième lecture et je ne pense pas que j'ai besoin d'en dire plus à cet égard.
Cela dit, je conviens qu'il faut regarder les résultats. Sans prétendre une minute que le rapport déposé par notre comité il y a quelques années donne la réponse ultime, nous avons examiné qui seraient les gagnants et les perdants avec un certain nombre de nouvelles formules hypothétiques. Nous avons examiné cinq formules macro. Si ma mémoire est bonne, le principal gagnant dans tous les cas était le Trésor fédéral, et ensuite il y avait des gagnants et des perdants parmi les provinces, mais davantage de gagnants que de perdants.
Même si avec plus de recherches et d'imagination on pourrait aboutir à des résultats potentiels différents, nous disions que certains changements devaient être apportés à la formule actuelle mais sans la remplacer par une formule macro et encore moins par une commission de sages, hommes ou femmes, qui sillonneraient le pays chaque année pour évaluer les besoins provinciaux.
Vous semblez dire qu'il faudrait extraire de la formule les ressources non renouvelables, et que si nous avions un système fiscal représentatif, il faudrait les enlever. Nous avons examiné cela et selon une norme de cinq provinces et selon une norme éventuelle de dix provinces. Nous avons dû faire les calculs rétrospectivement. Quelle aurait été la situation dans la période 1994-1995 à 2000-2001? Il est vrai que cela réglerait votre problème. Les plus gros gagnants auraient été la Saskatchewan et presque toutes les autres provinces seraient de grandes perdantes. Toutefois, si l'on garde les ressources non renouvelables dans la formule et que l'on passe à une norme de dix provinces, vous êtes un gros gagnant, mais la plupart des autres provinces gagnent aussi. C'est ce qui nous a amenés à recommander le passage à la norme de dix provinces. La Commission royale Macdonald suggérait il y a une vingtaine d'années de passer à une norme de dix provinces mais en conservant les ressources non renouvelables dans la formule.
M. Van Mulligen : Honorable sénateur, si le gouvernement fédéral avait conservé la norme de dix provinces, vous verriez probablement très peu de récriminations au sujet de la péréquation de la part de quelque province que ce soit.
Le président : Vous seriez sensiblement plus riches.
M. Van Mulligen : Vous entendrez tout à l'heure le ministre Murphy, de l'Île-du-Prince-Édouard et je crois qu'il vous dira la même chose. Je crois que les ministres des Finances de la majorité des provinces sont d'avis que si nous avions une norme de dix provinces, il n'y aurait pas de frictions concernant ce programme entre provinces. C'est également notre avis.
Le sénateur Murray : Vous dites qu'il faudrait mener une étude poussée et du programme de péréquation existant et de façons autres de régler les disparités fiscales interprovinciales au Canada. Je suis pleinement d'accord. Vous et moi en avons déjà parlé. Il faudrait revenir à Rowell-Sirois et créer une commission royale sur les relations financières fédérales-provinciales.
J'ai remarqué que le Toronto Star, qui est un peu une référence pour le gouvernement fédéral actuel, et David Peterson, l'ancien premier ministre de l'Ontario, ont également recommandé cela; et j'ai vu dans l'un des journaux français de ces derniers jours que le premier ministre envisage une commission royale.
Il n'y a pas que la péréquation. Tout un pan de l'opinion critique vivement l'Accord sur la santé — fédéralisme asymétrique, brader la boutique et ne pas imposer suffisamment de conditions, etc. C'est assez aberrant si l'on considère que le gouvernement a amputé sa contribution de 6 ou 7 milliards de dollars en 1995 sur le dos des provinces et qu'un rattrapage s'impose. Quoi qu'il en soit, ce sont là les doléances que l'on entend. Vous avez l'Ontario qui fait cavalier seul, un état de chose très inquiétant chaque fois que cela arrive dans ce pays sur des questions comme celles-ci.
Il y a des précédents. Au cours des années 1960, un comité de la structure fiscale avait été mis sur pied par le premier ministre Pearson et qui se composait du ministre fédéral des Finances, de deux ministres fédéraux et de tous les ministres des Finances provinciaux. Ils ont fait exactement ce que le ministère des Finances aujourd'hui qualifie d'impossible ou d'impensable, soit examiner les projections de croissance des revenus et des responsabilités de dépenses du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux sur une période à peu près prévisible. Ils sont arrivés à la conclusion que les revenus fédéraux continueraient d'augmenter plus vite que les responsabilités de dépenses fédérales et que l'inverse était vrai pour les provinces. Tous les rapports sont là.
Le grand problème alors était l'éducation postsecondaire — toute la génération du baby-boom qu'il fallait éduquer, avec le besoin de construire plus d'établissements, ce genre de choses. Si vous lisez les mémoires de Tom Kent, les mémoires de Gordon Robertson ou ceux de Mitchell Sharp, tous en parlent. L'un d'eux disait que le fédéral a l'argent et que les provinces ont les responsabilités.
Beaucoup de choses ont changé depuis, je suis le premier à en convenir. Cependant, pour calmer les choses, du moins pendant quelque temps, et créer un équilibre plus stable, il nous faut une commission royale publique — ou quelque chose du genre comité de la structure fiscale, si l'on veut — pour se pencher sur toute la problématique des relations financières fédérales-provinciales et tenter de concevoir un régime que nul n'épousera peut-être entièrement mais que tout le monde au moins jugera acceptable.
Le président : Monsieur le ministre, puis-je vous demander de donner une réponse relativement courte. Je sais que vous avez une autre réunion dans 20 minutes et le sénateur Ringuette a aussi quelques questions.
Le sénateur Murray : Vous devriez demander que les provinces aient droit à un nombre de membres égal dans une commission comme celle-ci.
M. Van Mulligen : Lorsque je vois le gouvernement fédéral proposer aujourd'hui d'aider les municipalités — par un arrangement de transfert passant par les provinces, mais néanmoins de verser des crédits fédéraux aux municipalités — lorsqu'on voit le gouvernement fédéral distribuer des bourses pour les études post-secondaires, lorsqu'on voit le gouvernement fédéral s'ingérer d'autres façons dans l'éducation post-secondaire, il faut se demander pourquoi les provinces n'ont pas la capacité financière de faire toutes ces choses qui sont de leur ressort? Pourquoi le gouvernement fédéral s'en mêle-t-il? Il y a là un certain déséquilibre. Je ne sais pas trop comment y remédier, mais je pense qu'il faut le faire.
Le sénateur Ringuette : Je me souviens de vous avoir vu l'an dernier lorsque nous discutions du versement à votre province de 120 millions de dollars à titre de moins-payés, et je vois maintenant que cette année, avec le projet de loi C- 24, la Saskatchewan va recevoir du gouvernement fédéral son plus gros paiement de péréquation jamais. Il s'agit là d'une autre occasion heureuse pour vous.
Pour que les choses soient bien claires dans mon esprit, je me suis reportée à votre déclaration, et je cite :
À titre d'illustration, le taux de récupération de la Saskatchewan pour ses revenus tirés de ressources énergétiques en 1981-1982 était de 30 p. 100, ce qui laissait à la province 70 p. 100 de ses revenus de ressources pour réinvestissement.
Était-ce la première année? Vous tirez des revenus de ressources énergétiques depuis bien avant 1981-1982.
M. Van Mulligen : Je ne pense pas qu'ils auraient été très conséquents avant cela. Ils étaient loin d'être aussi importants qu'ils le sont à l'heure actuelle. En termes absolus, nos produisons vraisemblablement aujourd'hui près de 30 p. 100 de tout le pétrole du Canada. Je devine qu'au début des années 1980, cela aurait été de beaucoup inférieur. Ç'aurait été la période précédant l'introduction de la norme des cinq provinces.
Le sénateur Ringuette : Vous poursuivez en disant :
En 2001-2002, le taux de récupération était de 103 p. 100.
Est-ce là qu'est intervenu le remboursement de 120 millions de dollars du gouvernement fédéral?
M. Van Mulligen : Oui, pour cette année-là et pour de nombreuses années antérieures, pour certaines des catégories de revenus pour lesquelles il était clair que le gouvernement fédéral avait récupéré plus qu'il ne l'aurait dû en vertu du programme. Ils disaient qu'il leur fallait estimer les revenus reçus de cette source alors que dans les faits ce que nous avons reçu était très loin de correspondre à leur estimation.
Le sénateur Ringuette : Et c'est ainsi que ces 120 millions de dollars ont rééquilibré les choses.
M. Van Mulligen : Ils nous ont reversé de l'argent pour cela, mais le programme n'a pas été corrigé pour l'avenir. Nous espérons que ce sera là l'une des choses dont traitera le groupe d'experts.
Le sénateur Ringuette : Vous êtes en train de nous dire que pendant ces 20 et quelques années vous avez eu cet accord en vertu duquel vous conserviez 70 p. 100 de vos revenus provenant de l'exploitation de ressources énergétiques, est-ce bien cela?
M. Van Mulligen : Avec la très petite base de revenu de ce secteur pendant ces années-là, comparativement au genre de base que nous avons aujourd'hui. Nous avons connu une augmentation formidable du développement de notre secteur énergétique depuis.
Le sénateur Ringuette : Y a-t-il encore beaucoup de place pour de la croissance?
M. Van Mulligen : Oui, il existe sans doute certaines réserves qui pourraient être exploitées. Cependant, il me faudrait souligner que ce que l'on relève c'est une augmentation du côté du pétrole lourd, qui ne rapporte pas autant que le pétrole brut léger. Or, environ la moitié de notre pétrole est du pétrole lourd. Ce n'est pas ce que nous voyions au début des années 1980. La nature de ce que nous obtenons a changé.
Le sénateur Ringuette : Je regarde ceci et l'Accord atlantique, qui renferme en gros le même principe, mais qui n'a été négocié qu'en 1988 ou 1989 — plusieurs années après votre accord — et cela correspond donc à votre accord de 1981- 1982.
C'est ce que je lis à travers vos propos.
M. Van Mulligen : Je pense que la question charnière a été le changement survenu en 1982, environ, avec le passage d'une norme pour dix provinces à une norme pour cinq provinces. Cela a eu des conséquences énormes pour la Saskatchewan, et il ressort clairement des accords atlantiques de l'époque que cela a également eu une incidence sur Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse. Pour reconnaître que ces revenus de ressources ne devaient pas être récupérés, le gouvernement fédéral d'alors a signé un accord avec ces deux provinces en 1985 ou 1986 pour leur permettre de conserver certains de leurs revenus en provenance des ressources dans le cadre du programme de péréquation. Nous, nous n'avons jamais eu un tel arrangement.
Le sénateur Ringuette : L'an dernier, lorsque nous discutions d'un projet de loi de péréquation, vous-même ou l'un de vos homologues provinciaux aviez exprimé des inquiétudes au sujet des 33 éléments utilisés pour calculer la formule et ainsi de suite. Je me souviens d'avoir dit que si le gouvernement avait un gâteau de taille fixe à distribuer parmi les provinces, alors les premiers ministres provinciaux pourraient peut-être s'asseoir et s'entendre sur le résultat qu'ils aimeraient voir. Je ne me souviens pas si c'était vous ou un de vos homologues, mais quelqu'un a dit : « Il est exclu que nous puissions jamais nous entendre. S'il vous plaît, ne nous faites pas cela ». Il semble que vous en soyez arrivés au même genre de situation avec le groupe d'experts. Les provinces ont du mal à s'entendre.
M. Van Mulligen : C'est ce que je pense. Certaines provinces reçoivent des paiements de péréquation et d'autres pas, alors ce qui est bien pour l'une ne le sera pas pour une autre. Certaines provinces ont des revenus de ressources, et d'autres pas, et c'est pourquoi il y a, je pense, des désaccords fondamentaux entre provinces.
Le sénateur Ringuette : Je viens du Nouveau-Brunswick, et nous sommes une province sans revenus en provenance de ressources énergétiques, mais nous avons été très heureux de voir les provinces de l'Atlantique avoir la chance de se sortir la tête de l'eau d'ici quelques années. Je vous remercie d'être venu.
Le sénateur Stratton : Je viens du Manitoba, où nous avons toujours bénéficié davantage que la Saskatchewan des paiements de péréquation, et je me suis toujours demandé pourquoi. Maintenant que j'ai lu votre document, je comprends pourquoi. Pourquoi êtes-vous si poli? D'après ce document, vous vous trouvez depuis longtemps avec le plus petit bout du bâton. Vous continuez d'être poli. Vos négociations donnent-elles quelque chose? Bon sang, avec tout ce que vous venez de nous exposer, vous avez un dossier solide en faveur de correctifs majeurs.
M. Van Mulligen : Nous faisons appel à ce que nous considérons comme étant des qualités fondamentalement canadiennes, soit la justice l'équité. Nous croyons qu'en bout de ligne ces qualités l'emporteront.
Le sénateur Stratton : Vous n'allez donc pas enlever de drapeaux.
M. Van Mulligen : Non, pas du tout. Je dirais même, sur une note personnelle, que mes premières images du Canada lorsque je suis arrivé ici des Pays-Bas il y a si longtemps de cela étaient de Terre-Neuve et du Labrador, alors cette province a toujours représenté le pays pour moi. Je suis heureux de voir que ces gens ont reçu de l'aide face aux défis qu'ils doivent relever, mais je crois que ce pays est fondé sur la justice et l'équité.
Le sénateur Stratton : Combien de temps cela va-t-il demander selon vous?
M. Van Mulligen : Le temps qu'il faudra.
Le sénateur Stratton : Si j'étais vous, je commencerais à manquer sérieusement de patience, car cela dure en effet depuis bien longtemps. Si vous déclarez ici en public « le temps qu'il faudra », alors c'est le temps que cela prendra selon moi.
M. Van Mulligen : Nous saisirons toutes les occasions qui s'offrent à nous pour exposer notre situation aux Canadiens. Nous le ferons dans le courant de l'année à venir. Nous croyons que le groupe d'experts sera utile s'agissant d'attirer l'attention des gens sur ces questions.
Le sénateur Stratton : Selon moi, l'Alberta est toujours sur les lignes de front et au centre de ce que l'on appelle le « dénigrement du fédéral ». J'aurais pensé que ce serait au tour de la Saskatchewan d'assumer ce rôle.
M. Van Mulligen : Ce n'est pas dans notre nature de faire cela.
Le sénateur Stratton : Je vous soumettrai que cela devrait peut-être faire partie de votre nature si vous n'obtenez pas de solution sous peu.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Comme d'habitude, cela a été un réel plaisir pour nous de vous accueillir devant le comité. Vos observations sont toujours percutantes, informatives, voire convaincantes. Nous envisageons avec plaisir de vous ravoir parmi nous à nouveau. Nous tiendrons compte des propos que vous nous avez tenus dans le cadre de notre examen du projet de loi C-24. Merci beaucoup.
M. Van Mulligen : Je remercie les sénateurs de leur intérêt, et pas seulement celui manifesté aujourd'hui. Ayant lu la transcription de vos délibérations, je sais que vous portez un grand intérêt à cette question et nous vous félicitons du travail que vous faites.
Le président : Honorables sénateurs, notre deuxième groupe de témoins nous vient du gouvernement de l'Île-du- Prince-Édouard. L'honorable Mitch Murphy a servi dans de nombreux portefeuilles depuis 1996, y compris affaires communautaires et procureur général, affaires francophones et des Acadiens, leader du gouvernement en Chambre, technologie et environnement, et agriculture et foresterie. Suite aux élections provinciales générales du 29 septembre 2003, M. Murphy a été renommé au Cabinet en tant que trésorier provincial. Comme le savent les honorables sénateurs, nous étudions le projet de loi C-24 et nous envisageons avec plaisir d'entendre les propos de M. Murphy. Suite à son exposé, les honorables sénateurs auront l'occasion de poser des questions. Bienvenue. Vous avez maintenant la parole.
L'honorable Mitchell Murphy, trésorier provincial, gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard : Honorables sénateurs, je vous remercie de l'invitation à venir comparaître devant le comité au sujet d'une question qui est très importante pour l'Île-du-Prince-Édouard et d'ailleurs pour le pays tout entier. Je sais que vous étudiez le projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, et nous aimerions contribuer certaines idées à votre étude et d'autres encore au sujet des arrangements fiscaux entre le fédéral et les provinces, notamment en ce qui concerne la péréquation.
Le Sénat du Canada a à plusieurs occasions effectué des analyses du programme de péréquation, et il a toujours été un farouche défenseur de ce programme.
La péréquation est l'une des caractéristiques qui définit la fédération canadienne. Elle reconnaît la vaste étendue de notre pays et cherche à faire bénéficier à toutes les régions la richesse de la fédération en faisant en sorte que les Canadiens jouissent de niveaux relativement comparables de services publics à des niveaux relativement comparables d'imposition.
La péréquation a subi un certain nombre de changements de programme depuis son établissement en 1957, dont l'ajout d'un certain nombre de bases de revenus au calcul, l'introduction d'une norme pour dix provinces puis d'une norme pour cinq provinces, ainsi que son enchâssement dans la Constitution canadienne. Et nous avons aujourd'hui la récente annonce du ministre Goodale de la réforme la plus exhaustive du programme jamais entreprise dans ses 47 années d'histoire.
Je suis ici aujourd'hui parce que l'Île-du-Prince-Édouard s'inquiète de ce vers quoi nous sommes peut-être en train de tendre avec la péréquation. J'ai comparu devant le comité ici réuni au printemps 2004 pour discuter du renouveau de la péréquation. Le gouvernement fédéral nous avait dit à l'époque que la péréquation telle que nous la connaissions allait être renouvelée pour cinq années supplémentaires. Par la suite, comme le savent les sénateurs, les discussions au sujet du programme ont pris un autre chemin. Les paiements ont été fixés pour les exercices financiers 2004-2005 et 2005-2006, avec un facteur de progression suggéré de 3,5 p. 100 jusqu'en 2009. La capacité fiscale a été largement mise de côté et un financement par tête d'habitant a pour la toute première fois été introduit pour les 50 p. 100 du rajustement au-dessus du seuil. Un comité d'experts fédéral a été réuni et chargé de faire des recommandations pour 2006-2007 et au-delà.
Dans l'intervalle, un certain nombre de considérations spéciales au sein du système de péréquation ont été consenties à certaines provinces, allant de l'inclusion des provinces riches aux arrangements de 2005-2006 à des concessions en matière de taxes foncières en passant par des accords pour activités au large des côtes.
Le mémoire qui vous a été fourni montre comment ces éléments viendront accroître l'écart sur le plan capacité fiscale pour une province comme l'Île-du-Prince-Édouard dans le contexte de la péréquation. Je ne suis pas ici pour critiquer ce qui s'est passé dans d'autres provinces, mais pour vous fournir des renseignements sur l'incidence que cela aura sur la capacité fiscale et les disparités fiscales dans le pays. Nous sommes tout particulièrement préoccupés par le virage potentiel vers une approche macro et la suppression des calculs en matière de péréquation des revenus en provenance de ressources non renouvelables. Le Sénat a fait très clairement ressortir les écueils de l'approche macro. Certaines provinces sont en train de réclamer la suppression des revenus en provenance de ressources naturelles non renouvelables, et il y a là tout un mouvement en cours. Or, cela, en l'absence d'un mécanisme pour traiter des provinces qui ne sont pas dotées de ressources non renouvelables, détruirait l'équité prévue au paragraphe 36(2) de la Constitution.
Je dirais, en guise de conclusion à mes remarques liminaires, que je crois que les principes de la péréquation ont déraillé par rapport à leur objet original et qu'il nous faut les remettre d'aplomb, non seulement dans le contexte des provinces récipiendaires, mais également dans celui du fédéralisme canadien. Sur une échelle plus générale, il nous faut une reconnaissance du déséquilibre fiscal qui existe dans ce pays entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je me ferais un plaisir de discuter avec vous de différents points soulevés dans mon mémoire et de répondre aux questions que vous voudrez me poser. Je n'entends pas vous lire textuellement mon mémoire, mais j'aimerais, monsieur le président, si vous me le permettez, en faire ressortir quelques- uns des points saillants.
Prenons donc le document à la page 3, le Contexte. Suivant la rencontre des premiers ministres en septembre, le gouvernement a annoncé dans son discours du Trône que le programme de péréquation allait subir une réforme en profondeur. Cela a été suivi par une réunion des premiers ministres tenue l'automne dernier et au cours de laquelle la série de réformes a été discutée. Lors de ces discussions, les représentants du ministre fédéral des Finances ont clairement indiqué que le programme de péréquation était du ressort fédéral et que leur obligation se limitait à consulter les provinces, et non à recevoir forcément leur approbation. Le Sénat ne devrait aucunement conclure que nous avons consenti à ces réformes fondamentales pour 2004-2005 et 2005-2006.
Nous passons maintenant à la page 4. Je ne pense pas que les provinces cherchaient un remaniement en profondeur du programme.
Page 5. Dans la foulée des accords sur les revenus extracôtiers qui ont été négociés, j'estime que le gouvernement ouvre ici la porte à de profondes disparités fiscales entre les provinces. Le projet de loi C-24 représente un changement énorme au programme de péréquation. En gros, les droits à péréquation ne seront plus calculés selon une formule établie fondée sur le régime fiscal représentatif, qui constituait le cœur du système canadien de péréquation. Le projet de loi lui-même prévoit un supplément à la deuxième estimation de 2004-2005, tel que convenu par les premiers ministres en septembre. Les premiers ministres avaient été soulagées de voir que cela mettait fin à l'érosion de leur droit à péréquation, mais ils ont toutefois été déçus du fait que le montant entier de 10,9 milliards de dollars ne leur serait pas versé en 2004-2005. Le projet de loi précise les montants que recevront les provinces en 2005-2006, montants encore une fois basés sur la euxième estimation de 2004-2005, soit 8,9 milliards de dollars, et augmentée jusqu'à 10,9 milliards de dollars. Le projet de loi prévoit ensuite qu'au cours des années suivantes, ces montants ainsi que chacune des allocations provinciales 2005-2006 seront majorées de 3,5 p. 100 par année. Les montants en question sont indiqués dans le tableau à la page suivante.
Le tableau à la page 7 donne simplement les résultats des accords des premiers ministres en matière de péréquation de l'automne dernier et les paiements que toucheront chacune des provinces bénéficiaires.
Ce qui n'est pas prévu dans le projet de loi est la nomination d'un groupe d'experts chargé de formuler des recommandations plus tard en 2005. Je pense que le ministre Van Mulligen a indiqué que le délai que vise le ministre Goodale serait fin novembre ou début décembre. Ce groupe d'experts formulera des recommandations sur les allocations provinciales des années à venir, y compris en ce qui concerne le régime fiscal représentatif ou RFR, le traitement des ressources naturelles, les approches macro, etc. Ce faisant, le groupe aura également à déterminer s'il serait opportun de nommer un groupe d'experts permanent chargé d'examiner la péréquation. Je ne pense pas que les provinces aient jamais consenti à ce que l'on puisse apporter de tels changements majeurs au programme.
Nous sommes très préoccupés par les retombées possibles d'un nouvel arrangement en matière de péréquation. L'unique façon d'ajuster le programme aux fluctuations dans la situation économique et fiscale des provinces consistera à modifier la loi. Je crois que les droits à péréquation des provinces deviendront alors un processus de nature politique. Le principal problème que nous voyons est que le montant total des versements de péréquation devrait être déterminé par la somme des montants nécessaires pour équilibrer la capacité fiscale des provinces dont on a mesuré l'insuffisance fiscale. Si le versement est prédéterminé, la compensation accordée aux provinces ne pourra pas répondre à leurs besoins réels. Certaines provinces pourraient recevoir des paiements de péréquation même si elles n'y auraient normalement pas droit sous le régime de la norme des dix provinces ou des cinq provinces.
Les changements qui affectent une grosse province, comme le Québec, ont automatiquement de lourdes conséquences sur les provinces plus petites. Étant donné qu'il s'agit d'un jeu à somme nulle, le calcul des allocations ne donnera pas lieu à une compensation équitable pour les besoins mesurés. Nous ne sommes pas en faveur de l'abandon d'un régime fiscal représentatif en faveur d'une approche macro. Nous croyons que la formule du RFR avait pour objet de niveler toutes les provinces bénéficiaires à la hausse lorsqu'on les mesure en fonction du nombre d'habitants. Ceux qui préconisent la simplification de la formule macro tendraient à balayer le vieux système, fondé sur le RFR, pour favoriser les provinces riches en ressources.
Comme en témoignent ses travaux de 2002, le comité sénatorial comprend les distorsions qu'entraîne la formule macro et sait qu'elle peut donner lieu à de généreux droits de péréquation pour les provinces riches en ressources. Plusieurs modifications apportées en 2004 favorisent nettement les provinces riches en ressources. Le nouveau projet de loi aggrave encore ce problème en permettant que certaines provinces soient traitées différemment au moment du calcul du paiement. Nous nous inquiétons vivement de ce que le gouvernement fédéral soit prêt à accorder un traitement spécial aux provinces riches en ressources, et à l'intérieur du programme de péréquation et à l'extérieur de celui-ci.
En janvier 2005, le premier ministre a acquiescé à la demande des premiers ministres de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse, qui exigeaient que les pertes subies par leurs provinces au titre de la péréquation soient compensées en totalité au cours des huit prochaines années, et il y une possibilité de prolongation pour huit années encore. Le tableau à la page suivante fait ressortir les importantes inégalités créées par cette décision et par les nouveaux arrangements fiscaux. Encore une fois, je ne suis pas ici pour critiquer ces ententes. Nous avons inclus ce tableau dans le seul but de vous montrer les effets sur la capacité fiscale des provinces.
Le tableau indique la situation que connaîtra vraisemblablement Terre-Neuve en 2006-2007.
Pour que l'Île-du-Prince-Édouard atteigne le niveau de la capacité fiscale de Terre-Neuve en 2006-2007, il faudrait que nos paiements de péréquation soient augmentés de quelque 350 millions de dollars par an. Je soulignerais par ailleurs que la norme des cinq provinces exclut du calcul l'Alberta et Terre-Neuve, ce qui abaisse artificiellement la norme, pénalisant encore davantage les provinces bénéficiaires de paiements de péréquation...
Pour ce qui est des accords sur l'exploitation des ressources extracôtières:
La situation telle que nous la voyons est qu'il serait injuste pour les contribuables des autres provinces de prévoir un traitement encore plus généreux des recettes extracôtières dans le calcul de la péréquation —
Cela aurait pour effet de défavoriser les provinces qui ont peu de ressources naturelles par rapport à celles qui en ont beaucoup.
C'est là une déclaration faite par le gouvernement du Canada, et nous continuons d'appuyer la position adoptée à l'époque par le gouvernement du Canada.
Les accords sur l'exploitation des ressources extracôtières auront sur le projet de loi C-24 des répercussions qui ne sont peut-être pas encore entièrement comprises. Étant donné la nature politique des allocations futures, il est à prévoir que le gouvernement fédéral soit réticent à effectuer les réaffectations nécessaires à l'intérieur de la formule. Nous pensons que le résultat de la nouvelle formule sera que la volonté du gouvernement fédéral d'envisager le remplacement du régime fiscal représentatif s'expliquerait par un besoin de réduire le niveau des réaffectations dans le nouveau régime. Si la formule ne tient pas dûment compte de la véritable capacité fiscale des provinces, alors les rajustements devant être apportés aux droits ne seront tout simplement pas effectués et le coût des compensations au titre des ressources extracôtières s'en trouvera réduit.
Cependant, les recettes tirées de l'exploitation de ressources procurent d'énormes avantages aux provinces comme l'Alberta, comme l'illustre le tableau suivant, et je ne pense pas que cela puisse être passé sous silence. Ce tableau montre ce que produirait le régime fiscal dans l'Alberta comparativement à l'assiette fiscale de chacune des autres provinces. Ces chiffres correspondent à l'exercice financier 2004-2005. L'absence de taxe de vente et les taux de taxation inférieurs ne généreraient que 28 p. 100 des revenus provinciaux à l'Île-du-Prince-Édouard. Pour dire les choses autrement, si l'Île-du-Prince-Édouard était aujourd'hui dotée du régime fiscal de l'Alberta, nous perdrions 211 millions de dollars en revenu, et la situation des autres provinces vous est ici présentée également. Or, nous savons que les dépenses de l'Alberta au titre de programmes sont quelque peu supérieures à la moyenne nationale. L'Alberta connaît également une position enviable du fait qu'elle affiche un surplus. La principale raison à cela se sont ses revenus en provenance de ressources naturelles auxquelles il faut ajouter les revenus plus élevés des Albertains.
Je ne pense pas que ce soit par hasard qu'après les réunions d'octobre dernier certaines provinces se soient retrouvées dans une meilleure situation fiscale et donc mieux en mesure d'être concurrentielles, en tout cas sur les plans régime de taxe de vente, incitatifs pour l'entreprise, etc. Ce que je veux dire par là c'est que le programme de péréquation a des conséquences qui s'étendent bien au-delà du simple fait qu'un montant donné soit transféré à une province ou à une autre. Le programme offre aux provinces jouissant d'une capacité fiscale accrue des possibilités qui ne sont certainement pas à la portée de toutes.
Les coûts possibles pour l'Île-du-Prince-Édouard du remplacement du régime fiscal représentatif sont énormes. Nous vous esquissons dans le document, aux fins d'illustration, une situation macro particulière. Dans le cadre d'une macro formule fondée sur le revenu personnel, notre part des 10,9 milliards de dollars serait d'environ 225 millions de dollars, comparativement à 277 millions de dollars en vertu de l'arrangement actuel. Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de balayer carrément l'actuel système de péréquation, mais nous convenons que certains changements sont nécessaires. Nous appuierons bien sûr le processus de changement et y participerons, mais nous demanderions au groupe d'experts fédéral d'agir avec prudence et de bien cerner toutes les ramifications des changements envisagés. L'essentiel pour nous, et, je pense, pour tout le monde, est que la péréquation continue d'offrir à toutes les régions du pays la possibilité de jouir de niveaux relativement comparables de services publics à des niveaux raisonnablement comparables d'imposition.
Nous concluons en faisant ressortir les quatre points que voici : les nouveaux montants de péréquation sont fixés par la loi et il n'existe aucun mécanisme pour modifier les parts des provinces sans abroger la loi. L'abandon du système fiscal représentatif en faveur d'approches macro aurait des effets désastreux sur une province bénéficiaire comme l'Île- du-Prince-Édouard. Le comité sénatorial a vu juste dans son analyse et ses recommandations de 2002.
Nous sommes profondément troublés par l'orientation vers laquelle semble tendre le programme et nous exhortons le comité à user de son influence en tant que Chambre de second examen modéré et réfléchi pour faire en sorte que ce programme essentiel respecte ses principes fondamentaux.
Le président : Merci beaucoup de cet excellent exposé.
Il est clair que vous ne voulez pas voir de refonte ou de changement en profondeur, mais si nous sommes réunis ici aujourd'hui, c'est pour étudier le projet de loi C-24. Je déduis de vos remarques que, nonobstant le fait que les accords extracôtiers puissent avoir des conséquences pour le projet de loi C-24, vous ne demandez pas que de quelconques changements ou modifications soient apportés au projet de loi lui-même.
M. Murphy : Très simplement, moi-même, tout comme le ministre Van Mulligen, avons besoin des revenus supplémentaires qui viendront à l'Île-du-Prince-Édouard par suite de l'accord en matière de péréquation des premiers ministres de l'automne. Nous demanderions au comité d'adopter ce projet de loi. Nous osons espérer que ces transferts seront faits pendant l'exercice financier en cours.
Le président : Au début, lors de votre exposé principal, vous avez fait une déclaration parlante au sujet de laquelle j'aimerais vous interroger. Vous avez dit que tout au long de ces discussions avec le gouvernement fédéral, le ministère fédéral des Finances a souligné que la péréquation est un programme fédéral. Ce n'est pas un programme provincial et les provinces ne le contrôlent pas; il s'agit d'un programme fédéral. Le financement vient principalement du palier fédéral. C'est un programme fédéral et l'obligation du fédéral était de consulter et non pas d'obtenir l'aval des provinces. Cela établit assez bien la position que vous allez vraisemblablement côtoyer lors des négociations.
Lorsque les porte-parole fédéraux ont comparu ici devant le comité, ils ont discuté brièvement du groupe d'experts. Il est clair que ce groupe d'experts aura un pouvoir de consultation et que toute recommandation qu'il fera ne sera que cela. C'est le ministre qui aura le dernier mot quant à ce qu'il acceptera ou rejettera.
En conséquence, jusqu'à quel point comptez-vous sur ce groupe d'experts? Vous sembliez indiquer dans les propos que vous nous avez tenus aujourd'hui que les provinces n'ont jamais accepté cette analyse en profondeur de la péréquation.
M. Murphy : C'est certes là notre perspective. Je ne conteste pas le fait qu'il s'agisse d'un programme fédéral et que le gouvernement fédéral se réserve le droit de prendre les décisions finales en matière d'allocation à l'intérieur du programme. Cependant, il est important que les gens sachent que bien que les provinces puissent donner leur avis et faire des suggestions, en bout de ligne, ce sera le gouvernement fédéral qui décidera.
Le groupe d'experts parcourra le pays et recueillera des opinions. Il nous a déjà contactés pour arranger une réunion afin d'entendre nos vues sur le programme de péréquation et sur ce vers quoi il tend. Je conviens avec vous, monsieur le président, qu'en bout de ligne, ce seront les fonctionnaires au ministère fédéral des Finances, le ministre fédéral des Finances et, tout compte fait, le gouvernement fédéral qui décideront de ce à quoi ressemblera la péréquation en 2006- 2007 et au-delà. Ce qui nous inquiète c'est que les choses aient déjà été plus ou moins fixées pour 2004-2005 et 2005- 2006. Bien que je le puisse, je ne suis pas ici pour contester cela. Ce qui nous préoccupe c'est la péréquation telle que nous l'entrevoyons après l'exercice financier 2005-2006. Je conviendrai certainement avec mon collègue de la Saskatchewan qu'il est important, aux fins de notre planification budgétaire et financière, que nous sachions le plus tôt possible, suite aux recommandations du groupe d'experts fédéral au ministre fédéral, à quoi ressemblera la péréquation, étant donné que nous voudrons tous intégrer cela à nos budgets pour l'exercice financier concerné.
Le sénateur Massicotte : Merci d'avoir pris le temps d'expliquer votre point de vue. Vous l'avez plutôt bien résumé. La loi est acceptable. Les 10,9 milliards de dollars sont pour l'an prochain; vous auriez préféré qu'ils soient pour cette année, soit l'année 2004-2005, mais ce qui vous préoccupe très clairement c'est ce vers quoi nous tendons avec tout cela.
Les objectifs sont clairs — en d'autres termes, prévoir la péréquation — mais vous vous inquiétez quant aux outils techniques que nous utiliserons. Savez-vous quelque chose que nous ignorons? Vous semblez être très méfiant, disant que nous allons dans la mauvaise direction. Pourtant, le groupe d'experts, une fois muni des chiffres, tentera de tracer le chemin le plus équitable. Votre problème est que ce ne sera peut-être pas votre chemin.
M. Murphy : Je crois en effet que nous avons des raisons de nous inquiéter de la direction dans laquelle nous avançons peut-être. Le mandat du groupe d'experts prévoit entre autres l'examen de la question de savoir si les revenus en provenance de ressources non renouvelables devraient être inclus à l'avenir dans le calcul des paiements de péréquation.
Nous avons comme vous le savez une norme des cinq provinces. Toutes les provinces de l'Atlantique ainsi que l'Alberta sont exemptées du calcul de ce niveau national de capacité fiscale. Notre crainte est que, si les revenus en provenance de ressources naturelles non renouvelables sont exclus du calcul, cette norme des cinq provinces diminue, ainsi que la capacité fiscale. Ainsi, l'écart entre la capacité fiscale de provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et le Québec, qui ne tirent pas beaucoup de revenus en provenance de ressources naturelles non renouvelables, et la capacité fiscale nationale rétrécira. En conséquence, la capacité des provinces récipiendaires, qui n'ont pas d'importants revenus en provenance de l'exploitation de ressources non renouvelables, d'assurer des niveaux équitables de services à des taux d'imposition raisonnables s'en trouverait compromise.
Le sénateur Massicotte : Convenons, aux fins de cette discussion, qu'il s'agit d'un atout et d'une forme de revenu. Si vous acceptez l'argument voulant qu'il s'agisse d'un atout qui va s'épuisant, comme c'est le cas de beaucoup d'autres, comment le traiteriez-vous? Historiquement, son traitement a été de l'inclure à 100 p. 100. Existe-t-il une façon plus équitable de le traiter?
M. Murphy : Il est très difficile pour une province d'arguer contre une norme des dix provinces qui inclut les 33 assiettes fiscales faisant partie de la formule actuelle. Nous avons établi une norme nationale qui est inclusive, tenant compte de la capacité fiscale de toutes les provinces. Nous pourrions voir des fluctuations de temps à autre et moi- même et certains de mes collègues avons demandé que l'on tienne compte de la volatilité du programme. Pour être juste envers le ministre Goodale, l'aspect volatilité a certainement été réglé pour 2004-2005 grâce aux paiements fixes. Quant aux autres façons de résoudre le problème de la volatilité à l'avenir, l'inclusion d'une norme des dix provinces avec différentes sources de revenus et l'étalement des rajustements dans le temps est une solution possible que nous avons mise de l'avant.
Le sénateur Massicotte : La presse fait grand état du déséquilibre fiscal. Quelles sont vos idées en la matière et quelle est la solution?
M. Murphy : J'ai accepté en partie l'observation que vous avez faite tout à l'heure lorsque vous discutiez de cette question avec mon collègue de la Saskatchewan. Des initiatives en matière de politique sont prises par tous les paliers de gouvernement. Comme vous l'avez souligné, la capacité fiscale peut augmenter ou diminuer en conséquence. Les analyses du déséquilibre fiscal sont faites sur la base d'un ensemble de chiffres qui reposent sur un ensemble d'hypothèses, comme c'est le cas du travail du Conference Board of Canada. Les sources de revenus du gouvernement fédéral et certaines décisions politiques prises par ce dernier ont été telles qu'il a affiché huit budgets excédentaires successifs, tandis que du côté des provinces, à l'exception notable de l'Alberta, l'on constate une situation de financement déficitaire.
Je considère qu'il existe un déséquilibre fiscal s'agissant des responsabilités en matière d'assurance de niveaux de services. Les gros générateurs de coûts au niveau provincial sont les soins de santé et l'éducation. Je vous dirais, à titre d'exemple, que nos coûts de soins de santé augmentent au rythme d'environ 7 p. 100 par an.
Le président : Et ces coûts représentent quel pourcentage de votre budget d'ensemble?
M. Murphy : Cette année, les soins de santé représenteront 46 p. 100 du budget total, et l'éducation environ 23 p. 100. Ces deux rubriques comptent pour plus des deux tiers de notre budget total.
Le sénateur Massicotte : Dans votre mémoire, vous évoquez le fait que la Colombie-Britannique ait réduit sa taxe de vente. Nous savons que l'Ontario a réduit son taux d'imposition dans les quatre ou cinq années précédant les deux dernières années, et le Québec parle de réductions de l'ordre de 1 milliard de dollars. N'est-il pas contradictoire de dire que le gouvernement fédéral a trop d'argent et que les provinces n'en ont pas assez alors que, bien que ce soit pour de bonnes raisons politiques, l'on constate de telles réductions d'impôt?
M. Murphy : Mes remarques au sujet de l'impôt foncier en Colombie-Britannique visaient le programme de péréquation dans son entier. Je ne suis pas ici pour contester les ententes négociées entre le gouvernement fédéral et d'autres provinces. Cependant, la Colombie-Britannique traite les revenus en provenance des taxes foncières dans le Lower Mainland différemment de la façon dont cela est traité dans le reste du pays. Il me semble que 50 p. 100 des recettes en provenance des taxes foncières sont incluses dans la capacité fiscale de la province. Cela a bien sûr une incidence sur nous car cela influe sur les normes nationales en matière de capacité fiscale. Je ne peux que parler de ma propre situation. Je suppose que je suis quelque peu envieux. J'ai hâte au jour où je pourrai alléger le fardeau fiscal du sénateur Downe et d'autres.
Le sénateur Murray : Le message du gouvernement fédéral relativement au projet de loi C-24 inclut une déclaration voulant que le nouveau cadre rendra plus stables et plus prévisibles les paiements. C'est certainement le cas pour le Trésor fédéral. Le gouvernement fédéral a décidé de la taille du pot pour les dix prochaines années. Mais ce n'est pas plus stable ni plus prévisible pour les provinces, car après l'exercice financier débutant en avril, non seulement vous n'avez aucune idée du montant que vous toucherez, mais vous n'avez pas non plus la moindre idée de ce que sera la formule ou de la façon dont elle sera déterminée.
Le gouvernement dit dans ses communiqués de presse que les provinces bénéficiaires de la péréquation ont exprimé des inquiétudes quant au financement de la péréquation et aux difficultés de planification qu'elles ont vécues au cours des dernières années du fait des grandes variations d'une année sur l'autre dans les paiements de péréquation. Je suppose qu'il y aura avec l'actuelle formule de grandes variations d'une année sur l'autre dans vos paiements de péréquation étant donné que votre capacité fiscale s'améliore ou se détériore en fonction de ce qui se passe dans le reste du pays.
Vous avez suggéré que cette volatilité soit supprimée en commençant par un équilibrage des remboursements qui sont prévus dans le système. Il s'agit je suppose là d'une piste évidente. Vous dites ensuite que la norme des dix provinces réduirait cette volatilité.
Pourquoi la norme des dix provinces serait-elle moins volatile que la norme des cinq provinces?
M. Murphy : Tout d'abord, nous convenons que le fait de faire une moyenne des paiements ou des ajustements de péréquation réglerait dans une large mesure le problème de la volatilité. En ce qui nous concerne, nous avons reçu des rajustements dans les deux sens. Certaines années, nous gagnons un peu, du fait de rajustements de péréquation positifs; d'autres années, nous perdons du fait de rajustements à la baisse.
Dans le temps, ces rajustements ont tendance à s'équilibrer. Nous estimons que le problème de la volatilité pourrait être corrigé de cette façon.
L'adoption d'une norme des dix provinces nous amènerait à tenir compte des économies des dix provinces du pays. Le gros du défi actuel, avec la norme des cinq provinces, est que l'économie de l'Ontario représente, si je ne m'abuse, 40 p. 100 de l'économie nationale. Lorsque l'Ontario compte parmi les cinq provinces utilisées aux fins du calcul, les légères fluctuations dans son économie ont une incidence énorme sur la capacité fiscale nationale. Nous croyons que l'adoption d'une norme des dix provinces étalerait ou contiendrait l'incidence qu'a l'économie de l'Ontario dans le cas d'une norme des cinq provinces.
Le sénateur Murray : Je ne sais trop comment mettre ceci sous forme de question, mais je vais faire un commentaire au sujet de l'inférence du sénateur Massicotte selon laquelle les baisses d'impôt dans une ou deux provinces et la perspective de baisses d'impôt dans une ou deux provinces prouvent l'affirmation par le gouvernement fédéral qu'il n'y a au pays aucun déséquilibre fiscal. Cela prouve au contraire deux choses. Premièrement, outre le déséquilibre fiscal vertical, il y a à l'échelle du pays un déséquilibre horizontal. Deuxièmement, si vous regardez le principal argument employé par le gouvernement fédéral pour nier l'existence voire même la possibilité d'un déséquilibre fiscal, il prétend que les deux paliers de gouvernement ont accès à la quasi totalité des sources de revenu. En d'autres termes, si vous avez besoin d'argent, alors vous êtes invités à augmenter vos impôts. Cela fait ressortir la difficulté que connaîtraient dans un régime fiscal concurrentiel des provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et bien d'autres encore. Si elles se voient obligées d'augmenter les impôts, alors elles deviennent moins concurrentielles par rapport aux autres. Cela ne fait qu'exacerber le déséquilibre horizontal qui existe. Je ne vais pas m'éterniser là-dessus, mais je tiens simplement à dire que je pense qu'il faudrait en tenir compte.
Le président : Monsieur le ministre, aimeriez-vous répondre?
M. Murphy : Je conviens que le déséquilibre fiscal existe sur deux plans, c'est-à-dire verticalement entre paliers de gouvernement, et horizontalement. Une partie de la raison pour laquelle nous avons inclus dans notre mémoire le tableau sur la capacité de taxation de l'Alberta, comparativement à ce que cela donne ailleurs au pays, était justement pour illustrer cela.
Permettez que j'utilise un exemple plus près de nous — les accords extracôtiers. D'après ce que j'ai compris, les paiements au titre de ces accords resteront à l'extérieur du pot de la péréquation. Cependant, comparons-nous à la province de Nouvelle-Écosse. Si la Nouvelle-Écosse a amélioré sa capacité fiscale par ce biais — et c'est le cas, et nous sommes très heureux pour elle — sur le plan pratique, elle va, dans un avenir pas très lointain, entamer des négociations avec, mettons, la société médicale de la Nouvelle-Écosse en vue du renouvellement de contrats. Du fait du traitement différent qui lui aura été réservé, la Nouvelle-Écosse sera peut-être en mesure d'offrir à ses travailleurs de soins de santé des conditions de travail que mon gouvernement ou celui du Nouveau-Brunswick devra concurrencer. Elle sera peut-être en mesure d'avoir un régime fiscal plus concurrentiel sur le plan investissement de l'entreprise privée ou davantage susceptible d'attirer des entreprises dans la province.
Le déséquilibre fiscal horizontal crée des problèmes entre les provinces s'agissant des choses qu'elles peuvent faire.
Pour ce qui est du déséquilibre fiscal vertical entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, il nous faut voir quels sont les inducteurs de coûts dans la prestations de services publics. Comme je l'ai dit plus tôt, pour nous, les générateurs de coûts sont les soins de santé et l'éducation. Nous pourrions remonter l'histoire des arrangements fiscaux fédéraux-provinciaux — choses avec lesquelles je me suis familiarisé au cours des 18 derniers mois — et à une époque, sous le financement des programmes établis en 1977, nous avions presque un partage du coût de ces responsabilités entre les paliers fédéral et provincial. Le partage des coûts s'est érodé avec le temps. On y est dans une certaine mesure revenu lors de la réunion des premiers ministres sur les accords de santé tenue à l'automne, mais c'est loin d'atteindre le niveau historique.
Le sénateur Ringuette : Cela appelle un commentaire. Vous ne devriez pas vous soucier de la possibilité de recruter des infirmières. Notre premier ministre du Nouveau-Brunswick vient tout juste de mettre à pied 350 infirmières. Elles sont disponibles pour travailler et elles ne sont pas loin de l'Île-du-Prince-Édouard.
J'aimerais revenir sur un tableau qui figure dans votre mémoire. Il s'agit d'une comparaison de l'effort fiscal de l'Alberta. Aux fins de cette comparaison, les 100 p. 100 pour l'Alberta comprennent-ils les revenus en provenance de ressources énergétiques non renouvelables?
M. Murphy : Oui.
Le sénateur Ringuette : Comprennent-ils les revenus en provenance de ressources énergétiques non renouvelables des autres provinces?
M. Murphy : Oui.
Le sénateur Ringuette : C'est sur la même base partout?
M. Murphy : Oui.
Le sénateur Ringuette : Vous mentionnez à la page suivante que la Colombie-Britannique a annoncé une réduction de sa taxe de vente de 7,5 à 7 p. 100. Était-ce l'automne dernier?
M. Murphy : Oui, cela est arrivé à l'automne 2004.
Le sénateur Ringuette : J'ai lu dans le journal un commentaire de votre premier ministre provincial selon lequel l'agriculture, qui est la première source de revenus pour l'Île-du-Prince-Édouard, ne devrait peut-être pas être incluse dans le programme de péréquation. Auriez-vous quelque commentaire à faire là-dessus?
M. Murphy : Le premier ministre utilisait une situation hypothétique pour arguer que les revenus en provenance de ressources non renouvelables devraient être inclus dans la formule, ces 33 bases de calcul de nos sources de revenu aux fins de la péréquation. Si le système de péréquation doit combler les disparités fiscales, alors il serait dangereux de commencer à choisir quelles sources de revenu devraient être incluses et lesquelles devraient être exclues.
Nous n'avons pas de revenu de ressources non renouvelables en tant que tel, bien que nous soyons toujours pénalisés pour un montant de l'ordre de 4 millions de dollars par an pour l'exploitation de mousse de tourbe à l'Île-du- Prince-Édouard. Mais c'est là un sujet pour un autre jour.
Le premier ministre voulait simplement illustrer le fait que ce serait comme si nous n'incluions pas les revenus que nous tirons de notre secteur agricole.
Le sénateur Ringuette : Je peux comprendre la position de l'Île-du-Prince-Édouard. Avec une faible population et le fait que le système fonctionne selon une formule par tête d'habitant, il est probablement difficile d'assurer le même niveau de services.
M. Murphy : L'une des choses qui nous préoccupent, et que j'ai soulignée dans ma présentation, est que la péréquation a été fondée sur une formule jusqu'en 2005-2006. Pour la première fois, nous voyons s'immiscer dans la formule de péréquation un financement par tête d'habitant; 50 p. 100 du supplément, si je puis utiliser ce terme, que le gouvernement fédéral a prévu pour 2005-2006, était le résultat de l'application d'une formule. Cela signifie que l'Île-du- Prince-Édouard toucherait 2,57 p. 100 du pot national.
Par tête d'habitant, ce serait 0,8 p. 100. Voilà pourquoi nous sommes inquiets. Nous ne pensons pas que le programme de péréquation doive fonctionner strictement selon une formule par tête d'habitant.
Si la formule est calculée et que la différence sur le plan capacité fiscale est cernée, alors c'est par tête d'habitant. Nous ne disons pas le contraire. Ce que nous disons, c'est que les paiements ne peuvent pas être faits simplement selon une formule par tête d'habitant, car les plus petites provinces comme la nôtre ne pourront jamais gagner dans un tel scénario.
Le sénateur Downe : Je tiens à remercier le ministre de son exposé.
Avant d'en arriver à ma question, j'aimerais parler du déséquilibre fiscal à l'Île-du-Prince-Édouard. Vous avez un budget dont près de 40 p. 100 des revenus proviennent de transferts fédéraux. Votre population n'atteint pas les 140 000 personnes. J'ignore quelle est la dette de la province.
M. Murphy : Elle est de 1,2 milliard de dollars.
Le sénateur Downe : Cela inclut-il le passif non capitalisé pour le régime de pension des enseignants?
M. Murphy : Non, la dette nette est de 1,2 milliard de dollars. La dette portant intérêt se chiffre à environ 1,8 milliard de dollars.
Le sénateur Downe : C'est beaucoup d'argent, et vous avez une population qui compte un pourcentage élevé de personnes âgées qui non seulement paient moins d'impôts mais consument une part disproportionnée des budgets de soins de santé de la province. Vous avez le droit d'être inquiet. Si vos cheveux n'étaient pas déjà gris, ils le seraient une fois ce travail terminé.
J'aimerais discuter du groupe d'experts qui a été créé. Vous avez dit dans votre présentation que la province aurait reçu des indications selon lesquelles celui-ci doit se rendre dans l'Île-du-Prince-Édouard. Les membres du groupe d'experts ont-ils été nommés?
M. Murphy : Nous avons reçu vendredi de la correspondance selon laquelle ils aimeraient organiser une réunion pour le 12 avril. Selon cette même correspondance, c'est M. Al O'Brien qui devrait présider le comité et M. O'Brien et son groupe prévoient se rendre dans la province ce jour-là.
Le sénateur Downe : Y a-t-il parmi ce groupe d'experts quelqu'un de l'Île-du-Prince-Édouard ou de la région de l'Atlantique, ou ne le sait-on pas encore?
M. Murphy : Je pense qu'Elizabeth Parr-Johnston y siège.
Le président : Elle est l'ancienne présidente de l'Université du Nouveau-Brunswick.
M. Murphy : C'est elle la représentante de la région de l'Atlantique. Le groupe compte quatre personnes nommées par le fédéral, dont une pour la région de l'Atlantique.
Le sénateur Downe : Les provinces nomment-elles elles aussi des experts?
M. Murphy : On a demandé aux provinces de soumettre deux noms. Je ne pense pas qu'il y ait encore consensus parmi les provinces quant à ces deux noms.
Le sénateur Downe : Deux noms pour l'ensemble des provinces?
M. Murphy : Oui, deux pour l'ensemble des provinces.
Le sénateur Downe : L'actuelle formule de péréquation ne vise à équilibrer que la capacité de recettes. Comme vous le savez, certains pays tiennent également compte du coût de prestation des services. Cela me renvoie à ce que j'ai dit il y a un instant au sujet du pourcentage élevé de personnes âgées. Allez-vous prendre position là-dessus dans le contexte de la péréquation?
M. Murphy : Il est important que le groupe d'experts se penche sur la situation dans d'autres fédérations du monde. Je sais que M. Palmer et d'autres ont fait des recherches intéressantes, se renseignant notamment sur les systèmes fédéraux en Australie et en Allemagne.
Nous avons toujours maintenu comme position que nous ne nous opposons pas à ce qu'un examen soit fait de la péréquation. Nous ne pensons pas qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain ici. L'actuel système n'est pas tout mauvais. Il est vrai que sur la base de l'analyse faite par ce groupe et par d'autres nous sommes convaincus qu'une approche macro n'est pas la solution, mais nous ne nous opposons pas à ce que l'on envisage d'autres possibilités.
L'Institut canadien d'information sur la santé a produit des statistiques montrant que 90 p. 100 des coûts qu'un individu impose au système de soins de santé viennent après l'âge de 65 ans. Dans la région de l'Atlantique en général et certainement dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, la proportion de personnes âgées dans la population totale est supérieure à la moyenne nationale. Cela laisserait entendre que le coût accru des soins de santé sera un problème particulièrement aigu dans notre région.
Sénateur Downe, je suis tout à fait de votre avis et il s'agit en effet d'un grave sujet de préoccupation pour nous.
Le président : Monsieur Murphy, je tiens, au nom du comité, à vous remercier d'être venu et d'avoir répondu si directement à nos questions. Cet échange a été très utile.
Voilà qui met fin à notre séance d'aujourd'hui.
Honorables sénateurs, je tiens à ce que vous sachiez qu'en matière de projets de loi le comité va poursuivre son examen du projet de loi C-24 demain matin à 9 h 30, avec, peut-être, l'étude article par article. Vous savez que notre programme de travaux en ce qui concerne les prévisions est le suivant : le Budget supplémentaire des dépenses (B) 2004- 2005 et le Budget principal des dépenses 2005-2006 ont été déposés à l'autre endroit il y a de cela deux semaines et devraient être déposés au Sénat ce soir. Si ces prévisions sont renvoyées au comité demain soir, nous entendrons des fonctionnaires du Conseil du Trésor demain matin au sujet du Budget supplémentaire des dépenses (B) à l'intérieur de notre case horaire régulière suite à nos travaux relatifs au projet de loi C-24, à supposer que nous en arrivions à l'étape de son étude article par article.
Nous allons également entendre le président du Conseil du Trésor et des fonctionnaires du ministère le mercredi 9 mars, dans le cadre de notre étude du Budget principal des dépenses. Des notes d'information sur le Budget supplémentaire des dépenses (B), ainsi que des notes sur le Budget principal des dépenses, ont déjà été distribuées aux sénateurs.
Le sénateur Ringuette : J'aimerais avoir un éclaircissement. Dans le cadre de notre étude du projet de loi C-24, le projet de loi sur la péréquation, est-ce la cas que toutes les provinces ont été invitées mais que seules deux viennent nous rencontrer?
Le président : J'ai fait cette annonce au début. Toutes les provinces ont été invitées et seules deux d'entre elles ont dit vouloir comparaître, la Saskatchewan et l'Île-du-Prince-Édouard, et elles sont toutes deux venues.
Le sénateur Day : Et nous leur en sommes reconnaissants.
Le président : Merci beaucoup.
La séance est levée.