Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 2 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des Finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-33, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 23 mars 2004, se réunit ce jour à 12 h 37 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs je déclare ouverte cette 23e réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je vous rappelle que le comité s'intéresse aux dépenses gouvernementales, directement dans le cadre du budget des dépenses, ou indirectement par le biais de projets de loi.
[Français]
Le 20 avril dernier, le projet de loi C-33, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 23 mars 2004, a été renvoyé à notre comité par le Sénat.
[Traduction]
Nous avons déjà entendu le ministre des Finances et des fonctionnaires du ministère des Finances. Aujourd'hui, nous avons toute une liste de témoins qui vont nous entretenir du projet de loi.
Les premiers témoins sont les coprésidents du Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. Brian Carr est avocat chez Fraser Milner Casgrain LLP et président de la Section nationale de droit fiscal de l'Association du Barreau canadien. Paul Hickey est l'associé responsable de la section de la taxe nationale au Centre de taxe nationale de KPMG.
Avant de vous inviter à nous faire votre présentation, il y a une question préliminaire que j'aimerais, en ma qualité de président, soulever et soumettre au comité. Je vais inviter les honorables sénateurs à y réagir.
En plus du comité, il y a un sous-comité de ce comité appelé le Sous-comité du programme et de la procédure. Ce sous-comité est composé de président, soit moi-même, du vice-président, le sénateur Day, et d'un autre membre, le sénateur Downe. Ce sous-comité est habilité à aider le comité s'agissant d'établir son programme, d'inviter des témoins et de prévoir des réunions. Voilà quel est le pouvoir de ce sous-comité. Le comité directeur s'est réuni il y a quelque temps pour discuter des témoins. J'aimerais discuter avec les honorables sénateurs de ce qu'ils aimeraient faire au sujet du fait que l'on ait fermé la porte à l'idée de l'ajout à la liste de nouveaux témoins.
Le sénateur Stratton : Il avait été porté à mon attention qu'un ancien ministre du gouvernement, Marc Lalonde, avait demandé à comparaître devant le comité au sujet du projet de loi C-33 et de l'amendement rétroactif de la RGAE dans le budget, même si le gouvernement ne dit pas que cela est rétroactif. J'ai également découvert que le sous-comité avait décidé, dans sa sagesse, de ne pas laisser comparaître l'ancien ministre Lalonde. J'aimerais savoir pourquoi. Je pense que le comité voudrait entendre le témoignage expert d'un ancien ministre, et notamment de M. Lalonde. Si la réponse est insuffisante, alors je demanderai que nous discutions de la question autour de cette table et que nous mettions aux voix la question de savoir s'il devrait ou non comparaître. Je pense qu'il le devrait. Je n'y vois rien de mal. Si nous allons prendre le temps d'entendre une très longue liste de témoins supplémentaires, alors pourquoi ne pas entendre l'ancien ministre Lalonde?
Le président : J'aimerais inviter le vice-président du comité ici réuni, le sénateur Day, qui siégeait au comité directeur, à vous donner une explication.
Le sénateur Day : En tant que comité directeur, nous nous efforçons d'inviter des témoins qui nous offrent un échantillon d'opinions représentatif. Nous avons demandé à l'Association du Barreau canadien de participer. Nous y avons également invité l'Institut Canadien des Comptables Agréés bien que nous ayons vu une lettre envoyée au gouvernement et que nous connaissions il y a au moins un an la position du Comité mixte sur la fiscalité. Nous avons eu plusieurs occasions de faire venir des lobbyistes afin d'entendre leurs témoignages, mais nous avons jugé qu'il ne serait pas approprié que le comité invite ici des lobbyistes enregistrés comme tels relativement au projet de loi dont nous sommes saisis.
Le sénateur Stratton : Vous laissez entendre que M. Lalonde est un lobbyiste. Est-ce exact?
Le sénateur Day : Il est enregistré comme lobbyiste relativement au projet de loi C-33, soit le projet de loi sur lequel nous nous penchons. M. Roger Tassé va nous entretenir plus tard cet après-midi. Il nous a dit avoir été retenu par Stikeman Elliott LLP pour donner un avis il y a quelques temps déjà, mais il n'est pas enregistré comme lobbyiste relativement à ce projet de loi en particulier. C'est ainsi que nous avons dit que nous serions intéressés d'entendre sa position sur le projet de loi et que nous établirions clairement au début de la réunion qu'il y a dans son cas possibilité de conflit, afin que chacun soit bien au courant.
Nous avions pensé que faire comparaître des lobbyistes enregistrés devant le comité pourrait compromettre l'intégrité du travail de celui-ci. Il s'agit d'une recommandation du comité directeur. Si un quelconque membre du comité pense autrement, le sous-comité est tout à fait prêt à être guidé par le comité plénier car la responsabilité s'agissant de choisir un groupe représentatif de témoins a été déléguée au comité directeur.
Le président : Sénateur Stratton, la réponse à votre question est que nous avons reçu un courriel de M. Marc Lalonde, et je vais vous le lire, afin que cela figure au procès-verbal.
Madame,
Je vous saurai gré de porter à l'attention du président du comité mon désir de comparaître devant celui-ci en tant que témoin, non seulement en ma qualité de conseiller auprès du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg LLP, mais également en tant qu'ancien ministre fédéral de la Justice et des Finances. Cela étant, je serais reconnaissant au comité directeur de bien vouloir se repencher sur sa décision. Je pourrais me mettre à la disposition du comité dans un délai raisonnablement court.
Je vous prie d'agréer l'expression de mes sincères salutations.
Marc Lalonde.
Le sénateur Murray : Monsieur le président, des personnes comme M. Lalonde et d'autres qui sont avocats ou qui exercent diverses professions agissant pour le compte de clients ont de nombreuses fois comparu devant le comité. Nous tenons toujours compte, comme il se doit, du fait que ces personnes sont ici pour défendre les intérêts d'un client. Que le comité entende des « lobbyistes » n'a rien de nouveau. Nous entendons toutes sortes de groupes d'intervention qui sont enregistrés dans le but de défendre des intérêts particuliers ainsi que des personnes qui sont enregistrées aux fins d'efforts de lobbying au sujet de projets de loi particuliers. Je n'ai pas toute la documentation devant les yeux, mais je me souviens du cas de la Loi antitabagisme que nous avons eu à examiner, et je pourrais vous citer quantité de cas semblables. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. Nous tenons compte, comme il se doit, du fait que toute personne qui comparaît devant nous — et en règle générale, les gens le reconnaissent — peut agir pour le compte d'un client. Je ne vois rien d'irrégulier quant à la comparution de M. Lalonde ou de n'importe qui d'autre sur cette base.
M. Lalonde nous a également rappelé qu'il est ancien ministre de la Justice et ancien ministre des Finances. Même s'il ne l'avait pas fait, j'en aurais moi-même fait état car quoi qu'il ait à nous dire pour le compte d'un client, il apporte à la discussion sur cette question ou sur tout autre sujet une expérience et des compétences dans lesquelles, pour ma part en tout cas, en tant que membre du comité, j'aimerais puiser. Il viendra peut-être ici avec un texte préparé, comme le font d'autres. Cependant, moi-même et d'autres membres du comité voudrons tirer profit de ses antécédents et de ses connaissances et lui poser des questions sur la politique générale dans le contexte de la question qui nous occupe ici ainsi que sur la loi.
Enfin, je pense qu'il serait discourtois envers M. Lalonde de lui opposer un refus étant donné que cela fait plusieurs fois qu'il demande à comparaître devant le comité. Je défendrais cette position avec la même vigueur s'il s'agissait de l'honorable Michael Wilson, de l'honorable Don Mazankowski ou de quelqu'un d'un autre parti politique.
Pour toutes ces raisons, j'exhorte les membres du comité à accepter d'entendre M. Lalonde au sujet du projet de loi dont nous sommes saisis. Je serais prêt à faire une motion en ce sens si la chose est recevable à ce stade-ci. Est-ce le cas?
Le président : Il y a encore d'autres sénateurs qui souhaitent intervenir.
Le sénateur Cools : De quelle question sommes-nous saisis?
Le président : Nous ne sommes pour le moment saisis d'aucune motion.
Le sénateur Murray : L'honorable Marc Lalonde a demandé d'être entendu au sujet de ce dossier. Le sénateur Stratton l'a soulevé, et le sénateur Day a expliqué certaines des raisons pour lesquelles le comité directeur n'a pas accédé à sa demande. J'ai pour ma part parlé en faveur de la comparution de M. Lalonde, et voilà où en sont les choses pour le moment.
Le sénateur Cools : Nous ne traitons pour le moment pas d'un rappel au Règlement, si?
Le sénateur Murray : Non, le sénateur Oliver a soulevé la question.
Le sénateur Cools : Sénateur Oliver, faisiez-vous une proposition?
Le président : Il ne faisait pas de proposition.
Le sénateur Stratton : J'aimerais proposer la motion que voici. Je propose que nous demandions à l'ancien ministre Lalonde de comparaître devant le comité. Voilà ma motion formelle.
Le sénateur Austin : Excusez-moi. Je n'étais pas présent lors de l'explication du sénateur Day de la décision du comité directeur, mais j'aimerais réagir à certaines des vues exprimées par le sénateur Murray.
Nous avons eu pour pratique — elle n'est pas invariable et il y a déjà eu des exceptions — de ne pas, en règle générale, entendre de témoins défendant les intérêts de clients. Le client de M. Lalonde dans ce cas-ci est un cabinet d'avocats et ce cabinet travaille lui-même pour un client. Ce client a un intérêt particulier dans cette affaire.
M. Lalonde pourra peut-être nous aider en ce qui concerne les principes. Il a cessé d'être ministre en 1984. Ces événements sont survenus après qu'il ait quitté son poste de ministre au Cabinet, alors je ne pense pas qu'il vienne avec des connaissances spéciales. Il vient avec une connaissance générale de la technique des impôts et peut-être avec quelques connaissances précises quant aux circonstances pour lesquelles il demande à comparaître.
Le principe en vertu duquel nous avons en général voulu éviter d'inviter des personnes ayant un intérêt particulier, des personnes envisageant peut-être ou peut-être pas de lancer une action, est que le témoin ne sera pas direct en ce qui concerne les intérêts représentés. Si M. Lalonde nous disait quel client est derrière le client, alors nous serions mieux en mesure d'évaluer quels seraient les intérêts particuliers du client, mais je suis certain qu'il n'est pas prêt à le faire. Je ne parle ici que du principe général. Je ne parle pas de M. Lalonde et de son client, mais je cherche plutôt à illustrer le principe général voulant que nous ne souhaitions pas nous retrouver dans une situation dans laquelle nous ne pourrions pas poursuivre toutes les pistes d'enquête.
Le président : Vous voulez parler du privilège du secret professionnel de l'avocat quant à la divulgation de certains renseignements.
Le sénateur Austin : Précisément. Il a une relation spéciale et il est donc assujetti à certains paramètres du fait d'être engagé contre honoraires pour présenter des instances. Ici encore, au contraire de l'Association du Barreau canadien ou d'une quelconque autre association professionnelle qui est ici pour discuter de la politique publique sur la base de son expérience, nous savons que ce témoin agit en tant que professionnel, en tant qu'avocat, pour défendre certains intérêts. J'aimerais que le comité en tienne compte.
Je me m'oppose pas à la comparution de M. Lalonde, si c'est ce que souhaite le comité. Cependant, je pense qu'en pesant les propos qui nous seront tenus, il nous faudra tenir compte des intérêts spéciaux représentés. Nous avons parfois le sentiment que ces genres de témoignages ne nous aident pas forcément dans le cadre de l'examen d'une question de politique publique.
Le président : J'ignore si vous étiez ici, sénateur Austin, lorsque j'ai lu le courriel que Marc Lalonde a envoyé au greffier du comité. Il y dit qu'il souhaite comparaître « également en tant qu'ancien ministre fédéral de la Justice et des Finances ».
Le sénateur Austin : S'il ne comparaît pas contre rémunération, si son temps n'est pas payé et s'il comparaît en tant que bénévole, alors il se place dans une catégorie différente. Cependant, s'il est payé pour venir représenter un client, et il a divulgué le fait qu'il a un client, un cabinet d'avocats, qui est...
Le président : Nous ne savons pas s'il se fait payer. Si le comité vote en faveur de sa comparution, c'est sans savoir s'il est payé pour venir ici ou non. Nous pourrions lui poser la question.
Le sénateur Austin : Si le comité souhaite qu'il vienne, alors il devrait divulguer sa situation. Vient-il en tant qu'ancien ministre des Finances et ancien ministre de la Justice ayant donc une connaissance générale de ces dossiers, ou vient-il parce qu'un cabinet d'avocats, qui n'est pas le sien, l'a retenu pour comparaître ici contre honoraires parce qu'il était autrefois ministre de la Justice et ministre des Finances?
Soyons clairs, car il y a plus ici que la simple question de savoir si M. Lalonde doit ou non venir. La question est de savoir quelle devrait être notre pratique? Qu'est-ce que la bonne pratique pour nos comités en ce qui concerne les différentes catégories de témoins?
Le président : Sénateur Austin, je vous entends. Une fois que le comité aura pris sa décision, je demanderai à la greffière de se renseigner par suite des questions que vous avez posées.
Le sénateur Cools : Je m'excuse de mon retard. Je suis allée à la pièce 705, notre salle de réunion habituelle.
Plusieurs déclarations que j'aimerais contester ont été faites. J'aimerais commencer par la fin et revenir sur certaines des déclarations du sénateur Austin. M. Lalonde nous a soumis une demande de comparution. Je ne pense pas que cette demande doive tout d'un coup placer M. Lalonde sous quelque voile de soupçon ou nuage quant à la question de savoir s'il se fera ou non rémunérer.
Nous parlons ici de bonnes pratiques; ce serait de la très bonne pratique que d'entendre M. Lalonde. Je vous soumets que ce serait de la très mauvaise pratique que de placer son témoignage ou quoi que ce soit qu'il dise sous un voile de soupçon avant même que nous ayons convenu de l'entendre.
J'aimerais dire très énergiquement qu'à mon sens il relève d'un comité et de ses fonctions constitutionnelles d'entendre quiconque, ou son représentant, si la personne ou le groupe de personnes subira des conséquences néfastes du fait d'un quelconque élément renfermé dans un projet de loi. Cela est tout à fait régulier. Si nous parlons de bonnes pratiques et qu'il y a des inquiétudes, alors celles-ci devraient être soulevées sous la forme qu'exigerait le Parlement au lieu d'être abordées de la sorte, car cela devient alors en quelque sorte une calomnie.
Je tiens à ce qu'il soit clair que j'irais même plus loin encore. Le comité a le devoir d'entendre tout Canadien ou représentant de Canadien qui subirait des conséquences néfastes du fait de tout projet de loi dont le Sénat est saisi.
Va-t-on avoir une motion?
Le président : Une motion a été déposée par le sénateur Stratton.
Le sénateur Day : Nous réagissons à cette motion.
Le sénateur Cools : J'ai posé la question il y a à peine quelques instants et il n'y avait pas de motion.
Très bien, nous discutons d'une motion. Cela me donne alors une plus grande marge de manœuvre.
Le sénateur Austin : Je soulève la question de privilège et j'aimerais dire qu'il n'y a eu aucune calomnie au sujet de Marc Lalonde. Le sénateur Cools a assimilé mes remarques à « une calomnie en quelque sorte ». C'est là, pour dire les choses aussi gentiment que possible, une déformation de mes remarques. Je m'efforçais d'établir des catégories en vertu desquelles un témoin comparaîtrait avec la transparence requise s'agissant des intérêts concernés.
Le sénateur Stratton : Le sénateur Austin a soulevé une question de privilège et j'aimerais y réagir.
En réalité, sénateur Austin, mon impression est que du simple fait de mettre cela sur la table vous mettiez en doute l'intégrité de M. Lalonde.
Le sénateur Austin : Je m'excuse si c'est l'impression que j'ai laissée. Ce que je dis c'est que si une personne nous vient avec un intérêt professionnel rémunéré, alors nous devrions le savoir afin de pouvoir en tenir compte. Cet élément devrait nous être livré de façon transparente afin que nous puissions soupeser sur cette base les propos qui nous sont tenus.
Le sénateur Cools : Discutons-nous ici d'une question de privilège ou d'une motion?
Le président : D'une motion.
Le sénateur Cools : J'aimerais m'excuser. Je ne comptais pas que mes remarques seraient interprétées comme une calomnie à l'égard du sénateur Austin. Je tentais de dire qu'étant donné que M. Lalonde est un témoin potentiel, les déclarations du sénateur Austin ouvrent tout un éventail de nouvelles questions. Peut-être que nous n'avons pas le temps aujourd'hui de répondre à certaines d'entre elles. Cependant, d'après ce que j'ai entendu, ces déclarations mettaient définitivement dans le doute l'intégrité et l'objet visé par M. Lalonde en voulant comparaître devant nous. Voilà ce que j'avais compris.
Mais tout cela ne rime à rien. Je ne sais toujours pas comment fonctionne ce sous-comité, mais l'important est que M. Lalonde est un homme exceptionnellement qualifié. J'ai eu le grand privilège de servir au Sénat pendant les derniers mois où M. Trudeau a été premier ministre. J'ai énormément de respect pour M. Lalonde, pour les nombreux portefeuilles qu'il a occupés et pour ses vastes connaissances et expérience.
Étant donné que nous parlons ici d'une motion, je tiens à m'inscrire fermement dans la catégorie de ceux qui sont prêts à entendre M. Lalonde. Je ne comprends pas pourquoi sa comparution est devenue une question dont discute ainsi le comité.
Le sous-comité se vante d'être un super comité; il n'y a là rien de « sous ».
Qu'il soit indiqué au procès-verbal qu'à m'entendre il arbore un sourire fendu jusqu'aux oreilles.
J'aurais pensé que le sénateur Day, pour faire preuve de toute la diligence requise, aurait proposé le nom de M. Lalonde lors de ces mystérieuses réunions du sous-comité. Je ne comprends pas pourquoi sa comparution fait l'objet d'un débat public ici ni pourquoi cela a été ignoré par le comité directeur. Je ne comprends pas non plus pourquoi le sénateur Day parle aujourd'hui au nom du comité directeur. Il y a tant de choses que je ne comprends pas, mais peut- être que l'on éclairera ma lanterne au fil du processus. Je ne comprends même pas pourquoi le comité se réunit aujourd'hui, un lundi. Le lundi ne figure pas parmi les journées de réunion régulières du comité. Je ne comprends pas pourquoi toutes ces comparutions ont été entassées de la sorte à l'intérieur d'une seule et même journée.
Peut-être que l'on pourra nous fournira des explications de ces questions au fil du processus, mais je ne suis pas d'accord. J'ai déjà dit au comité ici réuni, et je vais le répéter, qu'en tant que membre du comité je m'attends à intervenir pleinement quant à la sélection des témoins et dans l'établissement du programme de travail du comité. Je ne pense pas que l'objet constitutionnel du sous-comité soit de supplanter ou de remplacer le comité plénier. Après tout, un sous-comité n'est qu'un sous-groupe du comité.
Je n'aime pas non plus le fait que le sénateur Day réponde à des questions au nom du sous-comité. J'avais l'impression que cela revenait normalement au président.
Monsieur le président, je m'attendrais à ce que M. Lalonde soit ouvert quant à une vaste gamme de questions et je m'attendrais également à ce que M. Lalonde agisse avec transparence, pour reprendre le terme qui a été employé. Je n'ai aucun doute qu'il agira conformément aux principes les plus nobles que nous connaissions. Que cela soit ou non appelé transparence est une toute autre question.
Il me faut reconnaître que j'ai maintenant très hâte d'entendre M. Lalonde et que je suis curieuse de savoir comment il réagira au débat auquel nous nous adonnons ici aujourd'hui.
Cela étant dit, monsieur le président, permettez que je me prononce en faveur de la comparution de M. Lalonde.
Pendant que nous y sommes, y a-t-il d'autres témoins qui souhaitaient comparaître et qui éprouvent eux aussi de la difficulté à se faire inviter? Peut-être que nous pourrions avoir une discussion là-dessus. Est-ce la fin de la liste de ces témoins? J'ai la semaine dernière soulevé la question au Sénat, disant qu'il était très important que les témoins se voient offrir l'occasion de prendre la parole et que tous les témoins soient entendus. Y en a-t-il d'autres qui souhaitent comparaître devant le comité mais qui n'y parviennent pas?
Le président : Merci, sénateur Cools.
Le sénateur Day : Parlant ici de la motion, ce que j'ai dit plus tôt vaut la peine d'être répété. Le témoin qu'il est prévu que nous entendions cet après-midi à 13 h 30 est M. Tassé. Il nous a informé qu'il avait été retenu par le même cabinet d'avocats et qu'il a donné un avis sur la partie du projet de loi qui va sans doute donner lieu à un certain nombre de questions, mais il n'est pas lobbyiste enregistré. Nous avons indiqué que c'était très bien et que nous inviterions l'ancien sous-ministre de la Justice à comparaître devant le comité. Nous avons dit que nous indiquerions en début de séance qu'en donnant son opinion il donne également suite à un intérêt mais qu'il n'est pas enregistré en tant que lobbyiste.
On nous a indiqué que M. Lalonde est enregistré en tant que lobbyiste relativement au projet de loi C-33. Le comité directeur a décidé que ce serait là la ligne de démarcation. Le même point de vue sera sans doute soulevé par chacun de ces témoins. Nous voulions un éventail d'opinions représentatif afin de pouvoir en arriver à une décision réfléchie sur cette partie du projet de loi après avoir entendu différents points de vue.
Il avait déjà été prévu que M. Tassé comparaisse. Lorsque M. Lalonde nous a contacté et que nous avons découvert qu'il était lobbyiste enregistré pour ce projet de loi, nous avons jugé que, dans l'intérêt de l'intégrité du comité, il n'était pas nécessaire qu'il comparaisse. Nous lui avons cependant dit que nous accepterions avec plaisir toute soumission écrite qu'il souhaiterait nous faire et que nous en assurerions alors la distribution à tous les membres du comité.
Le président : Sénateur Murray, vous aurez le mot de la fin avant que je ne mette la question aux voix.
Le sénateur Murray : Les membres du comité savent que je suis intervenu au sujet de ce projet de loi lors de la deuxième lecture, tout comme j'ai, il y a plusieurs années pris la parole au sujet d'une mesure rétroactive pas très dissemblable déposée dans le cadre d'un projet de loi d'exécution du budget du ministère des Finances.
Je ne sais pas quels sont les clients de M. Lalonde ou de M. Tassé ou de n'importe qui d'autre, et cela m'est égal. Je pense que vous savez qu'aujourd'hui, comme il y a deux ans, que ce qui me préoccupe c'est la question de la rétroactivité d'une loi, un point c'est tout. Je poserai la question à M. Tassé lorsqu'il sera ici, et je la poserai également à nos amis de l'Association du Barreau canadien lorsque ce sera leur tour. J'aimerais beaucoup avoir l'occasion de poser à M. Lalonde mes questions au sujet de la rétroactivité afin de déterminer ce qu'il en sait sur la base de sa longue expérience, surtout en tant que ministre de la Justice, mais également en tant que ministre des Finances.
Le fait que M. Lalonde ait un client est une chose avec laquelle nous pouvons tous composer. Je suis pour ma part tout simplement heureux qu'il souhaite venir comparaître devant le comité, et je serais ravi d'avoir l'occasion de lui poser quelques questions, non pas au sujet de l'identité de ses clients ou de la façon dont leurs intérêts sont touchés, mais plutôt au sujet du bien-fondé d'une loi du genre. Sur cette base, j'appuie tout à fait la motion du sénateur Stratton.
Le président : Honorables sénateurs, êtes-vous prêts à voter?
Des voix : Que l'on vote.
Le président : Que tous ceux qui sont en faveur veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Le président : Y en a-t-il qui sont contre?
Des voix : Contre.
Le président : Les oui l'emportent.
Je vais demander à la greffière de communiquer avec l'ancien ministre et de lui soumettre les questions soulevées par le sénateur Austin.
Le sénateur Murray : Monsieur le président, si lui-même ou quelqu'un d'autre comparaît au nom d'un groupe de contribuables voire d'un seul contribuable, je pense qu'il est tout à fait normal, et peut-être même nécessaire, qu'il l'indique, ou en tout cas que nous puissions établir un tel fait. Cependant, de là à lui demander quel est ce contribuable et quelle situation pourrait s'ensuivre pour le contribuable — cela nous mènerait sur un terrain sur lequel il serait très malvenu que le comité ou que quiconque aille s'aventurer.
Le sénateur Cools : Rien n'est malvenu si c'est mené comme il se doit. Il existe des procédures pour négocier ces zigzags. Malheureusement, les gens ne se renseignent pas au sujet de ces zigzags. La demande de M. Lalonde est tout à fait recevable. Elle n'a rien du tout d'irrégulier.
Le président : Monsieur Hickey et monsieur Carr, merci de votre patience. Vous avez la parole.
M. Brian R. Carr, coprésident du Comité mixte sur lafiscalité de l'ABC-ICCA et président de la Section nationale du droit fiscal de l'ABC : Monsieur le président, je pense que vous avez devant vous une lettre datée du 29 juillet 2004, envoyée par le comité mixte à l'honorable Ralph Goodale. Je pense que vous avez également devant vous une deuxième lettre, celle-ci datéedu 25 avril 2004, elle aussi écrite par le comité mixte mais adressée à l'honorable Donald H. Oliver.
La première lettre expose dans le détail les raisons pour lesquelles nous nous opposons aux changements rétroactifs proposés à ce que l'on appelle les dispositions RGAE de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette lettre comporte des appendices et des annexes qui expliquent plus amplement nos arguments.
La lettre du 25 avril avait pour objet d'être une version annotée abrégée de ces arguments, et nous espérons que le format retenu s'est bien prêté à un exercice d'analyse rapide. Je serai encore plus bref et plus direct dans mes remarques orales.
Premièrement, le projet de loi est clairement rétroactif. Il suffit d'en regarder le texte, qui dit que la loi s'appliquera aux transactions survenues après le 18 septembre 1988. Il y a une différence entre rétroactivité et rétrospection. Si vous adoptiez aujourd'hui une loi disant qu'il est illégal de posséder deux chiens, et si vous avez acheté un chien il y a deux ans mais en êtes toujours propriétaire aujourd'hui, l'application sera rétrospective. Elle serait telle qu'une chose que vous avez faite par le passé serait à l'avenir illégale. Ce projet de loi est clairement rétroactif. Si vous avez fait quelque chose en 1990 et que vous avez arrêté de faire cette chose en 1998, la loi vous assujettirait malgré tout à l'exigence de versement d'impôts sur la base de règles que vous ignoriez lors de la transaction. Voilà le principal motif de notre désaccord en ce qui concerne la nature rétroactive du projet de loi. Le ministère des Finances s'est souvent bagarré au sujet de la question de la rétroactivité. Nous nous y sommes opposés par le passé et nous continuons de nous y opposer.
Notre deuxième point est que cette proposition n'est pas une clarification. Les gens continuent de dire qu'il s'agit d'une clarification, dans l'espoir que les gens l'accepteront. C'est un peu comme le conte de Hans Christian Andersen au sujet des habits neufs de l'empereur. La plupart des gens qui le voyaient admiraient ses habits neufs, mais un petit garçon a dit que ce n'était pas possible car l'empereur ne portait pas d'habit du tout. Le ministère des Finances dit que la proposition est une clarification dans l'espoir que tout le monde acceptera que c'est le cas.
Songez au sens du terme « clarification », qui pourrait relever de deux concepts distincts dans cette affaire. Le premier est que vous prenez ce que vous avez et vous l'emballer dans des mots différents qui signifient présumément la même chose mais qui l'illustrent plus clairement. Le ministère des Finances espère, certes, que le projet de loi résultera en l'imposition de certaines personnes ou sociétés qui n'étaient auparavant pas assujetties à l'impôt. M'exprimant ici en ma qualité de juriste, je vous dirais que si vous allez devant le tribunal en vertu du libellé existant, vous vous attendrez à un certain résultat dans un ensemble de circonstances données. L'on ne peut pas présumer que le ministère des Finances adopterait ce projet de loi avec l'idée qu'exactement le même résultat s'appliquerait dans exactement les mêmes circonstances factuelles. Clairement, ce serait une perte de temps si tel était le cas. Il ne peut pas y avoir de clarification dans ce sens-là.
Le deuxième concept est qu'il s'agit d'une clarification car cela donne lieu à un résultat auquel tout le monde se serait attendu. Cependant, le texte n'est pas bien rédigé et l'on tente donc de modifier quelque peu le libellé afin de le rendre plus clair et d'aboutir aux résultats auxquels tout le monde s'était attendu en l'espèce. Nous ne pensons pas que ce soit juste. Nous affirmons que cela est faux en ce qui concerne la clarification. Nous estimons que ce qui est proposé ici constitue un changement fondamental à la loi.
Nous en arrivons ainsi aux lignes directrices du ministère des Finances quant aux circonstances dans lesquelles il peut adopter des lois rétroactives. Les lignes directrices disent que :
Là où le ministère du Revenu national prône publiquement et sans équivoque une interprétation donnée sur une longue période de temps, et là où cette interprétation a été suivie par la plupart des contribuables dans la préparation de leurs déclarations de revenus, cela n'ébranle pas indûment la confiance des contribuables de modifier la loi de façon à confirmer cette interprétation suite à une décision défavorable qui, tout en constituant une interprétation juridique de la loi existante, a un effet équivalent à la modification de la loi.
Le ministère des Finances a dit que l'Agence du revenu du Canada a déclaré sans équivoque que la loi remaniée exécute la politique qui y est en place depuis 1988. Le ministère des Finances a précisé qu'il mettait simplement en œuvre un texte énonçant sans équivoque la position de l'Agence du revenu du Canada. Notre soumission détaillée, à la note en bas de page 11 de l'appendice, énonce notre position selon laquelle cette politique sans équivoque ne peut être trouvée nulle par ailleurs. Certains porte-parole de l'ARC ont peut-être de temps à autre dit que ce pourrait être une position. Certains commentateurs ont dit que l'ARC pourrait prendre cette position, mais il est impossible de trouver une politique claire et sans équivoque.
Même si vous pouviez en trouver une et même si nous la donnions au ministère des Finances, il semble que l'on ait oublié qu'il y a au critère un deuxième élément, soit que cette interprétation doit être acceptée par la majorité prépondérante des contribuables établissant en conséquence leurs déclarations de revenus. Tel n'est pas le cas. Dans notre appendice, vous trouverez plusieurs citations de plusieurs commentateurs en matière fiscale et qui ont souligné qu'il est loin d'être clair que ce projet de loi amènerait ce que vise le ministère des Finances en modifiant ainsi la loi.
À la page 5 du document de référence accompagnant notre mémoire, il y a une citation du professeur Brian Arnold, qui a signifié très clairement aux spécialistes en fiscalité qu'il fait à l'occasion du travail de consultant pour le ministère des Finances. Il fait clairement ressortir cela avec les mots que voici :
La relation entre la RGAE et les traités fiscaux a été chaudement débattue au sein de la communauté fiscale canadienne. Le risque que les traités fiscaux l'emportent sur la RGAE est connu du ministère des Finances depuis 15 ans.
L'on ne peut clairement pas dire que la communauté fiscale accepte que la RGAE s'applique toujours aux conventions fiscales, comme l'affirme le ministère des Finances.
Le président : Monsieur Hickey, allez-y, je vous prie, avec vos remarques liminaires.
Paul B. Hickey, coprésident, Comité mixte sur la fiscalité de l'ABC-ICCA, Institut Canadien des Comptables Agréés : Merci, je vais poursuivre avec les lignes directrices.
La ligne directrice suivante est que les amendements ont pour objet d'empêcher que ne revienne à certains contribuables un avantage fortuit. D'après ce que je comprends, s'il y a, d'une part, une position claire et sans équivoque prise par le ministère des Finances et l'ARC, et que, de l'autre côté, les contribuables acceptent cette position, et qu'un contribuable remonte contre le courant de tout cela et réussit, alors il ne devrait pas bénéficier de ce coup heureux. Nous ne cadrons pas avec les énoncés de politique clairs et acceptés par le gouvernement et largement acceptés par la communauté. Nous ne correspondons pas à cette ligne directrice, alors je ne pense pas que nous cadrions avec cette ligne directrice en matière d'avantage fortuit.
La ligne directrice suivante est que les amendements sont nécessaires pour préserver l'intégrité de l'assiette de revenudu gouvernement. Je n'ai pas encore été convaincu quele gouvernement a établi le bien-fondé de son argument, ni même qu'il y a un argument à faire. Le document du budget de 2004 contient une annexe qui parle de l'incidence des mesures fiscales proposées sur les revenus fédéraux, et ce sur trois ans. Y figurent les diverses mesures. Je regarde la page 323 du document. Il n'y a pas de chiffres sous la règle générale anti-évitement. Le petit tiret signifie faible, inexistant ou empêche la perte de revenu. Je ne suis pas certain, dans le contexte de la RGAE, de ce qui est visé ici, mais peut-être que ce sont les trois choses.
Les déclarations faites au comité par la vérificatrice générale et par le ministre des Finances faisaient état d'environ 55 fiducies résidantes à l'étranger. Ces fiducies ont été mentionnées dans le rapport de 2001 de la vérificatrice générale. Quelque 800 000 $ en gains en capital n'avaient pas été assujettis à l'impôt. Le chiffre en ce qui concerne l'impôt serait 25 p. 100 des 800 millions de dollars, bien que je n'en sois pas certain.
Par ailleurs, l'ARC a relevé 155 cas supplémentaires depuis le rapport de la vérificatrice générale, bien que je ne connaisse pas les chiffres exacts en dollars. Encore une fois, l'on ne sait pas très bien dans quelle mesure l'ARC s'appuierait sur la règle générale anti-évitement pour contester ces transactions. J'ai du mal à croire que ce serait là la seule avenue d'attaque. Je m'attendrai à ce qu'il y ait dans la panoplie du ministère d'autres arguments techniques bien fondés et d'autres armes dans la loi de l'impôt.
La dernière des lignes directrices concerne les amendements ou corrections des dispositions ambiguës ou déficientes qui n'étaient pas conformes à l'objet de la loi. Il me semble que de toutes les dispositions de la loi pouvant être visées par un amendement rétroactif, la règle générale anti-évitement — l'artillerie lourde comme l'ont appelée les tribunaux — la moins « sans faille » qui s'applique à tous les éléments de la loi serait assujettie à un amendement rétroactif. Lorsque la loi a été adoptée en 1988, je me serais attendu à ce que le gouvernement ait fait un examen approfondi de cette règle et l'ait examinée comme il se doit avant d'aller plus loin. Si le gouvernement estime aujourd'hui qu'il y a une lacune dans la loi, alors je pense qu'il conviendrait de lui reprocher sérieusement de ne pas avoir agi comme il aurait dû.
Comme nous le disons dans notre mémoire, depuis l'introduction de cette règle, il y a eu de l'incertitude dans ce domaine et quantité de débats. Il n'y a pas eu de la part de l'ARC ou du ministère des Finances de réfutation claire que les contribuables auraient alors pu contester.
Enfin, si le gouvernement estime véritablement que cette proposition constitue une clarification, je ne vois pas très bien pourquoi vous n'apporteriez pas simplement l'amendement sur une base prospective, à défaut de ne rien faire du tout et de laisser les tribunaux trancher la question. Si le gouvernement est si convaincu qu'il y a ici un objet clair et sans ambiguïté, alors qu'il laisse les tribunaux décider.
Le président : Il s'agit ici d'un projet de loi gouvernemental très important. Le projet de loi C-33 a en réalité pour objet de mettre en œuvre des mesures contenues dans le budget, non pas celui de 2005, mais celui de 2004. Ce n'est pas quelque chose qui peut perdurer à l'infini.
Étant donné les commentaires que vous avez tous deux faits, quelle recommandation auriez-vous en ce qui concerne cette doctrine de rétroactivité sur laquelle vous vous êtes tant épanchés? Que devrions-nous faire avec cette importante mesure législative du gouvernement?
M. Hickey : À mon sens, le critère en matière de loi rétroactive n'est pas satisfait et le gouvernement devrait donc retirer cela du projet de loi. S'il le souhaite, il pourrait appliquer cela de façon prospective à partir de mars 2004.
Le président : Quelle importance doit-on accorder aux circulaires d'information ou au fait qu'une chose figure dans une circulaire d'information ou qu'elle n'y figure pas, s'agissant de lois fiscales?
M. Hickey : Une circulaire d'information ou un bulletin d'interprétation est une annonce publique de la position administrative de l'ARC sur différentes questions. Je vous soumettrai que c'est le moyen le plus courant de communiquer une telle politique administrative au public.
Le sénateur Stratton : Le ministre des Finances a comparu devant le comité il y a deux semaines. Il a longuement parlé de l'éclaircissement du vrai sens de cette clarification sur la RGAE. Il a conclu en soulignant que, sauf comportement abusif, le contribuable ne devrait s'inquiéter de rien. Je pense le citer fidèlement. Pour faire dans la paraphrase, il a dit que si vous n'avez rien fait de mal en tant qu'entreprise ou en tant que société, alors l'on ne vous poursuivra pas. On poursuivra ceux qui ont abusé du système. C'est là mon interprétation de ce qu'il a dit. Nous lui avons même posé des questions là-dessus. Je suis curieux de savoir comment vous répondriez à cela.
M. Carr : J'avais l'impression d'entendre le roi John à Runnymede. « Nous n'avons pas vraiment besoin de ce document. Faites-moi confiance; je suis un chic type. »
Notre objection au projet de loi est que les contribuables doivent pouvoir compter sur le libellé tel qu'il existe. Il n'est pas simplement question ici de changer quelques virgules pour rendre les choses claires. Il s'agit d'un changement fondamental. À notre avis, c'est injuste. L'on ne devrait pas retourner 17 ans en arrière pour modifier une loi.
Le sénateur Stratton : Mais si vous êtes honnête...
M. Carr : J'espère que je suis honnête.
Le sénateur Stratton : Eh bien, si une société agit d'une façon qui est honorable et conforme à la loi, tout ira bien et elle n'aura pas lieu de s'inquiéter, mais dans le cas contraire, il y aura des suites. C'est vraiment à cela que je veux en venir.
M. Carr : Il peut y avoir des suites dans le cadre de l'actuel système. Le gouvernement peut recourir aux tribunaux. S'il a raison en ce qui concerne la loi, alors cela a toujours été interprété ainsi : intentez une action et obtenez que les tribunaux acceptent cela.
Le sénateur Stratton : Nous n'avons donc pas besoin de cette proposition?
M. Carr : S'il a raison quant à sa position voulant que cette proposition ne fait que tirer les mots au clair et que c'est toujours ce sens-là que ces mots ont eu, alors pourquoi est-il nécessaire de rendre cela rétroactif?
Le sénateur Massicotte : Si vous le voulez bien, j'aimerais revenir à la question, car je ne pense pas que vous y ayez répondu. Le sénateur Stratton a très bien cité le ministre. J'appelle cela un argument moral — il n'est peut-être très pertinent sur le plan légal, mais il est pertinent s'agissant de convaincre une personne. Si cela est considéré comme abusif dès le départ, alors il vous faut convenir que l'on se penchera sur la cause avec beaucoup moins d'indulgence. Traitez de cette question-là. Le message essentiel était « Écoutez, cette question ne s'appliquera que si c'est abusif ». Et si c'est abusif, alors pourquoi avoir de la sympathie pour eux. Ils ont abusé du système.
M. Hickey : Si seulement il était aussi simple d'identifier ceux et celles qui sont coupables d'abus. Tout comme la beauté, l'abus est subjectif. Ce n'est pas ou tout noir ou tout blanc.
D'après mon analyse des quelque 21 affaires relatives à la RGAE qui ont été renvoyées devant les tribunaux et pour lesquelles les questions ont tourné autour de la RGAE, clairement, là où l'ARC estimait qu'il y avait abus, d'après mon calcul, dans cinq ou six cas, l'on a tranché en faveur de l'Agence. Dans les autres deux tiers des cas, c'est le contribuable qui a eu gain de cause.
Le sénateur Massicotte : La question a-t-elle toujours tourné autour de la définition du terme « abus » donnée par le juge? Était-ce là le critère pertinent?
M. Hickey : Pour déterminer si la RGAE s'applique, il vous faut établir s'il y a eu usage ou mésusage d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas avocat et je m'efforce de comprendre quelque chose. Quelle a été l'attitude prépondérante depuis 1988? S'il est très clair que tout le monde était d'accord, avec un degré élevé de probabilité, pour dire que c'était là l'intention de la loi même si cela n'était pas clair, j'y vois beaucoup moins un problème.
Nous avons reçu du ministre, du ministère, un document renfermant des citations grâce auxquelles ils essayaient d'expliquer leur objet et leur interprétation de la loi. Nous avons également reçu, avec votre soumission, un appendice qui fait en gros la même chose. Aidez-moi un petit peu.
Je retourne à l'année 1989. L'ARC a déclaré qu'elle comptait utiliser la RGAE dans les situations d'utilisation fragrante des dispositions en matière de traités lors de transactions de magasinage de traités. Elle a plus ou moins dit la même chose en 1993 et elle l'a répétée quelques fois en 1992. Pourquoi cela ne ferait-il pas sonner l'alarme, établissant très clairement au moins ce qu'elle comptait dire dans la loi? Je comprends que ce n'est pas la question la plus pertinente, mais elle est pertinente en vue de déterminer qu'elle était l'idée au départ.
M. Carr : Pour ce qui est d'interpréter les dispositions de la loi elle-même, personne ne pensait pouvoir y arriver. Il existe une ou deux façons d'envisager la question d'abus en vertu de la RGAE. Il y a, tout d'abord, l'abus de la loi elle- même. Par exemple, dans le cas cité et évoqué par le ministère des Finances, vous transformez un dividende en gain en capital et vous espérez que le traité vous protège. L'autre cas est celui que vous venez de mentionner, soit le magasinage de conventions. Dans le premier cas, celui auquel s'est reporté le ministère des Finances, les eaux sont troubles quant à savoir ce que le juge dit en définitive, et il se peut que si vous avez abusé de la loi le traité ne vous protègepeut-être pas. Dans le second cas, celui du magasinage de traités, je ne vois pas, étant donné certaines des décisions de la Cour suprême du Canada dans des affaires d'interprétation de traités, comment il pourrait jamais en arriver à une position selon laquelle la règle générale anti-évitement pourrait s'appliquer au magasinage de traités. L'interprétation n'est tout simplement pas là. La communauté de la fiscalité n'a en tout cas jamais accepté, de façon générale, que c'est ainsi qu'il faut interpréter le texte. Elle a peut-être eu raison. Le ministère de la Justice portera peut-être certains de ces cas devant les tribunaux et peut-être qu'on lui donnera raison. Cependant, ce n'est pas là la vision communément acceptée au sein de la profession à l'heure actuelle.
Le sénateur Massicotte : Ce que vous êtes en train de dire est que vous avez également 1993. Ils ne parlent pas de magasinage de traités, mais ils énoncent en fait l'intention. Vous, vous dites: « Nous avons compris quelle était l'intention de l'ARC ces années-là; nous n'étions tout simplement pas d'accord avec l'interprétation de la loi. » Est-ce là ce que vous dites?
M. Carr : Je ne suis pas certain que l'ARC ait jamais énoncé clairement son interprétation. C'est une chose de tirer des citations de diverses conférences où des gens ont tenu certains propos, mais c'en est une autre de dire que c'était là la politique de l'Agence. D'après ce que nous savons, cela n'a fait l'objet d'aucune circulaire. Cela a été dit dans un bulletin d'interprétation.
Si vous prenez son bulletin, vous y verrez que l'Agence y donne certains exemples extrêmes de cas où à son avis la RGAE pourrait s'appliquer. Dans l'ensemble, comme l'a expliqué M. Hickey, ils ont très bien réussi devant les tribunaux.
Les contribuables ont le droit de contester l'ARC et de dire: « Non, nous pensons que vous avez tort. Nous pensons que le ministère des Finances n'a pas bien rédigé l'affaire. Nous ne pensons pas que vous soyez du bon côté et nous croyons que les tribunaux vont nous appuyer. »
Le sénateur Massicotte : Vous êtes en train de dire: « Nous étions au courant. Nous faisons une recherche et disons que nous savons que vous avez exprimé cette opinion, et ces renseignements auraient été à la disposition de la personne exprimant une opinion. » Vous êtes en train de dire, « C'est leur opinion, mais étant donné la responsabilité d'interpréter la loi et non pas leur opinion, nous ne sommes pas d'accord ». Je pense résumer votre opinion. Est-ce bien cela?
M. Hickey : C'est assez juste, bien qu'en 1988 il n'était pas aussi facile de faire de telles recherches. Je dirais qu'il était plus courant que ce ne l'est à l'heure actuelle de publier des politiques et des énoncés de positions administratives. La technologie n'étant alors pas ce qu'elle est aujourd'hui, c'était une façon acceptable de diffuser les politiques administratives.
Le sénateur Massicotte : Si vous aviez eu à donner des conseils à quelque moment — et je suis certain que c'était le cas de vous deux car cela fait longtemps que vous œuvrez dans cette industrie — votre opinion aurait été la suivante : « Nous comprenons leur opinion, mais nous croyons néanmoins que la loi sera interprétée et nous vous offrons un avis disant que vous pouvez vous comporter de cette façon et ce sera toujours légalement acceptable. »
M. Carr : Nous aurions dit que c'était plus flou que cela. La règle a évolué au cours des 17 dernières années, depuis la mise en œuvre de la RGAE. Nous constatons qu'il n'est aucunement fait mention dans la circulaire du traité. Or, la circulaire renfermait une approche très large s'agissant des cas où le Ministère pensait que l'ARC pourrait appliquer la RGAE. En conséquence, les tribunaux ont resserré ces interprétations, fixant très haut la barre quant à savoir quand la règle s'appliquerait, et a de façon générale rejeté la plupart des positions de l'ARC. En fait, comme l'a souligné M. Hickey, l'ARC a jusqu'ici perdu dans environ les deux tiers des affaires. Nous aurions sans doute dit au client que c'était très douteux. Si vous optez pour telle chose, si vous participez à telle transaction, vous ferez peut-être l'objet d'une nouvelle cotisation par l'ARC. Selon le moment, selon que c'était en 1992, en 1994, en 1996 ou en 1998, je vous aurais dit que vos chances de réussir au tribunal seraient fonction de ce que les tribunaux auraient jusqu'alors dit au sujet de la RGAE et de l'interprétation générale de la loi.
Le sénateur Massicotte : C'est gris depuis le tout début.
M. Carr : C'est gris depuis le tout début.
Le sénateur Austin : Le ministre, lors de sa comparution le 20 avril 2005, a fait état de l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc., communément appelée Equilease. C'était une décision du juge Bowman en 1997. Il a dit que c'était la seule affaire fiscale traitant de l'application de la RGAE et de traités fiscaux pour laquelle une décision avait été rendue. Le juge Bowman a conclu que la RGAE a eu cette portée de façon implicite dès son établissement. Le juge Bowman est aujourd'hui le juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt.
Le ministre a également dit que cela relevait de l'obiter car l'affaire avait été décidée sur un autre élément. Cependant, dans la mesure où les cours de l'impôt se sont penchées sur la question de savoir si les traités fiscaux sont inclus dans la loi créant la RGAE, ou règle générale anti-évitement, les cours penchent du côté du oui. J'imagine que cela guiderait les conseillers en fiscalité quant aux conseils qu'ils donnent à leurs clients.
M. Carr : Comme vous l'avez souligné, c'était un commentaire en passant. Il avait déjà décidé que le contribuable ne satisfaisait pas les dispositions techniques de la loi. Il a établi très clairement qu'il ne cherchait pas à être définitif s'agissant de l'application d'un traité. Il tranchait par ailleurs une situation factuelle bien précise. Je vous ai donné deux situations factuelles. Ils n'ont pas eu à appliquer la RGAE dans l'affaire Equilease. Il n'est même pas arrivé jusque-là. Il a dit: « Je n'ai pas à prendre une décision au sujet de la RGAE. Vous n'avez clairement pas satisfait aux dispositions techniques de la loi, alors il n'y a pas lieu de faire intervenir la RGAE. Je n'ai pas non plus à regarder du côté du traité car, ici encore, vous n'avez pas satisfait l'exigence. » Il traitait d'une disposition très étroite de l'application de traités. En matière de magasinage de traités, il n'a pas eu à tenir compte de cela.
Je pense que le mieux que l'on aurait pu dire est qu'il se pose là certaines questions. Cependant, lorsque vous traitez avec les cours de l'impôt, il vous faut attendre de voir ce que viendra y ajouter la Cour d'appel.
Le sénateur Austin : Je suis d'accord, mais c'est un juge de cour d'impôt chevronné qui a fait un commentaire au sujet de la question précise dont est saisi le comité, soit l'application de la RGAE aux conventions fiscales. Je conviens que c'était une remarque en passant, mais cela constitue néanmoins le meilleur indice dont nous disposons jusqu'ici quant à savoir si cela s'applique ou non.
M. Hickey : D'après ce que j'ai compris, au moins deux affaires sont passées par le processus judiciaire et ont été réglées avant d'arriver au tribunal. Ces affaires concernaient des traités et dans au moins l'un des deux cas, d'après ce que j'ai compris, l'affaire a été abandonnée.
Le président : Par qui?
M. Carr : C'est la Couronne qui a abandonné.
Le sénateur Austin : Il est très compliqué, monsieur Hickey, de discuter d'affaires qui ont été réglées et des motifs cités.
M. Carr : Dans notre mémoire, nous citons deux cas distincts pour lesquels la Cour a dit que la RGAE ne s'appliquait pas aux règlements. Si le juge Bowman dit que la RGAE s'applique aux traités et qu'un autre juge dit que la RGAE ne s'applique pas aux règlements, alors cela ne fait qu'augmenter l'incertitude et la confusion qui existent.
Le sénateur Austin : Encore une fois, il conviendra de discuter de la question de savoir comment distinguer ces deux cas de l'application du traité. Nous allons entendre un témoin qui va traiter de cette question.
Le sénateur Murray : Si j'ai bien compris votre échange avec le sénateur Austin, dans ces deux affaires pour lesquelles la Cour a déclaré que la RGAE ne s'appliquait pas aux règlements en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le gouvernement n'a pas fait appel, et dans les deux autres cas qui sont survenus concernant l'applicabilité de la RGAE aux traités, le gouvernement les a réglés hors cour.
L'actuel gouvernement est démesurément porté sur des références à la Cour suprême plutôt que sur des renvois à la Cour de cas difficiles. Serait-ce une situation dans laquelle un mandat approprié pourrait être rédigé et renvoyé à la Cour suprême du Canada pour obtenir son avis sur la question de savoir si la RGAE s'applique aux traités et aux règlements?
M. Carr : J'imagine que vous pourriez soumettre cette question générale à la Cour suprême du Canada. Ce serait peu habituel de le faire. Cela s'inscrit en tout cas à l'extérieur de mes connaissances techniques en matière de fiscalité. En règle générale, les tribunaux, et tout particulièrement la Cour suprême, aiment disposer d'un ensemble de faits complets sur lequel se pencher et sur la base duquel prendre une décision quant au libellé. J'imagine que vous pourriez tenter d'élaborer un exposé général des faits et demander à la Cour suprême du Canada de s'y prononcer.
Le sénateur Murray : La Cour a traité de l'affaire dite constitutionnelle ayant à voir avec le Renvoi sur la sécession du Québec et, plus tard, de la question du mariage entre personnes de même sexe. Le renvoi a par la suite été modifié et des réponses ont été données dans les deux cas. Il n'existe pas de cour inférieure à laquelle le procureur général pourrait renvoyer une affaire, si? Pourrait-il renvoyer une affaire devant la Cour canadienne de l'impôt?
M. Hickey : Les choses ont bougé lentement en ce qui concerne la RGAE. On en parle depuis 1988. Cela a pris du temps pour que des affaires soient renvoyées devant la Cour. Ce n'est qu'aujourd'hui, 17 ans plus tard, que nous avons devant la Cour suprême du Canada deux affaires relatives à la RGAE. Ces affaires ont été entendues en mars.
Le sénateur Murray : Vous dites vous être souvent bagarré avec le ministère des Finances au sujet de la question de la rétroactivité. Vous n'avez pas pour position que le Parlement n'a pas le droit de légiférer rétroactivement ou que la rétroactivité est partout et que c'est toujours une erreur? Convenez-vous qu'il y a certains cas pour lesquels cela est acceptable?
M. Carr : Le Parlement a certainement tous les droits, toute la compétence et tout le pouvoir de légiférer rétroactivement. Nous ne remettons pas en question ce pouvoir. Nous disons qu'y recourir généralement en vue de resserrer rétroactivement les lois fiscales est injuste envers le contribuable. Les gens planifient leurs affaires dans le contexte d'une certaine lecture de la loi, et ils devraient avoir le droit de se présenter devant la Cour et d'exposer les faits sur la base des règles en vigueur lorsqu'ils ont fait leur planification.
Le sénateur Murray : Ne vous opposez-vous simplement pas au fait qu'il se trouve que cette rétroactivité porte sur 17 ans?
M. Carr : Dans un monde idéal, nous nous opposerions à la rétroactivité ne serait-ce que pour une seule année fiscale. Mais cela nous préoccupe encore plus lorsqu'il est question de remonter 17 ans en arrière. Dans ce sens-là, c'est le degré plutôt que la question de savoir si c'est ou tout noir ou tout blanc.
Le sénateur Murray : Qu'y a-t-il de différent dans ce cas-ci?
M. Hickey : C'est la première fois dont je me souvienne où nous avons fait un examen approfondi des lignes directrices suivies par le ministère des Finances. En ce qui concerne cette très puissante partie de la Loi de l'impôt sur le revenu, nous avions pensé que la barre serait fixée assez haut pour que ces lignes directrices entrent en vigueur. Comme nous l'avons dit, nous ne pensons pas que les lignes directrices aient dans ce cas été respectées.
Le sénateur Murray : Vous avez vu le témoignage contradictoire de M. Goodale et vous n'êtes pas convaincu?
M. Hickey : Non, je ne suis pas convaincu.
Le sénateur Day : Les deux affaires dont vous dites qu'elles viennent tout juste d'être entendues par la Cour suprême du Canada relativement à la règle générale anti-évitement ont-elles quelque poids quant à l'applicabilité de la RGAE aux règlements ou aux traités fiscaux internationaux?
M. Hickey : Non, pas que je sache.
Le sénateur Day : L'une ou l'autre de vos associations professionnelles a-t-elle rédigé des lignes directrices qui auraient été envoyées à vos membres relativement aux différents aspects de la Loi de l'impôt sur le revenu?
M. Carr : Le comité mixte n'est pas un organe éducatif en tant que tel. L'Association du Barreau canadien a ses propres programmes éducatifs et je devine que c'est également le cas de l'Institut canadien des comptables agréés. Le comité mixte a pour principal objectif de se prononcer sur les ébauches de projets de loi proposés par le gouvernement du Canada.
Le sénateur Day : La profession publie-t-elle un ouvrage de référence qu'un comptable agréé installé dans une petite ville pourrait consulter — non pas une publication en provenance de l'Agence du revenu du Canada — et qui indiquerait de façon générale la façon dont l'ARC interprète certains articles et de quelle façon il convient de procéder?
M. Hickey : Il existe divers bulletins de nouvelles et d'autres publications que produisent l'Association canadienne d'études fiscales et différents cabinets comme celui de M. Carr et le mien. Notre lettre à M. Goodale a été rendue publique.
Le sénateur Day : L'avez-vous envoyée à tous vos membres?
M. Hickey : Nous ne l'avons pas envoyée à tous nos membres. Elle figure sur plusieurs sites Web.
Le sénateur Day : Pour revenir à ma question, l'Agence du revenu du Canada publie de temps à autre des lignes directrices. Nous en avons discuté et vous avez indiqué qu'il ne s'y trouvait rien au sujet de la RGAE. L'une ou l'autre de vos associations professionnelles a-t-elle publié quelque chose de général, destiné à vos membres, au sujet de la RGAE, et plus particulièrement de son incidence sur les règlements ou les traités fiscaux internationaux ou le magasinage d'abris fiscaux?
M. Hickey : En ce qui concerne notre organisation, je ne vois rien de précis. L'Association canadienne d'études fiscales, l'organisme de recherche auquel appartiennent nombre des membres de l'ICCA et de l'Association du Barreau canadien, envoie souvent des conférenciers parler de ces genres de questions.
M. Carr : Nous ne sommes pas aussi bien organisés que le gouvernement du Canada. Nous ne diffusons pas des jeux complets de positions à faire adopter par les contribuables. Il y a des gens qui écrivent des livres; il y a des maisons d'édition professionnelles qui publient des ouvrages sur le droit fiscal; et il y a des spécialistes qui prononcent des conférences et publient des articles sur l'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voilà ce qui éclaire les professionnels.
Le sénateur Day : Lorsque vous répondiez aux questions du sénateur Massicotte, vous avez indiqué que la profession est dans l'ensemble au courant de la position de l'ARC quant à la RGAE et à son applicabilité, mais que la profession estime qu'il y apeut-être un argument à faire relativement à la position de l'ARC. Parliez-vous là au nom de la profession ou de votre cabinet?
M. Carr : Je parlais pour la profession.
Le sénateur Day : Et comment la profession fait-elle généralement pour former une opinion?
M. Carr : Je ne dis pas qu'il s'agit là de la voix unique de la profession. Plusieurs membres de la profession font des interventions lors de conférences et publient des articles dans lesquels ils évoquent le fait que l'Agence du revenu du Canada a adopté telle ou telle position. Cependant, l'Agence a-t-elle tenu compte de tous les problèmes avant d'adopter une position? Les spécialistes conviennent que l'Agence du revenu du Canada peut adopter une position donnée, mais ils reconnaissent également dans leurs écrits que ce ne sont pas forcément là les positions qu'adopteront les tribunaux.
De quelle façon est-ce que je détermine quelle est la position de la profession? Je regarde ce qui est affiché sur le site Web ainsi que les livres et articles publiés par les membres de la profession.
Le sénateur Day : Monsieur Hickey, votre position est-elle dans l'ensemble la même, soit que la profession aurait su quelle était la position de l'Agence du revenu du Canada, mais vous leur dites qu'il y a peut-être ici une certaine marge de manœuvre?
M. Hickey : Oui, mais en 1988, certains de ces articles n'auraient pas été aussi bien connus qu'une circulaire d'information dont on est certain que les gens la consulteront, surtout s'il s'agit d'un CA dans une petite ville.
Le président : Honorables sénateurs, nous avons dépassé le temps prévu pour la comparution de ce groupe de témoins, et j'ai toujours sur ma liste pour le premier tour le sénateur Cools et, pour le deuxième tour, le sénateur Massicotte. Nos deux témoins suivants sont Roger Tassé et Scott Wilkie, qui sauront répondre à nos questions au sujet de la loi et de la politique et de la rétroactivité. Souhaitez-vous que l'on prolonge cette période de questions afin que les deux sénateurs que je viens de nommer puissent interroger ces deux témoins? Que désirez-vous faire?
Le sénateur Day : Nous pourrions peut-être terminer le premier tour.
Le sénateur Cools : J'ai été déconcertée voire même ahurie par le témoignage du ministre et, bien franchement, je n'y ai pas compris grand-chose. Je ne vois pas comment un texte législatif, comme ce que nous avons dans l'article pertinent du projet de loi C-33, qui dit clairement qu'il est rétrospectif, peut être une mesure de clarification. On nous a servi des arguments qui sont parmi les plus faibles que j'aie jamais entendus de ma vie. Cela étant dit, le ministre maintient le cap.
Ma question a davantage à voir avec une loi qui est devenue terriblement cryptique et dans une certaine mesure mystérieuse. C'est ce que nous appelons le droit du Parlement, soit le droit qui régit la façon dont nous adoptons des lois. D'après ce que je sais de la règle du droit à cet égard et des questions de fond, en matière de fiscalité, le gouvernement doit être extrêmement judicieux et extrêmement vigilant car la perception d'impôts est le propre du Parlement, si l'on regarde la relation entre le Parlement et les initiatives financières de la Couronne.
Je dirais que la rétroactivité en matière de confection des lois est de façon générale indésirable, mais que cela peut, dans certaines circonstances, être autorisé. Je serais prête à affirmer qu'en matière fiscale, la rétroactivité dans la loi est incompatible avec la règle du droit, avec le droit du Parlement et avec tout le système constitutionnel régissant la façon dont nous faisons les lois.
Je sais que les gens peuvent citer tel juge et tel autre, mais j'ai toujours eu l'impression que les juges n'avaient pas un grand mot à dire relativement à la perception d'impôts. C'est ainsi que j'ai toujours compris la loi et les coutumes de notre système.
Dans le cadre de vos recherches, avez-vous examiné ces questions du point de vue voulant qu'il s'agisse ici de questions de taxation? Le Parlement a un rôle spécial car l'idée est que les gouvernements ne devraient pas plonger la main dans la poche des contribuables sans un long préavis et sans une entente claire quant à ce qui est stipulé dans la loi. Je suis peut-être un petit peu naïve, mais, Dieu merci, il me reste encore quelques idéaux.
Je considère ces articles comme étant si répugnants qu'ils n'auraient jamais dû être acceptés. Ces articles du projet de loi n'auraient jamais dû arriver au stade de la première ou de la deuxième lectures, sans parler de leur renvoi au comité. Nous n'aurions jamais dû en être saisis.
Si le gouvernement veut agir comme il se doit, il devrait modifier le projet de loi pour révoquer ces articles ou les supprimer.
Le président : Que dites-vous en réponse à ces commentaires, monsieur Hickey?
M. Hickey : Certains des commentaires du sénateur Cools sont en fait enchâssés dans le préambule aux lignes directrices du Ministère au Comité permanent des comptes publics en matière de lois rétroactives, quant au moment de l'application des lignes directrices. Nous acceptons les principes généraux selon lesquels les contribuables devraient pouvoir s'attendre à une stabilité et à une continuité en matière de règles fiscales. Ils devraient pouvoir s'attendre à certains résultats fiscaux lorsqu'ils gèrent leurs investissements sur la base des règles telles qu'ils les connaissent et les comprennent. Des changements rétroactifs aux règles en matière de fiscalité ne devraient pas venir frustrer les attentes des contribuables lorsque celles-ci sont et rationnelles et légitimes.
Le sénateur Cools : Vous êtes d'accord avec moi?
Je ne sais pas, monsieur le président, si la liste de témoins inclut des personnes qui traiteront de cette question précise relativement au droit du Parlement et aux initiatives financières de la Couronne lorsque les deux choses concordent pour prélever des impôts et édicter des lois en ce sens. Je regarde la liste des témoins, et peut-être qu'y figure quelqu'un qui abordera cette question, mais je pense qu'il importe d'en traiter car cette question dont nous sommes saisis est beaucoup plus grave qu'elle n'en a l'air. La rétroactivité a été présentée par le ministre et le secrétaire parlementaire comme étant une simple petite chose, une chose pas si sérieuse que cela. « Ne vous en faites pas, sénateurs, adoptez cela dans les 24 heures. »
Je vous soumets qu'il s'agit d'une très sérieuse question et que si les simples citoyens étaient au courant de son incidence, ils en seraient très inquiets. Je sais que d'aucuns pensent que cela ne s'appliquera qu'à un tout petit groupe d'individus qui sont plutôt à l'aise et que donc cela ne va embêter personne. À mon sens, une telle affirmation n'a rien à voir avec le problème. La question est celle de savoir comment nous faisons nos lois. J'estime que nous devrions convoquer des témoins pour examiner cet aspect particulier.
Vous êtes avocats-fiscalistes et votre domaine, c'est la fiscalité. Vous fournissez des conseils juridiques une fois les textes de loi en place. Moi, je parle du droit constitutionnel qui nous dit de quelle façon et pourquoi nous devons adopter des lois.
M. Carr : Je reviendrai sur le commentaire du sénateur Murray quant à savoir si nous contestons le droit du Parlement d'adopter cette disposition. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous ne croyons pas qu'il y ait quelque base pour dire que le Parlement ne peut pas l'adopter. Nous estimons simplement qu'il est injuste de l'adopter.
Le sénateur Cools : J'irais beaucoup plus loin. Le Parlement adopte ces jours-ci des choses qui auraient été impensables il y a 100 ans. Des ministres auraient été destitués pour pareilles choses. Le poids du droit et le poids de la jurisprudence veulent que le Parlement agisse toujours prospectivement et non pas rétrospectivement. Le Parlement peut agir rétrospectivement lorsque des circonstances urgentes l'exigent. Je ne vois rien qui englobe toute cette question s'agissant de taxation. Je crois qu'il s'agit ici de profondes questions constitutionnelles.
Qu'il figure à nouveau au procès-verbal que les paragraphes 60(1) et (2) du projet de loi C-33 sont irréguliers, impropres et, je soumettrai, antiparlementaires. Bien franchement, honorables sénateurs, nous ne devrions pas adopter ce projet de loi.
Le sénateur Downe : J'aimerais enchaîner sur le point qu'a soulevé M. Hickey relativement aux chiffres de revenus qui seraient concernés. Lorsque le ministre des Finances a comparu ici il y a quelques semaines il a dit, comme vous l'avez indiqué dans vos remarques, que cet article proposé relativement à la RGAE concernerait quelque 800 millions de dollars en gains en capital. Lors de cette réunion, j'ai demandé au secrétaire parlementaire quel revenu le gouvernement perdrait si cet article relatif à la RGAE n'était pas adopté. Il a répondu que ce serait 800 millions de dollars. Avez-vous une compréhension claire de ce que serait la perte pour le Trésor si ceci n'est pas adopté?
M. Hickey : Non. C'était justement mon propos. Le rapport de 2001 du vérificateur général a, si j'ai bien compris, fait état de gains en capital de 800 millions de dollars. J'ignore s'il parle d'un autre 800 millions de dollars ou bien s'il a fait une estimation du coût de ces 55 cas et des 157 autres cas qui ont été relevés par le biais de vérifications depuis 2001. Ce n'est pas clair dans mon esprit.
Le sénateur Downe : Nous nous renseignerons plus avant.
Le sénateur Massicotte : La disposition RGAE ne s'appliquerait qu'en cas de mauvais usage ou d'utilisation abusive des dispositions de la loi dans son entier. Je conviens que les tribunaux ont toujours été aux prises avec la question de la définition de ce qui constitue un mauvais usage ou une utilisation abusive. Donnez-moi un exemple de situation dans laquelle une personne serait traitée de façon injuste si le projet de loi est adopté tel que prévu. Si la Cour l'interprète de la même façon que vous, il n'y aurait de conséquences négatives que si le juge décide qu'il y a eu mauvais usage ou utilisation abusive de la disposition. Ce n'est que dans une telle situation que la personne perdrait, n'est-ce pas? Clairement, s'il n'y a eu aucun mauvais usage ni utilisation abusive, alors il n'y aura aucun changement pour l'intéressé. Donnez-moi un exemple de situation où le contribuable perdrait.
M. Carr : Revenons à la question du magasinage de conventions. Nous allons faire certaines suppositions car il n'existe en la matière aucune jurisprudence.
Supposons que la loi, dans son libellé actuel, ne s'applique pas à ce que les gens appellent le magasinage de conventions fiscales. Prenons comme exemple une société en Angleterre et disons que le taux de retenue d'impôt sur les dividendes du Canada à l'Angleterre est de 10 p. 100. La société britannique détient des actions d'une entreprise canadienne. Au lieu de détenir directement ces actions, elle les attribue à une filiale néerlandaise et le taux de retenue de l'impôt n'est que de 5 p. 100. Si nous avons raison de dire que la loi ne s'appliquait pas précédemment, alors si l'ARC contestait cette opération, elle perdrait et le taux demeurerait à 5 p. 100.
Si la loi est modifiée rétroactivement, elle s'appliquera présumément aux situations de magasinage de convention et le taux d'imposition sera de 10 p. 100. Ainsi, cette personne serait désavantagée avec la nouvelle loi comparativement à sa situation en vertu de l'ancienne loi.
Le président : Sous réserve de nouvelle cotisation.
Le sénateur Massicotte : Il n'y a jusqu'ici eu que de très rares cas du genre soumis à des cours inférieures. Je pense qu'il y en aura un ce printemps.
Comment définit-on une utilisation abusive? Quelles en sont les caractéristiques? Devrions-nous avoir de la sympathie pour cette personne considérée comme s'étant adonnée à une utilisation abusive des dispositions?
M. Carr : Je ne cherche pas la sympathie. Je cherche une interprétation technique de la loi. Ce que vous dites, pour en revenir à mon exemple du roi John, est que si vous n'êtes pas coupable d'abus, si vous n'êtes pas un de ces méchants, vous n'avez pas à vous inquiétez de ces choses. Je suppose que ce que j'essaie de faire c'est défendre ce que je juge être un très important principe de droit, soit que vous avez le droit de gérer vos affaires en vertu de la loi telle qu'elle existe à ce moment-là.
Si vous allez en cour en vertu des anciennes règles et que la cour maintient que la RGAE ne s'applique pas au magasinage de convention fiscale, alors il est clair que vous avez le droit d'organiser vos affaires dans ce contexte. Si la cour dit que non, que cette disposition s'est toujours appliquée, alors le ministère des Finances et l'ARC gagnent et nous n'avons aucune objection.
Cependant, si nous avons raison, si la RGAE ne s'applique pas à l'heure actuelle au magasinage de convention mais qu'elle s'appliquera à l'avenir, alors c'est là un exemple de situation où la personne s'en tirerait moins bien. S'agit-il d'abus? Est-ce une si mauvaise chose que de pouvoir organiser vos affaires de façon à bénéficier d'un taux d'imposition inférieur? Je ne sais pas.
Le président : Messieurs Carr et Hickey, je tiens, au nom du comité, à vous remercier tous les deux de vos excellents exposés. Il nous reste encore beaucoup de questions que nous aurions voulu vous poser, mais nous n'en avons plus le temps. Nous devons entendre d'autres témoins encore aujourd'hui, et peut-être que j'aurai l'occasion de leur poser d'autres questions.
Au nom de nous tous, merci de nous avoir aidés avec une question qui est technique et difficile pour la plupart d'entre nous. Vous nous avez beaucoup aidés à tirer cela au clair.
Honorables sénateurs, les deux témoins suivants que j'aimerais inviter à venir s'asseoir sont M. Roger Tassé et M. Scott Wilkie. Ils comparaissent ici tous deux à titre personnel.
Roger Tassé est associé en exercice du droit au cabinet Gowling's à Ottawa. Il a eu une longue carrière en tant que haut fonctionnaire dans différents ministères, ayant notamment occupé les postes de sous-ministre de la Justice, de sous-procureur général du Canada et de principal conseiller constitutionnel auprès du gouvernement du Canada.
M. Scott Wilkie est associé principal au département de la fiscalité du cabinet d'avocats Osler, Hoskin et Harcourt, à Toronto. Il s'est spécialisé en fiscalité internationale, en fiscalité des entreprises, en fiscalité des transactions financières et en fixation des prix de cession. Il est également ancien président du Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des comptables agréés.
Monsieur Wilkie et monsieur Tassé, bienvenue au comité. Nous envisageons avec plaisir d'entendre vos propos.
Qui aimerait commencer?
M. Roger Tassé, témoignage à titre personnel : Nous nous sommes entendus pour dire que je commencerais.
[Français]
Je devrais peut être clarifier immédiatement que j'ai reçu un mandat, tel qu'indiqué par le sénateur Murray et par vous, monsieur le président, d'un cabinet d'avocats avec lequel je n'avais pas traité auparavant. La question qu'on me posait était : Êtes-vous au courant de cet amendement que le gouvernement propose au GAR avec effet rétroactif de 18 ans? J'ai répondu que cela me paraissait un peu surprenant, que j'allais examiner la question et y revenir. On m'a dit que si je pensais que c'était un peu excessif, accepterais-je de comparaître au comité du Sénat. J'ai examiné la question et après avoir lu beaucoup de documents, fait le travail de recherche qui était nécessaire pour en venir à une conclusion, effectivement, j'ai été simplement estomaqué de voir la proposition adoptée par le Parlement. Il était sans précédent de modifier une loi avec un effet rétroactif de près de 17 ans. À ma connaissance, c'était du jamais vu.
Je ne comparais pas comme fiscaliste. Je n'ai pas de prétention en matière fiscale. Je comparais relativement à la question de principe, à savoir si dans le cas présent, il est justifié d'adopter une législation modifiant une loi de 1988 avec rétroaction à cette époque. Je pense que c'est une question sérieuse et cela pose de sérieuses questions qui méritent d'être discutées indépendamment de l'aspect fiscal. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté de me présenter à ce comité et vous faire connaître mes idées sur la question. Je pars du principe que les Canadiens et les contribuables ont le droit de planifier et d'organiser leurs affaires, soit en droit fiscal, en droit des affaires ou en valeurs mobilières, à partir de la connaissance qu'ils ont des lois qui existent au moment où ils prennent ces décisions et avec les avis que leur procurent les experts retenus à ces fins. Je crois que les raisons que nous invoquons pour justifier la rétroactivité dans le cas présent ne tiennent pas. À mon humble avis, nous ne satisfaisons pas aux critères élaborés par le ministère des Finances en 1995 dans le but de justifier des modifications de tarification rétroactive. Je ne crois pas que le ministère des Finances ait pu démontrer que la modification reflète une intention initiale claire et non équivoque que l'article 245 s'applique aux conventions internationales du Canada, après que l'amendement a été déposé.
C'est le critère qu'il s'était fixé lui-même en 1995, et je ne crois pas, après avoir révisé la documentation, que nous satisfaisons à ce critère. En écoutant les témoins précédents, bien sûr, il a existé et il existe encore des divergences d'opinions sur la question, à savoir si l'article tel que rédigé et adopté en 1988, était clair et sans équivoque. Il y a eu des divergences d'opinions qui ont été exprimées par les fiscalistes et les experts, et ce, dès le départ.
Quant à l'intention initiale, je voudrais vous référer à ce que je dis dans ma soumission plus élaborée sur la question. Je crois que vous en avez reçu une copie. C'est à la page 4.
[Traduction]
À la page 4 de mon mémoire, sous le titre « L'intention initiale du Parlement », lorsque cet article a été adopté par le Parlement en 1988, il s'appliquait, du simple fait de son libellé, à la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est là la première indication que cela était censé s'appliquer à la Loi de l'impôt sur le revenu. On n'y faisait aucunement mention de règlements de la Loi de l'impôt ni de conventions fiscales.
Le ministère des Finances n'a produit aucune preuve de l'époque de l'introduction de la RGAE en 1987-1988 montrant que l'intention était que cette règle s'applique aux conventions fiscales. Par ailleurs, peu après l'entrée en vigueur de la RGAE le 13 septembre 1988, l'ARC publiait une circulaire d'information détaillée analysant l'application possible de la RGAE à 22 transactions hypothétiques distinctes, dont aucune ne visait une interaction entre la loi et une convention fiscale ou un règlement.
[Français]
L'intention initiale du Parlement est que cela s'appliquerait à la loi et non pas aux traités. Les divergences d'opinions qui existent habituellement dans nos lois, et dans ce cas-ci, entre les fiscalistes et l'Agence, ne sont pas rares. Nous avons un tribunal de l'impôt qui siège en matière d'impôt et d'autres matières aussi, mais surtout en impôt. Ils entendent des centaines de causes chaque année; parfois et souvent, il y a des divergences d'opinions sur la façon de comprendre et de percevoir la loi par les fiscalistes et l'Agence. Lorsqu'il y a une divergence, c'est réglé par les tribunaux. De 1998 à 2002, la Cour suprême a tranché certaines divergences en faveur des contribuables. Parce que l'Agence a eu une opinion au cours des années, a fait valoir un point de vue sur la façon dont il fallait comprendre la loi, ce fait voudrait-il dire que lorsqu'elle perd, elle pourrait, dans chaque cas, revenir au Parlement et dire : nous pensions que c'était telle chose qui devait être retenue, c'est l'interprétation que l'on devrait donner à cette disposition suite aux décisions de la Cour suprême, dans les cas que je viens de vous mentionner, de 1998 à 2002. L'Agence demande donc au Parlement d'adopter une loi rétroactive pour s'assurer que notre opinion initiale sur la façon de lire cette disposition devrait être maintenant confirmée. Il me semble que poser la question serait un peu absurde. Le ministère des Finances, dans ses lignes directrices de 1995, reconnaît que ce ne serait pas la façon de procéder.
Il ne suffit pas, en d'autres mots, pour justifier une loi rétroactive, que l'Agence du revenu du Canada puisse exprimer de quelle façon cet article pourrait se lire et même son intention d'aller en Cour pour faire valoir et faire confirmer par la Cour son intention. Le test auquel il faut satisfaire avant de pouvoir dire que nous nous croyons justifiés d'imposer une rétroactivité par législation à telle ou telle loi est beaucoup plus élevé. C'est la façon dont je lis le texte même des lignes directrices du ministère. Le ministère des Finances dit :
[Traduction]
Ce n'est que dans des circonstances hautement exceptionnelles que nous apporterions ce genre de changement et proposerions pareil changement au Parlement. Bien franchement, je ne pense pas que ce critère ait été satisfait, et c'est pourquoi j'ai décidé de comparaître devant le comité.
Notre pays est fier d'avoir toujours été guidé par la règle de droit, mais nous ne respecterions pas la règle du droit si nous disions que dans les circonstances en l'espèce il est approprié de modifier la loi en remontant jusqu'en 1988. Les gens ont agi sur la base de la loi telle qu'ils la comprenaient et sur la base des conseils fournis par des fiscalistes ayant étudié la question et conclu que des arguments pourraient peut-être être faits mais que les cours n'avaient pas encore tranché. L'Agence n'avait pas déclaré de façon claire et sans équivoque quelle était sa position en la matière. Elle a eu des occasions au fil des ans où elle aurait pu dire, « En dépit de ce qui a été écrit par tel ou tel fiscaliste, notre point de vue est que le sens est très clair depuis le tout début. La RGAE couvrait les conventions fiscales. Elle couvrait le règlement de la Loi de l'impôt ». Elle en a eu l'occasion mais elle ne l'a pas fait.
En résumé, le gouvernement n'a pas satisfait le critère qu'il s'était fixé pour lui-même et à mon humble avis il est inacceptable et mal -à-propos que le Parlement adopte un changement rétroactif dans les circonstances que vous avez devant vous.
M. Scott Wilkie, témoignage à titre personnel : Honorables sénateurs, je tiens à établir clairement que je comparais ici à titre personnel et non pas en tant que représentant d'une quelconque organisation à laquelle je suis ou ai été associé, y compris mon propre cabinet. Comme vous l'aurez déjà entendu, les collègues dans la profession ne partagent pas toutes les opinions que je vais énoncer ici, et c'est également le cas de membres de mon propre cabinet d'avocats. Je dis cela afin que vous puissiez faire une évaluation juste de mes remarques.
Je suis ici car j'ai la réputation dans la profession d'être beaucoup moins critique que d'autres des amendements proposés à la Loi de l'impôt sur le revenu ou à la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, non pas pour des raisons d'équité ou de moralité, mais pour des raisons juridiques que j'aimerais vous exposer.
Il y a quatre points dont j'aimerais traiter. Le premier concerne l'interprétation de la règle générale anti-évitement existanteelle-même et l'interprétation que peut, je pense, soutenir cette disposition sans les amendements tant pour les règlements que pour, ce qui est plus important encore, les conventions fiscales.
Deuxièmement, et qui est peut-être plus important — encore une fois, c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles je suis ici — beaucoup de la discussion au sujet de ces amendements proposés a porté sur l'interaction entre la Loi de l'impôt sur le revenu et la règle générale anti-évitement et les conventions fiscales. D'après ce que je peux comprendre de la documentation que vous avez eu l'occasion d'examiner, il n'y a pas eu beaucoup de discussion au sujet de la loi internationale en matière d'utilisation abusive de traités, alors que je pense qu'il serait important d'examiner cela car ce pourrait éclairer voire résoudre certaines des questions très exploratives que le sénateur Cools a posées à des témoins précédents.
Je formule la question que voici en reconnaissant l'état du processus par le biais duquel ces questions surviennent. Y a-t-il un changement rétroactif dans la loi par opposition à la législation? Il est certain que la législation telle qu'elle doit être rédigée sera lue différemment qu'en 1988. Cela est indéniable. L'on pourrait cependant dire que ces changements n'apportent pas un changement rétroactif dans la loi, et que même si tel était le cas, ce changement est conforme à ce qui sous-tend la législation en tout premier lieu.
Le troisième point que j'aborderai concerne certains des termes des changements proposés et la façon dont ils reflètent à mon sens une capacité d'interprétation des règles existantes.
Enfin, de quels recours disposent les contribuables pour se protéger advenant que ces changements soient adoptés et qu'ils se sentent lésés?
Je vais commencer par traiter de la RGAE tel qu'édictée en 1988. Il est important de comprendre que cela s'applique aux « conséquences fiscales », un terme défini, et aux « avantages fiscaux », un terme défini, qui sont exprimés de la seule façon qu'ils puissent l'être dans le seul texte législatif en vertu duquel des assujettissements à l'impôt sont déterminés, soit la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est cependant juste, et conforme à la pratique fiscale en général ainsi qu'à la loi, de s'attendre à ce que des textes législatifs corrélatifs qui ne résultent pas eux-mêmes en des impôts impayés et qui ne résultent pas dans le calcul de revenus ou de revenus imposables ou de remboursements, soient néanmoins pertinents en vue d'informer l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les conventions fiscales et les règlements sont des textes législatifs du genre.
Deuxièmement, la RGAE elle-même comporte la limitation en matière de mauvais usage ou d'utilisation abusive qui a été discutée par d'autres témoins. Il est important de comprendre que l'application de la RGAE, que celle-ci soit ou non modifiée, n'est pas automatique. Elle est assujettie à une norme objective de caractère raisonnable qui exige qu'un arbitre et que des conseillers tiennent compte des circonstances dans lesquelles la disposition peut être appliquée et rendent des jugements raisonnables quant à savoir si les limites qui figurent dans la RGAE ont ou non été observées.
Il y a un deuxième point qui est, je pense, intéressant dans la loi elle-même. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une question d'équité ou d'une question d'impression. Je me reporte directement au texte de la loi. La règle générale anti- évitement ne s'applique pas à moins qu'il puisse être déterminé qu'il y a eu — et cela figure dans la même phrase — mauvais usage ou utilisation abusive tenant compte de la loi tout entière. Le texte ne dit pas utilisation abusive de la loi mais plutôt utilisation abusive compte tenu de la loi tout entière — la « loi » signifiant « le texte réglementaire » dans ce pays, texte qui subsume le régime d'impôt sur le revenu. Cette interprétation est certainement ouverte.
Encore une fois, l'on ne parle pas d'utilisation abusive de la loi, mais d'utilisation abusive compte tenu de la loi; et il n'y est pas question de tenir compte ou de ne pas tenir compte de quoi que ce soit d'autre. Il est à mon sens raisonnable d'interpréter cela comme voulant dire que les textes législatifs corrélatifs qui existent dans le but d'avoir une incidence sur l'assujettissement à l'impôt sont subsumés au sens de cette règle.
La question concernant l'interprétation de la RGAE et dont vous êtes saisis a été rendue plus complexe en ce qui concerne le Règlement de l'impôt sur le revenu. Dans deux affaires, la Cour de l'impôt a décidé, étroitement à mon sens et au grand étonnement des praticiens, que la RGAE ne s'applique pas au Règlement de l'impôt sur le revenu. Je pense qu'il est juste de dire que le Règlement de l'impôt sur le revenu fait partie de la loi, bien qui étant à proprement parler un complément.
Ces deux affaires ont piqué la curiosité compte tenu des arguments avancés. Étant donné la construction linguistique de la limite en matière de mauvais usage ou d'utilisation abusive de la RGAE, les affaires ont été inscrites dans le contexte du Règlement. Je me demande si elles auraient été envisagées autrement si elles avaient été considérées dans le contexte de la disposition essentielle de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui autorise les contribuables à réclamer un amortissement aux fins de l'impôt ou ce qui est appelé dans la loi une déduction pour amortissement. Il s'agit de l'alinéa 20.1a) qui, dans son application telle que prévue par la loi, est informé par le règlement. Si le mauvais usage ou l'utilisation abusive avaient été couchés en des termes correspondant à l'alinéa 20.1a) de la loi plutôt que détaillés par rapport à l'élément du règlement ayant une incidence sur la détermination du taux de déduction pour amortissement dans les circonstances, il aurait été beaucoup plus difficile de rejeter ces affaires relativement à l'application de la RGAE.
De toute façon, ces affaires concernent directement le règlement et non pas les conventions fiscales, qui, je pense, sont plus facilement insinuées dans la Loi de l'impôt sur le revenu que dans le Règlement de l'impôt sur le revenu qui, à certains égards, est un embellissement de la loi, et ce délibérément, car il est promulgué en vertu du pouvoir de ce faire énoncé dans la loi.
Je vais maintenant passer à l'aspect international de la question, qui intéresse davantage le comité et dont il n'a pas été très largement question. En dehors des lois nationales de tout pays, il y a une notion anti-abus en évolution et qui cadre avec la RGAE en ce sens que cela renvoie à des situations d'utilisation abusive. Avant la RGAE, l'abus n'était pas une notion courante dans le régime fiscal canadien.
Cela est généralement subsumé, sous-tendant toutes les conventions fiscales dont le Canada est partie. Cette notion peut être exprimée de diverses façons, comme par exemple l'abus de droit au sens qui lui est donné en droit civil. Cela signifie en gros qu'il y a une limite quant à l'utilisation de traités aux fins de planification ou autrement pour la concession d'allègements si les exigences sous-tendant l'application des traités aux fins d'un avantage n'ont pas été satisfaites ou ont été manipulées de façon injuste ou indue par rapport à ce que ces conventions et les régimes fiscaux concernés visent à réaliser.
L'application de la RGAE en ce qui concerne les conventions est une question directe s'agissant de déterminer si les amendements proposés, s'ils sont acceptables en tant que changements rétroactifs à la loi, s'inscrivent dans notre régime d'impôt sur le revenu. C'est là la question importante. Tout dépend de ce que sont les conventions. Une convention fiscale n'est pas un instrument de planification fiscale. Une convention est un accommodement pour faciliter le commerce entre deux pays, dont le droit de percevoir des taxes, d'exercer leur souveraineté fiscale, est essentiellement illimité en droit international. Les conventions ont pour objet d'éviter l'interférence dans le commerce que l'application gratuite d'un ou de plusieurs régimes fiscaux des parties au traité créerait dans des circonstances où chacun des partenaires pourrait légitimement prétendre au droit d'imposer le même contribuable, la même assiette fiscale. C'est ainsi qu'une allocation doit être faite eu égard à chaque pays avant la détermination du droit, si celui-ci peut être établi, d'inclure dans son assiette fiscale une plus grosse part du revenu du contribuable ou d'avoir le droit d'imposer le contribuable selon une proportion donnée par rapport à l'autre partenaire.
Ce point est important car il établit l'attente de chacun des partenaires à la convention en l'espèce qu'il a un droit de perception légitime en ce qui concerne le contribuable visée et le revenu visé; et il faut que cela soit tranché. Cela informe l'attente, qui est également présente dans l'histoire des conventions, selon laquelle les conventions ne doivent pas être utilisées aux fins d'évasion fiscale, ce qui avait au début de l'élaboration des conventions fiscales une connotation criminelle mais qui a, depuis, évolué pour englober l'évitement fiscal, qui est une affaire civile, et qui est considérée comme étant contraire à l'objet visé par les traités.
Les décisions de la Cour internationale de Justice, les ramifications de la Convention de Vienne sur l'interprétation des traités, qui s'appliquent aux conventions fiscales ainsi qu'à d'autres, et les décisions de certains pays qui se sont penchés sur la question de savoir si les règles nationales en matière d'évitement s'appliquent au contexte des conventions fiscales, laissent entendre qu'il y a eu une attente progressive que la notion de convention fiscale sous- jacente est par inhérence une notionanti-abus qui, à mon sens, ne cadre pas avec ce que recommande dans notre loi la RGAE.
Ce développement se trouve reflété, sans en dépendre, dans les commentaires sur les conventions fiscales modèles sur lesquelles s'appuient les traités canadiens. Un exemple en est l'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, qui, dans ses commentaires, prétend exprimer les obligations juridiques internationales dont s'accompagnent les traités.
Ce point de droit international, en plus d'informer le sens de la RGAE relativement aux conventions, est également important dans le contexte de l'argument de suprématie qui a été soumis au comité. Les conventions fiscales sont instaurées par des textes de loi distincts, et non pas par la Loi de l'impôt sur le revenu, qui dit dans tous les cas que s'il y a contradiction entre le traité et une autre loi, y compris la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est la convention qui l'emporte.
En évaluant ce qui constitue une incohérence, survient la question de savoir si la loi internationale inhérente et pertinente à l'interprétation des traités, y compris les traités fiscaux du Canada, est telle qu'il peut être déterminer qu'il y a cohérence entre ce que visent les conventions fondamentalement par rapport à leurs partenaires — par exemple négociations entre pays, que les contribuables sont autorisés à appliquer; concessions faites par des pays à d'autres pays relativement à leurs contribuables, où l'autre pays a une meilleure prétention quant à la perception d'impôt sur le revenu — et ce que dit la Loi de l'impôt sur le revenu de 1988 et ce qu'elle dira peut-être si ces amendements sont adoptés.
Les amendements proposés et à la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu et à la RGAE sont exprimés fondamentalement par rapport à leurs conséquences fiscales, qui sont néanmoins des impôts à payer ou des remboursements ou des calculs de revenu en vertu de la loi.
Je pense que les amendements sont censés être indicatifs et davantage descriptifs de ce que signifie « la loi » en tant qu'emblème du régime d'impôt sur le revenu, qui résulte en la perception d'impôts en vertu de la loi. Je me ferais un plaisir d'en discuter davantage avec vous si vous avez des questions à ce sujet. Cependant, j'aimerais maintenant passer au dernier point, qui est presque aussi important voire plus important encore que le point essentiel, encore une fois à cause de l'examen qui en est fait dans le cadre du processus parlementaire.
Il me semble que la question serait beaucoup plus sérieuse ou si la RGAE s'appliquait en tant que rajustement automatique de l'obligation fiscale d'un contribuable — ce qui n'est pas le cas — ou si les contribuables étaient désavantagés du fait d'être de quelque façon privés des recours et des attentes qu'ils ont quant à l'administration et l'application justes de la loi. C'est là un aspect qu'il faut envisager dans le contexte des lignes directrices en matière d'équité s'agissant de lois rétroactives.
Premièrement, un tribunal peut ne pas décider qu'il y a eu abus de la loi relativement à une convention fiscale ou à un règlement en jugeant que dans le contexte de la convention — et, encore une fois, la loi internationale en matière de traités est importante — le résultat que revendique le contribuable est défendable, même si cela suppose une application astucieuse du traité, par exemple pour obtenir un avantage côté retenue d'impôt ou autre.
Il est important de reconnaître que mis à part la question de la règle générale anti-évitement dont nous discutons, les conventions fiscales elles-mêmes, telles que reflétées dans la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, sont définies dans leur application à la loi nationale du pays dont l'impôt est en cause. Par exemple, les termes qui ne sont pas définis dans la convention, comme par exemple « avantage fiscal » sont définis côté interprétation du traité en fonction des lois du pays dont l'impôt est en cause.
Il est également intéressant d'observer que les règles concernant l'application de l'impôt sur le revenu adoptent, par référence à notre texte législatif, les taux de retenue d'impôt les plus bas consentis dans les traités. Il serait juste d'interpréter que si les taux eux-mêmes en tant que mesures arithmétiques sont incorporés à notre loi, la base sur laquelle le contribuable sera peut-être autorisé à les voir refléter dans la convention est également subsumée dans la loi en vue d'en informer l'application.
Le deuxième point, qui concerne directement la question de la rétroactivité, est que, à mon sens, un tribunal serait libre de conclure qu'il n'est pas raisonnable de dire qu'une transaction résulte dans le mauvais usage ou l'utilisation abusive envisagée dans les changements à la loi à l'article 245, la RGAE et la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, s'il est raisonnable de considérer que, parce que pendant la période pertinente la loi n'était pas aussi précise qu'elle aurait pu l'être, un contribuable n'aurait pas pu gérer ses affaires avec la connaissance que son comportement serait de quelque façon considéré comme étant prohibé par la RGAE. Je pense qu'un tribunal serait libre de trancher ainsi.
Le troisième point, revenant au contexte du droit international, est que les conventions sont négociées entre pays. Les contribuables peuvent les appliquer ou amener les pays à les appliquer, mais il s'agit d'ententes entre pays. Si un pays estime que les intérêts de ses citoyens contribuables, de ses résidents, sont lésés ou entravés d'une façon injustifiée par suite de ces amendements à la Loi de l'impôt sur le revenu et de leur application aux conventions fiscales, il faut savoir que toutes les conventions fiscales dont le Canada est partie prévoient un mécanisme auquel peuvent recourir les pays. Cela s'appelle la procédure amiable, et grâce à elles les pays peuvent, au nom de leurs citoyens contribuables, contester le comportement d'autres pays, ce afin d'en arriver à une résolution qui englobe une interprétation raisonnable du traité.
Les autorités compétentes — c'est-à-dire les autorités fiscales des pays fonctionnant selon la procédure amiable — ne sont pas tenues d'en arriver à une conclusion mais, encore une fois, tout cela se déroule sous l'égide du droit international qui exige que les pays se comportent comme il se doit et donnent effet de bonne foi aux ententes fiscales dont ils sont partie.
Enfin, les tribunaux canadiens, y compris la Cour suprême du Canada, ont sérieusement circonscrit le droit des autorités fiscales de recourir à la doctrine en matière d'évitement fiscal ou à la jurisprudence ou à la règle générale anti- évitement pour imposer aux contribuables des conséquences qui ne cadrent pas avec les transactions légales qu'ils ont ratifiées, c'est-à-dire par le biais de quelque reconstruction économique de leurs affaires à cause de l'apparence de ces arrangements ou de leur talent en matière de planification fiscale. Dans ce contexte, les cours supérieures du Canada ont également donné suite à la planification fiscale très ingénieuse en recourant, par exemple, à l'interposition d'entités dans un flux de fonds entre pays afin de garantir un avantage en matière de retenue d'impôt.
Reconnaissant que cette importante définition et que d'autres aspects des traités sont néanmoins établis par la loi canadienne tel que prévu dans le libellé actuel de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, les limites légales quant à l'utilisation de la RGAE pour imposer une reconstruction des affaires d'un contribuable du simple fait qu'elles aient été organisées d'une façon très avantageuse a été sérieusement limitée en vertu de notre loi. La seule affaire qui ait été décidée à cet égard, comme vous l'avez entendu dire, est l'affaire dite Equilease qui avait été soumise à l'actuel juge en chef Bowman.
Le président : Monsieur Tassé, pourriez-vous réagir à l'un des premiers commentaires faits par M. Wilkie, soit la distinction qu'il a faite entre changement rétroactif à la loi etchangement rétroactif à la législation? Considérez-vous le projet de loi C-33 comme étant un changement rétroactif à la loi?
M. Tassé : Oui, j'y vois clairement un changement rétroactif à la loi car cela signifie modifier la loi qui existait en 1988. C'est ce que j'appellerais une loi rétroactive. Même si nous disons que cela a pour objet de clarifier l'intention, l'intention du Parlement est importante, et rien n'a été dit à l'époque où cela a été adopté au sujet de l'intention du Parlement. D'après ce que je peux voir, il n'a rien été prononcé au Parlement disant que cela s'applique aux conventions ainsi qu'à la loi. Rien n'a été dit par l'Agence administrant la loi à l'époque à l'effet que cela s'appliquait aux conventions. Je pense que l'intention était claire, et c'est là l'un des premiers critères qui doivent être satisfaits.
Une fois la loi adoptée, quelle a été la réaction des autorités? Leur position était claire et sans équivoque. Les lignes directrices de 1995 du ministère des Finances disaient clairement que cela était censé s'appliquer aux conventions fiscales. Cela n'a pas été dit. Il y avait peut-être de bonnes raisons à cela. Je ne peux que m'interroger sur les raisons pour lesquelles cela n'a pas été dit. Peut-être que c'est parce que la RGAE a été très controversée lors de son dépôt, parce que c'était une nouvelle façon de contrer le mauvais usage ou l'utilisation abusive de la loi. Les fiscalistes ont résisté à ce concept. La communauté internationale était divisée quant à la question de savoir si c'était une bonne façon de procéder. Ce n'est qu'en 2001 que les pays membres de l'OCDE en sont arrivés à un consensus pour que chaque pays se dote de règles de type RGAE. En 1988, il n'était pas encore très clair que tous les pays avec lesquels le Canada avait ou voulait avoir des conventions étaient désireux d'avoir des règles de type RGAE.
Les temps ont changé depuis 1988, et M. Wilkie nous a fourni de bonnes preuves qu'il existe en définitive deux façons d'interpréter cela. Je ne voudrais pas dire qui a tort ou qui a raison. Ce qui pour moi serait une erreur serait de retirer aux contribuables, qui ont négocié des transactions qui pourraient peut-être donner à l'Agence lieu de s'y intéresser ou d'émettre des cotisations, le droit de porter l'affaire devant un tribunal et d'obtenir une décision. Si la RGAE s'applique, alors elle s'applique. Si elle ne s'applique pas, sur quelle base diriez-vous que nous voudrions la rendre rétroactive à 1988? Je ne conteste pas qu'il y ait en la matière divergence d'opinions.
Le président : Il y en a, clairement.
M. Wilkie : L'on pourrait demander, étant donné le libellé de la RGAE, si le ministère ne devait pas dire: « Nous sommes vraiment sérieux et cela s'applique aux règlements et aux conventions. » Ce à quoi cela s'applique c'est la détermination de la dette fiscale en vertu du seul texte législatif qui fasse cela, c'est-à-dire de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est raisonnable de s'attendre à ce que soient pertinents les textes législatifs corrélatifs y ayant une incidence.
La question de la rétroactivité est importante et du point de vue parlementaire et du point de vue attentes des contribuables.
Le président : Du point de vue politique publique.
M. Wilkie : De tous ces points de vue.
Ce qu'il importe de dire c'est que des textes de loi en matière de fiscalité sont couramment adoptés rétroactivement. Les honorables sénateurs auront le privilège, selon l'évolution de la situation, de se pencher sur un projet de loi suporifique relativement aux règles en matière de filiales étrangères et qui comporte des amendements rétroactifs du genre allègement que demandent les contribuables depuis 1994. C'est très courant, surtout s'agissant de mesures d'assouplissement, que des projets de loi fiscaux soient rétroactifs.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Wilkie, vous êtes certainement plus un expert dans le domaine que je ne pourrais jamais souhaiter le devenir. Vous avez mentionné au début de votre déclaration que vos commentaires ou opinions diffèrent de ceux de vos collègues à ce sujet. Pour ce qui est de l'opinion que vous nous avez livrée, avez-vous fait des déclarations ou des commentaires semblables lors d'une quelconque tribune publique ou privée en la matière?
M. Wilkie : Mes commentaires sont bien connus du public. J'en ai déjà parlé. J'en ai parlé avec des membres du comité mixte. J'en ai parlé avec des hauts fonctionnaires du ministère des Finances. Mes opinions sont généralement connues, dans les secteurs et privé et public. Je suis professeur agrégé adjoint de fiscalité depuis plus de 17 ans, alors ce que j'ai eu à dire au sujet de la question est très largement connu.
J'aimerais discuter d'un point relatif à une question posée à des témoins antérieurs. À certains égards, cette question pourrait être abordée à deux niveaux différents. Il s'agit d'une difficile question juridique et parlementaire. La discussion pourrait très bien avoir toute une vie à elle. Si vous demandiez à la plupart des professionnels qui exercent ce qu'ils font de la règle régissant les transactions internationales, vous découvririez, comme vous l'a dit M. Carr, qu'ils disent ceci et cela au sujet de la planification fiscale sous-tendant un ensemble de circonstances données relativement à des circonstances factuelles. Cependant, la RGAE pourrait intervenir et modifier les conséquences auxquelles vous vous seriez autrement attendu.
Vous pouvez dire « d'un côté ceci et de l'autre côté cela », mais ce serait imprudent d'ignorer cette règle ou, à mon avis, que ce soit ou non considéré comme obiter, ce qu'a eu à en dire le juge en chef Bowman.
Le sénateur Ringuette : Vous avez dit avoir donné votre opinion sur la question aux fonctionnaires du ministère des Finances. Était-ce en tant que consultant rémunéré?
M. Wilkie : Non, absolument pas. Je tiens à dire, aux fins du procès-verbal, que je suis ici bénévolement, et que je vais en porter les cicatrices.
Le sénateur Ringuette : En tant que législateur, je suis toujours d'avis que les règles doivent refléter la loi. Vous avez mentionné deux affaires qui ont été gagnées devant la cour de l'impôt sur la base de règles. Êtes-vous d'avis que les règles ne reflétaient pas la loi de l'impôt?
M. Wilkie : Non. Si vous permettez, j'aimerais souligner deux choses. Premièrement, les règles anti-évitement, la doctrineanti-évitement, les limitations anti-évitement en matière de comportement, sont intrinsèquement imprécises. Il est déraisonnable de s'attendre à ce que l'on puisse prévoir de façon précise toutes les circonstances dans lesquelles elles pourraient s'appliquer. Elles supposent de façon inhérente de faire preuve de jugement quant à leur application dans n'importe quel ensemble de circonstances.
Ce que j'ai essayé de dire au sujet des deux cas concernant le Règlement de l'impôt sur le revenu, est que la raison pour laquelle elles ont été tranchées comme elles l'ont été a été fondée sur un renvoi à une disposition particulière de la Loi de l'impôt sur le revenu visant la loi par opposition aux règlements et au traités, ou la loi et les règlements et les traités, bien qu'il soit communément compris que le règlement fasse partie de la loi. Je disais que si l'affaire avait été présentée différemment, disant que l'alinéa 21(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui autorise les contribuables à réclamer une déduction pour amortissement, avait été mal utilisé ou utilisé de façon abusive, même si la déduction pour amortissement aurait été calculée en vertu du règlement, la possibilité de dire que la RGAE ne s'applique pas du fait que c'était une question soulevée dans le règlement n'aurait pas été aussi claire. Le texte législatif enfreint aurait été un article de la Loi de l'impôt sur le revenu et, partant, la cour n'aurait pas pu dire: « En passant, ce n'est pas la loi qui est en cause, mais bien le règlement. »
Le sénateur Ringuette : Ne pensez-vous pas qu'en pareil cas le ministère ou l'agence aurait dû demander l'appel?
M. Wilkie : Je ne peux pas savoir. Je ne fais que regarder les arguments qui ont été mis de l'avant et offrir une autre façon d'envisager les circonstances, ce de façon à essayer de rationaliser la question de savoir si c'est une entrave à ce que le comité choisirait peut-être autrement de recommander.
M. Tassé : En ce qui concerne ces deux cas, je voulais simplement souligner que d'après les renseignements dont je dispose des appels ont été lancés mais ont ensuite été abandonnés. Pourquoi les appels ont-ils été lancés sans être poursuivis?
Lors de la conférence de l'Association canadienne d'études fiscales, l'on a demandé au ministère s'il était d'accord pour suivre cela, et sa réponse a été que non. Pendant cette période, soit de 2001 à 2004, aucun amendement correctif n'a été proposé. Il n'y a eu aucun bulletin de nouvelles indiquant qu'il apporterait un amendement correctif. Aucune annonce n'a été faite par le Ministère qu'il entendait proposer un amendement. La position du Ministère a-t-elle été claire en 2001, 2002 et 2004? Elle n'a pas été claire en ce qui concerne le règlement et je dirais que c'était la même chose dans le cas des conventions.
Le sénateur Murray : Ce sont des questions incroyablement complexes pour le non-initié.
Le président : On vous l'accorde.
Le sénateur Murray : Par exemple, monsieur Wilkie, vous avez dit que les décisions selon lesquelles la RGAE ne s'appliquait pas au règlement concernant l'application de l'impôt sur le revenu a surpris toute la communauté des fiscalistes. Lorsque le ministre est venu nous rencontrer, je dois avouer qu'en tant que non-initié, j'ai trouvé cela très étonnant. J'aurais pensé qu'une chose s'appliquant à la loi aurait inclus le règlement. Puis les gens qui comptent ces choses me disent qu'il y a 40 cas dans lesquels la Loi de l'impôt sur le revenu renvoie ou à la loi, ou à la loi et au règlement, ou aux conventions fiscales du Canadas. M. Tassé cite gentiment dans son mémoire les décisions des juges selon lesquelles si le législateur avait eu l'intention d'appliquer ces exigences et au règlement et à la loi, alors il aurait stipulé « la loi et le règlement ».
Dans des situations comme celle-ci, je suis sans cesse à la recherche d'un principe ou, dans le sens le plus large possible, des politiques ou de la politique concernées. Le principe de la rétroactivité est là, mais je n'entends pas d'argument convaincant disant que nous n'agissons pas rétroactivement. À priori, nous agissons rétroactivement. Sur le plan de la politique et de la pratique, y a-t-il un moyen plus juste ou meilleur de faire ce qu'ils essaient de faire ici?
M'inspirant de l'exemple de la vérificatrice générale, je pense que le Parlement devrait nettoyer cela pour l'avenir avec une loi prospective. Quant au passé, soit les années 1988 à 2004, ils devraient tenter leur chance au tribunal. Pourquoi ont-ils abandonné ces deux appels et pourquoi ont-ils réglé les deux affaires ayant trait à des conventions, dans le cas desquelles il semble qu'ils aient réglé sur les marches du palais?
Les témoignages que nous venons d'entendre minent sérieusement la crédibilité du gouvernement s'agissant d'aller de l'avant, nous disant qu'il est nécessaire d'agir ainsi, de faire en sorte que la RGAE soit rétroactive jusqu'en 1988.
M. Wilkie : Je vais commencer par répondre à ce que vous avez dit au sujet du règlement de ces cas. J'ai réglé de nombreux cas et je suis certain que c'est le cas d'autres professionnels dans la salle également. On règle pour quantité de raisons, qui n'ont souvent rien à voir avec la pureté académique de la loi en question. Il intervient de nombreuses circonstances pratiques — frousse, occasion à saisir ou autre.
Le deuxième point est que je suis moi aussi préoccupé par le principe. Je ne voudrais pas être mal compris. Ce que je dis ici concerne autant la question de savoir si la loi, ou la législation si cela est différent, est ou non rétroactive. Je pense que ce que visent les lignes directrices en matière de rétroactivité c'est déterminer s'il aurait été raisonnable que la loi, qui, semble-t-il, sera modifiée rétroactivement, aurait pu envisager pareille issue. Je pense que c'est là une question importante.
Quant à ce que dit le sénateur Murray au sujet d'un ménage à faire en prévision de l'avenir, je ne pense pas que quiconque, même si il ou elle a des opinions différentes sur ce point, contesterait le fait qu'une issue acceptable serait tout simplement de limiter là les dégâts et de modifier la loi pour l'avenir à partir d'une date donnée ou alors de maintenir la rétroactivité.
Le président : Il n'y a aucune opinion là-dessus.
M. Wilkie : Tout cela est très bien dans la mesure où l'on ne fait rien parce que l'on ne s'est pas occupé comme il se doit du passé.
Le président : Voilà quel est l'avis de M. Tassé; vous l'avez exprimé très éloquemment.
M. Wilkie : Supposons que cette loi est rétroactive. La question devient alors : est-elle injustement rétroactive? La solution à l'injustice peut prendre différentes formes. Elle peut être subjective, morale ou impressionniste; ou alors, ce que je choisirais de faire, il pourrait s'agir de chercher des jalons dans la loi, non seulement dans le texte réglementaire et dans la jurisprudence canadienne, mais dans la loi internationale dans son application aux conventions. Cependant, quoi que veuillent ou que souhaitent les gens — car la RGAE est controversée et l'est depuis 1988 — nous devrions déterminer s'il y a dans la loi des jalons objectifs indiquant que cette issue s'inscrit dans une interprétation raisonnable de la loi. Et si tel n'est pas le cas, alors c'est un tribunal qui le dira.
Voilà quelle serait ma réponse à la question. Je suis moi aussi préoccupé par les principes, mais c'est ainsi que je verrais les choses.
Le président : Pourriez-vous vous prononcer sur l'emploi par le ministère du terme « clarification » par opposition à « rétroactivité »?
M. Wilkie : Je préfèrerais que l'on parle de « réarticulation » ou de « reformulation » plutôt que de « clarification ». La clarification est une chose qui, à la lumière des circonstances, survient par suite d'une mésentente ou d'une mésinterprétation de ce qui était prévu. Une clarification établit simplement ce qui pourrait être jugé évident, ou en tout cas possible ou tolérable dans le cadre de la loi telle qu'elle existait.
Nous avons entendu dire ce qu'est une loi rétroactive. Une loi est rétroactive si elle dit une chose différemment et résulte en une conséquence qui est différente de ce qui aurait été prévu. Dans le cadre de discussions avec le ministre, le sénateur Cools a fait état de la définition de rétroactivité de Theodore Sedgwick, mais au cœur de cette définition est la question de savoir si quelqu'un est défavorisé du fait de cette réinterprétation ou de cette réadoption. Je pense que pour arriver à une telle conclusion il importe d'examiner non seulement ce que vous avez déjà examiné mais également le contexte international ou la loi internationale afin de décider si, que cela plaise ou non, en reconnaissant ce qu'a fait la cour de l'impôt dans l'affaire Equilease, avec ou sans obiter, quelqu'un peu dire que nous sommes surpris.
M. Tassé : La question, comme l'a expliqué mon collègue, est de savoir si quelqu'un a été défavorisé. Je ne pense pas que ce soit là la bonne façon de poser la question. La question est de savoir si les contribuables, entre 1988 et 2004, pouvaient planifier, organiser et arranger leurs affaires en vertu de la loi telle qu'ils la comprenaient, munis des conseils de leurs experts en fiscalité.
Je ne veux pas répéter qu'il y a eu diverses opinions à ce sujet, et il est ressorti au fil du temps que l'agence adoptait une vision différente. Pour moi, c'est là le premier point : les contribuables avaient-ils le droit d'arranger leurs affaires, de planifier leurs affaires conformément à la loi telle qu'elle existait, et non pas telle qu'elle a été rétroactivement adoptée en 2004?
L'autre point est un commentaire que j'ai fait, non pas tant en réponse à une question mais plutôt en réaction à un commentaire qu'a fait plus tôt le sénateur Murray qui a demandé pourquoi nous n'avons pas tout simplement une loi qui est rétrospective, qui s'applique à l'avenir et qui laisse le passé relever de la loi originale de 1988. Lorsque le ministre et ses collaborateurs ont comparu devant vous ils ont dit qu'ils avaient une crainte que la nouvelle loi, si elle n'était adoptée que pour l'avenir, pourrait être telle qu'il leur serait plus difficile de faire maintenir par la cour leur interprétation de la loi telle qu'elle existait en 1988.
Il y a une règle très claire dans la Loi d'interprétation, disant que lorsqu'un texte législatif est révoqué en tout ou en partie, la révocation n'a pas d'incidence sur l'application antérieure du texte législatif ainsi révoqué ni sur toute mesure prise ou subie en vertu de ce dernier. En définitive, ce que dit cet article est qu'il vous est possible de modifier la loi en 2004 pour l'avenir ou pour le passé. Si le ministère des Finances souhaite vérifier son interprétation de la loi telle qu'il vous l'a proposée, il pourrait recourir à la cour et la cour ne pourrait pas lire en 2004 — il lui faudrait appliquer la loi telle qu'interprétée par la cour après discussion avec le contribuable, et la décision serait prise. En d'autres termes, il ne serait pas possible d'arguer que le Parlement a changé la loi de 1988 et que pour l'avenir c'est ainsi qu'elle doit se lire. Cela retirerait au ministère la possibilité de présenter comme opinion qu'en dépit du fait qu'il n'y avait aucune loi applicable, du fait qu'elle n'aurait pas été rétroactive, une cour pourrait conclure que c'était la bonne interprétation à donner à l'article.
Le sénateur Murray : En passant, merci à tous les deux d'être venus. Je trouve cet échange extrêmement intéressant. J'avais espéré que nous pourrions obtenir de vous, monsieur Tassé, à un moment donné, des conseils gratuits au sujet du mariage entre conjoints de même sexe, mais il faudra que cela attende.
Je vais poser toutes mes questions à la fois. Premièrement, j'aimerais demander à quel point j'étais à côté de la plaque en suggérant qu'un renvoi serait peut-être possible relativement à la situation de 1988 à 2004, par exemple, et à qui le gouvernement ou le procureur général ferait appel.
Deuxièmement, monsieur Tassé, vous étiez ici il y a deux ans pour une affaire pas très dissemblable pour laquelle il était également question de rétroactivité.
M. Tassé : C'est la seule fois où l'on m'a invité à venir.
Le sénateur Murray : Je me souviens de vos arguments à l'époque. J'ignore si vous aimeriez vous prononcer sur les ressemblances entre les deux affaires. Je pense que nous avons eu cette discussion il y a deux ans seulement.
J'aimerais que vous réfléchissiez — je ne voudrais pas vous mettre dans l'embarras en tant qu'ancien sous-ministre de la Justice, mais je pense que vous avez expliqué les choses de façon juste et équilibrée, étant donné que cela a à voir avec notre gouvernance — au rôle qui revient au ministère de la Justice quant à l'adoption de ce genre de loi. Devons- nous supposer qu'une fois que le projet de loi nous est renvoyé par le gouvernement que le ministère de la Justice a vérifié qu'il n'y a aucun problème quant à la règle du droit, par exemple, avec des dispositions du genre? Cela vous ennuierait-il de réfléchir à cela? Je pense qu'il y a ici une question plus générale quant à la façon dont les choses sont faites dans le cadre du régime de cabinet. Cela n'a pas commencé cette année.
M. Tassé : J'étais sous-ministre lorsque nous avons convenu que le conseiller juridique supérieur auprès du ministère des Finances serait détaché et installé au sein du ministère des Finances. Je pense que c'est toujours le cas. L'on avait pensé à l'époque qu'il serait plus facile et plus efficace que le ministère des Finances ait sur place le rédacteur et conseiller juridique détaché par le ministère de la Justice. Je pense que c'était une bonne décision.
J'ai quitté le ministère il y a 20 ans, alors je ne peux faire que des suppositions. Lorsque survient une question comme celle-ci et que des principes fondamentaux de la règle de droit de notre gouvernement, par exemple, sont en cause ou pourraient être affectés, j'ose espérer que l'équipe clé de fonctionnaires au ministère de la Justice responsable de conseiller les ministères et le gouvernement sur ces questions joue réellement un rôle dans les discussions et le débat qui devraient avoir lieu en vue de conseiller le ministre et les gens comme vous quant à l'opportunité de l'adoption d'un amendement de ce genre. Voyez-vous ce que je veux dire? En d'autres termes, je ne suis pas du tout convaincu qu'il y a ce genre de conversation. Je serais étonné qu'il y en ait car les propositions du ministère des Finances, à moins que les choses aient changé, sont très jalousement gardées par les gens des Finances. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose. Je dis que cela crée des contraintes quant à la façon dont les questions peuvent être débattues et discutées. Peut- être que cela a fait l'objet de discussions. Les gens ont le droit d'avoir des opinions différentes. Je ne fais que vous livrer mon opinion. J'aurais préféré qu'il y ait beaucoup plus de discussions au sujet de cette question.
Le sénateur Murray : Y a-t-il ici possibilité d'une contestation en vertu de la Charte?
M. Tassé : Directement, je ne le pense pas. Je ne pense pas que l'on puisse dire que cette proposition aille à l'encontre de l'un ou l'autre des principes de la Charte. Cependant, dans le renvoi sur la sécession que vous avez évoqué plus tôt dans vos remarques, sénateur Murray, la Cour suprême dit qu'un certain nombre de principes fondamentaux dérivés de la Charte et d'autres dispositions constitutionnelles devraient être respectés. Une cour de justice ne va pas intervenir et dire que vous avez commis une infraction. Cependant, il reste à voir jusqu'où voudrait aller une cour pour défendre ces principes.
Depuis 1982, il y a eu de nombreux changements dans la façon dont nous nous percevons nous-mêmes, et dont nous percevons la loi et le rôle de la règle de droit dans les débats au Parlement. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas infraction à la Charte que c'est la chose à faire. Le Parlement britannique a décidé il y a de cela des années qu'une femme n'était pas une personne. Il avait le pouvoir d'en décider ainsi. Était-ce la bonne chose à faire ou une chose appropriée à faire? Certes, il y a des choses qu'il n'est pas approprié de faire du fait qu'elles pourraient aller à l'encontre de la règle de droit. La règle de droit est un concept très vaste, mais une chose qu'elle prévoit est que les citoyens, les contribuables, devraient savoir quelle règle de droit respecter. Voici maintenant que l'on demande au Parlement d'adopter une loi plusieurs années après la loi originale, pour la modifier rétroactivement. Cela revient à dire: « Vous suivez les règles et vous consultez vos conseillers, mais nous allons changer les règles car nous en avons le pouvoir ». Il vous faut avoir de bonnes raisons de changer les règles. Je ne dis pas qu'il n'existe pas de cas dans lesquels ce pourrait et devrait être fait.
Le sénateur Ringuette : Lors de notre dernière réunion, j'ai demandé au secrétaire parlementaire McKay, qui comparaissait devant nous, ce qui suit :
Quelle était la position du ministère de la Justice concernant la rétroactivité de 17 ans?
M. McKay a répondu :
Nous ne pourrions procéder sans l'autorisation du ministère de la Justice. Ce projet de loi est proposé en partie et indirectement par le ministère de la Justice également.
J'ai alors dit :
Le ministère de la Justice était d'accord avec le ministère des Finances pour proposer ce projet de loi, n'est-ce pas?
Sa réponse a été : « Oui. »
Le président : Avant que vous ne répondiez, il me faudrait dire que notre dernier témoin d'aujourd'hui est Yvan Roy, SMA et avocat pour le ministère des Finances, Bureau du sous-ministre adjoint, ministère des Finances, Direction juridique, du ministère de la Justice, et qu'il pourra répondre à cette question. Cependant, si vous aimeriez faire quelques commentaires, allez-y, je vous prie, mais je tenais à ce que vous sachiez que le grand responsable va aujourd'hui même traiter de cette question précise.
M. Tassé : Je ne suis pas au courant des circonstances et de la consultation, et je ne sais même pas s'il y a eu quelque discussion ou consultation. M. Roy est avocat au ministère des Finances. Je ne peux pas me prononcer sur la relation qu'il aurait ni sur les questions dont il traiterait relativement à des questions essentielles comme la rétroactivité au cœur même du ministère.
Le président : Pourrait-on nous donner une réponse aux deux dernières questions du sénateur Murray?
M. Tassé : Oui.
Les cours, et la Cour suprême en particulier, sont très réticentes à l'idée de poursuivre ou de recevoir un renvoi pour un avis si les cours inférieures ne s'y sont pas penchées et n'ont pas fait de déclaration en la matière, ainsi que dans les cas où il n'y a pas un contexte factuel exhaustif. Ce pourrait être difficile de franchir ces étapes avant d'arriver à la Cour suprême.
M. Wilkie : Les articles 173 et 174 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient spécifiquement des renvois à la Cour canadienne de l'impôt sur des questions de faits et de droits relatives à des cotisations ou à des cotisations proposées. Ce n'est pas ce que je préconise. Je ne pense pas que cela soit nécessaire dans les circonstances que l'on sait. Cependant, pour répondre à la question du sénateur, il ne devrait pas quitter cette salle sans savoir que ces dispositions sont là.
Le sénateur Day : Vous dormirez mieux ce soir.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Tassé, j'ai une question morale pour vous. En d'autres mots, si ce projet de loi était adopté, les parties qui s'y intéressent sont celles qui abusent de la Loi de l'impôt. Pourquoi leur manifester de la sympathie si la Cour suprême a décidé que ces gens ont abusé de la Loi de l'impôt? Pouvez-vous me donner des exemples? Je comprends l'argument juridique, mais parlez-moi de l'argument moral.
M. Tassé : Je ne suis pas un expert des questions de taxes. Selon mes connaissances de la RGAE, nous avons donné au ministère un nouvel outil pour s'assurer de ne pas frauder. Il ne s'agit pas de fraude, il ne s'agit pas de conduite immorale, répréhensible.
C'est simplement que la Loi sur l'impôt, j'en suis convaincu, est très complexe. C'est un bouquin haut comme cela. Carter, en 1971, avait dit qu'il faudrait essayer de réduire, d'aller aux principes. Il y a beaucoup de règles techniques et des règles qui sont de nature très précise. J'ai compris que nous voulions faire avec la RGAE, d'avoir le droit d'utiliser l'impôt et de payer le moins d'impôt possible, non pas en trichant mais tout simplement en utilisant la loi telle qu'elle est, sans qu'on puisse nous imputer nécessairement dans des cas de fraude. Dans les cas qui nous occupent, nous disons que si LA RGAE s'applique, ce serait parce qu'il y a eu un abus. S'il y a eu de la fraude, nous n'avons pas besoin de RGAE, cela va s'appliquer. Nous ne sommes pas tout à fait à la question de morale; nous sommes à la question de savoir si une loi très complexe est utilisée à des fins réelles d'affaires, de revenus ou si elle est utilisée uniquement aux fins de tirer un avantage qui n'est pas relié à des décisions d'affaires? Est-ce une question immorale?
Le sénateur Massicotte : Je pensais que la RGAE disait que si vous trouvez un article de la loi contraire aux principes et aux intentions de la Loi de l'impôt qui peut vous avantager, la RGAE s'appliquait. Entre autres mots, si vous manipuliez un article mais contre les intentions de la loi en totalité, je pensais que la RGAE s'appliquait.
M. Tassé : Cela pourrait peut-être s'appliquer, mais l'exemple que je vous ai donné pourrait être un cas aussi. Des contribuables ont examiné l'état du droit en 1988. Il y a la Loi de l'impôt et les traités. Les traités peuvent donner des avantages différents de la loi. À moins d'avoir une disposition comme la RGAE et qui s'applique aux traités, pourquoi défendrions-nous aux contribuables de ne pas recourir à ces avantages? C'est la question à poser.
Le sénateur Massicotte : Seulement si c'est abusif, si un conflit peut être abusif, parce que sinon l'article en question ne s'appliquerait pas.
M. Tassé : C'est la cour qui définit l'abus; c'est la question qui a été posée dans les deux causes à la Cour suprême : est-ce que les critères qui sont employés dans la loi, à l'article 245, sont assez précis; si la loi est trop vague, si vous ne savez pas au juste à quoi vous en tenir et s'il est difficile à un tribunal d'en venir à une conclusion, à savoir si le test a été satisfait, un principe énonce que ce n'est pas une loi valide. C'est sur cette base que l'on attaque la RGAE à la Cour suprême. Je ne pense pas qu'il s'agit d'une question de morale. Ce n'est pas parce que l'agence aurait décidé qu'une personne n'a pas satisfait aux critères de la RGAE qu'elle est présumée avoir abusé des dispositions de la Loi sur l'impôt ou des dispositions du traité qu'elle devient immorale.
Le sénateur Massicotte : Il y a toujours un recours à la Cour, c'est la cour qui peut décider dans une divergence d'opinion.
M. Tassé : Je dis, que même si la cour décidait, ce ne sont pas des personnes qui ont été immorales. Peut-être pour d'autres raisons, mais pas pour cette raison. Je dirais que l'adjectif moral devrait être réservé aux cas de fraude et d'abus du fisc. Ce n'est pas ce dont on parle.
[Traduction]
M. Wilkie : L'une des difficultés s'agissant de discuter de la RGAE, changée ou inchangée, ou de tout document en matière d'anti-évitement, surtout lorsque vous ne le manier pas chaque jour en tant qu'outil, est l'attente, ou peut-être l'espoir, que quelqu'un en révélera ses limites. Cependant, les circonstances dans lesquelles cette règle s'applique sont tout à fait à l'antithèse de cela. Comme dans le cas de toute question difficile qui paraît impondérable, vous recherchez des points de repère objectifs pouvant vous guider vers une résolution acceptable, voire unique.
Vous trouverez peut-être une notion évolutive de l'intolérance d'abus, qui se retrouve reflétée non seulement dans la jurisprudence d'autres pays mais également dans une convention que le Canada observe de façon générale relativement aux traités. Vous trouverez peut-être dans l'histoire des traités une notion anti-évitement et une explication des raisons pour lesquelles l'on en est là ou pas; et cela est utile. En ce qui concerne la RGAE, rétrospectivement, vous aurez peut- être interprété la règle d'une certaine manière mais vous comprendrez peut-être de façon plus précise comment lire ces règles. C'est comme les rayons d'une roue de bicyclette. Voilà ce que je voulais dire.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Wilkie, j'ai lu votre mémoire et je vous ai écouté parler, et vous êtes convaincant lorsque vous dites que la RGAE s'appliquerait probablement aux conventions. Vous reconnaissez depuis le début de la discussion qu'il s'agit ici d'une zone grise en ce sens que même au sein de votre cabinet d'avocats ce n'est pas tout le monde qui partage votre opinion. M. Tassé a dit la même chose. Il vous a demandé, si c'est une zone grise, pourquoi vous voudriez imposer une loi qui enlèverait à quelqu'un le droit de régler un différend en recourant au système judiciaire. Vous avez répondu à la question mais je n'ai pas tout à fait compris la réponse. Pourquoi ne pas accepter la procédure judiciaire? Pourquoi utiliser un gros marteau pour écraser une mouche?
M. Wilkie : Je ne pense pas que la mouche soit déjà morte, bien qu'il s'agisse d'un gros marteau. Avait-on le marteau à la main en 1988, étant donné la façon dont nous comprenons aujourd'hui les choses, ou pas? La question est juste, et il serait idiot de ma part de dire le contraire.
Le président : La question est différente pour ce qui est du marteau et de la mouche. Le sénateur Massicotte est en train de dire que si vous l'utilisez rétroactivement, la rétroactivité la tuera. Voilà quelle est la question.
M. Wilkie : Ce que je dis, c'est que là n'est pas la question.
Le sénateur Massicotte : Cependant, vous convenez qu'il y a de solides opinions contraires à la vôtre. En ce qui concerne l'industrie en tant que telle, il s'agit d'une zone vague et grise.
M. Wilkie : En effet, mais pour répondre directement à votre question, la RGAE ne s'applique automatiquement à rien. Il demeure que les contribuables auront la possibilité de contester l'application à leur situation de la RGAE, qu'elle soit changée ou inchangée. C'est une analyse compliquée.
Le sénateur Massicotte : L'on pourrait demander pourquoi limiter cela à cette seule question?
M. Wilkie : Si la question est de savoir si les contribuables sont privés de leurs droits du fait de ce changement, je dirais que non, mais il sera peut-être un peu plus difficile que par le passé d'arriver jusqu'en haut de la côte, mais je ne suis même pas prêt à concéder cela. Par ailleurs, un tribunal sera libre de conclure qu'il n'est pas raisonnable d'appliquer la RGAE étant donné que ce devrait changer.
Le sénateur Massicotte : Vous dites que non car votre opinion est que ce projet de loi n'entraverait ni ne réduirait les droits des contribuables dans le contexte de la loi telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Vous avez convenu plus tôt que d'autres personnes crédibles, dont une qui est assise à côté de vous, disent qu'elles n'acceptent pas ce point de départ. Pourquoi alors n'accepteriez-vous pas qu'un tiers interviennent devant la cour en vue d'une décision, au lieu de simplement laisser la loi entraver le chemin?
M. Wilkie : Que le projet de loi soit ou non adopté, il y aura des allégations voulant que la RGAE s'applique à certaines circonstances quoi qu'en dise la loi; et ce seront les tribunaux qui trancheront. La RGAE sera appliquée ou pas à un ensemble de circonstances données. Si elle est appliquée, alors le contribuable qui s'estime lésé du fait que ses droits en tant que citoyen imposé par un autre pays aient été entravés d'une façon injustifiée fera alors appel à la cour et lui demandera de trancher.
Le sénateur Massicotte : Même si lie projet de loi est adopté, cela ne limiterait pas le droit de recourir aux tribunaux?
M. Wilkie : Oui.
Le sénateur Massicotte : Alors pourquoi l'adopter? Pourquoi adopter le projet de loi s'il n'assure aucune clarté?
M. Wilkie : Il assure de la clarté, et c'est là l'important.
Le sénateur Massicotte : Vous m'avez perdu. S'il assure la clarté, diminue-t-il vos droits de faire appel aux tribunaux?
M. Wilkie : S'il assure la clarté s'agissant de droits ou d'obligations existants, alors il ne change rien.
Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord, mais nous tournons en rond. Vous reconnaissez que d'autres professionnels qualifiés n'acceptent pas ce point de départ. Il me semble que vous leur enlevez le droit de recourir à la cour pour régler la question.
M. Wilkie : Je ne suggère aucunement que mon opinion devrait l'emporter. J'aborde la question d'une façon différente. Comme je l'ai dit, l'on pourrait arguer que ce n'est pas rétroactif. Cependant, si c'est rétroactif, alors l'on peut arguer solidement que le changement n'entrave ni les droits essentiels ni les droits en matière de procédure des contribuables. Cependant, il est clair que l'on peut dire rétrospectivement que la loi, telle que rédigée en 1988, n'a peut- être pas été aussi révélatrice des circonstances auxquelles on pouvait comprendre qu'elle s'appliquerait, d'où le changement en vue d'apporter une clarification.
Le sénateur Massicotte : Vous dites que la RGAE était applicable. Cependant, si votre point de départ était que la RGAE n'était pas applicable aux conventions fiscales, alors pourquoi diriez-vous toujours que la loi n'aurait aucune incidence sur le résultat?
M. Wilkie : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, car c'est une dure conclusion que de dire que la RGAE ne s'applique pas aux conséquences fiscales relevant de lois.
Le sénateur Massicotte : Mais qu'en serait-il si c'était là votre point de départ?
M. Wilkie : Si vous supposez que la RGAE ne s'appliquait pas aux conventions fiscales, alors, avec la modification, il sera plus facile de dire qu'elle s'appliquait bel et bien aux conventions fiscales. Si, de l'autre côté, vous demandez si la RGAE s'appliquait aux conséquences fiscales au titre de la loi et sur lesquelles les conventions fiscales ont une incidence, je ne suis pas convaincu que l'on ait là une question différente ou une réponse différente.
Le sénateur Cools : J'aimerais remercier les deux témoins de leur comparution devant nous et de leurs excellents témoignages. Mes questions sont exploratives, comme l'a dit plus tôt M. Wilkie.
Il y a quelques minutes, le sénateur Murray a demandé aux témoins s'il n'existe pas un meilleur moyen grâce auquel le gouvernement aurait pu réaliser ses objectifs relativement au projet de loi. L'une des choses qui ne va pas avec ce projet de loi est que le gouvernement tente en définitive d'en arriver à un résultat par un moyen détourné. Le gouvernement essaie ici d'éviter les conséquences de certains jugements de tribunaux. À mon avis, le gouvernement s'efforce de garantir certains résultats devant les tribunaux.
Lorsqu'un gouvernement demande au Parlement d'examiner ce genre de chose, cela ne devrait pas être fait au moyen d'une loi rétrospective. Le gouvernement devrait faire ce qu'il est réellement en train de faire, et ici l'on parlerait de supplanter la compétence des tribunaux et de supplanter les jugements pouvant avoir été rendus. Si c'est cela que voulait le gouvernement, il aurait dû prendre le taureau par les cornes et soumettre la question au Parlement.
Les sénateurs se souviendront peut-être du projet de loi Pearson que le Sénat a rejeté. Si vous examiniez les viscères de ce projet de loi, vous verriez qu'il tentait lui aussi de limiter la compétence des tribunaux. La rétroactivité nous pose de sérieux problèmes.
Je n'accepte pas votre conclusion, bien que votre logique soit très intéressante. Si c'est cela qu'essaie de faire le gouvernement, alors c'est ce qu'il devrait faire. Je suis de l'avis de M. Tassé. Si ce genre d'article est approprié dans un projet de loi, alors je vous soumets que si un gouvernement changeait et n'aimait pas une part importante de ce qui aurait été fait dans les dix années précédentes, alors il pourrait recourir à des articles comme celui-ci dans chaque projet de loi pour renverser tout ce qui ne lui convient pas.
C'est pourquoi, historiquement, la loi a limité la rétroactivité en matière de projets de loi à des circonstances bien particulières. Si la loi a été si circonspecte c'est qu'elle vise à maintenir intact le consentement des gouvernés. En d'autres termes, nous ne pouvons pas retourner en arrière et prendre des lois rétroactives, remontant à ce qui a été fait lorsque d'autres gouvernements étaient en place, car nous ne pouvons pas contester l'acceptation de projets de loi à l'époque par Sa Majesté.
En droit, ce domaine relève de l'inconnu. Vous ne pouvez pas demander à Sa Majesté de reconnaître qu'elle a eu tort.
Permettez que j'aborde la question d'une autre façon. Vous avez dit que les traités sont des ententes entre pays. Je ne les définirais pas de cette façon. J'aurais dit que les traités sont des ententes entre souverains. Je dirais alors qu'intervient un autre principe, soit que le souverain doit régner avec le consentement des gouvernés. Mais il intervient encore un autre principe, voulant que le souverain ne puisse pas prélever d'impôt sans le consentement du Parlement. C'est la façon dont ces trois principes travaillent ensemble qui régit la façon dont nous devrions faire les lois.
Voilà pourquoi j'arguerais que le souverain ne peut pas remonter jusqu'en 1988, à une époque où un autre gouvernement était au pouvoir. Le gouvernement en place aujourd'hui n'a pas été élu en 1988.
Ce n'est pas une chose facile. Peut-être que M. Tassé pourrait vous aider avec cela.
Le président : Je vais donner aux témoins la possibilité de répondre.
M. Wilkie : Je ne peux pas me prononcer quant à l'intention du gouvernement, mais je m'efforce de regarder objectivement ce que j'ai devant moi et de déterminer s'il y a une telle incompatibilité que cela justifierait d'annuler le projet de loi renfermant cet article. Franchement, là n'est pas ma conclusion. Je vous ai expliqué le contexte dans lequel j'ai cette opinion. Pour cette raison, je pense pouvoir étayer l'avis que cela n'est pas rétroactif. Cependant, même si c'est rétroactif, peu importe, étant donné les lignes directrices.
Je respecte les mêmes principes en ce qui concerne la loi que vous. Tout ce que je peux dire c'est que si vous pouvez établir, non pas sur la base d'un avis politique mais sur celui d'une analyse objective de la loi telle qu'elle est écrite et du contexte qui s'applique quant à son interprétation, que vous informez l'application de la loi mais que vous ne la changez pas, alors le fait que cette loi ait été adoptée par un gouvernement différent au départ n'est pas une entrave pour ce faire. Vous ne faites pas quelque chose qui préoccuperait ou qui devrait préoccuper la population que le gouvernement sert objectivement.
Le président : Monsieur Tassé, c'est vous qui aurez le mot de la fin.
M. Tassé : La question de la rétroactivité se pose dans le contexte de l'autorité du Parlement, et non pas de la Reine. Il y a des situations dans lesquelles la rétroactivité est un moyen approprié d'accorder un certain soulagement aux contribuables. Personne ne s'opposerait à ce que le Parlement accorde rétroactivement un assouplissement dans le cas d'une taxe qui aurait été injustement imposée à un groupe donné de personnes.
En passant, je ne connais personne qui appartiendrait à cette catégorie. Je ne me suis pas occupé de savoir de qui il s'agirait et je ne compte pas parmi ceux qui en bénéficieraient. Cependant, cela changerait les ramifications fiscales d'années antérieures.
Il se pourrait qu'il y ait des situations où se serait possible. Disons qu'une loi est adoptée aujourd'hui et que l'intention du Parlement est claire pendant des années. Les contribuables et leurs conseillers sont clairs quant à l'intention visée. Tout d'un coup, une décision de tribunal dit que ce n'est pas ainsi que ce devrait être interprété et annonce une conclusion différente. Je pense que dans un tel cas, même s'il s'agit d'une loi adoptée plusieurs années auparavant, il pourrait y avoir un amendement de clarification disant qu'en dépit de cette décision le gouvernement maintient la position exprimée et qui a toujours été exprimée et que les gens avaient comprise. Dans un tel cas, on apporterait un changement. Dans pareilles circonstances, je ne pense pas qu'il y ait le moindre mal à procéder de la sorte.
Ici, ce que je dis c'est que l'intention initiale n'était pas claire. Elle n'était pas sans équivoque. Il n'y avait aucune position prise par les autorités en matière de taxation dans l'administration de la loi disant qu'il y avait eu des occasions au fil du temps à cause des opinions exprimées par les contribuables. Il y avait un doute. Personne n'en parlait puis, tout d'un coup, au bout du compte, vous dites, en passant, que vous allez changer telle chose et rendre cela rétroactif.
Pour ce qui est de l'avenir, je n'ai aucun problème. Le Parlement peut, et c'est souvent ce qu'il fait, changer pour l'avenir les règles fiscales. C'est ce qu'il fait dans le discours du Trône.
Cependant, remonter en arrière et changer les règles n'est pas une chose qui me paraît appropriée. Ce n'est pas contraire à la Constitution, mais ce n'est pas non plus conforme aux principes de la Constitution, à la valeur accordée à la règle du droit dans la Charte. Nous disons dans la Charte que le Canada est un pays qui est fondé sur le principe de la règle du droit et de la suprématie de Dieu, et nous chérissons donc cette règle du droit, et à mon sens, ce serait contraire à cela.
Le président : Merci beaucoup. Nous n'avons plus de temps. Le dernier mot revient au sénateur Day.
Le sénateur Day : Merci beaucoup. Je tâcherai d'être bref.
La première question que j'ai remonte à mon dernier séminaire sur la fiscalité avant cet après-midi, et au cours duquel l'on nous a soumis que l'évasion fiscale comportait un certain élément criminel et que l'évitement fiscal est de la bonne planification fiscale. Y a-t-il quelque chose entre les deux? Est-il possible de faire une bonne planification fiscale qui vous évite de payer certains impôts, ou bien allez-vous vous faire prendre par cette nouvelle loi depuis 1988?
M. Wilkie : Je pense que le genre d'évitement fiscal non criminel dont la règle générale anti-évitement ou la notionanti-abus et les traités se préoccuperaient correspondrait à des circonstances dans lesquelles, nonobstant ce que les contribuables auraient paru faire sur la base de la formalité de leurs arrangements, la façon dont ils se comportent entre eux et leurs obligations légales en tant que preuve ne cadreraient pas. Ils disent avoir fait une chose, mais en fait leur comportement, la façon dont ils interagissent disent qu'ils ont fait autre chose. Voilà pourquoi je suggérerais que les régimes fiscaux s'appliquent à la substance légale et non pas à la substance économique de leurs arrangements, ce qui réunit la façon dont ils se sont organisés formellement, contractuellement ou autre, et ce que la preuve indique qu'ils ont fait.
Si vous et moi passons un contrat, avons-nous certaines attentes l'un vis-à-vis de l'autre et nous comportons-nous d'une façon qui indique que ces attentes et obligations seront honorées, ou bien est-ce là un simple subterfuge pour autre chose? C'est là la question.
Le sénateur Day : Ce serait abusif.
M. Wilkie : Ce pourrait l'être. J'ai évoqué l'affaire qui a été décidée il y a quelque temps par la Cour d'appel fédérale. L'affaire concernait le placement ingénieux d'une entreprise à l'intérieur d'un groupe corporatif entre le Canada et un autre pays où, si les paiements avaient été faits directement, il y aurait eu un taux de retenue supérieur qu'il n'y en a eu à cause du cheminement des paiements, même dans des circonstances où il y a énormément de formalités et une transmission automatique des paiements.
Cela a été légal et efficace. Des droits et obligations ont été créés. Les parties ont respecté le contrat. Il a été exécuté. C'était une affaire de magasinage de conventions fiscales.
Le sénateur Day : Merci.
Mon dernier point découle des deux affaires en matière de règlement dont nous avons parlé et sur lesquelles chacun d'entre vous s'est prononcé.
J'ignore si vous avez eu l'occasion de parcourir la transcription de notre réunion du 20 avril, mais la question a été posée par le sénateur Murray au ministre des Finances, M. Ralph Goodale. La troisième partie de sa question — il utilisait la même technique revenant à poser toutes sortes de questions pour disposer d'un maximum de temps — a été de demander pourquoi il n'en a pas été appelé de ces deux affaires, c'est-à-dire les deux affaires relatives au règlement.
Le ministre a répondu comme suit :
Je ne l'ai peut-être pas dit assez clairement dans mes remarques, mais nous ne l'avons pas fait parce que ces décisions reposaient sur plusieurs arguments en faveur du contribuable. Les juges ont abordé la question de la RGAE, entre autres sujets; toutefois, il y avait plusieurs autres arguments en faveur du contribuable, si bien qu'il n'aurait pas été pertinent de porter la décision en appel sur la simple question de la RGAE.
Êtes-vous d'accord, ou bien savez-vous quelque chose au sujet de l'appel et des raisons pour lesquelles il n'a pas été poursuivi?
M. Wilkie : Ce n'était qu'une possibilité. Je pense qu'il était important en ce qui concerne ces deux affaires que la Cour de l'impôt conclue que la RGAE ne s'appliquait pas aux règlements.
M. Tassé : Elle s'appliquait, et d'après les renseignements dont je dispose, il y a eu un appel, mais il a été abandonné. Ce qu'il y a de plus révélateur c'est qu'à partir de ce moment-là et jusqu'en 2004, lorsque le budget a été déposé, il n'y a eu aucune indication quant à la position retenue; si le gouvernement avait depuis le début dit avoir une position claire et sans équivoque, il aurait pu indiquer par quelque moyen que la position était tout le contraire et qu'il envisageait de soumettre des changements au Parlement. Son silence a été quelque peu...
M. Wilkie : J'aimerais simplement ajouter quelque chose, sénateur. Voici une supposition que je vais faire. Sur le plan pratique et s'agissant de donner des conseils, il y aurait lieu de réfléchir long et fort à la question de fournir des avis importants sur la base de ces deux affaires — la RGAE ne s'applique pas au règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu et en conséquence l'évitement fiscal, sous une forme ou une autre, aux termes du règlement, est acceptable là où l'évitement fiscal ne le serait pas en vertu de la loi.
Quelqu'un voudra peut-être se pencher sur la question de savoir si, dans une vision aussi étroite du texte réglementaire, les dispositions de la loi ne sont ainsi pas utilisées de façon abusive et si tout ce que nous dit le Règlement c'est de quelle manière la loi s'applique en l'espèce.
Le sénateur Day : Merci.
M. Tassé : Je comprends que dans une telle situation le conseiller fiscal aviserait le contribuable que cette décision a été rendue, que de nombreux savants et experts en fiscalité ont maintes fois dit que cela ne s'appliquerait pas, et demanderait au client s'il veut poursuivre sur cette voie. C'est son droit de dire que c'est ce qu'il souhaite. Et que l'Agence revienne quatre ou cinq ans plus tard pour dire non, vous avez eu tort... Pourquoi l'Agence n'autoriserait-elle pas le contribuable à saisir la cour de l'affaire pour obtenir une décision en la matière? C'est ainsi que fonctionne notre système. C'est à cela que servent les tribunaux.
Le sénateur Day : Vous avez dit que le conseiller fiscal renseignerait le client au sujet de ces affaires, mais cela vous étonnerait-il si un conseiller fiscal n'expliquait pas à son client la position de l'Agence du revenu du Canada?
M. Tassé : Si vous donnez des conseils, alors vous devriez donner des conseils exhaustifs sur la base de votre compréhension de ce qu'est la position de l'Agence et des autres, et de ce que dit la jurisprudence, en arriver à une conclusion et dire, eh bien, ce n'est pas clair.
Le président : Cela vaut également pour les bulletins d'information.
M. Tassé : Ils disent que cela ne s'appliquait pas; qu'ils ne l'ont pas suivie et que l'Agence ne l'accepte pas. Cela veut dire que l'Agence portera peut-être une autre affaire devant la Cour. Ils n'ont pas dit nous ne l'acceptons pas et nous comptons modifier la loi.
Le président : Monsieur Tassé et monsieur Wilkie, je tiens à vous remercier très sincèrement de la part du comité. Vu l'excellence de vos témoignages, nous avons dépassé de 40 minutes la plage prévue. C'était absolument superbe. Vous avez fait ce que sont censés faire les témoins. Vous nous avez livré beaucoup d'opinions utiles et d'idées qui aideront le comité à prendre les décisions qu'il lui faut prendre, et vous êtes tous les deux d'excellents intervenants.
Le sénateur Cools : Monsieur le président, pourrions-nous avoir une mise à jour au sujet de M. Lalonde?
Le président : Nous ferons une mise à jour au sujet de M. Lalonde plus tard.
Le groupe de témoins suivant nous vient du secteur bénévole. Il s'agit de Georgina Steinsky-Schwartz, présidente et chef de la direction d'Imagine Canada, qui a été lancé en janvier 2005 par le Centre canadien de philanthropie, CCP, et par le Regroupement des organisations nationales bénévoles, ou RONB.
Une partie de la mission d'Imagine Canada est d'aider les Canadiens à comprendre à quel point le travail des organismes caritatifs, des organisations sans but lucratif et des entreprises à vocation communautaire est important pour notre pays et son avenir.
Bob Wyatt est le directeur exécutif de la Fondation Muttart. Depuis sa création en 1953, cette fondation a versé des millions de dollars à l'appui de projets au Canada et à l'étranger.
Hillary Pearson est la présidente et directrice générale des Fondations philanthropiques Canada, une organisation nationale représentant les fondations subventionnaires indépendantes du Canada.
Je vous remercie beaucoup de nous avoir fait parvenir à l'avance vos mémoires. Ils ont été distribués aux sénateurs, mais je vous inviterai maintenant à faire quelques brèves remarques liminaires, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.
Mme Georgina Steinsky-Schwartz, présidente et chef de la direction, Imagine Canada : Merci, sénateurs. J'aimerais remercier le comité de nous avoir invités ici aujourd'hui pour discuter de la plus importante mesure législative ayant une incidence sur les organismes de bienfaisance au Canada à intervenir dans les 25 dernières années. Il s'agit d'un projet de loi très important qui a résulté d'un processus de collaboration entre le gouvernement et le secteur caritatif, et mon collègue M. Wyatt a participé à ce processus que l'on a appelé la Table conjointe sur le cadre de réglementation.
Pour vous donner une meilleure idée de l'incidence du projet de loi, mon rôle ici aujourd'hui est de parler de certaines des recherches au sujet du secteur bénévole et sans but lucratif, après quoi je céderai la parole à M. Wyatt et à ma collègue Mme Pearson.
Permettez-moi de commencer par dire que pour l'essentiel nous appuyons les articles du projet de loi C-33 qui s'appliquent au secteur caritatif. Il s'agit pour la plupart d'une mesure très positive pour la réglementation des organismes de bienfaisance au Canada, et nous tenons à féliciter le ministère des Finances pour le processus concerté qui a servi à l'élaboration de la plupart des dispositions du projet de loi.
Il est un article, l'article 35, dont nous pensons qu'il aura une incidence très néfaste sur le secteur caritatif. Il s'agit d'un article dont M. Wyatt traitera plus dans le détail, mais il concerne des exigences relativement aux dons avec reçu. Nous pensons que si ces dispositions sont maintenues, une réforme de la réglementation sera nécessaire pour corriger certaines des failles de cet article. Nous espérons également que toute nouvelle initiative du genre sera informée par un processus de consultation, contrairement à ce qui s'est passé dans le cas de l'article 35.
Étant donné l'importance économique du secteur et d'une bonne réglementation le régissant, nous trouvons que cela est indiqué. Pour vous donner une idée de la taille et de l'importance du secteur des organismes de bienfaisance et non lucratifs au Canada, le pays compte 161 000 organismes de bienfaisance et sans but lucratif, dont environ 80 000 sont des organismes de bienfaisance enregistrés et qui seront directement visés par le projet de loi. Ces groupes réunissent quelque 139 millions de membres, ce qui veut dire que chaque Canadien appartient à environ quatre organisations.
La plupart d'entre elles sont de petits groupes. Plus de 80 p. 100 ont des revenus de moins de 500 000 $ et plus de la moitié dépendent entièrement de bénévoles.
Au total, les groupes de bénévoles et sans but lucratif contribuent chaque année 75,9 milliards de dollars à l'économie, soit environ 8,5 p. 100 du PIB, et 12,1 p. 100 de la population active contribuent au travail des organismes de bienfaisance, ce qui représente environ 2 millions de travailleurs et 2 milliards d'heures de bénévolat.
Lorsque considéré en tant que secteur économique, et je vous cite ici des chiffres qui proviennent de Statistique Canada, il se classe devant ceux de la construction et des transports pour ce qui est de l'emploi, 63 p. 100 de ces groupes servant principalement des besoins locaux et moins de 10 p. 100 ayant des revenus supérieurs à 1million de dollars. Cela est important dans le contexte du projet de loi car notre recherche montre que ce sont les groupes de taille modeste qui ont le plus tendance à compter sur un financement qui ne provient pas du gouvernement et qui se trouvent aux prises avec des problèmes de capacité. Une trop grande dépendance à l'égard de financement de projet et le refus de nombreux donateurs de couvrir les coûts de base jouent contre ces groupes qui ont ainsi de la difficulté à s'acquitter de leur mission avec les ressources insuffisantes dont ils disposent.
Une façon pour eux de combler leurs besoins est de miser encore plus sur les dons assortis de reçus. En 2003, quelque 5,4 milliards de dollars en transferts entre organismes ont assuré la circulation de fonds entre différents groupes sectoriels. Une partie de l'argent est allé à des organismes de bienfaisance enregistrés, pouvant ainsi contrecarrer certaines des difficultés posées par le financement de projets, en couvrant notamment des frais généraux ou administratifs que d'autres donateurs ne pouvaient pas payer.
Avec l'article 35 du projet de loi et les changements au contingent des versements, ces organismes caritatifs perdront de leur marge de manœuvre. Ce qui est pire, en se conformant aux nouvelles obligations en matière de contingent des versements, les organismes de bienfaisance seront confrontés à un fardeau administratif supplémentaire dont M. Wyatt va traiter de façon plus détaillée.
À certains égards, le projet de loi C-33 est un bon projetde loi du point de vue des organismes caritatifs. Cependant, l'article 35 est un élément négatif qui aura une incidencesur ceux qui seront le moins en mesure de s'y conformer. Plus de 50 p. 100 des organismes de bienfaisance dépendent très largement de dons avec reçus et sont administrés par des bénévoles. Je vais maintenant inviter M. Wyatt à vous expliquer cela dans le détail.
M. Bob Wyatt, directeur exécutif, la fondation Muttart : Monsieur le président, honorables sénateurs, permettez-moi de souligner que le projet de loi C-33 est la série de modifications la plus complète à l'égard de la loi dans son application aux organismes de bienfaisance depuis plus de deux décennies. Il ne s'agit pas d'amendements techniques, mais plutôt de changements fondamentaux aux règles en vertu desquelles fonctionnent les organismes de bienfaisance canadiens.
La plupart de ces amendements découlent des travaux de la Table conjointe sur le cadre de réglementation convoquée dans le cadre de l'Initiative du secteur bénévole. Les travaux de cette Table ont représenté une nouvelle façon d'élaborer des recommandations en vue de modifications législatives. Cette Table a réuni des gens du secteur bénévole et des cadres supérieurs de la fonction publique afin qu'ils puissent trouver des moyens d'élaborer un régime législatif approprié pour les 81 000 organismes de bienfaisance que compte le pays.
En tant que coprésident de cette table, je peux vous dire que mes collègues et moi-même avons été ravis par la réponse rapide et positive du gouvernement aux recommandations du comité. Les amendements que vous avez devant vous ont dans l'ensemble été appuyés par le secteur bénévole. Le ministère des Finances et la Direction des organismes de bienfaisance de la Direction générale des politiques et des lois de l'Agence du revenu du Canada méritent des éloges pour la façon dont ils ont appuyé les travaux de la Table conjointe sur la réglementation et les opinions des organismes de bienfaisance d'un bout à l'autre du pays.
Notre objet, comme l'a mentionné Mme Steinsky-Schwartz, est d'appuyer les amendements découlant du processus de la Table conjointe sur le cadre de réglementation et de sensibiliser le comité ici réuni à nos préoccupations quant à un changement qui a été proposé sans préavis ni consultation et qui créerait de sérieux problèmes pour les organismes de bienfaisance du pays.
Les sénateurs sauront que les organismes de bienfaisance canadiens doivent respecter un contingent des versements. Les règles applicables aux fondations de bienfaisance sont différentes de celles qui valent pour les organismes de bienfaisance. Pour dire les choses simplement, les fondations privées et publiques doivent consacrer 4,5 p. 100 de leurs éléments d'actif à des organismes de charité, en règle générale sous forme de subventions versées à d'autres organismes de bienfaisance. Le projet deloi C-33 ramènerait ce taux à 3,5 p. 100. Ce changement fait l'objet de discussions depuis plusieurs années et découle d'une étude à long terme des rendements sur investissement effectuée par le ministère des Finances. C'est un changement que nous appuyons, bien que je m'empresse d'ajouter que de nombreuses fondations ont décidé qu'elles maintiendront leur niveau de subvention à au moins 4,5 p. 100.
À ce jour, les organismes de bienfaisance — et qui ne sont pas des fondations — ont été assujettis à un contingent des versements se rapportant principalement au montant qu'ils reçoivent sous forme de dons assortis de reçus. Ces organismes doivent consacrer 80 p. 100 de ces dons à des activités caritatives dans l'année suivant leur réception. L'exigence que ces fonds soient consacrés à des activités caritatives est lourde. Les coûts de levées de fonds et d'administration ne sont pas admissibles selon l'interprétation donnée par le ministère des Finances et l'Agence du revenu du Canada, bien qu'une décision de la Cour suprême du Canada remette en question cette interprétation.
Le projet de loi C-33 modifiera fondamentalement le contingent des versements pour les organismes de bienfaisance. En plus de la règle des 80 p. 100, ces organismes devront dépenser 3,5 p. 100 de la valeur de leurs avoirs non utilisés à des fins caritatives. Pour la première fois, les dons reçus d'autres organismes de bienfaisance seront assujettis au contingent des versements en vertu duquel 80 ou 100 p. 100 de la valeur du don doit être dépensé dans l'année qui suit sa réception. Il y a également de nouvelles règles établissant un concept appelé « bien durable », et il y a une nouvelle exigence de compte de gains en capital.
Si cela vous paraît compliqué, sénateurs, bien que ce ne soit pas aussi compliqué que la RGAE, c'est tout à fait le cas. Je vous renverrai à la transparence 26 de notre dossier de présentation, où se trouve illustrée la formule de calcul de contingent des versements proposée dans le projet de loi C-33. J'inviterai également les sénateurs à regarder la transparence 27, dont vous avez une copie couleur qui est plus facile à lire. Cette transparence présente l'arbre décisionnel que doit suivre un organisme de bienfaisance s'il reçoit un don d'un autre organisme de bienfaisance, comme par exemple une fondation.
Le sénateur Ringuette : Je constate que quelqu'un a déployé beaucoup d'efforts pour élaborer ce tableau.
M. Wyatt : M. Terry Carter, un avocat de l'Ontario, a préparé ce tableau dans le cadre des conseils qu'il a fournis à notre fondation.
Dans le texte du projet de loi dont vous êtes saisi, les changements au contingent des versements remplissent cinq pages. Sénateurs, nombre d'entre vous ont œuvré au fil des ans au sein d'organismes de bienfaisance de tailles diverses. Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable d'avancer que les dispositions contenues dans le projet de loi C-33 seront incompréhensibles pour la plupart des organismes de bienfaisance au pays, lesquels n'ont aucun personnel. En fait, même les conseillers professionnels que certains d'entre nous avons les moyens d'engager n'arrivent pas à s'entendre sur la signification de ces nouvelles règles en matière de contingent des versements.
Pour être juste, le ministère des Finances a apporté certains changements à l'avant-projet de loi avant le dépôt du projet de loi C-33. Bien qu'on ait répondu à certaines préoccupations, le résultat final est le même, soit une loi presque incompréhensible qui est censée être interprétée par des personnes qui s'efforcent de servir l'intérêt public. Un de mes collègues a dit que ce ne devrait pas être si difficile de faire du bien.
Les modifications au contingent des versements que vous avez devant vous ont été introduites sans consultation ni discussion. Le secteur n'a reçu aucune explication quant à l'objectif de politique publique que favoriseraient ces modifications. Elles ajoutent un niveau de complexité qui dépasse l'entendement de la plupart des gens, même avec l'aide qui sera, nous en sommes convaincus, donnée par la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC.
Un tel degré de complexité garantit presque assurément l'inobservation des règles, que ce soit par inadvertance ou autrement. Les gens sont nombreux à penser que le contingent des versements, un concept qui a été introduit il y a environ 30 ans et qui est unique au Canada, devrait être entièrement repensé. Nous abondons dans ce sens.
Nous croyons que les modifications proposées au contingent des versements applicable aux organismes de bienfaisance devraient être rayées du projet de loi. Nous serions favorables à un processus semblable à celui de la Table conjointe en vue de comprendre le problème que nous tentons de résoudre et de trouver une solution appropriée. Ces changements n'apporteront pas la solution recherchée.
Enfin, monsieur le président, nous aimerions mentionner deux recommandations faites par la Table conjointe et qui n'ont pas été acceptées par le gouvernement. Nous encourageons le comité ici réuni à se pencher à l'avenir sur ces recommandations. La première concerne le mécanisme d'appel au moyen duquel les décisions de la Direction des organismes de bienfaisance peuvent être contestées. Si l'on refuse d'accorder à un organisme l'enregistrement en tant qu'organisme de bienfaisance ou si le gouvernement se propose de révoquer le statut d'un organisme de bienfaisance, le premier tribunal auprès duquel l'organisme peut interjeter appel est la Cour d'appel fédérale. Les organismes de bienfaisance et les régimes de pension agréés sont les seules entités autorisées à entamer des procédures judiciaires devant cette cour; tous les autres ont accès à la Cour canadienne de l'impôt. En fait, en vertu du projet de loi C-33, les organismes de bienfaisance pourront en appeler à la Cour d'impôt de toute sanction intermédiaire imposée en vertu du projet de loi, mais l'enregistrement et la révocation continueront de relever exclusivement de la compétence de la Cour d'appel fédérale. La quasi-totalité des commentateurs ont critiqué le système, et tant la Cour d'appel fédérale que la Cour suprême du Canada ontdiscuté des problèmes. Il ne devrait étonner personneque les organisations de bienfaisance n'ont pas sousla main 50 000 $ pour financer un appel devant la Cour d'appel fédérale. Il n'y a selon nous aucune raison pour laquelle la Cou canadienne de l'impôt ne devrait pas s'occuper des procédures en matière d'enregistrement et de révocation.
Nous encourageons le Sénat à revoir cette question à la première occasion et à envisager de placer les organismes de bienfaisance ou éventuels organismes de bienfaisance dans la même situation que la quasi-totalité des autres entités assujetties à la Loi de l'impôt sur le revenu.
Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur la recommandation de la Table conjointe sur le cadre de réglementation voulant que les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux en matière de bienfaisance soient autorités à échanger des renseignements concernant leurs enquêtes. Cette recommandation a reçu l'aval du secteur et nous ne comprenons pas pourquoi cela poserait problème. Il y va de l'intérêt de tous que soient expédiées les enquêtes dans les rares cas de fraude apparente de la part d'un organisme de bienfaisance. Étant donné la division constitutionnelle des responsabilités en matière d'organismes de bienfaisance dans notre pays, l'échange d'information entre les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux paraît tout à fait logique pour ces derniers, pour les organismes de bienfaisance et pour le public que tous essaient de servir.
En conclusion, monsieur le président, le secteur bénévole endosse le gros de ce qui est contenu dans le projet de loi C-33 et en recommande l'adoption par le comité. Nous demanderions toutefois que le comité envisage sérieusement le retrait des nouvelles règles en matière de contingent des versements. Cela permettrait le réexamen de tout le concept des contingents de versements pour les organismes caritatifs canadiens.
Mme Hilary Pearson, présidente-directrice générale, Fondations philanthropiques Canada : Monsieur le président, je n'ai pas de commentaires à ajouter. Je suis ici pour répondre à vos questions. M. Wyatt et Mme Steinsky-Schwartz vous ont exposé leurs vues.
Le président : Au début, nous avions compris que ces articles étaient le résultat de vastes consultations auprès de nombreux groupes et organismes de bienfaisance et que vous félicitiez le ministère pour la façon dont il avait tendu la main en vue de réaliser cet objectif. D'un autre côté, vous avez certaines préoccupations quant au contingent des versements.
Comme vous le savez, ce projet de loi est un important projet de loi du gouvernement qui fait suite au budget de 2004, et il nous faut adopter un certain nombre d'éléments de cette importante initiative législative gouvernementale. Si je comprends bien, vous ne voulez pas stopper ni retarder l'adoption du projet de loi, mais avez-vous discuté avec le ministère de la possibilité que cet article ne soit pas appliqué? L'avez-vous abordé en vue de trouver une façon de contourner l'application de ce nouveau contingent des versements?
M. Wyatt : Oui, madame Pearson, et j'ai assisté à une réunion du ministère des Finances en tant que membre du Comité consultatif sur les organismes de bienfaisance du ministre du Revenu national. Il serait juste de dire que le secteur et le ministère des Finances ont convenu de ne pas s'entendre. Une fois le projet de loi adopté, il n'y a aucune disposition, aucun pouvoir permettant à la direction des organismes de bienfaisance d'ignorer les dispositions. Les lignes directrices sont déjà en train d'être élaborées sur la base du contenu du projet de loi C-33, et, ayant vu une version antérieure du guide, je peux vous dire que les explications sont aussi incompréhensibles que le projet de loilui- même.
Le sénateur Massicotte : Quelle explication vous ont-ils donnée du fait qu'il n'aient pas tenu compte de vos recommandations?
M. Wyatt : Bien que des fonctionnaires du ministère pouvant parler pour eux-mêmes soient ici, d'après mon souvenir, ils estimaient qu'il fallait que les règles soient les mêmes pour l'ensemble des groupes caritatifs. D'après nous, cela ignore le fait qu'il y a des raisons pour lesquelles il y a trois désignations de types d'organismes caritatifs dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Les fondations font des choses qui sont différentes de celles que font les organismes de bienfaisance. Il n'est nullement nécessaire que les mêmes règles s'appliquent à tous.
Le sénateur Ringuette : J'ai assisté à une séance de breffage et les fonctionnaires du ministère n'ont pas discuté de cette question.
Vous avez souligné qu'il s'agit d'une question de compétence partagée, les provinces émettant des crédits pour les dons de charité enregistrés et ayant leur mot à dire quant à l'accréditation s'agissant des ramifications fiscales pour les trois catégories de groupes caritatifs.
Les provinces ont-elles été présentes à la table de consultation?
M. Wyatt : J'aimerais préciser, pour que les choses soient bien claires, que les consultations dont j'ai parlé sont celles tenues par la Table conjointe avant le dépôt de son rapport final en 2003. La Table n'était alors pas saisie de la question du contingent des versements. Le changement au contingent des versements, dans son application aux organismes de bienfaisance, a étonné tout le monde lors de son introduction avec le budget de 2004.
Le sénateur Ringuette : Lors de vos discussions avec des fonctionnaires du ministère fédéral, des fonctionnaires d'un quelconque ministère provincial étaient-ils présents?
M. Wyatt : Des fonctionnaires provinciaux ont été présents à plusieurs des consultations de la Table conjointe sur le cadre de réglementation. Au fil de nos voyages à travers le pays, des fonctionnaires des ministères concernés ont participé à plusieurs séances.
En Ontario, la province dotée du régime de réglementation des organismes de bienfaisance le plus sophistiqué, nous avons rencontré des fonctionnaires du bureau du Tuteur et curateur public de l'Ontario. La Table conjointe a invité des fonctionnaires du bureau du tuteur et curateur à faire des soumissions au sujet de ces changements.
Je n'ai au niveau provincial rien entendu qui soulève des préoccupations quant à la majorité de ces dispositions. J'ignore ce qui sous-tend la décision de ne pas modifier la disposition en matière de confidentialité de la Loi de l'impôt sur le revenu pour permettre l'échange d'informations avec les provinces. Il s'agit là d'une chose qui a été mentionnée par les provinces et qui a mené à la recommandation de la Table conjointe.
Le sénateur Ringuette : Bien que j'aie travaillé avec de nombreux organismes de bienfaisance, j'ignorais que le projet de loi C-33 changerait fondamentalement le contingent des versements pour les organismes caritatifs.
Les avoirs ne se résument pas à de l'argent comptant. Les immeubles sont des avoirs. Comment pouvez-vous exiger que les organismes de bienfaisance dépensent 3,5 p. 100 de la valeur de leurs avoirs, ce qui est tout à fait différent de l'argent comptant disponible?
M. Wyatt : Cette question a été soulevée dans le cadre de discussions avec le ministère des Finances. Nous avons, par exemple, demandé si les réserves que détient un organisme de bienfaisance aux fins de gestion prudente seraient assujetties à la règle des 3,5 p. 100. On nous a répondu qu'ils utiliseraient les mêmes dispositions que celles applicables à la capitalisation et qui figurent ailleurs dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous avons demandé à nos comptables de nous trouver et de nous expliquer les règles, mais ils ont été incapables de les trouver. Figure dans le dossier de présentation que vous avez devant vous un exemple de problème que nous avons trouvé dans la partie traitant des fiducies foncières. Une fiducie foncière peut détenir des terres d'une valeur de plusieurs millions de dollars, mais pas avoir d'encaisse. La loi dit « Trois et demi pour cent des avoirs non utilisés pour des activités de bienfaisance ». Nous ne savons pas si ces avoirs s'inscriraient dans cette catégorie. Il n'y a en la matière aucune certitude. C'est là l'une des raisons pour lesquelles nous croyons qu'il faudrait repenser toute cette disposition.
Le sénateur Ringuette : Au Nouveau-Brunswick, et c'est sans doute le cas à l'échelle du pays, des communautés établissent des organismes de bienfaisance à but non lucratif en vue de créer des logements. Il s'agit d'organismes sans vocation de bienfaisance. Ils ont un numéro de taxe caritatif, parce que la communauté le leur accorde. Ils ont des avoirs; les avoirs sont les logements sans but lucratif.
D'après ce que je vois, si vous dépensez 3,5 p. 100, il s'agit d'un avoir. L'on parle ici des avoirs physiques des organismes. Si l'on va envisager une règle exigeant que ceux-ci dépensent 3,5 100 de leurs avoirs annuellement, alors l'on verra disparaître les organismes de logement de charité dans les petites localités et sans doute à l'échelle de tout le pays.
Il s'agit d'une question très grave.
M. Wyatt : Monsieur le président, sénateur Ringuette, je pense que le sénateur Day a commencé à dire que le logement social serait sans doute considéré comme un avoir utilisé aux fins d'activités caritatives. Ce serait là mon opinion. Il n'est pas clair dans mon esprit que c'est ce que dit la loi. Nous ne le savons pas. Comme je l'ai dit dans mes remarques, la collecte de fonds et l'administration ne sont pas considérées comme des activités de bienfaisance, bien qu'une décision de la Cour suprême du Canada donne lieu à des conversations intéressantes entre l'ARC, le ministère des Finances et le secteur bénévole.
Nous ne savons pas quelles sont les règles en vertu de ces amendements, et le contingent des versements tel qu'il existe est unique au Canada. Il nous faut nous renseigner quant à l'objet en matière de politique publique que nous visons.
En réponse à votre question, monsieur le président, nous convenons qu'il s'agit ici d'un projet de loi omnibus. Nous convenons qu'il renferme un certain nombre de dispositions qui ne sont pas controversées. Celle-ci l'est. Le monde ne va pas s'écrouler avec la suppression de cet article et si les règles en matière de contingent de versements demeurent inchangées par rapport à ce qu'elles sont à l'heure actuelle pendant une année encore, alors nous nous efforcerons de trouver une solution. Cependant, obliger les organismes de bienfaisance à changer toute leur façon de fonctionner en vertu de cet amendement, pour ensuite changer à nouveau les choses d'ici un an, créera un niveau de confusion tel que nous ne pensons pas que le secteur puisse y résister.
Mme Steinsky-Schwartz : La question remonte à celle de la structure du secteur. La plupart des organismes de bienfaisance sont dirigés par des bénévoles qui ne peuvent pas composer avec un tel niveau de complexité et même nos conseillers professionnels ont du mal à comprendre ce projet de loi. Nous tenons simplement à ce que vous sachiez que nous pensons qu'il y aura un degré élevé d'inobservance. Il ne s'agit probablement pas d'un bon texte de loi, sachant cela à l'avance.
Le président : Vous avez tous les trois déjà comparu devant des comités sénatoriaux, tout récemment le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, relativement à des questions concernant les organismes de charité, et vous savez comment fonctionnent les comités sénatoriaux.
Vous savez que les comités sénatoriaux peuvent de temps à autre faire des observations lorsqu'ils renvoient un projet de loi à la troisième lecture.
Si le comité ici réuni devait songer à des observations à faire suite à son étude article par article de demain, quelles observations seraient selon vous appropriées pour défendre votre position quant au contingent des versements?
M. Wyatt : Ce que je dirais, c'est que l'incertitude, l'incidence du changement et des changements subséquents et le manque de clarté sont le problème que nous tentons de résoudre.
J'ignore s'il existe un besoin soudain de créer un contingent de versements pour les organismes de bienfaisance autre que celui qui existait, soit 80 p. 100 des dons assortis de reçus. Je travaille pour une fondation privée. Il nous faudra maintenant modifier tous nos processus de subvention pour éviter une situation qui obligerait un organisme de bienfaisance à passer par cet arbre décisionnel.
Sénateur, dans votre partie du monde et dans la mienne, et je songe ici tout particulièrement aux régions rurales de nos provinces, ce sont les mêmes deux douzaines de personnes qui s'occupent de la quasi-totalité des organismes caritatifs.Le T3010 était une question théorique car les vérificateurs le remplissaient dans le cadre de leur travail de vérification, mais ma paroisse m'a alors nommé trésorier de l'église. C'est ainsi que j'ai été confronté au formulaire T3010 et, sénateur, comme l'a dit mon collègue: « Ce ne devrait pas être si difficile de faire du bien. »
Les règles T1 sont beaucoup plus simples que ce que l'on demande aujourd'hui aux organismes de charité de remplir. Je pense, monsieur le président, qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le processus.
Le sénateur Stratton : Je ne pense pas que ce soit un arbre, c'est plutôt une jungle.
J'aurais un autre commentaire à faire au sujet de l'article 35. Il fait environ sept pages, y compris le français, et c'est très exhaustif. L'impression que l'on a est que des juristes fiscalistes l'ont écrit pour que des juristes fiscalistes l'interprètent.
Êtes-vous d'avis que la seule façon de faire fonctionner la chose est de rayer cet article du projet de loi?
Mme Steinsky-Schwartz : C'est là notre préférence.
Le sénateur Stratton : Existe-t-il une deuxième possibilité, en dehors d'un amendement qui supprimerait cet article?
M. Wyatt : Monsieur le président, sénateur Stratton, afin d'éviter de devoir apporter ce changement plusieurs fois, la suppression de ces amendements maintiendrait tel qu'il existe à l'heure actuelle le contingent des versements. Les organismes de bienfaisance comprennent les actuelles lignes directrices quant au contingent des versements.
Ma préférence serait qu'on laisse les choses comme elles sont pendant encore un an. La Table conjointe sur le cadre de réglementation a produit un rapport presque acceptable qui a satisfait les besoins de tout le monde pour ce qui est de la filière réglementation. Que l'on renvoie la question du contingent des versements à un organe semblable et qu'on le charge d'y faire le tri et de revenir avec des recommandations en vue d'un changement ou quant à la nécessité même d'avoir un tel contingent.
Honorables sénateurs, je pense que ce serait là une bonne observation que pourrait faire le comité.
Le sénateur Stratton : Il nous faudrait entendre la position du gouvernement quant au pourquoi de l'insertion de cet article dans le projet de loi C-33. Il doit assurément y avoir une explication et je ne pense pas que nous puisions proposer un amendement en la matière sans avoir cette explication.
Je serais cependant curieux de savoir s'il n'y a pas une deuxième position possible? D'après ce que je comprends, il n'y a pas de deuxième position. Vous dites non de la tête.
Mme Pearson : Pour être juste, le ministère des Finances a dit que s'il y avait des problèmes d'observance voire même de simple compréhension de ces dispositions, il serait prêt à envisager des amendements techniques ultérieurs. Le ministère emploie souvent cette technique pour corriger des problèmes.
Notre crainte est que les amendements techniques ne reçoivent pas la priorité dont jouissent les lois budgétaires. Nous attendons toujours des amendements techniques déposés en 2002. Ils n'ont toujours pas vu le jour. Ils ont été rendus publics mais ils n'ont pas été soumis au Parlement. Notre crainte est que si des changements ne sont pas apportés au projet de loi, le processus d'amendements techniques demandera fort longtemps.
La deuxième position est que si le projet de loi est adopté tel quel, nous aimerions beaucoup que le ministère des Finances accorde la priorité à un examen et des dispositions et de la pratique dans le secteur. Il nous faudrait un engagement de la part du ministère qu'il agira rapidement tandis que les organismes s'efforceront de composer avec les changements.
Mme Steinsky-Schwartz : J'ajouterai que l'examen devrait suivre le large processus de consultation employé par la Table conjointe sur le cadre de réglementation.
Le sénateur Stratton : Qu'est-il advenu de cela au comité de la Chambre?
M. Wyatt : Plusieurs organismes, y compris Imagine Canada, les FPC et la Fondation Muttart ont demandé à comparaître devant le Comité des finances de la Chambre. Or, ce comité n'a pas tenu d'audiences. Le président du comité a dit que le comité ignorait que d'aucuns avaient écrit et demandaient à comparaître devant lui.
Le sénateur Day : Premièrement, j'aimerais m'excuser auprès du sénateur Ringuette. J'essayais d'être utile en soulignant que l'exigence de la dépense de 3,5 p. 100 des avoirs ne visait que les avoirs que nous décririons comme étant des investissements, c'est-à-dire des avoirs considérés comme investissement par opposition à des avoirs devant servir à des activités caritatives.
D'après ce que je comprends, si l'organisme de bienfaisance a des avoirs utilisés dans le cadre d'activités caritatives, alors il n'a pas à en prélever 3,5 p. 100 pour les débourser.
Le sénateur Ringuette : Monsieur le président, ces organismes qui œuvrent dans le domaine du logement social auraient à se constituer des réserves en cas de réparations d'urgence et ainsi de suite, et ces réserves seraient certainement considérées comme élément d'actif, étant donné qu'elles ne seraient pas utilisées de façon active.
Le sénateur Day : Je dirais que des réserves qui sont là dans le but de maintenir les avoirs physiques sont un avoir liquide utilisé à des fins caritatives.
Mme Steinsky-Schwartz : Cet échange que nous venons d'avoir sert à illustrer la raison pour laquelle nous demandons qu'il y ait un processus consultatif. Peut-être que les provinces ont raison, peut-être pas; il demeure que le problème que nous avons à l'heure actuelle est que nous pensons qu'elles ne tiennent pas compte des nombreuses différentes réalités, dont l'exemple du sénateur Ringuette ne représente qu'un élément. Il existe de nombreuses réalités; il y a les fiducies foncières, par exemple, et de nombreuses autres réalités dont nous pensons qu'elles créeront énormément d'incertitude et énormément de fardeau administratif inutile.
Le sénateur Day : Ces dispositions dont vous parlez sont survenues à l'extérieur de la Table conjointe sur le cadre de réglementation des organismes de bienfaisance, et il n'y a eu aucune discussion avant le dépôt du projet de loi, nonobstant le merveilleux processus de consultation survenu au préalable.
N'y a-t-il eu aucune discussion avec le secteur des organismes de bienfaisance?
M. Wyatt : Monsieur le président, nous n'en avons pas la moindre idée. J'en ai pris connaissance lors de la séance d'information avec interdiction de sortie du budget de la salle de presse.
Le sénateur Day : Y a-t-il eu des discussions depuis quant à la signification de ces différents éléments?
M. Wyatt : Oui, il y a eu des discussions, mais il n'y a pas eu clarté.
Le sénateur Day : Je comprends.
Mme Steinsky-Schwartz : Il n'y a pas eu la consultation exhaustive que l'on a eue au sujet des autres dispositions.
Le sénateur Day : La définition du terme « activité de bienfaisance » a-t-elle été débattue dans quelqu'autre endroit?
M. Wyatt : D'après la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Society of Immigrant & Visible Minority Women, toute activité visant une fin caritative est une activité de bienfaisance. Là n'est pas la position prise par l'ARC ou le ministère des Finances, ce qui fait l'objet de discussions.
Nous ignorons si l'établissement sportif que possède un organisme de bienfaisance local dans votre communauté aura maintenant à débourser un contingent de versements égal à 3,5 p. 100 de la valeur en capital de ce centre. Je ne connais pas la réponse à cette question, ce qui est le problème étant donné que le projet de loi prévoit que ce contingent de versements soit rétroactif à la date de l'annonce du budget. Les organismes de bienfaisance n'ont pas pu planifier leurs dépenses car nous ne savons pas à quoi s'applique ce contingent.
Le sénateur Day : La Table conjointe sur le cadre de réglementation des organismes de bienfaisance continue-t-elle de siéger?
M. Wyatt : Elle faisait partie de l'ISB.
Le sénateur Day : Les tables de l'Initiative du secteur bénévole continuent de se réunir, n'est-ce pas?
Mme Steinsky-Schwartz : Elles sont en train de boucler leur travail. Cependant, nombre des organismes étant clairement toujours là, il serait possible de lancer un processus très semblable et c'est ce qu'a mentionné M. Wyatt.
Le sénateur Day : Les tables existantes sont en train de boucler, alors il nous faudrait lancer quelque chose de nouveau, si j'ai bien compris, n'est-ce pas?
Mme Steinsky-Schwartz : Le secteur est en discussion permanente avec les ministères du gouvernement, sénateur, alors cela n'exigerait pas une vaste initiative.
Le sénateur Day : Je comprends. Je voulais savoir si les tables travaillaient toujours.
Mme Steinsky-Schwartz : L'Initiative du secteur bénévole est censée boucler en mars 2006, mais les tables elles- mêmes sont d'ores et déjà en train de réduire leurs activités.
Le sénateur Day : La formule à la page 26 de votre présentation remplace l'ancienne règle des 80 p. 100, n'est-ce pas?
M. Wyatt : Oui, cela remplace la règle des 80 p. 100.
Le sénateur Day : Quelqu'un a-t-il jamais examiné cela pour déterminer si ce serait plus ou moins de 80 p. 100?
M. Wyatt : Cela vient s'y ajouter; cela ne remplace pas la règle des 80 p. 100. C'est un changement en ce sens qu'il vous faut dépenser les 80 p. 100 des dons avec reçu plus d'autres choses encore. C'est un montant cumulatif.
À l'heure actuelle, une subvention de fondation à un organisme de bienfaisance n'est pas visée par le contingent des versements. Si la Fondation Muttart fait un don à un organisme de bienfaisance en vue de l'embauche d'un collecteur de fonds, il n'y a pour l'organisme caritatif aucune conséquence en matière de contingent. Or, ce sera le cas avec les nouvelles règles.
Dans la première ébauche de la loi, le ministère des Finances a corrigé un problème qu'on y avait relevé. Le problème était que la collecte de fonds n'était pas une activité de bienfaisance, et le contingent des versements applicable à la subvention de la fondation aurait donc dû s'appliquer à des revenus en provenance de sources autres. Le ministère des Finances a depuis fait en sorte qu'il soit possible pour une fondation d'établir ce que l'on appelle « une subvention de biens durables » devant s'étaler sur une période maximale de quatre ans, et qui serait utilisée pour des activités administratives et caritatives.
Nous y travaillons toujours, mais c'est là la formule telle qu'elle figure dans le projet de loi C-33, et nous n'avons pas encore trouvé la solution car cela exige une compréhension de ce qui relève des différents éléments de la formule.
Le sénateur Day : Il vous faut savoir au préalable quelles sont toutes les variables.
M. Wyatt : C'est ce qui occupe le gros des sept pages.
Mme Steinsky-Schwartz : Puis-je apporter un éclaircissement en réponse à une question du sénateur Day? Nous venons tout juste d'échanger des notes avec notre ami du ministère des Finances, et nous croyons qu'il y a une période de transition.
Je pense qu'il y a une transition de telle sorte que le contingent des versements ne s'appliquerait qu'en 2008. Cela étant dit, la difficulté est qu'il faudrait que tout le monde soit prêt à mettre cela en œuvre immédiatement. Partant, les autres points que nous avons soulevés au sujet de la complexité et de quantité des difficultés qui se posent vont être majeurs.
Le président : Nous aimerions maintenant inviter à venir s'installer à la table deux fonctionnaires qui vont nous aider à traiter des questions que vous venez de poser. Accueillons donc M. Carl Juneau, l'expert de la Division de l'impôt sur le revenu des particuliers du ministère des Finances, et M. Len Farber, directeur général, Administration de la Direction de la politique de l'impôt.
Monsieur Juneau, vous avez entendu la discussion et les préoccupations quant à ce nouvel article 35 traitant du nouveau contingent des versements visant les organismes caritatifs. Premièrement, ce contingent est difficile à comprendre et il serait encore plus difficile à appliquer. Nous aimerions beaucoup entendre vos commentaires en la matière quant à savoir comment cela serait mis en œuvre.
M. Len Farber, directeur général, Bureau du sous-ministre adjoint, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Nous sommes heureux d'avoir entendu les témoignages ici aujourd'hui. Pour mettre les choses en contexte, mon collègue, M. Juneau, a passé le gros de sa carrière à travailler à la Direction des organismes de bienfaisance à l'ARC et il est très au courant de cette question. Il importe de souligner que les questions soulevées ici n'ont pas été abordées sans consultation. Il y a eu beaucoup de discussions avant le dépôt du projet de loi. Au cours de la discussion sur le contingent des versements, certains amendements ont été apportés, précisément par suite des instances présentées, et dans l'intérêt tout particulier de nombre des plus petits organismes caritatifs qui n'ont ni le personnel ni la capacité requise pour traiter de certains des aspects complexes mentionnés par M. Wyatt. Dans ce contexte, nous avons apporté des amendements afin de veiller à ce que le calcul de l'aspect gains en capital du contingent des versements, qui est fort complexe, soit facultatif. Si un organisme de bienfaisance ne veut pas en tenir compte pour quelque raison, c'est son droit.
Nous avons également instauré une règle de minimis telle que les organismes de charité ayant ramassé 25 000 $ n'auraient pas à se soumettre au contingent des versements. Ces changements qui ont été apportés, monsieur le président, découlent directement des discussions que nous avons tenues juste avant le dépôt du projet de loi.
Le contingent des versements fait partie des règles de la Loi de l'impôt sur le revenu depuis aussi longtemps que je me souvienne et remonte sans doute encore plus loin en arrière que mon travail relativement à la loi. Ce dont il n'a pas été question dans le courant de nos discussions avec le secteur est le fait que nous allions réduire ce contingent des versements. Au lieu d'appliquer le taux de 4,5 p. 100, nous allions le réduire.
Une autre chose qu'il importe de souligner, et je demanderais à mon collègue de se prononcer là-dessus, est la raison apparemment inconnue pour laquelle nous avons élargi ce contingent des versements pour englober les organismes caritatifs. Comme nous l'avons entendu dire, les fondations de bienfaisance peuvent remplir leur contingent en déplaçant des éléments d'actif ou d'autres choses à d'autres organismes caritatifs. Un organisme de bienfaisance peut atteindre son contingent des versements en consacrant des fonds à d'autres activités de bienfaisance. Une fondation peut ainsi remplir son contingent en déplaçant des fonds ou des avoirs vers un organisme qu'elle a créé, et elle peut ainsi maintenir ses éléments d'actif.
L'idée derrière les organismes de bienfaisance, monsieur le président, est de veiller à ce que les sommes recueillies soient dépensées au titre d'activités de bienfaisance. Dans ce contexte, il ne devrait pas y avoir de différence entre les sommes détenues par une fondation et celles détenues par un organisme. C'est ainsi que nous avons nivelé le terrain de jeu et veillé à ce que les contingents soient atteints et à ce que les avoirs ne soient pas simplement détenus pour pendre une plus-value mais qu'ils soient véritablement dépensés dans le cadre d'activités de bienfaisance, ce qui est l'objet premier de ces organismes.
Voilà ma déclaration générale et je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Farber. Monsieur Juneau, souhaitez-vous faire des commentaires supplémentaires au sujet de l'article 35?
M. Carl Juneau, conseiller principal, Politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Non, car mes commentaires seraient sensiblement les mêmes que ceux de M. Farber. L'objet de l'article 35 est de traiter de façon plus équitable les fondations et les organismes de bienfaisance.
Le sénateur Downe : Vous avez indiqué que certains organismes de bienfaisance ne remplissent pas les exigences car ils laissent leurs avoirs s'accumuler. Cela arrive-t-il souvent?
M. Juneau : La ligne de démarcation entre les fondations et les organismes de bienfaisance s'estompe de plus en plus. Lors de l'établissement initial du contingent des versements en 1976, les fondations avaient pour objet de lever des fonds et de financer les organismes de bienfaisance, qui étaient ceux qui accomplissaient l'œuvre caritative, par exemple en distribuant des paniers de nourriture aux pauvres. Aujourd'hui, de nombreux organismes de charité font leurs propres collectes de fonds et nombre d'entre eux investissent des fonds qui seraient normalement revenus aux fondations.
Le sénateur Downe : Ces changements ont-ils été motivés par des craintes que certains organismes de bienfaisance canadiens lèvent des fonds pour financer des activités terroristes ou autres à l'extérieur du pays?
M. Juneau : Non, ces changements n'ont pas été motivés par des préoccupations en matière de sécurité.
Le sénateur Ringuette : J'aimerais un éclaircissement au sujet du contingent des versements car il semble qu'il y ait un malentendu en ce qui concerne le processus de consultation. Trois personnes qui œuvrent pour des organismes sans but lucratif ont dit que le contingent des versements n'a pas été discuté avant son inclusion, mais seulement une fois la mesure intégrée à l'avant-projet de loi. Il n'y a jamais eu de discussion après coup.
Quand ont eu lieu les discussions au sujet des contingents des versements?
Deuxièmement, ai-je bien compris que la dépense d'avoirs vise principalement les fondations, ce afin de veiller à ce qu'elles satisfassent l'exigence de verser 3,5 p. 100 de leurs avoirs à un organisme de bienfaisance ou sans but lucratif?
Est-il vrai que dans le courant de l'année qui suit, une fondation doit mettre de côté encore 3,5 p. 100 de ses avoirs en vue de leur concession à un autre organisme de bienfaisance?
M. Farber : Je vais traiter de votre première question relative aux consultations. Sénatrice, je pense que ce que vous avez dit est tout à fait juste. Les questions relatives aux contingents des versements et à leur élargissement pour englober les organismes, soit la réduction du contingent, qui est passé de 4,5 p. 100 à 3,5 p. 100, et son application, n'ont pas fait l'objet de discussions à la Table conjointe sur le cadre de réglementation dont a fait état M. Wyatt. Ces questions n'ont pas fait partie de ces discussions. Cependant, lorsque l'avant-projet de loi a été distribué aux fins de consultation, des réunions ont été tenues, comme à l'habitude. Lors d'une réunion en particulier, les changements dont j'ai parlé et les raisons d'appliquer cela aux organismes de charité ont clairement été mis sur la table. Certaines discussions ont eu lieu avec les conseillers auprès des différents groupes dans le cadre du travail du comité sur les mécanismes pouvant être mis en place pour apaiser certaines des craintes de difficultés très réelles qui nous avaient été soumises. Certaines de ces craintes concernaient les petits organismes caritatifs qui fonctionnent grâce à de nombreux bénévoles qui ne seraient pas en mesure de traiter de certaines de ces choses difficiles dont ils n'ont pas l'habitude. C'est pourquoi l'on a établi ce seuil de 25 000 $. L'on avait pensé à l'époque que 3,5 p. 100 d'un seuil de 25 000 $ ne suffiraient pas pour changer les choses, et nous ne voulions pas créer le genre de fardeau que cela pourrait occasionner dans certaines de ces situations.
En tout cas, notre politique a été expliquée et nous avons établi très clairement ce que nous essayions de faire et les raisons pour lesquelles nous voulions niveler le terrain de jeu pour les fondations et les organismes de bienfaisance. Que les parties concernées aient ou non accepté cette explication est une toute autre question. Mais il serait quelque peu injuste de dire que nous n'avons pas expliqué le pourquoi et le comment.
Je vais maintenant laisser M. Juneau répondre à votre deuxième question.
M. Juneau : En réponse à votre deuxième question, portant sur le contingent des versements de 3,5 p. 100, il est vrai qu'au départ cela ne s'est appliqué qu'aux fondations, mais il nous faut mettre les choses en contexte, car les fondations ont également un contingent de dons avec reçu de 80 p. 100. Les fondations n'ont pas pour caractéristique d'envoyer immédiatement de l'argent à des organismes de bienfaisance. Elles ont tendance à investir cet argent. Étant donné l'importance de ces investissements, nous avons jugé qu'un contingent de 3,5 p. 100 serait approprié et qu'un contingent supplémentaire serait indiqué dans le cas des fondations.
Cependant, comme je l'ai déjà dit, étant donné que s'estompent les distinctions entre fondations et organismes de bienfaisance, nous avons jugé opportun de niveler le terrain de jeu et d'imposer ce contingent des versements également aux organismes de bienfaisance.
Le sénateur Ringuette : Qui est le « nous » qui est de cet avis?
M. Juneau : Le ministère des Finances.
Le sénateur Ringuette : Le ministère des Finances estime qu'il s'agit là de niveler le terrain de jeu entre les fondations, dont la plupart traitent de millions de dollars en investissements potentiels dans le domaine caritatif, et les organismes sans but lucratif qui s'occupent de logement social?
M. Juneau : Il est vrai qu'il existe certains très petits organismes de bienfaisance, mais il en existe également de très gros. Nous connaissons certains organismes de bienfaisance qui ont des fonds de prévoyance de 20 millions de dollars.
Quant à votre troisième question, vous craignez que des organismes de bienfaisance déplacent entre eux de l'argent afin de satisfaire les règles.
Le sénateur Ringuette : C'était pour reprendre l'exemple donné plus tôt par votre collègue.
M. Juneau : Une œuvre de charité peut certainement garer de l'argent dans un organisme de bienfaisance, et c'est là l'une des raisons pour lesquelles nous avons imposé ce contingent des versements de 3,5 p. 100. Il y a également dans la loi actuelle une disposition qui autorise le ministre à prendre des mesures s'il y a un transfert de fonds entre organismes de bienfaisance ayant pour objet de donner l'apparence de respecter le contingent.
Le sénateur Stratton : Le gros souci que j'ai entendu exprimer par les organismes de charité concernait la complexité de ce nouvel article 35.
Qu'offrez-vous aux petits organismes gérés par des bénévoles? Quelles sont les solutions de rechange pour eux? Peuvent-ils choisir de ne pas participer au nouveau régime, de s'en tenir à jamais à l'ancien, ou bien y a-t-il une phase d'adhésion?
Vous avez dit qu'il ne fallait pas s'en inquiéter, que tout s'arrangera tout seul. Autrefois, la plupart des gens pouvaient remplir eux-mêmes leur déclaration de revenus aux fins de l'impôt. Aujourd'hui, la plupart des gens trouvent cela difficile, bien que ce soit censé être relativement simple.
Les choses vont-elles demeurer simples pour ces petites œuvres de charité?
M. Farber : Sénateur, j'ai mentionné deux choses dans mes remarques initiales. Premièrement, en ce qui concerne l'aspect gains en capital, il y a maintenant sans contredit une complexité qui n'existait pas auparavant. C'est facultatif. Si c'est trop compliqué ou si le gain n'est pas suffisant pour que l'on s'en préoccupe, alors l'organisme caritatif n'est pas tenu d'utiliser cet élément.
Le sénateur Stratton : Comment vont-ils déterminer cela, si ce sont des bénévoles sans connaissances spécialisées des finances ou de la fiscalité qui gèrent l'organisme? Il vous faut reconnaître que ces bénévoles n'ont pas de tels antécédents.
M. Farber : Je comprends cela, sénateur, mais ce que je vous dis c'est qu'il ne faut pas de vastes connaissances en matière de finances pour savoir si l'aliénation d'un élément d'actif donnera lieu à un gain suffisant pour qu'il faille l'inclure dans le contingent des versements.
Le sénateur Stratton : Vous êtes en train de m'assurer que les petits organismes gérés par des bénévoles n'auront pas de problème avec cet article.
J'aimerais, s'il vous plaît, que vous me répondiez par oui ou par non.
M. Farber : Je ne peux pas vous répondre par oui ou par non car je ne connais pas les circonstances. Nous avons cependant là aussi une règle de minimis. Nous disons que les très petites œuvres caritatives gérées par un ou deux bénévoles ne sont pas du tout tenues de s'y plier. Dans le contexte d'une organisation de cette taille, c'est-à-dire petite, la question ne devrait pas se poser du tout.
Lorsque nous avons discuté de cela avec le secteur, l'idée était qu'une combinaison de ces deux mesures serait suffisante pour exclure les toutes petites œuvres caritatives, alors ce devrait couvrir ce genre de situation.
Le sénateur Stratton : J'espère que vous avez raison.
Le sénateur Downe : Vous avez dit que le seuil est 25 000 $. Si l'organisme a recueilli 27 000 $, alors les règles sont différentes?
M. Farber : C'est exact. C'est là le seuil. Nous avons fixé une règle de minimis, une règle stricte, de telle sorte que les plus petites œuvres caritatives soient hors de la portée de cette règle.
Le sénateur Downe : De toutes les organisations caritatives que vous surveillez, quel pourcentage d'entre elles tombent en dessous des 25 000 $? Avez-vous établi un historique des cas?
M. Farber : Non. Il nous faudrait parler avec l'Agence de l'importance des versements. Il faut que ce soit un chiffre important, car c'est ce que voulait le secteur.
Le président : En règle générale, nous vous demanderions de fournir ce genre de renseignements, mais si vous ne les avez pas à portée de la main, ce n'est pas un problème, car nous allons entamer dès demain notre étude article par article du projet de loi.
J'aimerais que les témoins aient l'occasion de réagir aux propos tenus par les représentants du ministère.
Mme Pearson : Je vais réagir à certaines des choses qui ont été dites au sujet des fondations, car c'est là le groupe que je représente.
Nous aimerions contester cette idée d'un flou quant à la distinction entre fondations et organismes de bienfaisance. Je représente surtout des fondations privées, mais la grande majorité des fondations qui existent sont privées. Il existe de nombreuses petites fondations familiales.
Le contingent des versements correspondant à 3,5 p. 100 des avoirs est bien compris. De fait, les fondations sont établies sur la base d'un certain actif et c'est un modèle très clair qu'elles suivent. Cette formule n'a pas été difficile à appliquer.
Je pense que de nombreuses fondations seront déconcertées, tout comme de nombreux organismes de charité, par les dispositions s'appliquant à elles relativement aux dons entre organismes de charité. Comme M. Wyatt l'a mentionné tout à l'heure, plusieurs des nouvelles dispositions amèneront les fondations à y réfléchir à deux fois avant de faire un don à un organisme de bienfaisance si elles devront spécifier que le cadeau doit faire partie du capital ou être versé dans une autre catégorie. Il leur faudra réfléchir à l'incidence qu'aura le don sur l'organisme bénéficiaire. Il ne s'agira plus d'une transaction simple.
Bien que de nombreuses fondations disposent d'avoirs supérieurs à ceux des organismes de charité auxquels elles versent des dons, elles sont pour la plupart de très petites organisations administrées par des bénévoles. Il sera difficile pour elles aussi de se conformer aux règles.
La communauté des fondations est principalement préoccupée par l'incidence qu'auront ces dispositions sur les organismes de charité. C'est le caractère complexe de ce que sera la situation des organismes de bienfaisance qui inquiète de nombreuses fondations. Les fondations ont pour principal objet d'appuyer le travail caritatif des organismes de bienfaisance. Elles ne veulent certainement pas que les choses soient rendues plus complexes par leurs dons, et elles ne veulent pas non plus que les organismes de bienfaisance se voient ligotés.
Je vais maintenant mettre mon chapeau de membre du Comité consultatif sur les organismes de bienfaisance auprès du ministre du Revenu national. Comme l'a mentionné M. Wyatt, nous avons tous deux été nommés par le ministre pour le conseiller.Nous nous réunissons trois fois par an. Depuis le dépôt de l'avant-projet, notre comité est très préoccupé par la complexité que cela représente pour le secteur caritatif. Bien que nous ayons eu une occasion de rencontrer le ministère, cet échange n'a pas duré très longtemps. Nous craignons que la nature des changements sera telle que le travail de l'Agence, qui est d'amener une observance éclairée par les organismes de bienfaisance adaptée au XXIe siècle, sera très difficile.
Mme Steinsky-Schwartz : Je vais répéter mon premier point. Nous tenons à ce que cette loi établisse clairement à qui elle s'applique et pourquoi. Si la loi vise à traiter du cas d'un petit nombre de transgresseurs, de cas difficiles du fait, peut-être, de lignes de démarcation quelque peu estompées, alors nous convenons que la clarté est nécessaire pour stopper ces transgressions.
À notre avis, 80 p. 100 de nos organismes ont des revenus inférieurs à 500 000 $. La plupart des organismes de cette taille sont gérés par des bénévoles. Nous pensons que tout un secteur va ainsi être plongé dans l'émoi pour une cause qui n'est pas claire. Il y a peut-être des raisons de politique publique qui sous-tendent ce projet de loi, auquel cas nous sommes très ouverts à en discuter de façon approfondie. Cependant, nous demandons qu'avant d'imposer des changements d'envergure à des personnes qui œuvrent déjà dans un environnement tel qu'il est difficile de recueillir des fonds, la chose soit examinée en profondeur et simplifiée, sur le plan administratif, dans toute la mesure du possible.
Le président : Monsieur Wyatt, nous vous accordons le mot de la fin.
M. Wyatt : J'aimerais simplement clarifier un ou deux points mineurs. En réponse à ce qu'a dit le sénateur Downe quant aux 25 000 $ par opposition aux 27 000 $, sachez que ce seuil ne s'applique qu'au compte de gains en capital, et non pas aux recettes totales de l'organisme. La règle de minimis et le seuil ne s'appliquent qu'à cela, et non pas à l'organisme dans son entier.
Le seuil de 25 000 $ donne lieu à un contingent de versements de 875 $. Il avait à un moment donné été question d'un seuil de 500 000 $, auquel cas les 3,5 p. 100 auraient fait une différence, mais nous avons retenu un seuil de 25 000 $.
Cela m'ennuie si j'ai donné aux membres du comité l'impression qu'il n'y avait eu aucune discussion au sujet des contingents des versements. Je pense avoir établi clairement qu'il y avait eu des discussions au sujet de l'application du contingent aux fondations, mais pas en ce qui concerne les organismes de bienfaisance.
Comme l'a souligné M. Juneau, il y a déjà en place des dispositions visant les organismes de bienfaisance qui tentent de contourner le contingent en recourant à des transferts horizontaux de fonds. Le projet de loi prévoit également, dans le cadre des sanctions intermédiaires rapportées ou recommandées par la Table conjointe, une pénalité si l'organisme de charité en question ne met pas fin à ces pratiques. Nous pensons que cela est suffisant. S'il existe bel et bien un flou quant aux distinctions entre fondations et organismes de bienfaisance, alors il me semble, sénateurs, qu'il importe d'examiner dans son ensemble la façon dont nous classons les organismes de charité ainsi que toutes les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables aux organismes de bienfaisance. C'est avec plaisir que je participerai à un tel exercice, mais apporter ce changement maintenant sans en examiner les motifs sous-jacents ne me paraît pas logique.
Le sénateur Stratton a demandé s'il y avait une deuxième position, et Mme Pearson l'a esquissée. Mais cette deuxième position est très loin en arrière. Nous estimons que ce serait une très mauvaise solution. Nous ne pensons pas que ces changements seraient appropriés pour le secteur caritatif tel qu'il existe à l'heure actuelle, et nous ne croyons pas qu'ils règlent forcément certains des plus gros problèmes. C'est pourquoi nous disons qu'il nous faut trouver les moyens de faire ces choses.
Le président : Nous avons épuisé tout le temps prévu pour ce volet de notre réunion. Cette discussion de panel a été très importante car nous avons entendu les deux côtés de la situation, et vous avez eu l'occasion d'avoir un merveilleux échange, et le ministère comprend clairement votre position. Nous vous en remercions tous.
Honorables sénateurs, nous avons deux autres présentations et nous avons demandé à ces témoins de comparaître ensemble. J'aimerais donc demander à M. Wayne Adams, de l'Agence du revenu du Canada, de prendre place. Il est directeur général, Direction des décisions en impôt, Direction générale de la politique et de la planification, et j'invite également un représentant du ministère de la Justice, M. Yvan Roy, qui est sous-ministre adjoint, et avocat auprès du ministère des Finances, Bureau du sous-ministre adjoint, ministère des Finances, Direction juridique du ministère des Finances.
Leurs exposés seront courts, honorables sénateurs, et vous aurez donc amplement l'occasion de poser des questions de clarification sur la rétroactivité, la jurisprudence et les avis du ministère de la Justice qui ont donné lieu à cette législation et à ces mesures rétroactives. Par conséquent, dès que les témoins auront eu le temps d'ouvrir leur dossier, je leur donnerai la parole. Je vous souhaite chaleureusement la bienvenue au nom du comité et je ne sais pas lequel d'entre vous parlera en premier.
Le sénateur Cools : Avant que les témoins ne commencent, monsieur le président, pourrais-je avoir une idée de l'heure à laquelle nous allons lever la séance?
Le président : Ce sont les derniers témoins de la journée.
Le sénateur Cools : Je sais, mais combien de temps?
Le sénateur Stratton : 18 h.
M. Tassé : Cela dépend du nombre de questions.
Le sénateur Cools : C'est toujours pareil, n'est-ce pas, sénateur Day? Moins nous posons de questions et plus vous êtes content, n'est-ce pas?
Le président : Monsieur Adams, si vous voulez commencer, je vous prie.
M. Wayne Adams, directeur général, Direction des décisions en impôt, Direction générale de la politique et de la planification, Agence du revenu du Canada : Bon après-midi. Merci de m'inviter à comparaître devant ce comité afin de vous aider dans votre étude de la mesure budgétaire de 2004 qui propose de clarifier la position du gouvernement à l'effet que la règle générale anti-évitement s'applique tant à la Loi de l'impôt sur le revenu qu'au règlement et aux conventions fiscales.
Cette mesure de clarification prendrait effet à compter de la date d'introduction de la règle générale anti-évitement, soit septembre 1988. Je crois savoir que des préoccupations ont été soulevées voulant qu'il s'agisse là, dans la pratique, d'une mesure fiscale rétroactive et cela a donné lieu à des spéculations à l'effet que l'Agence du revenu du Canada va entreprendre des poursuites contre les arrangements qu'elle ne peut empêcher actuellement.
J'aimerais vous assurer que les fonctionnaires de l'Agence considèrent que la règle générale anti-évitement est applicable depuis 1988 à la protection des droits fiscaux souverains du Canada et est applicable depuis cette date aux transactions internationales résultant en un évitement fiscal inacceptable.
J'aimerais souligner que les arrangements d'évitement fiscal abusifs que le Canada cherche à imposer ne sont pas des arrangements qui pénalisent l'autre pays, mais bien le système fiscal canadien.
Les fiscalistes déclarent souvent que l'ARC ne peut pas contester la plupart des opérations internationales d'évitement, particulièrement celles invoquant la protection d'une convention fiscale. L'ARC n'a jamais partagé ce point de vue et d'ailleurs a fait savoir publiquement à maintes reprises que la RGAE s'applique même dans les situations où une convention fiscale accorderait prétendument des droits d'imposition à un autre pays. Les commentateurs qui traitent de la planification fiscale internationale signalent souvent cette position de l'ARC.
Je peux attester de la position de l'ARC car j'ai eu à connaître directement de l'administration de la RGAE. J'ai travaillé au programme d'évitement fiscal, notamment à l'époque de l'introduction de la RGAE. J'ai été membre du comité RGAE pendant plusieurs années et j'en suis actuellement le président.
J'ai organisé des séances d'information à l'Agence sur les types de transactions auxquelles la RGAE est applicable et j'ai toujours considéré personnellement qu'elle n'est pas en conflit avec les conventions fiscales.
Le juge en chef Bowman a dit en 1997, bien que dans un prononcé incident à un autre arrêt qu'il rendait, que la RGAE s'applique aux conventions fiscales.
Il est bon de signaler aussi que deux des plus grands fiscalistes du pays ont demandé au juge Bowman de rejeter explicitement la position gouvernementale car, selon eux, la RGAE ne s'appliquerait pas aux conventions fiscales. Après plusieurs pages d'analyse, le juge en chef Bowman a rejeté leur argumentation et indiqué qu'elle s'appliquait clairement à ces conventions, mais il n'avait pas besoin de cet argument pour confirmer la position gouvernementale.
On ne peut négliger le fait que le juge Bowman est maintenant juge en chef et probablement l'un des meilleurs juristes fiscalistes du Canada.
On nous a parlé également de deux jugements qui sembleraient indiquer que la RGAE ne s'applique pas au règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je ne voudrais pas que le comité pense que c'est là le point de vue des tribunaux.
Il s'agit là de deux jugements de la Cour de l'impôt rendus par le juge Archambault en mars 2001 où il estimait qu'à son avis la RGAE ne s'appliquait pas au règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu. Peu après, le juge Miller, au même niveau, a eu à juger d'une cause intéressant la déduction pour amortissement, la cause Canada Trust Co. et rejeté la thèse du juge Archambault, tout en statuant que le Canada ne pouvait contester les opérations de Canada Trust Co.
En 2002, le juge Marc Noël, de la Cour d'appel fédérale, qui a été fiscaliste avant de devenir magistrat, a expressément statué que la RGAE s'applique au règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu et rejeté la déduction d'une perte finale de 4 millions de dollars en rapport avec la déduction pour amortissement sur un ordinateur dont la société admettait qu'il ne valait que 7 000 $. Il importe que vous sachiez que ni les tribunaux ni l'Agence du revenu du Canada n'ont nourri le moindre doute ces dernières années. Il n'y a pas eu d'incertitude quant à l'application de la RGAE au règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu et il importe que vous en ayez conscience.
Je retire également l'impression que d'aucuns craignent qu'avec cette disposition particulière le fisc va refuser des opérations, que peut-être les cotisations à des REER que les gens ont fait au cours des dix dernières années seront refusées, au cas où vous adoptiez cette motion.
Le président : Je ne connais personne qui prétende cela.
M. Adams : Je dis qu'il est important de reconnaître que le gouvernement doit satisfaire à ce critère de l'abus. Je ne pense pas qu'il soit équitable de dire que les contribuables ont lieu de s'inquiéter parce qu'on refuse une déduction de 4 millions de dollars sur un ordinateur qui en vaut 7 000 $.
Le président : Vous avez cité plusieurs cas qui ne sont pas dans votre texte. Normalement, les avocats donnent les références; pouvez-vous nous donner les références? Je n'ai pas idée des affaires dont vous parlez.
M. Adams : Je ne savais pas que l'on s'intéresserait tant aux deux causes concernant la déduction pour amortissement. Il s'agit des causes Fredette et Rousseau-Houle, jugées en 2001. Les causes auxquelles je fais référence sont Canada Trust Co., jugée en 2003, où la Couronne a perdu, et Water's Edge Village Estates (Phase 11) Ltd., jugée en 2002 à la Cour d'appel fédérale, un niveau au-dessus.
Le président : Pouvez-vous donner les références au greffier?
M. Adams : Oui. Au fil des ans, j'ai consulté aux fins de l'administration de la règle générale anti-évitement, des responsables des ministères de la Justice et des Finances pour connaître leur interprétation de l'objet de cette règle. J'ai également été délégué du Canada à l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, en particulier au groupe de travail qui examinait l'évitement et l'évasion fiscaux, ce qui m'a permis de voir comment d'autres pays administrent les règles en la matière et de me familiariser avec la position de l'OCDE, à savoir que les règles anti-évitement nationales ne sont pas contraires aux conventions fiscales.
Je suis disponible pour expliquer de quelle manière certaines transactions, notamment celles décrites par le vérificateur général en 2001, constituent un transfert artificiel de biens taxables par le Canada, ces contribuables, pour simplifier, affirmant que le montant est imposable dans un autre pays alors que le pays considéré n'impose pas ce type de revenu. Il importe de noter que dans ces cas-là, le Canada ne cherche pas à imposer un montant qui appartiendrait en fait à un autre pays. Ce sont plutôt des gains ou des revenus produits au Canada.
Certains arrangements constituent une fraude potentielle et l'ARC continuera de les examiner et de les contester vigoureusement. Le point de vue du gouvernement est que nombre de ces arrangements ne produisent pas le résultat voulu pour des raisons techniques et sont contestés sur une base technique. La RGAE n'est souvent qu'une position de rechange.
L'ARC doit toujours prouver que ces arrangements sont inappropriés ou abusifs et, si le tribunal en convient, ces personnes, fiducies ou sociétés ne peuvent se cacher derrière une convention fiscale.
Les conventions fiscales cherchent à assurer que les particuliers et sociétés canadiens ne fassent pas l'objet d'une double imposition lorsqu'ils ont une activité commerciale internationale ou des placements à l'étranger. De fait, les traités sont souvent qualifiés de conventions préventives de double imposition. Cependant, les pays doivent rester vigilants afin que leurs conventions n'aboutissent pas à une double non-imposition.
Je suis à votre disposition pour expliquer quels garde-fous ont été intégrés à l'administration des conventions pour assurer que les pays n'imposent pas de taxes en contravention de leurs conventions. Les pays sont tenus de se rencontrer pour régler les différends qui peuvent se produire.
Il importe de savoir que la RGAE, du point de vue de l'Agence, était destinée depuis le départ à s'appliquer aux transactions auxquelles nous l'appliquons actuellement. Alors que ces modifications législatives aideront à lever toute confusion, je crains que si on leur donnait effet à une date ultérieure à l'entrée en vigueur de la règle générale anti- évitement en 1988, cela entraînerait de la confusion dans le secteur.
M. Yvan Roy, sous-ministre adjoint et conseiller juridique auprès du ministère des Finances, Bureau du sous-ministre adjoint, ministère des Finances, Direction juridique, ministère de la Justice Canada : Je ne pourrai pas faire mieux que la présentation effectuée par le ministre Goodale à ce comité il y a 12 jours. Il a dit la même chose que ce que moi j'aurais pu dire avec moins d'éloquence.
J'aimerais parler de l'une des questions soulevées ici cet après-midi. Mon ami, M. Tassé, a soulevé avec tact et élégance la question du rôle joué par quelqu'un dans ma situation, sachant que je suis un avocat du ministère de la Justice travaillant en collaboration étroite avec le ministère. M. Tassé a laissé planer l'impression, que je vais tenter de dissiper, que les avocats travaillant pour un client comme le ministère des Finances sont littéralement cooptés et feront tout ce que le ministère leur demande de dire ou faire.
Mon prédécesseur avait un portefeuille qui était certainement plus mince que celui dont je suis responsable au ministère de la Justice, et je m'occupe également de conseiller les organismes centraux. Cela signifie, dans le contexte de cette audience d'aujourd'hui, le Conseil du Trésor, la Commission de la fonction publique et l'Agence responsable des questions de personnel dans la fonction publique, et les clients sophistiqués de nos jours ne veulent pas que leurs avocats leur disent ce qu'ils veulent entendre. Ils veulent que nous leur disions quel est le droit, tel que nous pouvons le déterminer, et ils prennent leurs décisions sur cette base.
En tant qu'avocat principal dans ce portefeuille, je ne conçois pas mon rôle comme différent de celui de n'importe quel autre avocat, à savoir que j'ai l'obligation professionnelle d'informer sur l'état du droit chaque fois qu'on me demande un tel avis.
M. Adams vous a informés qu'un jugement a été renduen 1997 par un homme qui est devenu depuis le juge en chef de la Cour de l'impôt. Sa décision était parfaitement conforme à l'avis du gouvernement et celui des avocats du ministère des Finances. Un juge différent avait rendu une décision autre en 2001, qui n'a pas fait l'objet d'appel pour des raisons que nous aborderons peut-être plus tard, si nous le pouvons. Il me semble donc, monsieur le président, qu'une telle situation appelle une clarification.
Le président : Elle appelle une clarification ou la rétroactivité.
M. Roy : Ou la rétroactivité; mais selon notre optique, nous cherchions à clarifier l'état du droit. S'il se pose parallèlement des questions portant sur la notion de rétroactivité et ce qu'il convient de faire dans de telles circonstances, je me ferai un plaisir d'y répondre.
Le président : Pourquoi ne pas préciser que la prise d'effet est la date du projet de loi, soit 2004, la date du budget?
M. Roy : Je crois que cette question a été posée au ministre des Finances. Il a répondu que si l'on va clarifier cela à compter de la date où l'annonce a été faite, cela revient à reconnaître que ce n'était pas là l'état du droit en 1988, ce qui ne correspond certainement pas à ce qu'était l'intention du gouvernement.
Permettez-moi de vous expliquer pourquoi, à mon sens, il est question ici seulement d'une clarification. En 1998, lorsque cette modification a été apportée, pour qu'il se soit agi d'autre chose que d'une clarification, il aurait fallu que l'intention du Parlement soit que la règle RGAE dont nous parlons — et faisons ressortir de quoi il s'agit, soit d'une exploitation abusive du régime fiscal — ne s'applique qu'à certains instruments et non à d'autres.
Autrement dit, le Parlement aurait dit aux Canadiens que s'ils vont exploiter le système par le biais d'une convention, c'était admis, mais que s'ils le faisaient dans le cadre exclusif de la législation, nous allions les poursuivre.
Je fais valoir, monsieur le président, qu'une telle interprétation ne tient pas la route. Il me semble que l'intention du Parlement, avec cette disposition, ne pouvait être autre que de protéger le régime fiscal. Le but de cette modification-ci, puisqu'il y a eu débat et des décisions de justice semblant aller dans différentes directions, est d'assurer que tout le monde comprend que l'état du droit est bien celui prévu en 1988.
Cela ne signifie pas qu'à l'avenir toutes les transactions seront examinées sur la base de la RGAE. Cela signifie simplement que les transactions qui ont pour but d'exploiter ou d'abuser du système seront examinées sur cette base.
Ne pas préciser cela signifierait que les opérations ayant eu cette finalité ne seraient pas examinables et j'estime que ce ne serait pas la bonne interprétation de la loi; nous sommes d'avis qu'il s'agit là d'une clarification et non d'une application rétroactive de la loi.
Le président : Monsieur Adams, vous dites avoir organisé des séances d'information à l'Agence sur l'application de la RGAE à certains types de transactions. Pourriez-vous nous indiquer brièvement la nature de certaines de ces opérations?
M. Adams : Nous examinons les opérations où vous dépensez un dollar et réclamez une déduction de 5 $. Certaines structures sont commercialisées, certaines liées à des dons et d'autres à des abris fiscaux, mettant en place des opérations financières complexes.
Le président : Donnez-nous un exemple, je vous prie.
M. Adams : Lorsque la RGAE a été introduite initialement, un certain nombre d'abris fiscaux vous donnaient le droit exclusif de commercialiser un produit donné dans une zone de desserte téléphonique locale. Il pouvait s'agir d'un cours de lecture rapide ou d'un jeu quelconque. Vous mettiez 5 000 $ en espèces et une société caribéenne se montrait tellement enthousiaste quant aux perspectives de réussite de cette activité qu'elle offrait une caution d'exécution de 20 000 $. Vous preniez ces 20 000 $ et achetiez un abri fiscal pour 25 000 $. Vous demandez votre déduction dans l'année pour les 25 000 $ et vous touchez un remboursement de 10 000 $. Si la compagnie n'exécute pas ses engagements, elle perd cet argent. Vous avez un remboursement de 10 000 $ pour un paiement de 5 000 $. Notre expérience est que la plupart du temps peu vous importe que cette compagnie vende quoi que ce soit, car l'année suivante vous allez acheter un abri différent.
Ces abris ont existé tout au cours de la période. Nous les contestions en invoquant leur caractère artificiel, parfois avec succès, parfois sans succès. La RGAE s'appliquait à ce type de transaction.
Le procédé était le même dans les grandes sociétés. Celledont j'ai parlé a trouvé un ordinateur central qui valait 4 millions de dollars dans les années 70. Ce type de technologie se retrouvait dans toutes les montres 20 ans après, et donc cet ordinateurne valait plus que 7 000 $. Ils ont pu orchestrer un arrangement tel qu'une société de personnes américaine devienne une sociétéde personnes canadienne, qui vendait immédiatementl'ordinateur et, à sa totale surprise, celui-ci ne valait plus que les 7 000 $ annoncés, et elle s'empressait d'essayer de déduire 4 millions de dollars comme perte finale.
Les structures que nous cherchons à contester ont entre elles des opérations financières qui ressemblent au diagramme de filage de la navette spatiale tellement elles sont complexes. Il s'agit généralement de déductions telles que vous avez une perte fiscale équivalent à plusieurs fois le montant des espèces que vous avez contribuées et du montant de la dette réelle.
Nos amis du ministère des Finances se sont débattus pendant 20 ans pour essayer d'introduire des règles assurant que ces transactions soient sans lien de dépendance et que le financement soit un financement réel et les emprunts pour le plein montant. C'est un jeu de cache-cache car à chaque nouvelle règle, on modifie légèrement les transactions.
Il existait un certain nombre de ces structures en 1988. Nous venions juste de publier trois grands communiqués de presse portant sur la planification fiscale agressive disant que la disposition prenait effet à 16 h 60, heure de l'Est, ce jour-là. Habituellement, ces mesures reconnaissaient l'antériorité de certains de ces régimes réellement agressifs.
La RGAE était destinée à éviter d'avoir à publier tous ces communiqués de presse et donner le temps de trouver une bonne solution législative. La règle générale anti-évitement devait être un outil pour empêcher les résultats fiscaux inappropriés même lorsque le contribuable parvenait à contourner toutes les autres dispositions anti-évitement.
Le président : J'apprécie cette réponse.
Quelle différence fera l'adoption du projet de loi C-33 pour le travail d'enquête que vous faites sur les types de cas RGAE que vous venez de nous expliquer?
M. Adams : Je ne pense pas que cela fasse une grande différence pour notre travail d'enquête. Certains des avis émis dans le public sont une distraction pour nos avocats lorsqu'ils préparent les dossiers pour ces procès — je parle de la question de savoir si la règle s'applique aux conventions ou aux règlements. Je crois qu'il est clair que c'est le cas, mais il ne fait aucun doute que cela représente un fardeau supplémentaire.
Le sénateur Massicotte : Je crois qu'il faudrait déterminer s'il y a eu confusion sur le marché depuis 1988. Je soupçonne que la RGAE s'applique aux conventions mais beaucoup de personnes hautement crédibles, dont l'Association du Barreau canadien, ont dit nourrir des doutes. Vos annonces de 1989 indiquaient qu'elle pourrait s'appliquer au chalandage fiscal. Ce n'est qu'en 1995 que le ministère des Finances a exprimé une position ferme.
Je constate que vous adoptez une position ferme à ce sujet. Mais n'admettez-vous pas que, même si votre intention était que la règle s'appliquait, il y avait confusion sur le marché?
M. Adams : Et il n'y avait guère de chalandage fiscalen 1988. En 1988, il y avait des affaires telles que celle d'Irving Oil portant sur les prix de facturation interne. Il y avait quelques personnes qui prétendaient être résidentes d'un pays des Caraïbes qui avaient toujours leur abonnement de golf et leur maison au Canada. Cependant, il a fallu attendre que les bases de données permettent aux gens de calculer combien un type de revenu particulier serait imposé dans tous les pays du monde.
Le Canada a 90 conventions bilatérales. Si vous considérez toutes les conventions que peuvent posséder ces 90 pays, cela fait un réseau très complexe.
En 1988, peu de personnes planifiaient les types de transactions que l'on voit aujourd'hui, du type des fiducies de conjoint à la Barbade.
Le sénateur Massicotte : M. Tremblay aurait probablement rédigé un avis juridique si j'en avais demandé un en 1989. Il a exprimé la même opinion lors d'une conférence publique la même année. Autrement dit, il dit que l'histoire législative, la RGAE et la loi elle-même ne manifestaient nulle intention d'exonérer les conventions fiscales.
Alors que vous avez probablement raison, vous devez tout de même reconnaître que des personnes intelligentes et compétentes sont en désaccord avec vous. Autrement dit, à cette époque, elles n'étaient pas sûres que la RGAE s'applique.
Êtes-vous d'accord avec moi là-dessus, que des personnes très intelligentes sont en désaccord avec votre affirmation que la règle devrait s'appliquer et que leur mécanisme est de la contrebande.
M. Adams : C'est évident, il y en a beaucoup.
Le sénateur Massicotte : Puisqu'il s'agit de personnes honnêtes et sincères, pourquoi voulez-vous leur imposer une loi et obtenir raison à toute force plutôt que de laisser les tribunaux décider quelle interprétation est la bonne, la leur ou la vôtre?
M. Adams : Premièrement, je dirais que les praticiens ne donnent pas des avis aussi clairs qu'on veut bien le dire. La plupart des lettres d'opinion sont simplement du type « on peut arguer que ce mécanisme sera traité comme tel type de transaction », ou « ceci sera considéré comme une relation sans lien de dépendance », ou « cette fiducie sera considérée comme non résidente ». Toutes sont rédigées de cette manière.
D'ailleurs, nos propres avocats rédigent souvent des lettres d'opinion de cette façon. Je ne nie pas que ce ne sont pas là des questions très difficiles à trancher. Je n'envie pas la tâche de ceux qui conseillent les contribuables ou ceux qui nous conseillent. Je dis simplement qu'il est possible que les deux camps soient coupables de quelques prises de position intéressées.
Le sénateur Massicotte : Cependant, s'il y a doute, comme vous semblez le reconnaître...
M. Adams : Tout évidemment fiscal est sujet à doute.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi ne pas laisser les tribunaux décider, au lieu d'imposer unilatéralement votre interprétation?
M. Adams : Je m'en remets aux auteurs de la législation, au sein des ministères des Finances et de la Justice. Je fais simplement valoir passionnément que ces affaires sont déjà assez difficiles à contester au départ et je dirais qu'une mesure prospective pourrait ne pas régler le problème du gouvernement, et retirer la mesure et s'en remettre aux tribunaux aboutirait au même résultat.
Le sénateur Massicotte : Vous semblez dire que si vous avez le choix entre la prise d'effet aujourd'hui — et vous disiez que cela serait préjudiciable à votre argumentation, vous préféreriez retirer totalement la mesure plutôt que de lui apposer la date 2005.
M. Adams : Quelqu'un va sans doute me fusiller pour l'avoir dit.
Le sénateur Massicotte : C'est au procès-verbal.
M. Adams : Mon point de vue personnel est que j'aimerais que cela prenne effet, non pas rétroactivement mais à compter du jour où la RGAE a été introduite car je suis persuadé que ce n'est qu'une réaffirmation, comme M. Wilkie le dirait, plutôt qu'une clarification. Je perçois une certaine confusion dans le milieu, mais je ne pense pas que les tribunaux aient justifié celle-ci.
M. Roy : Je voudrais simplement dire que le fiscaliste dont vous parlez qui aurait donné un avis en 1989 aurait eu bien du mal avec l'obiter dictum du juge en chef Bowman en 1997. Celui-ci disait que c'était bien là l'état du droit.
En 2001, le juge Archambault a semblé se séparer du juge Bowman. M. Adams a semblé dire qu'à cause de ce désaccord entre les deux juges, il y a eu une inversion dans la liste des cas. Je crois que cela appelle une clarification, une réaffirmation, appelez cela comme vous voudrez. Cette incertitude quant à la volonté du Parlement exige un amendement comme celui qui vous est soumis, afin de lever toute incertitude.
Le sénateur Massicotte : En 1999, un autre informaticien a dit qu'il y avait de puissants arguments contre l'application de la RGAE. Autrement dit, vous avez probablement raison et j'espère que vous avez raison au nom de tous les Canadiens, mais il semble bien qu'il y ait des gens intelligents sans préjugés qui semblent en désaccord avec vous.
Pourquoi imposez-vous votre volonté aux gens qui sont en désaccord avec vous. Pourquoi ne pas tolérer les opinions d'autrui?
M. Roy : Du point de vue du juriste, nous pensons que la loi était claire en 1988. Cela a été confirmé par l'un des tout meilleurs fiscalistes de ce pays, le juge en chef Bowman. Il est temps. Cela aurait déjà pu être fait après 2001, par exemple.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi attendre jusqu'en 2005 pour déposer cette législation? Il est évident qu'il y avait confusionsur le marché. Pourquoi maintenant? Pourquoi pasen 1997? Pourquoi pas en 1988? De fait, de nombreuses dispositions de la loi disent clairement que seuls la loi et les règlements sont visés. Cela permet à beaucoup de tirer cette conclusion.
M. Roy : Ces mots sont tirés d'un paragraphe de la loi qui veut établir une plus grande certitude par rapport à un phénomène précis et ce ne sont pas les termes dont nous parlons ici, si vous voulez vraiment entrer dans les détails techniques.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi introduire cela 16 ans après? Pourquoi pas avant, lorsque le manque de clarté est apparu?
M. Roy : C'était clair en 1997.
Le sénateur Massicotte : Pourquoi pas en 1997?
M. Roy : Pourquoi le gouvernement aurait-il demandé au Parlement d'apporter une clarification lorsque la personne qui allait devenir le juge en chef de la Cour de l'impôt du Canada disait que c'était clair?
Le sénateur Massicotte : Ce n'était pas encore allé en Cour suprême. Chaque citoyen a le droit de dire: « Je suis en désaccord et je choisirai un tribunal pour décider. » Vous dites que ce jugement est très clair. Je ne suis pas sûr qu'il soit très clair aux yeux de nombres de gens qui ont exprimé des opinions après cette date. Vous devez admettre que beaucoup de gens ne sont pas d'accord.
Le président : Monsieur Roy, vous ne précisez pas qu'il ne s'agissait que d'un prononcé incident. La plupart des Canadiens ne savent pas ce qu'est un obiter et ne savent pas qu'il ne constitue pas la loi. Vous n'arrêtez pas d'en parler comme si c'était la loi, et ce n'est pas le cas.
M. Roy : Un juge qui n'a pas à rendre de jugement sur ce genre de question peut dire que ce semble être la bonne façon d'interpréter la loi sur cette question et, sans prononcer de jugement, indiquer que c'est là le sens de la loi.
Le président : Ce n'est pas un jugement.
Le sénateur Massicotte : Dites-vous que vous êtes à l'aise avec cette situation? Dites-vous que c'est une certitude et que, par conséquent, si c'est une certitude, il n'y a pas rétroactivité?
M. Roy : La certitude en droit n'existe pas. Cela n'existe pas, ni en droit pénal, ni en droit administratif ni en droit fiscal. Si, chaque fois qu'il y a désaccord dans la collectivité sur le sens d'une disposition de loi, il fallait déposer un texte au Parlement pour clarifier, les Statuts seraient hauts comme ça.
Le sénateur Massicotte : En l'occurrence, vous dites que, étant donné cette décision, le sens de la loi, son intention, est très clair?
M. Roy : Je vous dirais...
Le sénateur Massicotte : Oui ou non?
M. Roy : Si c'est complètement clair? La clarté complète n'existe pas.
Le sénateur Massicotte : Si c'est clair, vous n'avez pas besoin de législation. Il n'y a donc pas de certitude.
M. Roy : Le but de la clarification est de rendre cela parfaitement clair.
Le sénateur Massicotte : Pour quelque chose qui n'est pas clair aujourd'hui, manifestement. C'est là où réside le problème.
M. Roy : Oui.
Le sénateur Ringuette : Je pense être d'accord avec le sénateur Massicotte. Vous nous dites clairement qu'il s'agit d'une disposition claire fondée sur un jugement du juge en chef Bowman de 1997. Par conséquent, la situation est celle- ci : a) si c'est clair, nous n'avons pas besoin de ces deux articles, 52 et 60; et b) si on en a besoin, pourquoi n'en avait pas besoin tout de suite après 1997? Pourquoi n'en avait-on pas besoin après le rapport du vérificateur général en 2001?
Votre clarté semble extrêmement grise au jour d'aujourd'hui et encore plus grise plus on remonte en arrière pour se rapprocher de 1988. Je ne vous fais pas là une argumentation juridique, je vous donne le point de vue d'une personne ordinaire qui essaie de considérer les choses logiquement. Pour moi, soit c'est clair et n'a pas besoin d'être rendu plus clair, ou bien ce n'est pas clair et a besoin d'être rendu applicable de manière plus claire rétroactivement à 1988. Il n'y a que deux options, et il y a là une intention d'application rétroactive de votre part.
Vous avez dit tout à l'heure que vous étiez allé en cour et avez poursuivi ces contribuables pour ces évitements et abus extraterritoriaux. Qui défend votre cause en tribunal? Est-ce que ce sont des avocats fonctionnaires du ministère de la Justice ou de l'Agence du revenu du Canada, ou bien sous-traitez-vous à des avocats pour plaider au nom du ministère?
M. Adams : Nous utilisons des avocats du ministère de la Justice. Nous ne poursuivons pas les gens, à moins que vous considériez cela comme un procès. Une poursuite implique une action pénale, alors que nous plaidons sur un litige.
Le sénateur Ringuette : Je ne suis pas juriste.
M. Adams : Je ne voudrais pas donner l'impression que nous allons intenter rétroactivement des poursuites pénales.
Le sénateur Ringuette : Pour toutes les causes qui aboutissent devant les tribunaux, ce sont vos propres avocats qui plaident?
M. Adams : Oui.
M. Roy : Ils sont du ministère de la Justice. Il existe un groupe de contentieux fiscal au sein du ministère de la Justice qui a des avocats localisés à travers le pays. Ils plaident ce genre de causes devant les tribunaux.
Le sénateur Ringuette : Ils appartiennent au ministère de la Justice?
M. Roy : Oui.
Le sénateur Ringuette : Vous-même êtes employé de l'Agence ou bien du ministère de la Justice?
M. Roy : Je suis un avocat du ministère de la Justice qui a des responsabilités à l'égard d'un certain nombre de clients, dont le ministère des Finances, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique.
Le sénateur Ringuette : Vos affaires sont des affaires financières.
Le sénateur Downe : Où se trouve votre bureau?
M. Roy : Au ministère des Finances.
Le sénateur Ringuette : Vous travaillez pour le ministère de la Justice mais votre bureau est aux Finances, avez-vous dit.
M. Roy : C'est ma situation, et beaucoup d'avocats du ministère de la Justice sont dans la même. Par exemple, certains avocats sont situés au ministère de la Défense et leur rôle est d'être l'organisme central sur le plan de l'application de la loi. Ils sont localisés in situ pour être au courant de ce qui se passe. Ils sont intégrés aux opérations du client, et comprennent donc ce que fait ce dernier et peuvent lui donner des avis juridiques.
Le sénateur Ringuette : Pour complément d'information, combien d'avocats du ministère de la Justice font-ils partie de votre équipe localisée aux Finances?
M. Roy : Aux Finances, nous devons être entre 20 et 25 avocats.
Le sénateur Ringuette : Est-ce que ces 20 à 25 avocats s'occupent de rédaction de projets de loi financiers? Avec quelle fréquence avez-vous des contacts avec les gens au ministère de la Justice qui s'occupent d'autres sortes de lois?
M. Roy : Nous sommes en communication constante. Le ministère des Finances ne travaille pas seulement sur la Loi de l'impôt sur le revenu, mais aussi la Loi sur les banques, la Loi sur les assurances, la Loi sur les sociétés de prêts et de fiducie et nous avons également le travail de routine tel que la rédaction de contrats ou les problèmes de personnel, et cetera. Nous donnons des avis sur quantité de choses.
Si vous le permettez, j'aimerais revenir à cette décisionde 1997 pour m'assurer de m'être exprimé de façon aussi claire que possible. En 1988, la nouvelle loi a été adoptée. Au cours de cette période de neuf ans, un certain nombre de fiscalistes ont affirmé que la RGAE ne s'appliquait pas dans le contexte des conventions. En 1997, il y a eu le premier prononcé d'un juge. Le président me rappellera que cette décision est intervenue sous forme d'obiter dictum. C'était le premier prononcé fait par un juge sur la signification de cette disposition par rapport aux conventions. Il n'est que juste que le gouvernement considère que ce qu'il pensait être le cas en 1988 continue d'être le cas en 1997 lorsqu'un juge émet cette opinion sur l'état du droit.
Cela s'est maintenu jusqu'en 2001, lorsqu'un autre juge arendu une décision contraire, mais celle-ci a été cassée par un tribunal supérieur. Sénateur, en 1988, le gouvernement pensait que la législation s'appliquait au règlement, à la loi et aux conventions, cette opinion a été confirmée en 1997 jusqu'au jugement de 2001. Nous sommes tout de même fondés à croire que c'est ainsi que les choses devraient être.
Je ne sais pas ce que le ministère des Finances et le ministère de la Justice doivent faire pour affirmer que c'est bien là le sens de cette disposition. C'était son sens déjà en 1988 et cela a été confirmé depuis.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Roy, vous nous dites qu'en 2001 une décision a été cassée par un tribunal supérieur, en sus de la conclusion du vérificateur général sur 55 cas d'activité extraterritoriale. Vous dites, en substance, qu'il a fallu trois ans et demi pour rédiger deux articles dans un projet de loi budgétaire.
M. Roy : Nous aurions eu le même débat en 2002 qu'aujourd'hui.
Le sénateur Ringuette : Pourquoi ne l'avons-nous pas eu en 2002?
M. Roy : Premièrement, pour ce qui est de ces deux cas, il fallait décider d'interjeter appel ou non. Il n'y a pas eu d'appel au niveau supérieur et donc l'incertitude subsiste dans le système s'il faut appliquer la décision de 1997 ou la décision de 2002. Avec cette incertitude, le gouvernement a déterminé qu'il y avait besoin d'une clarification.
Le sénateur Ringuette : Vous avez confirmé que, de l'avis de la justice et de l'opinion du ministère, il y avait incertitude et manque de clarté.
M. Roy : Comme je l'ai dit au sénateur Massicotte, il y avait un besoin de clarification parce que, par définition, il y avait manque de clarté. Il s'est glissé une paille dans le système qu'il a fallu éliminer.
L'autre possibilité est que le projet de loi est soit rétrospectif soit rétroactif. J'aurais pensé que quelqu'un me demanderait si c'est constitutionnel. À notre avis, c'est constitutionnel. Lorsque le ministre des Finances a témoigné il y a 12 jours, il a passé en revue les cinq conditions à remplir, selon la politique, pour qu'un amendement de cette nature soit proposé au Parlement. Il a dit que ces cinq conditions sont remplies en l'occurrence, catégoriquement.
Est-il possible de rendre toute loi rétroactive? La réponse est non, sénateur, car la Charte s'applique dans certaines circonstances. Elle s'applique lorsque le Parlement crée une infraction. On ne peut pas dire à quelqu'un que son comportement est tel que nous allons légiférer pour le juger coupable ipso facto de cette infraction. C'est la seule circonstance en droit où la rétroactivité n'est pas possible. Hormis cela, elle est possible, et cela devient une décision politique du Parlement.
Le sénateur Massicotte : Vous cherchiez dans votre dernier commentaire à expliquer pourquoi cette législation a tant tardé. Vous devez admettre que si c'était effectivement là l'explication, vous reconnaissez de toute évidence qu'une autre personne de bonne réputation, un juge, divergeait d'opinion avec vous quant à l'application des règles.
M. Roy : C'est vrai.
Le sénateur Day : Monsieur Adams, dans votre discussion avec le sénateur Massicotte vous avez dit qu'il régnait une certaine confusion. Maintenant, c'est moi qui suis un peu confus et j'ai besoin de clarification. Nous avons eu tout à l'heure le témoignage de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des comptables agréés. Il ressort de la discussion que nous avons eue avec eux que la profession comprenait bien la position du gouvernement. Les conseillers professionnels, en toute probabilité, portent cette position à l'intention de leurs clients, mais porteront probablement aussi à leur attention les diverses décisions de justice. Ils ne sont peut-être pas d'accord avec la position du gouvernement, mais il n'y a pas de confusion, n'est-ce pas, quant à la nature de cette position?
M. Adams : Il n'y avait pas de confusion quant à la position du gouvernement.
Le sénateur Day : Admettez-vous que, de façon générale, la profession connaît la position du gouvernement, mais que certains fiscalistes ont commencé à élaborer des arguments pour expliquer que cette position ne tiendrait pas?
M. Adams : Il faut savoir que parfois ces arrangements peuvent être très lucratifs. Ils informent le client que Revenu Canada risque de contester, et peut-être même lui disent : « À notre avis, nous pensons que vous avez une cause défendable. » Lorsque de tels stratagèmes fiscaux sont rentables, un certain nombre de clients vont quand même les tenter.
Le sénateur Day : J'ai parcouru les diverses pièces jointes au mémoire du Comité conjoint de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des comptables agréés et je pense que ceci résume bien leur argumentation. En 2000, dans une présentation faite à la conférence fiscale 1999, D.A. Ward a estimé qu' « il pourrait y avoir des arguments puissants » militant pour la non-application de la RGAE.
Il parlait donc d'arguments pour contrer la position prise par l'Agence du revenu du Canada.
Vous semblez dire que les motivations derrière toutes les autres opinions que l'on trouve dans cette annexe sont l'avidité et l'appât du gain. Moi, j'y vois des professionnels qui expriment leurs opinions, un point c'est tout. Ils ne disent pas : « Nous pensons pouvoir gagner », ou « vous avez une argumentation très solide. » Ils disent : « Nous ne pensons pas que cela s'applique. » L'avidité et l'appât du gain ne sont pas du tout déterminants.
M. Adams : Je ne mets nullement en doute la haute réputation de ces fiscalistes, mais écoutez les termes qu'ils utilisent. Si David Ward dit que la règle ne devrait pas s'appliquer, il parle soit d'une règle de droit soit d'accords de type gouvernement à gouvernement. Je ne pense pas que quiconque dise qu'elle ne s'applique clairement pas. Il y a là un réel conflit.
Le sénateur Massicotte : Si vous regardez nombre de ces déclarations, elles expriment la probabilité du succès. Tout est gris dans la vie. Le contexte de leur opinion est : « Avec une forte probabilité de succès, nous ne pensons pas qu'elle s'appliquera. »
M. Adams : Ils peuvent dire : « Nous ne pensons pas que le Revenu peut gagner un procès », ce qui est un énoncé complètement différent.
Le sénateur Massicotte : C'est ce qu'ils disent. Franchement, peu importe ce que pense l'Agence du revenu du Canada. Ce n'est qu'une opinion parmi beaucoup d'autres. La vraie question c'est : « Quel est le droit? »
M. Adams : Il est très difficile de prédire comment les juges vont considérer l'évitement fiscal. La Cour suprême a entendu deux causes en mars. Si vous les ramenez à leur mécanisme fondamental, elles sont très similaires.
Le président : S'agit-il de l'application de la RGAE?
M. Adams : Oui, les deux portent sur la RGAE. Il s'agit de la cause Trustco Mortgage Company et de la cause Eugene Kaulius. La Cour suprême du Canada les a entendues toutes deux le 8 mars de cette année. On pense que nous allons en gagner une et que le contribuable gagnera l'autre.
Le sénateur Massicotte : J'espère que vous gagnerez les deux, mais vous les gagnerez sur la base du droit, et non d'une spéculation.
M. Roy : Ce n'est pas parce que quelqu'un a invoqué les dispositions d'une convention fiscale que la RGAE s'applique. La RGAE reste ce qu'elle est. Simplement, elle ouvre la porte. Nous disons : « Nous allons examiner ces transactions qui mettent à profit une convention fiscale pour éviter indûment de payer les impôts dus au gouvernement du Canada ». Le champ de la RGAE, en tant que tel, comme outil pour le gouvernement, n'a pas changé. Nous disons simplement qu'elle s'applique, que vous invoquiez le règlement, les conventions ou la loi elle-même.
Le président : Si, comme le sénateur Massicotte le donne à entendre, le Ministère gagne les deux causes entendues par la Cour suprême du Canada en mars, et cette dernière, dans son jugement, précise bien que la RGAE s'applique aux conventions fiscales, et cetera, pourquoi alors avons-nous besoin des modifications contenues dans le C-33?
M. Adams : Je ne pense pas que le sujet dont la Cour va devoir trancher dans la cause Trustco Mortgage Company, bien qu'elle mette en jeu plusieurs pays, soit la convention fiscale. Il pourrait y avoir une argumentation intéressant la déduction pour amortissement et, par conséquent, le règlement. Je n'ai pas suivi les audiences de la Cour suprême, mais je crois savoir que la convention ne joue pas un grand rôle dans l'argumentation. Je ne sais pas si la Cour suprême va se prononcer soit sur le règlement soit sur les conventions dans ces deux affaires.
Le président : Elle n'est pas saisie de cela.
M. Roy : Non, la question dans les deux causes n'est pas de savoir si les traités sont couverts, mais plutôt la signification de la notion d'usage abusif de la loi. C'est le critère actuellement applicable. La Cour pourra soit ouvrir le champ, soit le fermer.
Le président : Je pensais que l'enjeu était plus grand que cela.
Honorables sénateurs, avez-vous d'autres questions à poser?
Le sénateur Cools : Je ne sais pas ce que pensent les autres membres du comité, mais je ressens une impression singulière de confusion encore plus grande que celle qui existait auparavant. M. Roy ne cesse de parler du Parlement et de l'intention du Parlement, mais manifestement il y a beaucoup de membres autour de cette table qui ne sont pas convaincus et qui ont d'énormes difficultés.
La journée tire à sa fin et je dois partir. Peut-être M. Roy pourra-t-il revenir, car je m'attendais à ce qu'il nous indique le fondement légal et constitutionnel de ses conclusions. Il ne nous a que livré ses conclusions et répété ce qu'a dit M. Goodale mais je m'attendais à plus que cela. Je me demande, monsieur le président, s'il serait possible que M. Goodale et ce témoin reviennent.
En outre, serait-il possible pour nous d'entendre un témoin n'appartenant pas à un « groupe intéressé » qui puisse nous parler de manière un peu objective de ces questions? Par exemple,peut-être pourrions-nous inviter quelques-uns des universitaires qui étudient la relation appropriée entre le Parlement et les tribunaux.
Je formule de graves réserves lorsqu'on nous cite la décision d'un juge comme étant le fin mot pour nous pousser à adopter une mesure que nous trouvons extrêmement contestable, surtout qu'une bonne part de ce problème intéresse ce que j'appellerais le « pouvoir d'imposition de la Chambre des communes en vertu des articles 53 et 54 de la Loi sur l'Amérique du Nord britannique », que nul n'a abordé. Serait-il possible pour nous d'avoir le témoignage de quelques universitaires qui pourraient nous éclairer concernant certaines de ces règles de droit plutôt sibyllines et alambiquées?
Si je saisis bien ce que dit M. Roy, c'est qu'il s'agit d'une mesure rétroactive, un point c'est tout. Mais à mon avis, les choses ne s'arrêtent pas là.
Le président : J'en parlerai aux autres membres du comité directeur, sénateur Cools.
Le sénateur Cools : J'espérais que le comité se pencherait sur certaines de ces questions. Je pense qu'il est très important que les membres du comité fassent part de leurs préoccupations, sinon nous avons une journée comme aujourd'hui, avec un défilé de témoins, mais sans dialogue, sans débat entre nous, sans échange. J'ai juste reçu une note disant que nous procédons à l'étude article par article demain et vous l'avez rappelé tout à l'heure. Je ne pense pas que le comité soit prêt à faire l'étude article par article, pas après des témoignages aussi partagés et tant que les membres du comité seront aussi radicalement divisés.
J'aimerais en entendre davantage sur la position constitutionnelle du Parlement, du point de vue de son pouvoir d'imposition, et la notion que cette sorte d'initiative devrait commencer en un certain lieu.
Il n'arrête pas de citer le juge. Cela devient une habitude et je n'en tiens plus compte.
Le président : Je remercie les témoins d'être venus. Nous apprécions votre témoignage. Vous nous avez éclairés quant au genre de pratiques que la RGAE est destinée à couvrir. Vous nous avez réitéré le fondement juridique déjà énoncé par le ministre des Finances il y a dix jours et nous vous en sommes reconnaissants.
Honorables sénateurs, nous n'avons pas d'autres témoins à notre ordre du jour. Le comité se réunira demain matin à 9 h 30 dans la salle 705 de l'édifice Victoria. Le premier témoin sera l'honorable Marc Lalonde. Après son témoignage, nous entreprendrons l'étude article par article du projet de loi C-33.
Il n'y aura pas de réunion du comité ce mercredi. Pour ce qui est de nos autres travaux, nous nous réunirons la semaine du 10 pour poursuivre notre étude des fondations avec les fonctionnaires du ministère des Finances, encore que cela reste à confirmer. Notre personnel de recherche travaille sur plusieurs ébauches de rapports suite à nos travaux sur la question des fondations et à nos réunions avec les mandataires du Parlement.
Des réunions sont également programmées les 11 et 17 mai pour examiner et réviser ces ébauches de rapports. Le 18 mai, il est possible que nous donnions suite à notre promesse de recevoir des représentants de l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique mais cela reste à confirmer.
Le sénateur Cools : Monsieur le président, je ne sais pas si quelque chose m'échappe, mais ce comité n'a pas pris la décision de procéder à l'étude article par article du projet de loi. Vous ne pouvez pas tout simplement annoncer que nous ferons l'étude article par article demain.
Le président : Je n'ai pas fait cela.
Le sénateur Cools : Vous venez de le dire après que j'aie soulevé la question.
Le président : Un avis a été envoyé aux sénateurs la semaine dernière concernant les travaux de ce comité aujourd'hui et demain, travaux qui comprennent l'étude article par article du projet de loi C-33.
Le sénateur Cools : Président, le fait qu'un avis a été envoyé ne signifie pas que le comité a pris une telle décision. Ce comité n'a pas pris la décision de procéder à l'étude article par article. Le comité n'a pas prévu de temps pour discuter des témoignages étoffés et complexes que nous avons entendus aujourd'hui. Il s'agit là de décisions qui appartiennent à ce comité et le comité n'a pris aucune décision. C'est ce que j'essaie de vous dire. Je suis heureuse de voir que vous êtes tout prêt à faire cela demain, mais je vous dis, en guise d'instruction générale et de débat, que le comité n'est pas prêt à passer à ce stade car les membres du comité ne sont manifestement pas encore convaincus et en proie à une grande consternation.
Le président : Nous entendrons d'autres témoignages sur le projet de loi C-33 demain matin.
Le sénateur Cools : Juste un témoin. Je parlais d'autres témoins qui pourraient nous éclairer sur tout le phénomène d'une action rétroactive du Parlement, particulièrement lorsqu'il s'agit d'imposer les citoyens. C'est cela qui m'intéresse.
Le président : Nous avons entendu d'excellents témoignageslà-dessus.
Le sénateur Cools : Si vous ne voulez pas ces témoignages, dites-le, mais ne dites pas que le comité n'en veut pas.
Le président : Je n'ai pas dit cela. Roger Tassé a comparu aujourd'hui et nous a donné d'excellentes indications sur les points que vous avez soulevés. Le comité a effectivement entendu des témoignages sur ces points.
Le sénateur Cools : M. Tassé est un homme merveilleux et très savant, mais il n'est pas très bien informé sur la législation relative au Parlement. Nous devrions avoir quelqu'un pour nous parler explicitement de ces points très importants.
Le président : Nous allons entendre M. Lalonde.
Le sénateur Cools : M. Lalonde n'est pas un expert du Parlement. Je pensais que nous allions sortir de cette dialectique entre ceux qui parlent pour le Ministère et ceux qui parlent contre lui et entendre quelques experts de l'extérieur. Il existe de nombreux universitaires dans ce pays qui étudient ces questions.
Peut-être le professeur John Stewart, un ancien sénateur, pourrait-il nous donner un aperçu de ces questions. Il s'agit là d'un sujet très vaste et complexe. Je ne suis pas convaincue que ce que M. Roy nous a dit aujourd'hui soit exact. Il s'agit là d'une législation fiscale rétroactive. À mon avis, le fait qu'il s'agisse d'une taxe introduit tout un éventail de variables qui n'ont pas été abordées.
Le président : La bonne chose concernant les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui c'est qu'ils ne provenaient pas tous du même côté. Nous n'avons pas entendu seulement le Ministère, mais aussi les dissidents.
Pour prendre comme exemple le panel composé de M. Wilkie et de M. Tassé, vous n'auriez pas pu entendre deux approches plus différentes de l'interprétation et de l'application d'un projet de loi, et c'était excellent. Le comité est censé entendre des points de vue et arguments différents, ensuite de quoi nous, les membres, prenons notre décision.
Le sénateur Cools : Le témoin qui a comparu avec M. Tassé n'acceptait pas que l'on qualifie ce phénomène de clarification. Il parlait de réarticulation. Il n'est pas totalement dans ce coin, contrairement à ce que l'on pourrait penser, car même réarticuler ramène à la notion de rétroactivité.
Ces dispositions sont très clairement rétroactives. Il est question de l'application. Dès que l'on parle de l'application d'une loi, vous êtes dans le domaine de la rétroactivité. Dès que vous parlez de la période de temps à laquelle une mesure s'applique, vous êtes dans la rétroactivité. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une clause rétroactive.
Je pense simplement que nous devrions inviter d'autres témoins qui pourraient nous parler des intérêts du Parlement à cet égard. Le Parlement est tellement sous-représenté dans tous ces débats et discussions et il règne une grande ignorance sur les droits du Parlement.
J'aimerais entendre quelques autres témoins, président.
Le président : J'ai entendu vos positions. Le sénateur Downe et le sénateur Day, qui siègent au comité directeur les ont entendues également. Nous nous réunirons et nous aviserons.
Le sénateur Cools : Je fais valoir de nouveau que le sous-comité de l'ordre du jour ne peut se substituer au comité pour prendre ces décisions, et pourtant il se comporte comme si c'était le cas. Vous n'êtes pas nos maîtres, vous êtes nos serviteurs. Le sous-comité est le serviteur du comité. Je n'ai jamais rien vu de pareil. Il devrait fonctionner comme un sous-comité.
D'après le débat qui a eu lieu autour de la table, il est parfaitement clair que le comité n'est pas prêt à procéder à l'examen article par article. Peut-être M. Lalonde va-t-il nous éclairer tellement demain qu'il nous convaincra de passer à l'étude article par article, mais ce comité n'est pas encore prêt à le faire.
Le président : Merci.
Honorables sénateurs, la séance et levée.
La séance est levée.